(Moniteur belge du 21 novembre 1838, n°326)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 2 heures.
M. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse de pièces adressées à la chambre :
« Le sieur Germain-Henri Scheper, capitaine de navire à Anvers, né à Lohne (grand-duché d’Oldenbourg), habitant la Belgique depuis 1827, demande la naturalisation. »
« Le sieur P. Verhoeven, tailleur à Schooten, province d’Anvers, né à Nispen (Brabant septentrional), habitant la Belgique depuis 1827, demande la naturalisation. »
« Le sieur P. Verhoeven, tailleur à Schooten, province d’Anvers, né à Nispen (Brabant septentrional), habitant la Belgique depuis plus de cinq ans, demande la naturalisation. »
« Le sieur Elbert Sax, marchand, demeurant à Well, commune de Bergen (Limbourg), né en Prusse et habitant la Belgique depuis 1814, demande la naturalisation. »
« Le sieur B.-A. During, docteur en médecine à Exaerde, né à Voorburg (Hollande), habitant la Belgique depuis 1818, demande la naturalisation. »
« Le sieur Sczepanski, officier polonais au service de la Belgique depuis 1832, demande la naturalisation. »
« Le sieur Michel Stakowitz, gardien de deuxième classe à la maison de force à Gand, né en Pologne et habitant la Belgique depuis nombre d’années, demande la naturalisation. »
« Le sieur Charles Haller, sergent à la maison de force de Gand, né en Prusse, et habitant la Belgique depuis 1824, demande la naturalisation. »
« Le sieur A.-L. Flucque, sergent à la maison de force de Gand, né en Prusse, et habitant la Belgique depuis 21 ans, demande la naturalisation. »
« Le sieur Bonkerin, à Gand, né au Sas-de-Gand (Zélande), habitant Gand depuis 1803, demande la naturalisation. »
- Ces diverses pétitions sont renvoyées au ministre de la justice.
« Les étudiants au doctorat en droit de l’université de Louvain demandent une nouvelle prolongation de la disposition transitoire de l’art. 68 de la loi du 27 septembre 1835. »
« Le sieur Hubert Guysen, à Louvain renouvelle sa demande d’indemnité du chef des pertes qu’il a éprouvées en 1831 par suite de son service dans la garde civique. »
« Plusieurs soldats atteints d’ophtalmie demandent une augmentation de pension ou la création d’un hôtel d’invalides. »
« Les membres du conseil général des hospices et secours de Louvain demandent de nouveau que la chambre décide à qui incombe l’entretien des sourds et muets, d’après l’art. 31 de la loi du 30 mars 1836. »
« Le sieur V. Ingelbeen, cultivateur à Ledeghem (Flandre occidentale) demande la révocation d’une disposition ministérielle qui place son fils pour 5 ans dans l’armée active comme retardataire. »
« Les héritiers de feu Jean-Baptiste Lerberghe, fils illégitime de Barbe-Thérèse Lerberghe, mort sans testament, et dont la succession est acquise à l’état, demandent une loi qui la leur accorde à titre de gratification. »
« La députation permanente du conseil provincial du Hainaut demande que la chambre veuille bien se prononcer sur la question d’opportunité de la suppression des tours, et établir pour toutes les provinces une règle uniforme. »
« La chambre de commerce et des fabriques de Namur demande la construction du chemin de fer de Namur à Tirlemont. »
« Plusieurs chevaliers de la légion d’honneur demandent le paiement de l’arriéré de leur pension. »
Les sieurs J.-B. Vanderschuyt, capitaine du navire, ayant obtenu la naturalisation, et n’ayant pu remplir les formalités prescrites par les art. 10 et 11 de la loi du 237 septembre 1835, demande à être relevé de la déchéance qu’il a encourue de ce chef. »
Des fabricants de poteries de la commune de Bouffioulx, demandent que les droits d’entrée sur les poteries étrangères soient augmentés. »
« Le sieur Pierre Van Eecke, soldat au 8e de ligne, incorporé illégalement, demande son renvoi du service. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. J.-F. Constant fait hommage à la chambre de sa brochure : « Du défrichement des terrains sablonneux. »
- Dépôt à la bibliothèque.
Première section
Président : Duvivier
Vice-président : De Behr
Secrétaire : Corneli
Rapporteur de pétitions : Doignon
Deuxième section
Président : Fallon
Vice-président : Desmanet
Secrétaire : Maertens
Rapporteur de pétitions : Berger
Troisième section
Président : F. de Mérode
Vice-président : Pollénus
Secrétaire : B. Dubus
Rapporteur de pétitions : Heptia
Quatrième section
Président : Demonceau
Vice-président : Wallaert
Secrétaire : Simons
Rapporteur de pétitions : de Florisone
Cinquième section
Président : Vanderbelen
Vice-président : Verdussen
Secrétaire : Lecreps
Rapporteur de pétitions : Zoude
Sixième section
Président : Lebeau
Vice-président : Ullens
Secrétaire : De Jaegher
Rapporteur de pétitions : Milcamps
M. le président – Messieurs, votre députation a eu l’honneur de présenter à S.M. l’adresse que vous avez votée en réponse au discours du trône. Voici la réponse du Roi :
« Messieurs,
« L’unanimité des sentiments que le pays manifeste est un signe certain de son attachement inaltérable à sa nationalité et de son amour pour ses institutions.
« Je vois avec plaisir que les efforts de mon gouvernement pour le développement de la prospérité publique et de tout ce qui honore la patrie sont justement appréciés.
« Je reçois avec satisfaction, Messieurs, les assurances que me donne la chambre des représentants, de son concours à toutes les mesures que réclament les besoins du pays. »
La chambre décide que la réponse du Roi sera imprimée, simultanément avec l’adresse.
M. de Renesse donne lecture de la lettre ci-après de M. Jadot :
« Messieurs et chers collègues,
« J’ai lu la réponse de la chambre au discours du trône.
« Je la considère comme un engagement pris les 83 membres qui l’ont votée, de rejeter toute proposition qui tendrait au démembrement de la patrie : c’est dans ce sens que j’y adhère.
« Toujours retenu chez moi par indisposition, et contrarié de ne pourvoir me rendre au sein de la chambre, je cède au besoin de vous dire que, dans toutes les circonstances, j’unirai mes efforts à vos efforts pour défendre l’honneur national dont nous sommes le gardien.
« Agréez, etc.
« Jadot ».
M. Kervyn – Messieurs, parmi les pétitions dont vous venez d’entendre l’analyse, il s’en trouve une qui vous a été adressée par les étudiants de l’université de Louvain ; ils font part de l’incertitude où ils sont, quant aux cours qu’ils devront suivre pour le doctorat en droit. Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport, afin que les professeurs et les étudiants sachent à quoi s’en tenir. Je fais la même demande pour la pétition qui vous a été adressée, il y a quelques jours, par les étudiants de l’université de Bruxelles.
- La proposition de M. Kervyn est adoptée.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) monte à la tribune et dépose :
1° Deux projets de loi ayant pour objet de rendre exécutoires en Belgique les traités de commerce et de navigation conclus avec la France et la Porte Ottomane ;
2° Un projet de loi relatif à une séparation de commune dans le Brabant.
M. le président – Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; ils seront imprimés et distribués ; conformément aux précédents de la chambre, le projet de loi concernant une délimitation de commune sera renvoyé, s’il n’y a pas d’opposition, à l’examen d’une commission à nommer par le bureau. (Oui !) Quant aux deux autres projets de loi, la chambre désire-t-elle les renvoyer en sections ou à une commission ?
Des membres – A une commission.
D’autres membres – En sections.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je crois qu’il conviendrait de renvoyer les projets à une commission.
M. Dumortier – Des traités de commerce sont chose sérieuse ; je suis persuadé que le gouvernement a soigné les intérêts du pays en cette circonstance ; cependant il me paraît convenable que les sections soient saisies de l’examen des projets.
M. Desmanet de Biesme propose de renvoyer les projets à l’examen de la commission permanente d’industrie.
- Cette proposition n’est pas adoptée.
M. le président met aux voix le renvoi en sections ou à une commission ; après une double épreuve, la chambre décide que les projets seront renvoyés à une commission, à nommer par le bureau.
M. le président – Dans sa séance du 16 mai dernier, la chambre a voté le §1 de l’art. 1er. Le § 2 du même article est ainsi conçu : « Droits de timbre gradués en raison des sommes »
1° Projet du gouvernement :
« Le droit sur les effets négociables ou de commerce, billets et obligations non négociables et sur les mandats à terme, ou de place en place est fixé :
« - pour ceux de 250 fr. et en dessous, à 15 c.
« - pour ceux de plus de 250 fr. jusqu’à 500 fr, à 30 c.
« - pour ceux au-dessus de 500 fr jusqu’à 1,000 fr. inclusivement, à 60 c.
« - pour ceux au-dessus de 1,000 fr. jusqu’à 2,000 fr. inclusivement, à 1 fr. 20 c.
« - et ainsi de suite à raison de 60 centimes par mille francs, sans fraction. »
« Le timbre crée par l’art. 27 de la loi du 31 mai 1824, sur les effets, récépissés, obligations, certificats ou actions résultant d’emprunts ouverts en Belgique, au profit d’étrangers, est :
« - lorsque le capital est de 500 fr., et au-dessous, de 1 fr. 50 c.
« - lorsque le capital est de 500 fr. à 1,000 fr. inclus, de 3 fr.
« - et pour les sommes au-dessus de mille francs à raison de trois francs par mille, sans fraction. »
2° Projet de la section centrale :
« Le droit sur les effets négociables ou de commerce, billets et obligations non négociables et sur les mandats à terme, ou de place en place est fixé :
« - pour ceux de 500 fr. et au-dessous, à 40 c.
« - pour ceux au-dessus de 500 fr jusqu’à 1,000 fr. inclusivement, à 80 c.
« - pour ceux au-dessus de 1,000 fr jusqu’à 1,500 fr. inclusivement, à 1 fr. 20 c.
« - pour ceux au-dessus de 1,500 fr. jusqu’à 2,000 fr. inclusivement, à 1 fr. 60 c.
« - et ainsi de suite à raison de 60 centimes par mille francs, sans fraction. »
« Le timbre crée par l’art. 27 de la loi du 31 mai 1824, sur les effets, récépissés, obligations, certificats ou actions résultant d’emprunts ouverts en Belgique, au profit d’étrangers, est :
« - lorsque le capital est de 500 fr., et au-dessous, de 1 fr. 50 c.
« - lorsque le capital est de plus de 500 fr. à 1,000 fr. inclusivement, de 3 fr.
« - et pour les sommes au-dessus de mille francs, de trois francs en sus par chaque mille, sans fraction. »
M. le ministre des finances ne s’étant pas rallié aux propositions de la section centrale, celles-ci sont considérées comme amendements.
Voici un amendement de M. le ministre des finances au § 2 :
« Le droit de timbre sur les bons de caisse, billets au porteur, obligations ou actions et tous autres effets à terme illimité ou payables après cinq ans de leur émission, est porté :
« - pour ceux de 250 fr. et au-dessous à 25 c.
« - pour ceux de 250 fr. à 500 fr., à 50 c.
« - pour ceux de 500 à 1,000 fr., à 1 fr.
« - pour ceux de 1,000 à 2,000 fr. inclusivement, à 2 fr.
« - et ainsi de suite, à raison d’un franc par 1,000, sans fraction.
« Toutefois, sont exempts du timbre sur les coupons d’intérêt ou de dividende dépendant desdits bons ou billets, obligations ou actions. »
Voici un sous-amendement de M. d’Hoffschmidt à l’amendement de M. le ministre des finances :
« - pour ceux de 500 fr. et au-dessous : 40 c.
« - pour ceux de 500 à 1,000 fr : 80 c.
« - pour ceux de 1,000 à 2,000 fr. : 1 fr. 60 c.
« - et ainsi de suite, à raison de 80 centimes par 1,000, sans fraction. »
M. Demonceau – Messieurs, la section centrale avait émis le vœu de voir le gouvernement ou la chambre adopter, pour les bons de caisse ou billets au porteur, un timbre particulier et plus élevé que celui fixé pour les billets et lettres de change ordinaires ; les motifs justificatifs de cette opinion sont donnés par elle, dans le rapport que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau, le 7 mars 1838 (voyez pages 3 et 4 de ce rapport), et, dans votre séance du 17 mai dernier, M. le ministre des finances fit une proposition qui se trouve consignée au moniteur du lendemain. Cette proposition fut modifiée par notre honorable collègue, M. d’Hoffschmidt, combattue par plusieurs de nos honorables collègues, et renvoyée, sur ma proposition et de l’assentiment de M. le ministre des finances, à la section centrale qui devait le lendemain s’en occuper et vous présenter un rapport.
La section centrale s’empressera de s’occuper de l’examen des propositions lui renvoyées, et je devais, le jour même, vous soumettre verbalement le résultat de ses délibérations ; mais la chambre dut suspendre ses travaux pour les motifs qui vous sont connus. Aujourd’hui que vous avez résolu de continuer la discussion commencée sur ce point, je viens vous dire ce que le 18 mai dernier, la section centrale avait résolu, le voici :
La section centrale, persistant dans l’idée émise précédemment, a pensé qu’il est juste de faire payer un timbre plus élevé pour les bons de caisse, billets au porteur et même les actions et obligations à terme illimité. Mais, quant aux actions, obligations, billets et effets négociables ou non négociables, payables à terme fixe ou de place en place, la majorité a cru que le timbre ordinaire suffisait ; elle a également pensé que tous coupons d’intérêt ou de dividende, dépendant des bons, actions et obligations à terme illimité, ne devaient pas supporter le droit de timbre. Examinant ensuite les diverses propositions faites, elle a considéré comme le système le plus propre à satisfaire au vœu émis dans le cours de la discussion, de prendre pour point de départ la somme de fr. 500, et d’établir le droit à raison de 50 centimes ; ainsi elle adopte le système proposé par M. le ministre des finances, sauf le premier paragraphe qu’elle supprime et d’après lequel il serait établi, suivant M. le ministre, un timbre de 25 centimes pour les sommes de 250 fr. et au-dessous. Par suite de l’adoption du système de la section centrale, il est fait droit aux réclamations de l’honorable M. d’Hoffschmidt, puisque le point de départ était, ainsi qu’il l’a demandé, la somme de fr. 500 et au-dessous. Mais la majorité de la section centrale a également pensé qu’il devait être fait droit aux réclamations élevées par notre honorable collègue M. Desmaisières ; et par suite elle voudrait que les actions et obligations à terme limité ne fussent soumises qu’aux droits de timbre ordinaire. Modifiant donc le paragraphe deux proposé par la section centrale, et réunissant en un seul paragraphe les amendements et la rédaction première, voici comment pourrait être rédigé le § 2 pour être mis en discussion :
« Le droit de timbre sur les bons de caisse, billets ou effets au porteur, actions ou obligations et tous autres effets à terme illimité, est porté :
« - pour ceux de 500 et au-dessous, à 50c.
« - pour ceux au-dessus de 500 fr. jusqu’à 1,000 fr, à 1 fr.
« - pour ceux au-dessus de 1,000 jusqu’à 2,000 fr., à 2 fr.
« - et ainsi de suite, à raison d’un franc pour 1,000 fr. sans fraction.
« Toutefois, sont exempts du timbre sur les coupons d’intérêts ou de dividende dépendant desdits bons ou billets, obligations ou actions.
« Le droit sur les autres effets, billets, actions et obligations, négociables ou non négociables, payables à terme ou de place en place est fixé :
« - pour ceux de 500 et au-dessous, à 25 c.
« - pour ceux au-dessus de 500 fr. jusqu’à 1,000 fr, à 50 c.
« - pour ceux au-dessus de 1,000 jusqu’à 2,000 fr., à 1 fr.
« - et ainsi de suite, à raison de 50 centimes pour chaque mille francs, sans fraction. »
Cette rédaction établirait pour les bons de caisse, etc., un timbre double de celui pour les effets ordinaires ; il y aurait réduction pour le petit commerce ainsi que le gouvernement semble le désirer, et le trésor n’en souffrirait pas, puisqu’il trouverait dans l’élévation du droit sur le timbre désigné en premier lieu, de quoi compenser la réduction proposée par ceux désignés au deuxième rang.
M. Gendebien – L’amendement de M. d’Hoffschmidt se trouve-t-il écarté ?
M. d’Hoffschmidt – J’avais présenté mon amendement parce que j’avais trouvé la proposition du gouvernement insuffisante ; l’amendement de la section centrale renchérissant sur la proposition du gouvernement et sur la mienne, je m’y rallie.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – D’après les propositions qui vous sont actuellement soumises par la section centrale, le deuxième paragraphe de l’article premier serait augmenté d’un nouveau paragraphe exclusivement relatif aux billets de banque, obligations ou actions des sociétés. Ces deux paragraphes peuvent et doivent même être examinés tout-à-fait isolément. Si nous ne procédions pas ainsi, nous compliquerions la discussion à ne pas en sortir, attendu que, dans chacun des paragraphes, il y a cinq articles de chiffres différents.
Ainsi que l’a fait remarquer M. le rapporteur, la différence entre la proposition du gouvernement et celle de la section centrale, quant aux billets de banque et aux actions de société, consiste en ce qu’au lieu de faire deux catégories des billets de 500 francs et au-dessous, elle n’en fait qu’une, et supprime la catégorie que nous propositions d’établir de 250 francs et au-dessous ; de plus, la section centrale n’admet comme sujettes a plus fort droit que les obligations ou actions à terme illimité et non celles à terme plus éloigné que 5 ans, comme je le demande. Je ne fait pas difficulté de me rallier à la proposition de la section centrale, quant à la réduction des catégories, parce qu’elle atteint mieux que je ne le faisais, le but que je me propose. Cependant, je n’entends pas passer condamnation sur le paragraphe qui concerne les effets ordinaires de commerce, lesquels font l’objet de la première partie du paragraphe 2. L’intention du gouvernement a été de favoriser le petit commerce en ne lui faisant payer qu’un droit très faible pour les effets au-dessous de 500 fr. ; nous avons proposé en effet d’établir une catégorie de 250 fr., et au-dessous, en fixant le droit à 15 centimes seulement, et une seconde catégorie de 250à 500 fr., en portant le droit à 30 centimes. Je crois à cet égard devoir m’en tenir à ma proposition, bien que je sois disposé à admettre un seul et même droit pour les billets de banque d’une valeur de 500 fr. et au-dessous, les deux premières parties du paragraphe 2 étant indépendantes l’une de l’autre.
Vous aurez remarqué que la section centrale, en se prononçant pour le maintien du droit existant sur les effets de commerce, et n’admettant pas les catégories et réductions que le gouvernement propose, est guidée par la raison qu’elle n’adopte point les sanctions demandées par le projet comme une sorte de compensation des diminutions de l’impôt.
Nous avions jugé qu’en proposant un droit minime, favorable au commerce, il état rationnel de provoquer des moyens de sanction de la perception de ce droit plus sévères que ceux existants, et dans cette intention nous avions formulé les dispositions contenues dans les articles 10, 11 et 12.
L’admission des chiffres du paragraphe 2 dépend donc, selon nous, de l’adoption ou du rejet des articles 10, 11 et 12. Si vous n’accordez pas au gouvernement les garanties qu’il vous demande par ces articles, je serai forcé de me reporter au droit plus élevé que propose la section centrale, parce que l’impôt ne se percevra, comme maintenant, que par exception, quand les effets devront être présentés en justice.
Il est par suite nécessaire de discuter préalablement les articles 10, 11 et 12, qui me feront admettre ou rejeter la proposition de la section centrale, suivant qu’on rejettera ces articles ou qu’on les adoptera.
Il suffit de lire ces trois articles dans le projet du gouvernement pour reconnaître qu’ils renforcent beaucoup les précautions actuelles de la loi sur le timbre, et vous comprendrez qu’en accordant des garanties de perception, le fisc peut consentir à l’établissement de droits modérés, tandis qu’en lui refusant les moyens préventifs nécessaires, c’est-à-dire, si la perception doit rester l’exception et la fraude la règle, dans ce cas nous serons réduits à solliciter le maintien de l’impôt tel qu’il existe et tel qu’il est proposé par la section centrale, afin qu’au moins le trésor ne perde rien.
Si vous adoptez l’ordre que je propose de suivre pour la discussion, je vous poserai l’utilité d’adopter les articles 10, 11 et 12 du projet du gouvernement, en vous faisant voir que dans tous les pays voisins où existe un impôt du timbre, il y a des dispositions analogues à celles qui vous sont soumises, et que ce dispositions ne renferment absolument rien d’exorbitant.
La chambre consultée adopte la proposition de M. le ministre des finances. En conséquence la discussion est ouverte sur l’article 10, ainsi conçu :
« Art. 10 (projet du gouvernement). Seront solidaires pour les droits de timbre et les amendes :
« Tous les signataires pour les actes synallagmatiques ;
« Les prêteurs et les emprunteurs pour les obligations ;
« Les créanciers et les débiteurs pour les quittances. »
« Article 10. (Projet de la section centrale). Tous les signataires de contrats synallagmatiques sont solidaires pour les droits de timbres fraudés et les amendes. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – La section centrale voudrait réduire la proposition du gouvernement, quant à la solidarité pour les droits de timbre et les amendes, aux actes synallagmatiques, et de la rejeter en ce qui concerne les prêteurs et emprunteurs, les créanciers et débiteurs. Le projet, à l’égard de ces deux derniers paragraphes, a été jugé dans le rapport de la section centrale comme insolite et comme exorbitant. Cependant cette disposition existe, comme je le disais tout-à-l’heure, dans les pays où il y a des lois sur le timbre ; les prêteurs et les emprunteurs concourent de la même manière à une même opération ; s’il y a contravention, l’une et l’autre y participent.
Il en est de même en ce qui concerne les créanciers et les débiteurs. Si le débiteur reçoit une quittance, l’accepte sur papier non timbré, il commet une contravention ; le créancier qui délivre la quittance est son complice.
Dès lors il n’y a rien d’injuste à ce que tous deux puissent être recherchés par le fisc pour cette contravention.
Vous savez, messieurs, que dans l’état actuel de la jurisprudence, le débiteur seul peut être poursuivi pour défaut de timbre d’une quittance. Eh bien, le débiteur poursuivi à ce titre allègue que sa quittance ne le concerne pas ; il n’a pas signé ; il y a peu de moyens de prouver que cette quittance lui a été remise. Il y a des moyens d’éluder les poursuites qu’on peut intenter contre lui de ce chef.
La loi du 7 février 1791, publiée en Belgique, prescrivait la solidarité réclamée.
Le décret du 16 messidor an XII, encore en vigueur, consacre la solidarité entre les souscripteurs et porteurs de lettres de voiture et connaissements. Dès-lors, que pourrait-il y avoir de si exorbitant que l’on consacre également pour les quittances cette solidarité entre le créancier et le débiteur ?
La loi française du 7 mars 1822, établir la solidarité. Je pourrais donner lecture de la disposition de cette loi à la chambre, si elle le désire. J’aurai du reste à m’en appuyer quand nous arriverons à l’article 11 suivant.
En Angleterre, la disposition législative en vigueur est bien autrement rigoureuse que celle que nous proposons. Les actes quelconques (quittances ou obligations, etc.) sont, à défaut de timbre, considérés come nuls en justice. On n’est pas admis à les produire comme titres en justice.
M. Demonceau, rapporteur – Il en est de même en Belgique.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Pas du tout ; car en Belgique, en payant le double droit, on rend l’acte valide, tandis qu’en Angleterre l’acte est radicalement et définitivement nul après un court délai. La disposition que nous réclamons est bien moins rigoureuse que celle de pays voisins. Elle existe déjà quant aux lettres de voiture et aux connaissements, et nous ne voyons pas pourquoi on ne l’appliquerait pas aux contrats et quittances. Il est évident que par le défaut de timbre les emprunteurs et les prêteurs, les débiteurs et les créanciers, contreviennent également à la loi ; Il faut donc laisser à l’administration la faculté d’attraire en justice celui des deux contrevenants qu’elle jugera le plus solvable.
M. Gendebien – Il me semble qu’on peut adopter les deux premiers paragraphes du projet du gouvernement ; mais il me paraît qu’adopter le troisième paragraphe serait consacrer une injustice.
Il est naturel quand une obligation lie également deux personnes, que ces deux personnes paient l’amende pour défaut de timbre. Pour les prêteurs et les emprunteurs, c’est-à-peu près la même chose. D’après le code et l’usage général, l’emprunteur paie tous les frais ; mais il n’est pas moins vrai que le prêteur a besoin d’un titre pour réclamer les intérêts de la somme prêtée. Il a donc intérêt à exiger que l’acte soit en règle et timbré. D’un côté il y a la loi et l’usage à l’égard de l’emprunteur ; d’un autre côté il y a intérêt et avantage pour le prêteur à avoir un titre en règle ; il est donc naturel que la loi imposant les conditions que ce titre devra remplir pour être admis en justice, rende les deux parties solidaires des conséquences de la désobéissance à la loi.
Mais, pour le troisième paragraphe, je ne reconnais pas le même esprit de justice et je crois au contraire qu’il y aurait injustice à le consacrer en loi. Ici il n’y a aucune assimilation à faire entre le créancier et le débiteur. Ici il n’y a plus rien qui participe du contrat synallagmatique : l’obligation devient purement unilatérale. Il n’y a plus qu’une seule personne à qui la quittance puisse être utile, c’est celle qui se libère ; celle-là à intérêt à avoir une preuve régulière qu’elle est libérée ; par conséquent il est tout naturel qu’elle paie la formalité du timbre exigée par la loi pour fournir en justice la preuve qu’elle ne doit pas.
Quant au créancier qui reçoit, la loi ne lui impose aucun obligation et je ne sais comment on pourrait l’obliger relativement aux quittances. Je constitue une rente, je verse un capital, j’ai intérêt à avoir un titre régulier et j’ai le moyen de contraindre l’emprunteur à se conformer à la loi ; dès-lors il est tout simple et il paraît assez équitable qu’on fasse payer l’amende pour défaut de timbre lorsque l’emprunteur est insolvable ; mais lorsqu’une fois j’ai mon titre régulier, je ne puis être soumis à rien. Celui qui vient pour me payer a droit à une quittance, je la donne ; mais pour moi, elle n’a aucune signification, et je n’ai aucune espèce d’intérêt à ce qu’elle soit bonne ou mauvaise. Elle est faite uniquement dans l’intérêt de celui qui paie ; par conséquent celui-là seul doit savoir ce qu’il fait ; celui-là seul s’expose aux conséquences d’une irrégularité.
Aux termes des lois et usages, c’est le débiteur qui subit les frais des actes. D’ailleurs, comment pourrez-vous contraindre le créancier d’une rente ancienne, par exemple, à donner quittance timbrée plutôt qu’autrement ? Si vous ne pouvez le contraindre, comment le soumettre à l’amende ?
Quand il y a contestation entre le créancier et le débiteur relativement aux engagements pris, c’est au débiteur à avoir une quittance en règle pour être admis à prouver en justice qu’il a payé ; c’est donc à lui seul à payer le timbre et l’amende pour défaut de timbre. J’admets les deux premiers paragraphes, et je crois que les raisons qui militent en leur faveur, militent contre le troisième.
M. Demonceau, rapporteur – Vous avez vu dans le rapport de la section centrale (page 13), qu’en rappelant la loi du 13 brumaire an VII, elle dit que les amendes en matière de timbre sont considérées comme des peines contre des contraventions, c’est-à-dire que c’est contre celui qui contrevient à la loi du timbre que l’amende est prononcée. C’est ce principe qui doit servir de base à la loi que nous voulons faire.
Lors donc que deux personnes s’engagent par contrat synallagmatique, je conçois qu’elles contreviennent toutes deux en s’obligeant réciproquement. Mais quand il s’agit d’un prêteur et d’un emprunteur, c’est autre chose. En règle générale, à charge de qui sont les frais de l’acte d’emprunt ? Ils sont à charge du débiteur. Pour que le créancier ait un titre valable, il faut qu’il ait un titre émané du débiteur ; mais il n’a pas besoin qu’il soit souscrit sur papier timbré.
Pourvu que le titre ait toutes les formalités voulues par la loi pour obliger l’emprunteur vis-à-vis du prêteur, il n’en faut pas davantage.
Quand l’obligation n’est pas souscrite sur timbre, quel est celui qui contrevient à la loi ? c’est certainement l’emprunteur seul, puisqu’il doit supporter tous les frais.
M. le ministre des finances nous a parlé de la loi anglaise ; je sais que cette loi déclare nuls les titres qui ne sont pas sur timbre, mais uniquement jusqu’à ce qu’ils soient timbrés, c’est-à-dire, qu’il n’y a pas d’action en justice jusqu’à ce qu’ils soient timbrés…
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Non !
M. Demonceau, rapporteur – Je suis certain que la chose est ainsi.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Vous êtes dans l’erreur à l’égard de la loi anglaise !
M. Demonceau – C’est du moins ce qui se passe en Belgique. Si j’ai un billet souscrit par mon débiteur sur papier non timbré, que dois-je faire pour le citer en justice ? c’est de payer l’amende, sauf à recourir contre mon débiteur ; voilà ce qui se pratique chez nous.
Toute pièce non timbrée est amendable ; toute pièce mentionnée dans des actes est également amendable lorsqu’elle n’est ni timbrée ni enregistrée. L’administration a donc toutes ses garanties contre celui qui doit ; et je ne vois pas pourquoi nous changerions la loi de brumaire de l’an VII.
On a parlé, messieurs, d’une loi dont je n’ai pas retenu la date, mais dont le contenu est dans ma mémoire ; c’est celle qui établit les peines en matière de lettres de voitures.
Cette loi veut que le créateur de la lettre de voiture et que le voiturier soient tous deux responsables de l’amende. Pourquoi en est-il ainsi ? c’est qu’il y a ici un contrat synallagmatique, entre le voiturier qui reçoit un document non timbré pour circuler, et celui qui le délivre. Le voiturier s’engage à remettre les marchandises à domicile, et s’il est passible de l’amende, c’est par l’effet des principes qui servent de base à nos lois civiles.
J’arrive aux quittances. A qui une quittance est-elle opposée ? au créancier qui dénie avoir reçu le paiement de ce qui lui est dû. A charge de qui sont les frais de paiement ? à charge du débiteur. Si le débiteur veut se créer un titre, s’il veut avoir un document propre à opposer en justice au créancier, il doit payer les frais de la quittance ; or, si l’on exige qu’elle soit sur papier timbré, il faut qu’il paie le timbre. Quand elle n’est pas timbrée, c’est celui au profit duquel la quittance est faite qui doit payer l’amende. Je pense qu’on ne peut contester ce point.
Sous tous les rapports le système proposé par le gouvernement est en opposition avec les lois qui nous régissent, avec les principes qui servent de base à nos lois civiles ; et il me semble que nous ne devons pas changer si facilement notre législation.
Je crois qu’il faut adopter la proposition de la section centrale.
M. Verhaegen – On doit reconnaître l’exactitude de la doctrine exposée par M. le rapporteur, et je ne prends pas la parole pour l’appuyer ; je me propose seulement de présenter une observation au ministre des finances.
Je crois que c’est contrairement à l’intérêt de l’administration publique que l’on demande les deux derniers paragraphes.
Par les amendes, le gouvernement veut une sanction à la loi ; mais si l’on maintient les paragraphes, il n’y aura jamais d’amendes. Les amendes ont lieu quand on produit les actes en justice, c’est-à-dire quand les contractants ne sont pas d’accord sur les conditions stipulées : ils pourront donc éluder la nécessité de produire les actes, en déclarant qu’ils sont d’accord sur les conventions ; et c’est ce qu’ils feront s’ils sont tous menacés de l’amende.
Ce que je dis des obligations aura lieu également pour les quittances. Je parle par expérience : cela arrive tous les jours devant les tribunaux. Si vous laissez les paragraphes, la régie ne recevra rien ; le débiteur et le créancier s’entendront pour éviter les amendes.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Nous savons fort bien, messieurs, que les prêteurs et les créanciers n’ont aujourd’hui aucun intérêt à se faire remettre les titres sur timbre, parce que les emprunteurs et les débiteurs sont seuls responsables des contraventions ; et c’est précisément pour faire cesser cet état de choses, pour les intéresser les uns et les autres à l’exécution de la loi, que nous demandons la disposition dont il s’agit ; nous savons très bien que nous dérogeons ainsi à ce qui existe, mais c’est pour faire cesser un abus.
Veuillez vous rappelez, messieurs, que dans l’article 1er vous avez créé un timbre spécial de 25 c. pour les quittances : maintenant nous demandons que ceux qui délivrent et ceux qui reçoivent une telle pièce soient astreints à ce timbre, et cela doit paraître extrêmement raisonnable ; lorsque nous abaissons l’impôt, nous pouvons être plus exigeants pour l’exécution de la loi.
Je vous ferai remarquer, messieurs, qu’en ce qui concerne le dernier paragraphe de l’article 10, lequel me paraît seul maintenant rencontrer une opposition sérieuse, il est destiné à établir une sanction dont la loi manque complètement dans la plupart des cas ; les amendes en matière de timbre sont, comme vous le savez, personnelles ; or il arrive fort souvent que les quittances ne se produisent qu’après la mort de l’individu qui aurait dû payer le droit, et dès-lors il n’y a plus personne à poursuivre ; il n’est plus possible de percevoir l’amende. Voilà, messieurs, où la loi actuelle conduit fréquemment, et nous trouvons qu’il serait convenable de faire cesser un tel état de choses. Nous ne voyons du reste rien d’extraordinaire à ce que celui qui écrit une quittance soit obligé de la faire sur un timbre de 25 centimes, sous peine de répondre de l’amende ; c’est là une disposition qui n’a rien de dur et qui peut très bien trouver place dans une loi belge.
M. Lebeau – Messieurs, je n’ajouterai que quelques observations très courtes à celles que vient de faire M. le ministre des finances ; car je ne veux pas prolonger cette discussion, qui est déjà fort longue. Je ne saurais partager l’opinion de la section centrale et des honorables membres qui ont soutenu son système ; il me semble qu’il s’agit tout simplement ici d’un délit, d’une contravention, en un mot d’une violation de la loi, qu’il faut soumettre aux conséquences ordinaires des délits, des contraventions, des violations de la loi ; la loi ne vas pas dire : « Il est défendu de recevoir des quittances sur papier libre. » La loi dira : « Il est défendu de faire des quittances sur papier libre. » Il n’est pas plus permis au créancier qu’au débiteur de violer la loi ; et si le débiteur est le principal auteur du délit, le créancier est bien évidemment son complice ; il ne faut pas que la loi dise à l’un : « Je vous défends de violer mon texte, sous peine de vous exposer aux conséquences de votre désobéissance. » et qu’en même temps elle dise à l’autre : « je vous permets de me violer impunément. » Il n’y a de différence entre le crime et le délit que du plus au moins, et nul ne doit pouvoir se soustraire à l’obéissance qui est due à la loi, sans encourir la peine attachée à la contravention dont il s’est rendu coupable.
Ensuite, il n’est pas vrai, messieurs, que dans la pratique, la quittance ne profite qu’au débiteur, car elle est le prix de l’argent : celui qui reçoit de l’argent est dans l’obligation de donner quittance ; pas de quittance, pas d’argent ; par conséquent la quittance profite aussi au créancier, puisque s’il se refusait à donner quittance, le débiteur serait fondé à ne pas payer. Cela étant ainsi, le créancier ne pouvant jamais recevoir d’argent sans donner quittance, il ne peut pas lui être permis de se soustraire à la loi, que ce soit lui, oui ou non, qui ait besoin de faire valoir la quittance en justice ; il faut que la loi dise, en termes généraux : « Il est défendu d’écrire des quittances sur papier libre. » Cette défense s’applique à tout le monde, et il n’est pas plus permis à l’un qu’à l’autre de violer la loi.
On pourrait même dire, messieurs, que la partie dominante, la partie matérielle du délit est le fait du créancier ; c’est lui qui écrit la quittance il l’écrit sur papier libre lorsque la loi le défend, et ce serait lui qui serait exempté de l’amende ; il pourrait donc violer la loi et la violer impunément ; cela, messieurs, me paraît tout-à-fait déraisonnable, cela me paraît sortir de l’application la plus pratique, la plus fidèle de nos lois pénales ; et il faut d’autant plus se garder de consacrer ici un semblable système, qu’il n’est pas de loi plus violée que la loi du timbre : il est constant en effet qu’aucune loi financière ne présente une plus grande différence entre ce qu’elle rapporte et ce qu’elle devrait rapporter. C’est, messieurs, ce qu’il faut éviter : il faut que la loi ne soit pas un mensonge ; puisqu’il y a une loi du timbre, il faut qu’elle soit exécutée, et pour cela il faut qu’elle ait une sanction. J’adopterai donc la proposition du gouvernement qui reste fort au-dessous de ce qui existe dans les pays qui nous avoisinent.
M. Demonceau – Messieurs, l’honorable membre qui vient de parler immédiatement avant moi, a posé la question sur un terrain bien net : « il s’agit, dit-il, d’un délit, d’une contravention, et il faut que la loi soit exécutée ; ensuite il ajoute qu’il doit être défendu de faire des quittances sur papier libre, et que l’article proposé par le gouvernement n’est que la sanction de cette disposition. Il me semble, messieurs, que c’est là parler dans un sens fort large ; la Belgique est manifestement un pays de grand commerce, et si vous allez interdire de faire aucune quittance commerciale ou autre, si ce n’est sur papier timbré, ce sera comme si vous disiez que toutes les factures doivent être faites sur papier timbré : car de quelle manière les choses se passent-elles ? Lorsqu’un marchand quelconque paie à son créancier une somme qu’il lui doit, il lui présente la facture ; le créancier met « pour acquit », et il signe. Ce créancier pourrait donc être condamné à l’amende (Dénégation.) ; c’est évidemment la conséquence du système que vient de soutenir l’honorable M. Lebeau, et je vous le demande, messieurs, cela n’est-il pas de nature à tuer tout le commerce du pays ? Avant de voter uen disposition comme celle qu’on nous propose, il faut en mesurer toute la portée. Nous voulons bien donner au gouvernement les moyens de faire face à tous les besoins du trésor, mais nous devons éviter des mesures qui jetteraient la perturbation dans le commerce.
La mesure qu’on veut nous faire adopter serait injuste et impraticable, messieurs ; un créancier ne peut pas refuser de donner quittance sur papier libre, lorsque le débiteur ne veut pas payer le timbre et qu’il serait trop onéreux pour lui de le payer lui-même. D’ailleurs, que fera un commis voyageur lorsqu’il ira recouvrer ses créances dans des villages où il ne trouvera pas de timbres ? Evidemment le système qu’on veut faire prévaloir serait une véritable iniquité ; il donnerait lieu à une foule de vexations, à une foule de procès qu’il faut éviter dans l’intérêt du gouvernement, dans l’intérêt de l’affection que tous les citoyens doivent porter à la patrie.
Je partage donc complètement l’opinion de la section centrale ; je pense avec elle qu’il faut se borner à adopter le premier paragraphe, qui donne à la loi toute la sanction nécessaire, et qui ne donnera pas lieu aux nombreux inconvénients que les autres paragraphes feraient infailliblement surgir.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Pour répondre aux honorables MM. Dumortier et Demonceau, je me bornerai à citer la disposition de la loi anglaise, que j’ai mentionnés tantôt, et vous verrez, messieurs, que l’Angleterre, qui est certainement un pays très commerçant, adopte, quant au timbre, et a adopté depuis longues années, des mesures bien autrement sévères que celles qui vous sont soumises ; cependant nous ne voyons pas que le commerce de ce pays soit anéanti, et lorsque vous considérerez que le timbre dont il s’agit chez nous, ne coûtera que 25 centimes vous serez bien rassurés et convaincus que ce faible impôt ne pourra jamais gêner l’industrie et le commerce.
Voici, messieurs, la disposition dont il s’agit :
« Le créancier qui refuserait de remettre un reçu sur papier timbré serait, pour ce seul fait, passible d’une amende de 25 francs et, suivant que la somme payée est inférieure ou supérieure à 2,500 francs, l’amende varie de 250 à 500 francs pour la personne qui écrit ou qui signe, fait écrire ou signer un reçu ou une reconnaissance sur papier libre.
« Une quittance qui a été donnée de cette manière peut néanmoins être revêtue du timbre moyennant une amende, qui est de 125 fr. si la pièce est représentée dans les 14 jours de la date et de 250 fr. si le retard va jusqu’à un mois. Passé ce délai, toute décharge non timbrée est frappée de nullité ; fût-elle-même revêtue de cette formalité, elle ne peut être admise comme preuve de libération devant un tribunal ou une cour, si le timbre n’est pas applicable à la somme énoncée, à moins qu’il ne soit d’un prix supérieur à celui qui aurait du être payé au trésor. L’atténuation de la somme reçue, la division en plusieurs quittances d’une somme qui, portée sur un même acquit, aurait donné lieu à un droit plus élevé, sont punies encore d’une amende de 1,250 fr, qui est commune à ceux qui ont participé à la fraude, etc… »
Ainsi, messieurs, en Angleterre, on n’admet pas comme valable une quittance qui n’est pas écrite sur timbre, si ce n’est que, moyennant une amende graduée suivant le retard, le timbre n’y ait été apposé endéans le mois de la date ; et passé ce délai, la quittance n’est plus admise devant les tribunaux. Vous voyez donc que dans la proposition qui vous est soumise, nous restons de beaucoup en deçà de ce qui se pratique dans le pays le plus commerçant de l’Europe.
Qui qu’il en soit, notre proposition ne renferme rien que de juste, et si vous ne rendez pas solidaires pour l’amende celui qui signe la quittance et celui qui la reçoit, la loi aura rarement une sanction et continuera à être tous les jours violée impunément.
M. Milcamps – M. le rapporteur de la section centrale vous a dit avec raison, messieurs, que d’après le droit commun, d’après le système du code civil, les frais du paiement sont à la charge du débiteur. Il ya donc, messieurs, sous ce rapport, des difficultés pour admettre le dernier paragraphe de l’article, portant que la solidarité s’étend aux créanciers et aux débiteurs pour les quittances.
Si vous faites payer le droit du timbre par le créancier, vous dérogez à une disposition du code civil, et je vous avoue que je crains assez de toucher à notre code ; mais il me semble qu’il y aurait moyen de ne pas déroger aux codes, ce serait de rendre le créancier simplement passible de l’amende prononcé par la loi. Ainsi, au lieu de dire dans l’article : « seront solidaires pour les droits de timbre et les amendes, » ; il faudrait dire seulement : « seront solidaires pour les amendes. » En ce sens, nous rentrerions dans le système né de la loi anglaise, dont M. le ministre des finances vient de nous parler ; il n’y aurait pas de dérogation au code civil ; en considérant seulement la quittance non écrite sur timbre comme une contravention, et comme le créancier qui fournit la quittance aurait le premier enfreint la disposition de la loi, il serait assez naturel qu’il supportât les conséquences de cette contravention. D’un autre côté, c’est l’intérêt du trésor que l’on doit avoir ici en vue ; il est évident que, dans la disposition proposée, par M. le ministre des finances, les droits des quittances ne produiront jamais rien.
D’après ces considérations, je demanderai la suppression des mots « de timbre » pour ne laisser subsister que ceux-ci : « seront solidaires pour les amendes. »
M. Pirmez – Messieurs, je ne pense pas que le projet de M. le ministre des finances déroge en aucune manière au code civil ; c’est une loi fiscale ; la disposition ne dégage pas le débiteur de l’obligation de faire tous les frais ; tous les droits du créancier envers le débiteur sont garantis ; s’il n’en use pas, s’il ne demande pas au débiteur de faire ces frais, le créancier est rendu solidaire avec son débiteur envers le fisc.
M. Verhaegen – Messieurs, je ne pense pas que l’observation que j’ai eu l’honneur de vous soumettre ait été comprise par M. le ministre des finances. Il est de ces choses que le raisonnement ne fera jamais comprendre, et que la pratique seule peut faire connaître ; et c’est parce que l’expérience m’a démontré ce que j’ai eu l’honneur d’avancer que je me suis permis de faire mon observation dans l’intérêt même de la chose publique. Ce que vient de dire un honorable préopinant me confirme de plus en plus dans les idées que j’ai émises ; cet honorable membre a dit que ce sera en définitive le débiteur qui paiera ; que le créancier n’est là que comme devant garantir le paiement de l’amende.
Je vous avoue que je n’avais pas du tout compris l’article dans ce sens ; est-ce une solidarité prononcée contre l’un et contre l’autre ? ou est-ce une seule amende ?
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – C’est une seule amende.
M. Verhaegen – Alors votre article est inutile, en même temps qu’il est nuisible, et je le prouve.
Quand présentera-t-on un titre quelconque pour être soumis au timbre ? Quand on en aura besoin. Eh bien, quand on présente au timbre un acte ou une quittance qui ne sont pas timbrés, le fisc ne fait pas de crédit : il faut commencer par payer ; quand on a payé, à quoi bon votre solidarité ? La disposition est tout aussi inutile pour l’amende. Indépendamment qu’elle est inutile, elle est dangereuse dans l’intérêt du fisc. En effet, que résultera-t-il de la disposition ? c’est que l’une et l’autre des personnes qui sont déclarées solidaires, se tiendront sur leurs gardes, qu’elles auront intérêt à se cacher. Par suite, aucune quittance, aucune obligation pourra ne plus être soumise au fisc. Des créanciers qui en certaines circonstances seraient fâchés de rencontrer de la résistance, s’arrangeront, pour en finir tout d’un coup, avec le débiteur qu’ils auront attaqué ; le débiteur adhérera aux propositions d’arrangement, et on les formulera de part et d’autre en conclusions ; cela se fait journalièrement devant les tribunaux. Je défie le fisc de recouvrer jamais une amende ; car la disposition est faite pour engager les plaideurs à ne jamais présenter au fisc une obligation ou une quittance. Ainsi, ces dispositions qui sont nouvelles, loin de donner une sanction à votre loi, sont de nature à engager ceux qui ont intérêt à n’être pas solidaires, à les éluder.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, l’honorable préopinant suppose toujours le cas de contravention ; mais moi, je me place sur un tout autre terrain ; je dis que le créancier qui devra délivrer une quittance, ne voudra pas s’exposer au risque de l’amende, et qu’il exigera que son débiteur lui fournisse un papier timbré de 25 centimes.
On n’a pas répondu à ce que j’ai dit relativement aux quittances non timbrées que l’on trouve au moment du décès des contrevenants. Dans ce cas, la loi actuelle est réellement une lettre morte, puisque la personne contre laquelle on avait une action purement personnelle est décédée. Qu’on déclare que les quittances peuvent être écrites sur du papier libre, tout sera dit. Mais si l’on veut qu’elles soient sur timbre ; il faut avoir les moyens de l’obtenir, il faut intéresser tous ceux qui participent à l’acte, à ne pas se mettre bénévolement en état de contravention susceptible de poursuite.
M. le président – La parole est à M. le rapporteur. (A demain, à demain).
- MM. les représentants quittent leurs bancs.
La séance est levée à quatre heures et demie.