(Moniteur belge n°140, du 20 mai 1837 et Moniteur belge n°141, du 21 mai 1837)
(Moniteur belge n°140, du 20 mai 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure, et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
Il présente ensuite l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Des négociations en toile, de Bruxelles, demande que le droit de sortie sur les fils soient maintenus au taux actuel de 3 p. c. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du second vote de la loi relative au tarif des douanes.
« Le sieur Jean-Marc Troy, artiste peintre, né en Suisse et habitant Anvers depuis 1825, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Van Dael, chevalier de la légion d’honneur, à Mons, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux légionnaires. »
« Les conseils communaux des commune de Braine-Lalleud, Sartdam et Gentinnes (Nivelles), réclament contre la demande de la ville de Wavre tendant à ce que le siège électoral soit transféré à Wavre. »
« Le conseil communal de Monk demande que la chambre réclame de M. le ministre de l'intérieur les explications qui lui ont été demandées sur la pétition par laquelle elle réclame contre une décision des états provinciaux. »
« Le conseil communal de Beersel (arrondissement de Malines) demande le maintien du cens électoral. »
- Ces dernières requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
Par deux messages en date du 18 mai, le sénat informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi allouant un crédit supplémentaire au département de la guerre, pour satisfaire provisoirement aux dépenses du service de santé, ainsi que le projet de loi relatif à la réciprocité internationale en matière de successions et de donations.
- Pris pour notification.
Par lettre du 18 mai, M. le ministre de la guerre adresse à la chambre des explications relatives à une pétition du sieur H.-J. Mary, qui lui a été renvoyé.
- Pris pour notification.
M. Quetelet adresse à la chambre 102 exemplaires d’un mémoire sur les températures de la terre.
- Cet ouvrage sera distribué à MM. les membres de la chambre.
M. Groenendaels, de Malines, fait hommage à la chambre de son examen du rapport de M. Vleminck, relatif à l’ophtalmie.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Eloy de Burdinne écrit à la chambre qu’un événement imprévu l’empêche pendant quelques jours d’assister aux séances.
- Pris pour notification.
M. de Jaegher, rapporteur de la commission qui a été chargée de l’examen du projet de loi concernant la délimitation des communes de Chimay, etc. - Messieurs, le projet de loi tendant à déterminer une nouvelle délimitation de plusieurs communes du canton de Chimay ne présente aucune difficulté et ne pourra soulever aucune discussion, et d’un autre côté ce projet est de la plus haute importance pour les communes qu’il concerne ; ces communes sont entièrement désorganisées, l’administration en est tout à fait en souffrance. Il serait donc à désirer qu’avant de se séparer la chambre pût encore voter ce petit projet. Si vous voulez me le permettre, messieurs, je vous donnerai lecture du rapport.
Plusieurs membres. - L’impression.
M. de Jaegher, rapporteur. - Messieurs, le rapport n’est pas très long et l’impression n’en sera probablement pas nécessaire ; il s’agit simplement d’une délimitation de communes à laquelle tous les intéressés consentent, et qui est approuvée par le conseil communal ainsi que par le gouvernement ; à l’égard de laquelle, en un mot, tout le monde est d’accord. Ainsi, messieurs, je vous demande la permission de lire le rapport, qui, je le répète, n’est pas long. (Lisez ! lisez !)
Messieurs, à l’époque de la délimitation cadastrale du canton de Chimay, en 1827, la nécessité de concilier les intérêts des communes de Chimay, Baileux, Bourlers, Forges, Seloignes, Momignies et Bauwetz, avec les prescriptions de l’art. 77 du Receuil méthodologique des lois et instructions relatives à l’exécution du cadastre, qui tend à fixer les délimitations des communes de manière à ce qu’elles ne forment qu’un ensemble et un même périmètre, fit réunir en conseil les autorités locales de ces communes, aux fins de s’entendre sur les concessions réciproques à faire en compensation de la valeur des enclaves à échanger.
Malgré la gravité d’objections provoquées par les difficultés que présentait la nature des localités, on en vint à un arrangement à l’amiable, consigné dans un procès-verbal en date du 26 juin de la même année, et approuvé par arrêté royal du 7 juillet suivant.
Cet arrêté, qui ne devait sortir son effet qu’à l’époque de la péréquation cadastre du royaume, reçut force de loi par suite de l’adoption de la loi sur cette matière, en date du 31 décembre 1835.
On s’était fait illusion sur les difficultés de la mise à exécution de la convention arrêtée ; dès le premier essai elles se firent jour dans toute leur réalité.
De nouvelles négociations s’entament ; instruits par l’expérience, les administrateurs des localités intéressées avisent de commun accord, à la modification du premier arrangement dans un sens plus équitable, et soumettent enfin à la sanction de la législature une nouvelle convention, en date du 23 septembre 1836, qui, mieux que la première, concilie les intérêts et les besoins des populations respectives.
Approuvée par l’autorité provinciale qui, pour le bien du service, réclame instamment une prompte solution, cette convention fait l’objet du projet de loi que vous avez renvoyé à l’examen de la commission dont j’ai l’honneur d’être l’organe.
Les détails que contiennent les pièces annexées au projet, me dispensent de plus longs développements pour en exposer les motifs déterminants.
Convaincue de leur urgence, votre commission a adopté sans objection l’art. 1er et les articles 4 et 5 qui s’y rapportent. Quant aux articles 2 et 3, elle n’a pas cru pouvoir y donner son approbation.
Depuis l’époque de la mise en vigueur de la loi précitée du 31 décembre 1835, certaines enclaves ont de droit, en vertu de l’arrêté-loi du 7 juillet 1828, cessé de faire partie du territoire des communes auxquelles jusque-là, elles avaient appartenu ; mais, exécution entière n’ayant pas été donnée à cet arrêté, les uns ont de fait continué à faire partie de ces communes ; les autres, repoussés des deux parts, sont restés dans un état de neutralité.
Il en est résulté pour les actes de l’état-civil, entre autres, de la population qu’ils renferment, inscription fautive pour les premiers, omission complète pour les autres.
Etrangers au fait de l’irrégularité qu’impliquent ces omissions ou inscriptions indues, ceux qu’intéressent ces acte ne peuvent, d’un côté, pas en être victimes ; de l’autre, quelque répréhensible que soient les administrateurs auxquels elle est à attribuer, les difficultés en face desquelles ils se sont trouvés, présentent en leur faveur des circonstances atténuantes dont il doit être tenu compte. C’est vers ce double but que tendent les deux articles précités du projet du gouvernement, qui ont pour objet d’assurer les rectifications nécessaires.
Tout en appréciant les motifs sur lesquels ils sont basés, votre commission a pensé que les dispositions du code civil, qui ne permettent de rectification de ce genre qu’en vertu d’un jugement, s’opposaient à leur adoption, et qu’une déviation de la loi générale, dans le sens proposé, était d’autant moins admissible que l’art. 3 attribuerait à la loi une force rétroactive.
En les supprimant, en conséquence, du projet, elle a cru qu’il restait à l’administration d’autres moyens de parer au mal, sans compromettre ni les intérêts de l’administration ni ceux de l’administré, en faisant jouir l’un de la remise de l’amende à laquelle il s’est exposé, et l’autre de la faveur du pro Deo.
Elle s’est d’autant plus facilement arrêtée à cette détermination que, dans l’état actuel des travaux de la chambre, un projet qui soulèverait une aussi grave question de droit aurait peu de chances d’être instantanément mis en discussion, et qu’après avoir pourvu au plus pressant, il serait, au besoin, loisible au gouvernement de revenir plus tard, et par un projet spécial, sur les dispositions que la régularisation en question pourrait nécessiter.
J’ai, pour ces motifs, l’honneur de vous soumettre en son nom le projet de loi suivant :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Les limite séparatives des communes de Chimay, Baileux, Bourlers, Forges, Seloignes, Momignies et Bauwelz sont fixées conformément au plan figuratif des lieux et aux procès-verbaux des séances des conseils réunis des 22 septembre et 28 décembre 1836, annexés à la présente loi.
« Art. 2. Les parties de territoire qui sont acquises ou perdues par les diverses communes, en exécution de l’art. 1er, entreront dans leur nouveau ressort ou sortiront de l’ancien, le septième jour après la publication de la présente loi.
« Art. 3. Le cens électoral et le nombre des conseillers à élire dans les communes délimitées par la présente loi seront déterminés par l’arrêté royal fixant la population desdites communes. »
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je me suis mis d’accord avec la commission à l’égard de l’ajournement de deux articles qu’elle demande ; quant aux autres, ils ne peuvent donner lieu à aucune espèce de difficulté ; les conseils communaux sont entièrement d’accord sur la délimitation qu’il s’agit d’opérer, et le conseil provincial y est de son côté favorable. Il y a une extrême urgence à régulariser la position des habitants qui ne savent plus à quelle commune ils appartiennent, de manière que depuis un an les actes de l’état-civil ne sont plus dressés, et que les affaires de ces communes s’embrouillent à tel point que bientôt elles seront indéchiffrables.
Je demande donc que, vu l’urgence, la chambre veuille passer au vote, car je ne pense pas qu’il puisse donner lieu à une discussion quelconque.
M. de Muelenaere. - Messieurs, sur nos billets de convocation l’ordre du jour se trouve indiqué de la manière suivante : « Proposition de M. Dumortier, en premier lieu ; en deuxième lieu, le second vote du projet de loi concernant le tarif des douanes, et en troisième lieu, le projet de loi relatif au chemin de fer. » Cette fixation de l’ordre du jour n’est pas conforme à la résolution qui a été prise par la chambre dans la séance de mercredi dernier. Je vous rappellerai, messieurs, que sur une motion que j’ai eu l’honneur de vous faire, vous avez décidé dans la séance de mercredi que la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer aurait lieu entre les deux votes de la loi concernant le tarif des douanes ; j ai consulté le Moniteur pour voir si la décision de la chambre était conforme à l’idée que je m’en étais faite ; il en résulte en effet que, sur ma proposition, appuyée par l’honorable M. Dumortier, la chambre a mis le projet de loi relatif au chemin de fer à l’ordre du jour après ceux qui s’y trouvaient déjà, entre les deux votes de la loi concernant le tarif des douanes.
Je n’ai nullement l’intention, messieurs, de retarder le second vote de la loi relative aux douanes ; mais ce vote se trouverait tout au plus retardé d’une heure par la discussion préalable du projet de loi concernant le chemin de fer, tandis que la discussion de la loi relative aux douanes peut absorber peut-être plusieurs séances, et que dès lors il serait à craindre que nous ne discutions pas dans la session actuelle le projet de loi concernant le chemin de fer. Quoi qu’il en soit, la chambre a décidé formellement dans la séance de mercredi dernier qu’elle discuterait le projet de loi relatif au chemin de fer, entre les deux votes de la loi concernant le tarif des douanes ; je demande que la chambre maintienne cette décision et qu’elle s’occupe de la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer après avoir voté sur la proposition de M. Dumortier.
De toutes parts. - Appuyé ! appuyé !
M. le président. - Je dois faire une observation, c’est que dans les billets de convocation, le bureau n’entend aucunement décider des questions de priorité sur lesquelles la chambre peut seule prononcer. J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de faire une semblable déclaration.
La chambre adopte successivement sans discussion les trois articles du projet présenté par la commission, auquel M. le ministre s’est rallié.
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi, elle est adoptée à l’unanimité par les 71 membres qui prennent part au vote ; ce sont : MM. Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Brabant, Corneli, Cornet de Grez, David, de Brouckere, de Foere, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, Doignon, Donny, Dubois. Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Ernst, Fallon, Frison, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Liedts, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Polfvliet, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Stas de Volder, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wiele, Vanderbelen, Verdussen, Vergauwen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Wallaert, Watlet, Willmar, Zoude et Raikem.
M. Seron s’est abstenu. Il est appelé à motiver son abstention.
M. Seron. - Je me suis abstenu, parce que le rapport n’ayant pas été distribué, je n’ai, par la simple lecture qui en a été donnée, pas pu comprendre de quoi il s’agissait.
M. Rogier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, l’administration communale de Capryck a adressé à la chambre une pétition relative à une nouvelle délimitation de cette commune ; elle ignorait sans doute que c’était au gouvernement qu’elle devait s’adresser ; je demanderai que cette pétition soit renvoyée à M. le ministre de l’intérieur.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - « Tout gouverneur, tout commissaire de district, élu membre de l’une ou l’autre chambre par le district ou l’un des districts où il exerce ses fonctions, devra opter entre ces fonctions et le mandat de représentant ou de sénateur.
« Néanmoins, les gouverneurs et les commissaires de district qui, à l’époque du 1er juin 1837, seraient élus membres de l’une ou de l’autre chambre, dans la province ou le district où ils exercent leurs fonctions, pourront, par continuation, siéger dans les chambres, sans être astreints à cette option. »
La commission propose de modifier comme suit :
« Tout commissaire de district, élu membre de l’une ou de l’antre chambre par le district où il exerce ses fonctions, devra opter entre ces fonctions et le mandat de représentant ou de sénateur.
« Néanmoins, les commissaires de district qui, à l’époque du 1er juin 1837, seraient élus membres de l’une ou de l’autre chambre où ils exercent leurs fonctions, pourront, par continuation, siéger dans les chambres, sans être astreints à cette option ?
M. Dumortier se rallie-t-il au projet de la commission ?
M. Dumortier. - Messieurs, la proposition de la commission n’apporte qu’une seule modification à celle que j’ai eu l’honneur de présenter, et je dois convenir que les motifs donnés par la commission à l’appui de cette modification me paraissent fondés.
En effet, les gouverneurs ne se trouvent pas dans la même position que les commissaires de district ; ils n’exercent pas une influence aussi directe, aussi quotidienne sur les divers fonctionnaires communaux.
Je pense donc que je puis me rallier au projet de la commission.
M. C. Rodenbach. - Il se passe ici, messieurs, quelque chose d’étrange et d’inusité dans cette enceinte où se débattent d’ordinaire les plus grands intérêts du pays ; un objet tout d’intérêt personnel, tout palpitant d’individualité, est soumis à vos délibérations.
Je ne sais, messieurs, si l’idée d’entrer dans une question toute personnelle vous répugne ainsi qu’à moi. Mais si j’en crois les antécédents du congréa national, si j’en crois ses larges vues, les sentiments de générosité et de désintéressement qui ont éclaté si souvent dans cette assemblée, une prompte et bonne justice sera faite des prétentions qu’on élève aujourd’hui.
Un axiome de droit, jusqu’ici incontesté, qu’on ne peut être à la fois juge et partie, est applicable à la circonstance. Chacun plaide dans sa propre cause. Si je me récusais, ainsi que mes collègues les commissaires d’arrondissement, quel est celui d’entre vous qui pourrait lever la main et dire qu’il n’a aucun intérêt personnel dans la solution de cette question ? Oui, messieurs, la cause est appelée, les avocats, les plaideurs sont prêts ; mais où sont les juges compétents, où sont les arbitres ? Il ne peut y en avoir ; je ne les vois nulle part.
Je sens que je n’ai pas besoin de me rassurer sur la pureté de mes motifs ; ils sont, je le déclare hautement individuels comme les vôtres. Permettez-moi donc d’élever la voix contre une mesure qui me paraît trop rigoureuse envers une classe de fonctionnaires devenus suspects par leur influence électorale, qu’on cherche à placer hors du droit commun et à frapper d’ostracisme, et pourquoi ? pour satisfaire quelques passions politiques, pour neutraliser des rivalités, pour accaparer, pour monopoliser soi-même la matière électorale.
Oui, messieurs, la loi présentée par la commission n’a d’autre source, n’a d’autre but ; elle tend à privilégier, dans un gouvernement constitutionnel, et par conséquent un gouvernement d’influences, une classe de personnes au détriment d’une autre ; elle tend à favoriser les hauts fonctionnaires publics, les ministres, les gouverneurs distributeurs d’emplois ; elle tend à donner la prépondérance électorale aux bourgmestres des grandes villes, aux colonels de la garde civique qui ont tous une influence relative, aux membres inamovibles de l’ordre judiciaire, notamment aux présidents des tribunaux et aux procureurs du Roi, qui par leurs relations habituelles avec les officiers de l’état-civil et avec les notaires, véritables puissances dans les communes, pourront être les grands dominateurs dans les élections populaires.
Au lieu de consacrer l’égalité des droits politiques entre tous les citoyens, la mesure proposée favorise, crée des catégories, et inflige à des fonctionnaires suspects à la jalousie de leurs concurrents une véritable humiliation. Il en est un qui est particulièrement frappé par la nouvelle disposition. Député d’un district où il n’est point administrateur, il lui est défendu d’accepter un mandat dans l’arrondissement où il occupe des fonctions publiques, tandis que ses collègues, comme lui membres de la chambre, sont autorisés à se faire élire dans toutes les localités sans exception. Cela n’est ni juste, ni généreux, ni convenable. N’est-ce pas là proscrire une personne et la mettre en suspicion vis-à-vis un seul collège électoral ? n’est-ce pas (permettez-moi une figure de mots) confisquer, spolier partiellement la matière électorale au détriment d’un homme ? Vouloir une pareille anomalie, une pareille inégalité de droits, lorsqu’il n’y a pas de parité, de position, c’est méconnaître le principe régénérateur de notre époque ; c’est plus encore, c’est vouloir suivre un système de législation exceptionnelle, rétrograde, qui porte indirectement (indirectement, j’appuie sur ce mot) atteinte au libre vote des électeurs.
Il faut remarquer aussi, messieurs, qu’il n’y a aucune analogie entre la position des commissaires de district et celle des membres de la cour de cassation, de la chambre des comptes et du conseil provincial. Les incompatibilités consacrées dans les lois d’organisation de ces corps sont d’une nature spéciale, inhérentes à la chose ; cela vient des conditions connues par les titulaires avant l’acceptation de leurs fonctions, tandis que les commissaires de district ont des droits acquis dont vous ne pouvez les dépouiller sans être réactionnaires.
Je sais fort bien que ce n’est qu’une exclusion déguisée, indirecte, locale, qu’on cherche à établir ; que la mesure n’a rien d’inconstitutionnelle. Mais Je vous le demande, messieurs, est-il juste, est-il loyal de forcer un homme qui comptait, en acceptant une fonction publique, sur l’égalité des droits et des charges, à résigner son mandat ou à changer sa position sociale ? Si ce n’est pas provoquer une exclusion formelle, c’est du moins faire un dommage considérable, c’est restreindre, c’est modifier une carrière. Vous ne serez pas représentant dans tel endroit, dans tel arrondissement : n’est-ce pas forcer la main aux électeurs et leur dire : Ne donnez pas vos suffrages à cet homme qui jouit de votre estime et de votre confiance, qui vit au milieu de vous, qui connaît vos besoins, vos intérêts et dont vous appréciez la probité politique et connaissez la vie intime ; cet homme ne peut accepter votre mandat sans perdre sa place ? C’est la condition sine qua non.
Pense-t-on qu’il soit facile pour un administrateur de se faire délivrer un mandat dans un district étranger à celui qu’il habite ? J’y vois, moi, de grandes difficultés, parce que les électeurs, oublieux parfois des services rendus, préfèrent pour mandataires ceux qui sont sous leurs yeux, et qui pour ce motif sont plus à même de défendre leurs intérêts, de faire connaître leurs besoins. De ces considérations on peut conclure que la mesure provoque, par des moyens détournés, une véritable exclusion des chambres. Pourquoi ne pas demander avec des formes plus franches et moins déguisées des incompatibilités absolues ? On y viendra à cette demande. On ajourne l’exécution d’un système raisonné d’expulsions des fonctionnaires. On commence par les infiniment petits, en attendant le moment favorable pour éliminer les grands. C’est avec ces ressorts que nos niveleurs comptent faire marcher notre gouvernement, fonder notre nationalité, et saper ce qu’ils appellent le pouvoir fort.
Si réellement les commissaires d’arrondissement ont la grande influence que vous leur supposez, et peuvent à volonté disposer du plus grand nombre d’électeurs, ils pourront facilement tourner l’obstacle que vous leur présenté ; Qu’arrivera-t-il- ? ces fonctionnaires éluderont vos dispositions hostiles ; ils feront élire dans leurs districts, sauf la réciprocité, des collègues voisins ou éloignés. Ainsi, dans la supposition de cette domination électorale, votre mesure n’atteint pas son but.
Il est encore une autre circonstance, messieurs, qu’il ne faut point perdre de vue : c’est le changement de résidence d’un titulaire. Ne peut-il pas arriver en effet que les électeurs ne soient plus disposés à donner leur vote à un administrateur qui, par son séjour dans un autre district, n’est plus en position pour plaider leur cause ? ne peut-il pas arriver qu’un gouvernement provoque un changement de résidence pour éliminer un député indépendant, consciencieux, intègre ? Je sais que rien n’est à craindre de ce chef de la part des ministres actuels. Mais nous faisons des lois pour l’avenir. Tout doit être prévu avant de sanctionner un principe, car il est de fait qu’un pouvoir ombrageux pourra, pour sauver les apparences d’une destitution toujours odieuse vis-à-vis de l’opinion publique, avoir recours à des combinaisons de cette nature et même envoyer un commissaire d’arrondissement dans une localité dont il est déjà mandataire. Tout cela n’a pas été prévu dans le projet de loi, entaché d’irrégularités, de lacunes et d’incohérences remarquables.
Je suis encore à me demander quel peut être le motif de cette animosité continuelle contre les commissaires de district, véritables parias sous tant de rapports. A moins de faire des monstres de tout ce qui tient de près au gouvernement, de supposer que les administrateurs d’arrondissement soient toujours prêts à dévorer les libertés, on doit avouer cependant qu’il en est beaucoup qui ont fait preuve de vertus publiques, d’un civisme généreux, de courage, d’énergie dans les circonstances difficiles, et qui ont été en plusieurs occasions autant les soutiens des communes que les hommes du gouvernement. Quel est le fonctionnaire qui ne sente un affreux dégoût de toutes ces attaques qui tendent évidemment à le dégrader vis-à-vis ses concitoyens et à faire supposer qu’il a renoncé à tout sentiment d’honneur, qu’il est inféodé au pouvoir ? Dans de pareilles attaques il n’y a ni justesse, ni mesure, ni convenance. Sans cesse noircir tout ce qui tient au gouvernement, c’est, suivant moi, discréditer, troubler le pays. Ce n’est pas là de la logique, ce n’est pas là de la froide raison, ce n’est pas là du civisme.
Pour terminer, messieurs, je dirai qu’il vaut mieux laisser aux électeurs l’appréciation de leurs votes que de recourir à une législation en quelque sorte exceptionnelle, d’autant plus que les exceptions ôtent toujours la force aux lois générales et font la satire de notre constitution. C’était au congrès national, à un corps constituant qu’il appartenait de déterminer de semblables exclusion. Il n’y a pas ici de juges véritablement compétents : il n’y a que des plaideurs intéresses et même des accusateurs. S’il y a des abus, livrez-les à la presse ; fiez-vous à l’instinct, aux sympathies populaires auxquelles le congrès national n’a voulu imposer aucune entrave. S’il y s des abus, abandonnez-le, à l’action gouvernementale. Le pouvoir exécutif pourra plus convenablement, par des mesures d’administration générale, statuer pour l’avenir sur les incompatibilités sans léser les droits acquis des membres de la représentation nationale. Pour rendre hommage à l’équité et par pudeur, vous devez, messieurs, vous abstenir et ne pas donner main forte à une véritable confiscation électorale, faite au détriment d’une catégorie d’éligibles.
M. le président. - La parole est à M. de Jaegher.
M. de Jaegher. - Comme je veux parler contre la proposition, je désirerais que la chambre voulût entendre un orateur pour.
M. le président. - Il n’y a d’inscrit que M. Seron, et je ne sais dans quel sens il veut parler.
M. Seron. - Je veux parler pour.
M. le président. - Dans ce cas, la parole est à M. Seron.
M. Seron. - Messieurs, par la constitution monarchique de 1791 les fonctions de ministre et celles de représentant étaient incompatibles ; elles peuvent, au contraire, se cumuler dans les gouvernements dits constitutionnels d’aujourd’hui. Cependant ce système a de graves inconvénients. Il en résulte, par exemple, que celle des trois branches de la législature à laquelle appartient le pouvoir exécutif, intervient, par les ministres, dans les délibérations de la chambre dont ils font partie. Ainsi, les chambres ne sont pas indépendantes, puisqu’elles agissent sous l’influence du ministère ; ainsi la nature de leurs pouvoirs se trouve altérée par le mélange d’un élément hétérogène. De plus, les mêmes hommes par qui ont été conçus et rédigés les projets de loi, et dont la mission était d’abord de les proposer au nom du chef du gouvernement, les votent ensuite comme représentants de la nation et deviennent par là juges de leur propre ouvrage. Leur suffrage peut déterminer l’adoption d’une mauvaise loi et le rejet d’une bonne loi, sans que la décision à laquelle ils ont pris part puisse être regardée comme le vœu réel de la majorité. Enfin, si l’un des ministres est accusé dans les chambres d’avoir abusé de sa place et mis ses devoirs en oubli, il compte au nombre de ses juges ses propres confrères naturellement portés et souvent intéressés à l’absoudre ; et ils y parviennent d’autant plus facilement que là où la représentation nationale n’est pas nombreuse, il arrive quelquefois que leurs seules voix peuvent former le cinquième de la majorité.
Si, indépendamment des membres du ministère, on admet encore dans les chambres les fonctionnaires amovibles, salariés, à la nomination du gouvernement, ils peuvent, avec le temps, s’y trouver même en grande majorité, par la facilité de se faire élire, commue on vous l’a déjà dit. Alors le mal augmente ; alors le vœu des chambres représente bien moins le vœu de la nation ; car on a beau dire, ces fonctionnaires amovibles ne peuvent être ni indépendants ni libres dans leur conduite. Ce sont sans doute de très honnêtes gens ; ils tâchent d’être justes, mais cela ne leur est pas facile. L’homme est naturellement faible, et l’intérêt personnel est malheureusement le mobile de ses actions. Or, comment, même avec d’excellentes intentions, résister au penchant par lequel nous sommes entraînés à approuver, à ne pas contredire du moins, ceux à qui nous devons une bonne place et qui se trouvent en position de nous l’ôter ? Comment ne pas céder à leurs insinuations quand ils nous en promettent une meilleure ? Comment même ne pas se persuader avec le temps, et par la force l’habitude, que les ministres ne peuvent jamais se tromper ; que toutes leurs vues ont pour objet le bien public, et que quiconque les contrarie est un ennemi de l’ordre et de l’Etat, ou tout au moins un brouillon ?
Ainsi, messieurs, il ne faudrait, à mon avis, dans les chambres ni ministres, ni fonctionnaires salariés révocables par le gouvernement. La constitution de 1791 allait beaucoup plus loin, elle imposait aussi l’obligation d’opter aux officiers municipaux et aux commandants des gardes nationales ; elle déclarait même les fonctions judiciaires incompatibles avec celles de représentant de la nation, pendant toute la durée de la législature.
Le projet soumis à votre examen est uniquement relatif aux commissaires de district et aux gouverneurs ; il améliore l’état des choses existant, et l’on doit savoir gré à l’honorable M. Dumortier d’en avoir fait la proposition. Mais, je l’avouerai, je ne vois pas pourquoi votre commission retranche du projet primitif MM. les gouverneurs, ni pourquoi elle ne soumet pas à l’option MM. les commissaires de district siégeant actuellement dans les chambres, qui pourront être nommés dans les élections prochaines. C’est un privilège que ni les uns ni les autres ne demandent, et que, sans doute, leur délicatesse s’empressera de répudier.
Mais le projet blesse-t-il, comme on le prétend, l’article 36 de la constitution ? Cet article porte : « Le membre de l’une ou de l’autre chambre, nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élections. » Je suis ennemi des subtilités et des arguties ; il m’est difficile, j’en conviens ingénument, de trouver dans cette disposition l’idée d’une incompatibilité quelconque. Mais, est-ce à dire que votre pacte fondamental ait lié les mains à la législature, au point de lui défendre d’établir une incompatibilité dont l’expérience a prouvé la nécessité et l’urgence ? La proposition ne blesse en aucune manière les principes ; elle ne met nulle limite, nulle entrave à la liberté, à la volonté des électeurs ; elle ne les empêche pas de nommer qui ils trouvent bon ; seulement leur élu, s’il est commissaire de district, demeurera tenu après son élection d’opter entre ses fonctions actuelles et celles de membre, soit de la chambre, soit du sénat. Il sera membre de la chambre ou du sénat s’il le veut. Il n’y a là rien d’inconstitutionnel ; au contraire, j’y vois une des mesures propres à prévenir les abus du cumul, objet auquel le n°8 de l’article 139 de la constitution vous ordonne expressément de pourvoir dans le plus court délai possible. Il est singulier qu’on refuse de voir dans la charte ce qui s’y montre manifestement à tous les yeux, après y avoir trouvé tant de choses auxquelles ses auteurs n’y ont jamais songé. Enfin, la mesure proposée est dictée par le bon sens et par l’intérêt du service ; car il est impossible d’être ici, à la chambre, et de remplir ailleurs d’autres fonctions en même temps.
On m’a dit : « Le projet a été conçu dans l’intérêt de l’église ; » mais c’est une pauvre objection. Je ne vois pas, en effet, comment il pourrait favoriser les vues de l’église et augmenter son influence, à la vérité déjà trop grande. Je conçois seulement qu’il contrariera quelques vues particulières mais ce ne doit pas être une raison pour le faire rejeter.
Au reste, j’ajouterai que dans ce peu de mots, dont l’objet est de motiver mon vote, il ne faut chercher aucune espèce d’allusion. Mes observations sont générales ; elles s’appliquent à tous les hommes, à tous les temps, à tous les gouvernements représentatifs, et c’est par là seulement qu’elles peuvent mériter quelque attention.
M. de Jaegher. - Messieurs, la proposition qui vous est faite n’est pas nouvelle, son honorable auteur a lui-même pris le soin de vous le rappeler, et je dois le dire, il n’a pas mal choisi le moment de vous la présenter, à l’approche d’une réélection qui met en jeu certains intérêt individuels de nature à rendre assez accommodants sur les questions de principe ceux qui, dans leur solution, voient avant tout une question de personnes.
Je rends hommage, dit l’honorable M. Dumortier dans ses développements, à l’indépendance des commissaires de district, nos collègues ; et la commission tient le même langage. Quel est dès lors le motif légitime de la guerre qu’il déclare aux absents ? Seront-ils, eux, moins indépendants ; et devant l’expérience qu’il proclame, est-il juste de les condamner avant l’épreuve ?
En d’autres circonstances, on a déjà fait ressortir l’inconvénient de l’emploi de termes généraux sans définition précise ; à cette occasion j’aurais, pour les mêmes raisons, désiré que l’honorable membre nous eût donné sa définition de l’indépendance. Le gouvernement constitutionnel,, nous a-t-il dit parfois, est le gouvernement des majorités, le gouvernement des partis. J’en avais conclu que la tolérance devait d’un pareil gouvernement être la première condition d’existence, et que le caractère d’indépendance était incompatible avec celui de majorité ; l’honorable membre, dont la proposition déroute dans ses expressions mes idées à cet égard, voudra bien m’apprendre, j’espère, s’il entend monopoliser l’indépendance en faveur du parti dont il est habituellement l’organe.
L’indépendance, nous dira-t-il peut-être, consiste à ne pas occuper de fonctions salariées par l’Etat. Sans faire d’application à personne, je dirai encore qu’en général celui qui tient une place présente au moins une garantie, celle qu’il n’a pas à intriguer pour en obtenir une ; et j’ajouterai, en passant, que nos annales parlementaires ne renferment heureusement rien qui justifierait un pareil principe, principe qui ne serait qu’une injure gratuite faite à ceux qui consacrent leur existence au service de leurs concitoyens, principe qui révolterait tout fonctionnaire dont le cœur bat aux sentiments d’honneur et de moralité qui distinguent le caractère belge.
Si telle était néanmoins la pensée de l’honorable membre, sa proposition serait bien incomplète ; elle devrait porter sur toutes les classes de fonctionnaires. Il lui serait, il est vrai, plus difficile de la faire passer, parce que nous comptons parmi nous, et je m’en félicite pour les lumières que chacun d’eux apporte dans les discussions, des militaires, des présidents de tribunaux, des procureurs royaux, des bourgmestres, des agents comptables, etc., qui ne se suicideraient pas de très bonne grâce ; mais enfin, s’il ne la complète pas, c’est que, selon lui, l’indépendance ne consiste pas à ne pas être fonctionnaire, mais seulement à ne pas être gouverneur ou commissaire de district.
Messieurs, la proposition a été examinée sérieusement, à ce qu’il paraît, par la commission, puisqu’au dire de son rapporteur elle a consacré toute une séance à se constituer, à s’assurer de l’opinion publique, à la discuter, et à faire son rapport ; il ne s’agit donc pas de la traiter en plaisanterie.
Jusqu’ici les rares incompatibilités prononcées entre les fonctions législatives et certaines autres n’avaient été que celles proclamées par la constitution ; et, quant au reste, le principe général ainsi proclamé par elle, qui déclare tous les Belges égaux devant la loi, avait servi de règle. Mis en pratique dans la loi électorale, ce principe est trouvé vicieux par un membre de la législature qui propose d’en modifier l’application ; vingt pétitions, émanées des principales villes du royaume, sont successivement venues s’accumuler sur le bureau de la chambre : elles portent réclamation contre une autre disposition de la même loi ; elles ne s’étendent pas au-delà de l’application de la constitution par la loi ; la proposition de ce membre isolé porte au contraire atteinte et à la loi et à la constitution ; les unes expriment le vœu de populations nombreuses, l’autre celui d’un seul homme ; les premières n’attaquent directement personne, la seconde menace la dignité, l’honneur, les intérêts de toute une classe de fonctionnaires. Qu’en résulte-t-il ? Les pétitions, dont je n’entends aucunement préjuger l’objet, passent silencieusement dans les cartons, et la proposition est instruite et expédiée à la vapeur, si je puis me servir de cette expression, à la fin d’une session, au moment où personne ne s’y attendait, lorsque la fatigue étouffe les discussions. Ceux, messieurs, que votre décision va peut-être frapper, et qui loin de cette enceinte consacrent leur zèle aux intérêts de l’Etat, n’ont-ils pas à se plaindre de cette marche exceptionnelle ? Eux qui voient les plus futiles propositions arrêter longuement vos graves méditations, ne seraient-ils pas excusables s’ils doutaient de l’impartialité d’une décision qui leur ravirait en un instant le droit le plus honorable et le plus précieux que leur donne la constitution, que vous avez juré comme eux de maintenir ? Pourriez-vous équitablement vous plaindre si, rentrés dans vos foyers, vous les trouviez communiquant aux électeurs, dont vous allez en partie avoir à réclamer les suffrages, leurs doutes sur votre respect pour le maintien de cette constitution à laquelle vous auriez si légèrement porté la première atteinte ? Qu’il me suffise d’avoir fait cet appel à votre conscience ; vous ne vous êtes jamais fait un jeu de l’avenir de vos commettants, et vous ne commencerez pas par faire des parias de ceux dont tout le crime et de servir fidèlement la patrie.
Je croirais, messieurs, en avoir dit assez pour motiver mon vote pour un examen plus mûr, plus approfondi, plus dégagé de questions d’intérêt personnel, de la proposition qui vous est soumise, mais la commission l’ayant examinée sous un autre point de vue, ma tâche ne serait pas remplie.
Je reconnais avec la commission qu’il serait à regretter qu’un trop grand nombre de fonctionnaires parvînt a la représentation nationale ; je reconnais encore que la considération dont elle doit être entourée pourrait en recevoir des atteintes, mais ce qu’elle me semble avoir perdu de vue, c’est qu’au lieu de faire le procès aux commissaires de district, elle l’a fait aux électeurs ; c’est qu’au moment d’aller réclamer leurs suffrages, elle les déclare inaptes à les donner avec discernement.
Tout notre système représentatif repose sur la même base ; son représentant dans la commune, dans la province, dans la chambre et au sénat, c’est d’après le même principe que, libre et indépendant, l’électeur le choisit ; si le principe est vicieux, s’il prête à abus, ces abus devaient se faire sentir aussi bien dans la commune et dans la province que dans les chambres ; si vous croyez qu’ils ne se détruisent pas par eux-mêmes, si vous désespérez des progrès de la raison publique, eh bien, soyez francs avant tout, et déclarez vicieux le principe ; attaquez de front la cause, mais n’allez pas frapper en aveugles sur les effets. Quand vous proclamez les élections libres, ne mettez pas les électeurs en curatelle.
Les commissaires de district, dit-on, ont, par la nature de leurs fonctions et leurs relations journalières, une influence qui leur facilite les moyens de se faire élire ; mais, messieurs, cette influence n’a pas empêché plusieurs de ces agents d’échouer dans leurs démarches, et certains autres d’être éliminés après une première élection. Celui qui a paru juste, qui s’est montré franc et loyal aux yeux d’une population qui a pu contrôler le moindre de ses actes, ne pourra pas obtenir de cette population une marque de confiance qui l’honore, sans résilier des fonctions que la constitution ne déclare pas incompatibles ; il devra renoncer à une carrière publique à laquelle il a consacré toute son existence, et un procureur du roi qui a des relations à peu près aussi suivies avec elle ; un président du tribunal qui est en rapport avec les hommes les plus influents sur elle ; un doyen qui a dans chaque commune au moins un subordonné pour le recommander par toutes les voies directes et indirectes ; un secrétaire général du ministère de l’intérieur, par exemple, qui dispose de toutes les places de bourgmestres, échevins, secrétaires, resteront éligibles sans condition ? Mais, messieurs, il y aurait là une injustice criante.
L’administration en souffre, dit-on ; l’élu est pourtant momentanément remplacé, et il peut concilier ses devoirs de telle manière que son délégué le consulte sur toutes les dispositions quelque peu importantes ; il peut donc parer en grande partie aux inconvénients de son éloignement. Ce grief est pourtant énoncé à l’appui du projet par la commission, et elle se tait sur celui que présente à cet égard l’éloignement d’un procureur du Roi, celui d’un président de tribunal, eux qui ne sont pas remplacés, et quoique de leurs lumières puissent parfois dépendre des intérêts bien autrement graves, la liberté, la fortune de leurs concitoyens.
Les commissaires de district seront éligibles sans condition hors de leurs districts, dit la commission : mais leurs fonctions en seront-elle mieux remplies ? et pourquoi faire si bon marché, dans un cas, d’un grief contre lequel on vient de s’élever dans un autre ?
C’est sans doute parce qu’elle a reconnu elle-même qu’une restriction dans le sens proposé équivalait à une exclusion complète, vu que pour un particulier, pour un industriel comme pour un fonctionnaire ce n’est que dans la localité où il a le principal siège de son établissement, là où il a le mieux pu se faire connaître, qu’une élection présente des chances réelles.
Lorsque j’ai reconnu que la présence d’un trop grand nombre de fonctionnaires dans la chambre pouvait porter atteinte à sa considération, j’ai reconnu les conséquences éventuelles d’un fait ; mais la possibilité du fait lui-même, je suis loin de la reconnaître.
Dans un gouvernement constitutionnel, ou des majorités, comme le dit M. Dumortier, laisser tomber les chambres en déconsidération serait pour le gouvernement se déconsidérer lui-même. Quel est dès lors, messieurs, le ministère qui prêterait les mains à pareille œuvre ? Le mal qui semble préoccuper les esprits est donc flagrant, ou la proposition n’est qu’un acte de défiance envers ceux qui disposent des moyens de la rendre inutile. S’il est flagrant, pourquoi une demi-mesure, pourquoi une exception pour une catégorie de fonctionnaires à sacrifier à toutes les autres ; pourquoi dans cette exception première une seconde exception qui, dans cette catégorie, crée des privilèges ? Quand vous voulez vous ériger en juges de la conscience des autres, sachez au moins faire acte de justice, et n’épargnez pas au coupable la peine que vous faites subir à l’innocent. Si le mal n’est encore que dans les prévisions de l’avenir, est-ce bien en inscrivant dans vos lois un acte de défiance, d’injustice et de favoritisme, que vous appellerez sur vous cette considération dont vous vous montrez justement jaloux ?
Quelques-uns de nos collègues, passibles de réélection, craignent la concurrence de leur commissaire de district : voilà le grand mot lâché. Après moi la fin du monde, se dit chacun d’eux, et dussent de petites choses coûter de grands moyens, parce que dans le nombre il en est qui menacent, il faut les sacrifier tous.
Messieurs, que le gouvernement, s’il le juge convenable, prenne fait et cause pour les plaignants ; que même, pour me servir d’une expression à laquelle un membre du cabinet a donné cours, il mobilise ces redoutables fonctionnaires, et tout l’échafaudage de la proposition s’écroule, sauf à prendre plus tard telle mesure ultérieure que le temps et la réflexion suggéreront. On veut un moyen, on en veut un à tout prix et tout de suite ; eh bien, c’en sera un, efficace au moins pour le moment, et on se sera réservé le temps de peser plus mûrement les conséquences de ce que l’on propose.
D’autres mieux à même que moi d’y imprimer le cachet de logique et de raison que comporte le sujet, se chargeront sans doute d’examiner la question sous le rapport politique et gouvernemental ; quant à moi, je me bornerai à vous soumettre encore quelques considérations spéciales. Les fonctions du commissaire de district sont en général aujourd’hui plus honorables que lucratives. Rétribués en la plupart des localités moins que de simples commis aux écritures dans les administrations, ces agents ont néanmoins certaine dignité à garder et des obligations de position à remplir qui les astreignent à des frais beaucoup plus considérables que le produit de leur place. Recherchées pourtant beaucoup plus que d’autres infiniment mieux salariées, ces fonctions sont en général restées entre les mains de la classe intermédiaire de la société.
Pour le fonctionnaire en sous-ordre, une pareille composition de personnel est une condition d’amour-propre et de zèle dans le service, parce qu’il est de l’essence de l’homme de ne servir qu’à contrecoeur sous un chef que personnellement il reconnaît pour son inférieur. Pour le gouvernement c’est une condition de force et de bonne administration, parce que celui qui n’est pas à la hauteur de sa position ne peut pas y être considéré, et que sans considération il n’y a pas d’influence. Pour l’administré c’est une garantie, parce que celui qui n’est pas dépendant de sa place joint en général à plus d’élévation de caractère l’avantage de ne jamais être exposé à devoir lui sacrifier sa dignité personnelle. Quel serait le stimulant qui ferait rechercher ces fonctions, puisque ce n’est pas l’appât lucratif, si ce n’est la considération dont elles sont entourées et l’influence qu’elles donnent ? Frappez au vif cette considération, cette influence, en dégradant de leur rang politique ceux qui en sont investis, et il ne reste que le chétif traitement, hors de proportion avec tous les autres affectés à des rangs analogues.
Ce n’est pas sous ce seul rapport que les fonctions de commissaire de district sont peu avantageuses ; dans toute carrière une honorable ambition permet d’aspirer à quelque avenir progressif ; l’ordre judiciaire, la finance, l’armée, ont leur avancement, et maint chétif avocat, avec un peu de savoir et un peu de savoir-faire, compte déjà quelques degrés derrière lui dans l’ordre hiérarchique depuis que la révolution l’a fait sauter d’un petit bureau sans clientèle dans un grand fauteuil de magistrat. Quelle est la perspective du commissaire de district ? aucune ; un avancement se présente, il compte sur ses années de service, sur son activité, sur ses connaissances pratiques, et ce qu’il attendait comme récompense de son zèle, devient le domaine de noviciat de quelque protégé, en faveur duquel ont milité de puissantes considérations.
Il reste donc où il est, fixe comme un terme, jusqu’au premier mouvement politique, dans lequel, par la nature de ses fonctions, son zèle actif est inévitablement marqué. Il est fonctionnaire, il doit exécuter les ordres qu’il reçoit, et compromet sa popularité ; la conséquence, messieurs, une citation de faits me dispensera de vous l’expliquer : à l’exception d’un seul, tous les commissaires de district en fonctions à l’époque de la révolution ont immédiatement été destitués, et presque tous sont encore aujourd’hui sans place, sans pension. En a-t-il été de même dans d’autres carrières ? Les fonctionnaires du département des finances, ceux de l’ordre judiciaire, ceux qui occupent des grades militaires, ont-ils, comme eux, perdu leur rang, leurs avantages et leurs titres ? Il est inutile, messieurs, que je réponde par la négative ; à de rares exceptions près, exceptions tout à fait basées sur des questions de personnes, les commissaires de district sont les seuls fonctionnaires qui aient en masse fait l’objet d’une disposition de ce genre, et la nature de leurs attributions l’explique.
Quel est, je vous le demande, messieurs, celui qui, à de pareilles conditions, irait consacrer le fruit de ses études loin de sa famille, loin de ses intérêts, dans une localité dont les ressources ne sont pas toujours en rapport avec ses goûts, y dépenser une partie de son patrimoine, subir les effets de chaque fluctuation politique, s’il n’attachait plus de prix à la considération dont est entourée la place, qu’aux avantages matériels qui y sont affectés ?
Portez-leur le coup qui vous est proposé, en rendant cette place l’objet d’une exception déshonorante, et avec le prestige s’évanouit l’ambition.
Promptement, je vous l’assure, messieurs, passeraient alors ces fonctions des mains de la classe sus-indiquée aux mains d’une autre classe.
On craint aujourd’hui l’influence de ces gens pour eux-mêmes, ce serait bien pis si elle devenait à craindre alors qu’elle serait exploitée au profit d’un autre ; ce serait bien pis encore si, par des mesures telles que celle qui nous occupe, ils étaient déconsidérés au point de ne plus en avoir qui pût porter ombrage.
J’abandonne, messieurs, ces réflexions à votre sagesse : quant à moi, je repousserai la proposition comme injuste, irréfléchie, impolitique dans sa forme, et comme pouvant dans ses effets être efficacement remplacée par une simple disposition administrative qui la rendrait inutile.
M. de Brouckere. - Messieurs, je ne sais si d’autres que ceux que le projet de loi en discussion doit froisser quelque peu trouveront dans ce projet des vues d’opposition au gouvernement, ou du moins l’intention de diminuer son influence on d’affaiblir son action. Je ne puis empêcher que l’on suppose ce but à aucuns de ceux qui dans la chambre se prononceront en faveur du projet ; mais j’ai besoin de déclarer que tel n’est pas du tout le mien, et je crois pouvoir ajouter que tel n’est pas celui que s’est proposé la majorité de la commission qui a adopté le projet.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il y a inconvénient à ce que l’on compte dans la chambre un certain nombre de députés que leurs fonctions amovibles mettent plus ou moins dans la dépendance du gouvernement. Je ne suis pas de ceux qui veulent limiter le choix des électeurs au-delà de ce que la nécessité exige. Je pense, au contraire, qu’il faut leur laisser beaucoup de latitude, et que s’il leur convient de choisir pour représentant un homme qui s’annonce comme voulant appuyer le gouvernement en toute occasion, ce choix peut être tout aussi honorable, tout aussi avantageux qu’un autre.
Le député qu’on appelle ministériel, c’est-à-dire celui qui croit que le pouvoir ne doit pas être contrarié dans sa marche, celui qui pense qu’il faut lui prêter appui et confiance ; ce député peut tout aussi bien mériter du pays que celui qui croit mieux remplir son mandat, en surveillant le gouvernement de plus près, en le contrôlant sans cesse, en disséquant tous ses actes. Le premier convient à certains électeurs ; d’autres préfèrent le second ; tous doivent être libres, et ma pensée est que ce sera toujours un bien pour le pays que toutes les opinions, tous les intérêts aient leurs représentants dans les chambres.
S’il était donc question, messieurs, de décider que telle ou telle classe de fonctionnaires sera exclue des chambres par ce seul motif que leurs fonctions les rendent plus ou moins dépendants du gouvernement, je m’y opposerais. Je désire sincèrement qu’il y ait toujours parmi nous des gouverneurs, des commissaires de district, comme je désire y voir des magistrats, des fonctionnaires municipaux, des industriels et des commerçants. L’absence des gouverneurs ou des commissaires de district dans la chambre, j’en ai la conviction, se ferait bientôt sentir ; car, dans les discussions relatives à des lois organiques, à des mesures d’administration, leurs lumières et leur expérience nous ont toujours été d’une grande utilité.
Mais ce qu’il faut prévenir autant que possible, c’est qu’une classe quelconque de fonctionnaires n’envahisse la chambre, parce que les décisions de la chambre, alors influencées par cette classe, ne seraient bientôt plus regardées comme prises dans l’intérêt du pays, mais bien dans l’intérêt d’une fraction, d’un parti.
Je ne dis pas que ce mal soit toujours facile à éviter ; mais il le faut faire, quand cela est possible, et ici toute la question est, selon moi, de savoir si, en laissant les choses comme elles sont, il n’est pas vraisemblable qu’après les deux prochaines élections, c’est-à-dire, après que la moitié de la chambre aura été renouvelée, le nombre des commissaires de district envoyés parmi nous sera plus que doublé.
Pour moi, messieurs, cela paraît être hors de doute. Ce qui s’est passé jusqu’ici, ce dont nous sommes tous les jours témoins, nous le prouve suffisamment. Nous avons en ce moment parmi nous 10 commissaires de district, sans comprendre dans ce nombre les membres de la chambre qui occupaient ces fonctions lorsqu’ils ont été élus, et qui ont changé de position.
La nouvelle loi communale qui est maintenant en vigueur donne sans contredit une influence bien plus grande aux commissaires de district que celle qu’ils avaient jusqu’alors. Il est donc certain, messieurs, qu’il sera à l’avenir beaucoup plus facile aux commissaires de district de se faire élire que cela ne leur a été jusqu’aujourd’hui. De là cette conséquence nécessaire que le nombre des commissaires de district qui seront envoyés à la chambre doit s’accroître dans une très grande proportion.
Cela est d’autant plus vrai, messieurs, que d’après ce que vient de dire l’honorable préopinant lui-même, les fonctions de membre de la législature doivent être l’objet de l’ambition des commissaires de district. Car cet honorable membre s’est appliqué à prouver longuement, et par de bons arguments, j’en conviens, que le mandat de député doit être recherché par tous les commissaires de district. Mettez maintenant le raisonnement de l’honorable préopinant à côté de l’extrême facilité des commissaires de district à se faire nommer, et vous verrez que d’ici à très peu de temps la plupart de ces fonctionnaires doivent nécessairement arriver au corps législatif. Il y a dans le royaume 44 commissaires de district qui, comme l’a dit l’honorable M. de Jaegher, doivent ambitionner la place de député.
Eh bien, je suppose que parmi ces 41 commissaires de district il y en ait quelques-uns à qui, par exception, le mandat de député ne convienne pas, ou qui ne réussissent pas à se faire élire. Je suppose que nous n’ayons parmi nous que 30 ou 35 de ces fonctionnaires. Je vous le demande, messieurs, croyez-vous qu’une chambre de 102 membres, dans laquelle seraient appelés 30 ou 35 commissaires de district, puisse encore exercer au-dessus l’influence dont elle a besoin, et jouir de cette considération qui fait toute sa force, comme l’a dit l’honorable préopinant lui-même ?
Messieurs, vous avez entendu deux orateurs se prononcer conte le projet. Le premier a peu cherché à s’étayer sur un argument pour le combattre ; mais il a fait un appel à vos sentiments de générosité. Selon lui, il n’y aurait ici que des plaideurs et des avocats ; des juges, il n’en trouve pas. Nous sommes incompétents pour décider la question.
J’aurais bien voulu que l’honorable membre eût étayé cette allégation de quelques preuves. Quant à moi, il me semble que la chambre peut tout aussi bien juger cette question que toutes les autres concernant la loi électorale ; car, dans toutes les questions qui concernent cette loi, il est évident que les députés ont un intérêt au moins indirect. Mais enfin la conclusion du plaidoyer de l’honorable membre a été que nous devrions nous abstenir par pudeur. Je suis très persuadé que, s’appliquant à lui-même le conseil qu’il nous donne, l’honorable membre aura, lui, la pudeur de s’abstenir, parce que, comme il l’a dit en commençant, il n’a pas seulement un intérêt indirect, mais bien un intérêt direct dans la question.
Mais quant à nous qui ne sommes intéressés que de très loin au projet de loi, si toutefois nous le sommes, je ne pense pas que nous devions nous abstenir. Si nous nous abstenions, je demanderais à l’honorable membre devant quel tribunal sera portée la question ? Car enfin, la question une fois soulevée, il faut qu’on la juge ; et l’honorable auteur ne veut par faire porter la cause devant un autre tribunal, il faut nécessairement que ce soit le vôtre qui prenne la décision.
Le même orateur s’est particulièrement élevé contre le projet, parce que, selon lui, c’est une espèce de croisade contre les commissaires de district qu’on veut présenter à la nation comme suspects. Selon lui encore, la loi porterait atteinte à la liberté des élections, elle exciterait l’animosité des électeurs contre une certaine classe de citoyens ; ce serait, messieurs, je me sers de ses propres expressions, une loi de proscription.
J’avoue que tous ces mots sont bien sonores, mais je ne puis en faire l’application à la loi qui nous occupe en ce moment.
D’abord il est inexact de dire que cette loi soit faite contre les commissaires de district ; il n’est entré dans l’esprit d’aucun des membres qui composaient la commission aucune pensée hostile quelle qu’elle soit contre les commissaires de district. Ce qu’elle a fait, elle l’a fait dans l’intérêt de la chambre et dans l’intérêt du pays ; mais elle n’a eu aucun égard à ce qui concernait les individus ; on n’a pas même exclu les commissaires de district. Il dépendra des électeurs de choisir pour leur représentant leur commissaire de district, et il sera reçu dans cette chambre ; son élection sera valable, pourvu qu’il renonce aux fonctions administratives qu’il a remplies jusqu’alors.
Je vous prie de ne pas perdre de vue l’état de la législation en France. Là, non seulement on a prononcé l’incompatibilité des fonctions de sous-préfet (je ne parle pas des autres, elles sont hors de cause) avec celles de membre de la chambre des députés ; mais la loi décide formellement qu’un sous-préfet ne pourra pas être élu à la chambre par son arrondissement dans les six mois qui suivraient sa démission de sous-préfet. Il ne peut pas être élu dans l’arrondissement où il a exercé ses fonctions avant ce laps de temps, parce que l’on a compris combien devait être grande l’influence de cette espèce de fonctionnaire, et quel inconvénient il y aurait à ce qu’un trop grand nombre de ces fonctionnaires fût envoyé aux chambres.
L’honorable membre qui a parlé le dernier s’est beaucoup appuyé sur une prétendue inconstitutionnalité dont serait entaché le projet que nous discutons. Mais je dois faire pour lui la même observation que j’ai déjà faite pour un autre orateur. C’est que cette allégation, il ne l’a appuyée d’aucune preuve. Le projet, vous dit-il, est inconstitutionnel ; mais en quoi il est inconstitutionnel, il ne s’explique pas. Je lui répondrai par l’aveu fait par M. C. Rodenbach lui-même, qu’il n’y a rien d’inconstitutionnel dans le projet.
Et en effet, on n’augmente pas les conditions d’éligibilité, et on ne restreint pas le choix des électeurs ; rien en un mot ne se trouve dans le projet qu’on puisse considérer le moins du monde comme contraire au texte ou à l’esprit de la constitution.
Mais un autre grief sur lequel on s’est récrié, c’est que le projet a été jeté au milieu de nous sans que personne s’y attendît, et dans des circonstances telles qu’on n’a pas le temps de le discuter.
A cela je répondrai que la proposition n’est pas neuve. Elle a été faite au moment où nous discutions la loi électorale ; la chambre s’en est alors occupée, et elle a même émis un premier vote sur cette proposition. Ainsi chacun de vous a été d’autant plus à même de se former une opinion, que déjà il a été dans le cas d’émettre cette opinion.
Enfin l’on reproche à la loi d’être injuste. Pourquoi ? Parce qu’elle frappe une seule classe de fonctionnaires et qu’elle pourrait, avec la même raison, en frapper plusieurs autres, telles que celle des procureurs du Roi, celle des présidents de tribunaux et les militaires, Mais je ferai remarquer à l’honorable orateur qui a fait cette observation, que les mêmes raisons n’existent pas contre ces classes de fonctionnaires. D’abord il est incontestable que ni les militaires ni les magistrats n’ont la même facilité pour se faire élire aux chambres. L’expérience l’a bien prouvé.
En second lieu, peut-on trouver qu’il y ait dans la chambre des magistrats ou des militaires en nombre tel qu’il soit hors de proportion avec le nombre total des membres de la chambre ? Assurément non. Pour tranquilliser l’honorable membre, je dirai que si je voyais des procureurs du Roi dans cette enceinte, et que j’eusse la certitude que ce nombre pût être doublé, je présenterais moi-même un projet de loi pareil à celui que nous discutons, et qui aurait pour objet de décider que les fonctions de procureur du Roi seront incompatibles avec celles de membre de la chambre.
Je regarde comme dans intérêt de la chambre, dans l’intérêt du pays, et j’ajoute dans l’intérêt du gouvernement lui-même, que la chambre ne soit pas envahie par une classe de fonctionnaires, parce • qu’alors elle ne représenterait plus le pays, elle ne serait plus regardée comme indépendante, et elle ne pourrait plus faire le bien qui doit rejaillir sur la nation des décisions qu’elle prend.
Messieurs, l’on a dit encore que le projet de loi faisait le procès aux électeurs bien plus qu’il ne le fait aux commissaires de district, et l’on a cherché prouver cette assertion. Je répondrai que le projet ne fait pas plus le procès aux électeurs qu’aux commissaires de district, car il ne le fait à personne. J’ai déjà dit et je répète, parce que c’est une vérité incontestable, que le projet n’attaque personne, et n’a pas été fait dans un esprit d’hostilité contre qui que ce soit, pas plus contre les électeurs qui pourront continuer à se faire représenter par leurs commissaires de district, que contre les commissaires de district qui pourront continuer à être élus membres des chambres.
Je crois avoir répondu aux principales objections qui jusqu’ici ont été faites contre le projet. Si d’autres orateurs se joignent à ceux qui ont pris jusqu’ici la parole pour l’attaquer, je me réserve de leur répondre.
Je crois inutile de relever ce qui a été dit de la manière dont la commission a fait son travail ; la commission se regarde comme au-dessus de pareils reproches.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, quoi qu’en ait dit l’honorable préopinant, il est à regretter que la chambre ait été saisie de cette proposition, à la fin de la session et en présence d’une élection immédiate ; je crois que dans d’autres temps, dans d’autres circonstances, cette proposition eût été plus approfondie, méditée plus à froid, qu’on en eût mieux apprécié toutes les conséquences.
Je pourrais appuyer cette opinion du rapport même fait par l’honorable préopinant. En effet l’on y lit :
« Dans d’autres circonstances, la commission eût sans doute employé plus d’une séance à une discussion dont aucun de ses membres ne méconnaissait l’importance ; elle eût même attendu que l’opinion publique se fût plus ou moins manifestée ; mais, pressée par le temps, elle a voulu que ses conclusions vous fussent présentées sans retard ; je viens, en son nom, vous les faire connaître. »
Cette proposition, messieurs, fut également discutée à peu près à l’improviste en 1835, à l’occasion de la loi sur le renouvellement des chambres ; et alors elle fut rejetée, après une courte discussion, par 39 voix contre 27. Il est vrai que les gouverneurs de province se trouvaient compris dans la même disposition que les commissaires d’arrondissement. Bien que la commission ait écarté de la cause les gouverneurs de province, la question de principe n’en est pas moins la même.
On a énoncé des craintes sur le danger de voir s’accroître indéfiniment le nombre des commissaires d’arrondissement dans cette enceinte. Mais, messieurs, ne peut-on pas croire avec fondement que, si ce nombre allait croissant, l’attention des collèges électoraux serait suffisamment éveillée pour porter remède au mal. Nous n’hésitons pas non plus à penser qu’il n’est pas convenable qu’une classe de fonctionnaires soit dans le cas de dominer dans une assemblée législative. Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas vu d’exemple d’une semblable tendance dans les collèges électoraux. En effet, si nous voyons ici un certain nombre de commissaires d’arrondissement, nous y voyons aussi un certain nombre de procureurs du Roi, un certain nombre de présidents de tribunaux, des membres des cours d’appel, enfin des fonctionnaires des divers ordres de l’Etat, des industriels,des rentiers, enfin des hommes des diverses classes de la société ; jusqu’à présent donc, on ne peut pas dire qu’il y ait monopole au profit d’aucune classe.
Nous n’examinerons pas la question sous le rapport d’une prétendue influence gouvernementale. Sous ce rapport nous déclarons que nous sommes entièrement désintéressés. En effet, j’en appelle à vous tous, vous pouvez apprécier si, dans aucune occasion, nous avons cherché à exercer de l’influence sur un membre quelconque de cette assemblée.
Ainsi les votes des députés sont complètement libres, sous ce rapport, c’est aux collèges électoraux qu’il appartient surtout d’apprécier de quelle manière le mandataire a rempli son mandat.
Quant aux inconvénients administratifs qui peuvent résulter de l’absence d’un trop grand nombre de commissaires d’arrondissement, de leur résidence, ce sera au gouvernement à apprécier s’il est nécessaire de poser une limite à l’absence de cette classe de fonctionnaires, s’il n’entre pas dans l’intérêt de l’administration d’exiger leur résidence permanente dans leur ressort administratif, sauf permettre seulement à un certain nombre d’entre eux de faire partie des chambres à raison de leur expérience dans l’administration : car il ne faut pas perdre de vue que l’expérience de l’administration est fréquemment nécessaire dans nos débats.
Il serait fâcheux de voir que l’ordre administratif ne fût pas représenté dans cette enceinte, alors que l’ordre judiciaire y serait largement représente.
On ne nous reprochera pas de favoriser les élections des commissaires de district ; c’est ainsi que, persuadés que dans ce moment le besoin d’augmenter le nombre de ces fonctionnaires dans cette enceinte ne se fait pas sentir, nous-mêmes, avant la présentation du projet de loi, nous avons exigé de deux commissaires d’arrondissement, récemment nommés, la promesse préalable qu’ils ne se mettraient pas sur les rangs aux élections prochaines ; c’est ainsi nous avons fait preuve de notre manière large d’apprécier la représentation nationale. D’après cela, nous ne voyons pas la nécessité d’adopter la mesure législative qu’on nous propose.
(Moniteur belge n°141, du 21 mai 1837) M. C. Rodenbach. - L’honorable M. de Brouckere m’a fait une interpellation. Je tiens à y répondre.
Il m’a demandé si j’aurais la pudeur de m’abstenir. Quoiqu’on ne soit pas obligé en prononçant un discours de dire en quel sens on votera, quoiqu’on ait le droit par conséquent de suspendre son vote, je veux cependant dire à l’honorable orateur comment je voterai et quels sont les motifs qui me guident.
Je ne réfuterai pas toutes les argumentations sophistiques qu’il a avancées pour défendre le projet de loi dont il est le rapporteur ; car ce serait tomber dans une discussion oiseuse, une discussion de mots, une véritable logomachie. Je me bornerai donc à répondre à son apostrophe.
Si j’avais parlé et voté pour la loi, c’eût été uniquement agir dans un but personnel, d’autant plus que je suis partie fortement intéressée dans le projet de loi et que je décline la compétence de la chambre qui siége actuellement. Si je n’avais pas parlé contre, on aurait pu supposer que j’avais pensée d’écarter un concurrent dans l’arrondissement que je représente ; par conséquent j’ai parlé contre mes intérêts politiques. Je suis dans une position toute spéciale, tout exceptionnelle, qui sera, je l’espère, appréciée par la chambre ; elle sera la cause de mon abstention. J’ai l’honneur d’être le député d’un arrondissement où je ne suis pas administrateur. Si la loi passe, si les commissaires de district sont déclarés en quelque sorte non éligibles dans le ressort de leur administration, j’évite un concurrent dans la personne du commissaire de district dans la contrée dont je suis le représentant. Si donc je n’avais consulté que mon intérêt, j’aurais appuyé la loi ; mais je me suis prononcé avec force et avec chaleur contre la loi, parce qu’elle est saugrenue, incohérente et déplacée dans les circonstances actuelles, d’autant plus que tout le monde est partie en cause, tout le monde parle ici dans son intérêt individuel ; je crois donc avoir eu raison de dire que je voyais ici des avocats et des plaideurs, mais que je n’y voyais pas des juges compétents ; voilà l’épithète dont je me suis servi.
Je terminerai mes observations sur cette matière.
M. de Jaegher. - L’honorable M. de Brouckere a cherché à réfuter les arguments que j’ai eu l’honneur de présenter ; je laisse à votre appréciation s’il a réussi. Mais il a cherché surtout à nous persuader que ce n’était pas contre les commissaires de district particulièrement qu’était dirigée la proposition.
Il nous a dit : « C’est pour éviter un abus. La chambre compte déjà au nombre de ses membres dix commissaires de district ; si cela continue, la chambre entière pourra un jour être envahie par les 44 commissaires de district qui se trouvent dans le royaume. »
En admettant cette considération, il faudrait reconnaître encore que la proposition est tout à fait incomplète ; car il a échappe au préopinant que si les commissaires de district sont au nombre de dix dans la chambre, les présidents du tribunal civil y sont au nombre de huit. Je ne vois pas pourquoi d’après cela on ne redouterait pas autant de voir la chambre envahie par les présidents de tribunal que par les commissaires de district.
Dira-t-on qu’ils n’ont pas la même influence sur les électeurs ? Mais ils président les collèges électoraux, et il me semble qu’étant ainsi en face de l’électeur, ils exercent par cela même une influence telle qu’il peut en résulter en quelque sorte une atteinte portée à la liberté de son vote. C’est entre ses mains que l’électeur dépose son bulletin, et si le président a cherché à exercer quelque influence sur l’électeur, ne peut-il pas employer des moyens pour s’assurer si le bulletin est bien celui qu’il l’a chargé de remettre ?
Je ne m’arrête pas à la catégorie des présidents. Les juges sont ici au nombre de sept. Il y a en outre quatre membres du parquet.
L’ordre judiciaire compte donc ici un assez grand nombre de représentants.
Quant aux membres des cours d’appel, je n’en parlerai pas.
Quand je remarque que ces MM. trouvent dans leurs loisirs le temps nécessaire pour remplir les fonctions de commissaire de société, je trouve qu’il est bien qu’ils puissent utiliser ces loisirs dans l’intérêt du pays.
Lorsque j’ai pris la parole pour la première fois, j’ai dit que la proposition était inconvenante. Les citations que j’ai eu l’honneur de faire confirment cette première assertion. Vous jugerez si maintenant il est convenable, s’il est juste de sacrifier les commissaires de district aux autres catégories de fonctionnaires.
Si l’on croit à la dépendance des fonctionnaires, lorsque l’on voudra assurer l’indépendance des membres de la législature, que l’on prenne une mesure contre les fonctionnaires en général ; sinon je crois qu’une mesure particulière telle que celle dont a parlé M. le ministre de l'intérieur suffit pour satisfaire aux intérêts de ceux qui se croient menacés par l’influence des commissaires de district.
M. Dumortier. - A entendre les adversaires du projet de loi, la chambre ne pourrait pas adopter ce projet de loi ; elle n’en est pas juge parce qu’elle est partie intéressée ; eux seuls seraient donc bons juges du projet puisqu’ils donnent d’excellentes raisons pour le rejeter. Je pense que vous ferez justice de cette singulière manière d’argumenter, et qu’il suffira que je la signale pour que vous la réfutiez dans vos esprits. Je me bornerai à répondre quelques mots à ce qu’a dit en dernier lieu un honorable préopinant. Je ne m’occuperai pas de son premier discours, car l’honorable M. de Brouckere y a répondu de telle manière que je ne pourrais que répéter ce qu’il a dit.
Vous ne pouvez, a dit ce préopinant, adopter une disposition semblable, alors qu’il se trouve dans la chambre tant de membres de l’ordre judiciaire et spécialement des présidents de tribunaux ; car c’est entre leurs mains que les électeurs déposent leurs bulletins. Assurément vous n’admettrez pas que les présidents de tribunaux aient les mêmes moyens d’influence que les commissaires de district ; car ces magistrats n’ont de rapport avec les administrations communales que pour légaliser les signatures des bourgmestres, et ils n’ont aucun moyen d’influence ni direct ni indirect sur les membres des administrations communales, tandis, au contraire, que les commissaires de district ont été investis par la loi, dans l’intérêt de la chose publique, du pouvoir qu’ils ont entre les mains et dont ils peuvent faire un grand usage pour vicier les élections. C’est pour cela que nous n’avons pas étendu la loi aux autres fonctionnaires.
Le gouvernement lui-même reconnaît la nécessité de la loi, puisqu’il a dit que le besoin d’un plus grand nombre de commissaires de district dans cette enceinte ne se faisait pas sentir, et qu’il a exige de deux de ces fonctionnaires qu’ils ne se missent pas sur les rangs aux élections qui vont avoir lieu.
Il y aurait encore beaucoup à dire en faveur de la proposition, mais les moments sont précieux, je n’en dirai pas davantage. Je pense que ce peu de mots suffira pour déterminer l’adoption de la proposition.
M. Mast de Vries. - M. le ministre de l’intérieur vient de dire qu’il avait exigé de deux commissaires de district, récemment nommés, qu’ils ne se missent pas sur les rangs aux prochaines élections ; je demanderai si cette mesure administrative ne pourrait pas être étendue aux autres commissaires de district. Dans ce cas cette mesure suffirait ; la proposition qui nous occupe deviendrait inutile.
M. Lardinois. - Personne ne révoquera en doute que la proposition faite par l’honorable M. Dumortier a une portée immense et touche aux questions les plus graves ; car elle mérite d’être considérée sous le rapport constitutionnel aussi bien que sous le rapport gouvernemental et politique.
C’est au moment de nous séparer, messieurs, que cette proposition qui exigerait un examen approfondi et des débats solennels, est lancée dans la discussion et au milieu d’une loi de douanes qui a fatigué tous les esprits. Je vous le demande, sommes-nous disposés à traiter convenablement cette question, alors que nous n’avons pas le temps d’en faire le sujet de nos méditations ? Je déclare, quant à moi, que la chose me paraît impossible ; qu’une décision de la chambre peut être enlevée, mais comme une surprise et sans discussion approfondie. Si je prends donc la parole, messieurs, mon but n’est pas de vous faire un long discours, mais de rappeler succinctement quelques faits et de donner les motifs de mon vote.
D’ailleurs, l’honorable M. de Jaegher vient de faire valoir des arguments tellement pertinents qu’ils devraient suffire pour faire rejeter ce projet de loi.
L’auteur de la proposition demande que les gouverneurs et les commissaires d’arrondissement, élus membres de la représentation nationale, aient à opter entre leurs fonctions et leur mandat de représentant ou de sénateur, lorsqu’ils sont nommés par le district ou l’un des districts qu’ils administrent.
Cependant il fait une exception pour ceux de ces fonctionnaires qui font actuellement partie de la législature. Je regarde cette exception comme un principe que la loi ne doit pas consacrer, parce que ce serait violer l’égalité des droits.
Dans les développements de sa proposition, M. Dumortier a défini le gouvernement représentatif, le gouvernement des partis. Ainsi, ce n’est plus celui dans lequel le peuple, la classe des grands propriétaires et le prince concourent tout à la fois à la confection des lois. C’est le gouvernement des partis, celui qui ne peut être composé que de vainqueurs et de vaincus, d’oppresseurs et d’opprimés, que la révolution de septembre a conquis, l’entendez-vous !
C’est donc un parti ou plusieurs partis réunis qui demandent l’exclusion de la représentation nationale d’une certaine catégorie de fonctionnaires publics. Si cette mesure était adoptée, elle servirait de prélude à d’autres propositions plus odieuses les unes que les autres, parce qu’il est de la nature des partis de ne s’arrêter jamais.
Lorsque l’on est dominé par des principes et non pas par des passions, je conçois que l’on réclame une mesure large, franche, loyale, comme, par exemple, de demander qu’il y ait incompatibilité pour tous les fonctionnaires amovibles avec la qualité de membre de l’une ou l’autre des deux chambres. Dans ce cas, une proposition pareille pourrait se justifier, parce qu’elle aurait un caractère plus général, et que ce ne serait pas une demi-mesure imaginée par une coterie ou un parti.
Il paraît que la loi communale a donné beaucoup d’influence aux gouverneurs et aux commissaires de district, et qu’au moyen de cette influence on peut fausser la représentation nationale en y introduisant des fonctionnaires qui seraient apparemment les hommes serviles du ministère. De pareilles suppositions sont faciles à faire, messieurs, et les fonctionnaires à qui on impute gratuitement des sentiments de bassesse et de servilité, ne peuvent y répondre que par le mépris. Mais que doivent dire les électeurs, lorsque celui qui se proclame à chaque instant le soutien et le représentant du peuple, les considère comme des hommes sans volonté, sans jugement, sans indépendance, et se laissant conduire aux élections pour voter aveuglément ? Je ne sais si les choses se passent ainsi dans le district de Tournay, mais j’en doute.
Je sais qu’en France on avait admis en principe, depuis 1789 jusqu’en 1814, que les fonctions législatives étaient incompatibles avec toutes les autres fonctions publiques ; mais après, mieux éclairés, on reconnut qu’il était indispensable d’avoir dans les assemblées parlementaires un certain nombre de fonctionnaires, parce qu’en général ils ont plus de lumières et plus d’expérience pour traiter les affaires publiques que les hommes qui ne s’en sont jamais occupés.
A l’appui de sa proposition l’honorable M. Dumortier invoque ce qui se pratique dans les autres pays constitutionnels. Les lois en France ont effectivement proclamé plusieurs incompatibilités de cette nature ; l’Espagne et le Portugal en ont également admis dans leurs constitutions récentes, mais il aurait aussi pu vous dire que l’Espagne a exclu tous les ecclésiastiques des cortès du royaume.
Toutes ces exclusions ne prouvent pas, à mon avis, que l’on agit sagement, parce que dans le gouvernement représentatif, comme je l’entends, toutes les opinions et tous les intérêts doivent y être représentés.
Ne perdons pas de vue, messieurs, que les lois doivent toujours s’harmoniser avec les mœurs du pays, pour être salutaires et durables. Mais lorsqu’on les base sur des exclusions ou des exceptions, elles deviennent odieuses, parce qu’elles sont arbitraires, et elles enfantent les révolutions,
Ce n’est donc pas en France ni en Angleterre que nous devons chercher des exemples pour établir notre législation ; mais nous devons plutôt nous inspirer des mœurs, des opinions de notre pays et de sa constitution.
Voyons donc ce qui s’est passé lors du congrès national et quel a été l’esprit qui a dirigé cette assemblée dans cette question.
Certes le congrès n’a pas voulu qu’il fût établi des incompatibilités pour la chambre des représentants et le sénat, parce qu’elle désirait étendre l’éligibilité au plus grand nombre possible des citoyens. La constitution fixe seulement les conditions d’éligibilité, et il ne nous appartient pas de les augmenter ni de les diminuer. Il est vrai que la constitution établit des incapacités, et qu’elle exclut de la représentation nationale les condamnés à des peines afflictives ou infamantes, les faillis et les interdits ; mais j’aime à croire que l’on ne veut pas ranger les gouverneurs et les commissaires de district dans ces incapacités. (Hilarité générale.) Je fais cette question parce que je serais bien aise de connaître une bonne fois l’opinion de certains députés sur les commissaires de district, qui ont au moins autant que tout autre le sentiment de leur dignité.
Vous vous rappellerez, messieurs, que dans le congrès national il se trouvait beaucoup de jeunes législateurs dont les talents devançaient leur âge. Un projet de constitution fut rédigé et présenté par MM. Liedts, Fleussu, Barbanson et Forgeur. Ce projet fut renvoyé à la section centrale pour information, et l’art. 11 ou 12 disposait que les fonctionnaires amovibles ne pourraient faire partie de la représentation nationale. La section centrale délibéra longuement sur cette question, et voici comment l’honorable M. Raikem, son rapporteur, s’exprimait à ce sujet :
« Quelques sections avaient proposé d’établir des incompatibilités entre certaines fonctions publiques et celles de membre de l’une ou l’autre chambre ; mais la section centrale a rejeté les incompatibilités. Elle a cru qu’à cet égard on devait s’en rapporter au bon sens des électeurs, et que la disposition qui prescrivait la réélection des membres appelés à des emplois salariés, après leur nomination, parait à tous les inconvénients.
« Une incompatibilité relative avait aussi été réclamée. Cinq membres de la section centrale ont demandé que les gouverneurs et les chefs d’administration provinciale ne pussent être élus dans les provinces dont l’administration leur est confiée. La majorité a rejeté cette exclusion. »
Vous voyez, messieurs, que l’on ne voulait pas des incompatibilités, et qu’il n’était pas même question des commissaires de district, parce qu’on délibérait en décembre 1830 et que l’on savait que la plupart de ces fonctionnaires s’étaient dévoués pour la révolution et qu’ils avaient donné des preuves éclatantes de leur patriotisme. On se taisait peut-être par pudeur à cette époque, mais aujourd’hui, on oublie les services rendus, et l’on a raison de dire que l’on traite les commissaires de district comme des parias.
C’est très curieux de voir comment certains hommes se conduisent selon le but qu’ils veulent atteindre. Lorsqu’il s’agit de faire de la popularité, ils se posent le plus haut possible pour qu’on les entende bien et ne tarissent pas sur le bon sens des électeurs. Mais lorsqu’il s’agit de mesures exceptionnelles qui doivent affaiblir le gouvernement, alors on vire de bord, et l’on vous dit que l’influence des commissaires du district est telle qu’ils conduisent les électeurs comme un troupeau de moutons, et qu’ils n’ont d’autre volonté que celle du fonctionnaire.
Ceci m’amène à faire une observation. J’ai toujours vu que les organes de la presse n’accusaient pas seulement d’influence les agents du pouvoir, mais le clergé en général à qui on impute de fausser les élections par l’influence dont il dispose. Je vous dirai même que j’avais eu une certaine velléité de présenter un amendement tendant à l’exclusion, pour le même motif, de tous les ecclésiastiques ; mais, après y avoir réfléchi, j’ai renoncé à mon dessein, parce que j’ai vu que je commettais une injustice, et que je me suis toujours trouvé très honoré d’être assis à côté des membres du clergé qui ont siégé avec moi au congrès et à la chambre.
L’opinion a toujours voulu considérer les fonctionnaires comme étant dans la dépendance absolue du gouvernement, et qu’ils soient pour ainsi dire inféodés aux ministres. Je ne crains de dire que c’est un vrai préjugé, et pour preuve, vous n’avez qu’à examiner la conduite des commissaires de district dans cette chambre. Je crois que les ministres n’ont pas trop à se féliciter de l’appui qu’ils ont obtenu de ces fonctionnaires, et qu’au contraire ils ont fait depuis six ans une bonne et rude guerre aux mesures proposées par le gouvernement. Du reste, chacun entend l’indépendance à sa manière. J’ai aussi goûté du plaisir à faire de l’opposition ; mais je me suis aperçu que j’énervais le pouvoir, et, homme de la révolution, j’ai cru devoir rebrousser chemin pour conserver le gouvernement que le peuple a conquis. Pour en agir ainsi, il fallait, je pense, du courage et de l’indépendance ; car je savais que je sacrifiais ma popularité, à laquelle tout homme politique tient beaucoup, Je n’ai pas balancé dans l’intérêt de mon pays.
Pour faire de la popularité, il arrive que l’on sacrifie quelquefois l’ordre et la tranquillité publique, et puis on se déclare un homme indépendant. Quant à moi je pense que l’indépendance se rencontre moins dans la position sociale que dans le caractère et la volonté de l’individu. Je crois aussi qu’il n’y a personne de moins indépendant que l’homme de parti, parce qu’il est constamment dominé par les idées qu’il a embrassées et par toutes les influences qui l’entourent, pour faire usage de sa raison, de sa volonté et agir librement.
Je reconnais avec d’autres orateurs que si des fonctionnaires sont indispensables dans les assemblées délibérantes, un trop grand nombre aussi serait nuisible plutôt qu’utile à la chose publique. Mais c’est au gouvernement à prendre des mesures pour empêcher tout envahissement de cette nature. Je vous prie de croire que je ne parle pas dans mon intérêt personnel, car il est probable que bientôt j’aurai fini ma carrière politique.
Je pense aussi qu’un bon moyen de prévenir l’excès de fonctionnaires dans cette chambre serait de proposer qu’à l’exception des ministres, tous les fonctionnaires salariés par l’Etat qui feraient partie des chambres ne jouiraient pas de leurs traitements pendant la durée des sessions législatives.
Si une pareille proposition était adoptée par la législature, je suis persuadé qu’on ne se plaindrait plus du trop grand nombre de fonctionnaires dans cette chambre. Car, remarquez-le bien, messieurs, les commissaires de district contre lesquels on récrimine sans cesse, doivent payer leurs suppléants quand ils sont absents ; tandis que les juges, les présidents de tribunaux, les conseillers, etc., sont suppléés gratis pendant leur absence, et touchent, de cette manière, leurs traitements et leur indemnité de membres de cette chambre. Vous conviendrez que leur position est un peu plus avantageuse que celle des commissaires de district, car ils sont déclarés inamovibles et ils sont doublement rétribués. Je ne veux pas dire pour cela que ces honorables fonctionnaires ne sont pas désintéressés, mais on devrait s’abstenir d’insinuer constamment que les commissaires de district jouissent d’une sinécure.
M. de Brouckere, rapporteur. - Je n’ai que deux mots à dire. A entendre l’honorable préopinant, il y aurait des conseillers qui cumulent ; mais je suis dans cette assemblée le seul membre qui soit conseiller ; or, je n’ai jamais cumulé mon traitement avec l’indemnité de député, même quand j’étais député de Ruremonde qui est à 30 lieues d’ici.
M. Lardinois. - Je sais que vous avez votre domicile à Bruxelles ; mais un conseiller ou un président pourrait faire comme d’autres, aller se loger à Schaerbeck, et alors il toucherait l’indemnité allouée aux députés. (On rit.)
M. Devaux. - Je voudrais, messieurs, motiver en quelques mots l’opinion de la minorité de la commission dont j’ai fait partie.
Nous avons pensé que dans l’intérêt du gouvernement lui-même, le nombre des commissaires de district, dans cette enceinte, a atteint ou à peu près atteint sa limite raisonnable, mais nous ne désirons pas, nous regretterions même que ce nombre s’étendît au-delà de ce qu’il est. Toutefois la minorité de la commission a vu plus d’une difficulté à porter une loi pour atteindre un semblable but. Sous tous les rapports une mesure administrative prise par le gouvernement lui-même nous a paru préférable.
La première difficulté d’une mesure législative concerne la forme ; tous nous voudrions ne point expulser de la chambre les collègues actuels qui sont commissaires de district ; or, comment écrire cette exception toute personnelle, ce privilège dans une loi ? Ce serait tout au moins une grande bizarrerie législative, je doute qu’en législation régulière pareille chose se soit jamais vue.
Mais, au fond de la mesure prise législativement, il y a des difficultés plus sérieuses encore.
C’est qu’elle change complètement l’esprit, la base de notre législation électorale, c’est-à-dire, une des parties fondamentales de notre constitution.
Quel est, en effet, le principe de notre loi électorale ? Au fond c’est, je ne crains pas de le dire, l’infaillibilité présumée de l’électeur. On vous a cité l’Angleterre, la France, les constitutions d’Espagne et de Portugal, qui ont, dit-on, mis de semblables exceptions dans leurs lois. Quant à l’Angleterre, on a dit que tous les fonctionnaires amovibles étaient exclus du parlement : vous pouvez aisément vous assurer du contraire ; car vous savez que nous avons à Bruxelles même un fonctionnaire du corps diplomatique, qui fait partie de la chambre des communes. Pour l’Espagne et le Portugal, je ne sais de quelles constitutions on a voulu parler ; ce n’est pas du statut royal, ce n’est pas sans doute de celles que leurs partisans mêmes jugent impraticables et qu’ils sont occupés à modifier ; et quant à ses modifications mêmes nous les connaissons trop imparfaitement pour en parler, La France a dans sa législation électorale des incompatibilités analogues à celles qu’on nous propose ; mais remarquez-le bien, la législation électorale en France part d’un principe tout opposé à celui qui a dicté la nôtre.
Nos dispositions électorales s’appuient toutes sur cette fiction légale que l’électeur seul est juge de la bonté de son choix, qu’il a capacité pour cela, qu’il ne peut se tromper. Aussi n’a-t-on pris aucune précaution pour l’empêcher de s’égarer, point d’exclusion, point de cens d’éligibilité. L’électeur choisit où il veut, qui il veut, sans que la loi mette ni obstacle, ni limite à la liberté de son choix.
En France on ne part pas de cette idée que l’électeur est infaillible ; on suppose au contraire que l’électeur est facile à égarer : de là les exclusions, les incompatibilités ; de là surtout le cens d’éligibilité. Ce qu’on vous propose aujourd’hui c’est donc le changement d’une des bases principales de notre loi électorale, la capacité présumée de l’électeur : c’est un premier pas dans le système français, dans le système du cens d’éligibilité.
Vous vous rappellerez que, dans la discussion de la loi provinciale et communale, ceux qui soutiennent la proposition dont il s’agit aujourd’hui, ont porté si loin le système de l’infaillibilité présumée de l’électeur, qu’ils ont fait repousser par la chambre la dissolution des corps communaux et provinciaux, la dissolution qui n’est cependant qu’un appel de l’électeur à l’électeur même.
On me dira que la loi de la cour des comptes et celle qui organise la cour de cassation ont établi déjà deux exceptions à ce principe. Remarquez bien la différence. Pourquoi les membres de la cour de cassation ont-ils été exclus des chambres ? parce que, a-t-on dit, il ne pourrait plus juger impartialement les ministres après avoir voté déjà pour ou contre l’accusation dans la chambre. Pourquoi les conseillers de la cour des comptes ont-ils été exclus ? parce qu’on a voulu que, nous rendant leurs comptes, ils ne fussent pas indépendants des chambres ni sur le pied d’égalité avec elles. Ce n’est pas comme mauvais députés, comme députés mal choisis par l’électeur que les conseillers de la cour de cassation et de la cour des comptes ont été écartés des chambres ; ce sont au contraire les députés qui ont été exclus de ces deux cours comme mauvais conseillers.
Ici au contraire, c’est comme mauvais députés, comme députés mal choisis qu’on veut exclure les commissaires de district de la représentation nationale. On craint donc que les électeurs ne se trompent, on met donc en question l’infaillibilité légale des électeurs ; à mon avis, écrire cela dans la loi, c’est faire un premier pas vers le cens d’éligibilité, c’est déclarer qu’il faut pour être député d’autres garanties que la confiance des électeurs. Je le répète, je ne discute pas ce système en lui-même Je ne dis pas s’il est bon ou s’il est mauvais : si même on venait un jour le mettre tout entier aux voix, quoique je ne me plaigne pas de ce qui existe, j’en serais probablement un adversaire moins passionné que ceux qui veulent nous y faire entrer aujourd’hui. Mais je dis qu’un pareil changement est chose grave. N’oublions pas que la loi électorale est la législation la plus sérieuse d’un gouvernement tel que le nôtre ; avant d’y toucher, avant d’y faire brèche, il faut y songer mûrement ; surtout cela ne peut se faire incidemment, sans préparation, sans qu’on ait eu le temps d’en apercevoir les conséquences, alors que la chambre est pressée de se dissoudre, et soumise aux préoccupations d’une élection prochaine.
Le mal d’ailleurs n’est pas tel qu’un délai de quelques mois, qu’une élection de plus peut-être doive le rendre irréparable ; il est impossible que le gouvernement ne sente pas que le nombre des commissaires de district, faisant partie de la chambre, ne peut pas, dans son intérêt bien entendu, dépasser de beaucoup ses limites actuelles, et qu’il n’en vienne pas à prendre lui-même une mesure dans ce sens. De cette manière, on préviendrait le mal que l’on craint, sans donnera aux inconvénients qui résulteraient de l’adoption de la proposition forme législative : une mesure administrative peut beaucoup plus convenablement qu’une loi maintenir des exceptions personnelles en faveur des membres actuels de la chambre qui exercent les fonctions de commissaire de district, et elle a le grand avantage de laisser la législation actuelle intacte. C’est dans ce sens que je voterai contre la proposition.
M. Dubus. - Messieurs, à en croire l’honorable préopinant, l’adoption de la proposition de mon honorable ami ne serait rien moins qu’un changement à la loi électorale, loi qui est fondée sur le principe de l’infaillibilité des électeurs, tandis que la proposition serait une mesure de défiance envers les électeurs. Il est si vrai, messieurs, que cette proposition ne porte pas la moindre atteinte à l’indépendance des électeurs qu’elle ne les empêcherait en rien de choisir des commissaires de district pour les représenter au sein de l’une ou de l’autre chambre ; le seul but de la loi qui nous est proposée, c’est d’empêcher les commissaires de district de faire usage dans leur intérêt personnel de l’influence que leur donnent sur les électeurs les lois communale et provinciale ; cela est tellement exact que la proposition ne s’oppose nullement à ce que les commissaires de district élus par un autre district que celui où ils exercent leurs fonctions, fassent partie de la chambre où ils auraient été envoyés par les électeurs. Un commissaire de district élu, par exemple, par la localité où il est né et où il doit être aussi connu que dans celle qu’il administre, pourra sans le moindre empêchement cumuler les fonctions législatives avec les fonctions administratives, parce que dans ce cas il sera manifeste qu’il ne devra pas son élection à l’influence que lui donnent les lois dont j’ai parlé tout à l’heure, lois auxquelles je me glorifie de ne pas avoir donné mon assentiment.
Je m’étonne que l’honorable préopinant, ainsi que d’autres orateurs aient présenté la proposition comme n’ayant pas subi un examen assez approfondi : il y a deux ans que cette proposition a été présentée à la chambre, et alors l’honorable membre qui voudrait aujourd’hui l’ajourner comme n’ayant pas été assez mûrement examiné, n’a pas hésite à la trouver suffisamment mûrie, il n’a pas hésité à la rejeter ; or, il me semble que si la proposition était alors assez mûrie pour que le préopinant la repoussât par un vote négatif, elle l’est aussi suffisamment pour que ceux qui ne partagent pas son opinion l’admettent aujourd’hui par un vote approbatif.
L’honorable préopinant invite le gouvernement à prendre un peu plus tôt ou un peu plus tard une mesure administrative, pour parer l’abus dont il s’agit, abus qu’il ne reconnaît pas, mais qui selon lui n’exigerait pas une mesure immédiate ; il me semble cependant que le gouvernement a pensé qu’il y eût une mesure immédiate à prendre, puisque, si le fait qu’on a cité est vrai, le gouvernement, lors de la nomination récente de deux commissaires de district, leur aurait imposé la condition de ne point accepter de candidature pour la chambre. Du reste je ne suis pas du tout partisan de la mesure administrative dont parle l’honorable préopinant ; car, d’après les deux mots qu’en a dits M. le ministre de l'intérieur, une semblable mesure serait peut-être ce qu’il y aurait de pis : selon M. le ministre de l'intérieur, cette mesure serait prise pour les moments où le besoin d’un plus grand nombre de fonctionnaires administratifs ne se ferait pas sentir à la chambre ; cette mesure comporterait des exceptions, de sorte qu’en dernière analyse le système dont il s’agit reviendrait à ceci : « Il convient au gouvernement que les 44 commissaires de district ne soient en position de se faire élire chacun, dans la localité qu’ils administrent, que pour autant qu’il leur en ait donné la permission. » De sorte que la dépendance de ces fonctionnaires serait encore bien plus grande qu’aujourd’hui, qu’elle ne se bornerait pas leurs rapports actuels avec le gouvernement, mais qu’elle s’étendrait d’autant qu’ils ne pourraient pas accepter une candidature pour l’une ou l’autre chambre sans sa permission. Je suis intimement convaincu qu’un système semblable serait réellement ce qu’il pourrait y avoir de pis.
Quant à ce qu’a dit l’orateur qui a parlé avant le préopinant, qu’une proposition analogue à celle qui est en ce moment présentée à la chambre aurait été soumise à la section centrale du congrès et rejetée par elle, c’est là, messieurs, une erreur manifeste qui a été relevée en 1832 par le ministre de la justice, lequel a démontré alors de la manière la plus complète que la loi peut établir des incompatibilités en cette matière sans être aucunement en opposition ni avec la constitution, ni avec l’esprit dans lequel la constitution a été faite ; il résulte uniquement du rapport de la section centrale du congrès qu’on n’a pas voulu d’incompatibilité constitutionnelle, mais il résulte également du rapport au congrès, huit jours après, sur la loi relative à la cour ces comptes, qu’ont a voulu laisser à la législature ordinaire le soin d’établir des incompatibilités qu’une loi pourrait créer et qu’une autre loi pourrait supprimer. Je m’abstiendrai de développer cette thèse à l’égard de laquelle la discussion de 1832 ne laisse rien à désirer.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, l’honorable préopinant a mal interprété ce que j’ai dit tout à l’heure. Il ne pense pas sans doute qu’il y ait de l’arbitraire à ce que le gouvernement ait exigé de deux commissaires de district, nommés à l’approche des élections, qu’ils ne se missent pas sur les rangs pour être nommés ; ce n’est point là ce que peut me reprocher l’honorable membre ; je n’ai cependant nullement annoncé que, si le gouvernement se décidait plus tard à prendre une mesure relativement à la résidence des commissaires de district, il permettrait aux uns de siéger à la chambre, et le défendrait aux autres ; je ne conçois pas comment l’honorable député de Tournay a pu inférer de mes paroles que le gouvernement eût l’intention d’agir d’une manière aussi arbitraire.
M. Lardinois. - Je croyais, messieurs, que les orateurs qui ont traité la question politique auraient au moins soulevé aussi la question constitutionnelle ; cela n’étant pas, je crois qu’il est de mon devoir de dire encore un mot de la proposition, considérée sous ce rapport. Je considère, messieurs, le projet comme tout à fait inconstitutionnel, et il est un fait, c’est que la constitution a établi des conditions d’éligibilité, qu’il avait été proposé une incompatibilité, et qu’elle a été rejetée par le congrès. L’honorable M. Dubus prétend que le congrès a seulement voulu qu’il n’y eût point d’incompatibilités constitutionnelles, et il en cherche la preuve dans la loi relative à la cour des comptes : je ferai observer que cette loi a été promulguée le 30 décembre 1830, tandis que la constitution n’a été décrétée que le 7 février 1831 ; c’est donc après la promulgation de la loi relative à la cour des comptes que le congrès national a décrété qu’il n’y aurait pas d’incompatibilités, et qu’il n’y aurait pas d’autres conditions pour être éligible que celles qui sont déterminées dans l’article 50 de la constitution.
De toutes parts. - Aux voix ! aux voix ! La clôture ! la clôture.
- La clôture est prononcée
Il est procédé au vote par appel nominai sur l’article unique du projet de loi.
En voici le résultat
85 membres prennent part au vote.
2 s’abstiennent. (MM. Mast de Vries et C. Rodenbach.)
43 répondent oui.
42 répondent non.
En conséquence le projet de loi est adopte et sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Andries, Berger, Corneli, Cornet de Grez, Dams, David, de Brouckere, Dechamps, de Meer de Moorsel, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, Doignon, Dolez, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Frison,, Gendebien, Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Kervyn, Liedts, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet, Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Troye, Vandenbossche, Vanden Wiele, Vergauwen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke,Wallaert, Watlet et Zoude.
Ont répondu non : MM. Brabant, Coghen, de Jaegher, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Donny, Dubois, Duvivier, Ernst, Fallon, Goblet, Heptia, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Meeus, Milcamps, Nothomb, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, Willmar et Raikem.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Mast de Vries. - Messieurs, j’avais admis une partie du principe dans la commission ; mais mon vote aurait quelque chose de spécial vis-à-vis des droits de l’honorable fonctionnaire de Malines, député d’un autre district.
M. C. Rodenbach. - Messieurs, voter contre la loi eût été, comme partie en cause, agir dans un intérêt purement personnel, d’autant plus que j’ai cherché, dans mon discours, à prouver qu’il y avait de l’indélicatesse à se prononcer dans une affaire dans laquelle on est juge et partie ; voter pour était, suivant moi, me rendre complice d’une véritable spoliation en matière électorale, et faire supposer que j’ai eu pour but d’écarter un concurrent, commissaire de district dans la contrée dont j’ai l’honneur d’être le représentant.
C’est pour ces motifs qui me paraissent plausibles et conséquents que j’ai cru devoir m’abstenir.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, les rédacteurs et éditeurs des journaux de Bruxelles ont adressé à la chambre une pétition à laquelle ont adhéré les rédacteurs et éditeurs des journaux de province ; cette pétition tend à obtenir suppression ou une diminution du timbre dont les feuilles périodiques sont frappées.
Je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport. Je rappellerai, messieurs, que M. le ministre des finances nous a formellement promis en 1834 qu’une réduction serait opérée sur le timbre des journaux.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, si j’ai bien compris l’honorable préopinant, au milieu du bruit qui règne dans l’assemblée, il demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur les diverses pétitions qui vous ont été adressées, ayant pour objet une réduction du timbre sur les journaux.
Je pense, messieurs, que la chambre est si rapprochée du terme de ses travaux que, selon toute apparence, la commission n’aurait pas le temps de lui présenter un rapport, quelque célérité qu’elle y mît.
Au reste, je n’ai pas pris la parole pour m’opposer à la motion de l’honorable M. Rodenbach, mais pour faire connaître à la chambre que, bien avant qu’elle eût reçu les pétitions des rédacteurs et éditeurs de journaux, je m’étais occupé de la question qui les concerne, Dans mon opinion, il y a lieu d’apporter une amélioration à la position de la presse périodique, et j’ai l’espoir que, dans le cours de la session extraordinaire que le gouvernement a pris l’engagement de convoquer pendant l’été, je pourrai présentera la chambre une disposition en faveur des éditeurs de journaux. (Très bien.)
Je pense, messieurs, que l’engagement que je prends à cet égard doit satisfaire pleinement l’honorable préopinant, et qu’il peut remplacer un rapport de la commission sur les conclusions duquel il vous serait impossible de délibérer avant la clôture de la session.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je me déclare satisfait de la promesse que vient de nous faire M. le ministre des finances. Les éditeurs et rédacteurs de journaux sont d’autant plus dignes d’intérêt que si leur position n’a pas été améliorée immédiatement après la révolution, ç’a été un effet de leur volonté et de leur patriotisme. Au moment de la révolution, je me trouvais à Bruxelles, j’avais des relations avec les publicistes, et je crus devoir proposer au gouvernement provisoire la législation américaine, la suppression entière du timbre sur les journaux. Cette suppression me paraissait de droit, en présence de la liberté d’enseignement qui venait d’être proclamée et dont la conséquence était la liberté de la presse. Eh bien, messieurs, les journalistes n’ont pas voulu alors de cette suppression ; ils disaient : Le gouvernement a besoin de fonds pour combattre notre ennemi et le chasser de la Belgique ; nous songerons plus tard à nos intérêts. Plus de 6 ans se sont écoules depuis lors, et l’industrie du journalisme est restée frappée d’un impôt de plus de 300 p. c. sur ses bénéfices, non compris la patente. La taxe sur le timbre est de 20 p. c. plus élevée en Belgique qu’en France, malgré que dans ce dernier pays la presse s’adresse à une population huit fois plus forte qu’ici. Il est à remarquer de plus que chez nos voisins chacun lit le français, alors qu’en Belgique trois langues sont en usage. Nos bulletins de loi sont même traduits en flamand ainsi qu’en allemand.
Je le répète, messieurs, y a-t-il en Belgique une seule industrie qui soit frappée d’un impôt aussi écrasant que celui qu’a supporté jusqu’à présent la presse périodique ? Je défie que l’on m’en cite un exemple. Il est donc plus que temps de faire disparaître une aussi injuste disproportion dans l’assiette de nos impôts.
M. Gendebien. - Messieurs, vous voudrez bien vous rappeler que lors de la discussion du budget du département des travaux publics on a négligé de porter dans ce budget une somme de 300,000 francs, pour secours en faveur de tous ceux qui ont eu à souffrir des résultats de la guerre et de la révolution.
La suppression ou plutôt l’ajournement de ce crédit a eu lieu, parce que la chambre pensait qu’elle pourrait s’occuper dans un court délai de la loi concernant les indemnités ; or, nous n’avons pu jusqu’ici aborder la discussion de ce projet.
Je crois qu’il importe dès lors que le gouvernement nous demande un crédit supplémentaire qui le mette à même de faire cette année ce qui a été fait les années précédentes en faveur des victimes de la guerre et de la révolution.
Je désirerais donc que le gouvernement nous proposât demain un projet de loi que nous pussions voter immédiatement.
La chambre n’a pas été dessaisie ; le premier projet, je ne le considère que comme ajourné, puisque ce n’est qu’en raison de la discussion prochaine de la loi d’indemnité qu’on n’a pas voté la somme pétitionnée au budget.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Si la somme était votée maintenant, elle ne serait pas répartie avant l’hiver. C’est la marche qu’on a suivie pour les secours votés les années précédentes. La répartition ne s’est faite qu’au commencement de l’hiver ; la dernière même s’est faite presque au milieu de l’hiver. Rien n’empêchera la chambre, si la loi d’indemnité n’est pas votée dans la session d’été, de voter un secours de 300,000 francs, qui sera reparti au commencement de l’hiver prochain. Le but qu’on se propose sera de cette manière atteint.
M. Gendebien. - Personne n’ignore le temps que le gouvernement prend pour faire cette répartition. Le ministre lui-même vient de vous dire combien il y a eu de retard. Je crois que si l’on veut que la somme que l’on votera soit reportée au commencement de l’hiver prochain, il est temps de s’en occuper dès à présent. Je demande si le gouvernement s’oppose si la proposition que je fais aujourd’hui, car demain j’appellerai la chambre à la voter.
M. Rogier. - Lorsque l’honorable membre qui avait proposé d’allouer une somme pour venir au secours des victimes de l’agression hollandaise a retiré sa proposition, ce fut dans le but d’obtenir la discussion de la loi d’indemnité. Nous n’avons pas renoncé à l’espoir de voir voter cette loi cette année. Les motifs qui ont fait ajourner la demande de secours subsistent donc encore aujourd’hui. Si nous avons une session d’été, on pourra voter la loi d’indemnité ou porter au budget le secours de 300,000 fr. On aura cinq mois pour procéder à la répartition. Ce temps est plus que suffisant, attendu que le travail antérieur pourra servir pour la répartition prochaine.
L’honorable membre devrait donc ajourner sa proposition jusqu’à la session prochaine ; nous pourrons la voter, si on ne prend pas un parti sur la question des indemnités.
M. Gendebien. - Il n’y a pas plus de quatre ou cinq semaines qu’on a fait la répartition de la somme allouée en décembre 1835 ou janvier 1836. Il faut donc un temps moral au gouvernement pour faire cette répartition, car voilà deux fois qu’un si long retard a lieu.
Il me semble que la province d’Anvers a le plus grand intérêt à ce que ma proposition soit adoptée ; mais puisqu’un député, le gouverneur même de cette province, s’y oppose, je n’insiste pas ; je suis déchargé comme citoyen et comme député de la responsabilité de l’oubli ou du refus de venir au secours des victimes des inondations ; je laisse peser cette responsabilité sur ceux qui s’opposent à ma proposition.
M. le président. - Voici le projet du gouvernement :
« Vu la loi du 1er mai 1834, décrétant l’établissement d’un système de chemins de fer ayant pour point central Malines, et se dirigeant à l’est vers la frontière de Prusse, par Louvain, Liége et Verviers ; au nord sur Anvers ; à l’ouest sur Ostende, par Termonde, Gand et Bruges, et au midi sur Bruxelles et vers la frontière de France par le Hainaut ;
« Voulant donner une première extension à la loi du 1er mai 1834, par la continuation du chemin de fer de Gand vers Lille ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Il sera établi, aux frais de l’Etat, un chemin de fer de Gand la frontière de France par Courtray, avec un embranchement sur Tournay.
« Art. 2. Il sera pourvu à cette dépense par les moyens qui ont été ou qui seront mis à la disposition du gouvernement pour l’exécution de la loi du 1er mai 1834. »
Celui que propose la commission est ainsi conçu :
« Vu la loi du 1er mai 1834, décrétant l’établissement d’un système de chemins de fer ayant pour point central Malines, et se dirigeant à l’est vers la frontière de Prusse, par Louvain, Liége et Verviers ; au nord sur Anvers ; à l’ouest sur Ostende, par Termonde, Gand et Bruges, et au midi sur Bruxelles et vers la frontière de France par le Hainaut ;
« Voulant donner une première extension à la loi du 1er mai 1834,
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit
« Art. 1er. Il sera établi, aux frais de l’Etat, un chemin de fer de Gand à la frontière de France et à Tournay, ter Courtray.
« Art. 2. La ville de Namur et les provinces de Limbourg et de Luxembourg seront également rattachées par un chemin de fer, construit aux frais de l’Etat, au système décrété par la loi du 1er mai 1834.
« Art. 3. Il sera pourvu à cette dépense par les moyens qui ont été ou qui seront mis à la disposition du gouvernement pour l’exécution de la loi du 1er mai 1834. »
MM. Frison, Gendebien, Dubus, de Puydt, Troye, Goblet, Dolez, Duvivier, Pirmez proposent d’ajouter à l’article 1er un deuxième paragraphe ainsi conçu :
« Néanmoins, cette communication nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution que quand toutes les branches du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834 seront en construction ou auront été adjugées, de manière que leur exécution soit assurée.
M. A. Rodenbach a déposé l’amendement suivant :
« Il sera établi, aux frais de l’Etat, un chemin de fer de Gand à la frontière de France et à Tournay par Courtray, avec embranchement sur Roulers par la vallée d’Iseghem et d’Engelmunster. »
La discussion générale est ouverte.
Si personne ne demande la parole, je la déclarerai fermée.
Nous passerons à la discussion des articles.
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la commission ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je me rallie à l’art. 1er ; je me réserve de demander des explications sur l’amendement proposé à l’art. 1er et sur l’art. 2.
M. Liedts. - Je demande la parole.
Je ne comprends pas cette grande précipitation qu’on veut mettre à la discussion d’uen loi aussi importante. Dans l’état où était l’assemblée, chacun pensait qu’on ne la discuterait que demain, et un grand nombre de nos collègues sont partis dans cette persuasion.
Nous nous sommes traînés sur une foule de lois peu importantes pendant le cours de cette session, et maintenant que nous arrivons à la fin, on veut nous faire voter presque au galop les lois les plus importantes. Nous serons encore en nombre demain ; on pourra discuter la loi dont il s’agit, et on aura eu le temps de l’examiner.
M. F. de Mérode. - Rien n’empêchera de continuer la discussion à demain, mais on peut toujours la commencer aujourd’hui. De ce qu’on se sera occupé de cette loi aujourd’hui, ce n’est pas une raison pour qu’on la vote dans cette séance.
M. le président. - M. de Puydt a la parole pour développer son amendement.
M. de Puydt. - Messieurs, lors de la discussion qui a en lieu en 1834, une grande question de principe a été débattue. Il s’agissait de décider si l’exécution des travaux serait faite par le gouvernement ou si la concession en serait faite à l’industrie particulière.
Cette question a dominé toute la discussion ; c’est sur ce seul point que nous, députés du Hainaut, avons porté toute notre attention. Nous n’avons pas fait opposition à l’établissement de chemins de fer dans le pays, mais nous avons voulu l’exécution par l’industrie particulière.
La chambre a décidé la question en faveur du gouvernement ; dès lors pour tout le monde la question était jugée : mais il n’est pas exact de dire, comme on l’avance dans le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi pour le chemin de fer de Gand à Lille, que nous ayons manqué des lumières de l’expérience pour discuter la question du mode d’exécution. Je crois, au contraire, que jamais principe théorique n’a été appuyé de plus d’expériences et surtout de plus d’expériences concluantes que celui soutenu par les députés du Hainaut. Il serait fastidieux de revenir sur les exemples que nous offrent l’Angleterre et l’Amérique, et de rappeler les nombreux, les importants travaux exécutés avec tant de succès et tant d’utilité dans ces pays par des compagnies. Nous ne voulons pas recommencer une lutte qui n’aurait plus d’objet, et cependant je n’admets pas que l’expérience commencée par le gouvernement soit un argument en sa faveur. Je dirai qu’il est prudent d’attendre la fin de l’exécution pour juger le résultat définitif.
L’opinion des députés du Hainaut ou au moins de ceux qui ont soutenu leur opinion en connaissance de cause et avec conviction est restée la même. Il se peut que quelques-uns de ceux qui ont en 1834 soutenu la question de principe dont il s’agit aient renoncé à leur opinion, mais je ne crois pas qu’il faille rien en conclure en faveur de leur manière de voir actuelle. S’ils ont renoncé à des principes, c’est qu’ils avaient adopté ces principes sans conviction, et si nous conservons au contraire nos opinions premières, c’est que nous avions comme nous avons encore une conviction profonde, conviction raisonnée et fondée sur l’expérience.
J’en viens aux motifs de mon amendement.
Ce que nous avons craint le plus à l’époque que je viens de rappeler, c’est une des conséquences du projet conçu par MM. Simons et de Ridder.
Vous vous rappellerez que le premier projet présenté par ces ingénieurs n’avait d’abord pour objet que l’exécution d’un chemin de fer destiné à réunir Anvers à la frontière prussIenne. Ce projet avait un double but : l’un d’amener sur le marché d’Anvers les charbons de Liège, l’autre de favoriser le transit des marchandises étrangères vers l’Allemagne. Conçus de la sorte, ce projet était évidemment hostile au Hainaut en ce que les charbons des districts de Charleroy et de Mons se trouvaient exclus du marché d’Anvers : exclusion tout à fait dans l’intention des auteurs du projet, ainsi que cela résulte du mémoire publié par eux et de la discussion de la loi du 1er mai.
Dans la section centrale chargée de ce projet, on a complété le système tel qu’il est aujourd’hui, en ajoutant à l’art. 1er de la loi que le chemin de fer se dirigerait : « à l’ouest, sur Ostende, par Termonde, Gand et Bruges, et au midi, sur Bruxelles et vers les frontières de France, par le Hainaut. »
La loi du 1er mai 1834 est donc le projet de la chambre et de la section centrale, et non le projet tel qu’il avait été présenté par le gouvernement.
Cette intention hostile contre une partie du Hainaut n’a pas été complètement neutralisée par la loi votée ; car jusqu’ici on s’en est tenu au projet primitif. Il suffit, pour s’en convaincre, de faire attention à ce qui s’est passé depuis 1834. Bien que la loi ait fait une obligation au gouvernement de l’établissement de l’embranchement par le Hainaut, il n’y a eu à cet égard aucune exécution et même aucune étude, et si une société particulière n’était venue à la traverse avec un projet de route vers Paris, ce qui remplit tout le but, peut-être en serions-nous encore à attendre de la part de l’administration des travaux publics une première manifestation de son intention d’exécuter cette partie du système de la loi du 1er mai ; car jusque-là les ingénieurs, si actifs sur d’autres directions, ont constamment opposé la force d’inertie à l’impatience et aux réclamations du Hainaut.
Depuis qu’une société particulière a présenté un projet dont je viens de parler, depuis que le gouvernement a vu qu’il avait une rivalité à combattre, qu’est-il advenu ? Deux directions sont proposées : l’une, par la société particulière ; l’autre, par les agents du gouvernement. Entre ces deux directions, il y a un choix à faire. Pour déterminer à laquelle on donnera la préférence, on a institué une commission. Je ne dis pas que cette commission n’arrivera pas à un résultat quelconque ; mais ce résultat, on ne l’obtiendra pas de suite ; car de tous les moyens de solution en pareil cas, les commissions sont les plus lents ; il est donc à craindre que ce ne soit pas avant six mois, avant un an peut-être, que la commission ait examiné les deux projets qu’elle est appelée à comparer, et c’est là une circonstance qui favorise singulièrement le mauvais vouloir de ceux qui ont jusqu’à présent et volontairement retardé l’embranchement du Hainaut, de ceux qui voulaient anéantir la concurrence du Hainaut sur le marché d’Anvers, ainsi que cela a été dit dans le temps.
Si, dans l’intervalle qui s’écoulera jusqu’à la décision de la commission, nous votons la loi nouvelle que le gouvernement nous propose, si nous autorisons la construction d’un chemin de fer de Gand à Lille, il y a presque certitude que rien ne sera fait pour le Hainaut ; et lorsque l’on aura construit le chemin de fer dont il s’agit aujourd’hui, on viendra dire que le but étant d’établir une communication avec la France, ce but est atteint par l’exécution du chemin de fer de Lille à Gand, et que par conséquent il est inutile d’exécuter l’embranchement par le Hainaut, dont parle la loi du 1er mai 1834. Ce sont ces considérations qui nous ont déterminés à présenter l’amendement que nous avons eu l’honneur de déposer sur le bureau. Il est ainsi conçu :
« Néanmoins, cette communication nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution que quand toutes les branches du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834 seront en construction ou auront été adjugées, de manière que leur exécution soit assurée. »
Il n’y a là rien que de juste, puisque, avant de songer à faire de nouveaux chemins de fer et à donner au gouvernement le pouvoir de les exécuter, il faut commencer par compléter le système voté en 1834. Ce système a été déterminé en raison des besoins qui réclamaient l’exécution prompte de toutes ces parties du chemin de fer. Commençons par faire en sorte que ces premiers besoins soient satisfaits. Il y a priorité et urgence, et le Hainaut est fondé à demander qu’on exécute d’abord ce qui est décidé depuis trois ans.
Vous sentirez, messieurs, toute l’équité de notre proposition ; je ne doute pas qu’elle n’ait l’assentiment de la chambre.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il n’est jamais entré dans l’intention du gouvernement d’abandonner l’exécution de la loi du 1er mai 1834 en ce qui concerne l’embranchement du Hainaut.
L’honorable préopinant lui-même vous a rappelé quelle difficulté a jusqu’à présent retardé le commencement des travaux. Le gouvernement a fait tout ce qu’il était possible de faire en semblable occurrence. Il a nommé une commission d’enquête ; pouvais-je décider à moi seul cette question dans le cabinet, en ne consultant que les mémoires des ingénieurs ?
Ne me serait-je pas exposé aux plus graves reproches ?
Ne m’a-t-on pas, dans cette chambre même, convié à instituer une enquête ?
L’amendement me suggère deux observations de style en quelque sorte. Il porte : « Néanmoins cette communication nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution ? » Que faut-il entendre pas ces mots : Commencement d’exécution » ? Est-ce que cet amendement interdit toute étude, toute levée de plan, toute expropriation ? Ou n’interdit-il que l’adjudication des travaux proprement dits ? Ne pourrait-on pas faire les études préparatoires dans les Flandres et dans le Hainaut ? Les études pour les deux routes seraient terminées vers la même époque. La mise à exécution aurait ainsi lieu simultanément. C’est ainsi, je pense, qu’il faut entendre l’amendement : « Cette communication nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution … » c’est-à-dire, d’exécution matérielle des travaux.
Il me semble, en second lieu, que les honorables rédacteurs de l’amendement vont beaucoup plus loin que le suppose l’un d’eux, l’honorable préopinant dans ses explications.
L’amendement porte :
« Néanmoins, cette communication nouvelle ne pourra recevoir un commencement d’exécution que quand toutes les branches du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834 seront en construction ou auront été adjugées, de manière que leur exécution soit assurée. »
Et cependant, d’après l’explication de l’honorable préopinant, il suffirait que l’embranchement du Hainaut fût exécuté ou eût été adjugé.
Cette observation a une certaine importance parce qu’il y a une section du chemin de fer où malheureusement un obstacle se rencontre, obstacle que le gouvernement cherche à lever. C’est la section du chemin de fer de Liège vers la frontière de Prusse.
« Malheureusement, au-delà de Liège (ai-je dit dans le compte-rendu), la concession de la route de la Vesdre prépare peut-être les plus sérieuses difficultés à l’administration. »
En effet l’administration a à examiner s’il lui faut racheter intégralement la concession de la route de la Vesdre ou n’opérer qu’une expropriation partielle. L’administration a à opter entre ces deux partis dont les avantages et les inconvénients de plus d’un genre doivent être mûrement pesés.
Ainsi l’honorable préopinant serait satisfait si l’amendement était rédigé de la manière suivante :
« Néanmoins, les travaux de cette communication nouvelle ne pourront recevoir un commencement d’exécution que quand l’embranchement du Hainaut décrété par la loi du 1er mai 1834 sera en construction ou aura été adjugé, de manière que son exécution soit assurée. »
Je n’entends pas dire par là que la section de Liège vers la frontière prussienne est ajournée ; je me borne à signaler l’obstacle.
Ce qui doit rassurer les auteurs de l’amendement, c’est le projet de chemin de fer tel qu’il a été conçu en France pour rejoindre la frontière belge. D’après le plan annexé au projet de loi, plan que je tiens en main, le chemin part de Paris, se partage en quelque sorte en deux, si je puis m’exprimer ainsi, à Douai, d’où un embranchement se dirige vers la frontière belge par Valenciennes, et un autre embranchement vers la frontière belge par Lille. Ces deux embranchements seront mis à exécution pour le même système de transport.
Si, comme paraît le craindre l’honorable préopinant, le gouvernement belge abandonnait la section du Hainaut vers Valenciennes, il y aurait en quelque sorte une impasse pour cette partie du chemin de fer français. Aussi, le plan tel qu’il est conçu en France, est en quelque sorte une garantie pour les habitants du Hainaut. Les deux gouvernements, l’un par voie de concessions, l’autre aux frais de l’Etat, iront se rejoindre sur deux points de la frontière.
Le but de l’amendement, restreint dans les termes que j’ai indiqués, ne m’effraie donc pas ; mais l’amendement est-il nécessaire ? N’est-ce pas une précaution surabondante ?
Nous avons six stations en construction ; c’est tout au plus si cette année, avant le mois de septembre, on pourra mettre en adjudication la section si nécessaire de Bruges à Ostende. Les adjudications trop multipliées feraient même hausser à un point extraordinaire la main-d’œuvre. Les adjudications ne doivent point se faire prématurément ; il ne faut pas l’exiger de l’administration.
Le reproche que j’ai à faire à l’amendement, c’est d’être inutile.
Les circonstances sont telles, que les choses se passeront comme le désirent les auteurs de la proposition.
M. le président. - M. A. Rodenbach demande un embranchement de Courtray à Roulers.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je ne veux pas d’autre preuve que cet embranchement sera utile et d’un grand rapport pour le gouvernement, c’est qu’une demande en concession a été faite pour la construction du chemin de fer de Mons à Tournay, Courtray et Roulers.
L’embranchement que je demande ne coûtera pas au-delà de 1,200,000 fr., et tout fait croire que les bénéfices ne seront pas moins de 10 p. c.
Dans une de nos précédentes séances, j’ai dit que la moitié de la Flandre occidentale était obligée de tirer ses engrais, ses pierres, ses cendres, la chaux pour bâtir et pour engrais, du Hainaut. Roulers et sa banlieue ont besoin des matières pondéreuses que produit le Hainaut, et, par défaut de communication, elles y reviennent à un prix beaucoup trop élevé. A Roulers, par exemple, le charbon vaut 2 fr. 75 c., tandis qu’un peu plus près du Hainaut il ne vaut que 1 fr. 25 c.
J’ai déjà fait valoir l’utilité de l’embranchement que je demande, dans d’autres discussions ; et puisque aujourd’hui on admet l’embranchement de Tournay à Courtray, on doit appliquer le même principe pour Roulers, surtout si l’on considère que ce dernier embranchement procurera de grands bénéfices.
M. Dumortier. - Je ferai observer que l’amendement présenté par nos honorables collègues est de nature à renverser la loi. Il est des sections du chemin de fer, vers la Prusse, qui ne seront pas exécutées avant deux ans ; ainsi vous mettriez le gouvernement dans l’impossibilité de satisfaire aux besoins des populations. D’ailleurs les craintes de nos honorables collègues ne sont pas fondées : on nous a montré le plan du chemin de fer que la France va décréter ; il a un embranchement sur Valenciennes ; il faudra rejoindre cet embranchement ; le chemin de fer par le Hainaut est donc chose indispensable. Il est inutile d’insérer dans la loi une disposition qui empêcherait d’établir des relations entre Tournay et Courtray, et qui n’aurait pas d’autre effet.
M. de Puydt. - Il n’est pas dans notre intention de rien empêcher.
Nous entendons par branches du système décrété en mai les sections de Malines vers Anvers, de Malines vers Liége, de Malines vers Ostende, de Malines vers la France ; la première est terminée, deux autres de ces branches sont en construction ; il ne reste à commencer que la branche qui va sur le Hainaut. Cette explication doit rassurer. Encore une fois nous ne voulons pas empêcher d’établir des communications.
Pour éviter de plus longs débats, nous restreignons notre amendement dans les termes proposés par le ministre des travaux publics ; nous ne considérons pas les travaux préparatoires comme des travaux d’exécution ; il ne s’agit ici que de l’exécution matérielle du chemin de fer.
- La séance est levée à quatre heures et demie.