(Moniteur belge n°131, du 11 mai 1837 et Moniteur belge n°132, du 12 mai 1837)
(Moniteur belge n°131, du 11 mai 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen fait l’appel nominal à 2 heures.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Charles Vandenbusch, négociant à Tongres, demande la naturalisation ordinaire, en remplacement de la grande naturalisation, primitivement demandée. »
« Le sieur Quanonne-Goudeman, fabricant de la bougie de stéarine, demande que la matière première, la stéarine produite de suif, soit tarifée et frappée d’une augmentation de droit. »
« Le sieur A. Neut, rédacteur du Constitutionnel des Flandres, déclare adhérer à la pétition des journalistes de Bruxelles tendant à obtenir l’abolition du droit de timbre sur les journaux. »
« Des habitants des communes rurales de la province de Liége adressent des observations relatives à la loi électorale, et en demandent le maintien. »
« Le conseil communal de la ville de Hasselt demande la réforme de la loi électorale. »
« Le sieur de Bourgogne, à Bruxelles, prie la chambre de s’occuper incontinent du projet de loi tendant à accorder un crédit supplémentaire au département des finances pour régler les créances arriérées de 1830 et 1831. »
- La pétition du sieur Vandenbusch est renvoyée à la commission des naturalisations. La pétition du sieur Quanonne-Goudeman restera déposée sur le bureau de la chambre pendant la discussion de la loi apportant des modifications au tarif des douanes. Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions chargée d’en faire rapport.
M. Liedts (pour une motion d’ordre). - Parmi les pétitions dont on vient de faire l’analyse, il s’en trouve une par laquelle un créancier de l’Etat demande que la chambre s’occupe des projets de loi allouant des crédits supplémentaires pour satisfaire quelques dettes arriérées de 1830 et 1831. Les rapports sur ces deux projets de loi ont été faits par M. Jadot et M. Dubus. La discussion de ces projets, si tant est qu’il y en ait une, ne durera que quelques instants.
Je demande qu’ils soient mis à l’ordre du jour après la loi que nous discutons.
Il s’agit de dettes légitimes et liquides. Si nous tardons plus longtemps à accorder les fonds nécessaires pour les payer, ces créanciers s’adresseront aux tribunaux, et l’Etat aura à payer, outre la créance, les frais du procès.
Il est de notre devoir, avant de nous ajourner, de voter encore ces petits bouts de loi.
M. de Brouckere. - Messieurs, hier nous avons reçu un bulletin portant les noms de 22 pétitionnaires qui se sont adressés à la chambre pour demander la naturalisation. Je prierai le bureau de mettre ces naturalisations à l’ordre du jour de demain ou d’après-demain.
M. Eloy de Burdinne. - Il est un autre objet non moins important que ceux dont on vient de vous entretenir. Nous sommes dans le cas de faire des dépenses, nous devons chercher les moyens de les couvrir.
L’impôt sur le sucre a disparu ; un projet sur cette matière a été renvoyé à une commission ; je désire qu’elle fasse son rapport dans le délai le plus rapproché ; car si on se prononce pour que cet impôt continue à être perçu, nous pourrons par là procurer au trésor des ressources considérables. Si au contraire la chambre se prononce pour que l’Etat ne perçoive plus cet impôt, nous aviserons à d’autres moyens. Ce qui est certain, c’est que deux industries attendent la solution de cette question importante.
Les raffineurs veulent savoir si on les laissera jouir de cet impôt, et les fabricants de sucre indigène veulent savoir si l’Etat percevra oui ou non l’impôt. Ces deux industries sont intéressées à la solution. C’est pourquoi je demande que la commission, chargée d’examiner le projet dont je viens de parler, soit invitée à faire son rapport. (Aux voix ! aux voix !)
- La proposition de M. Liedts est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. de Brouckere.
M. Dubus. - Je demande la parole.
Messieurs, le vote sur les naturalisations va nous prendre une heure et demie, que nous devons employer à discuter des lois plus importantes que des naturalisations. Nous nous occuperons des questions personnelles après, occupons-nous d’abord des intérêts généraux.
- La proposition de M. de Brouckere est mise aux voix. Elle n’est pas adoptée.
M. Mast de Vries. - Je viens vous présenter le rapport sur les primes pour la pêche.
Un grand nombre de membres. - L’impression ! l’impression !
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Donny. - Je demande la parole.
Messieurs, la commission chargée d’examiner les projets de loi relatifs à la pêche n’a pas eu le temps d’examiner d’une manière approfondie tous les projets qui lui ont été renvoyés. Aussi le rapport que vient de déposer l’honorable M. Mast de Vries ne porte-t-il que sur un seul de ces projets, sur celui qui accorde au ministre de l’intérieur l’autorisation dont il pense avoir besoin pour disposer des crédits votés aux budgets de 1835 et 1836 pour l’encouragement de la pêche nationale.
La proposition que la commission vous fait par l’organe de son rapporteur consiste en un seul article. C’est, à proprement parler, une affaire de pure forme qui très probablement ne rencontrera aucune opposition, et qui ne peut occuper la chambre que pendant très peu d’instants ; et ces instants seront extrêmement bien employés. La distribution des primes méritées en 1834, 1835 et 1836, qui n’a été retardée que par les scrupules de M. le ministre de l’intérieur, cette distribution soulagera d’une manière sensible l’état de détresse dans lequel se trouvent nos pêcheurs ; elle relèvera le moral de tous les intéressés à la pêche nationale ; elle fera cesser, du moins en grande partie, le découragement qui s’est emparé d’eux. Ce découragement est arrivé à tel point que le nombre de bâtiments qui sont allés à la pêche de la morue cette année, est inférieur de beaucoup à celui des bateaux qui ont pris part à cette pêche dans le cours de l’année dernière.
Pour ne vous parler que d’une de ces pêches spéciales, protégée par des primes, je vous dirai que la ville d’Ostende avait envoyé l’année dernière 15 bâtiments à la pêche d’Islande, dans la période du 1er janvier au 1er mai, et que cette année, dans le même intervalle, on n’en a expédié à la même destination que quatre seulement. Ce fait est constaté d’une manière authentique par un certificat de la douane d’Ostende qui vient de me parvenir.
Je demande à la chambre de mettre le projet dont on vient de faire le rapport, à l’ordre du jour pour être discuté après la loi sur le droit d’aubaine.
M. Legrelle. - Je conçois l’urgence du projet dont on demande la mise à l’ordre du jour. Mais il y a d’autres projets non moins urgents qui soit à l’ordre du jour depuis longtemps et depuis trop longtemps. Je veux parler du projet de loi sur les indemnités. Vous savez que, lors de la discussion du budget, je n’ai retiré ma proposition d’accorder des secours à ceux que cette loi concerne, que sur la promesse que nous discuterions dans cette session la loi d’indemnité. Si cette loi ne peut pas être discutée, je suis obligé de renouveler ma demande de secours.
D’autres orateurs vous ont fait sentir la nécessité de l’importance, de l’urgence de ne pas laisser plus longtemps ouvertes les plaies qu’a faites la révolution. Je désire pour mon compte les voir fermer dans l’intérêt de la justice, dans l’intérêt des victimes et dans l’intérêt du pays. Aussi, j’espère que la chambre maintiendra la décision qu’elle a déjà maintenue à plusieurs reprises.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Lorsque j’ai prié la chambre de mettre à l’ordre du jour la loi que nous discutons, en interrompant la discussion de la loi sur le tarif des douanes, il semblait que cette discussion serait reprise quand on aurait volé le crédit demandé pour les polders ; ce qu’il était urgent de faire. Maintenant, on maintient cette suspension pour deux autres projets, au grand risque d’ajourner la loi des douanes à une époque très éloignée et même à voir clore la session sans qu’il ait été statué sur cette loi. Il me semble qu’il n’est dans l’intention de personne de ne pas terminer la loi sur le tarif des douanes.
Il est de la dignité de tout le pays que cette loi soit votée avant que la chambre se sépare.
M. Dubus. - Je désirerais savoir quel est le résultat des décisions de la chambre. On a mis à l’ordre du jour des lois pour plus de 10 séances ; je ne vois pas qu’il y ait lieu d’en ajouter encore avant d’avoir épuisé l’ordre du jour actuel. Si on continue, il en résultera une telle confusion, qu’on ne saura plus quels sont les objets à discuter et dans quel ordre.
M. Donny. - Je pense que la confusion dont parle l’honorable préopinant n’est pas à craindre. Il y a en effet un grand nombre de projets à l’ordre du jour, un trop grand nombre peut-être pour qu’ils puissent être votés tous avant la fin de la session ; mais ces projets ne doivent être discutés qu’après le vote sur la loi modifiant le tarif.
Pendant la discussion de cette loi, quelques autres petits projets ont été mis à l’ordre du jour en suspendant cette discussion ; or je demande qu’un projet de loi qui ne peut occuper la chambre que quelques instants, qui produira le plus grand bienfait, ait la même faveur qui a été accordée au projet dont parle l’honorable M. Liedts.
- La proposition de M. Donny tendant à ce que le projet de loi relatif à la pêche nationale soit mis à l’ordre du jour après l’adoption du projet de loi relatif à l’acquisition de parcelles de biens domaniaux, est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. Milcamps, rapporteur de la commission des pétitions. - Messieurs, dans la séance du 8 de ce mois, vous avez renvoyé à la commission la pétition du sieur de Regel, ingénieur autrichien ; en voici l’analyse :
Le pétitionnaire expose que par suite de négociations ouvertes par un intermédiaire avec, M. le ministre de l'intérieur pour l’introduction en Belgique d’un nouveau système de chemin de fer dont il est l’inventeur, il a quitté Vienne, sa famille et ses affaires, et s’est rendu à Bruxelles, où depuis dix mois il attend une résolution définitive ;
Que le Moniteur du 24 avril, dans une polémique à laquelle il est étranger, lui a fait pour la première fois pressentir que ses sacrifices, son temps, sa renommée, tout enfin serait compromis, sans l’intervention d’une autorité protectrice naturelle des droits, sans l’appui de la chambre ;
Que son système, fruit de longs travaux, de recherches et de combinaisons nouvelles, offre tant de choses utiles dans leur application, soit partielle, soit entière, tant de moyens d’économie, qu’il le croit digne de la munificence nationale.
Dans ces circonstances, il supplie la chambre d’appuyer et d’autoriser comme utilité publique l’acquisition, par le gouvernement, du brevet de 15 années qui lui a été accordé gratuitement à titre d’encouragement.
Par ce moyen, ajoute le pétitionnaire, le seul qui lui reste, sa découverte portera sur cette terre promise les fruits que les hommes les plus profonds dans la science lui ont prédit, et il pourra enfin rentrer dans sa patrie d’une manière honorable et digne de la nation qui marche à la tête de l’Europe industrielle.
Votre commission, messieurs, a examiné cette pétition ; elle fait observer que le pétitionnaire allègue simplement d’être venu de 800 lieues, pour introduire en Belgique son nouveau système de chemin de fer, par suite, dit-il, mais sans le justifier, de négociations ouvertes par un intermédiaire avec M. le ministre de l’intérieur. Mais présumant que le pétitionnaire aura communiqué son invention et que M. le ministre en aura fait constater l’utilité, et ayant égard à ces circonstances, à défaut de renseignements positifs, et vu la proposition du pétitionnaire de céder son brevet au gouvernement, votre commission m’a chargé de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, avec demande d’explications.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il y a lieu d’ordonner en outre le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, qui a dans ses attributions les brevets d’invention.
La chambre ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d’explications, et en outre à M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères.
- La clôture de la discussion générale demandée par plus de 10 membres à la fin de la séance d’hier est d’abord mise aux voix et prononcée.
M. le président. - La chambre a maintenant à s’occuper de la disposition du projet de loi relative au rétrécissement de l’inondation autour de Liefkenshoek et à la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo.
M. Scheyven. - Messieurs, dans la séance d’hier M. le ministre des travaux publics a fait un reproche à un de nos honorables collègues, qui a pris part à la discussion générale, d’avoir fait un appel aux représentant du Limbourg pour repousser le projet de loi. Pour ma part je tiens à déclarer que ce n’est pas ce prétendu appel qui motivera le vote que j’émettrai ; je voterai contre le projet de loi, non pas que je refuse des secours aux malheureuses victimes de l’inondation, car je suis au contraire décidé à appuyer de toutes mes forces tout ce qui tendrait à soulager leur triste position ; mais parce que la convention qui l’accompagne tend à affaiblir nos moyens de défense en cas de reprise des hostilités entre la Hollande et notre pays, comme l’a prouvé de la manière la plus claire notre honorable collègue, le colonel de Puydt, dont les paroles dans cette circonstance ont d’autant plus de poids à mes yeux, qu’elles n’ont pas été détruites par tout ce que vous ont dit les deux généraux, dont l’autorité a été invoquée par M. le ministre des travaux publics. Je voterai contre le projet de loi, parce que la convention ne contient aucune garantie que les travaux à faire seront respectés par la Hollande, qu’ainsi donc il ne dépend que du caprice du roi Guillaume de rendre illusoires les moyens de secours que l’on demande ; enfin je voterai contre le projet de loi parce que la convention est humiliante et déshonorante pour la nation belge, et que je ne veux pas par mon vote compromettre cet honneur, qui a déjà malheureusement pour nous reçu de trop rudes atteintes.
Messieurs, il est inconcevable que M. le ministre des travaux publics insiste avec tant d’instances à nous faire souscrire à une convention qui compromet à un si haut point la sûreté et la défense du pays, alors que sous prétexte de cette même défense, il s’obstine à ne pas soulager la triste position des habitants du Limbourg et surtout de ceux du district de Ruremonde, en leur refusant des voies de communication. Je dis « sous prétexte, » car en réalité ces routes ne nuiraient aucunement à la défense du pays ; surtout un bout de route d’une demi-lieue, en forme de digue de la Meuse à la grande route en face de la ville de Ruremonde, qui aurait l’avantage de prévenir des malheurs du genre de celui dont hier les journaux nous ont appris la douloureuse nouvelle. Sept personnes, dont la plupart pères de nombreuses familles, ont péri au passage d’eau de Ruremonde. Je viens dont aussi, au nom de l’humanité, invoquée dans cette discussion par un honorable orateur, appeler l’attention de M. le ministre sur la construction de cette digue, dont l’autorisation peut être accordée sans compromettre ni la défense du pays ni la dignité nationale, et qui aurait l’avantage de pouvoir, en toute sécurité, et en toute saison, faire passer la Meuse au moyen du grand bac, au lieu d’une nacelle, qui offre toujours du danger et dont on doit se servir chaque fois que la Meuse déborde, et avec laquelle le malheur, qui n’est pas le premier que nous ayons à déplorer, est arrivé.
M. Beerenbroeck. - Messieurs, pour intéresser les habitants des polders, dans la province d’Anvers, au maintien du statu quo, M. le ministre des travaux publics, dans la séance d’hier, a prétendu qu’il était dans l’intérêt des provinces de Limbourg et de Luxembourg à ce que la loi en discussion ayant pour objet de construire une digue dans le polder de Lillo, soit adoptée, aux conditions stipulées dans la convention du 25 avril.
Représentant du Limbourg, je dirai que je suis toujours prêt à venir au secours de ces malheureux habitants à qui la révolution a été bien fatale, mais jamais je ne donnerai mon vote approbatif à des stipulations déshonorantes pour la dignité nationale, comme celles qu’on nous propose, et je pense qu’il est impossible de réfuter ce que nos honorables collègues MM. Gendebien et de Puydt vous ont dit à ce sujet.
Le Limbourg, plus que toute autre province, déplore les concessions que le gouvernement a faites depuis six ans. M. de Puydt a donc eu raison d’éveiller l’attention des députés de ces provinces sur les conséquences que ces concessions peuvent avoir dans la suite.
Puisqu’on proclame les heureux résultats du statu quo pour notre province, je dirai que nous en désirons le maintien ; mais à en juger par la marche du gouvernement à notre égard, on serait tenté de croire qu’il veut nous rendre le statu quo insupportable, car nos intérêts matériels sont sacrifiés ouvertement.
Si nous demandons l’ouverture d’une nouvelle route, on se hâte de répondre que le génie militaire s’y oppose dans l’intérêt de la défense du pays ; et remarquer bien que ces constructions doivent se faire sur notre territoire sans le consentement des Hollandais, tandis que dans le projet de loi que nous discutons dans ce moment, on démolit un fort et on affaiblit par conséquent la défense du territoire.
Messieurs, si le gouvernement avait réellement à cœur le bonheur de notre district, il aurait dû autoriser les routes que nous réclamons en vain depuis longtemps, et vous n’auriez pas à déplorer le malheur qui vient d’arriver samedi dernier devant la ville de Ruremonde, dont mon honorable collègue M. Scheyven vient de parler.
Messieurs, les habitants du Limbourg ont noblement soutenu le drapeau tricolore, ils méritaient donc une tout autre récompense que celle que le gouvernement lui a accordée depuis 6 ans ; je regrette de devoir le dire, son patriotisme a dû nécessairement diminuer depuis qu’on l’abandonne à son sort.
Nous apprécions le bonheur d’être gouvernés par des institutions libérales telles que les nôtres, mais les besoins matériels doivent à la longue l’emporter sur les besoins moraux.
Si le gouvernement désire sincèrement le maintien du statu quo dans l’intérêt des Belges du Limbourg, qu’il nous fasse voir ses bonnes intentions par l’ouverture de routes que nous réclamons en vain jusqu’ici, et si un jour vous faites encore un appel au patriotisme de ses habitants, soyez assurés que son appui ne vous manquera pas.
M. Fallon, vice-président, remplace M. Raikem au fauteuil.
M. Jullien. - Des adversaires du projet de loi que nous discutons depuis 3 jours nous ont constamment dit et répété comme un de leurs principaux arguments : « Si vous accordez aujourd’hui les 2 millions demandés pour la construction d’une digue intérieure et le dessèchement du polder de Lillo, qui vous répond que ces digues ne seront pas percées, détruites par les Hollandais ? Quelle garantie avez-vous contre la déloyauté du roi Guillaume ? » Voilà le principal argument qui a été répété à satiété et qu’ont encore répété les deux orateurs qui viennent de parler. Il est bon que nous autres partisans du projet nous nous expliquions sur la garantie qu’on a et qu’on peut avoir.
La garantie que vous avez (je dirai franchement toute ma pensée) ou plutôt une garantie que vous avez contre la déloyauté du roi Guillaume, c’est, sur la matière qui nous occupe, sa loyauté, car je demande à la chambre où sont les digues percées depuis la révolution, les inondations tendues depuis la révolution, et qui ont ruiné nos campagnes et nos propriétés. On serait embarrassé de citer un fait qui démontrât que la Hollande ait jamais eu l’intention de percer méchamment et cruellement nos dignes, dans l’unique plaisir, dans l’unique but d’inonder nos campagnes.
J’habite une province où nous pouvons être aussi victimes des inondations. Plusieurs fois depuis la révolution, alors que par des provocations insensées nous pouvions donner aux Hollandais la pensée de faire ces inondations, ils ne l’ont pas fait. Ils pouvaient aussi retenir nos eaux ; ils ne l’ont pas fait. J’ai vu arriver au gouvernement de la province des campagnards effrayés, disant que les eaux montaient et qu’ils allaient être submergés ; mais quand les Hollandais avaient assez élevé les eaux pour leur système de défense, ils procuraient l’écoulement nécessaire ; et les craintes étaient dissipées. Jamais nous n’avons souffert de la Hollande, sous le rapport des inondations. Sous le rapport même de l’écoulement des eaux.
Une seconde garantie contre les intentions de la Hollande, c’est que, sous ce rapport, la Hollande est plus vulnérable que nous. Si les Hollandais se permettent de percer nos digues, par justes représailles, les Belges peuvent aussi percer les digues de la Hollande. Sous ce rapport la Hollande a plus à craindre que nous.
Une troisième garantie, morale (parce qu’il est impossible d’en avoir d’autres), c’est celle-ci : Tout le monde conviendra, je crois, avec moi, que si le roi Guillaume s’obstine à ne pas traiter avec la Belgique, c’est qu’il a conservé esprit de retour, c’est qu’il espère que, par des commotions politiques, ou par des traités, il pourra reprendre sur la Belgique la souveraineté qu’il a perdue. Dès lors comment supposer qu’un prince, et surtout le roi Guillaume, serait assez déraisonnable pour noyer et ruiner un pays qu’il s’agit de reprendre, pour le seul plaisir de le faire ? Cela n’est ni raisonnable ni présumable. Les craintes exprimées à cet égard sont donc sans fondement. Quant à moi, elles ne me touchent pas.
Un orateur qui siège à ma droite a parlé de l’inondation de Lillo, et il a semblé insinuer que l’inondation du polder de Lillo était le fait de la Hollande, était un acte de méchanceté de sa part. Eh bien, si je suis bien informé, et je crois l’être, l’inondation du polder de Lillo, qui a amené de si grands désastres, est plutôt de notre fait. (Réclamations.)
M. Gendebien. - Je demande la parole.
M. Jullien. - Messieurs, vous me répondrez.
Je respecte infiniment les murmures. Mais je vous déclare qu’ils ne m’empêcheront pas de dire ce que je pense. Voici donc ce que je pense, ou plutôt voici les faits ; je ne demande pas mieux que de les voir contredits. Quoi qu’il en soit, voici ce qui m’a été raconté et d’une manière positive :
Il existait en amont du fort de Lillo une grande écluse et il existait en aval de ce fort une petite écluse. Lorsque les Hollandais enfermés dans le fort ont voulu se procurer une enceinte d’eau nécessaire à leur défense, ils firent entrer les eaux dans l’intérieur des terres par l’écluse en amont. Mais, d’un autre côté, à une distance assez éloignée du fort en aval, les troupes belges qui étaient là faisaient ouvrir la petite écluse et sortir les eaux qui entraient par la grande ; de sorte que les Hollandais avaient beau faire, en expulsant les eaux auxquelles ils donnaient entrée, ils ne parvenaient pas à se donner une nappe assez élevée. Cependant, pour parvenir à leur but, ils ont tant fait manœuvrer les écluses que l’une d’elles s’est brisée. Voila les faits qui sont à la connaissance de la province d’Anvers, et je pense qu’il y aura des députés de cette province qui viendront les affirmer, parce que je crois à la sincérité des personnes qui me les ont communiqués.
Ainsi, que l’on ne dise plus que l’inondation est le fait des Hollandais, que c’est un acte de méchanceté. En fait de justice, la véritable justice consiste à être juste non seulement envers ses amis, mais encore envers ses ennemis. Telle est la manière dont je comprends la justice.
Un honorable orateur, avec lequel je suis ordinairement d’accord dans mes votes, mais à qui une grande susceptibilité, que je suis loin de désapprouver, parce que je la comprends très bien en fait d’honneur national, lui a fait envisager la question sous un autre point de vue que je ne l’envisage, a traité les arguments que j’avais présenté à l’occasion du fort Lacroix, et relativement à un officier hollandais, d’arguments à la façon de M. de Lapalisse. Je répondrai à cet honorable orateur que toutes les fois que je croirai une chose vraie, j’aimerai mieux rester dans le vrai, même à la façon de M. de Lapalisse, que de tomber dans le faux en donnant dans l’exagération.
Voilà ce que j’avais à dire sur ce point, et je reviens sur l’objet en discussion.
Vous avez entendu des hommes de guerre, des hommes spéciaux, qui ont voulu ramener la discussion sur le terrain de la défense militaire ; et l’on a laissé de côté la question d’honneur national et tout le débat qui avait duré pendant trois séances.
A en croire les adversaires du projet, les conditions imposées par les Hollandais compromettent notre défense militaire pour l’avenir, et on ne peut les adopter sous peine de nous mettre dans l’impossibilité d’agir quand le danger sera venu. Si cela était vrai, je serais le premier à rejeter le projet de loi, parce que ce serait un outrage fait au pays que d’accepter des conditions qui compromettraient réellement sa défense, soit dans l’état actuel, soit dans l’avenir.
Mais, par compensation, vous avez entendu deux honorables généraux qui n’ont pas été de cet avis, et qui ont expliqué, par des raisonnements stratégiques, que la démolition du fort Lacroix était chose insignifiante pour notre défense, parce qu’on pourrait reporter la construction de ce fort à 1,500 mètres bien plus utilement.
Abordant les objections relatives à la défense qui nous est faite d’exécuter des constructions dans la bas Escaut, ces généraux n’ont pas vu là tous les inconvénients signales par l’honorable colonel de Puydt.
Mais il y a dans le discours du général Goblet une considération qui doit trancher la difficulté ; le temps des haines, des passions tumultueuses est passé ; il n’y aura plus de guerres partielles : S’il y a une guerre, ce sera une guerre générale, les deux nations se trouveront engagées corps à corps.
Et ce ne sera pas sur le haut ou le bas Escaut qu’on se rencontrera ; en sorte, que tout ce qu’on aura fait et sur le haut et bas Escaut ne signifiera rien, parce que, quand la guerre sera éclatée, chacun reprendra ses droits.
Sur la question de défense militaire, qui faut-il croire ? Sera-ce le colonel, sont-ce les généraux ? Mais quand il y a deux généraux qui disent oui, et un colonel qui dit non, je suis porté à me ranger à l’avis des généraux. Je ne suis pas très éclairé sur cette manière ; quant à présent, toutefois, je partage ou j’adopte l’opinion des deux généraux.
D’après ces considérations, je reste dans les mêmes principes ; je voterai pour la loi, à moins qu’on ne me démontre que la défense militaire est compromise par la convention.
M. de Puydt. - J’ai cité hier un fait relatif aux causes de l’inondation du polder de Lillo et ce fait est contredit.
Cependant on lit dans le rapport même du ministre, que les manœuvres trop fréquentes des écluses par la garnison hollandaise, dans le but d’augmenter les moyens de défense du fort, ont occasionné la ruine de l’écluse, et par suite l’inondation.
L’honorable M. Jullien prétend que les eaux qui étaient répandues par les Hollandais s’écoulaient par une autre écluse qui était en aval du fort Lillo ; je ne connais pas d’écluse en aval du fort Lillo ; et cette petite écluse, eût-elle existé, ne pouvait pas, dans l’intervalle d’une marée à l’autre, faire écouler les eaux données par la grande écluse. D’un autre côté, si les Hollandais avaient été contrariés, ils auraient pu faire cesser des manœuvres qui paralysaient un de leurs puissants moyens de défense.
Les renseignements que j’ai donné hier sur la manière dont l’inondation a été faite sont officiels ; et il est à notre connaissance que cette inondation a été effectuée d’une manière irrégulière, considérée militairement, c’est-à-dire, sans aucune espèce de nécessité. On peut donc conclure de là qu’elle a été faite méchamment.
M. F. de Mérode. - L’honorable M. Jullien a avancé un fait qui m’a également été signalé par les habitants du pays. Lorsque l’on a essayé de s’emparer du fort Lillo, après les premiers jours de notre révolution, on vit qu’on ne s’en rendrait maître qu’en faisant écouler les eaux qui l’entouraient. Les volontaires entreprirent donc de leur donner issue. Les habitants firent observer que les Hollandais remplaceraient l’eau écoulée par le moyen d’écluses situées près de leur fort, qu’ainsi toute tentative était inutile ; que de plus elle serait dangereuse, parce que le jeu répété des écluses les détruirait et causerait une inondation que les Hollandais eux-mêmes ne pourraient plus limiter : c’est effectivement ce qui a eu lieu.
Je ne suis pas un admirateur du roi Guillaume et de ses agents, mais je ne pense pas que les Hollandais se soient fait un plaisir de percer des digues sans aucuns motifs. (Bruit.)
Il est nécessaire d’insister sur les considérations que M. Jullien a fait valoir ; car on dit constamment que les Hollandais briseront la digue que vous voulez faire ; il faut montrer qu’ils n’en ont pas percé précédemment par pure malveillance.
Si nous n’avions pas de garantie au moins morale, que la digue subsistera, il est évident qu’on ne devrait pas la construire, et qu’il faudrait voter contre le projet de loi. Mais, si nous avons une garantie morale suffisante, je ne dis pas une certitude absolue, que la digne ne sera pas rompue dans le simple but de nuire ou de ruiner des cultivateurs, des propriétaires inoffensifs, alors nous pouvons croire à son utilité. M. Jullien a donc en parfaitement raison de faire valoir les motifs qu’il a développés. J’adhère à son opinion, et je pense que les probabilités tout en faveur du maintien des travaux du réendiguement projeté.
M. Gendebien. - Je me hâte de répondre au dernier point traité par M. de Mérode. Je ne comprends pas comment un Belge puisse s’évertuer à nous donner des torts vis-à-vis de nos ennemis, surtout dans une question si délicate. Il n’y a pas seulement ici une question d’honneur, il y a encore une question d’argent, et celle-là sera peut- être mieux comprise par le préopinant que la question de dignité nationale.
Vous n’avez donc pas réfléchi que si vous attribuez le fait de l’inondation aux Belges, il en résultera que quand, à la conclusion de la paix, nous demanderons à la Hollande des indemnités pour les pertes que nous aurons essuyées par suite des inondations, la Hollande se prévaudra des paroles prononcées ici par un ministre d’Etat. (C’est vrai ! c’est vrai !) Voilà, messieurs, quelle est la prudence des hommes qui siègent au banc ministériel !
Je vais, messieurs, prouver l’absurdité (c’est le mot propre) des assertions que vous venez d’entendre. On dit que c’est par la faute des Belges que le polder de Lillo a été inondé ; le fait est faux sous les rapports ; dans une précédente séance j’ai lu à l’assemblée l’ordre donné par le général Chassé le 24 octobre 1830, de mettre le polder de Lillo sous les eaux.
M. F. de Mérode. - Je n’ai pas dit le contraire.
M. Gendebien. - Nous sommes donc d’accord sur ce point, nous verrons si nous le serons jusqu’au bout : je ne le pense pas, quoique la vérité soit cependant de mon côté.
On vous dit, messieurs, que les Hollandais étaient obligés de détruire l’écluse qui se trouve en amont du fort Lillo parce que les volontaires belges faisaient manœuvrer la petite écluse qui est en aval de ce fort : L’honorable M. de Puydt vous a déjà fait remarquer que si la petite écluse dont il s’agit pouvait déranger l’inondation produite par une écluse quatre ou cinq fois plus grande, première absurdité, les Hollandais pouvaient en empêcher la manoeuvre, puisqu’ils étaient maîtres de la digue, voilà une première raison ; mais il en est une antre que tout homme de bon sens ne contestera pas : c’est que les opérations faites par le génie hollandais étaient diamétralement opposées au but qu’on leur suppose, c’est-à-dire de maintenir les eaux à une grande hauteur ; car, veuillez bien remarquer, messieurs, que l’écluse n’a été enlevée que parce qu’on la faisait jouer à la marée haute et à la marée basse ; qu’on faisait alternativement passer l’eau de l’Escaut dans le polder, et du polder dans l’Escaut. Les opérations du génie hollandais n’avaient donc pas pour objet de maintenir l’eau à la hauteur nécessaire pour la défense, mais uniquement pour détruire l’écluse et la digue, et, par conséquent, pour consommer une méchanceté toute gratuite. La méchanceté a été constatée officiellement, messieurs, car il y a eu des rapports entre les officiers belges et les commandants hollandais, rapports qui avaient pour but de faire cesser les manœuvres hollandaises ; il a été répondu par ceux-ci que ces manœuvres avaient lieu parce qu’il leur convenait de détruire l’écluse. Les opérations continuèrent et elles eurent le résultat qui était inévitable : les eaux allant et venant devaient nécessairement faire crouler les fondements, les radiers de l’écluse ; c’est ce qui arriva. Après cela, messieurs, on ose défendre le gouvernement hollandais et accuser la révolution, les volontaires, la Belgique ! Si ce n’était qu’une inconvenance, on pourrait la passer sous silence comme tant d’autres qui nous viennent du même côté ; mais c’est une haute imprudence qui pourra coûter cher au pays. Je puis dire et je dois dire au préopinant qui se plaît à accuser si souvent les paroles de l’opposition, que ses paroles font toujours plus de mal au gouvernement que tout ce que pourrait dire l’opposition.
Le principal motif pour lequel je m’oppose au projet, indépendamment de la question d’honneur sur laquelle je ne reviendrai pas, c’est que nous n’avons aucune garantie non seulement qu’on respectera la digue quand elle sera faite, mais même qu’on la laissera achever. Nous allons dépenser deux ou trois millions pour faire une digue et un nouveau fort en remplacement du fort Lacroix, et, je le répète, quand la digue sera faite, rien ne nous garantit qu’on la laissera subsister.
On nous parle de la loyauté du gouvernement hollandais, mais il ne suffit pas de nier le mal que ce gouvernement a fait ; ce mal existe ; je ne me donnerai pas la peine de le prouver : la moitié de la Belgique est là pour l’attester, Le gouvernement ne fera pas le mal sans utilité, sans nécessité, nous dit-on. Mais, messieurs, je demanderai de quelle utilité était l’extension de toutes les inondations ; de quelle utilité était l’inondation de la rive gauche de l’Escaut au mois d’août 1831 ; de quelle utilité était le lâche assassinat de nos malheureux compatriotes de Calloo, le massacre et l’incendie de Callo en 1831 ! (Très bien ! très bien !) Je demanderai de quelle utilité étaient les massacres, les crimes commis à Bruxelles en 1830 ; des femmes, des enfants égorgés à Bruxelles, à Anvers, partout ; de quelle utilité ces atrocités étaient-elles ? (Approbation générale.)
M. Dumortier. - Et l’incendie de l’entrepôt d’Anvers ?
M. Gendebien. - Oui, et le bombardement d’Anvers, et l’incendie de l’entrepôt, et la ruine de négociants de toutes les parties du monde ; de quelle utilité étaient tous ces crimes ! Alors que nous, révolutionnaires si souvent calomniés, nous donnions des preuves, nous donnions l’exemple de la plus grande modération ; alors que nous employions toute notre sollicitude, toute notre popularité à soustraire les prisonniers à la juste fureur du peuple ; de quelle utilité était-il d’égorger les prisonniers qu’on nous faisait, de les brûler vifs ? Oui, messieurs, à la porte de Schaerbeek, entre autres, un homme qui avait reçu un coup de feu à la cuisse a été brûlé vif et attaché à une porte qu’on avait inclinée et sous laquelle on a allumé le feu ; ses restes trouvés après les quatre journées ont attesté cette barbarie. Un brave volontaire qui avait été pris blessé aux environs de Maestricht, a été brûlé vif ; était-ce aussi dans l’intérêt de la défense du royaume de la Néerlande que de pareils actes de barbarie se commettaient ? (Profonde sensation.)
Qu’on ne vienne donc pas nous vanter la loyauté du gouvernement hollandais. Je n’ai pas besoin, messieurs, de vous rappeler l’attaque déloyale du mois d’août 1831, je n’ai pas besoin de dire qu’elle peut se renouveler : Nous sommes en état de guerre ; les hostilités peuvent recommencer à chaque instant ; pourquoi, à la moindre appréhension de guerre, à la moindre inquiétude, le gouvernement hollandais ou le commandant du fort n’étendrait-il pas l’inondation autour de Lillo ? N’avons-nous pas entendu les ministres, et particulièrement le ministre des travaux publics, nous dire que le gouvernement belge n’a consenti à la démolition du fort Lacroix que par compensation, parce que la défense du fort Lillo se trouve restreinte par la digue à 1,500 mètres, qui en rétrécissant l’inondation rend plus difficile la défense de Lillo ? Eh bien, messieurs, n’est-ce pas déjà un prétexte suffisant pour la Hollande ou pour le commandant du fort de détruire la digue à la moindre apparence de guerre ; et quand nous nous en plaindrons, les Hollandais ne viendront-ils pas nous dire :
« Votre gouvernement lui-même, à votre tribune nationale, a reconnu que votre défense était restreinte par la complaisance que nous avions eue de laisser construire la digue ; eh bien, pour rétablir tous nos moyens de défense, nous avons été obligés de détruire cette digue. »
Qu’aurez-vous à répondre ? Rien, messieurs. Il ne vous restera qu’à maudire l’imprudence de vos ministres, et votre trop grande confiance ! Il n’est donc pas même besoin d’établir la déloyauté du gouvernement hollandais pour prouver qu’au moindre événement la digue pourrait être rompue ; elle pourrait l’être légitimement, d’après les paroles imprudentes qui ont été prononcées dans cette enceinte par les ministres au nom du gouvernement lui-même.
Je vous le demande maintenant, messieurs, au souvenir de tous nos antécédents, ne doit-on pas être fier du nom belge, de la magnanimité que nous avons montrée pendant tout le temps de la révolution, en réponse à toutes les provocations incendiaires, à tous les assassinats des Hollandais ? Mais si cette magnanimité n’a pu désarmer la fureur de nos ennemis, pourquoi, lorsque chaque jour nous donnons de nouvelles preuves de faiblesse, pourrions-nous compter sur leur modération ?
On nous parle constamment de la loyauté de la Hollande ; le ministre de la guerre lui-même l’a vantée hier ; et à chaque instant elle viole le statu quo. La garnison de Maestricht fait de continuelles sorties contrairement aux traités ; si ce qui m’est rapporté est exact (et j’ai lieu de le croire), le 2 de ce mois encore, un corps de cavalerie hollandaises a pénétré dans l’intérieur de la province de Limbourg.
Plusieurs membres. - C’est vrai.
M. Gendebien. - Il faut compter sur la loyauté hollandaise ! Je vous le demande, messieurs, quel rôle jouons-nous ici aux yeux de la Hollande, aux yeux de l’Europe, si ce n’est celui de dupes ou de lâches ? Lâche ! la nation ne le sera jamais ! dupe, elle le sera peut-être de ses gouvernants.
Pour en revenir, messieurs, aux choses simples et en faisant abstraction de la question de loyauté qu’on devrait, ce me semble, laisser à l’avenir le soin de résoudre ; en ne considérant les choses que comme d’ennemi loyal à ennemi loyal, vous ne pouvez pas méconnaître qu’au premier acte d’hostilité la digue pourra être rompue. Dès lors, messieurs, comment est-il possible, quand je vous offre un moyen de réparer le mal auquel il s’agit de porter remède, comment dis-je, est-il possible que vous vous exposiez à dépenser plusieurs millions en pure perte ? S’il n’y avait d’autre moyen de soulager les malheureux habitants des polders que le sacrifice du fort Lacroix, s’il s’agissait de sacrifier ces populations pour maintenir ce fort, je pourrais consentir à l’abandonner ; mais, messieurs, où est la preuve de cette nécessité ?
Je prie la chambre et le ministère de prendre de nouveau en considération les observations que j’ai faites hier. Le gouvernement vous demande la démolition du fort Lacroix, sous prétexte d’alléger les maux des propriétaires du polder de Lillo ; de plus il prend l’engagement de détruire toutes les fortifications en amont et en aval du Lillo et de Liefkenshoek ; il abandonne le droit de jamais en construire de nouvelles, et que devient dès lors la malheureuse commune de Calloo ? Exposée au meurtre et à l’incendie comme en 1831, vous ne faites rien pour la protéger, vous prenez même l’engagement de ne rien faire pour la soustraire à ces brutalités ! Si réellement un sentiment d’humanité vous anime, qu’il soit égal pour toutes les parties du royaume, pour les habitants de Calloo comme pour ceux de Lillo, pour les habitants de la rive droite et de la rive flanche de l’Escaut, mais qu’il ne se concentre pas uniquement dans le polder et pour les propriétaires de Lillo, qui en définitive ne souffrent que parce que le gouvernement l’a bien voulu, mais pour le soulagement lesquels je vous propose un moyen, et je crois que c’est le remède le plus efficace, le plus prompt. Car, en admettant que vous construisiez la digue, il faudra qu’ils attendent encore deux, trois, quatre ans peut-être, avant de rentrer dans la culture de leurs champs, qui, après la longue opération d’endiguement, doivent avoir le temps de se débarrasser de leurs eaux, et ils ne seront pas immédiatement propres à la culture.
Je vous demande pardon, messieurs, si j’ai mis un peu trop de feu peut-être dans cette discussion. Mais j’ai été saisi, je vous l’avoue, d’un sentiment d’indignation si vif que je n’ai pas pu le contenir.
Je supplie la chambre d’y réfléchir mûrement. En mettant à part les questions d’honneur et de susceptibilité nationale, ainsi que les prétendus motifs de confiance dans la loyauté du roi Guillaume ; Je dis qu’en nous plaçant dans la position naturelle d’Etat à Etat, il est de la plus haute imprudence de jeter ainsi au hasard des millions lorsqu’on n’a aucune garantie que, quelques jours plus tard, le lendemain peut-être, on ne sera pas exposé à perdre le fruit de ces sacrifices, et par suite forcé peut-être à dépenser plusieurs autres millions.
Ainsi, si je considère la question sous tous ses points de, vue, sous le rapport d’humanité et de philanthropie, sous celui de l’honneur et de susceptibilité nationale, sous le rapport d’argent enfin, je ne puis donner mon assentiment au projet de loi.
M. F. de Mérode. - Messieurs, à entendre l’honorable préopinant, il semble que je sois véritablement un ennemi du pays. Je ne puis, sans y répondre, laisser passer de semblables paroles. Je dirai donc qu’il y a une aussi grande différence entre un ennemi du pays et moi, qu’il y en a entre moi et M. Gendebien : s’il se croit patriote, je pense l’être quelque peu davantage et avoir prouvé ce que j’avance.
On prétend que j’ai attaqué, que j’ai accusé les Belges ! Non, messieurs, je n’ai ni attaqué ni accusé les Belges, je trouve tout naturel qu’ils aient cherche à s’emparer du fort Lillo ; mais il n’est pas étonnant que les Hollandais aient cherché à le conserver ; et pour le conserver, ils ont eu recours à des moyens fort nuisibles au territoire qui environnait le fort.
Je le répète, messieurs, les faits dons vous a entretenus l’honorable M. Jullien m’ont également été signalé,s, et il résulte de ces faits que les Hollandais n’ont pas cherché à inonder le polder de Lillo uniquement pour le plaisir d’inonder.
Mais, dit-on, le général Chassè a donné l’ordre d’étendre l’inondation autour de Lillo.
Nous ne le nions pas, ce fait même ressort de nos propres paroles, et de l’évidence, puisque l’on ne peut nier que la défense du fort n’exigeât que l’inondation eût lieu ; et Chassé en donnant l’ordre d’ouvrir les écluses de Lillo a donné connaissance aux habitants de cette résolution.
Messieurs, les habitants des villages voisins des polders inondés sont Belges comme nous ; ils sont aussi bons patriotes que le peuvent être les habitants des autres parties du pays ; comme nous, ils se sont hâtés d’arborer le drapeau national. N’est-il pas déplorable dès lors qu’aussi dignes d’intérêt que tous autres, ils soient incessamment exposés à de cruels désastres que tous les projets d’indemnités quelconques ne sauraient prévenir ?
M. Gendebien a joué l’indignation contre moi. Il vous a parlé de la manière dont le pays serait la dupe de ses gouvernants. Quant à moi, je pense, messieurs, que le pays est bien plus souvent la dupe des parleurs d’humanité, de philanthropie, qui ne cherchent qu’à ranimer les sentiments d’animosité réciproque entre les peuples.
On a rappelé les violences barbares des Hollandais. Si à Calloo ils se sont odieusement permis des actes de cruauté, on ne peut pas dire néanmoins qu’ils soient partout et toujours des loups-cerviers. (On rit). Il y a aussi en Hollande des sentiments humains. N’avons-nous pas appris dernièrement que des marins de cette nation ont sauvé plusieurs embarcations belges, qui, sans leurs secours, auraient infailliblement péri ? Voila des actes honorables dont nous ne pouvons que nous applaudir, que l’on peut aussi faire valoir ; et puisque le préopinant s’est livré contre mes observations à une indignation de commande, j’ai le droit de me livrer à une indignation plus sincère et plus sérieuse contre une fausse philanthropie que j’apprécie comme elle me mérite.
M. Desmaisières dépose deux rapports, l’un relatif à des demandes de transfert faites par M. le ministre de la guerre ; et l’autre concernant les pièces envoyées à la section centrale (qui a été chargée de l’examen du budget de la guerre), relativement à la question du service de santé,
- La discussion de ces rapports qui seront imprimés et distribués sera ultérieurement fixée.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je ne m’étais pas dissimulé les inconvénients de cette discussion publique. Dès le premier jour, j’avais pensé qu’il s’y placerait bien des arguments, bien des faits, bien des allégations, dont on pourrait peut-être se prévaloir plus tard contre nous.
Déjà hier, mon honorable ami, M. Rogier, vous a signalé un des dangers de la discussion. Ce qui vient de se passer nous a révélé un danger nouveau.
Est-ce qu’en 1830 et 1831, personne n’a abusé des droits que peut donner la guerre ? Est-ce qu’en 1830 et 1831, ceux contre qui nous avons fait une révolution n’ont pas abusé des droits qu’ils pouvaient tenir de la légitime défense ? Ce sont là des questions très graves, des questions qu’on aurait pu éloigner de la discussion, puisqu’elles sont inutiles à la discussion même.
J’aurais donc désiré qu’on n’eût pas touché à ces questions. Pour mon compte, je n’y toucherai pas, je les laisserai entières, parce qu’elles se rattachent à une grande liquidation qui nous attend dans l’avenir.
Le ministère, comme formant le gouvernement, répond de ses actes ; chacun des ministres répond de ses paroles, chacun des ministres justifie ses actes à sa manière. Dès lors, il ne faut pas donner aux paroles la portée qu’ont seulement les actes. J’en demande bien pardon à mon honorable ami, M. de Mérode ; cette distinction, il la reconnaîtra avec moi, chaque ministre doit l’admettre dans son propre intérêt, sinon il deviendrait impossible à un ministre de prendre la parole à la chambre, sans qu’il se fût concerté d’avance avec ses collègues sur la moindre phrase de son discours.
Oui, messieurs, je crois que la Belgique s’est tenue dans les limites de ses droits ; je crois que la Belgique a montré beaucoup de magnanimité, beaucoup de modération, beaucoup de sagesse. Ce que le gouvernement vous demande en ce moment, c’est encore un acte de sagesse.
Je ramène donc la question à ses véritables termes, à son objet pratique : en un mot, je ne suivrai pas les préopinants dans la déviation qu’ils ont fait subir à la discussion.
En prenant la discussion au point où elle en est restée hier, et en tenant compte des progrès qu’elle avait faits, il me semble que la seule question sur laquelle on peut encore élever des doutes, est celle-ci : Le fort Lacroix, dont on a reconnu la faible importance sous le rapport militaire, est-il plus important pour la conservation des digues et contre-digues de la rive droite de l’Escaut.
Ceux qui ont admis la possibilité de l’importance du fort sous ce rapport ont même cherché à rattacher la question, considérée sous ce point de vue, à un fait ancien, à un épisode du fameux siège de 1585. Ce point de vue, messieurs, m’a paru nouveau, et je crois que quelque longue qu’ait été la discussion, il me sera permis de m’y arrêter un moment, et de chercher à détruire les doutes qu’on a élevés à cet égard.
Le fort Lacroix, vous dit-on, est indispensable pour la conservation de la contre-digue d’Oordam. Détruire le fort Lacroix, c’est laisser cette contre-digue sans moyens de défense. Les Hollandais pourront, ajoute-t-on, rompre la digue intérieure que l’on veut construire, couper également la contre-digue que l’on laisse sans défense ; dès lors, dit-on, voilà le pays ouvert aux inondations jusqu’à Anvers.
Je crois, messieurs, que c’est là la véritable objection qui a été faite, et je ne pense pas l’atténuer, en la rapportant dans ces termes.
Je suis forcé, messieurs, d’entrer dans des détails en quelque sorte topographiques. Je dirai d’abord qu’il faut distinguer les digues des contre-digues. J’appelle digues les rives mêmes de l’Escaut. Aux rives de l’Escaut aboutissent, des deux côtés, d’autres digues que j’appellerai contre-digues.
Jetez les yeux sur la carte, vous verrez sur la rive droite la contre-digue de Wolmersdonk aboutissant au fort Philippe ; il y avait même une troisième contre-digue, celle de Ferdinand, près d’Anvers ; elle a été détruite après 1815, parce qu’elle pouvait servir de ce côté comme moyen d’attaque aux assiégeants. De même, sur la rive gauche, il y a la contre-digue de Blokkerdyk : en cas de guerre, les digues de l’Escaut étant rompues en aval de Liefkenshoek et de Lillo, l’inondation serait au moins momentanément arrêtée par les contre-digues. (Murmures et dénégations sur le banc où siègent MM. Rogier, Ullens et Legrelle.)
Je ne dis pas que ces contre-digues du Blokkersdyk et de Wolmersdonk offrent une sécurité absolue ; si je le disais, je serais en contradiction avec moi-même ; mais en cas de guerre on pourrait les renforcer et les exhausser, et c’est du cas de guerre qu’on a parlé. Comment le général Chassé est-il parvenu à se mettre en rapport de la citadelle d’Anvers avec le Bas-Escaut à travers les polders de la rive gauche ? Non seulement on a rompu les rives à Burch et au Doel, mais on a coupé la contre-digue du Blokkerdyk. Si cette contre-digue avait été assez élevée, et bien qu’elle eût été défendue, l’inondation aurait rencontré une barrière. Sur la rive droite, la contre-digue de Wilmersdonk, en cas de guerre, serait utilement défendue, et pourrait être renforcée ; c’est d’ailleurs, sinon une des plus hautes, du moins une des plus larges de la contrée.
Il y a donc en aval d’Anvers sur les deux rives des contre-digues rapprochées de la ville, et qu’en cas de guerre, il faudrait occuper. L’honorable M. Gendebien a de nouveau appelé votre attention sur l’incertitude de la construction de la digue intérieure dans le polder de Lillo, et sur l’incertitude de son maintien. « Vous ne la construirez pas, dit-il, et si vous la construisez, vous ne la conserverez pas longtemps. Nonobstant la convention, le roi Guillaume trouvera moyen de vous arrêter au milieu de vos travaux, ou de détruire vos travaux après leur achèvement. »
Ces objections ne m’avaient pas échappé, ce double danger me frappa moi-même. Hier, déjà, j’y ai répondu ; j’ai dit, quant au danger de l’exécution, que le gouvernement cherchera la garantie dans les obligations qu’il imposera à l’entrepreneur. Il faudra que l’entrepreneur, en présentant sa soumission, souscrive à toutes les conditions de la convention du 25 avril, qu’il se charge de les accomplir de la manière la plus absolue.
M. Gendebien. - Combien vous fera-t-il payer cette responsabilité ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - L’honorable membre connaît le montant du crédit demandé.
Je pense, messieurs, que l’emploi doit être abandonné au gouvernement. Si le crédit lui est accordé, il est chargé de l’exécution de la loi. C’est ici que commence une nouvelle tâche pour lui. La chambre, après avoir voté la loi, doit laisser au gouvernement toute latitude pour voir comment il parviendra à l’exécution avec toutes les garanties nécessaires.
Quant au second danger, je crois qu’il ne faut pas l’exagérer. Je crois que si la convention est fidèlement exécutée de notre part, le gouvernement hollandais ne détruira pas la digue qui sera construite dans l’intérieur du polder de Lillo ; non pas que je m’exagère la confiance qu’on doit avoir dans le gouvernement hollandais, mais je le juge d’après ses intérêts : je crois qu’il n’aura pas intérêt à détruire cette digue.
Tout à l’heure, en faisant remarquer les ressources qu’offrent les autres contre-digues, j’ai démontré que la Hollande, en rompant la nouvelle digue ne pourrait pas faire parvenir des embarcations jusqu’à Anvers, si nous occupions et renforcions la contre-digue de Wllmersdonck ; et c’est évidemment ce que l’on ferait en cas de guerre ; cette contre-digue serait renforcée comme l’a été celle d’Oordam.
Messieurs, le gouvernement en vous présentant cette convention était bien convaincu qu’il n’y avait pas d’autre moyen de faire cesser le statu quo. En vous la présentant, il a rempli un devoir, il a accompli une tâche pénible, la discussion qui a eu lieu jusqu’à présent l’a démontré.
Vous examinerez s’il faut rester dans le statu quo ou accepter cette convention. Quant à moi personnellement, j’avais besoin de présenter cette convention et de partager, de déplacer la responsabilité qui jusqu’à présent retombait sur le gouvernement seul.
M. le président. - La parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - J’y renonce.
(Moniteur belge n°132, du 12 mai 1837) M. Desmet. - Messieurs, l’honorable ministre des travaux publics vient de vous dire, en commençant son discours, que le ministère a fait un acte de sagesse en acceptant la convention ; je ne pourrai partager l’opinion de ce ministre, et je pense même qu’il vient de prouver lui-même que ce serait plutôt un acte de légèreté et de précipitation ; car je pense, messieurs, que vous vous serez aperçus comme moi que, par ce que le ministre a voulu prouver tout à l’heure, il a complètement combattu ceux des membres qui ont parlé pour le projet, et particulièrement les discours des honorables MM. Smits et Rogier, car ces membres ont particulièrement soutenu que la digue à construire devait servir pour garantir les contre-digues de l’intérieur et préserver les autres polders de l’inondation, et à présent l’honorable ministre de nos travaux publics vient nous soutenir que c’est à tort que nous voulons conserver des moyens pour défendre la digue d’Oordam ; que, plus avancée vers Anvers, il y a encore une autre digue qui couvre les environs de la place.
Je vous laisse, messieurs, concilier ces contradictions ; mais je vous le demande, ne pouvons-nous pas soupçonner que le projet n’a pas été mûri, et que c’est bien à la légère qu’on veuille nous faire ratifier une telle convention ?
Pour administrer sa preuve, M. le ministre nous a encore une fois cité le siège d’Anvers sous Alexandre Farnèse, et il nous a dit qu’à cette époque on faisait tant de cas de la digue d’Oordam, parce que c’était la seule digue qui se trouvait entre Lillo et Anvers.
Mais que M. le ministre veuille consulter les cartes de ce temps, il verra de suite qu’il est dans l’erreur, Voici comment l’histoire fait la narration du combat de la digue d’Oordam :
Les Hollandais s’étaient rendus maîtres du fort Lillo, et avaient déjà percé la digue de Beerendrecht et inondé tout le polder entre cette digue et celle d’Oordam, voulant continuer l’inondation pour approcher, à l’aide de petites embarcations, les environs d’Anvers, et ravitailler la place ; mais sachant que la principale digue qui couvrait Anvers était celle d’Oordam, et qu’il aurait été facile de la rompre, quand ce boulevard était percé, et que l’inondation avait gagné les plages d’Oordam, ils réunirent toutes leurs forces pour faire l’attaque contre cette digue ; ils firent arriver près de cet endroit une flotte de trente voiles, montées par les meilleurs marins et une quantité de bonnes troupes ; leurs forces étaient commandées par le prince de Hohentoe qui gouvernait en ce moment les Provinces-unies, par la mort récente du Taciturne, et les principaux généraux de l’armée des alliés étaient aussi présents à l’attaque.
Cette attaque commença à trois heures du matin ; le prince de Parme se trouvait alors au fort Sainte-Marie qui était une des têtes de son pont jeté sur l’Escaut, et s’apercevant, après quelques heures de combat, que ses troupes devaient se retirer, et que les Hollandais commençaient à débarquer et à percer la digue ; il sauta à cheval, passa le pont et se mit à la tête de ses troupes, et, payant de sa personne, il ne quitta plus le combat qui finit à trois heures de l’après-midi de l’après-dîner ; il battit entièrement les alliés, et les chassa de la digue.
Ce fut immédiatement après le combat d’Oordam qu’il fit garnir la digue, qui se nommait alors la digue de Cauwenstein, de plusieurs forts tellement il sentit l’important de cette digue pour mettre Anvers à l’abri de l’approche de l’ennemi.
Oui, messieurs, cette digue est la principale digue ; c’est elle qui couvre la place d’Anvers vers la Zélande, et quand cette digue est rompue, on peut dire que l’approche de cette ville est très facile, et que tous les polders, jusqu’à prés de celui d’Austruwel, seront sous l’eau. Il n’y a aucun changement dans la position de ces digues : aujourd’hui comme en 1585 et 1703, vous avez les mêmes lignes parallèles de contre-digues entre Lillo et Anvers.
M. le ministre a encore parlé de la rive gauche. Je n’ai pu saisir ce qu’il a voulu dire ; je n’ai pas su comprendre de quelles digues et de quels polders il a voulu parler ; mais il n’a pas répondu à ce qu’on lui a dit hier que sur cette rive on soignait les propriétés de quelques grands propriétaires, mais qu’on négligeait entièrement la défense du pays, et qu’on oubliait l’humanité quoiqu’on ait tant parlé d’humanité ; il n’a pas dit comment on mettrait à l’abri des attaques de la garnison de Liefkenshoek les habitants du Doel.
Oui, messieurs, je dois encore vous le dire et j’aime de le répéter, parce que je vois que M. le ministre de la guerre est dans la séance ; entre le fort de Liefkenshoek nous n’avons rien qui puisse arrêter les Hollandais, aucune redoute, pas le moindre ouvrage en terre ; toutes les nuits on y est dans des inquiétudes continuelles d’être attaqué, assassiné par les soldats hollandais, et les inquiétudes redoublent à chaque fois qu’il y a apparence de guerre : beaucoup d’habitants de ce village m’ont dit que leur existence était insoutenable, qu’on les laissait entièrement à la merci des Hollandais, et comme ils connaissaient la déloyauté et le brigandage des Hollandais, qu’ils ne passaient jamais une nuit dans un véritable repos.
Je prie M. le ministre de la guerre de prendre des informations pour s’assurer si ce que je dis n’est pas exact.
Je demanderai encore à M. le ministre de la guerre s’il n’est pas exact qu’il n’y a aucun obstacle qui puisse retenir les Hollandais à se rendre une bonne matinée à Lokeren, qui n’est qu’à quatre lieues de Gand ; aucun fort, aucune redoute, en un mot rien qui puisse les empêcher à entrer toutes les nuits dans l’intérieur du pays. Dans toutes les époques que les forts de Lillo et de Lieftkenshoek étaient occupés par des ennemis on s’empressait à établir des forts au Doel, à Werrebroek, à Calloo et encore dans d’autres endroits de ces environs ; les vestiges de ces forts existent encore ; le pays était mis à l’abri d’un coup de main, et on mettait les habitants dans la tranquillité, on soignait leur sûreté ; mais aujourd’hui on ne pense à rien, on ne pense qu’à mettre à l’abri des eaux des propriétés de quelques grands propriétaires, et on ne songe pas aux malheureux habitants qui peuvent être victimes tous les jours, et qui sont dans des craintes continuelles ; et avec cette dangereuse convention on va encore empirer leur sort et augmenter leurs inquiétudes.
M. le ministre des travaux publics a dit que l’on avait eu tort de revenir sur les actes de mauvaise foi et de déloyauté des Hollandais. Pourquoi y est-on revenu ? Je n’en sais rien ; ceux qui ont commencé à parler de la loyauté et de la bonne foi des Hollandais doivent le savoir ; mais pourquoi on y a répliqué, tout le monde doit le sentir, et je ne pense pas que le ministre puisse l’ignorer ; on aurait même dû y répondre hier quand un des orateurs qui ont parlé a été le premier à jeter des louanges sur la bonne foi et la loyauté des Hollandais.
Je n’y avais pas répondu hier, quoique j’avais parlé immédiatement après l’honorable membre dont je veux parler ; mais je ne l’avais pas bien compris ; ce ne fut que ce matin que j’ai été étonné de trouver dans son discours la phrase suivante :
« Mais je n’admets pas (en parlant des Hollandais) qu’ils commettront un crime inutile ; dans des circonstances antérieures, c’est à tort qu’ils en ont été accusés. »
Cependant je pourrais en citer plusieurs, et déjà l’honorable M. Gendebien l’a suffisamment fait ; mais pour conformer les faits qui ont été allégués par cet honorable membre, je vais lire un extrait du rapport officiel qui a été envoyé à la conférence de Londres sur la cruauté commise par les Hollandais en 1831 à Calloo et dans d’autres endroits de la rive gauche de l’Escaut :
« Lors des massacres qui ont eu lieu au village de Calloo, les Hollandais, après avoir percé plusieurs digues pour submerger les polders de Melsele, de Calloo, de Doel, etc. ont tué à coups de crosse de fusil des enfants de deux à trois ans, percé à la pointe de la baïonnettes des jeunes filles et des vieillards inoffensifs, et sabré des femmes portant des enfants entre les bras. Ces lâches assassinats ont été accompagnés de la dévastation et de l’incendie de vint à trente habitations. C’est la torche à la main que les marins hollandais ont parcouru en partie le pays de Waes après avoir violé l’amnistie. »
Peut-on dire que c’est à tort qu’on les a accusés dans des circonstances antérieures, et avons-nous des raisons, aussi longtemps que nous sommes en guerre, de compter sur la bonne foi et la loyauté hollandaise ?
Mais à Calloo ils ont commis encore d’autres cruautés qui ne sont pas citées dans l’extrait dont je viens de vous donner lecture.
Ils ont fait plus, messieurs, ils ont massacré des femmes enceintes, égorgés des enfants au berceau ; un membre du clergé même a dû prendre les armes pour repousser ces brigands afin de ne pas être assassiné, car il n’avait pas eu le temps de se sauver ; comptant sur l’armistice, il ne pouvait pas croire que le village aurait été attaqué par cette bande hollandaise.
J’ai dit, en voilà assez ; mais je m’étonne qu’on veuille déjà oublier tous les brigandages qui ont été commis par les Hollandais. Mais toujours, si notre ministre est prudent et ne veut pas que le pays soit un jour victime, je l’engage fortement à ne pas être trop confiant dans les promesses et la loyauté des Hollandais ; aujourd’hui comme toujours je n’y compterai point ; croyez-moi, ce sont toujours les mêmes Hollandais, ils ne sont nullement changés.
(Moniteur belge n°131, du 11 mai 1837) M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je reprends un moment la parole uniquement pour rectifier le fait sur lequel le préopinant insiste.
A l’époque du siège de 1585, il existait deux principales contre-digues de l’Escaut sur la rive droite, celle de Couwestein ou d’Oordam, et celle de Wilmersdonk ; le combat s’est livré sur la digue de Couwestein parce que c’était la seule barrière contre l’inondation à la suite de la rupture des digues de l’Escaut et de la contre-digue de Wilmersdonk ; les Anversois avaient rompu celle-ci ; il ne leur restait plus qu’à rompre la contre-digue de Couwestein pour que l’inondation s’étendît de Lillo à Anvers ; si le prince de Parme avait pu dès lors s’emparer de la contre-digue de Wilmersdonk, le combat se serait livré sur celle-ci, qu’on aurait probablement renforcée et exhaussée.
M. Vandenbossche. - Je dois aussi m’opposer au projet ministériel. Je ne parlerai pas de tous les inconvénients qu’ont fait ressortir les honorables MM. Gendebien et de Puydt auxquels on n’a pas répondu ; mais j’ai entendu dire à l’honorable M. Rogier que les habitants des polders, non encore inondés jusqu’à ce jour, étaient menacés de l’être, ce qui exigerait un renforcement dans les digues de Oordam, Ettenhoven, Staebroeck et peut-être même de Beerendrecht ; je crois qu’il est de toute nécessité de renforcer ces digues. Ce renforcement exigera des sommes plus considérables que la construction de la digue intérieure à 1,500 mètres. Sous ce point de vue, ce serait une double dépense qui nous resterait à faire. Pour cela, je préférerais que l’on renforçât les digues qui actuellement contiennent l’inondation ou qui au moins la contenaient avant la tempête du 24 février, et que l’on indemnisât les propriétaires des polders actuellement inondés ; car ce ne sont pas ceux-là que nous ne pouvons pas secourir autrement que par des indemnités.
M. le ministre des travaux publics dit que l’inondation ne peut jamais s’étendre jusqu’à Anvers, mais au moins des polders considérables peuvent être inondés et je désirerais avant tout qu’ils fussent préservés contre toute inondation future.
Au commencement de la discussion on avait regardé le fort Lacroix comme de peu d’importance ; mais sur l’interpellation de l’honorable M. Gendebien à M. le ministre de la guerre, celui-ci y a trouvé finalement une importance pour la conservation de la digue d’Oordam, importance minime d’après lui, parce que ce fort ne peut protéger cette digue dans toute son étendue. Il a dit qu’auparavant il y avait différents forts ; mais si la digue a besoin de plusieurs forts pour être protégée, je désire que l’on établisse ces forts qui la protégeront dans toute son étendue.
(Moniteur belge n°132, du 12 mai 1837) M. Gendebien. - Messieurs, pour prouver la nécessité de conserver et de défendre par tous les moyens possibles la digue d’Oordam et le fort qui la protège, plusieurs honorables membres, ainsi que moi, nous disions que si cette digue était rompue, les eaux s’étendraient jusqu’à Anvers.
Pour répondre à cette observation, le ministre des travaux publics vient de vous dire : Ce n’est pas seulement la digue d’Oordam qui défend Anvers contre les inondations, c’est en première ligne la digue Ferdinand protégée autrefois par un fort de ce nom ; c’est en outre, et en seconde ligne, la digue de Wilmarsdonck, digue très importante et très forte, défendue, vous dit-on, par un fort, le fort Ferdinand.
En examinant la carte, on remarque, en effet, que ces deux digues aboutissent à un fort sur l’Escaut, comme la digue d’Oordam au fort Lacroix.
Eh bien de la réponse du ministre il résulte cette première observation que toutes les digues importantes sont défendues par un fort ; c’est lui-même qui appuie sur cette observation pour vous convaincre de l’efficacité de la digue de Wilmarsdonck qui est en seconde ligne.
C’est cependant ce même ministre qui vous propose précisément de détruire le fort Lacroix qui défend la digne d’Oordam ; ce sont ces mêmes ministres qui soutiennent que le fort Lacroix est inutile et complètement impuissant pour protéger la digue d Oordam.
On n’a cessé d’effrayer votre imagination des dangers pour les habitants des polders situés derrière la digue d’Oordam, et on oublie tout à coup ces dangers, tout ce qu’on a dit à ce sujet, quand on veut prouver que les habitants d’Anvers n’ont rien à craindre si les dangers pour les premiers se réalisaient,
On dit, pour rassurer les habitants d’Anvers précisément ce que nous disons qu’il faut faire pour garantir les polders qui sont protégés par la digue d’Oordam.
Voyez donc l’embarras des défenseurs du projet, obligés de dire à la fin de la discussion le contraire de ce qu’ils disaient au commencement. Tant il est vrai que leur cause est mauvaise ; car, avec tout le talent que chacun leur reconnaît, s’ils soutiennent aussi mal la discussion, c’est que leur cause est bien mauvaise.
Assurément, si leur cause était bonne, ils ne tomberaient pas dans toutes ces contradictions.
Voyez maintenant la conséquence.
La digue de Wilmarsdonck, vous dit-on, est très solide ; elle est défendue par le fort Philippe. Elle pourra par surcroît être défendue par le nouveau fort qui sera fait à 700 mètres en amont, en remplacement du fort Lacroix ; quand il sera fait, bien entendu, car il ne l’est pas encore, et nous ne savons pas quand il le sera.
Sous ce rapport, la défense de la fameuse digue de Wilmarsdonck pourra rester longtemps encore incomplète.
Regardons ensuite sur la carte la position du fort Philippe. Il est au fond d’un angle rentrant sur l’Escaut, et s’éloignant considérablement du centre à défendre, il est loin de pouvoir défendre la digue de Wilmarsdonck dans toute son étendue, même de la huitième partie de cette étendue ; mais comme on n’a pas promis de démolir le fort Philippe, on est plus accommodant que pour le fort Lacroix.
On dit que le fort Lacroix ne peut défendre la digue d’Oordam ; voyons : le fort Philippe est plus éloigné de plus de 3,000 ou 4,000 mètres que le fort Lacroix du centre à défendre, ; il suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur la carte ; cependant on compte sur le fort Philippe pour défendre la digue de Wilmarsdonck, et l’on s’obstine à regarder le fort comme inutile à la défense de la digue d’Oordam. Quelle pitoyable contradiction !
Quand nous parlons de la nécessité d’entretenir la digue d’Oordam, on objecte l’énormité d’une dépense d’ailleurs inutile, dit-on ; et maintenant on vous dit, quant à la digne de Wilmarsdonck déjà très solide : Nous pouvons l’exhausser, la fortifier et l’entretenir de manière à en faire une digue de mer.
Ainsi vous allez commencer par faire pour la digue de Wilmarsdonck ce que vous avez déjà fait depuis 6 ans pour la digue d’Oordam.
Vous allez dépenser des millions à la digue de Wilmarsdonck, pour répondre à nos inquiétudes sur les résultats de la rupture de la digue d’Oordam ; or, si ma mémoire est bonne, vous avez dépense depuis 1831 la somme de 17 à 1,800,000 francs pour renforcer cette digue.
Voilà ce que vous dépenserez pour mettre la digue de Vilmarsdonck dans l’état où se trouve actuellement celle d’Oordam, indépendamment des dépenses que vous devrez faire à la digue d’Oordam et de celles de démolition et de reconstruction du fort Lacroix.
Vous serez obligés de faire toutes ces dépenses à la fois d’après votre système, si vous voulez sincèrement défendre les habitants des polders derrière la digue d’Oordam et les habitants d’Anvers derrière la seconde ligne, la fameuse digue de Wilmarsdonck, si heureusement découverte ce matin.
Que faut-il conclure de tout cela, messieurs ? Que jusqu’à ce que la paix soit conclue, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’on pourra travailler avec sécurité et avec espoir fondé de conservation, l’essentiel est de renforcer et de conserver les digues d’Oordam et d’Etterhoven.
Conservez donc le fort Lacroix qui la défend, qui la protège ; ayez un fort intermédiaire s’il le faut, entre le fort Lacroix, et le village d’Ettenhoven.
L’histoire est là pour nous dire ce que nous avons à faire. Après les fameux combats dont on a tant parlé depuis deux jours, on a élevé deux forts intermédiaires ; aujourd’hui, la portée de l’artillerie étant plus forte, un seul suffit ; au reste, s’il en faut deux, on en fera deux. Pour ceux qui veulent sincèrement et efficacement protéger les habitants des polders, ils ne peuvent hésiter à faire cette dépense ; pour ceux qui veulent éviter une dépense double à la digue de Wilmarsdonck, ils peuvent moins hésiter encore.
Un dernier mot encore. On a cru répondre à une de mes observations en disant qu’on avait une garantie dans les entrepreneurs que tous les risques étaient laissés à leur charge.
J’ai interrompu le ministre des travaux publics pour lui demander combien coûterait à l’Etat cette garantie à donner par les entrepreneurs : le ministre n’a pas répondu. Pour moi, je ne pense pas qu’il y ait un entrepreneur qui veuille, pour le double de la somme du devis des travaux, se charger d’une pareille garantie ; et je ne pense pas qu’il y ait un ministre assez imprudent pour faire un pareil contrat s’il trouvait un entrepreneur assez sot ou assez fripon pour y consentir. En effet, si l’événement se réalisait, un procès s’ensuivrait incontestablement ; et lorsque, dans une affaire aussi considérable, il y a procès entre un particulier et le gouvernement, on sait que les juges sont toujours et fort naturellement disposés à donner tort au gouvernement et raison aux entrepreneurs. Vous ne trouverez personne qui s’engagera à une pareille garantie, et aucun moyen de faire exécuter la clause de garantie. Vous vous exposez donc à dépenser une somme énorme pour une garantie tout à fait illusoire ; elle sera illusoire, et néanmoins l’entrepreneur, s’il s’en présente à ces conditions, ne manquera pas porter l’évaluation au taux le plus élevé possible.
Indépendamment de cela, quelle gêne la convention du 25 avril n’impose-t-elle pas aux entrepreneurs ? Croyez-vous qu’ils ne vous feront pas payer cher cette gêne et toutes les éventualités ? Ils vous les feront payer au double et au triple de la dépense probable. C’est toujours ainsi que l’on procède, surtout pour des travaux aussi considérables, et où la concurrence n’est pas grande, ces travaux ne pouvant être adjugés qu’à de grands capitalistes : ceux-là, toujours certains par leur petit nombre que l’on a besoin d’eux, ne manqueront pas de faire payer le plus cher possible et les travaux et les garanties que l’on se propose d’exiger.
Enfin, messieurs, je ne saurais trop le répéter, vous commettez la plus haute imprudence si vous permettez d’entreprendre maintenant un travail de cette importance. Prenons des mesures provisoires, puisque nous sommes dans une position provisoire ; attendons la paix ; occupons-nous d’indemniser le plus promptement possible les malheureux habitants des polders, et fortifions les points les plus importants pour notre défense et la conservation de tous les polders.
(Moniteur belge n°131, du 11 mai 1837) M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il n’y a aucune contradiction entres mes paroles d’hier et celles d’aujourd’hui.
On avait dit hier à plusieurs reprises que les Hollandais, occupant les rives de l’Escaut au-delà de Liefkenshoek et de Lillo, pourraient inonder le pays des deux côtés du fleuve ; répondant aujourd’hui à cette allégation, j’ai fait la simple observation qu’il y avait sur les deux rives des contre-digues qu’on pouvait, en cas de guerre, exhausser et renforcer ; je dis en cas de guerre, car je ne crois à une rupture des rives de l’Escaut en aval de Liefkenshoek et de Lillo, qu’en cas de guerre.
On prétend que le fort Lacroix doit être conservé parce qu’il défend la contre-digue d’Oordam ; je dis que le fort Lacroix ne la défend pas dans toute son étendue. Renversant la proposition, je dis qu’il ne faut pas conserver le fort Lacroix, parce qu’il ne peut à lui seul conserver la contre-digue.
L’honorable M. Gendebien, sentant ce qu’il y avait de faible dans son argumentation, a ajouté : « Le fort Lacroix conservera l’endiguement à condition que l’on construira d’autres forts. » Ainsi, on reconnaît que le fort Lacroix, considéré isolément, est impuissant pour garder l’endiguement. Non seulement il faudrait exhausser les endiguements et les renforcer pour donner la sécurité nécessaire aux polders, il faudrait encore protéger ces endiguement par de nouveaux forts, car le préopinant avoue que le fort Lacroix ne peut protéger cette immense étendue d’endiguements. J’ai eu tort moi-même de dire que le statu quo n’entraînait que l’exhaussement et le renforcement de l’endiguement de Lillo ; entraîne encore la nécessite de l’établissement de nouveaux forts ; il faudrait faire ce que l’on avait fait en 1585, où le fort Lacroix n’était pas seul ; on avait établi d’autres forts de l’une à l’autre extrémité de l’endiguement ; les forts établis le long de la digue se touchaient en quelque sorte.
L’endiguement ainsi garni, flanqué de forts, était suffisamment défendu. Mais le fort Lacroix tout seul, je le répète, chargé de protéger un grand endiguement, ne donne pas plus de sécurité que s’il n’existait pas.
Ainsi, messieurs, vous renforcerez et vous exhausserez l’endiguement de Lillo, et pour être conséquents, vous entourerez cet endiguement de plusieurs forts. En faisant tout cela vous n’aurez encore rien fait pour les habitants et les propriétaires des polders inondés à qui vous devez une énorme indemnité, vous n’aurez rien fait pour la navigation de l’Escaut toujours compromise. (La clôture ! la clôture !)
- La chambre ferme la discussion.
M. Fallon., l’un des vice-présidents occupe le fauteuil. Il se dispose à mettre aux voix l’article du gouvernement.
M. Gendebien. - Il s’agit d’un traité qui engage le pays, il faut donc que le traité soit ratifié par la chambre ; par conséquent cette ratification est préalable.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - En votant le crédit on ratifie le traité.
M. Rogier. - Le gouvernement n’a pas interrogé la chambre sur le traité ; il a demandé un crédit : pour quoi faire ? Pour construire une digue dans l’intérieur du polder de Lillo et il est fâcheux que cette question ait été perdue de vue. La chambre, en votant le chiffre, approuvera implicitement la convention. Ce serait par suite d’une susceptibilité mal fondée que l’on poserait la question de l’approbation du traité ; jamais on en a posé de semblable, et le gouvernement doit la repousser.
Il est à regretter que dans cette discussion on ait fait de l’histoire, de la stratégie, et que l’on n’ait pas davantage songé à la seule chose qu’il s’agit d’exécuter, la digue intérieure dans le polder de Lillo, après avoir garanti le polder de Borgerweert.
Voilà sur quoi vous êtes interrogés, voilà sur quoi vous avez à répondre. Je demande que l’on passe au vote sur les questions posées par le gouvernement, et je demande la question préalable sur la proposition de M. Gendebien.
Si on posait la question comme le veut M. Gendebien, je demanderai à cet honorable membre comment il protégera les polders menacés ; je l’interpelle directement sur ce point.
M. Gendebien. - Et par conséquent, je ne répondrai pas ; vous n’avez le droit que de vous adresser à la chambre.
M. Rogier. - Je ne vous interpellerai donc pas directement parce que je ne veux offenser la susceptibilité de personne ; mais j’interpellerai tous les membres de cette chambre, et leur demanderai comment on garantira les polders menacés.
On n’a pas répondu un seul mot à cette question que j’ai déjà faite plusieurs fois. On a parlé de constructions de forts, on a parlé d’histoire, et on n’a pas parlé sur le point fondamental. Je le répète, je demande comment on parviendra à garantir des milliers d’hectares de terrains menacés ; comment on rassurera les habitants de cette contrée, les habitants d’Anvers même qui craignent tous les matins de se trouver inondés.
Vous aurez beau indemniser...
Plusieurs membres. - Vous discutez le fond.
M. Rogier. - Oui, c’est le fond, c’est le cœur de la question ! et je suis charmé de voir que ce que je dis excite des murmures, cela m’engage à continuer. (A demain ! à demain !)
- Les députés quittent leurs places.
La séance est levée. Il est près de cinq heures.