(Moniteur belge n°129, du 9 mai 1837 et Moniteur belge n°130, du 10 mai 1837)
(Moniteur belge n°129, du 9 mai 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées la chambre.
« Le sieur Beaujean, capitaine en retraite, demande être placé dans l’armée de réserve. »
« Le sieur Gigot Seghers, fabricant de gants à Etterbeck, demande que les gants français soient frappés d’un droit de 15 p. c. à l’entrée. »
« Le conseil communal de Tournay demande que le droit d’entrée sur la bonneterie étrangère soit établi au poids, conformément aux conclusions de la section centrale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi de douane.
« Le sieur Antonin Pieux de Rigel, ingénieur venu d’Autriche à Bruxelles pour offrir une invention nouvelle concernant les chemins de fer, se plaint de n’avoir pas obtenu l’accomplissement des promesses qui lui avaient été faites par le gouvernement. »
« Des habitants de Dison (Verviers) demande que la chambre décide que les indemnités dues par les villes, du chef des pillages, soient mises à la charge de l’Etat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi sur les indemnités.
« Des sauniers de diverses localités adressent des observations en faveur de la loi sur les sels. »
- Renvoyé à la section centrale chargée de l’examen de la loi sur le sel.
« Le sieur J.-B. Nihoul demande qu’on mette un droit plus élevé sur les pipes étrangères. »
M. de Puydt. - Parmi les pétitions mentionnées il en est une d’un ingénieur mécanicien étranger, qui est venu offrir à la Belgique une invention nouvelle relative aux chemins de fer ; il se plaint d’une espèce de déni de justice sur lequel il importe que nous ayons prompte solution. Je demande le renvoi du mémoire à la commission des pétitions, avec invitation de faire un rapport dans le courant de la semaine.
- La proposition est adoptée.
M. de Brouckere. - On vient de vous annoncer une pétition adressée à la chambre par un fabricant de gants, qui demeure dans les environs de Bruxelles, et qui, à l’occasion de la loi des douanes, demande un droit d’entrée de 15 p. c. sur les gants venant de France. J’ignore l’accueil qui sera fait à cette requête ; mais il me semble qu’elle mérite d’être l’objet d’un examen. Ce fabricant emploie un grand nombre d’ouvriers, et il prétend qu’il devra les congédier, si on n’élève pas les droits. Je demanderai que sa pétition soit renvoyée à la commission d’industrie, afin qu’elle fasse un prompt rapport, pour savoir si l’on ne doit pas faire une proposition législative spéciale, relativement à la ganterie.
- Cette proposition est adoptée.
M. Thienpont. - Dans la séance de vendredi dernier, une pétition vous a été présentée par les sauniers d’Audenaerde. Comme elle contient, sur le sel, des opinions contraires à celles que d’autres pétitionnaires ont émises et qui ont été insérées au Moniteur, je demande qu’elle soit également insérée au Moniteur.
- La proposition est adoptée.
M. le président. - On pourra déposer sur le bureau la pétition sur les pipes quand ou discutera la loi des douanes.
M. Gendebien. - Je demanderai que cette pétition soit imprimée au Moniteur : on sait quel est le résultat du dépôt sur le bureau ; je ne puis consentir qu’on se borne à l’adopter.
M. Desmet. - On fera bien de renvoyer cette pétition à la section centrale qui examine l’article relatif à la poterie. Les fabriques de pipes sont fort importantes.
- Le renvoi à la section centrale est ordonné.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Fallon dépose sur le bureau des rapports sur des demandes en naturalisation.
M. Milcamps dépose aussi sur le bureau des rapports sur demandes en naturalisation.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, en vous présentant, le 1er mars, le compte-rendu des travaux, de l’entretien et de l’exploitation du chemin de fer, je vous disais : « Un premier complément que nous devons dès à présent considérer comme indispensable, est la section de Gand vers Lille par Courtray, avec embranchement sur Tournay ; prochainement vous serez appelés à donner cette première extension à la loi du 1er mai 1834. »
Cet engagement, je viens le remplir aujourd’hui.
Les débats qui ont précédé la loi du 1er mai 1834 sont déjà loin de nous : avant le vote de cette loi, avant l’expérience qui en a été faite, on pouvait douter s’il fallait faire intervenir le gouvernement dans l’établissement des chemins de fer. Arrivés jusques à Gand, est-il de notre intérêt de continuer la nouvelle communication vers la France, et de faire entrer les chances de bénéfice qu’offre ce prolongement dans le système général de compensation qui domine la loi du 1er mai 1834 ; ou bien faut-il abandonner cette section à l’industrie privée, et lui laisser le soin de mettre le chemin de fer construit aux frais de l’Etat en rapport avec deux des contrées les plus importantes de la Belgique et de la France ? Ramenée à ces termes, messieurs, la question ne peut être douteuse.
La proposition qui vous est soumise n’est donc pas destinée à renouveler la discussion de principe qui a occupé la législature en 1834.
Il y a plus : si quelque partie du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai offrait des chances de perte, il faudrait, pour les compenser par un bénéfice certain sur d’autres parties, assurer à l’Etat l’exploitation du prolongement du chemin de Gand vers la France.
Le gouvernement vous propose non seulement de continuer le chemin de Gand vers Lille, mais de faire un embranchement de Tournay à la frontière.
Ces deux propositions se lient intimement : par cet embranchement, les provinces du Hainaut et des Flandres se trouveront rattachées l’une à l’autre, en même temps qu’elles le seront à la partie la plus importante du département du Nord.
La longueur de la section de Gand jusqu’à la frontière de France par Courtray est d’environ 55,000 mètres, et celle de l’embranchement de Tournay jusqu’à la frontière d’environ 19,000 mètres ; total, 74,000 mètres.
C’est un peu plus que le développement des trois sections de Malines à Bruxelles, Anvers et Termonde, qui, réunies, offrent une longueur de 70,780 mètres.
Ce rapprochement prouve qu’en plusieurs points la construction et l’exploitation des trois sections déjà livrées à la circulation peuvent offrir des éléments de comparaison ; toutefois, il ne faut perdre de vue que ces trois sections, dont le coût, d’après le compte-rendu du 1er, n’est encore que de six millions environ, n’ont ni matériel complet, ni stations définitives, et qu’elles manque d’une seconde voie.
Le projet a été étudié à deux reprises par des ingénieurs différents.
La direction adoptée par les uns et les autres, tant pour la section principale que pour l’embranchement, est en général la même.
Il a paru aux uns et aux autres qu’il fallait suivre, à partir de Gand jusqu’à Courtray, le bassin de la Lys, en se tenant sur la rive droite de cette rivière ; les différences consistent dans des délais d’exécution, qui doivent rester en dehors du texte de la loi, et sur lesquels il est réservé à l’administration de statuer définitivement.
D’après le plan de MM. Simons et de Ridder, la construction de la route proprement dite, des stations définitives et des dépendances, est évaluée à 6,620,000.
D’après le plan de MM. Vifquain, de Moor et Noël, la même dépense est évaluée à 7,209,537 fr.
Dans ces évaluations ne sont pas comprises les dépenses imprévues, ni l’intérêt des capitaux durant l’exécution.
Vous trouverez ci-joints les deux mémoires ; vous porterez surtout votre attention sur les questions d’utilité générale et de probabilité de bénéfice ; questions qui me semblent devoir déterminer votre vote, indépendamment de certains détails d’exécution, à l’égard desquels vous jugerez sans doute convenable de laisser toute latitude au gouvernement.
Dans leur mémoire, MM. Simons et de Ridder ont également calculé quelles seront les dépenses et les recettes annuelles, tant pour le transport des voyageurs que pour celui des marchandises ; vous serez convaincus que des considérations financières suffiraient pour déterminer l’Etat à se réserver l’exploitation de ce chemin. (Voir ce mémoire à la suite de la séance.)
Lorsque l’exécution du chemin de fer de Paris vers Bruxelles était incertaine encore, le gouvernement avait déjà résolu de faire aboutir la communication nouvelle à la frontière sur deux points, en usant de l’autorisation que lui donne la loi du 1er mai 1834, pour diriger un embranchement de Bruxelles par le Hainaut sur Valenciennes, et en vous demandant l’autorisation de prolonger le chemin de Gand vers Lille : il espère que vous le mettrez à même de ne pas se laisser devancer.
« Projet de loi.
« Léopold, Roi des Belges.
« A tous présents et à venir, salut.
« Sur la proposition de notre ministre des travaux publics,
« Nous avons arrête et arrêtons :
« Notre ministre des travaux publics présentera aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :
« Léopold, etc.
« Vu la loi du 1er mai 1834 décrétant l’établissement d’un système de chemins de fer, ayant pour point central Malines, et se dirigeant à l’est, vers la frontière de Prusse, par Louvain, Liège et Verviers ; au nord, sur Anvers ; à l’ouest sur Ostende, par Termonde, Gand et Bruges ; et au midi, sur Bruxelles et vers les frontières de France, par le Hainaut :
« Voulant donner une première extension à la loi du le mai 1834 par la continuation du chemin de fer de Gand vers Lille ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Il sera établi, aux frais de l’Etat, un chemin de fer de Gand à la frontière de France par Courtray, avec un embranchement sur Tournay.
« Art. 2. Il sera pourvu à cette dépense par les moyens qui ont été ou qui seront mis à la disposition du gouvernement pour l’exécution de la loi du 1er mai 1834.
« Mandons et ordonnons, etc.
« Donné à Bruxelles, Le 7 mai 1837.
« Léopold.
« Par le Roi :
« Le ministre des travaux publics,
« Nothomb. »
- Sur la demande de M. Dubus, le projet sera renvoyé à une commission spéciale qui sera nommée par le bureau.
M. A. Rodenbach. - Le projet de loi que vient de nous présenter le ministre des travaux publics a pour but de construire, aux frais du gouvernement, un chemin de fer de Gand à Courtray, avec embranchement sur Tournay. Je m’étonne que dans ce projet Il ne soit nullement question de l’embranchement de Courtray à Roulers, qui serait cependant d’une très haute importance, car la plus grande partie de la Flandre occidentale reçoit les pierres, la chaux, les cendres et presque tous les engrais du Hainaut. Le mouvement commercial entre Mons, Tournay, Courtray, Iseghem, Roulers et banlieue est très considérable. La construction de la voie en fer que je réclame aurait pour conséquence inévitable l’abaissement du prix des houilles de Mons pour la Flandre. Déjà plusieurs fois j’ai élevé la voix dans cette enceinte sur la cherté de ce combustible. Et quel immense avantage cela ne procurerait-il pas également aux consommateurs ainsi qu’au grand nombre de fabriques ? Il est à ma connaissance qu’une concession a été demandée pour l’embranchement de Roulers. Il m’importe donc de savoir quelle est, a cet égard, l’intention du gouvernement et si on ne fera rien pour la ville de Roulers, qui certes mérite aussi d’être dotée de moyens rapides de communication, indispensables pour la prospérité de son commerce et de son agriculture.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) répond que le gouvernement n’a pas cru devoir comprendre dans le projet un embranchement de Courtray à Roulers ; mais il déclare que le gouvernement est prêt à faire une concession particulière à ceux qui se proposeraient de construire cet embranchement s’ils présentaient des conditions acceptables.
La chambre passe au second vote sur le projet de loi concernant les examens au grade de docteur en droit.
Ce projet est adopte comme il est sorti de la première délibération de la chambre, à l’unanimité des 62 membres présents. Il est ainsi conçu :
« Article unique. Les examens pour le grade de docteur n’auront lieu, jusqu’à la fin de la deuxième session de l’année 1838, que sur les matières qui étaient enseignées dans les universités et qui formaient l’objet des cours dont la fréquentation était obligatoire, lors de la promulgation de la loi du 27 septembre 1835. »
M. Gendebien. - Messieurs, avant d’émettre mon opinion sur la convention du 25 avril 1837, je me permettrai d’adresser une interpellation au ministère. Je demande si le ministère a agréé, ratifié ce traité ; je me réserve de développer mes observations lorsqu’il aura répondu.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je suppose que la demande de l’honorable M. Gendebien se réduit à ceci : « Le ministère a-t-il ratifié la convention du 25 avril ? les ratifications sont-elles échangées ; de sorte que, par l’échange de ces ratifications, l’acte dont il s’agit soit devenu définitif entre la Belgique et la Hollande ? » Je répondrai que cette formalité n’est pas encore remplie, et qu’elle n’a pu l’être avant le vote du crédit qui vous est demandé précisément pour mettre le ministère à même de la remplir. Cette déclaration est conforme à ce que j’ai dit avant-hier à la chambre : vous discutez librement ; le ministère, comme ministère, a accepté ; de votre vote dépend l’exécution de la convention.
M. Gendebien. - Il me semble que j’ai adressé au ministère une question extrêmement simple ; je voudrais qu’il me répondît avec la même simplicité.
Le gouvernement a-t-il, oui ou non, agréé la convention du 25 avril ? Voilà ce que je demande.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il ne peut le faire que quand les fonds seront votés.
M. Gendebien. - Ce n’est pas là ce que je demande : quand la chambre aura vote les fonds, elle aura, en ce qui la concerne, ratifié la convention ; mais, avant de voter ces fonds, il est indispensable que nous sachions si le gouvernement lui-même accepte le traité ; car il pourrait se faire qu’après que nous aurions voté les fonds, le gouvernement n’acceptât pas la convention, et nous aurions alors perdu notre temps à discuter le projet qui nous occupe.
Veuillez remarquer, messieurs, que lorsqu’il s’est agi des négociations qui ont amené la convention du 5 août 1836, le gouvernement n’a pas hésité à écarter cette note : de ce qu’il n’écarte pas de même la convention du 25 avril, on peut, j’en conviens, conclure qu’il accepte ; mais je désire avoir une certitude à cet égard. Il est facile au ministère de dire s’il accepte aujourd’hui, comme il a repoussé alors.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Le gouvernement accepte la convention conditionnellement, c’est-à-dire pour autant que, par le vote du crédit demandé, la chambre le mette à même de l’exécuter. Il ne faut pas faire résulter une contradiction du refus fait des propositions renfermées dans la note du 5 août 1836 ; notre position était tout autre alors qu’aujourd’hui ; la marée du 25 février dernier est venue nous apprendra tous les dangers de notre situation ; ce sont ces dangers qui ont engagé le ministère à revenir aux premières négociations ; il a obtenu des modifications telles qu’il a cru pouvoir autoriser son commissionnaire à signer la convention qu’il ne peut accepter que conditionnellement.
M. Gendebien. - Le ministère a bien de la peine à rester dans la simplicité avec laquelle j’ai posé la question. Il en est aujourd’hui comme alors qu’il s’est agi des 18 articles, dont personne n’a voulu se constituer le parrain, si ce n’est deux membres du congrès qui ont bien voulu les prendre sous leur protection ; il en est résulté que la responsabilité en est restée tout entière au congrès. La nation a fait justice des deux parrains : ils n’ont plus été renvoyés à la chambre. Ici aussi le ministère semble s’en référer à nous pour la convention du 25 avril ; il ne l’accepte pas, mais il nous propose de l’accepter ; le ministère a raison, car si tout mauvais cas est niable, cette convention est d’une telle nature qu’il est prudent d’en décliner la responsabilité.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je déclare que le ministère accepte sa convention, sauf les droits des chambres.
M. Gendebien. - Enfin, le ministère accepte donc ! Eh bien, messieurs, remarquez son inconséquence : il a refusé nettement la convention du 5 août 1836, et voici ce que porte à cet égard le premier rapport qui vous a été soumis le 6 février dernier par un des ministres : « Le commissaire belge dut nécessairement en référer au gouvernement pour les conditions mises par la Hollande à l’établissement d’une digue à 1,500 mètres du fort Lacroix ; cela a soulevé une double question ; de dignité nationale et de défense militaire, qu’on doit se borner à énoncer : le conseil des ministres n’a point hésité à déclarer qu’il ne pourrait pas consentir à la destruction du fort Lacroix, et les contre-propositions du commissaire hollandais ont été écartées. »
Eh bien, messieurs, voyons si les propositions du 25 avril sont pins acceptables que celles du 5 août ? Loin de là, messieurs, toutes les conditions sont aggravées, et toutes celles qui ont déterminé le ministère, quand il n’a pas hésité à repousser la convention du 5 août, se trouvent reproduites dans la convention du 25 avril ; il y a donc les mêmes raisons pour repousser la dernière que la première. Mais il y a plus, messieurs, comme l’a déjà dit un de nos honorables collègues, et tant il est vrai que notre diplomatie fait des pas immenses, comme on n’a cessé de le dire et de s’en vanter depuis le commencement d’avril 1831, toutes les stipulations honteuses ont été aggravées.
C’est ainsi que la convention du 25 avril met en interdit, non pas 1,750 mètres de terrain à partir du fort Lillo en remontant la digue de l’Escaut, comme le faisait la note du 5 août, mais elle met en état d’interdit 2,200 mètres ; voilà le pas immense, voilà un premier avantage des nouvelles négociations !
Qu’a-t-on dit, messieurs, pour justifier l’acceptation des secondes propositions ? On a dit (et le ministre l’a répété samedi) qu’il est bien vrai que la proposition du 5 août a été repoussée parce qu’elle exigeait la démolition du fort Lacroix, mais que, d’après la convention du 25 avril, le fort Lacroix ne doit plus disparaître préalablement ; qu’il ne doit plus être démoli qu’à mesure que les travaux d’endiguement avanceront. On ne fait pas attention, messieurs, qu’aux termes des articles 2 et 3 de la convention du 25 avril, le fort Lacroix doit être désarmé et évacué par les troupes belges, et que la démolition doit commencer endéans les dix jours qui suivront la mise en œuvre de la construction de la digue des écluses d’évacuation : quelle différence y a-t-il, messieurs, entre le désarmement et l’évacuation immédiate du fort Lacroix et la démolition instantanée de ce fort ?
L’article 5 du nouveau traité porte :
« La démolition du fort sera faite aux frais du gouvernement belge ; un officier du génie néerlandais sera chargé de la surveiller. » Veuillez remarquer, messieurs, que la note du 5 août demandait la démolition du fort Lacroix, mais qu’elle ne stipulait pas l’inspection d’un officier hollandais. Maintenant c’est sous la direction d’un officier hollandais que le fort sera détruit, c’est un officier ennemi qui viendra en armes, la cocarde en tête, présider à la destruction d’un de nos moyens de défense !
Jugez, messieurs, d’après cette simple observation, combien nos conditions sont devenues meilleures, sont devenues plus honorables ! Dans la première convention, repoussée comme contraire à notre dignité, le gouvernement hollandais s’en rapporte à notre loyauté ; dans la seconde, qu’on accepte, le roi Guillaume se défie de notre loyauté, la met en doute : cependant on accepte cette convention, et l’injure et l’insulte directes qu’elle contient.
Ce n’est pas tout. Cet officier se concertera avec l’ingénieur belge du corps des ponts et chaussées, chargé des travaux d’endiguement ; il pourra, à cet effet, résider au fort Lacroix. Ainsi, voilà un officier hollandais qui pourra résider sur notre territoire. Ceci n’était pas non plus stipulé dans la convention du mois d’août dernier.
Maintenant, messieurs, on met l’officier hollandais en rapport avec un officier civil belge, car on ne parle pas d’officier du génie militaire. On ne veut pas égalité de position entre les deux officiers ; on ne veut pas que la cocarde belge soit en présence de la cocarde orange. Alors qu’il s’agit d’un fait militaire, il semble qu’il soit tout naturel que l’affaire se traite par l’intermédiaire de deux officiers portant les mêmes insignes, les mêmes épaulettes. Mais ici encore la suprématie du roi Guillaume est caractérisée dans son commissaire par les insignes d’officier militaire : en un mot, les dispositions sont prises de telle façon, qu’elles semblent être une convention entre le ministère du waterstaat et le ministre de la guerre du royaume des Pays-Bas pour la démolition d’un fort appartenant au roi Guillaume. C’est absolument une seule et même chose.
Je ne trouve certes là aucune raison pour ne pas persister dans la résolution qui a fait repousser la première convention ; mais le ministère trouve précisément dans cette circonstance un motif pour dévier de la première résolution et pour accepter un traité plus honteux ; car c’est parce que le fort ne sera démoli qu’au fur et à mesure de l’endiguement qu’il a trouvé la proposition plus acceptable.
D’après l’article 18 de la convention du 25 avril, le commandant du génie des forts de Lillo et de Liefkenshoek sera autorisé à visiter en tout temps les travaux ; il lui sera délivré un sauf-conduit à cet effet.
Aux termes de l’article 24, le commandant de Lillo et de Liefkenshoek pourra, en tout temps, visiter les polders de Lillo et de Liefkenshoek et toutes les digues.
Le traité du mois d’août ne contenait pas une semblable stipulation ; le fort rasé, nous faisions nos travaux sous l’inspection de l’autorité belge, et l’autorité hollandaise, soit civile, soit militaire, n’avait mot à dire.
Ainsi l’on octroie à l’autorité hollandaise l’autorisation de venir inspecter nos travaux et explorer nos polders ; et l’on considère cette stipulation comme honorable pour la Belgique ! Ne se rappelle-t-on pas combien, sous le règne du roi Guillaume, on s’est plaint amèrement du droit qui était attribué à Wellington de venir visiter nos places fortes ? C’était un acte de honteuse suprématie, disait-t-on, de la part des puissances alliées, de la part de l’Angleterre ; c’était une marque de sujétion de notre part ; c’était enfin, pendant tout le temps que durait l’inspection, un concert unanime de réprobation et d’attaques souvent virulentes.
Et ici, messieurs, l’on stipule qu’un officier hollandais viendra inspecter nos travaux, des travaux exécutés sur notre territoire, et il n’y aurait plus aucune honte à subir une semblable stipulation !
Mais, messieurs, de deux choses l’une : ou les écrivains qui se sont plaints si amèrement des visites annuelles de Wellington étaient bien extravagants, ou bien ils sont devenus aujourd’hui bien raisonnables, beaucoup moins chatouilleux sur le point d’honneur, et beaucoup plus inconséquent s’ils ne trouvent pas mauvais qu’un simple capitaine hollandais vienne présider à la direction de nos travaux et inspecter le pays quand bon lui semblera.
Je passe à l’art. 20 de la convention ; il porte :
« Les fortifications qui existeraient sur les digues de l’Escaut à une distance moindre de 3,000 mètres en amont de Liefkenshoek (distance mesurée le long des digues) ou en aval du fort, jusqu’à la limite de la Zélande, seront détruites sans qu’il en puisse être élevé de nouvelles. »
Mais, messieurs, n’est-ce pas là inféoder le pays au bon plaisir du roi Guillaume ? Quoi ! Nous ne pourrons plus élever de fortifications, ni en aval du fort Lillo, jusqu’à la limite du Brabant hollandais, ni en amont du même fort à une distance de 3,000 mètres ! Quoi ! nous serons obligés de détruire le fort Frédéric-Henri, sans jamais le rétablir ! Et faites attention, messieurs, que c’est là un amendement formel, perpétuel : « sans qu’il en puisse être élevé de nouvelles. » Comprenez-vous toute l’étendue de la honte d’une pareille stipulation ?
Vous voyez donc, messieurs, qu’indépendamment de la question d’honneur et de dignité qui seule a suffi au ministère pour ne pas hésiter à repousser la convention du mois d’août, nous avons ici un intérêt puissant de défense ; c’est en quelque façon notre droit naturel de défense qu’on nous enlève.
Et cependant, messieurs, on n’hésite pas à accepter la nouvelle convention. Je dis : on n’hésite pas, puisque le ministère, mis en demeure par moi, a fini par déclarer qu’il accepte cette honteuse convention.
Je passe à l’art. 21.
« Il ne pourra être fait de travaux de fortification dans les polders desséchés de Sainte-Anne-Ketenisse et Doel. Dans les cas où l’inspection des lieux ferait reconnaître que des ouvrages de cette nature sont exécutés ou commencés, la grande inondation serait tendue de nouveau, sans avertissement préalable. »
Ainsi, messieurs, quand nous aurons fait les nouvelles digues, nous ne pourrons faire, pour les conserver, aucune espèce de travaux de fortification dans les polders dont il s’agit. Il y a plus : d’après l’art. 22 de la convention, nous ne pourrons faire de digue intérieure dans ces polders sans le consentement du gouvernement hollandais et toujours, messieurs, sous peine d’une inondation générale sans avertissement préalable ! L’on peut dire, en un mot, que sur la rive droite et la rive gauche de l’Escaut c’est le roi Guillaume qui règne. Ce seront les ordres du roi Guillaume à La Haye qui seront reçus et exécutés en Belgique, et non ceux du Roi Léopold, qui est cependant à Bruxelles. (Mouvement.) Et l’on ose, pour vous arracher un vote, invoquer la dignité nationale ! L’on appelle cela agir dans l’intérêt de la nation belge, et par conséquent dans les vrais intérêts de l’honneur national !
« Art. 23. Aucune troupe armée ne pourra circuler à travers les polders asséchés. »
Ainsi, tandis que le commissaire hollandais stipule qu’aucun homme armé ne pourra se présenter dans les polders asséchés, d’un autre côté le commissure belge consent (art. 25) le passage de militaires hollandais en armes, sur le territoire de la Belgique. Cependant, l’on considère une semblable stipulation comme respectant la dignité nationale.
Messieurs, si ce traité ne blesse pas l’honneur, ou si vous voulez, les susceptibilités de la Belgique, je ne comprends plus rien à la dignité nationale, et je ne conçois plus pourquoi le ministère s’est empressé de repousser la note du mois d’août, comme blessant la dignité nationale. Car de deux choses l’une : ou le ministère doit avouer qu’il a eu tort de repousser la première convention, qu’il a compromis les intérêts du pays, ou bien il doit reconnaître qu’il a eu tort de repousser la première convention, qu’il a eu tort d’accepter celle du 25 avril. Et veuillez remarquer que le ministère vous a dit le 6 février qu’il n’a pas hésité à repousser celle-ci. Je demande comment il est possible maintenant que le ministère hésite à repousser un traité cent fois plus ignominieux.
Je repousserai donc et la convention du 25 avril et les conditions odieuses qui ont été acceptées pour et au nom de la Belgique. Je proteste hautement contre cette acceptation !
Est-ce à dire que je ne veuille rien faire pour les malheureux habitants de polders inondés ? Non, messieurs : dans la dernière séance on a reconnu que mes amis et moi avons souvent élevé la voix en faveur de ces habitants. Répondant à une de mes observations, l’honorable M. Rogier nous a dit que c’était des discours que nous avions jusqu’ici prononcés en faveur des inondés, mais que c’était maintenant un acte que l’on nous demandait : eh bien, cet acte, je l’apporte, le voici :
Je demande qu’avant de procéder à la discussion des articles, les questions suivantes soient soumises à la délibération de la chambre :
« Les représentants de la nation acceptent-ils les conditions imposées par la convention du 25 avril 1837, pour l’endiguement d’une partie du fort de Lillo et le resserrement de l’inondation qui entoure Liefkenshoek ? »
Si, comme je l’espère, la chambre repousse ces conditions honteuses, je propose une deuxième question :
« La nation acquerra-t-elle au profit du domaine les propriétés inondées ? »
En cas de négative. je propose qu’il soit provisoirement, et jusqu’à ce que les choses soient rétablies dans leur état primitif, porté au budget une somme suffisante pour payer annuellement aux victimes des inondations l’intérêt calculé à raison de 3 1/2 pour cent du capital des évaluations cadastrales.
Si, contre mon attente, la chambre accepte la convention du 25 avril, dans ce cas il sera toujours nécessaire de compléter la mesure en indemnisant ceux dont les propriétés resteront sous l’eau. Je propose, pour combler cette lacune, la disposition suivante :
« Les victimes dont les propriétés ne seront pas comprises dans les endiguements, seront indemnisées de l’une des deux manières ci- dessus proposées. »
Dans l’un et l’autre cas, c’est-à-dire, soit qu’il y ait endiguement ou non, soit que le domaine achète ou pas, je demande que les arriérés soient payés soit à raison de trois pour cent de la valeur réelle, soit à raison de trois et demi pour cent des évaluations cadastrales, pour chaque année de privation de jouissance.
Vous voyez, messieurs, que si d’un côté je m’élève avec énergie contre l’adoption de stipulations que je considère comme honteuses pour mon pays, d’un autre côté je veux indemniser les victimes des inondations d’une manière plus efficace et plus complète que ne le proposent le gouvernement et tous ceux qui ont parlé avant moi : car on n’a pas pensé jusqu’ici aux 300 hectares qui resteraient sous les eaux en faisant une digue à 1,500 mètres du fort. J’y ai pensé, je veux que les propriétaires de ces 300 hectares soient indemnisés ; et j’ai même pensé aux arriérés qui sont dus depuis le moment de l’inondation jusqu’au moment où ces terrains seront achetés ou asséchés.
Tout en me réservant de développer ultérieurement ma proposition, quand le moment en sera venu, je ferai remarquer que cette proposition nous place, vis-à-vis du roi Guillaume, dans une positon honorable qu’une nation comme la Belgique a droit de conserver et que tout gouvernement doit maintenir sous peine de dissolution.
Nous n’avons que trop cédé précédemment ; ceci est une conséquence de la faiblesse que nous avons montrée dans d’autres circonstances. Je vous ai dit souvent que vous alliez poser un précédent qui se ferait sentir à chaque pas quand on voudrait faire des négociations nouvelles.
Au traité de Zonhoven on a reculé après avoir posé les questions, après avoir posé le sine qua non. Appuyés par la France et l’Angleterre, nous n’avons pas même osé défendre les droits reconnus, les stipulations garanties par ces deux puissances ; nous avons reculé. Aujourd’hui on fait la même chose, on recule aussi ; et comme le disait très bien un honorable collègue, pour peu qu’on continue à négocier, vous aurez d’autres conditions bien plus dures, bien plus humiliantes. Prenez un parti, je ne dirai pas énergique, mais digne d’une nation de 4,000,000 en présence, je ne dirai pas de 2,000,000 de Hollandais, mais d’une dynastie chancelante dont les Hollandais feront eux-mêmes justice un jour.
Un autre orateur, tout en adoptant le projet présenté, a reconnu que les conditions en étaient très dures ; que si elles n’affectaient pas l’honneur national, elles le blessaient au moins.
Il a ajouté, il est vrai, que si l’honneur national imposait des devoirs dans nos relations avec les étrangers, il nous imposait aussi des devoirs d’humanité envers nos compatriotes. Eh bien, je satisfais à la fois à l’un et à l’autre devoir. Je satisfais au premier en repoussant avec dignité les exigences du roi Guillaume, et je satisfais au second en indemnisant nos malheureux compatriotes, et j’y satisfais plus complètement que ne le veut l’orateur lui-même auquel je fais allusion.
Vous allez dépenser au-delà de 2 millions, non compris la dépense de la construction d’un nouveau fort ; et quand vous aurez dépense cette somme, quelle garantie aurez-vous que, même avant que le travail ne soit achevé, on n’ouvre pas de nouveau les digues, ou qu’on n’entrave pas les dernières opérations pour leur construction ? Car, à en juger par tous les précédents, par la marche de la dernière négociation, par les preuves de mauvais vouloir, enfin par les exigences de Guillaume, il faut s’attendre à tout. Nous sommes en guerre avec la Hollande. Les hostilités peuvent recommencer ; les souvenirs du mois d’août vous donnent la mesure de la loyauté de notre ennemi et du mal qu’il peut nous faire.
Il n’y a pas deux mois que tout le monde était en émoi dans cette enceinte ; l’on cherchait à inspirer la chambre une terreur salutaire, afin d’en obtenir les moyens de repousser une agression que l’on considérait comme imminente. Et c’est dans de telles circonstances que l’on veut faire un endiguement qui diminuerait beaucoup, au dire du ministre des travaux publics, les moyens de défense du fort ! Et qu’arrivera-t-il si l’on opère l’endiguement ? Et qu’au premier moment, les Hollandais feront de nouvelles ouvertures, et que les eaux feront encore irruption sous prétexte que la défense du fort l’exige, ainsi que l’a avancé si imprudemment le ministère.
Ainsi vous allez dépenser deux millions en pure perte, puisque le lendemain de l’achèvement du travail ou même avant, tout peut être encore inondé. Les ministres viennent nous parler de la confiance presque aveugle que nous devons avoir dans le roi Guillaume. Il ne nous fera pas de mal, disent-ils ; il ne peut faire le mal pour le plaisir de le faire.
Mais pourquoi Guillaume nous laisse-t-il dans la position où il nous a mis depuis six ans, si ce n’est pour nous faire du mal ? Il pouvait consentir depuis six ans à nous laisser faire ce qui aurait réparé le mal ; mais, par le désir de faire le mal ou de l’aggraver, il ne l’a pas voulu. Pourquoi ces mauvais désirs ne lui reviendraient-ils pas ?
Quand il a été question des dix-huit articles, quand nous réclamions que l’on se tînt en garde contre les attaques de Guillaume, on a répondu par la confiance que l’on avait en Guillaume ; cependant il nous a attaqués à l’improviste et avec déloyauté ; et l’incurie et l’imprévoyance des ministres s’est montrée à nu au mois d’août 1831 : eh bien, le roi Guillaume a plus d’intérêt à recommencer maintenant les hostilités qu’à nous attaquer comme il l’a fait en 1831.
En 1831, vous savez que la France avait soixante mille hommes sur les frontières de la Belgique et prêts à se mettre en marche ; Guillaume n’avait alors aucune chance de succès ; néanmoins il a attaqué.
Mais aujourd’hui il y a presque nécessité pour lui de tenter la fortune, de faire de nouvelles attaques. Il ne peut plus contenir l’indignation de la Hollande, qui ne veut pas se sacrifier plus longtemps pour satisfaire des ambitions de dynastie ; la Hollande est sur le point de secouer le joug qui l’écrase, elle est plus fatiguée de son gouvernement que nous ne l’étions en 1830 ; et c’est dans un tel moment qu’on veut dépenser deux millions pour faire des travaux dont la durée dépendra du bon vouloir d’un roi notre ennemi irréconciliable !
Si vous voulez indemniser complètement les victimes des polders, adoptez ma proposition ; c’est le seul moyen d’assurer leur sort contre tous les événements de la guerre et les caprices d’un maître irrité. Si vous faites une digue, le lendemain on pourra encore pour six ans peut-être remettre sous les eaux les malheureux qui sont submergés depuis six ans, et qui le seraient encore pendant deux ans au moins si on entreprend l’endiguement.
M. F. de Mérode. - On désire l’assèchement !
M. Gendebien. - Moi aussi, plus que vous peut-être. Mais quand vous aurez dépensé deux ou trois millions pour faire cette digne, si notre ennemi la détruit, trouverez-vous les chambres bien disposées à renouveler cet énorme sacrifice ? Certes non ; on vous dira que je vous dis aujourd’hui : quelle sécurité avez-vous pour l’avenir ? quelle garantie vous donne-t-on que le travail ne sera pas le lendemain rompu ? Sans cette garantie peut-on dépenser trois millions après en avoir dépensé déjà autant ?
D’ailleurs les malheureux inondés ne seront-ils pas exposés à attendre sept ou huit ans ? En cas de nouvelle rupture, la chambre sera-t-elle disposée à les indemniser comme je le propose ? Le pays ne reculera-t-il pas devant ces dépenses sans cesse renaissantes ? Notre position est provisoire vis-à-vis du roi Guillaume ; eh bien, prenons une disposition analogue, prenons une mesure provisoire pour les polders. Voilà le seul moyen de procéder d’une manière rationnelle, logique, à l’égard des habitants des polders et en raison de notre situation politique.
Messieurs, je crois en avoir dit assez pour justifier ma proposition. On m’a demandé, dans la séance de samedi dernier, un acte favorable aux habitants des polders, j’ai produit mon acte ; si quelqu’un fait une proposition plus favorable, je déclare d’avance qu’à moins qu’elle ne soit déraisonnable, je l’accepterais. Mais jamais je ne consentirai aux stipulations du traité du 25 avril 1837.
(Moniteur belge n°130, du 10 mai 1837) M. F. de Mérode. - Il est assez singulier que le gouvernement éprouve toujours de l’opposition de la part des mêmes personnes, quelles que soient les questions soumises à la chambre. S’agit-il d’une question purement agricole et dans l’intérêt de telle ou telle localité, il suffit que le ministre propose un projet à cet égard, pour que ces personnes se jettent à la traverse. Quant à moi j’ai considéré comme un bonheur que l’on fût arrivé à un arrangement quelconque avec le gouvernement hollandais.
Vous savez depuis fort longtemps, et le préopinant le sait comme nous tous, que c’est la chose la plus difficile pour nous que de traiter avec le gouvernement hollandais, et que c’est aussi chose fort difficile pour d’autres nations qui ne sont pas comme nous en hostilité avec lui.
Le gouvernement hollandais nous accorde un avantage considérable en nous permettant de restreindre l’inondation.
Le gouvernement hollandais nous accorde cet avantage ; il ne l’accorde pas pour rien. Il demande certaines conditions qui sont désagréables, j’en conviens, et qui peuvent paraître onéreuses quoiqu’elles ne le soient pas beaucoup au fond ; car elles paraissent plus onéreuses qu’elles ne le sont.
Vous avez entendu un membre de la chambre, opposé au projet, dire que le fort Lacroix ne signifiait rien, était sans aucune importance appréciable.
De quoi s’agit-il donc ? De permettre aux Hollandais, lorsqu’il y aura une digue construite à 1,500 mètres, de se promener sur cette digue, quand bon leur semblera. Or, maintenant ils ne peuvent se promener sur la digue ; mais ils peuvent se promener en barques sur les eaux qui sont autour du fort. Lorsqu’ils nous auront permis de faire une digue, ils obtiendront en échange de cette permission qui nous est impossible d’obtenir d’autres que d’eux, de pouvoir se promener sur la digue qui remplacera de l’eau. Je ne crois pas pour cela notre dignité nationale fortement compromise.
On a reproché aux ministres de ne pas avoir accepté une convention contraire à notre dignité nationale.
M. Gendebien. - Je ne leur en ai pas fait un reproche.
M. F. de Mérode. - Soit. Mais vous avez opposé la non-acceptation d’une autre époque à l’acceptation de cette époque-ci.
Dans les questions qui intéressent le bien partiel et général du pays, au lieu de discuter ces questions en elles-mêmes, on peut discuter sur ce qu’ont dit précédemment, bien ou mal à propos, des ministres bien ou mal informés. Or, comme l’a dit M. le ministre des travaux publics, avant la haute marée qui a rompu la digue de Borgerweert, on ne savait pas combien cette digue était importante, non seulement pour les terrains qui ont été inondés en dernier lieu, mais encore pour les villages circonvoisins. Alors je conçois que les ministres, surchargés d’occupations, ne pouvant pas circuler dans le pays, ne pouvant aller sur les lieux, aient jugé qu’il valait mieux ne pas accepter cette convention. Si alors ils ont été dans l’erreur, ce n’est pas une raison pour leur opposer une décision qui ne me paraît pas avoir été suffisamment motivée.
Je ne crois pas que les ministres aient la prétention de faire toujours pour le mieux, d’apprécier toujours les choses de la manière la plus avantageuse. Ensuite les ministres ont été plus ou moins induits en erreur sur l’utilité du fort Lacroix pour la défense du pays ; ils avaient cru ce fort nécessaire à la défense du pays ; ils ont jugé qu’il n’en était pas ainsi, après un plus mûr examen, auquel ils se sont livrés par suite de la tempête du 24 février. On discute ainsi sur des mots au lieu d’examiner les questions de bonne foi et de chercher à s’éclairer sur les questions d’humanité qui nous sont soumises. On propose d’acquérir les terrains inondés et de donner des indemnités ; niais comment fera-t-on pour préserver de l’inondation les terrains qui avoisinent ceux inondés et qui ont déjà 4 lieues de circuit ? Comment garantira-t-on les habitants de ces localités du danger dont ils sont menacés dans leur existence et dans leurs propriétés
Indépendamment de cela vous savez ce qui a été dit sur la navigation de l’Escaut. On a beaucoup répété que c’était aux exigences de la Hollande que vous étiez obligés de céder ; mais il est évident que la Hollande nous accorde un avantage considérable en nous mettant en position de préserver une grande étendue de pays du désastre qui le menace. Le gouvernement hollandais demande, quant à la démolition du fort Lacroix, qu’un officier du génie hollandais soit chargé de la surveiller ; mais ceci est un objet militaire pour la Hollande ; il est donc assez naturel qu’elle désire savoir comment sont conduits les travaux.
Au surplus, c’est à prendre ou à laisser. Voulez-vous vous laisser aller à une susceptibilité aussi grande en empêchant un travail d’une aussi haute importance ? Vous êtes libres. Chacun établit sa vanité comme il l’entend. Quant à moi, la mienne consiste à agir avec loyauté, non seulement vis-à-vis de mes compatriotes, mais encore avec les étrangers. Toutes les fois que la Belgique ne manquera pas à la loyauté en consentant à une convention avantageuse au pays, je croirai, en donnant mon assentiment à cette convention, agir avec loyauté et avec honneur ; mais je ne mettrai pas mon amour-propre à ce qu’un officier hollandais n’assiste pas à la démolition d’un fort sans importance.
On parle avec grande facilité d’accorder des millions d’indemnité aux victimes des inondations ; c’est une manière tout comme une autre de faire de la popularité. Donner des millions, rien de mieux ; mais quand il s’agit de les recueillir, oh ! alors c’est tout autre chose. Alors l’impôt du sel doit être supprimé ; un autre impôt doit être réduit ; alors on vous parle des misères et de la souffrance du peuple, de la cabane du pauvre, de tout ce qu’il vous plaira. Autre genre extrêmement facile de faire encore de la popularité. Ainsi on dit d’une part : Diminuez les charges publiques, ne fatiguez pas le peuple ; d’autre part on dit : Indemnisez tous ceux qui ont souffert pour la révolution ; mieux que cela : remboursez-leur la totalité de ce qu’ils ont perdu. Ce sont là de belles paroles ; mais je voudrais savoir où vous trouverez, sans augmenter les contributions, les millions nécessaires pour les mettre à exécution ? Quant à moi, je n’ai pas ce talent-là ; je ne sais pas la manière de donner sans prendre ; si la main droite donne, il faut que la main gauche recueille. Moi qui ne parle pas tant du peuple, je suis attaché à ses intérêts. Je l’ai prouvé dans cette circonstance ; j’ai fait tous mes efforts pour tirer d’embarras les populations souffrant des inondations ; j’ai excité le zèle de ceux qui pouvaient concourir à les tirer d’embarras. Nous sommes au moment de réussir, non d’une manière certaine, car il est possible que les hostilités empêchent de faire les travaux projetés ; mais, enfin nous aurons fait ce qu’il est possible de faire ; nous aurons agi de la manière la plus rationnelle ; nous aurons fait cesser un état de choses infiniment périlleux ; enfin, nous aurons accompli un acte d’humanité, de justice et de raison.
J’espère que la chambre adoptera la proposition du ministre des travaux publics.
M. de Brouckere. - Lorsque M. le ministre des travaux publics, après avoir présenté à la chambre son rapport du 6 février dernier, est venu, à l’occasion du budget, demander que l’on allouât des fonds pour les travaux à faire sur la rive droite de l’Escaut, je me suis levé le premier pour m’opposer à l’allocation de ces fonds, et pour demander a la chambre qu’elle nommât une commission à l’effet d’examiner mûrement le rapport du ministre. Le premier aussi je fis remarquer que, dans la convention entre le commissaire belge et le commissaire hollandais, il se trouvait des conditions qui me paraissaient dures et difficiles à accorder, et que la chambre ne devait pas se prononcer à cet égard légèrement et sans réflexion.
Depuis ce temps, membre de la commission que la chambre a chargée de s’occuper de cet objet, j’y ai beaucoup réfléchi ; j’en ai fait le sujet d’études et de méditations particulières ; la chambre, après cela, voudra bien croire que l’opinion que je viens émettre est une opinion consciencieuse, et mûrement pesée.
Je commencerai par rappeler que les fonds demandés par le ministère, et montant à 2.979,900 fr,, ont trois objets distincts : d’abord le réendiguement du polder de Borgerweert, pour lequel le gouvernement demande 859,000 fr. ; en second lieu, le rétrécissement de l’inondation de Liefkenshoek, pour lequel il réclame 50.000 fr. Il paraît que sur ces deux objets il n’y a pas contestation ; du moins aucun des orateurs qui ont pris la parole jusqu’ici ne s’est-il opposé à l’allocation des fonds pétitionnés.
Le seul objet en question est donc l’allocation de deux millions. destinée, d’après le projet du ministre, à la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo, à 1,500 mètres du fort de ce nom, digue qui serait construite en se conformant aux conditions reprises dans la convention du 25 avril dernier.
Messieurs, la première chose à remarquer, c’est qu’il n’est pas question ici d’un traité qui vous serait imposé, de conditions auxquelles on exigerait que vous vous soumissiez, mais qu’il est tout simplement question d’un contrat bilatéral passé entre le gouvernement belge et le gouvernement hollandais, d’un contrat bilatéral conclu à la demande du gouvernement belge lui-même, d’un contrat bilatéral dans lequel le gouvernement belge a le premier et le principal intérêt.
En effet, de quoi s’agit-il ? Depuis cinq à six ans des polders d’une étendue considérable ont été inondés, par suite des événements de la guerre. D’autres polders environnants, et beaucoup plus grands encore que ceux qui sont inondés, sont menacés du même malheur.
Le gouvernement belge, suivant d’ailleurs en cela l’impulsion qui lui a été donné différentes fois par la chambre elle-même, le gouvernement belge ne pouvait faire aucuns grands travaux sans être d’accord avec le gouvernement hollandais ; puisque ce gouvernement occupe un fort sur notre territoire, le gouvernement belge a dû faire des ouvertures au gouvernement hollandais, afin de savoir jusqu’à quel point il ne s’opposerait pas aux travaux qu’il désirait entreprendre, et à quelles conditions il permettrait que ces travaux se fissent.
Des commissaires ont été nommés de part et d’autre, différentes conventions ont été proposées jusqu’à ce qu’enfin est intervenue celle du 25 avril dont nous nous occupons en ce moment. Par suite de cette convention, nous serons autorisés à faire une digue autour du fort de Lillo, à la distance de 1,500 mètres. Cette digue nous procurerait les avantages suivants : D’abord le polder de Lillo qui est entièrement inondé pourrait être asséché presqu’en entier, et dans un bref délai. En deuxième lieu, nous garantirions pour l’avenir les polders environnants de manière à les mettre à l’abri de tout danger. Ce sont les polders d’Oordam, d’Oorderen, de Stabroek, d’Ettenhoven et autres qui sont d’une étendue beaucoup plus considérable que le polder inondé en ce moment.
Je vous prie de faire attention à cette circonstance que plusieurs de ces polders sont plus bas que le polder inondé, de sorte que si l’inondation s’étendait sur ces polders, il serait extrêmement difficile de les assécher, et l’assèchement ne pourrait avoir lieu que dans un temps assez long. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de porter remède à un malheur qui existe, mais de prévenir un malheur infiniment plus grand et que vous n’avez aucun moyen d’empêcher, si vous ne faites pas la digue que l’on vous propose. Je dis que vous n’avez aucun autre moyen de prévenir ce malheur, et je vais le prouver.
On vous dit : Achetez le polder de Lillo. Voilà les propriétaires de ce polder indemnisés ; après cela, entretenez les digues qui existent aujourd’hui, et vous n’aurez plus rien à craindre
D’abord je vous prierai de remarquer que l’acquisition du polder de Lillo monterait à une somme de 6 à 7 millions de francs. En portant à cette somme la valeur du polder de Lillo, je ne m’expose pas à être taxé d’exagération. Ensuite l’entretien de la digue qui existe aujourd’hui, de la digue de Lillo, exigerait une réparation instantanée qui coûterait 2,800,000 francs. Je parle, le rapport des ingénieurs à la main. Voilà donc déjà une somme de près de 10 millions ; nous devrions de plus continuer à entretenir cette digue qui est d’une fort grande étendue. Après tout cela, si vous voulez vous en rapporter à la commission des ingénieurs nommés par le gouvernement pour examiner cette digue, et certes ils méritent toute créance, vous n’aurez encore aucune garantie positive qu’une marée aussi élevée que celle du 24 février dernier ne vienne pas renverser la digue de Lillo et inonder les polders voisins.
Voilà donc ce qui a engagé le gouvernement à faire des ouvertures au gouvernement hollandais : c’est le désir de réparer un grand malteur qui existe depuis sept ans, le désir d’empêcher des malheurs plus grands encore, le désir de ne pas entraîner le pays dans une dépense d’environ 10,000,000, dépense qui ne garantirait pas les riverains qui environnent le polder de Lillo contre l’inondation.
Les ouvertures faites au gouvernement hollandais n’ont pas été rejetées. On les a accueillies ; mais il faut le reconnaître, ou ne les a accueillies qu’en nous imposant des conditions dures, des conditions auxquelles aucun de nous ne voudrait se soumettre s’il y avait un autre moyen de réparer et de prévenir les malheurs dont j’ai parlé.
Mais je dois m’empresser de reconnaître qu’après m’être rendu sur les lieux, après m’y être fait donner toutes les explications dont je croyais avoir besoin, je suis resté convaincu que les conditions mentionnées au traité du 25 avril n’ont nullement pour but de nous humilier, mais ont, toutes et chacune d’elles, été dictées dans l’intérêt de la défense du fort de Lillo. En effet, prenez ces conditions une à une, et vous verrez qu’elles ont toutes pour objet d’empêcher que la condition du fort Lillo ne devienne moins favorable par suite des travaux que nous allons entreprendre.
Aujourd’hui, l’abord de ce fort n’est pas possible, à une très grande distance, et cet abord deviendra extrêmement facile, quand nous aurons fait une digue à la distance de 1,500 mètres. D’un autre côté, la position du fort Lillo vis-à-vis du petit fort Lacroix est infiniment plus favorable avec l’inondation actuelle, car cette inondation permet de se rendre du fort Lillo au fort Lacroix avec des embarcations aussi bien par le polder que par l’Escaut. Ce sont des avantages auxquels le gouvernement hollandais renonce par suite de la convention.
Le fort Lillo perdant quelque chose de sa condition avantageuse, on a voulu assurer la défense de cette place, par de nouveaux moyens. C’est par cette seule considération qu’on a stipulé dans le traité du 25 avril les conditions que nous y trouvons.
J’ai reconnu de plus par les explications qui m’ont été données que la défense du pays n’était nullement affaiblie, par suite des conditions du traité du 25 avril. Si d’un côté on détruit le fort Lacroix, de l’autre le gouvernement fera un nouveau fort à une petite distance de celui-là et qui sera mieux placé.
Quant au fort Lacroix en lui-même, je ne sais si je dois répéter avec plusieurs honorables orateurs qui ont parlé avant moi, et notamment avec l’honorable M. de Puydt, dont la position spéciale donne un grand poids à ses paroles, que le fort Lacroix est un fort sans importance, qui existait depuis longtemps, qui avait été abandonné et qu’on a relevé en 1831, parce qu’on pouvait le faire avec peu de dépense. D’après l’aveu des officiers du génie, car c’est à eux que je m’en réfère ici, n’ayant pas de connaissances dans cette matière, d’après l’aveu de ces officiers, c’est un fort insignifiant ; on ne l’aurait pas relevé, si avec très peu de dépense on n’avait pu le mettre dans l’état où il est aujourd’hui.
Ainsi, si d’un côté les conditions renfermées dans le traité du 25 avril ont quelque chose de pénible pour nous, nous avons de l’autre l’assurance que ces conditions n’ont été stipulées qu’en échange des avantages que le gouvernement hollandais accordait au gouvernement belge.
Nous avons en outre la certitude que le gouvernement belge, en se soumettant à ces conditions, n’empire pas sa position en ce qui concerne la défense du pays.
Mais les conditions sont-elles de nature à blesser nos susceptibilités nationales ? J’avoue, messieurs, que cette question est excessivement grave : il en est parmi ces conditions qui ont véritablement quelque chose de très pénible ; il est impossible de se le dissimuler ; c’est à la chambre de juger si elle veut les accepter en retour des avantages que j’ai signalés, avantages qui, à mes yeux, sont immenses et que nous ne pouvons acquérir par aucune autre voie. La chambre est entièrement libre de son vote ; il n’entre dans l’intention du gouvernement, ni de qui que ce soit, de nous imposer ces conditions, ni de chercher à nous faire prendre le change sur ce qu’elles renferment de pénible : c’est à chacun de vous, messieurs, comme je l’ai dit, d’examiner dans votre sagesse, dans votre conscience, si le bien-être que nous retirerons de la convention du 25 avril est assez grand pour que nous nous soumettions aux conditions qu’elle contient.
Différentes objections ont été faites, messieurs, par les orateurs qui ont parlé avant moi ; je crois devoir répondre à quelques-unes d’entre elles.
Le premier orateur qui s’est élevé contre le projet du gouvernement, l’honorable M. de Puydt, avoue la nécessité de faire des travaux dans le polder de Lillo ; mais il préfère à la convention du 25 avril, qui nous autorise à faire une digue à 1,500 mètres du fort, une autre convention, par suite de laquelle nous aurions fait la digue à 2,300 mètres du même fort, et cela parce que, selon lui, nous pourrions faire cette digue à 2,300 mètres, sans nous soumettre à aucune des conditions humiliantes qui sont renfermées dans le traité du 25 avril. C’est là de la part de l’honorable M. de Puydt une erreur de fait, et je suis persuadé qu’il s’empressera d’en convenir lui-même. Prenez en mains, messieurs, le rapport qui nous a été fait par le ministre, le 6 février dernier, et vous verrez que toutes les conditions dont se plaint l’honorable colonel étaient imposées au gouvernement belge pour la digue à 2,300 mètres comme pour la digue à 1,500 mètres, une seule exceptée, celle de la démolition du fort Lacroix ; or, l’honorable M. de Puydt lui-même a dit que cette démolition est une chose insignifiante, et que nous ne devons pas tenir au fort Lacroix, qui n’est bon à rien. Du reste, pour la digue à 2,300 mètres comme pour celle à 1,500 mètres, les bateaux qui contreviendraient aux dispositions des premiers articles seraient, sans avertissement préalable, coulés bas ; pour la digue à 2,300 mètres comme pour celle à 1,500 mètres, les bateliers seraient soumis à la police immédiate des commandants des forts Lillo et Liefkenshoek ; pour la digue à 2,300 mètres comme pour celle à 1,500 mètres, le commandant du génie du fort Lillo et Liefkenshoek serait autorisé à visiter les travaux, et quand il s’apercevrait qu’il aurait été exécuté quelque ouvrage contraire à ce qui est stipulé, la grande inondation serait étendue sans avertissement préalable, aucune digue ne pourrait être élevée sans le consentement du gouvernement hollandais ; en un mot, messieurs, toutes les conditions dont s’est plaint l’honorable M. de Puydt étaient imposées pour la digue à 2,300 mètres comme pour celle à 1,500 mètres ; je pense donc qu’il ne reste plus rien de l’opposition qui a été faite par cet honorable membre ; car il a consenti de grand cœur à la digue à 2,300 mètres, et pourquoi ? Parce qu’il a senti l’indispensable nécessité de faire cesser l’inondation du polder de Lillo et de prévenir d’une manière décisive celle des polders avoisinants. Or, du moment que l’honorable orateur reconnaît cette nécessité, il faut qu’il entre dans les conditions renfermées dans le traité du 25 avril, conditions qui, comme je l’ai dit, sont imposées pour l’une digue comme pour l’autre.
Un autre honorable orateur qui a parlé le deuxième contre le projet du gouvernement refuse d’approuver ce projet, parce que, selon lui, la commission qui l’a examiné voudrait faire sanctionner un système d’indemnité entière, et qu’il craint que ce système ne s’étende jusqu’aux hôtels incendiés à Bruxelles. Je dois déclarer en ce qui me concerne que les hôtels incendiés à Bruxelles ne sont pas seulement venus à ma pensée à l’occasion du polder de Lillo, et je crois que tous mes honorables collègues, membres de la commission, pourront en dire autant. Il n’est, en second lieu, pas exact de dire que la commission ait voulu faire sanctionner un système quelconque en fait d’indemnités ; je lis à la vérité dans le rapport un paragraphe qui est ainsi conçu :
« Une autre considération puissante a frappé votre commission : c’est que les indemnités à payer aux propriétaires des terrains inondés diminueront nécessairement en raison des propriétés qu’on sera parvenu à remettre en leur possession. »
Cette phrase a été insérée par l’honorable rapporteur sans qu’il y ait attaché (j’ose le dire pour lui) l’importance que voudrait y donner l’honorable orateur auquel je réponds ; il n’est entré ni dans l’intension du rapporteur, ni dans celle de la commission, de faire sanctionner dès à présent un système quelconque ; mais il est certain que si l’on paie plus tard l’indemnité, ceux des propriétaires à qui l’on rendrait aujourd’hui leurs propriété, auraient moins à prétendre. Le passage du rapport que je viens de lire n’y a été placé que dans un sens tout à fait hypothétique.
La seconde raison pour laquelle l’honorable orateur ne veut pas du projet du gouvernement, c’est que le fort Lacroix protège la digue d’Oordam, et qu’il est de l’intérêt des habitants du polder que nous n’autorisions pas la démolition de ce fort. D’abord, en ce qui concerne l’intérêt des habitants des polders, l’honorable orateur me permettra de croire que ces habitants le connaissent mieux que lui ; or, que l’on consulte les pétitions, et l’on verra que tous les intéressés, sans exception, demande la construction de la digue à 1,500 mètres aux conditions du traité du 25 avril, c’est-à-dire à la condition entre autres que le fort Lacroix soit démoli ; ensuite il n’est pas exact de dire que le fort Lacroix protège la digue d’Oordam de telle manière qu’elle serait aujourd’hui inabordable pour la garnison de Lillo : le fort Lacroix protège nécessairement la digue d’Oordam jusqu’à une certaine distance, mais à l’extrémité opposée il est impossible que le fort Lacroix puisse donner la moindre protection à cette digue. Que le fort Lacroix existe ou n’existe pas, c’est absolument indifférent pour la partie de la digue d’Oordam qui est la plus éloignée du fort ; or, s’il était question de rompre cette digue, on pourrait aussi bien le faire à la partie la plus éloignée qu’à la partie la plus rapprochée.
Bien que l’honorable préopinant ait dit à plusieurs reprises que le fort Lacroix n’a aucune importance pour la défense du pays, il ajoute cependant que ce fort doit être important puisque le gouvernement hollandais met tant d’insistance à en obtenir la destruction : vous conviendrez messieurs, qu’il est assez singulier d’aller consulter notre ennemi sur le point de savoir si un fort à nous appartenant est ou n’est pas important : ce n’est pas à l’opinion des Hollandais que j’ai recours pour éclairer une question de cette nature, mais à l’opinion des hommes de l’art de mon pays, à l’opinion des officiers de génie qui sont chargés spécialement d’organiser la défense du royaume ; eh bien, messieurs, si nous consultons tous les officiers du génie et M. le ministre de la guerre lui-même, ils nous répondent tous que le fort Lacroix est insignifiant.
Voici un argument qui a été rejeté à plusieurs reprises et encore aujourd’hui par l’honorable orateur qui a parlé le premier : « Vous allez faire, nous dit-on, une digue qui coûtera deux millions ; mais cette digue vous la placez de telle manière qu’il dépendra du gouvernement hollandais de la détruire quand bon lui semblera, de vous empêcher même de l’achever. Il est impossible de nier que le gouvernement hollandais, s’il voulait agir avec méchanceté et mauvaise foi, pourrait vous empêcher d’achever la digue et pourrait la détruire quand elle sera faite ; mais je vous ferai observer que si le gouvernement hollandais voulait agir avec méchanceté et mauvaise foi, il pourrait aujourd’hui aussi détruire une partie de la digue actuelle et répandre l’inondation dans les polders environnants, de manière que la position dans laquelle nous nous trouvons maintenant n’est pas plus avantageuse sous ce rapport que celle dans laquelle nous nous trouverons après avoir fait la digue de Lillo.
Enfin, messieurs, le même orateur ne veut point du projet du gouvernement parce qu’il dit que, dans la convention du 25 avril, il ne se trouve que des stipulations favorables à la Hollande et qu’elle ne renferme rien qui soit au profit de la Belgique. Mais, messieurs, si la convention ne contient rien qui soit au profit de la Belgique, pourquoi donc le gouvernement l’a-t-il sollicitée ? Quel intérêt le gouvernement hollandais a-t-il à ce que le polder de Lillo soit asséché et à ce que les polders environnants ne soient plus exposés à l’inondation ? Le gouvernement hollandais n’a aucun intérêt à cela, mais nous y en avons un, nous, et il est immense. Vous voyez donc bien, messieurs, que ce traité est un véritable contrat synallagmatique, et que nous en recueillerons d’incontestables avantages, si d’un autre côté nous sommes obligés de nous soumettre à des conditions qui sont fort pénibles, ce que j’ai reconnu dés le principe et ce que je ne puis m’empêcher de reconnaître encore.
Enfin, messieurs, j’ai à répondre à un dernier argument. On prétend qu’en adoptant la convention, nous renonçons au droit de souveraineté sur une partie de notre territoire. En effet, une partie de notre territoire est malheureusement occupée par nos ennemis. Le fort Lillo et le fort Liefkenshoek sont effectivement sur le territoire belge, et sur cette partie du territoires et à certaine distance de là, il est très vrai que nous n’exerçons pas le droit de souveraineté.
Aussi longtemps que ces forts n’auront pas été évacués, et les forts eux-mêmes et un rayon autour sont au pouvoir de nos ennemis ; c’est un malheur, mais un malheur auquel il ne dépend pas de nous de nous soustraire.
Au reste, la convention du 25 avril, si tant est que la chambre l’approuve, ne sera pas une convention perpétuelle, comme on l’a prétendu ; c’est une convention qui n’existera qu’autant et aussi longtemps que les forts Lillo et Liefkenshoek seront occupés par nos ennemis.
Messieurs, je me résumerai en peu de mots. La convention du 25 avril renferme pour nous d’immenses avantages, elle renferme aussi des conditions pénibles. C’est à la chambre à peser ces avantages et ces conditions, et à voir si, pour recueillir les uns, elle veut se soumettre aux autres.
Du reste, la défense du pays n’aura rien perdu par l’acceptation du traité du 25 avril. Nous en avons pour garantie l’assurance qui nous a été donnée par M. le ministre de la guerre et par les officiers du génie.
Quant à mon opinion sur l’acceptation ou le refus de ce traité, je vous avoue, messieurs, que depuis que je me suis rendu sur les lieux, depuis que j’ai vu de près les malheurs qui sont la suite des premières inondations, depuis que j’ai été témoin des craintes des infortunes habitants qui environnent le polder de Lillo, je vous avoue, dis-je, que je suis devenu un peu moins difficile sur les conditions auxquelles nous devrions nous soumettre pour obtenir l’avantage de faire la digue à 1,500 mètres.
Ceux qui, comme moi, visiteront les lieux, pourront voir les habitants d’un territoire assez vaste, dépouillés de leurs habitations, privés de tout moyen d’existence, relégués dans de misérables huttes qui ne leur offrent pas un abri contre les intempéries des saisons. Ils verront, comme moi, ces malheureux habitants attendant avec impatience le moment où la chambre voudra prendre une résolution qui les tire de la cruelle position où ils se trouvent. Ils verront de plus les habitants d’un territoire beaucoup plus étendu, assiégés de craintes et d’inquiétudes continuelles, n’étant jamais sûrs, en se couchant le soir, que le matin ils ne trouveront pas leurs habitations entourées d’eau et leurs propriétés submergées ; en un mot, s’ils ne seront pas, comme leurs voisins, réduits à la dernière misère.
Je vous avoue, messieurs, que le spectacle de tant de maux a fait sur moi une vive impression ; quelque pénible qu’il me soit de souscrire aux conditions renfermées dans le traité du 25 avril, je donnerai mon assentiment à ce traité, si l’on ne me prouve pas qu’il existe un moyen quelconque, pour arrêter et pour prévenir tous ces malheurs dont je ne veux pas avoir plus tard à me reprocher la plus faible part. J’ai dit.
M. de Puydt. - Messieurs, on a singulièrement abusé d’un mot que j’ai lâché dans la dernière séance, sur le sens duquel chacun a pu gloser à son aise en l’isolant du raisonnement dont il faisait partie, de sorte que je me trouve obligé d’entrer dans de nouveaux développements pour faire comprendre ma pensée.
Avant tout, je dois une réplique à l’honorable préopinant qui a parlé avant moi. Il a critiqué mon opposition au projet du gouvernement, et s’est fondé, pour combattre mes opinions, sur ce que la proposition d’une digue à 2,300 mètres de distance était exactement soumise aux mêmes conditions que l’exécution d’une digue à 1,500 mètres.
Eh bien, je ne veux pas contester ce fait, je déclare que je l’admets, et que, par conséquent, les conditions de la convention s’appliquent à la digue de 2,300 mètres comme à celle de 1,500 mètres. Mais qu’en résulte-t-il ? c’est que ma proposition d’une digue de 2,300 mètres tombe d’elle-même, Mais les motifs de mon opposition à l’acceptation des conditions du traité du 25 avril ne subsistent pas moins. Je retire donc la proposition relative à une digue à 2,300 mètres ; et je n’en continue pas moins à refuser mon assentiment aux conditions stipulées dans la convention.
L’honorable ministre des travaux publics, dans la séance d’avant-hier, a posé la question dans des termes, selon lui, fort clairs. Il vous a dit : « Ce qu’on vous propose n’est pas obligatoire ; vous pouvez faire ou ne pas faire, accepter ou ne pas accepter ; si vous rejeter ce que l’on demande, vous restez dans le statu quo, et vous savez à quelle condition ; mais il vous est libre d’y rester. » M. de Mérode ajoute à cela : « C’est à prendre ou à laisser. »
Voilà précisément, messieurs, ce que je nie. Je soutiens, moi, que si l’on rejette la convention, nous ne rentrons pas du tout dans le statu quo sans avoir compromis notre considération ; c’est-à-dire que la question n’est pas intacte, comme elle l’était avant la convention. Nous avons perdu de grands avantages moraux, rien que par le consentement du gouvernement à des conditions que je considère comme humiliantes pour le pays. La question n’est certainement plus la même.
Il est fort commode pour la responsabilité des ministres de poser les faits de cette manière, mais c’est un système que nous devons repousser c’est à ceux qui ont compromis les avantages de notre position à en répondre.
Je remarque, messieurs, que la discussion s’écarte du véritable point de la question. On s’est attaché principalement à faire ressortir la question de nécessité, la question de justice envers les propriétaires des polders inondés. C’est une chose que personne ne conteste. Il est certainement de l’honneur, de la justice du pays de faire cesser ces désastres ; mais ce résultat doit-il être obtenu au prix de la dignité nationale ? Voilà précisément la question telle que je l’ai posée avant-hier et dont j’ai soutenu la négative.
On a cherché à établir que la démolition du fort Lacroix était une concession qui compensait celle qui nous était faite par le gouvernement hollandais. C’est là le point principal du débat selon moi, et ce qu’il s’agit de prouver, et ce que je m’attache à combattre ; car si je parviens à établir que le gouvernement hollandais ne nous a fait aucune concession, il doit être démontré dès lors que nous n’avons aucune concession à lui faire de notre côté.
En thèse générale la Hollande n’est nullement disposée à faire des concessions à la Belgique. Elle n’a pas besoin de nous faire des concessions, Les Hollandais sont nos ennemis naturel. Bien loin de désirer qu’il soit mis un terme aux calamites qui peuvent peser sur nous, il est de leur intérêt d’augmenter ces maux ; ils sont en état de guerre avec nous ; ils ont souffert dans leur amour-propre, dans leurs intérêts, par suite de la révolution ; ils sont dans l’attente continuelle d’événements qui leur permettent de nous faire payer cher les conséquences de cette révolution. Il est dès lors impossible de supposer qu’ils puissent être animés de dispositions favorables à la Belgique ; cela serait absurde et cela n’est pas vrai.
En considérant ce point de la question sous le rapport militaire, l’observation que j’ai faite devient plus frappante. Un honorable préopinant a invité M. le ministre de la guerre à donner à la chambre des explications sur la question de défense. M. le ministre de la guerre a répondu que j’avais rendu sa tâche très facile en reconnaissant l’insignifiance du fort Lacroix. Mais, messieurs, ce n’était la répondre qu’à un seul côté de la question ; il fallait aussi entrer dans des détails sur la question militaire, relativement au fort Lillo.
Or, je demanderai à tous ceux qui peuvent avoir des connaissances spéciales dans la matière, tant dans cette chambre que hors de cette chambre, s’il est concevable que des officiers hollandais consentent volontairement à affaiblir les moyens de défense d’un poste qu’ils occupent, et cela pour obliger un ennemi. Les officiers qui y consentiraient, à quelque prix que ce fût, trahiraient leur pays, et s’exposeraient aux peines les plus graves. Eh bien, les Hollandais mettent en général trop de sollicitude à conserver ce qu’ils possèdent pour qu’ils puissent jamais songer à affaiblir leurs moyens de défense contre nous ; sous tous les rapports donc, la présomption de concessions faites par eux n’est pas admissible. Matériellement parlant, il est facile de démontrer que ces concessions n’existent pas.
Par la construction de la digue proposée, il y a certainement diminution relative d’une inondation démesurée et superflue pour la défense absolue du fort. Mais il faut reconnaître que, sous le rapport de cette défense absolue, il y a encore beaucoup plus d’inondation qu’il n’en faut contre l’approche de l’assaillant et contre ses attaques. Une digue placée à 1,500 mètres de distance, et sur laquelle il n’y aurait aucun ouvrage de fortification, aucune batterie, cette digue, dis-je, ne peut être nullement offensive pour le fort Lillo ; au contraire, cette digue, placée à une telle distance, et qui aura coûté deux millions au gouvernement belge pour la construire, est un moyen de défense morale de plus entre les mains des Hollandais, beaucoup plus efficace que l’état actuel des choses ; car la moindre démonstration hostile que vous feriez entraînerait la ruine des travaux que vous auriez exécutés. Dès lors, les Hollandais ont contre nous un moyen de menace de plus qu’auparavant ; car ils restent seuls juges des faits ultérieurs et de leur caractère vrai ou supposé d’hostilité.
Quand j’ai dit que le fort Lacroix était un point insignifiant pour l’attaque ainsi que pour la défense, j’ai énoncé une chose vraie dans un sens, et je ne sais pourquoi on a cru devoir tirer un si grand parti de cette déclaration. Le fort Lacroix ne peut directement rien contre le fort Lillo, pas plus dans l’état actuel des choses que quand la digue sera construite ; il n’augmente pas nos moyens d’attaque contre le fort Lillo, son utilité est d’une autre nature. Si, dans cette situation d’insignifiance du fort Lacroix, il était vrai que la démolition de ce fort fût une compensation que les Hollandais veulent avoir pour une certaine concession qu’ils nous auraient faite, il faudrait convenir que cette concession est également insignifiante quant au fort Lillo, mais qu’elle est un prétexte pour restreindre nos moyens généraux de défense. On fait semblant d’avoir cédé du côté de Lillo, pour exiger beaucoup sur d’autres points.
Ainsi, si vous tirez parti du sens relatif de mon argument en le répétant sans cesse, vous devez, pour être juste, ne pas lui donner un sens absolu, Mais ce sont là des jeux de mots sur lesquels je crois qu’il en a été assez dit.
Je crois avoir suffisamment prouvé que, tout en ne nous donnant rien, les Hollandais n’en exigeait pas moins que nous démolissions un fort existant, que nous reculions de 700 mètres à l’amont la faculté de le reconstruire, et qu’à l’aval du fort Lillo nous ne fassions aucune construction jusqu’à la limite du Brabant septentrional ; ils exigent la même chose sur la rive opposée. Il en résulte que pour une concession supposée, mais impossible, ils vous interdisent la possibilité de faire aucune construction sur un développement de 20 mille mètres sur les deux rives, c’est-à-dire que nous laisserions à la discrétion des Hollandais quatre lieues de pays sans pouvoir, dans quelque circonstance que ce soit, y faire aucun ouvrage de défense. Cependant des événements peuvent survenir qui nous fassent la loi d’établir dans ces limites des ouvrages de défense qui n’auraient aucun rapport avec le fort Lillo, et cette faculté de droit naturel on vous l’aurait capricieusement fait abandonner.
On ne pourrait pas non plus relever les fortifications du fort Frédéric-Henry. C’est un point cependant qui ne les offensait en rien, puisque les fortifications n’existent plus. Pourquoi veulent-ils vous interdire, dès aujourd’hui, de relever ces fortifications ? Parce qu’il peut arriver des circonstances où nous aurions besoin de le faire. Vous voyez que dans leur prévoyance les Hollandais vont plus loin que la justice. Ils vont plus loin que la justice, du moment qu’ils veulent plus qu’une compensation de ce qu’ils sont censés accorder.
On ne fait pas attention à cette stipulation du traite relative au Fredéric-Henry, parce que ce fort n’existe pas ; il n’est pas moins vrai que c’est une interdiction qu’elle prononce.
C’est uniquement à ce point que j’ai voulu ramener la discussion, parce que c’est là la véritable question. C’est ce qui rend les conditions de la Hollande aussi exorbitantes. Quant à moi je ne consentirai jamais à les accepter, quelle que soit la décision de la chambre. Si la chambre les accepte, comme l’honorable M. Gendebien je protesterai contre une convention que je considère comme humiliante pour mon pays.
C’est une chose fort déplorable que cette facilité qu’on montre à faire des concessions à la Hollande. Cela peut nous mener extrêmement loin. Il y a lieu de craindre, pour un temps plus ou moins rapproché, que cette habitude de faire des concessions ne soit fatale à d’autres parties du pays, à ces provinces qui ont déjà été menacées d’être morcelées dans un projet de traité qui n’existe plus à la vérité, mais qu’on pourrait chercher à reproduire. Je ne puis y penser sans frémir, quand je considère que les habitants de ces provinces ont fourni leur argent à notre trésor, envoyé leurs enfants dans notre armée, qu’ils ont fait serment à la constitution belge et voté l’exclusion des Nassau, et qu’on irait leur dire, après tant de sacrifices faits : Allez en recevoir le prix de la famille des Nassau, sous la domination desquels vous devez rentrer. Voilà où peut nous mener le système de concession dans lequel ou est entré.
Je voterai la somme demandée pour réparer les désastres de Borgerweert, et, pour le reste, j’attendrai que le gouvernement, à moins que la chambre n’adopte son projet, nous propose un moyen qui ne nous impose pas des conditions que nous ne pouvons pas accepter.
M. Smits. - Messieurs, l’honorable préopinant, en voulant ramener la question sur son véritable terrain, me paraît l’en avoir totalement éloignée. Il en a fait une question de susceptibilité nationale et de stratégie, tandis qu’il ne s’agit réellement que d’une question d’humanité et de justice. C’est à cette question qu’il faut borner la discussion, c’est sur ce terrain qu’il faut la replacer.
Pour sauver les victimes de l’inondation et prévenir des malheurs plus grands que ceux déjà occasionnés par la rupture de la digne de l’Escaut, trois moyens ont été proposés : le premier de ces moyens c’est la conservation du statu quo actuel, c’est-à-dire le maintien de l’inondation sur deux mille hectares, le raffermissement et le surhaussement de la digue qui part du fort Lacroix, s’étend au village de Stabroeck et aboutit au fort Frédéric-Henry.
La construction de cette digue a déjà coûté 1,700 mille fr. ; son sur-exhaussement exigerait une dépense de 2,800.000 fr., et son entretien une dépense annuelle de 300 mille fr. Si vous rejetez les autres moyens proposés, force vous sera de faire ces frais et de voter les allocations nécessaires.
Et ici il faut que je vous fasse remarquer, messieurs, que quand vous aurez dépensé cette somme considérable, vous n’aurez positivement rien fait, car cette digue, il est impossible de lui donner la force nécessaire, attendu que l’agrandissement des talus est impraticable et qu’on ne peut pas lui donner de largeur suffisante, la digue se trouvant entourée de fossés, de manière que la moindre tempête pourra la renverser et la submerger. Si ce malheur arrivait, et il doit infailliblement arriver, les polders de Santvliet, Beerendrecht, Stabroek, Oorderen, Wilmarsdonck, Eeckeren et d’Anvers, renfermant sept à huit villages, deviendront la proie des flots, et aucune force humaine ne pourrait parer à ces désastres.
Le deuxième moyen qui vous a été proposé, c’est la construction d’une digue à 2,300 mètres ; construction qui maintiendrait le fort Lacroix, mais par laquelle on ne ferait pas cesser ce grand inconvénient de l’atterrissement formé en avant de Lillo. Cet atterrissement n’est pas aussi dangereux qu’on semble le croire pour la navigation de l’Escaut, mais il y a un autre danger. Cet atterrissement se prolonge déjà depuis Lillo jusqu’à l’autre rive de l’Escaut ; une immense profondeur s’est formée récemment de ce dernier côté, et l’eau creuse la rive gauche. Il est donc à craindre que la digue de ce côté ne soit emportée, et alors les dépenses faites pour le polder de Borgerweert et de Liefkenshoek seraient en pure perte, car l’inondation s’étendrait sur toute cette partie de la Flandre, atteindrait Calloo et viendrait aboutir au-delà de la Tête-de-Flandre jusqu’à Burght.
Ce moyen n’est donc pas acceptable, d’autant moins qu’il exigerait également une dépense de 2 millions, plus 500 mille francs pour l’affermissement d’une partie de la digue d’Oordam qui serait conservée, et en outre 100 mille francs d’entretien annuel.
D’un autre côté, par la digue à 2,300 mètres, on ne sauvera que 1,200 hectares, tandis que par la digue à 1,500 mètres on en sauvera 1,600.
Mais, dit-on, pas la construction de cette dernière digue, on sera obligé de démolir le fort Lacroix, et la dignité nationale sera compromise ! Messieurs, pour ceux qui ont été sur les lieux, pour ceux qui connaissent la situation du fort Lacroix. Il est constant que ce fort n’intéresse en rien la défense du pays ; c’est une bicoque que le moindre bateau canonnier bien armé viendrait raser en s’embossant convenablement. Il est d’ailleurs susceptible d’être attaqué de trois côtés ; par le polder inondé, par le fort Lillo et par L’Escaut.
Mais, a dit encore un honorable orateur, le fort Lacroix protège la digue d’Oordam, et ce seul motif exige qu’on le conserve. Cet honorable membre ne connaît pas les localités ; s’il les connaissait, il conviendrait avec nous que ce fort ne protège rien, absolument rien, d’autant plus que la grande digue actuelle peut même être attaquée par l’intérieur du polder et du côté de la frontière de terre. Cette considération-là ne doit donc pas nous arrêter.
Je suis aussi susceptible que qui que ce soit sur l’honneur national ; et si j’avais rencontré dans les conditions qui nous sont proposées quelque chose d’aussi dur qu’on le prétend, je les aurais repoussées. Mais il faut se faire une question, il faut se demander quelle est la quantité d’ouvriers et quelle est la masse de matériaux qu’il faudra apporter pour les travaux de réparations et de construction de la digue nouvelle. Or, messieurs, il faudra de 1,500 à 2,000 ouvriers, et 5 à 600 bateaux. Ces ouvriers et ces bateaux devront continuellement passer à côté du fort et le tenir en éveil. La Hollande a donc dû prendre quelques précautions, et c’est pour cela qu’elle a exigé que les bateaux fussent pourvus de lumière, et qu’elle a demandé quelques autres garanties semblables.
Pour ceux qui connaissent ce que c’est que les travaux de la digue, ces conditions sont tout à fait naturelles.
Je n’abuterai plus qu’une réflexion : j’ai ramené la discussion sur le terrain de l’intérêt financier, de l’intérêt matériel, parce que, dans l’état des choses, la législature devra opter entre l’un des trois systèmes en présence et voter des sommes, soit pour le maintien de la digue actuelle, soit pour la construction d’une digue à 2,300 mètres, soit pour la construction d’une digue à 1,500 mètres. La question est donc de savoir où il y aura le plus d’économie.
Je l’ai déjà dit, par le statu quo vous avez à faire une dépense de 2,800,000 fr. et une dépense annuelle de 300,000, fr. pour entretien.
Pour la construction d’une digue à 2,300 mètres, vous avez à allouer une somme de 2,000,000 de fr.
Plus 500,000 fr. pour la partie à conserver de la digue d’Oordam ;
Et pour entretien annuel, 100,000 fr.
Pour la construction d’une digue à 2,300 mètres, vous avez également à ouvrir un crédit de 2,000,000 fr.
Et pour entretien annuel celui de 60,000 fr.
Ainsi, entre le premier et le dernier système, une différence : 1° de 800,000 fr. pour frais de construction ; 2° de 60,000 fr. sur les frais d’entretien.
Il n’y a donc pas à hésiter ; je donnerai mon vote à la proposition du gouvernement, appuyée par votre commission spéciale.
M. Jullien. - Messieurs, la proposition qui vous est soumise, contient deux objets bien distincts : le premier concerne le réendiguement du polder de Borgerweert ; le second concerne le rétrécissement de l’inondation de Liefkenshoek et la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo, à 1500 mètres.
Quant au premier de ces objets, il paraît que tout le monde est d’accord : tout le monde a compris la nécessité d’accorder au gouvernement les fonds demandés pour le réendiguement du fort Borgerweert ; tout le monde a compris en outre qu’il faut que les travaux soient exécutés très promptement dans l’intérêt du pays.
J’ai seulement quelques observations à faire sur les conditions de l’adjudication des travaux ; mais, pour ne pas allonger la discussion générale, je ne les présenterai qu’à la discussion des articles.
En ce qui concerne la manière dont a été faite l’adjudication, je dois dire qu’il y a eu loyauté et franchise de la part du gouvernement vis-à-vis des adjudicataires, et que si tous les marchés du gouvernement avaient été passés de la même manière, nous n’aurions pas été affligés par des débats scandaleux, au sujet du défaut de concurrence, ou au sujet de différends entre les concurrents en raison de la manière dont les marchés avaient été faits.
Je viens au second objet : le rétrécissement de l’inondation de Liefkenshoek et la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo, à 1,500 mètres.
On a fait de ceci une question d’honneur national, c’est donc cette question qu’il faut examiner en première ligne ; car, pour moi, je sais que l’honneur national ne doit pas être plus indifférent à une petite nation qu’à une grande. Une petite nation ne peut pas plus exister sans honneur qu’une grande nation ; toute la différence c’est qu’une petite nation ne doit pas être aussi susceptible, aussi pointilleuse, par la raison bien simple qu’elle n’a pas les mêmes moyens pour se faire respecter. Elle ne peut, par exemple, envoyer une flotte au bout du monde pour obtenir réparation ou tirer vengeance d’un outrage fait à ses nationaux. Mais, hors ce cas, il faut qu’un petite nation se fasse respecter, et elle doit plutôt succomber avec dignité que souffrir lâchement une humiliation. Toute la question est donc de savoir si, dans la convention du 25 avril, l’honneur national, la dignité nationale sont humiliés, compromis. S’il en est ainsi, nous ne devons pas accepter la convention ; et, dans ce cas, j’accepte franchement, non seulement les principes, mais encore toutes les conséquences développées par d’honorables orateurs. Mais si je ne trouve pas que notre dignité nationale soit compromise, je me rangerai alors du côté de la justice, de l’humanité et du véritable intérêt du pays.
On a opposé aux ministres que, lors de la dernière convention ils ont parlé de dignité nationale, de défense militaire du pays. On leur a demandé si depuis ce temps les choses étaient changées, et ils ont répondu par la tempête et la grande marée du 24 février. Mais si cette grande marée a emporté la digue de Borgerweert, elle n’a pas au moins emporté la dignité nationale. (On rit.) Au reste, messieurs, que les ministres aient parlé à cette époque de dignité nationale ou qu’ils n’en aient pas parlé, qu’ils aient ou non changé d’opinion, je m’en inquiète peu ; j’examine seulement pour mon compte si je vois dans la convention du 25 avril une atteinte portée à notre dignité nationale.
A cet égard je prie la chambre de remarquer que les Hollandais ne sont pas venus à nous pour obtenir une faveur, que c’est nous, au contraire, qui avons été la leur demander. Lorsqu’on demande une faveur à un ami, on la paie souvent fort cher, surtout de gouvernement à gouvernement ; mais, en conscience, lorsqu’on demande une faveur à un ennemi, on ne doit pas s’attendre à de douces conditions. Nous pouvions donc être assurés d’avance que la Hollande nous imposerait des conditions plus ou moins dures ; reste à examiner si ces conditions sont tellement dures qu’il soit de notre dignité de ne pas les accepter.
Voyons donc quelles sont ces conditions :
1° La démolition du fort Lacroix.
S’il était vrai que le fort Lacroix fût nécessaire à la défense du pays, cela pourrait faire difficulté ; mais lorsqu’un homme de l’art, un homme spécial nous dit que le fort Lacroix est insignifiant, et qu’un autre fort, que vous appellerez, si vous voulez, le fort Lacroix, placé soit à 700 mètres, comme le demandent les Hollandais, ou mieux à 1,500 mètres sur l’angle du fleuve, serait plus utile à la défense du pays que le fort actuel, il me semble que nous ne devons pas tenir à le conserver.
On a trouvé une humiliation dans l’art. 5 de la convention. Cet article porte :
« Art. 5. La démolition du fort sera faite aux frais du gouvernement belge. Un officier du génie néerlandais sera chargé de la surveiller : il se concertera avec l’ingénieur des ponts et chaussées attaché aux travaux de l’endiguement pour l’exécution des art. 2, 3 et 4 ; il pourra à cet effet résider au fort Lacroix. »
Comment donc, messieurs, serions-nous humiliés par cette condition ?
Dès l’instant que vous demandez au gouvernement hollandais qu’il vous permette de travailler dans vos polders pour les endiguer et les assécher, sous le canon de son fort, il est naturel qu’il ne vous accorde cette permission qu’à la condition qu’il surveillera les travaux. Il en est toujours ainsi lorsqu’il s’agit de démolitions demandées par une nation et acceptées par une autre. Il en a été ainsi lors de la démolition des fortifications de Dunkerque, et dans beaucoup d’autres circonstances analogues.
On ne veut pas qu’un officier hollandais (pays avec lequel nous avons traité) surveille les travaux de la démolition du fort Lacroix. En vérité, je ne conçois pas cette susceptibilité. Mais, dit-on, il demeurera dans le fort Lacroix ; mais, messieurs, s’il lui convient de se loger dans le fort qui doit être rasé, vous conviendrez que ce logement qui ne sera pas très attrayant ne sera pas de longue durée, car une fois le fort rasé, il faudra bien que l’officier s’en aille.
Mais, dit-on, le commandant du fort de Lillo pourra se promener sur notre digue et examiner les travaux : faites attention qu’il lui faut pour cela un sauf-conduit, et que, s’il n’obtient pas ce sauf-conduit, il ne pourra faire ces promenades. Mais, quand même cette faculté lui serait accordée d’une manière absolue et illimitée, je ne trouverais rien d’extraordinaire. Comment voulez-vous autrement que le commandant du fort de Lillo puisse prendre des précautions contre tous les Belges qui pourront s’approcher du fort à l’occasion des travaux, et pour se préserver d’une surprise ou d’un coup de main ? Songez donc que deux ou trois mille hommes seront employés aux travaux du réendiguement du polder ; par conséquent, il y aura là deux ou trois mille ouvriers belges et 2 ou 300 bateaux. Je vous demande dans quelle position serait le commandant du fort de Lillo, qui n’a que deux ou trois cents hommes, si l’on n’avait pas stipulé tous les moyens de surveillance contre le danger dont il aurait été menacé.
Ainsi, par exemple, les bateliers qui traverseront continuellement les passes devront avoir une lanterne : mais c’est là une mesure militaire. Quand on a été militaire, on ne doit pas être étonné de ces exigences de la part d’un gouvernement qui n’est pas notre ami et qui n’est pas payé pour l’être. Il fallait donc que ces précautions fussent prises.
Dans les autres conditions, je ne vois non plus rien qui ne soit une conséquence de l’exécution des travaux qu’on nous permet.
Je répondrai à quelques observations présentées par l’honorable M. Gendebien et par l’honorable M. de Puydt.
Je suis le premier à rendre justice aux susceptibilités du premier. Tout en considérant qu’on ne pouvait pas accepter la convention du 25 avril, il est un de ceux qui dans différentes occasions ont appelé l’attention de la chambre sur la position des habitants des polders ; et il vient de présenter un projet d’indemnité ; mais il manque à ce projet une garantie contre les dangers du statu quo.
Si des digues, dans les environs du fort Lacroix, venaient à être percées, des milliers d’hectares, depuis Santvliet jusqu’à Anvers, pourraient être submergés.
Si ces dangers qu’on signale, et sur lesquels j’appelle l’attention de MM. les députés de la Flandre orientale, pouvaient se réaliser, il en résulterait en effet l’inondation de 20,000 hectares de terres. On indemnisera ceux qui ont perdu ; cela est très bien ; mais indemnisera-t-on encore du chef des pertes que l’on essuierait de nouveau, par le maintien du statu quo ?
On craint que les Hollandais ne brisent la digue que vous allez faire. Mais cette crainte est de tous les jours. Les Hollandais, de leur côté, peuvent avoir la même crainte. Partout où il y a des digues, dans la Flandre occidentale comme dans les autres provinces, ce danger est de chaque instant. Il ne faut donc pas que cette considération vous arrête. Les Hollandais, en descendant l’inondation près du fort Lillo, peuvent aller percer la digue dans les points les plus éloignés de ce fort.
L’honorable M. de Puydt a prétendu que les Hollandais ne nous faisaient aucune espèce de concession, et que par conséquent il n’y avait pas lieu à leur en faire. A cet égard les Hollandais pourraient dire : Laissez les choses en l’état où elles sont ; ce n’est pas nous qui demandons une faveur. Vous voulez assécher vos terres ; vous voulez que des familles sans asiles, depuis six ans, rentrent dans leurs habitations ; vous voulez que des individus sans vêtements et sans toit, aient le vivre et le couvert ; eh bien, il faut en passer par les conditions que nous vous imposons pour notre sécurité.
Vous voyez donc que c’est nous qui demandons des faveurs aux Hollandais et que les Hollandais étaient en droit d’exiger de nous quelque chose. Car on nous concède tout au moins la permission de travailler à notre polder de Lillo, sous le canon hollandais ; et cette concession est quelque chose.
L’honorable M. de Puydt a fini par soumettre à la chambre quelques observations stratégiques qui demandent des explications. En adoptant la convention du 25 avril, il en résulterait, selon lui, que la Belgique se placerait pour l’avenir dans une position très précaire vis-à-vis de la Hollande : c’est à M. le ministre de la guerre ou aux hommes spéciaux à répondre à ces observations toutes stratégiques. Si la défense du pays était compromise par les concessions faites aux Hollandais et par l’interdiction qu’ils nous font d’exécuter des ouvrages de défense, je serais le premier à refuser mon vote au projet du gouvernement. Toutefois, jusqu’à présent je n’ai aperçu que des allégations et je n’ai trouvé aucune preuve.
Je bornerai là mes réflexions je verrai si la discussion m’eu suggère d’autres.
M. Gendebien. - M. le comte de Mérode, qui ne perd jamais l’occasion d’inculper les intentions des membres de cette assemblée qui ne sont pas de son avis, a dit : Il suffit que le gouvernement présente un projet quelconque pour que l’opposition et les mêmes hommes s’empressent toujours de le combattre.
Cette injure gratuite s’adresse à la chambre plus qu’à moi ; car il me semble, messieurs, que s’il y a une chambre où il n’existe pas d’opposition systématique, c’est la chambre belge ; et que s’il y a dans cette chambre un membre qui n’ait jamais fait, ni menacé de faire, de l’opposition systématique, c’est bien moi ; tandis que mes contradicteurs ont menacé de faire de l’opposition systématique si tel membre de la chambre arrivait au pouvoir : ce dont, soit dit en passant, je n’ai nul souci.
Je n’ai jamais fait d’opposition systématique ; c’est trop au-dessous de moi. Je discute, j’expose mes raisons, mes doutes ; je vote tantôt pour, souvent contre, et toujours selon ma conscience. Comme je n’ai pas l’ambition d’arriver au pouvoir, on doit croire que je dis la vérité quand je dis que je ne mérite pas le reproche qu’adresse M. de Mérode à des collègues qui pensent et se conduisent mieux que lui dans cette assemblée et ailleurs.
J’ai dit mes motifs d’opposition à la convention du 25 avril, voyons les raisons de M. de Mérode pour l’adopter. Pour justifier le ministère d’avoir accepté le traité du 25 avril après avoir refusé celui du mois d’août, M. de Mérode a dit qu’en août on prétendait que le fort Lacroix était utile, était nécessaire à la défense du pays, tandis que depuis on a acquis la certitude qu’il était inutile. Voilà, il faut en convenir, de pitoyables raisons. Cela prouve beaucoup de légèreté et bien peu de sagacité dans les déterminations de nos ministres. Car, s’il est vrai qu’il est complètement inutile, pourquoi les ministres l’ont-ils conservé au mois d’août 1836, au pris du sacrifice des inondés de Lillo ? Il est complètement inutile, dites-vous ? Mais pourquoi a-t-on construit le fort Lacroix ? pourquoi a-t-on dépensé tant d’argent pour l’élever ? S’il s’agissait de le construire, on ne manquerait pas de mille bonnes raisons d’Etat pour démontrer la nécessité de l’édifier ; on veut le détruire, et on le trouve sans utilité, ridicule même ! C’est un point qu’on ne peut contester sans encourir le reproche d’opposition systématique.
Le fort Lacroix n’est sans doute pas la clef de l’Escaut, ni un ouvrage indispensable à la défense du fleuve ; mais on ne contestera pas que ce fort soit un poste utile, comme poste avancé ; il met nos avant-gardes à l’abri d’un coup de main, en les logeant convenablement. Ce fort empêche que les militaires ne soient dans la nécessité de faire chaque jour le voyage d’Anvers, ou tout au moins le voyage du fort Philippe, 12 ou 24 fois par jour. Ce fort met les grands-gardes à l’abri de l’intempérie des saisons ; et l’on sait combien le climat des bords de l’Escaut est meurtrier pour nos soldats, combien il est nécessaire de les garantir contre les variations de l’atmosphère. Ce fort est encore nécessaire à la digue d’Oordam, car il l’enfile à toute volée, il ne la protège pas dans toute son étendue, cependant il l’enfile de manière à repousser les embarcations qui voudraient la détruire dans une grande partie de sa longueur.
Le fort Lacroix est encore nécessaire pour garantir les digues de l’Escaut qu’il enfile aussi à toute volée ; il est utile pour surveiller l’inondation et les embarcations, dont il rend au moins les manœuvres plus difficiles ; il est utile pour protéger le pays d’un coup de main, et pour arrêter la marche des Hollandais qui, sans lui, arrivent au fort Philippe, et ils peuvent, en évitant ce fort, arriver sous les murs d’Anvers, avant même qu’on aurait eu le temps d’apprendre leur mouvement.
Je laisse aux hommes qui connaissent la stratégie à soutenir cette thèse ou à la combattre ; mais, à moins de déverser le ridicule sur les officiers, sur les généraux français et belges qui ont fait construire le fort Lacroix, je ne puis accorder qu’il soit complètement inutile. A part la question d’honneur national, qui pour moi est beaucoup, je dis que le fort Lacroix a son importance ; et il faudra d’autres raisons que celles qui ont été alléguées jusqu’ici pour me convaincre du contraire.
Le comte de Mérode m’a adressé un autre reproche ; c’est de rechercher de la popularité aux dépens du trésor : mais si, comme le suppose M. de Mérode, la popularité s’acquiert en raison des largesses qu’on fait aux dépens du trésor, je demanderai lequel de nous deux met le trésor à contribution pour la plus grande somme, et lequel court le plus activement après la popularité ? Je propose d’indemniser les propriétaires des polders à raison de 3 et demi p. c. du capital évalué par les opérations cadastrales, en attendant qu’on puisse faire, avec plus de sécurité, et à moins de frais, les travaux qu’on veut exécuter aujourd’hui. Je demande qu’on paie provisoirement l’intérêt, et M. de Mérode veut, tout en compromettant la dignité du pays, dépenser le capital en s’exposant volontairement à dépenser deux ou trois fois ce capital si le roi Guillaume juge à propos de rompre les digues ainsi qu’il l’a déjà fait. C’est-à-dire que je demande de porter tous les ans au budget une somme que je ne connais pas au juste, mais qui doit être à peu près de 200,000 fr. pour 611,600 hectares qu’il s’agit d’assécher. Vous allez dépenser 2,800,000 fr., et vous serez condamnés ensuite à payer une indemnité aux propriétaires de plusieurs centaines d’hectares de terre et d’un village entier qui resteront encore sous les eaux ; de plus, vous serez obligés d’entretenir les digues actuelles, car quoi qu’on construise la digue à 1,500 mètres, il n’en faudra pas moins entretenir et même exhausser les autres si, comme on le prétend, la nécessité en est reconnue.
Cela m’amène plus tôt que je ne voulais à une autre question : M. le comte de Mérode a dit, avec d’autres orateurs, que ce ne sont pas seulement les habitants du polder de Lillo qui ont à se plaindre, mais que l’inquiétude des habitants des polders voisins est encore plus grande. Or, vous dit-on, messieurs, vous ne ferez cesser ces craintes qu’en faisant exhausser les digues, travail qui doit coûter 2,800,000 fr. Eh bien, messieurs, je dis que ce sera le contraire : je dis que les habitants des polders voisins de Lillo seront exposés à de plus grands dangers qu’aujourd’hui, si vous faites la digue à 1,500 mètres, par la raison que quand cette digue sera brisée, les autres pourront facilement être franchies, précisément parce que, comptant sur la première, on négligera l’entretien des autres, et on les négligera évidemment, puisque les partisans du projet disent eux-mêmes que la construction de la digue qu’il s’agit d’établir procurera cette économie qu’il ne faudra plus entretenir les autres digues. Or, messieurs, aussi longtemps que nous sommes en guerre avec la Hollande, nous devons craindre tous les jours que la nouvelle digue soit rompue ; eh bien, alors les eaux viendront fondre sur les anciennes qui présenteront d’autant plus de danger qu’elles auront été négligées, dans la fausse sécurité où la nouvelle digue aura imprudemment placé et le gouvernement et les propriétaires voisins.
Je ne sais pas même, messieurs, si vous pourriez entretenir les anciennes digues, car vous ne pourrez y toucher, d’après la convention du 15 avril, qu’avec l’autorisation du roi Guillaume. Je demanderai donc aux orateurs qui s’apitoient, sincèrement sans doute, sur le sort des habitants des polders voisins de Lillo, qu’ils représentent comme à la veille de se trouver engloutis, craignant toujours de se trouver entoures d’eau lorsqu’ils s’éveilleront le matin ; je demanderai à ces orateurs quelles garanties de plus auront les malheureux habitants, quand on aura fait la digue à 1,500 mètres ? Evidemment ils n’en auront aucune, car veuillez bien le remarquer, messieurs, tandis qu’on a inséré dans le traité du 5 avril les conditions les plus minutieuses au profit du roi Guillaume et les plus humiliantes pour la Belgique, on n’y a stipulé aucune garantie contre la destruction par les Hollandais des travaux que nous allons faire. Comme M. de Puydt l’a fait remarquer samedi dernier, le roi Guillaume, abusant des droits de la guerre, s’est arrogé la faculté barbare de nous inonder ; il aura à l’avenir plus que cette faculté, puisque vous lui en reconnaissez le droit par le traité. Sous le plus léger prétexte, si nous élevons une digue ou fossé ou un ouvrage quelconque dans l’espace indiqué, si un homme armé s’y présente, les Hollandais pourront sans avertissement préalable étendre l’inondation ; le plus petit prétexte suffira ! Et vous voulez que je donne tête baissée dans un semblable piège, vous voulez que j’aie une confiance aussi grande en un ennemi aussi déloyal ! Mais, messieurs, il faudrait avoir perdu la raison ! Ce que je veux, ce que je désire sincèrement, c’est de faire cesser l’état de souffrance des habitants des polders pour le passé, pour le présent et pour l’avenir, autant qu’il dépend de nous ; eh bien, messieurs, vous n’obtiendrez complètement ce résultat qu’en adoptant la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire : mais vous n’y parviendrez aucunement en admettant un traite qui, non seulement ne nous donne aucune garantie, mais qui reconnaît même éventuellement au roi Guillaume le droit d’inonder le pays. Est-il possible d’accumuler plus d’imprévoyance et de témérité ? Il y a plus, messieurs il semble que le roi Guillaume ait voulu être aussi prévoyant que notre gouvernement a été imprévoyant. En effet, afin de n’être pas gêné dans son entreprise, lorsqu’il jugera à propos d’étendre l’inondation, il demande la démolition du fort Lacroix, et c’est là une prévoyance bien machiavélique ; car il faut bien reconnaître que le for Lacroix pourrait au moins rendre plus difficile le percement de la digue ; eh bien, messieurs le roi Guillaume veut qu’il soit rasé, et notre ministère y consent !
Le fort Lacroix pouvait empêcher les Hollandais de percer les digues en amont et en aval de ce fort ; il pouvait garantir les digues de l’Escaut, les digues d’Oordam, d’Ettenhove, contre un coup de main ; et bien, cette garantie, vous consentez à l’abandonner à un ennemi dont la déloyauté vous est si bien connue, et l’on ne stipule aucune garantie contre sa déloyauté.
Je le répète, messieurs, ce que je veux, c’est que dès aujourd’hui les habitants des polders soient indemnisés, qu’ils cessent de souffrir. Si vous leur donnez la valeur représentative de leur fonds, vous les en ferez jouir immédiatement, tandis que s’ils sont condamnés à attendre l’établissement de la digue, ils attendront longtemps encore ; car, sans parler des entraves que le génie, le mauvais génie hollandais, apportera à la construction de cette digue, il faudra au moins un temps moral assez long pour l’achever ; il faudra ensuite assécher ; eh bien, messieurs, ce n’est pas encore dans deux ans que les malheureux habitants des polders pourront jouir de leurs terres. En attendant, que feront-ils ? Vous ne proposez rien à cet égard : vous ne leur offrez que l’espérance, une espérance qui peut être déçue avant d’être réalisée, qui peut être détruite le lendemain de sa réalisation
Un honorable orateur qui siège derrière moi a dit qu’il n’est pas question d’un traité qui nous serait imposé, mais d’un contrat bilatéral entre le gouvernement belge et le gouvernement hollandais : mais qu’est-ce que cela fait à la chose ? Si le traité nous était imposé, ce serait une honte de plus ; mais qu’on l’appelle synallagmatique, bilatéral ou de toute autre dénomination, cela change-t-il quoi que ce soit à la nature des stipulations qu’il renferme ? Il est bilatéral, dites-vous, et toutes ses conditions sont contre nous ! Cependant il est de l’essence d’un contrat bilatéral de présenter des chances égales pour les deux parties ; il est bilatéral et il ne nous accorde rien, et nous impose les conditions les plus humiliantes et les plus dures. Il va jusqu’à exiger que nous soyons préalablement privés d’un de nos moyens de défense. Il est de l’essence d’un contrat bilatéral de renfermer des garanties réciproques, et nous n’avons pas même, comme je le disais tout à l’heure, des garanties contre le percement de nos digues ! Encore une fois, bilatéral ou non, ce sont les clauses que j’examine.
Messieurs, je vois autre chose encore dans ce contrat bilatéral, c’est qu’il préjuge la question de savoir si le gouvernement hollandais ne devra pas un jour nous indemniser des pertes que nous aurons subies par les inondations. Si ma mémoire est bonne (et je vérifierai le fait), les Hollandais, toutes les fois qu’ils ont inondé les mêmes polders, ont après la guerre indemnisé les propriétaires. C’est ainsi au moins qu’après la guerre de 1784, surnommée la guerre de la marmite, ils ont payé l’indemnité pour les dégâts causés par cette inondation ; et aujourd’hui, messieurs, nous passons condamnation ; nous faisons des stipulations, où nous prenons tout à notre charge et sans aucune réserve. Voilà comme on soigne les intérêts de la Belgique ! Ce n’est pas une question de dignité celle-là, c’est une question d’argent ; elle sera peut-être mieux comprise par nos hommes d’Etat.
Si le gouvernement hollandais voyait chez nous un peu plus d’énergie, il se garderait bien de nous menacer de l’inondation. Si le gouvernement avait le courage de déclarer qu’il ne traitera pas avec la Hollande avant qu’elle nous ait indemnisés de tout le mal qu’elle nous a fait, la Hollande se garderait bien de nous en faire davantage.
Si au moins une stipulation qui nous réservât le droit d’être indemnisés par la Hollande avait été insérée dans le traité, je me serais peut-être décidé à l’adopter, parce qu’elle eût donné quelque sécurité aux malheureux habitants des polders ; mais quand je vois l’absence de toute stipulation analogue, quand je vois que le traité reconnaît en quelque sorte, par cette absence même, que nous n’aurons aucune indemnité à réclamer ; quand je vois, en un mot, que le traité ne renferme que des conditions avantageuses pour la Hollande et qu’il ne s’y trouve pas la moindre garantie pour nous, je ne puis le considérer que comme une duperie, je ne puis l’envisager que comme une dérision. Qu’on appelle un semblable acte un traité ou un contrat bilatéral, synallagmatique, peu importe ; il n’en sortira jamais que de la honte et beaucoup de mécompte.
On est entré, messieurs, dans plusieurs calculs ; on vous a présenté de nombreux chiffres pour vous prouver qu’il y aurait une économie de 540,000 fr., je crois, à faire le travail propose plutôt que de rester dans le statu quo ; moi, j’en reviens toujours à demander, messieurs, quelles garanties avez-vous que quand vous aurez établi les travaux dont il s’agit, quand vous aurez dépensé les sommes demandées, vous ne serez pas condamnés le lendemain à renouveler la même dépense ? Je ne réfuterai pas dans tous leurs détails les chiffres posés. Il me suffit d’avoir détruit la base, qui manque à défaut de garantie.
Veuillez, je vous en prie, raisonner une bonne fois dans cette hypothèse et tenir compte de ce futur contingent. Il ne s’agira pas d’une économie de quelques centaines de mille francs, mas d’une économie de cent pour cent à renouveler périodiquement, jusqu’à ce qu’il plaise au roi Guillaume d’être aussi loyal que nous, jusqu’a ce qu’il plaise au peuple hollandais de forcer Guillaume à faire la paix.
L’honorable M. Jullien vous a dit que si l’honneur national était blessé par la convention, il se hâterait de la repousser. Mais il trouve que l’honneur national est intact. Le fort Lacroix, vous dit-il, est inutile ; il n’y a donc pas de déshonneur à le démolir. Mais il me semble, messieurs, qu’on ne doit pas raisonner ainsi. Le fort Lacroix existe, on l’a construit parce qu’on l’a reconnu utile ; c’est sans doute aussi pour la même raison que les Hollandais en demandent la démolition. De deux choses l’une : ou le fort Lacroix a quelqu’importance pour les Hollandais, ou il n’en a point ; s’il a de l’importance, alors il est utile à la Belgique, et il est de l’honneur de la nation, de le maintenir ; s’il est sans importance pour la Hollande, alors c’est une exigence puérile et de pur caprice de la part des Hollandais, et il y aurait par conséquent déshonneur pour nous à céder à une exigence de cette nature. Ainsi, de toutes les façons il y a déshonneur pour nous à démolir le fort Lacroix.
On vous a dit qu’il n’y a pas de déshonneur à admettre un officier hollandais à présider à la démolition du fort Lacroix. Il est naturel, ajoute-t-on, qu’un officier étranger vienne s’assurer de l’exécution d’une stipulation du traité. Alors je demanderai pourquoi au mois d’août dernier les Hollandais n’ont pas fait cette stipulation qui semble aujourd’hui si naturelle ; pourquoi le ministère belge a repoussé avec indignation au mois d’août la proposition de démolir le fort Lacroix, alors même que les Hollandais ne stipulaient pas le droit de venir présider à sa démolition.
On a objecté que cet officier hollandais pourrait résider au fort Lacroix. Que répond à cela l’honorable préopinant auquel je fais allusion ? Que quand le fort Lacroix sera démoli, l’officier étranger n’y résidera plus. Je demande pardon à mon honorable ami, mais cela me paraît une des vérités familières à M. de Lapalisse. Je sais très bien que dès que le fort sera démoli, l’officier ne fera pas sottise d’y rester exposé à l’intempérie des saisons ; il s’en ira sans doute ; mais il n’en aura pas moins foulé le sol belge ; nos officiers n’en auront pas moins été soumis à la surveillance d’un fonctionnaire étranger ; mais le ministère n’en aura pas moins consenti aujourd’hui à un acte qu’il avait repoussé il y a quelques mois comme déshonorant pour le pays, comme contraire à la dignité nationale.
Et cette marque de défiance qu’on nous témoigne en exigeant la présence d’un officier hollandais, ne la comptez-vous pour rien ? Depuis quand une nation pourra-t-elle, sans honte, laisser mettre en doute sa loyauté ? Alors que la Belgique prend l’engagement de démolir, et que le gouvernement hollandais a le droit d’empêcher la construction de la digue si la démolition ne se fait pas, quel motif peut avoir la Hollande, en exigeant une semblable stipulation ? Aucun, si ce n’est de nous humilier. Je n’en vois pas d’autres, le roi de Hollande ne tend qu’à cela. Il sait que c’est le meilleur moyen de rendre odieux aux Belges son gouvernement, s’il le souffre.
On a dit, messieurs, qu’il fallait bien qu’un officier hollandais pût surveiller les travailleurs ; mais est-ce à dire pour cela qu’il faille lui donner l’autorisation de parcourir les polders en tout temps. Or, d’après les stipulations du traité, vous l’y autorisez en tout temps. Comprenez-vous maintenant toute la portée de mon observation ?
Il ne s’agit donc pas d’une précaution qu’on prend pour s’assurer que les hommes qu’on réunira pour les travaux ne s’y réunissent pas en armes pour faire une attaque à l’improviste sur le fort ; c’est un droit qu’on accorde au commandant du fort, même après que les travaux seront achevés ; en un mot, en tout temps et indéfiniment.
Jugez maintenant, messieurs, par les nombreuses et minutieuses précautions stipulées par le roi Guillaume, de la gêne qui en résultera pour les travailleurs, et des chances auxquelles les entrepreneurs seront exposés. Croyez-vous, messieurs, que les entrepreneurs ne tiendront pas compte des embarras que le commandant hollandais peut leur susciter à chaque instant, soit pour la sûreté du fort, soit à prétexte de sécurité, mais en réalité pour faire acheter aux entrepreneurs le bon vouloir des autorités hollandaises. Eh bien, vous les paierez toutes ces éventualités, et le plus chèrement possible, car les entrepreneurs portent toujours leurs évaluations, surtout sur ces sortes d’accidents, au plus haut possible. Si, au contraire, vous adoptez la mesure provisoire que je propose, vous pourrez procéder, à la paix ou dans un temps plus opportun, avec beaucoup plus d’économie ; vous aurez plus de facilité sous tous les rapports. Vous pourrez prendre des terres partout. Vous n’exposerez pas les bateliers à voir leurs bâtiments coulés bas sans avertissement préalable, parce qu’une chandelle se serait éteinte dans une lanterne ; la circulation serait libre, et vous ne seriez pas exposés au caprice d’un ennemi déloyal.
Et quelle garantie avez-vous maintenant, quand le travail sera fait de moitié ou aux trois quarts, qu’il pourra s’achever ?
Rien n’est stipulé à cet égard. Eh bien, s’il arrivait que des embarras fussent suscités (et que sait-on ?, l’entrepreneur sera peut-être intéressé à les susciter, à les faire surgir pour se faire payer d’un travail qu’il aura à peine entamé), vous seriez condamnés à payer cet entrepreneur, et les travaux resteraient inachevés. Rien ne nous garantit contre cette onéreuse éventualité, et personne ne peut nier qu’elle soit dans l’ordre des choses possibles.
Et cependant on nous accuse, nous qui exposons franchement nos inquiétudes, et des dangers réels, et qui voulons y porter remède, on nous accuse de faire de l’opposition systématique et de viser à la popularité aux dépens du budget, tandis que notre proposition tend à procurer une grande économie au trésor public.
Que voulez-vous, messieurs ? Le gouvernement a conçu un projet, il faut bon gré mal gré que la chambre l’accepte. Voilà l’ordre des idées qui préside dans presque tous les gouvernements ; c’est aussi l’idée fixe des hommes qui nous gouvernent. Il n’y a de l’esprit et de raison que dans le gouvernement et chez les ministres. Les chambres en sont toujours dépourvues, Tout député qui s’avise de ne pas être de l’avis des gouvernants est un brouillon, un homme qui cherche toutes les occasions possibles pour entraver le gouvernement. Ici au moins l’accusation serait calomnieuse, puisqu’en combattant le projet du gouvernement, je propose une mesure qui doit le remplacer, et qui peut le remplacer sans autre inconvénient que de froisser quelques amours-propres.
Mon honorable ami, M. Jullien, a dit encore que le projet que j’ai présenté est généreux, mais qu’il ne présente aucune garantie contre les dangers du statu quo ; car, dit -il, l’indemnité qu’on accordera aux propriétaires des terrains inondés ne garantit en aucune façon les polders voisins. Je demanderai à mon tour : Quelle garantie avez-vous dans le traité, même après l’exécution d’une digue à 1,500 mètres ? Qui vous répond que le travail pourra s’achever, et que quand la digue sera construite, les Hollandais ne la perceront pas ? Ou même, comme le disait M. Smits, ne pourront-ils pas percer les digues de l’Escaut en amont ou en aval de la nouvelle digue ? Rien n’est stipulé à cet égard, et quelle garantie offrez-vous contre ces éventualités ?
La meilleure garantie, messieurs, que nous puissions avoir contre les intentions hostiles de la Hollande ou plutôt du roi Guillaume, c’est de prendre une attitude ferme et digne de la Belgique. Qu’on fasse comprendre à la Hollande qu’elle est plus vulnérable que la Belgique.
Pendant la nuit du 27 octobre 1830, alors que le général Chassé bombardait la ville d’Anvers, je proposai au gouvernement provisoire de publier une proclamation par laquelle il prendrait, au nom de la Belgique, l’engagement d’honneur d’aller percer les dignes de la Hollande, si Chassé se permettait à l’avenir de lancer une seule bombe sur la ville d’Anvers. On considéra cette proposition comme du vandalisme, on considéra la menace seule comme un acte de barbarie qui n’avait pourtant d’autre but que d’empêcher un autre acte de barbarie. On ne donna donc pas suite au projet. Vous voyez, messieurs, lequel, du roi légitime, ou du gouvernement révolutionnaire, fut le plus modéré, le plus humain.
Cette proposition ayant transpiré dans le public, dès le lendemain, à midi, cinq chefs offrirent au gouvernement provisoire d’exécuter le projet avec trois cents volontaires, ne demandant que les munitions nécessaires.
Qu’on le sache donc bien, messieurs, la Hollande est beaucoup plus vulnérable que nous. Si nous nous décidions à prendre une altitude ferme contre la Hollande, le gouvernement hollandais, n’en doutez pas, changerait singulièrement de ton, rabattrait beaucoup de ses prétentions, d’autant plus que le peuple hollandais est fatigué des rodomontades de Guillaume et qu’il ne demanderait pas mieux que de trouver une occasion et peut-être un prétexte pour s’en débarrasser ; car, comme je le disais tout à l’heure, le peuple hollandais est aujourd’hui plus fatigué de Guillaume que nous ne l’étions en 1830.
Voila une garantie contre le percement des digues, des anciennes comme des nouvelles, par eau et par terre.
En un mot comme en cent, mon seul désir, je le répète, c’est que les habitants des polders soient indemnisés le plus tôt, le plus complètement et le plus efficacement possible, pour le présent et surtout pour l’avenir. Je n’entre pas dans les distinctions prudentes ou cauteleuses qu’on a articulées et qu’on a cherché à éluder. Je n’ai pas d’appréhension ni d’arrière-pensée sur les conséquences de l’indemnité. Je dis que quiconque a souffert des conséquences d’une guerre nationale doit être indemnisé complètement. Je répéterai ce que j’ai dit au mois de novembre 1830 : « Si la moitié de la nation eût été ruinée par la révolution, l’autre moitié eût dû partager avec elle, pour que toutes choses fussent égales. »
Nous sommes d’accord qu’il faut indemniser.
Toute la question est de savoir comment on y arrivera le plus promptement et le plus efficacement. Est-ce en faisant une digue, ou en donnant une indemnité pendant le statu quo et en attendant que la paix permette de faire les travaux avec sécurité et économie ? Il me semble que, dans cette alternative, le parti à prendre ne peut pas être douteux, et pour ceux qui en font une question du sensiblerie, et pour ceux qui en font une question de justice et d’humanité, de politique et d’honneur.
S’il en est ainsi, si nous sommes tous d’accord sur ce premier point, je crois qu’on doit indemniser dès demain, dès aujourd’hui. Commençons par là. Quelque parti que vous preniez, que vous fissiez la digue ou que vous l’ajourniez, c’est un devoir pour vous de dédommager dés à présent les victimes de l’inondation, avant que la digue soit faite, car ils attendront deux ans au moins avant d’entrer en jouissance de la partie qui sera asséchée ; dès lors que vous reconnaissez la nécessite de faire cesser leurs souffrances, pourquoi, au lieu de les indemniser pour deux ans à l’avenir et pour le passé, ne pas leur donner une indemnité provisoire pour un temps indéfini, tout en la réglant pour le passé ?
Il faut être juste, dit-on ; moi aussi je veux être juste, c’est pour cela que je pense qu’il faut indemniser les souffrances passées et futures, et ne pas se contenter de promettre un soulagement bien éventuel pour les souffrances à venir.
Agissez prudemment. Si vous voulez vous soustraire à de nouveaux affronts, à de nouveaux et incalculables sacrifices, ne consentez pas à la construction de la digue proposée, et abordez franchement mes propositions.
M. F. de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.
J’ai été inculpé pour avoir parlé d’une opposition systématique, Si une opposition semblable ne pouvait pas exister, on n’en aurait jamais créé le nom : on ne crée pas un nom pour une chose qui n’existe pas.
J’ai attribué à certains membres une propension à faire une opposition systématique contre tous ou à peu près tous les projets du gouvernement, car l’honorable préopinant n’a pas fait d’opposition contre la loi des mines, il l’a au contraire appuyée assez fortement.
Si ce mot d’opposition systématique ne pouvait pas être prononcé, on ne devrait pas jeter à la tête des hommes dont on ne partage pas les opinions, qu’ils proposent des choses ignominieuses, déshonorantes pour le pays. Si on trouve que nous sommes des hommes sans honneur, sans aucune espèce de courage, si on trouve que nous ne méritons aucune espèce d’égards, qu’on peut traiter toutes nos propositions d’odieuses, d’ignominieuses, nous aurons peut-être aussi la liberté de dire notre façon de penser sur les motifs pour lesquels on traite ainsi nos propositions.
Voilà ce que je voulais dire pour répondre à l’inculpation très mal fondée de l’honorable préopinant.
Puisque j’ai la parole, je dirai un mot encore sur le fond de la question. On parle d’honneur national, parce qu’on vous propose la destruction d’un fort. Supposons que vous cédiez, feriez-vous un acte déshonorant ? Je ne le pense pas. Si on nous proposait non pas de démolir, mais de céder le fort tout entier pour éviter aux habitants d’une partie de la Belgique les malheurs dont ils sont menacés, je n’hésiterais pas à le faire, et je ne croirais pas agir d’une manière contraire à l’honneur de la Belgique. Combien de fois n’a-t-on pas vu des nations puissantes céder non pas un fort, mais des demi-provinces, des provinces entières avec les habitants, dans l’intérêt général du pays ? Et ces nations n’ont pas pour cela été déshonorées. Quand il ne s’agit que d’un objet matériel, d’un mauvais rempart en terre que vous consentiriez à raser, pour soustraire vos compatriotes à des désordres imminents, je demande si vous feriez quelque chose de contraire à l’honneur national ? Je vous demande si le pays serait déshonoré, parce que vous permettriez à un officier hollandais de se promener sur terre, là où aujourd’hui ii peut se promener en barque sans votre permission. Non, je soutiens qu’il n’y a là rien de contraire à l’honneur et la dignité du pays. Aussi je persisterai à voter comme je l’ai annoncé.
M. Gendebien. - Le préopinant m’a interrompu en citant la loi des mines, et il vient d’en parler encore. Je pense, s’il a attaché un sens à ses paroles, qu’il veut dire par là que j’ai voté pour la loi, parce que j’étais intéressé à son adoption. Voilà comment on se trompe quand on juge les autres d’après soi-même, d’après ses passions. Cette loi ne me touche en aucune façon, car les concessions que j’ai, je les ai reçues de mon père, et elles sont anciennes ; je n’ai donc rien à attendre de cette loi.
La proposition relative aux propriétaires de la surface, qui a provoqué la discussion la plus longue, loin de nous nuire, nous mettait, au contraire, dans une position plus favorable pour soutenir la concurrence, étant d’anciens concessionnaires puisqu’elle impose aux nouveaux une charge qui ne peut nous atteindre. Quant à la proposition de M. Rogier, elle nous était encore favorable. Car si elle avait été adoptée, il en résultait de deux choses l’une : ou le gouvernement aurait vendu les concessions, et dans ce cas les nouveaux concessionnaires avaient sur les anciens le désavantage d’un capital considérable à amortir. St au contraire le gouvernement avait pris le parti d’exploiter lui-même, il n’eût pas été un concurrent bien dangereux,, et il eût pris la place de concurrents qui auraient été beaucoup plus à craindre.
Le préopinant, revenant sur le fond, de la question, vous a dit que de grandes nations se trouvaient quelquefois dans la nécessité de céder une portion de leur territoire, et qu’elles ne faisaient en cela rien de déshonorant. Mais précisément la question est là : y a-t-il nécessité ? C’était ce qu’il fallait démontrer. Il fallait répondre à mes arguments et non reproduire une proposition que j’avais combattue ; tout le reste ne mérite pas une réponse.
M. le président. - La parole est à M. le ministre des travaux publics. (A demain ! à demain !)
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.