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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 6 mai 1837

(Moniteur belge n°127, du 7 mai 1837 et Moniteur belge n°128, du 8 mai 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(Moniteur belge n°127, du 7 mai 1837) M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure moins un quart.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des habitants et des membres du conseil de la section de Howinen (commune d’Eeckeren) demandent le rétablissement de cette section comme commune séparée. »


« Le sieur Vreucop demande la canalisation de l’Ourthe jusqu’à la frontière française (près de Virton). »


« Les sieurs Demonceau frères renouvellent leur demande en abolition du droit de douane de 3 p. c. sur le lin à la sortie du royaume. »


- Cette dernière pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant le tarif des douanes ; les deux autres sont renvoyées à la commission des pétitions.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mast de Vries, M. Desmanet de Biesme, M. Fallon, et M. Milcamps déposent plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation.

- L’impression en est ordonnée

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne lecture : 1° de trois lettres de MM. J.-G. Garnier, professeur à l’université de Gand, Hippolyte Guillery, professeur, et Paul Cholet, artiste vétérinaire, qui, au lieu de la grande naturalisation qu’ils avaient précédemment demandée, demandent la naturalisation ordinaire ; et 2° des rapports sur les demandes en naturalisation ordinaire formées par les sieurs :

Kuhn (Frédéric-Guillaume), employé à l’administration des postes.

Crepinet (Pierre), visiteur dans les douanes.

Gondert (Gérard-Arnould), brigadier des douanes.

Georges (François), préposé de troisième classe dans les douanes.

Bayart (Joseph-Firmin), géomètre du cadastre.

Bott (Philippe), brigadier des douanes.

Jacquin (Nicolas), sous-lieutenant des douanes.

Wenckstern (Alexandre), employé de première classe dans l’administration des contributions.

Frings (Jean-Léonard), commis de troisième classe.

Mandersmit (Louis-Théodore), préposé de première classe.

Prise en considération de demandes en naturalisation

M. Kervyn. donne lecture des rapports sur les demandes en naturalisation ordinaire formées par les sieurs :

Frees (Jean-Antoine), employé des douanes.

Collin (Jean), commis de deuxième classe.

Demarbais (Charles-Gustave), sous-lieutenant des douanes.

Hahn (Martin-Henri), commis de première classe.

Jost (Benoît), commis de première classe.

Schmitz (Jean), sous-lieutenant des douanes.

Vandermeer (Guillaume), commis des contributions de troisième classe.

Adeline (Auguste-Hyacinthe-Paul), sous-lieutenant des douanes.

Hilgers (Jean-François-Winand), brigadier des douanes.

M. le président donne lecture des dispositions additionnelles au règlement, qui ont été prises par la chambre, relativement au mode de voter sur la prise en considération des demandes en naturalisation ordinaire, et nomme ensuite, par la voie du sort, quatre bureaux de scrutateurs chargés de dépouiller le scrutin relatif aux demandes en naturalisation qui viennent d’être énumérées.

Il est procède au vote par scrutin de liste sur la prise en considération de ces demandes ; en voici le résultat :

74 membres ont pris part au vote, mais il ne s’est trouvé dans l’urne que 73 listes et un billet blanc.

Il y a pour :

M. Garnier, 55 suffrages favorables et 18 votes négatifs.

Guillery, 41 favorables, 32 négatifs.

Cholet, 50 favorables, 23 négatifs

Kuhn, 64 favorables, 9 négatifs

Crepinet, 68 faborables 5 négatifs

Gondert, 65 favorables 8 négatifs

Georges, 64 favorables 9 négatifs

Bayart, 65 favorables 8 négatifs

Bott, 65 favorables 8 négatifs

Jacquin, 37 favorables 36 négatifs

Wenckstern, 65 favorables 8 négatifs

Frings, 65 favorables 8 négatifs

Mandersmit, 66 favorables 7 négatifs

Frees, 65 favorables 8 négatifs

Collin, 65 favorables 8 négatifs

Demarbaix, 65 favorables 8 négatifs

Hahn, 65 favorables 8 négatifs

Jost, 66 favorables 7 négatifs

Schmitz, 65 favorables 8 négatifs

Vandermeer, 65 favorables 8 négatifs

Adeline, 65 favorables 8 négatifs

Hilgers, 65 favorables 8 négatifs

M. le président. - Le sieur Jacquin n’ayant obtenu que 37 suffrages favorables, il s’agit de savoir si le membre qui a déposé un billet blanc doit être compris dans le nombre des votants, et si, en conséquence, la majorité absolue est de 37 ou de 38.

M. de Brouckere. - Messieurs, M. le président vient de vous soumettre un doute que voici : Il y a eu 74 votants, mais parmi les 74 billets il s’en est trouvé un blanc, qui a été substitué à la liste imprimée ; un des pétitionnaires a obtenu précisément 37 votes favorables, c’est-à-dire la moitié du nombre des billets déposés ; par conséquent, si le billet blanc doit être compté, le pétitionnaire n’a pas eu la majorité absolue, et si le billet blanc ne doit pas être compté, il aura au contraire obtenu la majorité absolue ; c’est à la chambre à décider comment le billet blanc doit être considéré ; quant à moi, je pense qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que, sans que la chose tirât à conséquence pour l’avenir, on regardât la majorité comme acquise au pétitionnaire qui a obtenu 37 suffrages.

M. Verdussen. - Messieurs, parmi les dispositions que vous avez adoptées il y a quelques jours, relativement au mode de voter sur la prise en considération des demandes en naturalisation, il en est une qui porte que chaque membre recevra à domicile une liste portant les noms des personnes sur la demande desquelles il s’agira de voter, qu’il effacera les noms des pétitionnaires auxquels il veut refuser la naturalisation, qu’il déposera cette liste dans une urne ; or, messieurs, un billet blanc n’est pas la liste dont il s’agit, et je pense en conséquence qu’il ne doit pas être compté.

M. Heptia. - Il me semble, messieurs, qu’il n’y a pas la moindre différence entre celui qui dépose dans l’urne un papier blanc et celui qui efface de la liste tous les noms qui s’y trouvent ; or, il a été déposé plusieurs listes où tous les noms étaient effacés, il ne faudrait donc pas les compter non plus. Du reste, la chambre en décidera comme elle le jugera convenable ; j’ai cru seulement devoir lui soumettre cette observation.

M. Donny. - Je ne puis, messieurs, partager l’avis de l’honorable préopinant : celui qui efface tous les noms de la liste vote contre tous ceux qui s’y trouvent ; mais celui qui dépose un billet blanc, ne vote pas du tout ; il n’y a donc pas d’analogie entre les deux positions.

M. de Brouckere. - Dans tous les votes de la chambre, lorsqu’une partie des membres émettent un vote approbatif, d’autres un vote négatif, et que quelques-uns s’abstiennent, il est certain qu’il faut compter comme votants ceux qui se sont abstenus, parce que sans cela il pourrait arriver qu’il serait impossible à la chambre, quoi qu’elle fût en nombre, d’émettre un vote ; je pense que le bulletin blanc doit être considéré commue une abstention ; mais comme ce n’est pas maintenant le moment de discuter cette question, j’avais demandé, pour en finir, que, sans entendre rien préjuger pour l’avenir, on considérât la majorité comme acquise au pétitionnaire qui a obtenu 37 voix.

M. Dumortier. - Il me paraît, messieurs, que celui qui veut s’abstenir ne met rien dans l’urne, et que celui qui dépose un billet quelconque doit être considéré comme votant ; lorsque la chambre vote par assis et levé, ceux qui ne se lèvent ni pour ni contre ; lorsque nous votons par appel nominal, celui qui veut s’abstenir ne répond ni oui ni non ; il me semble donc que tous ceux qui ont déposé un papier, quel qu’il soit, ont nécessairement pris part au vote, et que l’observation de M. Heptia est parfaitement juste, qu’il n’y a en réalité aucune différence entre celui qui a déposé un papier blanc et celui qui a effacé tous les noms de sa liste. Il y a, du reste, un moyen fort simple de lever la difficulté dont il s’agit en ce moment, c’est de revenir, la prochaine fois, sur la demande du pétitionnaire à l’égard duquel il y a doute.

M. de Brouckere. - Messieurs, lorsque j’ai pris la première fois la parole, c’était pour éviter la discussion dans laquelle nous sommes entrés ; déjà plusieurs fois nous avons discuté la question de savoir si celui qui a déposé un billet blanc doit être, oui ou non, compté parmi les votants : si nous recommençons cette discussion elle pourra durer longtemps encore, car il y a beaucoup d’argument à faire valoir pour l’affirmative et pour la négative ; or, ce dont il s’agit en ce moment est d’une assez faible importance, c’est tout simplement de savoir si la demande du pétitionnaire dont il est question est prise, on non, en considération : eh bien, qu’on aille aux voix sans que la décision qui sera prise puisse tirer à conséquence pour l’avenir ; ce sera le meilleur moyen de terminer la discussion sans inconvénient.

M. Gendebien. - Messieurs, pour couper court à cette discussion il me semble qu’il serait convenable de prendre une décision conforme à l’opinion de M. Verdussen, qui ne considère comme bulletin valable que la liste imprimée qui nous a été distribuée ; si la chose devait être résolue d’après les antécédents de la chambre, je lui rappellerais que lorsqu’il s’est agi des élections de Liège, elle a décidé que les billets blancs ne comptaient pas ; je n’étais pas de ce avis et je persiste dans mon opinion, mais je ne sais pas s’il est nécessaire de renouveler une discussion qui a duré alors pendant plusieurs séances, et il me semble que dans le doute il faut se prononcer en faveur de la naturalisation d’un étranger qui a combattu pour notre indépendance aux journées de septembre.

Il est possible que tout le monde n’apprécie pas comme moi les services que nous ont rendus les combattants de septembre ; mais tous ceux qui se trouvaient parmi eux leur doivent une éternelle reconnaissance. Les hommes qui sont toujours prêts à repousser ceux qui ont versé leur sang pour nous, ne savent pas quel était au mois de septembre le prix d’un combattant de plus ou de moins.

Je prie donc la chambre d’adopter la proposition de M. Verdussen qui me paraît très acceptable.

M. Verdussen. - Je vous ferai remarquer, messieurs, que je n’entends pas voter ici sur une question de personne ; je prie seulement la chambre de décider si un billet blanc peut, oui ou non, être considéré comme une liste. Le règlement dit que chacun de nous déposera dans l’urne la liste qu’il a reçue, après en avoir effacé les noms des pétitionnaires auxquels il veut refuser la naturalisation : il est évident, messieurs, que la liste dont il s’agit n’est pas un billet blanc.

M. de Brouckere. - Que M. le président pose la question comme il l’a posée ou qu’il la pose d’une autre manière, il est évident, messieurs, que ce n’est pas une question de personne que nous allons décider, On ne nous demande pas : Voulez-vous naturaliser un tel ? On nous dit : il y a 74 bulletins, parmi lesquels un papier blanc ; il s’y troupe 37 suffrages pour un tel et 36 contre lui, considérez-vous la majorité comme lui étant acquise ? Il n’y a donc rien de personnel dans la question que nous avons à résoudre. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Il ne s’agit pas de voter sur une question de personne, mais seulement de savoir si le scrutin qui vient d’avoir lieu donne la majorité au pétitionnaire à l’égard duquel il y a doute

M. de Jaegher. - J’avais tout à l’heure, messieurs, renoncé à la parole pour ne pas prolonger la discussion mais M. Verdussen insistant sur une manière d’interpréter le règlement, je dois vous présenter une observation : dans tout vote il est permis de s’abstenir ; or, comment voulez-vous qu’ici l’on s’abstienne s’il n’est pas permis de déposer un billet blanc ?

- La chambre décide que la majorité est acquise au sieur Nicolas Jacquin.

En conséquence de ce vote, toutes les demandes en naturalisation sur lesquelles il vient d’être statué, sont prises en considération.

Il sera donné avis de cette décision au sénat.

Projet de loi relative à la réciprocité internationale en matière de successions et de donations

Motion d"ordre

M. le ministre de la justice (M. Ernst) (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lorsque l’honorable M. Liedts a déposé son rapport sur le projet de loi concernant la réciprocité internationale en matière de succession, la chambre s’est réservée de fixer ultérieurement le jour de la discussion de ce projet. Le rapport est imprimé et a été distribue hier ; je prie la chambre de vouloir bien en fixer la discussion à une séance très prochaine ; je me permettrai de faire ressortir deux observations qui militent en faveur de ma proposition.

D’un côté, la commission adopte le projet de loi sans aucune modification importante ; elle n’a fait que supprimer quelques mots, et proposer un changement de rédaction auquel je me rallierai bien volontiers, et qui n’exerce aucune influence sur le fond du texte.

D’un autre côté, la commission a reconnu que le projet de loi était très urgent, et qu’il serait fort utile qu’il pût être discuté dans la session législative actuelle.

De ces deux observations je tire la conséquence que très probablement la discussion du projet de loi ne sera pas très longue, et que la chambre reconnaîtra l’utilité qu’il y a de voter actuellement ce projet de loi.

Je demanderai donc que la chambre mette le projet de loi à l’ordre du jour, par exemple, après le vote de la loi sur les polders. (Adhésion.)

- La chambre, consultée, décide que le projet de loi relatif à la réciprocité internationale en matière de succession sera mis à l’ordre du jour après le vote de la loi concernant les polders.

Compte-rendu des séances de la chambre dans le Moniteur

Motion d'ordre

M. Eloy de Burdinne (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance d’hier j’avais demandé que la chambre se réunît aujourd’hui à midi précis, afin de procéder à la prise en considération des demandes en naturalisation, et je faisais observer que cette opération serait terminée avant l’heure où la chambre est accoutumée de commencer ses travaux ; répondant à une observation de l’honorable M. Smits, j’ajoutais que cela ne retarderait pas la discussion de la loi sur les polders proposée par M. le ministre des travaux publics.

Le il, en rendant mes paroles, me fait parler un langage que je ne comprends pas ; ce sont des mots réunis qui ne disent rien, et qui ne sont à la portée d’aucune espèce de nation ; plusieurs de mes collègues à qui j’ai montré le Moniteur n’ont pu y comprendre plus que moi....

M. Gendebien. - Il est évident que ce sont des fautes d’impression.

M. Eloy de Burdinne. - D’après cela, qu’on juge, messieurs, de la valeur du il belge. Nous dépensons pour ce journal 50,000 francs par an : c’est un argent perdu, selon moi.

Habitué à voir dénaturer mes paroles, je ne réclame plus de rectifications. Si les erreurs que je signale sont le fait de MM. les sténographes, je n’en sais rien ; proviennent-elles des employés du journal, je l’ignore encore ; sont-elles enfin les résultats d’ordres supérieurs, je n’en sais pas davantage. Mais ce que je sais, c’est que, m’étant plaint un jour au bureau du il d’un fait qui me concernait, il me fut répondu qu’on avait agi en vertu d’ordres supérieurs. (Marques d’incrédulité dans l’assemblée.) Oui, messieurs, il me fut répondu qu’on avait agi en vertu d’ordres supérieurs.

Je bornerai là mes observations. Mais si l’on voulait un jour se prévaloir contre moi de ce qui est imprimé dans le Moniteur, relativement à une opinion que j’aurais précédemment émise, je répondrais que ce n’est pas à moi qu’on doit adresser le reproche, mais bien au supérieur qui a fait dénaturer mes paroles. Je déclare ne pas connaître ce supérieur, et je ne veux pas faire sa connaissance.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, j’espère que l’honorable préopinant me fera la justice de croire que les ordres supérieurs dont il vient de parler n’ont rien de commun avec moi.

J’ai regret que les paroles de l’honorable membre aient été mal rendues. Je ne sais si la faute doit être attribuée aux sténographes ou bien aux ouvriers du il. Dans ce dernier cas, je m’engage à prendre des informations à cet égard.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne pense pas que M. le ministre de la justice ait rien de commun avec les sténographes ; la sténographie ne regarde pas le ministre de la justice, mais les questeurs seuls de la chambre.

Je profile de cette occasion pour dire que j’ai été étonné d’apprendre que M. le ministre de la justice avait pris un arrêté en vertu duquel on ne pouvait imprimer aucun de ses discours, sans qu’il l’eût revu préalablement chez lui. Les députés qui veulent revoir leurs discours sont bien obligés de passer au bureau du il ; il me semble, messieurs, qu’il ne doit pas y avoir en cela plus de privilèges pour MM. les ministres que pour nous. J’ai connu des ministres qui allaient eux-mêmes revoir les épreuves de leurs discours au Moniteur.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, l’honorable préopinant m’a bien mal compris. J’ai commencé par dire que je ne savais pas si l’erreur dont se plaignait l’honorable M. Eloy de Burdinne devait être imputée aux sténographes ou aux ouvriers du il. Si je n’ai rien de commun avec les sténographes de la chambre, j’ai au moins quelque chose de commun avec la direction du il ; et pour le cas où la faute serait le fait de cette direction, j’avais dit que je prendrais des renseignements. En agissant ainsi, je crois avoir rempli un devoir envers la chambre.

Quant à ce qu’a dit l’honorable préopinant que le ministre de la justice aurait donné l’ordre d’envoyer les discours des ministres à domicile, avant qu’ils fussent imprimés, le fait est exact ; mais, en cela, je crois avoir fait ce que j’avais le droit de faire. Certainement, ni mes collègues, ni moi, ne regardons au-dessous de notre dignité de ministre à ce que nous nous rendions de notre personne au Moniteur, pour revoir nos discours. Mais la chambre comprendra aisément qu’eu égard à nos nombreuses occupations, il peut bien nous être permis de nous faire remettre nos discours à domicile, et je ne pense pas que la chambre veuille s’associer à l’espèce de reproche que l’honorable préopinant m’a adressé. Quoi qu’il en soit, j’ai donné l’ordre dont il s’agit, et cet ordre sera exécuté.

M. Eloy de Burdinne. - Je n’aurais pas pris la parole pour me plaindre si, dans l’occasion que j’ai rappelée à la chambre, on ne m’avait pas répondu au Moniteur que mon discours avait été imprimé d’une manière irrégulière par ordre supérieur.

J’ai voulu signaler ce fait à la chambre, pour qu’il soit pris des mesures afin qu’à l’avenir on puisse utilement recourir au Moniteur, lorsqu’on voudra consulter l’opinion de tel ou tel membre. Il peut arriver fréquemment que pour répliquer à l’opinion qu’un membre émet aujourd’hui, on se réfère à ce qu’il a dit antérieurement. Eh bien, de la manière dont le Moniteur est imprimé, comment pouvez-vous dire que tel ou tel a émis telle ou telle opinion ? Ce serait impossible. Il est dès lors nécessaire d’améliorer l’impression du il, et c’est sur ce point que j’appelle l’attention de la chambre.

M. F. de Mérode. - Messieurs, il arrive souvent, et, en parlant ainsi, je ne prétends nullement faire exception ; il arrive souvent, dis-je, que tel ou tel orateur se fasse entendre assez difficilement et qu’il ne s’explique pas d’une manière très claire. Dès lors nous ne devons pas nous étonner que de légères inexactitudes se glissent parfois dans les reproductions de nos discours au Moniteur ; mais il me semble qu’il n’est pas juste d’en faire un texte d’accusation contre MM. les sténographes.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je n’ai accusé personne ; l’honorable M. de Mérode a tort de dire que j’ai accusé MM. les sténographes.

Projet de loi relatif au réendiguement du polder de Borgerweert, au rétrecissement de l’inondation autour de Liefkenshoek et à la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo

Discussion générale

M. le président. - Voici le texte du projet :

« Art. 1er. Il est ouvert au ministre des travaux publics un crédit de 2,979,000 fr., à l’effet de pourvoir au réendiguement du polder de Borgerweert, au rétrécissement de l’inondation autour de Liekhenshoek et à la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo. »

« Art. 2. Afin de pourvoir à cette dépense, le gouvernement est autorisé à porter à 15 millions de francs l’émission des bons du trésor fixée à 12 millions par l’art. 3 de la loi du 30 décembre dernier. »

M. le président. - La commission propose l’adoption pure et simple du projet du gouvernement.

M. Ullens. - Messieurs, les développements donnés par M. le ministre des travaux publics au projet de loi soumis à vos délibérations, le rapport parfaitement élaboré de notre honorable collègue et ami M. Smits, me laisseraient peu à ajouter si, touché du malheureux sort d’un grand nombre de mes compatriotes, je n’avais cru devoir joindre ma voix à celle du gouvernement pour venir devant vous plaider leur juste cause. Pour donner quelque poids à ces allégations, je dois faire remarquer préalablement que désintéressé dans la question, je n’ai demandé la parole que parce que je connaissais quelque peu les localités de Lillo et de Borgerweert dont nous devons nous occuper. Il serait inutile de vous remettre sous les yeux la somme de 15,000 fr. à payer à beaux deniers comptants, par suite du contrat, si, avant le 10 mai, l’une des deux chambres n’avaient voté le crédit nécessaire pour l’endiguement du polder Borgerweert ; mais ce que je ne puis laisser passer sous silence, c’est que la route directe d’Anvers à Gand est envahie par les eaux ; c’est que le temps de faire de grands travaux est arrivé, et que ne pas le saisir au passage, c’est perdre la campagne tout entière. Messieurs, voilà deux fois depuis la révolution que je vois submergés par les eaux du fleuve les magnifiques pâturages et les riches terres qui bordent l’Escaut vis-à-vis la ville d’Anvers ; voilà deux fois, également, que les cultivateurs et les propriétaires ont vu s’évanouir en un instant les fruits de leurs travaux et l’espoir qu’ils fondaient sur l’avance de nouveaux capitaux. Il faut que vous sachiez, messieurs, que dans l’intervalle que le polder a été asséché, des sommes considérables avaient été employées, tant pour déblayer les campagnes, que pour rouvrir les voies d’écoulement que l’impétuosité des eaux étaient venu totalement changer. Tout délai dans les travaux d’endiguement ajouterait à des pertes déjà trop considérables des pertes nouvelles, que nous pouvons et que nous devons par suite éviter. Je rends grâce, du reste, au zèle et à l’activité de M. le ministre des travaux publics, et je crois remplir ici un devoir, en lui en témoignant hautement ma gratitude.

Que je m’estimerais heureux, messieurs, si je pouvais faire passer dans votre conviction que si l’endiguement de Borgerweert, dont je viens de parler, est d’une pressante nécessité, les travaux autour de Lillo ne sont point d’un moindre intérêt, par les conséquences immenses que pourrait entraîner tout retard, même peut-être le retard de quelques jours. Pour réveiller toute votre sollicitude, je n’aurais qu’à vous parler des nombreuses pétitions qui, depuis plus de cinq ans, nous sont venues de ces malheureuses contrées. Toujours accueillies par des rapports favorables, on devait toutefois se borner à donner aux pétitionnaires de belles paroles et de vaines consolations. Il était réservé à la législature de 1837 de traduire en un acte matériel tant de vœux stériles, en autorisant une loi pour soustraire à l’empire des eaux plus de 1,600 hectares de bonnes terres. Messieurs, il fait, comme moi, avoir vu de grandes inondations, par une mer houleuse, pour se former une idée de ce chaos épouvantable.

Je frémis quand je songe, comme je l’ai vu depuis, que quelques lames plus fortes, par une marée montante, auraient pu faire céder les digues d’Ettenhoven et Ordam et amener à quatre lieues de ce point les eaux jusque sous les murs d’Anvers et même au-delà. Il est autre chose encore qui m’inspire de vives inquiétudes, et je prie instamment M. le ministre d’en faire l’objet de ses plus sérieuses méditations. C’est que, pendant une année entière, et même plus longtemps, et ce malgré l’acceptation du projet, ces infortunés des polders limitrophes verront toujours l’épée de Damoclès suspendue sur leur tête. Est-ce bien sérieusement, en présence de tels faits, qu’on voudrait parler d’honneur national blessé, alors qu’il est facile de démontrer qu’on n’y a point porté atteinte ? Quand de part et d’autre on négocie, quand la Hollande consent à restreindre sa défense en laissant resserrer les eaux, la Belgique ne peut-elle pas diminuer ses moyens offensifs, en rasant le misérable fort Lacroix ? D’ailleurs, messieurs, pour qui connaît la localité, il est facile d’apprécier que ce fort sera beaucoup plus utilement placé, lorsqu’on l’aura construit à quelques mètres vers Anvers et sur un point où, l’Escaut faisant une courbe, le feu des pièces donnerait en plein sur la longueur du fleuve. Messieurs, ne perdons donc pas notre temps à d’inutiles discussions, ne discourons pas, quand il faudrait agir : savez-vous qu’il y va de l’existence d’une population entière, que malgré vos largesses annuelles vous ne pouvez tirer du pitoyable état où elle se trouve ? Compter-vous pour rien les intérêts toujours croissants que perdent d’un côté les propriétaires tandis que, de l’autre, l’Etat ne reçoit point les contributions qui, dans une situation normale, viendraient remplir ses coffres ? Pour presser votre décision, je me permettrai enfin une observation finale ; j’ose encore réclamer un instant votre bienveillance.

Messieurs, dans ma conviction intime, je pense qu’il n’existe point de meilleur moyen pour réunir franchement toutes les opinions au nouvel ordre de choses, que de fermer autant que possible des plaies saignantes, suites de toute révolution.

Le gouvernement et la commission que vous avez nommée vous convient à entrer dans cette voie ; faites donc aujourd’hui un premier pas en adoptant la loi proposée. Dans quelques jours vous serez appelés à discuter les indemnités : si vous faites alors, comme je n’en doute pas, le second, vous aurez contribué puissamment, pour votre part, à rendre vraie, dans la plus large acception des mots, notre devise nationale : « L’union fait la force » ; car un Etat ne peut être fort qu’en s’appuyant sur la justice.

D’après les considérations qui précèdent, je voterai pour la loi.

M. de Puydt. - Messieurs, le gouvernement vient vous demander une somme de 2,979,900 francs pour faire des travaux de réparation aux deux rives de l’Escaut. Cette somme a deux destinations. Une partie qui est de 929,000 francs est destinée à réparer les désastres arrivés au polder de Borgerweert. Je n’ai à cet égard aucune observation à faire : je crois qu’il convient de réendiguer ce polder aussi promptement que possible, et que tout commande au gouvernement de faire cette dépense aux frais de l’Etat. Quant à l’autre partie, de 2 millions environ, ayant pour objet de réendiguer une partie du polder de Lillo et de Liefkenshoek, il n’en est pas de même. La question se présente mes yeux sous un tout autre aspect.

Il y a quelques jours, avant d’avoir lu les rapports du ministre, je n’avais envisagé cette affaire que sous le point de vue de la situation malheureuse des habitants de ce polder et des pertes qu’éprouvaient les propriétaires ; je ne voyais qu’une question de commisération, et j’étais porté à considérer comme utile de faire les travaux proposés par le gouvernement, dans quelque forme qu’ils se présentassent. Mais après avoir lu les rapports qui nous ont été distribués, et vu à quelles conditions les travaux sont consentis par le gouvernement hollandais, j’ai reculé devant un vote entièrement affirmatif.

Pour faire comprendre mon opinion, je vais examiner les faits.

L’inondation du polder de Lillo, principal objet de la discussion, date de 1831 ; elle a été opérée dans l’intérêt de la défense du fort Lillo. Elle a été étendue démesurément au-delà des limites strictement nécessaires à la défense de ce fort ; il n’a pas dépendu des Hollandais de l’étendre moins, parce que pour l’arrêter il aurait fallu une digue quelconque ; et celle qui y existait se trouvait plus éloignée qu’il ne leur convenait strictement de l’avoir dans l’intérêt de leur défense.

Cet état de choses qui nous est très préjudiciable, nous l’avons toléré parce que nous avions l’espoir de voir cesser le statu quo, et notamment que la prise de la citadelle d’Anvers nous aurait mis en possession des forts Lillo et Liefkenshoek. Cet espoir a été trompé ; nous avons dû y renoncer ; le gouvernement a songé sérieusement alors à améliorer la situation des propriétaires et des habitants des terrains inondés. Il a fait préparer des projets par la direction des ponts et chaussées, il a entamé des négociations avec le gouvernement hollandais pour prévenir les entraves à l’exécution de ces projets.

C’est en juin 1836 que les premières conférences ont eu lieu ; et c’est dans le mois d’août suivant qu’une première note a été échangée, par laquelle on posait les bases d’une convention à conclure pour régler les conditions d’exécution d’une digue à établir à une certaine distance de Lillo. Ces bases indiquant les conditions principales ont paru trop dures au gouvernement, il n’a pas cru devoir les accepter.

De nouvelles conférences furent ouvertes quelques mois après. Une seconde conférence a été proposée par les commissaires hollandais. Cette seconde convention contenait des conditions à peu près semblable aux premières, avec cette différence qu’elles étaient plus dures encore. C’est dans ces circonstances que le gouvernement présenta aux chambres un premier rapport le 6 février 1837. Une commission a été nommée pour l’examiner et proposer des conclusions. Avant que cette commission eût terminé son rapport, arrivèrent les désastres de la nuit du 24 février ; la marée a rompu la digue de Borgerweert, elle a rompu celle qui soutenait les eaux du polder de Lillo et a empiré la situation des choses.

Arrêtons-nous un instant à ce premier état de la question, à l’époque où le gouvernement a fait son rapport du 6 février, pour le cas d’une digue à établir à une distance moindre que celle du fort Lillo au fort Lacroix, c’est-à-dire pour celui d’une digue à 1,500 mètres du fort Lillo. Ces constructions étaient « que le fort Lacroix serait démoli, qu’il n’en serait pas reconstruit d’autre en amont de celui-ci sur la digue de l’Escaut, à moins de 250 mètres du fort actuel, et que les fortifications du Frédéric-Henry ne seraient pas relevées. »

Le commissaire belge dut nécessairement en référer au gouvernement pour savoir s’il devait accepter les conditions posées par la Hollande, et qui, dit le ministre, soulevaient « une double question de défense militaire et de dignité nationale. »

Telle était la situation des choses au commencement de cette année. La rupture des digues occasionnée par la marée du 24 février a amené de nouveaux projets, et en avril suivant on a rouvert les conférences sur cet objet avec les Hollandais ; conférences qui amenèrent une troisième nouvelle convention sur laquelle on est venu nous faire un deuxième rapport. Cette fois, on ne nous parle plus « de dignité nationale, de défense militaire. », on a passé ces points de vue de la question tout à fait sous silence ; et on nous propose d’accepter purement et simplement un acte renfermant des conditions plus dures que les précédentes ; et c’est là ce que j’ai à désapprouver dans le projet.

En effet, par la convention du 19 janvier 1831, le fort Lacroix devait être démoli sans qu’il pût être reconstruit à moins de 250 mètres.

Par la convention du 25 avril suivant, cette « reconstruction ne sera plus tolérée qu’à 700 mètres. »

Par la convention du 19 janvier, il était stipulé qu’aucun ouvrage de défense ne serait fait de l’Escaut au fort Frédéric-Henry.

Par celle du 25 avril on ajouta que « cette interdiction s’étendrait jusqu’à la limite du Brabant septentrional. »

Par la convention du 19 janvier, on prescrivait de démolir les ouvrages de défense établis sur la rive gauche de l’Escaut, à trois mille mètres en amont de Liefkenshoek, d’une part, et en aval dudit fort jusqu’à la limite de la Zélande.

Par la convention suivante on stipule que si l’on contrevient à ces stipulations, « la grande inondation sera tendue de nouveau sans avertissement préalable. »

A ces conditions nouvelles on ajoute encore « qu’aucune digue ne pourra être élevée dans les polders sans le consentement du gouvernement néerlandais sous peine de voir de nouveau l’inondation tendue. »

L’aggravation de conditions relatives à l’ordre des travaux est également remarquable.

Dans la convention du 5 août, la première de toutes, il était dit : « Les bateaux transportant les matériaux devront avoir une lanterne allumée au mat. »

Dans les conventions suivantes on ajoutait : « Ceux qui contreviendront à cette disposition seront coulés bas sans avertissement préalable.

« Ces bateaux pourront être visités en tout temps. »

« La démolition du fort Lacroix sera faite aux frais du gouvernement belge. Un officier du génie néerlandais sera chargé de la surveiller ; il pourra résider dans le fort. »

Vous voyez qu’à mesure que nous avons cédé, les Hollandais sont devenus beaucoup plus difficiles, beaucoup plus exigeants ; ils ont profité de la situation que nous leur faisions.

Ainsi nous sommes avertis que si nous essayons de faire non seulement des travaux de défense militaire, mais un mouvement quel qu’il soit qui pourra déplaire aux Hollandais, ils pourront rompre la digue que vous aurez fait construire à grands frais, pour la somme énorme de 2 millions.

Ainsi aucune digue, même éloignée des forts, ne pourra être faite dans l’intérieur des polders asséchés sans le bon plaisir du gouvernement néerlandais. Dans le cas où on en ferait, il se réserve la faculté de tendre la grande inondation.

Cette faculté il l’a maintenant, mais ce n’est qu’une faculté, tandis que si vous souscriviez à la convention qu’on vous propose, ce serait un droit que vous auriez cédé.

« Le commandant du génie des forts Lillo et Liefkenshoek pourra en tout temps, et au moyen d’un sauf-conduit à lui délivré, visiter les polders et digues dont il est fait mention aux articles précédents. »

Ainsi un commandant étranger aura la faculté de se promener, quand bon lui semblera, sur notre territoire, pour juger de l’état de nos digues, faire un examen critique de nos moyens et infliger au besoin des punitions sévères.

Je vous demande si la seconde convention ne contient pas des conditions plus dures que la première.

On dit qu’il est naturel que nous consentions à la démolition du fort Lacroix, parce que les Hollandais, en consentant à la construction d’une digue à 1,500 mètres du fort Lillo, restreignent leurs moyens de défense. Pour moi je ne crois pas que les Hollandais restreignent leurs moyens de défense en consentant à la construction de cette digue. J’ai dit que je considérais l’inondation faite en 1831 comme s’étendant démesurément au-delà des limites nécessaires pour la défense du fort, et cette extension n’a pas dépendu des Hollandais ; une digue sans fort, sans batterie, placée à quinze cents mètres de Lillo, ne peut être considérée comme offensive, d’autant moins que quand nous voudrions manifester la moindre hostilité contre la Hollande, elle pourrait la détruire et replacer les terrains asséchés dans la position actuelle.

Je n’admets donc pas qu’ils aient à se plaindre d’une restriction apportée à leurs moyens de défense pour demander en retour que nous démolissions le fort Lacroix. Pour mon compte, je n’attache aucune espèce d’importance à la conservation de ce fort en lui-même ; je ne le considère ni comme un point dé défense, ni comme un moyen offensif, C’est un point insignifiant ; nous l’avons occupé comme point d’observation et nous avons tenu à le conserver ; nous nous y sommes fortifiés, nous avons établi des logements commodes pour les troupes. Cependant, tout en ne considérant pas cette position comme importante, je pense qu’il ne faut pas, sur une injonction des Hollandais, y renoncer, consentir à le démolir sur des prétentions aussi humiliantes que celles qu’on élève.

Ce serait également une erreur de croire que le fort Lacroix est la clef de l’Escaut, comme on l’a prétendu. Le fort Lacroix ne peut guère empêcher la circulation des navires dans I’Escaut. Il serait plus avantageusement placé pour ce but à l’endroit où la rivière fait le coude, c’est-à-dire à 1500 mètres plus haut ; mais il suffit qu’il existe pour qu’il soit de notre dignité de ne pouvoir pas consentir à sa destruction sur injonction capricieuse de l’ennemi.

J’ai fait remarquer que, par la première convention, le fort Lacroix pouvait être replacé à 250 mètres. Maintenant il faut reculer jusqu’à 700 mètres. Je sais bien que si on en construisait un autre que celui existant, il conviendrait que ce fût, comme je l’ai dit, 1,500 mètres. Mais il y a loin d’un déplacement volontaire à une interdiction nouvelle, et qui de 250 mètres nous reporte forcément à 700 mètres : en le construisant de nous-mêmes à une plus grande distance, nous le ferions pour avoir une position plus convenable. Je ne sais pas de quel droit on viendrait nous interdire de faire un ouvrage de défense où bon nous semble, et fixer les limites où nous devrions nous arrêter.

Je ne sais si vous comprendrez comme moi tout ce qu’a d’humiliant la proposition de faire diriger les travaux de démolition d’un de nos forts par un officier hollandais, et de le mettre en contact avec un fonctionnaire belge : je vois avec plaisir, ou plutôt avec moins de peine, que cette humiliation n’est pas imposée à un officier du génie belge ; c’eût été une tâche bien dure pour le corps auquel j’appartiens.

Du reste, si l’on doit conclure une convention avec la Hollande, je désire que ce soit le plus tôt possible ; car, d’après ce qui s’est passé, plus on tarde, plus les conditions s’aggraveront. Pour peu que l’on continue ainsi, il n’y a pas de raison pour que la Hollande n’exige qu’il soit admis dans l’intérieur du pays un comité composé de ses ingénieurs pour surveiller tous nos travaux de défense.

Vous sentez que, d’après l’opinion que j’ai exprimée, je ne suis nullement disposé à voter le crédit pour établir la digue à 1,500 mètres, proposée par le projet. Cependant, comme je sens la nécessité de faire sortir le territoire des polders de la situation déplorable où il se trouve, je ne vois aucune raison pour ne pas admettre la première des trois hypothèses posées dans le premier rapport du ministre des travaux publics.

Cette hypothèse suppose la construction d’une digue à 2,300 mètres de distance du fort Lillo.

Dans ce cas, d’après les termes mêmes du rapport, il y aurait sécurité absolue pour les polders circonvoisins.

Le dessèchement s’opérerait sur les deux tiers de la surface inondée et les frais d’entretien actuels seraient réduits de moitié.

Mais comme la partie du terrain restant sous l’eau serait plus considérable qu’avec la digue à 1,500 mètres, il y aurait lieu à accorder encore des secours annuels aux habitants de ces terrains.

Ces résultats, infiniment plus avantageux que le statu quo, quelque peu moins avantageux que ceux à espérer du projet proposé, laisseraient intact notre honneur national ; car, dans ce cas, il ne serait pas question de la démolition du fort Lacroix, et parlant de l’état où était la question au moment de la présentation de la note du gouvernement, on aurait simplement à convenir avec les Hollandais des conditions d’ordre et de surveillance à arrêter pour la durée des travaux.

Je serais donc d’avis d’accorder un crédit pour construire cette digue à 2,300 mètres, parce que la construction de cette digue n’exigerait aucune des conditions humiliantes dont parle la convention.

(Moniteur belge n°128, du 8 mai 1837) M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - La proposition qui vous est soumise comprend deux objets. Le premier concerne le réendiguement du polder de Burgerweert ; le deuxième, la construction d’une digue intérieure dans le polder de Lillo.

Comme ce deuxième objet se rattache à une convention conclue avec le gouvernement hollandais, convention qui soulève des questions, plus spécialement du ressort de la discussion générale, c’est de ce deuxième objet que je m’occuperai exclusivement.

La situation qu’il s’agit de faire cesser date de plus de six ans. Vainement on a tenté plusieurs fois d’y mettre un terme. C’est une situation désespérante ; voulez-vous en sortir ? Telle est la question : question que vous discutez librement ; que vous discutez parce que vous l’avez voulu. Vous avez exprimé au gouvernement le désir de négocier ; il a négocié ; il vous apporte tout ce qu’il lui a été possible d’obtenir. Ce résultat, vous pouvez l’accepter, vous pouvez le rejeter ; vous pèserez la conséquence du rejet comme celle de l’adoption. Mais je ne puis assez vous le répéter ; rien ne vous est imposé, vous êtes restés libres. Vous userez de votre volonté, non pas avec passion, mais avec cette impartialité qui sied à des hommes politiques.

Je commence donc par écarter toute idée de violence.

Si vous rejetez la proposition qui vous est faite, vous resterez dans le statu quo ; vous savez à quelles conditions. Mais il vous est libre d’y rester.

Je crois par cette réflexion générale faire disparaître de la discussion tout ce qu’elle pouvait avoir d’irritant et de pénible. Il n’y a rien de commun entre cette discussion et d’autres discussions politiques où la même alternative malheureusement ne nous était pas laissée.

Pour écarter aussi toute apparence de contradiction que l’on pourrait me reprocher, je me permettrai de rappeler à la chambre que dans mon premier rapport, je m’étais abstenu de toute conclusion.

J’avais posé, ce qui avait paru fort singulier, trois hypothèses :

La première : le maintien du statu quo ;

La seconde : la construction d’une digue intérieure à 2,300 mètres ;

La troisième : la construction d’une digue intérieure à 1,500 mètres.

Je voulais ainsi préparer les esprits ; appeler l’attention de la chambre, du public sur les divers partis à prendre.

Avant de passer en revue chacun des partis que nous pouvions prendre, recherchons quels intérêts se trouvent en présence, quels sont les différents objets que nous voulons remplir.

Il y a quatre intérêts qu’il faut chercher à satisfaire.

Le premier, c’est l’intérêt de la navigation de l’Escaut. Il est incontestable que si les inondations se perpétuent dans leur étendue actuelle, la navigation de l’Escaut finira par se trouver compromise.

Un atterrissement se forme entre Lillo et les ruines du fort Frédéric-Henry. Cet atterrissement peut devenir un obstacle à la navigation de l’Escaut. L’inondation autour de Liefkenshoek et de Lillo présente un grand lac, sujet à toute l’action de la mer, tous les accidents du flux et du reflux de la marée, à toute la violence des vents. En un mot, pour quiconque connaît les lieux et les conditions de la navigation de l’Escaut, il est évident que cet état de choses menace dès à présent la navigation du fleuve, et qu’il peut entraver cette navigation dans un avenir peu éloigné.

Le deuxième intérêt est celui des habitants expulsés de leurs habitations et des propriétaires dépossédés de leurs propriétés. Je n’ai pas besoin d’insister sur cet intérêt. Vous savez que deux villages entier, Vieux-Lillo et Lacroix, et 32 fermes sont submergés. Vous savez que l’inondation s’étend sur environ 2,000 hectares de terres.

Le troisième intérêt, celui des polders circonvoisins. Et je dois comprendre dans cet intérêt la sécurité même de la ville d’Anvers ; car, comme vous l’a dit un honorable député du district d’Anvers, si l’endiguement venait à se rompre dans la partie que l’on désigne sous le nom de digue d’Ordam, les eaux pourraient se précipiter jusques à Anvers même. (Murmures d’étonnement.) Ceci n’est pas une supposition faite pour effrayer vos esprits : quiconque ira sur les lieux sera frappé de ce danger ; placés sur la digue d’Ordam, vous dominez le pays, et vous avez en face de vous Anvers.

Le quatrième intérêt, c’est l’intérêt financier. D’abord le trésor perd l’impôt foncier de tous les terrains submergés ; en second lieu, il accorde des secours, chaque année, aux victimes de l’inondation. Or, en ce moment, on sollicite une loi d’indemnité. On a même été plus loin, on a songé au rachat des polders. En troisième lieu, le trésor est tenu à un entretien très considérable. Enfin, messieurs, il est à désirer que l’ouvrage que l’on fera soit un ouvrage définitif, un ouvrage destiné à être maintenu, quelles que soient les éventualités, c’est-à-dire, quand même la Belgique serait mise en possession des forts de Lillo et de Liefkenshoek.

Il y a donc quatre intérêts à satisfaire : l’intérêt de la navigation de l’Escaut, l’intérêt des propriétaires et des habitants des polders submergés, l’intérêt des polders circonvoisins et des populations circonvoisines, et l’intérêt du trésor public. Pour poser la question comme elle doit l’être, nous devons nous demander de quelle manière nous pourrons donner satisfaction à ces quatre intérêts ; eh bien, je n’hésite pas à répondre que vous ne les satisferez qu’en adoptant le parti qui vous est proposé en construisant une digue à 1,500 mètres du fort Lillo.

En effet, cette digue sera assez rapprochée du fleuve pour qu’à l’avenir la navigation de l’Escaut ne soit plus compromise, pour que les atterrissements que l’on craint cessent de s’étendre, pour que les digues de mer ne soient plus menacées ; l’inondation étant ainsi restreinte, le fleuve ne sera plus exposé à perdre son lit.

En second lieu, un hameau reste seulement inondé, le hameau du vieux Lillo de 2,000 hectares vous en asséchez 1,700 ; vous les rendez à leurs propriétaires ; vous mettez à découvert le village de Lacroix et la plupart des fermes, un mot, est presque complet.

En troisième lieu, à part la construction de la digue, telle qu’elle est proposée, vous mettez à l’abri de tout danger les polders circonvoisins, les populations avoisinantes ; vous leur donnez une sécurité absolue.

En quatrième lieu, vous agirez de la manière la plus avantageuse pour le trésor. En asséchant 1,700 hectares de terrains, vous donnerez au trésor le droit de percevoir de nouveau l’impôt foncier vous n’aurez presque plus de secours à donner ; vous aurez à subvenir à un entretien annuel beaucoup moins considérable que l’entretien actuel. Enfin, et c’est une circonstance sur laquelle je dois insister, vous ferez un ouvrage définitif.

Si la Hollande reste en possession des forts de Lillo et dd Liefkenshoek, la digue que vous aurez faite sera un ouvrage qui vous mettra à l’abri de tous les dangers dont vous êtes menacés, et qui fera cesser la plupart des réclamations qui vous ont été adressées depuis six ans.

Si vous-mêmes vous étiez mis en possession de Lillo, vous n’auriez plus de nouvelle digue à construire.

A l’aide de la digue construite à 1,500 mètres, vous pourriez amener l’assèchement des deux ou trois cents hectares qui resteraient inondés, et vous pourriez fermer la rupture pratiquée à côte du Fort Lillo dans la digue de l’Escaut. C’est ce que vous ne pourriez si la digue était construite à 2,300 mètres ; il faudrait une contre-digue dans ce cas, une contre-digue plus rapprochée du fort. Ainsi, en considérant le projet sous tous les rapports matériels, il est incontestable qu’il réunit le plus d’avantages.

Maintenant, messieurs, demandons-nous avec impartialité si c’est le parti qu’il faut adopter, ou bien s’il faut en adopter un autre qui ne présenterait pas au même degré tous ces avantages matériels, quelle est la condition principale mise à l’adoption du parti proposé.

La condition principale, c’est la démolition du fort Lacroix.

Nous sommes arrêtés par une première objection ; quelle est l’importance du fort Lacroix ?

L’honorable préopinant, plus compétent que moi à cet égard, a détruit cette objection tout en attaquant le projet.

Il vous a déclaré que le fort Lacroix est de peu d’importance.

Une voix. - Insignifiant.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Qu’il est insignifiant pour la défense de l’Escaut et la défense générale du pays. Après avoir posé ces prémisses, l’orateur conclut cependant qu’il faut conserver le fort Lillo : Il est, dit-il, donc il doit rester ; s’il n’était pas, il ne faudrait pas le construire. Je ne suis pas aussi absolu, et la chambre, je l’espère, ne sera pas aussi absolue. Je ne puis assez répéter qu’il y a sur cette rive une position plus avantageuse que celle qu’offre le fort Lacroix ; cette position c’est l’angle en amont de ce fort ; tout se réduit donc à y reconstruire le fort.

Le fort Lacroix a coûté 150,000 fr. C’est donc cette dépense qu’il faudra renouveler pour avoir un nouveau fort.

La digue à construire étant évaluée à 2 millions, ajoutez-y 150,000 fr. et vous arriverez à un total de 2,150.000 fr. ; mais remarquez que le maintien du statu quo exigerait une dépense de 2,800,000 francs ; et par cette dépense vous ne feriez que du provisoire. Supposons qu’au lieu de dépenser 150,000 fr. pour la construction d’un fort nouveau, il en faille dépenser 800,000 ; certainement le ministre de la guerre fera, avec cette somme, construire un fort bien plus respectable que le fort Lacroix.

Réduisons la question à une question de chiffres ; avec la somme nécessaire à l’exhaussement d’une digue provisoire, vous pouvez faire une digue définitive, et substituer au fort Lacroix un fort mieux situé, plus approprié à la défense de l’Escaut.

Examinons maintenant de plus près la convention à laquelle se rattache l’emploi du crédit ; demandons-nous si cette convention est conclue dans un système exclusif de concession. Je dis, messieurs, que cette convention est conclue, non pas dans un système exclusif, mais dans un système réciproque de concessions. Le fort Lillo est en ce moment protégé par une inondation de plus de 15,000 mètres de circuit ; il est incontestable qu’un fort protégé par une inondation de plus de 15,000 mètres de circuit est mieux protégé, plus inaccessible qu’un fort qui ne sera plus protégé que par une inondation à 1,500 mètres de distance ; il y a donc pour le gouvernement hollandais restriction dans ses moyens de défense. Le fort Lacroix est séparé du fort Lillo par une inondation de 2,300 mètres ; il se trouve ainsi réduit à un état à peu près inoffensif ; mais supposez qu’au lieu de 2,300 mètres l’inondation ne soit plus que 1,500 mètres, il est certain que la position du fort Lacroix à l’égard du fort Lillo sera changée : ainsi, messieurs, si le gouvernement hollandais avait consenti que d’une part ses moyens de défense fussent restreints, et que d’autre part le fort Lacroix obtînt par cette restriction une position plus avantageuse, le gouvernement hollandais aurait nécessairement négocié dans un système de concessions à son préjudice. Que s’est-on donc dit en négociant ? On s’est dit que de part et d’autre on restreindrait le système défensif : le gouvernement hollandais a consenti à ramener à 1,500 mètres une immense inondation ; le gouvernement belge a consenti à la démolition du fort Lacroix, parce que ce fort, en subsistant, eût obtenu une position bien autrement avantageuse que sa position actuelle. On s’est donc fait des concessions réciproques, on a de part et d’autre restreint ses moyens de défense.

L’honorable préopinant a mis en regard ce qu’il appelle trois conventions, quoiqu’il n’y ait réellement que deux conventions successivement conclues. Il n’y a eu d’abord qu’une proposition faite par la note du 5 août 1836 ; ensuite a été conclue la première convention du 19 janvier ; puis la convention du 25 avril. Une chose que l’honorable préopinant, en faisant ce rapprochement, a totalement perdue de vue, c’est que la note du 5 août exigeait la démolition préalable du fort Lacroix ; il était dit dans cette note : « La démolition du fort Kruisschaus devra précéder la mise en œuvre de la construction de la digue. » Il ne s’agit plus en ce moment de démolition préalable ; il ne s’agit plus d’abattre ce fort avant la mise en œuvre de la construction de la digue. D’après la convention du 25 avril la démolition et la construction doivent être simultanées ; on a même laissé quelque chose à l’exécution, on a réservé aux commissaires nommés de part et d’autre le soin de régler cette simultanéité. Toutefois un cas qu’on a voulu prévoir dès à présent parce que c’était une garantie pour le gouvernement belge, c’est que si les écluses d’évacuation étaient seules construites dans le cours de l’année, on se bornerait à raser le fort Lacroix d’un mètre. Ainsi, messieurs, une circonstance qui a entièrement échappé à l’honorable préopinant, c’est la distinction très importante qu’il faut faire entre la démolition préalable du fort Lacroix et la simultanéité de cette démolition avec la construction de la digue ; la démolition préalable nous laissait entièrement sans garantie, la simultanéité nous donne une garantie qui nous était indispensable.

L’honorable préopinant, entrant dans les détails de l’exécution des travaux, a trouvé les conditions extrêmement dures ; j’ai eu soin, messieurs, de vous faire remarquer dans l’exposé des motifs que ces dispositions règlementaires étaient plutôt imposées à l’entrepreneur futur qu’au gouvernement belge ; ces conditions sont dures, mais il est bon qu’elles soient dures ; il faut que l’entrepreneur qui souscrira à la convention du 25 avril, en même temps qu’il acceptera l’entreprise de la construction de la digue, sache à quelles conditions il peut faire les ouvrages ; ces conditions, il faut qu’il les accepte, il faut qu’il les remplisse sous sa responsabilité ; ce sera à lui de se constituer de manière à n’amener aucune collision avec les autorités hollandaises, ce sera à lui de prendre les précautions nécessaires à cet effet, ce sera même à lui de chercher si par sa position personnelle il ne peut pas obtenir, pour l’exécution, des conditions plus avantageuses, des conditions que le gouvernement belge n’obtiendrait pas s’il exécutait les travaux en régie.

L’honorable préopinant fait remarquer que, d’après la note du 5 août, le gouvernement belge aurait pu élever le nouveau fort à une distance de 250 mètres du fort Lacroix, tandis que, dans la convention du 25 avril, le gouvernement belge a pris l’engagement de n’élever de nouveau fort qu’à une distance de 700 mètres du fort Lacroix ; mais l’honorable membre lui-même, voulant en quelque sorte détruire la force de son objection, s’est empressé d’ajouter que l’emplacement destiné au nouveau fort, à l’angle qui vous est connu, est éloigné de 1,500 mètres du fort Lacroix ; ainsi, messieurs, nous aurions pu aller plus loin encore ; nous aurions pu stipuler une distance de 10,000 mètres, par exemple, sans que nous eussions été par là gênés dans notre projet.

On pourrait nous dire : Mais quelles garanties avez-vous qu’une fois la digue construite à grands frais, et le fort Lacroix démoli, le gouvernement hollandais ne rompra pas la digue et n’étendra pas de nouveau les inondations au point où elles le sont aujourd’hui ? Je répondrai, messieurs, que nous avons pour garantie l’intérêt ou plutôt l’absence d’intérêt du gouvernement hollandais : le gouvernement hollandais, je pense, ne fera pas le mal pour le mal ; j’ai, je l’avoue, la bonhomie de le supposer ; eh bien, il n’aura pas le moindre intérêt à rompre la digue du moment que, de notre côté, nous observons la convention en maintenant la démolition du fort Lacroix, en faisant disparaître les ruines du fort Frédéric-Henry, en ne construisant pas de nouvelles fortifications dans le cercle indiqué. Si telle est notre conduite, je dis que le gouvernement hollandais n’aura pas le moindre intérêt à rompre la digue. Mais si une semblable objection avait une si grande force, il ne faudrait rien faire, il faudrait purement et simplement rester dans le statu quo : car, messieurs, on peut rompre la digue à deux ou trois cents mètres, tout comme on peut la rompre à 1,500 mètres ; on peut même rompre l’endiguement actuel ; on peut rompre les digues, non seulement autour du fort Lillo, mais ailleurs encore. Ainsi cet argument ne prouve rien, parce qu’il prouve trop.

Je vous dirai en terminant, messieurs, que l’honneur national bien entendu est aussi l’intérêt national bien entendu ; vous avez le plus grand intérêt à rendre notre situation le plus tolérable qu’il soit possible ; il y a une plaie dans le pays ; Cette plaie, le moyen de la fermer vous est offert.

M. Pollénus. - Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole, c’était pour répondre à ce que venait de dire l’honorable député d’Anvers, qui, au début de la séance, a pris la défense du projet.

Il a commencé par remercier la commission des polders du projet qu’elle a présenté à nos délibérations. Pour ma part, il me semble qu’il serait difficile de s’identifier davantage avec les intérêts des propriétaires des polders, que ne l’a fait l’honorable préopinant. En effet, si la chambre pouvait être considérée comme votant le projet de loi sous l’impression du rapport de la commission, on serait tenté d’admettre que ce n’est pas un système de secours qu’elle veut faire adopter en faveur des propriétaires des polders, mais un véritable système d’indemnité complète. Bien certainement, les propriétaires des polders n’auraient qu’à s’applaudir de l’adoption d’un pareil système.

J’ai été assez étonné de voir que le rapport de la commission a été également l’objet des éloges de la part d’organes du gouvernement, Car me rappelle que chaque fois qu’il a été fait une demande de crédit à la chambre en faveur des victimes des ravages de la guerre, on a représenté ces allocations comme étant simplement destinées à des secours, et ne se rattachant nullement à un système d’indemnité, que le gouvernement a toujours paru redouter. Et cependant, si l’on examine les termes dont la commission s’est servi dans son rapport, on trouve que c’est le système d’indemnité entière que la commission semble vouloir faire sanctionner.

M. F. de Mérode fait un signe négatif.

M. Pollénus. - J’entends un honorable membre de la commission des polders me dire que ce n’est pas ce système que la commission a entendu consacrer. Mais je ferai remarquer à cet honorable membre que les termes dont la commission se sert dans son rapport semblent pourtant indiquer que telle est son intention ; on n’a qu’à lire la page 2 du rapport.

L’honorable député d’Anvers, au discours duquel je viens de faire allusion, a invoqué une considération qui a fait sur mon esprit une impression toute différente de celle que, très probablement, il cherchait à produire. Si vous ne vous empressez pas, dit-il, d’admettre le projet du gouvernement, vous exposez les propriétaires et les habitants des polders circonvoisins à être inondes ; l’inondation, ajoute-t-il, pourra un jour s’étendre jusque sous les murs d’Anvers.

Messieurs, c’est en effet la possibilité de l’extension de cette inondation qui m’a frappé, lorsque j’ai vu que, dans la proposition du gouvernement, l’on consentait à la démolition du fort Lacroix. Je ne me permettrai pas d’examiner la question de savoir si sous le rapport stratégique, le fort Lacroix est plus ou moins important. Je conviens volontiers que des hommes plus compétents que moi pourront s’expliquer sur cette question. Je ne puis, cependant, m’empêcher de faire une réflexion : je vois que le fort Lacroix, tel qu’il est placé, domine la digue d’Ordam ; que, dans sa position, il peut protéger cette digue. Otez le fort Lacroix : eh bien, cette digue, à laquelle s’arrête aujourd’hui l’inondation, va être à la merci des Hollandais, si l’on adopte le projet du gouvernement.

Ainsi donc, la possibilité de l’extension de l’inondation qu’a invoquée l’honorable M. Ullens, est une considération qui fait un effet tout différent sur mon esprit et me fait penser que le fort Lacroix n’est pas aussi insignifiant qu’on veut le prétendre. Puis-je admettre, messieurs, que le fort Lacroix soit véritablement insignifiant, lorsque je vois le gouvernement hollandais attacher une aussi grande importance à la démolition de ce fort ? Si je n’avais pour moi que l’insistance des commissaires hollandais pour obtenir cette démolition, cette preuve me paraîtrait suffisante pour établir que le fort Lacroix a plus d’importance qu’on ne croit.

D’après ce que je viens de dire, il ne m’est pas démontré que les intérêts des habitants des polders circonvoisins, qu’a invoqués M. le ministre des travaux publics, soient si admirablement servis par le système qu’il vient nous présenter. Au contraire, lorsque je vois les moyens de défense diminuer, je vois les propriétés des habitants de ces polders moins protégées, je les vois entièrement à la merci de notre ennemi, en l’absence des obstacles destinés à protéger les digues intérieures.

Cette observation s’applique également la digue projetée à la distance de 1,500 mètres. Les précautions du gouvernement hollandais ont été poussées à tel point que, non content de stipuler la démolition des forts et la surveillance des travaux par des officiers hollandais, il a encore obtenu de notre gouvernement que, dans les polders desséchés, aucun homme armé ne puisse s’y présenter, et qu’il ne soit à l’avenir construit aucun moyen de défense ! Et vous consentez à vous dépouiller des moyens de vous défendre ! vous consentez à mettre à la merci de votre ennemi un objet qui doit coûter à la Belgique tant de millions ! Cet ennemi saura, si jamais vous placez un objet d’une telle valeur à sa discrétion, saura, dis-je, en profiter pour vous arracher de nouvelles concessions peut-être, dès qu’il trouvera que son intérêt l’exige.

Je crois qu’il n’est pas de l’intérêt du gouvernement de consacrer une somme aussi considérable à un ouvrage qui doit être abandonné à la discrétion de nos ennemis.

Il me paraît résulter de ces diverses observations que les intérêts des habitants des polders circonvoisins ne sont nullement servis par le projet qui nous a été présenté par le gouvernement.

Ces observations répondent également à ce qu’a dit M. le ministre des travaux publics qu’avec cette dépense une fois faite, on aurait des travaux définitifs, circonstance qui dispenserait l’Etat de donner de nouveaux secours aux propriétaires des polders inondés ; mais, messieurs, l’exécution du projet du gouvernement ne me paraît présenter aucune des conditions d’un travail définitif. Car peut-on dire qu’un travail présente le caractère d’une chose définitive, durable, lorsqu’il est placé à la discrétion de notre ennemi, qui à chaque instant pourra le détruire et nous placer dans une situation bien plus fâcheuse que celle où nous nous trouvons en ce moment ?

Mais, a dit M. le ministre des travaux publics, ce fort Lacroix n’est pas le seul moyen de défense de la Belgique de ce côté de l’Escaut : sur l’Escaut il lui reste le fort Philippe. Mais si j’admets la possibilité d’une rupture dans la digue d’Ordam, le gouvernement hollandais peut alors étendre l’inondation suivant son bon plaisir ; je ne vois pas quel obstacle l’armée hollandaise pourrait rencontrer pour se rendre jusque sous les murs d’Anvers, puisque de polder en polder elle tournerait le fort Philippe. Ainsi le fort Philippe n’est pas un moyen de défense qui mérite d’être pris en si grande considération.

M. le ministre des travaux publics nous a présenté la convention conclue avec les commissaires hollandais, comme offrant un système de concessions réciproques. Messieurs, j’ai lu et relu cette convention, et je dois déclarer que je n’y trouve que des stipulations favorables à la Hollande, et rien au profit de la Belgique. Car, comme l’a fait observer l’honorable M. de Puydt, le gouvernement hollandais ne mettait aucun obstacle à ce que la digue projetée à la distance de 2,300 mètres fût exécutée ; si le gouvernement hollandais lui-même n’y mettait aucun obstacle, il reconnaissait par là qu’il n’était pas en droit de s’y opposer.

Eh bien, s’il était possible d’obtenir un système de dessèchement qui n’aurait pas eu tout à fait la même extension que celle que pourrait autoriser la digue projetée à la distance de 1,500 mètres, serait-ce pour obtenir une aussi légère concession que vous consentiriez à toutes les stipulations de la convention du 25 avril ? que vous consentiriez à vous dépouiller de tous les moyens de défense que la Belgique possède entre les forts de Lillo et Liefkenshoek et la frontière hollandaise ; que vous consentiriez a démolir un fort qui nous protège, et à ne jamais le relever, quelles que soient les circonstances dans lesquelles la Belgique puisse se trouver ? Pour une semblable concession, voudriez-vous enfin accorder à notre ennemi un droit de souveraineté sur une partie de notre territoire ? Et pendant que vous lèveriez des contributions foncières sur les habitants de cette portion du pays, voudriez-vous les soustraire entièrement à la protection du gouvernement belge, pour les mettre entièrement, eux et leurs propriétés, à la merci de la Hollande ?

Messieurs, en présence de quelles considérations avez-vous voté des millions pour augmenter l’effectif de notre armée ? N’est-ce pas le sentiment qui vous engagera encore à voter bientôt de nouveau millions pétitionnés par le département de la guerre, pour opérer la concentration de nos forces militaires, et pour renforcer notre système de défense ?

Eh bien, vous avez autre chose que la convention avec M. Vanderwyck, vous avez la convention, du 21 mai entre le gouvernement hollandais, la France et l’Angleterre. Si, nonobstant cette convention vous craignez encore la perfidie du gouvernement hollandais, la craindrez-vous moins quand vous aurez passe la convention dont il s’agit ? La chambre elle-même a reconnu qu’en présence de la politique de Guillaume, en présence de la provocation à l’invasion partie de la tribune des états-généraux et en présence d’autres fait, encore, elle a reconnu, dis-je, qu’il était prudent de ne pas se fier au gouvernement hollandais ; et maintenant vous croyez pouvoir avoir toute confiance dans ce gouvernement, vous croyez pouvoir vous mettre à sa merci.

Demain peut-être nous aurons à nous occuper du projet de campement de M. le ministre de la guerre, de la concentration des troupes ; invoquerez-vous encore alors la confiance que nous inspire le gouvernement hollandais ?

Pour ma part, je désire pouvoir venir en aide aux malheureux habitants des polders. Mais pourquoi, en présence des circonstances politiques où nous nous trouvons, ne pas se contenter de faire à l’égard des habitants des polders ce qu’on fait à l’égard des autres habitants de la Belgique qui ont été victimes de l’agression hollandaise ou des événements de la révolution ; pourquoi ne pas se contenter d’allouer des secours ? La chambre s’est montrée généreuse chaque fois qu’on a eu recours à elle dans ce but. Pourquoi, dans une loi de ce genre, prenez-vous la défense des grands propriétaires des polders et ne dites-vous rien de ceux qui, pour ne pas être grands propriétaires, n’ont pas des droits moindres à nos sympathies et à la justice de la chambre ?

Il est facile de prévoir, d’après ceci, ce que sera la loi d’indemnité. Ce que vous aurez fait pour les propriétaires des polders, vous ne pourrez pas vous refuser à le faire pour les propriétaires des hôtels et maisons incendiés de Bruxelles. Je crois en avoir dit assez pour motiver mon opinion. Les conditions de la convention passée avec le commissaire hollandais me paraissent onéreuses et sans garantie. Les événements de 1831 doivent être encore présents à vos souvenirs et suffisent pour vous donner la mesure de la garantie que la promesse de ce gouvernement peut donner à la Belgique. D’après ces considérations, ne trouvant pas de garantie suffisante du bon emploi des fonds demandés, je ne consentirai jamais à souscrire a des conditions qui, d’après mon intime conviction, sont sans avantage et humiliantes pour le pays.

M. Rogier. - Je désirerais savoir si M. le ministre de la guerre jugera opportun de prendre la parole dans cette discussion pour s’expliquer sur la question. Sons le rapport militaire, son opinion serait d’un très grand poids, en présence de ce que vient de dire l’honorable préopinant.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je n’avais pas l’intention de prendre la parole dans la discussion ; un honorable membre qui a combattu le projet avait rempli ma tâche en déclarant que sous le rapport militaire il n’attachait aucune espèce d’intérêt à la conservation du fort Lacroix. Comme je ne me proposais de traiter que ce point de la question, je pourrais me dispenser de parler. Si ce que vient de dire M. Poilions pouvait avoir jeté du doute dans quelques esprits, je chercherais à le combattre.

Si le fort Lacroix a été construit, c’est en grande partie parce qu’après le siège de la citadelle d’Anvers, il s’est trouvé que le point où il est élevé était le point le plus rapproché d’un des forts occupés par les Hollandais.

Je pense que les officiers hollandais tiennent tant à le voir disparaître à cause de l’irritation qu’ils ont éprouvée et qu’ils éprouvent encore de voir un fort établi si près d’eux. Après la prise de la citadelle d’Anvers on pouvait croire, d’après l’exaspération des deux partis, que les deux armées en viendraient aux mains. Des officiers du génie français et belge furent chargés de faire des reconnaissances et de chercher les points les plus convenables à occuper pour rendre impossible toute attaque contre Anvers par l’Escaut. Il existe trois rapports faits par deux officiers du génie français et par un officier du génie belge. Tous s’accordent à représenter la position du fort Lacroix comme très peu importante, comme défectueuse, d’abord par son isolement complet, ce fort étant abandonné à ses propres forces, tandis qu’il a contre lui deux forts plus considérables et la flottille hollandaise.

En second lieu, on a trouvé qu’il voyait assez mal la passe de l’Escaut et ne pouvait produire que très peu d’effet sur les bâtiments hollandais qui voudraient se porter vers Anvers. Je répète donc qu’on a toujours considéré ce fort comme d’une importance militaire très faible. Le fort qu’on voudrait construire dans le rentrant du fleuve verrait mieux le chenal navigable du côté d’aval et du côté d’amont. On produirait ainsi un double effet beaucoup plus utile. Le point considéré comme le plus important de cette partie de l’Escaut est celui qui est à la hauteur du fort Sainte-Marie.

Les batteries du fort Philippe continuent à rendre la défense de ce passage formidable ; cet endroit est considéré comme la véritable passe entre les forts de Lillo, Liefkenshoek et Anvers.

L’honorable membre qui vient de parler contre le projet a dit que si on abandonnait le fort Lacroix, les Hollandais pourraient étendre l’inondation jusqu’à Anvers ; il a supposé qu’une attaque pourrait être dirigée par la marine hollandaise contre Anvers en traversant les polders.

L’honorable membre a dit, en effet, que si la digue d’Ordam ou d’Ettenhoven était rompue et l’inondation tendue jusqu’à Anvers, les bâtiments hollandais ne seraient plus forcés de passer sous le feu des forts Ste-Marie et St-Philippe pour se porter sur Anvers.

Mais ce n’est pas là ce qu’a voulu dire un autre honorable membre qui a parlé en faveur du projet. La rupture de la digue d’Ordam n’aurait pas pour conséquence que la sûreté d’Anvers serait menacée, mais qu’une immense partie du pays serait couverte d’eau.

Le fort Lacroix serait impuissant pour empêcher la rupture de cette digue ; il suffit de jeter les yeux sur la carte pour s’en convaincre. A cause de sa grande étendue, elle est accessible à un trop grand nombre de points hors de la portée du fort Lacroix. Cette digue est donc hors de la question.

En résumé, sous le point de vue militaire, je regarde comme indifférent que nous ayons ou que nous n’ayons pas le fort Lacroix.

Je crois avoir suffisamment répondu à l’interpellation de M. Rogier et pouvoir borner là mes observations.

M. Rogier. - Je remercie M. le ministre de la guerre des explications dans lesquelles il a bien voulu entrer. Elles ne feront que me fortifier dans l’opinion que je vais émettre et qui sera approbative du projet du gouvernement.

S’il y avait dans les mesures proposées la moindre chance de nouveaux dangers pour le pays, si la position militaire du pays devait s’en affaiblir, quelque intérêt que nous devions porter tous, en particulier, à la position des polders, j’aurais été un des premiers à repousser ces mesures, avec d’autres honorables membres, quelle que soit ma confiance dans le patriotisme du ministre, qui, après tout d’ailleurs, ne les aurait pas proposées, si elles devaient compromettre le salut du pays.

Deux propositions nous sont soumises. Il s’agit de réparer sur les deux rives de l’Escaut les malheureuses conséquences de la révolution, qui d’ailleurs a eu de si heureux résultats pour le pays en général. Il s’agit de construire une digue à Borgerweert, sur la rive gauche de l’Escaut. A cet égard, il ne paraît pas qu’aucune objection doive être faite. Mais il s’agit en outre d’apporter remède à un mal qui dure depuis des années, par suite d’une convention qui a été si profitable au reste du pays ; il s’agit de construire une digue dans l’intérieur du polder de Lillo. Le premier orateur qui a pris la parole n’a vu là qu’une question de commisération. Messieurs, n’y eût-il que de la pitié pour ceux qui souffrent, qu’un mal à faire cesser dont une partie de nos compatriotes sont victimes dans l’intérêt de tous, que la question mériterait un examen sérieux et la sympathie de la chambre. Mais il y a autre chose que de la commisération, il y a un acte de justice nationale, il y a même un intérêt fiscal ; enfin, la sûreté d’une grande partie du pays, son honneur même, s’y trouvent compromis.

Il y a justice de s’occuper, dans le plus bref délai, du sort des propriétaires inondés ; car (on ne peut trop le répéter) pourquoi la province d’Anvers a-t-elle dans ce moment, et depuis 6 ans, 2,000 hectares de ses meilleures terres inondées ? Pour que le pays puisse rester en possession de deux demi-provinces, dont la cession à la Hollande eût été le prix de l’évacuation du fort de Lillo. Je ne parle pas du fort de Liefkenshoek, parce que là le mal n’est pas aussi grand ; mais la question est cependant la même. Je dis que lorsque une partie du pays souffre à ce point, dans l’intérêt général et pour que le pays ait de plus grands avantages, la justice exige que l’on prenne tous les moyens pour faire cesser un pareil état de choses, et que si la réparation ne peut être complète, elle doit au moins être aussi complète que possible.

Il y a aussi, s’il faut traiter la question financière, un intérêt fiscal à considérer. Depuis six ans 2,000 hectares des meilleures terres sont inondées ; non seulement elles ne rapportent rien aux propriétaires, mais encore l’inondation affecte directement et indirectement le trésor public : directement, en ce que la chambre chaque année a dû voter des subsides à répartir entre les inondés ; indirectement, en ce que le trésor public ne retire rien de ces terrains qui, si nous avons égard leur revenu, lui rapportaient 20,000 fr. par an. Faire cesser l’inondation de ces terrains, c’est donc faire un acte de justice vis-à-vis des propriétaires, c’est en même temps faire une chose utile à l’intérêt du trésor.

J’ai dit que la sûreté publique exige que l’on s’occupe sans retard de la mesure proposée ; il ne s’agit pas seulement de l’intérêt des propriétaires inondés. Je dirai même que ce ne sont pas ceux-là qui réclament avec le plus d’instances ; ce sont surtout les propriétaire, menacés. Nous devons songer à les mettre à l’abri du danger où ils sont. Consultez les hommes du pays, les hommes de l’art et les hommes pratiques ; ils vous diront qu’il suffirait d’une forte marée pour que les polders circonvoisins fussent inondés. Rendez-vous sur les lieux ; consultez, non pas les propriétaires intéressés, mais tous ceux qui ont vu les graves dégâts résultant de la marée du 24 février ; ils vous diront que ce sera un pur hasard si l’endiguement qui protège les polders jusqu’à Anvers ne cède pas au premier gros temps.

Alors, je vous le demande, quelle sera la position du pays si, aux 2,000 hectares actuellement inondés, une nouvelle tempête ajoute non pas 2,000 hectares, mais 5 à 6,000 hectares inefficacement protégés par l’endiguement actuel.

Il y a une question de sûreté publique non seulement pour les polders circonvoisins, mais pour l’Escaut. M. le ministre des travaux publics a fort bien établi que la navigation de l’Escaut était gravement compromise par l’état actuel des choses. C’est un point sur lequel nous n’aimons pas à insister, parce que nous sommes de ceux qui pensent que la Hollande, sans vouloir faire le mal pour le mal à la Belgique, ne verrait pas avec déplaisir que la navigation de l’Escaut encourût de graves préjudices par l’état de choses actuel.

Il y a aussi une question de prévoyance qui ne doit pas nous échapper ; car, en supposant que le fort de Lillo soit un jour rendu à la Belgique (cette supposition, sans doute, se réalisera), il pourra arriver que dans l’intérêt même du fort occupé par la Belgique, il soit nécessaire de tendre de nouvelles inondations. A défaut de digue intermédiaire, qu’arriverait-il ? Si l’on tendait une inondation, elle ne se trouverait arrêtée que par un endiguement situé à 5,000 ou 6,000 mètres du fort. Lorsqu’au contraire vous aurez établi une digue à une distance plus rapprochée, vous aurez aussi une inondation plus restreinte. Ceci mérite, ce me semble, une attention particulière. Il s’agit de savoir si les inondations éventuelles nécessaires seront limitées, ou si elles pourront s’étendre à l’infini comme aujourd’hui.

Enfin, j’ai dit qu’il y a ici une question d’honneur national, mais non pas, comme le disaient tout à l’heure deux honorables membres, d’honneur national de la Belgique vis-à-vis de ses ennemis, mais d’honneur national vis-à-vis le pays. Je dis quant à moi que je considère comme une honte pour le pays de laisser depuis 6 ans, dans cette situation déplorable, un si grand nombre de Belge qui n’ont rien fait pour mériter leur sort, et qui souffrent dans l’intérêt général. Ce serait une honte pour le pays que de consentir à la continuation d’un tel état de choses.

Je le reconnais, les conditions imposées par la Hollande sont très dures. La Hollande a fait tout ce qu’elle a pu pour les rendre inacceptables. Je le conçois. Nous connaissons la manière de procéder de la Hollande et les égards qu’elle a d’ordinaire dans ses relations avec la Belgique. Mais, en définitive, quel intérêt avait la Hollande à laisser construire une digue ? Aucun. C’est une concession qu’elle nous fait ; et c’est beaucoup qu’une concession de la part de la Hollande ; il faut le reconnaître. D’un autre côté, ceci est d’un grand intérêt pour nous. Il ne faut donc pas être étonné que les conditions aient été plus onéreuses pour la Belgique que pour la Hollande.

Mais, en prenant le traité dans sa base principale, n’y a-t-il pas réciprocité ? La Hollande restreint ses moyens agressifs et défensifs en restreignant l’inondation. Nous restreignons nos moyens défensifs et agressifs en supprimant le fort Lacroix. Mais ce fort Lacroix est-il si nécessaire au salut de la patrie, que sa suppression doive susciter tant de plaintes ? Un orateur spécial, auquel nous devons ajouter foi, déclare qu’il est très insignifiant ; que, placé ailleurs, il serait plus utile à la Belgique. Voici une occasion de déplacer ce fort, de le construire dans une position plus utile à la Belgique ; je crois que nous devons profiter de cette occasion, d’autant plus qu’en le faisant nous accomplirons un grand acte de justice nationale.

Je sais que, tout en refusant la convention, on ne manque pas de dire qu’on éprouve une vive sympathie pour les malheureux habitants des polders. Rien n’est plus commode que ce système qui concilie à la fois l’énergie et la philanthropie. Mais je demanderai où nous arrivons avec cette philanthropie. L’honorable préopinant est plein de sympathie pour les victimes des inondations ; mais il ne veut pas de la convention. A-t-il au moins quelque chose à proposer pour la remplacer ? A-t-il un autre moyen de réparer le préjudice si grand supporté par quelques-uns dans l’intérêt de tous ? Qu’il le présente. Je ne demande pas mieux. Quant à moi j’ose me dire susceptible autant que qui que ce soit en fait d’honneur national. Mais je suis susceptible aussi en fait de souffrances subies dans l’intérêt national. Nous ne voulons pas que nos frères souffrent lorsque tout le pays profite de leur état de souffrance.

Il est certain, et l’honorable M. de Puydt l’a fort bien indiqué, que de nouvelles négociations n’aboutiraient à rien. Selon lui il faudrait, même s’il y avait des négociations nouvelles, souscrire à des conditions plus onéreuses. Ainsi il ne peut être question d’engager des négociations sur nouveaux frais.

Les négociations sont terminées. Il ne s’agit plus que de savoir si vous mettrez le gouvernement à même d’exécuter les travaux, oui bien si par votre refus, vous vous préparerez pour l’avenir le regret de voir peut-être se joindre aux 2,000 hectares inondés, encore 5 ou 6 mille hectares aujourd’hui menacés.

Ainsi donc, les conclusions de ceux qui s’opposent au projet de loi seraient le maintien du statu quo, c’est-à-dire le maintien d’une grande injustice, d’un grand danger. Quant à nous, nous sommes contre le maintien d’un pareil statu quo ; nous voulons que le gouvernement s’occupe, sans plus de délai, de tous les moyens de restreindre l’inondation.

Pour ce qui concerne l’endiguement, deux systèmes ont été présentés : l’un consistant à construire une digue à 1,500 mètres de la coupure de Lillo ; l’autre consistant à construire la digue à 2,300 mètres. Je ne prononce pour la construction à la distance de 1,500 à 1,700 mètres, alors même qu’elle entraînerait pour nous quelques conditions plus onéreuses vis-à-vis de la Hollande. Je ne donnerai pas mon adhésion à la digue à construire à 2,300 mètres, parce qu’elle ne remplirait que très imparfaitement le but qu’on doit se proposer ; il serait difficile de lui donner la solidité nécessaire, elle laisserait sous l’eau une très grande quantité de terres ; enfin elle ne dispense pas, pour l’avenir, de la construction d’une digue de contournement, qui entraînerait de grandes dépenses quand il s’agirait de fermer directement la coupure.

Voilà les motifs qui me font opposer à cette digue.

Quant à un troisième moyen, qui consisterait à renforcer l’endiguement actuel, je le regarde comme inacceptable. Cependant, si vous ne construisez pas la digue, vous serez forcés de renforcer la digue actuelle, ou je regarderai comme fausse la philanthropie que l’on a témoignée pour les habitants des polders. Eh bien, le renforcement de la digue coûtera plus que la digue proposée.

Le renforcement ne répare rien, il laisse inondés ceux qui sont inondés ; il procure un peu plus de sécurité aux polders menacés, et c’est sous ce dernier point de vue qu’il peut mériter d’être examiné.

Mais j’ai consulté, à plusieurs reprises, et les hommes de l’art, et les hommes pratiques, et les habitants des localités ; ils sont tous unanimes pour soutenir que, quel que soit le renforcement de la digue, jamais on ne parviendra à donner toute sécurité aux polders circonvoisins.

L’endiguement de Lillo forme aujourd’hui un lac intérieur d’une immense étendue ; l’eau, poussée par les vents nord-ouest dans ce grand golfe, tombe de tout son poids sur la digue, et ne glisse pas sur les rives comme fait l’eau du fleuve. La digue est donc menacée à chaque tempête, et plusieurs fois elle a été rompue de cette manière.

La digue d’Ordam et Ettenhoven, qui garantit les polders jusque près d’Anvers, a été sur le point de succomber à la dernière tempête ; et si celle de Stabroek n’avait pas été rompue, on croit que c’est celle d’Ordam qui l’aurait été. La rupture à Stabroek est un grand malheur, mais le malheur eût été bien plus grand si la cité d’Anvers eût été inondée.

Si on refuse au gouvernement les moyens de fermer la rupture, vous ne pourrez sans la plus grande injustice vous refuser au renforcement de l’endiguement actuel, et il ne faudrait pas moins de deux ou trois millions pour cela. La chambre doit en être prévenue.

Je finirai par une dernière observation : je rends justice au patriotisme des membres de la chambre ; mais je voudrais qu’on tînt compte du patriotisme et de la résignation de certaines provinces, et qui ne mettent pas dans la défense d’intérêts purement locaux la persévérance et la chaleur que d’autres apportent dans la défense de semblables intérêts. Je pose en fait que si l’inondation du polder de Lillo, cette plaie honteuse du pays, avait existé dans telle ou telle province, dans la province du Hainaut par exemple…

M. Gendebien. - Je demande la parole.

M. Rogier. - Depuis quatre ans, l’acte de réparation que nous réclamons aujourd’hui aurait été fait par la chambre. Je pose en fait que l’on n’aurait laissé aucun repos au gouvernement, aucun repos à la chambre, que tout ne fût réparé.

Ceci n’est pas une agression contre mes collègues ; je rends hommage à la chambre et à la persévérance qu’ils y auraient mises. Si j’ai cité la province de Hainaut, c’est parce que là, en effet, on trouve de la persistance, de la chaleur, de l’éloquence.

Eh bien, il faut tenir compte à la province d’Anvers de la modération, de la résignation qu’elle apporte dans la défense de ses intérêts propres ; mais il n’y a pas de modération qui, à la longue, ne s’échappe ; il n’y a pas de résignation qui, à la longue, ne s’impatiente. Certes, loin de nous, messieurs, de vouloir faire ici ce qui ressemblerait le moins du monde à une menace ; nous en sommes encore aux supplications. Nous avons parlé à votre raison, à votre patriotisme, à votre justice ; nous espérons que nous serons enfin entendus.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je n’ai qu’un mot à répondre à l’honorable préopinant pour ce qu’il a bien voulu dire des députés du Hainaut. Je lui ferai remarquer, ainsi qu’à l’assemblée, que les députés du Hainaut sont, je pense, ceux qui ont réclamé le plus constamment que l’on vînt au secours et que l’on rendît enfin justice aux malheureux inondés de Lillo. Si je défends avec chaleur les intérêts de ceux qui m’ont envoyé ici, on ne peut méconnaître que j’ai défendu aussi avec chaleur les droits de ceux qui ont tout perdu par les inondations : il n’y a pas de session où je n’ai élevé vingt fois la voix en leur faveur, (Signes affirmatifs.)

M. Rogier. - C’étaient des discours ; maintenant c’est un acte que nous vous demandons.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - La chambre remarquera qu’il n’a pas dépendu du gouvernement ni de la législature de construire la digue, parce que le gouvernement hollandais s’y opposait.

- La séance est levée à quatre heures et demie.