(Moniteur belge n°104, du 14 avril 1837 et Moniteur belge n°105, du 15 avril 1837)
(Moniteur belge n°104, du 14 avril 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Quaghibuer, ex-employé des douanes, démissionné, demande à être réintégré. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des fabricants de sucre indigène demandent que la question des sucres soit mise à l’ordre du jour de la chambre. »
- Renvoi à la commission chargée de l’examen des modifications à apporter à la loi sur les sucres.
M. de Brouckere écrit pour s’excuser de ne pouvoir partager aujourd’hui les travaux de ses collègues.
M. le président. - Nous allons nous occuper du projet de loi présenté par M. le ministre des finances dans la séance du 10 avril.
Le premier projet est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il est ouvert au ministre des finances un crédit supplémentaire de 12,000 fr., lequel sera appliqué de la manière suivante aux articles 3 et 10 du chap. IV du budget décrété par la loi du 12 mars 1837.
« L’art. 3 du chap. IV est majoré de la somme de 1,000 fr.
« L’art. 10 du même chapitre est majoré de la somme de 11,000 fr. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Ces articles sont adoptés provisoirement et sans débat.
On les soumet à l’appel nominal, et ils sont adoptés définitivement à la majorité des 55 membres présents.
Les représentants qui ont pris part à cette délibération sont MM. Bekaert, Berger, Brabant, Cornet de Grez, Dechamps, de Foere, de Jaegher, de Nef, Dequesne, de Renesse, Desmaisières Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Gendebien, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson,, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Simons, Smits, Stas de Volder, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Zoude.
M. le président. - « Art. 1er. Une somme de 4,000 fr. est transférée de l’art. 1er du chap. IlI du budget de la dette publique décrété par la loi 21 février 1835, à l’art. 4 du même chapitre. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Cette loi, adoptée sans débat par assis et levé, est soumise à l’appel nominal et adoptée définitivement à l’unanimité des membres présents.
M. le président. - Une somme de 7,560 fr. est transférée de l’art. 1er du chap. IlI du budget de la dette publique décrété par la loi du 15 février 1836, à l’art. 3 du même chapitre de ce budget. »
« Art. 2. Le présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Cette loi est également adoptée sans discussion ; soumise à l’appel nominal, elle a été votée à l’unanimité des membres présents.
M. le président. - Le projet, tel qu’il a été amendé par le sénat, est conçu comme suit :
« Art. 1er. L’entrée, la sortie et le transit des os seront soumis aux dispositions suivantes :
« Os de toutes sortes (excepté les pieds de mouton), sans distinction s’ils contiennent ou non de la gélatine, rognures de boutons et autres déchets d’os : les 1,000 kil. : entrée : 20 c. ; sortie : 50 fr. ; transit : 2 fr.
« Pieds de moutons : les 1,000 kil. : entrée : 20 c. ; sortie : prohibés ; transit : 2 fr. »
« Art. 2. La présente loi cessera son effet au premier janvier 1839, si elle n’a pas été renouvelée avant cette époque. »
La commission propose de soumettre les os à la sortie au droit de 25 fr. par 1,000 kilg., en maintenant toutefois la prohibition sur les pieds de mouton.
M. Zoude, au nom de la commission d’industrie, fait un rapport sur deux pétitions relatives à la loi en discussion, et qui avaient été renvoyées à cette commission ; il conclut à ce que ces pétitions soient déposées sur le bureau de la chambre pendant la discussion de la loi sur les os.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, tout à l’heure on vous a présenté l’analyse d’une pétition de plusieurs fabricants de sucre indigène, qui demande que la chambre veuille bien s’occuper promptement de la question des sucres ; je vous rappellerai, messieurs, que dans le courant de décembre, la question ayant été agitée dans cette assemblée, elle a été renvoyée à une commission, avec prière de faire un rapport pour le 15 janvier ; nous savons tous que la commission s’est trouvée dans l’impossibilité de nous présenter son rapport pour cette époque. Mais voilà que nous sommes bientôt au 15 avril, et nous n’avons pas encore ce rapport. Cependant il est urgent et très urgent que nous nous occupions de cet objet, car nous sommes arrivés à l’époque de la plantation des betteraves, et si nous ne prenons promptement une résolution, toutes les fabriques de sucre indigène sont frappées de mort, car il est impossible de planter des betteraves quand on conserve dans ses greniers tous les sucres qu’on a fabriqués l’année précédente et qu’on n’a pas d’espoir de les écouler. D’un autre côté le trésor public souffre considérablement de l’état actuel des choses ; l’impôt sur les sucres qui devrait rapporter cinq millions ne figure, je crois, au budget que pour 150,000 fr. Il y a donc une mesure et une mesure prompte à prendre ; quant à moi je demande que la commission qui a été chargée la question des sucres soit invitée à nous faire son rapport dans le plus bref délai, et, dans tous les cas, dans le cours de ce mois. Il me semble que nous ne pouvons point refuser satisfaction à des hommes qui ont introduit en Belgique une industrie qui peut avoir les résultats les plus avantageux pour le pays, et qui se trouve menacée au plus haut point par le défaut d’une résolution de notre part.
M. Berger. - Messieurs, la commission des sucres est pénétrée autant que l’honorable préopinant de l’urgence de mettre fin au débat qui existe entre les sucres indigènes et les sucres exotiques ; cette urgence provient non seulement de l’intérêt du trésor, mais encore de la saison dans laquelle nous allons entrer : il est certain que si, d’ici à la fin du mois, le rapport n’est pas fait, il y aura impossibilité absolue pour les producteurs de sucres indigènes de continuer leur industrie, puisqu’il faut planter au printemps les betteraves dont on veut extraire le sucre en automne.
Il paraît, messieurs, que la commission a attendu mon retour pour s’occuper de cet objet : il m’a été impossible de me rendre plus tôt ici, par suite de l’interruption qui a existé entre la province de Luxembourg et les autres parties de la Belgique ; nous nous sommes mis en route vendredi dernier, avec toute la célérité possible, et ce n’est qu’hier soir que nous avons pu arriver à Bruxelles. Maintenant que la commission s’est complétée, elle ne manquera pas de s’occuper immédiatement de l’objet qui a été soumis à son examen, et je pense que dans le courant de la semaine prochaine elle pourra vous soumettre son rapport.
M. Desmet. - Messieurs, j’appuie de toutes mes forces la motion de l’honorable M. Dumortier ; je ne conçois pas qu’on puisse être si longtemps à faire un rapport sur une question si claire ; cette question a été décidée en France et en Angleterre et ne peut présenter un doute pour nous.
Il est certain que le privilège dont jouissent les raffineurs de sucre exotique est exorbitant ; c’est réellement un privilège scandaleux et insupportable qu’on ne peut plus longtemps tolérer.
En France la question a été décidée il y a trois ou quatre ans ; elle l’a été également en Angleterre ; le savant Gay-Lussac a déclaré à la tribune de France que le rendement que donne le sucre raffiné passe 75 p. c. ; en Angleterre le savant Jonny a prouvé que ce rendement s’élevait jusqu’à 80 p. c. ; la question n’est donc plus douteuse, et il semble que la commission n’a aucune raison pour tarder à présenter son rapport.
La loi sur les os, que nous allons discuter, est aussi de la plus grande importance pour les fabricants de sucre indigène dont l’industrie intéresse à son tour, au plus haut degré, l’agriculture ; les terres où on cultive la betterave doivent être soignées plus particulièrement que pour les autres cultures, ainsi il ne peut manquer qu’en introduisant la culture de la betterave dans notre agriculture, elle sera beaucoup perfectionnée.
Nous devons donc favoriser l’introduction de la culture de la betterave, et j’espère que la chambre ne perdra pas cette considération de vue en votant la loi relative à la sortie des os qui, comme je l’ai déjà dit, intéresse vivement les fabriques de sucre de betteraves, qui ne peuvent marcher sans avoir le noir animal pour clarifier leur produit.
M. Donny. - Messieurs, une espèce de fatalité semble reculer constamment le vote définitif de la loi dont nous allons nous occuper. En 1834 on a passé tout à coup, et peut-être d’une manière fort légère, d’une défense d’exportation à un droit de sortie tellement minime qu’il était à peu près comme s’il n’existait pas. En effet, messieurs, un droit de sortie sur les os de 5 fr. par 1,000 kilog. équivaut, à peu de chose près, à la libre exportation. Le gouvernement n’a pas tardé à s’apercevoir des vices de la loi, et dès l’année suivante il a présenté un nouveau projet qui doublait le droit établi par la loi de 1834 ; à cette occasion il a déclaré que déjà à cette époque où il n’existait pas encore de sucreries de betteraves, « la protection que notre agriculture, notre industrie ont droit d’attendre du tarif, ne leur était point assurée, en ce qui concerne les os, par la loi dont le terme allait expirer. » Je cite pour ainsi dire textuellement les paroles dont le ministre s’est alors servi à la tribune. Malgré cette déclaration la loi ne fut pas votée dans le cours de 1835, et l’on maintint par mesure provisoire la loi de 1834 ; en 1836 la chambre put s’occuper du projet du ministre, elle reconnut qu’en effet la loi de 1834 était vicieuse, et elle porta le droit de sortie à 20 fr. les 1,000 kilog. ; c’était le quadruple du droit primitif ; le projet fut renvoyé au sénat qui pensa que la majoration votée par la chambre était encore insuffisante, et fixa le droit à 50 fr.
A mon avis le sénat, en prenant cette décision, comprit les besoins de l’industrie, mais en même temps il prolongea l’existence de la législation de 1834 ; aujourd’hui que nous avons de nouveau à nous occuper du projet, la commission de l’industrie, au lieu de proposer l’adoption pure et simple de l’amendement du sénat, ce qui mettrait un terme à toutes ces lenteurs et rendrait la loi définitive dès ce moment, propose une nouvelle modification dont la première conséquence doit être un second renvoi au sénat : pour peu que le sénat ne puisse partager complètement les vues de la commission, ce qui est fort probable, la session sera close sans qu’il y ait aucune loi de votée, et la législation de 1834, qui a déjà été reconnue vicieuse dés le 25 novembre 1835, continuera à régir le pays pendant une année au plus.
Et cependant cette législation de 1834 est réellement désastreuse pour les fabricants qui font usage d’os, comme matière première. Je puis vous citer un exemple de la position où se trouve cette industrie.
Il y a dans les environs d’Ostende une fabrique importante et unique en son genre ; elle travaille d’après des procédés importés d’Angleterre, consomme une très grande quantité d’os et verse dans le commerce des produits tellement satisfaisants qu’à chacune des expositions de l’industrie elle a obtenu des médailles.
Eh bien, les propriétaires de cette fabrique m’écrivent que pour peu que l’ordre de choses actuel doive se prolonger encore, ils seront obligés de fermer leurs usines, et cela à cause de l’extrême difficulté qu’ils éprouvent à se procurer la matière première dont ils ont besoin.
Cette difficulté, messieurs, s’explique de la manière la plus naturelle.
Le long de nos frontières vers la France, il se trouve un assez grand nombre de fabriques françaises qui emploient les os comme matière première ; ces fabriques ont épuisé en peu de temps tout ce que les départements voisins pouvaient leur fournir, et depuis lors ils se trouvent dans la nécessité de faire venir la matière première de l’intérieur de la France ou de s’approvisionner dans les provinces limitrophes de la Belgique ; et comme le transport de l’intérieur de la France à la frontière est excessivement coûteux, ces fabricants trouvent un très grand avantage à s’approvisionner dans notre pays ; cet avantage est tel que sans parler du droit ridicule de 1834, celui de 20 fr. par mille kilog., voté dernièrement par la chambre, et celui de 25 fr. proposé par la commission, sont insuffisants pour entraver l’exportation des os à l’usage des fabricants dont il s’agit. Ce sera beaucoup si l’amendement du sénat parvient à atteindre le but qu’on a en vue.
En vous proposant le droit de 25 fr. par 1,000 kilog., c’est-à-dire la moitié du droit voté par le sénat, la commission d’industrie s’appuie sur deux arguments.
Il y a, dit-elle, exagération de moitié dans les calculs qu’on a faits au sénat, pour établir la quantité d’os que consomment et que consommeront dans la suite les fabricants de sucre indigène.
Le droit de 50 fr. par 1,000 kil., dit encore la commission, est un droit prohibitif ; s’il est adopté, il aura pour conséquence une baisse considérable du prix des os, et cette baisse s’opérera au détriment de la classe indigente.
Je ne puis, messieurs, partager l’opinion de la commission d’industrie sur aucun de ces points.
La commission nous dit bien que le sénat s’est trompé dans ses calculs, mais elle ne nous dit pas sur quelle base elle fonde elle-même son opinion, de sorte que nous pouvons rester dans le doute si l’erreur se trouve du côté du sénat, ou bien de celui de la commission.
Mais supposons un instant que ce sont les calculateurs du sénat qui se trouvent dans l’erreur ; supposons que réellement il y a une grande exagération dans les calculs qu’on a faits pour déterminer le nombre d’os que pourraient consommer les fabriques de sucre indigène. Dans cette hypothèse, il n’en reste pas moins constant qu’il y a aujourd’hui pénurie d’os dans le pays ; que cette pénurie est telle qu’il n’existe nulle part, je ne dirai pas des dépôts considérables, mais même des dépôts quelconques de ces matières.
Le second argument de la commission ne me paraît pas mieux fondé.
Je conteste d’abord que le droit de 50 fr. par mille kilog. soit un droit prohibitif.
Messieurs, lorsque la France a voulu empêcher la sortie des os, ce n’est pas un droit de 50 fr. par mille kilog. qu’elle a inscrit dans son tarif de douanes, c’est un droit quadruple, un droit de 200 fr. par mille kilog. ; et sans doute on m’accordera qu’en fait de droits prohibitifs, la France peut être considérée comme juge compétent.
Je conteste, en second lieu, que le droit de 50 fr. par mille kilog., s’il vient à être voté, produise une baisse considérable sur le prix actuel des os.
Messieurs, les besoins de l’industrie s’accroissent de telle sorte, et la pénurie des os est si grande, qu’alors même que les os ne sortiraient plus pour l’étranger, le prix de cette matière ne subirait pas une diminution considérable d’ici à longtemps. Telle est au moins mon opinion.
Supposons cependant qu’il en soit ainsi que le dit la commission, que le prix des os dût fléchir. Mais alors encore, serait-il vrai, comme la commission le pense, que cette baisse s’opérerait aux dépens de la classe indigente ? Messieurs, je ne le crois pas.
Lorsqu’une marchandise quelconque a peu de valeur, on l’abandonne assez volontiers ; le pauvre peut s’en emparer et en faire son profit. Mais aussitôt qu’une matière acquiert quelque valeur, il se trouve de suite entre le producteur et l’indigent des personnes qui s’emparent elles-mêmes du bénéfice que la matière peut produire. C’est, messieurs, ce qui a lieu à l’occasion des os. Lorsque leur prix ne s’élevait qu’à 4 fr. les 100 kilog., le pauvre pouvait les recueillir, et les recueillir sans la moindre concurrence ; personne ne songeait à venir partager avec lui le faible bénéfice qui pouvait résulter de la vente des os. Mais lorsque le prix a été doublé, triplé ; lorsque le kilogramme d’os a valu huit, dix ou douze centimes, il s’est trouvé dans presque tous les grands établissements publics, dans les hôtels, dans les maisons particulières mêmes, il s’est trouvé, dis-je, des agents subalternes ou des domestiques qui se sont empressés de recueillir à leur profit les os dont ils pouvaient disposer.
Aujourd’hui, messieurs, le commerce des os cesse d’être exclusivement réservé à la classe indigente, elle n’y prend plus qu’une part très minime, et pour peu que le prix continue à s’élever, elle finira pas être entièrement exclue de ce commerce. Je ne pense donc pas que s’il y avait une baisse, ce serait aux dépens de la classe indigente.
D’après ces considérations, je suis d’opinion que la chambre doit voter purement et simplement le chiffre de 50 fr. par 1,000 kilog., qui a été adopté par le sénat, et je déposerai sur le bureau une proposition formelle tendant à cette fin.
En terminant, messieurs, je ferai une dernière observation, et je l’adresse à ceux de mes honorables collègues qui sont d’une opinion contraire à la mienne.
En 1834, nous avons fait une loi d’essai ; la loi que nous voterons aujourd’hui est encore une loi d’essai ; car c’est comme loi d’essai qu’elle nous a été présentée par M. le ministre de l'intérieur en 1835 ; c’est comme loi d’essai qu’elle a été votée par le sénat, puisque le sénat ne lui a donné qu’une existence d’une année, la loi devant cesser ses effets au 1er janvier 1839.
Le premier essai que nous avons fait a été malheureux, et il l’a été parce que l’on s’est trop rapproché de la libre exportation. Que mes honorable adversaires veuillent bien nous permettre de faire aujourd’hui un essai en sens contraire, essai qui ne doit durer que jusqu’au 31 décembre 1838. Si l’essai est encore malheureux, nous en recueillerons du moins un grand avantage : l’expérience que nous aurons faite de deux tentatives infructueuses et en sens contraire nous mettra à même de voter en pleine connaissance de cause le droit de sortie qu’il convient de voter pour l’article qui nous occupe. J’ai dit.
M. Verdussen. - Lorsque le législateur s’occupe de la rédaction de lois, fiscales ou non, auxquelles l’industrie et le commerce sont particulièrement intéressés, il doit à mon avis se guider en général par des principes dont il est toujours dangereux de s’écarter sans l’urgence la plus impérieuse. Parmi ces principes je range celui d’une égale protection entre les Belges, et lorsque leurs intérêts sont en opposition, de laisser aux choses leur cours naturel, plutôt que d’établir un privilège en faveur d’une partie des régnicoles aux dépens d’une autre partie.
Un autre principe qu’il ne s’agit pas de perdre de vue consiste :
1° A procurer aux indigènes les produits exotiques dont ils ont besoin, à un prix aussi bas que le permettent les exigences du trésor public.
Et 2° à faire vendre les productions du pays, chez l’étranger, au prix le plus élevé.
L’un et l’autre de ces principes tend à augmenter la richesse générale, et ainsi je suis loin d’envisager comme une calamité l’élévation des prix des matières premières que la Belgique fournit, alors même qu’elle peut les utiliser chez elle, pourvu que ces mêmes matières soient également recherchées par l’étranger : tout ce que le législateur a à faire dans une telle position, c’est d’établir un droit de sortie qui présente une protection suffisante à l’industrie indigène, un droit qui lui laisse un avantage réel sur le concurrent étranger : aller au-delà et en venir à une élévation telle que les étrangers doivent renoncer à venir s’approvisionner chez nous, c’est méconnaître les vrais intérêts, les intérêts généraux du pays, que le législateur est appelé à défendre ; c’est forcer les prix à baisser en diminuant le nombre des débouchés ; c’est rompre encore un lien commercial, chose toujours dangereuse, et c’est sacrifier le bien-être du premier détenteur en faveur de l’industriel, qui, Belge comme l’autre, n’a droit qu’à une protection égale de la part du pouvoir central. Une protection de partialité peut entrer dans les combinaisons égoïstes de l’intérêt privé, mais elle est indigne d’entrer dans les vues des représentants des intérêts généraux.
Lorsque la hauteur des droits dépasse la protection due à l’industrie indigène, et, lorsqu’elle tend à la prohibition, il en découle un autre inconvénient que la partialité, celui d’arrêter les progrès de cette industrie en la rendant stationnaire par indolence. En effet un gouvernement doit, en général, être convaincu que ses administrés sont en état de faire ce que leurs voisins savent produire avec des moyens égaux ; et certes, chez un peuple aussi intelligent que le peuple belge, une semblable confiance ne sera jamais trompée.
En appliquant ces principes et ces idées générales à l’objet qui nous occupe, au droit de sortie sur les os, je regrette sincèrement que le sénat n’ait pas cru devoir s’arrêter au droit déjà plus que protecteur de 20 francs les 1,000 kilogrammes, soit 2 francs les 100 kilogrammes, pour une matière de la valeur de 12 à 13 francs le quintal, du moins d’après l’assertion des rédacteurs d’une pétition d’Ostende qui a été imprimée dans le Moniteur, ce qui fait au-delà de 15 p.c. sur la valeur, que dis-je ! jusqu’à 20 p. c. environ, en ajoutant au principal du droit les centimes additionnels, Il serait absurde de vouloir soutenir qu’en adoptant l’amendement du sénat, d’après lequel le droit en principal s’élèverait à 40 p. c., au moins, de la valeur de la marchandise, ce droit-là reste encore dans les limites d’un droit protecteur et ne marche pas à la prohibition.
Mais, messieurs, ai-je besoin de vous prouver que c’est précisément à la prohibition de la sortie des os qu’on veut en venir ? Si ce n’est pas le but que le sénat s’est proposé, c’est au moins celui qu’ont en vue les pétitionnaires, qui appuient l’amendement introduit par l’autre chambre ; et, pour vous en convaincre, il suffit de lire les réclamations qui vous ont été adressées. Les hauts cris que jette l’intérêt privé n’ont de base que la crainte de voir s’élever le prix des os ou de se maintenir au taux qu’ils ont atteint, et leurs prétentions ne sont pas moins opposées à l’intérêt de leurs concitoyens qui profitent aujourd’hui de l’augmentation du prix des os, qu’ils ne le sont aux revenus du fisc, malgré l’augmentation du droit qu’ils proposent, augmentation fictive dans leur pensée, introduite pour contrarier l’exportation et, par conséquent, pour nuire aux recettes de l’Etat.
En effet, nous trouvons dans la pétition datée d’Ostende, dont j’ai parlé, ces mots : « Il y a deux ans, les os se vendaient à six fr. les 100 kilog., aujourd’hui le prix s’en est élevé de 12 à 13 francs ; ne peut-on pas dire d’après cela qu’il est instant d’en arrêter l’enlèvement ? » Peut-on faire un aveu plus formel du dessein d’avilir le prix au détriment du producteur et du fisc ?
Une autre requête qui vous est venue d’Anvers au mois de décembre 1835, et qui dans le temps vous a été distribuée, va plus loin encore, et l’égoïsme de l’intérêt privé s’y montre à nu ; on y lit : « Il me faut d’immenses quantités d’os pour la fertilisation de mes terres sauvages ; si le gouvernement désire que l’emploi des os se propage en Belgique, qu’il en défende la sortie, et l’on verra bientôt l’agriculture s’en emparer ; ce n’est pas aux prix actuels qu’il peut l’espérer, etc. » Que veut-on de plus ? Voilà le but de la demande et la conséquence qu’elle doit avoir : la baisse forcée, l’avilissement des prix, la diminution de la richesse nationale.
Mais, messieurs, ne nous dissimulons pas les suites de la disposition qu’on nous propose, si le but désiré est atteint : une fois entrés dans cette voie d’augmenter les droits jusqu’à ce que les acheteurs étrangers soient dégoûtés par la hauteur du prix du revient d’exporter des os de la Belgique, nous ne savons plus où on s’arrêtera ; au vœu des pétitionnaires, le prix de cette marchandise vient à baisser chez nous, l’exportation recommencera, car il est indifférent aux acquéreurs étrangers qu’ils paient plus cher du chef du prix dû aux détenteurs belges ou à cause de droits de sortie exorbitants, et c’est ainsi qu’à mesure que l’élévation des droits amènera la baisse du prix de la marchandise, il faudra ajouter autant aux droits de sortie, et avec cette marche nous pourrons en venir à porter ceux-ci au double de la valeur des os. Un exemple rendra ceci plus sensible ; supposons qu’il faille porter jusqu’à 20 francs le prix du revient chez l’étranger par quintal, pour qu’il cesse de nous enlever les os, c’est-à-dire qu’au prix, par exemple, de 15 francs payé au propriétaire de la marchandise, l’acheteur étranger devra pour chaque quintal ajouter 5 francs de droits de sortie, comme le sénat le demande : si cette mesure produit un encombrement de la matière dans notre pays au point d’en faire tomber le prix de 3 fr., en le réduisant au prix de 12 fr.., il faudra porter à 8 fr. par 100 kilog. les droits de sortie, pour parvenir aux 20 fr. qu’il faut atteindre pour repousser l’achat par nos voisins ; et ainsi, de baisse en baisse du prix sur notre marché intérieur, nous marcherons de hausse en hausse dans les droits de sortie, et cela jusqu’à l’extravagance, jusqu’à l’absurde.
J’aurais donc désiré que le sénat eût adopté le projet de loi tel que la chambre le lui a envoyé ; mais puisqu’il n’en a pas été ainsi et qu’il a trouvé à propos de porter le droit de 20 à 50 fr., je crains que le sénat n’adopte pas et ne se contente pas de l’augmentation proposée par la commission d’industrie : mais je pense que nous pouvons espérer quelque succès dans l’autre chambre si nous ajoutons 10 fr. à notre tarif précédent ; par là les os seraient frappés d’un droit de sortie de 30 fr. par 1,000 kilog. ; soit 25 p. c. de la valeur, et nous nous rapprocherons assez du chiffre adopté par l’autre partie de la représentation nationale, pour nous attendre à la voir adhérer à notre projet, d’autant plus qu’elle ne se dissimulera pas qu’en persistant de son côté à vouloir introduire un droit prohibitif, et la chambre d’autre part un droit plus modéré, le bienfait que nous attendons tous de la loi se trouvera anéanti, puisqu’à défaut d’une disposition nouvelle, la loi antérieure, qui n’admettait qu’un droit de 4 fr. à la sortie, resterait en vigueur.
Je propose donc pas amendement de porter à 30 fr. le chiffre que la commission d’industrie est d’avis de n’élever que jusqu’à 25 fr. les 1,000 kilogrammes.
M. Desmet. - L’honorable préopinant, qui nous a formulé des principes d’économie politique, nous a dit, et personne ne le conteste, il nous a dit qu’il ne voulait pas de privilège en faveur du commerce et de l’industrie, que ce qu’il voulait était un droit suffisant pour favoriser l’industrie du pays.
Voilà précisément, messieurs, ce que nous demandons. Nous demandons que, pour l’article qui nous occupe, on adopte un droit assez élevé, que l’étranger ne vienne pas nous enlever la matière première dont nous avons-nous-mêmes besoin, et que les étrangers, surtout les industriels du département du Nord, en France, viennent nous enlever cette précieuse matière première à tout prix, et cela pour la raison qu’ils ne peuvent s’en passer pour faire marcher leurs fabriques de sucre de betterave ; ceci est un fait que personne ne peut contester.
Je l’ai déjà dit, et je le répète, les os forment aujourd’hui une matière première extrêmement rare, et tellement nécessaire que l’on ne peut pas s’en passer.
Messieurs, je ne reviendrai pas sur une vérité qui est trop généralement reconnue : qu’il est du plus grand intérêt de favoriser la culture de la betterave, et l’établissement de fabriques de sucre indigène dans le pays.
Je dirai cependant encore un mot sur les avantages que l’agriculture peut retirer de la culture de la betterave dans les provinces où l’agriculture n’a pas fait autant de progrès que dans d’autres ; pour bien cultiver la betterave, il faut nécessairement labourer les terres très profondément et avec grand soin, très fortement les fumer et leur donner à plusieurs reprises un sarclage pendant la croissance de la plante ; ce qui est un progrès dans la culture et qu’on force d’y introduire en cultivant la betterave.
D’ailleurs vous savez, messieurs, que le résidu de la betterave est une bonne nourriture pour les bêtes à cornes.
Et comme j’en suis à parler des bêtes à cornes, et que cet article est très important pour la Belgique, je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il a pris des précautions contre l’épizootie qu’on dit en Hollande parmi les bêtes à corne.
Aujourd’hui, un journal de ma province renferme un long article dans lequel on signale le danger de la contagion des maladies qui frappent les bestiaux, et la nécessité pour le gouvernement de prendre une mesure, afin d’arrêter l’entrée du bétail étranger dans le pays ; et je lui demanderai aussi, si, à la fin, on prendra quelques mesures pour arrêter la maladie qui règne chez nous depuis 5 à 6 ans et qui a continuellement fait des ravages ; qui présentent des dangers même pour la santé des hommes par la viande infectée qui se vend et qui se donne aux troupes, et probablement aussi aux détenus dans les prisons. Toujours on a eu soin dans notre pays de veiller ces maladies dangereuses et toujours des mesures énergiques ont été prises pour les extirper et en prévenir dans l’intérieur.
Le droit adopté par le sénat est une mesure nécessaire pour que, comme je viens de le dire, le département du Nord et les autres départements frontières ne viennent pas nous enlever ce dont nous avons nécessairement besoin. Vous savez qu’aujourd’hui le prix des os est de 12, 14 à 15 fr. les 100 kil. ; le droit de 50 fr. proposé n’est donc que de 33 p.c. Si vous mainteniez le droit adopté par la chambre, qui n’est que de 15 p. c,, il serait insuffisant, car ii serait beaucoup trop faible, et surtout comme vous savez ces droits ne sont jamais entièrement perçus.
Je crois qu’on s’est trompé dans la fixation du chiffre des os qui se trouvent dans le pays. On a pris pour base la quantité de viande qu’on consomme dans le pays. Cette base ne peut être admise ; on sait que les os de la viande qu’on mange dans nos ménages ne sont pas recueillis ; plus de la moitié est perdue ; la quantité de viande mangée dans le pays ne peut donc pas donner la quantité des os qui se trouvent dans le pays ; la quantité des os qui se perd est très forte ; et qu’on ne vienne pas dire qu’il y a des magasins complets ! ce serait difficile de les designer.
Mais, messieurs, la mesure que vous allez prendre sur la sortie des os ne sera pas suffisante pour protéger la nouvelle fabrication de sucre, la mesure ne sera que de moitié si vous laissez exister ce privilège que je dis, sans hésiter, être scandaleux et insupportable avec une constitution où les privilèges sont défendus, en faveur des raffineries des sucres exotiques ; la chose est tellement importante, que je dois renouveler mes instances, pour que, sans aucun retard, la commission fasse son rapport sur la diminution de la prime de sortie accordée à l’exportation du sucre raffiné, ou pour mieux dire à l’exportation d’une espèce de mesure qui n’a presque par subi aucun raffinage.
La diminution de la prime à la sortie des sucres ne rencontre qu’un adversaire, et cet adversaire c’est le commerce extérieur, le commerce d’Anvers qui n’est qu’un simple commerce de commission. Mais la commerce d’échange ne s’oppose pas à ce que cette prime inique soit diminuée. Cependant c’est le commerce d’échange qu’on vous envisage comme le plus utile pour la prospérité du pays, c’est ce commerce qu’on peut seul titrer de commerce national. Il y a une grande différence pour les intérêts nationaux de faire le commerce pour les étrangers et introduire, à notre détriment, ses denrées et ses produits, pour jouir de quelques faveurs de la commission, que de faire un commerce qui exporte nos propres produits et introduirait en échange, et sur nos propres navires, des produits venant de l’étranger, et qui manquent chez nous ; c’est ce commerce que la nouvelle société de Bruges a bien compris. Cette société a eu l’assentiment général de ceux qui aiment et désirent la prospérité de la Belgique, et qui n’ont pas été peu étonnés de voir que le ministre de l’intérieur avait modifié ses statuts d’une manière arbitraire et contre l’intérêt général.
On nous cite encore la Hollande, notre rivale, en fait d’exploitation de sucre raffiné, et que si nous portons des modifications à la prime de sortie, nous devions succomber devant elle. Mais, messieurs, c’est un faux prétexte, car il y a d’autres moyens de faire la guerre à la Hollande ; c’est d’encourager la pêche chez nous et d’empêcher l’entrée de produits de la pêche hollandaise. Je demanderai donc pourquoi M. le ministre des finances tarde continuellement à nous présenter le projet de loi qu’il avait promis contre l’introduction du poisson hollandais. Cependant, il ne peut ignorer combien la pêche nationale souffre de ce retard ; c’est bien triste qu’il soigne si peu les intérêts du pays.
La fabrication du genièvre qu’on paraît cependant disposé à entraver, serait encore un moyen de faire la guerre au commerce hollandais ; aujourd’hui nous luttons avec avantage contre la Hollande, et si le projet du ministre des finances est malheureusement adopté, nous devrons subir la loi, et de nouveau vous verrez inonder le pays du genièvre hollandais ; vraiment on dirait qu’on le fait exprès pour servir notre ennemi.
Revenons au projet qui est en discussion : je dis encore que nous devons, sans restriction, adopter l’amendement dis sénat. Je ne suis pas de l’opinion de M. Verdussen, qu’il faille marchander avec le sénat, et qu’au lieu de 50 fr. on fixe le droit à 30. Le sénat a bien pesé ce qu’il a fait. Il faut procéder franchement ; si vous adoptez encore une mesure provisoire, vous allez encore arrêter la fabrication du sucre, vous perpétuerez les inquiétudes des cultivateurs qui n’oseront pas se livrer à la culture de la betterave.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, la question que nous discutons est une question de fait. Qu’avons-nous exporté d’os en 1835 et 1836 ? Trois millions de kilogrammes. J’admets que maintenant, par suite de la présentation de la loi actuelle, l’exportation ait augmenté, qu’on en ait exporté 3,500,000 kilog. J’exagère le chiffre à dessein. Nous avons, dans les diverses discussions qui ont eu lieu sur cette question, soutenu qu’en Belgique la consommation de la viande était de cent millions de kilog. Cette statistique est juste, non parce qu’elle est basée sur des documents officiels, mais parce qu’elle concorde avec les statistiques des autres pays. Il n’y a pas d’exagération à fixer à 100 millions de kilog. la viande que nous consommons. Nous avons vu par les calculs faits que 100 millions de kilog. de viande donnent 25 millions de kilog. d’os.
J’admettrai qu’ils n’en donnent que 20. Nous n’exportons d’après un honorable membre que deux millions de kil. ; j’admets qu’on en exporte trois, nous avons un excédant considérable, un excédant de 17 millions pour alimenter nos fabriques.
Vous devez, a-t-on dit, favoriser les sucreries de betteraves et pour cela il faut imposer les os à la sortie. Vous vous rappellerez que j’ai moi-même demandé qu’on établît un droit efficace, j’ai proposé de porter le droit à 20 fr. au lieu de 5. Mais voilà maintenant que le sénat vient décupler le chiffre qu’avait proposé le gouvernement, porter le droit à 50 fr. Puisque nous avons un excédant de 17 millions de kilogr., les fabriques ne doivent pas être seules protégées ; le commerce des os a droit aussi à notre protection, c’est un commerce auquel les pauvres seuls se livrent dans ma province, en sont des malheureux qui les recueillent, et autrefois on les rebutait, quand ils allaient les offrir dans les fabriques, et aujourd’hui, s’ils gagnent quelque chose de plus à ce commerce, le prix qu’ils obtiennent des os qu’ils ramassent n’est pas trop élevé. La preuve, c’est qu’il y a encore excédant sur les besoins. Admettons qu’on en exporte trois millions de kilog., il en faut, dit-on, trois millions pour les sucreries de betteraves ; les fabriques de colle en emploient un million, cela fait 7 millions ; mettez qu’il en faille un million de plus ; allons plus loin, supposons que la consommation de nos fabriques soit double, vous aurez encore un excédent considérable. Pourquoi vouloir alors anéantir-le commerce des os ? et c’est l’anéantir que de le soumettre à un tarif comme celui qu’on propose. Il faut que les deux industries, celle qui recueille les os comme celle qui les emploie, soient également protégées.
Je vais vous expliquer les motifs pour lesquels on se plaint de n’avoir pas assez de noir animal. C’est que chez nous la chimie est très arriérée ; c’est le département du Nord qui nous envoie du noir animal. Comment font-ils en France, pour vous fournir le noir animal, alors qu’ils sont obligés de venir nous chercher des os pour le faire ? C’est qu’ils ont trouvé moyen de revivifier le noir épuisé.
Ils mêlent 50 kilog. de noir animal à 150 kilog. de noir épuisé, et par un procédé chimique le revivifient. Les 150 kilog. ne leur coûtent que 4 à 5 francs. Ce sont les progrès qu’ils ont faits en chimie qui leur permet de nous fournir le noir animal à un prix qui ne permet pas à nos fabricants de soutenir la concurrence. Si vous élevez trop le droit à la sortie, vous empêcherez les fabriques françaises de nous fournir du noir, et les fabriques du pays ne vous le donneront pas à meilleur marché qu’aujourd’hui. La France nous fournit le noir animal, parce que la chimie a fait dans ce pays plus de progrès que chez nous. Voilà la seule raison.
M. Dequesne a la parole et il s’exprime en ces termes. - La loi qui nous occupe en ce moment n’est pas sans doute d’un haut intérêt. Cependant, messieurs, il s’agit d’une industrie qui est toute en faveur de l’ouvrier et de la classe pauvre ; d’une industrie qui vient de naître et qui, loin d’entraves, a besoin d’encouragements. Il s’agit enfin d’une valeur nouvelle qui, grâce à notre position, est venue augmenter notre capital social, et dont nous devons désirer l’accroissement et non la diminution. A tous ces titres, la loi actuelle mérite de fixer un instant notre attention.
L’on a fait une longue énumération des exportations d’os qui avaient eu lieu. L’on a craint que ces exportations n’aient pour résultat d’épuiser notre approvisionnement intérieur, de laisser dans le dénuement les manufactures qui emploient cette matière première. S’il s’agissait d’un objet très rare, très recherché, nécessaire à notre production et dont nous ayons seuls la possession, je concevrais ces craintes, j’admettrais que nous devrions chercher, dans l’intérêt de notre fabrication, à nous en réserver le monopole par des lois prohibitives. Mais, dans l’espèce où rien de semblable n’existe, j’avoue que je trouve les craintes manifestées tout à fait chimériques ; et je ne vois pas pourquoi, sur ce seul motif, nous viendrions en aide à nos manufacturiers, lorsque ceux-ci tiennent en main un moyen sûr et certain d’arrêter, quand ils voudront, toute exportation, de conserver par devers eux tous les os que la Belgique est susceptible de produire.
Et en effet, que nos industriels offrent un prix égal, ou si l’on veut, un peu supérieur à celui que les étrangers sont disposés a donner, et à ce taux, avec des marchés bien réglés, ce qui manque peut-être encore au commerce d’os, mais ce qui ne peut tarder à se réaliser, nos manufacturiers empêcheront presque complètement, si cela est nécessaire, la sortie des os, ils en absorberont la presque totalité, et sur un pied pourtant qui leur sera encore avantageux, car ils auront les frais de transport de moins.
Mais, objecte-t-on, si on laisse le marché libre, la concurrence étrangère fera hausser singulièrement les prix. Déjà ce qui se vendait 4 fr. se vend aujourd’hui 15 fr. Eh bien ! tant mieux pour les industriels en os ! Mais je ne vois pas là une raison pour intervenir, pour faire baisser les prix par disposition législative ; sinon je ne sais plus où nous nous arrêterions. Le charbon est aussi une matière première, il est cher en ce moment, il est indispensable dans beaucoup de manufactures, pourquoi ne mettrait-on pas un droit prohibitif à la sortie ? Le fer devient à son tour matière première dans beaucoup de professions industrielles, son prix actuel est assez élevé, et eu égard à la quantité demandée, je ne crains pas de dire du fer comme du charbon, que leurs produits sont moins abondants en ce moment que la matière première dont il s’agit dans la loi en discussion. Pourquoi ne pas en arrêter également l’exportation ?
D’ailleurs, avec ce système réglementaire, où aboutit-on en dernier résultat ? A tirer une prime de la poche de l’un pour la faire passer dans la poche de l’autre. Si, en laissant les choses dans leur état naturel, les marchands d’os vendent et les manufacturiers achètent plus cher, et si par suite il y a 200,000 fr., par exemple, à gagner de la part de ceux qui s’occupent de l’industrie des os, je ne vois pas pourquoi on les dépouillerait d’un gain auquel ils ont droit pour en gratifier le fabricant de sucre, de drap ou même de noir animal.
Je ne sais ; mais il me semble que l’on a souvent, sans le vouloir sans doute, deux poids et deux mesures. Quand il s’agit de propriété territoriale, tout devient scrupule. On s’arme de toute espèce de précaution, l’on finit par exagérer ses droits, par la constituer suzeraine absolue, devant à peine plier vis-à-vis de l’intérêt général. On étend, par exemple, son empire jusque dans les entrailles les plus profondes de la terre, on se résout à peine à lui imposer des limites, bien qu’elle doive en avoir. On crie à la violation de la propriété, lors même qu’on améliore sa position. S’agit-il, au contraire, de propriété industrielle, l’on est beaucoup moins scrupuleux, l’on tranche plus facilement et l’on arrive souvent à disposer fort légèrement de ce qui revient à l’un pour le donner à l’autre. Cependant les deux genres de propriété sont également sacrés, également inviolables, Si l’on peut y apporter des entraves, ce que j’admets, au moins faut-il que l’intérêt général le requiert absolument,
Eh bien, dans l’industrie des os, si, à cause des circonstances particulières dans lesquelles nous nous trouvons, il est convenable peut-être de favoriser momentanément notre marché intérieur, en thèse générale, il est dans l’intérêt de tous que cette industrie ne soit pas entravée, et surtout que l’exportation n’en soit pas violemment arrêtée, La statistique seule de l’honorable M. Rodenbach suffirait pour le démontrer.
Cet honorable membre évalue le produit annuel des os en Belgique à 20 millions de kil. Mais, dans son calcul, il ne fait entrer que les os provenant de la viande de boucherie, il ne tient pas compte des os qui résultent de l’abattage des chevaux et autres animaux ne servant pas à notre nourriture. C’est là pourtant un élément important, et qui n’est pas à négliger. En le comprenant dans l’évaluation, l’on peut donc, sans exagération, porter le total des produits à 35.000,000 de kilog. Sur ce total, la Belgique en consomme, selon l’honorable membre, 5 millions, savoir : 4 millions pour la fabrication du sucre, 1 million pour la colle-forte et autres productions. En sorte que si l’exportation venait à cesser, 30 millions d’os se trouveraient stériles et sans emploi. Je sais que, sur ces 30 millions, il doit s’en perdre forcément une quantité assez considérable. Mais en supposant que 10 millions seulement, après notre approvisionnement fait, soient susceptibles d’entrer dans le commerce, il n’en résulterait pas moins pour la nation, au cours actuel des os, et après déduction des frais, que je porte à moitié de la valeur, une perte annuelle de 650,000 fr.
Mais, dit-on, à défaut d’exportation, cet excédent trouverait bientôt son emploi. Les établissements de sucre betterave, diverses fabriques d’un autre genre qui s’élèvent, en absorberont d’abord une grande partie et le surplus serait vendu à l’étranger sous forme de noir animal. J’avance d’abord que je trouve ces prévisions plus ou moins incertaines. Comment le sucre de betterave viendrait-il augmenter la consommation des os ? Si l’on fabrique plus de sucre indigène, ne fabrique-t-on pas moins de sucre exotique ? et l’un et l’autre exigeant une même quantité de noir animal, la compensation devra nécessairement s’établir. Quant aux autres établissements qui pourraient employer les os, s’ils s’élèvent, ce qui est plus ou moins problématique, en offrant un prix convenable, ils trouveront l’approvisionnement nécessaire, sans qu’il soit besoin de recourir à la prohibition, ainsi que je l’ai fait voir plus haut, et notre intervention n’aurait d’autre résultat que d’amener une baisse forcée dans le prix des os.
L’on a paru effrayé, je le sais, de l’accroissement subit que ces prix avaient acquis, mais il me semble que ces craintes sont en opposition avec les véritables principes d’économie politique. Bien certainement les manufacturiers étaient plus exposés à manquer d’os, lorsque leur valeur était à 4 fr., qu’au prix où ils sont aujourd’hui, et cela se conçoit facilement. Lorsque les os étaient à 4 francs, on les laissait perdre dans les ménages, ce qu’on commence à ne plus faire.
Les ouvriers ne se donnaient pas la peine de les recueillir, les marchands de les acheter, les voituriers de les transporter dans les centres de consommation, parce que le prix était trop bas pour mériter toutes ces opérations, parce qu’en un mot le produit ne rapportait pas ses frais de production. Aussi, je n’hésite pas à penser que, si alors il était survenu des besoins un peu extraordinaires, au sein même de l’abondance, et quoi qu’il n’y eût pas d’exportation, il y aurait eu disette d’os. D’un autre côté, il y avait richesse perdue, richesse d’autant plus précieuse qu’elle est recueillie en grande partie par la classe pauvre, qu’elle ne demande qu’un peu de soin et un peu d’activité, et que par conséquent elle ne s’acquiert pas aux dépens des autres richesses nationales.
Depuis que le prix des os s’est élevé, on commence à y attacher plus d’importance, à les recueillir avec plus de soin. Les dispositions doivent être entretenues, encouragées même. Car il n’y a pas de petites épargnes pour une nation. Ainsi l’honorable M. Rodenbach prétend qu’il se perd aujourd’hui les 3/5 des os existants. Sans doute une part de la perte doit être attribuée à la nature des choses, mais il n’en est pas moins vrai qu’une autre part de cette perte ne soit le résultat du peu de valeur de la marchandise. Et, bien, si demain le prix des os venait à s’élever de 10 fr., et si, à l’aide de cette augmentation de valeur, la perte diminuait d’un cinquième, il entrerait 7 millions de kilog. de plus dans le commerce, qui donnerait à la nation, après déduction des frais, un bénéfice de 700,000 fr., bénéfice qui, à l’aide de l’exportation, serait payé par l’étranger.
Si donc j’ai adopté la mesure en décembre dernier, ce n’est point par crainte que l’étranger ne vienne nous enlever ce qui nous est nécessaire, ce n’est point non plus par crainte que les os ne prennent un prix trop élevé. Je ne l’ai votée qu’à raison des circonstances particulières dans lesquelles nous nous trouvons, à raison du peu d’osside qu’ont jusqu’ici les industries qui emploient les os.
Le commerce d’os lui-même est nouveau et peu développé. Ses marchés n’ont point encore de centres bien stables. Dans cette position, je pense qu’il est convenable d’assurer notre approvisionnement, en favorisant momentanément notre marché antérieur. D’un autre côté nos fabriques de noir animal et de sucre de betterave naissent à peine. Elles ont demandé, pour frais de premier établissement, des capitaux assez considérables ; elles se trouvent en concurrence, sous le rapport des os, avec des industries étrangères en activité depuis plusieurs années, il est juste devenir aussi momentanément à leur secours, mais si j’ai adopté la loi et si je suis encore disposé à l’adopter telle que nous envoyée au sénat, je ne l’ai votée et ne la voterai qu’à titre de mesure transitoire, et dans l’espoir qu’à raison de l’augmentation croissante de la consommation des os, cette mesure n’influera pas sensiblement sur le développement de cette industrie. Cependant le droit de 20 par kilog. est déjà fort élevé. En le haussant encore, comme le fait le sénat et la commission, il pourrait fort bien gêner le commerce d’os au point d’empêcher toute exportation on au moins d’arrêter les prix dans leur marché ascendant. Bien loin donc de désirer une augmentation, je serais disposé à adopter tout amendement qui réduirait au contraire le droit de 20 francs primitivement proposé.
(Moniteur belge n°105, du 15 avril 1837) M. Donny. - Messieurs, l’honorable M. Rodenbach vous a dit que la production des os en Belgique s’élevait à plus de 20 millions de kilog. par an et que l’exportation pendant l’année 1836 ne s’était élevée qu’à 3 millions et demi ; et il a conclu de la comparaison de ces chiffres avec les besoins de l’industrie qu’il restait dans le pays un excédant de 7 à 8 millions de kilog, d’os. Voilà, je crois, le résultat auquel l’honorable membre est arrivé. Il a conclu ultérieurement de ce fait, que s’il y avait un excédant si considérable, on pouvait favoriser le commerce des os sans craindre de nuire à l’industrie du pays.
Je conteste chacun des membres de ce raisonnement.
Je conteste d’abord que la production des os en Belgique s’élève à 20 millions. Sur quoi repose ce chiffre ? Sur une hypothèse que chacun peut admettre ou rejeter et déjà plusieurs honorables membres ont déjà fait remarquer le peu de certitude des calculs présentés, par suite de la quantité d’os qui se perd.
L’exportation, dit-on, s’élève à 3 millions et demi de kilog. ; mais ces 3 millions et demi ne sont que le résultat des déclarations aux douanes, et ces déclarations sont toujours au-dessous des exportations réelles. C’est surtout ici le cas ou les déclarations doivent être bien en-dessous de la vérité, parce que les exportants savent que leur marchandise n’est pas rigoureusement examinée à la sortie ; ils comptent et sur la négligence de la douane et sur l’impossibilité où ceux-ci se trouvent de faire les vérifications convenables. Le chiffre officiel des déclarations ne donne donc pas le chiffre des exportations réelles.
Ce qui doit détruire de fond en comble le raisonnement de l’honorable membre, et la chose peut s’appliquer également au raisonnement de l’orateur qui a parlé avant moi, c’est que dans toute la Belgique il ne se trouve nulle part de dépôt d’os. Et si, comme l’a dit l’honorable M. Rodenbach, il y a annuellement un excédant de sept millions d’os, comment se fait-il que nulle part on ne puisse trouver des traces de cet excédant ? Que l’honorable membre veuille bien expliquer ce fait ; qu’il me dise comment il se fait qu’il y ait un excédant chaque année et qu’il n’y ait pas de dépôt, et s’il soutenait qu’il existe des dépôts, qu’il veuille bien nous dire où l’on pourrait les rencontrer.
M. A. Rodenbach. - Je répondrai à l’honorable préopinant que ce qui prouve qu’en Belgique on néglige de fabriquer le noir animal, c’est qu’on le fabrique en France avec des os venant du pays : c’est ce qui se fait dans le département du Nord. Cela provient de ce qu’en France on sait fabriquer le noir animal à bon compte, tandis qu’on ne le sait pas encore en Belgique. Voilà la réponse que j’avais à faire au préopinant qui n’a pas touché cette question.
M. Verdussen. - Dans le premier discours prononcé par M. Donny, il a conseillé à la chambre de faire un essai en sens inverse de ceux qui existaient ; c’est-à-dire, de porter le droit à la sortie des os de 5 à 20 fr. Il a puisé probablement cette idée dans la pétition d’Ostende, insérée au Moniteur ; car la même opinion est consignée dans cette pièce. Mais quelle sera la conséquence d’une pareille manière d’agir ? Ce sera de déplacer une partie du commerce.
S’il est nécessaire d’augmenter les droits de sortie, il faut assurément commencer par le taux le plus bas possible, et augmenter successivement ; mais assurément il ne faut pas commencer par le sommet pour descendre ensuite, car alors tout le bienfait pour le pays sera anéanti.
Je n’ai pas parlé de l’agriculture dans le discours que j’ai eu l’honneur de prononcer il y a quelques moments, parce que je ne crois pas qu’il puisse entrer dans notre esprit, à nous, de faire baisser le prix du noir animal à un taux tel qu’il puisse être acheté par nos agriculteurs. Il y a d’autres engrais. Il y a : la marne, la chaux, le déchet du sucre exotique, le fumier de pigeons ; on ne s’en sert pas parce qu’on les trouve trop chers. Qu’on ne se serve pas non plus du noir animal ; et que ce produit ajoute plutôt, s’il est possible, à notre richesse nationale.
L’honorable M. Desmet a dit que le sénat a bien fait lorsqu’il a porté à 50 fr. un droit que nous avions limité à 20 fr. Mais ce droit de 20 fr. résultait d’un projet de loi adopté à l’unanimité par cette chambre. Si dont le sénat a bien fait d’élever ce droit de 20 à 50 fr., c’est que la chambre avait mal fait à l’unanimité. Je ne puis comprendre cette manière de voir après un laps de temps aussi court ; du mois de décembre où nous avons voté le projet, au mois d’avril où nous sommes maintenant.
Nous trouvons dans le tarif des lois que le noir animal ne paie à l’exportation que 20 centimes par 100 kilog. ; ainsi, si l’on parvient à faire baisser le prix des os, chose à laquelle on veut en venir, les fabricants de noir animal s’empareront de tous les os, au détriment des industries qui les emploient maintenant, et ils n’auront ensuite qu’à transporter le noir animal en France. Vous voyez donc que la disposition que l’on voudrait admettre en faveur de quelques fabricants de noir animal léserait une multitude d’industries qui profitent de la valeur des os.
M. Donny. - Je ne veux répondre qu’un mot à l’honorable M. Rodenbach qui m’invite à m’expliquer sur un fait qu’il a cité, à savoir : que l’industrie française, plus avancée que la nôtre, fabrique le noir animal à meilleur compte. Je ne puis m’expliquer sur le fait lui même, car je l’ignore. Mais je veux m’en emparer pour tranquilliser l’honorable membre sur les suites de l’amendement du sénat, et je lui dis : Si vous prétendez que les Français sont tellement habiles dans la fabrication du noir animal qu’ils peuvent payer les matières premières plus cher que d’autres, ils continueront à s’approvisionner chez nous de cette matière première, malgré le droit de 50 fr. par 1,000 kilogrammes. Ainsi, le droit ne sera pas prohibitif à leur égard, et les craintes que vous aviez conçues à ce sujet ne sont pas fondées.
L’honorable membre, au lieu de s’expliquer sur l’existence de dépôts, me dit : Les Français savent bien où sont ces dépôts, puisqu’ils tirent des os de la Belgique. Cela n’est pas exact. Les Français ne savent pas plus que nous trouver des dépôts où il n’y en a pas. Mais il y a des fabricants français qui envoient des voituriers dans les communes de la Belgique limitrophes de la France pour enlever des os à mesure qu’ils se produisent. Voilà ce qui résulte de renseignements qui m’ont été donnés et que j’ai lieu de croire exacts.
M. A. Rodenbach. - J’ai dit, et cela est incontestable, que les Français sont plus avancés que nous quant à la fabrication du noir animal. Ils le fabriquent à meilleur marché. L’honorable M. Donny conclut de là qu’il y a lieu d’adopter le droit de 50 francs, et que ce droit n’empêchera pas les Français de s’approvisionner chez nous. Mais, en raisonnant ainsi, on pourrait adopter un droit de 100 fr. Il me semble que cela n’est pas très conséquent. Il me semble, quant à moi, qu’un droit de 25 ou 30 francs est celui qui convient.
Le sénat a parlé de 6 millions de kilogrammes de sucre indigène fabriqués en Belgique, et a évalué à 12 millions de kilogrammes la fabrication de 1837. Je crois ces évaluations fort exagérées. Je tiens d’un fabricant de betterave que, dans ce moment, la consommation de sucre indigène n’est pas considérable.
Nous devons, au reste, protéger en même temps la fabrication du sucre indigène et du sucre exotique. Je pense que nous atteindrons ce but en adoptant la proposition de la commission ou celle de M. Verdussen. Je voterai dans ce sens.
M. Pirmez. - On parle sans cesse de la fabrication du sucre de betterave ; mais évidemment cette industrie est hors de la question, et il ne s’agit ici que de la fabrication du noir animal. Car le noir animal n’étant soumis en ce moment qu’à un droit de 20 centimes par 100 kilogrammes à la sortie, ii est bien clair que, si le prix des os augmente, on exportera du noir animal au lieu d’exporter des os. Par conséquent, la fabrication du sucre de betterave est désintéressée ici, à moins que l’on n’augmente le droit à la sortie du noir animal.
M. Smits. - La discussion est épuisée ; il n’y a presque plus d’observations à faire ; je me permettrai d’en soumettre une seule à la chambre en peu de mots. C’est en faveur des industriels qui fabriquent de la colle et qui font de la gélatine au moyen des os. Je ferai remarquer que dès que les os ne pourront plus sortir par suite de l’élévation du droit, ces fabriques devront nécessairement tomber.
Je fais cette remarque afin d’engager la chambre à se railler à l’amendement proposé par la section centrale ou par la commission d’industrie.
M. Donny. - Je regrette de prendre la parole si souvent, mais je tiens à répondre à l’honorable préopinant. Il a dit qu’il était de l’intérêt des fabriques qui extraient de la colle des os que les droits soient très minimes ; je ferai remarquer à l’honorable membre qu’il se trompe en fait ; que les fabriques de colle d’os convertissent leurs résidus en noir animal, et que ce sont les fabriques de colle elles-mêmes qui demandent avec le plus d’instance l’augmentation du droit à la sortie.
La fabrique qui travaille d’après les procédés importés d’Angleterre, ne faisait originairement que de la colle et n’a commencé que postérieurement à faire du noir animal ; actuellement elle fait en même temps du noir animal et de la colle et c’est elle qui crie le plus haut qu’on doit élever le droit à l’exportation.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - ; Je ne puis répondre positivement à l’interpellation faite par M. Desmet ; je ne sais si l’épizootie dont il a parlé règne ; je n’ai pas à cet égard de renseignements certains ; mais je m’assurerai de ce qui on est, et je verrai quelles mesures il faudra prendre pour empêcher que cette maladie ne se répande chez nous.
Quant aux os, j’avais proposé de porter le droit à 20 fr. ; je considérais ce chiffre comme suffisant ; cependant, vu la distance entre les deux opinions du sénat et de la chambre des représentants, je crois que l’on pourrait adopter le chiffre de la commission d’industrie ou le chiffre proposé par M. Verdussen. En l’adoptant, il y aurait encore une concurrence possible à l’étranger, tandis qu’en adoptant 50 fr. la concurrence à l’étranger viendrait à cesser, et ce serait au détriment des collecteurs d’os ; cependant ils n’exercent pas une profession trop lucrative. Dans l’intérêt de la classe indigente, je voterai pour le chiffre de 25 fr. ou 30 fr., comme moyen de transaction.
M. Smits. - Je dois répondre à M. Donny qui a contesté ce que j’ai dit. Précisément j’ai la preuve de ce que j’ai avancé. J’ai une lettre d’un commerçant très distingué de Bruges, directeur de la société de commerce de la même ville, et dans laquelle il déclare positivement que porter entrave à l’exportation des os, c’est anéantir son industrie.
M. Donny. - Messieurs, je dirai à l’honorable membre que l’auteur de la lettre qu’il cite a été en effet fabricant de colle et peut-être aussi de noir animal, et qu’il a travaillé en concurrence avec d’autres établissements du même genre et notamment avec celui dont j’ai déjà parlé plusieurs fois ; que ces établissements ont réussi ; que le sien n’a pas été aussi heureux ; que son usine state depuis longtemps, et qu’il s’est tourné vers le commerce des os pour les exporter du pays. Vous jugerez, par là, du degré de confiance que vous pouvez accorder à ses assertions.
- La chambre ferme la discussion générale.
M. le président. - Le sénat porte le droit à la sortie à 50 fr. ; la commission d’industrie propose 25 fr. ; M. Verdussen propose 30 fr.
M. Zoude. - La question a été débattue dans la commission, et le chiffre de 50 fr. a été rejeté à la presque unanimité, c’est-à-dire qu’il n’a trouvé qu’une seule voix en sa faveur, Il en a été de même pour le chiffre 30 fr., qui a aussi été l’objet d’un examen.
D’après les recherches de la commission, je puis assurer que M. Dequesne a beaucoup exagéré les produits en os donnés par les animaux morts. Quant aux animaux abattus, la commission a trouvé qu’ils devraient fournir à peu près le chiffre posé par M. Rodenbach. Mais il faut observer qu’il se perd beaucoup de ces os, et qu’il en reste à peine 15 millions en poids dans la circulation.
On a dit que la sortie était de 2 à 3 millions, et que les os sortaient tout le long de la frontière. Je crois ce chiffre trop faible ; on néglige de faire payer le droit qui est extrêmement faible, et parce que la matière est dégoûtante aux visiteurs ; aussi on peut porter la sortie des os à 4 millions parce que tout n’est pas déclaré aux bureaux de douane.
On a recherché combien on consommait d’os pour faire de la colle ; or, en comptant le nombre des fabriques qui se livrent à ce travail, et les produits de chacune, on trouve en tout un million.
On a recherché aussi combien on en consommait pour la fabrique du noir animal ; en procédant de la même manière, c’est-à-dire en réunissant la consommation de chacune des 27 fabriques qui existent chez nous, on a trouvé 10 millions.
Je suis porté à croire que les raffineurs de sucre exotique ont déjà fait l’acquisition de nombreux terrains où ils comptent cultiver la betterave, et tout porte à croire que s’il a été produit l’année dernière pour passé les 20 millions de sucre de betterave, il en sera produit pour 40 millions en 1837 ; cela est d’autant pins probable qu’on nous promet un rapport sur les abus qui ont lieu dans l’exportation des sucres exotiques, et que nous aurons alors l’occasion de prendre des mesures favorables aux fabricants de sucre indigène.
M. Lebeau. - Je vois avec peine, messieurs, que nous marchons toujours de plus en plus vers le système de la prohibition ; déjà je m’étais opposé, ainsi que plusieurs de mes honorables amis, au droit de 20 francs par 1,000 kilog., dont on a frappé la sortie des os ; vous êtes maintenant invités à sanctionner une loi qui porte le droit à un taux tel qu’il est une véritable prohibition déguisée ; je ne sais pas même si elle est déguisée, je crois au contraire qu’elle est tout à fait palpable.
On vous a, messieurs, au moyen d’un simple chiffre extrait de notre tarif, prouvé sans réplique que l’un des motifs sur lesquels on fonde la majoration votée par le sénat, doit être tout à fait éconduit : ainsi l’intérêt des fabricants de sucre de betterave est complètement étranger à la question actuelle.
J’appuie les raisons qu’on a données en faveur du maintien du chiffre voté par la chambre, d’une considération qu’on a négligé de faire valoir ; d’abord le tarif français fixe le droit d’entrée à un franc par 1,000 kilogrammes ; mais il y a un autre avantage considérable en faveur de ceux de nos fabricants qui achètent des os ; ce sont les frais de transport : vous savez que les os sont une matière encombrante et que les frais de transport en sont fort élevés ; d’après les renseignements qui m’ont été fournis, ces frais s’élèveraient pour les os destinés à l’intérieur de la France jusqu’à 3 fr. pour 100 kilog. ; mais réduisons-les à 2 francs, car j’aime beaucoup mieux rester en-dessous des évaluations que d’aller au-delà ; vous aurez donc 20 francs par 1,000 kilog. et 1 franc de droit d’entrée, ce qui fait 21 francs. Si vous ajoutez à cet avantage le droit de sortie de 20 francs que vous avez précédemment voté, je crois que la concurrence entre les indigènes et les étrangers sera singulièrement à l’avantage des premiers, puisqu’il y aura une différence de 41 fr. Quant à la fraude il est évident (et chacun de vous l’a déjà compris, car la chose a été dite ici sans réfutation), il est évident qu’elle est extrêmement difficile : on ne fraude pas les os comme de la dentelle, le volume en est beaucoup trop considérable.
Ne voulant point prolonger la discussion, je m’arrêterai ici, me bornant à déclarer que je voterai en faveur du chiffre précédemment admis par la chambre et que j’écarterai toutes les majorations.
M. Zoude. - Messieurs, le principal argument qu’a fait valoir l’honorable préopinant est basé sur le prix du transport en France ; mais je demanderai si nos fabricants reçoivent les os dont ils ont besoin, sans payer le transport ? Tout ce qu’il peut y avoir d’avantageux pour nous, c’est le droit de 1 franc par 1,000 kilog. que les os doivent payer à leur entrée en France.
J’insiste pour que la chambre accueille ce chiffre de 30 francs proposé par l’honorable M. Verdussen, et auquel je pense que la grande majorité des membres de la commission d’industrie n’hésiteront pas à se rallier.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne suis point, en règle générale, partisan des mesures prohibitives, puisqu’il est démontré que ces mesures, loin d’être favorables à l’industrie, lui sont souvent et très souvent nuisibles ; mais il est des objets dont la nature est telle que, malgré toute la bonne volonté que nous aurions de ne point établir, soit la prohibition, soit des droits élevés, nous serions bien obligé de le faire. De cette catégorie sont les objets qui sont indispensables à l’industrie, et qui ne se produisent pas : c’est ainsi que nous avons été forcés d’admettre la prohibition des drilles et chiffons qui sont indispensables à la production du papier et que nous ne pouvons pas produire à volonté. Les os sont précisément dans le même cas : on ne peut pas les produire, quoique les fabriques de sucres en aient un besoin impérieux, il faut donc établir sur ces objets un droit et un droit très élevé, si vous voulez maintenir l’existence de nos fabriques.
On a dit que le droit proposé est une prohibition déguisée, je ne partage pas du tout cet avis, d’autant plus que le droit que vous établirez sera toujours réduit de moitié dans la perception : en effet, comme on l’a dit avec raison, le droit de sortie sur les os se perçoit sur déclaration, et comme c’est une marchandise que l’on ne peut certes pas peser dans les bureaux de la douane, il en sort souvent le double de ce que porte la déclaration. Si donc vous établissez un droit de 20 francs, il ne sera perçu en réalité que 10 francs, et il n’existera qu’une marche de 10 fr. en faveur de notre industrie.
Comparez, messieurs, ce droit de 10 fr. avec celui de 200 fr, qui existe en France, et voyez si votre droit est raisonnable ? Quant à moi, je ne le regarde pas comme tel, et je voterai tout au moins pour le chiffre proposé par l’honorable M. Verdussen.
Je ne répondrai pas ce qu’a dit un honorable préopinant, relativement au transport ; un autre honorable membre a déjà fait droit de cette observation ; la plupart des fabriques de France sont situées de manière qu’il ne leur en coûte pas plus de frais de transport pour recevoir les os dont ils ont besoin qu’aux fabricants belges. Il n’y aura donc d’autre marche en faveur de notre industrie que le droit de sortie que nous établissons.
Quant à la fraude, elle n’est pas aussi difficile qu’on l’a dit, car il est certain que la sortie n’est guère surveillée ; il ne faut donc pas non plus établir un droit trop élevé, il faut donc admettre un terme moyen ; c’est ce qui m’engagera à voter pour l’amendement de M. Verdussen.
M. Desmet. - On a fait, messieurs, une objection assez spécieuse en disant que la fabrication des sucres est tout à fait désintéressée dans la question des os, et personne n’y a encore répondu. C’est donc pour y répondre que j’ai demandé la parole.
J’ai dit qu’il ne fallait pas imposer le noir animal à la sortie, parce que si cette marchandise manque, c’est uniquement parce qu’il y a trop peu de matière première, et il est certain que si, en imposant suffisamment la sortie des os, vous fournissez aux fabricants de noir animal le moyen de se procurer la matière première en assez grande abondance, la fabrication sera toujours suffisante.
On a dit que le droit qui vous est proposé est un droit prohibitif ; c’est une erreur : aujourd’hui les os coûtent 13, 14 ou 15 fr. ; si vous pouviez percevoir 50 fr., ce serait 33 p. c. ; mais supposons que vous perceviez la moitié, vous aurez alors 16 à 17 p. c. Eh bien, messieurs, soyez sûrs quel les Français du département du Nord qui sont nos rivaux pour la fabrication du noir animal, nous enlèveront toujours les os à tout prix.
J’adopterai donc la proposition du sénat qui fixe à 50 fr. le droit de la sortie sur les os.
M. Dumortier. - J’oubliais, messieurs, de vous soumettre une observation : j’ai entendu dire que les fabricants de sucre sont tout à fait désintéressés dans la question qui nous occupe ; que si vous mettez un droit élevé sur la sortie des os, on viendra les acheter sous la forme de noir animal ; eh bien, messieurs, je préfère beaucoup qu’on nous achète du noir animal, au moins alors nous aurons le bénéfice de la fabrication de cette marchandise, et c’est beaucoup. Si toutefois l’exportation du noir animal devenait, plus tard, trop forte, on pourrait alors prendre des mesures à cet égard ; dans tous les cas, j’aime beaucoup mieux voir exporter une marchandise fabriquée dans le pays qu’une matière première dont notre industrie a le plus grand besoin.
M. le président. - Le sénat a fixé le chiffre à 50 francs ; M. Verdussen propose de le porter à 30 francs, la commission d’industrie à 25, et M. Dequesne à 20.
Je vais mettre d’abord aux voix le chiffre le plus élevé, celui de 50 francs ; si ce chiffre est écarté, je mettrai alors aux voix celui de 30 francs, à moins que la chambre ne désire que je commence par le chiffre le plus bas.
M. Verdussen. - Je demande la parole sur la position de la question.
Je me proposais de demander que la chambre ne suivît pas en ce moment la marche ordinaire en commençant par le chiffre le plus élevé ; mais qu’elle mît d’abord aux voix le chiffre le plus bas.
Puisque le chiffre de 20 francs est celui qui a été précédemment adopté à l’unanimité par la chambre, il me semble que, par respect pour sa propre décision, l’assemblée doit donner tout au moins la priorité à son ancien système ; si le minimum était rejeté, on monterait alors graduellement jusqu’au chiffre le plus élevé. (Non ! non !)
M. Donny. - Messieurs, il me paraît que c’est la marche inverse qu’il faut suivre ; car si l’on suit la marche indiquée par M. Verdussen, on mettra d’abord aux voix le chiffre de 20 francs, et il est très probable que toute la chambre l’adoptera ; car ceux qui veulent un droit de 30 francs veulent à plus forte raison un droit de 20 francs. Il arrivera donc que tout le monde voudra le chiffre de 20 francs et que les autres chiffres seront rejetés. Je pense que pour donner à chacun le moyen d’émettre utilement son vote, il faut commencer par le chiffre le plus élevé.
- La chambre décide qu’on mettra d’abord aux voix le chiffre le plus élevé.
- En conséquence le chiffre de 50 francs (résultat de l’amendement du sénat) est mis aux voix et n’est pas adopté.
La chambre adopte ensuite le chiffre de 30 francs, proposé par M. Verdussen.
L’art. 1er du projet de loi, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. La présente loi cessera son effet au premier janvier 1839, si elle n’a été renouvelée avant cette époque. »
- Adopté.
Le vote définitif de la loi aura lieu samedi prochain.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant modifications à la loi sur les distilleries.
Deux projets sont en présence, l’un présenté par la commission spéciale de la chambre le 23 novembre dernier, et l’autre déposé par M. le ministre des finances le 18 janvier 1837. La chambre décidera lequel des deux projets doit être considéré comme la proposition principale.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je déclare ne me rallier en aucune façon au projet de la commission des distilleries, et je demande en conséquence que le projet du gouvernement soit pris pour base de la discussion.
M. Desmet. - Messieurs, quoique membre de la commission des distilleries, je ne viens pas parler au nom de cette commission.
Il est assez indifférent qu’on discute comme projet principal le projet du ministre ou celui de la commission. Cependant, je tiens à rappeler à la chambre que quand M. le ministre des finances a déposé son second projet de loi, il a déclaré le présenter comme amendement au projet qui avait été élaboré par la commission.
Pour ce motif, je demande qu’on veuille regarder comme principal le projet de la commission.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, en vous présentant le dernier projet de loi sur les distilleries, j’ai déclaré au nom du gouvernement retirer le premier projet ; dans les explications que j’ai données alors, j’ai dit que ce nouveau projet de loi et celui de la commission avaient plusieurs dispositions tout à fait analogues, et qu’ainsi l’on pourrait aisément comparer l’un avec l’autre ; voilà ce que j’ai dit ce qui est un peu différent de la déclaration que M. Desmet prétend que j’ai faite.
D’ailleurs, il ne me paraît pas possible de procéder comme le désire l’honorable préopinant ; il demande que le projet de la commission fait sur celui présenté en premier lieu par le gouvernement soit pris pour base de la discussion. Or, ce projet est incomplet, il ne renferme pas diverses dispositions qui se trouvent dans la nouvelle loi proposée ; ce serait donc compliquer la discussion et la prolonger inutilement, que de considérer le projet de la commission comme la proposition principale. Ce que nous avons donc de mieux à faire dans l’intérêt de notre temps précieux, c’est de prendre pour point de départ le projet que j’indique : ce qui, au reste, sera à la fois dans les usages de la chambre et conforme aux droits du gouvernement.
M. le président. - Je vais consulter la chambre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il n’y a pas lieu de consulter la chambre.
M. le président. - Dans le doute où nous sommes, il faut que la chambre décide.
M. Desmet. - Messieurs, je demande aussi que la question soit mise aux voix.
Un fait certain, c’est que la commission spéciale a été chargée par la chambre de lui présenter un projet de loi sur les distilleries. Après une année de travail, nécessitée par l’enquête, la commission arrête son rapport ; elle vous le présente, et au moment même le gouvernement vient vous soumettre un nouveau projet.
On a beau dire : il faut observer la prérogative du gouvernement, ou, pour parler plus clairement, suivre la volonté de M. le ministre des finances ; moi je ferai remarquer que notre projet vient de la chambre ; la commission a fait ce que la chambre lui avait ordonné.
Jamais on n’a vu dans les fastes parlementaires que quand une chambre avait ordonné à une commission de faire un projet, un ministre soit venu en présenter un autre.
Je demande que, pour l’honneur de la chambre, le premier projet soit discuté comme proposition principale.
Je demande que la question soit mise aux voix.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’ai déjà dit que ce n’était pas comme ministre des finances simplement, mais au nom du gouvernement, par un arrêté royal, que j’avais retiré le premier projet de loi sur les distilleries. En y substituant celui dont vous êtes saisis, le gouvernement a usé du droit d’initiative qui lui appartient. Dès lors sur quel projet pourrait-on établir la discussion, si ce n’est sur ce nouveau projet ? La commission, dit-on, a fait un rapport sur le premier projet, il faut y donner suite ; mais ce rapport a dû être revu, et vous êtes maintenant saisis d’un second rapport. C’est donc sur le projet qui est l’objet de ce dernier travail, que la discussion doit s’établir. Il ne peut en être autrement ; cependant, alors même qu’il y aurait doute à cet égard, on devrait encore, dans l’intérêt de la discussion, admettre le dernier projet du gouvernement comme proposition principale, parce qu’il est plus étendu, qu’il renferme des dispositions qui ne sont pas dans la rédaction soumise par la commission.
M. Dumortier. - Vous savez combien que je suis jaloux des prérogatives de la chambre. Jamais on ne m’a vu céder sur ce point, s’il y avait doute, je me prononcerais contre la prétention du ministre, parce que nous ne devons jamais souffrir qu’il soit porté la moindre atteinte aux prérogatives de la chambre. Mais ici de quoi s’agit-il, comment les faits se sont-ils passés ? Le gouvernement, lors de la discussion du budget de 1836, a présenté des modifications à la loi sur les distilleries. L’initiative venait du gouvernement. Ces modifications ont été renvoyées à une commission ; et pendant que cette commission faisait son travail, le gouvernement a retiré son projet et en a présenté un autre
Un membre. - Le rapport était fait.
M. Dumortier. - Peu importe, l’initiative venait toujours du gouvernement. Si le gouvernement a retire son premier projet et en a présenté un autre, c’était encore son droit. On ne peut pas dire que l’initiative vient de vous, quand les faits sont là qui attestent le contraire.
C’est donc le projet présenté par le gouvernement qui doit être mis en discussion.
M. Raikem. - Si on persiste à demander que la question soit mise aux voix, je proposerais la question préalable, et je la justifierais en peu de mots. Le gouvernement a pris l’initiative du projet ; cette initiative appartient également à la chambre. Une commission a été chargée d’examiner le projet présenté à la chambre en vertu d’un arrêté royal. Quelles sont les attributions de la chambre quand le gouvernement, usant de l’initiative qui lui appartient, a présenté un projet de loi ? Ces attributions sont grandes, puisqu’elle a le droit d’amender et de diviser. La commission à laquelle la chambre a renvoyé la proposition du gouvernement, que devait-elle faire ? Proposer des amendements, diviser le projet, s’il y a lieu, selon qu’elle le juge convenable. La chambre délibère ensuite sur les propositions de la commission, mais elle n’est pas moins saisie du projet du gouvernement.
Si on persistait à demander à aller aux voix, pour maintenir les droits qui appartiennent à chacune des branches du pouvoir législatif, je proposerais la question préalable.
M. Desmet. - Il est possible que d’après la rigueur du règlement j’aie tort ; mais il restera toujours avéré que M. le ministre a tenu une conduite inconvenante envers la chambre et envers la commission, une conduite qu’on a rarement vu dans les fastes parlementaires ; c’est ce que j’ai voulu signaler à la chambre ; elle en jugera et verra de quel côté est le tort, de la part du ministre ou de la part de votre commission. Si les ministres devaient agir souvent ainsi avec les commissions, je crois que peu de membres voudraient encore faire partie des commissions spéciales.
M. le ministre des finances prétend qu’il serait préférable de prendre son projet comme proposition principale, parce qu’il renferme des modifications qui ne se trouvent pas dans le projet de la commission. Je ferai observer qu’il est basé sur un principe tout contraire à celui de la commission, et je prie la chambre d’y faire attention, si le principe admis par la commission succombe, ce sera un malheur pour les distilleries.
Je retire ma proposition.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet de loi présenté en 1837 par le gouvernement.
M. Doignon. - La législature ne peut plus différer de changer le système actuel sut les distilleries, système dont les suites deviendraient réellement funestes pour les mœurs et la santé du peuple, en même temps qu’il est la cause d’un déficit majeur pour le trésor public.
C’est avec raison que M. le ministre des finances nous dit, en présentant les budgets, que la morale publique plus encore que le trésor est vivement intéressée à adopter ce changement ; car les mœurs d’un peuple, une fois perdues, ne se rachètent point avec de l’or.
La quantité brute d’hectolitres de matières mises en macération qui n’était que de trois millions pour tout le pays en 1832, s’est accrue jusqu’à huit millions en 1835, et c’est dans la province de Luxembourg que cet accroissement s’est fait le plus remarquer. Les débitants de genièvre se sont multipliés d’une manière si étonnante qu’on en compte maintenant jusqu’à 45 mille en Belgique.
Le vil prix auquel le système nouveau a fait baisser l’eau-de-vie indigène répand partout avec profusion cette boisson dangereuse, et l’usage immodéré qu’on en fait est devenu si général que bientôt peut-être, dans certaines classes, on en usera comme de la bière aux repas ordinaires.
Dans nos provinces nous sommes tous les jours témoins des excès et des scènes dont l’abus de cette liqueur est la seule cause. Nous voyons jusqu’aux femmes de la classe ouvrière s’y adonner aussi, et si l’on n’arrête bientôt les progrès du mal, toute cette classe marchera à grands pas vers l’abrutissement et tous les vices qui l’accompagnent.
S’il est vrai que la moralité d’un peuple est incomparablement pour lui la clause la plus précieuse et la première condition de son existence et de son bonheur, il est du devoir d’un bon législateur de la défendre et de la protéger avant tout ; il doit même à tout prix faire cesser un état de choses aussi déplorable. Sacrifier la cause de la moralité du peuple à l’intérêt tout matériel de l’agriculture et du commerce, ce serait, à mon avis, se jeter dans un extrême, et vider les premières règles de la véritable civilisation ; ce serait s’écarter des vrais principes de l’économie politique.
Mais puisque M. le ministre des finances a si bien saisi dans son discours le côté moral de la question des distilleries, et qu’il forme même à ses yeux le point le plus important, je me demande comment il peut nous proposer une loi et des amendements qui, de son aveu, ne peuvent atteindre le but et laissent même subsister l’abus qui est signalé ; car lui-même reconnaît, et la commission est aussi de cet avis, qu’en portant le droit sur la fabrication de 22 à 30 centimes, et même à 35 ou 40, le prix du genièvre n’en éprouverait qu’une hausse de 3 ou 6 centimes par litre. Or, une telle augmentation est évidemment trop peu sensible pour exercer une influence sérieuse sur la consommation intérieure et diminuer l’usage immodéré de cette boisson.
Puisque la question morale doit principalement nous occuper, pourquoi nous présenter une loi qu’on sait d’avance devoir être tout à fait inefficace pour remédier au mal, et qui n’aura pas même l’effet de l’atténuer ; car l’habitude du penchant que nous avons à combattre n’a malheureusement déjà acquis que trop de force, et ceux qui l’ont contractée préféreront payer même un peu plus cher plutôt que d’y renoncer.
Cependant, depuis plusieurs années, le temps n’a point manqué au gouvernement pour méditer les moyens les plus convenables d’attaquer efficacement l’abus dont il s’agit. Je ne puis croire, d’après ses protestations, qu’il veuille mettre l’intérêt des distilleries au-dessus de celui de la morale publique. Mais toujours est-il qu’il ne nous indique aucun remède.
Aujourd’hui, pouvons-nous adopter une loi qui, sous le rapport moral, maintient encore l’état actuel des choses et continue ainsi à fournir un aliment aux vices et aux désordres que nous avons à déplorer ?
Voici, messieurs, en peu de mots quel serait tout mon système à l’égard des distilleries : d’une part, déterminer les mesures les plus efficaces pour atteindre le penchant funeste de nos populations, et diminuer à cet effet sa consommation intérieure ; mais aussi, d’un autre côté, admettre en compensation tous les moyens protecteurs possibles pour favoriser l’exportation du genièvre indigène, et donner même à cette protection une telle extension que notre exportation puisse rivaliser bientôt avec celle de la Hollande, et devenir même supérieure à celle-ci s’il était possible. Ce système serait tellement combiné que ce qu’il pourrait faire perdre aux distilleries dans la consommation intérieure, serait largement compensé par nos expéditions à l’étranger.
Puisqu’il est certain qu’on ne saurait élever assez l’impôt sur la matière fabriquée pour empêcher l’usage excessif du genièvre, sans tomber dans les inconvénients de la fraude qui rend alors cette augmentation illusoire, il faut nécessairement chercher un autre moyen. Ce n’est point sûrement dans l’enquête des distillateurs qu’on pourra le rencontrer, car ces fabricants n’iront pas proposer eux-mêmes des mesures qui contrarieraient leurs intérêts quant à la consommation intérieure.
On doit toutefois rendre ici justice à ceux de Deynze qui ont examiné la question sous le point de vue moral.
Mais, dans cette chambre et au sénat, des députés ont présenté divers moyens, et M. le ministre n’a point démontré qu’ils fussent inadmissibles. La matière fabriquée ne pouvant être atteinte à un taux convenable, il faudrait simplement augmenter les patentes de distillateurs et des débitants suivant certaines catégories ou certaines bases fixes. Déjà les distillateurs paient maintenant une patente qui a pour base la quantité de matière mise en macération pendant l’année précédente. Pourquoi n’élèverait-on pas le chiffre de toutes ces patentes à un taux assez haut afin de percevoir, à peu près pour tout droit, 35 centimes par litre comme sous le gouvernement précédent. Ces patentes étant déjà établies, il n’y aurait aucune innovation à l’égard du mode de perception dont personne ne se plaint jusqu’ici.
On augmenterait dans une proportion convenable les patentes des débitants en les divisant en catégories, soit d’après la population ou, comme aujourd’hui, sur pied d’une autre base, de manière à ne donner lieu à aucune vexation.
Ces mesures ayant pour effet de produire une augmentation assez majeure sur le genièvre, leur diminution dans la consommation ultérieure s’ensuivrait nécessairement. Puisque l’abus de cette boisson spiritueuse commence à devenir une habitude, il convient même que l’augmentation de ces impôts personnels, pour opérer quelque effet, soit plus élevée que si on l’avait établie dès le principe, il y a un an ou deux, et, disons-le, si aujourd’hui on se voit forcé d’augmenter tout d’un coup ces impôts d’une manière aussi sensible, la faute en est au gouvernement qui, ayant tous les jours l’expérience sous les yeux, ne devait pas attendre que le mal devînt aussi sérieux avant d’y apporter remède.
Tels sont les moyens pour résoudre la question morale. M. le ministre serait d’autant moins recevable à les critiquer que lui-même n’en a proposé et n’en propose encore aucun réellement efficace, et que c’est par suite de son inaction que des députés se sont vu obligés de soumettre eux-mêmes leurs idées sur cette question.
Inutilement on nous dirait : Tranquillisez-vous, on songera plus tard et séparément aux mesures dont il s’agit. Ces mesures, messieurs, étant urgentes, et en même temps une condition essentielle de la loi nouvelle, c’était depuis longtemps comme dès maintenant qu’il convenait d’y songer. Après la conviction qui est généralement partagée qu’un droit sur la matière fabriquée, supérieur à 40 ou 45 centimes ne ferait qu’exciter à la fraude sans corriger aucunement le vice en question, on devait de prime abord adopter le parti de chercher et d’employer d’autres moyens, et si M. le ministre n’en trouvait aucun, il pouvait de suite nous en faire l’aveu lors de la présentation de son projet : la chambre aurait alors avisé elle-même, et elle n’aurait point perdu un temps précieux en s’occupant d’un projet dont le premier but est manqué.
Mais, dans l’hypothèse bien gratuite où l’on se reconnaîtrait impuissant pour frapper convenablement la consommation intérieure par une loi nouvelle, je dirai dans ce cas que je préfère revenir au régime de la loi de 1822 qu’on a peut-être imprudemment abrogée ; car, entre les tracasseries suscitées aux distillateurs avec les inconvénients qui résultent de cette loi, et la démoralisation ou et les désordres qui sont les conséquences nécessaires du système de la loi de 1835, il n’y a pas, selon moi, à balancer. Je le répète, à tout prix nous devons nous hâter de faire disparaître au plus tôt un pareil système. Une simple augmentation de l’impôt sur la matière fabriquée produirait même aujourd’hui d’autant peu d’effets que les magasins de genièvre se trouvent pourvus pour plus d’une année.
Mais je prie les partisans de la loi, telle qu’elle est présentée, de ne point diviser mon système. Si d’un côté je veux absolument atteindre et diminuer la consommation intérieure, en revanche j’accorderai la plus large protection pour les expéditions de notre genièvre à l’étranger. La législation devrait donc mettre aussitôt les distilleries en état de lutter contre la Hollande. Tandis qu’en ce moment notre exportation est presque nulle, il est certain qu’à l’aide de moyens protecteurs nous pourrions comme elle, exporter pour des millions de notre genièvre, dont la qualité est aussi bonne et peut même devenir supérieure, dit-on, à celui des Hollandais.
La Hollande accorde, outre la restitution du droit, une prime de deux florins 50 cents à l’exportation. Depuis plusieurs années, n’aurions-nous pas dû offrir aux distilleries de grands avantages pour les expéditions étrangères, je dirai même, des avantages supérieurs à ceux de la Hollande, afin de rendre de suite ces établissements naissants capables de concourir sur les marchés des autres pays, spécialement Brême, Hambourg, etc. ?
Nous devons donc non seulement restituer tous les droits dans la proportion de ce qui est exporté, mais présenter aussi une forte prime. Ainsi que le proposent certains distillateurs, on pourrait encore diminuer le droit de tonnage d’un bâtiment étranger qui exporterait des genièvres indigènes.
Une loi ayant établi des droits sur les grains étrangers importés en Belgique, le genièvre belge exporté par nos distillateurs devrait être censé représenter à sa sortie ce grain étranger, et conséquemment on devrait aussi comprendre dans la restitution ou la prime le droit perçu à l’entrée sur les céréales venues d’autres pays : cette prime assez élevée tournerait ainsi en résultat au profit de l’agriculture et de la production nationale, et le pays recevrait d’un côté au centuple ce qu’il aurait donne de l’autre.
Afin de favoriser cette exportation, j’adopterai donc les vues sages et les propositions de divers distillateurs. Je dirai avec eux que les dispositions actuelles de la loi ne sont certainement pas assez efficaces pour donner un écoulement suffisant à nos produits vers les pays étrangers ; sous ce rapport la loi s’est tellement écartée de son but que l’exportation est actuellement presque insignifiante. Si par une prime convenable on les mettait à même de pouvoir concourir sur les marchés étrangers avec nos voisins, les grandes distilleries dirigeraient alors leurs travaux vers ce but, car l’exportation doit être leur premier élément ; c’est elle qui peut seule les vivifier et les rendre florissantes, les multiplier et leur faire absorber l’excédant des produits de notre sol en les livrant à l’étranger avec tous les travaux qu’ils ont subis et qui ont donné l’existence à toutes les classes, le propriétaire, l’agriculteur, l’artisan, le distillateur, l’ouvrier, l’armateur y trouveraient leurs avantages ou leur existence, et le pays, débarrassé de son surplus de production, recevrait en échange l’or dont il a besoin pour balancer les importations de l’étranger qu’il consomme chaque jour. Alors ces grandes distilleries, livrées exclusivement à leurs travaux pour l’étranger, laisseraient aux petites ceux de la consommation intérieure ; celles-ci à leur tour exploiteraient le plat pays, et les distillateurs agricoles exerceraient sans aucune concurrence leur industrie qui profiterait entièrement à l’agriculture.
Les Hollandais nous en donnent l’exemple : ils tournent toute leur attention vers l’exportation.
En même temps qu’on admettrait toutes les mesures possibles contre la consommation intérieure, je désire voir fixer l’impôt à 40 centimes, ce qui l’élèverait à 44 y compris les additionnels, avec au moins une restitution de 11 fr. par hectolitre et une prime de 5 fr. à l’exportation, ensemble 16 francs.
C’est ainsi, messieurs, qu’en assurant à l’exportation de notre genièvre tous les avantages possibles, la législation, malgré ses mesures pour atteindre l’usage excessif de cette liqueur, saura maintenir en même temps nos distilleries dans un état prospère, et avec elle notre agriculture et notre commerce dont les intérêts se rapportent si essentiellement à cette industrie ; et au moyen de ce système la loi remplira surtout son but moral, qui est et doit être une diminution réelle et très sensible dans la consommation vraiment effrayante qui se fait aujourd’hui dans le pays.
Toute notre pensée se réduit donc à ces deux points : d’une part restreindre chez nous, autant que possible, l’usage immodéré de cette boisson dangereuse, et de l’autre, accorder à l’exportation les plus grandes faveurs : telle est selon moi la seule solution possible de la question des distilleries pour concilier tous les intérêts.
En augmentant le prix de l’eau-de-vie indigène pour la consommation intérieure, la Hollande et la France, a-t-on dit, viendront nous en fournir à beaucoup meilleur marché. Mais si nous avons assez de sagesse pour décréter des mesures contre l’eau-de-vie fabriquée chez nous, afin de préserver la santé et les mœurs de la population, à plus forte raison saurons-nous en prendre pour empêcher la libre entrée des eaux-de-vie étrangères.
Ce n’est guère que la Hollande qui peut nous envoyer ses genièvres ; mais, à son égard surtout, les mesures restrictives ou prohibitives ne seraient certainement point ménagées, Au surplus, nous nous trouverions dans la même position qu’avant la loi de 1833 ; or, à cette époque jamais la quantité de genièvre hollandais, introduite dans le pays, n’a été telle qu’elle ait pu donner lieu aux excès contre lesquels on se récrie maintenant.
La seule augmentation qui est proposée sur le droit de fabrication, porté même jusqu’à 40 ou 45 centimes, n’était qu’un véritable palliatif pour le but moral qui est principalement désiré par les chambres, nous ne pouvons voter la loi qui nous est présentée si l’on n’y ajoute point, dès à présent, l’une ou l’autre des mesures contre la consommation intérieure dont j’ai parlé, ou d’autres semblables.
Nous ne devons pas tolérer davantage la continuation d’une législation qui démoralise et corrompt nos populations ; le trésor public pourrait bien y gagner quelques cent mille francs, mais les mœurs y perdraient chaque jour de plus en plus.
La commission n’a point admis la proposition du gouvernement de frapper aussi de l’impôt certains vaisseaux qui n’étaient point auparavant soumis à la taxe, et elle se fonde sur le résultat de l’enquête. Mais le ministère s’est appuyé sur un grand nombre de procès-verbaux qui constatent la fraude commise avec ces vaisseaux ; et quant à moi, j’ai plus de confiance dans ces procès-verbaux que dans les dires des distillateurs, directement intéressés dans la question ; il est difficile de croire que 353 procès-verbaux auraient été dressés à charge des distillateurs sans qu’il y ait eu çà et là une fraude réelle. J’espère donc que M. le ministre réfutera les arguments de la commission sur ce point.
Il défendra également sans doute la distinction qu’il nous a proposé de faire entre les petites et les grandes distilleries. Il serait imprudent de s’en référer sur ce point au témoignage des grands distillateurs qui ont été entendus dans l’enquête ; leurs motifs paraissent fondés, mais jusqu’à ce qu’on ait aussi entendu à leur tour les petits distillateurs, on ne peut considérer ces raisons comme suffisantes : je m’en rapporterai plutôt à cet égard aux avis et opinions des fonctionnaires supérieurs, des gouverneurs provinciaux et du gouvernement, tous dans une position à pouvoir porter un jugement impartial sur cette question.
On a déjà signalé plusieurs fois au gouvernement l’inconvénient de laisser aux villes la faculté d’imposer à volonté des objets déjà frappés d’un impôt au profit de l’Etat. Il en résulte, quant aux distilleries, que les distillateurs et les débitants des villes ne peuvent soutenir la concurrence avec ceux du dehors. J’engage de nouveau instamment le ministère à nous proposer un moyen qui fasse cesser au plus tôt une entrave aussi nuisible à la prospérité du commerce des eaux-de-vie indigènes, dans plusieurs villes du royaume.
M. Donny. - Messieurs, la loi qui régit les distilleries a produit de grands avantages au pays ; elle a substitué un système libéral au système de perception vexatoire que la Hollande nous avait légué. Cette loi a donné un grand essor à une des industries importantes du pays, et par là même elle a réagi d’une manière extrêmement favorable sur l’agriculture, en augmentant la consommation des céréales et la production des engrais. Avant que cette loi ne fût votée, le long de nos frontières s’élevaient des distilleries étrangères dont les produits s’infiltraient dans le pays, au détriment du trésor et de l’industrie nationale. Aujourd’hui cet état de choses a complètement changé, et s’il existe encore pour le genièvre un commerce interlope, ce n’est pas la Belgique qui a droit de s’en plaindre.
Je crois qu’on ne contestera pas ces résultats heureux, mais on soutiendra qu’à côté de ces avantages se trouvent des inconvénients qui les compensent et vont au-delà.
Les défauts qu’on reproche à la loi se réduisent à deux.
Cette loi, dit-on, est improductive et elle est immorale.
Quant à la question financière, elle sera traitée par d’autres orateurs, et en ce moment je ne veux pas prolonger la séance ni abuser de l’attention de la chambre pour la traiter ; je me bornerai à dire quelques mots sur la question de moralité.
La loi est immorale, dit-on, parce qu’elle maintient le genièvre à bas prix, que ce bas prix en fait augmenter la consommation et qu’une consommation plus abondante cause un plus grand nombre de désordres, et démoralise le peuple.
Je pourrais contester, et je pense que ce serait avec avantage, l’augmentation du nombre des désordres, et le progrès de la démoralisation ; mais je préfère attaquer l’argument par sa base, et prouver que la loi n’est pas immorale, et qu’il n’est pas possible de la rendre plus morale qu’elle n’est.
Vous savez que le genièvre se débite par petite quantité, par petit verre. Il entre dans un décilitre environ trois petits verres, de sorte que le litre en contient environ trente. Dans une localité où j’ai fait prendre des renseignements, ce petit verre se vend à raison de 6 c. Je trouve dans un tableau, à la page 31 du premier rapport de votre commission, que l’impôt tel qu’il est établi actuellement s’élève, centimes additionnels compris, à quelque chose de plus que 6 centimes par litre. Comme il y a 50 petits verres dans un litre, l’impôt sur le petit verre serait donc égal à la 30ème partie de 6 centimes ou à un cinquième de centime ; c’est la 30ème partie du prix de vente.
Supposons que vous adoptiez le projet du ministre, supposons même que vous alliez plus loin, que vous doubliez l’impôt actuel, votre majoration augmentera d’un cinquième de centime le prix du petit verre ; il faudra, pour qu’elle puisse exercer de l’effet sur la consommation, et par exemple forcer un buveur de prendre un petit verre de moins, que ce buveur en consomme 30, un litre entier : sous la législation actuelle, il pourrait en prendre 31, tandis que sous le régime qu’on veut établir, en payant la même somme, il ne pourrait en avoir que 30.
Je vous demande si cette différence peut rendre la loi proposée plus morale que celle qui existe actuellement. Je crois avec l’honorable membre qui a parlé avant moi, que le ministre des finances doit abandonner l’argument de moralité dont il s’est servi jusqu’ici.
Dans ce que j’ai dit jusqu’à présent, j’ai marché d’accord avec l’honorable préopinant ; mais maintenant je me vois obligé de le combattre.
Il a émis l’opinion qu’on pourrait, en ce qui concerne la moralité, revenir avec succès à la loi précédente, et il a semblé croire que ce serait un remède suffisant au mal dont il se plaint. Pour moi, je soutiens qu’alors même qu’on reviendrait au système précédent, qu’on élèverait le droit au taux auquel il était autrefois, et que, pour atteindre ce droit, on remettrait en vigueur les mesures fiscales qui ont soulevé tant de réclamations, votre vote ne pourrait exercer aucune influence tant soit peu considérable sur le prix du genièvre, et que la morale ne serait pas plus protégée par cette loi que par la loi actuelle. La preuve de cette proposition, quelque étrange qu’elle paraisse, ne sera pas difficile à faire. D’après le même tableau de la commission, l’impôt était autrefois de 38 centimes par litre. Par conséquent il frappait le petit verre d’un droit d’un centime, plus un cinquième de centime.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le genièvre se boit par grands verres.
M. Donny. - Vous réduirez mes petits verres en grands verres, si cela vous fait plaisir (on rit) ; mais permettez-moi de raisonner à ma manière. Je disais donc qu’autrefois le petit verre était frappé d’un droit d’un centime et d’un cinquième de centime ; or, je vous ai démontré que l’impôt actuel ne frappait le petit verre que d’un cinquième de centime : par conséquent, si vous reveniez à l’ancien système, la majoration reviendrait à un centime par petit verre ; ainsi le petit verre de genièvre se vendrait 7 centimes au lieu de 6. Mais celui qui s’est chargé l’estomac et la tête de 6 petits verres, de 3 décilitres de genièvre, se trouve ordinairement dans un état d’ivresse assez avancé pour qu’un petit verre de plus ne puisse le rendre dangereux pour la société.
Il faut bien reconnaître que le prix du genièvre ne peut en aucune manière être influencé par un impôt sur la fabrication : c’est du prix des céréales que dépend le prix du genièvre. Un impôt sur la fabrication n’y fait rien ; ou bien, il faudrait qu’il fût extrêmement élevé, et alors il serait impossible de le percevoir intégralement.
Si je combats l’opinion de l’honorable membre, en ce qui concerne le retour à la loi antérieure, je suis parfaitement d’accord avec lui sur la nécessité de favoriser l’exportation du genièvre.
Ainsi que je l’ai dit il y a déjà deux ou trois ans, le genièvre destiné à l’exportation doit être fabriqué d’une manière particulière et avec beaucoup de soin ; il faut consacrer beaucoup de temps à cette fabrication pour que la fermentation atteigne le degré de perfection nécessaire. Sans cela, quelque bon qu’il soit en apparence, il ne peut, sans se troubler, passer l’équateur ; il ne peut arriver dans les colonies, où le véritable marché se trouve, que détérioré, et incapable de soutenir la concurrence avec le genièvre hollandais. Or, consacrer plus de temps à la fabrication, c’est se soumettre au paiement d’un impôt plus élevé, et par conséquent il faut que le genièvre destiné à l’exportation reçoive une décharge plus forte que qu’on lui accorde, d’après des calculs basés sur la fabrication ordinaire : sans cela, il faut renoncer complètement à l’exportation de genièvre.
Je bornerai là mes observations.
- La séance est levée à quatre heures et demie.