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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 7 avril 1837

(Moniteur belge n°98, du 8 avril 1837 et Moniteur belge n°99, du 9 avril 1837)

(Moniteur belge n°98, du 8 avril 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à une heure.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les sieurs Janssens et de Knuyt, fabricants de colle forte et de noir animal à Ostende, adressent des observations sur le projet de loi relatif à la sortie des os. »

- Sur la proposition de M. Desmet, la chambre décide que cette pétition sera imprimée au Moniteur.


« Le sieur Jauret à Gand, demande que la chambre s’occupe de sa demande en naturalisation »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Quatre habitants de Furnes et quatre habitants de Steenkerke demandent que la chambre se prononce sur la question de savoir s’il faut être majeur pour remplir les fonctions de secrétaire communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi relatif à l'impôt des distilleries

Rapport de la commission

M. Duvivier, au nom de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux distilleries, dépose le rapport sur ce projet.

M. le ministre des finances (M. d'Huart) demande que le bureau veuille bien faire imprimer le plus tôt possible les pièces qui doivent être imprimées avec le rapport de manière qu’on puisse entreprendre la discussion de la loi des distilleries après la loi relative à la sortie des os, qui a été mise à l’ordre du jour.

Nous attendons depuis si longtemps le rapport sur le projet de loi des distilleries, qui doivent augmenter nos ressources en augmentant le produit de l’une des branches importances du revenu public, que nous ne pouvons différer davantage à nous en occuper. Je demande donc que la chambre veuille bien mettre cette loi à l’ordre du jour après celle relative à la sortie des os.

M. Duvivier. - Ce que vient de dire l’honorable ministre des finances me rappelle la nécessité où je crois être de dire pourquoi ce deuxième rapport a autant tardé. Ainsi que vous le savez, c’est à la fin de janvier que M. le ministre des finances a déposé son nouveau projet. A la fin du même mois, j’ai été atteint d’une maladie tellement grave que j’ai dû garder non seulement la chambre mais même le lit pendant deux mois. J’en ai informé M. le président. Il a cru qu’il n’y avait pas d’inconvénient à différer quelque temps, et ce n’est que depuis la rentrée de la chambre que j’ai pu m’occuper du travail que je viens d’avoir l’honneur de soumettre à la chambre.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution du rapport, et adoptant la proposition de M. le ministre des finances, met le projet de loi sur les distilleries à l’ordre du jour après le projet de loi relatif à la sortie des os.

Projet de loi, amendé par le sénat, portant création d'un conseil des mines

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Lehoye.

M. Lehoye. - La législature, après avoir fait de vains efforts, pendant plusieurs années, pour donner au pays une loi sur les mines qu’il attend avec impatience et dont il a un si grand besoin, espérait pouvoir enfin le satisfaire, lorsqu’une proposition inattendue que l’honorable M. Rogier a jetée à la traverse, est venue donner à la question une face toute nouvelle. Si la proposition était adoptée, il ne s’agirait plus de savoir par qui et comment les mines seront concédées, mais de décider s’il y aura encore des mines à concéder, car elle ne tend à rien moins qu’à enlever sans coup férir, à tous les propriétaires de mines non concédées, le droit de propriété et de préférence dont ils ne peuvent être équitablement privés, et à substituer la richesse du trésor à la richesse publique, en établissant au profit de l’Etat une confiscation contraire à la justice, à la civilisation et à l’intérêt du pays.

Les mines ont de tout temps, et dans tous les pays, attiré l’attention du législateur.

Sous les Romains, le propriétaire avait le droit de disposer des mines renfermées dans son terrain.

Plus tard, le droit des propriétaires, les prétentions des seigneurs féodaux, l’intérêt de l’exploitation ont décidé du sort de ces richesses.

En Allemagne et dans beaucoup de pays de l’Europe, les mines ont été et sont encore soumises au droit régalien, et sont en quelque sorte devenues la propriété des gouvernements.

En Belgique, la législation n’était pas uniforme ; le seigneur haut justicier jouissait des mines dans le Hainaut autrichien.

A Liége, les mines de houille trouvées dans les fonds des particuliers leur appartenaient.

La loi de juillet 1791 est venue mettre les mines à la disposition de la nation, avec le pouvoir d’en disposer, en accordant néanmoins une préférence au propriétaire de la surface.

Cette loi a subsisté jusqu’à 1810, que la loi du 21 avril a fixé d’une matière certaine et invariable la législation sur les mines et minières ; elle a fait des mines une propriété particulière distincte de celle de la surface, et a modifié sur ce point l’art. 552 du code civil : elle a donné au gouvernement le droit d’en disposer à perpétuité en faveur de ceux qui lui paraissent présenter le plus de garantie qu’elles seront bien exploitées, que l’espoir de l’avenir ne sera pas sacrifié à l’intérêt du présent, l’avantage de la société à des spéculations personnelles. Les droits du propriétaire de la surface sont cependant réglés par l’acte de concession, mais aucune préférence ne lui est réservée, et le gouvernement ne consulte que l’intérêt de l’Etat.

Dans le système de la loi de 1810 qui nous régit encore, la propriété des mines est donc une propriété particulière et morte dans les mains du propriétaire de la surface, productive et précieuse dans celles du concessionnaire qui l’a obtenue par suite d’une espèce d’expropriation pour cause d’utilité publique ; dans ce système, il est certain que le gouvernement n’est pas propriétaire des mines ; il n’a que le droit d’en disposer pour l’avantage et le plus grand intérêt de la société ; ce qui le prouve à évidence, c’est que l’art. 552 du code civil les a données au propriétaire, et que lors de la discussion de la loi de 1810, on n’a pas osé décider qu’elles leur seraient enlevées. Or, puisqu’il est incontestable aujourd’hui que l’acte de concession donne la propriété libre au concessionnaire désigné, puisque le gouvernement peut transférer cette propriété à qui il lui plaît, après que tous les intéressés inventeurs et propriétaires de la surface ont été appelés et leurs droits réglés par l’acte même, il paraît simple et naturel que le gouvernement puisse disposer en faveur de l’Etat d’un bien devenu infiniment précieux et de première nécessité pour la nation.

Mais ce pouvoir qui, à ce qu’il me semble, ne peut être contesté au gouvernement, doit-il lui être permis d’en user ? Je ne le pense pas.

J’ai toujours entendu soutenir que dans un pays riche, populeux et prospère, l’Etat ne doit pas avoir des propriétés, parce qu’elles sont en général mieux et plus utilement administrées par des particuliers directement intéressés à en obtenir le plus grand produit, que par un gouvernement qui ne peut voir et agir que par des préposés indifférents dont il est impossible de surveiller exactement la gestion. Il est donc à présumer que les exploitations nouvelles ne rapporteraient pas autant au trésor qu’elles rapporteront à des concessionnaires particuliers.

On nous dit que le chemin de fer et les houillères de Kerkraede donnent au trésor un très beau produit ; cela peut être vrai ; mais ce que l’on n’oserait pas affirmer, c’est que ces produits ne seraient pas beaucoup plus considérables si ces établissements étaient livrés à l’industrie particulière, et surtout qu’ils ne rendraient pas de plus grands services au pays, l’un par l’abondance de ses produits en mines, l’autre par les facilités qu’il donnerait au commerce ; car s’il est incontestable que l’entreprise du chemin de fer par le gouvernement rapporte un fort intérêt au trésor, il ne l’est pas autant qu’elle ait été avantageuse au pays. je crois au contraire que si, après un court essai, le chemin de fer avait été abandonné à l’industrie particulière, sauf à en fixer équitablement les péages, la Belgique jouirait déjà des bienfaits de cette voie de communication depuis Ostende jusqu’à Liége et depuis Bruxelles jusqu’à Mons ; le trésor ne paierait pas un fort intérêt pour le capital qu’il a du emprunter, il ne serait pas chargé d’un entretien si coûteux que dans quelques années il absorbera peut-être tous les bénéfices ; il retrouverait dans l’activité du commerce et d’un grand nombre d’industries les bénéfices qu’il trouve dans l’exploitation du chemin de fer, et le pays ne souffrirait plus de la cherté du combustible : j’invoque à l’appui de cette manière de voir, le témoignage de ceux qui naguère ont soutenu avec tant de force les primes d’exportation pour les sucres exotiques.

Mais, dit-on, s’il y a un bénéfice à faire, pourquoi le trésor n’en jouirait-il pas ? Pourquoi ? Parce qu’un gouvernement, s’il veut être aimé, s’il veut jouir de l’influence dont il a besoin, ne doit pas se mettre en concurrence avec les administrés dans des entreprises mercantiles et industrielles ; il s’expose à voir bientôt s’élever contre lui les plaintes et les haines de tous ceux dont les intérêts se trouvent froissés par sa concurrence. N’a-t-on pas assez crié contre le gouvernement précédent lorsqu’on l’a vu se mêler dans des entreprises industrielles à Seraing et ailleurs ? Qu’aurait-on dit s’il s’était emparé à son profit exclusif d’un des principaux produits du pays ? Ne trouve-t-on pas étrange que le gouvernement français conserve encore le monopole du tabac ?

Les principes de la saine économie politique prescrivent toute espèce de monopole, ils ne veulent point que le gouvernement soit commerçant, encore moins qu’il s’adjuge les travaux et les bénéfices d’une fabrication ou d’une exploitation exclusive : son monopole, pour être légal, n’est pas moins injuste.

De tous les monopoleurs, a dit un écrivain, le gouvernement est le plus maladroit et le plus exacteur. On a en France beaucoup de ces monopoles ; tous insultent à la morale, à la justice, au droit de propriété, à l’industrie, au commerce ; tous constituent des crimes politiques, des stupidités économiques.

Le monopole doit toujours sa naissance à l’avidité du fisc ; lorsqu’il est établi depuis longtemps, ce mal politique prend toutes les apparences de la nécessité, et quoique ses vices et les calamités qu’il entraîne soient connus, il est assez difficile de le détruire ; mais quand il s’agit de son établissement, rien ne peut l’excuser et tout ce qu’on a dit contre lui est d’une évidente vérité. Le monopole d’une branche de commerce est aussi déplorable et plus vexatoire que les autres : un commerce se lie à un autre, les exportations avec les importations, le système des prohibitions avec celui des primes, la liberté de commerce avec la puissance de l’Etat. Aujourd’hui, dans ce flux et reflux de circulation universelle, acheter et vendre, c’est une partie de la politique, c’est même la politique tout entière en Angleterre, aux Etats-Unis, je puis ajouter et en Belgique. Puisque d’aussi graves considérations s’élèvent pour faire proscrire le monopole, pourquoi donnerions-nous à notre gouvernement le monopole de la houille ? Il ne le demande pas. M. le ministre des travaux publics nous a affirmé hier qu’il n’en voulait en aucune façon, et je ne pense pas qu’il soit de sa dignité de le demander. Un gouvernement gère, administre dans l’intérêt de tous ; il ne faut pas que cet intérêt puisse se trouver en contact ou en opposition avec le sien.

Mais, dit-on, la houille est devenue si précieuse, si nécessaire à toutes les industries, qu’il faut en augmenter le produit, et empêcher que le monopole des grandes sociétés n’en élève exclusivement le prix ; je conviens que cela est désirable, mais ce que je ne comprends pas, et ce qui me paraît impossible, c’est que le gouvernement puisse extraire par ses agents plus de combustible que les particuliers poussés par leur intérêt direct en extrairaient eux-mêmes, et que ce gouvernement étant la plus vaste, la plus puissante société du pays, n’usera pas de certaines manœuvres, d’un certain monopole pour augmenter le prix des houille, afin de se procurer un bénéfice que les grands frais dans lesquels ses agents pourront facilement l’entraîner ne lui permettront pas de faire autrement ; on arriverait alors à un résultat diamétralement opposé à celui que l’on veut obtenir ; et après avoir grevé la Belgique de plus de cent millions d’emprunts nécessaires pour entreprendre, sur 15 à 20 points différents, les travaux préparatoires d’investigation et de premier établissement, on s’apercevrait trop tard qu’on s’est trompé de route, et qu’un système péniblement arraché à la législature contre toutes les règles de sage économie et de bonne administration n’aurait servi qu’à rendre le combustible plus rare et plus cher. Nous n’avons qu’à jeter les yeux sur le volumineux rapport présenté par M. le ministre des travaux publics le 1er mars dernier, pour nous convaincre des frais, des soins et des détails sans nombre qu’entraîne une seule entreprise, celle du chemin de fer, et pour juger d’après cela dans quel embarras, dans quel dédale le gouvernement se jetterait si l’adoption de la proposition le mettait dans la nécessité d’ouvrir 15 ou 20 exploitations sur autant de points de notre territoire, et de rendre annuellement un pareil compte pour chacune de ces entreprises ; le zèle et l’activité de notre ministre des travaux publics ne pourraient y suffire, et la création d’un ministre des mines en serait forcément la conséquence.

L’honorable auteur de la proposition s’exagère beaucoup le nombre et l’importance des mines à concéder, il en juge par les nombreuses demandes en concession et en extension dont M. le ministre des travaux publics nous a fait distribuer le tableau ; il ne fait pas attention que la houille étant un trésor caché dans le sein de la terre tout le monde le chercher, et espère le trouver aussitôt qu’en creusant un puits ou une fosse à marne, il découvre quelques parcelles de terre houille, ou de pierres qui ordinairement signalent la présence de la houille ; excités par cette espérance, encouragés par ces signes souvent trompeurs, les inventeurs s’empressent d’adresser une demande en concession, dans la crainte de se voir devancés par d’autres ; mais lorsqu’il s’agira de mettre sérieusement la main à l’œuvre, les trois quarts de ces demandes resteront sans résultat ; si le gouvernement prenait à lui de semblables concessions, il engagerait le trésor dans des dépenses souvent énormes pour parvenir à un résultat d’autant moins avantageux, que tout porte à croire que la plus grande partie des mines à concéder gisent à une telle profondeur, que leur extraction entraînerait de si grand frais, que le gouvernement se verrait forcé, pour le couvrir, de porter son charbon à un prix trop élevé pour atteindre le but qu’il se propose. Il ne pourrait pas se borner à exploiter les mines d’un produit certain et abandonner les autres aux spéculations des particuliers ; car cette conduite serait un véritable monopole plus criant que celui que l’on veut empêcher, puisqu’elle paralyserait entièrement les efforts des particuliers, et les obligerait à laisser le pays manquer de tout le combustible qu’ils auraient pu extraire si l’Etat, en choisissant les mines riches et faciles à exploiter, n’ôtait pas aux entreprises des particuliers leur principal stimulant, l’espoir de découvrir une mine avantageuse, et ne s’était mis à même de livrer son charbon au-dessous du prix auquel les possesseurs de mines moins riches peuvent le mettre dans le commerce.

Un orateur qui a pris la défense de la proposition qui nous occupe, a senti lui-même qu’elle n’avait aucune chance en sa faveur, et pour la rendre favorable, il a cru devoir la dénaturer entièrement ; ce n’est plus l’exploitation des mines par le gouvernement que l’honorable M. Devaux demande, il veut simplement faire profiter le trésor de toutes les concessions nouvelles par l’intervention directe du gouvernement dans chacune des entreprises ou sa participation comme associé ; il pense obvier ainsi à tous les inconvénients qui ont été signalés, mais il se trompe, car le gouvernement lors même qu’il ne serait qu’actionnaire, resterait toujours à la merci d’associés intéressés à le tromper, et à lui faire adopter dans leur intérêt particulier des mesures contraires à l’intérêt général, il aurait continuellement à lutter contre les intrigues de ses nombreux associés qui, poussés par l’intérêt, premier mobile des actions des hommes, emploieraient tous les moyens, peut être même la corruption des agents du gouvernement pour en obtenir des privilèges.

D’ailleurs, si le gouvernement ne se réservait qu’une faible part dans les exploitations, le bénéfice serait si faible qu’il ne vaudrait pas la peine de mécontenter le public, et d’entrer dans les détails immenses que nécessiteraient de telles associations ; si au contraire sa part était considérable, tout ce qui a été dit du monopole du gouvernement, et des graves inconvénients qu’offre l’exploitation des mines par l’Etat, devrait encore recevoir son application.

En voilà assez sur cette question secondaire dont l’examen ne doit pas, comme celui de la proposition de l’honorable M. Rogier, arrêter ou compliquer la discussion de la loi sur les mines, puisque si le gouvernement voulait faire usage du moyen indiqué, il se placerait dans la même position que les particuliers, et se soumettrait comme eux à toutes les obligations imposées par les lois. Cependant, avant de terminer cet examen des importantes questions qui nous sont soumises, j’ajouterai une dernière considération qui s’applique à la proposition modifiée comme à la proposition originale, et qui mérite d’être méditée sérieusement. Si toutes les mines nouvelles étaient concédées à l’Etat, en tout ou en partie, qui surveillerait leur exploitation ? Qui surveillerait les anciennes concessions ? Aujourd’hui les ingénieurs des mines, absolument désintéressés dans les exploitations, veillent aux intérêts des propriétaires ; ils s’opposent à toute les exploitations, veillent aux intérêts des propriétaires ; ils s’opposent à toute exploitation irrégulière et dangereuse ; ils évaluent la redevance proportionnelle due au trésor ; leur présence sur les lieux est un bienfait qui se changerait en une intervention dangereuse si, devenus en quelque sorte intéressés à soutenir les droits de l’Etat concessionnaire, ils restaient en même temps les juges des droits et intérêts de particuliers ; ils seraient toujours enclins à favoriser l’établissement qui les emploie, et dont ils attendent une récompense proportionnée au zèle qu’ils auront déployé et aux bénéfices qu’ils auront fait obtenir ; dès lors plus de surveillance véritable, plus d’intervention qui mérite la confiance des exploitants, plus de possibilité de la part du gouvernement de prendre des mesures de police et de sûreté, sans s’exposer à faire crier à la partialité et à l’injustice.

Ce que je viens de dire suffira je crois pour démontrer à la chambre que la crainte de voir les mines mal exploitées, de voir, par le monopole, porter le charbon à un prix excessif, ne doit pas déterminer à employer un remède aussi extrême que celui présenté, remède que je trouve d’ailleurs bien incertain et peu efficace. Si ce cas se présentait, il y serait pourvu, a dit en 1810, le comte Régnaud de Saint-Jean d’Angely, il y serait pourvu sur le rapport du ministre de l’intérieur comme aux cas extraordinaires et inhabituels que la législature ne peut prévoir : et si ultérieurement, le besoin d’une règle générale se faisait sentir, elle ne serait établie qu’après que l’expérience aura répandu sa lumière infaillible sur cette question fort difficile à résoudre, de savoir comment on peut concilier le droit d’un citoyen sur sa propriété, avec l’intérêt de tous.

Ce qui était si difficile en 1810 l’est encore aujourd’hui ; si nous ne pouvons pas respecter entièrement les droits des propriétaires des mines, évitons au moins qu’on nous adresse le grave reproche d’avoir sans nécessité outré la modification que le législateur du code civil a cru devoir se dispenser d’y apporter. Soyons persuadés que, quoiqu’il arrive, une administration sage et éclairée pourra dans tous les temps remédier aux inconvénients que présentera peut-être un jour l’exploitation des mines abandonnée au commerce et l’industrie ; et si le besoin indispensable de procurer du combustible au pays le force à prendre des moyens extrêmes, il verra alors s’il ne doit pas défendre l’exportation du charbon, ou si, comme on le fait pour le pain et le grain en temps de disette, il ne convient pas de taxer le prix du charbon.

Je crois avoir suffisamment démontré, avec les honorables orateurs qui m’ont précédé, que la proposition qui nous est soumise ne peut être accueillie, ou si l’on veut, qu’elle ne doit pas être renvoyée à une commission ; il me reste à faire rapidement quelques courtes observations sur le projet de loi.

Il paraîtrait qu’une loi qui a été si longuement élaborée, qui a éprouvé tant de discussions solennelles, devrait être parvenue à un degré de perfection auquel il n’est guère possible d’abuser : aussi mon intention n’est-elle pas de m’opposer à ce que le pays jouisse sans plus de retard des bienfaits de cette loi si nécessaire attendue depuis plusieurs années ; cependant il n’en est pas ainsi, et je ne puis me dispenser d’indiquer les défauts qui selon moi la déparent encore, pour engager la législature à en proposer bientôt la révision.

Je demanderai d’abord s’il ne serait pas prudent de ne donner qu’une existence bornée à un certain temps au conseil des mines dont la création me paraît d’ailleurs éminemment utile. Ne faut-il pas prévoir la possibilité d’un conseil d’Etat, selon le désir manifesté par le sénat et transmis à cette chambre le 5 mai 1835 ? Ne faut-il pas aussi prévoir que dans quelques années il ne restera plus ou presque plus de mines à concéder ? Je me contenterai de poser ces questions sans m’arrêter à les résoudre.

Le projet qui nous occupe a voulu apporter une grande amélioration à la loi de 1810 en assurant au propriétaire une préférence que la loi de 1810 ne lui accordait pas, mais ce droit n’est ici qu’un bienfait à peu près illusoire, puisque pour l’obtenir il faut que les propriétaires réunis, d’une étendue suffisante de terrain, s’entendent tous sans exception, pour demander la concession, ce qui me paraît presque impossible dans un pays aussi divisé que le nôtre ; pour rendre ce droit de préférence efficace et véritablement avantageux aux propriétaires de la surface, j’aurais voulu voir accorder à chacun d’eux le droit facultatif d’entrer dans l’association des concessionnaires, et d’y avoir une part proportionnée à l’étendue du terrain qu’il apporterait dans la concession : par exemple, le propriétaire de 50 hectares compris dans une concession de 400 hectares aurait droit au cinquième de la concession, et devrait être admis sur le pied dans la société des concessionnaires.

Je dirai maintenant un mot des indemnités réservées aux propriétaires de la surface ; la redevance fixe de 25 c. est insignifiante, je ne la regarde que comme la reconnaissance du domaine direct. La redevance proportionnelle fixée à 1, 2 ou 3 p. c. du produit net est insuffisante, parce que ce produit net qui, selon moi, n’est que le bénéfice réel que les actionnaires sont appelés à partager, sera absorbé par les frais ou disséminé par les concessionnaires comme compensation des pertes des années antérieures ; j’aurais voulu voir élever cette redevance jusqu’à 5 pour cent, et il me semble qu’il aurait été plus équitable de ne la partager qu’entre les propriétaires sous les terrains desquels l’exploitation serait en activité, car la redevance est une indemnité, et il est évident qu’on ne peut en devoir qu’à ceux dont le terrain produit la mine à raison de laquelle l’indemnité peut être réclamée ; le produit des mines devant être arbitré annuellement par le comité d’évaluation, ce comité désignerait en outre facilement ceux qui auraient droit à la redevance et dans quelle proportion.

Je bornerai là mes observations, quoique quelques autres dispositions de la loi puissent encore donner prise à la critique ; il serait bien extraordinaire qu’une loi qui, pour l’utilité publique, doit restreindre l’usage de la propriété, satisfît toutes les exigences : la meilleure est celle qui blesse le moins les intérêts privés et il me semble que sous ce rapport la loi actuelle, quoique imparfaite, sera néanmoins très utile.

Ce n’est pas lorsque l’accord entre les deux chambres sur une loi aussi impatiemment attendue se trouve enfin acquis après de longues discussions, qu’on doit se décider légèrement à faire des propositions qui compromettraient la prochaine adoption d’une loi urgente et nécessaire ; j’ai voulu seulement indiquer pour l’avenir ce qu’il serait utile de faire afin de mettre les principes de préférence d’accord avec l’équité et l’impuissance progressive des mines : plus elles deviennent précieuses, plus la justice exige que les droits des propriétaires soient sagement pesés et largement compensés.

M. Rogier. - En me décidant à faire à la chambre la proposition qui l’occupe, je ne me suis pas dissimulé qu’elle se présentait sous des auspices assez peu favorables. La loi que nous discutons était réclamée d’urgence, c’était une loi aux trois quarts faite, à laquelle il ne manquait plus que le vote de la chambre. Ma proposition est venue (ainsi que vient de le faire remarquer le préopinant) se jeter à la traverse ; elle ne pouvait donc être accueillie favorablement ni par ceux qui désiraient que la loi fût votée d’urgence, ni par ceux qui, comme moi-même, désirent que le pouvoir législatif fasse des lois, et n’en renvoie pas le vote à une époque indéterminée.

Toutefois, ces considérations ne m’ont pas empêché de présenter ma proposition parce qu’elle m’a paru avoir un caractère d’assez haut intérêt pour combattre ces deux objections.

La loi, dit-on, est réclamée comme urgente, par qui ? par certains exploitants, je le veux bien, et par un assez grand nombre de concessionnaires. Mais ce qui permet peut-être de révoquer en doute cette urgence pour la consommation en général, c’est le petit nombre des réclamations adressées à la chambre.

D’ailleurs pourquoi réclamerait-on cette loi d’urgence ? c’est, nous dit-on, afin de donner au gouvernement le moyen de concéder des mines nouvelles. Un plus grand nombre de mines étant concédées, le produit augmentera, et le prix baissera. C’est donc pour obtenir la baisse du prix de la houille qu’on réclame la loi comme urgente. Eh bien, ma proposition a précisément pour but d’assurer désormais et a toujours à la consommation le prix modéré de la houille, et si, comme je le suppose, l’adoption de ma proposition doit retarder de quelques mois, soit six mois, soit même un an l’adoption d’une loi définitive, je crois que le grand nombre des consommateurs intéressés préférera qu’on assure à toujours le prix modéré de la houille, lors même qu’ils devraient attendre les effets de ma proposition pendant une année.

D’ailleurs, ainsi que l’a fait remarquer un honorable membre les concessions accordées ne verseront pas immédiatement de la houille dans le commerce. M. Dolez a fait remarquer qu’il fallait deux à trois ans avant qu’on atteignît les veines à exploiter. Si donc le consommateur doit attendre deux ou trois ans, ce n’est pas un retard de six mois de plus qui devra beaucoup le blesser. M. Dolez a ajouté : « Faites la loi, et dans dix ans toutes ces richesses souterraines disparaîtront à la surface du sol ; toutes les mines seront en exploitation. » Mais cela est-il bien certain ? est-il bien certain qu’une fois les mines concédées, les concessionnaires se mettront à les exploiter ? Je doute fort que, surtout en l’absence d’une loi de déchéance, les concessionnaires s’empressent d’exploiter, alors que l’Etat ne peut les y forcer, il faut, pour qu’il y ait garantie de prompte exploitation, une loi de déchéance, loi qui, par parenthèse, n’est pas facile à faire.

Ensuite il est des esprits sérieux qui ne sont pas partisans de l’exploitation sur une trop grande échelle. L’honorable ministre des travaux publics a fait remarquer que sous ce rapport il n’est pas entièrement rassuré. « Usufruitiers du globe (a-t-il dit), il ne nous est pas permis de nous considérer comme isolés et de mépriser les plaintes et les besoins des générations à venir. » Nous aurions donc à examiner s’il serait prudent, dans ces termes, de concéder immédiatement toutes les houillères, de manière que, dans 10 années, il ne restât rien à exploiter, rien à concéder.

L’autre objection contre ma proposition est tirée de l’effet qu’elle aurait de suspendre l’adoption d’une loi sur les mines ; mais c’est un tort qu’elle partage avec beaucoup d’autres propositions importantes, et c’est le sort qu’encourent les lois même les plus utiles. D’ailleurs, considérée en elle-même, la loi que nous discutons n’est pas si excellente, n’est pas jugée si bonne qu’il faille dès maintenant l’adopter sans modification.

Par qui la loi est-elle jugée défectueuse ? D’abord par les propriétaires de la surface qui, trouvant la part qu’on leur fait trop faible, réclament vivement contre son adoption ; ensuite par les exploitants, qui trouvent que l’on fait une trop large part aux propriétaires de la surface.

Un honorable membre, particulièrement versé dans la matière, M. Gendebien, s’expliquait, l’année dernière, de la manière suivante sur la loi :

« La loi est odieuse. Je le dis maintenant, je l’ai dit depuis six jours à satiété. La loi pèche par sa base. Je n’ai pas l’habitude de faire du replâtrage. Quoi que vous fassiez, vous aurez toujours une mauvaise loi. Le conseil qu’on veut établir est une institution vicieuse. Le système qu’on veut établir est impraticable. »

Je ne qualifierai pas aussi sévèrement la loi, quoique je sois loin de la trouver parfaite.

Nous voulons, a dit le ministre des travaux publics, nous voulons rester dans le système de la loi de 1810 ; mais pourquoi rester dans la législation de 1810 ? ne s’est-il rien passé dans l’ordre industriel, relativement à la houille, depuis 1810 ? La houille, en 1837, n’a-t-elle que la même puissance qu’en 1810, époque à laquelle les machines à vapeur et les chemins de fer étaient à peine connus, et où l’importance croissante de la houille était à peine aperçue ? Je considère la loi de 1810 comme insuffisante : à des besoins nouveaux il faut une législation nouvelle.

Mais pourquoi dire qu’on reste dans le système de 1810 quand on le bouleverse réellement ?

La loi de 1810 n’accordait pas la préférence au propriétaire de la surface ; la loi actuelle, par l’article 11, restitue aux propriétaires de la surface la préférence qui leur était attribuée par la loi de 1791.

Ainsi la loi nouvelle rétrograde jusqu’à 1791, époque où la houille avait bien moins encore qu’en 1810 l’importance que l’industrie actuelle lui a donnée.

D’après la loi de 1810 (art. 16), le gouvernement juge des motifs ou considérations d’après lesquels la préférence doit être accordée aux divers demandeurs, qu’ils soient propriétaires de la surface, inventeurs ou autres. »

D’après la loi de 1837, l’action du gouvernement se trouverait liée à l’avis du conseil des mines, en ce sens qu’il ne pourrait accorder aucune concession, extension ou maintenue contre l’avis de ce conseil (art. 7).

La loi nouvelle contient une autre lacune qu’on ne trouve pas dans celle de 1810 : elle se tait sur le cas où le gouvernement refuserait une concession quand même le conseil des mines l’aurait accordée. On peut se demander ici si le gouvernement peut refuser une concession ?...

M. Gendebien. - Il n’y a pas de doute !

M. Rogier. - Reste toujours pour le gouvernement cet enchaînement à la commission, c’est qu’il ne pourra accorder aucune mine contre l’avis de cette commission, tandis que sous la loi de 1810 le gouvernement restait maître d’accorder ou de ne pas accorder la concession, malgré l’avis du conseil d’Etat. Cette différence est énorme.

« Il avait été reconnu, dit le rapport de votre commission (page 6), que l’indemnité vaguement assignée par les art. 6 et 42 de la loi de 1810 avait été fixée le plus souvent à un taux dérisoire. »

Par suite du projet, la redevance est portée de 1 à 3 p. c. du produit net. Encore une fois, nous ne sommes pas sous le régime de 1810.

J’ai signalé une lacune dans la loi actuelle ; il y en a d’autres. Elle se tait sur les déchéances...

Le cahier des charges, imposé lors de l’octroi d’une concession, menace de la déchéance de leurs droits les concessionnaires qui ne se conformeront pas à certaines clauses du cahier des charges, laissant pendant un temps déterminé leurs travaux inactifs.

Cet article est demeuré sans application, il paraît même reçu en chose jugée que l’article est inapplicable. Pourquoi ne pas introduire dans la loi cette haute garantie d’une bonne exploitation.

Une lacune plus importante encore, et qui n’est pas sans inconvénient, est celle qui concerne les mines de fer. Le silence de la loi, à cet égard, abroge de fait, dans les mains du gouvernement, le droit de concéder. Et nous voilà encore hors du régime de 1810, qui donne au gouvernement le pouvoir de concéder les usines de fer.

Ces préliminaires, sont pour vous prémunir contre une admiration trop exclusive de la loi, et vous prouver qu’on pourrait la soumettre à un plus ample informé, et arriver à une loi plus complète et plus utile au pays, indépendamment de l’adoption de ma proposition.

Je dois au reste faire remarquer que la législation de 1810 n’est pas contraire à ma proposition ; j’en trouve même le germe dans l’article 39 de cette loi qui est ainsi conçu :

« Le produit de la redevance fixe et de la redevance proportionnelle (à payer à l’Etat) formera un fonds spécial, dont il sera tenu un compte particulier au trésor public, et qui sera appliqué aux dépenses de l’administration des mines et à celles des recherches, ouvertures et mises en activité des mines nouvelles ou rétablissement des mines anciennes. »

Vous voyez donc que la loi de 1810 n’exclut pas l’intervention de l’Etat ; elle la consacre, elle la prescrit au contraire. Si c’est une loi organique que vous faites ; n’est-ce pas le moment d’examiner les moyens de mettre en pratique les principes déposés dans cet article 39 ? Si la loi nouvelle se tait sur ce point, qu’arrivera-t-il ? C’est que l’intervention dont il s’agit pourra se trouver paralysée par le conseil des mines dans les mains de l’Etat.

Il faudrait cependant y prendre garde et voir ce que l’on va faire ; il ne s’agit pas d’une loi ordinaire, et dont les effets soient limités et réparables ; c’est du définitif, c’est de l’irréparable que vous allez faire ; vous allez remettre à un conseil de cinq membres l’immense attribution d’aliéner à tout jamais du consentement du gouvernement, je le veux, à des tiers quels qu’ils soient, tout ce qui peut rester de richesses houillères enfouies sous terre. C’est l’aliénation irrévocable de cet élément précieux, de cette source vitale de toute l’industrie.

Est-ce trop exiger que de vous dire : Avant d’en venir là, réfléchissez, examinez, ne dessaisissez pas à la légère le pays d’une de ses plus grandes forces, d’une des bases les plus solides de sa prospérité.

Il n’est pas hors de propos de rappeler ce qui s’est passé l’année dernière dans la discussion des mines…

La plus grande partie des débats y fut consacrée à la question des mines de fer. Plusieurs orateurs combattirent avec force la proposition d’attribuer de nouveau à l’Etat le droit de concéder des mines de fer, abandonnées depuis 1830 à la libre exploitation du propriétaire de la surface. On semblait craindre que, concédées, ces mines ne devinssent la proie de quelque société puissante qui en fît le monopole au détriment de la petite industrie. Bref, on ne parvint pas à s’entendre.

« Je désirerais qu’avant de nous prononcer, on procédât à une enquête, disait l’honorable M. Gendebien. J’aurais désiré qu’une enquête appelât tous les intéressés à se prononcer. » A quatre reprises différentes l’honorable orateur revint sur l’utilité d’une enquête.

M. Gendebien. - Je suis encore de cet avis-là !

M. Rogier. - Qu’arriva-t-il ? On ajourna la loi en ce qui concerne les mines de fer ; M. le ministre de l’intérieur, cédant en quelque sorte à cette invitation d’enquête, promit de s’occuper d’un nouveau projet de loi qu’il devait présenter, je pense, dans le courant de cette année.

Ce qui fut demandé, ce qui fut obtenu pour le fer, je le demande pour les charbons. Les mêmes doutes qui vous assiégeaient relativement aux mines de fer m’assiègent pour les mines de charbon : mieux vaut suspendre la loi que d’en donner une de replâtrage et peu en harmonie avec les besoins de l’époque. Il n’y a pas péril en la demeure. J’ai aussi consulté quelques hommes spéciaux, quelques hommes de l’art ; voici ce que me disait l’un d’entre eux :

« Il y a assez de travaux entrepris, laissez à l’industrie ses ouvriers, et la production sera bientôt doublée. Que si les ouvriers ne manquaient pas, les exploitations actuelles produiraient, les unes un tiers en sus, les autres le double. »

« Mieux vaudrait perdre quelques mois encore, dit la pétition de Liége, signée par un de nos anciens honorables collègues, M. de Laminne, et soumettre enfin à une révision toute la loi de 1810, pour nous l’approprier convenablement et définitivement. Et quant à la question d’urgence, elle est moins sérieuse qu’on ne croit.

« Il y a véritablement quelques demandes d’extension et quelques concessions reposant sur d’anciens droits qui réclament une décision prochaine ; mais quant aux autres qui n’ont pas de travaux en péril d’interruption, il ne faut pas brusquer et agir précipitamment. Un gouvernement ne doit pas s’associer tête baissée à l’entraînement des sociétés, animées uniquement de l’ardeur des richesses accélérées.

« L’industrie est en satisfaisante activité. - Rien ne presse de la porter à un apogée dangereux dont elle n’aurait plus qu’à déchoir. - Voyons ce que seront toutes ces sociétés anonymes et où elles tendent, avant de leur livrer niaisement toutes les richesses du pays Ces sociétés monstres ont fait que les circonstances ne sont peut-être plus les mêmes qu’à l’époque où le projet a été conçu. Prenons le temps de la réflexion. Elles ne datent que d’octobre 1835. Par la fusion qu’elles opèrent de plusieurs charbonnages en un seul système d’exploitation, elles vont être induites à ouvrir plusieurs nouvelles bures et à en réactiver quelques autres. Mais, ne faut-il pas aussi ménager pour les siècles à venir ? Un bassin houiller n’est point illimité, il n’est point inépuisable ; sa profondeur n’est point incommensurable. Si les houilles et fers se tiennent à un taux que vous jugez trop élevé, eh bien, profitez donc de cette circonstance opportune pour lever vos prohibitions à l’entrée, et félicitez-vous d’être à même de faire sans danger un pas vers la liberté de commerce et la suppression des douanes. »

Messieurs, je ne demande pas, moi, qu’on arrive à ce prix modéré de la houille par la suppression des douanes ; je demande qu’on y arrive par l’intervention sage et paternelle du gouvernement ; cette proposition n’a pas seulement été combattue ici comme inopportune, mais elle a été critiquée comme dangereuse, comme impraticable, comme vague (et c’est là son moindre défaut). Qu’ai-je demandé, messieurs ? « Que la chambre examine jusqu’à quel point il serait de l’intérêt général que le gouvernement se réservât de disposer pour compte du domaine des mines de houille non encore concédées. » Tout le monde est d’accord sur le principe qui domine la question des mines : c’est, a-t-on dit, dans la dernière discussion comme en 1810 et en 1791, c’est l’intérêt public qui domine la question ; ce principe une fois une fois reconnu par tout le monde, je demande de quelle manière on satisfera le plus sincèrement à ses conséquences, de quelle manière on atteindra le plus sûrement son but ? Sera-ce en abandonnant légèrement, sans conditions, sans précautions, sans garanties, les mines de houille à l’intérêt privé, ou sera-ce en laissant l’exploitation de ces mines à la disposition du gouvernement, qui n’en userait que dans l’intérêt général et conformément au but et au principe de la loi ?

On reconnaît, messieurs, que la houille acquiert chaque jour une valeur croissante et que le prix s’en élève en proportion de cette valeur. En même temps, on a été frappé des acquisitions considérables faites par les grandes associations, et ces acquisitions coïncidant avec la hausse du prix de la houille, cette hausse a été attribuée à l’accaparement de la houille par les grandes associations. Je ne sais jusqu’à quel point cette opinion est fondée, mais il y a peut-être quelque chose de vrai au fond de ce qui a été dit à cet égard, car si je suis bien informé, les grandes associations qui se sont mises à la tête de beaucoup d’industries et qui tendent à se mettre à la tête de l’industrie mère de toutes les autres ont fait l’acquisition d’un grand nombre de houillères ; elles ne les ont pas toutes acquises, mais elles ont acquis toutes les houilles pour un long terme ; de cette manière, elles se sont trouvées maîtresses du prix de la houille tout aussi bien que si elles eussent acquis toutes les houillères ; en vendant la houille qu’elles ont acquise au prix qui leur convient, elles peuvent aussi hausser le prix de celle qu’elles extraient jusqu’au taux qui leur est convenable. Je ne sais pas jusqu’à quel point l’assertion est exacte, mais si vous admettiez la proposition d’enquête, c’est là un des faits qu’elle pourrait éclaircir.

Le discours de l’honorable ministre des travaux publics peut être considéré jusqu’à certain point comme un commencement d’enquête puisqu’il est entré dans des détails statistiques très étendus. Je ne sais pas, toutefois, si ce commencement d’enquête a été fait d’une manière tout à fait désintéressée ; je crois que si M. le ministre s’était déterminé à soutenir ma proposition, il aurait pu trouver dans les renseignements qu’il a pu recueillir quelques motifs à faire valoir à l’appui de cette proposition. Il est incontestable qu’une statistique faite dans l’intérêt d’une seule opinion doit laisser à désirer, et qu’une statistique qui serait le résultat d’une enquête faite par la chambre pourrait révéler des faits que M. le ministre des travaux publics a pu passer sous silence dans l’intérêt de l’opinion qu’il soutient.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Vous voulez donc l’enquête par la chambre ?

M. Rogier. - Je demande l’enquête par la chambre pour autant que le gouvernement n’en fasse pas, ou qu’il ne la fasse que d’une manière incomplète.

Je n’ai pas, messieurs, la prétention de vous présenter dès maintenant la meilleure organisation possible du principe de l’intervention de l’Etat dans les mines. Dans mon opinion le gouvernement peut, dans une certaine mesure, exploiter directement par lui-même ; mais n’ai-je pas dit positivement dans les premiers développements de ma proposition que le gouvernement a d’autres moyens de tirer parti de la houille que d’exploiter lui-même, et qu’on pourrait les indiquer au besoin ? C’est ce qu’a fait hier avec tant de logique l’honorable membre qui a parlé le dernier. Je n’ai pas proposé comme condition sine qua non l’exploitation directe par l’Etat ; je n’ai pas plus demandé que l’Etat se réserva la disposition de toutes les mines non encore concédées, ce qu’ont bien voulu me faire dire quelques adversaires, voici ce que j’ai dit : « Le gouvernement n’entend pas accaparer l’exploitation de toutes les mines du pays, le gouvernement respectera les droits acquis. » (Il y a loin de là à ce qu’on me fait dire dans les journaux, que le gouvernement confisquera toutes les mines concédées ou non concédées.) « Je n’entends point non plus, ai-je ajouté, qu’on ne puisse plus accorder de concessions : rien n’empêchera le gouvernement d’en accorder encore. » J’aurais désiré qu’on eût eu la bonté de recourir à mes développements, et de ne point me faire aller au-delà de ce que j’ai dit réellement. Il est vrai que ces développements ont eu une destinée exceptionnelle ; ils n’ont pas obtenu l’honneur d’être imprimés et distribués aux membres de la chambre ; c’est cependant la faveur ordinaire qu’on accorde aux moindres propositions.

Je dis, messieurs, que je n’ai point posé comme principe absolu, invariable, l’exploitation directe par l’Etat ; c’est cependant la combinaison la plus réalisable et surtout la plus féconde à mon avis ; c’est sous ce point de vue que ma proposition a principalement été attaquée, et c’est aussi sous ce point de vue que je me propose principalement de la défendre.

Je demande donc si le gouvernement peut utilement, dans l’intérêt général, exploiter les houillères ? Il y a là, messieurs, deux questions : une question de capacité gouvernementale, et une question d’utilité générale.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a mis en doute la capacité du gouvernement en fait d’industrie, et si quelque chose a droit de m’étonner, ce serait de voir le gouvernement lui-même proclamer cette incapacité ; tous les arguments mis en avant contre l’exploitation, par le gouvernement, de la route en fer à laquelle, bon gré mal gré, il faut bien revenir, tous ces arguments ont été reproduits à peu près mot pour mot dans cette discussion contre l’exploitation des mines par l’Etat ; je ne combattrai pas, messieurs, tous ces arguments ; il eu est un, me semble-t-il, beaucoup plus puissant que tous à leur opposer, c’est le succès de la route en fer.

D’après le rapport remarquable qui nous a été présenté sur les travaux de la route en fer, depuis deux ans et demi plus de trois cents travaux d’art ont été exécuté avec le plus grand succès ; dans ce nombre, il en est plusieurs qui sont très importants, très chanceux, sans parler des ponts sur la Nèthe, sur la Dyle et sur le canal de Louvain et de Bruxelles. Je ne citerai que les immenses remblais à travers les vallons de la Geete, le grand tunnel de Cumptich, qui a nécessité des travaux de creusement et d’épuisement qui ont une certaine analogie avec les travaux qui se font dans les mines.

On dit cependant que les travaux de la route en fer n’ont aucun espèce d’analogie avec l’exploitation des mines ; eh bien ! supposons même qu’il en soit ainsi ; qu’est-ce que cela prouvera ? Si le gouvernement est capable d’exécuter certains travaux, pourquoi ne serait-il pas capable d’en exécuter certains autres ? Comment s’y prennent donc les Etats qui exploitent ? Comment se passent les choses à Kerkraede, en Autriche, en Prusse ; comme se passent les choses à Kerkraede, où, de l’aveu du ministère, il a été exécuté pour plus de 600,000 fr. de travaux d’art ?

Tout le système, a dit M. le ministre, repose, quant à la Belgique, sur un seul fait et sur un seul homme.

Sur un seul fait !... Mais n’est-ce rien qu’un fait ? n’est-ce pas tout en cette matière ? Ne pourrons-nous pas conclure de la bonne exploitation de la houillère de Kerkraede la bonne exploitation de toutes autres houillères que le gouvernement pourrait ouvrir pour compte du domaine, c’est-à-dire pour le compte de tout le monde ?

Sur un seul homme… ! Je n’entends certes rien ôter au mérite de l’honorable fonctionnaire qui a été placé à la tête de la houillère de Kerkraede ; mais je plaindrais sincèrement et mon pays et M. le ministre des travaux publics si toute l’administration des mines n’avait qu’un seul homme capable de faire ce qu’obtient, ce qu’exécute la moindre concession particulière.

Mais il n’en est rien, messieurs : les sociétés particulières ont su découvrir dans l’administration même d’autres capacités dont elle ont eu le soin de s’emparer ; j’espère que M. le ministre des travaux publics n’aura pas la main plus malheureuse que les sociétés particulières.

Au reste, il va de soi que si nous augmentons les occupations du gouvernement, il faudra aussi que le gouvernement obtienne de instruments nouveaux : il faudra qu’une institution nouvelle forme des ingénieurs, comme la chose a lieu dans un pays où l’Etat exploite les mines ; et cela ne sera pas plus difficile pour les mines que pour les routes.

Messieurs, il y a eu en France une discussion assez remarquable en 1825 ; il s’agissait d’une mine de sel découverte en 1819. Le gouvernement, par l’organe de M. de Villèle, vint demander à la chambre l’autorisation de disposer, pour le compte du domaine, de cette mine de sel. M. de Villèle ne passe pas pour avoir beaucoup méprisé les droits de la propriété. C’était vers la même époque que ce ministre présentait, je crois, la loi d’indemnité en faveur des émigrés dépossédés.

Eh bien, il ne craignit pas ce proclamer ce principe, qu’il fallait que la mine de sel découverte fût laissée à la disposition du gouvernement pour compte du domaine.

M. de Villèle avait pour commissaires chargés de soutenir ce principe des hommes qui, je crois, peuvent faire ici autorité. L’un était M. Chaptal, l’autre M. Cuvier ; M. Chaptal, dont personne ne niera la compétence est matière d’industrie ; M. Cuvier, dont l’opinion dans les matières géologiques a bien aussi sa petite importance.

« Ce que le gouvernement propose aujourd’hui, disait un honorable pair, n’est pas une innovation ; le domaine de l’Etat a déjà disposé des mines, et nous en avons des antécédents fort remarquables.

« Sous le régime consulaire, le gouvernement jugea nécessaire de fonder deux écoles pratiques : l’une à Geislautem, pour donner aux jeunes ingénieurs la pratique de l’art de traiter les minerais de fer et l’exploitation de la houille ; l’autre à Perey, pour leur faire connaître tout ce qui a rapport à l’exploitation des mines de plomb, cuivre et argent.

« L’exploitation de Perey qui était en perte depuis cette époque, a constamment depuis produit à l’Etat un revenu annuel qui a varié de 80 à 150,000... Ce qui répond suffisamment à ce qui a été dit par l’opposition, et prouve que le gouvernement n’est pas un mauvais exploitant, quand il sait bien choisir ses agents. »

Bien choisir ses agents ! voilà donc le problème, et il n’est pas insoluble : il ne l’est pas pour les particuliers, pour les sociétés grandes ou petites ; pourquoi le serait-il pour le gouvernement ?

L’on viendra peut-être objecter l’observation banale, dirai-je, que le ministre n’aura pas le loisir de surveiller par lui-même les exploitations.

Mais le fait se passe-t-il d’autre façon pour beaucoup d’exploitations particulières ? Je connais une des plus belles houillères du pays de Liége, possédée par un capitaliste parisien, qui peut-être n’y a pas mis une seule fois les pieds. Et cependant la houillère rapporte d’assez beaux bénéfices au propriétaire, qui ne surveille pas plus l’exploitation que ne le ferait un ministre qui aurait sous sa direction diverses exploitations.

Les directeurs des sociétés anonymes sont-ils plus en position que les ministres à surveiller par eux-mêmes l’exploitation de leurs mines ? Non, sans doute ; et cependant qui révoque en doute leur capacité ?

Si l’hypothèse de l’honorable membre qui a parlé le premier dans cette discussion venait à se réaliser, s’il arrivait qu’un jour les administrateurs des grandes sociétés particulières devinssent les administrateurs du royaume belge, de la société belge, par ce seul fait deviendraient-ils incapables ? Ne sauraient-ils faire comme ministres ce qu’ils feraient comme administrateurs particuliers ? Ou bien, y aurait-il en eux deux hommes, l’un incapable et ignorant, en ce qui concerne les mines de l’Etat, l’autre capable et habile, en ce qui concerne les mines particulières ?

Enfin, messieurs, pour sortir de cette hypothèse et rentrer dans les réalités, je demanderai si c’est en surveillant par lui-même que le ministre des finances est parvenu à rendre la houillère de Kerkraede productive d’improductive qu’elle était ; je demanderai si l’on considère le ministre comme incapable (alors toujours qu’il choisit bien ses agents), comme incapable, dis- je, de diriger le domaine de l’Etat, et notamment les bois, le chauffage de la surface ?

Car je ferai remarquer, en passant, qu’on trouve tout naturel que le gouvernement exploite le chauffage de la surface ; oh ! Rien de mieux ! Mais s’agit-il du chauffage du fond ? Le gouvernement devient incapable. Le gouvernement charbonnier ! Fi donc ! Que le gouvernement soit marchand de bois, nous le voulons bien ; mais que le gouvernement se fasse charbonnier, c’est le comble de l’absurde, du ridicule, suivant un honorable préopinant.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire l’extrait d’un document dans lequel on juge le gouvernement comme exploitant de bois.

Il avait été dit à propos du bois exploité par l’Etat dans le Luxembourg :

« Les propriétés privées sont infiniment mieux administrées que les propriétés de l’Etat, et pour ce motif elles rapportent beaucoup plus que ces dernières. »

Voici comment il fut répondu à cette assertion dans une lettre à laquelle il était difficile de ne pas accorder un caractère semi-officiel :

« Il est malheureux que cette assertion soit précisément le contraire de ce qui est ; je ne parle que des propriétés boisées. Les bois du domaine rapportent en général, et continueront à rapporter plus que les bois des particuliers, par la raison qu’ils sont mieux administrés, mieux conservés et surtout plus ménagés ; quelles que soient les variations du prix des bois, on n’y faut ni exploitation forcées ni coupes extraordinaires ; les réserves y sont établies d’une manière à maintenir un juste équilibre entre la consommation et la reproduction, et à assurer une continuité des mêmes produits.

« Les coupes de cette année, vendues à St-Hubert, se sont élevées, terme moyen, à onze cent francs l’hectare ; je souhaite pareil résultat à tous les particuliers, et je laisse à juger si des bois vendus à ce prix ne rapportent que 3 p. c. et sont mal administrés. D’ailleurs, la plupart des bois domaniaux aliénés depuis dix ans sont là pour déposer de leur prétendue bonne administration et offrir aux curieux leurs produits futurs ; ils ont beaucoup rapporté sans doute aux acquéreurs qui le sont détériorés sans règle et sans mesure, mais la moisson est faite pour plus d’un siècle. Déjà beaucoup de ces bois sont à peu près dépouillés de leurs beaux produits, avant même que les prêts d’acquisition soient payés. »

On a fait, messieurs, une longue nomenclature des accidents arrivés dans les mines depuis de longues années. Je demanderai encre ce que cela prouve. Tous ces événements se sont passés dans des exploitations particulières ; voudrait-on soutenir qu’ils seront plus fréquents dans les houillères exploitées par l’Etat que le feu grison s’y glissera avec plus d’intensité que le gouvernement mettra moins de puissance à prévenir les accidents ?

J’aurais voulu que dans la nomenclature on eût spécifié les événements qui sont survenus dans les houillères que le gouvernement exploite, et qu’on nous eût fait connaître si les accidents y avaient été plus fréquents et moins énergiquement réprimés.

Pour moi, je pose en fait qu’il y a beaucoup de motifs de croire que, dans les houillères exploitées par l’Etat, les accidents seront en plus petit nombre, et il n’est pas douteux qu’ils seront plus énergiquement réprimés.

Messieurs, quand une houillère est envahie par les eaux, très souvent les particuliers l’abandonnent, soit qu’ils n’y voient plus de bénéfices certains à faire, soit que les capitaux leur manquent ; c’est dès lors une richesse perdue pour le pays.

Et à ce propos, je rappellerai qu’une loi vient d’être présentée à la chambre des pairs en France, ayant pour but de forcer les propriétaires de houillères inondées à épuiser les bures et à rendre au pays des richesses importantes qui, par suite de leur inertie, demeurent depuis des années ensevelies sous les eaux ; pour le cas où ces propriétaires ne feraient pas les travaux d’épuisement, la loi les déclarerait expropriés, et les houillères retourneraient à l’Etat.

Ce qui se passe en France se passe aussi dans ce pays, où nous avons vu un grand nombre de houillères rester sous les eaux pendant de longues années, sans que le gouvernement ait pu forcer les exploitants à les épuiser.

Eh bien, je dis que si de pareils accidents arrivaient dans une mine appartenant à l’Etat, ce dernier ferait tous ses efforts pour parvenir promptement au moyen d’épuiser la mine.

Serait-ce par hasard pour l’ouvrier que le danger serait moindre dans une exploitation privée que dans une exploitation dirigée par le gouvernement ? Je ne pense pas, messieurs, que l’on osât soutenir cette assertion. Qu’est-ce qu’un ouvrier pour l’industrie privée ? Il faut bien le dire, c’est un instrument dont on tire le plus de travail, le plus de bénéfice possible.

Que le feu grison, que les eaux envahissent une houillère, je ne crois pas, quels que puissent être d’ailleurs les sentiments philanthropiques des exploitants, que la plupart de ceux-ci sacrifient de grandes sommes pour retirer les malheureux ouvriers des entrailles de la terre.

Mais que de pareils accidents se présentent dans une houillère de l’Etat, je ne mets pas en doute que l’Etat, dont la mission ne se borne pas à gagner de l’argent, ne mette tout en œuvre pour sauver les malheureuses victimes de ces accidents.

Messieurs, il le fera tellement dans ses propres exploitations, que souvent son intervention a eu lieu quand il s’est agi de réparer des accidents survenus dans des établissements particuliers.

Rappelez-vous ce qui s’est passé dans le temps à la houillère Gojou à Liége. N’est-ce point par l’activité de l’administration qu’on est parvenu à retirer les malheureux ouvriers qui s’y trouvaient enterrés ? Récemment encore les journaux nous ont entretenus d’un ouvrier qui, en creusant un puits, avait été enfoui sous de décombres. Cet homme, à ce qu’on a pu voir ensuite, ne méritait pas l’intérêt qu’on lui a témoigné ; mais qui a contribué à sauver ce malheureux ouvrier ? Ce n’a pas été l’entrepreneur du puits, mais le gouvernement et les soins philanthropiques de l’administration. Je suis donc fondé à soutenir que de semblables accidents sont moins redoutables pour les ouvriers quand ils arrivent dans des exploitations de l’Etat que quand ils arrivent dans des établissements privés.

Je ne parle pas ici de la famille, mais je ne mets pas en doute que si un accident occasionnait la mort d’un ouvrier, la famille serait mieux traitée par le gouvernement qu’elle ne le serait par des directeurs d’exploitation privée, quels que soient les sentiments d’humanité qui les animent. Si le gouvernement n’en agissait pas ainsi, il manquerait à une de ses attributions principales, et il appartiendrait à la chambre de le diriger dans cette voie.

D’ailleurs, de ce qu’il arrive des accidents dans les houillères, s’ensuit-il qu’il ne faille pas extraire la houille ? Avec ce système, de ce que les voyages maritimes sont soumis à de grands dangers, à des naufrages, il s’ensuivrait qu’il ne faut pas construire de vaisseaux dans les pays maritimes. De ce que des accidents graves ont lieu sur la route en fer de Liverpool à Manchester, qui, je suis bien aise de le faire observer en passant, est exploitée par l’industrie privée, il s’en suivrait qu’il ne faut pas établir de route en fer, que le gouvernement ne doit pas en construire.

Pourquoi y a-t-il moins d’accident sur notre route en fer que sur celle de Liverpool à Manchester ? Ne serait-ce pas parce que l’intérêt particulier, foncièrement égoïste, ne se soucie guère qu’il y ait quelques bras ou jambes cassés ? Il n’a pas à rendre compte de tous les accidents qui arrivent sur la route en fer ; il n’en est pas de même en Belgique, ou la presse, les chambres, tout le pays, sont toujours prêts, en cas d’accidents, à dire : C’est la faute des ingénieurs, dire qui paraît effrayer M. le ministre des travaux publics. Eh bien, c’est cette crainte salutaire du « qu’en dira-t-on » qui force le gouvernement à exercer une surveillance très active. Cela n’arrive pas sur la route de Manchester ; aussi les accidents y sont-ils plus nombreux que sur la route d’Anvers.

Je ne suis pas fâché d’avoir eu l’occasion de prouver que le gouvernement est aussi bon et même meilleur exploitant que l’intérêt privé pour ce qui concerne la sûreté publique, qui doit aussi être comptée pour quelque chose.

Eh bien, messieurs, voilà la grande différence qui existe entre les associations particulières et l’association du gouvernement désignée sous le nom de ministère.

Les directeurs des associations particulières, à qui rendent-ils des comptes ? Je crois qu’il y a chaque année une réunion générale où arrivent ou n’arrivent pas certains intéressés. A cette réunion, on entend la lecture des comptes généraux. Mais pour toutes les opérations de détail, les circonstances heureuses ou malheureuses qui ont pu se présenter dans le courant de l’année, je ne crois pas que les directeurs soient véhémentement gourmandés par les actionnaires ; je ne crois pas que la presse s’occupe beaucoup de ces opérations, qu’elle signale avec reproche et remontrance les accidents qui surviennent dans les différentes industries exploitées, et qu’elle les impute à faite de tel ou tel employé.

Le gouvernement au contraire, dans toutes les opérations qu’il entreprend, est responsable, contrôlé de toutes parts, comptable non seulement de ce qu’il reçoit, mais de ce qu’il fait, de ce qu’il pense, de ce qu’il projette.

Eh, messieurs, c’est ici encore une grande distinction à établir entre les gouvernements constitutionnels que je prends au sérieux et les gouvernements absolus.

Je conçois qu’à la rigueur on trouve mauvais que les gouvernements non constitutionnels exploitent les mines par exemple ; en effet, il n’y a pas là de comptes à rendre ; les produits que le prince retire des mines entrent dans une caisse où le pays n’a rien à voir, et ils sont dépensés comme il convient au prince qui gouverne. Dans nos pays, au contraire, tous les produits retirés par le gouvernement sont connus de tous, il en est rendu compte à tout le monde, et ils ne sont dépensés que dans l’intérêt général du pays, sous le contrôle et l’approbation des chambres.

Dans les gouvernements non contrôlés, une faute est souvent irréparable. Entré une fois dans une voie désastreuse, le gouvernement peut y persévérer sans que le pays ait le moyen de l’en faire sortir.

Dans notre gouvernement responsable il est impossible qu’un abus se continue longtemps sous le contrôle incessant de la publicité et des chambres. Je suppose que le gouvernement veuille se mettre à exploiter les houillères, il ne pourra le faire qu’après avoir reçu l’autorisation des chambres. Cette autorisation se renouvelle chaque année à la discussion du budget. Le ministre emploiera quelques cent mille francs à la recherche d’une houillère ; si on reconnaît que ces travaux ne peuvent mener à rien, la chambre ne l’autorise pas à continuer et supprime l’allocation, comme elle supprimerait l’allocation pour la houillère de Kerkraede, s’il ne résultait pas du compte-rendu par M. le ministre des finances que cette houillère est une source abondante de revenu pour le trésor, assertion qui combat celle du ministre des travaux publics que cette mine ne produisait rien et ne produirait jamais rien pour le pays. Je ne me charge pas de concilier ces deux assertions.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je n’ai pas dit cela.

M. Rogier. - Vous vous êtes attaché à prouver que depuis l’année 1797 elle n’avait pas produit un liard au pays.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Mais qu’elle produirait.

M. Rogier. - Je m’aperçois que la chambre commence à se fatiguer, et je me trouve dans la même situation. J’ai cependant encore des considérations assez étendues à présenter. Je ne le ferai pas dans ce moment. J’aurais à démontrer que l’intervention directe du gouvernement dans l’exploitation des mines, alors même qu’elle ne serait pas profitable au trésor, serait encore utile à l’industrie en général, sans être fatale à l’industrie des houilles en elle-même.

J’aurais à faire sentir la nécessité pour le gouvernement de s’opposer autant qu’il serait en lui au développement exagéré, à l’influence excessive que pourraient prendre certaines sociétés. Sous ce rapport, je juge l’intervention de l’Etat dans les mines comme un moyen fort efficace d’établir une concurrence industrielle et politique (ce qui, aujourd’hui, est à peu près la même chose) avec ces grande associations sur lesquelles d’ailleurs je n’entends pas me prononcer actuellement. Mais ces questions me mèneraient trop loin ; peut-être aurai-je occasion d’y revenir dans le courant de cette discussion.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, j’ai été cité deux fois d’une manière qui m’a paru si cavalière que je crois devoir demander la parole. Je dis que j’ai été cité d’une manière cavalière, parce qu’on m’a présenté comme étant en contradiction avec moi-même. Comme je ne suis pas de ceux auxquels on peut reprocher des contradictions…

M. Rogier. - Vous comme les autres ; si on voulait rechercher tout ce que vous avez dit, on y trouverait facilement des contradictions.

M. Gendebien. - Je vous donne l’autorisation de faire cette recherche, et je porte le défi de me mettre en contradiction avec moi-même sur les questions de principe. Sur les questions de détail, c’est autre chose, cela serait possible, encore que je ne le pense pas ; mais en fait de questions de principe, jamais ce reproche ne pourra m’être adressé.

On a supposé que je voulais une loi d’urgence, et on a opposé à cette urgence la réclamation des propriétaires d’un côté et des exploitants de l’autre ; puis on m’a cité ; on m’a fait dire que je considérais cette loi comme odieuse, comme présentant un système inexécutable. On aurait dû faire remarquer sur quoi portait mon observation ; mais en citant on a été obligé de prononcer le mot de « conseil. » C’est, en effet, sur la création de ce conseil que portent mes observations. C’est à cet égard que j ai dit que la loi était odieuse ; et elle l’est, car elle est inconstitutionnelle ; et je l’ai démontré ; j’attends encore une réponse à ma démonstration. C’est dans ce sens que j’ai dit que la loi était odieuse, et je maintiens ce que j’ai dit. Je défie qu’on réponde à mes arguments.

Aujourd’hui que nos commettants réclament la loi, je ferai peut-être le sacrifice non de mon opinion, mais de mon vote, parce que je protesterai toujours contre le conseil et la juridiction qu’on lui accorde.

Voilà six ans qu’on s’occupe de la loi des mines, on en a parlé pour la première fois en octobre 1831, et on me reproche de demander une loi d’urgence. Je ne demande pas une loi d’urgence, mais j’ai bien le droit de dire qu’il est urgent de nous donner la loi. C’est lorsque cette loi nous revient pour la vingtième fois, qu’on nous propose des idées toutes nouvelles qui sont de véritables utopies. Si l’on avait assisté à toutes les discussions, si on avait été constamment à son poste, on aurait pu faire valoir ces observations ; chacun de nous aurait eu le temps de les peser et on aurait pu en faire l’objet d’une enquête. Ce n’est pas quand la loi a été élaborée dans dix ou douze essais, qu’elle a enfin été adoptée au sénat et qu’elle nous revient en ne présentant d’autre difficulté, à moins qu’on ne veuille remettre en question le principe de la loi, qu’un chiffre de 5 conseillers au lieu de 4, et quatre conseillers adjoints au lieu de trois, car voilà la seule différence entre le projet du sénat et celui de la chambre. Et c’est lorsque la loi se trouve à ce point de maturité que vous remettriez tout en question ; c’est après avoir gardé le plus profond silence pendant six ans et demi, pendant lesquels on a pu présenter toutes les utopies, toutes les idées spéculatives ! Et l’on prétend nous mettre en contradiction ! Il me semble que ceux qui nous adressent ce reproche mériteraient qu’on le leur adressât ; car ils ont gardé le silence, ils ont trouvé tout bien pendant six ans, et lorsqu’on est au moment de voter la loi, ils viennent proposer une disposition nouvelle, un système tout nouveau.

Un autre point encore : Précédemment, dit-on, j’avais demandé une enquête. Aujourd’hui je demande le vote d’urgence et je ne veux plus d’enquête. Mais encore une fois ici il n’y a rien qui autorise à me supposer en contradiction.

Lorsqu’on a abordé la question des mines, on s’est aperçu dans la discussion de l’impossibilité d’arriver à une solution sur la question des mines de fer. On a demandé de laisser en dehors de la discussion la matière des mines de fer seulement ; et j’ai demandé sur ce point une enquête. Mais je n’ai pas demandé une enquête sur la question de savoir s’il y avait oui ou non opportunité de discuter la loi. Je demande encore aujourd’hui l’enquête que j’ai demandée précédemment ; et il m’est permis d’exprimer le regret que le ministre ne se soit pas mis en mesure de faire cette enquête comme il l’avait promis. Il n’y a donc aucune contradiction.

Je tenais à faire cette observation, parce qu’on a semblé s’étayer de mon opinion pour appuyer des idées qui peuvent être bonnes, mais qui ont besoin d’être formulées et mûrement élaborées. Mais parce que ces idées n’ont pas été élaborées et n’ont pu même être formulées, ce n’est pas un motif pour différer une législation dont tous les exploitants ont besoin.

Je me réserve, après que M. Dechamps inscrit avant moi aura parlé, de répondre aux discours prononcés hier par M. Devaux et aujourd’hui par M. Rogier.

M. Dechamps. - Messieurs, on aurait pu croire, et avec quelque raison, que notre tâche était devenue facile à l’égard de la question des mines, puisque cette question n’était arrivée jusqu’à nous qu’après avoir subi l’épreuve d’une des plus mémorables discussions de la constituante ; qu’après avoir usé quatre longues années de travail du conseil d’Etat de l’empire, où les capacités certes ne faisaient pas défaut ; qu’après avoir reçu, depuis sa réalisation en 1810, la sanction d’une expérience de 25 ans.

Il faut croire que c’était là une erreur, puisque depuis six ans que cette question des mines nous a été présentée, elle a été ajournée, reprise, renvoyée par le sénat, sans qu’elle ait pu parvenir à sa promulgation. A qui la faute ? Je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que les propriétaires ou les demandeurs en concessions nouvelles, qui sont depuis la révolution privés de leur propriété minérale au mépris de l’art. 11 de la constitution ; c’est que les fabricants, les industriels et les consommateurs pour qui la houille est une matière de première nécessité, désireraient probablement un plus prompt résultat et un peu moins de perfection dans la loi, si toutefois les longues discussions sont l’indice de la perfection dans les assemblées délibérantes. Mais, au train que nous y allons, je crains bien que ce désir des producteurs et des consommateurs ne soit formé en pure perte, car, au lieu de se simplifier et de s’éclaircir à mesure que la controverse se prolonge, cette question des mines se complique et recule devant sa solution.

Jusqu’à présent, du moins, on était généralement d’accord sur un point, c’est que les principes fondamentaux de la loi de 1810, sous l’influence desquels les richesses minérales ont imprimé à l’industrie un essor si remarquable, c’est que ces principes devaient être conservés de manière à former la base de toute notre controverse et de la loi à intervenir.

« Nous avons consulté, dit le ministre dans l’exposé des motifs, les députations des Etats des provinces dans lesquelles on exploite des mines ; nous avons réuni quelques personnes dont les connaissances pouvaient nous être utiles, et tout le monde a été d’accord que la loi du 21 avril 1810 était bonne ; que les bases devaient en être conservées. » Les deux rapporteurs que le projet de loi a eus, successivement MM. Brixhe et Fallon, ont exprimé itérativement la même pensée au nom de la commission.

Ce projet de loi présenté le 17 mars 1835, et qui est celui que nous discutons actuellement, n’a pas été intitulé : « Projet de loi pour la création d’un conseil de mines. » En effet, remplacer le conseil d’Etat par un conseil de mines, voilà le but qu’on se proposait, et tous les projets présentés depuis 1831 n’ont pas voulu en atteindre un autre.

On y a bien, à la vérité, introduit quelques modifications à la législation de 1810, mais ces modifications dont l’objet était de remédier à des abus d’exécution signalés dans cette enceinte, n’ont pas été proposées, comme dit le rapporteur, pour ne heurter aucune des idées fondamentales de la loi, mais pour y être annexées afin d’en faciliter l’exécution.

Ainsi donc, messieurs, il était bien entendu jusqu’ici que c’était une loi pour la création d’un conseil de mines que nous avions à élaborer, sauf quelques articles de la loi du 21 avril à améliorer ou à mieux définir ; il était bien entendu que nous n’allions pas procéder à sa révision ; et voilà cependant que la proposition de M. Rogier d’un côté, et de l’autre les prétentions des pétitionnaires de Liége, nous placent en face des principes fondamentaux de la législation de l’empire, en nous sommant ainsi de les discuter et de les décider. Cette porte ouverte, Dieu sait, messieurs, combien de systèmes improvisés vont y passer, et dans quel chaos nous allons être jetés. Il ne faut pas être prophète pour prévoir s’il nous faudra une longue série de séances pour terminer ce travail, si toutefois nous ne succombons une seconde fois à la peine comme en octobre 1831, est adoptant de guerre lasse un ajournement.

Messieurs, je ne prétends pas opposer une fin de non-recevoir aux systèmes présentés, je regrette, à la vérité, qu’on ne se soit pas circonscrit sagement dans les limites du projet de loi qui nous a été soumis, mais puisque nous en sommes sortis, puisque ces questions fondamentales ont été posées, il faut bien les résoudre ; mais ce que je voudrais imprimer fortement dans vos esprits, c’est de ne pas perdre de vue la base de la loi de 1810 qui doit demeurer comme le phare de cette discussion, et j’espère vous prouver, messieurs, que cette loi dans ses principes, renferme le système qui tient le mieux compte de tous les droits, et concilie le mieux tous les intérêts.

Avant d’aborder la question générale de la propriété des mines que la proposition de M. Rogier a soulevée, je voudrais attirer toute votre attention, messieurs, sur le fait qui a entraîné une partie des membres de cette assemblée dans des dispositions moins favorables qu’ils ne le devraient au principe de concession ; je veux parler de l’action des grandes sociétés financières sur les houillères du pays.

Les corps délibérants, comme vous le savez, messieurs, sont souvent, poussés de droite et de gauche par des influences étrangères à la controverse qui s’agite dans leur sein : une réaction de parti, une question de personne, que sais-je, moins que cela, les poussent à leur insu sur une pente où ils s’arrêtent difficilement. C’est ce qui arrive aujourd’hui à l’égard de la question des mines.

Des sociétés anonymes de charbonnages se sont formées sous le patronage des banques ou de sociétés puissantes, et la crainte de voir résulter de cette centralisation des capitaux un accaparement d’une des matières premières de toute industrie a poussé beaucoup de bons esprits dans une réaction dont je n’examinerai pas ici la légitimité, mais qui ne devrait certainement pas s’exercer à l’égard de la question importante de la propriété des mines, question qu’il faudrait placer en dehors de toute influence étrangère et examiner en elle-même.

Si j’avais à traiter actuellement le problème difficile des banques, en tant qu’on les considère comme étant la main qui distribue les capitaux et qui donne le mouvement aux grandes industries du pays, je me placerais, à certains égards du moins, parmi les adversaires de ce système de centralisation financière ; mais je dois dire, pour être juste que je ne regarde pas comme réels quelques griefs qu’on a articulés contre elles jusqu’ici, et en particulier la hausse du prix des houilles qui se serait élevée bien au-delà du taux actuel, si ces sociétés n’eussent augmenté considérablement la production que le manque de capitaux aurait certainement arrêtée aux anciennes limites.

Le monopole du charbon ne pourrait exister que pour autant que la majeure partie des concessions tombât sous la direction des banques. Aussi longtemps que les sociétés anonymes de charbonnages formeront une assez faible minorité au milieu des exploitations en vigueur, et jusqu’à présent c’est ce qui a lieu, au lieu d’un monopole c’est une plus active concurrence qu’elles créent nécessairement. Or, il dépend du gouvernement d’empêcher que cet abus puisse exister, puisque d’abord il est le maître d’autoriser ou de ne pas autoriser la formation d’une société anonyme, et qu’en second lieu il pourra toujours, comme juge entre les prétendants à la possession de la mine, se mettre en garde contre l’envahissement possible des sociétés centralisantes.

Si cette garantie ne vous paraît pas suffisante, prenez des précautions nouvelles dans la composition du conseil des mines, afin que toutes les chances d’indépendance et de capacité s’y trouvent réunies ; je suis loin de m’y opposer, et l’année dernière j’avais moi-même présenté un amendement dans ce but ; mais je vous adjure de ne pas renverser les bases de la loi de 1810 par une influence étrangère à la question des mines ; comme l’honorable M. Rogier qui pour éviter de voir le monopole dans les mains des associations, demande si on ne ferait pas bien de transporter ce monopole dans celles de l’Etat ; comme les partisans du système que j’appellerais volontiers « système liégeois » puisqu’il nous est arrivé de ce côté, et qui poussés par la même réaction contre les sociétés des capitalistes, se jettent à l’autre extrémité de la question et veulent éparpiller les richesses minérales dans les mille mains inexpérimentées des propriétaires de la surface.

La proposition de M. Rogier qui tend à faire déclarer les mines propriété domaniale, et le système liégeois qui considère les mines comme une propriété ordinaire appartenant au possesseur de la surface au même titre que toute autre propriété, attaquent par les deux bouts opposés le principe de concession tel que la législation de l’empire l’a défini.

Or, quelle est l’idée fondamentale de la loi de 1810 sur la question de la propriété des mines ?

Les législateurs de l’empire se plaçant à une égale distance de ceux qui regardaient les mines comme une propriété domaniale et de ceux qui ne voulaient y voir qu’une propriété ordinaire, les ont considérées comme une propriété d’un genre spécial, d’une espèce toute particulière, sur laquelle le possesseur du sol a des droits, mais dont l’usage laissé à la disposition dans les mains du gouvernement est soumis à des règles auxquelles les autres propriétés ne sont pas assujetties.

En cela, la loi du 21 avril ne fait que réaliser, que traduire littéralement l’article 552 du code civil régulateur du droit de propriété, car cet article admet à l’égard de l’exploitation et de la jouissance des modifications dont il n’est parlé que pour elles seules, modifications toutes exceptionnelles dont les autres propriétés sont affranchies. Je sais bien que certains droits du propriétaire du sol n’en existent pas moins, mais l’idée sur laquelle j’appuie pour y attirer votre attention, messieurs, c’est que la possession des mines comme leur expropriation se trouvent dans une catégorie toute particulière où l’action du gouvernement doit être prépondérante dans l’intérêt général, et que ce serait donc une erreur bien grave de vouloir arguer des principes généraux sur la propriété, quand il s’agira de régler les droits du propriétaire de la surface sur le produit de la mine.

Voilà donc l’idée fondamentale qui a présidé à la législation de 1810, comme à la rédaction de l’art. 552 du code civil, et cette idée est aussi celle qui a servi de base à la loi de 1791 qui n’a été qu’une transaction entre l’opinion de Mirabeau en faveur du système de propriété domaniale et celle des orateurs qui voulaient laisser les mines exclusivement dans les mains du propriétaire du sol.

Une chose curieuse, messieurs, c’est que les systèmes qui divisent la chambre par rapport à la propriété des mines et qui aboutissent à des résultats si opposés, prétendent s’appuyer chacun sur l’intention des rédacteurs de la loi de 1810 pour légitimer leurs prétentions contradictoires.

Sentant le besoin d’avoir de leur côté l’autorité de ces hautes capacités dans la matière, les uns et les autres opposent textes contre textes pour prouver, les uns, que le corps législatif regardait les mines comme étant à l’Etat, et les autres, que cette même assemblée les avait considérées comme appartenant exclusivement au propriétaire de la superficie.

Cette absurde contradiction démontrerait que la loi de 1810 n’a à sa base ni l’un ni l’autre de ces principes, mais il suffit pour le prouver à l’évidence de lire sans prévention l’exposé de la loi et le rapport du comte de Girardin au nom de la commission d’administration intérieure. Je serai sobre de citations, mais elles mettront en plein jour comme je l’ai dit plus haut que les auteurs de la loi de 1810 avaient considéré les mines comme une propriété de son espèce, d’une catégorie toute spéciale.

Voici comment s’exprime l’orateur du conseil d’Etat sur la question qui nous occupe, dans l’exposé des motifs de la loi :

« Les mines sont-elles une propriété domaniale ? Sont-elles la propriété de celui auquel appartient la surface ?.

« On a reconnu d’un côté, qu’attribuer les mines au domaine public, c’était blesser les principes consacrés à l’article 552 du code Napoléon, et porter atteinte à la grande charte civile, premier garant du pacte social.

« On a reconnu, de l’autre, qu’attribuer la propriété de la mine à celui qui possède le dessus, c’était lui reconnaître le droit d’user et d’abuser, droit destructif de tout moyen d’exploitation, droit opposé à l’intérêt de la société.

« De ces vérités, on a déduit naturellement cette conséquence, que les mines n’étaient pas une propriété ordinaire, à laquelle pût s’appliquer la définition des autres biens et les principes généraux sur la possession tels qu’ils sont écrits dans le code Napoléon. »

Messieurs, il est impossible d’exprimer plus clairement l’opinion que je soutiens. La commission d’administration, par l’organe du comte de Girardin, énonce la même opinion dans des termes aussi formels.

Ces passages du rapport vous sont connus, et ils ont été assez cités l’année dernière pour me dispenser de les reproduire.

D’ailleurs, pourquoi recourir à ces commentaires de la loi, puisque ce principe ressort avec évidence des articles 5 et 6 combinés. L’art. 5 établit « que les mines ne peuvent être exploitées qu’en vertu d’un acte de concession ; règle les droits des propriétaires de la surface sur le produit des mines concédées. »

D’abord, vous voyez, messieurs, qu’il ne s’agit pas ici de l’expropriation pour cause d’utilité publique d’une propriété ordinaire, comme on l’a soutenu. Si cela était, cette expropriation ne pourrait pas être faite par un acte de concession donné par le gouvernement, mais uniquement par les tribunaux civils, seuls régulateurs des droits de propriété. L’indemnité due au propriétaire du sol devrait être préalable, ce qui est absurde, puisque la valeur de la mise est inconnue avant l’organisation des travaux ; elle devrait être équivalente, ce qui n’est pas moins absurde, puisque cela supposerait que le bénéfice net fait par le concessionnaires reviendrait en totalité au propriétaire de la surface. Ce ne serait pas le quatre-vingtième panier qui serait dû au propriétaire de la surface ; dans cette hypothèse, ce serait la valeur intégrale de la mine.

L’honorable M. Raikem qui a soutenu l’année dernière le principe que la concession d’une mine faite à tout autre qu’au possesseur du sol était une véritable expropriation pour cause d’utilité publique, aurait dû dès lors arriver à cette conclusion logique que ce propriétaire ne pouvait être privé de sa propriété qu’à charge de recevoir une indemnité équivalente et préalable, et pourtant lorsqu’il a fallu régler cette indemnité à l’art. 9 de notre projet de loi, cet honorable préopinant, si je ne me trompe, a trouvé qu’il suffisait pour indemniser raisonnablement le propriétaire foncier d’augmenter la redevance fixe à 25 centimes, et de déterminer la redevance proportionnelle à 4 p. c. des bénéfices nets.

Ainsi donc, messieurs, le fait même de la faculté laissée au gouvernement par l’art. 5 de la loi de 1810, de transférer la propriété perpétuelle et incommutable de la mine à celui qu’il jugera le plus capable de l’exploiter dans l’intérêt social, prouve clairement que cette propriété n’a pas été regardée comme une propriété ordinaire. Mais s’ensuit-il que le possesseur du sol n’a rien à y voir, n’a aucun droit à revendiquer ? Nullement, messieurs, et l’art. 6 établit non moins clairement qu’il possède des droits sur le produit des mines concédées.

Ici je rencontre comme adversaires ceux qui regardent les mines comme étant à l’Etat. Si ces messieurs se bornaient à soutenir que la question de la propriété des mines devrait être résolue en faveur du domaine public, abstraction faite de la législation existante et des principes du code civil, qu’il s’agirait dès lors de réformer, je conçois que cette thèse serait parfaitement soutenable, et, considérée sous le seul point de vue théorique, cette opinion me paraîtrait fondée ; mais que les partisans de ce système veuillent le concilier avec le code et avec les principes de la loi de 1810, tandis que les rédacteurs de cette loi déclarent qu’ils n’ont pu prononcer que la propriété de mines était domaniale, parce que c’eût été annuler l’article 552 du code et non le modifier, messieurs, c’est là une prétention exorbitante et que pas une raison ne peut justifier.

Messieurs, le principe de la loi de 1810, relatif à la propriété des mines, est aussi éloigné du système d’après lequel cette propriété serait domaniale, que de celui qui considère les mines comme une propriété ordinaire appartenant au possesseur du sol.

Prenant pour base et pour limites l’art. 552 de la grande charte civile, les législateurs de l’empire ont considéré le richesses minérales comme des propriétés d’un genre particulier, mises à la disposition du gouvernement pour qu’elles soient exploitées dans le plus grand intérêt de tous, et sur le produit desquelles le possesseur du sol conserve cependant certains droits.

Voulez-vous maintenant, messieurs, changer ce principe dont l’établissement a coûté tant de travail et de longues méditations à l’assemblée constituante et au conseil d’Etat ? Voulez-vous tenter de faire ce que les rédacteurs de la loi du 21 avril n’ont pas osé, de modifier le code civil, de toucher ainsi aux fondements mêmes de l’ordre social, et cela sans préparation, sans que nous ayons été appelés à décider sur toutes ces graves questions ? Messieurs, il y aurait au moins de la témérité à l’essayer, et vous avez trop de sagesse et de jugement pour le vouloir.

Etant convaincu que les bases de la loi de 1810 seront maintenues, j’examinerai maintenant le problème fondamental qui reste à résoudre. Le voici : Concilier les droits du propriétaire du sol sur le produit des mines, et l’intérêt de la société qui exige que ces richesses minérales soient exploitées par celui qui sera jugé le plus capable d’en faire valoir les produits. Ce produit est celui qui a le plus occupé les rédacteurs des lois de 1791 et de 1810. Je pense donc qu’en comparant attentivement la manière diverse par laquelle il a été résolu à chacune des deux époques, nous serons amenés à reconnaître sur quel terrain nous devons nous tenir pour faire une loi juste et conciliant les divers intérêts.

Les législateurs de la constituante partant de ce principe que l’intérêt général exige que les mines soient à la disposition de la nation, sans rien préjuger sur les droits des propriétaires, ont cru que la manière la plus simple et la plus logique de tenir compte de ces exigences contraires, était d’accorder la préférence au propriétaire de la surface, pourvu que sa propriété seule ou réunie à celle de ses associés, soit d’une étendue propre à former une exploitation, pourvu qu’il justifie de ses facultés et moyens d’exploiter.

Ce droit à la préférence est aussi le mode adopté en Suède depuis l’ordonnance du 20 octobre 1741, mais ce droit y est réglé différemment : quand l’inventeur d’une mine demande au gouvernement l’autorisation de l’exploiter, le propriétaire du sol doit déclarer dans un certain délai s’il veut oui ou non prendre part à l’exploitation. S’il refuse, il est par cela même déchu de son droit ; s’il accepte il entre pour moitié dans l’entreprise d’exploitation et l’inventeur pour l’autre moitié. Vous voyez que la législation de 1791 a pris à la Suède l’idée du droit de préférence, comme elle y a puisé ses principales bases.

La constituante a jugé, comme on l’a fait en Suède, que lorsque le propriétaire du sol ne voulait pas ou ne pouvait pas user de la préférence que la loi lui accorde, il était censé abdiquer. Dès lors, aucune indemnité ne lui était attribuée, parce qu’une indemnité n’est véritablement due qu’en cas de dommage ou de privation, et dans l’espèce le propriétaire n’a aucune privation à subir, puisque la préférence lui est toujours accordée.

La manière dont la constituante a tenu compte des droits du propriétaire a donc été la préférence qui lui était attribuée.

Le conseil d’Etat de l’empire, appelé à résoudre à son tour ce difficile problème, s’est effrayé des résultats défavorables à l’intérêt général qui pouvaient provenir de cette préférence accordée au propriétaire du sol, et il n’a pas osé l’admettre.

Le rapporteur du conseil d’Etat attribue en partie à ce droit de préférence l’état de désorganisation dans lequel les mines étaient tombées en France après la mise en vigueur de la loi de 1791 ; et il va même jusqu’à dire : « Que ce droit a été l’une des inconséquences les plus remarquables de la législation de la constituante, » puisque cette législation ôtait par là d’une main au gouvernement la liberté du choix que l’article premier lui donnait de l’autre.

Les rédacteurs de la loi de 1810, par les articles 6 et 42 ont cru satisfaire plus convenablement aux prétentions du possesseur du sol, en lui accordant une indemnité dont l’élévation serait déterminée par l’acte même de concession.

Cette redevance, à la vérité, est devenue illusoire en fait, puisqu’elle se réduisait la plupart du temps à quelques centimes qui n’étaient pas perçus ; mais c’est là un abus d’exécution. Du reste, il faut reconnaître aussi et ne pas perdre de vue, que d’après les principes admis par le conseil d’Etat sur la question de la propriété des mines, cette redevance ne pouvait pas être non plus trop élevée, puisque d’après ce principe, la mine n’est pas considérée comme une propriété ordinaire liée à la surface, mais comme une propriété toute spéciale mise à la disposition de l’Etat et sur laquelle l’inventeur a des droits tout aussi incontestable que le possesseur de la superficie.

Vous voyez, messieurs, que les droits de ces derniers sont restreints dans de certaines limites, et que dès lors l’indemnité qui lui revient ne peut être exagérée et évaluée trop haut.

Vous aurez sans doute remarqué, messieurs, combien le projet de loi sur lequel nous délibérons est plus favorable que toutes les législations dont j’ai parlé, à l’égard du propriétaire du sol.

D’un côté, il reproduit le droit de préférence consacré par les lois de la Suède de 1791 ; de l’autre, il admet de plus le système d’indemnité adopté par les législateurs de l’empire, et en fixe le montant à un taux plus élevé et plus équitable qu’on ne l’avait fait.

Il y a plus, messieurs, non seulement ce projet réunit, cumule les deux modes divers admis en 1791 et en 1810, et qui, pris séparément, avaient déjà été jugés suffisants pour désintéresser le propriétaire de la surface, mais il y ajoute une indemnité proportionnelle au produit de la mine, ce qui n’existait dans aucune de ces lois précédentes.

Vous voyez, messieurs, combien les prétentions du système liégeois sont pour le moins exagérées ; vous voyez que bien loin de tenir peu de compte des droits du propriétaire du sol, c’est de toutes les lois générales qui ont régi la matière, la plus libérale sans comparaison à l’égard de ces droits, celle où la propriété a été le plus respectée, où elle a obtenu le plus de garanties.

Messieurs, si je ne craignais de voir encore l’adoption de la loi ajournée par les modifications que nous y introduirions, je proposerais de rayer du projet le principe de cette indemnité proportionnelle que je trouve contraire à l’esprit qui a présidé à tenter la loi de 1810.

Je crains de plus que cette nouvelle indemnité, en plaçant les concessions qui seront accordées en vertu de notre loi dans une position très désavantageuse à l’égard des anciennes exploitations, ne nuisent à leur prospérité et empêche finalement qu’il ne s’en établisse.

L’année passée, j’ai combattu de toutes mes forces l’établissement d’une indemnité proportionnelle au profit du propriétaire, parce que je voyais là le renversement d’un des principes fondamentaux de la législation de 1810, et qui consiste à séparer nettement le dessus du dessous, et à faire de la mine une propriété incommutable et totalement distincte de celle du sol. Cette base de la loi en vigueur, vous l’ébranlez fortement en accordant au possesseur de la superficie une indemnité proportionnelle au produit de la mine, car vous confondez par là, vous amalgamez les deux propriétés que l’article 19 de la loi du 21 avril avait voulu nettement distinguer ; vous créez une espèce d’association commerciale entre le propriétaire terrien et le concessionnaire de la mine, dans laquelle le premier apporte son fonds et le second ses capitaux, son industrie et son travail.

« La propriété des mines séparée de la surface, dit le comte de Girardin, c’est là une conception absolument neuve, émanée du génie qui agrandit chaque jour les destinées de l’empire. » Eh bien, messieurs, cette conception neuve, ce principe que tous les hommes d’expérience ont toujours depuis regardé comme celui auquel la loi de 1810 devrait principalement son renom et son efficacité, vous le minez véritablement, vous l’affaiblissez en créant en faveur du propriétaire foncier, l’indemnité proportionnelle dont il est parlé dans le projet de loi.

Froisser ainsi, ne fût-ce qu’indirectement les bases d’une loi que l’on veut cependant maintenir, c’est entre mille inconvénients graves amener celui de poser un précédent, que l’un ou l’autre intéressé au renversement de la loi s’empressera de ramasser pour tirer des conséquences fâcheuses de cette première concession imprudente. Et cela est si vrai, messieurs, que déjà nous pouvons en faire nous-mêmes l’expérience.

La commission en établissant au profit du propriétaire foncier une indemnité proportionnelle au produit de la mine, a entamé indirectement l’une des bases de la loi de 1810. Son exemple a enhardi, et voilà que des pétitionnaires vous proposent d’aller plus loin dans le renversement de la loi, en substituant à cette indemnité, dont le taux est fixé par évaluation arbitraire ou par abonnement, un tantième à prélever sur le produit brut ; une véritable prestation en nature. Cette proposition renverse complètement le principe de la législation du 21 avril, qui détachait la propriété de la mine de la propriété du sol ; dans cette idée, le concessionnaire ne serait plus qu’une espèce de fermier de la mine dont le propriétaire serait le seigneur terrien. Le concessionnaire exploiterait cette ferme souterraine à charge de payer un grand rendage annuel au possesseur de la superficie, et ce rendage en nature ressusciterait une nouvelle espèce de dîme. Cette rente que le propriétaire du dessus toucherait sans aucun travail, sans participer au versement du capital employé, il la toucherait aussi sans inquiétude et sans chances de pertes, puisqu’il entrerait dans le partage des bénéfices sans entrer dans celui des déficits ; de manière, messieurs, qu’il arriverait que l’exploitation d’une houillère amènerait une perte annuelle, et c’est ce qui arrive d’ordinaire pendant les premières années d’exploitation, ou quand les veines sont petites, tandis que le possesseur de la surface palperait imperturbablement son tantième sur le produit brut. Ce serait là, messieurs, une révoltante injustice. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point, puisqu’il me paraît impossible que la chambre consente jamais à revenir à une législation seigneuriale, à une législation qui a présidé à l’enfance des exploitations minières et dont le régime a été sagement remplacé par celui des lois de 1791 et de 1810.

Messieurs, je ne comprends véritablement pas les idées qui dirigent les propriétaires dont je viens de combattre les prétentions exagérées ; car c’est contre leur intérêt bien entendu qu’ils déclament et qu’ils viennent ici plaider. Et en effet, messieurs, chacun sait qu’à mesure que l’exploitation d’une houillère est active, la valeur de la superficie augmente. D’un côté, le mouvement industriel que cette exploitation attire sur les lieux, et de l’autre, l’assainissement du terrain que produit le saignement des eaux, ont amené presque partout pour résultat la double valeur des terres.

Or, les propriétaires du sol, en réclamant des indemnités exagérées, tendent par là à nuire à la prospérité et à l’extension des charbonnages, et certainement ils recevraient les premiers le contrecoup de ce dépérissement industriel par l’abaissement parallèle que subirait la valeur de leur propriété foncière.

Je prie la chambre d’y porter une sérieuse attention : en faisant peser sur l’industrie houilleresse des indemnités, des charges nouvelles, par une imprudente extension des droits des propriétaires terriens, nous amèneront immanquablement une série d’inconvénients les uns plus nuisibles que les autres, et que je vous indiquerai ici rapidement.

D’abord vous élevez le prix de revient du charbon, et par conséquent vous frappez droit sur la consommation qui supportera seule les charges dont la production se trouvera grevée. En second lieu, vous éloignez les inventeurs et les demandeurs en concession découragés naturellement par la perspective de verser une partie de leurs bénéfices, peut-être tous leurs bénéfices, dans les mains du maître du dessus, et puis par les mauvaises chances qu’ils courent dans leurs recherches, puisque la préférence est accordée à celui qui possède le sol. Un autre inconvénient découle de celui-ci, c’est de détourner les capitaux des richesses minérales, et tout cela encore aura pour résultat direct l’augmentation du prix de la houille, et, par une conséquence immédiate, l’augmentation du prix de revient dans toute les industries pour lesquelles le combustible et une condition d’existence.

Ainsi le fer qui, dans l’état actuel de l’industrie et de travaux publics, devient une matière première, le fer devra suivre la houille dans l’élévation des prix, et toutes les manufactures qui s’y rattachent suivront le même mouvement, ainsi les manufactures de cotons où le charbon est un élément essentiel du prix de revient. Après cela, il faudra bien accorder des protections de douane pour lutter avec les pays voisins où la législation sur les mines est plus favorable à la production.

Voici un passage du rapport récent de M. d’Argout sur un projet de loi relatif aux charbonnages de St-Etienne qui a trait à ce que je viens de dire, et sur lequel je vous prie de fixer votre attention.

M. d’Argout pose d’abord les calculs suivants :

L’étendue du terrain houiller par rapport à la superficie totale est en Angleterre dans la proportion de 1/20.

En Belgique, dans la proportion de 1/24.

Et en France, seulement dans la proportion de 1/210.

D’autre part, la production de la houille en 1835 a été pour l’Angleterre, de 244,000,000 de k. métriques.

Pour la Belgique, de 29,000,000 de k. métriques.

Et pour la France, seulement de 29,000,000 de k. métriques, quoique les bassins houillers soient en France d’une étendue double qu’ils ne le sont en Belgique.

M. d’Argout attribuant à ce fait l’infériorité de la France dans le mouvement industriel qui se fait en Angleterre et chez nous, les mines ainsi :

« La connexité entre ces divers faits paraît incontestable : de la supériorité des richesses houillères découle la supériorité de la production du fer et de tous les objets manufacturés, l’économie de la fabrication, et par conséquent la supériorité des exploitations. »

Voyez maintenant, messieurs s’il faut maintenir la Belgique dans cet état de supériorité, on s’il faut le lui ôter en décourageant les nouvelles exploitations.

Une dernière observation sur ce point me parait importante.

Vous savez, messieurs, qu’il existe, à l’heure qu’il est, une lutte entre la Belgique et l’Angleterre pour savoir lequel de ces deux pays producteurs fournira le charbon à la consommation de la France. Vous avez remarqué que dans la discussion à la chambre de France sur l’établissement des différentes zones à former sur le littoral, les intérêts anglais et belges avaient chacun leurs défenseurs. Vous n’ignorez pas non plus que le gouvernement français a un puissant intérêt politique à donner satisfaction aux exigences de l’Angleterre. Eh bien, messieurs, est-ce bien au moment où la Grande-Bretagne fait tous ses efforts pour nous ravir l’immense débouché de la France pour nos houilles, que des législateurs belges iront grever la production de leur pays de nouvelles et lourdes charges, et empêcher ainsi qu’elle conserve les marchés extérieurs qui lui étaient acquis ?

Voulez-vous savoir, messieurs, comment le parlement anglais favorise, lui, les richesses minérales, sources de tant d’autres richesses ? Voici un fait bien remarquable : des craintes sérieuses avaient été manifestées sur l’épuisement des mines dans un temps peut-être prochain ; une enquête avait été ordonnée pour s’assurer de la durée probable des bassins houillers de Newcastle, de Durham et du pays de Galles. Cette enquête a eu pour résultat de constater que les gisements de Durham et de Newcastle ne seraient épuisés qu’au bout de 4 siècles, et que les mines du pays de Galles pourraient suffire à la consommation de l’Angleterre pour un minimum de deux mille années. Eh bien, messieurs, en présence d’un fait si rassurant, le parlement anglais, pour encourager l’industrie houilleresse, a supprimé un droit de cabotage dont les houilles étaient grevées, droit qui donnait un revenu de 25,000,000 de francs au trésor.

En présence de ce fait, messieurs, irez-vous adopter des mesures destinées à gêner l’allure des nouvelles exploitations ? ce serait vraiment vous mettre de connivence avec le parlement anglais contre l’intérêt de la Belgique.

C’est ici le lieu de remarquer que les provinces éloignées des bassins houillers sont plus spécialement intéressées au bas prix de la houille. Les députés des Flandres, par exemple, comprendront que dans leurs provinces, pays de plaines où les forêts sont rares, il est essentiel que le peuple trouve comment se chauffer ; et dès lors ils comprendront le danger d’entraver la production en la bâillonnant par des entraves et des charges trop pesantes.

Messieurs, mon discours est déjà bien long et je n’ai pas encore abordé directement la proposition de l’honorable M. Rogier, ou plutôt l’idée qu’il a jetée en avant, et qu’il est essentiel d’examiner pour connaître si elle ne froisse pas l’intérêt général à tel point que le devoir de la chambre soit de passer outre en voter la loi des mines sans plus tarder.

A la vérité, j’ai combattu implicitement cette idée en défendant le principe de la loi de 1810, qu’elle renverse en déclarant les mines propriété exclusivement domaniale ; mais le système de l’honorable membre a une trop grande portée pour ne pas l’envisager à lui seul et dans son unité.

J’ai déjà énoncé mon opinion relative à la proposition de M. Rogier, dans un journal, alors que des circonstances m’avaient fait craindre de ne pouvoir assister à la discussion de la loi sur les mines que je croyais prochaine à cette époque ; aussi je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit alors de l’idée de faire du gouvernement un grand entrepreneur de travaux publics et d’industrie, et de l’erreur où quelques-uns étaient en s’imaginant lui donner ainsi une influence grande et salutaire.

C’est sous le point de vue de cette influence bien plus que sous celui d’une question d’argent que M. Rogier, si je ne me trompe, s’est placé pour nous présenter son nouveau système ; je ne reviendrai pas sur les idées que j’ai publiées à cet égard, elles se résument à peu près dans ce que vous disait l’autre jour M. Dolez que l’Etat devait être riche de la richesse individuelle des citoyens, et non pas riche de ses propres deniers.

Ce sont peut-être là des lieux communs, comme le disait hier M. Devaux ; mais est-ce notre faute à nous si la proposition froisse de telle manière les notions reçues qu’elle nous force à faire un appel aux vérités triviales ?

Je me bornerai actuellement à énumérer rapidement les mauvais résultats qui résulteraient de la proposition, si elle était admise.

Messieurs, je vous ai montré tout à l’heure que si vous exagériez les indemnités à accorder aux propriétaires terriens, vous alliez nuire à la production de la houille en élevant ainsi le prix de revient, et par une conséquence immédiate vous alliez frapper droit la consommation et les produits des manufactures où le combustible est une espèce de matière première.

Tous ces résultats découlent bien plus encore de la proposition de M. Rogier.

L’honorable membre, pas plus qu’un autre, ne niera, je pense, ce fait de sens commun, que l’Etat exploitera à plus de frais que des particuliers ; déjà il a semblé l’avouer dans les développements de sa proposition, en admettant que là où une société particulière retire 15 p. c., le gouvernement pourra ne retirer que 8 ou 10 p. c.

Les consommateurs, qui sont aussi les contribuables, se soucieraient beaucoup plus du renchérissement qui en résulterait dans le prix du chauffage, que des quelques centimes dont leurs contributions seraient diminuées, dans l’hypothèse toute aventureuse qu’a faite l’honorable M. Rogier.

Voilà donc 5 ou 7 p. c. d’augmentation dans le prix de revient ; voilà la consommation et les produits manufacturés grevés de cette augmentation ; voilà la cause de notre supériorité, selon M. d’Argout, dans la fabrication du fer et dans les exportations qui pourraient être anéanties, si la proposition de M. Rogier était admise.

Pour contredire ces faits il faut nécessairement affirmer que le gouvernement, être abstrait, dont chaque membre en particulier n’aurait aucun intérêt individuel aux plus ou moins grands bénéfices des houillères, qui devrait certainement doubler les frais généraux par un plus grand nombre d’agents à employer, agents toujours fort peu économes, parce qu’ils n’ont pas non plus un intérêt direct à la chose ; il faudrait affirmer que le gouvernement exploitera aussi bien et surtout aux mêmes frais, que des sociétés particulières, dont les membres administrent eux-mêmes, où dès lors l’œil du maître est toujours présent, et dont l’intérêt individuel et l’intérêt si puissant de la famille, aiguillonnent sans cesse la croissante activité.

Ici je rencontre le point principal de la défense de l’honorable M. Devaux.

Si l’intérêt individuel, nous a-t-il dit, est le mobile nécessaire d’une bonne exploitation dans les houillères, les grandes sociétés financières doivent être aussi frappées d’incapacité, car certainement cet intérêt privé y est moindre que dans les petites sociétés composées de quelques membres. Si malgré cela, ces sociétés de capitalistes administrent bien, pourquoi le gouvernement ne le pourrait-il pas ?

D’abord, messieurs, cette argumentation me paraît au moins singulière : parmi les reproches que l’on adresse ordinairement au système des grandes sociétés se trouve celui d’avoir doublé les frais généraux d’exploitation et de tendre ainsi à élever le prix de revient du charbon. Ce reproche est certainement exagéré, mais néanmoins il est vrai dans mon opinion que les frais généraux d’une société anonyme sont plus considérables que ceux des sociétés particulières.

Vous voyez maintenant, messieurs, que l’argument de M. Devaux se réduit à dire : le vice radical qui entache, selon vous, le système de l’exploitation par l’Etat entache aussi, à un moindre degré, il est vrai, le système des grandes sociétés de charbonnages, dont l’Etat doit exploiter. M. Rogier fait sa proposition contre le système de l’exploitation par les banques, apparemment parce qu’il le trouve mauvais, et voilà que pour légitimer celui de son honorable ami, M. Devaux ne trouve rien de mieux que d’éviter l’exemple même des banques, ne trouve rien de mieux que de nous avouer qu’il ne fait qu’agrandir un des vices des sociétés centralisantes ; c’est un véritable cercle vicieux.

Mais la comparaison même qu’a faite l’honorable M. Devaux entre l’administration par les grandes associations et l’administration par l’Etat, pour démontrer que ce qui était possible à la première était impossible à la seconde ; cette comparaison est d’une grande inexactitude : d’abord sous le point de vue du puissant mobile de l’intérêt privé, je l’aperçois d’un côté et nullement de l’autre. En effet, les administrateurs des sociétés anonymes qui gèrent sur les lieux sont toujours les plus forts actionnaires ; leur fortune privée est donc au bout de leur travail, et ce travail n’est pas laissé aux soins d’agents non intéressés. Mais je vous le demande, messieurs, quel intérêt privé, quel intérêt de fortune, car voilà la question, peut avoir, par exemple, M. le ministre des travaux publics et ses chefs de division dans la direction des travaux ? La différence ici est énorme.

Et puis, messieurs, on se fait généralement une fausse idée du mode d’organisation des sociétés anonymes. Les anciens actionnaires qui administraient les sociétés particulières qui se sont ainsi transformées, sont encore ceux qui les administrent actuellement ; ils ont conservé les actions qu’ils avaient antérieurement ; sous le rapport de la gestion, rien donc n’a été changé dans la transformation en société anonyme. Seulement en échange d’un capital versé, les grandes associations financières ont reçu un nombre considérable d’actions, et une part dans la surveillance et l’administration. Vous voyez, messieurs, que le système d’exploitation directe par l’Etat n’a aucune similitude avec ce qui s’est passé à l’égard des grandes sociétés.

M. Devaux l’a très bien senti ; et pour rétablir plus de justesse dans la comparaison, il vous a développé un autre système possible ; celui de faire entrer le gouvernement comme associé pour 1/4, pour 1/2, pour les 3/4, selon les espérances de produits qu’on pourrait concevoir. Ainsi, messieurs, dans ce système, l’Etat laissera les mauvais lots aux particuliers, à charge à eux de se ruiner tout à leur aise ; mais quand une houillère productive se présentera, il fera comme le lion de la fable, il dira aux concessionnaires : cette part m’appartient, parce que je m’appelle lion.

Messieurs, en vérité, c’est trop peu de dignité à réserver au gouvernement qui doit bien plutôt aider les citoyens à s’enrichir que de venir ainsi prendre la dîme sur son travail. Et puis, l’honorable M. Devaux a-t-il bien réfléchi que ce nouveau système qu’il propose n’est que la reproduction en grand de celui tant décrié qui a donné naissance au million Merlin ? C’est exactement la même chose.

Là aussi, le gouvernement devenait actionnaire en échange d’un capital versé dans les établissements qui en avaient besoin ; mais au moins là le but était de venir au secours des industries en détresse ou qui manquaient de capitaux pour ce développer, ce but avait quelque chose de généreux, tandis que dans le système proposé par M. Devaux on rencontre tous les inconvénients connus de l’établissement du million Merlin, sans avoir pour excuse le but de générosité que pouvait avoir le roi Guillaume.

Messieurs, je reviens maintenant au point d’où je suis parti pour répondre à M. Devaux, à savoir que l’Etat exploitant à plus grand frais le prix du charbon s’en augmentera et que dès lors tous les inconvénients à l’égard de la production et des industries manufacturières en découleront inévitablement. Tout ceci me paraît hors de doute.

La proposition de l’honorable M. Rogier entraîne un autre résultat fâcheux pour la production, c’est de détruite la propension aux recherches des mines, d’empêcher même que les recherches aient lieu désormais.

En effet, comme je l’ai déjà dit, quel intérêt voulez-vous que moi, qui ai deviné l’existence d’une richesse minérale, je puisse avoir à poursuivre cette découverte et à faire des recherches pour m’en assurer, puisque aussitôt reconnue, elle rentre dans le domaine exclusive de l’Etat ?

J’ai cité l’exemple de M. Degorges-Legrand qui n’a découvert le riche bassin du Flénu qu’après avoir dépensé jusqu’à son dernier bonnier de terre dans les recherches de plusieurs années. Et vraiment, croyez-vous que le gouvernement aurait mis cette ténacité toute individuelle, cette persévérance à découvrir ce trésor qui a augmenté d’autant la richesse publique ?

Non, messieurs, et si la proposition de M. Rogier était admise, on verrait bientôt cesser ces recherches actives que les lois de 1791 et de 1810 avaient pris à tâche de tant encourager ; et par conséquent ce manque d’extension dans les richesses minérales rétrécirait la production et amènerait tous les résultats déplorables que je vous ai signalés tout à l’heure.

M. Rogier vous disait tout à l’heure qu’on ne pouvait plus arguer de la loi de 1810, que les choses, etc. Mais je suppose que tous ces inconvénients réels n’aient pas le degré d’importance que je leur attribue, encore nous rencontrerions un obstacle d’exécution qui empêchera toujours que la proposition que je discute puisse être adoptée ; cet obstacle, le voici : de deux choses l’une ; ou bien vous mettrez de suite en trait d’exploitation les 3 ou 400 concessions nouvelles qui sont demandées, ou bien vous n’en activerez que quelques-unes sur lesquelles vous aurez fondé plus d’espérance. Dans ce dernier cas, le pays vous accusera de ne pas faire fructifier toutes les richesses minérales qu’il avait mises entre vos mains ; si vous ne les concédiez pas, d’en laisser une partie, la plus riche peut-être, enfouie inutilement dans le sol. C’est alors, que par acclamation, on qualifierait l’état de mauvais producteur industriel.

Si, en vous réservant quelques charbonnages choisis, vous concédez les autres ; ou bien si vous rentrez dans le système de l’honorable M. Devaux, de faire intervenir l’Etat comme actionnaire dans les concessions nouvelles, je ne vois plus quel but vous voulez atteindre. L’honorable M. Rogier dans les développements qu’il a donnés à sa proposition, supposait l’exploitation en grand par le gouvernement de toutes les mines non concédées ; et dans l’hypothèse d’une exploitation profitable ; de cette manière, je conçois qu’il en pourrait résulter un avantage pour les contribuables dont les impôts seraient ainsi diminués de 6 millions annuellement, d’après les calculs de M. Rogier, et qu’il en résulterait pour le gouvernement une assez grande part d’influence dans la sphère des intérêts matériels.

Mais pour amener ces deux résultats il faut admettre le système de M. Rogier tout entier, il ne faut pas le rapetisser de manière à ne plus faire intervenir l’Etat que comme associé, ou comme dirigeant seulement un petit nombre de houillères, car alors vous manquez totalement son but : l’influence du gouvernement sera peu de chose, elle ne pourra lutter dans cette sphère contre l’influence des banques que pour être vaincue, et le dégrèvement des charges publiques se réduira à une mince fraction de centimes pour chaque contribuable.

Si maintenant, pour conserver les avantages hypothétiques du système primitif de M. Rogier, vous voulez que le gouvernement mette toutes les concessions qui lui seraient dévolues, il vous faudrait tout au moins six ans avant que vos houillères soient mises à flots, avant que vous n’en retiriez un centième de bénéfice. Or, voyons quel serait le capital d’établissement que la nation devrait débourser pour créer ces houillères domaniales avant de pouvoir rentrer dans ses intérêts. Les frais d’établissement d’un charbonnage ordinaire est, au plus mince minimum, de 5 à 600,000 fr., sans compter les dépenses d’employés ; or, en multipliant ce capital par les 400 concessions à mettre en activité, vous aurez à dépenser dans une période de 5 à 6 ans la somme de 200,000,000 de francs, ce qui fait 40 millions annuellement. Vous voyez, messieurs, que c’est l’équivalent du budget de la guerre qu’on vous proposerait de voter. Je doute fort que vous consentiez.

Messieurs, je sais qu’à toutes ces raisons qui me paraissent à moi péremptoires, l’honorable M. Rogier va me demander comment il se fait que ce que je regarde ici comme inexécutable est cependant exécuté dans certains pays.

D’abord je répondrai que ce n’est ni en France, ni en Angleterre, ni en Suède, pays modèles en fait de mines, qu’une pareille législation existe encore ; et puis, dans ceux des Etats de l’Allemagne où le gouvernement est ainsi exploitant en concurrence avec les sociétés privées, cet ordre de choses date d’un temps immémorial et la longue habitude qui l’a consacré le rend moins dangereux certainement que s’il fallait l’établir.

Le gouvernement de ces pays a pris lentement en main ces exploitations à une époque éloignée, quand l’industrie était encore dans l’enfance et que l’activité des particuliers était insuffisante et peu éclairée. C’est ce que constate le comte de Girardin dans son rapport ; voici en quels termes : « je pourrais citer, dit-il, beaucoup de pays où le gouvernement seul est en état de supporter les frais d’exploitation des mines. Les compagnies assez puissantes pour l’entreprendre n’existent que dans les Etats riches et florissants. »

Ainsi, messieurs, d’après le comte de Girardin, c’est dans les pays peu avancés en industrie que l’exploitation par l’Etat a dû avoir lieu. Ce serait donc reculer vers l’enfance industrielle des peuples que d’adopter aujourd’hui pour une nation riche et florissante comme la Belgique une législation rétrograde qui n’a existé ailleurs qu’en l’absence des moyens plus avancés que nous possédons.

Messieurs, un défaut essentiel des systèmes mis en avant par MM. Rogier et Devaux, c’est d’oublier complètement, comme l’a fait hier remarquer M. le ministre des travaux publics, les droits des inventeurs, des demandeurs en concessions et les droits des propriétaires du sol.

Vous ne pourriez certes vous dispenser d’indemniser les inventeurs et les demandeurs des concessions nouvelles qui attendent l’autorisation depuis 3 ou 6 ans. Leur découverte a pour ainsi dire créé les mines à concéder qu’on ignorait probablement sans eux ; ils ont dépensé en recherches, leurs temps, leur travail et leur argent. Des indemnités assez considérables seraient donc dues, si l’Etat tenait ces exploitations vers lui.

N’indemniseriez-vous pas les propriétaires ? Leurs droits ont été reconnus par toutes les législations ; prendriez-vous sur vous de les méconnaître ? Froisseriez-vous aussi une idée enracinée dans les mœurs ? Ce n’est pas là certainement d’un homme d’Etat, et je m’étonne que cette proposition nous vienne du banc où siègent les représentants en Belgique, de ce qu’on pourrait nommer le parti des hommes d’Etat.

Je finirai par une considération sur laquelle je désire attirer l’attention de l’honorable auteur de la proposition :

Vous savez, messieurs, que les pays producteurs sont témoins périodiquement de crises commerciales qui jettent sur la rue les populations d’ouvriers ; vous savez aussi combien les partis tâchent souvent de spéculer sur ce malaise pour transformer ces crises commerciales en crises politiques. Or, n’est-il pas évident, messieurs, lorsque le gouvernement sera à la tête de grandes entreprises industrielles, que la responsabilité de ces crises commerciales retombera doublement sur lui, comme gouvernement et comme chef d’industrie.

Aujourd’hui que la cause de ce malaise périodique réside ou dans un excès de production, ou dans les fausses spéculations des industriels, le gouvernement en reçoit déjà le contre coup ; que sera-ce quand toute la responsabilité en pèsera sur lui ? Je crains bien, messieurs, qu’en adoptant la proposition de M. Rogier, et certainement contre son intention bien connue, nous n’amenions une nouvelle chance pour des révolutions futures, nous n’amassions du bois pour cet incendie que les esprits sérieux redoutent de plus en plus.

Par tous ces motifs, je m’oppose à ce qu’une commission soit nommée pour examiner l’idée émise par M. Rogier, que je regarde comme tellement nuisible à l’intérêt public, comme tellement inadmissible, qu’il serait contraire à notre devoir de retarder par là indéfiniment peut-être le vote de la loi sur les mines, dont l’urgence a été reconnue.

Je voterai pour le projet de loi, sauf à adhérer aux modifications que je pourrais regarder comme améliorant le projet.

M. Dubus (aîné), vice-président a, pendant le discours de M. Deschamps, remplacé M. Raikem au fauteuil.

M. Gendebien. - Vous venez d’entendre un orateur contre la proposition de M. Rogier ; je désire savoir si un autre orateur a l’intention de la soutenir. Dans ce cas je l’entendrai et je lui répondrai s’il y a lieu. J’avoue que je ne suis guère tenté d’attaquer une proposition qui trouve si peu d’appui dans cette chambre. Je crois d’ailleurs que la chambre est fatiguée. Quant à moi je renoncerai volontiers à la parole, si on veut clore la discussion.

(Moniteur belge n°99, du 9 avril 1837) M. Raikem. - Comme mon nom a été prononcé dans cette discussion par l’orateur que vous venez d’entendre, et qu’il a paru chercher à me mettre en quelque sorte en contradiction avec moi-même, en citant les discours que j’ai prononces précédemment, je crois devoir prendre la parole à cette occasion et présenter quelques observations sur le projet de loi soumis maintenant à la discussion.

Chaque fois qu’il s’est agi de la matière qui nous occupe, de vifs débats se sont élevés.

Quelques orateurs ont paru regarder comme inutiles certaines questions, et notamment celle sur laquelle l’honorable préopinant a paru vouloir me mettre en contradiction avec moi-même, tandis que d’autres orateurs ont regardé ces questions comme vitales.

Voyons, pour nous fixer sur l’utilité de ces questions, ce que l’on se propose dans le moment actuel, quel est le but que l’on veut atteindre. Le système du gouvernement, d’après l’exposé de M. le ministre des travaux publics, est d’organiser l’exécution de la loi du 21 avril 1810 ; et cependant le projet contient non seulement l’institution d’un conseil destiné à remplacer le conseil d’Etat, non seulement la procédure devant l’autorité qu’on se propose d’instituer, mais encore des dispositions changeant certains principes de la loi du 21 avril 1810, principes que le préopinant a regardés comme fondamentaux.

D’un autre côté, une proposition a été faite dans cette assemblée C’est celle de l’honorable M. Rogier ; elle tend à faire examiner ce qu’il conviendrait de faire dans l’intérêt de l’Etat, à l’égard des mines non concédées.

Un orateur, aux lumières et aux talents duquel chacun se plaît à rendre hommage a fait observer que cette proposition dépend de la question de savoir à qui appartient la propriété des mines : Si l’Etat n’est pas propriétaire, l’examen de la question, suivant lui, est inutile. Si l’Etat est propriétaire, on ne peut, suivant le même orateur, se dispenser d’examiner la proposition de l’honorable M. Rogier. Et toutefois, un orateur qui a soutenu cette même proposition avec un rare talent, a pensé, lui, qu’à l’égard de la proposition de M. Rogier, la question de propriété des mines est absolument inutile. L’Etat, dit-il, peut se faire concéder à lui-même, sauf, s’il y a lieu à indemnise le propriétaire du fonds.

On peut dire qu’il y a presque autant de systèmes qu’il y a d’orateurs qui ont pris la parole ; mais, avant d’entrer dans l’examen des questions qui ont été soulevées, permettez-moi de vous rappeler ce qui s’est passé dans la chambre, à l’égard du projet soumis à la discussion.

Vous savez qu’à la fin de 1831, un projet de loi fut présenté à la chambre. Ce projet avait pour but de remplacer le conseil d’Etat qui n’existait plus, afin que l’on pût exécuter la loi de 1810 ; et pour remplacer le conseil d’Etat, ce projet proposait le conseil des ministres. Une forte discussion s’éleva à cet égard à la fin de 1831, et à cette époque la chambre penchait en faveur du propriétaire. Un jurisconsulte très estimé, qui faisait alors partie de cette assemblée, et qui en fait encore partie aujourd’hui, disait que « l’indemnité doit être fixée en faveur du propriétaire sur le produit de la mine ; et que jusqu’ici on a fixé cette indemnité d’une manière tout à fait illusoire. » Et que concluait-on de ce droit du propriétaire, qu’à cette époque on voulait faire respecter ? Que voulait-on ? Empêcher qu’il ne fût délivré de nouvelles concessions avant que la législature eût pu apporter à la loi existante les améliorations nécessaires pour éviter qu’il ne fût fait du droit de propriété un abus aussi révoltant. » On voulait parler de l’abus qui avait eu lieu sous le gouvernement précédent.

Après de longues discussions où les droits du propriétaire furent soutenus avec force, intervint la loi du 1er juillet 1832 qui autorisait seulement d’accorder la maintenue des anciennes concessions.

Ensuite on proposa le projet de loi qui, après avoir subi quelques modifications, est revenu à la chambre par suite de quelques amendements apportés par le sénat.

Ce projet institue un conseil auquel on confère les attributions du conseil d’Etat ; il contient des dispositions transitoires, et des dispositions de fond ou principales ; ce sont ces dernières que j’examinerai.

Les dispositions principales sont au nombre de trois :

1° Il accorde la préférence au propriétaire de la surface ;

2° Il donne une règle pour déterminer l’indemnité due au propriétaire de la surface, indemnité proclamée dans la loi de 1810 ;

3° Il autorise une expropriation dans l’intérêt des exploitations de mines, et cette expropriation est plus étendue que celle qu’autorise la loi de 1810.

La première et la troisième de ces dispositions principales sont des dérogations à la législation de 1810. Par la deuxième, on veut régler l’exécution de cette loi, ou ce qui concerne l’indemnité due au propriétaire ; mais la règle que l’on propose est-elle équitable ? C’est ce que nous aurons à examiner.

Voilà à quoi nous en sommes parvenus, après un premier projet, dans la discussion duquel on disait qu’il fallait faire cesser des abus révoltants qui avaient eu lieu au préjudice des propriétaires du fonds.

Maintenant, ce que l’on nous propose vaut-il mieux que ce qui, alors, était proposé, et ce qui n’a pas été adopté par la chambre ?

Il y a un conseil spécial des mines au lieu du conseil des ministres qui était proposé ; l’avis de ce conseil ne lie pas le gouvernement en ce sens que le gouvernement n’est pas obligé de concéder quoique l’avis soit favorable à la concession.

Si l’on se bornait à organiser l’exécution de la loi de 1810, nous n’aurions qu’à examiner cette institution ; mais on demande des modifications à la loi de 1810, et dès lors qu’il nous soit permis d’examiner si ce sont des améliorations que l’on propose réellement.

A la discussion de la loi vient se joindre celle de la proposition faite par M. Rogier, et qui a déjà été longuement débattue. Cette proposition mérite d’être examinée si l’Etat est propriétaire des mines ; mais, tout en disant qu’elle mérite d’être examinée, je n’entends rien préjuger sur la solution qu’elle doit recevoir,

J’ai peine à admettre, avec un orateur qui a soutenu la proposition, que l’Etat, quoique non propriétaire, pourrait se concéder la mine à lui-même ; car alors l’Etat serait juge dans sa propre cause.

Si l’Etat n’est pas propriétaire, l’exploitation qu’il se concèderait à lui-même ne pourrait être considérée que comme une expropriation pour cause d’utilité publique.

Ainsi, la question envisagée sous toutes les faces revient toujours à la question de propriété de la mine. Aussi, en 1791, lorsque la loi fut soumise à l’assemblée constituante, le rapporteur fit-il la remarque que la question de propriété était la principale et dominait toute la législation sur les mines.

Qu’il me soit donc permis d’en dire quelques mots ; car il y a, dans le projet actuel, des dispositions qui se rattachent aux droits des propriétaires de la superficie.

On vous l’a dit et répété, dans la session précédente, le droit romain et la législation du pays de Liége ne laissent aucun doute sur les droits des propriétaires du fonds.

Quant au point de savoir si dans l’ancienne France les mines étaient la propriété de l’Etat, si dans le Hainaut elles étaient la propriété des seigneurs ou des propriétaires du fonds, cette question a souffert de sérieuses difficultés.

Un des premiers jurisconsultes de notre siècle a traité cet objet sous tous les rapports ; sa solution est plutôt en faveur des propriétaires du fonds qu’en faveur de l’Etat ou des seigneurs. Cependant l’Etat et les seigneurs s’étaient attribué le droit d’autoriser les exploitations ; dans le Hainaut, c’était là un des attributs de la puissance féodale. Tel est le système auquel M. le ministre des travaux publics donne la préférence sur celui du pays de Liége.

Quant à l’assemblée constituante, elle décida le droit plutôt en faveur des propriétaires du fonds. En effet, le projet qui avait été présenté à cette assemblée mettait les mines à la disposition de la nation ; mais, pendant la discussion, il subit des modifications ; et, tout en déclarant que les mines ne pouvaient être exploitées sans le consentement du gouvernement, on a mis dans la loi que le propriétaire pouvait exploiter jusqu’à cent pieds de profondeur. C’était là reconnaître le droit du propriétaire. De plus, le droit d’exploiter la mine ne pouvait être refusé au propriétaire. Il est vrai que si le propriétaire ne l’exploitait pas, on ne devait pas la laisser stérile, et on pouvait en disposer en faveur d’autres personnes. Tel était le système de la législation de 1791.

Le code civil confirme la propriété des mines en faveur des propriétaires.

Le système de la législation de 1810 fut de faire, au moyen de la concession de la mine, une nouvelle propriété distincte de la propriété de la surface, mais en réservant des droits aux propriétaires de la superficie. Puisque ce sont ces droits que nous voulons régler par le projet, voyons ce qu’ils étaient dans la loi de 1810, et si l’on ne sort pas de ce système.

Je pense qu’un tel examen nous conduira à la conséquence que dans le projet actuel, sous le prétexte d’améliorer la législation de 1810, on place les propriétaires dans une position plus désavantageuse que celle qu’ils avaient.

Ici il faut bien distinguer entre les principes de la loi de 1810 et l’exécution qui lui a été donnée ; car vous savez que les principes peuvent être faussés dans l’application, qu’une loi juste peut être envisagée comme injuste par suite d’abus dans l’exécution. Voyons donc ce que dit la loi de 1810 en elle-même, et malgré les fausses applications qui, selon nous, lui ont été données.

Le principe de la loi de 1810 se trouve dans son art. 19 : « Après la concession de l’exploitation la propriété de la mine sera distinguée celle de la surface ; ce sera désormais une propriété nouvelle qui sera formée par la concession. »

Tous les termes de cet article : « propriété nouvelle », « sera distinguée de la surface », prouvent donc qu’avant la concession la propriété de la mine n’était pas distinguée de la propriété de la superficie que ces deux propriétés n’en faisaient qu’une, et que la concession est une véritable expropriation. Ainsi ce que j’ai dit, à une époque antérieure, sur ce point, je n’ai nul lieu de le rétracter, et quand même on ne donnerait pas, dans ce cas, une indemnité préalable, comme dans tous les autres cas d’expropriation, cela ne peut changer en rien les droits si la nature des choses fait obstacle à ce que l’indemnité soir préalable.

D’après la loi de 1810, une indemnité est réservée au propriétaire. Dans l’intention du législateur, sans doute que l’indemnité ne devait pas être illusoire.

Cela est si vrai que dans les articles 51 et 53, tout en maintenant les concessions faites antérieurement, on maintient en même temps les conventions faites avec les propriétaires de la surface, en déclarant que les articles de la loi de 1810 ne s’appliquent nullement à ces conventions Vous savez que ces conventions consistaient dans la redevance d’un tantième du produit de la mine. Or, quand on maintient des conventions antérieures, peut-on croire que le législateur eût l’intention de rendre illusoire l’indemnité qu’il accordait pour l’avenir aux propriétaires de la surface ? Evidemment non.

Voyons maintenant quels sont les droits du propriétaire de la surface d’après la législation de 1810, et cet examen nou, prouvera qu’une telle législation sagement exécutée vaudrait mieux pour les propriétaires que le projet en discussion.

Il ne faut jamais modifier une législation si ce n’est pour l’améliorer ; car, sans cela, il vaut mieux conserver l’ancienne.

L’indemnité due aux propriétaires est l’objet des dispositions des articles 6 et 42 de la loi de 1810 ; permettez-moi de vous en rappeler les termes :

« Art. 6. Cet acte (l’acte de concession) règle les droits du propriétaire de la surface, sur le produit des mines concédées.

« Art. 42. Le droit attribué, par l’art. 6 de la présente loi, au propriétaire de surface sera réglé à une somme déterminée par l’acte de concession. »

Le rapprochement de ces deux articles donne lieu à des réflexions : c’est sur le produit des mines que le propriétaire de la surface des droits, la loi le reconnaît formellement ; mais ce produit n’est pas connu lorsque la concession est accordée. Comment donc les droits seront-ils réglés à une somme déterminée par l’acte de concession ? On ne peut pas supposer qu’il y aurait antinomie entre les deux articles de la même loi ; le premier est rappelé dans le second : on ne peut pas non plus supposer que le second dérogerait au premier ; il serait indigne de la sagesse du législateur de déroger dans une même loi à des dispositions y contenues. Si l’on avait voulu modifier l’art. 6, on aurait changé l’article lui-même, et l’on n’aurait pas employé pour cela une autre disposition.

On doit donc à la fois exécuter les dispositions des articles 6 et 42 ; ainsi l’acte de concession doit régler les droits des propriétaires de la surface sur le produit des mines concédées, et le droit doit être réglé à une somme déterminée par l’acte de concession ; comment alors déterminer une somme représentative du droit du propriétaire de la surface sur le produit des mines, alors que ce produit n’est pas encore connu et ne pourra l’être que par l’extraction ?

L’expression « somme » ne peut pas signifier ici une certaine quantité d’argent ; d’autres articles de la loi nous le font voir assez clairement. Suivant l’article 18, la valeur des droits du propriétaire demeure réunie à la valeur de la surface, et est affectée avec elle aux hypothèques des créanciers ou propriétaires ; or, une somme d’argent n’est pas susceptible d’hypothèque.

La somme dont parle l’art 42 est donc autre chose qu’une somme d’argent. L’art. 19 qualifie de redevance les droits du propriétaire sur le produit des mines, mais cette redevance doit être autre chose qu’une rente annuelle ; elle doit tenir du foncier, car autrement elle ne serait pas non plus susceptible d’hypothèque : c’est donc une redevance qui forme une propriété foncière comme celle de la surface.

De la combinaison des articles 6, 18 et 19 de la loi de 1810, il résulte que les droits du propriétaire de la surface consistent en une redevance sur les produits des mines, et que le droit doit être réglé par l’acte de concession.

Comme le produit des mines est susceptible de varier, ce n’est donc pas une somme fixe qui doit être déterminée par l’acte de concession aux termes de l’art. 42, c’est une somme proportionnée au produit de la mine et susceptible de varier avec ce produit ; c’est donc un tantième du produit qui doit être déterminé par l’acte de concession. Interpréter l’art. 42 d’une autre manière, ce serait le mettre en contradiction avec les autres articles de la loi.

Si la loi du 21 avril avait été exécutée comme elle aurait dû l’être, si dans son exécution on avait suivi exactement toutes ses dispositions, tous les intérêts auraient été satisfaits : le propriétaire du sol aurait eu son droit sur le produit des mines ; l’acte de concession en aurait équitablement déterminé la somme, c’est-à-dire la quotité du droit.

Ainsi, messieurs, ce sont des vices d’exécution dont on peut se plaindre plutôt que des vices de la loi elle-même. Dans une aussi grande diversité, dans une aussi grande étendue de territoires que ceux qui composaient la France en 1810, le législateur devait désespérer de tout prévoir ; il fallait donc bien que pour l’exécution de la loi il s’en rapportât au pouvoir exécutif. Le gouvernement a faussé la loi par l’exécution qu’il y a donnée.

On dit aujourd’hui qu’il ne faut pas changer la loi de 1810, et que dans le projet on veut tracer des règles destinées à empêcher le renouvellement des abus de pouvoir qu’on a vu commettre à l’égard des mines.

On veut donc respecter les droits des propriétaires, qui auparavant avaient été méprisés ; mais les moyens qu’on propose sont loin de remplir le but qu’on semble vouloir atteindre : on veut calculer les droits des propriétaires sur les redevances de l’Etat ; mais que l’on calcule quels sont les droits, quelle sera par suite la part du propriétaire du sol, et l’on verra que l’on ne change rien aux concessions accordées par le gouvernement précédent, qu’en réalité, l’exécution de la loi sera la même, qu’il n’y aura en quelque sorte que les termes de changés.

Je ne sais pas au juste, messieurs, combien il y a d’hectares qui sont actuellement concédés ou exploités ; mais notez que la loi accorde indéfiniment à tous les propriétaires une part dans le produit des mines, et je vous ferai observer que d’après le budget des voies et moyens, la redevance de l’Etat est fixée à 70,000 fr. : or cette redevance est calculée à raison de 2 1/2 p. c., et si vous établissez les droits des propriétaires au maximum fixé par le projet, vous aurez 84.000 fr. à répartir également comme indemnité entre tous les propriétaires de la superficie où l’on exploite des mines ; cela reviendra peut-être à 1/2 franc ou à 1 franc par hectare. Il n y aura donc rien de changé à la redevance qui avait été fixée par le gouvernement précédent au taux de 25 cents ou 50 cents, plus ou moins. Si vous prenez le minimum de un pour cent, ce sera bien moins encore ; alors vous aurez 28,000 fr. pour tous les propriétaires, ce qui fera peut être de 20 à 30 centimes par hectare. Vous voyez donc que, sous prétexte d’accorder quelque chose aux propriétaires, on ne leur accorde en réalité rien du tout. Il vaudrait mieux, si l’on ne veut rien accorder aux propriétaires le dire franchement dans la loi.

On a élevé des difficultés sur la question de savoir quel est le produit net sur lequel la redevance doit être calculée : lorsque M. le ministre des finances avait proposé à la chambre d’élever le droit de 2 1/2 p. c. au taux de 5 p. c., cette question a été agitée dans la section centrale, qui a pensé à cette époque qu’il ne fallait rien changer alors à ce qui existait pour les redevances des mines, parce que, disait-elle, la question soulevée serait beaucoup mieux débattue dans la discussion de la loi sur les mines, lorsqu’il faudrait non seulement fixer le mode de percevoir l’impôt dû à l’Etat, mais encore fixer le droit attribué aux propriétaires ou plutôt régler l’étendue de ce droit. Eh bien, actuellement, on nous propose de voter une loi qui règle la prétendue indemnité des propriétaires, sans même dire comment cette indemnité sera fixée, sans dire si pour former le produit sur lequel la redevance sera calculée, on déduira du produit brut toutes les dépenses quelconques, tant les dépenses des opérations préliminaires que les dépenses de l’extraction ; ou si l’on déduira seulement ces dernières ; on se sert d’un mot, mais on ne définit pas la chose ; on dit que la redevance sera calculée sur le produit net, mais on ne dit pas ce que c’est que ce produit net.

Messieurs, si l’on suit le système qui paraît avoir été suivi jusqu’ici par l’administration, si l’on déduit toutes les dépenses, tant les dépenses de premier établissement, les dépenses des travaux préparatoires que les dépenses d’extraction, alors le produit net se réduira à bien peu de chose ; et, comme je l’ai déjà fait observer, ce produit net dépendra beaucoup de la bonne foi que mettront les exploitants dans le compte qu’ils rendront de ce qui a été extrait et dépensé, de l’exactitude avec laquelle ils établiront leur débet et leur avoir à cet égard.

Si vous adoptez le système consacré par le projet qui vous est proposé, l’indemnité du propriétaire de la surface se réduira à presque rien, et vous vous trouverez sous le même régime qui a été si énergiquement attaqué au mois d’octobre 1831. Je dirai plus, vous changerez la loi de 1810 au détriment des propriétaires du sol, sous prétexte d’améliorer un état de choses résultant de ce qu’on avait faussé cette loi dans son exécution.

Mieux vaut conserver purement et simplement la loi de 1810, se borner à instituer une autorité destinée à remplacer le conseil d’Etat et lui tracer des règles de procédure.

Au moins alors, le propriétaire du sol pourra réclamer les droits que la loi de 1810 lui attribue ; il pourra démontrer qu’elle a été faussée dans son exécution ; il pourra établir le fondement de ses prétentions devant l’autorité publique.

Mais non, on veut tout lui ravir par une indemnité aussi dérisoire que celle que stipulait le gouvernement déchu.

Alors, le propriétaire du sol n’était que la victime du gouvernement ; il pouvait espérer le retour à des principes plus équitables. Aujourd’hui on veut le rendre victime de la loi.

J’ajouterai, messieurs, que la loi de 1810 a été exécutée en France d’une manière un peu différente de celle dont elle l’a été dans les Pays-Bas, et l’on peut voir à cet égard une ordonnance française du 17 novembre 1824, où des droits de tantième sont attribués par l’acte de concession au propriétaire de la surface. Or, où la loi de 1810 était-elle le mieux exécutée ? Etait-ce en France où un tantième était accordé au propriétaire de la surface, ou bien était-ce en Belgique où, sous le gouvernement précédent, on accordait des concessions de mines au prix de cinq, vingt-cinq, et quelquefois cinquante cents l’hectare ? allocation tellement modique qu’il est de notoriété que les propriétaires ne sont pas venus la réclamer, tandis que la loi de 1810 dit positivement dans un de ses articles que cette valeur accordée au propriétaire de la surface sous laquelle la mine se trouve, sera réunie à la propriété de la surface, et que les hypothèques consenties par le propriétaire de la surface s’étendront à l’indemnité qui lui aura été accordée à propos d’une concession de mine. Est-ce qu’on entendait par là proclamer dans la loi qu’on aurait hypothéqué sur cinq, vingt-cinq ou cinquante cents ?

Véritablement, messieurs, il faut vouloir calomnier les intentions du législateur, pour exécuter la loi comme on l’a fait précédemment.

Je crois donc, messieurs, qu’on n’améliore en aucune façon la position du propriétaire de la surface par l’indemnité qu’on propose de lui accorder et qu’en réalité il vaudrait mieux ne lui en allouer aucune, si l’on croit qu’il ne lui en est pas dû.

Que veut-on lui accorder en outre ? On veut lui accorder la préférence ; cette préférence qu’un honorable préopinant a voulu critiquer dans cette enceinte était accordée au propriétaire par la loi de 1791. Mais les conditions qui, d’après le projet, s’attachent à cette préférence rendront, comme l’a déjà fait observer un honorable député de Nivelles, rendront, dis-je, cette préférence la plupart du temps illusoire.

Et quel avantage, messieurs, accorde-t-on en réalité au propriétaire du fonds par la loi que nous discutons maintenant ? C’est d’être exproprié hors des cas prévus par la législation précédente, aux termes d’un article qui vous est proposé dans la loi nouvelle, tandis que par d’autres articles nous accordons au propriétaire des droits en quelque sorte illusoires, nous lui imposons, par l’article dont je parle, une charge véritablement onéreuse ; cet article ne fait même aucune distinction entre les diverses propriétés, soit bâties, soit non bâties ; on pourra déclarer qu’il y a utilité publique, sauf à avoir ultérieurement égard à la nature de la propriété lors de l’évaluation.

Ainsi, messieurs, l’on ne peut pas dire qu’on ait accompli ce qu’on a réclamé à cette tribune au mois d’octobre 1831, pour améliorer la position des propriétaires. Loin de la rendre meilleure, le projet de loi que nous discutons rend cette position plus désavantageuse. Voilà, après les discussions qui ont été soulevées en 1831, où nous en sommes maintenant parvenus.

Mais pendant qu’on se montre aussi rigoureux envers les propriétaires, quelles précautions vous propose-t-on dans la loi, pour régler les concessions qui seraient accordées ? Quelles conditions impose-t-on au conseil des mines ; au gouvernement ?

On ne leur impose aucune espèce de condition, sauf cette préférence illusoire, qui est stipulée en faveur du propriétaire de la surface, le gouvernement peut concéder comme il le trouve à propos.

N’est-il pas à craindre maintenant qu’on n’emploie des prête-noms, pour demander des concessions qui, par la suite, seraient rétrocédées à des personnes à qui le gouvernement ne les aurait pas accordées, si elle les avait demandées directement ? Aucune précaution n’est prise dans la loi, et toutes les concessions seront consommées, dès que vous aurez l’avis du conseil des mines et que le gouvernement aura consacré ces avis.

Ainsi donc, tandis que nous prenons tant de précautions en d’autres matières, nous n’en prenons en quelque sorte aucune dans la matière la plus importante, dans les concessions de mines.

Messieurs, on nous a dit que l’industrie réclamait aussi ses droits. Il faut sans doute, et je le reconnais bien volontiers, il faut que nous favorisions l’industrie de tous nos moyens ; mais ce doit être la véritable industrie, l’industrie de production, et non pas telle industrie qui pourrait se former en dehors de celle-là. Craignons, messieurs, que notre projet de loi sur les mines ne vienne favoriser plutôt ceux qui chercheraient à profiter de l’industrie que les véritables industriels.

Mais si nous devons et voulons favoriser l’industrie, est-ce une raison pour ne pas respecter les droits du propriétaire ? Est-ce une raison pour ne pas exécuter la loi de 1810, comme je crois avoir démontré qu’on aurait dû l’exécuter toujours ? Est-ce une raison enfin pour refuser absolument toute espèce de droit au propriétaire, et pour établir en sus à son égard le nouveau désavantage que j’ai signalé ?

Je crois, messieurs, que l’on pourrait, par des dispositions mieux coordonnées avec la loi de 1810, si l’on veut du régime de cette loi, que l’on pourrait, dis-je, concilier ce que réclame le respect pour la propriété dont on ne peut s’écarter sans porter atteinte aux premières maximes sociales, avec ce qu’exigent les besoins de l’industrie que chacun de nous s’empressera toujours de favoriser, mais dans un cercle juste et équitable.

Des membres. - A demain ! à demain !

Naissance du prince royal

M. le président. - Messieurs, on vient de m’annoncer que S. M. recevra demain à midi la députation de la chambre qui a été chargée d’aller féliciter le Roi, au sujet de la naissance d’un prince. Je crois, messieurs, qu’on pourrait fixer la séance de demain à une heure. (Oui ! oui !)

- La séance est levée à 4 heures et demie.