(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1837 et Moniteur belge n°73, du 14 mars 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1837) M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. le président procède par la voie du sort au renouvellement des sections.
M. Lejeune donne lecture du procès- verbal de la séance. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les officiers et sous-officiers, les employés de deuxième et troisième classe des douanes du contrôle de Zelzaete et de Saint-Nicolas, demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoyé à la commission des pétitions.
« Un message du sénat, en date du 10 mars, informe la chambre que le sénat a adopté, dans sa séance du même jour, le projet de loi contenant le budget des finances, des non-valeurs et remboursements et des dépenses pour ordre de l’exercice 1837.
- Pris pour ratification.
M. Troye annonce à la chambre que par suite de l’indisposition grave de sa mère, il lui est impossible d’assister à la séance.
- Pris pour information.
M. le président. - La discussion est ouverte sur les diverses propositions relatives au chapitre III du budget de la guerre, concernant le service de santé.
La section centrale propose l’adoption des divers crédits demandés par le gouvernement, et, relativement aux pièces concernant le service de santé, qui lui ont été renvoyées par la chambre, elle fait la proposition suivante :
« Nous avons l’honneur de vous proposer de déclarer, messieurs, qu’il sera fait une enquête pour vérifier s’il existe des abus dans le service de santé de l’armée ; et, en cas qu’il en existe, quels sont ces abus ? qu’en conséquence, il sera nommé par la chambre, à la majorité absolue des suffrages, une commission composée de sept membres, laquelle sera chargée de recueillir tous les renseignements concernant les abus allégués, et d’en faire rapport à la chambre. »
M. Milcamps a déposé une proposition conçue en ces termes :
« J’ai l’honneur de proposer que M. le ministre de la guerre soit invité à faire un rapport ou tout au moins à donner des explications sur les abus qu’on prétend avoir existé, ou exister, dans le service de santé.
M. Milcamps est appelé à développer sa proposition ; il s’exprime en ces termes. - Messieurs, la proposition que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau n’a pas pour objet d’entraver ni d’arrêter vos délibérations sur la proposition de nommer une commission d’enquête, chargée de vérifier les abus signalés dans le service de santé, mais bien d’imprimer à la discussion une marche régulière que réclame la dignité de la chambre et du ministère.
N’est-il pas évident, messieurs, que lorsque la chambre signale des vices ou des abus dans une branche quelconque de l’administration générale, c’est au ministère à répondre, à s’expliquer ? Eh bien, messieurs, c’est là le but de ma proposition.
C’est, veuillez le remarquer, c’est la chambre qui agit ici, et sans qu’aucune plainte lui ait été adressée, car je ne vois personne se présenter comme une victime des agents du pouvoir, dénoncer des abus d’autorité, demander la réparation d’un tort ou d’un préjudice personnel, je ne vois même personne venir nous signaler des abus ; et, permettez-moi de le dire, nous semblons agir sous les inspirations de la presse.
Les sections qui se sont occupées de l’examen du budget de la guerre, ont, à l’occasion du crédit demandé pour le service de santé, exprimé le désir d’avoir des renseignements sur les abus signalés dans ce service.
La section centrale s’est empressé, de les demander à M. le ministre de la guerre, et dans son rapport elle nous dit que, d’après quelques explications données on ne trouve jusques vers la fin du second trimestre de 1832, l’allégation d’aucun fait de nature à motiver le blâme, contre le service de santé.
Une acquisition de charpie, qui eut lieu dans le second semestre de 1832 a été la première cause d’attaques violentes dirigées par la presse.
Un second fait est celui qui a rapport à un changement des échantillons conservés à la pharmacie centrale, dont la possibilité fut signalée dans le cours de février 1833.
Un troisième fait est celui de la falsification du sulfate de quiquine par la salicine au sujet de laquelle les tribunaux sont saisis d’une action.
C’est par suite de ce rapport que la chambre s‘es trouvée saisie de la question des abus signalés pendant la discussion générale.
Des pièces ayant trait à cette question ont été déposées sur le bureau de la chambre par M. le ministre avec refus d’y comprendre le rapport des officiers généraux.
Ces pièces ont été renvoyées par la chambre à la section centrale du budget de la guerre chargée de faire un rapport sur cette affaire.
Dans la séance du 7 de ce mois, la section centrale a fait son rapport ; il en résulte qu’elle a remarqué qu’il avait été articulé que des fournitures de mauvaise qualité avaient eu lieu et qu’elles avaient été acceptées ; elle fait observer que s’il y a eu fraude dans la livraison ou dans l’acceptation, ce serait un délit prévu par l’art. 433 du code pénal ; elle ajoute que ses principaux faits remontant à plus de trois années, l’action publique serait éteinte par la prescription.
Mais prenant en considération qu’il importe d’éclaircir ce qui est relatif au service de santé, d’en constater les abus, la commission nous propose de déclarer qu’il sera fait une enquête pour vérifier s’il existe des abus, en cas qu’il en existe, quels sont les abus, et de nommer une commission d’enquête.
Je n’examine pas si l’enquête proposée a pour objet de constater les abus signalés par la presse et qui sont anciens, ou s’il s’agit de constater des abus que l’on prétendrait exister actuellement, d’en découvrir les causes, les faire disparaître, s’il y a des améliorations à introduire dans le service de santé.
Je n’examine pas si l’enquête proposée doit être dirigée directement ou indirectement contre des employés attachés au service de santé et subordonnées au ministre, s’il s’agit de rechercher des délits ; je n’examine pas jusqu’à quel point une pareille enquête réfléchirait contre le ministre, ces points doivent être réservés à la discussion de la proposition de la commission.
Je veux seulement faire observer que cette affaire ne me paraît pas être dans un état tel qu’elle nous permette de nous prononcer sur la proposition de nommer une commission chargée de faire une enquête.
Il y a, ce me semble, un préalable à observer, c’est d’entendre M. le ministre de la guerre.
Des abus, vrais ou supposés, dans le service de santé, ne sont pas dénoncés, mais ils sont allégués par les sections, ce sont les sections et la section centrale qui ont saisi la chambre de cette affaire. Ces abus sont anciens, à ce qu’il paraît ; ils ont compromis la santé du soldat. Il doit exister au ministère de la guerre des pièces qui ont trait à cette affaire. M. le ministre de la guerre en a produit un grand nombre, mais n’a-t-il pas à s’expliquer sur leur contenu, et sur les abus en général. Depuis qu’il est au ministère son attention a été éveillée, il a dû s’en occuper ; ce qu’il sait, il doit le dire à la chambre, c’est son devoir, mais je dois convenir qu’il a déjà annoncé qu’il était prêt à le remplir.
Par quelle raison, par quel motif ne demanderait-on pas ces explications ?
Serait-ce parce que dans une séance précédente, M. le ministre aurait déclaré que, dans sa conviction, le chef du service de santé n’a manqué ni à l’honneur, ni à la probité.
Serait-ce parce que M. le ministre aurait refusé de communiquer le rapport de la commission d’officiers-généraux ?
Mais pour la chambre, il ne s’agit pas d’une question de personnes et spécialement du chef du service de santé. Des abus ont pu exister, bien qu’aucun reproche ne puisse être imputé au chef du service par la chambre, il s’agit en général d’abus qui auraient compromis la santé du soldat, il s’agit d’en prévenir le retour ; mais s’il en a existé, M. le ministre doit nous les faire connaître, et ce sera un premier pas de fait pour la découverte de la vérité.
Quant au refus de communiquer le rapport de la commission des officiers généraux, il se peut que ce rapport répandrait du jour sur la question, mais enfin la communication en est refusée parce qu’il n’a été demandé et donné que confidentiellement.
Messieurs, je crois à cette assertion de M. le ministre, d’autant plus qu’il ne doit pas ignorer, qu’aucun renseignement utile ne doit être refusé à la chambre par les ministres du Roi et que leur premier besoin étant celui de la confiance, ils doivent appeler cette confiance par la plus grande, par la plus entière franchise dans les communications. Il faut donc croire que si M. le ministre ne produit pas le rapport des officiers généraux, c’est pour qu’on n’en attribue pas la communication à sa déloyauté.
Permettez-moi, messieurs, une assimilation : nos tribunaux n’ont aucun égard aux lettres écrites des tiers lorsqu’elles sont produites en justice sans l’aveu de celui qui les a écrites. Et vous savez avec quelle énergie l’orateur romain s’expliquait là-dessus dans la seconde philippique en reprochant à Antoine l’abus qu’il avait fait de ses lettres en les divulguant.
S’il a existé ou s’il existe des abus dans une partie quelconque de l’administration, qui donc est le premier intéressé à les découvrir, à les réprimer ? N’est-ce pas le gouvernement ? Et pouvez-vous penser qu’une accusation, car je l’appelle ainsi, qui a fait tant d’éclat, n’ait pas éveillé l’attention, la sollicitude du gouvernement, qu’il n’ait fait aucune investigation, qu’il n’ait pris aucune mesure ? Pensez-vous sérieusement qu’il n’a rien à nous apprendre ?
Je ne veux devancer ni les explications du ministre, ni votre délibération, mais je persiste à penser que préalablement à la discussion de la proposition de la commission, la chambre doit inviter M. le ministre à faire un rapport ou donner des explications raisonnées sur les abus signalés dans le service de santé.
- La proposition de M. Milcamps est appuyée.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, la proposition de l’honorable M. Milcamps est tout à fait d’accord avec la déclaration que j’ai faite à plusieurs reprises dans la discussion générale ; j’ai dit que ce que je désirais le plus, c’était que la plus grande lumière fût répandue sur la question, qu’elle fût l’objet de l’examen le plus approfondi tant dans la section centrale que dans la chambre ; je suis prêt, messieurs, à donner toutes les explications désirables, à répondre à toutes les interpellations qu’on voudra me faire avant le vote du budget. Si c’est là le sens que l’honorable M. Milcamps attache à sa proposition, je ne vois, pour ma part, aucune objection contre son adoption, au contraire, elle entre alors complètement dans mes vues.
M. Dumortier. - Je voudrais que l’honorable M. Milcamps nous dît ce que signifie sa proposition, qu’il nous dît si sa proposition écarte celle de la section centrale.
M. Milcamps. - Ma proposition est toute simple, toute claire : des abus sont signalés dans le service de santé, je demande que le ministre s’explique sur ces abus, comme je l’ai demandé tout à l’heure ; n’est-il pas évident que lorsque des abus sont signalés dans une branche quelconque de l’administration générale, il est du devoir du ministre de s’expliquer sur ces abus ? Mais, messieurs, c’est là la marche que nous suivons tous les jours. En déposant ma proposition, je n’ai pas pu savoir si M. le ministre avait ou n’avait pas un rapport à faire, avait ou n’avait pas des explications à donner ; mais il m’a paru qu’il fallait éclaircir la question de savoir si nous avons à voter sur quelque chose de réel ; car aucune plainte n’est adressée à la chambre, aucune dénonciation n’est faite ; nous agissons ici sous les impressions de la presse, et rien de plus. Je demande si l’attention du ministère n’a pas dû être éveillée sur une affaire qui a fait tant d’éclat, si le ministère ne sait pas quelque chose sur ce qui s’est passé dans le service de santé. Ce sont des explications à cet égard que je demande ; si le ministère n’a pas d’explication à nous donner, eh bien, la discussion suivra son cours.
M. Doignon. - Messieurs, je rencontrerai la proposition de M. Milcamps tendant à obtenir de M. le ministre un rapport et des explications.
Mais j’établirai d’abord que la chambre doit, dans l’espèce, user de son droit d’enquête, et que cette mesure est indispensable.
J’appuierai donc de tout mon pouvoir les conclusions de la section centrale, tendant à ce qu’il soit procédé à une enquête parlementaire sur le service de santé de l’armée, conclusions, du reste, conformes à l’opinion que j’ai déjà exprimée au commencement de la discussion générale.
Vis-à-vis du gouvernement, la chambre a incontestablement le droit de contrôler et de blâmer, et par conséquent celui de s’éclairer sur certaines branches de son administration, avant de voter la dépense qui les concerne. Ce droit d’enquête est d’ailleurs une prérogative que l’art. 40 de la constitution lui assure en termes formels.
Dire qu’exercer ce droit d’enquête, c’est placer l’administration dans les chambres, ce n’est là qu’un pur sophisme. On se plaît ici à confondre deux objets parfaitement distincts : autre chose, messieurs, est d’administrer ou de s’immiscer activement dans une administration, autre chose est d’examiner et de censurer ou de s’enquérir simplement sur la marche et les abus de cette même administration, afin de se former une opinion sur le bon emploi ou la destination de l’allocation, et par suite de rejeter ou suspendre la dépense, ou ne l’admettre qu’avec certaines modifications ou restrictions suivant les circonstances.
La chambre tient de la constitution même le droit de voter la dépense et par conséquent celui de la juger. Or, le législateur, comme le magistrat, appelé à juger, est par cela même appelé à s’instruire, à faire de l’objet un examen approfondi, à recueillir tous les renseignements et à faire usage de tous les moyens propres à connaître la vérité. L’enquête parlementaire n’est donc qu’un moyen d’instruction qui, dans tous les cas, appartiendrait de droit à la chambre, si déjà il n’était formellement consacré par la constitution.
Aux chambres et non au pouvoir exécutif appartient le droit et régler et voter la dépense, et puisque c’est contre ce pouvoir lui-même qu’elle doit se discuter et se débattre, les chambres abdiqueraient leur prérogative si elles admettaient que c’est à lui seul qu’il appartient toujours de fournir les renseignements et informations convenables sur l’exécution de la dépense ; ce serait en même temps consacrer la plus grande absurdité, puisque le ministère dirigeant lui-même l’instruction de sa propre cause, se trouverait toujours juge et partie.
C’est donc par les raisons les plus sages et pour assurer à chacun l’exercice de ses droits que notre constitution défère aux chambres le droit d’enquête. L’art. 40 est conçu dans les termes plus absolus : il n’admet aucune exception, de sorte que ce droit s’étend évidemment à toute matière quelconque. Mais c’est bien certainement quand il s’agit de l’instruction de la loi du budget, et dans des cas aussi graves que celui du service de santé, que cette disposition constitutionnelle est appelée à recevoir son application. C’est bien alors que les chambres doivent provoquer par elles-mêmes, et comme il leur plaît, des éclaircissements et des investigations de toute espèce sur l’administration du ministère. La loi du budget étant placée en première ligne dans leurs attributions, c’est alors qu’elles doivent montrer et déployer toute leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.
Personne n’a jamais eu l’idée de contester à ce pouvoir l’administration de détail et d’exécution. Nous devons lui laisser la liberté dans son action administrative ; mais d’une autre part toute liberté appartient également aux chambres pour l’examen de ces mêmes détails et de tous ses actes d’administration. Dans un gouvernement constitutionnel, les chambres n’agissent point, mais elles examinent, elles contrôlent et censurent, s’il y a lieu. C’est cet examen, fait consciencieusement par les chambres elles-mêmes et sur tous les détails de l’administration qui doit déterminer leur plus ou moins de confiance dans le ministère. En matière de budget, c’est cet examen ou plutôt cette enquête qui doit décider le vote ou le rejet des dépenses, ou qui doit les modifier ou les restreindre.
En Angleterre, rien n’est plus commun que l’usage de ces sortes d’enquête ; il n’est point de session qui n’en offre des exemples.
M. le ministre de la guerre a enfin donné communication à la section centrale d’une quantité considérable de pièces relatives au service de santé. Mais cette communication était évidemment insuffisante, et, pour ainsi dire, dérisoire.
En effet, on accuse le service de santé d’abus, de fraudes, de délits, ou, si l’on veut, d’irrégularités. Mais, à coup sûr, ce n’est point dans la correspondance et les pièces même des employés de cette administration qu’on trouverait la preuve d’aucun grief : ces employés n’auront pas avoué dans leurs actes leurs propres turpitudes, s’il en existe. D’après l’axiome minia precautio, dolus, il est même probable qu’on aurait mis d’autant plus d’ordre et de régularité dans les pièces qu’on se serait senti plus coupable. C’est donc en dehors de cette communication et principalement par l’audition des témoins qu’on peut convenablement instruire cette affaire. Or, il n’y a que l’enquête parlementaire qui puisse parfaitement remplir ce but.
On conçoit que M. le ministre, armé de ces pièces, ait offert d’entrer immédiatement en discussion sur chacun des griefs. Il aurait sur nous cet avantage que, relativement aux questions de fait, il ne trouverait dans cette assemblée ni contradicteurs, ni témoins qui pourraient lui être opposés.
Il est temps enfin que la représentation nationale porte toute sa sollicitude sur ce service de santé. Il est constant, malgré les protestations de M. le ministre, qu’il règne dans l’armée et dans tout le pays un esprit de défiance contre ce service, qu’il convient de faire cesser au plus tôt. Il existe spécialement dans certaines garnisons une inquiétude générale qui démoralise le soldat, à tel point que souvent il redoute d’entrer à l’hôpital, dans la crainte qu’on ne lui administre de mauvais médicaments. Des officiers même préfèrent se les procurer de leurs deniers chez des pharmaciens plutôt que d’en faire la demande à la pharmacie centrale, qui est cependant tenue de leur en fournir moyennant la retenue ordinaire sur leurs traitements. L’enquête qui a précédé l’arrêt de la cour d’assises de Namur nous a révélé des faits, affirmés d’ailleurs sous serment, qui étaient de nature à jeter l’effroi dans les esprits.
Il faut convenir que l’assertion de M. le ministre est fort étrange, lorsqu’il vient nous dire qu’il ignore cet état de choses. Ce langage prouve à nos yeux qu’il juge en cette matière sur des rapports de personnes intéressées à lui présenter ce service sous un jour favorable. Mais aussi il faut le dire, d’un autre côté le châtiment attend infailliblement le soldat ou l’officier qui oseraient dénoncer des faits qui ne paraissent malheureusement que trop vrais. Voilà comment on comprend la discipline de l’armée.
C’est à nous, représentants de la nation, à faire entendre ici notre voix pour ces hommes dont les plaintes sont comprimées ou ne peuvent arriver jusqu’aux oreilles de M. le ministre. Le défaut de surveillance du gouvernement et de ses employés supérieurs, aurait été d’autant plus grave qu’aux termes de l’article 433 du code pénal, lorsqu’il y a retard dans les fournitures ou fraude sur la nature, la qualité ou la quantité des choses fournies, ce n’est que sur sa dénonciation que les tribunaux peuvent être saisis.
Je pense que la chambre manquerait elle-même aux lois de l’humanité envers le soldat, si dans l’état des clauses, elle allouait des fonds pour un service de santé qui continuerait à être confié à des employés supérieurs ou intérieurs qui auraient souffert soit sciemment, on par négligence ou imprudence, et qui souffrent peut-être encore, qu’on administre dans nos hôpitaux milliaires, des médicaments nuisibles ou autres que ceux qui sont demandés et payés par l’Etat. Avant de voter aucune allocation, la conscience nous fait un devoir impérieux de nous assurer d’abord dans quelles mains se trouve ce service de santé. La seule idée que la santé de nos braves miliciens peut être compromise, doit nous faire reculer et nous faire suspendre toute l’allocation jusqu’à ce que les hommes et les choses soient mis à découvert et que la vérité soit connue de tous. Je dirai plus, la chambre se rendrait elle-même complice, aux yeux du pays, si dans le doute même où elle doit au moins se trouver, elle accordait des fonds pour un service de santé qui, au lieu de remplir sa destination, empêche ou retarde la guérison du soldat, ou lui donne même la mort. Dans une matière aussi grave, il faut nécessairement dissiper jusqu’au moindre doute. Fût-il même vrai qui n’y eût aucun coupable, on ne pourrait encore se dispenser d’une instruction solennelle, afin de satisfaire l’opinion et de ramener la confiance ; car le mal qui réside seulement dans l’opinion, produit quelquefois, lui-même, au moral, presque autant d’effet que le mal réel.
Il y a donc lieu, dans tous les cas, de procéder à l’enquête parlementaire. C’est du résultat de cette information que doit dépendre le vote définitif du crédit pour le service de santé ; car je suppose qu’il soit vérifié que ce service est réellement abandonné à des mains coupables ou criminelles, la chambre n’hésitera certainement pas à refuser ce crédit jusqu’à ce que le gouvernement ait redressé un grief aussi important que celui-là. Ce serait éminemment le cas d’appliquer la maxime si souvent invoquée contre le gouvernement de Guillaume : Point de redressement de griefs, point de subsides.
Il existait, je pense, un moyen de sortir promptement de la situation où se trouve la chambre vis-à-vis du service de santé ; c’était la production de l’enquête tenue par des généraux désignés à cet effet par le ministre lui-même. En ce moment encore, il me semble que si le ministère mettait dans cette affaire un peu plus de franchise et de bonne volonté, il nous donnerait aussitôt communication de cette pièce. Cette information, faite par des hommes honorables, dignes de la confiance de la chambre, aurait bientôt fixé son opinion.
Ce n’est point sérieusement qu’on allègue que cette enquête est confidentielle, afin de la soustraire à nos regards. Par sa nature même, une enquête administrative n’est pas plus confidentielle qu’une enquête judiciaire. Mais je demanderai au gouvernement pour qui cette enquête aurait été confidentielle ; est-ce pour le ministre seulement, ou en même temps pour les généraux ? La confidence est indivisible, et elle cesse d’exister du moment où elle n’oblige pas toutes les personnes. Or, si mes renseignements tout exacts, il paraîtrait qu’on sait de bonne source que les conclusions de cette enquête sont défavorables au service de santé, et spécialement à son inspecteur-général, et dès lors cette enquête ne serait rien moins que confidentielle, et dès lors encore ce motif ne serait qu’un vain prétexte pour se dispenser de la communiquer à la chambre. Mais que doivent penser et celle-ci et l’armée et le pays du refus de M. le ministre, alors qu’il est connu que cette enquête dépose elle-même d’une manière accablante contre le service de santé, et que cependant lui-même affirme dans le même moment qu’il n’y a au plus que de simples irrégularités, et rien de contraire à la probité et à l’honneur ? J’en appelle à votre raison, messieurs, une pareille manière d’agir n’offre-t-elle pas un vaste champ à des interprétations de toute espèce ?
Puisque M. le ministre persiste dans son refus de communiquer cette pièce, il faut dire que c’est par son fait que la chambre se voit obligée de procéder elle-même à une enquête : il ne lui reste plus même aucun autre moyen de s’éclairer et de vérifier les faits : car suivant le rapport de la section, la plupart des délits allégués seraient aujourd’hui atteints par la prescription et le ministère aurait commis cette faute en négligeant de faire au moins instruire en justice en temps utile. Par conséquent la chambre ne pouvant plus obtenir en ce moment ni enquête judiciaire, ni enquête administrative, elle est dans la nécessité absolue et indispensable de recourir à une enquête parlementaire en conformité de l’art. 40 de la constitution.
Au reste, il lui sera libre, dans cette enquête, de prendre aussi ses renseignements prés de ces mêmes généraux dont est a parlé, comme près de toutes autres personnes.
Lorsque, dans une autre circonstance grave, il a été également question de faire faire une enquête parlementaire, l’on a fait observer que l’exercice de ce droit constitutionnel des chambres pourrait rencontrer quelques difficultés dans l’exécution ; que, par exemple on manquerait de moyens coercitifs pour forcer des témoins à comparaître, même malgré eux, devant la commission ; qu’ils ne seraient point tenus à prêter le serment d’usage, puisque aucune loi ne le leur impose pour ce cas extraordinaire. Mais ces inconvénients, s’ils existent, ne sont évidemment pas de nature à arrêter la chambre par rapport à la mesure que lui propose la section centrale. D’après tout se qui s’est passé et tout ce que l’on voit relativement au service de santé, il est hors de doute que ces moyens coercitifs seront inutiles pour engager des témoins à venir déposer la vérité dans cette grande affaire, et je suis persuadé que lors même que quelques-uns refuseraient de se rendre au vœu de la chambre, l’instruction sera suffisante pour déterminer son opinion. S’il arrive que des témoins ne prêtent point le serment ordinaire, la chambre aura, dans tous les cas tel égard que de raison, à leurs déclarations, et elle y trouvera, j’en suis sûr, assez d’éléments pour fixer ses idées relativement au service de santé ; car, qu’on y réfléchisse, le but de l’enquête n’est point de faire prononcer des arrêts de condamnation, mais uniquement de s’enquérir et de prendre des informations sur les griefs de ce service.
La section centrale a parfaitement saisi qu’elle doit être la mission des commissaires de l’enquête ; c’est simplement, dit-elle, de recueillir tous les renseignements possibles concernant les abus allégués, et d’en faire rapport à la chambre. Au vrai, c’est donc plutôt une commission de renseignements qu’une commission d’enquête qui doit être instituée, et par conséquent, dans l’espèce, il n’y a point lieu de suivre les règles et les formes prescrites en matière d’enquête ordinaire. La commission pourra faire elle-même son règlement pour la marche de ses opérations. En tout cas, si contre attente elle rencontrait quelque obstacle trop sérieux, il sera toujours temps d’y faire pourvoir par la législature.
Au surplus, malgré son refus de produire l’enquête tenue par les généraux, M. le ministre a déclaré, dans une précédente séance, qu’il ne s’opposait point à l’enquête qu’il plairait à la chambre de faire elle-même, et que lui-même y prêterait la main. Cette déclaration a certainement été par lui mûrement réfléchie.
Le résultat de cette enquête, et les mesures qui en seront la suite, rétabliront la confiance que le service de santé a tout à fait perdue aux yeux de l’armée et du pays : il est d’une nécessité urgente de le réhabiliter dans l’opinion, afin que désormais il inspire à tous une entière sécurité. Ainsi, loin d’occasionner la moindre perturbation dans l’armée, l’enquête parlementaire est destinée à produire le plus grand bien : à cet égard la chambre peut d’ailleurs se reposer entièrement sur l’esprit de modération et la prudente discrétion des commissaires qu’elle choisira dans son sein. L’enquête ne pourrait jeter l’épouvante que parmi les coupables, et, quant à eux, nous ne pourrions ici fléchir sans être accusés nous-mêmes de faiblesse et de l’oubli de nos devoirs.
Il n’est point de prérogative constitutionnelle qui n’ait ses inconvénients dans l’exécution ; mais il serait absurde d’en inférer qu’il faut pour cela y renoncer. Aucune considération ne peut nous dispenser de satisfaire au vœu de la constitution, dès que le cas par elle prévu se présente.
Vainement le ministère, pour empêcher l’enquête, offrirait-il, sur la proposition de M. le ministre, de nous faire aujourd’hui un rapport sur le service de santé de l’armée : M. le ministre nous ayant déjà donné des explications et fait connaître son opinion, il ne nous apprendrait donc rien de nouveau. Ce rapport ne serait que le résultat de l’examen des nombreuses pièces déjà communiquées à la section centrale. Or, cette communication qui n’a pu satisfaire la section centrale, ne satisferait certainement pas davantage la chambre qui, ainsi que je l’ai déjà observé, doit chercher la vérité non dans les pièces et les dires de l’administration elle-même, mais dans des renseignements et des témoignages recueillis au-dehors.
Lorsque depuis plus d’un an, le gouvernement reste sourd à toutes les réclamations, lorsque aujourd’hui encore, il refuse avec une obstination inexplicable la production d’une enquête qu’il a déjà faite lui-même et qu’on croit d’ailleurs défavorable au service de santé, lorsqu’il s’élève des plaintes unanimes de la part des sections et de la section centrale ; ne craignez-vous pas que ce rapport demandé après coup et au dernier moment, ne soit considéré dans le pays comme un subterfuge pour éviter la lumière qui doit jaillir de l’enquête parlementaire, pour temporiser, traîner en longueur et étouffer s’il est possible tant de plaintes qui nous demandent justice ?
Ce nouveau moyen qui serait ainsi proposé comme en désespoir de cause, ne me paraîtrait donc propre qu’à augmenter encore de plus en plus les défiances déjà si prononcées contre le service de santé, et pour moi, je dois le dire, il serait un motif de plus pour m’attacher à l’enquête parlementaire.
En attendant qu’il soit procédé à cette enquête, il conviendra d’accorder un nouveau crédit provisoire au service de santé.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense, messieurs, qu’il convient de nous pénétrer de l’objet qui est actuellement en discussion. Nous avons à délibérer sur le chiffre de l’allocation pour le service de santé ; or, que faisons-nous lorsque nous discutons une allocation quelconque ? Nous examinons tous les éléments dont se compose le chiffre, si les fonds sont bien employés. Eh bien, M. Milcamps demande que nous fassions aujourd’hui ce que nous faisons toujours ; que nous examinions sous tous ces rapports les crédits demandés pour le service de santé et surtout que nous nous assurions si ces crédits sont convenablement employés ; en un mot, que nous arrêtions s’il y a lieu à accorder une allocation pour le service de santé. Voilà, messieurs, la question que vous êtes appelés à décider.
On veut recourir tout d’abord à une enquête sur les abus qui sont reprochés au service de santé, sans laisser au ministre le temps de fournir les explications qu’il n’a cessé de demander à pouvoir produire, on ne veut donc pas s’en rapporter à ces explications ; on pense donc que ces explications ne pourraient aucunement satisfaire l’assemblée ; on veut donc empêcher le ministre de jeter des lumières sur la question.
L’honorable préopinant s’est étendu longuement pour prouver que la chambre a le droit d’enquête ; mais personne n’a contesté ce droit, et il serait fort surprenant qu’on le contestât ; car le droit d’enquête est écrit tout au long dans la constitution.
Nous reconnaissons tous ce droit ; mais nous pensons qu’avant de l’exercer, il convient de savoir s’il y a nécessité ou utilité à le faire. Nous pensons qu’avant de recourir à une telle extrémité la prudence commande d’écouter les explications du ministre, d’entendre et de peser les réponses qu’il fera aux interpellations qu’il provoque lui-même.
M. le ministre de la guerre est prêt à répondre à toutes les allégations relatives aux abus signalés, allégations qu’il se croit à même de détruire. C’est donc nous qui provoquons les lumières, c’est nous qui voulons que l’affaire ne traîne pas en longueur, c’est nous qui voulons éviter les dangers incalculables des lenteurs et des perturbations dans lesquelles on voudrait nous entraîner. Nous croyons qu’il importe d’aborder, dès ce moment, la question sous toutes ses faces, comme nous le faisons pour toutes les affaires qui se rattachent aux budgets. Si, après cela, on n’est pas satisfait des réponses et des éclaircissements que fournira le ministre, on pourra aviser à des apaisements plus concluants, mais dans tous les cas il ne conviendrait pas de suivre la marche proposée par la section centrale, car elle voudrait allouer sans examen le chiffre et faire procéder ensuite à une enquête parlementaire ; or, ce n’est pas ainsi qu’on devrait logiquement procéder ; il faudrait discuter d’abord ce qui se rattache au chiffre, et ensuite allouer ou refuser le crédit ; il importe donc de rentrer dans les termes ordinaires de la discussion des budgets.
Il sera, je pense, inutile de relever ce qu’a dit en terminant l’honorable préopinant, que M. le ministre de la guerre aurait lui-même consenti à l’enquête parlementaire ; M. le ministre de la guerre a suffisamment expliqué ce qu’il entendait par l’enquête qu’il demandait : il voulait que la section centrale en vînt elle-même à un examen approfondi de la question avant le vote du crédit, mais il n’a jamais entendu consentir à une enquête exceptionnelle, qui aurait pour objet de contrôler en dehors de cette enceinte la vérité des paroles qu’il a précédemment énoncées devant vous. Il a envoyé à la section centrale toutes les pièces en lui demandant d’en prendre connaissance et en déclarant qu’il était prêt à se rendre dans son sein et lui donnes tous les renseignements qu’elle lui demanderait.
Voilà exactement, messieurs, ce que le ministre de la guerre a consenti ; il n’est pas entré dans son intention de proposer autre chose. Cela résulte d’ailleurs suffisamment de l’ensemble de ses discours.
On a parlé encore une fois de ce qu’on a appelé l’enquête faite par des généraux. Il a été suffisamment démontré que le travail de ces officiers supérieurs n’était pas une enquête, mais un simple rapport fait pour éclairer la religion du ministre, rapport tout confidentiel, réclamé pour le ministre seul.
Par conséquent s’il était vrai comme on vient de l’insinuer, que l’on n’eût pas gardé le secret sur le contenu de cette pièce, celui qui aurait commis une telle indiscrétion aurait manqué à ses devoirs. Oui, messieurs, celui qui aurait divulgué quelque chose de ce rapport, sachant bien qu’il n’était fait que pour le ministre, se serait rendu coupable d’une grave infraction à ses devoirs.
M. Lejeune. - La question du service de santé a acquis un caractère de gravité extraordinaire.
La pensée qui m’a paru dominer dans la discussion de cette question, c’est qu’on veut tout faire pour sortir de l’incertitude, et que jusque-là on ne veut rien préjuger.
Moi non plus, messieurs, je ne veux rien préjuger ; mais il me paraît indispensable d’éclaircir l’affaire, d’y donner après mûr examen une solution positive.
Je ne répéterai pas tous les motifs fondés ou non qui doivent nous faire désirer une instruction. Je n’ai qu’à citer un fait : c’est la préoccupation, l’inquiétude dont le service de santé est l’objet.
Si ce fait est réel, s’il est vrai, comme il me paraît évident à moi, que ces sentiments d’inquiétude se propagent dans l’armée et dans tout le pays, il est de toute nécessité de les dissiper, pour en prévenir les funestes effets.
Quels sont les moyens d’instruction ?
Le premier qui s’offre à ma pensée, c’est l’instruction judiciaire ; ce moyen me paraît le plus naturel, le plus simple, et préférable à tous autres ; s’il avait été employé, il aurait mis fin depuis longtemps à toute espèce de contestation. J’ai toute confiance dans nos tribunaux, ils sont prêts à faire bonne justice.
Un second moyen, messieurs, c’est l’enquête parlementaire proposée par la majorité de la section centrale.
Ce moyen est bon en lui-même ; c’est un moyen efficace s’il en fut jamais. Le droit d’enquête est la prérogative la plus importante que chaque chambre tienne de la constitution ; c’est la garantie constitutionnelle la plus forte que l’on puisse avoir.
La question qui se présente ici, est celle de savoir s’il convient que la chambre ait recours au droit d’enquête pour éclaircir l’affaire en discussion ?
Mes réflexions m’ont conduit à dire : Oui, si les autres moyens que la chambre a à sa disposition et qu’elle emploie ordinairement, sont épuisés sans résultat satisfaisant ; non, si les moyens ordinaires d’investigation n’ont pas été employés pour arriver à une solution positive.
Le droit d’enquête, messieurs, est à mes yeux un droit suprême, un moyen extrême, et, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, la dernière raison de la chambre.
Il me semble impossible de séparer de l’exercice du droit d’enquête l’idée qu’il existe quelque désaccord, quelque mésintelligence, quelque défiance entre la chambre et le pouvoir exécutif.
Je me hâte, de le dire, messieurs, quelle que fût la décision de la chambre, dans mon opinion aucune espèce de défiance ne pourrait atteindre personnellement l’honorable général qui est à la tête du département de la guerre. Je parle en termes généraux.
Pouvons-nous sans nécessité absolue accréditer dans le pays et à l’étranger ce soupçon de désaccord, alors surtout que ce désaccord n’existe pas ? Non, messieurs pour agir avec prudence, la chambre ne doit, selon moi, recourir au droit d’enquête que lorsqu’elle est absolument réduite à ce dernier moyen.
Il me reste à examiner un dernier point :
Convient-il de recourir au droit d’enquête dans l’état actuel de la question soumise à nos délibérations ?
Dans l’opinion que je viens d’émettre, cette question est subordonnée à celle-ci :
La chambre a-t-elle épuisé les moyens qu’elle emploie ordinairement pour instruire une affaire ?
La réponse à cette dernière question est nécessairement négative.
En effet, messieurs, voyez le dernier rapport de la section centrale, il nous apprend qu’elle a été dans l’impossibilité d’examiner les pièces qui lui sont renvoyées, elle n’a pu présenter un rapport complet pour éclairer la chambre. Mais ce qu’elle n’a pu faire à défaut de temps, elle peut le faire encore ; qu’elle examine la question à fond, qu’elle nous fasse connaître le résultat de ses investigations.
Cet examen doit être dans tous les cas d’une grande utilité ; il conduira ou bien à une solution définitive, ou bien à la preuve qu’une enquête est réellement nécessaire pour arriver à cette solution.
Voici donc, messieurs, selon moi, le parti auquel la chambre pourrait s’arrêter dans l’état actuel de la question :
Voter le crédit nécessaire pour assurer provisoirement le service, et laisser à la section centrale le temps de remplir son mandat, c’est-à-dire de procéder à un examen approfondi des documents dont elle est déjà saisie, ainsi que des pièces et explications qu’elle trouverait convenable de demander encore au gouvernement. C’est après cet examen, mais alors seulement, qu’il s’agirait de voir s’il est nécessaire de procéder à une enquête.
En résumé, messieurs, je suis d’avis qu’une instruction est devenue indispensable pour mettre fin, par une solution positive, aux débats et aux inquiétudes funestes dont le service de santé est l’objet.
Le meilleur expédient aurait été l’instruction judiciaire.
L’enquête, je ne la repousse pas absolument, mais je ne pourrais admettre ce moyen extrême que lorsqu’il serait fondé sur un examen ordinaire, préalable. Cet examen approfondi n’a pas eu lieu, et rien ne me paraît s’opposer à ce qu’il y soit procédé par la section centrale.
J’avais l’intention de dire un mot sur l’ophtalmie, mais comme il ne s’agit ici que d’une question préalable, celle de savoir comment on instruira l’affaire du service de santé, je m’abstiendrai pour le moment de parler de cet objet.
Plusieurs voix. - Faites-vous une proposition ? Que proposez- vous ?
M. Lejeune. - Je me suis borné à émettre mon opinion avec l’intention d’attendre la discussion pour voir si mon opinion était plus ou moins partagée dans la chambre. Mais puisqu’on paraît le désirer, je vais déposer une proposition dans le sens de cette opinion.
M. le président. - Voici la proposition de M. Lejeune :
« Je propose 1° d’inviter la section centrale à faire à la chambre un rapport sur les documents qui lui ont été renvoyés ainsi que sur les pièces et explications qu’elle jugerait convenable de demander encore au gouvernement ; 2° d’allouer un crédit provisoire de … pour le service de santé. »
- Cette proposition est appuyée.
M. Dubus. - Je propose d’ajouter de renvoyer « pour la seconde fois », car ces pièces ont déjà été renvoyées une fois à la section centrale.
M. Dumortier. - De toutes les questions qui peuvent nous occuper pendant le cours de cette session, il n’en est certainement pas qui ait plus d’actualité, qui occupe à un plus haut pont l’opinion publique que celle relative au service de santé. Vous savez que depuis plusieurs années la presse ne cesse de signaler les abus qui existent dans le service de santé. Parcourez les diverses villes du royaume, partout vous n’entendrez qu’un cri de désapprobation contre ce service, qu’une plainte sur les abus qu’on y découvre.
Ces abus, je ne les énumérerai pas, ce n’est pas le moment de le faire ; il nous suffit de savoir que ces abus sont signalés dans toutes les parties du pays, qu’il n’y a qu’une voix chez tous nos commettants pour en demander le redressement ; cela suffit, dis-je, pour que nous ne puissions pas rester muet.
L’honorable membre qui a parlé le premier dans cette discussion, a dis que la dénonciation des abus, partait exclusivement de la presse. Il m’importe peu de savoir que cette dénonciation parte de la presse, dès l’instant que l’opinion publique prétend que la presse a raison. C’est ce qui a lieu dans cette circonstance ; chacun de nous a pu s’assurer de l’unanimité qui existe à cet égard, en consultant les personnes qui les ont envoyés ici, chacun de nous a pu s’assurer qu’il existait des plaintes.
Consultez les militaires qui sont dans le cas d’entrer dans les hôpitaux, ils vous diront qu’ils n’ont pas de confiance dans le service de santé, qu’une grande anxiété existe dans tous les rangs de l’armée. Il est indispensable qu’on apporte des changements à cet ordre de choses ; il est urgent qu’on rassure les populations et qu’on rassure surtout l’armée. C’est ce qui a été cause que dès l’origine des débats relatifs au budget de la guerre, cette question importante a été portée dans la discussion ; c’est ce qui a été cause que toutes nos sections ont demandé des renseignements sur les abus signalés, que notre section centrale a demandé communication d’un document qu’elle croyait de nature à l’éclairer, et que dans cette chambre on a insisté sur la production de l’enquête faite par les généraux nommés à cet effet.
Le ministre de la guerre a déposé le volumineux dossier de cette affaire ; je crois qu’il serait difficile à chacun de nous de parcourir ce dossier en moins de plusieurs semaines. Il a dit à la section centrale : voici les pièces que je vous abandonne ; examinez-les ; quand vous les aurez examinées, si vous avez des renseignements à me demander, je suis prêt à les fournir.
Vous concevez, à la vue seule du dossier qui est sur le bureau du président, que la section centrale ne pouvait pas parcourir toutes ces pièces, se livrer aux investigations nécessaires. Qu’a fait alors la section centrale ? Elle a dit au ministre de la guerre par son rapporteur : votre prédécesseur a institué une commission qui a employé plusieurs mois, six mois, dit-on, pour examiner cette affaire. De cet examen, il est résulté un rapport, communiquez-nous ce rapport, on bien nous proposerons à la chambre de faire une enquête sur les abus signalés.
Vous le voyez, la position du gouvernement était facile, il pouvait mettre la chambre à même de se prononcer en communiquant l’enquête faite par les généraux. Il s’y est refusé. Il prétend que ce rapport était une chose confidentielle. C’est une chose fort étrange qu’une enquête faite par trois généraux nommés par le gouvernement en vertu de lois qui autorisent de semblables enquêtes, soit refusée comme chose confidentielle, alors que cette enquête faite par des généraux placés haut dans l’opinion publique, était de nature à éclairer cette affaire. Tandis qu’on refuse cette communication, on vient se prévaloir d’autres enquêtes confidentielles, faites dans des circonstances analogues, des enquêtes des commissions provinciales, pour contester l’existence des abus dont on se plaint.
Je manquerai à mon devoir si je n’insistais pas sur la production de cette pièce. On nous produit les pièces qui tendent à établir qu’il n’y a pas culpabilité, et on nous refuse celle de laquelle il pourrait résulter qu’il y a culpabilité.
En présence de pareils faits, il y a contradiction manifeste dans la conduite du ministre de la guerre. On a insisté pour avoir le rapport de la commission des généraux. Le ministre s’y est refusé ; comment s’y est-il pris ? Voici les paroles qu’il a prononcées le 2 de ce mois :
« S’il s’agit d’une enquête à faire sur les abus qu’on reproche au service de santé, je suis prêt à y concourir aussi publiquement que possible et à entrer dans tous les détails de l’affaire. »
Qu’a fait alors la section centrale ? Conformément à la proposition du ministre, elle nous a proposé d’instituer l’enquête qu’on appelait de ses vœux, à laquelle on était prêt à concourir aussi publiquement que possible en entrant dans tous les détails de l’affaire. Aujourd’hui que cette enquête est proposée, M. le ministre retire sa proposition primitive et s’oppose à l’enquête. Voilà une contradiction qui n’est justifiée par rien. Car les abus dont il s’agit sont antérieurs à l’administration de M. le ministre de la guerre, par conséquent il ne peut en aucune manière en être rendu responsable. Il ne peut donc croire que l’enquête soit ici dirigée contre lui. Mais l’honorable membre qui vient de parler avant moi, a dit qu’il était impossible de séparer l’exercice du droit d’enquête d’une sorte de défaveur du pouvoir exécutif, qu’on ne recourait à ce droit que quand les pouvoirs étaient en désaccord.
C’est là une grave erreur. En effet, la chambre a plusieurs fois fait des enquêtes, et jamais on n’a considéré pour cela qu’il y eût défaveur de la part du pouvoir exécutif. En Angleterre on ne porte jamais une loi sans faire une enquête, et on n’a jamais considéré cette mesure comme une défaveur pour le pouvoir exécutif.
Voulez-vous la preuve qu’il ne s’agit pas ici de défaveur pour M. le ministre de la guerre, vous la trouvez dans le crédit que nous avons accordé avant-hier à M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre nous a demandé un crédit supplémentaire pour l’armée, comment a-t il été voté ? à l’unanimité ; alors comment pourrait-on prétendre argumenter de la demande d’enquête, qu’il y a désaccord entre la chambre et le ministre de la guerre ? Il y a plus, le budget des finances, chose inouïe dans les fastes parlementaires, a été voté en deux heures ; le budget des travaux publics a souffert des modifications, mais a été voté à l’unanimité. Les budgets de l’intérieur et de la justice ont également été votés à l’unanimité ; il n y a donc pas désaccord entre la chambre et le ministère. Mais M. le ministre de la guerre voulant, à l’occasion de l’enquête, mettre le marché à la main à la chambre, il n’en faudrait pas davantage pour que je demandasse cette enquête de tous mes moyens.
On vous propose de faire examiner les faits par la section centrale ; ainsi que mon honorable ami M. Dubus (aîné) l’a fait remarquer, ce serait pour la seconde fois qu’on renverrait l’examen des faits à la section centrale ; qu’a-t-elle répondu par suite du premier renvoi ? qu’il ne lui était pas possible d’examiner toutes ces pièces, et qu’il fallait une commission d’enquête.
Lorsque des abus semblables sont signalés, lorsque le pays tout entier retentit du bruit que ces abus ont fait naître, il ne suffit pas de compulser un dossier pour prononcer ; il faut procéder d’une autre manière pour connaître s’il y a un calomniateur où un dilapidateur, nous sommes ici dans l’écurie d’Augias, il s’agit de la nettoyer.... (On rit.)
Il ne s’agit pas de faire de fausses allusions ; oui, la question qui nous occupe ressemble certainement à l’écurie d’Augias, tant elle est souillée d’ordures : ici on prétend que des personnes se sont laissés corrompre ; là on prétend qu’une mortalité très grande a eu lieu dans l’armée, par suite de médicaments administrés ; ailleurs on dit que des médicaments ont été payés au-delà de leur valeur ; je n’en finirais pas si je voulais examiner tout ce que l’on allègue. C’est donc, je le répète, un véritable amas de souillures, une écurie d’Augias qu’il importe de nettoyer.
J’ai vu avec étonnement le ministre des finances dire que c’est nous qui nous opposions à l’émission des lumières dans cette affaire ; comment se pourrait-il que nous nous opposions à l’émission des lumières, puisque nous demandons une enquête ? L’enquête, en Angleterre, se définit : l’évidence des faits ; nous demandons cette évidence ; et il est impossible que nous entamions la discussion sur l’objet dont il s’agit, tant que les faits ne nous seront pas connus ; et puisque le gouvernement nous refuse communication du résultat de l’enquête faite par des généraux, il faut que nous en fassions une nous-mêmes.
Sur vingt-un chefs d’accusation posés à la commission d’enquête composée de généraux, s’il faut en croire des personnes assez bien informées, il y en a eu quatorze reconnus exacts ; est-ce par ce motif qu’on nous refuse communication des résultats de cette enquête ? Quand les faits seront évidents pour tous, nous verrons ce que nous avons à faire dans cette circonstance.
Quels renseignements M. Milcamps demande-t-il aux ministres ? pourrait-il poser des questions pertinentes sur les faits, puisque les faits sont inconnus ?
Encore une fois il s’agit d’une question grave. Si jamais une question a eu l’avantage de l’opportunité, a eu l’avantage d’attirer l’attention publique, c’est bien celle qui nous occupe. Pour moi je n’oserais pas retourner dans mes foyers si je votais contre la proposition faite par la section centrale ; que chacun vote comme il entendra, je voterai l’enquête ; je voterais plutôt contre le budget du ministère de la guerre, si l’enquête n’était pas adoptée ; et par ce vote je n’entraverais pas l’administration du département de la guerre, car on a voté un crédit provisoire pour un mois.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - L’honorable préopinant a eu raison de dire qu’il y a lacune dans la discussion : nous sommes tous d’accord sur ce point. Comment faut-il remplir cette lacune ? Telle est la question, et la seule question que nous ayons à examiner dans ce moment. Trois propositions sont faites pour la résoudre.
La première est celle de la section centrale, laquelle conclut à ce que la chambre use d’un droit extraordinaire que la constitution lui attribue, en instituant immédiatement une commission spéciale d’enquête.
La deuxième proposition nous est faite par M. Lejeune ; elle consisterait dans la continuation du mandat donné à la section centrale ; par le vote d’un crédit partiel vous resteriez saisis de la discussion de cette partie du budget ; usant du droit inhérent à toute discussion de budget, la chambre, ou sa section centrale, achèverait l’instruction.
Enfin, une troisième proposition a été faite par M. Milcamps. Il demande une discussion immédiate, en priant le ministre de la guerre de tenir l’engagement qu’il a pris, d’entrer dans tous les détails des faits.
Vous avez à choisir entre ces trois propositions, entre ces trois moyens.
Parmi ces moyens, s’il en est un qu’il faut repousser, ou du moins ajourner, c’est le premier, parce que, sans examiner les questions de droit qui peuvent se rattacher à ce moyen, son usage n’est pas encore nécessaire pour le moment ; c’est à la question de nécessité qu’il suffit de nous attacher.
Nous avons écarté, et nous persistons à écarter de la discussion, la question de droit ; le point de droit n’est pas en discussion ; l’art. 40 de la constitution est formel, mais la chambre doit-elle exercer ce droit extraordinaire ? Le droit le plus positif n’est-il pas dans son application subordonné aux circonstances, aux convenances ? A côté de la question de droit absolu, n’y a-t-il pas une question de fait qu’il faut résoudre avant tout ?
Je n’hésite point à répondre : Dans les circonstances données il n’y a pas lieu d’exercer le droit d’enquête, parce qu’il existe d’autres moyens d’éclaircissement que vous n’avez pas encore épuisés, que dis-je ! auxquels vous n’avez pas encore touchés.
Le moyen qui se présente naturellement dans une discussion sur un budget, c’est d’exercer le droit inhérent à tout examen d’un article de budget. Vous êtes en ce moment saisis, et vous resterez saisis de la discussion du budget, en ce qui concerne le service sanitaire, en ne votant qu’un crédit partiel. Je dis donc en premier lieu que vous avez un des moyens en dehors du droit extraordinaire d’enquête.
En second lieu, le droit inhérent à la discussion du budget doit obtenir la préférence, parce qu’il offre le moyen le moins dangereux, parce qu’il n’amène aucune complication. Quand on a le choix entre deux moyens, n’est-ce pas le moins dangereux que l’on adopte ?
Ce qu’on nous propose, messieurs, n’est pas seulement un enquête administrative, c’est une enquête militaire : avant de nous porter à cette extrémité, il faut avoir épuisé tous les moyens, il faut que tous les autres moyens vous aient laissé dans l’impuissance d’éclaircir la question.
Un membre. - Donnez le résultat de l’enquête qui a été faite et tout sera terminé.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - J’arriverai tout à l’heure au rapport que l’on demande, et je dirai quelle sorte d’enquête a été faite.
Cette observation interrompt la série de mes raisonnements ; pour en rétablir l’ensemble, je dois me permettre une répétition.
Je vous ai dit qu’il fallait s’abstenir de recourir de prime abord à un moyen extraordinaire, lorsqu’il existe un moyen ordinaire, un moyen dont il n’a pas encore été fait usage, et dont l’application n’offre aucun danger.
Je disais que si l’on faisait une enquête, non seulement elle serait administrative, mais qu’elle serait encore militaire, ce qui pourrait amener les plus graves complications, ce qui pourrait même rendre illusoires les votes émis dans les séances précédentes. En effet, vous avez cru que, dans les circonstances où se trouve le pays, il y avait lieu d’augmenter le budget de la guerre pour porter au complet les cadres de l’armée, et la mettre sur un pied respectable de défense.
Vous choisiriez précisément ce moment pour faire une chose inusitée, une chose extraordinaire, pour faire une enquête dans l’armée que vous voulez que l’on complète, qu’on réorganise ; vous vous exposeriez à distraire, les uns de leurs occupations, les autres de leurs devoirs ; vous feriez comparaître devant vous des officiers, une partie de l’armée, des hommes de tous les rangs ; car le service sanitaire embrasse toute l’armée. Je le répète, malgré l’étonnement que je remarque, vous rendriez illusoires les votes que vous venez d’émettre, les sacrifices que vous avez crus nécessaires.
L’honorable préopinant nous a dit que l’enquête est rendue nécessaire par le refus du M. le ministre de la guerre de communiquer le rapport d’une commission qui avait été instituée par lui. On m’a même interrompu pour dire : L’enquête est faite ; l’enquête militaire est faite ; c’est cette enquête que nous demandons à connaître les résultats ; sinon, nous en faisons une nous-mêmes.
M. le ministre de la guerre vous l’a déjà déclaré, et certainement il faut en croire M. le ministre de la guerre, puisque c’est lui qui a institué la commission : M. le ministre vous a déclaré que cette commission était toute de confiance, que vis-à-vis de lui elle n’avait pas eu à émettre d’avis définitif ni dans l’un ni dans l’autre sens ; M. le ministre de la guerre, en instituant la commission, ne lui a pas dit : si vous dites oui, je répondrai oui ; si vous dites non, je répondrai non ; il ne s’est pas lié, il a dit à la commission : il y a une multitude de faits à examiner, une multitude de pièces à compulser ; le temps me manque, je vous charge de ce travail. C’était là un travail de bureau, et rien de plus, un travail semblable aux travaux quotidiens que le ministre demande à ses subordonnés. Il aurait pu charger de ce travail son secrétaire-général, il aurait pu en charger d’autres employés supérieurs de son département ; il s’est adressé à trois généraux, mais ce choix ne change pas la nature de la mission, le caractère du travail.
La commission n’était donc pas un tribunal, une réunion d’arbitres ; la commission n’était qu’une commission de confiance, qui avait reçu la mission d’examiner des faits, de compulser des pièces, de faire un travail que, dans le moment, le ministre était dans l’impossibilité de faire par lui-même. Mais le ministre, en instituant la commission, n’a pas entendu se dessaisir de ses pouvoirs à lui ministre ; le rapport de la commission ne devait être pour le ministre qu’une nouvelle pièce au dossier, qu’un élément de conviction pour lui et pour lui seul ; à lui appartenait d’achever, de refaire même le travail, de s’en servir comme d’un élément de conviction : il n’était pas tenu de s’y référer comme à un jugement obligatoire pour lui.
Ainsi, messieurs, voilà le caractère du travail de la commission bien défini. M. le ministre de la guerre qui a institué la commission vous a déclaré que telle a été la nature des pouvoirs qu’il a entendu donner à la commission, si toutefois on peut appeler cette mission un pouvoir, il me semble que personne n’est plus à même que le ministre pour nous dire ce qu’il a voulu faire.
Le ministre vous a demandé à être entendu. Il vous a dit : J’ai jugé : mais en vous disant : j’ai jugé, il n’a jamais supposé qu’on dût s’en rapporter aveuglément à la commission.
Aussi dès les premiers jours où il s’est agi du service de santé, le ministre a déclaré qu’il était prêt à donner toutes les explications ; il s’est offert à entrer avec nous dans tous les détails de l’affaire ; en un mot, il a accepté le débat, et en acceptant le débat, il est allé plus loin qu’il ne devait aller, s’il avait voulu. Car il aurait pu dire : On me demande une défense, mais où est l’accusation ? où sont les faits articulés et que je dois examiner… (Interruption.)…
On me dit que l’accusation existe, que des faits ont été articulés ; qu’ils l’ont été en dehors de cette enceinte, qu’ils ont été constatés par des écrits qui nous ont été communiqués. Je dis que nous ne sommes pas à la rigueur saisis de l’accusation en la qualité où nous siégeons ici.
Je puis demander : Y a-t-il des pétitions déposées sur le bureau de la chambre ? Une liste de faits vous a-t-elle été remise ?
M. A. Rodenbach. - Une liste a été remise à la section centrale.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb)., reprenant. - Ainsi, messieurs, si M. le ministre de la guerre avait voulu se renfermer dans la défensive, il aurait dit : Qu’on articule d’abord des faits, et je répondrai aux faits un à un ; mais j’entends que les faits soient posés.
Eh bien, messieurs, M. le ministre a été moins rigoureux, il vous a dit : Si on le désire, je poserai moi-même les faits, je dirai quels sont les faits qui ont été portés à ma connaissance, comme ministre, je dirai dans quel ordre je les ai examinés et comment je suis arrivé à l’obligation de vous déclarer que j’ai jugé, et jugé dans tel sens.
Il faut, messieurs, nous a dit l’honorable M. Dumortier, il faut recourir à une enquête, parce que M. le ministre de la guerre nous refuse le rapport des généraux ; et cependant, ajoute-t-il, en recourant à une enquête, il n’en résultera aucun conflit entre la chambre et le ministre de la guerre, entre la chambre et le gouvernement ; la chambre, en adoptant une semblable mesure, ne montrera aucune défiance envers le ministre de la guerre.
Il me semble, messieurs, qu’il y a là contradiction. D’une part, l’honorable membre trouve qu’il y a nécessité de recourir à une enquête à raison du refus du ministre de la guerre, et d’un autre côté, M. Dumortier trouve que l’enquête qui serait ordonnée par la chambre ne serait pas un acte de défiance envers le ministre de la guerre, et cependant c’est un fait du ministre qui rend, aux yeux de l’honorable membre, une enquête nécessaire.
Il me semble donc que, précisément par le motif qui a été indiqué par l’honorable membre, l’enquête, si elle était ordonnée par la chambre, serait véritablement un acte de défiance envers le ministre à qui la chambre dirait : Vous nous avez refusé un tel rapport, vous avez eu tort ; nous allons vous mettre dans cette alternative : ou vous subirez l’enquête, ou vous nous donnerez le rapport.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb)., reprenant. - Ce sont les expressions mêmes de l’honorable préopinant, car j’en ai pris note sous la dictée en quelque sorte.
Ainsi, d’après l’alternative posée par M. Dumortier, il y aura conflit entre la chambre et M. le ministre de la guerre.
Je reviens maintenant, messieurs, à la manière dont j’ai posé la question à mon débat.
Il faut nous éclairer. Il y a une lacune dans ce débat. Trois moyens nous sont offerts. Le premier moyen est extraordinaire et dangereux ; c’est de plus un acte de défiance envers le ministre ; la chambre a le choix entre deux autres moyens qui sont sans danger ; elle peut même s’arrêter à l’un d’eux, sans rien préjuger à l’égard du premier moyen. Si elle trouve qu’il est impossible aujourd’hui d’accepter avec fruit une discussion immédiate et que le ministre se désiste de son droit d’être entendu, si elle trouve qu’il n’y a pas même des faits articulés, alors elle croira sans doute qu’il y a lieu de renvoyer toute l’affaire à la section centrale, la chambre, restant saisie de la discussion de cette partie du budget de la guerre pour le vote partiel du crédit nécessaire au service de santé.
Mais ce sera, dit-on, renvoyer pour la seconde fois à la section centrale les pièces qui se rattachent à cette affaire, et une première fois la section centrale a déclaré qu’elle ne pouvait pas examiner les pièces.
Mais, messieurs, il faut voir dans quel sens la section centrale fait cette déclaration ; or, elle ne peut l’avoir faite d’une manière absolue ; le temps lui a manqué, pour qu’elle pût se livrer à toutes les recherches nécessaires.
Nous voyons donc que c’est seulement une question de temps. Il est donc permis de croire que si la chambre, en renvoyant les pièces à la section centrale, avait déclaré laisser à celle-ci tout le temps nécessaire pour remplir sa mission, la section centrale vous aurait proposé l’adoption du second moyen, c’est-à-dire vous aurait proposé de voter un crédit provisoire, elle-même restant saisie, de l’examen qui lui avait été déféré.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, l’honorable M. Dumortier, en prenant la parole, a posé la véritable question, en disant que la presse était la cause réelle des rumeurs et des inquiétudes qui existaient sur le service de santé.
J’accorde qu’il y a un certain nombre de journaux qui, depuis plusieurs années, ne cessent d’accumuler les accusations et les injures contre les principaux agents du service sanitaire. A ce sujet, je répéterai ce que j’ai déjà dit dans une autre séance, que ces journaux sont en général les échos d’un seul journal et d’un seul homme.
M. Dumortier a prétendu en même temps que l’opinion publique était d’accord avec les journaux, et c’est dans cette concordance qu’il a trouvé qu’on devait attacher une grande importance aux journaux eux-mêmes.
Je conteste cela. Il y a des opinions publiques de toute espèce. Chacun attribue au public en général son opinion particulière et celle qui domine dans la sphère dans laquelle il vit. Quant à moi, je suis persuadé qu’il a une opinion publique qui ne juge pas d’après les bruits des journaux, qui attend, pour émettre son jugement, que les faits soient convenablement examinés et constatés.
On a parlé beaucoup de la défiance qui régnait dans l’armée, de la répugnance qu’éprouvaient les soldats à entrer dans les hôpitaux. J’ai contesté l’existence de ces faits, et je suis parfaitement en droit de le faire, parce que je puis déclarer qu’aucun rapport régulier ne m’est arrive à ce sujet. Cependant, depuis que je suis au ministère de la guerre, tous les généraux en activité de service ont fait des inspections détaillées de toutes les garnisons, de toutes les troupes, et je dois dire que dans le nombre des généraux qui ont fait ces inspections, se trouvent précisément les trois généraux, membres de la commission d’enquête, sur le témoignage desquels on veut s’appuyer pour prétendre que des griefs existent. Eh bien, les rapports de ces officiers ne contiennent nullement la constatation du fait dont il s’agit : Il est certain qu’en l’absence d’un rapport qui révèle l’existence d’un fait aussi important que celui-là, j’ai le droit de le révoquer en doute.
D’ailleurs, messieurs, ce ne sont pas seulement les généraux qui pourraient faire, au besoin, un semblable rapport, mais encore les chefs de corps. Ceux-ci sont intéresses à ce que de pareilles défiances ne s’établissent pas dans les régiments, et certes, si elles existaient, ils se hâteraient de les signaler.
Je reviens à la communication du rapport des généraux qui ont été chargés de l’enquête, et je commence par dire ici que j’éprouve la plus pénible surprise, en entendant des membres de cette chambre déclarer qu’ils connaissent les conclusions de ce rapport.
Je ne conçois pas que cela soit possible, et je déclare ici que si un des membres de la commission a fait connaître ce qui s’est passé dans son sein, il a abusé de la confiance du gouvernement. Les deux rapports que la commission a faits ont été portés chez moi cachetés, par le président de la commission, et pour le dire en passant, c’est là une preuve qu’on regardait le rapport comme aussi confidentiel que possible. Eh bien, messieurs, le jour même dans la soirée duquel un des rapports m’a été remis, j’ai lu le matin dans un journal ce que vous venez d’entendre sur les conclusions de ce rapport.
On a dit que cette commission avait été instituée en vertu d’une loi ; ce fait, messieurs, est encore complètement inexact. Il n’existe aucune loi en vertu de laquelle une semblable commission pourrait être nommée : la seule loi qui est relative à une commission d’enquête est celle du 10 juin 1836 qui a trait à la perte des grades, et les commissions à nommer en vertu de cette loi ne peuvent être appelées qu’à se prononcer sur la question de savoir si tel ou tel militaire est coupable d’un acte non prévu par les lois et qui porte atteinte à la discipline militaire : c’est là le seul cas où une commission d’enquête légale peut être constituée.
La commission dont il s’agit n’a donc été chargée que de faire une enquête purement confidentielle pour éclairer le ministre, et le ministre tout seul ; livrer une enquête de ce genre à la publicité, ce serait détruire la confiance qui doit exister entre le ministre et ses subordonnés de tous les grades, et lui ravir la possibilité de s’éclairer sur toutes les questions intéressantes qui peuvent se présenter.
On a prétendu qu’en s’opposant à l’enquête le ministre de la guerre se mettrait en contradiction avec lui-même ; bien loin, messieurs, d’être en contradiction avec moi-même lorsque je m’oppose à l’enquête, je ne fais en cela que confirmer ce que j’ai dit dans la séance même où j’ai prononcé les paroles qu’a citées M. Dumortier : comme on me reprochait alors, de même qu’aujourd’hui, de vouloir empêcher les lumières de se répandre sur la question du service de santé, en refusant de communiquer le rapport des généraux, j’ai répondu que cette pièce ne renfermait pas autre chose que l’opinion d’un certain nombre de personnes sur un ensemble de faits et de documents, que par conséquent ce n’était pas une pièce essentielle ; que, du reste, j’étais prêt non seulement à fournir tous les autres documents qui avaient été remis à ces généraux, mais encore à donner toutes les explications qui me seraient demandées soit par la section centrale, à laquelle je supposais que l’examen devait être de nouveau renvoyé, soit par la chambre elle-même ; j’ai dit que je désirais la plus grande publicité possible, et c’est seulement pour mieux rendre ma pensée que je me suis servi alors du mot « enquête » par lequel je n’entendais rien autre chose qu’examen. Cela est si vrai que lorsqu’on a invoqué l’article de la constitution qui établit le droit d’enquête, j’ai dit que j’étais bien loin de contester ce droit, que je le reconnaissais, sans autres limites que celles de la raison et de l’utilité, et que c’était ici le cas de reconnaître ces limites ; mais qu’une enquête, sous forme de discussion du budget, j’en reconnaissais la convenance de la manière la plu absolue et que j’étais prêt à y donner la main. Je ne suis donc aucunement en contradiction avec moi-même.
On a prétendu que l’enquête qu’on invoque ne serait point une affaire personnelle pour le ministre de la guerre actuel ; messieurs une enquête, dans le sens de la constitution, implique toujours une défiance envers le ministre quel qu’il soit ; mais il en serait surtout ainsi dans la circonstance présente ; en effet, dans son premier rapport qui a été déposé le 20 janvier, la section centrale déclara qu’à son avis quelques-unes des demandes faites au budget étaient exagérées, mais qu’elle ne voulait proposer aucune réduction, afin de laisser au ministre toute latitude pour terminer la question du service de santé, reconnaître s’il y a eu des abus et, dans ce cas, les réformer ; j’ai été amené alors à déclarer que mon opinion sur cet objet était arrêtée, que mon examen était terminé, que j’avais jugé ; si, après cette déclaration, la section centrale propose à la chambre de faire une enquête, n’est-il pas évident qu’elle se défie de mon jugement, qu’elle ne veut pas croire que mon jugement soit assez éclairé ? C’est dans ce sens, messieurs, que l’enquête m’est positivement personnelle.
Je reviens encore sur la déclaration que j’ai faite de mon vif désir que cette question puisse être approfondie et éclaircie autant que possible. Je vous exprimerai de nouveau le regret que j’éprouve de ce que la section centrale qui a été chargée du dernier rapport n’a pas voulu recevoir les éclaircissements que j’avais offerts ; à l’aide des renseignements que je lui aurais donnés, l’examen de la question n’aurait pas exigé plusieurs semaines, il aurait pu être terminé peut-être en quelques heures, le premier rapport a demandé au moins 70 jours pour être achevé ; la section centrale aurait donc pu prendre sur elle de retarder encore de 24 heures la discussion, pour être à même de mettre la chambre en état de se prononcer en connaissance de cause.
Je dirai encore un mot relativement à la proposition de l’honorable M. Lejeune : certainement j’aurais préféré que la question pût être approfondie et terminée sur-le-champ, afin qu’il y eût eu le plus tôt possible un terme à l’inquiétude qu’on prétend exister et que je prétends, moi, être purement factice ; mais cette fois je me mettrais en contradiction avec moi-même si je refusais le moyen que propose l’honorable membre pour jeter plus de lumière sur la question.
Je ne m’opposerai donc point à cette proposition, mais je le répète, j’aurais préféré qu’on entrât immédiatement dans la discussion de tous les faits, et je regrette beaucoup que la section centrale ne m’ait pas demandé des explications.
(Moniteur belge n°73, du 14 mars 1837) M. Jullien. - Messieurs, la proposition de l’honorable M. Milcamps tend à replacer la question précisément dans le même état où elle était lorsqu’elle a été renvoyée à la section centrale, car je prie la chambré de remarquer que dès lors on avait demandé à M. le ministre de la guerre des explications, que M. le ministre en avait donné, qu’il avait même déposé des pièces, mais qu’il s’est obstiné à refuser, comme il le fait encore, de communiquer à la chambre le rapport de la commission d’enquête : à quoi servirait, messieurs, de demander de nouvelles explications à M. le ministre ? Vous avez entendu que le seul motif pour lequel il refuse la communication de ce rapport, c’est que, suivant lui, c’est un rapport confidentiel : messieurs, s’il était vrai que le rapport fût confidentiel, c’est-à-dire que le ministre eût demandé confidentiellement à ses subordonnées des renseignements sur des individus ou sur des faits qui lui auraient été secrètement donnés, en disant qu’ils pouvaient en toute confiance lui communiquer leurs idées et même leurs préventions, je conçois très bien qu’alors on ne pourrait sans indélicatesse obliger M. le ministre à produire un semblable rapport, attendu qu’il existerait dans ce cas un véritable contrat entre lui et ceux qui auraient ainsi confidentiellement donné les renseignements. L’honorable M. Milcamps n’a pas besoin de recourir à cet égard à une philippique d’un orateur romain, car la publication d’un rapport de cette nature serait aussi répréhensible que la violation du secret des lettres, délit prévu par les lois. Toute la question est donc de savoir si le rapport dont il s’agit a véritablement le caractère confidentiel que lui prête M. le ministre ; s’il a ce caractère, je n’insiste pas ; mais s’il ne l’a pas, il appartient à la chambre, il appartient à l’instruction. Eh bien, messieurs, la commission d’enquête dont il s’agit a été nommée par arrêté royal ; et comment pouvez-vous vous figurer un arrêté royal confidentiel, une loi confidentielle ? Un arrêté royal est incontestablement un acte d’administration publique, et comme tel il tombe sous l’investigation, sous la surveillance des chambres, qui ont le droit de s’enquérir de ses effets.
Et ceux qui ont été nommés commissaires à l’enquête n’ont pas pu comprendre que c’était un rapport confidentiel qu’on leur demandait. Ils ont cru que, comme officiers généraux intendants ou autres, leur devoir était, puisqu’ils avaient été nommés par un arrêté pris sur la clameur publique, de donner satisfaction au pays. Ils ont dû comprendre que tous les investigations qu’ils feraient n’avaient d’autre but que la découverte de la vérité. Et je suis persuadé que de tous les membres de cette commission il n’en est pas un qui soit en état de trouver mauvais que le rapport soit livré à la publicité. Je soutiens donc que cette pièce n’a aucun caractère confidentiel, elle rentre dans les principes du droit commun que vous trouverez dans la combinaison des articles 87, 88, 89, 90 et 259 du code d’instruction criminelle. Je ne vous lirai pas le texte de ces articles mais je vous dirai ce qui résulte de leur combinaison.
La voici : toutes les fois qu’il y a prévention de crime ou de délit, et que l’on peut trouver des pièces tendant à les prouver, (Erratum inséré au Moniteur belge n°74, du 15 mars 1837 :) soit au domicile du prevenu, soit dans d’autres domiciles, le plus petit juge d’instruction, le dernier procureur du Roi, a le droit de se saisir de la pièce et de la faire porter à son greffe. D’un autre côté le président des assises, en vertu de l’article 259 qui lui confère un pouvoir discrétionnaire, a explicitement le droit de se faire apporter les pièces qui peuvent tendre à la découverte de la vérité. Et la chambre, quand elle est saisie de l’instruction de crimes dénoncés par la presse, si vous voulez, ne pourrait pas faire ce que le dernier des officiers du parquet aurait le droit de faire. Elle ne pourrait pas demander qu’on lui communique des pièces de cette nature ! La pièce dont il s’agit appartient donc à l’instruction, et si une pareille pièce était demandée dans l’instruction d’un procès criminel, je ne pense pas qu’elle pût être refusée.
On a dit encore : Qu’apprendrez-vous avec le rapport des officiers généraux ? Vous n’apprendrez que leur opinion.
Mais quand cela serait vrai, et que la chambre n’apprendrait pas la communication de ce rapport que l’opinion d’hommes spéciaux qui ont passé six mois à chercher la vérité, cette opinion n’est-elle donc pas respectable, et n’est-elle pas de nature à éclairer la nôtre ?
Est-il vrai ensuite qu’on nous ait communiqué toutes les pièces qui ont été soumises à la commission, celles entre autres contenant les aveux faits par l’inculpé qui a été entendu, sa correspondance avec les officiers généraux ? pièces qu’ils ont pu se procurer par d’autres voies ? Mais, vous n’avez pas tout cela, et cependant ce sont ces moyens que je déclare nécessaires pour l’instruction de cette affaire.
S’il ne s’agissait que de quelques dilapidations des deniers de l’État, d’une question d’argent, quelques dilapidations de plus ou de moins, nous en avons tant vu, que je vous avoue que je n’y attacherais pas une grande importance ; nous avons vu tant d’exactions, tant d’exemples de basse cupidité, dans différentes circonstances, que cela ne vaudrait pas la peine d’occuper sérieusement la chambre de ce débat. Mais savez-vous qu’en 1831 et 1832 trois à quatre mille de nos soldats sont morts de fièvres intermittentes, et que la plupart des officiers de santé qui les ont traités ont attribué cette épouvantable mortalité à la falsification des médicaments ou à leur mauvaise qualité ? Devant des faits pareils, conçoit-on qu’on se refuse à donner une simple satisfaction aux familles qui ont eu tant de pertes à déplorer, et au pays qui la demande de toutes parts ? Quant à moi, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour la lui faire obtenir.
M. le ministre des finances, avec son énergie ordinaire, nous a dit : C’est nous qui provoquons la lumière, c’est nous qui voulons que cette affaire reçoive tous les éclaircissements possibles. Mais si réellement vous voulez, vous, provoquer la lumière, pourquoi cachez-vous le flambeau ? Ce flambeau, c’est le rapport des officiers généraux ; et ce rapport vous nous le refusez sous prétexte que c’est un rapport confidentiel ; de sorte que, tout en nous offrant la lumière, vous faites tous vos efforts pour l’obscurcir. Il est facile maintenant de voir quels sont ceux qui cherchent la lumière, et l’opinion publique ne s’y trompera pas.
En sa qualité de financier, M. le ministre des finances a raison quand il dit qu’il ne s’agit ici que du chiffre demandé pour le service de santé, que c’est le budget que nous devons discuter. Mais assurément, aussi longtemps que je serai dans l’incertitude si les fonds demandés pour la pharmacie centrale recevront la même destination que ceux dont on accuse le service de santé d’avoir abusé, je ne donnerai pas de fonds pour perpétuer de semblables abus.
Et faites, je vous prie, attention, messieurs, qu’en refusant l’allocation demandée, je fais encore abstraction d’une opinion respectable mais que je ne partage pas cependant : que s’il n’y avait ni médecin ni médecine, il y aurait beaucoup moins de mortalité.
Il n’y aura donc pas grand mal à ne pas accorder de fonds pour fournir des drogues à la pharmacie centrale dans la position où on nous a placés.
Mais nous a dit M. Nothomb, où sont les faits articulés ? Comment ! vous avez nommé une commission d’enquête pour instruire 25 ou 30 faits, et vous venez nous demander où sont les faits articulés ! La commission d’enquête a travaillé six mois à l’examen des faits articulés, et vous nous demandez où ils sont ? Ils sont dans vos archives, c’est vous qui les avez. Mais la presse en a donné communication. (Erratum inséré au Moniteur belge n°74, du 15 mars 1837 :) Est-ce que la liberté de la presse n’est pas la meilleure garantie de toutes les libertés ? On semble étonné des renseignements donnés par la presse. Mais c’est par la presse qu’on connaît les abus, c’est par la presse qu’on en obtient la réparation.
On a prétendu que, dans cette affaire, il ne s’agissait que d’une plainte d’un subordonné contre son supérieur ; on ne veut y rien voir davantage. J’ai vu aussi quelque chose de ce qui a été publié ; et il m’a semblé que ce n’était pas seulement un inférieur qui dénonçait son supérieur, car j’ai vu des noms honorables qui s’associaient à cette plante, qui se l’appropriaient ; j’ai vu celui d’un de nos honorables collègues du congrès et de la chambre, d’Elhoungne. Comment ! des citoyens désintéressés dans cette question iraient-ils prendre l’énorme responsabilité de s’associer à une accusation aussi grave, si dans leur âme, ils n’avaient pas au moins la conviction ou la preuve de ces faits, et le moyen de l’établir en justice ? Voilà de ces observations qui me paraissent ne pas devoir échapper à la chambre.
Vous mettez le ministre de la guerre, dit encore M. Nothomb, dans l’alternative ou de subir l’enquête, ou de vous livrer le rapport des généraux. Quel grand mal voyez-vous donc à cela ? C’est en d’autres termes dire au ministre : Voulez-vous nous éclairer sur les faits dont il s’agit ? Si vous ne le voulez pas, nous communiquer les lumières qui sont à votre disposition, nous nous éclairerons nous-mêmes. Rien de plus naturel, rien de plus rationnel, rien de plus inoffensif, qu’une pareille conduite.
Vous ne pouvez pas vouloir former notre jugement, et si nous voulons nous éclairer par nous-mêmes, est-ce qu’il y a là un acte de défiance contre le ministre ? Le ministre dit : J’ai jugé. Je respecte infiniment ce jugement, d’autant plus que M. le ministre a fait preuve d’un excellent jugement dans la discussion de son budget, j’aime à lui rendre cette justice ; mais j’ai mon jugement à moi aussi, et quand il s’agit d’accusations portées contre une branche de son administration, je peux bien, je crois, sans être accusé de manquer de confiance dans le ministre, m’éclairer par des moyens qui ne soient pas réduits uniquement à son jugement.
Je ne pousserai pas plus loin ces observations ; peut-être aurai-je l’occasion d’y revenir dans le cours de la discussion, mais je m’abstiendrai de le faire, si c’est possible.
En résumé, je ne partage pas l’opinion de M. Milcamps qui propose de recommencer les explications ab ovo. Je n’entends pas non plus admettre la proposition de M. Lejeune. C’est la répétition de ce qui a été fait déjà. En demandant le renvoi à la commission, ce serait le renvoi des mêmes pièces dans le même état. Reste donc la commission d’enquête. Si le ministre ne consent pas à donner le document que tout le monde demande, je voterai pour l’adoption de l’enquête.
(Addendum inséré au Moniteur belge n°74, du 15 mars 1837 :) M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’ai demandé particulièrement la parole pour rectifier un fait par lequel l’honorable préopinant a débuté, et sur lequel il s’est fortement appuyé ; il a prétendu que la commission chargée de donner un avis sur les prétendus abus du service de santé avait été instituée par arrêté royal. C’est là une erreur manifeste ; il n’y a pas même eu d’arrêté ministériel : tout s’est borné à l’envoi de simples lettres d’avis aux membres de la commission, leur annonçant qu’ils faisaient partie de cette commission, et leur adressant les pièces qui devaient être l’objet de leur examen.
On a aussi exagéré la durée des travaux de cette commission. Elle a été nommée à la fin de septembre. Au commencement de novembre je lui ai demandé un supplément d’enquête que j’ai reçu à la fin du même mois. Ainsi c’est la moitié du temps qu’on a prétendu qu’elle avait employé à cet examen.
Messieurs, j’ajouterai encore quelques explications.
Dans quelques faits nouveaux que le préopinant a cités, il s’est encore rendu exclusivement l’écho de quelques journaux. Il a de plus avancé positivement que les faits existent ; car il a déclaré qu’il ne voterait pas des fonds destinés à solder des gens qui se permettent de tels abus. Il me semble que c’est dire que les abus existent. Il est positif que les faits sont antérieurs à mon entrée au ministère. L’honorable M. Desmaisières lui-même l’a reconnu dans la chaleureuse interpellation qu’il m’a adressée dans la séance du 1er ou 2 mars. Cependant tous les rapports parlent au présent ; le préopinant a fait de même. C’est faire retomber sur moi-même la défiance que font naître les faits allégués. (Dénégations.)
On a contesté l’opinion de l’honorable ministre des travaux publics sur ce que la chambre n’est pas régulièrement saisie d’une accusation quelconque. Mais le préopinant a dit : « Vous avez tort de demander où sont les faits. » Mais nous ne le contestons pas. J’ai promis de m’expliquer sur tous les faits ; et pour commencer, j’en aurai la liste à la main. Je n’ai donc pas caché les faits.
M. Jullien. - Je demande la parole pour faire une rectification.
Je n’ai pas pu dire que les faits étaient constants. Si je l’ai dit, c’est une erreur qui m’est échappé dans la chaleur de l’improvisation. J’ai voulu dire que je ne voterais pas les fonds demandés dans l’incertitude où j’étais s’ils ne seraient pas employés à perpétuer les abus dénoncés, sur lesquels il m’est impossible de fixer mon opinion. Voilà quelle a été ma pensée. Je demande que le ministre de la guerre ne se méprenne pas sur ma pensée. Je n’ai eu en aucune manière l’intention d’inculper ni lui, ni son administration, parce que je sais que les faits sont antérieurs à son administration.
M. de Jaegher. Je n’avais demandé la parole que pour présenter quelques considérations sur le service de santé, quoiqu’elles n’aient pas directement trait à la question qui doit nous occuper aujourd’hui ; mais puisqu’elle m’est accordée, j’en profiterai pour résumer mon opinion sur les propositions d’enquête et de rapport qui ont successivement été faites par la section centrale et par l’honorable M. Milcamps.
Depuis 18 mois, le chef du service de santé fait l’objet des accusations les plus graves ; la presse s’en est occupée ; la chambre s’en est saisie.
Des dilapidations se sont commises, a dit l’un ; des abus révoltants se sont fait déplorer, a dit un autre ; il n’y a que quelques irrégularités d’administration, a répondu M. le ministre, et ces irrégularités ne peuvent pas avoir exercé d’influence sur la santé du soldat.
Je n’examinerai pas, messieurs, laquelle de ces trois assertions est la plus juste ; mais quelle qu’elle soit, je vous le demande, la chambre est-elle bien en mesure d’’en établir la justice ?
Pourrait-elle juger les faits sans mettre en présence l’accusation et l’accusé ? auquel des deux accordera-t-elle sa confiance en cas de contradiction ? Il faudra donc entendre des témoins, requérir la production de pièces de conviction ? ne serait-ce pas dès lors constituer la chambre en un véritable tribunal ; tribunal que chaque question de fait arrêterait et qui, au bout de son travail, ne trouverait pas même moyen de formuler sa décision sans sortir des bornes de ses attributions, sans porter atteinte aux droits du pouvoir exécutif ? l’enquête me paraît donc impraticable dans sa forme et stérile dans ses effets.
Admettre la proposition de l’honorable M. Milcamps et demander un rapport au ministre, me semble également ne pouvoir amener aucun résultat et avoir en outre l’inconvénient d’intervertir les rôles.
Ce rapport, que serait-il, en effet, autre que l’opinion écrite de M. le ministre, opinion qui lui a fait déclarer dans cette enceinte qu’il ne redoutait aucunement la discussion, et qu’il était prêt à réfuter les griefs qui seraient portés contre le service de santé, et les accusations d’abord lancées contre le chef de ce service.
Favorable à ce service, favorable à son chef, dès lors, pourrait-il servir à votre décision ? Vous en savez assez sur ce point, et c’est l’opinion inverse dont il vous manque des éléments ; cependant, après la production de ce rapport, votre vote comme votre silence ratifierait ceux-ci, quelque nulle qu’ait été votre investigation, du poids des accusations qui pèsent aujourd’hui sur eux.
Pour moi, messieurs, croyant la chambre mauvais juge dans la question, je ne voudrais pas l’y ingérer, parce que je voudrais laisser peser toute entière sur le ministre la responsabilité de sa conduite.
Qu’il nous suffise de savoir que des subordonnés se sont élevés en grand nombre contre leur chef ; qu’ils ont articulé les accusations graves à sa charge ; qu’un pareil scandale nuisible dans toute administration, l’est à plus de titre dans celle du service de santé où il ne peut entamer la confiance sans être mortel, où non seulement il nuit, mais il tue.
Qu’il nous suffise de savoir que, dans cet état de choses, le ministre doit sentir comme nous la nécessité de remédier au mal, de rappeler à leurs devoirs ceux, quels qu’ils soient, qui s’en sont écartés ; de relever le moral que le doute même doit avoir entamé ; qu’il juge une enquête comme un moyen d’y parvenir ; un rapport public comme apte à éclairer les consciences ; des destitutions, des mises en jugements, nécessaires ; ce sont actes de sa compétence, dont l’appréciation lui appartient, qu’il prend sous sa responsabilité, qui rentrent dans le cercle ordinaire des attributions des ministres et sur lesquels nous sommes appelés à nous prononcer en leur continuant ou leur retirant notre confiance.
J’approuve en outre le ministre de défendre ses droits, en s’opposant à la communication du rapport confidentiel de subordonnés qu’il a chargé en commission de l’examen des pièces, et n’ai qu’un regret à exprimer, celui que les scrupules de délicatesse à livrer à la connaissance de tiers des avis confidentiels de subordonnés n’aient pas toujours été partagés par certains de ses collègues.
S’il devait en effet être vrai qu’un fonctionnaire public fût exposé à voir ses rapports secrets, alors surtout qu’ils portent sur des intérêts précieux, qu’ils peuvent entamer des réputations de moralité, livrés au public, vous n’en trouveriez plus qui missent dans ce genre de relations la franchise nécessaire pour être utile ; la prudence leur conseillerait de nombreuses restrictions, et des erreurs graves en seraient la conséquence.
Je me réserve le soin de demander plus tard la parole lorsque cette question sera épuisée, pour soumettre quelques observations qui y sont étrangères, à l’attention de M. le ministre de la guerre.
M. A. Rodenbach. - Je suis persuadé que le ministre de la guerre fait tout ce qui dépend de lui pour améliorer le service de santé ; il en a même déjà donné des preuves ; car ce n’est plus l’inspecteur général qui dirige, en chef, le service de la pharmacie centrale, il y a un médecin attaché au ministère de la guerre pour surveiller tout ce qui se passe à la pharmacie centrale. Il ne s’agit donc pas du ministre actuel de la guerre. Il ne s’agit que du passé, il s’agit d’extraire le chancre administratif qui existe dans le passé.
M. le ministre de la guerre a convenu qu’il y a dans le service de santé des abus, qu’il y a ce qu’il appelle des irrégularités. Mais ce que les ministres appellent des abus, des irrégularités, l’opposition ose parfois le qualifier autrement. Je déclare moi qu’il y a eu rapine, qu’il y a eu vol manifeste, et je le prouverai. Il est constant que des procès-verbaux déclarent qu’on a sophistiqué le sulfate de quinine avec la salicine, qui a une valeur 6 fois moins que le sulfate de quinine. Avec le sulfate de quinine on guérit les fièvres pernicieuses, et je ne pense pas qu’il y ait un médecin qui prétende qu’avec un fébrifuge aussi faible que la salicine on puisse guérir une fièvre pernicieuse. D’ailleurs les commissions médicales de Gand et de Bruxelles en ont fait justice.
Ainsi, je demande s’il n’est pas prouvé qu’il y a eu vol manifeste.
On ne veut pas communiquer le rapport des généraux !
Il faut un moyen d’atteindre les coupables !
Il y a, dit-on, un calomniateur. Oui, sans doute, ou bien il y a un dilapidateur. Dans le premier cas, il faut que le vil pamphlétaire qui a trempé sa plume dans le venin soit puni ; dans le second, il faut que le dilapidateur le soit. Voilà toute la question.
Pour atteindre ce but, je ne pense pas qu’il faille adopter les propositions de MM. Lejeune et Milcamps.
Mais pourquoi nous refuse-t-on la communication d’une pièce confidentielle, alors qu’on nous a communiqué une autre pièce également qualifiée de confidentielle ? Je ne trouve pas que ce soit très logique. Ce refus est sans doute fondé sur ce que la commission des généraux s’est prononcée contre le chef du service de santé. Mais on ne veut pas que les auteurs du rapport soient compromis. Messieurs, il est difficile que dans un rapport tout reste secret. On a parlé, et je pense que c’est la vérité qui s’est répandue dans le pays.
Nous, aussi longtemps que l’on ne pourra pas entendre des témoins, on ne pourra pas constater la vérité ; et la section centrale n’a pas le droit d’entendre des témoins.
Pour moi, je le déclare, si on nous donne cette mission, je donne ma démission de membre de la section centrale. Je sais que c’est également l’intention de plusieurs autres membres.
Je le répète, il y a eu dilapidation, il y a eu vol manifeste. Cela est constaté par des procès-verbaux.
Il faut de la probité ; il faut de la justice.
Nous avons fait une révolution, parce que nous manquions de justice, de liberté, de probité. Que l’on fasse donc régner la justice, la probité et la liberté.
J’ai dit.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je commencerai par donner une courte explication sur la distinction entre la pièce confidentielle qui a été communiquée, et une autre pièce qui a été refusée.
La pièce soi-disant confidentielle, renvoyée à la section centrale, n’était confidentielle que jusqu’au résultat de l’enquête. Or, du jour où j’ai déclaré à la chambre que mon opinion était formée, comme l’enquête n’avait été faite que pour moi, elle avait produit son effet, et la qualité confidentielle, qui tendait seulement à empêcher les généraux d’être circonvenus par l’accusé, venait à tomber. D’ailleurs cette pièce, soi-disant confidentielle, est imprimée et dans les mains de tous les membres ; par conséquent, sous ce rapport encore, elle a perdu son caractère de pièce confidentielle.
Je viens maintenant à la question principale que le préopinant a soulevée. Je suis heureux de trouver cette occasion d’en parler. C’est celle qui a trait au mélange du sulfate de quinine avec la salicine.
Je commence par déclarer à la chambre que la commission des généraux n’a pas eu du tout à s’occuper de ce fait. La découverte de ce fait est postérieure à mon entrée au ministère, et la commission des généraux a été instituée par mon prédécesseur.
Cette fraude…
M. A. Rodenbach. - C’est un vol.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Ce vol (si vous voulez) a été révélé d’une manière fort extraordinaire par le coupable lui-même.
Il y a certainement là un mystère, et un mystère d’iniquité. Mais il y a lieu d’espérer qu’il sera découvert, puisque la question est portée devant les tribunaux.
Maintenant je vais dire à la chambre ce que j’ai fait à l’égard de cette question, afin que, sous ce point de vue, le mystère, s’il existe, puisse cesser.
Lorsqu’il est venu à ma connaissance qu’un fournisseur avait déclaré avec mêle un huitième de salicine à une quantité de sulfate de quinine qu’il avait livrée en vertu d’un marché, je me suis livré à toutes les investigations possibles, et j’ai reconnu qu’en novembre 1835, une quantité de 7 kilog. de sulfate de quinine avait été présentée aux experts de la pharmacie et acceptée par eux ; que cette substance était renfermée dans des boîtes portant le cachet d’une des premières maisons de Paris, en possession de la confiance universelle. Les experts, à la vue de cette garantie de la bonne qualité de la substance, ont cru pouvoir se dispenser d’ouvrir toutes les boîtes ; ils en ont pris au hasard quelques-unes, ils ont examiné par les moyens d’analyse qu’on connaissait alors, et n’ayant pas découvert de mélange, ils ont accepté toute la fourniture. Il y a là une irrégularité réelle, et quoique le fait fût passé depuis une année, quand j’en ai eu connaissance, je n’ai pas hésité à punir tous ceux qui y avaient pris part.
Quelques temps après le mois de novembre 1835, l’inspecteur général du service de santé ayant été averti qu’il devait exister du sulfate de quinine mélangé, procéda à une vérification dans plusieurs hôpitaux. Il fut constaté que dans plusieurs de ces établissements le sulfate de quinine se trouvait mélangé d’un huitième de salicine ; on ne savait pas alors d’où provenait la fraude.
D’un autre côté, un des pharmaciens employés à la pharmacie centrale avait eu connaissance de la fraude commise en novembre 1835, et alors il s’était livré de lui-même à la recherche des moyens pour reconnaître la présence de la salicine dans le sulfate de quinine. Ces moyens ne paraissent pas avoir été jusque-là à la connaissance des pharmaciens. Une seconde présentation de sulfate eut lieu de la part du même fournisseur en décembre 1836. Cette partie fut analysée par les moyens nouveaux que l’on avait découverts ; on y reconnut la présence de salicine ; elle fut rejetée tout entière.
Ainsi on devait avoir la certitude qu’excepté la partie reçue en novembre, il n’existait pas de sulfate falsifié dans les hôpitaux. Cependant, je n’ai pas cru devoir me contenter de cela, et immédiatement après la déclaration du sieur de Paepe, j’ai ordonné une vérification générale des quantités de sulfate de quinine existant dans les pharmacies de tous les hôpitaux militaires. Partout, excepté à Venloo, la pureté de ce médicament a été constatée. L’existence du sulfate mélangé à Venloo provient d’une faute qui a été commise à la pharmacie de l’hôpital militaire de cette ville ; quand on y a reçu de la pharmacie centrale le dernier envoi de sulfate, lequel a été reconnu pur dans tous les établissements sanitaires, on l’a mêlé avec ce qui restait en magasin de cette substance provenant de fournitures antérieures.
Je dis donc qu’il est constant que dans aucun autre hôpital du royaume il n’existe plus en ce moment de sulfate de quinine sophistiqué ou corrompu avec de la salicine. Je puis donc détruire la crainte que sous ce rapport la santé du soldat serait compromise.
De plus, j’ai voulu m’éclairer sur l’effet que l’emploi de cette substance falsifiée a pu produire. J’ai fait faire un rapport par les chefs de tous les hôpitaux, et pour leur laisser plus de liberté pour résoudre la question, il leur a été dit que ce rapport était demandé parce qu’il avait été reconnu que l’on avait administré un médicament qui n’était pas suffisamment pur. J’ai reçu 12 rapports sur cette question. Sur 12 il n’y en a que 2 dont les auteurs croient avoir remarqué une légère différence entre l’effet du sulfate pur et celui du sulfate mélangé qui avait été employé peu auparavant. Ceux-là mêmes ont reconnu que les autres moyens employés dans les mêmes cas n’avaient pas produit plus d’effet ; de sorte que l’on peut attribuer la moindre efficacité des remèdes plutôt à la nature de la maladie qu’à la nature du remède.
Mais en revanche, d’après deux autres médecins, cette différence aurait été en faveur du sulfate mélangé ; et d’après les huit autres, il n’aurait été possible de faire aucune distinction.
En outre, un médecin d’une des premières villes du pays a déclaré « qu’ayant traité plusieurs fièvres intermittentes en ville, il lui a fallu dans beaucoup de cas porter la dose de sulfate de quinine à 30 grains pour obtenir le même résultat qu’il obtenait à l’hôpital militaire avec 20 grains du même poids. » Ce médecin en conclut avec raison que le sulfate de quinine de l’hôpital est de qualité supérieure à celui de beaucoup de pharmaciens de la ville.
Ainsi, messieurs, les familles de nos miliciens peuvent sous ce rapport être entièrement rassurées. Les médicaments mélangés qu’on a administrés à nos soldats malades n’ont produit aucun mauvais effet sur leur santé. L’intérêt seul du trésor a été lésé.
Ce n’est pas par ignorance, c’est à la suite d’une fraude commerciale que l’on a employé la salicine.
Quant à la question de vol que le préopinant a soulevée, je n’ai qu’à répéter ce que j’ai dit en commençant. Immédiatement après la déclaration du fournisseur coupable, l’affaire a été remise entre les mains de la justice réglée, qui maintenant la poursuit. Mais il n’y a aucune indice autre que sa déclaration, qui prouve qu’aucun agent du service de santé ait été impliqué dans cette affaire.
On a reconnu, il y a de cela à peu près 5 ou 6 ans, la présence d’une certaine quantité de salicine mêlée au sulfate de quinine ; une certaine analogie apparente entre les deux sels les a fait confondre quelquefois. Longtemps, on a ignoré ce mélange. Quand on l’a connu, on n’a pas cru que l’on pût employer ce moyen de fraude, parce que les moyens de préparer la salicine étaient tellement dispendieux que la salicine préparée coûte aussi cher que le sulfate. C’est une substance de laboratoire qui ne se trouve pas dans le commerce. Mais il paraît que depuis quelques temps quelques individus ont été assez habiles pour la préparer à bon marché, et en même temps pour contrefaire les cachets de la maison Lepelletier à Paris. Ces personnes ont jeté une certaine quantité de sulfate falsifié dans le commerce. Cela remonte assez loin puisqu’on a découvert à la pharmacie centrale qu’un échantillon type qui s’y trouvait depuis longtemps était lui-même mélangé de salicine.
J’espère que les investigations de la justice réglée finiront par faire découvrir la vérité tout entière. J’espère surtout qu’il sera démontré que la fraude commise n’a eu aucune influence fâcheuse sur la santé du soldat.
M. Desmet. - Messieurs, j’avais demandé la parole quand l’honorable ministre des finances avait avancé que ce n’était pas le moment de s’occuper des plaintes qui ont lieu contre le service de santé, qu’il fallait commencer à discuter le chiffre du crédit pétitionné dans le budget, et qu’après on aurait pu traiter la question des plaintes et des abus qu’on signale dans ce service.
Je ne puis partager cette opinion ; au contraire, je m’y suis opposé ; je pense, qu’au contraire, qu’on doit saisir la discussion du budget pour éclaircir un objet d’une telle importance comme celui dont il est question et qui fait tant de bruit ; je ne dis point qu’il faille laisser en souffrance le service de santé en ajournant le vote de l’allocation des sommes qui y sont nécessaires ; loin de là, et je veux, avec l’honorable M. Lejeune, que si, à cause des plaintes qu’on désire éclaircir, on doit ajourner le vote au chiffre entier du budget, on accorde un crédit provisoire afin de ne laisser aucun instant en souffrance le service de santé de nos troupes.
Car ce service doit faire l’objet de notre plus vive sollicitude, mais c’est surtout pour cette raison que nous ne pouvons rien épargner pour qu’il soit bien desservi et qu’aucun soin ne manque à la santé de nos soldats, et que dans un moment où des plaintes à l’égard de son administration retentissent dans tous les coins du pays, il me semble que c’est le devoir de la représentation nationale de s’informer des faits, et, en éclairant la nation, la tranquilliser sur ce point.
Messieurs, je ne veux pas parler d’après des brochures et des écrits ; j’y donne peu de foi, et surtout dans cette occasion elle viennent toutes d’une même source, mais il y a un fait certain : c’est celui que j’ai signalé dans la discussion générale du budget, qu’il y a une grande méfiance dans l’armée à l’égard du service de santé, et que le bruit est aussi général dans le pays qu’il existe des abus dans ce service.
On croit que cette méfiance des soldats n’est pas réelle, mais on se trompe ; elle existe certainement ; il n’y a que quelques jours que des officiers de la garnison de Gand ont été consultés à ce sujet, et ils ont positivement déclaré que le soldat dépenserait tout son avoir pour échapper à entrer à l’hôpital, et que même il se présente malade aux appels pour ne pas faire soupçonner qu’il est absent pour cause d’incommodité et être forcé par ses supérieurs de se rendre à l’hôpital.
Et, messieurs, ce n’est pas à Gand seul que cette méfiance existe, elle est presque partout ; je désire que l’honorable général, ministre de la guerre, s’en informe, je ne doute pas qu’il reconnaissance que l’assertion est exacte.
Que le bruit qui court sur le compte du service de santé soit général dans le pays, c’est un fait qu’il serait difficile à contester. Il est donc nécessaire et même urgent d’éclaircir les faits, il l’est surtout dans un moment que nous devons augmenter le budget de 4 à 5 millions ; car il faut faire voir au pays, que, quand nous votons un budget si élevé pour l’armée, c’est pour couvrir la dépense que la défense du pays exige, et que nous sommes bien soigneux de ne pas en laisser dilapider un seul centime.
De tous les faits qu’on allègue et qui font bruit dans le public, je reconnais que les preuves ne s’y trouvent pas à côté, et qu’ainsi, pour ce qui me regarde, je ne veux pas les imputer à celui auquel ils s’adressent ; mais cependant il y en a un qui est très grave et qui est suffisamment prouvé. C’est précisément celui dont on vient de parler, celui qui concerne la falsification du sulfate de quinine. Ce fait est certainement prouvé, il est même avoué par l’auteur de la falsification ; on ne peut donc plus en douter.
Mais si cette falsification, me dira-t-on, a eu lieu, il n’est pour cela pas prouvé que l’administrateur supérieur du service en soit la cause : cela est peut-être vrai, mais je répondrai cependant que, si ce fonctionnaire n’en est pas la cause directe et qu’il n’ait point commis un acte répréhensible, je ne sais pas si on ne pourrait pas lui faire le reproche qu’il l’ait laissé commettre ; et qu’on pourrait lui adresser le reproche d’une faute de crasse négligence dans ses fonctions.
Messieurs, vous savez tous que le sulfate de quinine se vend ordinairement 8 fr. l’once, ou environ 256 fr. le kilogramme. Eh bien ! quand l’adjudication a eu lieu pour l’entreprise faite par le pharmacien de Paepe, si j’ai été bien informé, comme je crois l’avoir été, le kilogramme a été adjugé au prix seulement de 200 fr. environ, et je crois même pouvoir dire ici que ce bas prix avait surpris un haut fonctionnaire du ministère de la guerre, qui ne pouvait s’expliquer comment on aurait pu livrer à ce prix la quinine qu’on doit tirer de Paris, étant seulement là qu’on en faisait de bonne et dont on fait usage dans toute la Belgique.
Il me semble, quand l’administrateur supérieur du service de santé s’aperçoit que le prix de l’adjudication pour la livraison du sulfate de quinine est si bas, qu’il aurait bien dû s’enquérir si les livraisons faites dans les hôpitaux et à la pharmacie centrale étaient réellement du pur sulfate de quinine ; cependant il ne l’a pas fait, et ce n’est que depuis l’administration de l’honorable général qui a aujourd’hui le portefeuille de la guerre, qu’on a reconnu de la falsification dans la quinine livrée à l’armée.
Je peux donc dire qu’il y a négligence crasse dans ses fonctions de la part de l’inspecteur général du service de santé, et qu’on ne doit aucunement s’étonner qu’il y ait méfiance dans l’armée sur ce service, et que le pays retentisse des abus qu’on y signale.
On dit que la salicine ne fait point de tort à la santé ; je suis d’accord que cet alkali qu’on extrait de la sève de saule n’est pas du poison ; mais qui pourrait me dire que ce n’est pas dangereux pour le malade d’employer de la quinine mélangée ou falsifier pour de la pure ? Un officier de santé, dans la confiance que la quinine est pure et bonne, l’administre à son malade à la dose ordonnée, mais il se trouve trompé quand la qualité est altérée et qu’elle a perdu de sa force.
Cependant, messieurs, il est connu que des cas se présentent dans la médecine qu’il faut agir avec vigueur et activité pour casser la fièvre à un malade, si on veut l’échapper à la mort. Si donc, la salicine n’est pas un poison pour l’homme bien portant, elle peut être mortelle, quand on l’emploie comme fébrifuge au lieu de la quinine ; c’est aussi pour ce motif que les pharmaciens ne peuvent la débiter sans une autorisation expresse de la commission médicale, et que, si on les trouvait en contravention sur ce point, ils seraient punis d’une forte amende. La salicine est encore tellement peu connue en médecine que, ne pouvant encore apprécier sa vertu, les médecins n’osent pas encore la prescrire.
On croit que le mélange de la salicine avec la quinine est tellement difficile qu’on ne peut le faire que par une grande opération chimique et très coûteuse, mais on se trompe ; le grain de sulfate de quinine ressemble tellement à celui de la salicine ou de l’alkali, qu’on extrait du saule, qu’on s’y trompetait facilement ; le mélange peut donc se faire par une opération purement mécanique et sans grands frais. Mais si le mélange en est facile, il est aussi très facile de reconnaître si la quinine en est falsifiée ; le goût doit l’indiquer de suite, et il me paraît très étrange que l’administrateur supérieur du service de santé n’ait pas eu la précaution de s’assurer que la quinine livrée à l’armée n’a pas été falsifiée, surtout, comme nous l’avons déjà fait remarquer, que l’entreprise de Paepe doit tant sous le prix courant.
Mais, messieurs, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on se plaint dans l’armée du service de santé, vous devez vous ressouvenir qu’il y a quelques années, quand on parlait de guerre, les ambulances manquaient beaucoup d’objets essentiels ; je sais bien qu’il n’y avait aucun brancard.
Il y a trois ans, je me rendais au camp près de Diest, j’y rencontrai quelques miliciens de mon district ; ils étaient malades dans une baraque qui servait d’hôpital et étaient atteints de l’ophtalmie ; les questionnant sur la manière qu’ils étaient soignés, ils se plaignaient que depuis plusieurs jours ils n’avaient pas été visités par les officiers de santé et qu’ils étaient absolument négligés.
Je le dis donc, je crois vraiment que les motifs de méfiance et de plaintes contre le service de santé sont fondés, et qu’on ne peut trop se presser pour éclaircir cette affaire et y porter remède.
Quand nous insistons pour éclaircir l’affaire du service de santé, nous ne voulons rien faire qui puisse blesser le gouvernement et encore moins la conduite du ministre de la guerre ; au contraire, nous le voulons pour servir le gouvernement, l’armée et le pays, et je ne puis concevoir comment on pourrait soupçonner que cette investigation puisse avoir quelque chose d’hostile à l’honorable général ministre de la guerre, et il ne peut, je pense, douter de nos intentions à ce sujet. Je serais même fâché que cette démarche pût le contrarier en quelque chose, car je reconnais dans l’honorable général qui est dans ce moment à la tête de l’administration de la guerre, une de ces capacités rares, digne du choix du souverain, et qui déjà a mérité la confiance de la chambre, par la belle défense de son budget et le perfectionnement et l’aplomb qu’il a fait apercevoir dans la discussion.
Je parle de ceci à propos, parce que déjà on a débité que le ministre faisait de l’affaire du service de santé une question de portefeuille. J’espère bien que ces on-dit sont bien gratuits, et j’en aurais beaucoup de peines, je dois sincèrement l’avouer, car ce serait bien dur pour des représentants qui parleraient et travailleraient non seulement dans l’intérêt du pays et de l’armée, mais même dans celui du gouvernement et en particulier du ministre de la guerre, qu’ils fussent la cause qu’un ministre capable et estimé et digne de la confiance générale abandonnerait un poste d’où dépend la sûreté du pays, surtout dans un moment où nous avons besoin d’être rassurés. Je le dis donc encore, j’espère que ces on-dit sont des conjectures non fondées, et je conjure l’honorable général de se convaincre que rien n’est hostile à son égard et que tout se fait pour le bien de l’administration dont il est le digne chef.
Je m’explique pourquoi il y a refus de produire l’enquête confidentielle des trois généraux, car il me semble que si toujours on devait mettre au grand jour les rapports des commissions secrètes, à la fin plus personne ne se trouverait pour composer de telles commissions ; d’ailleurs, je pense que les membres de cette commission ne verraient pas non plus avec plaisir que leur rapport confidentiel soit connu hors de l’administration ; je ne peux donc, à cet égard, critiquer la conduite de M. le ministre.
Je ne m’explique pas encore sur la proposition de l’honorable M. Lejeune, car j’ignore si les pièces qui ont été communiquées à la section centrale sont suffisantes pour jeter quelque jour sur l’affaire, car tout mon but est de l’éclaircir amplement ; cependant nous ne pouvons en juger, car d’après son dernier rapport la section centrale n’a examiné aucun pièce ; il serait donc possible que dans un examen approfondi la section pût faire un rapport à la chambre qui lui ferait voir plus clair dans cette malheureuse affaire, et la chambre pourrait, en connaissance de cause, se décider pour ou contre l’enquête parlementaire ; en tout cas, je vois dans la proposition de l’honorable M. Lejeune un commencement d’enquête. Je réserve donc mon vote.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je suis obligé de répéter ce que j’ai dit déjà plusieurs fois.
Dans aucun des rapports qui m’ont été adressés, il n’est constaté que le soldat ait de la répugnance à enter à l’hôpital ; sans doute il n’aime pas l’hôpital ; personne ne l’aime, et le soldat pas plus qu’un autre. Mais une fois qu’il y est entré, il reconnaît qu’il y est convenablement traité, et il y reste sans répugnance.
Le fait de la présence de la salicine dans le sulfate de quinine, je viens de l’exposer tel qu’il est venu à ma connaissance. Je crois que c’est une chose nouvelle que le mélange en grand de ces sels. La difficulté de faire la distinction d’un sel d’avec l’autre résulte des propriétés physiques que l’honorable préopinant vient de rapporter.
Quant au prix du sulfate de quinine, c’est un prix d’adjudication. On prend le prix du commerce, et lorsqu’un fournisseur propose un rabais, on l’accepte ; mais si le rabais est trop considérable, on le refuse.
En 1835, on a fait un marché particulier pour une fourniture de sulfate de quinine ; et parce qu’on voulait favoriser un établissement d’instruction, où l’on fabriquait des produits chimiques, on lui adjugea la fourniture.
Le prix du commerce était alors de 260 fr. le kilogramme, et l’adjudication a eu lieu pour 220 fr. Dans l’accusation intentée contre le chef du service de santé, on lui reproche d’avoir exagéré les prix des substances achetées, quoiqu’il soit étranger à la détermination de ces prix. De plus le prix de 220 fr. ne devait pas paraître exagéré à l’époque où le marché a été passé.
(Addendum inséré au Moniteur belge n°74, du 15 mars 1837 :) Les chiffres que je viens de citer de mémoire ne sont qu’approximatifs.
Le fait de la falsification du sulfate de quinine par la salicine a été exagéré, et on ne le connaissait pas avant la révélation du fournisseur.
Je dois dire ici quels changements j’ai introduits dans le service de santé, pour éviter à l’avenir de semblables abus et d’autres.
Avant d’avoir eu le temps d’étudier la question, avant d’avoir la conviction qu’il n’y a aucun fait de malversation dans le service de santé, j’avais supposé la malversation, et je cherchai les moyens de l’empêcher de se renouveler ; ces moyens m’ont paru se trouver dans le retour à l’organisation de 1817, dont on s’était écarté depuis l’époque de la révolution. D’après cette organisation le chef du service de santé n’a pas à s’occuper de l’achat des médicaments ; il doit seulement tenir la main à ce que les pharmacies des hôpitaux soient suffisamment pourvues ; et c’est un intentant qui fait les adjudications pour la fourniture des médicaments.
Maintenant, messieurs, la surveillance et le contrôle de la comptabilité de la pharmacie centrale ainsi que l’observation des formes d’expertise et de réception des fournitures, a été placé dans les attributions du corps de l’intendance qui est particulièrement constitué pour vérifier et contrôler toutes les dépenses du ministère de la guerre.
D’un autre côté, il m’a paru impossible qu’un ministre de la guerre quelconque ait assez de connaissance médicale pour pouvoir résoudre la question que peut présenter le service de santé, et j’ai pensé que le ministre ne devait pas pour cette partie du service rester sous la dépendance d’un seul homme et n’entendre qu’un seul avis ; en conséquence j’ai fait pour le service de santé ce qui existe pour les autres branches de l’administration qui sont dirigées par des hommes spéciaux, et j’ai appelé au ministère de la guerre un des médecins principaux de l’armée qui a pour mission d’éclairer le ministre chaque fois qu’une question intéressant la santé du soldat se présentera.
Voilà les changements que j’ai cru devoir introduire afin de prévenir des abus de la nature de ceux que la clameur publique a signalés.
J’entre dans ces détails pour rassurer les esprits relativement aux craintes que l’on manifeste. Désormais les abus seront sinon impossibles, du moins beaucoup plus difficiles.
M. Lejeune. - Je n’aurais pas repris la parole si quelques orateurs ne m’avaient fourni un nouvel argument à l’appui de mon opinion.
J’ai dit tantôt que je préférerais l’enquête judiciaire à toute autre.
Jusqu’ici et d’après les rapports qui ont été faits, il paraissait qu’il y avait prescription à l’égard de la plupart des abus dénoncés à l’opinion publique ; mais l’honorable M. Dumortier a parlé de concussion. Cet honorable membre n’a pas affirmé que la concussion existât réellement ; moi, de mon côté, je n’affirmerai pas non plus qu’elle n’existe pas ; il est convenu de ne rien préjuger.
Toutefois, s’il y a eu concussion, c’est pour moi un motif de plus, pour ne pas recourir immédiatement à une enquête parlementaire ; car s’il y a concussion, il n’y a pas prescription, et l’affaire pourrait être déférée aux tribunaux.
Mais ne pouvons-nous pas arriver à ce résultat au moyen de l’examen auquel procéderait la section centrale aussi bien que par l’enquête parlementaire ?
L’honorable M. Dubus a dit qu’il faudrait ajouter à ma proposition ces mots : « renvoyer pour la seconde fois à la section centrale. » Je sais fort bien que les pièces que je propose de renvoyer à la section centrale lui ont déjà été envoyées ; mais la section centrale ne les a pas examinées : voyez son rapport, elle a déclaré que le temps lui avait manqué pour les examiner ; je veux lui donner le temps nécessaire pour qu’elle puisse faire cet examen.
Quelques membres ont paru croire, en parlant de ma proposition, que je reculais devant l’enquête, que je voulais absolument l’éviter.
Mais, messieurs, j’ai déclaré tout le contraire, j’ai dit seulement que je n’en voulais pas dans l’état actuel de la question, qu’elle devait être justifiée par un rapport préalable d’où il résulterait qu’elle est devenue nécessaire.
M. A. Rodenbach a dit qu’il voulait de la justice, de la probité et la répression des délits et des crimes ; moi aussi je veux la justice, la probité et la répression des délits et des crimes, et même de toute espèce d’abus quels qu’ils soient, et je déclare que je ne reculerais devant aucun moyen pour arriver à cette répression ; seulement nous ne sommes pas d’accord sur les moyens à employer actuellement ; nous sommes d’accord sur ce point qu’une instruction est indispensable ; la seule chose sur laquelle nous ne sommes pas d’accord, c’est le mode de procéder à cette instruction.
Je persiste à croire que l’enquête parlementaire est un dernier moyen, et que la chambre ne doit y recourir que lorsque le mode d’investigation ordinaire ne conduit pas au résultat auquel on croirait pouvoir arriver par l’enquête elle-même.
Je bornerai là mes explications. J’ajouterai seulement que je persiste à croire aussi qu’il n’y a dans cette discussion aucune espèce de défiance envers le ministre de la guerre, et que la confiance de la chambre lui a déjà témoignée ne manquera pas d’être confirmée dans ce débat par les orateurs mêmes qui ne partagent pas son opinion.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je partage entièrement l’opinion du préopinant, et je déclare avec lui qu’il eût été à désirer que l’affaire fût renvoyée devant les tribunaux. Cette opinion est le résultat du trop long examen auquel je me suis livré. Si je n’avais pas tenu à scruter moi-même cette question, l’affaire serait plus avancée. Après l’investigation la plus minutieuse, je n’ai trouvé aux faits allégués aucun des caractères capables de devenir l’objet d’une poursuite judiciaire.
Il est certain que toute cette affaire, telle qu’elle est officiellement engagée, se réduit à une plainte, à une dénonciation d’un subalterne du service de santé, contre le chef de ce service. Quel serait le but et le résultat de l’enquête ? Ce serait nécessairement celui-ci : que la législature viendrait prendre la place du ministre qui serait chargé de maintenir la subordination entre les officiers, que ce serait la chambre ; dès lors le ministre perdrait toute autorité ; et, messieurs, si un ministre a besoin d’autorité, c’est bien celui de la guerre. Si on la lui enlève, on lui ôte la faculté de faire le bien et par conséquent la possibilité de rester ministre. Je le répète : je considère l’enquête comme un acte de défiance, comme un acte de suspicion, auquel aucun ministre ne me semble pouvoir se soumettre.
M. Milcamps. - Messieurs, M. Jullien a paru s’étonner que j’aie demandé des explications, puisqu’il a fait observer qu’on les avait déjà données.
L’honorable membre regarde comme suffisantes les explications que nous avons déjà reçues. Il pense que la question est suffisamment éclaircie, qu’elle est bien posée ; c’est son affaire ; mais ce n’est pas la mienne.
J’ai demandé que le ministre nous fît un rapport, et selon moi c’est la seule marche qui devrait être suivie.
Si le ministre s’était décidé à faire un rapport, il nous aurait exposé succinctement les abus qui pouvaient exister dans le service de santé ; il nous aurait dit s’il avait reconnu ou non que les employés de l’administration méritaient des reproches à cet égard ; il aurait pu nous faire connaître son opinion personnelle sur le plus ou moins de culpabilité de ces employés, et alors sa déclaration solennelle aurait fait de l’impression sur les membres de cette chambre ; au moins, elle en aurait fait beaucoup sur moi.
Mais, messieurs, quelques orateurs (je ne dirai pas la chambre) aiment mieux procéder par voie de proposition particulière ; quelques orateurs aiment mieux procéder par voie d’objection, et provoquer ainsi les explications de M. le ministre de la guerre.
Je conviens, messieurs, que de cette manière vous parviendrez au même résultat, c’est-à-dire que vous aurez des explications. Mais vous devez alors avoir recours au Moniteur, vous aurez à chercher les faits qui auront été articulés par les différents orateurs, vous y verrez les réponses faites par le ministre ; toutefois rien ne nous garantira que les faits avancés par les orateurs qui prendront la parole, sont exacts ou non.
Je suis convaincu que par suite de cette manière de procéder la chambre pourra prendre difficilement un parti, elle se trouvera peut-être réduite à décréter l’enquête.
Mais, quant à l’enquête, assurément je ne m’y associerai pas. Que veut-on par là ? Que la chambre se porte accusatrice, qu’elle remplisse le rôle de juge d’instruction, et qu’enfin elle fasse le devoir du jury.
Et ce serait là, messieurs, la conséquence inévitable de cette mesure, si elle était adoptée.
Car, quand la commission aura été nommée, qu’elle aura pris connaissance des faits, je ne sais où, dans les pièces peut-être produites par M. le ministre de la guerre, dans les brochures, dans les journaux ou à toute autre source ; eh bien, elle devra faire des investigations, elle appellera des témoins. Je ne sais ce qu’elle fera ensuite, mais elle finira par venir dire à la chambre qu’il y a eu des abus, qu’il y a des coupables ; elle ne viendra pas dire à la chambre qu’il faut frapper, parce que la chambre est impuissante pour cela, mais bien qu’il faut y inviter le ministre de la guerre, qu’il faut renvoyer les prévenus devant les tribunaux. C’est un rôle auquel je ne veux nullement m’associer.
Je regrette, messieurs, de n’avoir pas le talent de l’improvisation, et de ne pas pouvoir vous communiquer toutes les idées qui m’assiègent en ce moment.
L’honorable membre auquel je viens de répondre a trouvé étrange que j’aie invoqué l’opinion de l’orateur romain sur l’abus des lettres confidentielles ; il ne fallait pas pour cela, a dit M. Jullien, remonter si haut, il suffit de voir le code pénal.
Que l’honorable membre me permette de lui faire observer que sa citation est bien malheureuse, car le code pénal ne s’occupe pas des personnes qui abusent des lettres confidentielles, mais seulement des préposés ou des fonctionnaires qui abusent du secret des lettres confiées à la poste. Je ne puis attribuer qu’à la rapidité de son improvisation l’erreur dans laquelle est tombé cet honorable et spirituel membre de la chambre.
Je dois ici un mot de réponse à l’honorable M. Dumortier, qui a aussi manifesté son étonnement de la proposition que j’ai faite, mais qui a accompagné l’expression de sa surprise d’une observation assez naïve.
Si M. Milcamps, dit-il, a des renseignements, qu’il les communique à la chambre. Mais si l’honorable membre avait compris ma proposition, il y aurait vu que je demandai moi-même des renseignements, que je voulais être à même d’apprécier les faits qui pèsent sur le service de santé ; et je le répète, c’est la seule marche régulière que l’on puisse suivre.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, dans une circonstance précédente, parlant précisément sur la question qui nous occupe, j’ai dit que je voulais me prononcer en homme consciencieux, d’après les éléments qui doivent former ma conviction, et non pas sur la foi d’autrui.
C’est d’après ce principe, messieurs, que je ne me suis pas fait une opinion d’après des bruits de journaux ; je ne m’en suis pas fait une non plus d’après l’opinion qui a été énoncée par M. le ministre de la guerre, opinion formée sur des éléments qui non seulement me sont inconnus, mais dont on nous a même refusé la communication.
La première règle, messieurs, lorsqu’on veut faire partager sa conviction à autrui, c’est de ne supprimer aucun des éléments de cette conviction. Sinon, celui à qui on s’adresse, tient de suite son jugement en suspens et veut tout voir avant de se prononcer.
On a beau dire qu’une pièce est confidentielle. Rien n’est plus aisé à dire que cela. Toute pièce administrative peut être déclarée confidentielle.
C’est un moyen tout trouvé de soustraire à l’examen de la chambre tout ce que l’on voudra lui cacher ; c’est au moins ce que bien des personnes penseront, et la chambre doit bien se garder de laisser croire, ne fût-ce qu’à une partie du pays, qu’elle met trop de laisser-aller dans ses examens, qu’elle prononce sans avoir tout vu, sans avoir reçu communication de toutes les pièces.
Quand nous avons demandé une enquête, on nous a dit d’abord qu’il y avait une question de droit, mais on a ajouté ensuite que cette question n’en est pas une, puisque la constitution a parlé. Je le crois bien ; il est impossible de s’exprimer en termes plus absolus ni plus positifs : chaque chambre a le droit d’enquête. Il faut bien que l’on s’incline devant cette phrase et que l’on dise : La question de droit n’en est pas une. Heureusement que cette phrase se trouve dans la constitution car, si elle ne s’y trouvait pas, quoiqu’il n’y ait pas d’article dans la constitution qui limite les attributions de la représentation nationale, qui limite les moyens d’action et d’informations, qui dise qu’elle n’a d’autres attributions que celles qui résultent des divers articles qui concernent les pouvoirs, on viendrait vous dire que donner à la chambre le droit d’enquête c’est rendre l’administration impossible, car c’est là ce qui eu dans le fond des doctrines de nos adversaires : on ne le dit pas parce qu’on trouve écrit en toutes lettres dans l’art. 40 de la constitution que chaque chambre a le droit d’enquête, mais on pense : Eh bien oui, en droit, les chambres auront le droit d’enquête, mais en fait nous ferons en sorte qu’elle ne puisse user de cette prérogative, que ce soit une lettre morte. On manœuvre donc en sorte que la chambre ne puisse exercer le droit d’enquête. Cependant si jamais occasion fut opportune pour l’exercice de ce droit, c’est assurément celle dans laquelle nous nous trouvons, et je m’étonne qu’après avoir en quelque sorte admis l’enquête (car les paroles prononcées à la tribune nationale sont là, elles demeurent quoiqu’on en dise) on vienne maintenant en contester l’utilité.
Comme on vous l’a déjà dit, messieurs, l’enquête ne serait aucunement dirigée contre le gouvernement ; la chambre est saisie d’une question, il faut bien qu’elle la décide et si l’on disait que nous n’en sommes pas saisis, je demanderais pourquoi nous avons plusieurs rapport de la section centrale sur cette question. Une enquête a été faite, on en demande communication et à droit ou à tort (j’examinerai tout à l’heure ce point), on refuse cette communication. Qu’y a-t-il alors de plus convenable à faire ? C’est que la chambre fasse elle-même une enquête ; c’est la première idée qui se présente, c’est la première idée qui s’est présentée à l’esprit de M. le ministre de la guerre, qui croyant en conscience devoir refuser la communication d’une enquête qu’il croyait confidentielle nous disait : « Vous voulez une enquête ; eh bien, je m’y prêterai de tous mes moyens. » Maintenant M. le ministre s’y prête en disant qu’il ne faut pas la faire.
M. le ministre de la guerre et d’autres orateurs ont dit : « Mais où sont les faits ? Articulez les faits ! » Cette question doit tout au moins nous surprendre au point où en est venue la discussion ; ce n’est pas après tout ce qui a été dit et demandé d’une part et promis de l’autre sur les abus qu’on reproche du service de santé, qu’on peut venir dire : « Où sont les faits ? articulez les faits, je suis prêt à les rencontrer, vous allez faire une enquête improvisée ; vous énoncerez des faits, je répondrai : Tout cela sera très concluant et vaudra l’information la plus approfondie. »
Avant la réunion des chambres, lorsque l’opinion publique était fort préoccupée des abus reprochés an service de santé, le gouvernement juge à propos de faire connaître au public qu’il serait nommé une commission d’enquête sur les faits.
Quand on annonce cela au public, on lui fait la promesse formelle de lui faire connaître le résultat de l’enquête ; mais cela à été jeté comme une pâture à l’opinion publique, afin qu’elle prît patience, afin qu’elle attendît : eh bien, on attend, les chambres se constituent, on arrive à la discussion de l’adresse ; un honorable membre témoigne son regret de l’absence de M. le ministre de la guerre, il dit qu’il a à lui faire des interpellations sur le rapport que trois généraux ont été chargés de faire concernant le service sanitaire de l’armée et il parle des abus reprochés à cette administration ; aussitôt un membre du cabinet se lève et répond : « Quant au service sanitaire de l’armée ce n’est pas le moment de s’en occuper, les faits qu’on lui reproche sont l’objet d’une enquête administrative et judiciaire. Ce sera donc le moment de s’en occuper quand l’enquête sera terminée ; » mais le moyen de s’en occuper quand le ministre tient cette enquête devers lui, quand il la supprime ! Je ne conçois pas comment on peut tant se jouer de la représentation nationale, venir dire d’abord : « Attendez, on fait une enquête. » Et quand l’enquête est terminée et que nous en demandons communication, nous répondre : « L’enquête est confidentielle, elle a été faite pour le ministre, elle ne vous regarde pas. » Il ne fallait donc pas dire : « Attendez. »
Pour apprécier à sa juste valeur cette assertion que l’enquête est confidentielle, ii suffit de se demander ce que c’est qu’une enquête. Eh bien, messieurs, qu’est-ce qu’une enquête ? Une enquête est une information sur des faits. Et comment s’opère cette information ? C’est en écoutant des témoins et en consultant des pièces. Eh bien, messieurs, qu’y a-t-il de confidentiels en cela ? Comment le juge ou le fonctionnaire de l’ordre administratif peut-il se compromettre en faisant une semblable opération ? peut-il être responsable d’autre chose que de l’exactitude qu’il apporte, à recueillir la déposition des témoins et à analyser les pièces ? En quoi pourra-t-il se compromettre en rendant compte de ce que les témoins ont dit et de ce qu’il a vu dans les pièces ? « Cette enquête est confidentielle, dit le ministre, parce qu’elle a fait son effet ; elle n’était que pour moi et elle m’a servie, maintenant je garde les pièces secrètes. » Elle a fait son effet pour le ministre, c’est très bien : mais elle n’a pas fait son effet pour nous, mais il ne résulte aucunement de là qu’il ne convient pas de nous la communiquer. M. le ministre des travaux publics a dit : « Cette commission n’était pas un tribunal, ce n’était pas une réunion d’arbitres ; elle était chargée de recueillir des faits, d’examiner des pièces et le ministre se réservait de prononcer. » Eh bien, messieurs, il résulte précisément de là qu’il n’y a aucun inconvénient à nous communiquer le travail de cette commission ; si elle a émis un avis, on peut présenter cet avis comme confidentiel, mais les informations n’ont aucun caractère confidentiel : c’est nier l’évidence que de prétendre que des informations sur des faits puissent avoir un caractère confidentiel. « Le ministre s’était réservé de prononcer ! » ; soit : tout ce qui résulte de là, c’est que le ministre pouvait disposer et faire connaître comment il avait prononcé.
Il dépendait de lui de se prononcer ou de ne pas se prononcer ; mais l’enquête d’information sur les faits dans laquelle nous croyons trouver comme lui des éléments pour former notre conviction, il n’y a pas de motifs pour ne pas nous la communiquer.
Cependant on refuse la communication cette enquête, qui, remarquez-le bien, ne contient pas même l’avis des membres de la commission, mais seulement une information sur les faits. Mais on nous communique les expertises. Il est vrai que ces expertises seraient favorables au service de santé. Quant à moi le ne pense pas que ce soit d’après le résultat favorable ou défavorable d’une information quelconque, que le ministre doit décider s’il nous la communiquera, oui ou non. Ce serait le moyen de nous empêcher d’arriver à la découverte de la vérité, à moins que nous ne prissions nous-mêmes le parti de faire une enquête.
Qu’est-ce qu’une expertise, si ce n’est la constatation de certains faits ? De plus une expertise implique jugement de la part de celui qui expertise, il y a des faits qu’il apprécie comme expert, tandis que l’enquête n’implique pas un jugement Ainsi, sous le rapport de la responsabilité de ceux qui ont signé les actes, il y a moins d’inconvénient à communiquer l’enquête que l’expertise.
Cependant messieurs, la communication de cette pièce nous a été refusée à différentes reprises.
Je pourrais, messieurs, rappeler que l’on n’a pas toujours été, à l’administration de la guerre, aussi délicat sur le refus de communiquer au public ce qu’on appelait des enquêtes. Dans une circonstance que personne n’aura oubliée, on a donné le nom d’enquête à une espèce d’information que je qualifierai de guet-apens, qui s’était faite dans un cabinet du ministre, tandis qu’une personne que je ne qualifierai pas, était interrogée dans un autre cabinet. Le résultat de cette odieuse information fut publié dans les journaux avec l’autorisation expresse du ministre de la guerre. Voilà ce qu’on n’aurait pas dû se permettre, car qu’était cela ? Des officiers intérieurs, qui, placés en quelque sorte derrière une porte, faisaient une information à charge de leur supérieur. On n’a trouvé rien d’inconvenant à publier cette pièce. C’était là pourtant une information tout à fait secrète, mais odieuse dans sa forme ; celui à charge de qui on informait, ne se doutait pas qu’on fît cette information. Le ministre n’a pas consulté la personne intéressée pour savoir si elle avait quelque chose à répondre ; il a sans hésiter autorisé, par une lettre qi a été rendue publique, la publication de l’information.
Aujourd’hui que des hommes placés aux sommités de la hiérarchie militaire ont été chargés de faire une information, lorsque l’information a été annoncée au public et que le public avec impatience et anxiété en attend les résultats ; qu’on est obligé d’avouer que cette information ne contient que le recueil des faits et des pièces, sans avis des membres de la commission, on ne veut pas communiquer cette information, on dit que c’est chose confidentielle, que plus un officier ne voudrait accepter une pareille mission à l’avenir, si on ne se faisait pas un devoir de tenir ces pièces secrètes. Encore une fois comment cette communication peut-elle compromettre les membres de la commission, s’ils n’ont pas émis d’avis ? J’irai plus loin, je suis certain que pas un d’entre eux n’a demandé qu’on gardât le secret sur l’information. S’il en est ainsi, je demande dans l’intérêt de qui la pièce est déclarée confidentielle. La raison qu’on mettait en avant faisait supposer que c’était l’intérêt de ceux qui avaient fait l’information qu’on avait en vue en refusant de la communiquer Mais, du fond de mon cœur, je suis convaincu que pas un des signataires de l’enquête ne désire qu’elle soit tenue secrète. M. le ministre ne pourrait pas dire le contraire. Dans l’intérêt de qui donc persiste-t-on dans ce refus ? Est-ce par hasard dans l’intérêt de la découverte de la vérité ?
Ce refus, je le dis encore, a produit une impression fâcheuse. Il faut éviter qu’il ne s’accrédite l’opinion que dans les questions de cette nature on ne communique que ce qui est favorable à l’administration et qu’on retient le reste.
Tandis qu’on refusait cette pièce, où on devait trouver des éléments de conviction puisque la mission spéciale de ces officiers-généraux avait été de recueillir les faits et d’examiner les pièces, on est venu déposer, quand déjà la discussion, était ouverte, quand le rapport de la section centrale avait été distribué, on est venu déposer sur le bureau un énorme dossier, en disant : Cherchez là-dedans si vous pouvez trouver quelque chose qui puisse éclairer votre conviction. Et ce travail d’information qui a demandé plusieurs mois aux officiers généraux qui en furent chargés, ce travail qui a demandé un long temps au ministre lui-même, quoiqu’il ait eu l’enquête sous les yeux, on s’étonne que la section centrale ne l’ait pas encore terminé : voilà, dit-on, autant de jours que nous discutons, si la section centrale avait voulu, elle aurait pu examiner cette affaire et vous présenter un rapport. Apparemment que quand nous passons les jours à discuter ici, on voudrait que la section centrale, passât les nuits à examiner le volumineux rapport déposé par M. le ministre de la guerre à une époque si récente. Il y a, je crois, 400 pièces dans ce dossier.
Si la section centrale n’a pas pu examiner toutes les pièces, elle a pu se convaincre par l’examen superficiel qu’elle a fait, qu’une enquête était indispensable, que l’information générale devait être recommencée si on persistait à refuser la communication de l’enquête des généraux. C’est pour cela qu’elle a proposé de recourir à une enquête.
C’est là, vous a-t-on dit, un moyen extrême, un moyen dangereux qui annonce un désaccord entre le gouvernement et la chambre. Messieurs, rien de tout cela n’est exact. Je conteste ces assertions. On exagère l’effet, la portée d’une résolution de la chambre qui ordonnerait une enquête, parce qu’on désire que la chambre n’use jamais du droit d’enquête, qu’elle ne s’éclaire jamais que des renseignements que le gouvernement voudrait bien lui procurer, et qu’elle n’use jamais du droit de se les procurer elle-même.
Ce n’est pas ainsi qu’on en use dans d’autres pays constitutionnels, j’entends de ceux où l’on comprend la mission d’une représentation nationale. Voyez en Angleterre, il ne se passe pas d’année où le parlement ne fasse des enquêtes, pas une, mais plusieurs ; on ne vote pas une loi importante qui ne soit précédée d’une enquête ; et jamais on n’a prétendu que cet exercice fréquent du droit d’enquête impliquât un désaccord entre le gouvernement et la représentation nationale. Si ce désaccord existait, il n’aurait pas besoin de se manifester par la demande d’une enquête. Dès qu’il y a partage de voix sur une question importante, il s’ensuit un changement de ministère.
Aussi, là il y a toujours accord entre le gouvernement et la chambre. La chambre procède fréquemment à des enquêtes. Ce serait un recueil fort nombreux que celui des enquêtes faites par le parlement d’Angleterre depuis un petit nombre d’années.
D’après cela, pourquoi devons-nous supposer, nous qui n’avons pas encore fait une enquête, que rien n’est plus dangereux que ce moyen de s’éclairer ? Mais ces enquêtes, messieurs, loin d’être hostiles au gouvernement, peuvent être dans son intérêt. Je comprends que le ministre qui tient maintenant le portefeuille de la guerre se croie obligé, sans nous le dire ouvertement, à certains ménagements vis-à-vis l’administration qui a précédé la sienne. C’est précisément par ce motif qu’il devrait trouver bien que la chambre fasse elle-même une information et la dirige comme elle jugera convenable, afin d’arriver à la découverte des abus s’il y en a eu, abus dont M. le ministre actuel ne serait pas responsable, puisqu’ils sont antérieurs à son administration.
Examinée sous ce point de vue, l’enquête est manifestement dans son intérêt, bien loin qu’il puisse y voir une marque de défiance envers lui.
Messieurs, d’après ce que j’ai déjà dit, vous pensez bien que je n’ai pas le dessein d’entrer dans la voie que nous proposent les ministres lorsqu’ils disent : « Articulez des faits un à un ; le ministre est prêt à y répondre un à un. » Ce n’est pas de cette manière que nous devons, que nous pouvons arriver à la découverte de la vérité. Seulement, je ferai remarquer que le peu qui a été dit sur le fonds (et je ne souhaite pas que dans cette discussion on en dise davantage) doit nous faire désirer la découverte de ce que le ministre de la guerre lui-même appelle mystère d’iniquité.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ceci est devant les tribunaux.
M. Dubus (aîné). - Il est avéré qu’il y a eu falsification de médicaments, substitution d’une substance que l’on achète à bas prix à une substance précieuse. Cela n’a pu se faire sans qu’il ait eu un coupable, tout au moins un coupable. Si ce n’est l’administrateur supérieur, si ce n’est pas un de ses subordonnés, c’est peut-être un fournisseur ; car il faut qu’il y ait coupable.
Cependant, que dit le ministre ? Qu’il a examiné toutes pièces et qu’il peut déclarer à la chambre, qu’il y a tout au plus des irrégularités. J’avoue que, lorsque j’ai entendu cette parole, j’ai pensée qu’on nierait la sophistication du sulfate de quinine ; car je ne comprends pas que cela passe pour une simple irrégularité. Mais, qui plus est, selon le ministre de la guerre, il y eu un échantillon de sophistiqué. Cependant, il me semble que, sauf l’existence de circonstances que je ne puis deviner, on ne peut falsifier un échantillon sans la permission de celui qui le tient sons sa garde.
Dans l’un et l’autre fait il n’y a pas une erreur ; il y a un abus très grave. Tout à l’heure nous devrons croire que tout le monde est innocent. Apparemment que celui qui tenait l’échantillon l’aura laisser falsifier par mégarde, et le fournisseur sera à l’abri de toutes poursuites parce qu’il aura fourni quelque chose de conforme à l’échantillon.
M. A. Rodenbach. - C’est ce que dit le fournisseur ; c’est ainsi qu’il se défend.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Les tribunaux sont saisis.
M. Dubus (aîné). - Quant à moi je ne puis entendre les choses ainsi.
S’il n’y a pas encore d’abus qui ait été découvert, c’est une raison de plus pour informer. Mais, dit-on, on informera.
M. Lebeau. - On informe.
M. Dubus (aîné). - On nous disait en effet le 14 novembre qu’on procédait à une enquête administrative et à une enquête judiciaire. L’enquête administrative, nous savons ce qu’elle est devenue ; elle est dans la poche du ministre. (On rit.)
Quant à l’enquête judiciaire, on n’en parle plus.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Elle se poursuit activement.
M. Dubus (aîné). - Nous voyons dans les journaux que tel qui s’était sauvé à Londres est revenu et se promène tranquillement dans le pays.
On a cherché sans doute beaucoup à nous faire croire que l’on informait activement. Mais le Moniteur, où on a cherché à nous faire croire cela, a paru dans le moment où l’on allait discuter l’adresse. Peu auparavant nous avions vu l’annonce d’une lettre du ministre de la justice au procureur général pour le requérir d’informer. Puis on a inséré dans le Moniteur un article extrait d’un autre journal, sans doute pour notre instruction personnelle, où il était dit que l’autorité judiciaire informait. Mais, une fois l’adresse votée, on n’a plus parlé de rien.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il y a eu une dénonciation officielle.
M. le président. - Veuillez ne pas interrompre l’orateur.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il s’agit de faits graves.
M. le président. - Vous aurez la parole après l’orateur.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ce ne sera pas aujourd’hui. Il est près de cinq heures.
M. Dubus (aîné). - Mais, on ne peut informer sur tous les faits. La section centrale qui a fait un examen superficiel du dossier a reconnu qu’il y a des faits qui ne peuvent plus être l’objet d’informations judiciaires, parce qu’ils sont couverts par la prescription. Que des faits soient couverts par la prescription, cela n’intéresse que la vindicte publique. Mais la santé du soldat a été compromise, Il importe que nous arrivions à la découverte de la vérité. C’est précisément parce qu’on ne peut plus recourir aux voies judiciaires qu’il faut employer un autre moyen.
Puisque, encore une fois, on refuse une enquête administrative qui a été faite et qui porte sur des faits et sur des pièces, il est nécessaire que la chambre fasse une enquête.
Les explications du ministre ne me satisfont pas ; car les faits doivent être puisés à la source ; il faut entendre les témoins, lire l’enquête, comparer les faits. Quelles que soient les lumières dont se soit entouré le ministre pour se former une opinion consciencieuse, il n’aura porté qu’un jugement ; peut-être est-il tombé dans l’erreur, peut-être a-t-il tiré une fausse conséquence des prémisses ; peut-être l’enquête a-t-elle révélé des faits qui auraient eu une grande influence sur mon jugement et auxquels celui qui veut faire adopter le sien n’aura pas attaché d’importance.
Un honorable membre, en repoussant l’enquête, a dit que ce serait quelque chose de monstrueux en quelque sorte ; en effet, la chambre se porterait accusatrice ; elle ferait l’instruction, puis le jugement ; cependant, il lui est impossible de frapper.
Mais la mesure qu’a prise la chambre en ordonnant une enquête ne ressemble en rien à cela. Sinon, il faudrait dire que la constitution a voulu quelque chose de monstrueux, qu’elle a attribué aux chambres un droit injuste. Et comment la chambre accuserait-elle ? est-ce parce qu’elle fait une enquête ? nullement. Une enquête est faite surtout pour vérifier les faits. Les accusateurs sont ceux qui les signalent. Si la chambre croyait à l’accusation, elle émettrait un vote, elle ne ferait pas une enquête ; car alors elle serait convaincue. C’est précisément parce qu’elle n’est pas convaincue qu’elle veut informer.
Si donc il y a quelque chose de monstrueux, c’est dans l’idée que se font les préopinants de l’excès du droit d’enquête. La chambre, disent-ils, est impuissante à frapper. Je ne sais ce qu’il faut entendre par là, à moins qu’on ne suppose qu’on demande une enquête afin d’arriver à la destitution de tel ou tel fonctionnaire public. Pour moi, je crois que les honorables membres de la section centrale, en demandant une enquête, ont eu un autre but, celui de savoir s’il y a eu oui ou non des abus dans le service de santé, et ultérieurement de rassurer l’opinion, de faire cesser les inquiétudes, de donner la garantie que, s’il y a eu des abus, on n’en verra pas le retour.
Je voterai pour la proposition de la majorité de la section centrale.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’honorable membre a insinué qu’il y a de notre part ménagement pour l’administration antérieure. Je dois déclarer à la chambre que mon opinion était formée, qu’il était impossible qu’elle s’établît d’une manière plus complète. C’est donc sur mon opinion qu’il s‘agit de statuer.
On a confondu deux faits distincts. Il y a eu une accusation contre le chef du service de santé. Eh bien, à une précédente séance, j’ai déclaré que d’un examen sérieux et approfondi il résultait pour moi la conviction qu’il n’y avait eu de sa part aucune malversation et tout au plus quelques irrégularités d’administration.
Mais la fraude commerciale dont j’ai parlé, je ne l’ai pas qualifiée de simple irrégularité. Je pense que c’est un crime. J’ai dit que c’était un mystère d’iniquité. Ceci est l’objet de poursuites judiciaires.
- La séance est levée à 5 heures.