(Moniteur belge n°29, du 29 janvier 1837 et Moniteur belge n°30, du 30 janvier 1837)
(Moniteur belge n°29, du 29 janvier 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse donne communication des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Les propriétaires d’habitations, de sources et de terrains compris dans les concessions pour l’exploitation de minerai et de la houille, adressent des observations sur le projet de loi relatif aux mines. »
« Des voituriers de Jumet demandent que l’arrêté royal du 28 décembre dernier qui apporte des modifications au chargement des voitures, soit rapporté. »
« Le sieur Henti Tielens, milicien de 1823, demande une pension du chef d’infirmités contractées au service. »
« La dame Jacque, ex-receveur de la loterie royale de Bruxelles, demande le paiement de l’indemnité annuelle de fl. 325 qui lui avait été accordée par l’ancien gouvernement après la suppression de la loterie. »
« Des habitants de la commune de Boom demandent la construction d’un pont sur le Ruppel à Boom. »
« Le sieur Willlems, ancien brigadier de la gendarmerie, demande une pension. »
M. Frison. - Parmi les pétitions dont on vient de vous présenter l’analyse, il en est une, messieurs, de plusieurs voituriers de Jumet, demandent l’abrogation d’un arrêté royal relatif an chargement des voitures ; dernièrement vous avez invité la commission des pétitions à vous faire son rapport sur nie requête de ce genre avant la discussion de la loi des barrières : je demande la même faveur pour la pétition dont il s’agit.
- Cette proposition est adoptée ; en conséquence la commission des pétitions est invitée à faire son rapport sur la pétition des bateliers de Jumet avant la discussion de la loi des barrières.
M. le président. - Conformément aux antécédents de la chambre, s’il n’y a pas d’opposition, la pétition relative aux mines sera renvoyée à la commission, avec demande d’un rapport, avant la discussion de la loi sur les mines.
M. Desmet. - Je crois, messieurs, qu’il serait fort utile de faire insérer cette pétition au Moniteur.
M. Mast de Vries. - Ce n’est pas, messieurs, la première pétition relative aux mines, qui nous est parvenue ; il me semble qu’il faut agir à l’égard de celle-ci comme on a agi à l’égard des autres, et que si celle-ci est imprimée. Il sera convenable de les faire imprimer toutes.
M. Jadot. - Les autres pétitions relatives aux mines ont été renvoyées à la commission qui pourra, si elle le croit utile, nous en proposer l’impression ; celle-ci n’ayant pas été renvoyée à la commission, rien n’empêche que nous prenions immédiatement une résolution en ce qui la concerne.
M. le président. - On pourrait inviter la commission à nous faire le plus tôt possible un rapport sur toutes les pétitions relatives aux mines ; elle pourrait alors nous en proposer l’impression, si elle le croit convenable.
M. Gendebien. - Il me semble qu’il conviendrait d’avertir la commission que très probablement nous discuterons lundi ou mardi le projet de loi concernant les mines, et de l’inviter en conséquence à nous faire son rapport le plus promptement possible.
- La pétition relative aux mines est renvoyée à la commission des pétitions, qui est invitée à présenter lundi, si faire se peut, son rapport sur toutes les pétitions concernant cet objet.
Les autres requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre de nouveaux détails sur les prix et la quantité des houilles qui ont été extraites en 1826.
- L’impression en est ordonnée.
M. Bekaert donne lecture de sa proposition tendante à faire placer le tribunal de Courtray dans la première classe, ainsi que des développements dont elle est accompagnée.
M. Desmet. - Je ferai remarquer à cette occasion que la Flandre orientale n’a que trois tribunaux civils, tandis que la Flandre occidentale en a quatre ; depuis longtemps la première de ces provinces a demandé d’en avoir également quatre. Je demande que la commission qui a été chargée de l’examen d’une proposition relative à cet objet soit invitée à nous présenter son rapport le plus tôt possible.
M. de Roo. - Je répondrai à l’honorable M. Desmet que la commission dont il s’agit n’est pas complète ; si l’on veut qu’elle fasse un prompt rapport, il s’agirait d’abord de la compléter.
M. le président. - Cette commission a été complétée dans une précédente séance en même temps que quelques autres commissions ; elle se trouve maintenant composée de MM. Jullien, Coppieters, C. Vuylsteke, Kervyn, de Roo, Liedts et Devaux.
M. de Roo. - J’ignorais cette circonstance.
- La proposition de M. Bekaert est prise en considération.
M. le président. - Désire-t-on le renvoi de cette proposition aux sections ou à une commission spéciale ?
M. Pollénus. - Je demande, messieurs, que la proposition soit renvoyée à une commission ; car, pour examiner une proposition de cette nature, il faut des connaissances spéciales : comme vous l’avez entendu par les développements que vient de vous présenter l’honorable M. Bekaert, la proposition soulève des questions relatives aux différentes attributions des corps judicIaires. C’est là un motif pour la renvoyer à une commission spéciale ; mais il en est une autre encore : c’est que vous êtes saisis de différentes propositions qui sont à peu près de même nature, et qu’il vous en sera peut-être encore présente plusieurs autres, Vous avez entre autres celle de M. Heptia, qui tend à faire passer dans la troisième classe tous les tribunaux qui se trouvent maintenant dans la quatrième, de sorte qu’il y a pour ainsi dire une loi sur le classement des tribunaux à examiner ; or cet examen ne peut convenablement se faire que par des hommes spéciaux. Je demande donc que la proposition de M. Bekaert soit renvoyée à une commission.
- La proposition de M. Bekaert sera renvoyée à une commission nommée par le bureau de la chambre.
M. Rogier monte à la tribune et donne lecture de sa proposition tendant à ce que la chambre examine, avant la discussion de la loi sur les mines, la question de savoir jusqu’à quel point il serait convenable dans l’intérêt général que le gouvernement se réservât le droit de faire exploiter pour compte du domaine les mines de houille non encore concédées.
M. le président. - Quand M. Rogier désire t-il développer sa proposition ?
Plusieurs voix. - De suite ! de suite !
M. Rogier. - Si la chambre le désire, je suis prêt.
M. de Brouckere. - Si l’honorable auteur de la proposition veut la développer aujourd’hui, je ne m’y oppose pas ; mais je lui demanderai s’il ne préférerait pas le faire lundi ? Alors on pourrait s’occuper de la prise en considération : il est plusieurs membres qui ne connaissent point la proposition ; d’ici là, ils pourront l’examiner.
M. Rogier. - Il est vrai que lundi je serais un peu mieux préparé. M. le ministre des travaux publics ayant fourni plusieurs documents qui ne sont pas encore imprimés. Cependant je crois qu’il serait utile que, sans entrer dans tous les motifs qui peuvent appuyer ma proposition, je puisse faire connaître à la chambre d’une manière générale les raisons qui m’ont déterminé à la présenter.
M. de Brouckere. - Je n’ai aucune connaissance des motifs principaux qui ont dicté la proposition, et je crois que la plupart des membres de la chambre sont dans le même cas ; on pourrait donc en entendre aujourd’hui les développements, sauf à ne discuter la prise en considération que lundi.
M. Pirmez. (Les paroles de l’honorable membre ne parviennent pas jusqu’à nous.)
M. Rogier. - Messieurs, ainsi que je viens de le dire, je tiens peu à la forme sous laquelle ma proposition a été présentée ; mais je désirerais qu’avant d’aborder la discussion de la loi sur les mines, cette idée, qui peut paraître nouvelle et même un peu hardie, pour certains esprits, circulât dans la chambre et dans le pays, attirât l’attention publique et les lumières nécessaires à la discussion à laquelle nous allons nous livrer.
Cette proposition, je dois le dire, arrive un peu brusquement à la veille de la discussion de la loi sur les mines ; elle eût pu être faite il y a un an, il y a deux ans, ou même à l’époque de nos premières discussions sur les mines ; mais sans vouloir assigner la date laquelle aurait dû naître l’idée que je produis en ce moment, je dirai qu’alors les circonstances n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui.
Messieurs nous nous trouvons en effet dans des circonstances toutes nouvelles. La houille, de l’avis de tout le monde, est devenue une chose très précieuse. Chacun exalte les ressources immenses que peuvent procurer les mines du pays, l’utilité dont elles peuvent être pour l’industrie et pour les consommateurs en général. Et depuis que la houille a acquis un si grand prix, une valeur si élevée, il s’est formé dans le pays de grandes associations pour exploiter, à leur profil, cette matière précieuse. Voilà deux faits d’une haute gravité, d’une grande importance, et sur lesquels il me semble que l’attention sérieuse du pays et du gouvernement doit se porter.
Que la houille soit devenue une chose précieuse, c’est ce qui est éclatant pour tous les yeux. L’honorable rapporteur de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les mines dit à la page 9 : « Les mines sont une source de richesses tellement féconde pour le pays ; elles sont d’une nécessité si indispensable pour le commerce et l’industrie qu’il est évidemment de l’intérêt général de ne négliger aucun moyen extraordinaire d’en favoriser l’exploitation lorsque les moyens ordinaires font défaut.
A son tour, M. le ministre de l'intérieur, au zèle, à la prévoyance duquel on doit rendre hommage dans cette circonstance, a contresigné un arrêté publié aujourd’hui même par le Moniteur, arrêté motivé de la manière suivante :
« Considérant combien il importe aux intérêts de l’industrie et même des consommateurs en général d’obtenir la plus grande économie de combustible possible dans l’emploi des machines à vapeur ;
« Arrête :
« Un prix de 30,000 fr. sera décerné à celui qui sera parvenu à introduire dans l’emploi de ces machines le plus d’économie de combustible relativement à là force motrice… »
Vous voyez l’importance que le gouvernement attache à la houille, puisqu’il donne un prix de 30,000 francs à celui qui trouvera les moyens d’en économiser l’emploi dans sa seule application aux machines à vapeur
Enfin je lis dans un rapport publié par M. le ministre des finances, à la suite du budget général pour l’exercice 1837, au dernier paragraphe qui m’a frappe par le fait qu’il révèle et par l’espoir qu’il exprime.
M. le ministre des finances, après avoir tracé l’historique des houillères domaniales de Kerkraede, observe que dans le principe la mauvaise exploitation de ces mines entraînait des déficits pour le trésor ; mais que depuis que le gouvernement a mis à la tête de cette propriété des hommes capables, d’année en année, elle a fructifié d’une manière sensible, à tel point que, d’après un document que j’ai sous les yeux, cette administration a rapporté dans les onze premiers mois de 1836 un bénéfice net d’au-delà de 80 mille francs. Aussi M. le ministre des finances ajoute-t-il avec raison que ce résultat présage à cet établissement une prospérité qui procurera pour l’avenir, au trésor, une source abondante de produit.
Il est fâcheux que nous n’ayons pas actuellement dans le pays un plus grand nombre d’administrations semblables à celle des mines de Kerkraede, dont l’exploitation présage de si abondants produits.
Je regrette de n’avoir pas sous les yeux l’état statistique des houillères de la Belgique ; cet état est sans doute encore à l’impression ; je ne puis donc me livrer qu’a des conjectures sur les ressources qu’on peut en tirer.
On a évalué, je crois, à près de soixante millions de francs le produit de l’extraction des houilles dans tout le pays ; en supposant un bénéfice de dix pour cent, (supposition qui n’a rien d’exagéré), voilà six millions de francs gagnés annuellement par les exploitants.
Il paraît que l’on n’est pas d’accord sur le montant des mines à concéder : quoi qu’il en soit, on présume qu’il y a encore autant de houillères à concéder, soit donc soixante millions pour le produit qu’elles donneront annuellement, et en admettant un bénéfice de dix pour cent, c’est un revenu net de six millions qui pourrait être ajouté aux ressources de l’Etat, c’est-à-dire au produit presque égal au montant de la contribution personnelle. Ce serait enfin là un moyen de dégrever les impôts qui pèsent sur le peuple, et ce moyen ne devrait pas être le dernier à choisir s’il était efficace.
Tout le monde est d’accord que la houille est précieuse, je le répète ; que sa valeur est égale à celle des métaux du plus grand prix ; que son avenir est immense ; qu’elle est un objet de première nécessité pour l’industrie ; qu’elle doit finir par être employée par un grand nombre de consommateurs qui n’en connaissent pas maintenant l’usage : c’est en présence de tous ces faits que nous demandons si le gouvernement qui, dans l’état actuel des choses, a le droit de disposer des ressources qu’offrent les houilles, doit en disposer pour autrui, ou doit en disposer pour lui-même !
Messieurs, si demain on venait à découvrir une mine de pierres précieuses, une mine d’or ou d’argent, je vous demande si le gouvernement, alors qu’il se serait assuré que ces mines présentent une très grande ressource pour le trésor, s’aviserait de concéder une pareille richesse gratis à tel ou tel individu, à telle ou telle association, petite ou grande ? Et pourquoi le ferait-il ?
On dira que le gouvernement est le plus mauvais des exploitateurs ; mais en supposant que le gouvernement fût un mauvais exploitateur, ce ne serait pas une raison pour lui de donner pour rien une véritable richesse : il resterait encore à examiner de quelle manière la plus utile pour le trésor il doit s’en dessaisir. Il y a pour lui d’autres moyens de tirer parti des houilles que de les exploiter par lui-même. Nous pourrions les indiquer au besoin.
Mais le gouvernement est-il vraiment incapable d’exploiter ? Cette grande question de l’incapacité gouvernementale a été longuement débattue dans une autre circonstance mémorable, mais aujourd’hui, grâce à Dieu, le gouvernement a pu prouver que lui aussi était capable d’exploiter, par exemple, un chemin de fer, tout aussi convenablement, et surtout tout aussi utilement pour le pays, qu’eût pu le faire telle ou telle société qui, en se mettant sur les rangs pour en obtenir l’exploitation, ne manquait pas de soutenir que le gouvernement était frappé d’incapacité absolue à cet égard.
Depuis lors on a acquis la preuve qu’une exploitation pouvait prospérer dans les mains du gouvernement et cette expérience devrait inspirer aujourd’hui plus de confiance qu’on ne lui en accordait avant de l’avoir vu intervenir. Nous n’entendons pas cependant soutenir que le gouvernement doit se mêler à tout, intervenir en tout ; mais nous voulons lui réserver, le cas échéant, une large part, une part convenable dans les choses d’intérêt général.
Si le gouvernement peut intervenir dans les chemins de fer, à plus forte raison pourra-t-il, à ce qu’il ce qu’il semble, intervenir dans l’exploitation des mines. Les mines ne s’exploitent ou ne doivent s’exploiter aujourd’hui que sous le contrôle et la direction de ses agents ; ils sont là pour empêcher qu’on ne les gaspille. Les services qu’ils rendent à l’intérêt privé, ne pourraient-ils pas les rendre à l’intérêt public ?
Mais enfin j’admets que le gouvernement exploitera avec moins d’économie ; que là où une société particulière retirera 15 p. c., le gouvernement ne retirera que 10 ou 8 p c. mais il y aura toujours cette grande différence : c’en que les 15 p. c. gagnés par tel ou tel individu, telle ou telle grande société, rentrent dans la caisse de cet individu, de cette société, tandis que les 8 p. c. gagnés par l’Etat rentrent dans le trésor général, sont gagnés au profit de tout le monde, à la décharge de tous les contribuables.
Messieurs, si l’on nous posait cette question : Aimez-vous mieux que telle société gagne 15 p. c. en exploitant la houille de Kerkraede, par exemple, ou bien préférez-vous que le gouvernement reste en possession de cette houillère, bien qu’il n’en retire que 10 p. c. ? Certes, nous n’hésiterions pas à répondre au gouvernement : Gardez la houillère de Kerkraede.
Et à propos de cette houillère, je suis fâché de n’avoir pas sous les yeux la pétition des divers cantons de la rive droite de la Meuse, par laquelle ils demandent que le gouvernement continue à exploiter la houillère.
Ainsi donc le gouvernement n’est pas un exploitant si défavorable, puisque les habitants voisins d’une houillère qu’il exploite demandent avec instance qu’il ne s’en dessaisisse pas.
Messieurs, la question présente un autre point de vue qui n’est pas non plus sans importance.
Depuis que de grandes associations se sont formées dans le pays, des craintes exagérées peut-être, mais qui ne sont pas non plus sans fondement, se sont élevées sur la possibilité d’un vaste monopole qui pourrait être exercé par ces grandes associations. Nous les voyons accaparer successivement les diverses houillère du pays ; et combinant, peut-être mal à propos, la hausse du prix des houilles avec la circonstance de l’accaparement de ce combustible, on a attribué la hausse à cet accaparement.
Ce fait peut ne pas être vrai en ce moment ; mais qui de nous peut dire que dans l’avenir ce fait ne deviendra pas véritable, et que plus tard, si une ou deux sociétés devenaient maîtresses de toutes les houillères du pays, elles ne chercheraient pas le monopole, ne fixeraient pas le prix de la houille à volonté, de manière à exercer une influence très fâcheuse sur la consommation particulière ou industrielle ?
Eh bien, dans cet état de choses, quel est le remède possible ? Messieurs, à mon avis, il n’en existe que deux. Ou bien, ouvrir nos frontières aux houilles étrangères, qui alors viendraient concourir avec les houilles indigènes, exploitées, comme nous le supposons, par des sociétés monopolisantes ; ou bien trouver dans le pays même un concurrent à ces sociétés monopolisantes. Et quel est le seul concurrent possible ? Je ne crains pas de le dire, c’est le gouvernement.
Oui, messieurs, le gouvernement est le seul concurrent utile, non pas précisément aux grandes sociétés dont il empêcherait le monopole, mais utile d’abord aux sociétés moyennes, aux petites sociétés dont il pourrait prévenir la ruine, en ce sens que les grandes sociétés seraient sans entrailles pour ces sociétés moyennes ; elles sont, il est vrai, dans leur droit : c’est là une conséquence de la libre concurrence illimitée ; mais il est évident qu’une grande société, trouvant sur sa route des sociétés moyenne, si elle ne faisait tout pour les renverser, s’inquiéterait fort peu de leur ruine.
Mais le gouvernement ne peut procéder ainsi ; il doit des ménagements à toutes les industries, et surtout aux industries moyennes auxquelles lui ne ferait pas une guerre à mort.
Dans la question que j’ai posée se trouve donc engagé l’intérêt des sociétés moyennes, et surtout l’intérêt des industriels non minières, des industries proprement dites, et ensuite l’intérêt du consommateur.
Car, il est certain que si le gouvernement avait à sa disposition d’assez fortes quantités de houille, pour pouvoir soutenir la concurrence avec telle société qui voudrait exercer le monopole, il est certain, dis-je, que ce monopole ne pourrait être exercé par la société, parce que le gouvernement, de concert avec les chambres, pourrait livrer la houille à des prix modérés, et forcerait ainsi la houille du monopole à se niveler à ces prix.
C’est alors, messieurs, que le gouvernement mènerait le pays dans cette grande voie de prospérité que chaque jour nous révèle, que chaque bouche nous annonce.
A quel degré de prospérité n’arriverait pas un pays où l’industrie aurait des moyens de transport économiques sous la garantie de l’Etat, et où l’Etat lui fournirait des éléments de production également économiques ?
Messieurs, vous avez donné à l’industrie les chemins de fer ; aujourd’hui vous pouvez lui donner la houille, ou du moins rechercher les moyens de lui fournir la houille à des prix modérés.
Mais, dit-on, de quel droit disposez-vous des mines de houille ? Elles ne vous appartiennent pas.
Ici, messieurs, je présenter une question de droit que je me réserver d’examiner en temps et lieux. Mais en ce moment je pars du fait admis par le projet de loi que nous discuterons ; et je demande aussi : De quel droit disposez-vous, pour l’industrie particulière, des mines de houille ? De quel droit disposez-vous, au profit de cette société particulière, des richesses minérales du pays ?
Mais ce que l’Etat peut accorder à d’autres, je pense qu’il peut s’en réserver l’usage pour lui-même. Aussitôt qu’il peut en disposer pour autrui, il peut aussi en disposer dans l’intérêt général ; cela, me semble-t- il, ne peut pas faire question.
Mais le monopole… ! Sans doute qu’on viendra encore avec ce grand mot lorsqu’il s’agira de prouver qu’il convient de mettre aux mains de l’Etat l’exploitation des richesses minérales du pays. Le monopole !... mais le moyen que j’indique c’est le moyen le plus sûr de l’éviter. Le gouvernement n’entend pas accaparer l’exploitation de toutes les mines du pays ; le gouvernement respectera les droits acquis. Je n’entends pas non plus qu’il puisse accorder des concessions ; rien n’empêchera que le gouvernement n’en accorde encore.
Messieurs, il y a une objection que l’on fera contre ma proposition. On dira que la loi sur les mines est urgente, que le prix des houilles est très élevé, et que si la loi donnait aux exploitants la possibilité d’extraire une plus grande quantité de combustible, cette extraction plus abondante ferait naturellement baisse le prix de la houille.
Eh bien, je m’associe à la grande sollicitude que l’on montre pour les intérêts des consommateurs ; car ce sont les intérêts des consommateurs qui m’ont engagé à faire ma proposition ; seulement voici la différence qui existe entre ma manière de voir et celle de mes collègues qui penseraient que ma proposition vient mal à propos pour empêcher l’adoption immédiate de la loi sur les mines.
Il est possible que si la loi est votée la semaine prochaine, et que de nouvelles concessions soient accordées par le gouvernement ; il est possible, dis-je, que la quantité de houille augmentant, le prix vienne à baisser. Mais combien de temps cette diminution de prix durera-t-elle ? quelques mois peut-être ; ma proposition, au contraire, a pour but de chercher les moyens d’établir un prix modéré à perpétuité.
Vous aurez, messieurs, à choisir entre ces deux systèmes ; entre celui qui a pour objet d’assurer une diminution temporaire du prix de la houille, et celui qui tend à assurer au pays la consommation de ce combustible à des prix constamment modérés et raisonnables.
Messieurs, la question que j’ai eu l’honneur de poser est très importante en elle-même ; aussi ne me suis-je pas permis de la poser comme principe absolu.
Je ne me le dissimule pas, de grandes objections peuvent être faites contre le système que j’ai exposé ; je suis le premier à reconnaître que l’application de ce système sera soumise à certaines difficultés ; mais ce n’est pas là un motif pour repousser ma proposition.
Je rappellerai à cette occasion qu’on a crié aussi à la difficulté quand il s’est agi de décréter la création de chemins de fer ; eh bien, tous les obstacles dont on s’est plu à hérisser l’entreprise n’ont pas empêché de la mettre à exécution ; et l’on peut dire que jusqu’ici les travaux ont marché à la satisfaction générale du pays, et un peu à la surprise des pays étrangers.
J’ai lieu de croire, messieurs, qu’une question dont la solution peut entraîner les résultats les plus favorables pour le pays aura au moins l’honneur d’un examen ; et, à cet égard, je compte sur l’appui de la chambre.
(Moniteur belge n°30, du 30 janvier 1837) M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, vous aurez sans doute, comme moi, fait la réflexion que la proposition que l’honorable préopinant a faite à l’assemblée trouverait également sa place dans la discussion générale de la loi sur les mines.
Je sais gré à l’honorable préopinant d’avoir présenté sa proposition dès à présent ; chacun de nous pourra l’examiner à loisir et se préparer pour la discussion ; mais il me semble qu’au fond la proposition pourrait être jointe à la discussion de la loi sur les mines.
C’est réellement la grande question de principe qui domine toute la loi ; si je ne me trompe, la chambre a décidé que cette loi sera discutée après le budget des affaires étrangères, et je la prie de maintenir cet ordre du jour.
Je demande, en conséquence, que la proposition de l’honorable préopinant soit jointe à la discussion de la loi sur les mines dont elle fait logiquement partie.
M. Gendebien. - Il me semble que la proposition faite par un membre du cabinet ne peut donner lieu à aucune difficulté. Nous allons commencer la discussion du budget des affaires étrangères, nous nous occuperons ensuite de la loi des mines ; une discussion générale aura lieu sur cette loi, la discussion de la proposition de M. Rogier y trouvera naturellement sa place. Avant la discussion des articles nous verrons si cette proposition est de nature à ajourner le vote de la loi des mines ; et dans ce cas une commission nouvelle sera nommée pour procéder à un nouvel examen. Si au contraire on ne juge pas à propos de suspendre le vote de la loi des mines, ce que j’espère, on ne sera pas moins maître d’examiner la proposition de M. Rogier, que je trouve fort importante, je dirai même fort extraordinaire.
M. le président. - La proposition de M. Rogier est-elle appuyée ?
- Plus de cinq membres se lèvent pour appuyer cette proposition.
M. Verdussen. - Je serais d’avis de disjoindre les deux objets qu’on vous propose de réunir dans une même discussion. Il me paraîtrait préférable de discuter lundi la prise en considération de la proposition de M. Rogier. Car il est possible que lundi on n’entame pas encore la discussion de la loi sur les mines, parce que s’il y a d’autres budgets prêts, lorsque nous aurons voté celui des affaires étrangères, ils devront avoir la priorité. En attendant, comme il s’agit seulement de la nomination d’une commission, car c’est à cela que se borne la proposition de M. Rogier, cette commission pourrait être nommée et commencer son travail, travail qui devra toujours avoir lieu, que vous réunissiez ou que vous ne réunissiez pas la proposition de M. Rogier et la loi des mines dans la même discussion générale, si cette proposition est prise en considération. Ce travail pourrait jeter un grand jour sur la loi des mines. Si vous réunissez les deux objets dans la même discussion, vous vous privez du travail de cette commission qui vous ferait un travail préparatoire. Il vaut mieux mettre la commission à même de commencer son travail de suite, si tant est que la prise en considération soit admise.
Je propose en conséquence de fixer à lundi prochain la discussion de la prise en considération de la proposition de M. Rogier.
M. de Brouckere. - J’appuie la motion faite par d’honorables préopinants de joindre la discussion de la proposition de M. Rogier à celle de la loi des mines. L’honorable membre qui a parlé avant moi demande la disjonction de ces deux objets et voici le seul motif qu’il invoque à l’appui de sa demande ; c’est que si la proposition de M. Rogier était adoptée, la commission pourrait être nommée incontinent, et son travail faciliterait la discussion de la loi sur les mines. Cet honorable membre pense que cette commission pourrait finir son travail en trois, quatre ou dix jours. Mais cette commission, si tant est qu’on la nomme, devra faire une enquête, demander des renseignements dans les différentes provinces et consulter les industriels intéresses ; ce travail durera plus d’un mois. J’en appelle à l’auteur de la proposition, c’est ainsi qu’il l’entend. Si vous adoptiez ce que propose M. Verdussen, la discussion de la loi des mines serait renvoyée à une époque tellement éloignée, qu’on ne saurait plus quand elle pourrait avoir lieu. Or, telle n’est pas votre intention, vous l’avez suffisamment prouvé par les diverses décisions que vous avez prises ; il est donc logique et rationnel de joindre la proposition de M. Rogier à la loi sur les mines, pour être discutées en même temps. C’est dans ce sens que je voterai.
M. Gendebien. - Je ferai remarquer que vous pouvez adopter la loi des mines, sans contrarier en rien la proposition de M. Rogier, alors même qu’elle serait admise. La raison en est qu’en adoptant la loi, les mines restent toujours à la disposition de la nation, en ce sens qu’il faut le consentement du gouvernement pour les exploiter ; on ne touche pas à la question de propriété. Cette question a soulevé autrefois des discussions très graves de la part des jurisconsultes les plus distingués. En adoptant la loi des mines, vous laissez cette question tout à fait intacte, et si vous retardez le vote de cette loi, il en résultera que les anciens concessionnaires dont les droits acquis seront sans doute respectés par toutes les législatures, attendront plusieurs années encore la confirmation de leurs anciens titres. Si ce n’était que cela, ce ne serait rien ; mais aux demandes de confirmation se trouvent jointes des demandes d’adjonction de terrains dont il est impossible de faire une concession, mais dont les concessionnaires ne peuvent se passer.
Il est des concessionnaires qui attendent, pour continuer leurs travaux, l’adjonction d’un petit morceau de terrain qui ne peut convenir à personne, et dont le gouvernement ne pourrait faire une concession isolée.
Si vous ne votez pas de suite la loi des mines, vous allez retarder le moment de mettre fin aux tribulations que ces anciens exploitants éprouvent depuis 40 ans et même plus, car c’est depuis 1795 qu’on a exigé que les anciens concessionnaires fissent des demandes en maintenue de concession ; la loi de 1810 a également exigé que les anciennes concessions fussent régularisées.
Alors que vous ne vous occuperiez pas de la proposition de M. Rogier, vous pourriez et vous devriez adopter la loi des mines, parce qu’elle ne préjugerait rien sur cette proposition, ni pour ses résultats. Je ne m’oppose pas à ce qu’on s’en occupe, dans la discussion générale, parce que de cette discussion pourront jaillir d’autres idées utiles à la loi elle-même ; en discutant dans ce sens, après le budget des affaires étrangères, la proposition de M. Rogier et la loi des mines, tout le monde sera d’accord, toutes les opinions seront désintéressées. L’urgence de la loi des mines est reconnue depuis trop longtemps pour qu’elle puisse être retardée pour l’examen d’une question que je regarde comme purement spéculative.
M. Verdussen. - Le sens dans lequel ont parlé les honorables membres qui m’ont fait l’honneur de me répondre, me fait croire qu’ils m’ont très mal compris. Mon intention n’a jamais été de retarder la discussion de la loi sur les mines jusqu’à ce que l’avis de la commission qui serait nommée fût parvenu à la chambre. Mais j’ai dit qu’il était possible que la discussion des budgets vînt donner à cette commission assez de temps pour faire un rapport préliminaire à la chambre. Je crois ne m’être servi d’aucune expression qui puisse faire penser que je voudrais faire ajourner la discussion de la loi des mines jusqu’au moment où un rapport définitif serait fait par la commission que M. Rogier propose de nommer.
M. Gendebien vient de nous dire en terminant que la discussion de la proposition de M. Rogier jetterait un grand jour sur la discussion de la loi des mines. Je trouve là un motif pour hâter la prise en considération de cette proposition ; car si la discussion de cette prise en considération doit faire jaillir des lumières utiles à la discussion de la loi des mines, en séparant les deux discussions, nous aurons le temps de mûrir les observations faites dans la première avant d’aborder la seconde. Parce que deux objets s’appellent « houille, » ce n’est pas une raison pour les réunir dans une même discussion, alors qu’ils n’ont aucune connexité entre eux.
Par ces motifs, je persiste dans ma proposition.
M. Rogier. - Je ne m’oppose pas à ce qu’on joigne ma proposition à la loi sur les mines, mais il faut qu’on s’entende ; est-ce la prise en considération qu’on discutera alors ou le principe lui-même ? Dans ce dernier cas, je ne m’opposerai pas à la jonction des deux propositions. Si c’est le principe qu’on se propose de discuter alors, en regardant la prise en considération comme admise, j’y consentirai, parce que de cette manière on évitera cette espèce de conflit entre la prise en considération et la discussion de la proposition elle-même.
Je crois devoir expliquer ici mes intentions en ce qui concerne les propriétaires qui auraient à souffrir du retard de l’adoption de la loi des mines. Si on veut satisfaire aux intérêts qui sont en souffrance, tout en réservant la question que j’ai posée, je ne m’y opposerai pas, mais je ne puis accorder au gouvernement d’une manière absolue et sans restriction le droit de disposer des mines non encore concédées, car le ministère pourrait ne pas partager mon opinion sur les concessions à accorder ; il faudrait que le principe fût décidé, afin que le gouvernement fût lié pour le cas où il ne serait pas d’accord avec moi. Le ministère actuel peut partager mon opinion, mais des successeurs peuvent venir qui ne la partagent pas ; et comme l’enquête peut durer très longtemps, il faut bien qu’on ait devers soi cette garantie. Je crois, dis-je, que l’enquête sera un travail de longue durée ; il ne suffira pas de consulter, comme on dit, les ingénieurs et les industriels du pays, mais encore les ingénieurs et les industriels, les usages des pays étrangers ; il faudra étudier, par exemple, le mode d’exploitation de l’Allemagne ; cette contrée si féconde en mines, où presque chaque pays a les siennes qu’il exploite d’une manière particulière et dont les produits figurent à certains budgets pour des sommes assez considérables.
En définitive, si l’on décide que la question que j’ai posée soit jointe à la discussion générale de la loi, je demande que cette discussion ne soit pas fixée à lundi. Je crois que la chambre jugera convenable, en raison de l’importance et de la nouveauté de la question, de prendre le temps d’y réfléchir.
Je demande donc que l’on renvoie la discussion générale à mercredi ou jeudi au plus tôt, afin que la chambre ait le loisir d’examiner dans son principe et ses conséquences cette proposition que j’ai présentée sous forme de question, parce que je ne me dissimule pas qu’elle peut dès l’abord donner lieu à d’assez graves objections.
M. de Brouckere. - Il me semble que l’on pourrait mettre la question aux voix ; car plusieurs orateurs me semblent avoir anticipé sur la discussion. Il s’agit seulement de savoir quand on discutera la proposition de M. Rogier.
M. Verdussen. - C’est-à-dire quand on la prendra en considération.
M. de Brouckere. - il ne s’agit pas de prise en considération, mais de l’adoption ou du rejet de la proposition. Au reste, on s’expliquera à cet égard le jour de la discussion. Mais maintenant c’est perdre du temps que discuter pour décider quand on discutera.
Je m’en tiens à la proposition de M. Nothomb, à laquelle adhère M. Rogier, et qui tend à joindre la discussion de sa proposition à celle de la loi sur les mines. On ne peut faire d’objection à cette proposition. (Aux voix ! aux voix !)
M. Gendebien. - Je me bornerai à faire remarquer qu’il m’est indifférent quel jour et comment on discutera la proposition de M. Rogier. Je ne demande qu’une chose : c’est qu’on n’entrave pas la discussion et le vote de la loi sur les mines. Il est nécessaire de terminer enfin la discussion de cette loi ; pourvu que la proposition de M. Rogier ne l’arrête pas, il m’importe peut qu’elle soit prise en considération ou ajournée.
- La chambre consultée décide que la discussion de la proposition de M. Rogier sera jointe à la discussion du projet de loi sur les mines.
La proposition de mettre cette discussion à l’ordre du jour de lundi est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée ; en conséquence la chambre maintient l’ordre du jour précédemment adopté.
M. le président. - la discussion est ouverte sur l’ensemble du budget. La parole est à M. de Brouckere.
M. de Brouckere. - Messieurs, l’an dernier, l’examen du budget des affaires étrangères n’a pas été précédé d’une discussion générale, aucun orateur n’ayant demandé à être entendu lors de l’ouverture de cette discussion. J’aurais désiré qu’il pût en être de même cette année. Les travaux que nous avons encore à terminer sont tellement nombreux que c’est pour nous un devoir d’être sobres de paroles, économes de notre temps. Mais j’ai à soumettre à la chambre quelques observations que je juge trop importantes pour les garder sous silence et qui, cependant, n’ayant directement trait à aucun article du budget, ne peuvent trouver convenablement leur place que dans la discussion générale. Je demande donc quelques moments d’attention.
A la suite des modifications qu’a subies dernièrement le cabinet, on a trouvé à propos de fondre en quelque sorte le ministère des affaires étrangères dans celui de l’intérieur, dont il n’est plus pour ainsi dire qu’une dépendance. Cette innovation, qui peut donc y avoir déterminé le gouvernement ? A-t-on eu en vue de mieux partager les attributions des différents ministres ? A-t-on voulu amener ainsi de notables économiques ? En un mot (car je n’aime pas les détours) est-ce l’intérêt du pays que l’on a recherché ? ou bien ne sont-ce pas plutôt des convenances particulières que l’on a consultées ? C’est ce qu’il importe d’examiner.
Jusqu’ici, chez nous, comme dans tous les Etats qui peuvent être placés sur la même ligne que la Belgique, les affaires étrangères formaient un département séparé, auquel on avait seulement adjoint la marine ; et jamais je n’avais entendu soutenir avec quelque insistance qu’il fallût supprimer ce département pour en faire une division d’un autre département ministériel. Cependant le ministre des affaires étrangères se retire, sans que la chambre ait été mise dans la confidence des motifs de sa retraite ; chose qui, je l’avoue, n’est pas indispensable. En attendant qu’on lui trouve un successeur, le ministre de l’intérieur se charge comme intérimaire et par pure complaisance du portefeuille vacant.
Après quelques hésitations, quelques tentatives infructueuses, le gouvernement fixe son choix sur un ministre nouveau, homme capable assurément, et qui, sur ce point, n’a plus de preuve à faire. Mais au lieu qu’on lui donne à ce nouveau ministre le portefeuille abandonné, le ministre de l’intérieur qui, à ce qu’il paraît, avait pris goût à sa nouvelle position (on rit), garde et le département des affaires étrangères et le département de l’intérieur ; et il donne à son nouveau collègue, outre la marine, quelques bribes de son ancien département, auxquelles le ministre des finances de son côté joint certaines spécialités, qui étaient de son ressort, et qui, à ce qu’il paraît, ne lui convenaient plus. (On rit.)
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Voilà donc le cabinet recomplété ; il se compose :
D’un ministre de l’intérieur et des affaires étrangères ;
D’un ministre de la guerre ;
D’un ministre de la justice ;
D’un ministre des finances ;
Et puis d’un cinquième ministre, que d’abord on avait été assez embarrassé de qualifier, et qu’enfin l’on est convenu d’appeler « ministre des travaux publics, » lequel ministre des travaux publics n’est à la vérité qu’un demi-ministre de l’intérieur et un demi-ministre des finances. (Hilarité générale.)
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il s’agit de savoir s’il est bon. Voilà tout.
M. de Brouckere. - Pour que l’on ait jugé à propos de traiter le ministère des affaires étrangères avec tant de légèreté, ce ministère qu’on l’avait regardé jusqu’ici comme assez important pour être le partage de nos hommes d’Etat les plus distingués, il faut sans doute qu’il soit survenu quelque changement important dans notre position politique, dans nos relations avec l’étranger.
Voyons :
Avons-nous définitivement fait la paix avec la Hollande ? Nullement. Le gouvernement hollandais, au contraire, conserve son armée sur le pied de guerre, persiste à refuser de traiter avec nous, et récemment encore (on s’en souvient) il nous a donné une preuve nouvelle de son peu de bienveillance pour nous. Ceci me rappelle même que de ce chef une satisfaction nous avait été promise, satisfaction qui sera obtenu sans doute avec toutes les satisfactions éclatantes qui nous ont déjà été annoncées pour les violations du territoire antérieures à celles à laquelle je fais allusion. Ainsi, rien n’est changé de ce côté.
Sommes-nous plus qu’autrefois traités en amis pour toutes les puissances avec lesquelles il nous importe d’être en bonne harmonie ? Non, et une de celles qui ont pris part à la conférence de Londres et aux traités qui y ont été arrêtés, semble ne nous avoir reconnus un moment que pour nous renier bientôt après. D’autre part nous ne sommes pas représentés dans plusieurs Etats avec lesquels nous devons désirer d’entrer en relations. Chaque année, par exemple, nous votons des fonds pour des chargés d’affaires en Suède, en Grèce, près de la diète germanique, et je ne sais où encore. Tous ces chargés d’affaires sont encore à être reconnus et même à être nommés.
La légation de Berlin est vacante depuis quelques temps. Nous ignorons pourquoi l’on n’y envoie pas un ministre qu’il y a à peine un an on trouvait indispensable.
Vous vous rappelez qu’en 1833, si je ne me trompe, un traité a été conclu par notre ministre aux Etats-Unis. Ce traité n’a pas été ratifié par le gouvernement belge. Depuis, nous n’avons plus rien entendu dire de nos relations avec les Etats-Unis. La seule chose que nous ayons pu savoir, c’est que nous n’avons plus à Bruxelles de ministre des Etats-Unis, et l’on ajoute que notre ministre à Washington est en route pour revenir à Bruxelles.
Je le demande, messieurs, dans de semblables circonstances, quand rien n’est changé dans notre position, quand la politique de nos ennemis conserve et son activité et son énergie, est-ce bien le moment de supprimer le ministère des affaires étrangères ? Mais on l’eût dû conserver quand on n’eût eu pour cela d’autre motif que de prévenir l’effet que cette suppression pourra produire à l’étranger. Faites passer certaines divisions d’un département à l’autre ; que la police soit aujourd’hui à l’intérieur, demain à la justice, que les bureaux de bienfaisance et les établissements de charité retournent à l’intérieur, dont ils n’auraient pas dû être séparés, ou qu’ils restent où on a jugé à propos de les placer, cela peut paraître de peu d’importance, du moins ce sont choses dont on ne s’occupe que dans le pays. Mais annoncer à l’étranger qu’il n’y aura dorénavant plus chez nous de ministre des affaires étrangères, que celui de l’intérieur donnera à la direction de notre politique et aux relations que le gouvernement doit entretenir avec les représentants des puissances, les moments qui lui resteront, après sa principale besogne terminée, cela me paraît maladroit, et je dirai même inconvenant.
Après cela, croyez-vous qu’il soit convenable qu’un seul ministre, quelle que soit la confiance qu’il mérite, et certes, nous en avons tous beaucoup dans celui que nous devons considérer comme le chef du cabinet actuel, qu’un seul ministre, dis-je, réunisse deux départements, tels que celui de l’intérieur et celui des affaires étrangères ? Vous semble-t-il prudent que la même tête dirige notre politique extérieure et l’administration du pays ? Faut-il qu’à un homme appartienne la nomination de tous nos agents diplomatiques, depuis le ministre jusqu’à l’attaché, et de tous les fonctionnaires administratifs, depuis le gouverneur jusqu’au garde champêtre. Prenez-y garde, messieurs, c’est là un antécédent, qui dans un temps plus ou moins rapproché, pourra être invoqué par un homme ambitieux qui voudra gouverner à son profit ; et si j’ai lieu de m’étonner que les collègues du ministre de l’intérieur et des affaires étrangères aient toléré dans ce dernier un aussi exorbitant cumul, je serais bien plus surpris encore, que la chambre l’approuvât. Le moment ne tarderait pas à venir où elle aurait lieu de regretter sa trop grande facilité.
Que dira-t-on pour justifier cette nouvelle et malencontreuse combinaison ? Le ministre de l’intérieur, prétendra-t-on sans doute, était trop surchargé de travail pour ne pas devoir se soulager un peu ; il s’est donc déchargé sur son jeune collègue de quelques spécialités ; mais, qui oserait soutenir que le département des affaires étrangères ne demande pas plus de temps et de soins que les travaux publics (à la tête desquels se trouve d’ailleurs un chef aussi capable que consciencieux), les mines, la milice et la garde civique ? Ce serait nous prendre pour gens trop crédules que de vouloir nous persuader semblable chose.
S’il est vrai d’ailleurs que la besogne du ministre de l’intérieur était trop considérable, trop compliquée, il était un moye fort simple de porter remède à ce mal, dont je ne méconnais pas l’existence. Il ne fallait que joindre au département des affaires étrangères, qui déjà avait la marine, le commerce et l’industrie, les mines, et même, si on le voulait, l’instruction publique. Un arrangement de cette nature eût été approuvé de tous.
Mais non, on voulait bien dans le cabinet le ministre qu’on y a appelé ; mais à tort ou à raison, on ne voulait lui confier ni l’intérieur ni les affaires étrangères.
On lui a donc arrangé un petit ministère nouveau, composé de branches n’ayant entre elles aucune relation, qui est un véritable pot-pourri. Qu’y a-t-il de commun, je vous prie, entre la marine et la garde civique, entre les messageries et la monnaie, entre la milice et les poids et mesures ? (On rit.)
Mais j’oubliais, messieurs, qu’un arrêté royal portant la date du 27 janvier (d’hier) est déjà venu détruire en partie cet arrangement. On a ôté au nouveau ministre les trois huitièmes de son département. En effet l’arrêté qui a paru dans le Moniteur décide que l’on a eu tort de distraire du ministère des finances la garantie des matières d’or et d’argent, les monnaies et les poids et mesures, et l’on a replacé ces objets dans les attributions de ce ministère.
En vérité, pour ceux qui sont éloignés du théâtre, où se donnent de semblables représentations, c’est à n’y rien comprendre. (On rit.)
Je ne dois pas oublier que l’économie n’entre pour rien dans la nouvelle combinaison qui, à cet égard, n’aura, je pense, d’autre résultat que de faire porter sur les budgets un secrétaire général de plus que jusqu’aujourd’hui.
Ainsi, messieurs, nous sommes autorisés à penser que le gouvernement, en réunissant les deux ministères les plus importants pour en créer un nouveau aussi bizarrement composé qu’il était inutile, n’a point eu en vue l’intérêt du pays, qu’il a même méconnu, mais uniquement certaines convenances particulières, et ce probablement d’après ce principe à l’observation duquel aucun ministre n’a jamais manqué, que « l’intérêt privé doit se taire devant l’intérêt général. »
Mais, messieurs, les conséquences fâcheuses que j’ai signalées comme la suite nécessaire et immédiate du remaniement ministériel, ne sont pas les seules qui doivent nous occuper. Sans m’arrêter aux inconvénients que toutes les mutations de ce genre ne manquent pas d’entraîner pour la marche des affaires, pensez-vous qu’un gouvernement qui défait un jour ce qu’il a fait la veille, pour revenir encore le lendemain à ce qui était, puisse inspirer une grande confiance ? Eh bien ! personne ne s’y trompe : la combinaison ministérielle d’aujourd’hui n’est que provisoire ; elle est faite non pour le bien du pays, mais pour la convenance de MM. les ministres. Que l’un d’eux trouve à propos de se retirer (et cela peut arriver, puisque naguère nous avons vu se retirer un ministre auquel la confiance de la chambre n’avait certes pas fait défaut) ; qu’un ministre se retire donc, l’on sera bien forcé de revenir à l’ancien état de choses, si l’on ne trouve, pour le remplacer, un homme capable qui consente à entrer dans une combinaison que je ne crains pas de qualifier encore une fois de malencontreuse.
Pour moi, messieurs, je n’ai pas voulu l’approuver par mon silence. Vous jugerez si mes observations sont fondées, et quelle que soit votre opinion, vous rendrez du moins justice à mes intentions.
J’ai maintenant une interpellation à adresser au ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, et qui est relative à une toute autre matière.
Vous vous rappellerez que la loi du 1er octobre 1833 permet au gouvernement belge de livrer aux gouvernements étrangers, à charge de réciprocité, tout individu étranger mis en accusation ou condamné par les tribunaux de son pays, pour l’un des faits énumérés dans cette loi ; les traités à intervenir en vertu des dispositions de cette loi doivent être insérés dans le Bulletin officiel, et l’art. 6 porte : « Il sera expressément stipulé dans ces traités que l’étranger ne pourra être poursuivi ou puni pour aucun délit politique antérieur à l’extradition, ni pour aucun fait connexe… Si non, toutes extraditions, toutes arrestations provisoires sont interdites. »
Cependant le gouvernement belge a conclu, le 29 juillet dernier, un cartel avec le gouvernement prussien pour l’extradition des individus appartenant aux deux pays et dans lequel le prescrit de l’article 6 n’a pas été observé ; car voici ce qu’on lit dans ce cartel :
« Dans le cas où l’un des crimes énumérés dans l’art. 1er se trouverait mêlé à un délit politique, l’extradition ne pourra avoir lieu qu’après que des dispositions particulières et conformes à la législation des deux pays auront été prises par les gouvernements contractants »
Est-ce là se conformer à l’article 6 qui veut que l’on signale expressément dans les traités les conditions dont il parle ? Je demande au ministre des affaires étrangères des explications sur ce point.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je commencerai par répondre à la dernière interpellation de l’orateur. Il est étonnant, dit-il, que dans le traité avec la Prusse on se soit écarté des dispositions de la loi du 1er octobre 1833 ; il a cité à cet égard l’art. 6 de cette loi. Mais, messieurs, l’honorable membre a perdu de vue l’art. 7 de la convention du 29 juillet dernier.
« Les dispositions de la présenter convention ne pourront être appliquées à des individus qui se sont rendus coupables d’un délit politique quelconque. »
M. de Brouckere. - Cet article ne signifie rien.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux)., continuant. - Mais quand des crimes qui sont énumérés dans la convention se trouvent mêlés aux crimes politiques, l’extradition ne peut avoir lieu qu’après que des dispositions particulières et conformes à la législation des deux pays auront été posées par les gouvernements contractants.
Je crois donc, messieurs, que cet article satisfait complètement à la disposition de la loi. Je n’en dirai pas davantage sur ce point.
C’est un principe constitutionnel que d’une part le choix des ministres, et par suite le règlement des attributions des divers ministères appartient au Roi, et que, d’une autre part, le contrôle des actes des ministres du Roi appartient aux chambres ; ce contrôle, messieurs, nous l’acceptons avec empressement : nous saurons toujours répondre par nos actes à la confiance que vous voudrez bien nous accorder.
Si l’honorable préopinant, dans le discours qu’il vient de prononcer, semble s’être étudié à trouver un côté plaisant au remaniement qui vient de s’opérer entre les attribution des différents ministères, je n’hésite point à dire qu’il ne s’est pas donné la peine d’examiner la connexité qu’il y a entre les attributions de chaque ministère telles qu’elles viennent d’être réglées, et que je ne trouve rien de plus plaisant que la répartition proposée par l’honorable membre : qu’il y a-t-il de commun, par exemple, entre les travaux publics, les beaux-arts, l’instruction publique et le département de affaires étrangères, auquel il voudrait les rattacher ? Il me semble qu’un remaniement dans ce sens serait bien moins convenable que celui dont se plaint l’orateur.
On a parlé de la suppression du ministère des affaires étrangères, et on a demandé si la Belgique ne tenait plus à entretenir avec les autres nations des relations convenables à sa position ; mais, messieurs, j’ai beau chercher dans l’arrêté royal que l’on attaque cette prétendue suppression, je n’y trouve que la réunion de deux ministères dans une même main, et il n’y a là pas plus suppression du département des affaires étrangères que du département de l’intérieur ; les deux ministères sont mis sur la même ligne et aucun d’eux n’est subordonné à l’autre comme on l’a dit.
Depuis longtemps on avait remarqué que le ministère des affaires étrangères n’avait pas des attributions suffisantes, et c’est pour cela qu’on y avait annexé le département de la marine, en lui donnant le titre de département des affaires étrangères et de la marine, comme aujourd’hui on a donné aux ministères réunis le titre de ministère de l’intérieur et des affaires étrangères ; c’étaient là comme aujourd’hui, deux départements réunis, mais l’arrangement d’alors était évidemment vicieux, car les attributions du ministère des affaires étrangères et de la marine n’étaient pas à beaucoup près suffisantes pour occuper un ministre, tandis qu’un autre ministre était véritablement surchargé de travail.
On avait demandé spécialement, à plusieurs reprises, que le commerce fût réuni au département des affaires étrangères, parce qu’on espérait que de cette manière le ministre des affaires étrangères pourrait donner plus de soins à nos intérêts commerciaux ; mais d’un autre côté, on objectait que les affaires du commerce se lien aussi très intimement au département de l’intérieur, de manière que les opinions étaient partagées sur la convenance de réunir le commerce au département des affaires étrangères ou de le laisser réuni à celui de l’intérieur ; par la combinaison qui vient d’être adoptée, les deux opinions doivent être satisfaites puisque le commerce se trouve maintenant annexé aux deux départements. De cette manière, en effet, il est certain qu’il y aura plus d’unité dans la direction et plus de promptitude dans l’expédition des affaires.
Reprenant la question de dignité et de convenance qui a été soulevée à propos des modifications dont il s’agit, je le demande, serait-il plus convenable de réunir au département des affaires étrangères, comme on l’a proposé, les travaux publics, le commerce, l’industrie publique, les beaux-arts, que de faire ce qui a été fait ? Je ne vois pas que le ministre des affaires étrangères se serait trouvé plus honoré d’une semblable adjonction que de la réunion en une seule main de ce département et de celui de l’intérieur ; il me semble que ce serait absolument la même chose. D’ailleurs, messieurs, ce ne sont là que des jeux de mots, la seule chose qu’il importe, c’est de voir si les hommes qui sont chargés des diverses parties de l’administration générale sont capables d’y donner l’impulsion convenable, de faire marcher les affaires dans l’intérêt de l’Etat.
On a voulu trouver bizarre les attributions de mon collègue, le ministre des travaux publics ; eh bien, messieurs, depuis longtemps nous avions remarqué qu’il serait utile à l’exploitation du chemin de fer de la réunir avec les postes sous une même administration, parce que souvent leur séparation avait donné lieu à des collisions fâcheuses, parce que les postes et les messageries se lient très étroitement à l’exploitation du chemin de fer et à toutes les voies de communication. La marine se lie encore intimement aux travaux public, puisque les ports, les côtes, les phares, les fanaux sont tous sous la direction des ingénieurs civils ; et l’on sait que le ministre des affaires étrangères, lorsqu’il était en même temps ministre de la marine, était débarrassé des attributions relatives aux phares et aux fanaux pour le renvoyer au département de l’intérieur, qui avait alors les travaux publics dans ses attributions. Vous voyez donc bien que ces diverses parties se lient intimement, et il en est de même quant aux mines.
Restent, messieurs, la garde civique et la milice ; mais il fallait bien détacher ces attributions du département de l’intérieur, et les réunir à celui des travaux publics, attendu que sans cette opération les attributions du ministère de l’intérieur et des affaires étrangères auraient été trop considérables. Cette répartition n’a d’ailleurs rien d’étonnant, puisque nous voyons la réunion d’attributions semblables dans nos gouvernements provinciaux, où fréquemment un même chef de division est chargé des affaires de la milice, de la garde civique, des mines, des travaux publics, tandis que le travail des affaires administratives des communes appartient à une autre division.
On a regrette, messieurs, que le département des affaires étrangères ne constituât pas un ministère exclusif composé des seules attributions relatives aux relations extérieures, et pour faire sentir la nécessité d’un semblable arrangement, on a dit qu’au département des relations étrangères il y a une quantité d’affaires en souffrance, qui restent à terminer. Eh bien ! messieurs, si cette observation était fondée, si réellement ces affaires étaient en souffrance au département des relations extérieures lorsque ce département avait si peu d’attributions, il n’est pas à regretter de le voir réuni au ministère de l’intérieur, car ce n’est certainement pas le temps qui a manqué pour donner les soins nécessaires aux objets dont a parlé l’honorable préopinant.
M. de Brouckere. - Je n’ai pas dit un mot de tout cela.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Vous avez dit que telle et telle chose n’avaient pas été faites ; je répondrai : ces choses ont pu être faites ou elles n’ont pas pu l’être ; dans le cas contraire, on ne gagnerait rien à laisser le département des affaires former un ministère séparé.
On a dit, messieurs, qu’il semblait que ce fût dans un intérêt personnel que le changement a été opéré, et l’on aurait même pu vous laisser croire que celui qui a l’honneur de vous parler à quelques sentiments d’ambition.
Messieurs, je me félicite d’avoir des collègues qui ne souffriraient pas qu’à côté d’eux siégeait un homme animé de pareils sentiments, et j’en appelle à cet égard à leur confiance.
Mais, messieurs, ces changements d’attributions sont-ils donc si inusités ? Ne voyons-nous pas fréquemment dans un pays voisin, qui est plus ancien que nous dans le régime constitutionnel, des remaniements de cette nature ? N’avons-nous pas vu souvent dans notre pays des remaniements de ce genre, moins considérables à la vérité mais appropriés aux circonstances ? C’est ainsi que la police qui en 1831 entrait dans les attributions du ministère de l’intérieur en a été détachée plus tard et réunie à celui du ministère de la justice pour être de nouveau renvoyée après au département de l’intérieur. Il en a été de même des établissements de bienfaisance qui en 1831 furent détachés du ministère de la justice et réunis à celui de l’intérieur, d’où ils retournèrent au ministère de la justice en 1832, sous mon prédécesseur. Ces changements sont dans la nature du gouvernement constitutionnel et doivent nécessairement s’opérer de temps à autre ; quand ils s’opèrent, les ministres qui en font la proposition au Roi et qui contresignent les actes servant à le mettre à exécution en assument toute la responsabilité. Quant à nous, nous n’hésitons pas un seul instant à assumer pleine et entière la responsabilité des mesures dont il s’agit.
M. Desmet. - Messieurs, j’appuie fortement les observations de l’honorable M. de Brouckere, relativement à la nouvelle combinaison ministérielle.
Je crois que M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères n’a nullement répondu à ces observations. Au contraire, il a confirmé ce qu’a avancé l’honorable M. de Brouckere, par l’exemple qu’il a présenté des employés dans les gouvernements des provinces ; il a reconnu que réellement le département des affaires étrangère ne formait plus qu’une commission ou une direction dans le ministère de l’intérieur, et comme y avez un directeur des cultes, par la nouvelle nomination qu’on vient de faire, vous y aurez un directeur des affaires étrangères ; je ne m’étendrai pas plus sur cette malencontreuse combinaison, comme l’a bien qualifiée M. de Brouckere, et je ne dirai pas non plus ma manière de penser sur l’étrange motif qui a fait chercher un moyen pour tout détruire et fabriquer ce pot-pourri d’attributions ministérielles. Mais je le demande à tous les membres de cette chambre : y -a-t-il un seul pays dans lequel le département des affaires étrangères ne soit pas un ministère distinct ?
On a parlé de l’Angleterre. Eh bien, messieurs, l’Angleterre est précisément le pays où le département des affaires étrangères forme la branche la plus importante de l’administration générale.
Si je suis bien informé, l’adjonction des affaires étrangères au département de l’intérieur est de nature à faire un mauvais effet dans les cours des puissances étrangères ; les représentants de ces puissances à Bruxelles n’ont pas vu sans une certaine contrariété cet abandon total des affaires étrangères au ministère de l’intérieur, et même je peux assurer que dans des cours étrangères, le changement dans le département des affaires étrangères y a de même fait un mauvais effet et y a été vu d’un mauvais œil, ce qui ne peut nous faire que beaucoup de tort près des puissances étrangères et faire perdre à notre gouvernement de sa considération.
Il est vrai qu’on a tâché de remédier aux inconvénients qui peuvent résulter du nouvel état de choses, en nommant un secrétaire général pour les affaires étrangères ; je n’ai rien à dire sur les talents, la capacité ; cependant vous reconnaîtrez avec moi, messieurs, qu’en diplomatie, il ne faut pas seulement la capacité, il faut encore de l’expérience.
Je le répète donc, j’appuie fortement les observations de l’honorable M. de Brouckere ; et si l’on n’y fait pas droit, ce sera pour moi un motif pour refuser mon assentiment au budget des affaires étrangères et à celui de l’intérieur.
Je me permettrai de dire deux mots sur un autre point.
Messieurs, nous avons actuellement un cabinet qui ne représente qu’un petit coin du royaume ; on pourrait, à mon avis, l’appeler le cabinet de Meuse et Moselle. Ni le Brabant, ni les deux Flandres, ni le Hainaut, ni la province d’Anvers n’y sont nullement représentés, et cependant ces provinces contribuent pour une part bien large dans les impôts de l’Etat.
On dira peut-être que nous n’avons pas le droit de nous occuper de cette question ; que nous allons empiéter sur les attributions du gouvernement ; je le veux bien, mais en présence d’actes aussi malencontreux, nous avons au moins le droit de refuser le budget, et c’est ce que je ferai.
M. Gendebien. - Messieurs, je suis tout à fait de l’avis de l’honorable préopinant ; le ministre n’a nullement répondu aux observations très judicieuses de M. de Brouckere.
M. de Brouckere s’est plaint de la suppression du ministère des affaires étrangères ; et au lieu de répondre aux interpellations pressantes de l’honorable membre, M. le ministre de l'intérieur et de l’extérieur ne s’est attaché qu’à une chose : Il a uniquement cherché à concilier l’assemblage fort extraordinaire des attributions du nouveau ministre, mais il n’a pas abordé une seule des observations tendant à prouver la nécessité du maintien du ministère des affaires étrangères, sauf à y réunir les attributions dont d’autres ministères pourraient être surchargés.
Messieurs, il nous importe assez peu, ainsi que l’a dit M. de Brouckere, qu’on ait composé le nouveau ministère de branches tout à fait étrangères l’une à l’autre, bien qu’il doive résulter de grands inconvénients de l’accumulation de choses aussi hétérogènes ; ce qui nous importe, c’est que le ministère des affaires étrangères soit représenté par une individualité.
M. de Brouckere vous a fait pressentir le danger que peut entraîner la réunion des affaires étrangères au département de l’intérieur, et il vous a fait entrevoir en même temps les conséquences qui pourraient résulter de la venue au ministère d’un homme ambitieux.
M. de Theux s’imagine avoir répondu en disant : « On semble vouloir m’accuser d’ambition. » Mais M. de Brouckere n’a nullement accusé M. de Theux d’ambition, il a simplement supposé un futur contingent, qui peut très bien se réaliser, de la venue d’un homme ambitieux au ministère des affaires étrangères et de l’intérieur.
Je n’ai pas besoin de vous développer les conséquences de ce fait s’il venait à s’accomplir. L’homme qui disposerait à la fois de l’intérieur et de l’extérieur ne pourrait-il pas exercer une influence immense et funeste dans un moment de crise ?
Je désire donc que M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères nous présente des explications plus satisfaisantes que celles qu’il nous a données.
Je ne reviendrai pas sur l’anomalie de la composition du ministère des travaux publics ; que le chef de ce nouveau département parvienne à se tirer de la position où on l’a placé je l’en féliciterai ; mais il me paraît fort difficile, sans un apprentissage long et funeste pour la chose publique, d’être à la fois capable de diriger les travaux publics, qui en Belgique sont d’une haute importance ; les mines, qui exigent des connaissances toutes spéciales ; la marine, qui n’a rien de commun avec les mines ; la milice et la garde civique, qui sont des attributions nécessairement inhérentes au ministère de l’intérieur, et qui, à coup sûr, n’ont aucun rapport avec les travaux publics et les mines ; à moins que le ministre des travaux publics, l’administrateur des mines, comprenant les graves inconvénients qui résultent de l’absence des bras aux foyers industriels veuille dispenser une partie des miliciens de prendre les armes pour aller prendre la pioche ; car c’est le seul moyen de fournir la houille à meilleur marché.
Je ne sais encore quelle analogie les messageries et les postes ont avec les travaux publics. Si le ministre des travaux publics veut récupérer le temps perdu par son prédécesseur ; s’il veut faire marcher les travaux publics en poste et surtout ceux du chemin de fer avec plus de rapidité, je le féliciterai, avec le pays, de cette réunion d’attributions ; mais, messieurs, je ne pense pas qu’il puisse obtenir ces résultats par cette combinaison. Mais c’est assez sur ce point.
Il me reste à dire quelques mots sur un autre objet ; M. de Brouckere vous a déclaré que ce n’était pas dans l’intérêt du pays, mais uniquement dans un intérêt personnel, que la nouvelle combinaison a eu lieu. Je demanderai, à mon tour, au ministère quelle a été la cause de la dernière perturbation du cabinet ? Trois ministres ont donné leur démission ; rien d’officiel, il est vrai, n’a été publié à cet égard ; ce n’est que par une indiscrétion que la chambre et le public en ont eu connaissance.
Messieurs, c’est un événement grave, sous le régime constitutionnel, que la démission de trois ministres : grands bruits à huis-clos, dans cette enceinte, grands bruits à la cour et ailleurs ; en définitive, les trois ministres qui avaient donné leur démission sont restés en place, tandis que le quatrième ministre, qui paraissait n’avoir pas d’abord donné sa démission, l’a offerte à son tour, et celle-là a été acceptée.
Il me semble qu’il est du devoir du ministère de nous donner des explications sur les causes ou les motif de la dernière perturbation du cabinet.
Je ne veux pas croire aux raisons qui ont été alléguées pour justifier la demande des démissions des trois ministres et la retraite d’un quatrième ; parce que je ne pense pas que ceux-ci aient pu se rendre coupables d’une indiscrétion ; on les en a accusés, je le sais ; pour ma part, j’aime croire qu’il n’en n’est rien et je pense qu’il existe d’autres motifs ; le pays est intéressé à les connaître, et je pense qui est du devoir du ministère de satisfaire la juste attente du pays.
Je rappellerai maintenant à M. le ministre des affaires étrangères, qui était alors ministre de l’intérieur, que j’ai interpellé son collègue, il y a six semaines environ ; que je l’ai mis en demeure de nous présenter un rapport sur les affaires étrangères, le prévenant que je renouvellerais mes interpellations lorsqu’on en viendrait à la discussion de son budget.
Il ne paraît pas que son successeur ait tenu compte de l’espèce d’engagement qui avait été pris par l’ancien ministre, rien, en effet, ne nous a été révélé sur la situation extérieure du pays.
Cependant, messieurs, bien loin que notre position soit améliorée à l’étranger elle s’est compliquée d’une manière fâcheuse. L’honorable M. de Brouckere vous a dit tout à l’heure que l’envoyé des Etats-Unis a quitté la Belgique, et que s’il était bien informé, notre envoyé près de cette puissance ne tarderait pas à rentrer dans le royaume. Il me semble que ce fait pourrait constituer un des articles du rapport de M. le ministre des affaires étrangères.
S’il faut en croire le bruit public, notre ambassadeur à Berlin aurait été obligé de quitter sa résidence ; je n’affirme rien ; mais je demande encore que le ministre nous rassure sur cet objet dans son rapport.
D’un autre côté, on prétend que l’on a infructueusement essayé d’accréditer à Vienne un homme très honorable, et qu’on s’était exposé à un nouvel affront à Vienne…
Une voix. - C’est à Berlin !
M. Gendebien. Soit : à Berlin aussi ; mais c’est à Vienne qu’on a voulu accréditer un homme très recommandable ; mais on m’a assuré qu’il avait été repoussé.
Autre élément du rapport de M. le ministre. Messieurs, depuis fort longtemps nous ne sommes plus représentés en Angleterre, et cela dans un moment où notre commerce et notre industrie réclamaient protection, seul moment peut-être où notre ambassadeur aurait pu être utile au pays ; car pour l’influence politique, nous ne devons pas avoir a prétention d’en exercer à l’étranger ; ce n’est donc pas sous ce rapport qu’il importe que nous envoyions des ambassadeurs chez les nations étrangères ; c’est dans l’intérêt du commerce et de l’industrie, c’est sous ce rapport seulement que nous pouvons espérer quelque dédommagement des sommes portées au budget.
Eh bien, messieurs, tandis que notre commerce éprouve de grandes entraves de la part de l’Angleterre, notre ambassadeur n’est pas à son poste. Il était à Lisbonne chargé, dit-on, d’une mission de famille, mot nouveau inventé par la doctrine de France, mais qui, j’espère, ne fera pas longtemps fortune en Belgique ; il était chargé d’une mission de famille, et cependant nous voyons d’après le rapport joint au budget, que notre ambassadeur à Londres a été envoyé à Lisbonne, comme représentant de la Belgique, puisque les frais de voyage et de séjour seront payés sur les fonds du budget des affaires étrangères.
Or, messieurs, il s’est passé un événement très grave à Lisbonne, et très préjudiciable pour l’honneur et pour les intérêts matériels de la Belgique. Nous étions dans une très belle position vis-à-vis du peuple portugais. Une légion de Belge, une légion de nos braves qui ont puissamment aidé à conquérir et à consolider la liberté en Belgique, et qui, fatigués de l’ingratitude du gouvernement belge, sont allés prouver à l’étranger qu’ils étaient dignes d’un meilleur sort ; cette brave légion a donné au peuple portugais une haute idée de la valeur belge, et a rendu à ce peuple d’immenses services. Nous étions en droit d’inspirer de la gratitude et de la sympathie au peuple portugais ; des compensations, sous le rapport du commerce et de l’industrie ; nous pouvions espérer de prendre quelque part au commerce que l’Angleterre fait à peu près exclusivement avec le Portugal.
Mais vain espoir ! dans l’intérêt d’une mission de famille, notre ambassadeur se permet de protester, au nom de la Belgique, contre une révolution semblable à celle qui a fait arriver au trône belge le pouvoir qui a disposé de notre ambassadeur contre les vrais intérêts du pays. Il s’est permis de protester, et toujours au nom de la Belgique, contre la proclamation de la constitution de 1820 qui a la même origine et le même but que la nôtre.
Il me semble que cet événement si grave est encore de nature à faire partie du rapport de M. le ministre des affaires étrangères.
Mais il y a plus : une contre-révolution est ourdie contre les libertés portugaises par la très jeune dynastie de Portugal. Elle a été, assure-t-on, dirigée par l’envoyé belge ! Je ne puis le croire. Quoi ! C’est un homme sorti de la révolution qui, au nom d’un gouvernement qui n’est lui-même que le produit et la conséquence d’une révolution ; c’est un envoyé belge qui est à la tête de l’intrigue, qui dirige toute cette contre-révolution. Cela me paraît impossible, absurde ; mais cela mérite bien quelque attention de la part de la chambre, et vaut bien la peine d’être l’objet d’un rapport de la part du ministre des affaires étrangères.
Messieurs, à force de finesse et de prétention à l’esprit, n’aurions-nous pas encore été dupe à Lisbonne, comme nous l’avons été toujours dans nos négociations diplomatiques. Nous nous sommes fiés à une certaine puissance dans une autre circonstance, quand il s’agissait de consolider, disait-on, la Belgique, et de maintenir l’intégrité de son territoire. Eh bien, messieurs, le résultat de l’intervention de cette puissance a été la perte de la rive gauche de l’Escaut, ce qui a été un coup de mort pour la libre navigation de ce fleuve ; mais on voulait avoir un gage contre les futurs contingents, contre une velléité d’indépendance, contre une alliance possible avec une puissance qui pourrait un jour avoir un intérêt à fermer l’Escaut à l’Angleterre, puisqu’il fait l’appeler par son nom.
A Lisbonne, n’aurions-nous pas été dupes encore ? Notre représentant n’a-t-il été poussé à ces actes extravagants de contre-révolution pour assurer à l’Angleterre son monopole et pour nous faire perdre, en un jour, le droits que nous avions acquis à la sympathie, à l’estime et à la reconnaissance du peuple portugais par le services que d’autres Belges, des hommes vraiment Belges, avaient rendu lors de la guerre contre don Miguel ? Il me semble que des explications étaient nécessaires sur ce point. Je n’ai fait qu’énoncer des faits qui ont été signalés par la presse de tous les pays et qui font l’objet de toutes les conservations en Belgique depuis trois mois ; faits dont je ne veux rien affirmer, mais sur lesquels j’ai le droit de demander des explications.
Il me semble qu’avant d’aller plus loin dans la discussion du budget des affaires étrangères, il convient d’avoir un rapport sur notre position à l’étranger. Je désire que d’ici à lundi le ministre des affaires étrangères trouve le temps, je désire que son ministère de l’intérieur lui permette de nous donner sur les affaires étrangères quelques explications.
Je rappellerai aussi au ministère ce que l’honorable M. de Brouckere disait tout à l’heure : nous avons demandé des explications sur la dernière ou plutôt sur la récente insulte que nous avons essuyé aux environs de Maestricht.
Depuis fort longtemps on nous a promis des réparations éclatantes sur d’autres faits de même nature, sans que jamais nous en ayons reçu ; cependant je prierai M. le ministre des affaires étrangères de faire encore des observations de M. de Brouckere, que j’appuie, l’objet de son rapport. Il faut enfin savoir si la nation doit toujours être insultée, et si nous, représentants de la nation, nous devons passer pour des dupes ou des niais ; on nous accuserait avec raison de niaiserie si nous continuions à adresser des interpellations aux ministres et si nous nous contentions toujours de belles promesses qui jamais ne se réalisent.
Messieurs, plus que jamais je crois que pour éviter les affronts et les déconvenues et pour éviter surtout de compromettre nos intérêts industriels et commerciaux, il conviendrait une bonne fois de supprimer tout le budget des affaires étrangères. Nous ne ferions en cela que suivre l’exemple du gouvernement qui en a supprimé le ministère ; s’il ne doit servir qu’à nous faire perdre la position que nous avions acquise auprès des autre peuples, la sympathie sur laquelle nous devions compter particulièrement de la part du peuple portugais, supprimez ce ministère, et laissez faire les négociants et les industriels, mieux que le gouvernement ils sauront réclamer dans l’intérêt de notre commerce et de notre industrie. Ils n’auraient pas compromis, eux, les avantages que nous avions le droit d’attendre du peuple portugais par suite de la belle conduire de nos braves Belges en Portugal.
A moins qu’on ne donne des explications acceptables, nous devons voter contre le budget des affaires étrangères.
D’après les raisons que je viens d’exposer, je suis décidé à voter contre le budget. Comme M. Desmet, je pense également qu’il est inutile d’accorder un budget à un ministère que le gouvernement a jugé lui-même être une superfétation. Aussi longtemps que le budget des affaires étrangères ne sera pas confié à un ministre spécial, je voterai contre, me réservant de faire ce que je croirai utile quand nous arriverons au budget de l’intérieur.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - L’honorable préopinant me semble, dans sa conclusion, être en contradiction avec ses prémisses.
En effet, après avoir regrette que le département des affaires étrangères ne fût plus en titre exclusif et isolé, il a fini par des considérations tendant à justifier l’opinion qu’il a déjà professée qu’un ministère des affaires étrangères est inutile en Belgique, qu’il n’en fait pas.
Le gouvernement n’a nullement partagé cette dernière opinion. Le gouvernement reconnaît l’importance d’un ministère des affaires étrangères ; aussi s’est-il abstenu d’en opérer la suppression. La seule chose qui a été faire a été de diminuer le ministère de l’intérieur d’une partie considérable de ses attributions, et d’y réunir le département des affaires étrangères, moins la marine. Dans l’opinion des gouvernements, il n’y a rien de changé à l’égard des attributions des affaires étrangères, ni à l’égard de leur importance.
Qu’il me soit permis de relever l’assertion d’un honorable membre qui prétend que cette combinaison a fait très mauvais effet à l’étranger. En ma qualité de ministre des affaires étrangères, j’en aurais été le premier informé. Je déclare positivement que c’est de la bouche de l’avant-dernier orateur que j’en ai appris la première nouvelle, car cela ne m’a été relevé par aucun fait ; je n’ai rien aperçu de semblable dans aucune de mes relations.
L’honorable membre, qui considère le département des affaires étrangères comme inutile, attache cependant un grand prix à avoir un rapport spécial sur l’état de nos relations à l’étranger. Il rappelle qu’il a réclamé ce rapport de mon prédécesseur, mais si mes souvenirs sont fidèles, il n’en a pas été promis, et il n’y avait aucun motif pour en promettre, parce que notre situation ne nécessitait pas ce rapport, et depuis la discussion de l’adresse, il n’est survenu aucun fait, aucune circonstance qui puisse donner lieu à un rapport de ce genre.
On s’est inquiété sur l’état de nos relations avec les Etats-Unis de l’Amérique septentrionale, on a signalé l’absence du représentant de cette puissance, et on a prétendu que notre envoyé était rappelé par le gouvernement. Voilà encore un fait qu’on m’apprend dans cette enceinte. Je puis assurer qu’il n’a nullement été question du rappel de notre envoyé à Washington.
Je puis assurer aussi que le départ de M. Legare n’est dû à aucune cause politique, il était fatigué de la carrière diplomatique, il a préféré rentrer dans la carrière législative qu’il avait déjà suivie. Il sera remplacé. Loin qu’il y ait le moindre nuage sur nos rapports avec les Etats-Unis, je puis dire que nos relations sont très amicales.
On s’est aussi occupé de la mission spéciale de Lisbonne que notre ministre plénipotentiaire près la cour de Londres a remplie. On a semblé considérer cette mission comme un événement extraordinaire.
Dans des circonstances semblables de pareilles mesures ont toujours lieu. Il aurait été au contraire très extraordinaire qu’il n’y eût pas un envoyé spécial chargé de complimenter la reine de Portugal.
Mais nos intérêts commerciaux ont-ils été compromis en Angleterre, ainsi qu’on l’a dit ? Nullement. Il est vrai qu’au printemps dernier notre commerce a été menacé de voir frapper nos navires d’un droit exorbitant, mais cet événement ne s’est pas réalisé, et à l’heure qu’il est, nos navires sont reçus en Angleterre sur le même pied que les années précédentes. Sous ce rapport, rien n’est resté en souffrance.
Mais, dit-on, notre envoyé extraordinaire à Lisbonne a fomenté une contre-révolution. C’est la première nouvelle qui m’en arrive ; j’ai relu attentivement et son mandat et les dépêches reçues de Lisbonne, Il m’a été impossible de démêler dans tout cela la moindre circonstance qui pût indiquer qu’il se soit immiscé directement ou indirectement dans les affaires intérieures du Portugal.
On nous a parlé, messieurs, de la violation récente du territoire aux environs de Maestricht ; on a demandé des explications sur ce fait. Il ne m’est pas possible de faire connaître encore à la chambre le résultat des réclamations que j’ai adressées, tant à la France qu’à la Grande-Bretagne. Ces deux puissances ont accepté avec empressement le rôle de médiateur que déjà plusieurs fois elles ont rempli dans nos relations internationales avec la Hollande ; et j’ai la certitude que ces puissances y mettront tout le zèle et tout l’intérêt que nous sommes en droit d’attendre de leur amitié.
Je bornerai là mes observations.
M. de Brouckere. - Je demande la parole.
Un grand nombre de membres. - A lundi. Il est cinq heures.
- MM. les représentants quittent leurs places
M. de Brouckere. - Je demande à dire deux mots.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères a parlé après moi. Mais vous avez pu reconnaître, comme je l’ai reconnu moi-même qu’il ne m’a pas réfuté.
Plusieurs membres. - Non ! Il ne vous a pas réfuté.
D’autres membres. - A lundi !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si la chambre entend M. de Brouckere, je demanderai qu’elle m’entende ensuite.
M. de Brouckere. - Je prie M. le président d’inviter M. le ministre des finances à ne pas m’interrompre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il faudrait y inviter en même temps tous les membres de l’assemblée.
M. le président. - J’invite tous les membres à reprendre leurs places et à écouter l’orateur.
Un grand nombre de membres. - A demain !
Plusieurs membres. - D’ailleurs la discussion générale pas close.
- La séance est levée à 5 heures.