(Moniteur belge n°257, du 13 septembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal.
M. Lebeau. - Il me semble que dans le compte rendu par le procès-verbal on n’a pas reproduit exactement une des questions sur lesquelles la chambre a pris une résolution.
Il y est dit que la question de savoir si la chambre admettra un droit de recherche autre que celui usité en matière de douane est mis aux voix : or il s’agissait d’un droit de recherche autre que celui actuellement usité en matière de douane.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est comme cela que j’ai expliqué la question.
M. de Brouckere. - J’ai aussi expliqué la question de cette manière.
M. Lebeau. - S’il y avait opposition, je demanderais qu’on mît la rectification aux voix.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
- Le procès-verbal ainsi modifié est adopté.
M. Verdussen donne communication de la pièce suivante adressée à la chambre :
« L’administration communale d’Onkerzeel (Flandre orientale) réclame une diminution sur l’impôt foncier assigné à cette commune pour 1835. »
- Cette pièce est renvoyée à la commission des pétitions.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur de la commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. Beerenbroeck, élu député par le district de Ruremonde.
M. de Saegher. - Organe de la commission que vous avez chargée de la vérification des pièces ayant rapport aux opérations électorales du district de Ruremonde, j’ai l’honneur de vous soumettre le résultat de son examen.
Le nombre total des électeurs inscrits s’élevant à 1,120, ils ont, conformément à la loi, été répartis en trois sections.
Les procès-verbaux des opérations de ces diverses sections n’ont donné lieu à aucune réclamation communiquée à votre commission ; examinés de près par elle, ils ne lui ont semblé donner lieu à aucune observation, ni quant au fond ni quant à la forme.
Le nombre total des votants s’est trouvé être de 591.
Le nombre des bulletins déclarés nuls, de 6
Restait, 585
Majorité absolue, 293.
Dans le premier bureau, sur 169 votants, M. Beerenbroeck, bourgmestre de Weert, a obtenu 129 suffrages ;
M. Olislagers de Sypernau, 37
Deux bulletins ont été déclares nuls, et un était en blanc 3.
Total, 169.
Dans le second bureau, sur 133 votants, M. Beerenbroeck a obtenu 81 voix.
M. Olislagers, 52
Total, 133.
Dans le troisième bureau, sur 289 votants, M. Olislagers a obtenu 176 voix.
M. Beerenbroeck, 109.
Le général Nypels, 1.
Trois billets nuls, 3
Total, 289.
Le relevé de ces résultats partiaux ayant établi que M. Beerenbroeck, bourgmestre de Weert, a, d’emblée, réuni un nombre de 319 suffrages, ou 26 de plus que la majorité absolue, votre commission, dans l’absence de toute réclamation comme de tous motifs apparents de réclamation, vous propose, à l’unanimité de ses quatre membres présents, de tenir son élection pour bonne et valable, et de l’admettre en conséquence comme représentant.
- Personne ne s’y opposant, les conclusions de la commission sont adoptées.
En conséquence M. Beerenbroeck est admis en qualité de membre de la chambre des représentants.
M. Zoude., rapporteur, donne lecture d’un rapport que nous donnerons dans un de nos prochains numéros. (Note du webmaster : ce rapport n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
M. Pirmez. - Je demande la parole. Il me paraît que pour ce qui est de la seconde proposition, la section centrale a outrepassé son mandat. Elle devait se borner à s’occuper de la question cotonnière. Ce sera une autre section centrale qui s’occupera des modifications à introduire dans le système des douanes. Cela n’a aucun rapport avec l'industrie cotonnière.
M. A. Rodenbach. - Je ne pense pas que la section centrale ait outrepassé son mandat, en vous faisant la proposition dont parle M. Pirmez.
Si vous voulez protéger efficacement l’industrie cotonnière, il faut assurer la perception des droits que vous établirez. Il ne suffit pas de dire : Le tarif sera porté à 20 ou 25 p. c. il faut que ce droit soit perçu : or, si vous ne faites pas une loi qui modifie le système des douanes, il sera impossible de percevoir un droit de 20 p. c. en Belgique, puisque déjà le droit existant qui n’est que de 10 p. c. ne peut pas être perçu ; moyennant une prime de 5 ou 6 p. c., les marchandises sont fraudées. Si vous ne changez pas votre système de douane, on continuera à introduire en fraude dans le pays pour des 15 et 20 millions de fabricats étrangers.
Il était donc de la plus haute importance de nous occuper du système des douanes, et il y avait nécessité pour la section centrale d’appeler l’attention de la chambre et du gouvernement sur cet objet. C’est moi qui ai fait la proposition dont il s’agit, et il n’est pas exact de dire qu’elle n’a aucun rapport avec l’industrie cotonnière, puisque j’ai énoncé dans cette proposition que son objet était de protéger l’industrie cotonnière.
M. Pirmez. - Mais, messieurs, une loi de douane, c’est tout autre chose qu’une loi cotonnière. La section centrale a été invitée à ne s’occuper que d’une loi cotonnière avec le système de douanes existant, et vous allez décider sur sa proposition que la chambre demande qu’on lui propose un nouveau système douanier.
M. F. de Mérode. - La proposition de la section centrale a un rapport direct avec la protection qu’on a annoncé vouloir accorder à l’industrie cotonnière. Je ne vois pas pourquoi on conteste à la section centrale le droit de faire cette proposition. Il était bien naturel que la section centrale, ayant à s’occuper d’un tarif, s’occupât en même temps des moyens de l’exécuter.
M. Rogier. - La section centrale a fait deux propositions distinctes dont l’une a une très grande portée.
La première, qui est l’ajournement, a bien certains inconvénients que je pourrais signaler ; mais je crois que la chambre l’adoptera à une grande majorité.
La seconde a une plus grande portée, car elle a pour but de vous faire décider que le système douanier actuel ne suffit pas et doit être modifié. C’est là une question très grave que nous ne pouvons pas résoudre maintenant. Car cette question n’a pas été discutée.
Les modifications qu’on apporterait au système douanier pourraient bien être favorables à l’industrie cotonnière, mais être préjudiciables à d’autres industries qui ne réclament pas contre le système douanier actuellement existant et qui en demandent au contraire le maintien. De Verviers il vous est venu une réclamation qui doit fixer l’attention publique. Les fabricants d’étoffes de coton de cette ville demandent le maintien du système actuel sous lequel leurs établissements prospèrent.
Je demande donc qu’on mette d’abord aux voix la première proposition de la section centrale, et quant à la seconde on ne peut pas la mettre aux voix maintenant, nous serions forcés de la combattre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois qu’il existe un rapport tellement intime entre le nouveau projet de système douanier dont il est question avec l’industrie cotonnière, que la section centrale ne pouvait pas se dispenser d’exprimer le vœu qu’elle émet.
En effet, la section centrale vous avait proposé un système douanier particulier pour l’industrie cotonnière ; ce système devait assurer une protection suffisante, car il garantissait la perception des droits que la chambre aurait votés en faveur de cette industrie.
Ce système n’a pas été accueilli par la chambre ; les principaux moyens proposés pour assurer la perception des droits ont été écartés. Ils l’ont été, j’aime à le croire, par le motif qu’on pourrait trouver dans l’amélioration du système douanier des moyens suffisants de protection, sans être obligé de recourir à la prohibition, à l’estampille et aux visites domiciliaires. Je pense, dis-je, que du moins la grande majorité n’a voté le rejet de ces mesures que dans l’espoir d’arriver par d’autres moyens moins vexatoires à assurer à l’industrie cotonnière la protection dont elle avait besoin.
Vous vous rappelez que mon honorable collègue M. le ministre des finances vous a déjà développé quelques idées à cet égard. Il a cru qu’en perfectionnant notre système de douanes dans quelques-unes de ses parties, en y introduisant quelques modifications, on pourrait assurer la perception des droits sans être obligé de recourir à la prohibition, à l’estampille et aux visites domiciliaires.
C’est cette espèce de proposition de M. le ministre des finances qui a le plus spécialement été renvoyé à la section centrale, de sorte qu’elle s’est trouvée saisie de la question de savoir quels seraient les moyens par lesquels on pourrait arriver à la perception du droit, le système qu’elle avait proposé ayant été repoussé.
La section a eu à examiner deux questions : la première, s’il y avait possibilité d’improviser un nouveau système, le premier ayant été rejeté.
Elle a pensé qu’elle n’avait pas le temps suffisant pour s’occuper d’une question de cette importance ; elle a proposé l’ajournement, et comme vous avez rejeté l’estampille et les visites domiciliaires, et que de son côté elle ne peut s’occuper de la tarification et de ses bases sans savoir par quels moyens on en assurera l’exécution, la section centrale ne propose pas de faire un devoir au gouvernement de présenter un nouveau système douanier ; elle abandonne à la sagacité et à la sagesse du gouvernement de proposer telles mesures douanières que le gouvernement, après mûre délibération, croira convenables. C’est un simple vœu que la section centrale soumet à la chambre.
Il est évident que la section centrale ne pourra s’occuper ultérieurement de la tarification des droits concernant l’industrie cotonnière, qu’autant qu’elle se trouvera fixée par les mesures proposées par le gouvernement sur les moyens d’assurer la perception des droits.
Il serait absurde de proposer un tarif plus élevé quand on a la conviction qu’avec le système actuel la perception ne peut en être assurée, cela ne servirait à rien. Il est donc, je le répète encore, de toute nécessité qu’on soit fixé sur les mesures douanières à introduire dans la loi générale.
De sorte que le vote que vous êtes appelés à émettre n’équivaut qu’à un simple vœu. La section centrale ne fait que proposer à la chambre d’inviter le gouvernement à réfléchir sur les modifications qu’il croira utile d’apporter au système douanier. Quand ces modifications auront été proposées, discutées, adoptées, la section centrale s’occupera ultérieurement de la tarification.
M. de Brouckere. - Je commencerai par déclarer que les deux propositions me semblent être d’une nature telle que dans des circonstances ordinaires il faudrait les résoudre négativement.
D’abord, par sa première proposition, la section centrale demande l’ajournement de la discussion. Remarquez qu’en règle générale, quand une loi a été mise en discussion et que des articles ou des principes contenus dans ces articles ont été votés, l’habitude constante est que l’on vote sur la loi, qu’on l’adopte ou qu’on la rejette, ou que les auteurs de la loi la retirent.
Cependant je suis le premier à reconnaître que nous sommes dans des circonstances extraordinaires, et par ce motif je voterai pour la première proposition : bien entendu que mon vote ne tire pas à conséquence pour l’avenir, car si la même proposition était représentée, je la combattrais et je voterais contre.
En second lieu, la section centrale propose d’inviter le gouvernement à présenter un projet sur le système douanier.
Il n’est pas dans les habitudes parlementaires qu’on invite les ministres à présenter des projets de loi, puisque chacun des membres a l’initiative aussi bien que les ministres.
D’un autre côté, en invitant le gouvernement à présenter un nouveau système douanier, on déclare d’une manière implicite qu’on trouve le système actuel mauvais. Il peut avoir des vices, il peut être susceptible d’améliorations, mais ce n’est pas une raison pour déclarer d’une manière générale, et sans discussion, qu’il est mauvais.
Malgré ces considérations, je voterai encore pour la seconde proposition, et voici mes motifs.
M. le ministre des finances a dit qu’il s’occupait d’un projet de loi concernant les modifications à apporter au système des douanes ; il vous a même dit que les modifications qu’il se proposait de présenter, et au premier aperçu, un grand nombre de membres ont trouvé que parmi ces modifications il s’en trouvait qui paraissaient bonnes. Ensuite, j’entends la proposition de la section centrale en ce sens que la chambre invite le ministre à présenter le plus tôt possible le projet dont il s’occupe sur les modifications à apporter au système des douanes.
Quand ce projet sera présenté, la chambre le discutera, et le vote qu’elle va émettre ne la liera en rien, parce que si les modifications proposées lui paraissaient mauvaises, et si elle jugeait que la loi actuelle vaut mieux que la nouvelle, elle serait toujours en droit de repousser le projet présenté par le ministre des finances.
Somme toute, je regarde le vote que la chambre est appelée à émettre comme une nouvelle manifestation du désir de pouvoir venir au secours de l’industrie cotonnière dans un bref délai. C’est dans ce sens que je voterai pour les deux propositions.
M. Pirmez. - Je persiste à dire qu’il est inutile de voter sur la deuxième proposition de la section centrale ; ce serait faire sanctionner par la chambre les idées émises par le ministre des finances.
M. de Brouckere a dit qu’il voterait pour cette proposition parce que, parmi les modifications indiquées par M. le ministre des finances, il en a trouvé de bonnes : eh bien, moi je voterai contre parce que j’en ai trouvé de très mauvaises.
Le ministre est libre d’ailleurs de présenter un projet de loi quand bon lui semble, je ne vois aucune raison pour l’inviter à en présenter un.
M. A. Rodenbach. - Je sais que le ministre des finances a le droit de présenter des projets de loi quand bon lui semble. On l’invite à le faire le plus tôt possible, parce qu’il a communiqué à la section centrale la substance des modifications qu’il se propose de présenter, et que nous avons dû émettre notre opinion sur ces modifications. Si nous voulons parvenir à percevoir un droit de 25 p. c., il faut d’autres moyens de surveillance que ceux qui existent ; il faut une nouvelle loi douanière.
Il est reconnu que notre tarif est vicieux et qu’il doit être changé. Pour ne citer qu’un des nombreux vices qu’il contient, je dirai que la bonneterie qui vient de la Silésie ne paie que 10 p. c. de droit, tandis que celle de France en paie 20.
Je sais que la loi générale n’a pas besoin d’être changée en ce qui concerne les fers, car ils sont frappés d’un droit de 50 p. c.., ce qui équivaut à une prohibition. L’honorable préopinant doit le savoir. J’espère qu’on ne maintiendra pas un droit aussi élevé sur les fers, dont se servent les fabricants de coton. Le charbon encore est frappé d’un droit de 80 p. c. Et remarquez qu’on ne fraude pas du fer et du charbon comme des fabricats de coton.
On ne doit pas oublier que la loi générale a été faite au profit de la Hollande et non de la Belgique.
M. Legrelle. - Messieurs, la section centrale propose à la chambre d’émettre un vœu ; je ne sais pas comment la chambre peut voter sur un vœu. En le faisant, elle agirait contrairement à ses habitudes et aux principes parlementaires. Elle ne peut voter que sur des propositions. Le vœu de la section centrale devrait être formulé, alors il devient proposition, et dans cet état il doit passer par toute la filière des formalités prescrites par le règlement avant de pouvoir être discuté et mis aux voix.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - La chambre fait tous les jours ce que propose la section centrale. Quand elle est saisie d’une pétition, elle la renvoie aux ministres avec invitation de faire un prompt rapport ou de présenter un projet de loi sur la matière qui fait l’objet de la pétition renvoyée.
Que fait en ce moment la section centrale ? Elle demande simplement qu’on invite M. le ministre des finances à présenter un projet de loi sur les modifications qu’il croira utile d’introduire datas le système douanier.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Pour mettre fin à ce débat, je déclare que je m’occuperai dans le plus bref délai d’un projet de loi concernant les modifications à apporter à notre système de douanes, et que je le déposerai sur le bureau, Car une grave responsabilité incomberait selon moi au gouvernement s’il tardait de présenter ce projet, sur lequel on veut être fixé avant d’examiner de nouveau le tarif.
Il importe mène qu’il soit présenté immédiatement, parce que dans l’opinion du gouvernement il faut faire quelque chose pour l’industrie cotonnière, et dans mon opinion on fera quelque chose de très efficace en refaisant le tarif des douanes. Il resterait à examiner la base de la perception, la question de savoir si le droit sera perçu au poids comme le proposait la section centrale, ou à la valeur.
Je suis prêt à me rallier à celui de ces deux modes qui me paraîtra le plus efficace.
M. Pirmez. - M. A. Rodenbach a beaucoup exagéré la protection dont jouit le fer, quand il a dit qu’elle était de 50 p. c. C’est une chimère, et il serait facile de le prouver.
On se souviendra qu’en présence d’un grand nombre d’industriels houillers, l’introduction de la houille étrangère fut admise.
C’est le seul exemple qui ait été donné en Belgique d’industriels se prononçant contre la prohibition dans une question qui les intéressait, et cet exemple a été donné par les habitants de Charleroy depuis la révolution, tandis que les fabricants des Flandres depuis cette époque n’ont cessé d’assaillir le pays par des réclamations de toute espèce et de plus exagérées.
Ils ont demandé et obtenu une loi sur les toiles, une loi sur les lins, des primes pour leur industrie cotonnière, et tout cela ne leur suffit pas ; il leur aurait fallu la prohibition des fabricats de coton étrangers. C’est donc à tort qu’on vient nous accuser.
M. Rogier. - La section centrale n’insistera probablement pas sur sa proposition. Le gouvernement vient de donner l’assurance qu’il s’occuperait d’un projet de loi sur le tarif à établir pour les tissus de coton.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Non, je n’ai pas dit cela.
M. Rogier. - J’avais compris que M. le ministre des finances avait dit qu’il s’occuperait d’un nouveau système de douanes, et qu’il proposerait en même temps les bases du nouveau tarif de l’industrie cotonnière. Maintenant qu’il n’en est pas ainsi, nous ne serons pas plus avancés à la session prochaine que nous ne le sommes maintenant. Le droit sera-t-il établi à la valeur, ou bien établira-t-on un tarif décroissant comme quelques-uns nous le demandent ? Voilà ce dont le gouvernement devrait s’occuper. Autrement il n’y aura pas moyen d’en sortir.
Je désirerais beaucoup que M. le ministre des finances nous dît qu’il s’occupera des bases du tarif et du système douanier, puisqu’il nous a fait connaître son opinion. Il pense que la perception du droit la valeur sera plus efficace que toute autre. C’est une idée qu’il pourrait formuler dans un projet de loi. Il sera certain d’être appuyé par beaucoup de membres, attendu que son système est celui que suivent les nations les plus avancées en matière de commerce.
Le gouvernement devrait autant que possible chercher à prendre l’initiative dans ces sortes de lois. C’est un grand malheur quand elles sont proposées par les chambres. Je sais plus que personne combien la position du gouvernement est quelquefois embarrassante, cependant il devrait autant que possible prendre l’initiative.
Je crois qu’il ne reste plus en ce moment à décider que la question d’ajournement. Il importe au pays, et surtout au commerce, de savoir à quoi s’en tenir sur ce point. Il ne faut pas se le dissimuler, la proposition de la section centrale et des députés des Flandres a jeté une grande perturbation dans toutes les transactions commerciales. Comme les commerçants ne connaissent pas la nature du droit qui sera perçu sur les marchandises étrangères, ils n’ont pas fait de commandes pour l’hiver. Si un pareil état d’incertitude se prolonge, ils se trouveront sans approvisionnement pour cette époque. Il me semble que le commerce mérite tout aussi bien que l’industrie d’exciter la sollicitude de la chambre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Pour quelle raison ai-je dit que je présenterais un projet de loi sur les modifications à introduire dans le système de douanes ? C’est parce que la section centrale a fait de ces modifications la condition de l’examen du tarif dont elle est saisie.
Je ne pouvais donc pas présenter un nouveau projet de tarif, puisqu’il y en a un dont la section centrale et la chambre sont saisies. M. le ministre de l’intérieur et moi, nous nous sommes rendus à la section centrale pour examiner le nouveau tarif. Nous nous rendrons également aux invitations qui nous seront faites ultérieurement, et nous discuterons la question de savoir s’il convient d’adopter le droit à la valeur ou le mode de perception actuellement proposé. Je n’ai donc pu m’engager à présenter un nouveau tarif.
On a fait au gouvernement le reproche de ne pas prendre l’initiative à l’égard des projets de loi. Je pourrais citer cinquante projets qui prouveraient le contraire. En matière d’industrie et de commerce, il y a la loi sur le transit, la loi sur le bétail, la loi sur la pêche, etc. Les reproches adressés au gouvernement ne sont donc pas fondés, et je ne les accepte pas.
M. A. Rodenbach. - Je répondrai à M. Pirmez que lorsqu’on a adopté le projet de loi sur les fers, la grande majorité des députés des Flandres ont accordé la protection demandée qui est de 15 fr. par 100 kilogrammes sur le fer en barre. Du reste, si M. Pirmez est un partisan exclusif de la liberté de commerce comme l’indique son discours, nous pouvons lui donner entière satisfaction en proposant un projet de loi pour permettre la libre entrée des fers.
M. Pirmez. - Si M. Rodenbach avait compris l’esprit de mon discours, il aurait vu que je veux conserver les droits acquis.
M. Desmet. - Vous avez vos raisons.
M. Pirmez. - Je n’ai jamais demandé qu’on levât une seule prohibition.
M. A. Rodenbach. - Je le crois bien.
M. Pirmez. - J’ai dit seulement que c’était un très grand mal d’entrer dans un système de prohibition. Qu’on lève tout droit quelconque, j’y donnerai mon assentiment. Mais l’on ne peut par vengeance détruire les droits acquis, sous l’empire desquels les industries se sont élevées. (L’ordre du jour !) Mon opinion est que vous aurez beau changer le système de douanes, après avoir dépensé une dizaine de millions en pure perte, vous ne vous trouverez pas plus avancés qu’auparavant.
M. Rogier. - Je n’ai pas reproché au gouvernement de ne point prendre l’initiative pour la présentation de projets de loi ; j’ai regretté seulement que le gouvernement n’eût pas fait une proposition dans la question actuelle. M. le ministre d’Huart n’avait donc pas à repousser mes reproches, puisque je ne me suis pas permis de lui en adresser.
M. Dumortier. - Je ne partage pas l’opinion du préopinant. Je ne reprocherai jamais au gouvernement de ne pas prendre l’initiative. Moins il prend l’initiative, moins il s’use. C’est ainsi qu’agit le gouvernement anglais, qui comprend tout aussi bien que nous le gouvernement constitutionnel.
Quant à la question qui nous occupe, je vous avoue que je ne comprends pas bien où nous marchons. Hier la section centrale vous proposait encore la visite domiciliaire et l’estampille, mais seulement dans l’éventualité où il n’y aurait pas d’autre moyen de protection.
Nous avons repoussé la visite domiciliaire et l’estampille ; et voici que la section centrale vient nous dire qu’elle retire son projet parce que nous avons démoli la base de son édifice.
La base de son édifice, c’étaient donc la visite domiciliaire et l’estampille. Ce que l’on nous présentait comme ne devant être appliqué qu’à certains cas déterminés était donc en réalité une mesure générale.
Maintenant la section centrale demande que des modifications soient apportées au système de douanes, avant que le tarif de son projet ne soit discuté. Commençons par faire la tarification ; nous nous occuperons des douanes ensuite. Si M. le ministre des finances venait nous présenter un nouveau projet de loi, nous aurions deux projets sur le bureau et nous ne saurions pour lequel nous décider. Il me semble que la marche à suivre serait de discuter actuellement si le droit sera établi ou non à la valeur. Ajourner la discussion jusqu’à la session prochaine, c’est vouloir perdre les 8 jours que nous venons de consacrer à l’examen du projet. C’est pour ces motifs que je demande la continuation de la discussion du projet de la section centrale.
M. Manilius. - Puisque M. Rogier trouve que le gouvernement devrait prendre l’initiative dans la question cotonnière, pourquoi ne l’a-t-il pas prise lorsque nous sommes venus lui présenter nos doléances ? Il nous a renvoyés comme des misérables. (Hilarité.) Il nous a dit de suivre les émigrants. Oui, voilà la conduite de M. Rogier, quand il était ministre. Aussi je désire qu’il ne le redevienne jamais. (Hilarité, à laquelle M. Rogier prend part.)
M. Rogier. - Il est très vrai que dans la question cotonnière je n’ai pas pris l’initiative. Mais c’est que je pensais que l’industrie cotonnière n’avait pas besoin de la protection qu’elle demandait, il n’y avait donc pas lieu pour moi de prendre l’initiative ; j’étais conséquent avec mes principes.
Il est injuste de dire que je n’ai pas montré d’intérêt pour l’industrie cotonnière. Comme ministre, je suis créateur de la société cotonnière, dont M. Manilius a dit qu’il ne faisait pas partie, mais que d’autres fabricants ont reconnu être une fort bonne chose. L’enquête est là pour témoigner que cette société est venue au secours de l’industrie. Depuis la révolution, le gouvernement n’a pas moins protégé l’industrie cotonnière que les autres industries du royaume ; 700,000 francs lui ont été accordés. Comme membre du gouvernement provisoire, j’ai concouru à lui en faire donner 200,000 ; comme ministre de l’intérieur, je lui en ai fait donner 350,000.
Le reproche de M. Manilius est déplacé. Je ne me rappelle pas lui avoir dit qu’il n’avait qu’à suivre les émigrants.
M. Manilius. - Nous étions trois présents à l’audience.
M. Rogier. - Je suis fort étonné, en supposant que j’aie tenu ce propos, que M. Manilius ait tardé aussi longtemps à manifester son indignation. La sortie de M. Manilius me paraît, je ne dirai pas très peu parlementaire, mais tout à fait extraordinaire.
Je ne pense pas que la chambre doive s’effrayer des émigrations de certains ouvriers. Dans tous les pays, les ouvriers cherchent de l’ouvrage là où ils trouvent des conditions meilleures de travail. Il est heureux que la diminution du prix des transports et l’ouverture de nouvelles voies de communication permettent aux ouvriers de se soustraire à l’exploitation des fabriques. Les ouvriers de Gand, dont le salaire est diminué, pourront aller à Liège où l’on manque de bras pour les mines. Ils pourront également se rendre à Verviers, à Andenne et à Seraing où l’industrie cotonnière est florissante.
M. Desmet. - Cela n’est pas exact.
M. Rogier. - Au surplus, notre opinion sur l’industrie gantoise est partagée par beaucoup de personnes qui sont sur les lieux mêmes ; je citerai le Journal des Flandres.
M. de Roo. - L’on parle beaucoup, sans avoir approfondi les matières ; on se croit universel ; on parle de tout et on se trompe très souvent, C’est ainsi que M. Dumortier a dit que l’estampille n’existait plus en France. Je ne lui citerai que la loi de 1816.
Maintenant que vous avez rejeté une bonne loi, il faut en faire une nouvelle. Ce n’est pas en 24 heures qu’on peut la faire. Il faut un temps moral. J’appuie l’ajournement demandé par la section centrale.
M. Dumortier. - L’honorable préopinant a reproché à certains membres de parler de ce qu’ils ne connaissent pas. Il a joint l’exemple au précepte. (Hilarité.) La qualité d’avocat n’est pas un brevet d’infaillibilité.
Le jour que j’ai pris la parole, j’avais eu un entretien avec un fabricant de Saint-Quentin, qui m’a donne l’assurance que l’estampille n’existe plus que pour l’exportation. Comme alors il y a remboursement du droit à la sortie, le fabricant naturellement met son estampille sur les produits, pour obtenir le remboursement. Mais il est vrai de dire qu’actuellement l’estampille n’existe pas en France pour les tissus de coton.
Le préopinant a parlé d’une loi de 1816 ; mais il paraît qu’il ne connaît pas les lois d’une date plus récente qui ont abrogé cette loi de 1816.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°259, du 14 septembre 1835) M. Desmet. - Messieurs, si je prends la parole, c’est pour appuyer très volontiers ce que vient d’avancer notre honorable adversaire, M. Rogier, que les ouvriers belges ont raison de s’expatrier quand ils trouvent de l’avantage à quitter la Belgique pour aller chercher du travail en pays étranger. Mais quand le même membre dit que nos fabricants conservent trop d’ouvriers et produisent trop pour le débit qu’ils ont, c’est à peu près comme disait un ministre de l’intérieur en Belgique, au moment de la discussion du dernier projet de loi sur les céréales, que s’il y avait trop de grain dans le pays, il fallait n’en plus semer tant, ou le couper vert et le donner au bétail.
Mais que prouve M. Rogier par ce qu’il vient de dire ? c’est que vraiment notre marché de l’intérieur est tout à fait gâté par les marchandises étrangères, et que nos fabricants, quoiqu’ils pourraient fabriquer le double de ce qu’ils fabriquent aujourd’hui, le peu que leurs fabriques produisent, ils ne peuvent encore s’en défaire !
N’est-ce pas formellement reconnaître que les manufactures du coton sont en souffrance en Belgique ; et comment concilier ceci avec tout ce que l’honorable membre a dit depuis quelques jours, et surtout dans le long discours qu’il a prononcé le second jour de la discussion, dans lequel il a positivement déclaré que l’industrie cotonnière ne souffrait pas ni n’avait besoin d’aucun secours ?
Pour ce qui concerne à présent la fameuse lettre ou pétition adressée à la chambre par la chambre de Verviers en question et dont on a fait la lecture dans la séance du 11, laquelle dit que sa fabrique de coton est très prospère, et qu’elle fait passer beaucoup de ses produits en Allemagne, je ferai remarquer que cette lettre ne contredit point ce que j’ai avancé il y a quelques jours, que cette maison avait transporté la partie de sa fabrique qui concerne le tissage, en Prusse, car il n’en parle point, et le fait que j’ai avancé, je te tiens d’une autorité tellement respectable que j’ose, messieurs, vous assurer qu’il est de la plus grande exactitude et que si les députés de Verviers veulent prendre des informations ultérieures, ils acquerront la conviction que la maison Grandy de Verviers a transporté sa tissanderie de coton en Prusse.
Et alors on peut très bien comprendre la prospérité dont veulent parler les chefs de cette maison, car la filature de coton peut être très prospère en Belgique, quand ils envoient leurs fils en Prusse, pour y en faire des toiles. Les fils ne paient pas de droits en entrant en Prusse, ce ne sont que les tissus qui y sont fortement Imposés à l’entrée. En filant donc le coton en Belgique, en confectionnant les tissus en Prusse, cette maison fait passer ses produits de l’étranger sans payer de forts droits, et j’avoue qu’elle emploie un bon moyen pour prospérer, car ce sont surtout les tissus et les impressions que les fabricants ne peuvent débiter en Belgique avec avantage parce qu’ils ne savent pas soutenir la lutte contre la concurrence étrangère, par laquelle, comme il a été démontré, plus que le double de notre consommation est fourni.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’ajournement proposé par la section centrale. La seconde proposition a été retirée par suite de l’engagement pris par M. le ministre des finances de présenter un projet de loi sur les modifications à introduire dans le tarif des douanes.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demanderai si l’on entend que l’ajournement soit indéfini. Je voudrais qu’il ne fût pas très éloigné. La question en est venue à ce point qu’il faut lui donner une prompte solution. Il faut protéger efficacement l’industrie cotonnière. Le moyen est celui que j ai proposé, qui tend à assurer la perception réelle des droits.
M. Verdussen. - La section centrale demande que l’examen du projet de loi soit renvoyé à la session prochaine. Mais la session actuelle se prolongera jusqu’en 1836. L’ajournement voudrait donc dire le renvoi au 10 novembre 1836. Il faut changer l’expression.
M. Zoude, rapporteur. - La section centrale a demandé que le tarif qu’elle propose ne soit examiné qu’après l’adoption du projet de loi que M. le ministre des finances a promis de présenter à la chambre sur les améliorations à introduire dans le système des douanes.
Eh bien, voilà l’époque de notre ajournement : c’est jusqu’à ce que le ministre des finances ait présenté son projet, et jusqu’à ce que ce projet ait été discuté par la chambre.
- La proposition d’ajournement est mise aux voix et adoptée. En conséquence la chambre décide qu’elle ajourne la discussion du projet de loi relatif à l’industrie cotonnière jusqu’après la discussion du nouveau projet de loi relatif aux douanes que le ministre des finances a annoncé comme devant être présenté aux chambres.
M. le président. - La suite de l’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la canalisation de la Sambre.
M. Legrelle. - Il est vrai que cet objet était à l’ordre du jour. Mais personne ne s’attendait à ce qu’on épuisât si tôt la question cotonnière. On pensait que cette discussion durerait encore plusieurs jours. Personne n’a pris avec soi les documents relatifs à la canalisation de la Sambre. Pour moi, ayant l’habitude d’étudier les projets au moment de leur discussion, je n’ai pas étudié le projet sur la canalisation de la Sambre. Je crois que plusieurs membres sont dans le même cas. Je demande donc le renvoi à lundi.
M. Pirmez. - Je ferai remarquer que probablement lundi la chambre ne sera pas en nombre. (Oui ! oui ! Non ! non !)
M. Gendebien. - Mettez le projet relatif à la canalisation de la Sambre à l’ordre du jour du 10 novembre.
M. le président. - La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - C’est une autre proposition que j’ai à faire à la chambre.
Je demande qu’il plaise à la chambre de mettre en premier lieu à l’ordre du jour de lundi le projet de loi que j’ai eu l’honneur de présenter relativement au traitement d’une légation en Italie, et sur lequel il a été fait rapport hier. Ce sera l’affaire de quelques instants que la discussion de ce projet de loi. (Adhésion.)
- La chambre, consultée, ajourne à lundi la discussion du projet de loi relatif à la canalisation de la Sambre et met à l’ordre du jour de lundi la discussion du projet de loi relatif au traitement d’une légation en Italie, projet auquel la chambre donne la priorité.
M. Legrelle. - Je demanderai que l’on mette aussi à l’ordre du jour de lundi le projet de loi relatif à la péréquation cadastrale.
M. le président. - Le rapport sur ce projet de loi n’a pas été déposé.
- La séance est levée à 2 heures et demie.