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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 23 février 1835

(Moniteur belge n°55, du 24 février 1835)

(Présidence de M. Dubus, vice-président.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. Il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître que les pièces suivantes ont été adressées à la chambre.

« Le sieur H.-C. Lambiotte, fils, demande que la chambre invite M. le ministre de l’intérieur à donner les explications qui lui ont été demandées sur la pétition des habitants de Barvaux qui réclamaient l’achèvement de la canalisation sur l’Ourthe. (Séance du 3 juin 1834.) »

« L’administration communale de Stekem (Flandre orientale) demande à être mise en possession de la propriété du droit de pêche dans le canal dit Stekensche-Zeede. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur J. d’Hauregard, négociant à Bruxelles, adresse des observations sur de prétendues fausses allégations contenues dans la réponse des fabricants de Gand au mémoire des négociants de Bruxelles. »

« Un grand nombre de marchands et détaillants des villes de Bruxelles et de Tournay réclament contre la proposition des représentants des Flandres. »

M. de Brouckere. - Je crois qu’il n’y a pas de raison pour ne pas envoyer les pétitions sur l’industrie cotonnière à la commission d’industrie. Je demande seulement qu’elles soient déposées sur le bureau pendant la discussion de la prise en considération de la proposition de M. Desmaisières. (Appuyé.)

- Le renvoi des deux dernières pétitions à la commission chargée d’en faire le rapport est adopté.

Proposition de loi relative au traitement des officiers de la garde civique mobilisée

Lecture, développements et prise en considération

M. le président. - M. Gendebien a déposé une proposition sur le bureau dans la séance de samedi. Toutes les sections en ont autorisé la lecture. La parole est à M. Gendebien.

M. Gendebien monte à la tribune. - Voici, messieurs, la proposition que j’ai eu de déposer sur le bureau et dont les sections ont autorisé à l’unanimité la lecture.

L’autorisation de la prise en considération ayant été donnée par des sections, les explications mêmes de considérants qui rappellent les lois antérieures portées sur la matière, et qui font de ma proposition une espèce de disposition interprétative, me dispensent de démontrer qu’elle n’a rien inconstitutionnel ni d’inconvenant. J’espère que la chambre voudra bien passer immédiatement à la prise en considération. (Appuyé.)

- La proposition de M. Gendebien est prise en considération. Le renvoi de cette proposition à l’examen des sections est adopté.

Le renvoi de cette proposition à l’examen des sections est adopté.

L’impression et la distribution en sont ordonnées.

Proposition de loi relative aux droits des étrangers

Lecture, développements et prise en considération

M. Dubus, président. - MM. de Brouckere, d’Hoffschmidt et Corbisier ont également déposé une proposition sur le bureau dans la séance de samedi. Les sections en ont aussi autorisé à l’unanimité la lecture ; la parole est à M. de Brouckere, l’un des signataires.

M. de Brouckere. monte à la tribune, et donne lecture de cette proposition :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut.

« Considérant qu’il résulte de l’esprit et des termes mêmes de l’arrêté du gouvernement provisoire du 6 octobre 1830 contenant des mesures relatives aux étrangers, que cet arrêté n’était que provisoire ;

« Qu’il a dû cesser d’exister en même temps que les circonstances qui l’ont fait naître ;

« Qu’il importe cependant de l’abroger formellement, afin de lever le doute qui paraît s’être élevé à cet égard dans quelques esprits ;

« Nous avons, etc..

« Art. unique. L’arrêté du gouvernement provisoire en date du 6 octobre 1830, contenant des mesures relatives aux étrangers, est abrogé et cessera d’avoir ses effets.

« Mandons et ordonnons, etc... »

« H. de Brouckere, F. d’Hoffschmidt, Fr. Corbisier. »

M. de Brouckere. - Messieurs, je dirai de notre proposition ce que l’honorable M. Gendebien a dit de la sienne. La lecture en a été autorisée par toutes les sections. Elle est extrêmement simple et motivée par les considérants qui la précèdent. Si la chambre était d’avis de la prendre en considération aujourd’hui, je me bornerais à lui en expliquer les motifs, et je m’abstiendrais de toute autre espèce de développements. Mais si l’assemblée voulait se livrer à une discussion sur cet objet, je crois qu’il conviendrait de la remettre à une autre séance, afin de ne pas retarder l’ordre du jour.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !

M. de Brouckere. - Voici les motifs qui nous ont engagés, mes honorables collègues et moi, à déposer cette proposition.

Vous vous rappelez qu’à l’ouverture de la session le gouvernement nous avait annoncé un projet de loi sur les étrangers. Plusieurs fois il a réitéré sa promesse de nous présenter ce projet. Cependant nous l’attendons encore. Il est probable que nous ne pourrons nous en occuper avant la fin de la session, parce que plusieurs objets très importants absorberont les moments de la chambre pendant un temps assez long.

Je citerai par exemple les projets que nous aurons à examiner avant la fin de la session, le budget des finances, la loi communale qui sera soumise à un second vote, la loi sur les barrières et la loi sur le mode de renouvellement des chambres. J’ai cru qu’il était à désirer que, en attendant, l’arrêté du gouvernement provisoire, en date du 6 octobre 1830, cessât d’avoir son effet.

Un deuxième motif nous a déterminés. Lors de la discussion du budget de l’intérieur, et dans la séance du 20 janvier dernier, j’exprimai à la chambre mon opinion sur la non-existence de l’arrêté du 6 octobre ; je me plaignis de ce que l’ancien cabinet avait appliqué cet arrêté jusque vers le commencement de l’année 1834. J’énonçai le voeu que le cabinet nouveau ne marchât pas dans cette voie. M. le ministre de l’intérieur me répondit alors en ces termes :

« On a parlé de l’arrêté du 6 octobre 1830, relativement à l’entrée des étrangers en Belgique. On a demandé si cet arrêté était encore en vigueur. Messieurs, il est de principe qu’une loi reste en vigueur aussi longtemps qu’elle n’est pas expressément rapportée, à moins qu’elle ne porte elle-même le terme de sa durée. Je sais qu’on peut considérer l’arrêté-loi du 6 octobre 1830 comme une mesure de circonstance. Mais il est à remarquer que plusieurs lois portées dans des circonstances extraordinaires, et qui paraissaient avoir été motivées sur ces circonstances, ont cependant reçu une application ultérieure, attendu qu’elles n’avaient pas été expressément rapportées. »

J’ai cru qu’après une semblable réponse il était de mon devoir de proposer le retrait de l’arrêté du 6 octobre 1830.

- La proposition de MM. de Brouckere, Corbisier et d’Hoffschmidt est prise en considération.

- Le renvoi de cette proposition à l’examen des sections est adopté.

L’impression et la distribution en sont ordonnées.

Proposition de loi relative aux droits sur le coton

Prise en considération et modalités d’examen de la proposition

M. Davignon. - Ce qui vient de se passer rendra ma tâche plus facile : il n’est plus nécessaire, messieurs, que je vous rappelle les termes de l’article 37 de notre règlement : suivant moi, et je crois que telle est aussi votre opinion, la prise en considération ne préjuge rien ; par là on déclare seulement qu’il y a lieu à délibérer : certes il n’est personne dans cette assemblée qui ne reconnaisse que tel est le cas qui se présente aujourd’hui,

Je demande donc que, laissant intacte la question de principe et le fond même de la proposition, la chambre décide immédiatement la prise en considération. A mon avis, c’est une marque de déférence que nous devons à ceux de nos collègues qui ont signé la proposition.

J’ajouterai cette remarque importante qu’il m’est connu que la plupart de ces honorables membres, peut-être même tous, ont apposé leur signature dans la persuasion que, par la proposition, non plus que par la prise en considération, ils ne contractaient aucun engagement. L’honorable auteur des développements lui-même est de ce nombre : il a fait plus, messieurs, il a déclaré que le projet contenait quelques dispositions auxquelles il s’opposerait. Chacun s’est donc réservé la faculté d’adopter telle modification qui serait jugée nécessaire, d’adhérer à un changement dans le système de la loi proposée, s’il était démontré qu’il était vicieux ou contraire à l’intérêt de l’industrie à laquelle ils veulent porter secours.

A ces motifs de convenance viennent se joindre des considérations d’ordre public et de haute politique.

Tout se réunit donc, messieurs, pour nous engager à passer outre sans aucun discussion, laquelle, d’ailleurs, nous ferait perdre un temps précieux et dont nous avons un meilleur emploi.

M. Helias d’Huddeghem. - Je n’ai rien à opposer à ce qu’a dit l’honorable préopinant. J’ajouterai seulement qu’il est à désirer que la chambre s’occupe le plus tôt possible de l’examen de la proposition de M. Desmaisières Vous le savez, messieurs, l’urgence en a été démontrée suffisamment. Depuis que nous avons soumis notre proposition à la chambre, beaucoup de villes manufacturières de la Belgique se sont empressées d’y envoyer leur adhésion. Je citerai les villes de Bruxelles, de Tournay, de Courtray, de Braine-Lalleud, de Braine-le-Comte, qui se sont empressées d’appuyer de leurs instances la requête des fabricants de Gand.

J’ajouterai que si j’ai apposé ma signature au projet présenté en faveur de l’industrie cotonnière, je ne me suis pas cru lié par le projet, en tant que je me propose de démontrer que, dans un pays comme dans une société, il faut de la réciprocité, et que puisque la France et l’Angleterre favorisent les développements de leur industrie par le système prohibitif, nous devons suivre cet exemple afin de porter notre industrie à ce point de perfection où on est parvenu chez nos voisins.

- La prise en considération de la proposition de M. Desmaisières est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - La chambre désire-t-elle envoyer cette proposition à l’examen d’une commission ou des sections ?

- Plusieurs voix. - Dans les sections.

M. Rogier. - Je propose à la chambre d’envoyer en même temps le projet aux sections et à l’examen spécial de la commission d’industrie qui pourra continuer les travaux qu’elle a commencés sur cet objet. Une enquête a déjà eu lieu. La commission d’industrie pourrait y donner suite et fournir les renseignements qu’elle s’est procurés par ce moyen jusqu’à ce jour. La chambre a bien sous les yeux les raisons pour ou contre alléguées par les partisans ou les adversaires du projet. Mais il lui manque des documents officiels. C’est pour accélérer les travaux et éclairer l’assemblée que je demande le renvoi du projet à la commission d’industrie.

M. A. Rodenbach. - Je ne pense pas que la commission d’industrie pût nous apprendre quelque chose de nouveau dans son second rapport. Son premier rapport nous a été présenté. Je sais bien que l’on en a discuté la validité, parce qu’il n’avait été fait que par quelques membres. Mais pourquoi les autres membres de la commission d’industrie ne se trouvaient-ils pas à leur poste ? Si l’on renvoyait la proposition à la commission d’industrie, je demanderais qu’elle nous donnât son rapport, non pas dans six semaines, mais immédiatement.

Voilà 3 ou 4 ans que l’industrie cotonnière est en souffrance. Les ouvriers sont dans le plus grand besoin. Dans mon district ils ne gagnent que 75 centimes par jour tandis que leurs voisins de Lille, de Roubaix, de Turcoing gagnent jusqu’à 3 fr. par jour. Il est important de remédier à un tel état de choses. Je désire, quel que soit le mode d’examen de la proposition de M. Desmaisières, qu’il soit fait promptement.

M. de Brouckere. - La chambre fera à l’égard de la proposition de l’honorable M. Rogier ce qu’elle jugera à propos de faire. Il est assez indifférent que l’on renvoie à la commission d’industrie ou non. La commission d’industrie a déjà examiné la question qui en fait l’objet. Mais ce serait une chose inusitée que l’envoi simultané d’une proposition à l’examen d’une commission et des sections. La chambre n’est consultée que sur le renvoi, soit à une commission, soit aux sections. Au surplus j’ai commencé par déclarer qu’il m’est indifférent que la proposition de l’honorable M. Rogier soit adoptée.

Si j’ai demandé la parole, c’est pour engager la chambre à ordonner l’impression des pièces relatives à l’enquête qui a été faite par la commission d’industrie.

En supposant qu’elle soit incomplète, les renseignements qu’elle renferme ne pourront qu’être d’une grande utilité.

Je sais bien qu’il y aurait lieu dans toute autre occasion d’attendre que l’enquête fût terminée pour en imprimer le résultat. Mais je crois que l’intention de la chambre est de faire de la proposition de l’honorable M. Desmaisières l’objet d’un prompt examen dans les sections, afin que l’assemblée puisse la discuter le plus tôt possible en connaissance de cause. Il est donc nécessaire que l’on puisse consulter les renseignements qui sont le résultat de l’enquête, laquelle est, si je suis bien informé, déjà très avancée.

Je propose donc à la chambre d’ordonner d’imprimer les renseignements fournis jusqu’à ce jour par l’enquête. Sans l’adoption de ma proposition, on empêche de donner suite à cette enquête.

M. Davignon. - Je voulais présenter les mêmes considérations que l’honorable préopinant. J’aurai l’honneur de faire remarquer que la commission d’industrie n’a pas fait précisément une enquête, mais une espèce d’investigation. Elle a eu recours aux lumières de quelques industriels, de quelques négociants, et leur a posé des questions auxquelles ils ont répondu. Il dépend de la chambre de prendre à l’égard des documents que la commission a recueillis telle décision qu’elle jugera convenable. Ils sont en règle à l’exception d’un seul interrogatoire, celui d’un négociant d’Anvers, qui a été envoyé à sa révision. Je serai bientôt en mesure de livrer tous les renseignements de l’investigation. Si la chambre juge qu’elle n’est pas suffisante, elle pourra charger la commission d’industrie de prendre ultérieurement tels renseignements qu’elle jugera convenir.

M. Dumortier. - Je répondrai à M. de Brouckere, qui voit dans le renvoi simultané de la proposition à une commission et aux sections une chose inusitée, que c’est au contraire une manière de procéder très usitée. J’appuie la motion de l’honorable M. Rogier. Que demande l’honorable M. Rogier ? Il demande une enquête, ce que l’on appelle en Angleterre une évidence, une démonstration des besoins de l’industrie cotonnière. C’est ce que les sections ne peuvent faire. Il n’y a qu’une commission qui soit en position de fournir à la chambre de semblables renseignements. Comme la commission d’industrie a commencé un travail de ce genre, c’est elle qui doit le continuer. Ce n’est que lorsque la commission d’industrie aura fait connaître le résultat de l’enquête que les sections devront s’occuper de la proposition des députés des Flandres, et voir si elle est utile ou non, si ses détails sont exagérés, enfin examiner la question sous toutes ses faces. Je ne puis donc qu’appuyer la demande de renvoi à la commission d’industrie qui serait chargée de faire une enquête. Je désire également qu’il lui soit fixé un délai déterminé pour nous soumettre son rapport.

Quant à ce qui est de la proposition d’enquête, je ferai remarquer que la commission d’industrie n’a pas été instituée comme commission d’enquête. Tout ce qu’elle fait, comme l’a très bien dit l’honorable M. Davignon, n’est qu’une simple information et rien de plus. La preuve, c’est que les industriels de Gand se sont refusés à se rendre à l’invitation que nous leur avions faite de nous fournir des renseignements sur l’état de leurs fabriques ; de sorte que, si vous ordonnez l’impression des documents que la commission possède, vous n’aurez qu’un travail très imparfait. En second lieu, la proposition de M. Desmaisières ne rentre pas tout à fait dans l’objet spécial que la commission d’industrie avait à examiner. Il s’agissait de savoir si l’on adopterait la prohibition des marchandises manufacturées ou si l’on établirait un droit d’estampille. Telle était la proposition faite par deux membres de la commission d’industrie au nom de toute la commission.

M. Zoude. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Dumortier. - J’entends dire que la proposition a été faite par 4 membres. Si j’ai dit qu’il n’y en avait que deux, c’est que je le croyais, et je n’ai pu m’en assurer au moyen du procès-verbal, puisqu’il ne nous a jamais été communiqué. Ce qu’il y a de certain, c’est que la commission d’industrie n’a jamais été réunie pour écouter le rapport qui a été fait en son nom.

M. Zoude. - Je donne à l’orateur le démenti le plus formel.

M. Dumortier. - Je le répète, si je me suis trompé sur le nombre des membres de la commission qui ont présenté une proposition à la chambre, c’est que le procès-verbal ne nous a jamais été communiqué. J’ai entendu dire que le projet avait été admis à la majorité de deux voix seulement.

Toujours est-il vrai que l’on ne peut regarder le projet comme l’oeuvre de la commission.

Maintenant, je reviens à la question. Je demande pardon à l’assemblée de m’en être écarté, mais j’ai été obligé de répondre aux interpellations qui m’étaient adressées.

Je dis donc que la commission d’industrie a fait une investigation sur un ordre de faits différents de ceux qui vous sont aujourd’hui présentés. En effet, dans la proposition des députés des Flandres, je vois qu’il est question de modifier le droit sur les cotons en laine, sur les cotons, blés, sur les nankins, sur la bonneterie et beaucoup d’autres objets sur lesquels la commission d’industrie n’a pas porté son investigation. De sorte qu’il lui serait maintenant impossible de faire un rapport sur tous ces objets.

Il faut que vous la chargiez de faire de nouvelles investigations. Mais je pense avec l’honorable membre que nous devons limiter le temps dans lequel les nouvelles investigations et le rapport devront être faits, afin qu’on ne puisse pas adresser à la commission d’industrie le reproche de vouloir traîner en longueur l’examen d’une question qu’il est urgent de décider.

Quant à l’impression des documents recueillis jusqu’à présent par la commission d’industrie, il serait imprudent de l’ordonner avant que les nouvelles investigations n’aient été terminées, à moins qu’on ne veuille pas continuer l’enquête, car si vous ordonniez maintenant cette impression, il serait très facile aux industriels nouvellement appelés de ne faire que les réponses qu’ils jugeraient convenables, et vous seriez obligés de faire revenir encore les premiers entendus. On n’en finirait pas. Je pense donc qu’il faut adopter la proposition de M. Rogier, de renvoyer la proposition à la commission d’industrie afin de compléter l’enquête, et ensuite lui ordonner de terminer son enquête et de faire son rapport dans un délai fixé, et enfin de faire imprimer tous les documents qu’elle aura recueillis.

M. A. Rodenbach. - Il n’y a pas eu d’enquête ; il ne pouvait pas y en avoir sans qu’elle fût ordonnée par la chambre.

M. Dumortier. - J’ajouterai encore quelques mots. On a reproché à plusieurs membres de n’avoir pas assisté aux séances dans lesquelles a été délibéré le rapport dont on a parlé. Comme je me trouve de ce nombre, je crois devoir me disculper. Je déclare que si je n’ai pas assisté à ces séances, c’est que j’en ai été empêché par la longue maladie dont j’ai été frappé dans le courant de l’année dernière. Voilà les motifs qui m’ont éloigné de la commission d’industrie, et je suis persuadé que les autres membres qui n’ont pas assisté à ses séances avaient des motifs non moins valables que les miens. Je sais d’ailleurs que plusieurs étaient dans la même position que moi.

Je dirai, en terminant, quelques mots sur la manière dont quelques députés se sont exprimés dans cette circonstance. On est venu vous parler de détresse et de grandes phrases.

M. A. Rodenbach. - Je demande la parole, puisqu’on parle sur le fond.

M. Dumortier. - Je ferai remarquer que c’est une manière peu convenable de discuter que de présenter à chaque instant les ouvriers comme étant dans la détresse, sans que la chose soit prouvée. Ne prêtons pas des armes aux ennemis de notre révolution, par de vaines déclamations dans l’intérêt de certaines localités.

M. le président. - Je ferai observer qu’il ne s’agit ici que de la motion d’ordre ; je prierai l’honorable orateur de se renfermer dans la question.

M. Dumortier. - Ce que j’ai dit suffit pour faire connaître mon opinion. Je déclare cependant que je serai le premier à accorder une élévation de droit si la nécessité m’en est démontrée.

M. Zoude. - Il m’est pénible, messieurs, de devoir prendre encore la parole pour repousser les attaques plus que malveillantes du préopinant. Deux fois la chambre avait reconnu la loyauté de la conduite que j’avais tenue dans l’occasion qu’on vient de rappeler.

Mais puisqu’il n’a pas plu au préopinant de croire la chambre et ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, il voudra se rappeler que l’honorable M. Davignon, dans la séance du 24 novembre, a déclaré qu’interpellé sur la question, il a répondu ne pas pouvoir se rallier aux propositions du rapport, parce qu’il les trouvait inopportunes, attendu les négociations entamées avec la France.

Vous voyez donc qu’il s’était agi de la question des cotons dans le sein de la commission avant que le rapport fût présenté ; M. Davignon vous en a fait l’aveu le plus positif dans la séance du 24 novembre.

Quant à l’allégation que deux membres seulement auraient adhéré au rapport, je la dénie formellement. Trois membres y ont donné leur adhésion, et si c’était parlementaire, je les citerais. (Citez-les ! citez-les !) Ce sont MM. Bekaert, Desmaisières et moi, et je crois qu’il y en avait encore un quatrième.

Quant aux lenteurs qu’on peut remarquer dans le travail de la commission, je dirai à l’honorable M. Dumortier que, depuis douze ou quinze mois, il a entre les mains une pièce dont la commission avait besoin pour l’examen de la question qui nous occupe, et qu’on l’a plusieurs fois en vain invité à la rapporter.

M. Davignon. - Je dois me justifier de ce que vient de m’attribuer l’honorable préopinant. Il m’a mal compris. Ce n’est pas dans le sein de la commission mais dans une conversation particulière que j’ai eu occasion de parler du rapport de M. Zoude ; et je déclare que je n’ai jamais assisté, dans la commission d’industrie dont j’ai l’honneur d’être président, à aucune réunion où la question de l’industrie cotonnière ait été agitée, ayant été retenu chez moi pendant tout ce temps par une maladie très grave.

Pour donner au rapport qui vous a été présenté toute la valeur qu’il doit avoir, je ferai remarquer que la commission était d’abord composée de neuf membres, et que de ces neuf membres ni M. Brabant qui était absent, ni M. Coghen qui était occupé par la loi sur les céréales, ni M. Dumortier qui vous a énoncé la cause de son absence, ni M. de Laminne n’en ont eu connaissance.

M. Zoude. - M. de Laminne y était.

M. Davignon. - En effet je me rappelle que M. de Laminne s’est abstenu.

M. Jullien. - Mais qu’est-ce que cela fait au pays ?

M. Davignon. - On a invoqué ce rapport comme émanant de la commission d’industrie. Il faut que le pays sache l’importance que l’on doit y attacher. Sur la demande de quelques membres, vu l’absence de ceux que je viens de citer, on adjoignit à la commission MM. d’Huart, Desmaisières, Lardinois et Eloy de Burdinne. De ces nouveaux membres, à l’exception de M. Desmaisières, aucun n’a pris part à la discussion de ce rapport. Ces membres sont ici présents ; je les somme de déclarer si je ne dis pas la vérité. Je saisis du reste cette occasion pour faire connaître à la chambre que si même je me montre peu disposé à céder à des prétentions exagérées, je contribuerai volontiers à procurer à l’industrie cotonnière une protection sage et raisonnée, qui serait reconnue nécessaire à son bien-être.

On a proposé de renvoyer à la commission d’industrie le projet présenté par les députés des Flandres. Je pense que dans la position délicate où se trouve cette commission, il serait plus convenable de nommer une commission ad hoc. La commission d’industrie se ferait un devoir de lui communiquer les renseignements nombreux qu’elle a recueillis, car ce qui a eu lieu n’était pas une enquête. Une enquête ne pouvait avoir lieu qu’autant qu’elle eût été décrétée par la chambre.

Si vous voulez une nouvelle investigation, votre commission d’industrie est toute prête à la faire. Celle que nous avons faite a été motivée par le renvoi d’une pétition de plusieurs négociants de Bruxelles qui alléguaient des faits dont il était important de constater la véracité. La commission d’industrie, voyant dans cette pétition et dans celle des industriels de Gand des allégations contradictoires, a cru devoir interpeller les fabricants de calicots d’impression, et quelques-uns des signataires de la pétition dont je viens de parler. Voilà ce qui a motivé la conduite de votre commission qu’on a paru vouloir stigmatiser. Je demande que si une enquête est ordonnée par la chambre, une commission spéciale, nommée par elle, en soit chargée.

M. Rogier. - Je serais fâché que ma proposition retardât la discussion dont il s’agit, car je ne l’avais faite que pour accélérer cette discussion. Je voulais, avant de l’entamer, réunir le plus de lumières possible. C’est pourquoi je demandais en même temps le renvoi aux sections et à la commission d’industrie, afin que cette commission achevât les investigations qu’elle a commencées et publiât le résultat des renseignements qu’elle aurait recueillis. Voilà ce que j’ai demandé. Je n’ai pas demandé une nouvelle proposition relativement au projet de loi, mais seulement la continuation des investigations et leur publication.

Si la chambre veut ouvrir la discussion, sans s’entourer de ces documents, elle est libre de procéder ainsi. Mais je pense que ceux qui voudraient que la chambre procédât de cette manière, ne veulent pas que la discussion soit aussi prompte que je le désire moi-même.

Je demande que le gouvernement veuille bien aussi fournir à la chambre différents renseignements que je me permettrai de lui indiquer, laissant à sa sagesse d’y en ajouter d’autres s’il le croit nécessaire.

La chambre n’oubliera pas que déjà le gouvernement est venu au secours de l’industrie cotonnière, en favorisant la société de commerce créée dans le but de trouver des débouchés que le pays a perdus en perdant Java. Je ne sais pas quelles sont les opérations faites par cette société, mais je crois qu’elle a dû faire des investigations sur les moyens de faire vivifier cette industrie, et qu’elle a dû faire plusieurs expéditions. Il serait important de connaître quelles ont été les expéditions entreprises ou proposées par cette société. Je pense que le gouvernement pourrait publier ces renseignements, attendu que la société est tenue de rendre compte de ses opérations.

Nous n’avons aucune donnée officielle sur l’importance des importations de coton brut faites en Belgique depuis la révolution : Il serait bon que le gouvernement publiât le chiffre des importations de coton brut faites dans les quatre dernières années qui ont précédé la révolution et le chiffre des importations faites avant 1830. Si je dois m’en rapporter aux documents officieux qui m’ont été remis, il en résulte que les quantités de colon brut importées depuis notre révolution sont supérieures à celles importées dans un même espace de temps avant la révolution. Mais, je le répète, je n’ai que des renseignements officieux sur ce point important de la question.

Il serait nécessaire de connaître aussi en quoi a consisté l’exportation des fabricats belges et l’importation des fabricats étrangers. Par le montant des droits perçus, le gouvernement pourrait indiquer à la chambre la quantité de fabricats exportés avant la révolution et la quantité de fabricats exportés actuellement. Il serait bon aussi que le gouvernement fît connaître à la chambre le nombre de machines à vapeur qui existaient dans le pays avant la révolution et le nombre actuel. Je voudrais qu’on nous fît connaître quels ont été les effets de la loi votée dans la session dernière sur l’importation des toiles étrangères, nous aurions une base pour apprécier les effets d’une loi plus restrictive à l’égard des cotons étrangers.

S’il était établi que des droits plus élevés sur les toiles, loin de favoriser cette industrie en Belgique, lui ont été contraires en favorisant la fraude des toiles étrangères ; si ce point était établi qu’il entre en fraude plus de toiles étrangères en raison de la plus grande élévation des droits, je crois que nous pourrions en tirer des conséquences applicables au projet qui nous est présenté et de nature à nous en faire prévoir les véritables effets.

Voilà quelques renseignements qu’il serait, je crois, très opportun de publier et qu’il est facile de publier. Je pense que le gouvernement est en mesure d’en publier d’autres. Je voudrais que la commission d’industrie publiât aussi ceux qu’elle a recueillis.

Je ferai remarquer que la question s’est introduite d’une manière exceptionnelle et extraordinaire ; ce sont les membres de la députation des Flandres qui se sont portés les avocats de l’industrie plaignante. La question a été discutée dans les journaux, des chiffres et des arguments ont été présentés de part et d’autre ; mais cela s’est passé en dehors du gouvernement, le gouvernement n’a pas encore dit son mot. Je pense qu’il le dira plus tard. Mais encore serait-il utile qu’il donnât tous les renseignements que sa position le met à même de recueillir et de publier.

M. de Roo. - Messieurs, je ne me suis pas opposé à l’enquête, mais je veux qu’on la fasse sinon légalement, du moins régulièrement, qu’on écrive à toutes les chambres de commerce du pays pour qu’elles envoient soit devant la commission d’industrie, soit devant telle autre commission, un ou deux négociants pour l’expliquer sur la matière. C’est ainsi qu’on a procédé en France pour la commission d’enquête, et c’est le seul moyen d’obtenir un bon résultat.

Quant aux négociants de Gand, ils sont venus deux fois pour être entendus par la commission d’industrie. Mais la commission n’était pas assemblée. La troisième fois, ils n’ont pas comparu par les motifs énoncés dans leur mémoire qui a été imprimé. Il n’y a donc pas de reproche à leur faire.

M. Desmaisières. - Messieurs, l’honorable membre présidant la commission d’industrie ayant demandé à ce que la commission d’industrie fût dessaisie de la question, parce qu’elle était arrivée au dernier terme de discussion possible dans son sein, je ne crois pas devoir m’étendre beaucoup sur la proposition que je vais avoir l’honneur de vous faire. Je saisirai toutefois cette occasion pour effacer une impression fâcheuse non pas dans cette enceinte, car il n’y a ici personne qui puisse suspecter les intentions d’aucun membre de la commission d’industrie ni de la députation des Flandres, mais au dehors où on a pu penser et où on a dit que la commission d’industrie était plus ou moins hostile à l’industrie cotonnière. Je prouverai le contraire, non pas en citant des noms, mais en citant des opinions émises.

La commission est composée de neuf membres.

Trois se sont déjà ouvertement et entièrement prononcés en faveur des réclamations de l’industrie cotonnière.

Un quatrième membre se trouve être le principal auteur de plusieurs rapports de la commission supérieure d’industrie établie près le ministère de l’intérieur, et tous ces rapports, l’honorable rapporteur de la commission des pétitions vous en a cité plusieurs passages, sont très favorables aux demandes des fabricants cotonniers.

Un cinquième se trouve être le principal négociateur de la création de la société cotonnière, avec garantie de 300,000 fr. contre les pertes, et M. le ministre de l’intérieur d’alors vous a fait connaître d’ailleurs que cette négociation avait eu lieu en quelque sorte sous l’influence de la commission spéciale d’industrie.

Un sixième se trouve, par les fonctions qu’il occupe, le protecteur de l’industrie nationale ; et, certes, on ne doit pas supposer qu’il viendra s’établir le protecteur de l’industrie étrangère contre l’industrie nationale.

J’ai même sous les yeux un mémoire de lui en sa qualité de secrétaire de la chambre de commerce d’Anvers, et je n’aurai besoin que de vous en lire quelques lignes pour vous prouver que déjà alors (en 1831) il plaidait chaudement la cause de l’industrie indigène :

« C’est en grande partie au système prohibitif que l’Angleterre doit le perfectionnement de ses fabriques, et ce n’est que depuis que ses manufactures n’ont plus de rivales à redouter, qu’elle commence à proclamer la liberté illimitée, persuadée que l’application générale de ce système d’économie politique, qu’elle envisageait naguère comme une théorie dangereuse, lui permettrait aujourd’hui de déverser partout ses produits manufacturés et de comprimer l’essor des autres. »

Un septième membre de la commission vous a déjà dit plus d’une fois, et vient de vous dire encore, qu’il n’avait combattu la mesure que comme inopportune.

Enfin le huitième membre n’a pas eu occasion encore de se prononcer, et le neuvième a paru, il est vrai, être d’une opinion contraire à la nôtre, mais c’est par suite du système général qu’il a adopté ; et il est trop animé d’un véritable et sincère patriotisme, pour croire qu’il se refuse à admettre une exception à son principe général, lorsque la nécessité lui en aura été démontrée.

Nous n’avons donc pas peur de trouver notre opinion en minorité à la commission d’industrie, où j’ai moi-même voix délibérative, tandis que dans une section centrale je n’aurai que voix consultative en ma qualité.

D’ailleurs, messieurs, il faut aussi faire attention que la commission d’industrie est surchargée d’affaires arriérées. Nous nous sommes réunis samedi dernier et nous avons fait l’énumération des diverses pétitions qui nous ont été renvoyées par la chambre.

Il y en a sur l’industrie sétifère, sur les tanneries, les moulins à scier le bois, les faïences, les ardoises, les tabacs, les tourteaux, la pêche, la navigation, les forte-piano, etc.

Si nous renvoyons encore à la commission d’industrie le projet qui vient d’être pris en considération, elle ne pourra pas s’occuper de tous les objets que je viens d’énumérer.

M. A. Rodenbach. - J’avais demandé la parole pour parler sur le fond, mais comme le règlement s’y oppose, j’y renonce. Seulement je prie M. le président, quand les orateurs s’écarteront de la motion d’ordre, de les rappeler à la question.

M. le président. - L’observation de M. Rodenbach était inutile. Je pense qu’il est de mon devoir de laisser un orateur prononcer quelques paroles, pour m’assurer qu’il sort de la question. (Oui ! oui ! c’est juste !)

M. Gendebien. - Je ne parlerai ni du fond ni de la forme. Je viens renouveler la demande que j’ai adressée au gouvernement de prendre couleur dans cette discussion, et de se mettre en mesure de faire un rapport sur la situation réelle des fabricants et des ouvriers cotonniers, de nous faire un rapport circonstancié sur la détresse des ouvriers, et d’indiquer les moyens qu’il croit utile d’employer pour prévenir les malheurs qui nous sont annoncés par les députés des Flandres. Je ne puis qu’appuyer la proposition de l’honorable M. Rogier qui a été plus loin que moi, car il a donné des indications qui peuvent servir de base aux indications à prendre par le ministère.

Il est indispensable que le gouvernement nous présente un rapport. Son administration de l’intérieur, son administration des finances et son administration des douanes le mettent en mesure de recueillir tous les renseignements désirables.

Je déclare de nouveau au ministère qu’avant de discuter la question dont on parle depuis deux ans sans résultat, j’exigerai un rapport.

M. le président. - Quatre motions d’ordre ont été proposées. L’une par M. Rogier, qui est ainsi conçue : « Je propose que la chambre invite la commission d’industrie et le ministre à recueillir et communiquer tous les renseignements tendant à éclairer la discussion sur la proposition de M. Desmaisières et de ses collègues. »

La seconde motion est de M. de Brouckere et porte : « L’impression des pièces relatives aux investigations faites par la commission d’industrie. »

M. de Brouckere. - Comme ma motion rentre tout à fait dans celle de l’honorable M. Rogier, je déclare m’y rallier,

M. le président. - La troisième motion est celle de M. Dumortier.

M. Dumortier. - Je me rallie à la proposition de l’honorable M. Rogier, en y ajoutant néanmoins deux phrases. La première serait de dire que « la commission d’industrie est invitée à faire un rapport par voie d’enquête ; » en second lieu, je modifierai la proposition de l’honorable député de Turnhout, en demandant que la chambre veuille bien indiquer le terme dans lequel la commission devra faire son rapport, et je propose qu’il soit fixé à six semaines.

M. le président. - La quatrième proposition est de M. Davignon. Il a proposé que l’enquête fût confiée à une commission spéciale à laquelle la commission d’industrie remettrait tous les documents qui sont en sa possession.

M. Desmet. - D’après ce que vient de vous dire M. Davignon, je n’aurai plus beaucoup à y ajouter ; mais il me semble qu’il faut donner suite à la première motion de cet honorable membre, celle de faire imprimer les investigations de la commission d’industrie a faites sur la question cotonnière, et ensuite d’un mémoire que quelques négociants étrangers et du pays ont fait arriver à la chambre pour arrêter les mesures de protection que les fabricants de Gand réclament depuis quatre ans en faveur de leur industrie ; et quand la chambre aura pris communication du résultat des investigations faites par la commission d’industrie jusqu’à présent, elle verra alors s’il y a encore nécessité d’en faire d’autres.

C’est à quoi, il me semble, la chambre doit se borner aujourd’hui, et il n’y a aucune utilité de donner suite à la proposition de M. Dumortier, qui, d’après moi, ne tend encore une fois qu’à ajourner la discussion sur la question cotonnière, à laisser souffrir les malheureux ouvriers qui vous demandent du travail et du pain, et à ne pas venir au secours d’une industrie qui est en souffrance et qui requiert spontanément une protection.

M. Legrelle. - J’abonde dans le sens de l’honorable M. Rogier, mais je ne puis que m’opposer à la proposition de l’honorable M. Davignon qui tend à nommer une autre commission que celle qui s’est occupée jusqu’à présent de ces travaux. Ce serait jeter une déconsidération sur votre commission d’industrie, ce que la chambre, je l’espère, ne consentira pas à faire.

M. le président. - Il reste encore la motion d’ordre de l’honorable M. de Roo.

- La motion d’ordre de M. Rogier est mise aux voix et adoptée.

La motion additionnelle de M. Dumortier est mise aux voix et n’est pas adoptée.


M. Dumortier. - Je demande maintenant ce que doit faire la commission d’industrie ? On nous a contesté le droit d’enquête.

M. Liedts. - Il semble, à entendre l’honorable M. Dumortier, qu’il attache beaucoup de prix à l’adoption de sa motion additionnelle. Cela n’aurait servi à rien. Il aurait fallu une loi pour procéder par voie d’enquête ; il est impossible de procéder autrement que par une simple information. Que la commission fasse donc ses opérations et puis ensuite son rapport.

M. Rogier. - Il faut observer que la chambre consacre en quelque sorte la marche qu’a suivie la commission et l’invite à continuer cette marche.

M. de Roo. - Je demande qu’on mette aux voix ma motion d’ordre.

M. Eloy de Burdinne. - Il me semble que la section centrale doit avoir dans les membres de la commission d’industrie assez de confiance pour ne pas lui indiquer les personnes qu’elle doit entendre. Je m’opposerai pour ma part formellement à cette proposition.

M. de Roo. - Je l’ai faite dans l’intérêt même de la commission d’industrie, c’est une garantie pour elle.

M. Eloy de Burdinne. - On désire que l’on termine promptement la question de l’industrie cotonnière ; en admettant la proposition de l’honorable M. de Roo, on n’en aura pas fini dans 4 mois.

M. Dumortier. - La proposition de l’honorable M. de Roo tend à faire entendre par la commission d’industrie des personnes qui n’auront peut-être pas à donner des renseignements valables et à écarter ceux qui en pourraient procurer d’excellents. Je la crois donc inadmissible.

Je ne vois pas maintenant la marche que doit suivre la commission d’industrie. Que fera-t-elle ? Se bornera-t-elle à donner des renseignements sur les faits qu’on connaît déjà ? La proposition de l’honorable M. Rogier, bien que je m’y sois rallié, est incomplète.

L’honorable M. Liedts a fait en outre observer qu’il fallait une loi pour ordonner l’enquête. Je comprends bien que jusqu’à ce que vous ayez une loi à cet effet, on pourra faire de nombreuses objections...

M. le président. - Je ferai observer à l’honorable orateur que la question est relative à la motion d’ordre de M. de Roo.

M. Dumortier. - Cette motion est nuisible et je m’y oppose. Mais je demande encore que doit faire la commission d’industrie ?

M. de Brouckere. - L’honorable M. Dumortier voudrait que la chambre traçât à la commission d’industrie la marche qu’elle devra suivre ; je crois que la chambre ne le peut pas et qu’elle doit avoir confiance en sa commission d’industrie. Remarquez que déjà cette commission a commencé sinon une enquête, du moins une information. Qu’elle continue comme elle a commencé ; qu’elle entende qui elle jugera convenable d’entendre, qu’elle fasse ensuite son rapport. Pour ma part, je crois que la commission d’industrie fera fort bien ce qu’elle a à faire.

M. de Roo. - Dans la confiance que la commission agira régulièrement, je retire ma motion.

Motions d'ordre

Projets de loi sur le transit et sur les droits différentiels

M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion des trois articles additionnels à la loi communale présentés l’un par M. Doignon, les deux autres par M. Dumortier, rapporteur de la section centrale. Ces articles ont été imprimés et distribué aux membres.

M. Rogier. - Je prends la parole pour une motion d’ordre. La chambre vient de reconnaître par son vote qu’il y avait lieu de prendre en considération la pétition de l’industrie cotonnière. Il est d’autres intérêts qui méritent également d’être pris en attention sérieuse par la chambre. J’ai déjà deux fois, depuis l’ouverture de la session, appelé de la chambre sur la situation du commerce du pays, relativement au transit. J’ai fait remarquer que nous maintenions l’ancien tarif hollandais du transit en Belgique, alors que la Hollande avait modifié le sien.

Jusqu’à présent, je n’ai pas cru devoir imiter quelques-uns de mes honorables collègues en prenant l’initiative pour la présentation d’un projet de loi.

J’ai demandé si bientôt il en serait soumis un aux chambres. Le ministère a bien voulu me répondre qu’il n’y voyait aucun inconvénient et que ce projet serait incessamment soumis à la législature. Je réitère ici ma demande, à l’effet de savoir si le gouvernement se propose d’en présenter un dans le plus bref délai ; sinon, je devrai prendre sur moi de proposer une loi. Je déclare pourtant que je ne prendrai ce parti que si le gouvernement ne prend pas l’initiative. Je sais que le gouvernement ne doit pas apporter d’opposition à l’amélioration du tarif du transit. Il y a urgence, je le déclare, et cela dans l’intérêt le plus cher du commerce, d’en venir promptement à cette amélioration.

M. de Foere. - J’ai déposé un projet de loi qui comprend la question dont vient de parler l’honorable M. Rogier. Ce projet de loi a été pris en considération. Les développements en ont été imprimés et distribués, et jusqu’à présent le bureau ne l’a pas envoyé dans les sections. Je demande donc à M. le président de renvoyer en sections le projet de loi que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre sur le commerce en général.

Depuis que j’ai présenté ce projet, un honorable négociant a publié un mémoire qui rentre dans la pensée de ce projet lui-même ; ce mémoire a été accueilli avec beaucoup de faveur. On a négligé les intérêts généraux du commerce, et entre-temps il souffre considérablement. Nous avons décrété la construction d’un chemin de fer, si en même temps vous ne prenez des mesures pour l’exploiter, vous l’aurez construit pour les étrangers et c’est vous qui en aurez fait les frais.

M. le président. - Ce projet de loi est au nombre de ceux qui ont été renvoyés en sections.

M. de Foere. - Je demande qu’il soit mis à l’ordre du jour dans les sections.

Projet de loi communale

Discussion des articles

Titre I. Du corps communal

Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section I. De la composition du corps communal
Articles additionnels

M. le président. - Le premier de ces articles, présenté par M. Dumortier, est ainsi conçu :

« Nul ne peut exercer les fonctions ou emplois à la nomination ou présentation des autorités communales, s’il n’est Belge ou naturalisé. »

M. Dumortier, rapporteur. - Je demande à développer en même temps les trois articles soumis à la chambre.

Messieurs, vous pouvez voir à la lecture de cet article que c’est presque la reproduction de l’article 6 de la constitution qui dit : « Les Belges sont égaux devant la loi, seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi ou des cas particuliers. »

La section centrale a pensé nécessaire de reproduire l’article dont je viens avoir l’honneur de donner lecture. Les autorités communales pourraient se croire autorisées à nommer aux emplois des personnes qui ne seraient ni Belges, ni naturalisées ; et comme le gouvernement, dans la loi qui nous occupe, n’a aucune intervention dans les nominations faites par la régence ; comme les gouverneurs, d’après ces dispositions, n’ont pas le droit de les annuler, il a semblé à votre section centrale qu’il serait bien de trancher la question, afin que la députation provinciale pût annuler les nominations qui seraient faites dans le sens dont parle l’article additionnel en discussion.

Quant au second article, dans la section centrale nous avons cru nécessaire de mettre une borne à la facilité avec laquelle les communes font des emprunts ; c’est cette facilité d’emprunt, vous le savez, qui est la base de leur ruine. Voici ce deuxième article :

« Les emprunts votés par les conseils communaux sont autorisés :

« 1° Par la députation provinciale, lorsque la commune est libérée de tout emprunt ou dette antérieure et que l’emprunt nouveau peut être remboursé avec les recettes de l’année ;

« 2° Par le Roi, lorsque la commune n’est pas libérée d’emprunts ou de dettes antérieures, ou lorsque l’emprunt ne peut être remboursé que sur les recettes ordinaires de cinq années ou par l’aliénation des propriétés communales ;

« 3° Par une loi, pour les communes dont les recettes ordinaires s’élèvent à plus de 100,000 fr.»

D’après la loi, les collèges sont rééligibles tous les 6 ans, et c’est pour cela qu’il résulte des dangers contre lesquels il faut se prémunir ; chaque bourgmestre veut laisser un souvenir de son administration, des traces de son passage ; ainsi, par exemple, il voudra fonder tel ou tel monument, afin qu’on puisse y mettre son nom. Nous avons pensé unanimement que l’article 74 ne suffisait pas pour parer aux inconvénients qui étaient à craindre. Une disposition vous avait été présentée à cet égard.

C’est celle qui se trouve à l’article 132. Par cet article nous vous proposions de dire que, hors le cas de paiement des dettes antérieures, et de condamnations judiciaires, le conseil ne pouvait ordonner des emprunts que pour une somme égale au tiers des revenus. La disposition n’a pas été admise, parce qu’elle est d’une exécution difficile.

La section centrale a cru devoir remplacer cette disposition par un article tiré de la loi française et en vertu duquel la députation provinciale pourra autoriser les emprunts, lorsque la commune est libérée de toute dette ou de tout emprunt, et lorsque l’emprunt nouveau peut être remboursé au moyen des recettes de l’année. Lorsque la commune n’est pas libérée de dettes ou d’emprunts, et lorsqu’il faudra 5 ans pour rembourser l’emprunt, ou des aliénations de propriétés communales, les emprunts devront être approuvés par le Roi.

Comme l’approbation de l’aliénation des propriétés communales est laissée au Roi, nous avons cru qu’il fallait laisser aussi au Roi l’approbation des emprunts dans ce second cas, puisqu’ils peuvent être couverts par des aliénations ; lorsque les revenus de la ville s’élèvent à 100,000 fr., nous croyons qu’il faut une loi pour emprunter.

La commission pense que l’article qu’elle propose est indispensable si veut empêcher la ruine des communes : quand des communes sont ruinées, les particuliers en souffrent, puisque l’Etat est obligé de venir à leur secours.

Quant à l’article nouveau proposé par M. Doignon, j’aurai l’honneur de dire également sur quels motifs il repose.

Il n’est que la reproduction de l’article 5 de la loi électorale. Ayant examine avec soin cet article 5, je l’ai trouve reproduit dans la loi provinciale, et je présume que c’est par oubli qu’on ne l’a pas mis dans la loi communale. Une personne opulente pourrait quelques jours avant l’élection, appliquant ses biens sur la tête d’autres personnes, introduire beaucoup d’électeurs dans le corps électoral et dominer ainsi les élections : c’est pour cela que le congrès a pensé qu’il fallait que le cens fût payé depuis plus d’une année.

Ces considérations doivent suffire pour justifier la proposition de l’honorable M. Doignon.

Je ferai remarquer que, outre ces trois propositions, il y en a une autre de M. Pollénus qui a été ajournée.

C’est comme rapporteur de la section centrale que je présente les deux premiers articles.

- La chambre, consultée, appuie la proposition faite par M. Doignon.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je pense que chacun de ces articles doit être mis aux voix séparément.

Je demande que l’on commence par celui qui est relatif aux fonctions dans les municipalités.

M. le président. - La parole est à M. Lebeau pour une motion d’ordre.

M. Lebeau. - Je voulais faire la même demande que vient de faire M. le ministre de l’intérieur.


M. le président. - Nous allons commencer par l’article relatif aux fonctions dans les administrations communales.

M. Jullien. - On vous propose de décider que nul ne sera admissible à exercer des fonctions ou emplois à la nomination ou à la présentation des autorités communales, s’il n’est Belge ou naturalisé Belge ; je crois que cette disposition donne à l’article 6 de la constitution une extension qui pourrait entraîner bien des inconvénients, et même bien des injustices.

L’article 6 de la constitution dit dans son troisième paragraphe : « Les Belges sont égaux devant la loi ; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers. » Là s’est arrêtée la sollicitude du législateur : les Belges sont admissibles aux emplois civils et militaires.

Toutes les fois que la question s’est présentée, on a considéré qu’il s’agissait des emplois civils et militaires qui sont des fonctions publiques, et on n’a pas entendu descendre jusqu’à des manœuvres, c’est-à-dire jusqu’à de simples employés qui ne sont pas censés exercer des fonctions publiques, ni par conséquent un emploi civil et militaire. Si vous adoptiez l’article présenté par la section centrale, il s’ensuivrait que dans une commune on ne pourrait pas nommer un simple messager, un allumeur de réverbères, un employé de la police. il y a une multitude de ces fonctions qui ne constituent ni des emplois civils, ni des emplois militaires.

Si dans un athénée on a besoin d’un professeur d’anglais ou de français, on ne pourra pas y nommer un Anglais ou un Français ; il faudra recourir à un Belge ou à un naturalisé.

- Un membre. - Pour un professeur d’allemand ce sera la même chose !

M. Jullien. - Vous le voyez, il y aurait là de grands inconvénients ; il y aurait plus, il y aurait des injustices.

Dans les communes on peut présumer qu’il s’y trouve une multitude d’individus qui depuis beaucoup d’années sont dans ces modiques emplois et qui ne savent même pas à quelle nation ils appartiennent. Pendant 15 ou 20 ans il s’est fait une fusion entre la France et la Belgique, puis pendant 15 ou 20 autres années entre la Hollande et la Belgique ; beaucoup d’individus, lors des séparations entre ces pays, n’ont pas pensé à se faire naturaliser, ils ne pouvaient s’imaginer qu’un jour cela nuirait à leur existence. Indépendamment de ces considérations, vous avez encore à voir que des centaines de demandes en naturalisation sont faites par des étrangers ; ils ne peuvent rien obtenir faute de loi sur la matière. Voudriez-vous mettre à la porte ceux qui depuis 20 ou 30 années sont dans le pays ? Il y aurait là véritablement injustice.

Je conclus au rejet de l’article présenté par la section centrale.

M. Legrelle. - Messieurs, tout en applaudissant aux intentions qui ont dicté l’article présenté par la section centrale, je ne pense pas qu’il puisse être adopté s’il faut l’entendre dans le sens que lui donne l’honorable préopinant.

Pour moi, je n’ai jamais voulu prétendre qu’il faudrait retirer les petits emplois exercés dans les communes par une multitude d’individus, et qui y sont exercés depuis longtemps. Il est de fait que dans les régences beaucoup de personnes ont négligé de remplir certaines formalités pour obtenir la qualité de Belges.

Ce que je voudrais, c’est que désormais on ne donnât aucun emploi, même le plus humble, qu’à des hommes du pays ; mais il ne faut pas renvoyer les hommes qui actuellement en sont pourvus, car ce serait les condamner à périr de misère. Considérez de plus qu’il y a dans les plus minces emplois des individus qui appartiennent au Brabant septentrional : voudriez-vous les punir de ce qu’ils sont attachés à la Belgique ? Voulez-vous les forcer à aller demander l’aumône dans leur pays ? pour que l’article ne commît aucune injustice, je crois qu’il faudrait le rédiger ainsi :

« A l’avenir nul ne sera appelé à exercer des fonctions ou des emplois à la nomination ou à la présentation des autorités communales, s’il n’est Belge ou naturalisé.

M. Lebeau. - Je pense que les deux amendements, celui de la section centrale et celui de M. Legrelle, ne peuvent être admis. Dans plusieurs occasions la question a déjà été soulevée ; et chaque fois la chambre a exprimé son opinion sur le sens qu’il fallait attacher à l’article 6 de la constitution.

Par cet article il est évident qu’il s’agit de fonctions publiques ; qu’il ne peut s’agir de cette catégorie d’employés inférieurs dont a parlé tout à l’heure un honorable député de Bruges. Or, déjà d’après la loi communale elle-même, aucune fonction publique dans l’administration municipale ne peut être exercée par un étranger ; car, si je ne me trompe, vous y avez inséré une disposition selon laquelle nul n’est éligible s’il n’est électeur, et nul n’est électeur s’il n’est Belge ou naturalisé.

Quant aux fonctions de secrétaire ou de receveur, lesquelles sont bien des fonctions publiques, l’article 6 de la constitution s’oppose à ce qu’on nomme des étrangers. C’est qu’en effet les secrétaires et les receveurs ont la signature, ont le caractère de fonctionnaire public.

Si c’est dans ce sens que les amendements sont proposés, ils n’ajoutent rien à la disposition de la constitution, et je les repousse comme inutiles. Si on les entend dans un autre sens, et s’ils ajoutent quelque chose à la constitution, je les repousse comme exorbitants. Il serait étrange que l’on ne pût nommer un messager, un huissier, un concierge, un allumeur de réverbères, le plus mince copiste, un expéditionnaire à trois ou quatre cents francs, sans lui faire exhiber son acte de naissance ou ses lettres de naturalisation. En vérité, ce serait là une interprétation ridicule de l’article 6 de la constitution, interprétation qui n’a jamais été dans l’esprit de ceux qui l’ont faite.

Je le répète, la disposition proposée est inutile, si elle n’est que la répétition de l’article 6 de la constitution ; elle est inutile encore sous un autre rapport. Insérée dans la loi, elle ne remplirait pas un des buts que l’honorable rapporteur de la section ventrale croit pouvoir atteindre ; car elle n’aurait pas plus de sanction que l’article 6 de la constitution. Il prétend qu’avec cette disposition, si on méconnaissait la constitution sur ce point, les nominations seraient nulles et pourraient être annulées par l’autorité provinciale : mais à moins que ce droit d’annulation ne lui soit formellement donné par la loi, elle ne peut l’exercer. Une telle attribution ne peut appartenir à l’autorité provinciale sans une disposition législative expresse. Ainsi, la mesure présentée, étant sans sanction dans la loi communale, n’amènerait aucun résultat. D’ailleurs, ce qui est contraire à la constitution est bien réellement contraire à la loi, et rien dans la disposition proposée n’ajoute à l’article 6 de la loi constitutionnelle, si on ne veut arriver aux places les plus subalternes.

Si je repousse la proposition de la section centrale, je repousse également celle que M. Legrelle a faite. Toutes les considérations exposées par l’honorable député de Bruges s’appliquent aussi aux explications données par le député d’Anvers. Il serait singulier qu’un homme qui viendrait se fixer en Belgique, qui s’y marierait, ne pût pas être employé aux fonctions les plus modestes, les plus humbles qu’une régence peut conférer, ne pût pas être copiste, messager, huissier de bureau, balayeur, etc.

M. Legrelle. - Si les distinctions faites par l’honorable préopinant, relativement aux fonctions publiques et aux fonctions non publiques, sont admises par la chambre, j’avoue que la proposition de la section centrale devient inutile. Cette proposition deviendrait même nuisible si elle empêchait une régence de nommer un balayeur, un allumeur de réverbère, un employé dans un octroi : mais s’il en était autrement, si les distinctions posées n’avaient pas de réalité, il faudrait l’adopter avec la modification que j’ai présentée.

M. Dumortier, rapporteur. - Il me semble que l’on a cherché à vous faire prendre le change sur la portée de la proposition de la section centrale. Mais en supposant qu’une régence fût dans l’obligation de préférer les Belges aux étrangers pour les plus minimes emplois, quel si grand malheur y aurait-il à cela ? Je ne pense pas qu’il manque en Belgique d’hommes qui soient capables de faire des huissiers, des allumeurs de réverbères, des messagers, même des employés de l’octroi. Et si vous trouvez des Belges pour remplir de semblables fonctions, il faut les prendre, car il s’agit de traitements payés sur les deniers publics et qui appartiennent aux enfants du pays.

Les inconvénients signalés par M. Jullien ne sont pas si grands qu’on le suppose. Les individus employés depuis 20 ou 30 ans ne seront pas renvoyés, et je ne comprends pas comment ils le seraient. Sous le gouvernement précédent, il était expressément ordonné de ne conférer d’emplois dans les communes qu’aux régnicoles. Dans la ville de Tournay, beaucoup d’individus ont été obligés de se faire naturaliser pour conserver les plus minces emplois : depuis 20 ou 30 ans les employés ont donc dû se faire naturaliser. A une certaine époque cette naturalisation n’a pas été fort difficile à obtenir ; il suffisait de faire une simple déclaration devant un commissaire de police.

J’insiste pour que la proposition de la section centrale soit admise. Il faut que les deniers de l’Etat paient des hommes du pays ; et je ne vois pas si grand mal à exiger la naturalisation de ceux qui veulent remplir des fonctions en Belgique. Si la disposition était inutile, Je ne la défendrais pas.

Pourquoi en demandons-nous l’insertion dans la loi ? Vous dites dans l’article 20 que, pour être électeur, il faut être Belge : ainsi, pour être électeur, il faut que l’étranger soit naturalisé ; alors, comment pourriez-vous dire que, pour avoir la manipulation de fortes sommes appartenant à une commune, on peut n’être pas Belge ou naturalisé ?

Il faut être Belge pour prétendre a être simple électeur, et on pourrait ne pas être Belge pour être receveur des deniers de la commune, pour être secrétaire, pour avoir la gestion de sommes considérables appartenant à des hospices, à l’administration des établissements de bienfaisance. Mais ce serait là un étrange abus.

Mais, objecte-t-on, votre loi n’aura pas de sanction : au contraire, elle en aura une formelle. Vous avez admis par l’article 84 que la députation provinciale et le Roi pouvaient annuler les actes des autorités communales quand on violait la loi ; il suit de là que si le conseil nomme une personne qui ne soit pas dans le cas de l’amendement, cette nomination sera annulée par la députation provinciale ou par le Roi.

On a recherché l’esprit de la constitution : je ne crois pas que l’intention du législateur puisse être méconnue ici. La discussion à laquelle l’article de la constitution a donné lieu est remarquable. On a demandé la suppression des mots : « sauf les exceptions qui pourraient être établies par une loi. » La demande de suppression a été combattue et rejetée : ainsi on n’a voulu d’exception que pour des cas particuliers, spéciaux. L’honorable M. Forgeur a parlé dans cette discussion.

Soyons sévères, a-t-il dit ; et à l’appui de son opinion il a cité l’exemple de l’Espagne sous Charles-Quint, exploitée d’une manière si révoltante par des étrangers. L’histoire lui a fourni d’autres exemples.

Il reconnaissait que la mesure entraînerait quelques inconvénients, mais ces inconvénients le touchaient peu et lui paraissaient insuffisants pour déterminer à ne pas admettre le principe. C’est une chose si naturelle de n’admettre aux emplois d’un pays que des gens du pays, que des plaintes se sont élevées en Belgique relativement à la présence d’un trop grand nombre d’étrangers dans une des branches de l’administration générale.

Je n’examinerai pas jusqu’à quel point ces plaintes sont fondées mais elles existent, et il faut éviter qu’elles ne se renouvellent.

On a tellement compris dans le congrès que la loi qui autoriserait l’admission des étrangers aux emplois devrait stipuler les cas particuliers auxquels elle s’appliquerait, que lorsqu’on demanda l’entrée d’officiers étrangers dans l’armée, on voulait dans le sein du congrès stipuler le nombre et les grades de ces officiers, afin que le cas particulier fût clairement établi ; ensuite cette proposition fut écartée.

Le véritable esprit du congrès a été de vouloir les Belges avant tout, de favoriser les Belges. Voilà l’esprit qui animait le congrès, et qui, je l’avoue, m’anime encore moi-même. Je ne pense donc pas que vous puissiez vous dispenser d’adopter la proposition de la section centrale.

Quant à la modification proposée par l’honorable M. Legrelle, elle me paraît inutile, et même dangereuse ;. la loi doit toujours parler au futur.

M. Jullien. - Je prie la chambre de vouloir bien faire attention à toute la portée de l’article proposé par la section centrale ; il est ainsi conçu :

« Nul ne peut exercer les fonctions ou emplois à la nomination ou présentation des autorités communales, s’il n’est Belge ou naturalisé. »

Nul ne peut exercer ! Il s’en suivra que du jour où la disposition aura été promulguée, si l’on découvre dans une administration municipale un individu qui n’ait pas obtenu de lettres de naturalisation, alors même qu’il serait attaché à cette administration depuis 20 ou 30 ans, ou davantage encore, il ne pourra plus exercer, il faudra qu’il s’en aille. Bien plus, il suffira, pour perdre un emploi, que l’on ne puisse pas établir sa nationalité belge ; en effet, il se trouve toujours des individus affamés de places ; ils dénonceront celui que l’on ignore appartenir ou non à la nation belge. Une fois la loi promulguée, il faudra renvoyer tous ceux qui ne pourront pas produire un certificat d’origine belge ; chose souvent difficile, surtout à des employés de cette nature, qui ignorent quelquefois quel est leur lieu de naissance.

Cependant, si vous voulez prendre place dans la famille européenne, il faut vous conformer à ce qui se pratique chez toutes les nations civilisées : or, lorsqu’un individu venant de l’étranger a fixé sa résidence dans un pays, habite une ville depuis longtemps, y est établi avec sa famille, paie les charges de la cité, jamais on ne fait difficulté, lorsqu’il inspire la confiance, de lui donner non des emplois civils ou militaires, mais un emploi comme ceux dont il s’agit dans l’article en discussion.

Les Belges sont-ils donc exclus de ces emplois en pays étranger ? Non sans doute. Combien au contraire n’y a-t-il pas de Belges qui occupent des emplois en France, en Hollande et dans d’autres pays ? Si les Dumortier de ces pays-là veulent les renvoyer parce qu’ils ne sont pas Français, Anglais ou Hollandais, ces Belges, réduits à la misère, eux et leur famille, viendront réclamer à la Belgique un asile et du pain, parce que ce sera par esprit de réciprocité qu’on les aura chassés du pays qu’ils habitaient. Il y a des usages, des lois de philanthropie et d’humanité qu’aucune nation ne répudie sans se porter préjudice à elle-même. (Bien, très bien.)

Veuillez remarquer que nous n’avons pas de loi de naturalisation ; il y a des individus qui, depuis quatre ans, sont en instance pour obtenir des lettres de naturalisation : eh bien, si la loi paraît avant qu’ils les aient obtenues, ils seront chassés de leurs emplois, c’est une conséquence inévitable du système de la section centrale.

Il y a dans les ministères des emplois qu’il est nécessaire de donner à des étrangers, comme ceux de traducteurs de langues au ministère des affaires étrangères, il doit y avoir des traducteurs d’allemand.. Si la proposition de la section centrale est admise, il faudra, pour être conséquent avec son système, renvoyer ces employés et les remplacer par des nationaux qui ne pourront pas rendre les mêmes services.

Je crois donc, surtout d’après les observations de l’honorable M. Lebeau, qui rentrent dans le sens des miennes, qu’il n’y a pas à hésiter à rejeter l’article proposé.

Je crois me rappeler que déjà, 4 ou 5 fois, il s’est agi d’interpréter les termes de la constitution « les emplois civils et militaires, » et que l’on a toujours été d’accord pour n’entendre par là que les véritables fonctions publiques, et non pas les emplois subalternes.

M. A. Rodenbach. - Je serais assez porté à voter pour la proposition de la section centrale, parce qu’il me semble que l’on n’a pas suffisamment répondu à M. Dumortier.

Qu’a dit cet honorable membre ? Que, sous le gouvernement hollandais, tous les employés, même des régences, même les plus minces employés, devaient se faire naturaliser ; c’est un fait connu et incontestable. M. Dumortier a également rappeler qu’en 1814 tous les étrangers qui se trouvaient en Belgique ont pu se mettre en règle, qu’ils n’avaient qu’à faire une simple déclaration sans frais au commissariat du district et à la régence pour être assimilés aux Belges.

Lorsque les Belges sont obligés de se conformer aux lois et de se conformer aux formalités qu’elles prescrivent, on peut bien exiger que les étrangers soient contraints de remplir certaines formalités. A moins que l’on ne réponde d’une manière péremptoire à ces diverses observations, je croirai devoir voter pour la proposition de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’article 6 de la constitution a donné lieu à deux questions. En premier lieu cet article est-il applicable aux étrangers qui étaient en fonctions à l’époque de la promulgation de la constitution ? En deuxième lieu, de quelle espèce sont les emplois dont on a entendu parler dans cet article ?

En ce qui concerne les étrangers qui occupaient des emplois publics avant la promulgation de la constitution, en fait ils n’ont pas été privés de leurs emplois soit militaires, soit civils. C’est ainsi que le congrès n’a autorisé que plusieurs mois après la promulgation de la constitution l’admission des officiers étrangers dans l’armée ; cependant personne n’a soutenu que les officiers étrangers qui étaient déjà dans l’armée ne pouvaient pas continuer d’y servir. Il en a été de même pour les autres emplois ; je pourrais en citer un grand nombre occupés par des étrangers avant la promulgation de la constitution, et maintenus à ces étrangers sans qu’il y ait eu à cet égard la moindre réclamation.

Mais, en ce qui concerne les employés nommés depuis la promulgation de la constitution, qu’a-t-on entendu par « emplois civils » ? Voilà toute la question.

Peut-on nommer des étrangers secrétaires de communes, commissaires de police ? (Non, non.) Je ne le pense pas non plus. Déjà plusieurs fois cette question s’est présentée ; et j’ai cru devoir la résoudre négativement. (Bien, très bien.)

Je conviens avec l’honorable M. Jullien que certains emplois subalternes ne doivent pas être considérés comme les emplois civils et militaires dont il est question dans l’article 6 de la constitution. Mais il n’est pas douteux que cet article oblige aussi bien les autorités communales que le gouvernement.

Reste à déterminer quels emplois les étrangers peuvent occuper. C’est le véritable point de la difficulté.

M. le président. - M. Legrelle propose une nouvelle rédaction pour son amendement, qui consiste maintenant à ajouter à la disposition proposée par la section centrale la clause limitative suivante :

« Cette disposition n’est pas applicable aux personnes en fonctions avant la promulgation de la constitution. »

M. Dumortier, rapporteur. - Je crois que l’honorable M. Jullien n’a pas entendu la réponse que j’ai eu l’honneur de faire. Sur l’argument que des personnes pourraient être dépossédées d’emplois qu’elles occupent depuis vingt ou trente ans, j’ai répondu par un fait, à savoir que, sous le roi Guillaume, tous les fonctionnaires nommés par les communes ont dû prendre des lettres de naturalisation ou cesser leurs fonctions. C’est là un fait que personne ne peut contester. A Tournay, j’ai connu plusieurs Français qui avaient des emplois de la commune ; ils ont dû prendre des lettres de naturalisation ; c’était une disposition générale, pour l’exécution de laquelle on était même très sévère.

Vous voyez donc que votre objection tombe. D’ailleurs, s’il y a doute, rien n’est plus facile que d’y mettre ordre : adoptez l’amendement de l’honorable M. Legrelle. Alors toutes les personnes employées avant la promulgation de la constitution seront exclues de la disposition de l’article. Mais ainsi au moins vous aurez une base ; et il faut une base, vous ne pouvez pas vous dispenser d’en adopter une.

La règle que vous devez suivre est tracée par la constitution ; cet article vous prescrit de donner pour les emplois la préférence aux Belges, lorsqu’ils sont aussi capables que des étrangers de les remplir.

La proposition de la section centrale est conforme à l’esprit et au texte de la constitution ; elle est réellement constitutionnelle.

M. Devaux. - En fait, je dois dire d’abord que l’honorable M. Dumortier se trompe, et qu’il n’est pas exact de dire que toutes les personnes nommées à des emplois par les régences ont dû se faire naturaliser sous l’ancien gouvernement. J’ai connu des personnes qui occupaient depuis 10 ou 15 ans de tels emplois et qui jamais ne se sont fait naturaliser, Ce ne sont pas en effet là de véritables emplois publics, comme ceux dont il est question dans l’article de la constitution, et pour ces emplois ni la raison, ni l’intérêt de personne ne prescrivaient d’exiger cette formalité.

Il n’y a pas à se demander ce qu’a voulu le congrès ; l’article 6 de la constitution est là. On dit : « Le congrès a voulu ceci.... Le congrès a voulu cela. » Le congrès a voulu l’article 6 de la constitution. Je n’en demande pas l’abolition ; mais aussi pourquoi l’étendre ? pourquoi adopter une disposition déraisonnable qui serait éludée ? Pourquoi exiger du moindre employé des lettres de naturalisation ?

Il y a, pour ne pas adopter cette disposition, une raison particulière à notre pays, c’est que depuis quatre ans il est impossible de se faire naturaliser Belge. On fera, dira-t-on, une loi de naturalisation. Quoi qu’il en soit, il est certain que, vu d’une part les occupations de la chambre, et de l’autre la nécessité d’une loi puisque la constitution le prescrit, il sera toujours difficile aux étrangers d’obtenir des lettres de naturalisation. Il convient donc non d’abolir l’article 6, mais de ne pas l’étendre.

Je ferai remarquer qu’il y a des communes frontières en rapport avec l’étranger, et auxquelles il est impossible de se passer d’étrangers. Il y a des communes qui ont des relations avec l’Allemagne, et auxquelles il est impossible de ne pas employer un Allemand pour leur correspondance. Il y a des communes qui ont beaucoup de relations avec l’Angleterre, Ostende par exemple où habitent un grand nombre d’Anglais ; il peut y avoir dans cette ville telles fonctions à la nomination de l’autorité communale, qu’il ne soit pas possible de donner à un Belge, pour lesquelles il faille un Anglais, quelqu’un qui entende et parle parfaitement la langue anglaise.

L’extension que l’on propose de donner à la disposition de la constitution pourrait dans certains cas porter aux communes un préjudice réel ; j’en citerai un exemple qui est à ma connaissance personnelle. Il y a quelque temps, un Anglais qui habite la Belgique depuis 15 ans, qui a beaucoup d’affection pour notre pays, mais qui cependant ne veut pas perdre la qualité d’étranger, propose à une grande commune de lui faire cadeau d’une magnifique collection d’un cabinet qui serait utile aux arts et au pays tout entier, à la condition qu’il serait nommé conservateur de ce cabinet, parce qu’il y est attaché. Que la loi passe, vous ne pouvez lui accorder sa demande ; voilà donc par cela même une commune privée de la donation utile que l’on voulait lui faire.

M. Dumortier, rapporteur. - C’est un contrat à titre onéreux.

M. Devaux. - Il n’est pas moins vrai qu’il s’agit d’un emploi auquel nomme la municipalité, et que d’après votre système, on ne pourrait pas accorder un étranger.

Je pense qu’il n’y a pas de motifs pour adopter l’extension que l’on propose de donner à l’article 6 de la constitution.

M. Legrelle. - Je pense que nous devons nous en tenir aux termes de l’article 6 de la constitution ; or, cet article est formel ; il est ainsi conçu :

« … Seuls ils (les Belges) sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi, pour des cas particuliers. »

Je vous le demande, cet article n’est-il pas assez explicite ? Ne dit-il pas que pour occuper des fonctions conférées par l’autorité communale, l’autorité provinciale, ou le gouvernement, il faut être Belge ou naturalisé ? Cet article a été adopté par le congrès, avec parfaite connaissance de cause ; alors il fut bien entendu que l’on devait, comme on l’a dit, préférer aux étrangers les enfants de la patrie. C’est à ce sentiment que nous devons maintenant encore nous rallier tous. Reste la question de savoir si la loi communale doit consacrer une exception à ce principe.

A cet égard je dois m’expliquer. Sans doute il serait par trop impolitique de priver de leurs emplois des étrangers établis depuis longtemps en Belgique et qui depuis longtemps occupent, de manière à satisfaire la commune, des emplois qui leur servent à nourrir leur famille tout entière belge ; c’est par ce motif que je propose par amendement d’ajouter à la proposition de la section centrale la disposition suivante :

« Cette disposition n’est pas applicable aux personnes en fonctions avant la promulgation de la constitution. »

La proposition de la section centrale n’est pas contraire à la disposition de la constitution ; car l’article 6 porte que « des exceptions peuvent être établies par une loi » : or, ici nous faisons une loi, ou une partie de loi.

Le fait qu’a cité l’honorable M. Devaux ne me paraît pas un argument concluant. Il s’agit là d’un contrat à titre onéreux, et non d’un emploi communal. Je dirai qu’en faveur du principe, il vaudrait mieux que la commune fût privée de la donation qu’on voulait lui faire, que si ses emplois étaient donnés à des étrangers au préjudice des nationaux.

Je vais plus loin : je dis que la commune qui a des emplois à donner doit les accorder de préférence aux individus de la commune, à ceux qui paient les impôts de la commune depuis un certain nombre d’années. Comme, dans une famille, on préfère ses proches à un étranger, ainsi une commune doit préférer celui qui l’habite à l’habitant des autres communes, et l’administration provinciale doit donner à celui qui habite dans la province même la préférence sur les habitants des autres provinces. C’est par suite des mêmes principes que vous admettez les Belges aux emplois de préférence au étrangers. En conséquence j’appuie la proposition de la section centrale avec la modification que j’ai eu l’honneur de proposer,

Il est certain que, par emplois donnés, l’on n’entend pas ceux, par exemple, l’allumeurs de réverbères.

- Un membre. - Mais un copiste !

M. Legrelle. - Pour un emploi de copiste, si un Belge capable se présente, je lui donnerai la préférence sur un étranger.

Si vous laisser au gouvernement la faculté d’employer des étrangers, cette faculté s’étendra bientôt au-delà des limites posées par la constitution : il pourrait se faire que le ministère (je ne parle pas du ministère actuel en qui j’ai confiance et dont je connais le patriotisme, mais comme il ne durera pas toujours, du ministère qui, un jour ou l’autre, le remplacera), il pourrait, dis-je, se faire qu’un ministère employât des étrangers ennemis du pays.

Je pense, pour moi, qu’à moins que l’on ne prouve que nous n’avons plus de Belges capables, on ne doit pas donner les emplois à des étrangers.

M. Lebeau. - Je regrette de prolonger cette discussion ; mais j’ai à cœur de ne pas laisser introduire dans la loi communale une disposition que déjà l’on a cherché vainement faire prévaloir dans cette chambre, disposition qui ne ferait pas l’éloge de notre patriotisme, mais qui témoignerait d’un esprit étroit et mesquin.

Je dois faire remarquer, en ce moment, un fait assez singulier, c’est que ceux qui vantent tant la sagesse de l’autorité communale, et s’élèvent contre toute surveillance sur ses actes, demandent maintenant que, pour elle seule, il soit interdit expressément de confier des emplois, même subalternes, à d’autres qu’à des Belges.

Je suis fort touché du patriotisme que montre l’honorable M. Legrelle, et qui le porte à donner pour les emplois municipaux la préférence non seulement aux nationaux, mais encore aux habitants de sa province et même de la commune. Mais, si l’honorable M. Legrelle soutient qu’une bonne et sage administration doit donner pour les emplois la préférence aux régnicoles, il me semble que ce serait une précaution injurieuse pour ces régences, dont nous pouvons considérer l’honorable M. Legrelle comme l’un des organes, que de leur imposer une règle si rigoureuse, et que vous n’avez imposée ni à la province, ni au gouvernement, ni à la chambre elle-même, qui devrait cependant à cet égard donner l’exemple, si l’exemple était si bon.

Si l’on applique cette règle à la chambre, il faut commencer par congédier MM. les sténographes qui sont des étrangers et des employés salariés dans le sens que les honorables MM. Legrelle et Dumortier donnent à l’article 6 de la constitution.

Le ministre de la justice peut être dans la nécessité d’avoir un employé étranger pour la traduction d’une partie des exemplaires du Bulletin officiel en langue allemande. La chambre se trouve dans le cas d’employer, pour rendre compte de ses séances, des étrangers qui sont salariés pas l’Etat. Il faudra donc que le ministère, que la chambre emploient nécessairement des nationaux ; car vous ne pourrez vous dispenser d’imposer au gouvernement et à vous-même la règle que vous voulez imposer sous ce rapport à la commune, au nom de la constitution.

Votre proposition n’est pas compatible avec l’omniscience, l’infaillibilité que vous reconnaissez sans cesse à l’autorité communale. Vous êtes ici en flagrant délit de contradiction avec vos propres principes.

Je pense qu’il serait indigne d’un patriotisme large et éclairé de donner, en adoptant l’amendement proposé par la section centrale, une mesquine extension à l’article 6 de la constitution. Il est certain que, quant à moi, je me propose de le rejeter.

M. le président. - La parole est à M. Gendebien.

M. Gendebien. - J’y renonce, car on a dit tout ce qu’il y avait à dire, Je ne dirai qu’un mot. Sans adopter en tous points les principes émis par l’honorable préopinant, je dirai que je considère l’article 6 de la constitution comme obligeant les administrations communales et provinciales, le ministère, enfin tout le monde.

Si vous donnez à cet article une interprétation dans la loi communale, on ne saura plus comment l’entendre. Déjà vous ne pouvez pas vous mettre d’accord sur le sens de cet article ; comment donc interprétera-t-on dans les communes rurales ? Je pense qu’il convient de laisser les choses comme elles sont. Quant à moi je voterai contre la proposition de la section centrale, que je considère comme inutile et dangereuse.

M. Dumortier, rapporteur. - L’honorable M. Lebeau prétend que nous sommes en flagrant défit de contradiction, et que la proposition de la section centrale n’est pas compatible avec l’omniscience, avec l’infaillibilité que, dit-il, nous reconnaissons d’ordinaire aux autorités communales. Mais comment se fait-il que M. Lebeau qui, d’ordinaire, trouve que les communes ne sont capables de rien, les trouve aujourd’hui capables de tout ?

Comment se fait-il que M. Lebeau qui propose toujours des entraves pour la commune quand il s’agit de ses rapports avec le gouvernement, veuille ici où il s’agit des droits des citoyens lui donner toute liberté ? Le délit est donc au moins aussi flagrant pour vous-même. Je vous renvoie donc votre accusation ; et je la crois un peu plus fondée chez vous que chez nous.

L’article, dit-on, est inutile. J’ai déjà dit que si on prouvait qu’il était inutile, je ne m’opposais pas à ce qu’on ne l’insérât pas dans la loi ; mais s’il est inutile, pourquoi dans l’article 20 de la loi communale avez-vous exigé la naturalisation pour les électeurs ? Pour être électeur, il faudra être Belge on naturalisé ; et pour les fonctions les plus importantes conférées par la commune, ni l’un ni l’autre ne sera nécessaire. C’est là une contradiction inadmissible.

- L’article proposé par la section centrale est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

M. le président. - L’article n’étant pas adopté, il n’y a pas lieu à mettre aux voix la disposition additionnelle proposée par M. Legrelle.

Chapitre II. Des élections communales

Section I. Des électeurs communaux et des listes électorales
Article additionnel

M. le président. - La chambre passe à l’article nouveau proposé par M. Doignon, à placer après l’article 21 de la section centrale :

« Les contributions et patentes ne sont comptées à l’électeur que pour autant qu’il a été imposé ou patenté pour l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu.

« Le possesseur à titre successif est seul excepté de cette condition. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Cette disposition me paraît très bonne en elle-même, mais il me semble qu’il ne suffit pas que l’électeur ait été imposé ou patenté dans l’année antérieure, il faut aussi qu’il ait payé l’intégralité du cens. En conséquence, je proposerai de rédiger ainsi l’article :

« Les contributions et patentes ne sont comptées à l’électeur que pour autant qu’il ait payé le cens pour l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu. »

- L’amendement de M. le ministre de l’intérieur est mis aux voix et adopté ;. il fera suite au n°21 de la section centrale.

Titre II. Des attributions communales.

Chapitre II. Des attributions du conseil communal
Article additionnel

M. le président. - La chambre passe à l’art..., proposé par la section centrale ; il est ainsi conçu :

« Les emprunts votés par les conseils communaux sont autorisés :

« 1° Par la députation provinciale, lorsque la commune est libérée de tout emprunt ou dette antérieure et que l’emprunt nouveau peut être remboursé avec les recettes de l’année ;

« 2° Par le Roi, lorsque la commune n’est pas libérée d’emprunts ou de dettes antérieures, ou lorsque l’emprunt ne peut être remboursé que sur les recettes ordinaires de cinq années ou par l’aliénation des propriétés communales ;

« 3° Par une loi, pour les communes dont les recettes ordinaires s’élèvent à plus de 100,000 francs. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois qu’il faut ajourner au deuxième vote la discussion de cet article, attendu que déjà dans l’article 74 on a voté une disposition relative aux emprunts.

M. Legrelle. - Il faut que toute disposition nouvelle soit soumise à l’épreuve d’un deuxième vote, et si vous ne discutez pas maintenant l’article dont il s’agit, en réalité il n’y aura pas pour cet article de deuxième vote.

Je crois qu’il suffira que M. le ministre ne se rallie pas à la proposition de la section centrale ; alors on pourra au deuxième vote revenir sur cet article ; ainsi M. le ministre aura atteint le but qu’il se propose.

M. Jullien. - L’honorable ministre de l’intérieur vient de citer l’article 74 qui traite des emprunts ; il en est également question dans la disposition finale de l’article 131, portant qu’il ne pourra être établi aucune imposition ni voté aucun emprunt que du consentement du Roi et de l’avis de la députation provinciale.

Dans l’article dont on s’occupe maintenant, vous établissez trois catégories d’emprunt : la première catégorie traite d’emprunts autorisés par la députation provinciale, lorsque la commune est libérée de tout emprunt ou dette antérieure et que l’emprunt nouveau peut être remboursé avec les recettes de l’année. Je ne vois pas d’inconvénient à renvoyer au second vote la discussion de cette proposition de la section centrale ; mais si vous vous en occupez maintenant, il faut la mettre en harmonie avec la disposition déjà adoptée.

M. Lebeau. - Je crois qu’il est impossible de voter actuellement sur la proposition présentée par l’honorable M. Dumortier au nom de la section centrale par les raisons qu’ont exposées M. le ministre de l’intérieur et l’honorable M. Jullien.

Tout ce qui concerne les emprunts des villes a été voté par la chambre. Vouloir faire voter une clause relative aux emprunts c’est engager la chambre à revenir sur une question jugée et qui ne peut être modifiée qu’au second vote, en supposant encore que les dispositions relatives aux emprunts aient été amendées dans la première discussion. Car il a été statué dans le commencement de la loi communale que les proposition de la section centrale auxquelles le gouvernement se rallierait seraient considérées comme propositions privatives. Voilà les précédents de la chambre et l’obligation que nous impose votre règlement.

Quant à l’argument présenté par M. Legrelle qui regarde comme inadmissible la discussion de l’amendement au second vote, parce que le règlement exige que toute proposition soit soumise au double vote, cet argument ne prouve rien, parce qu’il prouve trop. Il s’en suivrait que l’on ne pourrait présenter au second vote un seul amendement nouveau, puisqu’un tel amendement ne saurait être voté qu’une fois. L’article 45 du règlement est positif sur ce point.

Je demande la question préalable sur la proposition de la section centrale.

M. Dumortier, rapporteur. - Je ne puis admettre la question préalable. La conclusion de l’honorable M. Lebeau est contraire aux motifs dont il l’a fait précéder. Il vous dit : On discutera votre proposition au second vote. Il m’importe peu, pour moi que les propositions de la section centrale soient discutées au second vote ou au premier. Mais la question préalable tendrait à décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Cependant je crois que la proposition de la section centrale mérite toute votre attention. Je m’oppose donc à la question préalable.

La facilité d’opérer des emprunts est une des choses les plus ruineuses pour les villes. Lorsque la révolution de 89 éclata, la plupart des villes de France étaient à la veille de faire banqueroute, et cela par la facilité trop grande qui leur était laissée pour faire des emprunts. Nous marcherons dans la même voie qui amènera les mêmes résultats. Il faut que des mesures prises à temps remédient à cet état de choses.

L’honorable M. Jullien a indiqué le deuxième paragraphe de l’article 131, comme devant pourvoir à cet objet. Je lui ferai remarquer qu’il a été écarté par la chambre.

Il me semble que ce qu’il y a de mieux à faire serait de mettre immédiatement en discussion l’article de la section centrale.

J’inviterais M. le ministre de l’intérieur à ne pas s’y rallier, afin que l’on pût revenir sur cette discussion au second vote. Il est nécessaire, je le répète, que l’on prenne une mesure à l’égard des emprunts des villes.

Le section centrale a cru devoir proposer l’article 40 de la loi française d’attributions communales.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’essentiel est que la proposition de la section centrale puisse être discutée. Il est incontestable qu’elle pourra l’être au second vote. En voici la preuve péremptoire : c’est que l’article 131 a été supprimé. C’est donc un amendement adopté par l’assemblée sur lequel il faudra revenir.

Ainsi, sans violer le règlement, l’on pourrait au second vote discuter la proposition de la section centrale, tandis que je ne pense pas que le règlement permette de procéder à cette discussion actuellement.

J’appuierai la question préalable et j’appellerai l’attention de la chambre sur ces deux points.

Le n°3 de l’article nouveau serait applicable à 17 villes du royaume. C’est un renseignement que je me suis procuré et que j’ai cru devoir communiquer à la chambre, afin qu’elle puisse former son opinion sur la portée de ce numéro. Elle aura à examiner si l’intervention du pouvoir législatif ne serait pas trop souvent requise.

En second lieu, je ferai remarquer que les numéros 1° et 2° ne sont pas en harmonie. Dans le premier numéro, la députation provinciale est appelée à autoriser les emprunts dont le montant ne dépasse pas le revenu d’une année, et le deuxième numéro autorise le pouvoir royal à donner cette approbation dans le cas où l’emprunt égalerait le revenu de 5 années.

Au surplus, c’est le numéro 3° qui est le plus digne de l’attention réfléchie de la chambre. Il s’agira de savoir s’il y a lieu de placer 17 villes du royaume dans une position exceptionnelle.

M. Lebeau. - Je persiste à demander la question préalable, à laquelle M. le ministre de l’intérieur vient de se rallier, non dans l’intention d’exclure la discussion de la proposition de la section centrale au second vote ; car si telle était mon intention, je le dirais, attendu que je ne veux tendre de piège à personne, pas même à l’honorable préopinant dont je combats la motion.

Il me semble que, maintenant qu’il a été prouvé que l’article 131 a été écarté, il n’y a plus aucune objection à ce que la discussion que l’on veut soulever, soit remise au second vote. Je serai le premier à voter dans ce sens, mais en ce moment la discussion serait intempestive.

Le meilleur moyen d’abréger nos discussions, c’est de nous en tenir à la stricte observation de notre règlement. Il est impossible, sans violer le règlement, de voter aujourd’hui sur la proposition de M. Dumortier, puisque le système des emprunts est complet dans le premier vote de la loi communale. Il ne peut donc être question de rien proposer à cet égard, sans engager implicitement l’assemblée de revenir dès aujourd’hui sur sa première décision. Tel est le sens de la question préalable que j’ai proposée.

M. Dumortier, rapporteur. - Je commencerai par repousser l’insinuation de l’honorable préopinant. Il semblerait que j’ai voulu tendre des pièges à l’assemblée. Je n’ai jamais tendu de pièges, pas plus à M. Lebeau qu’à toute autre personne.

Je persiste à demander la discussion immédiate de la proposition de la section centrale. Si la chambre adoptait la question préalable, lorsqu’au second vote nous viendrons présenter notre proposition, on nous dirait : ce qui est relatif aux emprunts des communes n’a pas été amendé. Vous ne pouvez faire une proposition toute nouvelle. Il fallait la soumettre à un premier vote.

Je crois que personne ne s’élève contre la question en elle-même. C’est une question de temps. Eh bien, je propose, moi, puisqu’il nous reste une heure de délibération de nous occuper de vider la question. Nous aurons ainsi utilisé les moments de l’assemblée.

M. Verdussen. - Comme l’a dit l’honorable rapporteur de la section centrale, on peut élever le règlement contre la proposition, lorsqu’il s’agira au second vote d’introduire une disposition tout à fait nouvelle. S’il ne s’agissait que de l’autorisation de la députation permanente ou du Roi, point de doute que ce serait au second vote qu’on pourrait introduire ces amendements. Mais ici il est question d’une disposition toute nouvelle tendant à faire intervenir le pouvoir législatif pour autoriser certaine catégorie de communes à contracter des emprunts. C’est donc un système tout nouveau, et c’est pour cela qu’on pourra faire des difficultés lors du second vote.

M. Fallon. - Cela dépend de la majorité. Si la majorité dit que c’est contraire au règlement, vous ne pouvez lutter contre elle. Je crois que l’on doit commencer par discuter cette proposition qui est toute nouvelle ; c’est une disposition qui n’a pas encore paru, et qui aux termes du règlement doit être soumise au premier et au second vote.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Pour qu’il n’y ait pas de surprise, on peut mettre au procès-verbal que la chambre a décidé que cette proposition serait remise au second vote.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je crois que c’est de droit que, d’après l’article 45 du règlement, on peut proposer l’article au second vote. Voici l’article 45 :

« Lorsque des amendements ont été adoptés ou des articles d’une proposition rejetés, le vote sur l’ensemble aura lieu dans une autre séance que celle où les derniers articles auront été votés. Il s’écoulera au moins un jour entre ces deux séances.

« Dans la seconde, seront soumis à une discussion et à un vote définitif les amendements adoptés et les articles rejetés.

« Il en sera de même des amendements qui seront motivés sur cette adoption ou ce rejet. Tous amendements étrangers à ces deux points sont interdits. » Il est à remarquer que, dans le premier vote, il a été question d’un article relatif aux emprunts qui a été rejeté ; ainsi, dans le second vote, on a le droit de produire un article sur la même question.

M. Dumortier, rapporteur. - Si c’est une simple question d’ajournement, je ne m’y oppose pas. Ne vaudrait-il pas mieux nous en occuper demain ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il y a plusieurs choses fort importantes qu’on doit mettre à l’ordre du jour de demain : 1° un projet de loi sur la milice adopté par le sénat ; 2° un petit projet sur les pensions civiles, et ultérieurement le rapport des pétitions, de telle manière que si on fait passer demain un bon nombre de pétitions, il ne sera pas essentiel de s’en occuper vendredi, et on pourra poursuivre le budget du ministère des finances sans désemparer.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si on met à l’ordre du jour de demain les projets dont vient de parler M. le ministre de l’intérieur, je pense qu’on n’entend pas voter tous ces projets avant le budget du ministère des finances. (Non ! non !) Je demande qu’on fixe la discussion générale de ce budget à après-demain. (Oui ! oui !)

- La séance est levée à 4 heures et demie.