(Moniteur belge n°22, du 22 janvier 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Brixhe donne lecture du procès-verbal. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse donne communication des pièces suivantes adressées à la chambre.
«Trois vicaires du district de Maestricht demandent que la chambre veuille bien décider le plus tôt possible qui doit leur payer les traitements qu’on leur accorde, ou l’Etat, ou la commune. »
- Renvoyé sur la demande de M. de Renesse à la section centrale chargée d’examiner la loi communale.
« Le sieur Huart demande qu’il soit établi des baraques en bois pour loger les chevaux de la cavalerie qui sont dans les cantonnements. »
- Renvoyé à la commission des pétitions.
La lettre suivante est adressée à M. le président :
« M. le président, d’après les ordres du Roi et pour satisfaire au premier paragraphe de l’article 68 de la constitution, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau de la chambre :
« 1° Les conventions conclues entre la Belgique et le Danemark pour l’abolition des droits d’émigration et de détraction, signées à Bruxelles le 26 janvier, et à Copenhague, le 21 mars 1834, et échangées à Paris, le 25 mai de la même année.
« 2° Les déclarations échangées entre la Belgique et la Prusse sous la date du 13 et du 17 décembre 1834, pour le renouvellement de la convention du 3 juin 1817, abolitive des droits de détraction et d’émigration.
« Je saisis cette occasion de vous offrir, M. le président, les assurances de ma plus haute considération.
« Le ministre des affaires étrangères, de Muelenaere. »
M. Van Hoobrouck. - Messieurs, lorsque, dans la séance d’hier, j’ai demandé la parole, c’était pour répondre à la partie du discours de l’honorable M. Gendebien qui avait rapport au canal d’écoulement des eaux des Flandres. L’opinion que j’ai émise dans une autre circonstance a été l’objet d’une critique si vive, que je dois entrer devant la chambre dans quelques explications.
Messieurs lorsque j’ai parlé d’un mot devenu malheureusement célèbre, c’est parce que j’avais remarqué que d’honorables orateurs, entre autres M. Gendebien, avaient donné à ce mot une portée qui n’était pas dans l’esprit de M. Charles Vilain XIIII. S’il en avait pu être autrement, si j’avais pu croire que M. Vilain XIIII attachât à ce mot l’acception qu’on lui donne ordinairement, je ne serais pas venu faire l’apologie de doctrines que j’ai constamment combattues dans cette enceinte ; j’aurais été le premier à protester. Mais j’avais la conviction que si M. Vilain XIIII s’était servi de cette expression, c’était parce qu’il se trouvait dans l’impossibilité de qualifier autrement la position exceptionnelle, les circonstances extraordinaires dans lesquelles le pouvoir est forcé de sortir de la légalité.
Cette opinion sans doute peut être combattue, mais je ne pense pas qu’on puisse suspecter les intentions de ceux qui l’admettent avec les publicistes les plus larges et les plus libéraux de l’Europe.
Peut-on supposer qu’au moment d’arriver à des fonctions publiques, un homme qui aspirerait à l’arbitraire viendrait vous tenir un pareil langage, vous mettre dans la confidence de ses vues et de ses intentions ? Il y aurait plus que de l’ingénuité dans une pareille conduite.
Je ne sais si je dois répondre à ce qu’il y a de personnel dans les paroles de M. Gendebien. J’attache trop d’importance à l’estime de cet honorable membre pour n’avoir pas été sensiblement affecté de reproches que je ne crois pas avoir mérités. Mais si je vous entretiens un instant de moi, ce sera pour la seule fois de ma vie.
Les honorables membres qui me connaissent savent que j’ai résisté à toutes les séductions dont le précédent gouvernement m’avait entouré, et que j’ai lutté contre l’arbitraire avec une énergie qui m’aurait fait porter ma tête sur l’échafaud, sans le revirement de nos affaires publiques. Lorsque je vis triompher les principes de toute ma vie, m’a-t-on vu renoncer à mes principes d’indépendance, ne m’a-t-on pas toujours rencontré sur les bancs de l’opposition ? Aujourd’hui même, malgré l’entière confiance que je puis avoir dans le ministère, ne me voit-on pas toujours voter contre les mesures qui s’écartent de l’esprit de notre constitution ou paraissent trop peu libérales ?
Je le déclare avec franchise, depuis que j’ai l’honneur de siéger dans cette enceinte, mon unique ambition a été de me concilier la considération de mes collègues, et le premier jour où j’aurai le malheur d’apprendre que j’ai démérité de votre estime, je me retirerai à l’instant même.
J’arrive, messieurs, à l’objet principal de mon discours. L’honorable M. Gendebien a cru voir, dans le projet de canal à creuser dans les Flandres, une arrière-pensée de la part du gouvernement ; il a cru voir là une renonciation aux stipulations du traité du 15 novembre qui garantissait l’écoulement des eaux des Flandres par le territoire hollandais. Cette erreur est fort naturelle de la part de ceux qui ne connaissent pas les localités. Mais, depuis un certain nombre d’années, il s’est formé un atterrissement qui empêche l’écoulement de nos eaux, de telle sorte que le traité du 15 novembre reçût-il une entière exécution, on ne pourrait pas renoncer au projet de canal, parce que le service des écluses devient insuffisant et même inutile, par suite des atterrissements qui se sont formés devant ces écluses. Tôt ou tard nous nous verrions forcés de donner un autre écoulement à nos eaux, si nous ne voulons pas abandonner à une désolante stérilité les plus belles campagnes du royaume.
L’honorable membre a également cru que la dépense du canal projeté pourrait s’élever à sept ou huit millions : je ne sais sur quelles données il a pu fonder ses calculs, mais je puis assurer que cette dépense ne s’élèvera pas même à la somme portée au budget du ministère de l’intérieur. Je tiens d’un ingénieur qui malheureusement a succombé victime de son dévouement, dans ces contrées malsaines, que le canal ne coûterait pas plus de trois millions cinq cent mille francs.
Je dois vous faire observer que l’ouverture de ce canal n’est pas une simple affaire de localité ; il aura, il est vrai, pour effet de faire cesser un fléau qui depuis longtemps désole nos fertiles campagnes, mais il y a outre cela une question de haute politique qui intéresse toute la Belgique et particulièrement la ville d’Anvers qui est appelée aux plus brillantes destinées.
La question est fort importante. Je me permettrai de la traiter avec quelque étendue lorsque nous serons arrivés à l’article du budget qui y est relatif. J’espère vous convaincre alors de la nécessité d’un travail dont l’idée première est due au génie de Napoléon, et dont le mérite de l’exécution est réservé à la première législature nationale.
M. Gendebien. - Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit relativement au discours prononcé par M. Vilain XIIII au mois d’avril 1834, ni sur sa nomination quatre mois après au gouvernement des Flandres. Son discours était écrit, il a été inséré dans le Moniteur. Mes réponses y sont également. Je prie les honorables membres qui ne seraient pas rassasiés de cette discussion d’y recourir. Le public les a lues, il pourra les relire et juger.
Quant à l’espèce de plainte que m’adresse l’honorable préopinant, j’aurais voulu qu’il eût eu la bonté de citer la partie de mon discours où il a cru voir une espèce d’attaque personnelle ; il aurait vu qu’il se trompait. Au reste je ne pourrai lui répondre qu’en lui rendant les marques d’estime qu’il m’a adressées.
Je n’ai jamais eu de motifs de me plaindre, ni de l’honorable préopinant ni de ses doctrines, et lorsque j’ai répondu à ce qu’il avait dit au sujet de M. Vilain XIIII, je me suis borné à dire : Prenez-y garde, la défense ressemble bien aux doctrines, et on pourrait supposer que vous les partagez.
L’honorable M. Van Hoobrouck vient d’assurer la chambre qu’il ne les partageait pas ; je déclare que j’en suis convaincu, comme j'en étais convaincu hier.
Quant au canal d’écoulement des eaux des Flandres, dont le préopinant vient de parler, je n’ai pas comme lui l’avantage de pouvoir en parler avec une connaissance spéciale des localités ; mais il est toujours vrai de dire que le canal est destiné à écouler les eaux des Flandres qui devaient passer en tout, ou si l’on veut, en partie par la Flandre zélandaise, en vertu du traite du 15 novembre, qui se réfère à cet égard au traité du 8 novembre 1785.
Il est possible que ce canal ait en même temps une autre utilité ; c’est ce que nous verrons, lorsque nous discuterons le crédit demandé. Mais, j’espère qu’avant de vous faire voter les fonds, on nous donnera les renseignements nécessaires, pour que nous puissions voter en connaissance de cause.
Je m’abstiendrai donc pour le moment de parler davantage sur un objet dont je n’ai pas, d’ailleurs, une connaissance spéciale.
Je ne rentrerai pas non plus dans la discussion générale. Tout ce que j’ai dit subsiste ; car on n’a répondu ni à mes interpellations ni à mes arguments. Mais je demanderai à la chambre la permission de répondre deux mots à ce qu’a dit M. le ministre de la justice, si toutefois je puis, sans trop l’ennuyer, revenir sur la question de savoir si l’arrêté du gouvernement provisoire doit être entendu dans ce sens que l’approbation royale est encore une condition essentielle pour la formation d’une société anonyme.
Je prie de nouveau la chambre de me pardonner si je reviens sur cette question. M. le ministre ayant parlé le dernier, l’opinion qu’il a émise pourrait par sa position exercer quelque influence sur le public et les membres des tribunaux, si on ne lui répondait pas. Je suis toutefois prêt à me taire si la chambre ne croit pas qu’on doive pousser plus loin cette discussion, et je m’arrêterai quand elle le jugera à propos ; je compléterai dans ce cas ma réponse dans les journaux.
Je ne reviendrai pas sur le ton plus ou moins fâcheux avec lequel le ministre m’a répondu : ayant repoussé hier ce qu’il pouvait y avoir de personnel dans la réponse du ministre, j’aborderai de suite la question de droit.
M. le ministre de la justice a supposé que j’avais dit que l’approbation des sociétés anonymes était purement en faveur du gouvernement.
La chose n’est pas exacte. J’ai dit que l’approbation du Roi n’était plus chose essentielle et que, pour ceux qui la croyaient utile, ils étaient maîtres de la demander ; mais qu’il n’y avait plus obligation de le faire.
Mais est-il vrai que ce n’est pas pour sa propre sécurité que le gouvernement exige qu’on lui demande son approbation ? M. le ministre dit non, et la preuve, selon lui, c’est qu’il n’y a pas de sanction dans la loi. Le ministre se met là en contradiction avec lui-même et avec M. Fallon. Car il a dit, ainsi que M. Fallon, qu’il était impossible qu’une société anonyme existât sans l’approbation royale, que cette approbation était substantielle, qu’elle était la condition essentielle de son existence. Mais n’est-ce pas là une sanction ? Comment ! la société n’existe pas, elle est nulle, elle est impossible si elle n’a pas obtenu l’approbation royale, et vous voulez une autre sanction ? Mais, messieurs, je ne sais pas quelle autre sanction le ministre pourrait exiger !
C’est là la meilleure sanction qu’il puisse avoir pour garantir au gouvernement qu’il aura connaissance de toutes les sociétés anonymes qui voudront se former. La réponse du ministre est donc oiseuse, et son observation ne répond nullement à ce que j’ai dit que l’approbation était exigée uniquement au profit du gouvernement, c’est-à-dire des gouvernements qui s’effraient, comme je le disais hier, dès qu’ils voient deux citoyens s’associer, ou trois hommes réunis sur la place publique, supposant que ces citoyens ne se réunissent que pour faire une conspiration.
Toute obligation où il n’y a pas d’obligé est nulle, a dit le ministre, car il est de l’essence de toute obligation d’obliger. Cela est vrai. Mais depuis quand un mandataire ne peut-il plus s’obliger ? Vaudrait tout autant supprimer du code le titre du mandat.
Le mandataire s’oblige et reste personnellement obligé pour toutes les obligations quelconques qu’il contracte.
S’il présente son mandat avant de traiter, et qu’il soit constaté dans l’acte que le mandat a été exhibé, quelles qu’en soient les clauses ; si les pouvoirs ont été excipés à celui avec qui il traite, l’opération se fait conformément au mandat ni plus ni moins. Voilà comment les choses se passent. Quand un mandataire traite avec des particuliers, ils lui demandent quel est son mandat, et ils traitent en vertu et conformément à ce mandat. De quoi peuvent avoir à se plaindre ceux qui ont traité avec ce mandataire ? ils trouvent en lui un obligé dans le cercle des pouvoirs qu’il avait reçus pour traiter et dont il leur avait donné connaissance.
Il n’y a, dit le ministre, que des capitaux engagés ; C’est une dérogation au droit commun qui ne s’explique que par les conditions spéciales attachées à l’existence de ces sociétés, et la principale de ces conditions, c’est l’investigation et l’approbation du gouvernement. Ainsi l’investigation et l’approbation du gouvernement sont des conditions sine qua non de l’existence, de la réalité de la société ; ce sont des garanties pour tous les particuliers avec lesquels cette société peut traiter, elles doivent leur donner toute sécurité.
Voyons si cela est exact. Nous allons en juger par ce que disait M. Ernst lui-même le 8 juin 1834.
Une pétition avait été adressée à la chambre par des sociétés anonymes qui se plaignaient de ce que les agents d’autres sociétés anonymes établies à l’étranger venaient exploiter en concurrence avec elles l’objet de leur exploitation.
M. Ernst a dit que le gouvernement n’avait pas à s’occuper de cela, qu’il n’avait pas le droit de s’immiscer dans ces opérations. Voici comment il s’exprimait :
« Je ne connais pas la différence qu’on voudrait faire entre les sociétés anonymes et les autres associations.
« Il existe à Vienne une société anonyme qui fait le commerce de laine sur la place de Verviers, par l’entremise de commissaires. C’est un fait réel que je cite. Eh bien, qui ira demander la preuve que cette société est légalement établie à Vienne ? C’est à celui qui traite à s’assurer : 1° si le commissaire est bien l’agent de cette société ; 2° si la société est légalement établie ; 3° si elle présente toutes les conditions de solvabilité. Mais l’ordre public n’y est nullement intéressé. »
Dans la même séance, il dit encore :
« On a demandé que le gouvernement s’assurât au moins que la société commerciale étrangère est instituée légalement. Le gouvernement ne doit pas prendre de semblables informations. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est clair.
M. Gendebien. - Nous allons voir si c’est clair. « C’est aux particuliers à s’entourer des renseignements que l’on prend dans toutes spéculations. »
Ainsi, quand il s’agit d’agents étrangers de sociétés étrangères, ils ont le droit de gérer, d’administrer, de traiter d’engager, de s’obliger, d’obliger des Belges, sans que le gouvernement y soit pour rien, sans qu’il ait le droit de s’immiscer en rien dans leurs affaires ; c’est aux particuliers à savoir s’ils traitent avec des hommes solvables, avec des hommes présentant des garanties suffisantes par leurs capitaux, leurs capacités, leur moralité. Cependant M. Ernst veut qu’aucune société indigène ne puisse se former qu’autant que le gouvernement ait exercé une investigation sur sa capacité, sa moralité et se moyens pécuniaires, et qu’il ait donné son approbation.
Il fait de cette investigation, de cette approbation, la condition essentielle et substantielle de l’existence de la société. Mais à l’égard des étrangers il ne reconnaît pas au gouvernement le même droit à exercer. Les sociétés anonymes de Paris, de Berlin, de Vienne, peuvent venir faire des affaires sur les marchés de Verviers, de Gand, de Bruxelles. C’est aux particuliers, dit le ministre, qui traitent avec elles, à savoir ce qu’ils ont à faire, à voir s’ils traitent avec des personnes solvables probes et morales. Tandis que si deux Belges voulaient former une société anonyme, sans l’autorisation du gouvernement, d’après M. Fallon et M. le ministre de la justice, leur société ne serait qu’une société ordinaire emportant la solidarité et la contrainte par corps pour toutes les obligations des membres de la société.
Mais à l’égard des sociétés étrangères, rien de semblable, on ne s’occupe pas s’il y a ou s’il n’y a pas contrainte par corps, et sécurité complète. Voilà la doctrine de M. Ernst, voilà de quelle valeur sont les moyens jetés en avant pour prouver que l’approbation du gouvernement est une formalité substantielle, si elle est une condition d’existence.
La société anonyme, dit M. Ernst, représente un être moral qui ne peut exister que par l’autorisation du Roi. C’est là une condition essentielle de son existence.
Je demanderai à M. Ernst dans quel texte il a puisé sa doctrine ; quel est l’article de la constitution ou quelle est la loi qui ne reconnaît d’être moral qu’autant que le gouvernement ait autorisé son existence. Il en existait un qui ne créait pas d’être moral dans les sociétés anonymes : l’article 37 du code de commerce, parmi les conditions mises à leur existence, exigeait l’approbation du Roi. Mais pourquoi exigeait-on cette approbation ? C’est parce que le gouvernement d’alors, comme je l’ai déjà dit, craignait toute espèce d’associations. On peut consulter la discussion qui a eu lieu au conseil d’Etat ; on verra que Treilhard, qui était de très bonne foi, avançait que c’était plutôt dans l’intérêt de la sécurité du gouvernement ; que, par conséquent, il ne fallait soumettre à son approbation que les sociétés qui avaient quelques rapports avec l’ordre public et l’intérêt général.
M. Regnaud de St.-Jean d’Angely, vous savez qu’il était le séide du pouvoir fort, le despotisme et l’arbitraire incarné ; Regnaud de Saint-Jean d’Angely fit un long discours pour prouver que c’était dans l’intérêt des particuliers ; mais il n’a rien prouvé et personne ne s’est mépris sur ses intentions ni sur son but. Voilà ce qui a motivé l’adoption de cet article. On a dit : Le gouvernement peut être toujours intéressé à savoir ce qui se passe dans ces sociétés secrètes qui peuvent avoir été créées sous des apparences commerciales et au fond cacher un autre but. Et la disposition a été admise telle que vous la retrouvez dans l’article 37.
Si le Roi peut créer un être moral aux termes de l’article 37 du code de commerce, pourquoi le législateur ne pourrait-il pas le faite comme lui et sans son intervention ? Pourquoi ne pourrait-il pas le faire en supprimant des investigations et une approbation, alors qu’il les considère comme inutiles. Le ministre dit : oui, le législateur peut le faire.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Aucun privilège.
M. Gendebien. - Aucun privilège ! Je n’en ai pas vu dans la suppression de l’approbation ; je répondrai tout à l’heure à votre interruption.
Mais, vous a-t-on dit, M. Gendebien a tort de dire que ce qu’un législateur a établi, un autre législateur peut le détruire.
Cela n’est pas possible, dit le ministre, car le législateur ne peut pas déclarer que ce qui n’est pas est, et que ce qui est n’est pas ; il ne peut pas dire qu’un dépôt est un prêt, ni qu’un prêt est un dépôt, il en est de même pour la société anonyme, puisqu’il s’agit de ses éléments constitutifs. Je crois que je représente son argument dans toute sa force.
Sans doute, jamais un législateur ne peut changer la nature des choses, jamais il ne pourra faire qu’un dépôt soit un prêt ou qu’un prêt soit un dépôt, parce que ce ne serait plus ni un prêt ni un dépôt. Cela est tout simple, ce sont là les premières notions du droit.
Mais ce n’est pas là la question. La question est de savoir si une société réunissant toutes les conditions prescrites pour la société anonyme, moins l’autorisation du gouvernement, sera encore une société anonyme. Je crois avoir démontré que les sociétés existent et peuvent exister avec ou sans l’article 37 du code de commerce. Qu’elles existent et peuvent exister par le seul accomplissement des conditions constitutives énoncées aux articles 29 à 36 du code. C’est là la question à laquelle on n’a pas répondu.
Je vous ai dit et c’est à cela que le ministre aurait dû répondre, j’ai dit qu’on confondait la condition exigée par le législateur avec celle qui affecte la nature même des contrats en obligations. J’ai dit que la condition substantielle qui était établie par la puissance du législateur pouvait toujours être changée ou modifiée par lui. C’est ainsi que telles formalités établies en matière d’hypothèque ou de testament, et considérée comme essentielles ont pu être changées par le législateur subséquent, et leur défaut ne plus entraîner aucun genre de nullité. J’ai dit que le législateur était tout puissant pour changer, modifier ces sortes de conditions ou formalités.
J’ai ajouté que, puisque le législateur de 1808 avait établi une condition d’approbation, que le législateur de 1830 et le congrès constituant avaient la faculté de retrancher cette condition ou d’en établir de nouvelles.
Je vous ai dit qu’il y avait une autre espèce de condition, la seule véritablement substantielle, c’est celle qui tient à la nature mène des choses et sans laquelle, comme le dit le ministre, un prêt cesse d’être un prêt et un dépôt cesse d’être un dépôt. L’approbation royale pour une société anonyme est-elle de cette nature ? Affecte-t-elle la nature même de la société au point qu’elle cesse d’être une société à défaut de cette approbation ? Je crois avoir démontré le contraire et on ne m’a rien répondu.
J’ai achevé de le prouver aujourd’hui en faisant observer qu’à l’égard des sociétés étrangères, le gouvernement reconnaissait qu’il n’avait pas le droit de s’y immiscer ni d’approuver ni de désapprouver. Eh bien, si cela est vrai pour les sociétés étrangères, c’est encore plus vrai pour les sociétés anonymes indigènes. C’est là ma conviction.
On vous a dit, messieurs, que l’approbation royale exigée par l’article 37 du code de commerce était une garantie pour la suffisance de capitaux, pour celle de capacité et de probité dans les personnes qui établissaient une société anonyme.
J’ai déjà répondu à cela que cette formalité ne signifiait rien pour tout homme prudent qui voulait traiter avec cette société. Car je demanderai, comme je l’ai fait hier, qui va juger de la suffisance des capitaux, de la capacité et de la moralité de personnes qui sont à la tête des sociétés anonymes ? C’est le gouvernement ou plutôt quelques agents subalternes. Comment pourra-t-on prouver l’existence de ces différentes conditions ? Qui jugera de la suffisance des capitaux d’une société anonyme ? Qu’est-ce qu’on entend par capitaux suffisants ? Je voudrais qu’on pût me dire ce que c’est qu’un capital suffisant pour une société anonyme quelconque.
S’il s’agissait d’un société spéciale qui fût chargée, par exemple, ou de fournir de l’eau à Bruxelles ou du gaz ; s’il s’agissait d’une société qui eût l’entreprise du voiturage, de l’enlèvement des boues, cela pourrait encore se faire. Mais pour une société anonyme, je défie le plus capable d’y parvenir. Quant à la capacité, à la probité, quels sont donc les hommes qui en jugeront ? Les hommes de la bureaucratie, qui n’entendent souvent rien au commerce.
Quant à la probité, ce sera la même chose. Ce sera même une question beaucoup plus délicate, et plus dangereuse dans son application, parce que sous le prétexte de moralité, on consultera les agents de la haute et basse police, et tel administrateur qui figure au budget pour une somme de 8,600 fr. et qui voit des républicains partout, sera appelé à constater cette moralité. Ce sont des républicains, dira-t-il, car on en voit partout, plus tard on dira : Ce sont des libéraux, car on donnera bientôt le même cachet de réprobation aux seconds qu’aux premiers. D’autres vous diront peut-être : Ah ! prenez bien garde, ils ne sont pas assez où ils ne sont pas catholiques. Et veuillez bien remarquer que dans certain ministère c’est déjà une investigation qu’on ne manque pas de faire.
Ainsi parce que tel ou tel sera dit républicain, libéral ou peu ou pas catholique, on lui refusera la suffisance des capitaux, la capacité nécessaire et la moralité voulue, toutes choses fort difficiles à déterminer sans l’arbitraire, par ce moyen, on empêchera de se fonder un établissement qui aurait pu être très utile au public, mais qui aura déplu parce que ceux qui demanderont l’approbation, déplairont à un ministre ou à un subalterne.
On vous a dit qu’il fallait maintenir l’article 37, que le gouvernement provisoire n’avait aboli que les mesures préventives qui pourraient gêner la liberté illimitée de s’associer, mais que l’article 37 ne comporte pas une mesure préventive. Je ne sais plus ce que c’est qu’une mesure préventive, si l’obligation d’autorisation préalable du gouvernement n’en est pas une ; et je suis moralement convaincu que le gouvernement provisoire, en voulant l’abolition de toutes les mesures préventives, a voulu aussi abolir l’article 37.
On vous a dit que sans l’autorisation préalable, la société anonyme devenait société ordinaire. Que les cours et les tribunaux ne manqueraient pas de les considérer comme telles et qu’ils condamneraient tous les agents solidairement et par corps pour leurs conventions.
Je répondrai au ministre de la justice par l’argument qu’il a dirige contre moi, je lui dirai que si un prêt est toujours un prêt, un dépôt toujours un dépôt, une société anonyme ne peut devenir, selon le caprice d’un magistrat, une société en commandite ou en nom collectif ; il est hors du pouvoir du juge de décider d’une manière aussi arbitraire.
Quand les sociétés anonymes ont pris cette qualité et qu’elles ont réuni toutes les conditions, moins l’approbation royale, vous n’avez pas le droit de les changer en sociétés ordinaires, et c’est ici que vous confondez ce qui devrait être toujours distinct.
On vous a dit : eh bien il n’y aura plus que des sociétés anonymes.
Qu’importe ? où en serait le mal ? Je vais répondre au ministre plus directement.
Les sociétés anonymes présentent moins de sécurité que les sociétés en commandite ou en nom collectif, que celles où il y a des personnes solidairement responsables et contre lesquelles on peut exercer la contrainte par corps, c’est le ministre qui le dit : personne ne conteste cela. Mais il faut tirer de là la conséquence qu’il y aura toujours des sociétés en nom collectif et en commandite, précisément parce que présentant plus de sécurité, on préférera de s’adresser à elles, et par suite ou trouvera aussi toujours des citoyens disposés à s’associer de cette manière dans l’espoir de faire des affaires plus nombreuses. Je ne crains donc pas pour les sociétés en nom collectif ; mais j’ai à craindre que les sociétés anonymes ne diminuent ; si le gouvernement s’y immisce, il arrêtera beaucoup d’entreprises de ce genre.
Enfin la société anonyme, sans une personne obligée, est un privilège, vous a dit le ministre de la justice. Or, le gouvernement provisoire a établi par une loi qui n’existait plus aucun privilège. Voyons donc si réellement il y a privilège.
S’il y a réellement privilège, il faut repousser toutes les sociétés anonymes avec ou sans approbation royale, puisque le gouvernement provisoire a, dites-vous, aboli tous les privilèges, en matière de société.
Mais y a-t-il privilège ? En quoi consiste un privilège ? C’est à donner à une ou plusieurs personnes le droit de faire telle ou telle chose à l’exclusion de telles ou telles personnes ; or, chacun a la faculté de s’associer comme il l’entend. Le privilège consisterait à contraindre des citoyens à traiter exclusivement avec des sociétés anonymes ; mais chacun a la faculté de traiter ou de ne pas traiter avec telle ou telle société, n’importe son nom ou sa nature.
Mais vous dites que c’est un privilège, parce qu’il n’y a pas d’obligé ; mais j’ai déjà démontré qu’il y a un obligé comme dans tous les contrats de mandats, c’est à ceux qui traitent à apprécier l’étendue des pouvoirs et les garanties des mandants et des mandataires.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Mon intention, messieurs, n’est pas de prolonger la discussion déjà trop longue. Il m’importe cependant de faire ressortir l’erreur de l’honorable M. Gendebien, quand il suppose que j’envisage autrement les sociétés étrangères que les sociétés anonymes constituées en Belgique ; ce que j’ai dit des unes, je le dis également des autres : lorsqu’elles s’établissent sans l’autorisation du Roi, le gouvernement ne peut s’immiscer dans leurs opérations ou les dissoudre parce qu’il n’y a pas de sanction dans l’intérêt public, comme je l’ai déjà fait observer. Mais c’est aux intéressés à voir si, en croyant n’obliger que les capitaux mis en société, ils n’engagent pas aussi, dans l’avenir, leur personne et tous leurs biens.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je demande la parole que pour la rectification d’un seul fait. L’honorable député de Mons a paru croire qu’on n’avait conçu l’idée du canal de Zelzaete que pour suppléer par là à l’exécution d’un des 24 articles du 15 novembre 1831.
Vous savez tous, messieurs, que l’écoulement des eaux des Flandres a été réglé entre l’empereur et les états-généraux par le traité de Fontainebleau, C’est à ce traité que se réfère l’article 8 du traite du 15 novembre 1831. Les députés des Flandres n’ignorent pas non plus qu’encore après cette convention on s’est constamment occupé des moyens de trouver un écoulement indépendant de la Hollande. L’honorable M. de Fiennes vous a fait remarquer que, même à l’époque où la Hollande et la Belgique se trouvaient sous la même domination et faisaient partie intégrante de l’empire français, on avait, par ordre de l’empereur, repris de nouveau le projet d’exécuter le canal de Zelzaete. Ce n’est qu’à la prolongation de la guerre et aux événements politiques de 1814 qu’on doit, peut-être, attribuer la non-exécution d’une entreprise aussi éminemment utile, aussi nécessaire aux Flandres.
Vous voyez donc que, de tout temps, sous le gouvernement autrichien comme sous le gouvernement français, on a considéré l’écoulement des eaux, que nous offre la Hollande, comme insuffisant et incomplet. En supposant même que le cabinet de La Haye fasse exécuter le traité du 15 novembre avec la plus grande loyauté, le creusement du canal de Zelzaete n'en sera pas moins un travail, pour les Flandres, de la plus hante importance.
M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, les journaux de Bruxelles ont reproduit un article du journal du Luxembourg, qui dit que, dans les dispositions qui ont été prises pour la garde civique dans cette partie de la province, on n’avait pas compris la partie cédée par le traité du 15 novembre. Je n’aurais pas ajouté foi à ce que dit le journal de la forteresse, si déjà pareille chose n’avait eu lieu l’an dernier. Je demande donc que le ministère actuel montre plus d’énergie que celui qui l’a précédé, et s’oppose à ce que la partie du Luxembourg dont je parle, ne soit plus l’objet de distinctions qui produisent toujours de fâcheux effets. J’espère que la réponse de M. le ministre sera celle que je le désire.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’ai pris des informations dans les bureaux pour savoir s’il avait été donné récemment des instructions qui établissaient une différence pour les opérations de la garde civique, dans les conseils cantonaux de la partie allemande du Luxembourg ; j’ai appris qu’il n’y en avait eu aucune ; il ne peut en effet exister la moindre différence entre cette partie de la province et la partie wallonne, puisque l’année dernière les opérations de la milice se sont faites dans la partie allemande comme ailleurs. J’ai écrit au gouverneur de la province, pour que cela eût lieu, également pour tout le Luxembourg.
M. d'Hoffschmidt. - Je me déclare satisfait, puisqu’il résulte de la réponse de M. le ministre de l’intérieur qu’il n’a donné aucune instruction dans le sens que j’avais indiqué. Mais je ferai observer que M. le ministre se trompe en disant qu’il n’en a pas été donné précédemment. En 1831, si je me le rappelle bien, le gouvernement a repris toutes les armes qui se trouvaient dans la partie allemande pour le service de la garde civique. Ce désarmement a produit le plus pénible effet. Cela a même plus que décourager cette partie de la province, car il était naturel qu’elle crût, en se voyant dépouillée de ses armes, qu’on voulait la livrer à la vengeance de ses ennemis.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Quant au désarmement dont parle l’honorable préopinant, il a été opéré dans le rayon stratégique ; et quant à la partie allemande, ou n’a en d’autre motif que de concentrer davantage les armes de la garde civique.
M. d'Hoffschmidt. - Il a eu lieu dans toute la partie allemande.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Pour rassurer l’honorable préopinant qui a adressé à M. le ministre de l’intérieur une question relative à la garde civique dans le Luxembourg, je dirai que le gouvernement ne fait pas de différence entre la partie allemande et la partie wallonne du Luxembourg, et que, sauf le rayon stratégique de la forteresse, il continue à les considérer l’une et l’autre comme étant absolument dans la même position.
M. Rogier. - Ce que fait le gouvernement actuel, le gouvernement précédent l’a fait également ; c’est donc à tort que l’honorable M. d’Hoffschmidt a accusé ce dernier de n’avoir pas montré suffisamment d’énergie. Le gouvernement n’a retiré ses instructions relatives à la milice que dans le rayon stratégique.
M. d'Hoffschmidt. - L’honorable M. Rogier prétend que j’ai eu tort de dire que les mesures prises par le précédent ministère dans le Luxembourg étaient peu énergiques. Cependant, messieurs, il doit se rappeler les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte relativement à la levée de la milice et aux coupes de bois dans la partie allemande de cette province, mesures qui ont été loin d’être approuvées.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 180,220. »
M. de Brouckere. - J’ai déclaré dans la séance précédente que je m’opposerais à toute augmentation de fonds à allouer à l’administration de la sûreté publique. Vous avez sous les yeux un tableau dans lequel on expose comme quoi cette administration doit coûter 8,350 fr. de plus.
Ces 8,350 fr. sont destinés à créer un chef de division aux appointements de 3,000 fr., un deuxième commis à 1,300 fr. et un expéditionnaire à 900 fr. Le reste de cette somme, à augmenter les traitements des fonctionnaires actuels de cette administration. J’ai expliqué les motifs pour lesquels je voterai contre toute allocation d’augmentation.
Messieurs, je prends la parole pour faire une question que, plus que l’année dernière, je suis en position de faire : pourquoi le ministre de l’intérieur n’a-t-il pas demandé une indemnité pour son logement ? Il se trouve dans la même position que ses collègues. On ne peut pas regarder comme un logement la chambre humide et malsaine dont se contente M. le ministre de l’intérieur et dont ne se contenterait par un étudiant. C’est un acte de justice ; je demande donc qu’étant mis sur la même ligne que ses collègues, il lui soit alloué une indemnité de logement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je remercie l’honorable préopinant de sa bienveillante intention. Je conviens effectivement que ce logement est absolument insuffisant. Je ne l’ai occupé que dans le dessein d’être plus à même d’activer les travaux de l’administration. Cependant, je ne demanderai pas d’indemnité de logement pour cela, puisque je n’éprouve pas de perte, je pense que les bureaux du ministère de l’intérieur ne resteront plus longtemps dans le même local, évidemment trop petit pour les contenir.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - M. de Brouckere s’est élevé contre l’administration de la sûreté publique. Je lui accorde que cette augmentation ne répond pas à ce qu’on doit en attendre. Je pense qu’elle doit être améliorée. C’est ce motif qui a déterminé la section centrale à admettre la majoration proposée à ce titre.
Nous avons pensé qu’il fallait examiner deux choses : si la police est nécessaire, ou si elle est inutile. Si elle est inutile, il faut la supprimer, et ne pas jeter inutilement environ 15,000 fr. Si elle est nécessaire, il faut l’organiser d’une manière convenable et de telle sorte qu’elle puisse rendre des services réels.
Il nous a semblé, et j’appelle sur ce point l’attention de M. le ministre de l’intérieur, qu’il y avait de grandes réformes à faire dans cette administration. Mais la section centrale n’a pas à s’occuper des qualités des employés. J’ignore quels sont les talents de M. l’administrateur de la sûreté publique, je ne le connais pas, je n’ai jamais eu de rapports avec lui ; s’il ne convient pas à son poste, c’est au ministre à le remplacer par un fonctionnaire plus convenable : ses émoluments sont calculés dans cette hypothèse qu’il remplit ses fonctions d’une manière satisfaisante. Il en est de même pour tous les agents de l’administration.
L’administrateur de la sûreté publique se plaint de ce que ses employés sont trop peu nombreux ; effectivement, il n’a personne en état de rédiger ; il est donc obligé de perdre son temps à écrire la minute de toutes les circulaires, de toutes les lettres qu’il a à faire. Il demande un chef de division, ou plutôt un chef de bureau (car l’administrateur remplit seul les fonctions de chef de division), un chef de bureau, dis-je, qui soit capable de rédiger une lettre, qui puisse en même temps surveiller le travail des bureaux, et enfin laisser à l’administrateur le temps nécessaire pour ses fonctions.
Il m’a été impossible, aussi bien qu’à la section centrale, de vérifier si le nombre des commis demandé est nécessaire : nous avons dû nous en rapporter à la note qu’on nous a présentée. Quant aux traitements, ils ne nous ont pas paru trop élevés ; ils n’excédent pas ceux des autres ministères. On demande pour un chef de division 3,000 fr. ; les appointements de trois premiers commis sont fixés à 2,000, 1,800 et 1,600 francs ; ceux des seconds commis à 1,300 francs ; le traitement de l’expéditionnaire est de 900 francs, et enfin le salaire de trois messagers s’élève à 2,000 francs.
Quant à la réduction proposée par M. de Brouckere, je crois que, plutôt que de l’admettre, il vaudrait mieux supprimer toute l’administration de la sûreté publique.
M. de Robaulx. - Sans doute, dans l’article en discussion il ne s’agit pas de mouchards ; nous en avons de temps en temps à nos trousses ; mais je ne suis pas d’avis que ce soit nous qui les payons. (On rit.)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Non, non.
M. le président. - La réduction proposée par M. de Brouckere sur l’article en discussion est de 8,350.
M. de Brouckere. - Pardon, M. le président, elle n’est que de 7,950 fr.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Je crois qu’il y a erreur dans le chiffre de la réduction proposée par M. de Brouckere. Car il y a 2,000 fr. destinés au salaire de 3 messagers, dont les fonctions sont remplies par des plantons fournis par la garde de sûreté qui va être supprimée. Dans le système même de M. de Brouckere, on ne peut s’empêcher d’allouer ces 2,000 fr.
M. de Brouckere. - Je ne diminue point du tout la réduction que j’ai proposée. Je demande que l’on n’augmente en rien la somme allouée antérieurement pour l’administration de la sûreté publique. M. le président croyait que je proposais une réduction de 8,350 fr. ; mais je ferai observer que déjà la section centrale a admis une réduction de 400 fr. sur le traitement de l’administrateur de la sûreté publique, elle a pensé que les 1,000 fr. qui lui étaient précédemment alloués suffiraient encore maintenant. L’augmentation réclamée par la section centrale, et à laquelle M. le ministre s’est rallié, s’élève donc seulement à 7,950 fr. par suite de la réduction de 400 fr. Eh bien, je déclare que je voterai contre cette augmentation.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je pense avec l’honorable M. Dellafaille, que dans tous les cas on ne pourrait proposer de réduction de plus de 5,950 fr., puisque, comme il l’a fait remarquer, 2,000 fr. sont destinés au salaire des messagers dont les fonctions sont maintenant remplies par des plantons que fournit la garde de sûreté qui va cesser son service. Ainsi de ce chef il n’y a pas de majoration réelle.
Vous voyez par le tableau qui vous a été distribué que les appointements ne sont pas trop élevés. Je demande pour un chef de division 3,000 fr. ; pour des premiers commis, de 1,600 à 3,000 fr., et pour les seconds commis 1,300 fr. Il est impossible de donner des traitements inférieurs à ceux-là.
M. Desmanet de Biesme. - Je voudrais savoir de M. le ministre de l’intérieur si l’article en discussion comprend seulement une police préventive, une espèce de police préventive, ou si cette police est chargée de réprimer les délits, d’arrêter les malfaiteurs. Car, si je ne suis pas de l’avis de ceux qui pensent que les crimes augmentent, je pense au moins que les délits augmentent. Et quand on va se plaindre à l’administration de la sûreté publique, on vous dit là que cela regarde la ville ; à la ville on vous dit que cela regarde une autre administration.
Je voudrais savoir quelle est l’action de la police pour la répression des délits à Bruxelles. Car je ne refuserais pas une augmentation dont le résultat serait de donner à cette ville une bonne police.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La police dont il s’agit ici n’a pas pour objet l’arrestation des malfaiteurs ; elle n’a pas même qualité pour opérer cette arrestation ; mais elle peut y contribuer en recueillant, comme c’est son devoir de le faire, des renseignements sur les délits projetés, sur les délits effectivement commis, ou sur le séjour des malfaiteurs.
Cette police est aussi chargée, comme l’on sait, de tout ce qui tient aux passeports.
M. de Robaulx. - Et sans doute aussi de la surveillance de la république.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Oui, si elle conspire.
M. Gendebien. - Mon intention n’est pas d’entrer dans de grands développements. Je veux seulement protester contre toute allocation à cette police haute ou basse, comme on voudra l’appeler.
Veuillez-vous rappeler, messieurs, ce qui s’est passé au sein du congrès lors de la discussion du premier budget, en janvier 1831. Il fut entendu que la police n’était conservée que provisoirement, et qu’elle cesserait d’exister au 1er avril ou au 1er mai 1831 ; ce n’était qu’en raison des circonstances graves où l’on se trouvait, que l’on maintenait la police pour trois ou quatre mois, et tout au plus pour six mois.
Eh bien voyez, messieurs, combien depuis lors il y a eu de progrès de fait, puisque nous sommes arrivés en 1835, en traînant cette police à notre suite, sans que jusqu’ici elle ait révélé son utilité par un acte quelconque. Bien au contraire, après qu’elle a révélé toute son impuissance, et peut-être quelque chose de plus, notamment dans les affaires d’avril 1834.
C’est à la suite de cette démonstration d’impuissance ou même de mauvaise volonté, ce qui serait encore pis, qu’on vous propose de majorer le traitement de l’administrateur, de nommer un chef de division aux appointements de 3,000 fr., un deuxième commis à 1,300 fr., un expéditionnaire à 900, trois messagers dont le salaire s’élève ensemble à 2,000 fr. ; en outre de cela, plusieurs autres majorations montant ensemble à 750 fr. ; en tout une augmentation de 8,350 fr. sur le chiffre de l’année dernière.
C’est au moment où nous sommes convaincus que la police est plutôt dangereuse qu’utile, qu’on vient aujourd’hui nous proposer de la compléter. Le congrès avait manifesté la volonté que la police fût supprimée ; et bien certainement le congrès représentait le pays ; jamais il n’y a eu d’autre représentation plus vérité que le congrès. Je demande s’il est bien opportun, alors que le gouvernement est organisé, alors que nous avons une armée considérable, que les parquets sont organisés au grand complet, et que plus de 4 ans nous séparent de la révolution, c’est-à-dire que nous sommes rentrés dans les temps ordinaires, dans les temps de calme, si, dis-je, alors il est bien rationnel d’augmenter les frais et le personnel de la police.
Vous ferez ce que vous voudrez, quant à moi, je proteste hautement et publiquement contre toute allocation à ce titre. Votre police, je le répète, est plutôt dangereuse qu’utile ; il est certain qu’elle ne sert qu’à espionner les plus honnêtes gens de la Belgique, les libéraux, les républicains ou plutôt ceux que vous prétendez tels.
Il est tel membre de la chambre qui ne peut sortir sans être suivi, et quelquefois précédé et suivi par un homme de police. Tel autre membre de la chambre a pendant des soirées entières un homme de police collé à sa fenêtre, lequel homme de police sait tout ce qui se passe dans la maison car l’on entend dans la rue comme si l’on était dans la maison même. Et qui fait-on espionner ainsi ? Des hommes qui ont figuré dans la révolution, qui ont donné des gages à la révolution, qui ont appartenu à toutes les législatures. Voilà à quoi est consacré ce que vous votez pour la police.
S’agit-il de poursuivre et d’arrêter des fripons, des spadassins ? il n’y a plus de police alors ; soyez sûrs qu’elle n’interviendra pas.
Relativement aux événements d’avril (voilà une circonstance bien grave) quels rapports avez-vous eus de la police ? Vous avez entendu hier un de nos honorables collègues qui est dans une position à pouvoir nous dire comment les choses se sont passées ; il nous a dit que la police n’avait donné aucun rapport, aucun renseignement sur ces affaires.
Quant à moi, je n’en dirai pas davantage ; la seule chose que je puisse, que je veuille faire, c’est de protester. Je proteste et je demande d’avance que mon vote négatif sur toute allocation pour la police soit mentionné au procès-verbal.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Il est facile de critiquer une administration dont le rôle est, non pas de montrer ce qu’elle fait, mais de faire en sorte, au contraire, que l’on ne voie pas ce qu’elle fait.
Je conviens qu’il est malheureux d’être obligé d’avoir une police ; mais je pense qu’il est impossible de s’en passer, vu notre situation à l’intérieur et à l’extérieur.
L’honorable M. Gendebien pense qu’il faut supprimer la police, parce qu’elle a été impuissante lors des événements d’avril. Je pense avec lui qu’elle ne s’est pas montrée, dans cette circonstance, d’une manière assez efficace. Mais il me permettra de ne pas tirer de là la même conclusion que lui.
Je pense qu’il faut réorganiser la police, de manière à la mettre à même de rendre des services ; il faut, à mon avis, remonter entièrement l’administration.
Quant aux abus que l’on a signalés, nous ne nous en somme pas occupés ; nous votons la somme nécessaire dans l’hypothèse que les employés de l’administration remplissent convenablement leurs fonctions.
Au reste, je ne puis que le répéter : ou il faut supprimer toute police ; ou il faut lui donner les fonds nécessaires pour qu’elle puisse marcher.
M. de Robaulx. - Moi non plus, messieurs, je ne voterai pas de fonds pour votre police.
Vous comprenez que ni l’honorable M. Gendebien, ni moi n’avons le désir de voir supprimer toute espèce de police ; on ne peut pas nous supposer une telle intention. Mais je demande quelle espèce de police est nécessaire : est-ce par hasard la police française que nous avons en Belgique pour espionner la police belge ? Car personne n’ignore que nous avons dans le pays cette contre-police. Or, elle n’est pas faite pour flatter beaucoup notre susceptibilité nationale ; je crois que M. François même n’en est pas très flatté.
Est-ce une haute police politique qui est nécessaire ? et je crois que c’est bien là ce dont il s’agit dans l’article en discussion. Messieurs, au moment critique de notre révolution, alors que l’on pouvait redouter des sédition intérieures, qui pourraient être fomentées par la dynastie qui venait de tomber, dans ce moment, le congrès conserva provisoirement la police, il la considéra comme un besoin du moment ; il pensa qu’il pouvait être dangereux de retirer cette arme au gouvernement dans les circonstances extraordinaires où on se trouvait. Mais maintenant, dans l’état de calme où nous sommes, avons-nous besoin d’une haute police ? C’est une police préventive, dit l’honorable M. Dellafaille ; mais remarquez qu’elle ne prévoit rien. Les affaires d’avril en sont la preuve.
Je conçois qu’une police soit utile dans l’intérêt d’une coterie, d’une camarilla, et pour soutenir et appuyer des hommes qui aiment à se blanchir aux dépens des autres. Voilà la seule utilité que je trouve à votre police. Elle est bonne à faire des rapports sur les hommes qui déplaisent au pouvoir. Ainsi (et je regrette de venir parler de moi) l’on s’est permis de m’insulter publiquement, je n’avais pas l’intention d’en parler à la chambre, je voulais considérer cette insulte publique comme un acte individuel. J’en avais parlé au ministre, et il a désavoué le fait ; je ne crois pas en effet que les ministres fassent insulter un homme qu’ils doivent estimer et honorer quand ils croient que cet homme obéit à sa conviction.
Il est toujours constant que les hommes les plus inoffensifs sont l’objet de l’attention de ces gens qu’on appelle des mouchards. Ainsi, mon honorable ami M. Seron, qui est bien inoffensif et qui assurément ne conspire pas, a été suivi dernièrement jusqu’à son domicile par un mouchard qui ne la perdu de vue que quand il a eu mis le cornet sur sa chandelle. (On rit.)
Je n’en dirai pas davantage ; car pour ce qui m’est personnel, je n’ai pas à en occuper la chambre.
M. de Brouckere. - Vous avez entendu M. le ministre de l'intérieur répondre à l’interpellation de notre honorable collègue M. Desmanet de Biesme que l’objet de la police dont il est question ici n’est pas la recherche des crimes et délits ; ce qui devrait être. Dès lors vous ne devez pas être tentés d’augmenter l’allocation du précédent budget.
L’objet dont s’occupe cette police est la surveillance des étrangers, de ceux notamment qui sont soupçonnés d’avoir des opinions politiques qui ne conviennent pas au gouvernement ; c’est donc seulement de l’espionnage. M. le ministre convient que cette police n’a pas d’agents qui ne soient des espions. Cette surveillance n’est nullement faite dans l’intérêt de la société, mais dans l’intérêt de telle ou telle coterie. Voilà la police pour laquelle on demande des fonds au budget.
L’honorable rapporteur, M. Dellafaille, avoue que la police ne s’est pas assez bien montrée dans les affaires d’avril ; c’est pour cela, a-t-il dit, que l’on vous demande une augmentation d’allocation pour la police. Joli précédent que vous allez établir. Quand une administration se conduira mal, l’année suivante elle réclamera une augmentation de traitement pour tous ses employés, afin de les récompenser de ce qu’ils n’ont pas rempli leur devoir.
Vous remarquerez, messieurs, dans le tableau qui vous a été distribué que l’augmentation de 8,350 fr. demandée d’abord, réduite ensuite à 1,950 fr., n’est pas destinée uniquement à la création de nouveaux emplois, mais aussi à augmenter le traitement de tous les employés actuels. Eh bien messieurs, je demande si vous pouvez admettre une augmentation fondée sur ce que ces employés n’ont pas jusqu’à présent rempli leur devoir. Pour moi je ne pense pas ainsi ; c’est pourquoi je voterai contre l’augmentation proposée.
M. Nothomb. - Je voterai pour le maintien d’une police politique, car je reconnais que c’est d’une police politique qu’il s’agit ici, et je considère cette police comme indispensable surtout quand un pays est situé comme l’est la Belgique, et qu’il se trouve dans des circonstances que l’on ne peut appeler ordinaires.
L’honorable M. Gendebien a rappelé ce qui s’est passé sous le gouvernement provisoire.
M. Gendebien. - Sous le congrès.
M. Nothomb. - La séance du congrès à laquelle vous avez fait allusion est du 15 janvier 1831 ; le gouvernement provisoire existait encore alors.
C’est dans la séance du soir du 15 janvier 1831 que fut discutée la question de savoir s’il y avait lieu de maintenir une police politique ; et, si je ne me trompe, le congrès, à la presqu’unanimité, a reconnu une police politique comme nécessaire, surtout dans les circonstances extraordinaires. L’honorable M. de Robaulx a rappelé tout à l’heure que dans cette discussion, comme dans beaucoup d’autres, il avait été de l’avis de la minorité, j’en conviens bien volontiers, mais il reconnaîtra avec moi que le maintien d’une police politique fut décidé à une grande majorité.
M. de Robaulx. - Oui je l’ai dit tout à l’heure.
M. Nothomb. - Je dirai donc à l’honorable M. Gendebien, que m’emparant du vote du congrès, assemblée que je considère comme une véritable représentation nationale, aussi bien que toutes les législatures qui l’ont suivie, que m’emparant, dis-je, de ce vote, qui consacre ce principe qu’une police politique est nécessaire, surtout lorsqu’un pays n’est pas dans des circonstances ordinaires, j’en conclus qu’il faut adopter la proposition qui vous est faite, et qui est conforme à tous nos précédents législatifs.
J’avoue cependant qu’en Belgique la police politique a été quelquefois inefficace ; et cela ne provient pas des fonctionnaires qui y sont attachés, mais de ce que les attributions de la police politique ne sont pas encore déterminées.
Notre honorable collègue qui occupe en ce moment le fauteuil, présenta comme ministre de la justice, un projet qui tendait à déterminer les attributions du chef de la police, à organiser une véritable police politique Vous savez quel fut le sort de ce projet ; il fut retiré par le ministre de la justice à la suite d’un vote qui avait détruit toute l’harmonie du projet présenté.
M. de Brouckere. - Dites la loi des suspects.
M. Nothomb. - Vous l’appellerez comme vous voudrez. Le nom ne fait rien à l’affaire. Quant à moi, je déplore que l’on n’ait pas adopté le projet présenté ; cette loi des suspects rendant la police politique efficace, peut-être elle eût préservé le pays des malheurs qui sont survenus depuis.
M. de Robaulx. - C’est du jacobinisme.
M. Nothomb. - Les mots ne m’effraient pas.
M. de Robaulx. - Mais il n’y a que les jacobins qui aient jamais voulu la loi des suspects.
M. Nothomb. - Je suis familiarisé avec toutes les expressions ; et vous ne m’arrêterez point. Cette loi renfermait des articles qui déterminaient les attributions du chef de la police tandis qu’aujourd’hui l’on peut soutenir que légalement ce fonctionnaire est sans aucune attribution, sans action sur les autorités qui sont à ses côtés.
Après les événements funestes que l’on a souvent rappelés ici, après les journées d’avril, M. Lebeau, alors ministre de la justice, présenta à son tour un projet de loi qui tendait à organiser la police, à donner certaines attributions à l’administration générale de la police. Ce projet de loi fut discuté en sections, l’honorable M. d’Huart, qui était alors seulement député, fit le rapport ; et jusqu’ici cette loi n’a pas été mise à l’ordre du jour.
Sans vouloir entrer dans plus de détails, tout en appuyant le maintien d’une police politique, j’avoue qu’il serait à désirer qu’elle agît d’une manière plus efficace. Mais pour être juste, il faut reconnaître que cette efficacité doit être attribuée non aux agents de cette administration, mais bien à une lacune dans la législation, à l’absence d’une loi qui organise la police politique de manière à ce que ses attributions soient reconnues par toutes les autorités constituées.
M. Eloy de Burdinne. - Je voudrais exposer les motifs qui ont dirigé la section centrale dans la discussion du chiffre relatif à la police. Elle avait d’abord été d’avis de repousser l’allocation ; ainsi que M. de Brouckere elle ne voyait pas de résultats obtenus par son action ; mais on en a attribué la cause au défaut du personnel. Nous ne nous sommes pas dissimulé qu’une bonne police ne pourrait être trop payée quand elle maintient la tranquillité publique, et c’est dans l’espoir que la police serait désormais plus utile que la section centrale a admis le chiffre. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne puis passer sous silence certaines allégations que vous avez entendues. On a assuré que la police s’occupait particulièrement de surveiller des hommes honorables : je me suis assuré que l’administration de la sûreté publique n’exerçait aucune surveillance sur les membres des chambres, ni sur d’autres hommes honorables ; pourquoi s’en occuperait-elle ? Qu’aurait-elle à y gagner ? Ces hommes professent tout haut leurs opinions, leurs principes.
Il faut admettre l’augmentation qui vous est demandée, car l’administrateur général manque du personnel nécessaire ; étant absorbé par des occupations de détails, il ne peut se livrer au vrai rôle qu’il doit jouer.
Les devoirs de sa charge sont compris dans un arrêté du 3 janvier 1832. Toutes les écritures de cette administration doivent se faire dans ses bureaux et non dans les bureaux d’expédition du ministère ; il faut que l’administrateur puisse s’entourer d’hommes capables et dans lesquels il puisse avoir confiance ; il faut donc pour cela que ces hommes ne soient pas dans une position trop malheureuse.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Je n’ai pas prétendu qu’il fallait augmenter les traitements des agents de la sûreté publique parce que la police se faisait d’une manière inefficace ; j’ai dit qu’il fallait ou supprimer l’administration de la sûreté générale ou accorder une augmentation, afin de la mettre en position de remplir ses devoirs.
M. Gendebien. - Je dirai peu de chose. Je dois une réponse à M. Nothomb qui a soutenu qu’une police politique était indispensable et que le congrès l’avait adoptée unanimement. Je rappellerai ce qui s’est passé au congrès.
Il y a eu majorité pour l’existence de la police politique ; mais le vote était temporaire ; la police devait n’être maintenue que jusqu’au mois d’avril, et la discussion prouve que le congrès n’en voulait point d’abord, et qu’il n’a consenti à la conserver qu’en raison des circonstances graves et pour un temps très court.
Si elle a été maintenue au-delà de cette époque, c’est à cause des événements de mars. Alors M. Rogier s’était chargé de la police ; et il l’a dirigée jusqu’à la nomination du sieur François. On peut recourir à la discussion du congrès et on verra que j’ai raison (oui ! oui !) : il y a ici des membres du congrès qui affirment le fait.
On vous a dit qu’il fallait organiser la police sur les bases plus solides, qu’il fallait donner à l’administrateur des attributions plus larges, mieux définies, qui puissent le mettre en rapport avec les autorités civiles et judiciaires afin de rendre ses attributions plus efficaces.
On vous a présenté, dit-on, un projet de loi tendant à organiser la police d’une manière plus forte. Savez-vous quel était le changement que l’on voulait faire par ce projet ? On voulait faite de l’administrateur général un juge d’instruction pour tout le pays, et lui donner la haute main sur tous les juges d’instruction. Je ne sais si vous serez plus disposés à admettre une pareille disposition ; pour moi, je la repousserai comme la chambre l’a repoussée à la fin de 1831.
Messieurs, on vous a dit qu’il était facile de critiquer une administration qui n’avait que des fonctions préventives sur lesquelles il lui était difficile de faire des rapports. Je vous répondrai qu’elle n’a rien prévu ni prévenu. Quand tout Bruxelles savait que des mouvements se préparaient, elle n’a rien prévenu en avril.
Avant les événements, cette police était absolument inactive ; après l’événement ce fut tout autre chose : quatre ou cinq hommes de cette police veillaient à ma porte pour arrêter l’honorable M. Cabet, un des hommes les plus distingués de France, le citoyen le plus dévoué à son pays et à la révolution de juillet.
M. de Robaulx. - on voulait le sacrifier aux vengeances de Louis-Philippe !
M. Gendebien. - Oui, comme le dit M. de Robaulx, on l’a sacrifié lâchement à la haine de Louis-Philippe et des doctrinaires qui déshonorent la France. Qu’avait fait M. Cabet pour mériter qu’on le poursuivît hors de France ? Il avait mis en opposition les antécédents, les actes et les discours de Louis-Philippe et de ses ministres pour montrer quelle avait toujours été leur arrière-pensée, leur but. Il a écrit sur ce point un ouvrage fort intéressant, intitulé Révolution de 1830. Je vous engage à le lire pour votre instruction et votre édification.
Il a prouvé que le pouvoir et ses séides ne voulaient autre chose que tuer la révolution. s’en approprier les dépouillés tout en reniant le principe de leur existence ; et. voilà pourquoi il a été poursuivi jusqu’en Belgique. On a mis quatre ou cinq hommes de police à ma porte pour l’empêcher de se soustraire à l’infâme arrêté d’expulsion ; mais cela ne l’a pas empêché de s’échapper ; seulement ils nous ont forcés de manœuvrer toute une nuit. Sorti de chez moi, il est resté encore 15 jours à Bruxelles. Il était forcé à ce séjour pour ses affaires. La police a montré le même zèle pour violer mon domicile ; mais pour réprimer des pillages, pour assurer la tranquillité, le repos des familles, c’est tout autre chose.
La police n’a pas rendu d’autres services ; son office, c’est de surveiller les Cabet ou les Gendebien ; c’est de les surveiller et de les molester par les ordres d’un Lebeau ou de son digne successeur ; et il faut récompenser le sieur François pour l’exécution de cette surveillance, ou pour n’avoir pas réussi à arrêter M. Cabet sans doute ? (On rit.)
Quant à l’assurance donnée par le ministre de la police, ou par le ministre de l’intérieur, que les membres de cette chambre n’ont pas été surveillés, veuillez donner à son assurance autant de foi qu’on en accorde ordinairement aux ministres de la police ; car je déclare, moi, être honoré d’une surveillance toute particulière.
Cependant à quoi sert cette investigation ? Quand je trouve à propos de parler ou d’agir, je fais tout en plein jour, à la face du soleil. Que vos investigations continuent autant qu’il vous plaira, mais ne me fatiguez pas ; ne me mettez pas dans la nécessité d’une juste défense. Toutefois, ce ne sera pas au malheureux chargé d’un vil emploi que je m’adresserai, ce sera au chef supérieur de cette odieuse administration que je m’en prendrai. Si tous les citoyens en faisaient autant, moins de lâchetés seraient commises par cette police.
Il est scandaleux d’augmenter les frais d’une telle police dans de pareilles circonstances : on vous demande maintenant 80,000 fr. pour les dépenses d’espionnage ; l’année dernière, on ne demandait que 50,000 fr. Qu’a fait le sieur François pour prévenir les désastres d’avril ? M. Lebeau, en 1834, interpellé sur les faits de cette époque, a répondu que le sieur François s’en expliquerait ; eh bien, quelles ont été ses explications devant l’autorité judiciaire ? Il n’a dit que des niaiseries. Il a compromis a deux ou trois reprises l’autorité judiciaire : c’est un honorable membre de cet ordre et de cette chambre qui vous l’a dit et démontré sans que personne y ait répliqué.
Que l’on nous démontre la nécessité de la police, et qu’on nous prouve en même temps que les hommes qui en sont les chefs sont capables de rendre de véritables services au pays, et nous voterons des fonds. Ce n’est pas la première fois qu’on a révoqué en doute la capacité du sieur François. Un ministre est venu vous déclarer, il y a trois ans, que si l’on voulait écouter le sieur François, on ne dormirait pas tranquille : cet homme a toujours peur, nous disait-il ; il ne voit que des conspirations, des dangers partout ; c’est, en un mot, un poltron.
Voila comment on nous a dépeint celui que vous voulez gratifier d’une augmentation de traitement, d’attributions. Je ne fais que rapporter les paroles d’un ministre à la franchise duquel chacun a rendu justice.
Votez si vous voulez des fonds pour la police ; pour moi je proteste dès à présent et je demanderai que mon vote négatif soit inséré au procès-verbal.
M. Nothomb. - Si le 15 janvier le congrès a seulement accordé des fonds pour la police jusqu’au 1er avril suivant, c’est qu’il se faisait illusion ; il s’imaginait qu’au 1er avril 1831, on serait dans des circonstances ordinaires ; mais après le 1er avril 1831, le congrès a de nouveau voté des fonds pour le même objet.
Dans la séance du 15 janvier 1831, on a nettement posé la question ; et voici comment un orateur a établi la nécessité d’une police politique.
« Messieurs, disait-il, dans des temps ordinaires, il est évident que le ministère de la sûreté publique est inutile, dangereux même ; mais dans les graves circonstances où nous nous trouvons, je le crois indispensable ; quant à la réunion au ministère de la justice, je la crois impossible. S'il faut parler franchement, il est en révolution des cas où le salut du peuple peut exiger que le ministère de la sûreté publique soit hors de la loi, et si des attributions devaient être réunies à celles du ministère que je préside, je croirais devoir me retirer ; non que je me sente incapable du dévouement nécessaire pour diriger la sûreté publique, mais je crois que l'alliage de la justice et de ce ministère est incompatible.
« La justice, messieurs, est essentiellement répressive, et le ministère de la sûreté publique doit quelquefois être préventif ; si vous confiiez aux magistrats des attributions préventives, vous auriez plus tard à lutter contre la force de l'habitude qui les pousserait à sortir des voies légales dont ils ne doivent jamais s'écarter. »
C’est ainsi que s’exprimait M. Gendebien, alors président du comité de la justice.
Je reconnais avec lui la nécessité d’une police politique, cependant je ne veux pas d’une police politique autorisée à se mettre au-dessus de la loi, ou à agir en dehors de la loi, je demande une police organisée par la loi ; une police qui ne puisse pas dire aux pouvoirs régulièrement constitués : mon action est en dehors des lois.
Il ne s’agit pas d’un vote fugitif ; le chef du comité de la justice avait exprimé franchement son opinion et c’est en pleine connaissance de cause que le congrès a prononcé. Toutefois, je ne veux pas accéder à la seconde partie de ce discours, je ne veux pas d’une police extra-légale. Je le répète, si on n’a voté le premier crédit que pour trois mois, c’est que l’on s’imaginait que bientôt on serait dans les circonstances ordinaires ; on s’est bien vite aperçu de l’erreur, et le vote a été renouvelé. Nous sommes tous d’accord en principe : dans les circonstances extraordinaires il faut une police politique. Ce principe posé il ne reste plus qu’à résoudre cette question : en fait, sommes-nous dans des circonstances ordinaires ? Il y a un an, on aurait été tenté de répondre oui, et trois mois après, nous avons eu à déplorer les événements d’avril.
M. de Robaulx. - M. Nothomb, qui se livre à des recherches si profondes, qui fait l’archiviste, qui fait le petit Gachard (on rit,) pour arriver à la découverte des discours de nos honorables amis, n’a pas pris garde qu’il y a contradiction entre une partie de son discours et l’autre. Je ne me servirai pas du Moniteur pour montrer cette contradiction, mais de ses propres paroles que j’ai recueillies à la volée.
La police politique est nécessaire dans les circonstances extraordinaires ; donc la police est provisoire. Comment arranger cette conséquence avec la demande d’une police organisée par une loi générale et permanente, avec une loi qui fasse de l’administrateur-général un magistrat de police ?
M. Nothomb. - La loi organisera la police politique pour la durée des circonstances extraordinaires.
M. de Robaulx. - Arrangez-vous avec vous-même ; une organisation légale et une durée pour les circonstances extraordinaires seulement ne s’accordent pas.
M. de Theux nous assure qu’on n’espionne pas les députés. Je dois le croire ; car autrement il mentirait, et mentir est un vilain péché. (On rit.) Cependant je dois déclarer que quand un mouchard me suivra comme mon ombre, je me chargerai de la police à son égard ; je lui administrerai la bastonnade au besoin ; et s’il persistait à m’espionner, je prendrais même des mesures plus violentes : je lui brûlerais la cervelle s’il était nécessaire ou si l’on ôtait toute liberté à mes démarches. Qu’ils y viennent encore me moucharder !
M. Gendebien. - Il n’y a rien dans le discours que l’on vient de citer dont je ne puisse me glorifier. C’était au 19 janvier 1831, veuillez-le remarquer : nous étions en butte aux démarches des intrigants, aux intrigues de la diplomatie, aux intrigues du prince d’Orange, aux intrigues de l’envoyé anglais ; on suivait les pas de ce dernier, et on n’ignorait rien de ce qu’il tramait. Je demandai à plusieurs reprises qu’on lui délivrât des passeports, et je proposai qu’on lui fît dire qu’il serait chassé de la Belgique s’il ne partait pas dans les 24 heures, C’est pour conjurer toutes ces manœuvres que je n’ai pas hésité à me mettre au-dessus de toutes les lois.
En révolution la première loi c’est le salut du pays, le salut de la révolution. Au 19 janvier 1831, nous n’avions pas de constitution, nous n’avions ni administration ni armée, nous nous organisions. Je voudrais bien savoir ce que les hommes qui sont au pouvoir aujourd’hui ou qui y étaient hier, feraient s’ils se trouvaient dans les mêmes circonstances. Qu’une autre révolution arrive, et si j’ai encore le malheur de m’y trouver engagé, je ne reconnaîtrai encore comme au 19 janvier 1831 d’autre volonté que celle du peuple, et je n’aurai d’autre loi que le soin de maintenir ce qu’il aura fait et d’écarter un peu plus sévèrement les intrigants qui ont déshonoré et perdu la révolution de 1830.
En janvier 1831, quand nous étions entourés de conspirations et d’intrigues il fallait une police politique. Mais dans les temps ordinaires, à quoi bon l’administration de la sûreté publique ? Elle est inutile au pays, et par conséquent onéreuse et dangereuse pour les citoyens. C’est ce que j’ai dit textuellement au 19 janvier 1831 et que je dis encore aujourd’hui.
Cette police dans les temps actuels ne sert qu’à espionner, à tourmenter et à aigrir les hommes qui déplaisent aux dépositaires du pouvoir. Sommes-nous aujourd’hui dans la position où nous étions le 19 janvier ? Non, messieurs. Si le ministère ne nous assure pas que nous sommes dans un temps calme, c’est qu’il veut des fonds.
Attendez d’autres occasions, et les ministres vous déclareront, comme ils le font en toutes occasions, que la tranquillité règne, que la confiance dans le gouvernement est sans bornes, que l’exécution des lois est facile et complète, que la prospérité générale renaît. S’ils ne vous le disent pas actuellement, c’est qu’ils veulent des fonds pour la police préventive ; demain, ils vous diront tout le contraire, si on les met dans la position de vanter leur administration.
Au congrès il y a eu majorité ou si vous le voulez unanimité pour voter des fonds jusqu’au 1er avril. Au commencement de la discussion on ne voulait rien accorder du tout ; et c’est sur l’insistance de plusieurs membres, et sur la mienne surtout, que l’on a reconnu la nécessité de voter des fonds jusqu’au 1er avril.
Ainsi que vous venez de l’apprendre par l’extrait de mon discours qui vient de vous être lu par M. Nothomb, j’ai en ma qualité de ministre de la justice refusé la haute police et j’en ai exposé les raisons ; c’est principalement parce que je ne voulais pas qu’on pût immiscer dans la police préventive les magistrats de la police répressive.
J’ai vu sourire un ex-ministre de la justice, quand on a lu l’extrait du discours que j’ai prononcé au congrès ; il a cru qu’on allait comme lui me mettre en contradiction avec moi-même ; sa joie a été de courte durée. Oui, j’ai craint, j’ai voulu éviter qu’on ne transformât les agents de la police judiciaire en espions, et nos craintes ont été vérifiées par l’expérience. N’a-t-on pas reconnu, l’année dernière, que cet ex-ministre, M. Lebeau, envoyait des fonds de la police préventive aux procureurs du Roi pour faire de la police préventive ?
Ainsi on avait des hommes de la police judiciaire ; on les a dégradés, on les a ravalés à la condition des hommes de la police d’espionnage. C’est ce que je voulais éviter.
Que l’on se rappelle l’état des esprits à l’époque dont il s’agit ou au commencement de 1831 ; on avait imprudemment mis le congrès en émoi. On ne savait quelle mesure prendre ; on voulait nommer un dictateur, on voulait une loi de suspects.
Quand je suis revenu de Paris (j’ai assisté, je crois, à la séance du 11 ou du 12 janvier), j’ai rassuré les esprits, j’ai repoussé les craintes, j’ai dit que je n’avais pas besoin de lois d’exception et que je pourrais sans ces mesures tenir les rênes du gouvernement d’une main ferme. Je fus applaudi par le congrès et même par les tribunes. Je ne voulais donc pas alors poser des axiomes d’arbitraire et de coup d’Etat ; et veuillez remarquer que la nécessité seule alors faisait la loi et que nous n’avions pas encore une constitution. Quoi qu’il en soit, que l’on fasse des recherches tant que l’on voudra ; on pourra peut-être me trouver en défaut dans les mesures prises ; mais, en contradiction avec moi-même, jamais, même dans les temps les plus difficiles.
Toutes les fois que l’on viendra, dans l’intention de m’en faire un reproche, me taxer d’inconséquence, me montrer des contradictions dans des discours que j’ai prononcés au congrès, je dirai que c’est la plus grande injure que l’on puisse me faire. J’ai l’intime conviction de n’avoir pas changé d’opinion. Je n’ai pas de reproche à faire à ma conscience à cet égard. Ce n’est pas cependant que je me plaigne de l’orateur qui a cité mon opinion comme ministre de la justice. Je ne pense pas que son intention ait été de me montrer en contradiction avec moi-même.
- Plusieurs membres demandent la clôture
M. Lebeau. - J’ai eu l’envie de prendre la parole plusieurs fois dans cette discussion. Cependant, si la chambre désire en prononcer la clôture, je n’attache pas assez d’importance à ce que j’ai à dire pour réclamer la faveur d’être entendu.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
Le chiffre de 180,220 francs est mis aux voix et adopté.
M. Gendebien. - Je demande l’insertion au procès-verbal de mon vote négatif.
M. de Robaulx. - Et moi aussi.
M. le président. - Il sera fait mention au procès verbal de vote négatif de MM. de Robaulx et Gendebien.
« Art. 3. Matériel : fr. 20.000 fr. »
La section centrale adopte la majoration de 4,000 francs demandée par le ministre de l’intérieur.
- Le chiffre de 24,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 4. Frais de déplacement : fr. 20,000.
- Adopté.
« Art. 1er. Pensions accordées à des fonctionnaires ou employés : fr. 4,500. »
- Adopté.
« Art. 2. Secours, continuation ou avance des pensions à accorder par le gouvernement à d’anciens employés belges aux Indes du ci-devant gouvernement des Pays-Bas, ou à leurs veuves : fr. 9,179 10 c. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Depuis l’impression du tableau qui a été annexé au budget de mon département, une nouvelle réclamation fondée en droit m’a été adressée par les enfants d’une veuve dans la catégorie mentionnée à l’article dont M. le président vient de donner lecture.
Cette pension s’élève à la somme de 1,269 francs et porterait ainsi le chiffre total de l’article à fr. 10,445 10 c. Je demande que la chambre y donne son approbation.
M. Verdussen. - Je prie M. le ministre de l’intérieur de vouloir bien me dire si cette somme de 1,269 francs est le montant du secours à accorder sur la pension. Je remarque que dans le tableau l’on n’a jamais accordé des pensions entières, mais des sommes sur la pension. Je demande si M. le ministre a l’intention de suivre la même marche.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Ce que vient de dire l’honorable préopinant est parfaitement juste en ce qui concerne les employés pensionnés. Mais il n’en est pas de même relativement aux enfants de la veuve Lafontaine, qui ont droit à recevoir la pension entière. Les veuves ont droit au paiement intégral. L’arrêté du régent est positif à cet égard.
Je ne fais pas de distinction entre les veuves et les enfants des veuves. Les mêmes motifs d’humanité existent de part et d’autre. C’est également dans ce dernier cas un fond, à récupérer sur le fonds des veuves qui se trouve en Hollande.
M. Gendebien. - Je ne sais jusqu’à quel point l’arrêté du régent est conforme à l’équité. Je ne sais pas s’il est vrai que les pensions des enfants des veuves doivent être payées intégralement, c’est une question que je prie M. le ministre de l’intérieur de vouloir bien examiner. Pourquoi fait-on une différence en faveur des enfants de la veuve du sieur Lafontaine, qui est décédé en qualité de colonel aux Indes orientales, et qui, par sa position de commandant des îles de ces colonies, s’est assuré une fortune dont jouissent ses enfants ? Il est des militaires qui ont un besoin plus grand de l’intégralité de leur pension que les enfants de la veuve Lafontaine. Dans tous les cas, je m’étonne que l’on ait porté au budget du département de l’intérieur une pension militaire qui, ce me semble, trouverait mieux sa place au budget du département de la guerre.
Je demande pourquoi l’on ne paie pas leur pension aux officiers qui dans un rang subalterne, quoiqu’ayant rendu personnellement des services, n’ont pas eu comme M. Lafontaine l’occasion de se faire une fortune semblable, dont je suis loin d’attaquer l’origine. On refuse aux officiers qui ont servi à Java de leur payer leur pension parce que les fonds sont en Hollande. Cependant leur position mériterait qu’on eût égard à leurs réclamations. J’en connais deux dont l’un a servi 8 ans et l’autre 10 ans les Indes. Le second seulement est dans l’armée. Le premier, quoiqu’employé, aurait besoin, pour entretenir sa nombreuse famille, de toucher sa pension. Il me semble que l’on devrait examiner leurs droits.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ferai observer que, dans la majoration que je demande, il ne s’agit pas des enfants de la veuve Lafontaine, mais de ceux de la veuve Neujean. Le sieur Neujean était attaché au waterstaat à Batavia. Il s’agit d’une pension civile et non d’une pension militaire.
Quant à la pension des enfants de la veuve Lafontaine, le montant en a toujours été porté au budget de l’intérieur, comme il conste du tableau annexé à ce budget. Quant à ce que l’on a dit sur la nécessité de s’entendre avec le ministre de la guerre pour la division des pensions, je m’empresserai d’entrer en correspondance avec mon collègue à cet égard.
M. Gendebien. - Mon observation subsisté toujours.
- Le chiffre de 10,448 fr. 10 c. est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Secours à des employés ou veuves d’employés qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des titres à l’obtention d’un secours à raison d’une position malheureuse : fr. 4,500 fr. »
M. le président. - M. le ministre demande une majoration de 1,500 fr.
Le chiffre serait porté par conséquent à 6,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’avais demandé une majoration à ce chiffre pour des besoins éventuels. Vous avez pu remarquer par le tableau imprimé à l’appui du rapport que des secours ont été accordés à plusieurs employés dépendant du ministère de la justice, à des employés de prisons qui rentrent dans le libellé de cet article. Il serait impossible de déterminer si le chiffre actuel sera trop élevé. C’est un crédit éventuel. Au surplus, je ne dévierai pas des règles suivies jusqu’à présent la distribution de ce secours.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai demandé à mon budget une somme de 4,500 francs pour secours à accorder à des magistrats ou à des veuves de magistrats. S’il m’arrive des réclamations de la part d’employés dépendant du ministère de la justice, je ne puis leur allouer sur cet article spécial les secours auxquels ils ont droit. Ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur est donc exact. J’ai pris la parole pour donner cette explication parce que j’entendais dire autour de moi qu’une allocation de la nature de celle qui est en discussion était imputée au budget de mon département.
M. Verdussen. - Ceci prouve que j’avais raison de demander le renvoi à la section centrale, qui aurait pu changer le libellé de la proposition de M. le ministre de la justice. Si l’on continue ainsi à augmenter des allocations de cette nature, je ne sais pas où nous nous arrêterons. L’allocation de l’année précédente suffirait pour tous les ministères.
M. Rogier. - L’honorable préopinant se trompe quand il affirme que l’allocation de l’année dernière suffisait pour tous les ministères. Elle avait été spécialement affectée au ministère de l’intérieur. Du moins, je l’ai toujours considérée ainsi. Et si, comme on me le rappelle, des secours ont été accordés à des employés du département de la justice, c’est que ces employés attachés au service des prisons faisaient partie d’une administration qui avait ressorti longtemps du ministère de l’intérieur.
Je ne pense pas que l’on puisse trouver dans le tableau annexé au budget des employés d’autres ministères. Du reste, je m’oppose pas à ce qu’on comprenne dans l’allocation en discussion les secours accordés aux employés d’autres ministères. Pendant l’année dernière l’allocation était uniquement réservée au département de l’intérieur.
J’ajouterai que je ne partage pas l’avis des sections et de la section centrale sur le reproche d’inconstitutionnalité dont, selon elles, l’allocation est entachée. Je ferai remarquer d’abord que pendant deux sessions successives la législature l’a adoptée sans opposition. Et il serait étonnant qu’elle eût a une année d’intervalle consacré une inconstitutionnalité.
Il y a une contradiction dans l’opinion des sections et surtout de la première. Si d’un côté elle croit que les secours accordés à d’anciens fonctionnaires sont inconstitutionnels, cependant d’un autre elle admet sans réclamation les secours accordés aux ecclésiastiques et aux instituteurs. Les deux cas cependant sont parfaitement identiques.
Je maintiens l’allocation demandée comme constitutionnelle et utile. Du reste, la chambre a eu la même opinion, puisqu’elle a rendu hommage à la manière dont le subside avait été réparti.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Le secours de 4,500 fr. demandé primitivement me paraît suffisant. Il faut se garder de majorer sans motif plausible de pareilles allocations. Si le subside est plus grand, les demandes seront plus considérables.
L’honorable M. Rogier nous a reproché d’être en contradiction avec nous-mêmes. Pour ce qui est de la première section, je ne suis pas chargé d’expliquer son opinion. Quant à la section centrale, elle a désiré, en ce qui concerne les secours accordés aux ecclésiastiques et aux instituteurs, qu’une loi fût portée à cet égard. Elle a maintenu dans le budget de l’année 1835 une allocation qu’elle avait trouvée sanctionnée par la chambre dans les budgets précédents.
Ce n’est pas moi qui taxerai d’inconstitutionnalité aucun des votes émis par cette assemblée. Je ne ferai jamais une pareille inculpation, et si je me trouvais en contradiction avec elle sur la constitutionnalité d’une mesure, je croirais plutôt être dans l’erreur. Je dis seulement qu’il serait plus conforme à l’esprit de la constitution que des dispositions réglassent, autant que cela est possible, le mode de répartition des secours et les classes d’employés entre lesquels cette répartition devrait se faire.
Je ferai observer à M. le ministre de l’intérieur qu’il me semblerait plus rationnel de porter au budget des dotations, dette publique, les articles 2 et 3 du chap. Il. Ils devraient figurer au nombre des rémunérations et secours. C’est une simple mesure d’ordre que je propose à cet égard.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’usage est d’accorder une somme modique aux anciens employés ou veuves d’employés qui, n’ayant pas un droit rigoureux à la pension, se trouvent dans une position misérable. Je ferai remarquer que le préopinant est dans l’erreur s’il croit que l’allocation en discussion pourrait être portée au budget des dotations, attendu que ces secours sont annuels et ne sont pas renouvelés si, comme cela arrive souvent, l’employé qui en jouit est dans une position plus favorable. Une pareille allocation ne peut donc faire partie de la dette publique.
- Le chiffre de 6,000 francs est mis aux voix, il n’est pas adopté. Le chiffre de 4,500 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 4. Secours aux légionnaires nécessiteux : fr. 30,0000. »
M. le président. - La section centrale propose de réduire ce chiffre à 25,000 fr.
M. A. Rodenbach. - Tous les hommes qui ont contribué à la consolidation de notre indépendance sont à la veille de recevoir une récompense nationale, une marque distinctive. A cette occasion, nous ne devons pas oublier les vieux braves légionnaires de Napoléon. Le dévouement, le courage et le sang versé à l’époque où notre pays faisait partie de l’empire français, doit être apprécié à sa juste valeur. Je suis d’autant plus porté à adoucir le sort de nos vieilles gloires militaires, que les frères de l’ordre Guillaume touchent leur traitement.
Le roi de Hollande, comme on sait, avait peu de sympathie pour les vieux guerriers d’Austerlitz et de Iéna ; c’est probablement pour cette raison qu’il s’est abstenu de régulariser les pensions des légionnaires.
On est assez porté à croire que par le traité de Paris du 30 mai 1814, une dette d’honneur leur est due. Il y a plus d’un an qu’une commission a été nommée dans le sein de cette chambre pour examiner la question des pensionnaires de la légion d’honneur ; j’aime à croire que sous peu elle nous soumettra son rapport. En attendant qu’une loi spéciale nous soit présentée, nous pouvons, sans rien préjuger sur la question, allouer le crédit de 25 mille francs demandé en faveur de ces braves. Ce n’est pas seulement dans leur pauvreté que sont leurs titres, mais dans leur gloire et leurs cicatrices honorables.
C’est pour ces motifs que je voterai en faveur de la proposition de la section centrale.
M. Fallon. - Comme j’ai l’honneur d’être président de la commission chargée d’examiner les droits des légionnaires, je vais donner à M. Rodenbach les explications qu’il a demandées.
Cette commission s’est déjà réunie à plusieurs reprises, mais la question dont elle est saisie est d’une telle importance que jusqu’à présent il a été impossible de prendre une résolution. D’un autre côté, l’absence de plusieurs membres a fait que nous ne nous sommes pas trouvés en majorité. J’attends le retour de M. Dubus pour terminer nos travaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je me réunis à la section centrale.
- Le chiffre de 25,000 fr. est mis aux voix et adopté.
Article additionnel
M. Legrelle. - Je demande la parole pour proposer un article additionnel au chapitre II.
Messieurs, le chapitre II traite des pensions et des secours ; je demanderai si ce ne serait pas le cas de nous occuper des malheureux qui ont été victimes de l’agression hollandaise et des désastres de la guerre.
J’ai parcouru les différents chapitres du budget de l’intérieur, et j’ai pensé que c’était ici le moment de nous occuper de cette question. Depuis quatre ans que ces malheureux souffrent, quelques-uns ont reçu une légère indemnité, le plus grand nombre n’en a reçu aucune. Je sais que le ministre va me répondre que la chambre est saisie d’un projet de loi sur cette matière ; mais il y a déjà trop longtemps que la chambre est saisie de ce projet, et si je dois en croire les premières dispositions manifestées par la chambre, la majorité des sections serait peu favorable aux victimes de l’agression hollandaise.
Cependant, dit-on, on ne se refusera pas à leur accorder des secours. Mais, messieurs, si telle est l’intention de la chambre, n’est-ce pas au moment où elle s’occupe de la partie du budget qui est relative aux secours qu’il convient de le faire ? Il est à ma connaissance que des malheureux se sont présentés au gouvernement et à l’administration provinciale, et que, malgré leur misère, on a été obligé de leur faire, d’un côté comme de l’autre, la même réponse : « Il n’y a pas de fonds. Nous avons épuisé les fonds accordés par le pouvoir législatif ; et jusqu’à ce que de nouveaux fonds soient votés, nous sommes dans l’impossibilité de rien accorder. »
Après avoir entendu plaider, par des bouches éloquentes, la cause des inondés de Lillo et d’autres localités, quatre ans après avoir été à même de leur rendre justice, il est temps, je pense, pour la chambre d’agir avec quelque efficacité. C’est par ce motif que je propose d’ajouter un 5ème article ainsi conçu :
« Secours aux victimes de l’agression hollandaise et des ravages de la guerre : fr. 300,000. »
Je ne propose que cette somme pour le moment, quoique je sache que ce sera un bien mince adoucissement aux misères des personnes entre lesquelles elle doit être partagée ; mais je craindrais, si je proposais un chiffre plus fort, qu’il ne fût pas adopté. Et, tout mince que soit ce chiffre, il pourra pour le moment adoucir beaucoup de souffrances.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Je ferai observer que la question soulevée par l’honorable préopinant est soumise à une section centrale.
Il y a d’abord une question grave à examiner, celle de savoir si l’indemnité à accorder aux victimes de l’agression hollandaise doit être considérée comme une dette nationale ou un devoir d’humanité. Cette question n’est pas facile à résoudre ; et j’ai vu d’habiles jurisconsultes demander un certain temps pour se prononcer.
Je ferai observer que l’allocation proposée par M. Legrelle est inutile par son insuffisance, car elle ne représente pas même l’intérêt du capital de l’indemnité réclamée. Ce capital s’élève au moins au taux de 10 millions.
Il faut commencer par examiner la loi de la section centrale. Elle doit se réunir incessamment et faire son rapport. Et s’il y a lieu d’accorder l’indemnité réclamée, un crédit spécial devra être ouvert en vertu d’une loi spéciale.
Pour le moment la somme de 300,000 fr. serait absolument insuffisante.
M. Gendebien. - Tout ce que vient de dire l’honorable M. Dellafaille prouve la nécessité un secours provisoire aux malheureux qui ont été victimes des désastres de la guerre. Il a annoncé que la section centrale s’occupait d’un projet de loi d’indemnité et qu’elle avait à examiner la question de savoir si cette indemnité devait être donnée à titre de droit ou à titre de secours et par considération.
Messieurs, en attendant que la section centrale vienne vous proposer et que vous adoptiez une résolution à cet égard, je demande qu’on porte au budget une somme à titre de secours provisoire.
Il nous est facile à nous de raisonner froidement sur les misères publiques et de dire à des citoyens qui souffrent d’attendre qu’on ait pris une résolution sur le droit de leurs réclamations. En attendant ils souffrent, messieurs, ces citoyens, et par cela seul qu’ils souffrent, ils ont des droits à notre humanité, à notre commisération ; commençons par acquitter la dette sacrée de l’humanité, et plus tard, s’il y a lieu, nous acquitterons la dette de l’Etat.
Je demande le renvoi de la proposition de M. Legrelle à la section centrale, avec invitation de nous faire un rapport le plus tôt possible, afin que nous puissions nous en occuper avant la fin du vote du budget de l’intérieur.
M. Pirson. - Messieurs, pour la somme que la chambre paraît disposée à accorder, il n’est pas nécessaire d’examiner si ce sera à titre d’indemnité ou de secours ; mais si plus tard on reconnaît le droit, le secours accordé maintenant sera imputé à compte.
- Le renvoi de la proposition de M. Legrelle à la section centrale est ordonné.
« Art. 1er. Province d’Anvers : fr. 123.577. »
M. Rogier. - Je crois que la section centrale est tombée dans une erreur qu’il est de ma loyauté de relever. Elle accorde 2,000 francs de plus que la province ne demande. La somme demandée ne s’élève qu’à 121,577 fr., y compris l’augmentation de 2,000 fr. du littera E. Elle a cru que cette augmentation aurait été proposée après la présentation du budget, tandis qu’elle l’avait été en même temps que le budget. On peut le voir à la page 48 des développement du budget. Je demande en conséquence que le chiffre soit réduit à 121,577 fr.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - M. Rogier a raison.
- Le chiffre de 121,577 fr. est adopté.
« Art. 2. Province du Brabant (chiffre du gouvernement) : fr. 129,675 ; (chiffre de la section centrale) : fr. 129,175. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je me rallie à la réduction de 500 fr. proposée par la section centrale. Mais je dois faire remarquer que sur les fonds demandés pour le greffier et la députation provinciale, il manque 1.150 fr., attendu que la dépense avait été calculée dans la prévision que la loi provinciale aurait été exécutée à partir du 1er janvier. Mais comme il n’en a pas été ainsi, il faut rétablir d’après le traitement actuel, et ajouter 900 fr. pour la députation, 250 fr. pour le greffier, ensemble 1,150 fr. Cette augmentation portera le chiffre de cet article à 130,325 fr.
- L’article 2 est adopté avec le chiffre de 130,325 fr.
« Art. 3. Flandre occidentale : fr. 140,157. »
M. Gendebien. - Je n’ai pas demandé la parole pour provoquer un changement sur un chiffre. Mais je ne crois pas pouvoir laisser passer le vote de ce chapitre, sans faire remarquer les inconvénients de l’allocation uniforme de 18,000 fr. pour la députation de chaque province. Je sais que c’est d’après la loi provinciale que l’on porte cette somme au budget ; mais il me semble cependant qu’il serait véritablement absurde d’appliquer la même règle à toutes les provinces.
Si vous calculez la population, vous verrez qu’il y a telle province qui a trois fois plus de population que telle autre ; et cependant toutes les provinces ont 6 conseillers.
Je conçois que dans la province du Brabant, il soit peut-être nécessaire d’avoir 6 conseillers ; mais assurément il y a telle province où 2 ou 3 suffiraient.
D’un autre côté je crois qu’il serait plus avantageux d’avoir 4 conseillers bien rétribués que 6 aux appointements de 3,000 fr.
Je pense que ces 4 conseillers feraient dix fois plus de besogne que vos 6 conseillers. Qu’est-ce en effet qu’un traitement de 3,000 fr. et quelle capacité pouvez-vous avoir à ce prix ? Si vous voulez avoir des citoyens qui ne s’occupent de leurs fonctions que par moments, qui en fassent des fonctions pour ainsi dire honorifiques, 3,000 fr. sont de trop ; s’ils travaillent, 3,000 ne suffisent pas.
Je voudrais que le nombre des conseillers fût proportionné dans chaque province au nombre et à l’importance des affaires dont est saisie l’administration provinciale. Ainsi le Hainaut, et si je cite cette province, ce n’est pas parce que je suis l’un de ses députés, c’est parce que c’est un exemple qui m’est connu ; le Hainaut, dis-je, a une population de 656,000 âmes ; il est reconnu que cette province a un grand nombre d’usines, d’établissements de toute espèce, de routes, de canaux, elle a les mines qui seules donnent plus de besogne au gouverneur du Hainaut que toutes les autres branches réunies de son administration ; enfin elle a de plus l’administration des douanes.
Eh bien, cette province du Hainaut a six conseillers comme celle de Namur qui a une population seulement de 220,000 habitants et qui certainement n’a pas le quart des objets d’administration qui passent sous les yeux de l’administration du Hainaut.
Je voudrais que les membres de la députation du Hainaut eussent 5,000 fr. d’appointements au lieu de 3,000, qu’ils fussent au nombre de quatre au lieu de six. Ce serait pour le Hainaut une augmentation de 2,000 fr. Mais je suis sûr que cette province n’en serait que mieux administrée.
Quant à la province de Namur, je pense que deux conseillers suffiraient. Je pense que ces deux conseillers aux appointements de 5,000 fr. feraient autant de besogne que six conseillers à 3,000 fr. C’est véritablement là un objet de luxe. Soyez sûrs qu’à ce taux vous ne trouverez pas des hommes capables, ou si vous avez des hommes capables, ils consacreront les trois quarts de leur temps à d’autres soins que ceux de l’administration.
Je sais que ce n’est pas le moment de revenir sur le vote que la chambre a émis. Mais je désire que cet objet fasse la matière des méditations du gouvernement, afin qu’il ne laisse pas passer inaperçu l’article de la loi provinciale qui s’y rapporte, quand viendra la discussion devant l’autre chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Comme l’a dit l’honorable préopinant, c’est devant le sénat que doit maintenant être agitée la question du nombre et des émoluments des membres de la députation provinciale. Mais je dois rappeler que lors de la discussion de la loi provinciale, la chambre n’a pas perdu de vue les motifs qui viennent d’être développés. C’est afin que chaque localité fût représentée dans la députation que la chambre a mieux aimé la composer de six membres plutôt que de trois ou quatre. Voilà le motif qui a guidé la chambre. Maintenant de ces deux systèmes quel est le meilleur ? C’est l’expérience qui doit en décider.
M. Eloy de Burdinne. - Je veux présenter une simple observation en réponse à l’honorable M. Gendebien. Je conviens avec lui qu’en général en rétribuant bien les fonctions, on a des personnes qui font plus de besogne et qui ont plus de capacité.
Mais, je le prie de faire attention que ce n’est pas le gouvernement qui nomme les membres de la députation, ils sont nommés par le conseil et pris dans son sein. Eh bien, sommes-nous assurés de trouver dans le conseil provincial, de grands travailleurs, des personnes d’une capacité extraordinaire ? Non sans doute ; et nous suppléons à cela en composant la députation d’un plus grand nombre de membres.
M. Gendebien. - Je n’ai pas eu l’intention de faire naître une discussion ; j’ai voulu seulement attirer l’attention des ministres sur le nombre et le traitement des membres de la députation tels qu’ils ont été déterminés par la chambre, afin qu’il pensât à soutenir la discussion devant le sénat.
Je dis moi, messieurs, que 3 ou 4 conseillers capables et bien rétribués feront plus de besogne que les 6 personnes que vous aurez avec le traitement de 3,000 fr. Je dis qu’il vaut toujours mieux employer un homme capable qu’un ignorant ; car ce dernier peut mentir à sa conscience sans s’en douter, tandis que chez l’autre sa capacité éclairera sa conscience.
M. Desmanet de Biesme. - Je n’insisterai pas, messieurs, puisque la chambre ne peut pas revenir sur ce qu’elle a voté ; mais je pense qu’il n’y a même pas de motif pour faire droit à l’observation de l’honorable M. Gendebien, et que si son but a été de faire réfléchir le ministre, le ministre, après réflexion, doit persister dans ce qui a été décidé.
M. Gendebien dit que deux hommes peuvent administrer la province ce Namur ; sans doute, un seul aussi peut l’administrer ; mais s’il est malade ou empêché, qui administrera ?
Il est utile aussi que les différents districts soient représentés dans la députation provinciale. C’est là le but que vous vous êtes proposé en déterminant, comme vous l’avez fait, le nombre de ses membres. Nous sentons, d’ailleurs, tous les jours tous les inconvénients qu’il y a à ce que la députation soit restreinte à un aussi petit nombre de membres qu’elle l’est maintenant.
- L’article 3 est adopté.
« Art. 4. Flandre occidentale : fr. 140,157 fr. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Par les mêmes motifs que pour la province du Brabant, j’aurai ici une majoration à proposer. Elle est de 2,095 fr., et s’applique au traitement des membres du comité de conservation. Cette augmentation porte le chiffre total de l’article à 144,843 fr.
- L’article 4 est adopté avec le chiffre de 144,843 fr.
« Art. 5. Province du Hainaut : fr. 143,557. »
- Adopté.
« Art. 6. Province de Liége : fr. 131,750. »
- Adopté.
« Art. 7. Province du Limbourg : fr. 120,908. »
- Adopté.
« Art. 8. Province du Luxembourg : fr. 128,432 fr. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je demanderai à la chambre d’élever le chiffre de cet article à 130,000 fr. ; cette majoration a pour but d’augmenter le traitement des employés de l’administration provinciale. On aurait même voulu une majoration plus considérable que celle que je propose. On a fait valoir que lorsque le siége du gouvernement a été transporté de Luxembourg à Arlon, on avait emmené des employés ayant des traitements très faibles, et que les logements étant excessivement chers à Arlon, ces employés se trouvaient dans une position très pénible. Je pense qu’il y a lieu d’admettre au moins la majoration que je propose ; elle porterait le chiffre de cet article à 130,000 fr.
M. d'Hoffschmidt. - Je viens appuyer la demande de M. le ministre de l’intérieur, et même demander une majoration sur le chiffre qu’il demande.
En examinant le budget qui vous est soumis pour les différentes provinces, vous verrez que le traitement des employés de l’administration provinciale est ainsi déterminé :
Province d’Anvers : fr. 39,800 ;
Province de Brabant : fr. 43,575
Province de la Flandre occidentale : fr. 39,300
Province de la Flandre orientale : fr. 41,500
Province du Hainaut : fr. 46,840
Province de Liége : fr. 41,200
Province de Limbourg : fr. 31,500
Province de Luxembourg : fr. 28,760
Province de Namur : fr. 33,000.
Veuillez remarquer que cette province de Namur a moitié moins d’étendue que celle du Luxembourg.
Il est cependant certain que dans la province du Luxembourg il y a autant d’ouvrage pour l’administration que dans les autres. Cette province est même la plus étendue de la Belgique. Et les employés y sont très mal rétribués, je ne sais trop pourquoi. Les chefs de bureau de l’administration provinciale du Luxembourg ont 1,000 florins d’appointements ; tandis que dans d’autres provinces ils ont jusqu’à 3,500 fr. et ainsi de suite.
Que l’on ne dise pas que dans la province du Luxembourg, il y a moins de frais pour les employés que dans les autres provinces. Il est constant au contraire que dans la petite ville d’Arlon, siège du gouvernement provincial, les logements sont excessivement chers. Il y a des employés qui n’ont pas plus de 350 fr. d’appointement. Il est impossible qu’avec d’aussi minimes traitements ils subviennent à leurs dépenses de logement et autres.
Je demande donc pour le traitement des employés de l’administration du Luxembourg une augmentation de 5,000 fr. sur le chiffre proposé par M. le ministre. Les frais de l’administration s’élèveront ainsi à 135,000 fr. Cette allocation ne sera qu’une application rigoureuse de la justice distributive à l’égard de ces employés jusqu’ici mal rétribués.
M. H. Dellafaille, rapporteur. Je crois que l’augmentation demandée par M. le ministre de l’intérieur est réellement nécessaire. Déjà l’administration du Luxembourg nous avait envoyé une note sur la position de plusieurs employés, Il est positif qu’il a été impossible à plusieurs d’entre eux, en raison de la faible quotité de leurs appointements, de parvenir à se loger à Arlon. On voit d’ailleurs par le tableau des traitements des employés des différentes provinces que dans celle du Luxembourg ils sont bien moins rétribués que dans toutes les autres.
M. Nothomb. - Je dois dire que les faits qu’a cités l’honorable M. d’Hoffschmidt à l’appui de sa proposition sont incontestables.
Premièrement, j’ignore pourquoi les traitements des employés de l’administration provinciale du Luxembourg seraient moins élevés que ceux des autres provinces moins étendues.
En deuxième lieu, je puis affirmer qu’à Arlon, capitale improvisée de la province, tout est à un prix exorbitant. Entre autres, les logements sont d’un prix aussi élevé qu’à Bruxelles ; ceci joint à la faible quotité des appointements des employés impose à quelques-uns de se loger à plus d’une demi-lieue d’Arlon, et le service en souffre.
Ensuite le personnel de l’administration est trop restreint. Je crois donc qu’il y a lieu d’admettre l’augmentation proposée par notre honorable collègue M. d’Hoffschmidt, J’appuie sa proposition.
- Le chiffre de 135.000 fr. proposé par M. d’Hoffschmidt est mis aux voix, il n’est pas adopté.
L’article 8 est adopté avec le chiffre de 130,000 fr.
« Art. 9. Province de Namur. (Chiffre du gouvernement) 109,508 fr. ; (chiffre de la section centrale) 108,508 fr. »
M. Lebeau. - Je prie la chambre de croire qu’en prenant la parole sur cet article, je ne suis pas influencé par une position étrangère à mes fonctions législatives. Je veux seulement répondre à quelques erreurs de fait échappées à plusieurs honorables membres, et que mieux que tout autre, je puis rectifier. Je vous prie de remarquer que dans toutes les discussions des budgets provinciaux, le budget de la province de Namur est resté intact, notamment en 1833, en 1834, et n’a pas été atteint par les propositions de la section centrale dont l’honorable M. Dubus était rapporteur.
La majoration demandée cette année par M. le ministre de l’intérieur n’en est pas une à proprement parler ; ce n’est, à vrai dire, qu’une régularisation ; la chambre le comprendra aisément. Dans la province de Namur, à la différence des autres provinces, les employés de quatrième rang (expéditionnaires) étaient payés à tant par heure ou par page, d’où il résultait une certaine économie. Cependant il y avait presque toujours déficit sur le chapitre « Traitement des employés. » Le déficit était comblé au moyen de fonds pris sur le chapitre « Dépenses imprévues. »
M. le ministre de l’intérieur a désiré soumettre les employés de quatrième rang attachés au gouvernement provincial de Namur a la même règle que les autres ; cette exception nécessitait en effet une comptabilité spéciale pour cette province à tenir au ministère de l’intérieur.
J’ai consenti volontiers à ce changement, mais j’ai fait observer au ministre qu’il ne pouvait avoir lieu sans une légère majoration ; car en substituant des traitements fixes au crédit éventuel destiné à rétribuer à l’heure ou à la page, on n’aura plus la faculté d’appliquer, comme par le passé, une partie de la dépense, c’est-à-dire 3, 4, 600 fr. sur le chapitre des dépenses imprévues. Ensuite la dépense est un peu augmentée car le paiement à l’heure où à la page présentait une légère économie.
Pour évaluer le nombre des affaires dont peut être saisie l’administration de la province de Namur, on a beaucoup parlé de sa population comparativement à celle des autres provinces.
Mais je vous prie, messieurs, de remarquer que la province de Namur se subdivise en 343 communes ; or, je trouve que la province d’Anvers par exemple, ne se compose que de 141 communes, que la province du Luxembourg ne se compose que de 308 communes. Sans doute l’importance des affaires est jusqu’à certain point en raison de la population ; mais la multiplicité des affaires dérive plus encore pour l’administration provinciale de la multiplicité des communes. Ainsi, tandis que l’administration provinciale d’Anvers n’a à correspondre qu’avec 141 administrations locales, l’administration de la province de Namur correspond, elle, avec 343 administrations, avec le même nombre de fabriques de cures ou de succursales, de bureaux de bienfaisance ; elle a 343 budgets à approuver, 343 comptes communaux à vérifier, etc.
Et remarquez bien, messieurs, que plus la population d’une commune est faible, plus d’ordinaire il est difficile de trouver de bons administrateurs ; de là multiplicité d’instructions, de lettres de rappel, etc.,etc.
Je pose en fait que sous le rapport de la quantité du travail du gouverneur et de la députation des états, la province de Namur peut soutenir la comparaison avec d’autres provinces d’une plus forte population.
Je ferai remarquer, en outre, messieurs, qu’à Namur le traitement des employés est fixé au minimum de tous les budgets. Je demande donc que l’on maintienne le chiffre proposé par le gouvernement, déclarant que si, après expérience faite, des économies sont possibles, je les proposerai, et me conduirai de la même manière que mon honorable ami, M. Rogier, qui vient de vous proposer une réduction.
M. H. Dellafaille. - Les explications que l’on vient de donner n’ont pas été communiquées à la section centrale. Toutefois je crois qu’il y a lieu de diminuer le chiffre des frais de route de 300 fr.
M. Lebeau. - Je consentirais à la diminution de 300 fr. ; mais que cette réduction soit faite ou qu’elle n’ait pas lieu, les frais de route seront les mêmes. C’est là une question de tarif et non de crédit. Dans la province de Namur ces frais sont plus considérables qu’ailleurs ; les communications y sont assez difficiles ; quand un député des états est obligé de se rendre dans une commune pour essayer de terminer un conflit, il est presque toujours obligé d’y mettre du sien pour payer les frais de route.
M. Pirson. - Le gouverneur de la province de Namur oublie de dire que dans cette province on manque de routes ; qu’il faut presque toujours prendre des voitures particulières ; que les voyages sont très pénibles dans ces contrées, qui présentent un diminutif des Alpes.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il n’y a pas de motif impérieux pour réduire le chiffré demandé pour frais de voyage. Ce chiffre est éventuel.
- Le chiffre 109,508 francs demandé par le gouvernement est adopté.
« Art. 10. Frais de route et de tournée des commissaires de district : fr. 13,500 fr. »
- Adopté sans discussion.
M. le président. - Nous passons au chapitre IV : Instruction publique. (A demain ! à demain !)
La séance est levée à 4 heures et demie.