(Moniteur belge n°359, du 24 décembre 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure trois quarts.
M. de Renesse fait l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; il est adopté.
« La dame veuves. S. L. Houtain, à Bruxelles, demande qu’il lui soit accordé la même pension de 400 fl. qu’elle recevait sous l’ancien gouvernement à titre de privation de sa houillère par la loi des concessions. »
« Plusieurs imprimeurs d’indiennes de Bruxelles adhèrent à la pétition des industriels cotonniers de Gand, demandant une augmentation du droit sur les cotons étrangers. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
« Un grand nombre de cultivateurs de la commune de Menin (Flandre occidentale) demandent la suppression des droits sur les tourteaux de graine grasse.
- Cette pétition est renvoyée à la commission d’industrie.
M. C. Vuylsteke. - Messieurs, M. le secrétaire vient de faire l’analyse d’une pétition signée par plusieurs cultivateurs de la commune de Menin, pour vous soumettre quelques observations sur les droits d’entrée dont sont frappés les tourteaux de graine grasse, importés de France. Cette pétition n’est pas la seule de ce genre ; plusieurs autres ayant pour objet la diminution des droits d’entrée sur ces mêmes engrais nous sont déjà parvenues. Je crois qu’il y a urgence de faire droit à la demande des pétitionnaires ; elle intéresse une partie essentielle de notre industrie, l’industrie agricole. J’ai donc l’honneur de prier la chambre qu’elle invite la commission des pétitions à la comprendre dans son plus prochain rapport.
Je saisis cette occasion pour demander, par forme de motion d’ordre, que la chambre veuille mettre à un ordre de jour très rapproché le rapport sur les pétitions.
Il semble, messieurs, que nous avons perdu de vue l’article 65 de notre règlement qui porte : « La commission des pétitions sera tenue de faire chaque semaine un rapport sur les pétitions parvenues à la chambre, et ce par ordre de date, etc. » Et nonobstant cette disposition formelle, plusieurs semaines se sont déjà écoulées sans que ce rapport ait été fait. Un seul a été mis à l’ordre du jour depuis l’ouverture de la présente session.
- Plusieurs voix. - Après les budgets ! après le budget de la guerre !
Un message du sénat annonce l’adoption du projet de loi fixant le contingent de l’armée pour 1835.
M. de Puydt fait hommage à la chambre de son mémoire sur la canalisation de la Sambre.
- Le dépôt à la bibliothèque est ordonné.
M. Olislagers s’excuse sur une indisposition de son absence des séances de la chambre.
M. Coghen, rapporteur, lit un rapport que nous donnerons dans un prochain numéro.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet de loi ainsi conçu :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Considérant que l’obligation imposée par l’article 29 de la loi monétaire du 5 juin 1832 (Bulletin officiel, n°XLIV), d’organiser, par une loi, l’administration des monnaies, n’a pu être remplie jusqu’ici, et que les motifs qui ont fait porter la loi du 27 décembre 1833, n°1662, subsistent dans toute leur force :
« Sur le rapport de notre ministre des finances,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Le projet de loi dont la teneur suit sera présenté, en notre nom, à la chambre des représentants par notre ministre des finances :
« Article 1er. La commission instituée par arrêtée royal du 29 décembre 1831, n°371 (Bulletin officiel, n°CXXXII), continuera à remplir provisoirement les fonctions d’administration des monnaies, jusqu’à ce que cette administration ait été organisée par une loi.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le premier janvier 1835.
« Donné à Bruxelles, le 21 décembre 1834.
« Léopold.
« Par le Roi :
« Le ministre des finances, d’Huart. »
M. Gendebien. - Si je ne me trompe, c’est pour la troisième fois qu’on vient nous demander de proroger les pouvoirs de la commission des monnaies ; mais pour cette fois on ne prend plus la peine de nous promettre une loi prochaine ; on veut maintenir indéfiniment ce qui existe. Il en est ainsi de toutes les institutions promises par la constitution. Je citerai par exemple les auditeurs militaires dont on nous a demandé de proroger les fonctions.
Vers la fin de février 1831, il y avait déjà un projet de code militaire complet ; j’en ai examiné une partie avec deux membres de la commission chargée de la rédaction du projet. Cet examen ne put être achevé, parce que je quittai à cette époque le ministère.
Y a-t-il nécessité de proroger indéfiniment les attributions de la commission des monnaies ? Je demande que cette prorogation ne s’étende que jusqu’au 31 décembre 1835. Si le gouvernement ne nous présente pas une loi d’ici là, vous verrez ce que vous aurez à faire. Je demande donc formellement qu’il soit inséré dans la loi qu’elle ne sera valable que pour un an.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je me bornerai à donner des explications sur le code militaire. La commission est nommée depuis l’année dernière. La législation militaire se composera de trois codes : le code d’organisation judiciaire, le code d’instruction criminelle et le code pénal. Deux de ces codes sont entièrement achevés ; le troisième, le code pénal est sur le point de l’être. La commission a travaillé de la manière la plus consciencieuse, la plus assidue. Son travail sera soumis prochainement au gouvernement, et fera la base d’un projet de loi qui sera présenté à la législature. Mais je ne pense pas que la chambre le discute dans cette session, je crains même qu’elle ne puisse pas s’en occuper dans le cours de la session prochaine. C’est pour ce motif que j’avais demande que la loi sur les auditeurs militaires ne fut pas prorogée pour une année, mais indéfiniment, afin de ne pas surcharger la chambre de travaux inutiles.
La chambre sait que si les institutions promises par la constitution ne sont pas complétées, ce n’est pas la faute du gouvernement. Pour citer un exemple, je rappellerai que les projets de loi d’organisation communale et d’organisation provinciale sont présentées depuis trois ans ; s’ils ne sont pas encore entièrement votés, ce n’est pas assurément le gouvernement qui en est cause.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je suis prêt à déposer sur le bureau un projet de loi sur la monnaie. Si la chambre croit qu’elle pourra le discuter avant le 1er janvier 1836, je ne m’oppose nullement à ce que la prorogation des pouvoirs de la commission soit limitée à cette époque. Si je n’ai pas déterminé cette époque, c’est parce que j’ai cru que la législature ne pourrait faire passer les lois secondaires avec les lois plus importantes dont elle est saisie.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Lorsque j’ai demandé la parole, je voulais donner sur le travail du code militaire des explications que vient de vous exposer M. le ministre de la justice. Je n’ai rien à ajouter à ses paroles.
M. Gendebien. - Je rends pleine justice à la commission chargée de la confection du code militaire, je suis convaincu, quoique je ne connaisse pas personnellement les membres qui en font partie, qu’ils nous donneront un excellent projet. Mais je rappellerai seulement qu’une commission avait été nommée par le gouvernement provisoire dès le mois de novembre. Elle avait déjà commencé son travail ; mais on paraît l’avoir complètement perdu de vue depuis cette époque, et il y a eu de bonnes raisons pour cela ; c’est que le code militaire est encore un reste de despotisme qui ne présente aucune garantie pour les citoyens. Voilà pourquoi on retarde continuellement l’examen d’une loi nouvelle.
Je demande que la loi des monnaies n’ait de force que pour une année. Quel grand inconvénient y a-t-il à cela ? Le gouvernement sentira d’autant mieux la nécessité de nous présenter un projet de loi avant la fin de la session. Remarquez, messieurs, que tous les ans, lorsque l’on nous demande une prorogation d’institutions provisoires, on nous promet toujours que l’on présentera à la chambre des projets d’organisation définitive. Insérons que les pouvoirs de la commission des monnaies expirent le 31 décembre 1835, et si vers cette époque nous reconnaissons que l’organisation définitive des monnaies n’a pas eu lieu par la faute du gouvernement, nous voterons une prorogation nouvelle. Le mal ne sera pas grand. J’ai le droit de soupçonner la mauvaise volonté du gouvernement. Il veut perpétuer un provisoire qui est dans son intérêt. S’il n’adopte pas ma proposition, c’est qu’il sera guidé par ce motif.
M. F. de Mérode. - Si nous perdons notre temps à recommencer des petits lambeaux de lois, nous n’en finirons jamais. A quoi bon établir une prorogation qu’il nous faudra prolonger l’année prochaine ? Il s’agit de savoir si avant 1837 nous pourrons faire une loi des monnaies. Je ne le crois pas. C’est pour ce motif que je voterai pour le projet présenté par le gouvernement. Que ceux qui ne partagent pas mon opinion et qui croient que nous avons le temps de reprendre sans cesse des lambeaux de lois émettent un vote négatif. Pour moi je suis persuadé que ce sera du temps complètement perdu.
M. Gendebien. - On a semble faire à la chambre un reproche sur la lenteur qu’elle met à organiser les institutions promises par le pays. Si les lois ne sont pas votées plus vite, la faute en est au gouvernement qui vient discuter pendant deux jours sur la question de savoir par qui seront nommés les gardes champêtres.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne puis admettre que l’on prétende que nous ayons passe deux jours à discuter la question de nomination des gardes champêtres. Cette question nous a tout au plus occupés un quart d’heure.
- L’amendement présenté par M. Gendebien, à remplacer dans l’article premier ces mots : « jusqu’à ce que cette administration ait été organisée par une loi, » par ceux : « jusqu’au 31 décembre 1835 » est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
L’article premier est mis aux voix et adopté.
L’article 2 est également mis aux voix et adopté.
M. le président. - Je vais mettre aux voix les considérants du projet.
M. de Brouckere. - Les considérants doivent être supprimés. Ils ne tombent que sur l’ordre à donner par le Roi au ministre du l’intérieur. D’ailleurs, il semblerait que l’on organise par un arrêté ce qui ne peut l’être que par une loi : ils sont donc en contradiction avec les articles mêmes.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). Je ne m’oppose pas à ce que la suppression des considérants soit faite, quoique je ne les regarde pas comme en contradiction avec le dispositif.
- Les considérants sont supprimés.
Il est procédé à l’appel nominal pour le vote sur l’ensemble de la loi.
62 membres sont présents.
61 prennent part au vote.
Un seul, M. Gendebien, s’abstient.
La chambre adopte à l’unanimité. En conséquence le projet de loi sera transmis au sénat.
M. Gendebien. - Je n’ai pas voulu voter contre la loi, puisqu’il est nécessaire que les fonctions de la commission des monnaies, expirant le 31 de ce mois, soient renouvelées. Mais je me suis abstenu de voter, parce que je n’ai pas voulu abandonner la garantie d’avoir une bonne loi.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, avant d’aborder la discussion des divers articles qui composent le budget du département de la guerre, je dois nécessairement répondre aux observations préliminaires du rapport de votre section centrale, qui a cru devoir appeler votre attention sur les résultats des comptes des trois budgets précédents, et y puiser des arguments pour éclairer et déterminer votre vote sur celui qui est maintenant en discussion.
La distinction que ce rapport indique entre l’état de paix et l’état de guerre, pour l’établissement du budget, est parfaitement juste ; et c’est le meilleur argument que je puisse faire valoir moi-même pour justifier les crédits supplémentaires qui furent demandés en 1832 et 1834, pour expliquer les motifs qui ont ensuite laissé des fonds disponibles sur ces deux exercices et sur celui de 1833 ; et par suite encore, pour établir la nécessité et l’opportunité du crédit supplémentaire et éventuel qui vient de vous être demandé pour l’exercice prochain.
Je vous rappellerai, messieurs, la vicissitude des événements dont nous avons été témoins et acteurs depuis le mois de janvier 1832 et je vous demanderai franchement si aucun de vous, si aucun ministre, si aucun gouvernement a pu avoir la prescience je ne dis pas d’une année, mais d’un mois même, des événements qui pouvaient surgir de la complication de nos affaires tant diplomatiques que militaires, liées comme elles l’étaient à celles d’autres puissances.
Maintenant que ces événements sont consommés, il est facile de dire qu’on avait demandé trop de fonds pour tel exercice, que les prévisions ne devaient pas aller jusque-là, et que ce qui le prouve, est la remise des fonds restés disponibles.
Mais, messieurs, songez que les budgets sont faits plusieurs mois à l’avance de l’exercice auquel ils doivent s’appliquer ; que c’est dans le mois de juin dernier que j’ai dressé celui de l’exercice 1835, et qu’à moins d’avoir une prévision que je ne puis reconnaître à personne, il était impossible de calculer au juste sur quel pied notre armée devait être entretenue en 1835, puisque aujourd’hui même que nous touchons à cette année, il règne encore une grande incertitude sur les faits qui peuvent surgir des événements politiques qui viennent d’avoir lieu.
Il est très croyable que j’aie demandé encore trop ou trop peu, car cela dépend des événements et des circonstances où la Belgique peut se trouver en 1835. Quelle commission pourrait assurer qu’elle a demandé aujourd’hui tout juste ce qu’il faudra !
S’il ne s’agissait que d’établir un budget positif sur le pied de guerre ou sur le pied de paix, certes la chose serait facile et n’amènerait pas le moindre embarras.
Mais il faut le bâtir sur des chances éventuelles, tâcher d’allier les deux systèmes pour passer de l’un à l’autre sans entraves, sans difficultés. L’œuvre n’est pas si facile qu’on le suppose, et c’est cependant ce que j’ai tâché d’obtenir dans les trois budgets successifs que j’ai eu l’honneur de vous présenter.
Je n’entrerai pas ici dans le récit des faits qui vous sont connus à tous, sur la manière dont les budgets de la guerre sont établis en Hollande, et de ceux qui sont relatifs à des budgets du département de la guerre en France, où les événements politiques ont apporté tant de perturbation, tant de crédits supplémentaires et extraordinaires ; je me bornerai à ceux qui concernent la Belgique, et mon exposé servira à éclaircir et à justifier les résultats qui vous ont été présentés d’une manière aussi défavorable dans le rapport de votre commission.
Exercice 1832
A mon entrée au ministère, je trouvai le budget réglé à la somme de fr. 62,548,948
Il y fut ajouté pour l’indemnité des officiers volontaires une somme de fl. 60,000 : fr. 126,983 13 c.
La loi du 3 juin m’accorda le crédit supplémentaire que je demandai pour dépenses reconnues nécessaires, montant à fl. 2,588,000, ci fr. 5,477,248 68 c.
La loi du 8 juillet m’accorda un nouveau crédit pour la levée des bataillons de réserve, montant à fl. 4,400,000, ci. fr. 9,512,169 31 c.
Total : fr. 77,465,349 12 c.
Ces crédits supplémentaires ont été appliqués aux dépenses auxquelles ils étaient destinés.
Les 60,000 florins ont été répartis entre les officiers de volontaires.
Les 2,588,000 florins ont été employés aux dépenses qui avaient nécessité ce crédit supplémentaire, ainsi qu’elles ont été réglées par la loi du 15 mars 1834, qui a autorisé la répartition de la somme totale entre les divers articles du budget.
Quant au dernier crédit de 4,400,000 florins accordé pour l’entretien de 30,000 hommes d’infanterie pendant six mois, j’avais déclaré à la commission qu’il n’en serait fait emploi que pour le nombre d’hommes qui seraient levés, et pour le temps qu’ils seraient entretenus sous les armes.
C’est sur cet article qu’il a été fait une réduction de dépenses qui, ajoutée aux remboursements des avances effectuées sur la masse d’habillement, ont porté la quotité des fonds restants disponible sur cet exercice à la somme totale de fr. 5,603,737 47 c.
Voilà, messieurs, l’explication de ce restant disponible qui ne provient ni d’allocations mal fondées, ni d’allocations en trop, ou qui n’étaient point rigoureusement appliquées, ou qui n’avaient pas été convenablement appréciées.
Il est très facile, je le répète, de jeter du blâme sur des opérations exécutées, au milieu d’éventualités qui renversent les prévisions, je ne dis pas de l’année précédente où les budgets sont établis, mais même de la quinzaine où l’on agit, et l’on voudrait aujourd’hui que ces prévisions aient eu la précision mathématique que l’on établit quand les faits sont accomplis ! C’est chose impossible, et, loin d’y voir matière au blâme, je suis étonné, je l’avoue, d’être arrivé à un pareil résultat.
Exercice 1833
C’est ici, messieurs, que je vais vous démontrer combien, lorsqu’il y a quelque chose de fixe et d’arrêté dans la politique, il est facile d’y conformer les prévisions des dépenses, et, ce qui vaut mieux encore, de les réaliser.
La loi du budget de 1833 en régla le montant à la somme de 66,433,000 fr. non compris une somme de 2,456,000 fr. qui fut retranchée du montant des allocations de la masse d’habillement, les corps devant recevoir cette somme par les retenues et les versements des militaires, ce qui atténuait d’autant leur dette envers l’Etat.
Dès que la convention du 21 mai eut stipulé un armistice entre la Belgique et la Hollande, le gouvernement s’empressa de renvoyer une partie de l’armée en congé, et proposa sur les allocations votées au budget de l’année, une réduction de 11,453,000 fr., à réaliser pendant le dernier semestre de l’exercice.
Ce n’est pas tout messieurs : le budget, ainsi réduit à 55 millions de fr., a encore été diminué de 3,635,000 fr. par l’effet de nouvelles réductions dans l’effectif de l’armée, réductions que permettait de faire le maintien de l’armistice
Ainsi les dépenses du budget de cet exercice ont été réduite de 15,068,000 fr. ; et fallait-il, pour réaliser les prévisions du budget, dépenser une partie de cette somme ? Assurément non, messieurs, et j’ai préféré d’être trompé dans mes prévisions et laisser au trésor les fonds que ne réclame pas ce service.
Mais c’est à la convention du 21 mai que l’on doit rapporter ce résultat, et non à ce que les allocations du budget avaient été mal établies ou mal calculées ; et j’invoque ici le témoignage de la commission qui fut chargée d’en examiner les détails et qui sut si bien remplir cette tâche honorable.
Ainsi, messieurs, pour cet exercice comme pour l’autre, point de faux calculs, point de fausses évaluations, point d’allocations mal appliquées ou sans motifs valables ; l’économie tout entière tient au passage du pied de guerre au pied de paix, par suite de la convention du 21 mai.
C’est pendant le siége de la citadelle d’Anvers que j’établissais les prévisions du budget de 1833 ; et qui aurait deviné, je vous le demande, que cinq mois après il y aurait un armistice ?
Je vous avoue, messieurs, que j’étais loin de m’attendre qu’on me ferait un reproche d’avoir calculé, au mois de novembre 1832, les dépenses présumées de l’exercice 1833 pour l’entretien d’une forte armée prête à entrer en campagne ; de n’avoir pas prévu alors qu’il y aurait un armistice cinq mois après, et d’avoir réduit pendant le dernier semestre les dépenses de 15,000,000 de francs.
Ceci, messieurs, est réellement hors de toute prévision et sort des limites de l’intelligence humaine.
Exercice 1834
J’espère vous démontrer que sur cet exercice comme sur les précédents, il n’y a pas eu d’allocations mal fondées, de dépenses mal appréciées, de fonds accordés sans motifs valables, parce que je tiens à détruire complètement ces allégations qui me touchent autant que les commissions que vous avez honorées de votre confiance pour l’examen des budgets de 1832, 1833 et 1834, et qui se sont acquittées de leurs fonctions avec un zèle et une perspicacité auxquels je dois rendre la justice qui leur est due à si bons titres.
C’est après mûr examen, et les investigations les plus minutieuses, que le budget de 1834 fut réglé sur le pied de paix à la somme totale de 38,281,000 fr.
Mes prévisions sur ce pied de paix et sur l’état d’armistice étaient tellement bien établies, que les dépenses du premier trimestre furent exactement celles qui étaient portées au budget. La commission des crédits supplémentaires du mois d’août dernier m’a rendu à ce sujet pleine et entière justice, après avoir vérifié scrupuleusement tous les calculs établis tant sur l’effectif que sur le montant des dépenses.
Je n’ai pas besoin de vous rappeler les événements politiques qui survinrent au mois de mars, et qui obligèrent le gouvernement à vous demander un supplément de crédit, d’abord de 2,800,000 francs restant disponibles sur l’exercice précédent, et ensuite de 3,637,000 fr. dont 2 millions à prélever sur les fonds qui restaient encore disponibles de 1832, et 835,000 fr. qui étaient aussi disponibles sur l’exercice 1833, après l’annulation de 11 millions 433,000 fr. sur ce même exercice.
Ce que le rapport de la section centrale n’a pu vous annoncer et que je crois devoir dire, c’est qu’il restera sur cet exercice 1834 un fonds disponible de 2,500,000 fr. dont il faut rapporter la majeure partie aux retenues et versements effectués pendant cet exercice, qui ont permis aux corps de ne pas prendre en totalité leurs allocations de masse d’habillement, et qui ont ainsi servi au remboursement des avances faites en 1830 et 1831 par le trésor aux corps de l’armée pour l’habillement des hommes qu’ils ont reçus pendant ces deux années ; et je répète ici, messieurs, que dans les 24,000,000 fr. que j’ai laissés sans emploi sur les exercices 1832, 1833 et 1834, le remboursement des avances faites aux corps et qui montaient à 13,000,000 fr. entre pour 8,000,000 fr., dont 5,600,000 fr. par retenues et versements et 2,400,000 pour la défalcation de pareille somme qui fut faite sur les allocations de la masse d’habillement pour l’exercice 1833.
Les comptes vous seront présentés, et je suis persuadé qu’ils ne laisseront dans vos esprits ni doute, ni incertitude sur leurs résultats que je vous ai annoncés.
Je n’ai jamais présenté comme véritables économies de mon fait seul, les 24 millions que j’ai laissés disponibles sur les trois budgets, dont je viens d’avoir l’honneur de vous entretenir :, j’ai toujours dit que dans ces reliquats de fonds disponibles entrait nécessairement ce que les corps ont pris en moins sur les allocations de leur masse d’habillement, et qui se monte à 5,600,000 francs. Mais j’ai cru pouvoir faire connaître des économies réelles résultant de mon administration, et en cela, messieurs, je n’ai fait que ce que tout administrateur est en droit de faire.
Après vous avoir successivement exposé les résultats des trois budgets précédents, il me reste à détruire une assertion relative aux transferts consentis par la chambre, « qu’elle croyait votés, et dont elle ne voulait que changer la destination dans l’ignorance où elle était de leur origine. »
Chacun de mes rapports pour les transferts proposés était cependant bien explicite, et il me suffira de vous les rappeler pour répondre à cette assertion.
Sur le restant disponible de 1832 :
- 3,603,737 fr. ont été appliqués à couvrir les dépenses arriérées des exercices 1830 et 1831.
- 2,000,000 fr. ont été transférés à l’exercice 1834.
Sur le restant disponible de 1833 :
- 11,433,600 fr. ont été annulés.
- 3,635,010 ont été transférés à l’exercice de 1834.
Voilà, messieurs, tous les transferts qui ont été proposés. bien expliqués et consentis par les chambres. Vous conviendrez qu’ils ne présentent pas l’ombre de la plus légère complication.
Les comptes tenus au ministère, à la trésorerie et à la cour des comptes, sont parfaitement d’accord sur ce point de comptabilité, et il n’en est pas résulté le moindre inconvénient dans la tenue de ces comptes.
Quant au restant disponible de 1834, que j’évalue à 25,000,000, le gouvernement se réserve de vous en proposer l’application à un objet éminemment utile et essentiel à la défense du pays.
Quant aux revirements d’un article à l’autre sur le budget d’un même exercice, dont le rapport a également blâmé la multiplicité, je vous avoue encore que je ne conçois pas ce blâme, car ils sont bien peu nombreux, et je m’étonne d’avoir pu me tenir ainsi dans les limites de presque tous les articles.
En 1832 il y eut deux transferts, l’un de 637 fr. 25 c. pour traitements, et l’autre, de 3,492,712 pour vivres de campagne, dont j’ai expliqué les causes sans réplique.
En 1833, il y en eut quatre :
Le premier de 14,000 pour l’état-major des places.
Le deuxième de 15,000 pour frais de bureau.
Le troisième de 1,000 pour le haras.
Le quatrième de 20,000 pour traitement de non-activité.
En tout 50,000.
Je ne sache pas que les autres départements ministériels, même ceux les moins sujets à perturbation dans leurs prévisions, vous en ont offert moins sur ces deux exercices.
Je n’en ai pas demandé au budget de 1834 et crois pouvoir assurer que je n’en demanderai pas.
Cette obligation d’obtenir une loi pour le plus léger revirement entre articles du même budget, et souvent du même chapitre, n’était pas imposée sous l’ancien gouvernement qui disposait comme il l’entendait, et sans doute dans l’intérêt du service, des restants disponibles sur quelques articles, pour couvrir les excédants de quelques autres.
La même marche a toujours été suivie en France, et c’est par ordonnance du Roi que ces revirements sont effectués ; le Roi est même autorisé à ouvrir des crédits extraordinaires et des crédits supplémentaires pour dépenses urgentes et prévues, sauf à le soumettre à la sanction des chambres.
Ici, messieurs, la cour des comptes est chargée par l’article 116 de la constitution d’empêcher qu’aucun article du budget ne soit dépassé et qu’aucun transfert n’ait lieu.
De là la nécessité de recourir à la loi dans les deux cas prévus, par cette disposition constitutionnelle.
La cour des comptes veille tellement bien au maintien de cette disposition que, pour une simple erreur d’impression, il faudra, à son avis, une loi pour rectifier cette erreur qui consiste à la fausse indication du chapitre IV au lieu du chapitre VII dans la loi des crédits de 1834, quoique la discussion ait pleinement établi que les 30,000 fr. alloué étaient destinés au chapitre VII pour lequel ils étaient demandés, et non au chapitre IV qui n’a pas besoin de ce supplément d’allocation.
Il me reste, messieurs, à m’expliquer sur la nouvelle forme donnée au budget que la section centrale a proposée, et dans laquelle elle voit l’avantage d’obtenir des comptes plus clairs, plus précis, et de suivre mieux l’emploi des différentes masses.
Ce nouveau mode consiste à ne laisser aux articles des diverses troupes de l’armée que les dépenses relatives au traitement des officiers et à la solde des sous-officiers et soldats, et établir 12 nouveaux articles au budget destinés chacun à comprendre les allocations de chacune des masses pour la totalité des corps de l’armée.
Déjà l’honorable rapporteur des commissions de 1833 et 1834 m’avait exposé les motifs de ce projet, et j’avais même essayé de le remplir pour le budget de 1835 ; mais quelques embarras de détails, l’obligation de fournir dans un bref délai le budget de cet exercice pour être présenté à la session dernière, me forcèrent d’y renoncer.
J’ai suivi, jusqu’à présent, le mode de rédaction que je trouvai établi au département de la guerre, et ce mode a aussi ses avantages, en ce qu’il est conforme à toutes les dispositions du règlement d’administration qui régit l’armée depuis 1819, et dont j’ai reconnu la supériorité sur les règlements français, par sa simplicité et la facilité des vérifications de comptabilité.
Par le nouveau mode, chacun des corps de l’armée prélèvera les fonds destinés à ses dépenses sur 10 à 12 articles du budget, et il faudra établir et mandater autant d’ordonnances de paiement, au lieu de la seule qui lui était donnée sur le seul et même article qui réunissait toutes ses dépenses.
Si la chambre adopte cette nouvelle forme de budget, je serai dans l’obligation de modifier plusieurs dispositions du règlement d’administration, et de faire établir de nouveaux registres et de nouveaux imprimés qui sont en grand nombre dans la comptabilité militaire.
Néanmoins, messieurs, je suis loin de repousser toute innovation, surtout quand elle est présentée comme pouvant réaliser les espérances que l’on en conçoit, et je désire, autant que personne, que l’ordre et la régularité soient maintenus dans les comptes du département de la guerre.
J’adopte donc le mode de séparation des allocations des masses, de celles des traitements et de la solde, me réservant de donner de nouvelles explications à ce sujet.
Ici se termine, messieurs, ma réponse aux observations préliminaires du rapport et je me réserve également de donner des explications détaillées sur chacun des articles, à mesure que nous allons entrer dans leur discussion.
M. Gendebien. - Messieurs, quelque peut de zèle que l’on mette à assister à une discussion aussi importante que celle du budget de la guerre, qui à lui seul absorbe la moitié de nos revenus, je ne puis me dispenser de prendre la parole, et fussé-je le seul, comme je l’ai dit dans une autre circonstance, je remplirai mon devoir comme toujours. Je m’efforcerai de l’accomplir.
Avant de discuter le budget de la guerre, il convient de bien nous pénétrer de notre position à l’intérieur et à l’extérieur, parce que naturellement les allocations doivent ou augmenter ou diminuer suivant les probabilités de guerre ou de paix. Je me proposé d’abord d’adresser à M. le ministre des affaires étrangères quelques questions, ou plutôt de revenir sur quelques interpellations qui lui ont été adressées au sénat par un de ses honorables membres. Avant d’aborder les réponses faites par le ministre dans l’autre chambre et pour mieux les apprécier, je crois nécessaire de résumer notre situation politique extérieure. Je tâcherai d’être bref.
Vous savez, messieurs, que le ministère Wellington est définitivement composé, c’est un ministère tory et même d’une nuance très renforcée. Or, veuillez-vous rappeler qu’au moment de notre révolution, le même ministère se trouvait à la tête des affaires d’Angleterre. Voyons succinctement et par les actes antérieurs de ce ministère ce que nous pouvons et devons en attendre.
Je vous prierai d’abord de lire attentivement le discours du roi d’Angleterre à l’ouverture du parlement le 2 novembre 1830. Je me bornerai à vous en donner quelques fragments ; ce discours est le thème du ministère tory, le même qui est aujourd’hui aux affaires. C’était la profession de foi politique de ce ministère.
« C’est avec un profond regret, dit le Roi, que j’ai été témoin de l’état des affaires dans les Pays-Bas. Je vois avec peine que l’administration éclairée du roi n’a pas préservé ses domaines de la révolte, et que la mesure sage et prudente de soumettre les désirs et les plaintes de son peuple aux délibérations d’une assemblée extraordinaire des états-généraux, n’ait pas amené un résultat satisfaisant.
« Je m’efforce, de concert avec mes alliés, d’aviser, pour rétablir la tranquillité, à des moyens qui seront compatibles avec la prospérité du gouvernement des Pays-Bas, et avec la sécurité future des autres Etats.
« Des apparences de tumulte et de désordre ont causé de l’inquiétude en différentes parties de l’Europe ; mais les assurances de dispositions amicales que je continue de recevoir de toutes les puissances étrangères, justifient l’attente que je pourrai conserver à mon peuple le bienfait de la paix.
« Sentant toujours la nécessité de respecter la foi des engagements nationaux, je suis persuadé que ma détermination de maintenir, de concert avec mes alliés, ces traités généraux, par lesquels le système politique de l’Europe a été établi, offrira la meilleure garantie au repos du monde. »
Ainsi, messieurs, vous voyez que le discours du roi Guillaume IV, le 2 novembre 1830, c’est-à-dire le discours du ministère tory, du même ministère qui forme aujourd’hui le cabinet anglais, qualifie l’administration du roi Guillaume d’éclairée, nous accuse hautement de révolte, nous menace d’intervenir, et énonce aussi clairement que possible qu’il entend maintenir les traités généraux qui avaient constitué l’Europe, c’est-à-dire ceux de 1814 et de 1815. Je crois inutile de vous rappeler que c’est en vertu de ces traités que nous avions été réunis à perpétuité à la Hollande.
Voilà des pièces officielles que personne ne peut méconnaître, ni contester. Veuillez-vous rappeler qu’à une séance du congrès, M. Sylvain Van de Weyer, revenant de sa mission d’Angleterre, nous dit qu’après avoir été introduit près de lord Aberdeen, le même qui aujourd’hui est ministre, il lui demanda quelle était la détermination de l’Angleterre à l’égard de la Belgique. Lord Aberdeen, et faites bien attention que j’ai copié sa réponse dans les journaux de l’époque, dans l’Union, lord Aberdeen répondit que l’Angleterre était résolue à faire respecter les traités qui assuraient la tranquillité et la paix de l’Europe, et qu’elle n’interviendrait pas tant que ses intérêts et son honneur ne se trouveraient pas compromis.
Ainsi, vous voyez que la conduite de lord Aberdeen est tout à fait d’accord avec le discours du trône. Seulement, d’après le ministre anglais, on n’interviendra que dans le cas où les intérêts et l’honneur de la Grande-Bretagne en démontreraient la nécessité, c’est-à-dire à la première occasion qui serait jugée favorable par le Roi d’Angleterre et ses alliés les despotes du Nord. Au sujet de l’interpellation d’un membre du congrès qui désirait savoir s’il avait été question du Luxembourg dans cette conférence, M. Van de Weyer répondit que lord Aberdeen lâcha le mot de Luxembourg. Le ministre belge aurait ajouté, toujours dans son entretien avec lord Aberdeen, que la Belgique voulait respecter les relations de la Belgique avec la confédération germanique. Là-dessus, lord Aberdeen fit à une réponse toute diplomatique, c’est-à-dire qu’il fit un signe de tête, et voilà tout.
Maintenant voulez-vous recourir à la discussion du parlement d’Angleterre au sujet du discours du trône en ce qui concerne la Belgique ? Wellington, Aberdeen, tous les ministres de cette époque se sont bornés à dire qu’il n’entrait pas dans l’intention du gouvernement d’intervenir par la guerre, mais que la volonté de l’Angleterre était de maintenir les traités généraux, de conserver les bases qui avaient constitué le royaume des Pays-Bas, et de se concerter à ce sujet avec les puissances signataires aux traités de 1814 et 1815. C’était donc par la diplomatie qu’on voulait nous enlacer.
Qu’est-t-il arrivé ensuite ? Le ministère tory fut renversé, parce que l’Angleterre n’était pas disposée alors à laisser écraser les peuples qui avaient secouer leur joug et parce qu’elle se sentait elle-même portée à les imiter. On voulut d’abord calmer le peuple. On renversa le ministère tory trop irritant pour le peuple ; mais on eut recours aux doctrinaires, comme on a fait en France, en Belgique. Le spécifique a parfaitement réussi. Le ministère qui n’avait pu se soutenir en 1830 est revenu aux affaires, il a seulement une teinte un peu plus forte de torysme.
Que pensez-vous qu’il fera ? Je n’oserais me prononcer à cet égard ; mais d’après ses antécédents, il me semble qu’il fera ce qu’il voulait faire en 1830. Voyez quelle est notre position ! Le roi d’Angleterre, le 2 novembre, alors qu’il fulmine contre la Belgique, ses inquiétudes pour son gouvernement percent à chaque phrase, à chaque mot, et dans ces inquiétudes il est menaçant à notre égard ; il va même jusqu’à l’injure. Voyez s’il ne sera pas dans les mêmes idées, avec les mêmes hommes qu’en 1830 ; aujourd’hui surtout qu’il se croit délivré des inquiétudes qui l’assiégeaient en 1830.
Nos ministres peuvent être tranquilles, peuvent affecter une grande sécurité ; moi je ne le suis pas. En 1831, nos ministres étaient aussi en parfaite sécurité, et pourtant vous savez ce qui est arrivé.
Vous avez vu, messieurs, qu’en sa qualité de roi de Hanovre, Guillaume IV a toujours détesté notre révolution et méconnu notre existence nationale, alors même qu’il avait derrière lui un ministère wigh qui n’y est plus. Que ne fera-t-il pas aujourd’hui qu’il a des ministres dont les opinions sont semblables à la sienne, des hommes chassés autrefois du fauteuil ministériel, parce qu’ils favorisaient les préjugés de ce représentant décrépit de l’aristocratie anglaise ? Qu’avez-vous à espérer si le roi de Hanovre a agi en opposition directe avec ce qu’il était obligé de subir comme roi d’Angleterre, lorsqu’il a un ministère wigh ? Je demande quel ne sera pas l’empire du roi de Hanovre sur le roi d’Angleterre, ayant un ministère tory dévoué avant tout à sa personne, à ses préjuges !
Après tout, le ministère Grey, que la doctrine regrette aujourd’hui, qu’a-t-il fait ? Il n’a pas voulu la guerre, ni qu’on n’obérât le trésor pour faire une guerre continentale. Mais il n’en a pas moins négocié le retour du prince d’Orange en 1831, et l’on a intrigué très activement à Bruxelles à l’ambassade anglaise pour ramener ce prince en Belgique. Les hommes attachés à cette légation l’ont avoué eux-mêmes, parce qu’ils ne pouvaient se justifier, ni désavouer un fait qui était trop patent, et parce qu’ils avaient besoin de nous inspirer encore quelque confiance au sujet du candidat nouveau que nous présentait l’Angleterre, le prince de Saxe-Cobourg.
Eh bien, messieurs je suppose que Wellington aujourd’hui abandonne le système de guerre et qu’il en reste au système des négociations comme il le disait sincèrement ou hypocritement en 1830 ; mais ce système de négociations consiste, à plus forte raison dans les mêmes intrigues que sous le ministère Grey. On intriguera dans le même but ; c’est-à-dire, à la reconstitution du royaume des Pays-Bas.
Messieurs, je sais que le ministère tory n’est pas définitivement assis, je sais qu’une élection générale sera pour lui une rude épreuve ; mais, d’un autre côté, cette élection générale ne nous assure pas un succès complet, et avant que cette élection générale ait produit ses effets, si tant est qu’elle doive rappeler un ministère whig au pouvoir, à quels dangers ne sommes-nous pas exposés en attendant !
Le ministère paraît en grande sécurité, et moi je déclare que le plus grand danger pour nous est dans les deux mois qui vont s’écouler, parce que, d’une part, c’est pour le roi Guillaume un besoin d’agir le plus promptement possible ; car il ne peut plus trop compter sur la complaisance des états-généraux : la nation hollandaise est fatiguée, et elle pourrait lui refuser plus tard les moyens de reconquérir la Belgique.
D’un autre côté, le ministère Wellington a le plus grand intérêt à ce qu’une tentative soit faite, parce que si le roi Guillaume nous surprenait une seconde fois, et parvenait à s’emparer de la totalité ou d’une partie de la Belgique,- on s’empresserait de dire : C’est un fait consommé, et on partirait de là pour immoler notre révolution, ou pour ouvrir de nouvelles négociations.
Prenez-y garde, car les wighs eux-mêmes soutiendraient peut-être en cela le ministère Wellington.
La raison en est simple, wighs et tories ont peur par-dessus tout de la réunion de la Belgique à la France. Car ils sont dans une incessante défiance à cet égard, et cette crainte réunit toutes les opinions gouvernementales en Angleterre, excepté l’opinion la plus avancée. Wighs et tories, je n’excepte que l’opinion radicale, tous applaudiraient à un pareil événement et appuieraient le ministère tory, parce que ce serait un moyen de se débarrasser de l’inquiétude de voir la Belgique se réunir à la France. Nous devons donc dès à présent nous mettre en mesure de repousser toute tentative de la Hollande. Nous n’avons, il me semble, pas un moment à perdre ; au moins la prudence nous en fait un devoir.
Maintenant, messieurs, voyons, d’après ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, si les réponses que M. le ministre des affaires étrangères a faites au sénat, sont satisfaisantes et de nature à nous rassurer. Je crois inutile de vous lire les interpellations qui ont été faites, il suffira de vous donner lecture de la réponse du ministre ; la voici :
« M. le ministre des affaires étrangères. - L’honorable sénateur demande si nous resterons dans la même position à l’égard des puissances : quant à moi, je désire de tout mon cœur que rien ne soit changé à cette position. La Belgique se trouve dans les relations les plus amicales, les plus bienveillantes avec la plupart des puissances de l’Europe ; c’est à tel point que nous n’avons qu’à nous féliciter du bon accueil que nous en recevons relativement à nos démêlés avec la Hollande.
« Il demande si nous resterons sous le poids des 24 articles. Messieurs, je vous avoue que je n’ai pas à m’expliquer à cet égard. Vous savez que le traité du 15 novembre forme la base de notre droit politique : évidemment nous ne le repousserons pas et cela par une raison toute simple, c’est que nous nous sommes engagés. Le traité du 15 novembre a été accepté par la Belgique ; elle l’a considéré comme le fondement de son droit européen. Il est vrai que si on s’attachait au développement du sens de quelques articles, on pourrait différer sur l’interprétation plus ou moins rigoureuse qu’ils doivent recevoir. Il y a plus, je crois que dans les circonstances actuelles il y aurait danger à exprimer une opinion sur les conditions relatives à l’exécution de ce traité, et je ne me crois pas autorisé à émettre en public mon opinion personnelle à cet égard.
« Je le répète, le traité du 15 novembre est considéré comme la base du droit public de la Belgique ; il a été accepté par elle, sera exécuté loyalement par elle. Quant aux articles qui peuvent être exécutés d’une manière différente selon les vues des parties contractantes, le gouvernement se réserve de faire valoir les droits de la Belgique en temps utile, et il ne manquera pas à ses devoirs. »
Ainsi le ministère est en pleine sécurité à l’égard des puissances étrangères. J’espère qu’il nous exposera les motifs de sa sécurité. Je viens d’énoncer ceux qui me portent à croire qu’il a tort d’avoir tant de confiance ; je désire me tromper, je désire qu’il me tranquillise, je désire surtout qu’il tranquillise ma nation, mais j’ai le droit d’exiger une explication franche, car la nation est enfin fatiguée de déceptions.
Nous avons, dit-il, le traité du 15 novembre, qui sert de base à notre existence politique : voilà le palladium de la Belgique. Eh bien, messieurs, qu’est-ce que c’est que ce traité du 15 novembre, respectivement aux puissances du Nord et même à l’égard de la France et de l’Angleterre ? Je soutiens que ces puissances ne sont pas même engagées par le traité du 15 novembre.
Je l’ai démontré dans une autre circonstance. Je vous ai dit : Qu’il arrive un autre ministère en Angleterre, et vous verrez comment on y interprétera ce traité. Je dis qu’il ne lie pas même la France ni l’Angleterre. Si vous voulez vous en convaincre, lisez la note annexée à ce traité. Ce sont les cinq puissances qui parlent, l’Angleterre et la France comme les autres.
« En invitant M. le plénipotentiaire belge à signer les articles dont il est fait mention ci-dessus, les soussignés observent :
« 1° Que ces articles auront toute la force et valeur d’une convention solennelle entre le gouvernement belge et les 5 puissances ;
« 2° Que les cinq puissances en garantissent l’exécution ;
« 3° Qu’une fois acceptés par les deux parties, ils sont destinés à être insères, mot pour mot, dans un traité direct entre la Belgique et la Hollande, lequel ne renfermera en outre que les stipulations relatives à la paix et à l’amitié qui subsisteront entre les deux pays et leurs souverains ;
« 4° Que ce traité signé sous les auspices de la conférence de Londres sera placé sous la garantie formelle des cinq puissances ;
« 5° Que les articles en question forment un ensemble qui n’admet pas de séparation ;
« 6° Enfin qu’ils contiennent les décisions finales et irrévocables des cinq puissances, qui, d’un commun accord, sont résolues à amener elles-mêmes l’acceptation pleine et entière desdits articles par la partie adverse si elle venait à les rejeter. »
Cette annexe a la même force que le traité lui-même. Cela est dit clairement, et s’il n’en était pas ainsi, le ministère tory nous le ferait bien voir ; or, il n’y a d’engagement réel qu’autant que les deux parties aient signé. Ceci me paraît incontestable et je vous prie de bien le remarquer. Dans le fait, je vous demande ce que c’est qu’un contrat bilatéral, du moment où il n’est signé que par l’une des deux parties ; et vous savez que l’une des deux parties, le roi Guillaume, n’a pas signe le traité. Il est une autre observation que le ministère tory ne manquera pas de faire, c’est que la Prusse et l’Autriche, parties intervenantes au traité, ne l’ont ratifié qu’en exceptant ce qui est relatif au Luxembourg.
L’empereur de Russie ne l’a également ratifié que sous réserve expresse non pas de ce qui est relatif au Luxembourg, car il ne fait pas partie de la confédération germanique ; mais, pour tenir le traité en suspens, il a pris un autre prétexte, il fait ses réserves sur les articles 9, 12 et 13. Ces articles sont les seuls qui accordent quelque chose à la Belgique. De manière que l’empereur de Russie veut bien ratifier le traité pour tout ce qui est favorable à la Hollande, et il excepte tout ce qui stipule quelque avantage ou quelque garantie pour la Belgique.
La France et l’Angleterre, qui ont ratifié comme faisant partie de la conférence, pourront donc, quand cela leur conviendra, dire qu’elles ne sont pas engagées puisque les autres puissances ne le sont que conditionnellement.
Maintenant voulez-vous avoir une preuve que les autres puissances entendent le traité comme le ministère tory ne manquera pas de le faire. C’est que le roi d’Angleterre qui a signé le traité est roi de Hanovre, et qu’en cette qualité il est membre de la confédération germanique ; que le roi de Prusse qui a également signé le traité est aussi membre de la confédération germanique ; que l’empereur d’Autriche est membre de la confédération germanique et que tous trois agissent comme s’ils n’avaient pas signé le traité du 15 novembre.
On nous a donné jusqu’à des paroles d’honneur que ce traité serait infailliblement accepté, que toutes ces puissances ne manqueraient pas de nous faire avoir le Luxembourg précisément parce qu’elles faisaient partie de la confédération germanique. Vous avez déjà vu comment on nous en a pris la moitié, vous verrez comment on viendra nous enlever l’autre. Pour moi, il me suffit qu’on nous en ait enlevé la moitié, malgré la foi jurée, pour que je n’aie aucune confiance dans les promesses qu’on pourra nous faire relativement à l’autre moitié.
Je vous ai dit tout à l’heure que la Prusse, l’Autriche et le roi d’Angleterre assistaient à la confédération germanique. Et bien, là se présente le roi Guillaume comme grand-duc du Luxembourg et pour la totalité de la province du Luxembourg : remarquez-le bien, pour la totalité, et il est agréé en cette qualité, comme représentant de la totalité du Luxembourg, par la Prusse, l’Autriche et le roi de Hanovre, bien que ces puissances aient signé et ratifié le traité. Or, si ces puissances s’étaient considérées comme liées par ce traité, s’il avait une valeur à leurs yeux avant qu’il ne fût signé par Guillaume, elles ne pourraient pas admettre le roi Guillaume dans la confédération, alors qu’il s’y présente comme grand-duc pour la totalité du Luxembourg. Ce mot en totalité est en toutes lettres dans les protocoles adressés à la confédération et reçus par elle.
Voulez-vous savoir quels arguments on peut tirer de là ? Je ne veux pas faire de prophéties relativement au Luxembourg, parce que celles qu’on a déjà faites ont été trop funestes à mon pays : je m’en tiens au raisonnement. Et bien, on peut conclure de ce qui est arrivé, que nous n’aurons pas le Luxembourg et que nous aurons la dette, quoique M. Lebeau nous ait promis que nous aurions le Luxembourg et que nous n’aurions pas la dette. Je le répète, je ne prophétise pas, je raisonne.
Vous le savez, un tribunal arbitral a été constitué pour juger tous les différends qui s’élèvent et s’élèveront entre les peuples et les princes de la confédération germanique ; le roi Guillaume a déjà nommé ses deux arbitres, il soumettra à un tribunal arbitral le différend qui s’est élevé entre lui et le peuple du grand-duché tout entier, qualité dans laquelle il est déjà agréé dans la confédération, et le tribunal ne manquera pas de donner gain de cause au roi Guillaume contre le peuple du Luxembourg. Puis la confédération germanique sera chargée d’exécuter l’arrêt ; cela est de règle : elle enverra 25 ou 30 mille hommes dans le Luxembourg ; elle s’emparera de la totalité du Luxembourg.
Le roi Guillaume qui nous menace de la guerre depuis 4 ou 5 semaines, envahira ou au moins nous menacera d’envahir la Belgique, si nous nous postons dans le Luxembourg. J’admets l’hypothèse la moins défavorable, car il entrera peut-être ; mais je suppose qu’il n’entre pas, et qu’il menace seulement d’entrer dans le cas où vous vous porteriez dans le Luxembourg ; eh bien, que feriez-vous, dans la position où vous êtes, si cette menace vous est adressée ?
On a demandé dans l’autre chambre à M. le ministre des affaires étrangère, si nous pouvions compter sur le secours de la France et de l’Angleterre dans le cas où nous en aurions besoin. Il a répondu d’une manière assez leste que la Belgique pouvait se passer de tout secours étranger. Oui, elle peut s’en passer si elle n’a affaire qu’à la Hollande ; si elle a affaire à la Hollande et à la confédération germanique, elle peut encore résister ; mais il faut d’autres mesures, il faut d’autres hommes pour faire tête à cette double attaque.
Mais croyez-vous que l’Angleterre nous porte secours ? Elle ne le fera pas. C’est au moins mon opinion. Non, Wellington ne fera pas la guerre ! Il a été obligé déjà de quitter les affaires parce qu’on craignait qu’il ne fît la guerre contre nous, et qu’il n’allumât une guerre générale. L’Angleterre ne permettra pas, à plus forte raison, qu’on fasse la guerre contre la confédération germanique ; car cette guerre présenterait des chances plus fâcheuses d’une conflagration générale, qu’une intervention contre nous en 1830.
La France, nous dira-t-on, ne le souffrirait pas. La France, cette belle et généreuse nation nous porterait secours sans aucun doute si elle était libre ; mais la France est sous le joug honteux des doctrinaires, de ce spécifique dont j’ai parlé tout à l’heure, et qui a tout détruit en France hors l’honneur. Non, le gouvernement du roi Louis-Philippe ne nous portera pas secours. On est arrivé à inspirer une telle peur à tous les poltrons qui sont à la tête des affaires de France, on a trouvé le moyen de propager si bien cette peur qu’elle a remplacé l’exaltation de 1830. Tous les partis, exception l’extrême gauche, cette phalange patriote seule fidèle aux principes de juillet, tous laisseraient faire. Et soyez sûrs que si la chambre des députés de France était consultée sur des mesures à prendre pour empêcher la confédération germanique d’envahir le Luxembourg, les 4/5 de ses membres voteraient contre ces mesures.
Voilà, messieurs, la position des choses, elle peut ne pas être réelle, elle peut ne pas se réaliser, mais je la crois logique et je crois l’avoir établie d’une manière péremptoire ; toutefois, j’abandonnerai très volontiers mes idées et mes conjectures sur ce point, si le ministère parvient à calmer mes justes inquiétudes.
Maintenant, messieurs, je dirai aujourd’hui, et je finirai par là, ce que je disais au mois de mars dernier, alors qu’on demandait des millions pour obtenir réparation de l’affront sanglant que nous avions reçu dans le Luxembourg dans la personne de M. Hanno, ce que je disais alors avec tous les membres de la commission chargée d’examiner la demande du ministre, c’est que l’on demandait trop ou trop peu : trop si l’on ne voulait rien faire, trop peu si on voulait agir d’une manière efficace. Eh bien, je dis la même chose aujourd’hui. Si le gouvernement veut sérieusement défendre le Luxembourg, il ne demande pas assez ; s’il ne veut pas le défendre, il demande trop. Il demande trop ; car, si après une ostentation de préparatif, il veut encore nous laisser outrager d’une manière aussi ignoble qu’en mars 1834, la honte sera augmentée de toute l’importance que nous aurons semblé mettre à nous défendre.
Je ne sais si dans le ministère on partage aujourd’hui l’opinion qu’exprimait à la fin de février ou dans les premiers jours de mars M. d’Huart, qui n’était pas alors ministre des finances ; il disait à cette époque : « Le gouvernement fléchit lâchement devant la menace… Il recule devant la menace… Le gouvernement abandonne le Luxembourg… Je suis persuadé, continuait M. d’Huart, que le gouvernement ne demande pas mieux, qu’il verrait de très bon œil que la confédération germanique s’emparât de tout le Luxembourg, par une espèce de coup de main. »
Telle était l’opinion de M. d’Huart au commencement de mars 1834 ; si quelqu’un en doute, il n’a qu’à consulter le Moniteur de l’époque. Et maintenant, messieurs, d’après les mesures prises par le gouvernement, et malgré toute la satisfaction qu’il témoigne dans cette chambre et dans l’autre sur l’état de nos relations extérieures, je crois, comme M. d’Huart l’affirmait au printemps dernier, que le gouvernement abandonnerait volontiers le Luxembourg, qu’il ne demanderait pas mieux d’être débarrassé de cette charge embarrassante et trop pesante pour ses mains débiles.
Il me reste peu d’observations à ajouter. M. le ministre des affaires étrangères s’est félicité et glorifié à l’autre chambre et dans celle-ci de ce que « la Belgique se trouve dans les relations les plus amicales, les plus bienveillantes avec la plupart des puissances de l’Europe ; c’est à tel point (ajoute-t-il) que nous n’avons qu’à nous féliciter du bon accueil que nous en recevons relativement à nos démêlés avec la Hollande. » Eh bien, je demande si, après ce que je viens d’avoir l’honneur d’exposer tout à l’heure sur notre position vis-à-vis de la confédération, si, dis-je, il y a tant lieu de se féliciter d’être en sécurité aussi complète.
Nous recevons, dit-on, un accueil bienveillant des puissances de l’Europe, nous ne recevons que des politesses exquises ; et cependant, depuis le mois de février 1834, nous attendons la réparation promise par M. F. de Mérode, alors ministre des affaires étrangères, la réparation pour l’injure faite à la Belgique dans un de ses fonctionnaires publics, M. Hanno. Cette réparation qui avait été demandée par les deux chambres, promise par le gouvernement, qu’on ne dise pas que nous l’avons obtenue par la mise en liberté de M. Hanno. Car c’est après sa mise en liberté qu’on a promis formellement une réparation complète, et c’est afin d’appuyer les démarches que devait faire à cet égard la diplomatie qu’on est venu nous demander des hommes et de l’argent. Je demande quelle réparation nous avons eue. Je demande si nous avons eu une réparation quelconque à l’acte de brutalité commis dans le Luxembourg, sur l’un de nos fonctionnaires.
Dira-t-on que nous avons obtenu une réparation en Prusse ? Et le ministère est-il assez bénévole pour considérer comme une réparation le soufflet que la Belgique a reçue sur les joues de M. Goblet (on rit), envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. le Roi des Belges près la cour de Prusse ? Le ministère considère-t-il cet événement comme une compensation à l’affront que nous avons reçu et dont les deux chambres ont, chacune par une adresse, demandé la réparation ? Est-ce là le compliment de la réparation demandée par la chambre et promise par le ministère ?
Pouvons-nous nous féliciter aussi des désagréments fâcheux qu’un honorable citoyen qui nous représentait à Vienne a essuyé pendant tout le temps qu’il y était ?
Peut-on considérer comme de la bienveillance le silence dédaigneux du roi de Hanovre, l’un des signataires du traité du 15 novembre 1831, sur toutes les communications qu’on lui a faites à l’époque de l’avènement du Roi, à celle de son mariage, enfin dans toutes les occasions solennelles ? De grâce, ami de mon pays, je ne demande pas mieux que vous puissiez justifier ce qui a été fait jusqu’à ce jour. Je supplie que l’on veuille dire les actes de courtoisie qui nous donnent le droit de penser que nous entretenons avec les puissances étrangères les relations les plus amicales. Messieurs, je le déclare hautement, alors même que M. le ministre des affaires étrangères ne se serait pas trompé en ce qu’il a avancé au sujet de nos relations, ce n’est pas une raison pour que nous nous confiions à la diplomatie étrangère.
Je soutiens que, dans cette hypothèse même, ce n’est pas une raison pour que nous ne prenions pas des mesures défensives. Je crois avoir démontré qu’il est de la nature du ministère tory, attaché qu’il est à l’opinion personnelle du roi d’Angleterre, ce dont vous ne pouvez douter, qu’il est de la nature de ce ministère de marcher d’accord avec les puissances du Nord, lesquelles n’ont cessé de chercher à étouffer les germes de révolutions qui fermentaient dans tout le Nord, d’effacer toute indépendance en Allemagne, afin d’arriver jusqu’à nous, et de détruire les révolutions chez nous et en France.
Et ceci, messieurs, n’est pas une illusion que je me fais. Ce sont des faits. On a écrasé la Pologne, on a ôté aux peuples de l’Allemagne leur liberté ; ils gémissent sous le joug le plus dur qui leur ait été imposé depuis 1813. On a étouffé la liberté de la presse : on a rendu presqu’impossible toute relation de peuple à peuple, même de citoyens à citoyens. On a isolé complètement l’Allemagne de la Belgique et de la France.
Je demande, messieurs, alors que le nord marchera de concert avec le roi d’Angleterre, alors que ces puissances n’auront plus rien à craindre chez elles, si elles se montreront plus bienveillantes, plus modérées qu’elles ne se sont montrées avant le traite du 15 novembre 1831. Je demande si vous pouvez espérer de vous reposer toujours sur les ratifications données au traité.
Je le répète, messieurs, mon intention n’est d’incriminer personne. Alors que les hommes représentaient un système non consommé, je stigmatisais les hommes afin de prévenir mon pays que le système était mauvais. Aujourd’hui que le système est consommé, qu’il ne s’agit plus que de la prévoyance pour l’avenir, je ne fais que présenter des conjectures et des raisonnements. Il est possible que je me sois trompé ; je le désire pour mon pays, et je n’ai pas l’intention de jeter de l’inquiétude dans la nation : loin de moi cette funeste pensée. Que le gouvernement se montre plus ami de la révolution, qu’il se montre plus ami des hommes qui ont versé leur sang pour l’indépendance nationale, et je ne crains pas pour la liberté belge. Ce n’est pas avec des mots ni avec du despotisme, ce n’est pas avec des millions seulement que l’on sauve les peuples : C’est avec de la liberté. J’en puis citer plus d’un exemple. Ce n’est qu’au cri de liberté que les despotes du nord ont pu réveiller en 1813 le peuple allemand et le déterminer à repousser l’invasion française.
Si vous voulez que le peuple belge défende son indépendance, sa nationalité, respectez sa liberté, cette liberté acquise au prix de tant de sang et de sacrifices ; ne dégoûtez pas les hommes qui se sont dévoués à la cause de la révolution, et pour que l’on ne suppose pas à mes paroles une allusion personnelle, je me hâte de dire que je ne parle ici que des militaires : jetez les yeux sur la liste des officiers généraux et des officiers subalternes mis en non-activité depuis quatre ans, et vous verrez qu’il n’y a plus un seul de ceux qui ont concouru à assurer notre indépendance qui soit en activité.
Pour n’en citer qu’un (quoique je professe la même estime pour tous), le brave général Daine a été mis en non-activité ; je le cite de préférence, parce qu’il a rendu des services au gouvernement. Vous venez de le mettre, je dirai presque honteusement, en non-activité : la honte est pour les auteurs de cette brutalité ; elle n’a rien que de glorieux pour lui.
Comment ! le ministère voulait qu’un général de division belge souffrît d’être contrôlé dans ses paroles pour la constatation de faits par un officier inférieur, et de plus étranger au pays ! Un général belge pouvait-il supporter une semblable humiliation ? Est-il en France un officier qui le supportât ? Je n’accuse pas la France de nous avoir envoyé des officiers ; plusieurs ont mon estime ; je ne lui reproche que de nous avoir donné des hommes capables de croire que nous pouvions supporter un pareil contrôle, une pareille humiliation sans réclamation.
Je parlerai de Niellon, du brave général Niellon. Je puis parler également de Niellon, puisque l’on ne tient compte que des services rendus au gouvernement. Par une basse et lâche intrigue on a ôté à Niellon son commandement, son gouvernement. Niellon, Van Haelen, je pourrais en citer jusqu’à 10, qui tous ont combattu pour l’indépendance nationale. Pour ne parler que d’un seul, les officiers-généraux qui ont rendu le plus de services au pays, ce sont sans contredit le général Daine qui, avec une poignée de braves s’est emparé de Venloo ; le général, l’intrépide Mellinet qui, à la tête de 15 à 1,800 volontaires, avait investi Maestricht et s’en serait probablement emparé, si la diplomatie n’était venue nous faire abandonner une place que nous pouvions déjà considérer comme notre conquête.
Vous voyez, messieurs, qu’il suffit pour régner paisiblement de faire aussi arbitrairement du despotisme, des destitutions : non, messieurs, je ne crois pas que l’empereur, ce colosse de génie et de gloire, ait jamais osé traiter ses généraux comme vous les traitez. S’ils sont coupables, mettez-les en jugement ; s’ils ne le sont pas, rendez-leur justice. Nous sommes fatigués du joug de l’étranger ; nous sommes fatigués de nous voir régenter par des hommes qui viennent de tous les pays. Je ne fais allusion à aucune nation en particulier. Je parle de tous les pays et seulement de ceux qui oublient, en mettant le pied sur le sol de la Belgique libre, qu’ils ne sont pas dans un pays conquis, mais chez un peuple qui ne le cède à aucun autre, sous aucun rapport.
Descendrai-je à des officiers d’un grade moins élevé ? Je citerai au hasard le brave Boulanger, major au 12ème de ligne, qui n’a pas obtenu son grade dans les antichambres, au moins celui-là il a obtenu son grade sur le champ de bataille ; il a combattu même avant les journées de septembre dans la ville de Mons où il a couru les plus grands dangers ; il a suivi toutes les chances de guerre de la révolution. Et bien : en exécution de l’arrêté du régent en date du 30 novembre 1831, Boulanger a été confirmé dans son grade ; il a été inscrit sur le contrôle du régiment, il a reçu son traitement comme major effectif et non comme major de volontaires, remarquez-le bien, il y avait une différence pour la solde, il a été soumis aux retenues que l’on impose aux officiers de ligne.
Il avait combattu pour la cause belge ; il avait rendu des services au gouvernement belge, il avait fait ce qu’un général français en une autre circonstance s’était glorifié d’avoir fait. Placé à l’avant-garde, avec 300 hommes seulement, il avait culbuté 900 Hollandais, et fait un grand nombre de prisonniers, entre autres, un major de cette nation. Eh bien, on l’a destitué après la campagne où il avait combattu partout avec le même courage. Eh bien, on l’a nommé capitaine. Vous ne pouvez vous imaginer jusqu’où l’on pousse le raffinement des vexations à l’égard des officiers de volontaires. Pour éviter de donner à Boulanger le titre de major, on se sert d’une périphrase qui remplit toute la largeur du feuillet de la lettre du ministre.
Ce brave major pour une difficulté de service, est puni. Il croit qu’on lui fait une injustice. Il réclame. En qualité de major de la garde civique, il est justiciable de la haute cour militaire. On le traduit devant un conseil de guerre. Il excipe d’incompétence. On ne l’écoute pas, et cependant comme major de la garde civique, il avait le droit d’être traité sur le même pied qu’un major dans la ligne.
Sous prétexte qu’il est capitaine dans la ligne, on le traduit devant un conseil de guerre, comme s’il ne se trouvait pas dans la garde civique des officiers supérieurs qui ont servi comme sous-officiers dans la ligne autrefois, et qui ont néanmoins toutes les prérogatives des officiers supérieurs de la ligne. Il parvient enfin à la haute cour, et là il est absous après avoir, pendant plusieurs mois, supporté avec résignation tous les genres de vexations.
Vous parlerai-je pour passer en revue tous les grades, d’un sous-lieutenant, un nommé Ch. Rue ; parti de Thuin, à 15 lieues de Bruxelles, le 23 septembre avec 27 volontaires qu’il avait rassemblés sous ses ordres, il arrive à Bruxelles le dimanche des quatre grandes journées. Il combat pendant toute la durée de la guerre, et à l’issue de la campagne est incorporé dans le 2ème chasseurs, comme le major Boulanger l’avait été au 12ème de ligne, il est immatriculé, il reçoit son traitement, il supporte comme les officiers de ligne les retenues qui leur sont imposées. Il fait son devoir au mois d’août. Le 1er octobre, jour funeste aux officiers de la révolution, il n’est pas compris dans la proscription générale : mais, messieurs, c’était un oubli ; le 16 octobre suivant, il fut ajouté sur la liste et mis en non-activité ; on a évidemment ajouté après coup un 6 à l’unité. Ce qui prouve avec quels soins on a procédé à cette épuration des hommes de la révolution.
Et M. Rue est destitué. Cet officier, messieurs, avait un commerce fort bien établi à Thuin, qu’il a quitté pour servir son pays. Il a servi pendant 8 ans comme sous-officier instructeur avant la révolution, et aujourd’hui, comme sous-lieutenant, il est encore chargé de l’instruction des sous-officiers du deuxième régiment de ligne. Il a l’avantage d’être sous-lieutenant jusqu’à la paix.
Je vous ai parlé de lieutenants-généraux, de généraux de brigade, de majors, de sous-lieutenants. Vous trouverez mêmes abus et mêmes injustices dans tous les cadres. En un mot, alors qu’on se plaint que tant d’étrangers se trouvent dans les rangs de l’armée, il est de nos compatriotes braves et dévoués que l’on abreuve de pareils traitements. Tous les officiers compris dans la proscription de M. Charles de Brouckere, si on a la guerre, ont pour avantage de se battre et de se faire tuer ; si on a la paix, d’être renvoyés, destitués. Et voilà comme on espère faire croire que la révolution en Belgique n’est pas un mensonge ; qu’il y existe encore une ombre de liberté.
Messieurs, au jour du danger, je crois que chacun marchera, et défendra son pays. Mais je le dis avec franchise, les hommes qui sont en ce moment au pouvoir ne sont pas de nature à rassurer le pays qui voudrait des garanties, et je déclare au nom de mes commettants qu’elles ne me semblent pas suffisantes.
M. Nothomb. - Lorsque l’événement qui vient de se réaliser dans un pays voisin fut annoncé il y a un mois et demi, les esprits durent involontairement se reporter en arrière de quatre ans ; on dut se rappeler que la révolution belge a pris son essor au bruit pour ainsi dire de la chute du ministère Wellington, et se demander ce qui serait advenu d’elle, si ce cabinet avait pu se maintenir à cette époque.
L’on s’est complu dans cette hypothèse, comme si tout ce qui comble le grand intervalle de 1830 à1834 était non-avenu. Ce n’est pas à cette hypothèse qu’il faut s’arrêter. Tous les événements qui se sont accomplis depuis novembre 1830 étant donnés, de quelle influence peut être la résurrection du ministère que nous avions vu mourir ? Ainsi faut-il poser la question ; et ainsi posée, elle se présente sous un tout autre point de vue.
L’alliance de l’Angleterre et de la France ne se serait peut-être pas formée, le royaume de la Belgique ne se serait peut-être pas constitué, ou se serait constitué sous d’autres conditions ; mais cette alliance existe, sanctionnée par une convention irrévocable ; la Belgique existe, et sa nationalité est écrite dans le droit public de l’Europe ; est-ce à dire maintenant que l’alliance anglo-française va se rompre, le royaume belge disparaître ? Avant d’aller plus loin, qu’une réflexion me soit permise. Les adversaires que nous combattons habituellement ont longtemps nié l’existence de l’alliance anglo-française, longtemps nié l’efficacité de cette alliance qui, suivant nous, doit assurer à l’occident de l’Europe la suprématie politique ; cette alliance paraît compromise un jour, et voilà que les mêmes hommes annoncent à l’Europe les plus grandes calamités. Tardif, mais éclatant hommage rendu à un système trop longtemps méconnu.
L’honorable préopinant vous a fait part de ses prévisions ; je sais, et il a eu soin de vous le dire, qu’il y a de grands dangers à se livrer à des conjectures, à aventurer de prophéties. Je m’en suis toujours abstenu, m’attachant aux actes. Il me paraît avoir méconnu le sens des traités de 1815 et celui du traité du 15 novembre 1831 ; il vous a présenté les traité de 1815 comme détruits par le traité du 15 novembre. Ils n’ont été, messieurs, que modifiés par cet acte, l’esprit en a été respecté, et je le prouverai à l’évidence tout à l’heure. Cette modification s’est faite en 1831 de commun accord par les parties contractantes de 1815.
Le nouveau ministère anglais, dit le préopinant, veut le maintien des traités de 1815 ; et le traité du 15 novembre anéantit ces traités. Je dis au contraire que le système territorial des traites de 1815, le système de non-réunion de la Belgique à la France, est maintenu ; que dans ce sens on peut vouloir à la fois les traités de 1815 et le traité de novembre 1831. C’est ainsi que je résume ce qu’on a fait en diplomatie depuis 1830.
L’honorable préopinant a cherché quelles pouvaient être les intentions des hommes d’Etat qui composent le nouveau cabinet, et il vous a rappelé leurs discours. A ces discours plus ou moins fugitifs, j’ai des actes d’un caractère plus permanent à opposer. Ces actes sont aujourd’hui publics ; je les extrais d’un recueil qui se trouve dans la bibliothèque de cette chambre. Je prouverai qu’avant sa chute le ministère avait adopté la voie des négociations où l’on est resté, qu’il ne peut donc être tenté aujourd’hui, comme le présume le préopinant de revenir au système de guerre, qu’il a rejeté dès novembre 1830.
Le ministère anglais a résigné ses pouvoirs le 13 novembre 1830, et a de fait cessé ses fonctions le 18 novembre ; il avait posé plusieurs actes très importants.
La première note adressée par le gouvernement hollandais au gouvernement britannique porte la date du 5 octobre 1830 ; il importe d’en rappeler les conclusions pour savoir jusqu’à quel point le ministère d’alors y a satisfait. L’ambassadeur des Pays-Bas, M. Falck, après avoir fait un récit assez étendu des événements qui avaient précédé les journées de septembre, terminait en ces termes :
« Je suis chargé de prier V. E. de vouloir porter cet exposé fidèle de la situation actuelle de la Belgique à la connaissance de son auguste souverain, qui, ma cour ose l’espérer, ne se refusera pas à l’accueillir avec faveur, et à lui consacrer l’attention que mérite l’importance de la matière.
« Et comme l’assistance des alliés du roi pourra seule rétablir la tranquillité dans les provinces méridionales des Pays-Bas, j’ai en même temps reçu l’ordre de demander qu’il plaise à sa majesté britannique de commander à cette fin l’envoi immédiat du nombre nécessaire de troupes dans les provinces méridionales des Pays-Bas, dont l’arrivée retardée pourrait gravement compromettre les intérêts de ces provinces et ceux de l’Europe entière. »
On mit peu d’empressement à répondre à cette communication ; lord Aberdeen, alors ministre des affaires étrangères, laissa s’écouler douze jours ; sa note porte la date du 17 octobre ; elle est en anglais, je n’en ai pas de traductions ; je me bornerai à l’analyser. Lord Aberdeen refuse l’envoi d’une armée comme tardif, et se contente d’annoncer l’ouverture de conférences diplomatiques, en ajoutant qu’on aura par dessus tout en vue le maintien « de la paix générale ; » il ne dit pas : « de l’intégrité du royaume des Pays-Bas. »
Le 2l octobre M. Falck accusa réception de la réponse de lord Aberdeen, en manifestant ses regrets du refus des secours militaires et ses doutes sur l’efficacité des moyens diplomatiques :
« Mon gouvernement regrettera sans doute d’apprendre, dit-il, que cette demande n’a pu être accueillie avec la promptitude que paraissait réclamer l’étendue du mal et l’urgence du danger dont il menace la tranquillité générale de l’Europe... Le roi, mon maître, persuadé comme il l’est de la sincérité des sentiments analogues qui animent ses autres alliés, pourrait attendre avec une entière sécurité le résultat des délibérations communes auxquelles vous m’annoncez, M. le comte, que la cour de France a été invitée à prendre part, si le caractère de l’insurrection, qui a si inopinément éclaté dans ses Etats, permettait de compter sur quelque retour à la modération et à la sagesse chez ceux que la crédulité du peuple a mis à même de s’emparer momentanément du pouvoir. »
Désespérant d’obtenir de l’Angleterre des secours militaires et craignant une agression de la part des Belges contre la Hollande, M. Falck prie lord Aberdeen de provoquer un armistice « durant lequel les choses resteront de part et d’autre sur le pied actuel, et qui ne finira que pour être remplacé par les nouveaux arrangements dont on sera convenu dans l’intervalle. Une telle déclaration, ajoute M. Falck, qui sera reçue avec reconnaissance par le gouvernement que je représente, etc., etc. »
Résumons ces premiers actes :
L’ambassadeur du roi Guillaume s’adresse au ministère Wellington pour réclamer l’envoi d’une armée anglaise en Belgique.
Le ministère Wellington refuse tout secours militaire et annonce des conférences diplomatiques dont l’objet sera avant tout le maintien de la paix générale.
L’ambassadeur du roi Guillaume manifeste ses regrets du refus des secours militaires et ses craintes sur les suites des moyens purement diplomatiques ; redoutant une agression de la Belgique et avouant l’impuissance de la Hollande, il se voit réduit à implorer un armistice.
Ainsi, avant la formation du ministère Grey, le gouvernement britannique avait déjà abandonné le roi Guillaume.
Il est vrai que la révolution belge était blâmée dans le discours du parlement, mais à cette occasion encore lord Wellington eut soin de réitérer le refus de tout secours militaire : « Je puis assurer à la chambre, disait-il, le 2 novembre 1830, qu’il n’y a pas de la part des ministres de S. M., non plus que de celle d’aucune puissance quelconque, la moindre intention d’intervenir par la voie des armes dans les affaires des Pays-Bas. Le vœu de ce pays et de toutes les autres parties intéressées est de terminer le débat par des négociations, et par des négociations seulement. »
Pour définir notre position politique, je n’ai besoin de recourir à aucune conjecture ; je pourrais me borner à donner lecture de la note remise à la conférence de Londres, sous la date du 28 septembre 1833, par les plénipotentiaires belges MM. Goblet et Van de Weyer, et dont cette chambre a ordonné l’impression dans la séance du 4 octobre ; note qui constate les causes de la suspension des négociations, et les conditions auxquelles la reprise en est subordonnée. Il n’est survenu aucun acte qui ait pu changer cet état de choses, ainsi constaté par les plénipotentiaires belges de concert avec la conférence de Londres ; la Hollande n’est point parvenue à se disculper de ses torts, ni à se libérer de ses engagements.
La résolution par laquelle la conférence a en septembre 1833 clos les négociations, en mettant des conditions à leur réouverture, est un acte dont l’importance n’est point assez appréciée ; c’est une erreur que de ne consulter que la convention du 21 mai pour définir l’état de la question belge ; l’article 5 de cette convention nous ferait un devoir de concourir immédiatement aux négociations ayant pour objet un arrangement définitif direct avec la Hollande, si la conférence à l’unanimité n’avait en septembre 1833 subordonné la reprise de ces négociations à certaines conditions dont l’accomplissement préalable est aujourd’hui nécessaire. Ainsi l’article 5 de la convention du 21 mai est modifié dans son exécution par la déclaration de la conférence de septembre 1833. Vous savez que ces conditions consistent dans la production du consentement de la diète germanique et des agnats de la maison de Nassau à la cession ou à l’usage du Luxembourg wallon.
Je suis amusé, messieurs, à vous entretenir de la question du Luxembourg ; je ne partage pas les prévisions du préopinant. A ces prévisions, j’ai à opposer quelques considérations politiques qui me sont personnelles, il est vrai, mais qui ne me semblent pas sans quelque importance. Je crois aujourd’hui pouvoir les émettre sans danger.
Chacun sait qu’il existe une corrélation intime entre la question du Luxembourg et celle du Limbourg. Je dis que la confédération germanique n’a aucun intérêt à anéantir les arrangements territoriaux arrêtés par la conférence de Londres ; or, nier la corrélation que j’indique serait frapper ces arrangements dans leur ensemble.
La confédération germanique, il faut bien l’avouer, acquiert politiquement et militairement plus qu’elle ne perd. En cédant à la Belgique la partie méridionale du grand-duché de Luxembourg, elle conserve la position militaire que continue à lui assurer la possession de la partie septentrionale de cette province ; elle conserve la forteresse de Luxembourg et la rive gauche de la Moselle ; elle reste voisine de la France dans une des parties les plus vulnérables de ce royaume. Dans le Limbourg, la confédération germanique obtient, en retour de ce qu’elle cède dans le grand-duché, une position militaire sur la Meuse. Ainsi, la confédération germanique conserve la position militaire qu’elle avait dans le Luxembourg ; elle acquiert de plus une position militaire dans le Limbourg ; elle perd Bouillon, mais acquiert Ruremonde qu’elle pourra peut-être fortifier ; elle quitte la petite rivière de la Semois pour se placer sur la Meuse.
Mais, objectera-t-on, on niera toute corrélation, on exigera l’abandon en entier du Luxembourg ; et on ne fera aucune restitution dans le Limbourg. Cette supposition est inadmissible. La logique et la justice la repoussent également. On ne peut rien reprendre à la Belgique dans le Luxembourg sans lui rendre l’équivalent dans le Limbourg.
Prétendra-t-on que la confédération a intérêt à annuler les arrangements territoriaux pour éviter qu’il soit porté atteinte aux statuts fédéraux ? L’abandon gratuit de la partie méridionale du grand-duché pourrait paraître jusqu’à un certain point contraire à la constitution fédérale de l’Allemagne : mais qu’on le remarque ben, il ne s’agit pas d’abandon gratuit, d’une dépossession sans dédommagement. Aux termes du traité du 15 novembre, c’est d’un échange qu’il s’agit ; or, certainement, ce n’est pas violer les statuts fédéraux que d’accepter, de sanctionner un échange, selon moi avantageux à l’Allemagne. Un propriétaire qui fait un échange avantageux ne méconnaît pas son droit de propriété : Il l’exerce utilement.
Je vais plus loin ; je soutiens que si la Belgique disait : Je renonce au Luxembourg entier, mais je veux reprendre dans le Limbourg tout ce que le statu quo de 1790 n’assure pas à la Hollande comme représentant de la république des Provinces-Unies, cette offre de la Belgique serait rejetée.
Jusqu’à ce que la Belgique indépendante ait donné, par une longue vie politique, des gages à l’Europe, il faut, dit-on, car je continue à raisonner dans le sens de ceux qui défendent le droit public général, il faut que la rive droite de la Meuse reste confiée soit à l’Allemagne, soit à la Hollande ; le royaume belge sera une première barrière contre la France ; le grand-duché de Luxembourg qui subsiste, quoique restreint dans ses limites, et la rive droite de la Meuse, constitueront une seconde barrière. Si la rive droite de la Meuse était dès à présent livrée à la Belgique, l’Allemagne serait prématurément à découvert de ce côté ; vous voyez maintenant comment, par la modification faite aux traités de 1815, le 15 novembre 1831, on est parvenu à maintenir le système politique de ces traités.
La partie méridionale de l’ancien royaume des Pays-Bas s’appuyait sur trois rivières : l’Escaut, la Moselle et la Meuse ; aux embouchures de l’Escaut, cet Etat faisait face à l’Angleterre ; sur la Moselle et la Meuse, à l’Allemagne. Aucune de ces positions, il faut bien en convenir, n’est restée au nouveau royaume de Belgique. Ceux qui ont constitué le nouvel Etat se sont dit, dans leur pensée intime, que dans les circonstances présentes l’intérêt anglais exigeait que la Belgique ne possédât pas la rive gauche de l’Escaut, que l’intérêt allemand exigeait qu’elle ne s’étendît pas jusqu’à la rive gauche de la Moselle et qu’elle ne conservât pas la rive droite de la Meuse. La nature assigne à la Belgique ces trois positions militaires ; nous pourrions à notre tour nous créer un système de limites naturelles et soutenir que la Belgique doit s’appuyer sur les deux rives de l’Escaut et de la Meuse et s’étendre jusqu’à la Moselle ; la politique européenne, le système militaire de l’Europe en a disposé autrement.
L’idée fondamentale du traité du 15 novembre, c’est de priver la Belgique de la triple position militaire de l’Escaut, de la Meuse et de la Moselle ; il est vrai que la ligne a été tirée au hasard dans le Luxembourg, mais l’idée fondamentale n’est pas due au hasard, et aucun homme d’Etat, j’ose le dire, ne la désavouera ni en Angleterre ni en Allemagne.
Ce n’est pas à dire cependant que la Belgique écartée de la Moselle, dépossédée de la rive droite de la Meuse, et éloignée des embouchures de l’Escaut, soit sans existence militaire ; la Meuse le traverse sur une étendue de vingt lieues de Dinant à Visé, et, pour conquérir la Belgique, c’est de cette partie du territoire qu’il faut s’assurer : c’est ce qu’ont essayé tous les généraux français qui, dans les dix siècles précédents, ont tenté cette conquête. C’est en quelque sorte une tradition militaire en France, tradition à laquelle a été fidèle le maréchal de Saxe, sous Louis XV, Comme Dumouriez sous la convention. Il reste à élever dans le Nord une ligne défensive contre la Hollande ; là est la véritable question militaire pour le nouvel Etat belge, et nous devons savoir gré au ministère de l’avoir posée dans le discours d’ouverture.
Ainsi, en résumé, il y a au fond des arrangements territoriaux une combinaison politique qui est de l’intérêt de l’Allemagne aussi bien que de l’Angleterre de maintenir. Si ces arrangements sont sanctionnés, c’est qu’il est de l’intérêt bien entendu, non de la Belgique, mais de l’Europe qu’ils le soient : l’intérêt européen qu’il est impossible de méconnaître, est ici une garantie ; et cette garantie est très fort à mes yeux.
Je suis donc sans inquiétude sur l’irrévocabilité des arrangements territoriaux ; mais je veux aller plus loin : nous ne sommes tenus à l’évacuation que lorsqu’il sera intervenu un traité direct et définitif avec la Hollande ; on nous proposera peut-être d’abandonner, avant la conclusion de ce traité, le Luxembourg allemand, en nous garantissant éventuellement la possession de fait du Luxembourg wallon. Cet abandon serait prématuré ; il y aurait altération du statu quo territorial ; ce serai tomber dans un piège qu’il est possible au gouvernement d’éviter. Il ne doit y avoir que deux modes d’existences politiques pour la Belgique : la prolongation indéfinie du statu quo actuel, sans aucune altération, ou bien l’état définitif résultant d’un traité direct avec la Hollande. On ne peut créer un état intermédiaire entre le statu quo actuel et à venir. Le ministère précédent a été assez heureux pour conclure la convention du 21 mai et pour en accorder pendant quatorze mois la paisible jouissance au pays ; je souhaite le même bonheur au ministère qui l’a remplacé. Loin de supposer que le ministère actuel puisse concevoir la pensée de changer le système de politique extérieure, j’aime à me persuader qu’il fera consister sa gloire à le préserver de toute atteinte.
Je crois vous avoir démontré par des actes que les puissances n’ont aucun intérêt à détruire les arrangements territoriaux ; je crois aussi vous avoir prouvé par des actes que le ministère anglais, au moment de sa chute, en novembre 1830, n’était pas si éloigné qu’on le suppose du système qui a été suivi relativement à la révolution belge ; aussi la chute de ce cabinet est moins due à la sortie qu’il avait cru devoir se permettre contre le caractère de cette révolution qu’au refus de toute réforme électorale, refus formellement exprimé dans le discours d’ouverture. Je renvoie aux débats qui ont précédé la retraite de ce cabinet et l’avènement du ministère Grey.
Les antécédents du ministère Wellington n’ont donc pas ce caractère prononcé d’hostilité qu’on leur attribue généralement ; le ministère Grey, en arrivant aux affaires en novembre 1830, trouva un principe arrêté qu’il n’a fait que suivre, en subissant les circonstances qui se sont développées depuis et auxquelles le ministère Wellington n’aurait peut-être pu se soustraire lui-même : « résoudre la question belgo-hollandaise, par la voie des négociations, en considérant le maintien de la paix européenne comme le but principal, les intérêts dynastiques de la maison de Nassau comme un objet secondaire. » Lord Palmerston a souvent fait la remarque dans ses discours que les trois premiers protocoles sont signés par lord Aberdeen, et qu’ils ont servi d’introduction à tout ce qui s’est fait depuis.
Le ministère anglais est en présence de deux faits accomplis, l’un au dehors, l’autre à l’intérieur, deux faits qu’il ne pourrait détruire que par des moyens devant l’emploi desquels il reculera : l’un de ces faits est la réforme politique, l’autre la constitution d’un royaume belge. Entreprendre de détruire le fait de la réforme, c’est exposer l’Angleterre à la guerre civile et à une révolution ; entreprendre de détruire le fait de l’existence du royaume de Belgique, c’est exposer l’Angleterre à une rupture avec la France et à une guerre continentale. Or, les hommes sensés de tous les partis en Angleterre s’accordent à ne vouloir ni guerre civile, ni guerre continentale ; l’honorable préopinant en convient avec moi ; c’est désormais une loi pour tout ministère en Angleterre de s’abstenir de toute tentative qui pourrait amener l’un ou l’autre de ces fléaux. Nous ne pouvons assez insister sur ce double point de départ : anéantissement de la réforme, c’est la guerre civile ; anéantissement de la monarchie belge, c’est la guerre continentale. Or, quelles que soient les sympathies et les antécédents de lord Wellington et de ses amis, ils ne voudront ni de l’un ni de l’autre de ces résultats. Ils soustrairont leurs noms historiques à une si terrible responsabilité.
C’est la deuxième fois que le duc de Wellington est mis à l’épreuve : en 1827 nous l’avons vu accomplir l’émancipation catholique, recueillant pour ainsi dire la dernière pensée qu’avait exhalée la grande âme de Canning ; c’est que l’émancipation catholique était devenue un fait inévitable ; il s’est chargé de le poser en le limitant. Aujourd’hui il n’a pas de fait nouveau à poser, il trouve deux faits accomplis qu’il doit respecter et qu’il ne peut chercher qu’à régulariser. Il ternirait sa gloire militaire si, par une imprudence politique, il allait renouveler en Europe une lutte à laquelle, il y a 19 ans, il a contribué à mettre un terme dans les champs de Waterloo.
Si je cherche ainsi à atténuer les effets des mutations ministérielles qui s’opèrent en Angleterre, ce n’est pas que je ne déplore la retraite de l’ancien cabinet, et surtout de lord Palmerston, l’homme qui peut-être en Angleterre, connaît le mieux ce qu’on appelle la partie technique des négociations. J’ose le dire dès à présent, la Belgique comptera un jour cet homme d’Etat au nombre des fondateurs de son indépendance. Ce n’est pas non plus que j’attende du cabinet nouveau la même bienveillance, la même sympathie ; mais je ne veux rien exagérer, et je n’accorde pas aux questions de personnes plus d’importance que ne comportent les faits. Le gouvernement belge se maintiendra-t-il dans la position prise en septembre 1833 ? Là est toute la question de principe, et il faut par notre attitude intérieure, pas notre fermeté politique, par tous les moyens dont dispose une nation qui a la conscience d’elle-même, rendre cette question indépendante des personnes.
Il me reste à envisager la question politique dans un rapport plus direct avec le budget de la guerre. Si vous êtes sans grave inquiétude, me dira-t on, pourquoi avez-vous voté les 10 centimes additionnels, pourquoi vous disposez-vous à voter le budget de la guerre à peu près tel qu’il est présenté ? Le repos européen est-il directement menacé ? La nationalité belge est-elle directement menacée ?
J’ai répondu que non. Je me pose une autre question que voici : L’événement qui vient de se réaliser, bien qu’il ne compromette essentiellement ni la paix générale ni l’indépendance belge, est-il de nature à exiger que notre position défensive militaire soit renforcée sur nos frontières ? Je n’hésite pas à répondre, oui.
Ce n’est pas un cri d’alarme que je jette, c’est un cri de prévoyance. Le roi Guillaume se fait des illusions ; il a aussi ses prévisions favorites ; ses espérances se réveillent par un fait inattendu. auquel il assigne une haute portée. Sans assigner à ce fait la même portée, il nous faut être sur nos gardes.
L’armistice subsiste indéfini, je ne crois pas le roi Guillaume prêt à le rompre, à moins qu’il ne survienne en Europe un événement extraordinaire, précurseur nécessaire d’un grand bouleversement. Mais entre rompre un armistice, et l’exécuter fidèlement, il y a milieu ; c’est de se permettre des vexations quotidiennes, c’est d’entretenir l’inquiétude sur nos frontières, de troubler nos populations, d’entraver notre service de douanes. De ces vexations quotidiennes, nous n’hésitons point à en référer aux cabinets anglais et français. Mais sans avoir un cabinet pour ennemi, on peut admettre qu’il ne sera pas disposé à être un défenseur de tous les jours, et des affaires les plus minimes. N’est-il pas à présumer qu’on réponde : « Gardez mieux vos frontières. »
L’honorable préopinant vous a dit que le Luxembourg était par rapport au rayon stratégique de la forteresse dans une situation plus ou moins critique ; c’est ce que moi-même j’ai reconnu il y a quelques jours. Il vous a rappelé les énergiques paroles d’un honorable collègue, aujourd’hui ministre des finances. J’ai foi en ces paroles. Je crois que pour peu que les circonstances l’exigent, le Luxembourg ne restera pas dégarni de troupes ; et il ne me faut pas une armée. Je désire qu’il soit donné suite à l’ancien projet que j’ai appuyé en mars dernier, de l’établissement de casernes à Arlon ; mettez-y une garnison de 2,000 à 3,000 hommes et vous aurez beaucoup fait.
On ne vous attaquera pas, on ne se permettra aucune vexation, ; parce que l’on saura qu’il y aura du sang de répandu. Et l’idée de l’effusion du sang suffit pour arrêter ; on ne s’en prendra à vous que là où ce pourra être sans coup férir. Et si le sang coulait, si un homme seulement venait à périr, vos justes plaintes auraient par là même plus de retentissement en Europe.
Enfin, il est une idée malheureuse, idée née de nos revers immérités de 1831 et qu’il faut chercher à détruire chaque fois qu’une crise se fait sentir ; c’est l’idée de notre infériorité militaire par rapport à la Hollande ; il faut qu’on nous sache prêts à repousser toute agression nouvelle que la déloyauté pourrait se permettre : il faut qu’on nous sache dans une forte position défensive.
Ainsi, si j’ai voté les dix pour cent ajoutés à la plupart des impôts, si je suis disposé à voter le budget de la guerre, ce n’est pas que j’adopte tous les sinistres pressentiments qui se sont emparés de beaucoup d’esprits ; c’est pour trois motifs principaux : d’abord je ne veux pas que la Belgique apparaisse dans une infériorité militaire en face de la Hollande, quand même les négociations seraient rouvertes ; en second lieu, je ne veux plus que l’on soit dans la nécessité de faire des appels incessants à l’étranger, de vexation quotidienne ; en troisième lieu, je veux que notre état de possession soit garanti dans le Luxembourg par quelques précautions purement défensives. Tels sont les motifs de mes votes.
Pour terminer, je vous dirai que moi je ne place mes espérances ni dans les radicaux de l’Angleterre, ni dans ceux de la France ; je place mes espérances dans l’alliance des hommes modérés de l’une et de l’autre de ces deux grandes nations, alliance qui resterait dans tous les esprits quand même elle disparaîtrait momentanément des cabinets. Je n’en appelle pas à l’alliance des radicaux de l’Angleterre et de la France ; le prix de cette alliance serait l’anéantissement de la nationalité belge.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, je ne me livrerai à aucune discussion générale, je ne ferai aucune théorie politique, je me bornerai à répondre quelques mots à l’honorable député de Mons. Mais avant d’aborder aucune question, je dois faire observer à la chambre que lundi dernier, j’assistais à la délibération qui avait lieu dans cette chambre, lorsque je reçus l’invitation de me rendre au sénat. Un honorable membre de cette assemblée m’adressa diverses interpellations auxquelles je répondis successivement. Je suis heureux que dans cette improvisation à laquelle je n’étais nullement préparé, il ne me soit pas échappé un mot, pas un seul mot. que je sois obligé de rétracter, de désavouer. Je ferai remarquer aussi que les paroles citées tout à l’heure par l’honorable député de Mons sont celles que j’ai prononcées après une deuxième interpellation faite au sénat.
L’honorable député de Mons a paru critiquer surtout les paroles suivantes : « Quant à moi, je désire de tout mon coeur que rien ne soit changé à cette position, c’est-à-dire à notre position vis-à-vis des puissances étrangères. »
Messieurs, pour comprendre le sens d’une réponse, il faut bien se pénétrer du sens et de la portée de la demande à laquelle cette réponse est faite. Or, il ne s’agissait pas, comme a paru le croire l’honorable préopinant, ni d’un passé plus ou moins éloigné, ni de l’avenir, il s’agissait de l’état présent, de nos rapports actuels avec les puissances, qui sont en relations d’amitié avec nous. J’ai donc pu dire avec vérité et avec raison, que je me féliciterais de n’avoir rien innover à cette position
En effet quel est le motif des alarmes qui se manifestent depuis quelques jours. C’est l’arrivée au pouvoir d’un ministère tory. Mais si ce ministère, pour me renfermer dans cette seule hypothèse, si ce ministère, dis-je, ne changeait rien aux relations entretenues jusqu’à présent par la Belgique avec la Grande-Bretagne, je pense que la chambre, le pays, tout le monde devrait s’en féliciter.
Messieurs, si l’honorable député de Mons, en citant mes paroles, n’a voulu que nous rendre prévoyants pour l’avenir, s’il a voulu empêcher seulement qu’on ne restât dans une trop grande sécurité, sous ce rapport je suis entièrement d’accord avec lui.
Vous voudrez bien vous rappeler, messieurs, ce qui s’est passé dans cette enceinte, dans toutes les circonstances où j’ai eu à émettre mon opinion personnelle, vous vous souviendrez que j’ai constamment dit qu’il fallait avoir l’œil attentif sur ce qui se passait dans les autres pays et notamment en Hollande, qu’il ne fallait pas s’endormir dans une fausse sécurité, ni être entièrement tranquille sur les événements qui pouvaient survenir.
Sous le rapport des conséquences que l’honorable député de Mons a tirées de mon discours, je suis donc de son avis. Je crois que le pays (et j’aime à le répéter), ne doit pas se reposer dans une fausse sécurité dans le moment actuel. Je crois qu’il est indispensable qu’on se mette en mesure de résister à la Hollande, et d’obvier aux différentes éventualités qui pourraient se présenter.
L’honorable député de Mons a parlé aussi des hommes de la révolution et à ce propos, il vous a dit qu’on ne tenait plus compte aujourd’hui que des services rendus au gouvernement. Quant à moi, je vous avoue que je confonds dans ma pensée, et que je regarde comme inséparables, et le pays et la révolution et le gouvernement. Il me semble que les intérêts du gouvernement sont les intérêts du pays bien entendus, et que dans ces intérêts du pays bien entendus, se trouvent aussi les intérêts de la révolution.
L’honorable député de Mons a voulu faire néanmoins allusion, je crois, à des paroles que j’ai prononcées dans une autre enceinte, en réponse à ce que disait un membre du sénat, qu’on paraissait oublier et abreuver de dégoûts les hommes de la révolution. Voici, d’après le Moniteur, les mots que j’ai proférés :
« Il assure qu’on a abreuve de dégoûts certains hommes dont le pays pourrait être dans le cas de réclamer les secours. Cette accusation est bien vague. Quant à moi, je ne crois pas avoir abreuvé de dégoûts qui que ce soit, encore moins un de ces patriotes, qui, à une époque critique et dangereuse, auraient donné au pays et au gouvernement des preuves de dévouement.
Vous voyez que je ne me suis pas borné à parler de ces hommes qui avaient donné au gouvernement des preuves de dévouement, ce qui, après tout suffirait dans ma pensée, car je confonds le gouvernement avec le pays ; mais j’ai parlé également des patriotes qui à une époque critique et dangereuse ont donné des preuves d’attachement au pays. Ici je n’ai pu avoir en vue que les hommes qui s’étaient signalés à l’époque de la révolution de 1830.
L’honorable député de Mons, a parlé également du traitement injuste qu’avaient éprouvé quelques officiers de l’armée et à cet égard, il a cité des noms propres. Tous ces officiers ne me sont pas personnellement connus. Quant aux généraux Daine et Niellon, je ne conteste pas les services qu’ils ont rendus au pays et à la révolution, je me fais un devoir de leur rendre toute la justice qu’ils méritent ; je serais fâché qu’on eût été ingrat à leur égard.
Mais dans la mise en non-activité d’un officier, quelque soit son grade, je ne vois ni despotisme ni arbitraire, je n’y vois que l’exercice d’un droit appartenant au gouvernement. Il est libre sans doute à chacun des membres de cette assemblée de ne pas approuver ces mesures ; mais le gouvernement a incontestablement le droit de les prendre, et il ne doit ni ne peut pas venir déclarer à la tribune quels sont les motifs qui ont amené sa détermination. Si le gouvernement n’avait pas ce droit, à mon avis, il ne faudrait pas se donner la peine de voter un budget de la guerre en pure perte ; car je ne comprendrais pas la possibilité d’avoir une armée bien disciplinée, une armée qui réponde au vœu et à l’attente du pays, si le gouvernement n’avait pas toute l’autorité nécessaire sur les officiers qui sont appelés à la commander.
Je ne prolongerai pas inutilement cette discussion. Je me bornerai à dire à la chambre que le gouvernement veille à ce qui se passe, que le gouvernement cherche à savoir le plus exactement possible quelles sont les mesures militaires que prend la Hollande, que le gouvernement a également les yeux ouverts sur la politique des cabinets étrangers, et qu’il ne négligera rien pour remplir les devoirs qui lui sont imposés.
L’honorable député de Mons a dit en parlant des membres du nouveau cabinet anglais : Que voulez-vous que fassent ces hommes qui dans tous les temps ont exprimé une opinion si éminemment hostile à la Belgique. Je répondrai avec lui que je n’en sais rien. Il n’existe jusqu’à présent qu’un seul document public de ce ministère ; ce document vous est connu. Le but du nouveau cabinet, dit ce document, est le maintien de la paix et l’observation scrupuleuse des engagements contractés. Ce document ne renferme donc en lui-même rien qui doive nous inspirer la moindre inquiétude, rien qui soit hostile à la Belgique. Au surplus, ce qu’il y a de plus sage, c’est d’attendre ses actes, avant de se former une opinion sur la marche future de la nouvelle administration. Quant à moi, je ne veux faire aucune prophétie.
M. Gendebien. - M. le ministre des affaires étrangères n’a pas répondu aux questions que je lui ai adressées. J’ai manifesté des doutes sur l’assistance du gouvernement de Louis-Philippe pour le cas où la confédération germanique entrerait dans le Luxembourg, en exécution du jugement arbitral qu’elle est appelée à prononcer sur le différend qui lui est soumis par le roi Guillaume en sa qualité de grand-duc pour la totalité du Luxembourg.
Aucune réponse n’a été faite à cet égard, ni par M. le secrétaire-général du ministère des affaires étrangères, soit qu’il ait parlé en cette qualité, soit qu’il ait parlé en qualité de député...
M. Nothomb. - J’ai parlé en qualité de député. Je ne suis pas ici secrétaire-général.
M. Gendebien. - J’ai dit secrétaire-général parce que cette qualité donne aux paroles de l’honorable M. Nothomb une portée que n’auraient pas les paroles de tout autre membre, parce qu’il est dans une position à pouvoir répondre pertinemment sur la diplomatie.
S’il ne s’agissait pas ici de diplomatie, je me bornerais à dire : L’honorable orateur qui a parlé avant le ministre des affaires étrangères. Mais enfin je n’y tiens pas.
Je dirai donc que ni l’honorable M. Nothomb, ni M. le ministre des affaires étrangères, n’ont répondu à mon interpellation, et quant au ministre des affaires étrangères, il ne déclinera pas sa qualité.
J’avais demandé en cas d’invasion du Luxembourg, en tout ou partie par la confédération germanique, pouvons-nous compter sur l’Angleterre, et sur la coopération non de la France, car on n’en peut pas douter, mais du cabinet de Louis-Philippe ?
On n’a pas répondu. Seulement on nous a dit qu’à l’égard des attaques incessantes dont nos frontières pourraient être l’objet, nous ne pourrons pas sans cesse recourir à la diplomatie. Voilà la seule réponse qu’on ait faite quant aux menaces d’invasion. Loin donc que ce qu’ont dit le ministre et M. Nothomb m’ait rassuré, je dois dire que j’ai un peu plus d’inquiétude que je n’en avais avant. Je prie M. le ministre des affaires étrangères d’y réfléchir et de vouloir nous donner demain une réponse catégorique.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - L’honorable préopinant a demandé si, au cas de l’invasion de la totalité du Luxembourg par la confédération germanique, on pourrait compter sur l’appui du gouvernement français. D’abord, je répondrai que dans le cas de cette invasion par la confédération germanique, la France, aux termes des traités existants, serait obligée de nous prêter secours, de nous prêter appui ; j’ajouterai qu’aux termes de ces mêmes traités la France selon moi serait obligée d’empêcher cette invasion ou de la faire cesser. Dès lors, la France ne pourrait, sans violation des traités, se dispenser d’accueillir une demande d’intervention que lui ferait le gouvernement belge.
La France accueillerait-elle cette demande ? Je dois évidemment croire que oui. Jusqu’à preuve contraire, je dois penser que la France exécutera les traités qu’elle a signés, qu’elle respectera les engagements qu’elle a pris. Toute opposition contraire serait jusqu’à présent une injure faite à la France.
Voilà la seule réponse que je puisse donner à l’honorable député de Mons. Jusqu’ici nous n’avons aucun motif pour supposer que la France déclinerait une partie quelconque des engagements qu’elle a pris envers nous.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - L’honorable M. Gendebien se plaint de ce qu’on a admis dans l’armée un aussi petit nombre d’officiers volontaires. En réponse, je lui donnerai connaissance du relevé suivant :
Relevé comprenant les 2,766 officiers de l’armée belge.
Officiers de l’ancienne armée au service des Pays-Bas : 462
Officiers retirés, relevés de la retraite : 20
Belges venant du service étranger : 21
Officiers volontaires admis dans l’armée, sans services antérieurs : 1,088
Sous-officiers de l’ancienne armée, passés officiers depuis la révolution : 1,407
Officiers français, y compris les 56 officiers de l’armée du Nord envoyés sur la demande du gouvernement belge : 91
Officiers polonais, allemands, espagnols et italiens : 37
Total : 2,766
Ainsi, vous voyez, messieurs, qu’on a fait une belle et large part aux officiers volontaires qui ne sont au service que depuis la première campagne de la révolution.
- Plusieurs membres. - A demain !
- D’autres membres. - A après-demain.
M. Gendebien. - Alors je demanderai à être inscrit pour avoir la parole à l’ouverture de la prochaine séance.
M. Dumortier. - Je demande également à être inscrit pour parler dans la discussion générale,
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - L’on sait combien il est délicat de répondre immédiatement à des interpellations. Si d’honorables membres ont à m’en adresser, je les prierais de vouloir bien en indiquer l’objet dès aujourd’hui, pour que je puise réfléchir avant de répondre.
M. Gendebien. - Si la séance est fixée à demain, j’adresserai avant 8 heures du soir à M. le ministre des affaires étrangères une note sommaire des interpellations que je compte lui adresser ; si elle est fixée à après-demain, je lui enverrai cette note demain avant 10 heures.
- La chambre consultée fixe la prochaine séance à après-demain.
La séance est levée à 5 heures.