(Moniteur belge n°214, du 2 août 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Gilbert renouvelle les observations qu’il a présentées sur les céréales au congrès. »
« La veuve du baron de Felner demande une pension égale à celle de la veuve Engelspach-Larivière. »
- Renvoyées à la commission des pétitions.
Un congé de 8 jours est accordé à M. de Muelenaere.
M. le ministre de l'intérieur envoie à la chambre un exemplaire des Documents politiques et diplomatiques sur la révolution belge de 1790.
M. le président. - Vous avez deux objets à l’ordre du jour ; voulez-vous commencer par la discussion sur les crédits demandés par le ministre de la guerre ?
M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, un journal qui passe depuis longtemps pour être le confident de la pensée du ministère, nous a appris ce matin que deux des chefs du cabinet auraient donné leur démission ; il est vrai que le Moniteur dans sa partie officielle n’en a rien dit. Toutefois, il faut savoir, avant de voter une loi qui doit grever l’avenir du pays, quelles personnes sont aux affaires, si elles méritent notre confiance. Je crois donc qu’il faut suspendre toute délibération jusqu’à ce que nous sachions quels hommes font partie de l’administration.
Il est vrai que pour les lois relatives à la guerre nous avons encore le ministre de ce département et que nous pouvons les discuter ; mais, pour ce qui est des affaires générales, nous ne pouvons prendre de délibération sur les lois qui les concernent. Vous avez vu en Angleterre la chambre des lords et la chambre des communes suspendre leurs séances jusqu’à ce que le cabinet anglais fût formé. M. le ministre des affaires étrangères est présent, et je le prierai de nous donner des explications sur les démissions de ses collègues.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je ne peux répondre à la question qui m’est adressée ; je n’ai pas été informé officiellement des démissions dont on parle. Il est vrai qu’un journal en fait mention, et que, dans une conversation particulière avec l’un des ministres dont il s’agit, on m’en a entretenu, mais je n’ai aucune autre donnée et je ne puis m’expliquer.
On prétend que nous ne pouvons nous occuper de lois générales ; si par là on désigne la loi communale, je ne pense pas qu’elle ait rien de commun avec un changement de ministres ; c’est une loi qui n’est pas créée dans l’intérêt de MM. Lebeau et Rogier, elle est créée dans l’intérêt du pays et pour un avenir qui n’a aucune relation avec l’existence ministérielle si fugitive.
Quant aux crédits demandés par le département de la guerre, que les ministres soient en place ou que d’autres leur succèdent, il faut toujours que les dépenses nécessaires à la défense du pays soient votées.
M. Dumortier. - Vous venez d’entendre le ministre des affaires étrangères ; il ne peut donner des explications sur le changement probable des ministres ; la chambre ne peut rester dans cet état ; il faut qu’elle sache si nous avons un cabinet. On ne peut voter une loi de la compétence du ministère de l’intérieur, sans que ce ministre la soutienne. C’est une chose extraordinaire de voir que le ministre des affaires étrangères ne sache pas si ses collègues ont donne leur démission, si cette démission a été acceptée.
Quoi qu’il en soit, nous avons un moyen de sortir de cette incertitude. La constitution nous donne le droit de requérir la présence des ministres ; je demande donc que la chambre requière la présence des ministres de la justice et de l’intérieur pour savoir s’ils peuvent adhérer aux propositions de la section centrale.
- Plusieurs membres.- On peut voter sur les crédits demandés par la guerre : le premier objet à l’ordre du jour est le crédit pour le département de la guerre.
M. Desmanet de Biesme. - L’ordre du jour porte : discussion sur les crédits demandés par le ministre de la guerre ; ce ministre est présent. La discussion du projet de loi prendra au moins un jour. M. Dumortier voudrait que les ministres s’expliquassent sur la situation actuelle du cabinet, mais je ne sais pas si la chambre doit s’occuper des dires d’un journal ; on ne doit s’occuper ici de la démission des ministres que quand nous l’apprendrons officiellement ou par eux-mêmes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je n’ai aucune connaissance officielle des démissions dont on parle.
M. Dubus. - J’appuie ce que vient de dire l’honorable membre. Ce qui a induit en erreur mon honorable ami c’est qu’on a mis à l’ordre du jour la loi communale et les crédits pour la guerre ; mais hier on n’était pas en nombre pour prononcer sur l’ordre du jour, tandis qu’antérieurement la chambre a fixé pour aujourd’hui les crédits relatifs à la guerre.
M. Dumortier. - Je ne m’oppose pas à la discussion des crédits pour la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) monte à la tribune et s’exprime en ces termes. - Messieurs le rapport de votre commission vous a fait connaître le résultat de toutes les investigations auxquelles elle a cru devoir se livrer, pour apprécier les motifs de la demande des crédits supplémentaires que j’avais présentée à votre séance du 6 juin dernier, et c’est avec pleine satisfaction que j’ai vu, dans son rapport, que tous les calculs que j’avais établis pour motiver les diverses fixations des crédits, qui dérivent de l’augmentation de l’effectif de l’armée, avaient été reconnus par elle de la rigoureuse exactitude.
M’en rapportant à ses lumières et à celles de son honorable rapporteur, je ne pouvais m’attendre à un autre résultat, par la manière dont j’administre les deniers de l’Etat, et les contrôles que j’ai établis pour en justifier l’emploi.
Mais je vous avoue, messieurs, que je ne conçois pas sur quel fondement a pu s’établir l’opinion qu’il existait une erreur de 5,000,000 de francs dans la fixation du budget de 1834, et que c’était pour couvrir ce déficit que j’avais habilement profité des événements du mois de février et de mars, pour demander les fonds dont je manquais, pour assurer le paiement des dépenses de cet exercice.
Ceux qui connaissent ma franchise et ma loyauté en affaires de tout genre, savent bien que je n’aurais jamais eu recours à un pareil moyen, et doivent être assurés que si j’avais pu commettre une pareille erreur, je serais venu la déclarer franchement en exposant consciencieusement quels en étaient les motifs.
Mais il n’en a jamais été ainsi, et si les événements politiques n’avaient pas nécessité l’augmentation de l’effectif de notre armée, j’avais établi mes calculs et mes prévisions de manière à présenter un restant disponible à la fin de l’exercice, par suite des nouvelles économies que je me proposais d’apporter dans les dépenses, et des réductions obtenues dans les prix de divers marchés.
Ainsi, messieurs, je suis fondé à vous déclarer :
1° Que la somme de 37,459,000 fr., montant du budget ordinaire de 1834, était suffisante pour couvrir toutes les dépenses prévues au budget avec un effectif de 42,000 sous-officiers et soldats de toutes armes.
2° Que celle de 822,000 fr. était également suffisante pour couvrir toutes les dépenses des gardes civiques, partisans, ambulances, etc., pendant les quatre premiers mois de l’année, pour lesquelles elle avait été demandée.
Loin d’avoir la moindre inquiétude à ce sujet, j’ai acquis la certitude, par le résultat de la liquidation des trois premiers mois, qu’il y avait diminution réelle dans les dépenses effectuées ; et qu’en continuant sur le même pied, il devait nécessairement rester des fonds disponibles à la fin de l’exercice.
Maintenant, messieurs, j’aborde le reproche qui est fait au gouvernement de n’avoir eu, dans la première quinzaine du mois de mars, que 17,000 hommes disponibles à opposer à une attaque éventuelle qui serait venue du Brabant septentrional.
L’exposé des faits justifiera, je l’espère, la conduite du gouvernement.
Lorsqu’il s’est agi, au mois d’octobre 1833, de dresser le budget de 1834, l’opinion du pays et des chambres mêmes était qu’avec la convention du 21 mai, il suffisait d’entretenir 25,000 hommes sous les armes, et qu’il fallait réduire le budget de la guerre à 30,000,000 au plus.
C’est d’après les motifs que je fis valoir au conseil des ministres, qui les adopta, qu’il fut décidé que le budget de la guerre serait fixé à 40,000,000 fr., et qu’avec cette somme on entretiendrait 45,000 hommes sous les armes.
C’est d’après ces données que j’établis les détails du budget pour 45,000 hommes, y compris les officiers, que j’eus l’honneur de soumettre à la chambre.
La commission proposa diverses réductions, et la chambre, en les ordonnant, fixa le montant du budget à 37,459,000 fr., en ordonnant quelques diminutions dans l’effectif présent sous les armes que j’avais demandé.
C’est donc d’après la somme accordée par les chambres que le gouvernement a dû régler l’effectif présent à conserver sous les armes, et vous avez vu, par le rapport de votre commission, qu’il était, à peu de différence près, égal en réalité à celui fixé par le budget.
Vous devez sentir, messieurs, qu’il est impossible, dans le maintien de cet effectif, d’exiger une rigueur mathématique, vu les variations nombreuses auxquelles il est soumis.
Ces 42,000 hommes étaient, au mois de mars, répartis dans les garnisons à l’exception de ceux qui avaient été envoyés dans le Luxembourg ou échelonnés pour s’y rendre.
On compte généralement 1/6ème de l’effectif d’une armée, qui n’entre pas en ligne ; ainsi 35,000 hommes étaient disponibles :
6,000 étaient dans le Luxembourg ;
11,000 étaient à Anvers, sur les rives de l’Escaut et dans les Flandres ;
18,000 seulement étaient disponibles pour soutenir le choc d’une première attaque.
Mais cet état de choses résultait de l’effectif des troupes fixé par le budget ; de l’événement survenu dans le Luxembourg, qui avaient obligé à y envoyer un détachement ; et de la nécessité d’avoir toujours une force imposante à Anvers et dans les Flandres.
Dès le 8 mars, il fut fait un appel aux permissionnaires ; il en fut fait un second le 15 du même mois, et dès la même époque, les corps reçurent des renforts successifs qui portèrent l’effectif de l’armée à 50,000 hommes au 1er avril, 65,000 hommes au 15 du même mois, ainsi que votre commission s’en est convaincue par la vérification attentive des états de situation des corps et par le contrôle des situations de l’état-major général.
Ainsi, messieurs, le gouvernement prit sur lui l’initiative des mesures tendantes à augmenter l’effectif de l’armée, au-delà des fixations du budget. Il s’empressa de vous en rendre compte, en vous demandant les fonds nécessaires, pour soutenir cette augmentation jusqu’au 15 juin.
Il ne peut donc être justement accusé de négligence, puisqu’il entretient sous les armes le nombre d’hommes fixé par le budget, et qu’à la première apparence d’événements qui pouvaient amener quelque collision, il prit sous sa responsabilité de renforcer l’armée de 26,000 hommes.
Avec un effectif de 68,000 hommes, et en laissant à Anvers et dans les Flandres les troupes qui y sont nécessaires, l’armée d’observation telle qu’elle fut organisée au 1er avril, présentait 45,000 hommes disponibles et prêts à se porter sur le point qui aurait été menacé.
Il est fort difficile d’allier les principes d’économie avec ceux d’une armée puissante toujours prête à agir. C’est un problème qui n’offre guère de solution possible qu’avec une organisation d’armée autre que celle que nous avons, et à laquelle il n’a pas été jugé prudent de toucher dans les circonstances actuelles.
Le gouvernement s’est cependant occupé des bases de ce projet, qui se lie avec celui de la garde civique qui vous a été présenté.
Vous avez sans doute remarqué que, dans les premiers jours du mois de juin, le gouvernement, tant pour diminuer les dépenses de l’Etat, que pour venir au secours de l’agriculture, a fait délivrer 8 à 9,000 congés, et a réduit l’effectif présent à 61,400 hommes.
Tel est l’effectif dont il demande le maintien, non pas jusqu’à la fin de l’année, comme on l’annonce dans le rapport, mais seulement jusqu’au 15 octobre, époque où les camps doivent être levés et les troupes rentrer dans leurs garnisons, à moins que les événements politiques ne nous obligent encore à prendre d’autres mesures contre toute éventualité.
La légalité de presque tous les suppléments de crédits demandés ayant été reconnue par la commission, comme dérivant de l’augmentation de l’effectif de l’armée, dont elle demande elle-même le maintien, et leur montant ayant été également reconnu exact, il serait superflu, messieurs, d’entrer dans de nouveaux détails à ce sujet. Je me bornerai donc à discuter les quatre articles sur lesquels la commission demande une réduction.
(Note du webmaster : le ministre de la guerre donne l'explication chiffrée et détaillée des demandes de crédits et des motifs des réductions. Ces détails ne sont pas repris dans la présente version numérisée. Les articles concernés sont : l’entretien de la garde civique mobilisée (crédit demandé : 536,375 fr. et crédit accordé par la section centrale : 36,375 fr.), les indemnités accordées aux officiers pour leur tenir lieu des vivres de campagne en nature, le crédit inscrit à l’article premier du chapitre II, les dépenses imprévues. Il poursuit son exposé comme suit :)
Dans un premier travail de révision, que j’avais soumis le 12 juin à la commission, j’avais déjà opéré sur ma demande primitive de 7,200,000 fr. une réduction de 180,000 fr.
En y ajoutant celles que je consens :
1° pour les gardes civiques, 200,000 fr.
2° sur l’indemnité représentative, 55,000 fr.
3° sur l’article premier du chapitre II, 6,300 fr.
4° sur les dépenses imprévues, 48,000 fr.,
Le total est de 490,212 fr., qui ne diffère de celui de la commission que des 100,000 fr. qu’elle propose de retrancher en plus de l’article des gardes civiques, et que je demande pour conserver les dépôts tels qu’ils sont organisés, jusqu’à la fin de l’année.
Autant je mets d’insistance, messieurs, à obtenir les fonds que je juge nécessaire pour assurer le service, autant je suis porté à indiquer les réductions encore possibles ; et dans l’un et l’autre cas, j’y apporte la plus grande franchise, bien convaincu que c’est le meilleur moyen de conserver la confiance dont vous m’avez constamment honoré.
Ainsi je me fais un devoir de vous signaler de nouvelles réductions, que ma constante sollicitude pour les intérêts de l’Etat m’a fait reconnaître comme possibles, depuis que j’ai présenté les projets de loi le 6 juin dernier.
Je me suis aperçu qu’en portant une somme de 100,000 fr. pour la dépense de l’établissement et de l’entretien des camps, je n’avais pas porté en déduction la somme de 73,000 fr. que j’annonçais être le montant de la retenue de la masse de casernement des hommes campés.
Cette somme doit donc être déduite de l’article 8 du chapitre II (infanterie), et j’en propose la réduction sur cet article.
En second lieu, le résultat des revues du premier trimestre vient de me donner l’assurance que l’incomplet en hommes et en chevaux, pendant ce trimestre, les congés accordés sans solde et à demi-solde, les diminutions obtenues sur les prix des marchés ont produit une économie notable sur les fixations du budget et ont ainsi réalisé l’espoir que j’avais de laisser des fonds disponibles à la fin de l’exercice.
Comme il est de bonne administration de ne demander que les fonds réellement nécessaires, et comme je connais aujourd’hui le chiffre exact des dépenses réelles du premier trimestre, qui sont au-dessous des fixations du budget ; mu par les motifs que je viens d’exposer, je propose de réduire les sommes que j’ai demandées, pour les trois derniers trimestres, du montant des économies obtenues sur le premier, et qui consistent, savoir :
100,000 fr. sur l’article 6 du chapitre II, « Troupes d’artillerie. »
200,000 fr. sur l’article 8 du chapitre II, « Troupes d’infanterie. »
50,000 fr. sur l’article 9 du chapitre II, « Troupes de cavalerie. »
Ensemble, 350,000 fr.
Le montant total des réductions sera donc :
1° Celle que j’avais indiquée dans le premier travail remis à la commission : 180,000 fr.
2° Celles que j’ai consenties sur la proposition de la commission : 310,000 fr.
3° Celle que je propose sur la dépense des camps : 73,000 fr.
4° Enfin celle que ‘indique comme résultat des économies faites sur le premier trimestre : 350,000 fr.
Ensemble : 913,000 fr.
La demande primitive se 7,200,000 fr. se trouve donc réduite à 6,287,000 fr. dont :
2,800,000 fr. déjà accordés sur les fonds disponibles de l’exercice 1833 ;
2,835,000 fr. à transférer des exercices 1832 et 1833, sur les fonds que j’y ai laissés disponibles ;
652,000 fr., montant du crédit supplémentaire à ouvrir, au lieu des 1,565,000 fr., primitivement demandés.
Ensemble : 6,287,000 fr.
C’est en conséquence de ces nouvelles propositions qu’en me ralliant entièrement aux quatre projets qui vous sont présentés par la commission, je propose les amendements suivants aux articles 1 et 2 du troisième projet :
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit supplémentaire de 652,000 francs, applicable aux dépenses de l’exercice 1834. »
« Art. 2. Ce crédit, joint au transfert de 2,800,000 fr. de l’exercice 1833 à l’exercice 1834, autorisé par la loi du 15 mars dernier, et aux nouveaux transferts autorisés par la loi du 15 mars dernier, et aux nouveaux transferts par les lois du… de 835,000 fr., restant disponibles sur l’exercice 1833 et de 2,000,000 fr., restant disponibles sur l’exercice 1832, formant une somme totale de 6,287,000 fr., sera réparti entre les divers articles du budget du département de la guerre pour l’exercice 1834, savoir :
« 47,700 fr. à l’article premier du chapitre II ;
« 308,622 fr. à l’article 6 du chapitre II ;
« 2,957,892 fr. à l’article 8 du chapitre II ;
« 1,195,600 fr. à l’article 9 du chapitre II ;
« 14,000 fr. à l’article premier du chapitre III ;
« 30,000 fr. à l’article 2 du chapitre III ;
« 30,000 fr. au chapitre IV ;
« 214,000 fr. à l’article premier du chapitre X ;
« 268,000 à l’article 2 du chapitre X ;
« 422,560 fr. à l’article 3 du chapitre X ;
« 768,600 fr. à l’article 4 du chapitre X ;
« 36,026 fr. à l’article 5 du chapitre X.
« Total : 6,287,000 fr. »
Si, d’un côté, je peux ainsi réduite ma demande primitive de crédit supplémentaire de 1,565,000 francs à 652,000 francs, en y opérant une réduction de 913,000 francs, il me reste à vous rendre compte d’une demande supplémentaire, dont vous a entretenus le rapporteur de votre commission, et qui concerne des créances arriérées de l’exercice 1830, pour les services du génie et de l’artillerie.
J’ai remis à la commission un rapport sur ces créances, et j’ai en conséquence l’honneur de vous proposer de renvoyer à son examen l’amendement ci-après comme article additionnel à la troisième loi :
« Art. 3. Il est ouvert au même département un autre crédit supplémentaire de la somme de 462,000 francs, applicable au paiement des créances arriérées des services de l’artillerie et du génie sur l’exercice 1830, et qui sera ajouté au chapitre XI du budget de 1832. »
Je me réserve, messieurs, de donner dans le cours de la discussion toutes les explications que vous pourrez désirer sur les observations présentées par la commission à la fin de son rapport.
Je n’ignore pas que mon administration a été injustement attaquée ; je connais les motifs secrets qui ont dirigé ces attaques, et je n’en suis nullement surpris.
Je répondrai à toutes en ce qu’elles me concernent personnellement, ainsi que les collaborateurs à qui j’ai accordé ma confiance et qui ne l’ont certainement pas trahie.
La presse m’a aussi vivement attaqué depuis quelques temps, et je n’ai pas répondu à ses attaques, par la raison que fort de ma conscience et de la pureté de mes intentions, ayant pour unique mobile de mes actions, le désir de faire le bien et de veiller aux intérêts de l’Etat, j’ai remis à m’en expliquer devant vous comme les seuls juges à qui je dois rendre compte de ma conduite et des actes de mon administration.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, mon but, en demandant la parole, est de présenter quelques observations générales sur le ministère de la guerre.
Si l’on m’objecte que ces observations sont déplacées quand il s’agit d’un crédit spécial, je répondrai que dans mon opinion chaque fois que l’on demande un crédit, il est permis d’établir une discussion générale sur le budget du ministère qui demande le crédit ; d’ailleurs le ministre peut toujours faire son profit pour le budget prochain des réflexions que je présenterai.
Je commencerai par déclarer comme membre de la commission que je considère l’armée comme dans un état satisfaisant ; qu’elle est belle ; qu’elle est animée d’un bon esprit ; et je suis convaincu que si l’occasion s’en présentait, elle ne manquerait pas de donner des preuves de son dévouement : je m’empresserai d’en témoigner ma reconnaissance au chef auquel nous devons cette bonne administration et cette bonne organisation de notre armée. Cependant il serait difficile que dans une administration aussi étendue il n’y eût pas quelques abus ; et c’est au législateur à en demander le redressement. Je vais donc parcourir quelques points qui me semblent présenter des irrégularités.
Je parlerai d’abord de la position du ministre de la guerre dans l’administration générale de l’Etat.
Ce ministre ne fait pas partie du conseil ; il est important que tous les ministres aient leur part de responsabilité et que les résolutions qui intéressent le pays soient prises au conseil des ministres. Je crois cette observation d’autant plus utile dans ce moment, que si les bruits qui se répandent relativement à un remaniement de cabinet sont fondés, elle pourrait être mise en pratique dans les nouveaux arrangements ministériels qui doivent avoir lieu.
Vous savez à combien est sujette la position actuelle du ministre de la guerre. Il s’ensuit que les ministres ne marchent pas ensemble ; que chaque administration agit séparément. Il me semble que dans un gouvernement constitutionnel tous les ministres doivent être responsables de tous les actes ministériels, même de ceux qui ne sont pas spécialement de leur département.
Nous avons cru un temps que la marche séparée du ministre de la guerre était commandée par les circonstances ; ce temps est passé.
Voici ce qui avait donné lieu à un tel état de choses. Il est inutile de vous parler des ministres qui se sont succédé avant la campagne de 1831 ; vous savez combien l’armée était mal organisée malgré les sacrifices consentis par le congrès. Des résultats funestes en ont été la suite. Un homme auquel la Belgique doit beaucoup, M. Ch. de Brouckere, s’est chargé alors d’un fardeau qui aurait semblé trop lourd à tout autre ; en quelques mois il organisa une armée sur un pied respectable, il organisa une armée de 60 mille hommes. Mais on put prévoir qu’un homme du caractère de M. de Brouckere, dont les opinions étaient très prononcées, ne resterait pas longtemps aux affaires, et c’est ce qui arriva.
Le général baron Evain lui succéda. On voulait avoir un homme pour organiser l’armée, et qui ne fut pas sujet aux variations des opinions politiques.
Le général Evain, quoique naturalisé, pouvait, par une délicatesse dont on comprend les motifs, ne pas se mêler à la discussion des opinions : mais maintenant l’armée est organisée et il est important que nous ayons un ministre de la guerre qui fasse partie du cabinet. Les souvenirs des malheureuses journées d’avril sont trop poignantes pour que j’ai besoin de m’étendre sur la nécessité d’avoir un ministre de la guerre ayant de l’influence dans le conseil.
Cependant je me permettrai quelques considérations. Lors des pillages d’avril, le gouvernement fut livré à de graves inculpations de la part des divers partis. Les uns allaient jusqu’à croire que le gouvernement n’était pas étranger à ces scènes de désolation. C’était là un langage passionné, qui n’a pas eu beaucoup de crédit dans le public. D’autres croyaient que si le ministère y était étranger, au moins il les avait tolérées. Quant à moi, je n’ai jamais partagé cette opinion ; j’ai toujours cru qu’il n’avait pas fait tout ce qu’il était possible de faire, mais j’ai attribué cela au défaut d’organisation. En effet, si quand ces scènes se sont passées, le ministre de la guerre avait eu la prépondérance qu’il doit avoir, on aurait pu prendre des mesures énergiques. Le ministre de la guerre, voyant l’émeute déclarée, aurait pris la haute main sur l’émeute et aurait su la réprimer. On aurait ainsi évité à nos troupes un rôle si pas tout à fait passif, au moins fort désagréable. Si on avait agi dès le commencement, on aurait pu faire cesser le désordre sans effusion de sang, et on n’aurait pas à déplorer des suites fâcheuses, on ne verrait pas traîner de prison en prison des malheureux qui, jusque-là, avaient eu une vie irréprochable, et qui ont pu croire que cela était toléré, et dont la position est aujourd’hui vraiment à plaindre.
Il est un autre point sur lequel je dois appeler l’attention de la chambre. Il me semble que le ministre de la guerre doit faire partie du cabinet. Il serait absurde que le ministre de la justice, le ministre de l’intérieur et le ministre des affaires étrangères intervinssent pour la nomination à des grades inférieurs ; mais il est des places qui concernent tous les ministres : les commandants provinciaux, les commandants de place, les officiers de gendarmerie, toutes ces places ont un caractère plus ou moins politique, il est de l’intérêt de tous les ministres de pouvoir avoir une confiance entière dans ceux qui sont appelés à les remplir.
Je dirai peu de chose sur les cantonnements. Mon collègue et ami M. Brabant traitera ce point en ce qui concerne la ville de Namur. Je me permettrai cependant une observation, II devient urgent de demander un crédit pour construire de nouvelles casernes, si les casernes existantes sont insuffisantes. D’après des conversations que j’ai eues avec des officiers supérieurs, l’état de choses actuel devrait se prolonger même pendant la paix ; parce que d’après le nouveau mode adopté de placer les chevaux dans les écuries sur un seul rang, les casernes sont insuffisantes en Belgique. Je ne sais pas jusqu’à quel point cette prétention doit être admise mais la charge des cantonnements ne peut pas se prolonger plus longtemps.
Messieurs, quant aux crédits demandés, je pense que la chambre ne peut se dispenser de les accorder. Je ne pense pas que le renvoi de la schuttery soit une bien grande garantie des intentions pacifiques de la Hollande. Depuis longtemps elle fait remplacer ses schutteries par la troupe de ligne, mais elle a des moyens de les rappeler promptement sous les drapeaux. Il y aurait, je pense, imprudence à refuser les crédits demandés par le ministre de la guerre. On sait que la Hollande fait manœuvrer ses troupes par division sur l’extrême frontière. Aucun de nous ne voudra prendre la responsabilité des événements qui pourraient survenir.
Je rappellerai une observation de la commission, c’est qu’il est à désirer que les officiers qui sont aux avant-postes ne soient pas aussi souvent à Bruxelles. M. le ministre de la guerre devrait leur ordonner de rester à leurs postes, ne fût-ce que pour éviter qu’on puisse faire des rapprochements fâcheux et dire de nos affaires ce qu’on disait autrefois de certains évêques de France : « Quelques-uns de nos évêques courtisans se rencontrent toujours dans les salons de Versailles et jamais dans leurs diocèses. »
Je ne crains pas que des observations que j’ai présentées, et de celles qui le seront par plusieurs de mes collègues, on prétende inférer qua la chambre cherche à gouverner. Non, messieurs, telle n’est pas l’intention de la chambre. Elle ne veut pas, elle ne peut pas gouverner, mais elle veut contrôler les actes de ceux qui gouvernent. Quand nous trouvons des abus, notre mandat nous fait un devoir de les signaler.
M. Desmet. - Messieurs, quoique je sente l’extrême urgence de forcer notre gouvernement à devenir économe et d’arrêter le plus tôt possible les progrès que nous faisons tous les ans dans le déficit de nos budgets, ne considérant que la nécessité de notre conservation, je voterai les crédits supplémentaires que le ministre demande pour l’armée.
Le rapport clair et détaillé que nous a fait la commission chargée de l’examen des demandes de ces crédits, nous démontre d’une manière telle que nous ne pourrons aucunement en douter, que les crédits supplémentaires ne doivent pas servir pour remplir des lacunes dans le budget ordinaire de l’armée, mais sont destinés à couvrir la dépense extraordinaire qu’exige l’augmentation de nos forces militaires.
Messieurs, je ne puis pas encore voir dans ce moment des motifs pour oser engager le gouvernement à diminuer le chiffre de cet effectif ; au contraire, si on nous demandait à l’augmenter, je n’oserais même pas m’y opposer.
Car, au lieu de voir éclaircir l’horizon politique, et d’apercevoir l’approche d’une paix sincère entre les potentats de notre hémisphère, il me semble qu’il se rembrunit encore tous les jours, et que cette paix et cette tranquillité tant désirées s’éloignent de plus en plus.
Ce n’est pas une nouvelle ruse si familière à la tactique du finasseur que nous avons chassé de notre pays, qui pourra me faire espérer que nous sommes à la veille de voir stater ses tentatives pour nous envahir et nous remettre sous sa domination ; je pense au contraire que c’est à présent que nous devons nous en méfier, et l’intervention qui peut-être n’est pas éloignées d’une puissance amie chez un peuple qui tâche de secouer le joug de l’absolutisme et où la sainte-alliance fomente la guerre civile pour le tenir sous ce fléau, servira probablement de prétexte aux bandes incendiaires de Guillaume de venir porter de nouveau la dévastation et l’assassinat sur nos frontières.
Et ici, messieurs, prenons attention à la remarque importante que vous fait avec tant de justesse votre commission, qu’au moment où les justes alarmes de la chambre ont pour ainsi dire donné l’éveil au gouvernement lors des événements du Luxembourg, nous n’avions alors qu’environ 17,000 hommes à opposer à l’invasion d’un ennemi dont les forces restent constamment concentrées de manière à pouvoir, en 48 heures, porter 30 à 40,000 hommes sur tel point de nos frontières qu’il verra le plus facile à envahir, et si nos gouvernants sont si négligents à ne pas mieux garantir le pays, soyons de notre côté plus prévoyants et prenons à temps des mesures pour qu’il ne soit plus exposé à un tel danger.
Tout en accordant les crédits qu’on nous demande, je dois cependant réveiller votre attention sur les abus que la commission vous signale exister dans le département de la guerre… Elle vous signale surtout la division qui concerne le personnel, et si nous pouvions donner foi à tout ce qu’on dit dans le public, je crois qu’elle a bien raison de recommander au ministre d’attacher tout particulièrement son attention sur cette partie de son administration, et voir plus souvent par lui-même ce qui s’y passe. Probablement qu’on verrait alors plus scrupuleusement respectées les règles de la justice distributive et que le mérite comme le patriotisme seraient mieux récompensés.
La ville, chef-lieu du district dont je suis député, a, si je suis bien informé, été victime d’une intrigue qui lui a fait perdre le dépôt d’un régiment ; et à cette occasion, si je suis encore bien informé, non seulement il a eu des indiscrétions scandaleuses qui ont compromis des autorités municipales, mais on a exercé des partialités qui, certes, n’étaient pas en faveur de l’opinion patriotique.
Je demanderai aussi M. le ministre si nous pouvons donner foi à ce qu’annoncent les feuilles publiques et particulièrement un journal de Namur, qui se demande qui aurait cru que le scandale des marchés Hambrouck et Lauwers se serait représenté, et qui annonce que l’entreprise des lits en fer pour les hôpitaux vient d’être donnée, sans publicité ni concurrence, à la maison Hanquet et compagnie, au prix élevé de 40 fr. 75 centimes, tandis, ajoute ce journal, qu’il n’est personne un peu au courant de la valeur du fer qui ne s’étonnera de voir donner un pareil prix et qui n’ait la conviction que si l’administration de la guerre avait fait son devoir en appelant une libre concurrence, il n’en fût résulté une grande économie pour le trésor.
Un autre objet dont on se plaint fortement aussi dans le public et particulièrement dans ma province, c’est à l’égard de la distribution des décorations de l’ordre Léopold aux gardes civiques ; on a été fort étonné de voir l’empressement qu’on a mis à décorer des officiers de cette armée qui, à l’invasion hollandaise en 1831, étaient restés assez en arrière à faire leur devoir, tandis que bien d’autres qui ont fait preuve d’héroïsme dans cette occasion et qui, en combattant journellement, ont garanti notre territoire, ont été jusqu’à présent vilainement oubliés.
Et je ne crois pas sortir des formes parlementaires en vous nommant quelques-uns de ceux qui se trouvent dans ce nombre ; je m’empresserai de vous citer notre ancien collègue, le colonel de la première légion des gardes civiques de Gand, celui de la légion du canton de Loochristi, cet officier porte-drapeau de ces mêmes gardes civiques qui s’est distingué si exemplairement à l’époque de l’invasion hollandaise, en 1831, ainsi que le major qui commandait le bataillon des gardes civiques de la ville d’Alost qui à la même époque sont accourus avec tous, ceux du district d’Az à la défense du territoire vers les frontières zélandaises et qui s’est montre si héroïquement aux environs de Calloo, à l’endroit dit la Pipe de Tabac, comme vous l’attestera avec nous notre honorable collègue, qui était alors commissaire du district de St-Nicolas.
Messieurs, je devrais encore vous en citer d’autres et en grand nombre de nos gardes civiques qui se sont distingués dans la défense de la patrie et qui ont mérité la décoration, mais dans ce moment ils ne me reviennent pas à la mémoire et je ne trouve pas nécessaire de la torturer pour vous les nommer, car je ne doute pas qu’ils soient tous connus au ministère, et quand on voudra rendre justice, on pourra facilement les découvrir. J’ai dit.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Messieurs, je demande à répondre tout de suite à ce que vient de dire l’honorable préopinant sur ce qu’on a répandu dans le public relativement aux marchés des lits en fer qui, dit-on, surpassent en scandale les marchés Hambrouck et Lauwers.
Je projette depuis longtemps de remplacer par des lits en fer, les couchettes en bois qui existent dans nos hôpitaux, en employant à l’achat de ces lits les fonds qui restent sans emploi dans l’administration de ces établissements.
Je fis en conséquence établir un modèle de ces lits, que je fis successivement améliorer, et j’en commandai 200 au fabricant qui m’avait fourni les modèles.
Le prix du lit fut fixé à 38 fr. 75 c., auquel il fut ajoute 2 fr. pour frais de montage, de peinturage et de transport de Liège sur les divers hôpitaux du royaume.
J’ai fait établir le devis exact de ces lits par le major d’artillerie Frederickx, directeur de la fonderie de Liége, et le prix de revient dans cet établissement est de 38 fr. 57 c.
Il entre dans la confection de ces lits 58 kil. de fer forgé, dont la valeur est de 21 fr. 67 c.
Le prix de la main-d’œuvre est de 14 fr. 60 c.
Pour charbon et entretien d’outils, on compte 2 fr. 30 c.
Total, 38 fr. 57 c.
Ce prix, que je regarde comme exactement établi ne diffère de celui demandé par le fabricant, que de 18 centimes.
Les 200 lits ont donc coûté 8,150 fr., et je pose en fait que le fabricant n’a pas eu les 10 p. c. de bénéfice sur sa fourniture. Je veux cependant bien l’admettre, et son bénéfice aura été de 815 fr.
Ayant eu des fonds disponibles dans deux autres hôpitaux, j’ai commandé 200 autres lits au même fabricant et 200 à la fonderie de Liége.
Voilà, messieurs, à quoi se bornent tous ces grands achats de lits en fer, dont parlent, m’a-t-on dit, divers journaux du pays qui dénoncent ce fait comme une véritable dilapidation des deniers de l’Etat.
Je vous prie de l’apprécier et de juger si vous devez accorder le moindre degré de confiance à toutes ces dénonciations échafaudées sur quelques faits très simples en eux-mêmes, et sur lesquels on veut attirer l’attention par l’exagération dont on les revêt pour donner plus de poids aux accusations.
Ce que j’étais dans l’intention de faire successivement pour les hôpitaux, je le projetais aussi pour nous-mêmes, en faisant remplacer par des couchettes en fer celles en bois, les tréteaux et hamacs qui servent actuellement au couchage des troupes.
Mais ces couchettes de casernes sont tout autre chose que les lits d’hôpitaux, leur prix ne peut monter à plus de 25 fr.
J’ai fait venir de France les modèles de ces couchettes en fer, qui sont actuellement en usage, et j’ai fait aussi établir dans le pays, par quelques fabricants qui se sont offerts à les livrer gratuitement, divers autres modèles de couchettes en fer.
Mon intention est de soumettre l’examen de tous ces modèles à une commission spéciale, qui fera le choix de celui qui paraîtra le meilleur et établi à plus bas prix ; quand cette opération sera terminée, et le prix à peu près fixé, il conviendra de demander des fonds au budget prochain, et c’est alors qu’on pourra mettre cette fourniture en adjudication publique.
Mais j’en donne ici l’assurance la plus formelle, tout est encore en projet, et tout dépend des fonds qui pourront être accordés par les chambres pour améliorer le couchage des troupes.
M. Jullien. - Messieurs, depuis le traité du 15 novembre et les événements qui l’ont suivi, toutes les fois qu’on vient nous demander des fonds pour l’administration de la guerre, il m’est impossible de ne pas me faire cette question : A quoi sert cette armée si belle, si nombreuse, et qui coûte si cher ? Est-ce pour se battre ? Mais lorsque les choses en sont venues là, ce sont les voisins qui viennent aux termes du traité nous rendre ce service. Tout ce qu’on veut bien nous permettre, c’est de faire des prières pour le succès de leurs armes.
Est-ce pour venger les avanies, les affronts que nous avons plusieurs fois reçus, les soufflets qui nous ont été donnés sur la joue de tel ou tel ambassadeur ? Non, messieurs : lorsque ces événements arrivent, vous savez qu’on a la prudence de s’en remettre à la diplomatie, et vous savez aussi comment la diplomatie nous traite. Quand on est fatigue de tenir dans les prisons les fonctionnaires qu’on nous a enlevés, on daigne leur en ouvrir les portes mais jusqu’à présent, et malgré les promesses qui nous ont été faites par M. de Mérode lors de l’enlèvement du commissaire Hanno, pas la plus petite réparation n’a été faite au pays, pas même aux victimes de cette violation du droit des gens. Je puis donc avec raison répéter ma question : A quoi sert l’armée ?
Cependant, comme je n’ai aucune espèce de confiance dans le traité du 15 novembre et que je n’en ai pas davantage dans le système bâtard qui lutte péniblement depuis trois ans contre les menaces d’une collision qui malheureusement paraît inévitable, je ne refuserai pas les crédits demandés ; au contraire j’accorderai tout ce qui sera nécessaire pour faire face, au besoin, à des attaques imprévues.
Mais là doit se borner notre bonne volonté ; donnons le nécessaire, mais point de prodigalité.
J’ai lu avec attention le rapport fait par votre commission, il m’a semblé qu’il méritait de la part du ministre de la guerre une réponse plus attendue que celle qu’il a donnée. On y parle d’abus et presque de dilapidations. Je pense que M. le ministre de la guerre reviendra sur ces accusations et nous donnera la satisfaction que nous avons le droit d’espérer. En attendant je vais passer en revue les diverses parties de ce rapport.
D’abord, on accuse le gouvernement d’avoir par une négligence impardonnable compromis la sûreté et l’indépendance du pays. Cette accusation est grave. Mais est-elle fondée ? Voilà ce que la justice commande d’examiner. Sur ce point, j’ai entendu l’honorable ministre de la guerre donner toutes les explications qu’on pouvait désirer. Vous vous rappelez que quand il s’est agit du budget, toutes les vues étaient tournées vers l’économie ; on croyait aux apparences de paix, chacun s’empressait de réclamer des économies. On voulait empêcher qu’on ne présentât chaque année un énorme budget de 60 à 70 millions.
Il fallait pour cela réduire le chiffre de l’armée à 42 mille hommes, afin que la dépense ne s’élevât pas à plus de 37 ou 38 millions. On a cru que le chiffre de 42 mille hommes était suffisant, parce que, si les affaires se brouillaient, on pourrait toujours rappeler les permissionnaires. Lorsque vous avez eu ainsi réduit le chiffre de l’armée, il est survenu un événement que personne ne pouvait prévoir et dont on s’est trop alarmé, parce qu’on a pensé que l’enlèvement de M. Hanno, allait être suivi d’une déclaration de guerre entre nous et la Hollande. Eh bien ! de ce que pendant quinze jours l’armée s’est trouvée réduite à 42 mille hommes, dont 17 mille peut-être pouvaient être opposés à l’instant à l’ennemi, 12 mille étant dans les Flandres et 6 mille ayant été envoyés dans le Luxembourg, faut-il s’en prendre au ministre de la guerre ?
Tout ce qu’il pouvait faire c’était de demander de nouveaux fonds pour pouvoir rappeler les permissionnaires sous les armes et les payer, mais on ne peut pas raisonnablement exiger qu’il mît en ligne plus d’hommes qu’il n’en avait. Je ne crois donc pas jusqu’à présent que le gouvernement soit coupable de négligence inexcusable et qu’il ait compromis la sûreté et l’indépendance du pays.
Après cette inculpation, je vois figurer comme griefs les cantonnements des troupes par la raison qu’ils présentent un triple inconvénient. Le premier est de vexer plus ou moins l’habitant. Vous avez entendu à cet égard les plaintes qui vous sont adressées depuis longtemps. Les charges des logements militaires, dans certaines localités, sont vraiment intolérables.
Il n’y a pas un homme d’armes qui ne coûte aux habitants un franc et demi au-delà de l’indemnité de 74 centimes que leur accorde l’Etat. Et quand il y a prolongation de logement, c’est une véritable ruine pour certaines familles. Voilà le premier inconvénient que je signale.
Le second inconvénient, que je ne regarde pas comme aussi grave puisqu’il n’affecte que la bourse de l’Etat, quoique je demanderai toujours qu’on la ménage, c’est que chaque homme logé chez un habitant coûte au trésor public 36 cents et demi de plus que s’il était en garnison.
En troisième lieu, lorsque l’armée est en état d’activité, il est accordé une indemnité aux officiers à titre de dédommagement des dépenses extraordinaires que leur séjour dans les cantonnements est censé leur occasionner, tandis que pour ma part je crois que c’est plutôt dans les garnisons que dans les cantonnements que les officiers ont plus de dépenses à faire. Dans les cantonnements ils mènent une vie de château. Et les plaisirs ne leur coûtent guère. Je ne conçois donc pas ce qui a pu motiver une augmentation de traitement en leur faveur lorsqu’ils sont en cantonnement, à moins que ce supplément ne résulte des dispositions de règlements que je ne connais pas.
Voilà donc trois inconvénients qui méritent d’être signalés à la chambre. On me répondra avec beaucoup de justesse que quand l’armée est obligée de tenir une ligne vis-à-vis de l’ennemi, s’il ne se trouve pas dans les villes situées dans la longueur de cette ligne des garnisons suffisantes, il faut bien que les corps prennent des cantonnements. C’est une nécessité que j’admets lorsque des troupes sont sur la défensive. Bien certainement lorsqu’il n’existe pas de garnison, il y a force majeure ; il faut que le soldat loge chez l’habitant, que cette charge soit onéreuse ou non aux citoyens et à l’Etat.
C’est une nécessité qu’il faut supporter, sauf au gouvernement à prendre toutes les précautions possibles pour soulager les habitants des communes situées dans la ligne. Ce n’est que dans ce cas que le gouvernement devrait se permettre de placer les troupes dans les cantonnements parce que d’après les lois sur la matière ce n’est que lorsque les circonstances l’exigent impérieusement que l’habitant est tenu de loger les gens de guerre. C’est à l’Etat, qu’on paie pour cet objet, à faire les dépenses du logement et de la nourriture des soldats. Voilà les principes qu’il faut suivre avec la plus grande rigueur en matière militaire.
Je vois figurer dans les crédits supplémentaires qui nous sont demandés des frais de table et de représentation. Ces frais sont fixés à la somme de 600 francs par mois pour les généraux de division. Plusieurs voix se sont élevées déjà dans cette enceinte pour rejeter du budget de l’Etat ces frais de table et de représentation. Je crois très bien qu’en temps de guerre ces officiers généraux, lorsqu’ils sont obligés de recevoir fréquemment les chefs de corps, aient besoin d’un supplément de traitement qui les défraie de leurs dépenses extraordinaires. Mais quelle nécessité y a-t-il pour des généraux dont les cantonnements sont aux portes de Bruxelles de recevoir des frais de table et de représentation ?
Il en est même qui les reçoivent quoiqu’ils n’aient pas quitté la capitale au dire de la commission. Comment voulez-vous que dans cet état d’activité fictive ils aient besoin de frais de table ? Cependant notre commission n’ayant pas jugé convenable de rejeter cette espèce d’allocation, je ne refuserai pas le crédit demandé de ce chef, parce qu’il y a dans cette commission des hommes plus versés que moi dans la connaissance des règlements militaires et qui probablement les auront consultés pour maintenant le crédit demandé. J’avoue cependant qu’avec quelques principes d’économie on aurait pu se dispenser, jusqu’au moment où nous aurons la guerre, de grever le trésor public de cette espèce de dépenses.
Un chapitre qui a été vivement attaqué par la commission, c’est celui des dépenses imprévues. La somme demandée par M. le ministre de la guerre pour cet objet est de 48,000 fr. J’ai entendu avec plaisir, si j’ai bien compris M. le ministre de la guerre, qu’il renonçait à demander cette somme, et que, partageant l’avis de la commission, il s’en tiendrait au chiffre de 199,000 porté au budget de l’Etat pour l’année courante. Il y a dans le rapport de votre commission une observation qui mérite toute votre attention.
Il est dit dans le rapport que la chambre devait espérer qu’à l’avenir ce chapitre de dépenses imprévues dans les différents départements ne figureraient plus au budget, et que le gouvernement s’arrangerait de manière, au moyen d’une étude plus approfondie du budget, à ne plus y faire reparaître ces sortes de dépenses. Je crois que si l’on voulait bien rechercher toutes les dépenses possibles d’un ministère, on pourrait, sinon détruire, du moins singulièrement alléger ce chapitre, parce que tous les ans voient reparaître à peu près les mêmes dépenses non prévues ; mais je ne partage pas l’avis de la commission qui voudrait que ce chapitre fût entièrement élagué.
Il est réellement des choses qui ne peuvent entrer dans les prévisions humaines. Il faut qu’il y ait une allocation destinées pour couvrir des faits reconnus indispensables. Mon observation tend seulement à la réduction de l’article, mais non à son annulation radicale.
Le rapport de la commission dénonce des abus très graves qui existeraient dans la division de la guerre. C’est dans cette division qu’on signale une multitude d’injustices, que sont commis des passe-droits, et surtout qu’il règne un grand désordre dans la dépense.
Si j’en crois les allégations de la commission (et j’y aurai toute confiance jusqu’au moment où elles seront réfutées) il paraît que, dans certaines divisions de l’armée, il y a jusqu’à 6 officiers à l’état-major. On demande la raison de cette excroissance d’officiers, puisqu’il est démontré que dans d’autres divisions, 2 à 3 suffisent. Si on ne me donnait une réponse satisfaisante, je verrais là une véritable prodigalité. J’espère que M. le ministre de la guerre saura justifier les dépenses qui ont été faites de ce chef et celles qui restent à faire.
Il y a, messieurs, un autre abus qui occasionne aussi de fortes dépenses. Ce sont les catégories de position des officiers, et vraiment sous ce rapport il y a dans notre situation quelque chose de tout à fait singulier. Lorsqu’on veut se rendre raison de la position des officiers dans une armée, le simple bon sens indique qu’il ne peut y avoir que 3 positions. D’abord l’activité et la retraite. La troisième position est transitoire ; position d’attente entre l’activité et la retraite : c’est la disponibilité de service. Lorsqu’après la dislocation ou la réduction d’une armée, rendue nécessaire par les événements, il y a des officiers très valides, qui n’ont pas démérité de la patrie, on ne les renvoie pas définitivement, on les met en disponibilité jusqu’à ce que l’on puisse régler ultérieurement leur sort.
Voyez combien nous nous éloignons de ces principes. Nous connaissons l’activité, ce qui est très naturel ; puis nous avons la disponibilité avec ou sans indemnité. J’ai vu, il y a deux ans, un budget où il existait encore une distinction de plus, c’était la disponibilité du Roi. Elle entraînait le payement total du traitement. Depuis, cette disponibilité a disparu. Vous avez en outre la non-activité, la solde de congé, le congé limité sans solde. Enfin, vous avez la retraite.
N’apercevez-vous pas au fond de toutes ces diverses dénominations l’intention de créer des sinécures, et que cette subdivision des trois seules catégories qui devraient exister, ne peut qu’ouvrir la porte à de graves abus ? je suis persuadé que M. le ministre de la guerre, qui écoute en ce moment mes observations, s’empressera d’accueillir toutes les plaintes qu’excite ces fausse distribution des positions des officiers, et qu’il redressera les abus qui lui sont signalés par la chambre.
Je crois qu’il faudrait qu’il s’occupât d’un classement défini. C’est le seul moyen de remédier au mal.
On se plaint également du défaut d’une loi d’avancement ; c’est à ce défaut que sont dues les plaintes, les criailleries de ceux qui n’obtiennent pas ce qu’ils désirent. Je ne sais pas qu’il existe une lacune dans la législation à cet égard. Les anciens règlements doivent être encore en vigueur. Je sais bien que les demandes d’avancement doivent être fatigantes pour ceux qui gouvernent, alors que la guerre n’éclaircit pas les rangs de l’armée et que chacun doit attendre de la mort naturelle la chance de monter en grade. Il est tout simple que ceux qui veulent avancer soient fâchés de rester stationnaires.
De quelque manière que l’on envisage la question, il serait à désirer, s’il n’y a pas dans les lois actuellement en vigueur des dispositions assez positives pour faire cesser des plaintes souvent mal fondées, quelquefois pourtant très motivées, comme j’en ai l’assurance, il serait à désirer, dis-je, que le gouvernement nous présentât une loi sur la matière. Cette loi n’a rien de politique. En une séance ou deux elle serait bientôt votée. Alors les plaintes cesseront. Je crois, du reste, qu’il existe pour l’avancement des militaires des arrêtés du gouvernement provisoire qui doivent suffire pour régler les droits de chacun.
Le rapport (c’et toujours lui que je suis) signale encore une autre espèce d’abus provenant de ce que des officiers supérieurs et autres seraient employés dans les bureaux du ministère de la guerre. Si ces officiers ne sont pas nécessaires à leur poste et s’ils ne sont pas payés comme employés, c’est une économie ; et je ne vois pas pourquoi on trouverai mauvais que le ministre de la guerre employât, dans ses bureaux, des officiers qui ont les connaissances requises, si on peut se passer d’eux à leur corps, et s’ils ne sont pas rétribués autrement que par leurs traitements d’officiers. Ce serait une véritable économie. Mais la question de fait n’est pas éclaircie ; je désirerais savoir si ces officiers ne reçoivent pas un double traitement ; car, n’étant pas instruit à cet égard, il m’est impossible d’avoir une opinion.
En attendant, je dis que si des officiers sont employés dans les bureaux de la guerre sans autre rétribution que leurs traitements d’officiers, c’est une véritable économie, et que bien loin de blâmer sous ce rapport M. le ministre de la guerre, nous devons plutôt l’approuver, d’autant mieux que ces employés ont plus de connaissances que n’en auraient des employés civils.
On a dit (j’appelle sur ce point tout l’attention de la chambre), qu’il aurait été créé pour certains individus des emplois sans fonctions ou des fonctions illusoires. Si ce ne sont pas là des sinécures, qu’on dise ce que c’est.
Si vraiment on a créé des places lorsqu’il n’y en a pas à remplir, si on a rétribué des fonctions qui n’existaient pas, ce sont les sinécures les plus complètes qu’on puisse imaginer. Et puisque c’est un reproche que le rapport adresse à M. le ministre de la guerre, je l’invite à s’expliquer encore sur ce point. Ces faveurs, je dirai même ces injustices, sont d’autant plus répréhensibles, qu’elles sont faites, dit-on, au profit d’étrangers et au préjudice des nationaux.
Au milieu des griefs contre l’administration de la guerre, il y en a un que je ne vois pas et que je signalerai, parce que dans de précédentes séances, lorsqu’il s’est agi du budget de la guerre, je l’ai déjà indiqué : c’est le rachat des rations de fourrages par les fournisseurs.
Je suis convaincu que l’on continue cet abus que M. le ministre de la guerre avait promis de faire cesser, et que des officiers touchent en argent des entrepreneurs l’équivalent du fourrage qui leur est dû en nature. C’est un abus criant ; c’est même dans la rigueur du terme une sorte de concussion.
Les rations de fourrage sont dues aux chevaux. Ce n’est pas une indemnité, un accessoire de la solde. C’est une fourniture qui n’appartient qu’au cheval.
Les officiers-généraux doivent avoir 12 chevaux ; ils ont droit à 12 rations, s’ils ont réellement 12 chevaux. S’ils n’ont que 6 chevaux, que 4 chevaux, ils ne doivent avoir que 6, que 4 rations ; il ne doit pas leur être alloué une ration de plus que le nombre de chevaux effectif.
En effet, dans quel but accorde-t-on des rations de fourrages aux officiers ? Dans le but de nourrir les chevaux qu’ils ont et qui sont nécessaires aux besoins du service. Si donc les besoins du service, au lieu de 12 chevaux, n’en réclament que 4, il n’y a lieu à accorder que 4 rations de fourrages. Si des officiers généraux, au lieu d’avoir des chevaux à eux, emploient des chevaux de fourgon comme cela s’est vu, ils ne doivent toucher aucune ration en argent. Car n’est-ce pas un abus criant que de voir des officiers mettre dans leur poche la ration de 5, de 6 chevaux qu’ils n’ont pas ? Si cet abus devait se perpétuer, il vaudrait mieux compter directement aux officiers le montant des rations ; il y aurait à cela de l’économie, car les entrepreneurs ne leur donnent pas le montant des rations qu’il leur est payé. Si la ration est de 1 fr. 25 c., ils donnent 1 fr.
Cette différence formerait une économie au profit du trésor. Les entrepreneurs font assez de bénéfices pour que vous ne donniez pas les mains à ce qu’ils en fassent de plus considérables. J’appelle l’attention de M. le ministre de la guerre sur les abus auxquels donnent lieu ces rations de fourrages. Le pays nourrit assez de bouches inutiles sans nourrir encore des bouches qui ne sont pas. (On rit.) Ce serait, je le répète, une grande économie.
Mais, dira-t-on, les moyens de réformer l’abus sont difficiles. Sous le gouvernement français, les intendants militaires faisaient périodiquement des inspections pour connaître le nombre des chevaux de tous les régiments. Le signalement des chevaux figurait sur un contrôle ; lorsqu’un cheval mourait, les intendants en tenaient note. Il y avait enfin un contrôle pour les chevaux comme pour les hommes. Ceci est l’affaire des intendants ; et s’ils ne font pas leur devoir, c’est à M. le ministre de la guerre à le leur rappeler.
Je terminerai ces observations déjà trop longues en abordant les observations faites par M. Desmanet de Biesme et les orateurs qui m’ont précédé. L’honorable M. Desmanet de Biesme s’est étendu sur les inconvénients qu’il trouve à ce que nous ayons un ministre de la guerre qui ne fait par partie du conseil des ministres. Je ne sais jusqu’à quel point la chambre peut porter ses investigations sur ce point ; Lorsque le ministre de la guerre est responsable et qu’il ne peut se dégager de sa responsabilité, je ne sais jusqu’à quel point nous devons conseiller au gouvernement d’organiser un conseil des ministres, d’y faire entrer tel ou tel, de permettre que tel ministre n’en fasse pas partie. Je crois que dès qu’un ministre est responsable, il importe peu pour nous qu’il fasse ou non partie du conseil.
Quand l’honorable ministre de la guerre aurait fait partie du conseil à cette époque sinistre des pillages, que l’honorable préopinant vient de rappeler, croyez-vous que sa présence les aurait empêchés ?
Chacun s’est fait une opinion à cet égard, et malgré ce qu’on a dit, ce qu’on dit encore, chacun la garde. Quant à moi, j’ai dit tout ce que j’en pensais ; et tout ce que j’entends ne m’a pas fait revenir de mon opinion.
Je ne parlerai pas davantage de cette affaires des pillages, les tribunaux en sont saisis, et il y a toujours de l’inconvenance à traiter devant un parlement une question soumise aux tribunaux, parce que cela peut les influencer. Il faut que la justice soit impassible et ne reçoive aucune impression du dehors, ni en bien ni en mal.
On a parlé de dislocation de l’armée hollandaise, je n’y crois pas. D’après quelques gazettes, le roi Guillaume aurait renvoyé la schuttery, je ne crois pas à ces démonstrations ; je pense qu’il faut nous tenir sur nos gardes. Aussi longtemps que les puissances du Nord ne voudront pas la paix, vous devez vous tenir prêts à la guerre. Or, si elles voulaient la paix, ce serait depuis longtemps un fait accompli ; il leur suffirait pour cela de faire honneur à la signature de leurs plénipotentiaires apposée au traité du 15 novembre. Ils ne le font pas, dont ils ne veulent pas la paix, et ils n’attendent qu’une occasion favorable pour se déclarer.
Loin donc de chercher à vous inspirer une sécurité trompeuse, je vous dirai plutôt avec un abbé célèbre : « Tenez-vous prêts ; car les temps approchent. »
M. d’Huart. - Je ne m’attacherai pas à la question politique ; je pense que notre situation exige que nous maintenions l’armée sur le pied de guerre. Je ne crois pas qu’il y ait à cet égard de contestation. Les honorables préopinants ont été d’accord sur ce point. Le renvoi de la schuttery est sans doute une ruse de nos voisins ; et il est prudent de nous tenir en garde contre un pareil piège. D’ailleurs si le roi Guillaume diminuait considérablement son armée, de notre côté nous pourrions en faire autant. Mais les faits ne sont pas assez bien constatés pour que nous puissions porter un jugement.
Les observations que j’ai à faire sont relatives à l’administration de la guerre. M. le ministre de la guerre nous a dit que des attaques avaient été dirigées contre lui par la presse, et que dans le public également on avait répondu des accusations contre son administration ; il a ajouté que c’était devant les chambres représentant le pays qu’il venait se justifier.
J’applaudis à cette manière d’agir de M. le ministre de la guerre ; mais maintenant il voit que ces accusations ne viennent plus seulement de la presse, qu’elles ne sont pas seulement répandues dans le public ; il voit qu’elles sont consignées dans le rapport de la commission. Les observations du rapport ont été étendues et commentées par l’honorable M. Jullien.
Je désirerais avant que je prisse la parole sur l’administration, que M. le ministre de la guerre répondît aux attaques dont son département a été l’objet ; alors je pourrai répliquer par des faits spéciaux et appuyer les allégations de la commission.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Je vais répondre aux interpellations qui me sont faites et à celles de l’honorable rapporteur de la commission qui m’a demandé quel était le motif qui avait pu empêcher la présentation de la loi d’avancement : ma réponse sera claire et précise.
Le projet de cette loi est rédigé depuis plus d’un an, après avoir été discuté par une commission spéciale, et si j’ai différé de le présenter, c’est par la raison qu’il faut nécessairement que le principe de l’école militaire soit admis, pour fixer, comme première base des dispositions de l’avancement, le nombre des emplois de sous-lieutenant qui seront dévolus dans chaque arme aux élèves de l’école militaire.
J’ai donc présenté d’abord le projet de loi sur l’école militaire ; et vous savez, messieurs, que je sollicite depuis six mois de la chambre qu’elle veuille bien s’en occuper ; mais je crains que la session ne se termine sans que vous donniez suite à ma proposition.
Une loi tout aussi importante que la loi d’avancement est celle qui doit régler la position des officiers, la manière dont ils peuvent être privés de leurs grades et de la solde inhérente au grade, conformément à l’article 124 de notre constitution.
Cette loi est également toute préparée depuis longtemps ; mais j’ai dû en différer la présentation ; jusqu’à ce que la chambre ait discuté le projet de loi que j’ai présenté depuis longtemps sur les droits des militaires à la pension de retraite.
Il faut encore que ces principes soient admis pour qu’ils coïncident avec ceux qui sont établis dans le projet de loi sur la position et les droits des officiers, dans les diverses catégories où ils peuvent être placés.
Quant aux règles suivies pour l’avancement et sur les promotions qui ont eu lieu depuis deux ans, voici ma réponse : (M. le ministre donne lecture de ces instructions sur le mode de proposition pour l’avancement dans les corps de l’armée. Nous en ferons connaître le texte).
Je regrette donc vivement, messieurs, que la commission ne m’ait pas demandé communication des règles actuellement suivies pour l’avancement, en attendant la loi à intervenir sur la matière.
Elle se serait convaincue que les plaintes dont elle s’est rendue l’organe n’étaient pas fondées, et elle n’aurait pas avancé que tout se fait « au hasard » et suivant les « caprices du moment. »
Vous venez de voir quels soins minutieux j’ai prescrits et que j’ai suivis pour n’accorder d’avancement qu’aux officiers les plus méritants.
Et cependant, messieurs, malgré tous les soins que je me suis donnés à cet égard et l’ordre établi dans cette partie par le directeur du personnel, j’ai à repousser des reproches que vous jugerez, j’en suis convaincu, n’être pas mérités.
Je réponds actuellement aux observations qui ont été faites sur les catégories de position des officiers.
Les règlements actuels qui sont encore, en majeure partie, ceux qui régissaient l’armée sous l’ancien gouvernement, reconnaissent quatre positions d’officiers, savoir :
En activité,
En disponibilité,
En non-activité,
En retraite.
Et il serait difficile de ne pas admettre ces quatre catégories.
Il est très vrai que j’en ai ajouté, deux autres ; mais j’y ai été réellement obligé et je vais en déduire les motifs :
Officier en solde de congé,
Officier en congé illimité sans solde.
Je dirai d’abord que le nombre des officiers en disponibilité se borne à celui de 9 officiers-généraux, dont deux ont été placés dans cette position par des actes spéciaux, et que trois autres doivent être mis à la retraite : reste donc quatre officiers-généraux réellement disponibles.
Quant aux officiers en non-activité, ils étaient au nombre de 177 au mois d’octobre 1833, lorsque je dressai le budget de 1834. Depuis cette époque,
36 ont été admis à la pension de retraite,
13 ont été replacés en activité,
8 sont décédés
3 ont reçu leurs démissions.
Total 60.
Il n’a été admis dans cet intervalle de dix mois au traitement de non-activité que 23 officiers par divers motifs tous fondés.
Ainsi le nombre actuel de ces officiers a été diminué de 37, et ne se trouve plus être que de 140.
Je continue à admettre à la retraite tous les officiers à qui leurs anciens services donnent les droits à la pension ; mais, ainsi que la commission l’a très justement fait observer, beaucoup de ces officiers n’ont que peu de services militaires et ne sont pas propres à reprendre un service actif.
C’est réellement une chose fâcheuse, mais qui tient aux circonstances où la révolution nous a placés, et qui ne cessera que lorsque nous aurons la loi qui déterminera la position d’état de chaque officier, conformément aux dispositions de l’article 124 de la constitution.
J’arrive maintenant à la position d’officiers en solde de congé. Les officiers qui s’y trouvent sont au nombre de 17 seulement. C’est d’abord par motif d’économie que j’ai établi cette nouvelle catégorie, par la raison que ces officiers comptent à la suite de leurs corps et n’y sont pas remplacés, tandis qu’admis au traitement de non-activité, ils sont rayés des contrôles des corps et doivent y être remplacés.
J’ai donc admis dans cette nouvelle catégorie :
1° Les officiers proposés pour la retraite, en attendant la liquidation de leurs pensions ;
2° Ceux que divers motifs ne permettent plus de laisser aux corps et qui sont mis à leur suite, en attendant une décision ;
3° Les officiers étrangers qui n’ont été admis au service de la Belgique que pour la durée de la guerre et que des motifs graves empêchent de laisser en activité de service. Ils sont au nombre de 7.
J’avoue, messieurs, que c’est pour sortir de la difficulté que présentait l’article 124 de la constitution, et les dispositions qu’il contient sur la privation du grade et de la solde, que j’ai adopté ce moyen terme, en attendant la loi à intervenir.
La conduite de quelques-uns des officiers admis pour la durée de la guerre a nécessité leur éloignement de l’armée ; pouvais-je leur retirer leur grade et leur solde ? Je ne le crois pas. D’un autre côté, n’était-ce pas un non-sens manifeste que de mettre en non-activité un officier qui n’avait de lettre de service que pour la durée de la guerre ?
Le seul moyen qui me restait, était donc son maintien sur les contrôles, tout en l’éloignant du corps et en ne lui allouant que la solde de congé : ce moyen, je l’ai employé, et je ne crois pas qu’il soit aussi répréhensible qu’on paraît le croire.
Je ne demande d’ailleurs qu’à être éclairé, qu’à être fixé sur ce point de droit constitutionnel soulevé par la commission.
Quant aux officiers en congé illimité sans solde, cette position a été donnée aux officiers de la garde civique mobilisée, qui l’ont demandée et sera rendue commune à tous si vous adoptez la réduction proposée par votre commission.
La loi à intervenir régularisera toutes ces positions, et je regrette bien sincèrement que les travaux d’un ordre plus urgent pour l’organisation communale et provinciale du pays ne vous aient pas permis de vous occuper des deux projets de loi qui doivent précéder les lois d’avancement et de position.
Je vais maintenant répondre à ce qui concerne ce qu’on a appelé l’institution des cadets dans les régiments.
Je commencerai par faire observer qu’il est inexact de parler de cette institution de cadets dans les régiments, quand cette dénomination n’y existe même plus : le fait est que le gouvernement provisoire approuva que des jeunes gens s’habillant, s’équipant et se montant à leurs frais fussent reçus dans les régiments de cavalerie, comme volontaires.
Il en existait sept lorsque je suis entré au ministère, et le même nombre existe encore.
Deux qui étaient entrés en 1830, ont été faits officiers (les sieurs Graff et de Tinant) tous deux Belges ; quelques-uns n’obtenant pas d’avancement, ont donné leur démission, et j’en ai admis trois depuis deux ans.
Deux ou trois étrangers ont été admis en cette qualité, et un seul a été promu officier.
Qu’a donc de si blâmable l’admission de quelques jeunes gens, comme volontaires dans les corps de cavalerie, et qui date des premiers jours de notre révolution ?
Ce sont des jeunes gens qui, par amour de la patrie, par goût pour le service de l’état militaire, se sont engagés volontairement, montés et équipés à leurs frais ; qui, dès leur admission, font le service de soldat, s’entretiennent à leurs frais et passent par toute la filière des degrés d’avancement pour arriver au grade de sous-officier, sans jamais toucher d’autre indemnité que la solde de soldat : de l’avancement ils ne peuvent en obtenir qu’en vertu de la règle dont tous les points leur sont applicables ; ne pas les y faire participer, ne serait certes pas agir avec justice.
Je crois donc, messieurs, que ces admissions de volontaires, restreintes comme elles l’ont été jusqu’à présent, ne peuvent avoir aucun des graves inconvénients qui vous ont été signalés, et qu’elles peuvent être tolérées jusqu’à l’organisation définitive de l’école militaire.
Je terminerai, messieurs, par vous présenter quelques observations sur ce qui a été dit sur le corps de l’état-major.
Il est vrai que ce corps n’est pas encore formé par un arrêté d’organisation, ainsi que je l’ai déjà fait pour le corps de l’artillerie ; mais ce dernier corps possédait tous les éléments nécessaires à sa complète organisation, et il n’en est pas de même pour le corps de l’état-major, qui se trouve composé en ce moment de :
2 colonels,
3 lieutenants-colonels,
6 majors,
6 capitaines,
3 lieutenants,
En tout, 20 officiers.
D’après les projets d’organisation, ce corps doit être porté à 36 officiers, et plusieurs officiers des armes de l’infanterie et de la cavalerie s’occupent des études préliminaires que ce service exige ; nous serons bientôt à même de songer à son organisation définitive.
Le service est complété par 13 officiers étrangers admis au service de la Belgique pour la durée de la guerre, ce qui a permis d’ajourner l’organisation définitive de ce corps.
Il entre bien dans mon intention d’organiser successivement tous les corps de l’armée, car je sens, comme l’honorable rapporteur de la section centrale, la nécessité d’asseoir définitivement les bases constitutives des diverses armes et administrations militaires.
Des examens ont en lieu en 1833, dit l’honorable rapporteur. Un seul officier a été admis à cet examen, et voici comment : en 1831, quelques officiers reçurent un sursis d’un an pour se préparer ; un accident grave, arrivé pendant son service à l’un d’eux, l’empêcha de pouvoir se livrer immédiatement au travail. A peine convalescent, il demanda à ne pas être privé, par cet événement qui avait failli lui causer la vie, des droits qu’on lui avait assurés et garantis. Le lui refuser eût été injustice, et il est sorti avec avantage de l’épreuve à laquelle on l’avait soumis.
Voilà, messieurs, à quelle occasion il y a eu un examen : je n’en connais point d’autres. Quant aux admissions, il n’y en a point eu, et pour l’avancement un capitaine seulement a été porté de la seconde à la première classe.
On a parlé aussi des officiers employés dans les bureaux du ministère de la guerre. Il est vrai que dans la division des armes spéciales de l’artillerie, du génie, et à la division du dépôt de la guerre, il y a deux ou trois officiers de ces armes ; à la division du personnel trois officiers sont également employés. Mais ces officiers ne reçoivent que la solde de leur grade ; il ne leur est pas alloué un centime d’indemnité sur les fonds du département de la guerre. Comme l’a fait observer très judicieusement l’honorable M. Jullien, c’est réellement une économie d’employer ainsi des officiers au lieu d’employés civils qu’il faudrait rétribuer, surtout lorsqu’on peut se dispenser d’employer ces officiers à l’armée.
Je crois avoir traité les différentes observations consignées dans le rapport ou présentées par un honorable préopinant.
M. A. Rodenbach. - Il me semble, messieurs, que M. le ministre de la guerre n’a pas répondu relativement aux frais de représentation, aux frais de table. L’honorable M. Jullien l’a dit, et je crois que cela se trouve également dans le rapport, les officiers généraux, au lieu d’être à leur poste sur la frontière, sont presque toujours dans la capitale. C’est sans doute pour solliciter auprès de M. le ministre de la guerre, que ces officiers croient devoir demander pour frais de table 300 et 600 fr.
M. le ministre de la guerre, en 1833, nous a promis que l’abus que je signale cesserait d’exister ; mais c’est là, il paraît, une promesse ministérielle, elle n’a pas été remplie.
L’honorable député de Bruges a dit que nous ne sommes pas en état de guerre, et que cependant on ne peut nous considérer comme étant en état de paix ; je crois que quand il s’agit de recevoir de l’argent, nos officiers-généraux se considèrent sur le pied de guerre ; cela fait bien à leur budget.
On a parlé de l’état-major général. Il y a beaucoup d’officiers fashionables, d’officiers de concert, de boudoir ; ces officiers figurent très bien au bal ; mais s’il s’agissait de marcher à la tête de l’armée, je crois qu’ils ne feraient pas une si belle figure. (On rit.)
Il y a jusqu’à des chefs d’escadron qui remplissent les fonctions de simple expéditionnaire ; un d’eux m’a avoué que tout son emploi se bornait à cacheter des lettres ! Ces chefs d’escadron reçoivent pour de pareils services 6 à 7,000 fr.
Il y a certes de grands abus, et la commission n’a fait que les effleurer.
Il y a 6 officiers attachés au cabinet du ministre de la guerre : trois de ces officiers sont d’excellents travailleurs, mais les trois autres se reposent.
Il y a des arrêtes du gouvernement qui ont décidé quels seraient les droits accordés aux officiers pour les fourrages. Il paraît que ces arrêtés ne sont pas mis à exécution ; est-ce parce que nous sommes sur le pied de guerre, ou est-ce parce qu’on est sur le pied de paix ? Je n’en sais rien.
On a parlé de l’école militaire : messieurs, il y a six semaines qu’il n’y avait que 24 élèves dans l’école, aujourd’hui il y en a 42 ; mais depuis longtemps le personnel était nommé ; ce personnel coûte 41,300 francs, c’est mille francs pour chaque élève ; avec un personnel aussi considérable on pourrait avoir cent élèves dans l’école. Il y a aussi à ce qu’il paraît des sous-officiers et des officiers qui sont payés, et qui ne suivent les cours que lorsqu’ils le jugent à propos.
Je sais que le ministre peut dire qu’il avait déposé une loi sur l’école militaire et que cette loi n’a pas été discutée attendu l’urgence des travaux de la chambre ; mais je demande à M. le ministre pourquoi il n’a pas attendu que la loi fût votée pour nommer un personnel qui cause une si grande dépense.
On a attaqué le ministre de la guerre d’une manière peut-être injuste, mais la presse signale encore des abus relativement au service sanitaire de l’armée ; je crois qu'on fera cesser ces abus.
Je terminerai, messieurs, en disant quelques mots sur l’ophtalmie de l’armée. On a fait un essai, qui a complètement réussi sur dix ophtalmistes qui tous ont été guéris par un homme que nous connaissons tous, par M. Lubin. Je demanderai pourquoi on n’a pas fait un essai sur une échelle plus grande, pourquoi par exemple, au lieu de dix hommes, on n’a pas transporté dans les hôpitaux cent personnes atteintes de l’ophtalmie pour les faire traiter par M. Lubin.
Si j’en crois le bruit public, il y a de petits hôpitaux de province où des officiers de santé sans expérience traitent les ophtalmistes qui, entrés à l’hôpital demi-aveugles, en sortent aveugles tout à fait. On accorde à ces malheureux 288 fr. de pension, c’est 78 centimes par jour ; encore existe-t-il plusieurs catégories de pensions. Je demande si c’est une pension suffisante pour des infortunés qui ont perdu la vue en servant dans notre armée ?
Je demande que M. le ministre de la guerre veuille bien expliquer sur les abus que je viens de signaler.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) monte à la tribune et présente deux projets de loi, l’un relatif à des améliorations à introduire dans l’institution du jury, l’autre à des modifications dans le code pénal
- La chambre ordonne l’impression et la distribution des projets de loi déposés sur le bureau par le ministre de la justice.
(Moniteur n°215, du 3 août 1834) Dans la séance du 1er août, M. le ministre de la justice (M. Lebeau), après avoir déposé sur le bureau un projet de loi relatif à des modifications au code pénal et un projet de loi sur des améliorations à introduire dans l’institution du jury, s’est exprimé en ces termes au milieu d’un profond silence. - Messieurs, j’ai l’honneur de placer sous les yeux de la chambre un projet de loi relatif à l’institution du jury. Je demande à l’assemblée qu’elle veuille bien me dispenser de donner lecture de ce projet. (Assentiment. L’impression ! l’impression !)
Dès mon entrée au ministère, messieurs, j’ai porté mon attention sur un autre objet d’une haute importance ; ce sont les réformes dont le code pénal m’a paru susceptible.
Vous savez, messieurs, que le code pénal de 1810 a été fait à une époque de réaction contre les libertés politiques ; il porte souvent l’empreinte de l’esprit de despotisme dans lequel il a été rédigé. J’ai cru que les institutions libérales que nous avons adoptées, et l’état de notre civilisation sous le rapport de la moralité, commandaient au gouvernement d’essayer d’introduire dans les lois pénales des améliorations vivement réclamées.
J’ai l’honneur de déposer sur le bureau un projet de loi introduisant des modifications dans le code pénal ; l’exposé des motifs de ce projet et le texte comportent presqu’un volume in-folio ; je crois inutile de demander également à la chambre de me dispenser d’en donner lecture. (Oui ! Oui !)
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Ces deux propositions sont les derniers actes politiques de mon administration.
Le Roi, messieurs, cédant à des sollicitations que plus d’une fois la force de choses ne lui a pas permis d’écouter, veut bien accepter la démission que j’ai eu l’honneur de lui remettre ce matin.
Dans ce moment, messieurs, je regrette que des circonstances indépendantes de ma volonté ne me permettent pas$ dans les motifs de notre résolution.
La chambre me rendra la justice de penser que je n’ai pas pris légèrement cette détermination ; elle rendra la même justice à mon collègue et ami le ministre de l’intérieur.
Je dois cependant déclarer que les motifs de ma résolution ne sont pas le résultat des débats parlementaires ; depuis longtemps je n’ai qu’à me louer du concours et de des chambres$. J’espère que dans quelques jours, messieurs, vous apprendrez que mon administration est passée dans des mains plus habiles, mais, j’ose le dire, non plus dévouées à l’indépendance nationale et à la dynastie que nous nous sommes donnée. J’ai cru, pour ne pas entraver la marche de l’administration, devoir occuper quelques jours encore mon ministère, mais sans caractère politique.
C’est avec douleur, messieurs, que j’ai entendu parler d’insinuations lancées contre la sincérité de la résolution dont j’ai cru de mon devoir de faire part à la chambre ; on a été jusqu’à qualifier d’ignoble comédie la détermination que j’ai prise aujourd’hui, et celles que j’ai cru devoir prendre dans d’autres circonstances. Dans le cours de notre carrière politique, messieurs, nous avons pu commettre des fautes, mais jamais nous n’avons joué la comédie ; en cédant à la force des choses, à des circonstances qu’il ne nous est pas permis de révéler, nous avons bien senti à quelles perfides insinuations nous nous exposions.
Nous ne reculerons pas plus devant ces calomnies, si subtiles, si odieuses qu’elles soient, que nous n’avons reculé devant d’autres attaques contre des mesures que nous avons prises dans l’intérêt du pays pendant notre présence aux affaires et je n’ai, pour ce qui me concerne à y opposer que le silence du mépris. (Sensation.)
M. de Brouckere. - Je prierai M. le ministre de la justice de nous dire s’il assistera en qualité de ministre à la discussion de la loi relative à l’augmentation du personnel de certains corps judiciaires. La chambre a déjà pris une espèce de résolution, elle a décidé que ce projet de loi serait discuté incessamment. Je désirerais savoir si M. Lebeau ou un autre représentera le gouvernement dans cette discussion. S’il répondait non, cette discussion serait ajournée indéfiniment. Si, au contraire, il répond que oui, je pense que demain la chambre fixera le jour où elle s’occupera de ce projet.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - On ne sait pas encore le jour où on s’occupera du projet de loi dont vient de parler l’honorable préopinant. La chambre comprendra qu’il m’est impossible de savoir si je serai encore ministre, même sous le simple rapport administratif, à l’époque où cette discussion sera mise à l’ordre du jour. Je ne pourrai donc répondre à l’honorable membre. Cependant, en ma qualité de député, je serai disposé à défendre toutes les dispositions du projet.
Dans le cas où il ne me serait pas donné de successeur quand cette loi serait mise en discussion, je ne pourrais donner que des renseignements, à moins que je ne sois chargé de soutenir la discussion en qualité de commissaire du Roi.
Je dois dire que je n’avais pas encore arrêté ma pensée sur ce dernier point.
M. de Brouckere. - Je prie M. Lebeau de se consulter d’ici à demain ; c’est demain que la chambre doit fixer le jour de la discussion de cette loi. L’honorable membre doit se rappeler que la chambre a décidé avant-hier que quand le rapport serait imprimé et connu de tous les membres, elle fixerait le jour de la discussion. Ce rapport sera distribué ce soir. Demain, je renouvellerai ma motion ; je prierai M. le ministre de nous dire alors s’il pourra représenter le gouvernement oui ou non. S’il ne le pouvait, la chambre serait dans l’impossibilité de fixer le jour de la discussion de la loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je répondrai demain à cette question.
(Moniteur n°214, du 2 août 1834) M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, vous venez d’entendre le ministre de la justice ; la nouvelle annoncée par un certain journal était fondée ; ce ministre et le ministre de l’intérieur se retirent du cabinet. Cette nouvelle a dû nous paraître d’autant plus étrange que les chambres avaient donné dans plusieurs circonstances des marques non-équivoques de confiance envers ces ministres : quand on a voté la nomination par le pouvoir exécutif des bourgmestres et des échevins, la chambre a été loin de donner là une de ces marques de défiance qui entraînent la dissolution d’un cabinet ; en conséquence de ces votes, nous étions bien en droit de douter de la nouvelle que le journal annonçait ; et c’est ce qui avait occasionné l’interpellation faite au commencement de la séance au ministre des affaires étrangères.
Ce qui rendait la nouvelle d’autant plus douteuse, c’est la déclaration du ministre des affaires étrangères, lequel nous assurait ne pouvoir nous donner d’explications officielles sur ce point.
Messieurs, je déclare pour mon compte que, quelle que soit la différence entre ma manière de voir et celle des ministres, je me plais en ce moment à me rappeler leur patriotisme.
Toutefois, puisque la question de majorité parlementaire est étrangère à cette sortie, je crois devoir demander aux ministres qui se retirent une explication qu’ils ne peuvent refuser.
Vous n’ignorez pas que des bruits circulent depuis quelque temps, relativement à nos relations extérieures : on a dit que les conférences de Biberich avaient amené un résultat, que les protocoles de la conférence de Londres allaient recommencer, et que la Belgique allait se trouver exposée à faire de nouveaux sacrifices. J’ai entendu aujourd’hui manifester la crainte que la retraite de MM. les ministres de la justice et de l’intérieur ne fût fondée sur les sacrifices que la Belgique devrait faire ; comme le pays tout entier saura que la retraite des ministres ne dépend pas de la chambre, il attribuera cette retraite à une autre cause. Je les prie de nous dire s’il est vrai que leur retraite aurait lieu pour des motifs relatifs à la politique extérieure ; il faut que le pays n’ait pas de doute sur une pareille question, sur une question qui peut avoir une grande influence sur la situation financière de la Belgique.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je commencerai par remercier l’honorable membre des paroles flatteuses qu’il a bien voulu adresser aux ministres sortants. Quant à l’interpellation qu’il a cru devoir faire, nous déclarons très ouvertement qu’il n’y a rien de politique dans les causes de la retraite des ministres. Relativement aux motifs parlementaires, la chambre est à même de les apprécier, et de savoir jusqu’à quel point ils ont pu déterminer la retraite de mon ami et la mienne.
Je renouvelle ma déclaration qu’il n’y a rien de politique dans les motifs de notre retraite, soit en ce qui touche les affaires extérieures, soit en ce qui touche les affaires intérieures.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - S’il y avait eu les motifs qu’a supposés l’honorable M. Dumortier dans la retraite de mes collègues, j’aurais donne ma démission en même temps qu’eux.
C’est précisément parce n’y a rien de nouveau sur les affaires étrangères que vous me voyez encore au banc des ministres. Je me résigne à rester dans l’intérêt de mon pays. Je sais que j’y serai pendant quelque temps dans un position plus fâcheuse : que mes collègues, eux, on les déclare excellent parce qu’ils s’en vont ; et moi qui ne m’en vais pas encore (hilarité générale), je serai exposé à ces attaques. On ne sera pas aussi indulgent pour ceux qui restent à leur poste que peut ceux qui quittent le banc ministériel. (Nouvelle hilarité.)
M. le ministre des finances (M. Duvivier) monte à la tribune et dépose sur le bureau un projet de loi relatif à l’augmentation du personnel des douanes.
M. Coghen. - Ce projet est urgent ; je demanderai qu’on le renvoie à une commission et non à la section centrale. Une commission ferait promptement son rapport.
M. A. Rodenbach. - Le ministre déclare-t-il l’urgence de la loi ?
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - L’urgence n’est pas telle qu’on ne puisse attendre quelque temps. Le projet a pour objet de faire face aux dépenses qui seront effectuées pendant le semestre de l’exercice actuel.
C’est une régularisation des dépenses qui seront faites, à partir de l’époque actuelle, jusqu’au 1er janvier 1835. Je ne puis qu’appuyer la demande de M. Coghen.
- La chambre renvoie le projet à une commission qui sera nommé par le bureau de la chambre.
M. Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Le ministre de la justice a déposé tout à l’heure sur le bureau deux projets de loi très importants ; je voudrais bien que la chambre décidât que ces projets seront soumis aux cours supérieures pour qu’elles donnent leur avis.
De l’avis de ces cours nous pourrons tirer de vives lumières et nous en profiterons à la prochaine session.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le projet destiné à introduire des modifications dans le jury n’est qu’un projet transitoire ; ces modifications sont généralement réclamées ; mais le temps a manqué pour donner la dernière main à la réorganisation du jury.
Quant au projet comprenant des modifications au code pénal, il est bien plus important et il mérite d’être soumis aux cours souveraines. Mon honorable prédécesseur avait aussi préparé un projet de loi sur le même objet, et qui a été envoyé aux cours supérieures que les cours d’appel remplacent ; ce travail n’a pas été inutile à la rédaction du projet actuel.
Je suis le premier à désirer que les cours d’appel et la cour de cassation soient appelées à donner leur avis ; le projet ne peut que gagner à passer par leurs mains.
Le projet de loi sur le jury n’est pas assez complet pour être soumis aux cours souveraines.
M. Jullien. - Je bornerai ma proposition au projet de loi portant modification au code pénal. D’après les explications qui viennent d’être données, je reconnais qu’il est inutile de renvoyer aux cours supérieures le projet relatif aux changements à apporter à la formation du jury.
- La proposition de M. Jullien est mise aux voix et adoptée ; en conséquence le projet de loi portant modification au code pénal est renvoyé à la cour de cassation et aux trois cours d’appel du royaume. L’autre projet est renvoyé aux sections.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Il serait fort difficile de répondre aux différentes questions dont M. Rodenbach vient d’entretenir l’assemblée. Je répondrai aux points sur lesquels j’ai des renseignements positifs à donner. Les frais de table et de représentation sont alloués aux officiers-généraux commandant des troupes en campagne, par des règlements positifs. A la fin de l’année dernière, la commission du budget retrancha la somme portée.
Mais au sénat voici comment je m’expliquais :
« Quant à la dernière suppression, j’ai fait observer à la chambre des représentants que ce traitement était alloué par les règlements existants, et que tant que l’armée conservera son organisation actuelle et ne sera pas mise sur le pied de paix, les officiers-généraux auront droit à ce traitement en vertu desdits règlements.
« Je n’ai donc pu consentir à cette suppression, et je m’en suis rapporté à la décision de la chambre.
« J’ajouterai aux observations que j’ai présentées à ce sujet, que les généraux ayant le nombre de chevaux qui leur est assigné sur le pied de guerre, étaient exposés à changer fréquemment de logements, sont tenus à plus de dépenses que sur le pied de paix, et que, cependant, par une anomalie sans exemple chez les autres puissances, il ne leur est point alloué en Belgique de supplément de traitement sur le pied de guerre.
« La seule indemnité que leur accordent les règlements est un traitement de table de 300 fr. par mois pour les généraux de brigade et de 600 fr. pour les généraux de division.
« L’emploi de ce fonds a un but utile et donc chacun de vous doit reconnaître les avantages.
« Votre commission, messieurs, les a très bien sentis, et a pensé qu’il eût été convenable de continuer provisoirement les frais de représentation aux généraux qui ont des commandements dans l’armée.
« Fort de son assentiment et de celui que j’ose attendre de vous, messieurs, je vous propose de soumettre de nouveau la décision de cette question aux deux chambres ; mais pressé d’assurer le service de mon département dès les premier jours de l’année qui va commencer, je me borne aux considérations que je viens d’exposer, me réservant de demander un crédit supplémentaire pour faire face à cette dépense de 21,600 fr., que je persiste à croire ne devoir pas être refusé. »
Ainsi ces frais n’ont pas été payés pendant les six premiers mois de l’année aux officiers-généraux, excepté les deux qui ont été au camp, à dater du 1er juin dernier. Ce sont les règlements actuels qui accordent ces frais de représentation aux officiers-généraux, commandant des troupes en campagne.
Quant à l’école militaire, il est vrai que je porte un grand intérêt à ce qu’elle reçoive tout le développement dont elle est susceptible.
L’école n’a compté que 24 élèves. J’ai successivement reculé l’époque de ceux qui avaient subi leur examen en mars dernier, afin qu’ils pussent suivre les cours que j’ai fait préparer.
Le nombre des élèves est bien maintenant de 48. Il faut nécessairement que les divers cours aient leurs professeurs. C’est pour ce motif que j’en ai admis deux nouveaux. Les dépenses du premier semestre se sont montées à 19,610 fr. Je viens d’arrêter le budget pour le second semestre. Je puis assuré à la chambre que je me renfermerai dans les limites de 48 mille fr. qu’elle m’a assignées pour l’année.
Cette école répondra à la juste attente que j’en ai conçue, elle donnera des officiers distingués à notre armée ; les différentes armes y trouveront des sujets instruits et laborieux, le soin qui a présidé au choix des élèves en est un sûr garant.
Je viens d’annoncer que je serais en mesure de donner tous les renseignements désirables sur la diminution du fléau de l’ophtalmie.
Tous les rapports que je reçois me confirment dans la conviction que le mal diminue tous les jours davantage. Cependant il est indispensable de continuer les mesures de précaution prises jusqu’à présent. J’espère que les nouveaux rapports que j’attends seront de plus en plus satisfaisants.
Quant au remède de M. Lubin, il est vrai que j’ai chargé un major de placer dans une maison des ophtalmistes de différents degrés dont plusieurs très graves. M. Lubin les a traités, et en 15 jours ils ont été tous parfaitement guéris. Aucun d’eux même n’a eu de rechute. J’en ai parlé aux médecins qui ont prétendu avoir des moyens curatifs aussi bons que les siens. Je n’ai pas cru devoir prendre sur moi d’apporter des modifications au système de santé, j’aurais d’ailleurs rencontré trop de difficultés de la part des officiers de santé.
Le fait des cures heureuses du sieur Lubin a été constaté.
Quant au taux des retraites, il est vrai qu’un ancien règlement n’accorde que 288 fr. aux malheureux frappés de cécité. En attendant une nouvelle loi, je suis obligé de m’en tenir à l’ancien tarif.
La nouvelle loi accorde 365 francs, cela soulagera un peu leur misère. D’après le projet, toutes les pensions accordées depuis la révolution sont sujettes à révision. La chambre, dans sa bienveillance pour les ophtalmistes portera sans doute leur pension au taux fixé par la nouvelle loi.
M. d’Huart. - Je demande la parole pour faire quelques observations sur les explications que vient de donner M. le ministre de la guerre.
D’abord M. le ministre ne nous a pas très bien expliqué comment il y avait un si grand nombre d’officiers employés dans les bureaux. Il nous a dit qu’il avait employé des hommes spéciaux à des parties spéciales. Mais il pas répondu à ce qu’a dit l’honorable M. Rodenbach, que des officiers supérieurs remplissaient des fonctions très inférieures et recevaient, outre leurs gros appointements, des rations de vivres et de fourrages, tandis que de modestes employés civils pourraient facilement faire leur travail.
L’honorable ministre de la guerre nous a dit ensuite, qu’il y avait des règles pour l’avancement dans l’armée, que ces règles avaient été observées et qu’il ne pouvait pas y avoir eu d’abus, parce qu’il prenait toutes les précautions possibles. Je ne parlerai pas du mode d’avancement entre les nationaux, mais permettez-moi d’attirer votre attention sur un fait qui m’a été signalé. Il est probable que ce fait n’est pas isolé. Si j’avais pu obtenir des renseignements de tous les régiments, j’aurais probablement trouvé que ce que je vais signaler pour un régiment se passe dans d’autres.
Dans le 12ème régiment d’infanterie, quatre nominations devaient avoir lieu. Eh bien, deux ont été faites en faveur de Français.
Un jeune homme de l7 à 18 ans est arrivé à ce régiment en 1832. Dès le jour de son arrivée, il a été fait sergent et même sergent-major. Une promotion a eu lieu le 31 mai dernier, et ce jeune homme a été nommé sous-lieutenant. Ce n’était ni sa bonne conduite, ni son aptitude qui pouvait lui faire conférer cette faveur, car les officiers du bataillon avaient demandé sa dégradation, et par faveur on s’était contenté de le faire passer d’un bataillon dans un autre.
Le second était sergent en France depuis deux ans. On l’a également nommé sous-lieutenant.
C’est là une violation de l’article 6 de la constitution, bien que la loi du 22 septembre autorise de prendre à l’étranger le nombre d’officiers nécessaire pour le bien du service, car on ne peut pas prétendre que des sous-lieutenants étrangers soient utiles pour le bien du service. Je conçois qu’on prenne des officiers supérieurs qui ont des connaissances spéciales, une réputation militaire. Mais il n’en est pas de même pour des sous-lieutenants, et les prendre à l’étranger me paraît inconstitutionnel, me paraît contraire à l’esprit de la loi du 22 septembre.
S’il n’y a pas de cadets, il y a des volontaires, ce qui revient au même. M. le ministre de la guerre a dû faire l’aveu que parmi ces volontaires trois (erratum au Moniteur belge n°216, du 4 août 1834) qui sont étrangers ont été promus au grade d’officier. Mes observations se trouvent donc ainsi confirmées. Messieurs, il est parmi nos compatriotes assez de jeunes gens de famille capables de se vouer volontairement à l’état militaire.
Les étrangers n’ont pas le droit d’occuper dans notre armée des grades à l’exclusion des indigènes.
Un objet auquel M. le ministre de la guerre n’a pas répondu est celui qui est relatif à la mise en régie du service des vivres de l’armée. Je crois que la chambre doit s’élever contre une semblable organisation. Ce n’est pas lorsque, toutes les fois qu’il s’agit de dépenses de matériel, la chambre recommande dans l’intérêt du trésor de l’Etat le système des adjudications, que nous pouvons nous permettre que l’on dépense des millions en régie surtout pour des objets qui ne sont pas très saisissables.
Je dirai que j’ai vu avec la plus grande peine qu’après que la commission chargée de l’examen du budget de la guerre eût imposé pour condition de l’adoption de ce budget que de nouvelles promotions dans l’armée de l’artillerie n’auraient pas lieu, M. le ministre a cependant donné de l’avancement à une quantité d’officiers.
Il ne faut pas se dissimuler que ce qui a causé le plus grand tort dans le moral de notre armée, c’est que les grades ont été pour ainsi dire dilapidés. Attendez que nos officiers aient fait quelque chose de positif, qu’ils aient rendu des services réels pour les récompenser. S’ils ont rempli les devoirs que leur imposait le rang qu’ils occupent dans la hiérarchie militaire, ils n’ont fait que ce que l’on attendait d’eux, ils n’ont pas mérité l’avancement extraordinaire qu’on leur a donné. Attendez qu’ils aient fait leurs preuves sur les champs de bataille, et ne leur donnez des épaulettes que quand ils les auront véritablement gagnées.
J’aurai de plus à vous entretenir, messieurs, d’une affaire de comptabilité. Il s’agit de sommes avancées par l’Etat aux différents corps de l’armée. Il y a eu à cet égard une négligence extraordinaire.
Je me suis rendu à la cour des comptes où l’on m’a donné sur cet objet des renseignements positifs. Si je vous disais que la somme due à l’Etat par les différents corps de l’armée s’élève à 6,397,000 fr., il me semble que depuis 4 ans, l’on aurait eu le temps d’apporter un peu d’ordre dans l’administration de la guerre et exiger de chaque corps les sommes qu’il doit au trésor ou du moins ne pas en avancer de nouvelles. Ce qui résultera de ce gaspillage, c’est que certains régiments seront véritablement en état de faillite. Il en est un qui doit à l’Etat 433,749 fr. Il en est un autre qui doit jusqu’à 513,252 fr. C’est le 8ème de ligne. Comment voulez-vous qu’il puisse jamais acquitter des dettes aussi élevées ?
Messieurs, le défaut principal de cette marche de l’administration, c’est que les intendants militaires se montrent trop faciles dans l’approbation des ordonnances de paiement au profit des chefs de corps. On en délivre quelquefois qui montent de 10,000 à 100,000 fr. C’est énorme ! Que l’on se donne au moins la peine de voir si ces sommes sont nécessaires. Ce sont des recherches que l’on ne fait jamais.
Il est un objet du même genre qui reste également en souffrance. Les agents du matériel d’artillerie à Liége sont crédités d’une somme de 1,380,000 florins depuis 1831.
Pressé par la cour des comptes, ils n’ont envoyé à ce corps un compte des sommes dont ils sont redevables à l’Etat qu’au mois de février dernier. Encore ce compte était-il si incomplet, que la cour des comptes s’est vue dans la nécessité de le renvoyer le 28 mars, afin d’obtenir des renseignements plus positifs. Ainsi, vous voyez quelle sommes considérable est due à l’Etat dans une seule place de guerre.
Une autre somme, également considérable, reste en souffrance, et celle-ci est due par un simple garde d’artillerie ou du génie. Elle monte à un total de 153,788 fr. Comment voulez-vous que l’on confie à un simple sous-officier une avance aussi considérable ? Aussi n’a-t-il pas encore rendu compte de l’emploi de ces fonds.
Je me suis également informé du produit de la vente des objets d’habillement et de matériel mis hors de service. A la vérité, plusieurs sont renseignés à la cour des comptes de ce chef. Mais elles m’ont paru ne pas représenter la valeur véritable des objets vendus. Il est permis de douter que la vente du rebut provenant du matériel d’une armée de 130,000 hommes ne fournisse pas des retours plus considérables.
Je me permettrai de vous parler d’une mesure prise par le ministère de la guerre. La chose est assez importante pour que l’on ne me reproche pas de chercher à faire de l’administration dans le sein de cette assemblée.
Un sieur Duysters, de Lierre, a offert d’approprier un logement pour 800 hommes d’infanterie dans le bâtiment d’un ancien couvent à des conditions extrêmement onéreuses pour l’Etat. Le prix de location pour 5 années (car le bail est de 5 ans) est de 5,544 fr. par trimestre (marques d’étonnement), ce qui fait 22,176 fr. par an et 110,880 fr. pour les 5 années. Ce n’est pas tout : le gouvernement s’est réservé la faculté de continuer à louer ce bâtiment ou d’en faire l’acquisition. Dans le cas d’acquisition l’Etat paierait un somme une fois donnée de 67,000 francs. Ainsi, si l’Etat achetait le bâtiment, il aurait dépensé pour une vieille caserne une somme de 177,880 fr. !
Vous conviendrez que de pareils arrangements sont par trop onéreux pour le trésor.
Il est un autre objet sur lequel j’appellerai l’attention de la chambre, la fourniture des chevaux pour les remontes d’artillerie et de cavalerie. Cette année on a livré une certaine quantité. Ces chevaux ont été fournis par des marchés de main ferme. J’ai voulu voir si le mode d’adjudication tant prôné par la chambre était préférable à ces sortes de marchés. J’ai acquis la conviction que les achats de chevaux par voie d’adjudication sont préférables dans l’intérêt du trésor.
Je vous prierai de remarquer qu’en 1833 les circonstances avaient rendu les chevaux beaucoup plus chers qu’ils ne le sont maintenant.
Le 15 mars 1834, le sieur Cool, dit Chou, a fourni pour la grosse cavalerie deux cents chevaux, à raison de 660 fr. par cheval.
La différence est donc de 40 fr. par cheval, et cependant les conditions étaient les mêmes. Le même Cool a fourni cent chevaux à 640 fr. par cheval pour le corps des guides, et sept cents chevaux à 500 fr. par cheval pour un autre corps ; mais, ne possédant pas de points de comparaison, je n’ai pu m’assurer si ces derniers marchés étaient onéreux pour le trésor.
En 1833, le sieur Cousin a fourni 600 chevaux pour la cavalerie légère à raison de 488 fr. par cheval. (Erratum au Moniteur belge n°216, du 4 août 1834) En 1834, il en a fourni 500 à 530 francs par cheval, ce qui fait une différence en plus de 42 fr. par cheval.
Encore faut-il remarquer que les conditions étaient plus favorables au fournisseur dans le dernier marché. On lui a accordé 80 jours pour livrer sa fourniture. En 1833 il ne lui avait été donné que 40 jours. De plus, j’ai des doutes sur un article du nouveau marché. Il y est dit que tous les droits à payer, sauf les frais de douane, seront à la charge du fournisseur. Cette exception, en faveur du fournisseur, n’était pas, que je sache, stipulée dans les premiers marchés.
A l’égard des chevaux dont je veux parler, M. le ministre de la guerre me fera une objection tirée des appréhensions de guerre où nous étions. Il était, dira-t-il, impossible de procéder à des adjudications de chevaux étrangers ; la Prusse aurait empêché de sortir ses chevaux. Mais soyez tranquille, la Prusse n’empêchera pas ses propriétaires de vendre leurs chevaux, elle vous vendra des chevaux tant que vous voudrez.
Au reste, je ne veux parler que des chevaux indigènes : en 1833 le sieur Boly a livré 400 chevaux, ayant la taille requise, au prix de 373 fr.
En 1834, le 29 mars, il a été livré 400 chevaux, le même nombre, au prix de 419 fr.
Différence pour chaque cheval : 46 fr.
Qu’on explique cette différence, je ne la conçois pas, surtout lorsqu’il est à la connaissance de tout le monde que les chevaux étaient plus chers en 1833 qu’en 1834. Cette différence pour les achats de chevaux qui ont été faits, je l’ai calculée ; elle s’élève à plus de 47,000 fr. Malheureusement cette somme est perdue. Pourquoi n’a-t-on pas fait cette année comme en 1833 ?
Vous le voyez, messieurs, et je le dis avec peine, tandis que dans les autres ministères, on rogne 100 fr. sur le traitement d’un malheureux employé, au ministère de la guerre on jette les deniers de l’Etat.
J’ai une dernière demande à faire à M. le ministre de la guerre relativement au boni des hôpitaux provenant de la retenue de la solde des militaires malades qui y sont admis. Je n’examinerai pas la question de savoir jusqu’à quel point il est juste de priver ces militaires de leur solde qui est en quelque sorte leur propriété ; je me bornerai à demander comment on rend compte de ce boni et ce qu’il devient.
J’ai cherché inutilement des renseignements à cet égard à la cour des comptes.
Je bornerai là mes observations que j’aurais pu étendre davantage. J’ai signalé de graves abus. Je pense que M. le ministre les prendra en sérieuse considération.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Je répondrai autant que ma mémoire me le permettra, aux observations de l’honorable préopinant.
Je commence par déclarer que tous les régiments de l’armée ayant été successivement formés en 1830 et 1831, il a fallu que l’Etat fît l’avance des fonds nécessaires pour l’habillement et l’équipement militaire de chacun d’eux. Cette dépense peut être calculée à 100 fr. par homme ; et comme il a passé 150,000 hommes sous les drapeaux, cela fait une somme de 15 millions.
Lorsque je suis entré au ministère de la guerre, sur cette somme les corps devaient encore 10 millions ; j’ai fait exercer des retenues sur la solde des militaires. Car si les corps doivent à l’Etat, les soldats doivent aux corps, et la valeur des magasins représente d’ailleurs une partie de la dette.
Au 1er janvier 1834, les sommes dues par les corps au lieu de s’élever à 10 millions, ne montaient plus qu’à 6 millions. En 1833, les retenues se sont élevées à 2,800,000 fr ; dans le premier trimestre de 1834 elles ont produit 341,000 fr. ; j’ai tout lieu de croire que dans le second trimestre, en raison du nombre plus considérable d’hommes que nous avons sous les drapeaux, elles ne s’élèveront pas à moins de 500,000 fr.
Je pense que dans deux ans les corps seront entièrement libérés ; quelques-uns déjà ne doivent plus rien, d’autres des sommes très faibles. Il en est, j’en conviens, et notamment ceux qu’à cités M. d’Huart, qui doivent encore des sommes considérables ; c’est sur ces corps que je fais exercer les plus fortes retenues. C’est au reste une ressource de l’Etat ; c’est un arriéré à reprendre sur les corps, et dont ils se libéreront successivement par les retenues et les allocations à la masse d’entretien.
Autant que j’ai pu saisir l’observation, on s’est plaint de la non-justification de la dépense d’un million faite pour achat d’armes par les officiers de la manufacture d’armes de Liége. Depuis 1832 que dure cette affaire, elle n’est pas encore liquidée. Les achats avaient été faits, en 1831, en Angleterre, en Allemagne. Il y a eu quelques difficultés ; il a fallu envoyer des officiers sur les lieux pour régler les comptes, pour dresser les états. Les états ont été envoyés à la cour des comptes, la liquidation est maintenant soumise à son approbation.
Cette affaire est d’ailleurs totalement étrangère à mon administration, je crois pouvoir assurer qu’elle est aujourd’hui entièrement régularisée.
Quand aux gardes d’artillerie, ils sont directement comptables envers la cour des comptes, et je dois déclarer qu’à l’exception de celui qu’on a cité, tous en 1831, 1832 et 1833, ont exactement rendu leurs comptes qui ont reçu l’approbation de la cour des comptes.
Je viens au boni des hôpitaux. Cette administration perçoit la solde des soldats qui s’y trouvent. Ce boni existe non dans la caisse des hôpitaux mais dans la caisse des corps. Cette comptabilité est très bien tenue.
Les hôpitaux ont deux espèces de recettes ; ils ont 100,000 fr. pour les médicaments, puis le montant des traitements des officiers de santé. Les hôpitaux reçoivent directement du trésor des mandats pour ces deux dépenses auxquelles ils en font l’application. A la fin de chaque mois les hôpitaux dressent des états des militaires malades, reçoivent la solde de ces hommes qu’ils appliquent aux dépenses de l’établissement, blanchissage, etc. Ces comptes sont vérifiés et ensuite arrêtés et approuvés au ministère de la guerre,
Lorsqu’il y a un boni à la fin de l’année, il est reporté sur l’exercice suivant ; ainsi le boni est déposé dans les caisses des corps, et reste disponible.
M. d’Huart. - Je suppose qu’il y ait un boni, qu’en fait-on ? que devient-il ? Qui reçoit des mandats sur le boni qu’il y a dans les caisses ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Les bonis sont reportés sur l’année suivante parce que cette comptabilité n’est pas tenue par exercice et n’est pas soumise à la vérification de la cour des comptes.
M. d’Huart. - Voilà ce que je voulais savoir.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - On a relevé les prix auxquels avaient été passés les marchés pour achats de chevaux des cuirassiers. En 1833, ils ont effectivement coûté moins cher qu’en 1833. Les fournisseurs me déclarèrent qu’à ce prix il était impossible de fournir des chevaux qui pussent satisfaire la commission de réception. Cette circonstance m’a décidé à augmenter les prix des chevaux pour les cuirassiers.
Quant aux chevaux de cavalerie légère, le prix en a aussi augmenté, et voici comment : Je tirais d’abord les chevaux de l’Allemagne qui en demandaient 60 jours pour les livrer au prix de 488 fr., minimum auquel on soit arrivé.
Ils avaient coûté :
530 fr. en 1832,
500 fr. en 1831.
Dans les nouveaux marchés que j’ai passés, j’ai exigé pour la cavalerie légère tous chevaux venant du Danemark, on m’a demandé 20 jours de plus pour les livrer. On a fait valoir que chaque cheval coûtait 1 fr. 50 c. par jour, ce qui fait 30 fr ; Il y a en outre 12 fr ; de droits à la sortie du Danemarck, cela fait 42 fr. en plus. J’ai mis pour condition expresse que ces chevaux vinssent du Danemarck. J’ai chargé un officier prussien qui se connaît fort bien en chevaux, d’être présent à leur réception ; et le prix n’en a été payé qu’après qu’il a été constaté qu’ils viennent bien du Danemarck.
Tous les chevaux achetés en Danemarck sont de meilleure qualité.
Quant à nos chevaux d’artillerie, il est très vrai qu’un entrepreneur avait fait une soumission pour le prix de 375-99 fr. ; mais ensuite cet entrepreneur m’a déclaré que ce prix était le résultat d’une erreur, et que son prix véritable était de 393-99 fr. ; le marché a donc été révoqué, et si je consulte ce qui a eu lieu en 1833, je vois que cette année nous avons payé les chevaux fr. 432 et 444.
Pour les marchés de chevaux d’artillerie, j’ai chargé l’inspecteur-général d’établir la concurrence du prix entre les marchands qui s’étaient présentés et j’ai approuvé le marché conclu avec l’un d’eux, au prix de 419 fr.
J’ai acheté dans l’espace de 8 ans 82,000 chevaux en France, et j’ai presque toujours préféré de contracter directement avec les fournisseurs qui avaient les moyens de faire de bonne fournitures, plutôt que d’exposer le service aux chances d'acquisitions publiques où souvent des hommes sans moyens et qui ne cherchent qu’à faire des affaires, ne sont pas en état de remplir leurs engagements et compromettent ainsi le service.
Cette année, la commission des remontes a reconnu que jamais les fournisseurs de chevaux n’ont mieux rempli les conditions de leur marché ; j'ai cru devoir payer un peu plus cher, pour avoir de meilleures fournitures, et cela dans l’intérêt même de l’Etat.
Quant à ce qui concerne la régie des vivres, je dirai qu’on a présenté des projets à cet égard, mais que je les ai toujours repoussés.
A la fin de mars, alors que l’armée devait se disposer à entrer en campagne, j’avais pris des mesures pour avoir au besoin un entrepreneur général du service des vivres de campagne.
Mais au mois d’avril, ne jugeant plus la chose nécessaire, je n’ai pas cru devoir organiser cette entreprise et je me suis borné à faire fournir les vivres de campagnes aux trois camps établis au mois de juin dernier.
Depuis longtemps, on se plaint de la mauvaise qualité du pain fourni à l’armée ; cette mauvaise qualité est la suite de tripotages dans les marchés qui ont été passés. Les entrepreneurs, qui ont pris l’entreprise fournissent la ration de pain pour chaque soldat, c’est-à-dire une libre et demie, pour 7 et 8 centimes, tandis qu’il est prouvé que cette ration pour être de bonne qualité doit être de 11 centimes.
J’ai l’intention l’année prochaine de faire boulanger dans le corps, ainsi que cela se faisait sous l’ancien gouvernement dans les dernières années. Si nous entrons en garnison, ce sera le meilleur mode de fabrication à adopter ; j’étudie à cet égard tous les détails de cette mesure, je ne la prendrai qu’à bon escient, s’il y a intérêt pour l’Etat, et si les intérêts des corps ne sont pas compromis.
Quant au personnel, je puis assurer que je n’ai aucune connaissance de ce fait relatif aux deux jeunes gens dont on a parlé ; j’ignore s’ils étaient Français. Je sais qu’il y a eu quatre sergents qui ont été faits lieutenants, mais je n’ai pas appris que parmi eux il y eût un homme français de 17 ans.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) -Je viens appuyer ce que vient de dire M. le ministre de la guerre relativement aux fournitures par adjudication publique. Par ce mode d’adjudication on fournit à meilleur marché, mais ce qui en résulte, c’est qu’on fournit toujours ce qu’il y a de plus mauvais. Cela est arrivé pour le transport des postes. il y avait autrefois de très bonnes voitures pour le transport des lettres de Bruxelles à Mons ; depuis qu’on a adopté le mode d’adjudication publique pour cet objet, les voitures de transport sont détestables. Je suis persuadé aussi que les chevaux que M. le ministre de la guerre a achetés, ont été fournis à meilleur marché que ceux qui ont été fournis précédemment.
A l’égard des nominations faites en faveur de quelques jeunes gens appartenant à la nation française, ces nominations sont peu de chose, et il me semble que sur ce sujet nous ne devons pas montrer tant de susceptibilité.
On a élevé au grade d’officier deux ou trois sous-officiers français dont la conduite était bonne ou mauvaise, je n’en sais rien ; mais, quoi qu’il en soit, ces jeunes gens ont peut-être été recommandés par des officiers supérieurs français servant dans notre armée. Eh bien, ce sont des faveurs que l’on accorde à des hommes qui se trouvent dans une position élevée et qui ont rendu de grands services.
Je crois à cet égard qu’il y a plus d’inconvénient à signaler les prétendus abus dont on s’est plaint que de n’en point parler. Nous avons dans l’armée des officiers qu’on appelle étrangers. Je ne sais ce que signifie une pareille dénomination. Ces officiers portent la cocarde belge, et tous ceux qui portent la cocarde belge sont Belges.
Je crois qu’il ne faut pas s’occuper des abus relatifs à une nomination qui concerne une nation dont nous avons besoin et qui nous a fourni un concours utile.
M. de Brouckere. - Je demande la permission de faire une interpellation d’une haute importance à M. le ministre de la guerre.
Il se trouve dans l’armée un assez bon nombre de volontaires qui se sont engagés pour un temps déterminé. Ce temps expiré, la plupart de ces jeunes gens, ou leurs parents pour eux, se sont adressés au ministre de la guerre et ont demande un congé que ces volontaires devaient obtenir de plein droit parce que le temps de leur engagement était expiré. Il y a eu réponse uniforme pour toutes ces demandes, c’est que le bien du service empêchait d’accorder les congés.
Je demanderai en vertu de quelle loi on retient sous les armes des individus qui se sont engagés volontairement pour un temps déterminé, alors que ce terme est expiré.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Il y a effectivement un assez grand nombre de volontaires dont l’engagement est expiré. J’ai donne des instructions secrètes aux différents chefs de corps, pour qu’ils me présentassent la liste des volontaires dont la présence est absolument réclamée chez eux. J’accorde des congés définitifs aux volontaires, avec assez de difficultés, pour ne point rendre nos cadres incomplets, et je n’ai point voulu prendre des mesures générales, par la raison que ce serait priver l’armée de bons soldats. Les miliciens de 1826, de 1827 et 1828, ont aussi terminé leur temps, mais comme la loi ne parle de renvoi au bout de 5 ans qu’en cas de paix, le gouvernement a inféré de là qu’en temps de guerre, il n’y a pas lieu à renvoyer la milice dont le temps était expire, et cette mesure a été aussi appliquée aux volontaires.
M. de Brouckere. - Je suis fâché que l’armée perde de bons soldats, mais je dois le déclarer, les explications de M. le ministre ne m’ont pas satisfait.
Il y a entre le gouvernement et les volontaires un contrat à l’observation duquel le gouvernement est tenu aussi bien que le volontaire qui s’engage. Un volontaire prend l’engagement de servir pendant un temps déterminé, aucune loi ne permet à l’administration de la guerre de le retenir après que ce terme est expiré. S’il en est autrement, on viole le contrat, car c’est bien en effet un contrat qui a été passé entre le gouvernement et le volontaire.
Je demanderai à M. le ministre, en cas qu’un volontaire désertât après son engagement expiré, s’il oserait le poursuivre comme déserteur. je pense qu’il n’est aucun tribunal qui voudrait condamner dans cette occasion.
Relativement à la milice de 1826 et de 1827, bien qu’elle ait terminé ses 5 ans de service, le gouvernement est en droit de la retenir sous les armes, en vertu de la loi ; mais il n’en est pas de même relativement aux volontaires. Il n’est aucune loi qui permette de violer un contrat, et des volontaires qui se sont engagés pour deux ans ne peuvent être exposés à servir 12 ou 15 ans, sous prétexte qu’il ne faut pas perdre de bons soldats. Une pareille marche n’est suivie dans aucun pays. Je demande à M. le ministre de la guerre qu’il veuille bien régulariser cette partie de son administration et qu’il donne aux volontaires le congé auquel ils ont droit.
S’il est une loi sur laquelle le ministère s’appuie, je demanderai qu’on la montre, à moins que dans la chambre mon avis ne trouve des contradicteurs, j’y persisterai.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Je prendrai des informations sur les engagements volontaires, et je ferai connaître les motifs des décisions qui ont été prises.
M. Dumortier. - Il me semble que le ministre de la guerre n’a pas suffisamment répondu relativement aux sommes considérables remises entre les mains des gardes de l’artillerie. C’est un usage, dit-on, de leur remettre ces sommes ; cet usage me paraît mauvais. Des capitaux considérables ne peuvent être qu’entre les mains de personnes qui offrent beaucoup de responsabilité.
Quant à l’ophtalmie, c’est avec raison que M. A. Rodenbach vous a fait entendre ses observations : une expérience a été faite par le sieur Lubin sur dix malades, tous ont été guéris ; pourquoi, dans l’armée entière n’emploierait-on pas un remède d’une infaillibilité aussi incontestable, surtout lorsqu’il s’agit d’une question d’humanité en même temps que d’une question pour le trésor public ? Nous ne devons pas nous en rapporter à la ridicule vanité de quelques médecins qui ne veulent pas qu’on guérisse les malades parce qu’on n’a pas, comme eux, un morceau de parchemin, parce qu’on n’a pas été, comme eux, reçus summa cum laude.
Je demande que le ministre donne les ordres pour qu’on mette de côté la ridicule prétention des médecins et pour qu’on traite les hommes qui ont une maladie de manière à ce qu’ils soient guéris.
Je me plais à croire que notre armée est animée du meilleur esprit ; elle est très belle ; elle est prête à rendre des services à l’Etat : cependant pourquoi faisons-nous des dépenses aussi énormes quand la majeure partie de cette armée reste dans des garnisons près des frontières de France ? Une armée près des frontières françaises est une chose de luxe. On devrait se borner à avoir près de la Hollande et dans le Luxembourg des corps suffisants pour faire respecter la Belgique ; mais une armée de parade n’est pas nécessaire ; ce qui est nécessaire c’est que l’on fasse des économies.
On reproche au ministère actuel et aux chefs de notre armée de ne pas entretenir parmi les troupes ce feu sacré qu’y avait allumé le général Desprez ; nous ne voyons plus de grandes manœuvres faites par notre armée : tandis que les Hollandais font chaque jour promener des divisions toutes entières près de nos frontières, nous, nous promenons quelques compagnies, qui vont fatiguer les citoyens pour les logements.
Je ne crains pas une guerre avec la Hollande ; cependant je vois à regret qu’on néglige certaines précautions bonnes à prendre. Je voudrais qu’on établît une ligne télégraphique des frontières hollandaises jusqu’ici, comme la Prusse a fait établir une ligne télégraphique de la France à Berlin ; je voudrais aussi l’on prît des précautions contre les inondations que les Hollandais pourraient occasionner.
J’ai particulièrement des reproches très graves à faire sur le personnel de l’armée. Ces reproches ne s’adressent pas au général Evain seul. Je parlerai d’abord de la partialité trop forte que l’on montre envers les étrangers. Le gouvernement a eu fortement raison d’appeler des officiers supérieurs à la tête de notre armée ; mais quant aux officiers inférieurs, aux sous-lieutenants, nous n’en avons pas besoin.
Je parlerai ensuite de la manière révoltante dont on traite nos volontaires et les officiers qui ont dénoncé la conspiration du mois de mars. Les officiers qui ont pris part à la conspiration ont reçu de l’avancement tandis que ceux qui ont fait connaître de coupables manœuvres contre l’Etat ne peuvent en obtenir. C’est un bruit répandu dans l’armée ; pourquoi donne-t-on lieu à de semblables reproches ?
Je pourrais citer un officier qui se trouvait faire partie de l’armée belge à la fin de septembre, qui, alors qu’il n’existait aucun corps de cavalerie en Belgique, commandait un escadron qu’il avait formé, qui prit part à toutes les affaires ; il se vit descendre d’un grade malgré ses connaissances étendues, pour avoir dénoncé au régent une conspiration. De commandant d’escadron qu’il était, on le fit descendre au grade de simple capitaine, et il n’a jamais pu obtenir justice. On voit au contraire ceux qui ont pris part à cette conspiration obtenir un avancement rapide. C’est un abus scandaleux. J’invite M. le ministre à le faire cesser.
Il est également à ma connaissance que deux officiers qui, le 23 septembre, firent le coup de fusil, rue de Louvain, contre les Hollandais, qui prirent ensuite une très grande part à toutes les affaires des campagnes de 1830 et 1831, qui firent partie du bataillon de la Meuse de Lecharlier, furent obligés, l’un de descendre du grade de capitaine à celui de lieutenant, et l’autre de donner sa démission. Ces deux officiers n’ont jamais pu depuis obtenir justice. Ce sont eux pourtant qui ont mis les épaulettes sur les épaules de vos officiers supérieurs, qui les ont faits majors, lieutenants, colonels, colonels et même généraux ; et on est d’une injustice criante à leur égard.
Il semble qu’on leur reproche comme une faute de discipline la part qu’ils ont prise à notre révolution. J’aime à croire que M. le ministre est étranger à ces faits, et je les lui signale de bon cœur, afin qu’il puisse y porter remède.
Il est une autre partialité dont la garde civique est victime. Tandis qu’on accorde les vivres de campagne aux officiers supérieurs en disponibilité, pour les chevaux qu’ils doivent avoir dans le cas où ils seraient rappelés, on les a retranchés aux officiers supérieurs de la garde civique qui sont obligés de conserver également leurs chevaux, sans recevoir d’indemnité. La garde civique a rendu d’aussi grands services que la ligne. Cependant on distribue avec profusion les croix aux officiers de l’armée et on n’en a donné que deux ou trois à la garde civique. Cependant elle a bien mérité du pays.
Je pourrais citer tel industriel qui, par amour pour la patrie, a abandonné un établissement de 3 ou 400 ouvriers, et est resté pendant trois ans dans les situations les plus périlleuses. On ne lui a pas donné la moindre récompense. Je prie M. le ministre de ne pas ainsi négliger les hommes de la révolution. Si un jour on devait encore en venir aux mains avec nos ennemis c’est sur ces hommes seuls qu’on pourrait compter. Le gouvernement pourra en avoir besoin, il ne doit donc pas se les aliéner.
On parle de dilapidations. Il est incontestable qu’elles ne sont que trop réelles. Sur plusieurs points, il est des économies à faire. On nous a distribué le budget, nous avons pu voir que la dette flottante est portée à 25 millions. Il ne faut pas diminuer les contributions, ce serait imprudent ; mais il faut appliquer les économies à la réduction de la dette, qui, si nous n’y prenons pas garde, finira par être une dette constituée.
Je suis forcé de voter pour les crédits demandés parce qu’en définitive il faut que nous ayons une armée.
J’espère que M. le ministre fera cesser les abus que je viens de désigner.
- La séance est levée à 4 heures et demie.