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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 juillet 1834

(Moniteur belge n°204, du 23 juillet 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître les pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Verrassel adresse à la chambre de nouvelles observations relatives à l’entreprise faite de vive force sur sa propriété pour la construction du chemin de fer. »

« Les administrations communales de Stabroeck et de Lillo adressent des observations sur le projet relatif aux indemnités. »


M. le président du sénat informe la chambre que le sénat a adopté, dans sa séance d’hier, le projet de loi relatif aux démonstrations en faveur de la famille d’Orange-Nassau.


M. Ullens. - Je demande le renvoi des pétitions des habitants de Lillo et de Stabroeck à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi d’indemnité. Quant à l’urgence elle a été démontrée par M. Legrelle ; je crois inutile de rien ajouter à ce qu’il a dit.

M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, les pétitions des habitants de Lillo et de Stabroeck seront renvoyées à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi d’indemnité.


M. de Renesse. - Messieurs, dans la séance du 12 la chambre a renvoyé au ministre de l’intérieur, avec demande d’explications, une pétition du sieur Verassel qui se plaignait de ce qu’en violation de l’article 11 de la constitution, le gouvernement s’était emparé de sa propriété pour la construction du chemin en fer. Une seconde pétition vous est adressée aujourd’hui par M. Verassel qui réclame de nouveau pour des faits qui se sont passés depuis sa première pétition.

Je demande que cette seconde pétition soit également renvoyée au ministre de l’intérieur avec demande d’explications.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’appuie le renvoi proposé par l’honorable M. de Renesse. Je ferai incessamment à la chambre un rapport sur les réclamations du sieur Verrassel.

M. le président. - M. le ministre ne s’y opposant pas, la pétition du sieur Verrassel lui sera renvoyée.


M. Legrelle demande un congé de quelques jours à cause de la maladie d’un des échevins de la ville d’Anvers.

M. A. Rodenbach. - Dans une précédente séance un honorable député du Luxembourg a demandé qu’il ne fût plus accordé de congés ; nous ne devons pas faire d’exception en faveur du député d’Anvers.

M. Dumortier. - M. Legrelle demande un congé parce qu’un de ses échevins est malade. Mais il me semble que quand on va s’occuper de la loi communale, la présence d’un bon bourgmestre est au moins aussi utile ici qu’auprès de ses administrés. Je m’oppose à ce que le congé soit accordé.

M. Helias d’Huddeghem. - Si vous refusez d’accorder des congés quand on en demandera, on s’absentera sans en demander.

M. Verdussen. - Il n’appartient pas à la chambre de juger de l’opportunité de l’absence de M. Legrelle. Il est possible que sa présence soit indispensable à Anvers quand les échevins sont malades. M. Legrelle vous donne les motifs pour lesquels il s’absente, vous devez le croire sur sa parole.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Brouckere. - Mon intention était de soumettre à la chambre une motion d’ordre ; comme elle a quelque rapport avec la demande de M. Legrelle, je la ferai dès à présent, sauf à la chambre à prendre ensuite sur cette demande telle décision qu’elle voudra.

Voici ce que je voulais proposer à la chambre : c’était de l’engager à fixer l’ordre des travaux dont elle compte s’occuper encore avant la clôture de la session.

Messieurs, si nous commençons la discussion de la loi communale avec l’intention de ne plus l’interrompre avant que cette loi n’ait été votée, je crois ne point exagérer en prédisant que nous avons sur cette loi seule pour au moins un mois de discussion. Nous arriverons donc jusqu’à la fin du mois d’août, et nous n’aurons pas terminé nos travaux, car nous avons encore à voter deux lois de finances présentées par le ministre de la guerre et le ministre des finances. Ces lois sont urgentes.

Nous avons encore à voter une loi relative aux circonscriptions des justices de paix, ne fût-ce que pour maintenir provisoirement ce qui existe. Une loi nous a été présentée relativement à l’augmentation du personnel des cours. C’est encore là une loi urgente. Nous ne pouvons nous dispenser de la voter avant la rentrée des vacances ; car si vous ne la votez pas dans cette session, vous en retardez l’exécution d’une année entière, à quelque époque de la session prochaine que vous la votiez.

Nous aurons outre ces lois des explications ministérielles sur les plaintes adressées à la chambre relativement à l’exécution de la route en fer, et d’autres objets sur lesquels des membres de la chambre se proposent d’appeler l’attention de l’assemblée. Si nous voulons terminer tous ces travaux, nous arriverons jusqu’à la fin de septembre.

Je vous le demande à tous, croyez-vous qu’il soit possible de réunir tous les jours, pendant six semaines ou deux mois encore, le nombre de membres nécessaire pour pouvoir discuter ? Quant à moi, je ne le pense pas. Et quand je m’exprime ainsi, je me consulte moi-même. Je sens que je suis fatigué autant que peuvent l’être, après une session aussi longue, ceux qui ont pris une grande part à ses travaux et ceux qui ont d’autres devoirs à remplir, en dehors de la chambre.

Des sessions si longues ont de graves inconvénients. Déjà un de nos collègues les plus distingues a donné sa démission.

Hier deux demandes de congé nous ont été faites, on vient de nous en adresser une troisième, et aujourd’hui à une heure il n’y avait que quarante membres présents. Cela ira de mal en pis et quelque décision que vous preniez, pour me servir d’une expression vulgaire, le combat finira faute de combattants.

Il y a un autre inconvénient. Quand on a siégé pendant un espace de temps aussi long, il est difficile d’apporter tout le zèle et toute l’exactitude qu’on apporterait si on n’était pas excédé de fatigue.

La loi communale, dit-on, est urgente. Je ne le nie pas ; mais ferons-nous une bonne loi, quand il y aura à peine présents à la discussion 52 ou 53 membres, qui ne seront pas toujours les mêmes, mais qui viendront tour à tour de quinze jours en quinze jours prendre part à la discussion, et cela sans demander de congé, si la chambre prend la résolution de n’en plus donner ?

On ne peut pas nier que cette conduite soit excusable. Quand on s’aperçoit que la santé ne permet plus de remplir les fonctions de membre de la chambre, on est bien obligé de prendre du repos ; personne ne peut le trouver mauvais.

Voici quelle est ma proposition : Je demande que la chambre fixe l’ordre de ces travaux ; qu’elle mette d’abord à l’ordre du jour les lois urgentes dont j’ai parlé, et si, après le vote de ces lois, on trouve cinquante et quelques membres qui veuillent rester, que l’on commence la loi communale.

Quant à moi, il me sera impossible de siéger ici plus de dix à douze jours encore.

M. d’Hoffschmidt. - Je viens combattre la proposition de M. de Brouckere qui tend à ajourner indéfiniment la loi communale que le pays attend depuis si longtemps. Si nous ne la discutons pas dans cette session, nous arriverons ici à la mi-novembre, nous commencerons par nous occuper des budgets dont la discussion nous tiendra trois mois comme les années précédentes. On n’entamera la discussion de la loi communale qu’au mois de février, et comme ce sera le commencement de la session, on ne se pressera pas. Elle ne sera votée qu’à la fin de mars.

D’un autre côté, le sénat, qui ne veut discuter la loi provinciale qu’après la loi communale, mettra bien deux mois à examiner ces lois, car il discutera longtemps les questions importantes que ces lois soulèvent ; et s’il prenait des résolutions contraires aux vôtres sur plusieurs de ces questions et notamment sur la dissolution des conseils provinciaux, cette question nous serait de nouveau soumise, et la chambre qui l’a résolue à une immense majorité ne reviendrait pas sur sa décision. De là, scission entre le sénat et la chambre des représentants.

Le gouvernement sera dans la nécessité de dissoudre les chambres et d’en appeler à de nouvelles élections. Voyez où cela nous entraînera. Cela pourra arriver, ne vous le dissimulez pas. Les chambres devront recommencer les discussions des lois communale et provinciale article par article. Le travail fait ne servira à rien, et vous arriverez à 1836 sans avoir donné au pays ses lois organiques.

En attendant, les provinces sont désorganisées, les députations des états sont encore composées par ordres des villes, des campagnes et de l’ordre équestre. Gand a encore un comité de conservation. C’est là un provisoire qui n’a déjà duré que trop longtemps. Les communes sont en possession de la nomination de leur bourgmestre. Le gouvernement ne peut ni les révoquer ni les suspendre quand ils refusent d’exécuter des lois. Il résulte une perturbation dans l’administration.

Huit mois de session, c’est beaucoup, je le sais ; mais je sais aussi que beaucoup de membres désirent rentrer dans leur famille pour profiter du plaisir de la chasse et se distraire de leurs longs travaux. Je sais que beaucoup de membres désirent la clôture de la session, pour des motifs semblables. Mais nous avons accepté le mandat d’organiser le pays et de défendre ses intérêts, nous devons faire céder nos affections pour remplir ce mandat. D’ailleurs, la chambre ne devrait pas être aussi fatiguée qu’on le dit, elle s’est donné fréquemment des vacances.

Elle s’en est donné une de quinze jours à la nouvelle année, une autre de trois semaines à Pâques, et récemment encore elle vient d’en prendre une de dix jours. Ces vacances auraient dû suffire pour la remettre de ses fatigues. Quand le pays sera organisé, nous prendrons du repos, mais nous ne devons pas, en attendant, cesser un instant de travailler ; nous ne devons parler de fatigues ni de repos tant que les lois que le pays réclame depuis si longtemps ne seront pas votées.

M. de Brouckere a parlé de la loi sur les circonscriptions des cantons judiciaires, de la loi relative à l’augmentation du personnel des cours, et autres. Mais l’urgence de ces lois n’est pas à comparer à celle de la loi communale. La loi des circonscriptions ne presse pas.

Je voudrais, au contraire, que les états provinciaux fussent assemblés pour donner leur avis sur les circonscriptions judiciaires.

Quant à la loi sur le personnel des cours et tribunaux je n’en vois pas non plus l’urgence. Les tribunaux ont marché jusqu’à présent. Quelques causes sont en retard, j’en conviens ; mais si les cours d’appel et autres avaient voulu tenir six séances par semaine comme la chambre des représentants, il n’y aurait pas de retard.

M. H. Dellafaille - Personne ne contestera l’urgence de la loi communale ; l’urgence de cette loi est déclarée par la constitution ; cependant, depuis trois ans que la constitution est promulguée, nous ne nous en sommes pas occupés. Cette urgence naît en outre de la situation des choses. Le gouvernement provisoire a pourvu aux besoins les plus pressants du moment ; mais il n’avait pas cru que son arrêté dût rester si longtemps en vigueur ; il n’avait donc pas déterminé l’époque du renouvellement des conseils de régence ; il résulte de là que les membres de ces conseils sont pour le moment inamovibles.

L’urgence de la loi vient aussi de ce que maintenant les attributions du gouvernement sont assez mal définies ; cela provient d’un article de la constitution qui est très obscur. Les événements de Liége en ont fourni la preuve ; personne a-t-il su à cette occasion quelles étaient les attributions du gouvernement ?

Si l’état actuel de la législation continue de subsister, nous pouvons avoir à redouter des désordres plus grands encore. C’est maintenant, c’est lorsque l’urgence de la loi communale est si claire, qu’on vient nous proposer d’en ajourner la discussion à la session prochaine. Veuillez réfléchir, messieurs, aux conséquences qu’aurait cette décision.

Nous ne pourrons pas voter la loi communale dans les trois premiers mois de la prochaine session : en effet, quand nous aurons voté le budget et les lois les plus urgentes, la plus grande partie de l’hiver sera passée.

Croyez-vous que la révision de la loi provinciale, qui sans doute ne sera pas adoptée par le sénat sans amendement, le vote de la loi sur la garde civique, celui de la loi sur l’instruction, les lois si nécessaires sur le changement du système financier, et quelques lois d’intérêts matériels ne suffiront pas pour bien remplir la prochaine session ? Quand ces lois seront votées, la chambre n’aura plus le temps ; elle sera encore une fois fatiguée.

Quant à présent je suis aussi fatigué que l’est l’honorable auteur de la proposition, parce que, comme lui, je me suis fait un devoir d’assister constamment aux séances de la chambre ; mais nous ne devons pas consulter nos intérêts ; le pays attend cette loi avec impatience ; nous devons sacrifier notre désir de repos aux besoins du pays. Je craindrais, si nous ne nous occupions pas de la loi communale, de nous exposer à la censure de nos commettants et d’encourir le juste reproche de n’avoir rien fait d’utile pour les véritables intérêts de la patrie.

M. A. Rodenbach. - Je partage l’opinion de l’honorable préopinant, mais peut-être y aurait-il moyen de tout concilier. Ce moyen serait de ne voter pour le moment qu’une partie de la loi, celle du personnel ; c'est là ce qu’il y a de plus urgent dans l’administration communale aussi bien que dans l’administration provinciale. Vous savez que dans beaucoup de provinces le personnel de l’administration est incomplet ; il y a aussi d’autres raisons qu’il est inutile de répéter ici qui rendent nécessaire le renouvellement du personnel des députations.

Je ferai remarquer en outre que si vous ne votez pas la loi communale à présent, de deux ans vous ne la voterez pas ; en effet, le budget et les lois qu’a énumérées l’honorable préopinant suffiront bien pour remplir la session prochaine. D’ailleurs il faut la loi communale ; elle est très urgente, le pays l’attend avec impatience ; nous devons nous en occuper maintenant. La session peut bien encore se prolonger d’un mois et demi. Je vote contre la proposition de M. de Brouckere.

M. Dubus. - J’appuie la motion de l’honorable M. de Brouckere ; il m’avait semblé, d’après les raisons qu’il a données, qu’elle devait entraîner l’assentiment de l’assemblée. Certainement, la session est trop longue ; elle est d’une longueur telle, qu’elle pèse à tous les députés.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Et aux ministres aussi.

M. Dubus. - Je ferai remarquer que si nous n’adoptons pas la proposition de M. de Brouckere, la fin de la session va rejoindre le commencement de l’autre. En effet, si nous voulons sortir du système des crédits provisoires, nous devons désirer que la nouvelle session soit ouverte avant l’époque à laquelle, à défaut de convocation, nous nous réunissons de plein droit aux termes de la constitution ; je ne crois pas que l’on puisse ouvrir la prochaine session avant la mi-octobre. C’est tout au plus si ainsi le vote du budget sera terminé pour le 1er janvier.

Si vous vous occupez de la loi communale dans cette session, vous n’aurez fini qu’à la fin de septembre, et l’instant du repos n’existera pas. La longueur des sessions décourage nos meilleurs députés ; vous en voyez une preuve dans la démission que vient de rappeler l’honorable M. de Brouckere.

Si nous continuons, nous arriverons à ce résultat qu’en définitive il y aura seulement dans la chambre, ou des personnes tout à fait oisives, ou des fonctionnaires qui sont suppléés dans leur province et qui trouvent leur compte à rester dans la capitale. Je demande si vous devez arriver à un semblable état de choses.

Mais il faut la loi communale ; le pays l’attend avec impatience : ce sont deux orateurs de cette chambre qui viennent de le dire. Déjà je l’avais entendu dire ici ; mais quand j’arrive dans ma province, nulle part je ne trouve cette impatience. Et en effet sur quelles raisons seront-elles fondées ? La commune n’est-elle pas libre ? Le pays ne jouit-il pas pleinement de ses franchises communales ? Sans doute ; et personne n’est pressé, comme on veut le faire croire, de se dépouiller en tout ou en partie de ces libertés. (On rit.) Non, cela n’est pas vrai ; je proteste contre cette assertion.

Il y a une loi qui est urgente, cela est vrai ; mais ce n’est pas la loi communale, c’est la loi provinciale, parce que si le pays jouit de la liberté de la commune, il ne jouit pas de la liberté de la province. Voilà la loi que le pays attend avec impatience.

Il y a plus de 2 ans que la chambre précédente a reconnu l’urgence de cette loi ; le gouvernement l’a également reconnue, et il s’est empressé de présenter une loi. Cette loi, la chambre l’a votée ; car il était de son devoir de donner à la province une représentation, de consacrer la liberté provinciale. Mais maintenant que la chambre a rempli son devoir, il semble tout à coup au gouvernement que l’urgence n’existe plus, et que le pays est moins pressé de jouir de la liberté provinciale qu’il n’a pas encore que de se dépouiller de la liberté communale dont il jouit.

- Un membre. - Qui dit cela ?

M. Dubus. - Qui dit cela ? ce sont ceux qui veulent empêcher le pays de jouir de ses libertés communales, en votant une loi où on veut faire le sacrifice de ces libertés. Eh bien, le peuple, n’est pas pressé de voir consommer ce sacrifice.

M. A. Rodenbach. - On ne le fera pas.

M. Dubus. - Voici dans quelle position se trouve le peuple. Il est en possession de la liberté communale, et il est privé de la liberté provinciale. Les choses étant ainsi, que devons-nous faire ? Devons-nous dépouiller le pays d’une liberté à laquelle il attache tant de prix ? ou devons-nous demander l’organisation, l’émancipation de la province ?

Mais, dit-on, il n’est possible d’organiser la province que lorsque vous aurez vote la loi communale. Où veut-on en venir ainsi, messieurs ? A l’ajournement indéfini de la loi provinciale. On veut d’abord que vous fassiez le sacrifice des libertés communales ; quand il sera consommé ce sacrifice, que la majorité de cette chambre est prête à faire, alors le pouvoir vous accordera la liberté provinciale comme il l’entendra. On dira : « Le gouvernement ne consentira jamais à l’élection directe de tel ou tel fonctionnaire, à la dissolution des conseils ; il ne consentira pas à ceci, il ne consentira pas à cela. » Voilà, messieurs, ce qu’on a dit en France ; voila ce qu’on nous dira. Ainsi on ne sanctionnera pas la loi provinciale, à moins d’avoir le droit de dissoudre les conseils provinciaux. Dans cet état de choses, je dis que notre devoir à nous mandataires du peuple est de suspendre le vote de la loi communale jusqu’à ce que la loi provinciale ait été sanctionnée.

La loi provinciale n’est pas seulement urgente parce qu’elle prive le pays de la liberté de la province, de la représentation provinciale ; elle est urgente encore parce que sans cette loi le gouvernement ne peut pas pourvoir aux vacances des cours judiciaires. On dit que les cours ne peuvent pas suffire aux travaux dont elles sont chargées ; et pourquoi ? Parce qu’il y a dans les cours des vacatures auxquelles on ne peut pourvoir à défaut de la loi provinciale. Ce n’est donc pas la loi communale, mais la loi provinciale qu’on attend avec impatience.

On a parlé d’un terme moyen. On pourrait, nous dit-on, faire une loi à part du titre de la loi communale qui a rapport au personnel. Si vous suiviez cette marche, messieurs, vous porteriez un coup mortel à la liberté ; si vous scindiez l’organisation de la commune d’une manière aussi dangereuse, vous agiriez comme si vous étiez des agents du pouvoir et non comme des mandataires du peuple.

M. de Theux. - Messieurs, la motion qui vous est soumise est encore une de ces motions qui ont déjà absorbé tant de nos séances inutilement ; il en sera de celle-ci comme de toutes les motions précédentes qui n’ont aucun résultat. Je ne crois pas que la majorité de cette assemblée puisse révoquer en doute l’urgence d’une loi communale, lorsqu’elle se rappellera les faits que l’absence d’une organisation communale a forcé le gouvernement de tolérer à Liége.

Réunissez vos souvenirs et reportez-vous à la discussion de la loi provinciale. Il a été convenu que si le rapport sur la loi communale était présenté dans l’intervalle, l’on suspendrait l’examen de la loi provinciale pour s’occuper immédiatement d’une organisation reconnue plus urgente. La question d’urgence a été mûrement examinée. Il y a eu évidemment décision. Il ne s’agit plus de revenir sur ce point.

Il y a obligation pour vous, messieurs, de donner une loi communale au pays. Le congrès a prescrit dans la constitution à la législature d’organiser la commune dans le plus bref délai. Je dirai que ceux qui veulent retarder la discussion de la loi communale, dans le but de donner à la commune une part plus large de liberté, obtiendront un résultat tout à fait contraire celui qu’ils attendent.

Si des désordres semblables à ceux qui sont arrivés à Liége se renouvelaient, il pourrait arriver que l’assemblée accordât au pouvoir exécutif une part plus grande d’intervention. Je demande que la chambre maintienne sa décision, et passe immédiatement à la discussion de la loi communale.

Quant à la motion faite par l’honorable M. Rodenbach de diviser cette loi en deux parties, j’en demande l’ajournement jusqu’à l’époque où l’avancement de la discussion aura pu asseoir l’opinion des membres de cette chambre à cet égard. Pour moi je déclare dès à présent que je désire voir la loi communale adoptée en son entier ; il me semble qu’il y a liaison complète entre l’organisation du personnel et celle des attributions.

On a parlé des crédits demandés par le ministre de la guerre. S’il est constant que le service de l’armée pourrait souffrir par défaut de fonds, nous pourrions suspendre la discussion de la loi communale.

M. Dumortier, rapporteur. - Je me propose de parler en faveur de la proposition présentée par l’honorable M. de Brouckere. Je crois que tout ce qu’ont dit et l’honorable préopinant et ceux qui, comme lui, ont parlé contre la proposition, peut être très juste, très sensé, très raisonnable. Mais il ne s’agit pas ici ce que nous désirons ; la question est de savoir ce que nous pouvons. Il est incontestable que l’assemblée est très fatiguée ; il est hors de doute que nous n’atteindrons jamais la fin de la loi communale, parce que nous ne parviendrons bientôt plus à nous trouver en nombre.

Vous avez pu remarquer, messieurs, qu’une foule de membres n’assistent pas aux séances, que d’autres tombent malades par suite des fatigues causées par la longueur de la session et les laborieux travaux auxquels ils se sont livrés sans relâche. La chambre peut bien accorder à ses membres ce que l’on accorde aux écoliers, quelques mois de vacances.

Veuillez remarquer, messieurs, que le temps que vous passerez dans vos foyers ne sera pas perdu. En retournant chez vous, vous pourrez prendre les conseils des autorités locales sur l’importante loi dont la discussion a été entamée et, lorsque vous reviendrez éclaires par l’opinion des populations, vous pourrez voter la loi en connaissance de cause. C’est ce qui se pratique en Angleterre. Suivez l’exemple de cette nation qui a eu une existence parlementaire plus longue que la nôtre.

Je pense d’ailleurs, messieurs, que si nous agissons dans le sens de la proposition de M. de Brouckere, nous ferons connaître hautement notre opinion formelle sur la loi communale. Je dirai que si nous prenions un autre biais, nous recevrions indirectement une très mauvaise leçon qu’on a voulu nous donner dans une autre assemblée, lorsque l’on a prétendu que l’on ne pouvait discuter la loi provinciale sans être entouré de tous les documents nécessaires. C’est ainsi que l’autre chambre a cru devoir écarter un projet dont l’urgence avait été reconnu, par tout le pays, par le congrès, par le sénat lui-même. Cette assemblée a évidemment voulu nous adresser le reproche d’avoir discuté la loi provinciale sans connaître la loi communale.

Les motifs allégués ouvertement pour la prorogation de la discussion de la loi provinciale n’étaient là qu’un prétexte. La raison cachée, si telle a été la pensée qui a amené le retard que je vous cite, serait injurieuse. Nous devons faire justice de ce prétexte ; nous devons faire en sorte que plus tard l’on ne puisse venir nous reprocher d’avoir sacrifié les libertés provinciales, après que nous aurons consommé le sacrifiée des libertés communales,

L’orateur qui m’a précédé a mal interprété la pensée de mon honorable ami.

Si mon honorable ami a dit que dans la loi communale qui vous est proposée, il y a sacrifice des libertés communales telles qu’elles existent actuellement, il ne s’est pas trompé. Cela est tellement vrai, que les sections ont attribué au gouvernement la nomination de certains agents de la commune qui, jusque-là, était réservée au peuple. J’ai foi dans le patriotisme des membres de cette assemblée, et j’ai la conviction que le sacrifice sera aussi restreint que possible. Je sais que la majorité de cette assemblée est trop amie de l’ordre pour le sacrifier à la liberté, lorsque la liberté pourra compromettre le repos ; mais je ne crains pas qu’elle se laisse emporter par son amour pour l’ordre au point de restreindre d’une manière trop favorable au pouvoir les libertés nationales.

Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs ; oui, il y aura, je le répète, sacrifice d’une partie des libertés confirmées au peuple par le gouvernement provisoire, lorsque nous aurons organisé la commune ; car aujourd’hui l’action du pouvoir est nulle dans la commune. Alors il sera immense.

Il est donc très important, messieurs, d’abandonner le plus tard possible les libertés communales alors que nous ne possédons en aucune manière les libertés provinciales, alors que l’on semble par des moyens détournés vouloir nous les ravir.

C’est d’ailleurs une grave erreur que d’établir des calculs en vertu desquels les communes ne pourraient être organisées que dès le milieu de la prochaine année. Vous pourrez donner aussitôt en vous séparant à présent à la nation une loi qu’elle attend je ne dirai pas comme d’honorable orateurs, avec impatience, mais plutôt avec un sentiment d’anxiété.

Il ne faut pas croire que les premiers moments de la prochaine législature seront consacrés à l’examen des budgets ; les membres de cette assemblée qui y siègent depuis son origine le savent très bien. L’on n’improvise pas les rapports sur les budgets. Il faut au moins deux mois d’un travail consciencieux dans les sections, pour qu’ils puissent être soumis à l'examen de la chambre. Ainsi, jusqu’à ce que ces rapports soient préparés pour la discussion, nous pourrons nous occuper immédiatement de la loi communale. (Interruption.) J’entends l’honorable M. Lardinois me citer une loi dont nous pourrions nous occuper au commencement de la prochaine session ; je lui ferai remarquer que le rapport n’en a pas été fait et que dans le premier mois de la session l’on ne peut aborder que les projets de lois dont les travaux préparatoires ont été achevés avant la séparation de la chambre.

Vous vous réunirez, en supposant que le ministère ne vous convoque pas plus tôt, le deuxième mardi du mois de novembre. Il suffira de mettre à l’ordre du jour, pour cette époque, la discussion de la loi communale. Pendant ce temps seront confectionnés les rapports sur les budgets et vous éviterez ces absences de 15 jours que vous êtes toujours obligés de faire pendant les mois de novembre et de décembre. Je crois donc que la proposition de M. de Brouckere est très rationnelle et peut être mise à exécution.

L’honorable M. de Theux, pour motiver l’urgence de la loi communale, a rappelé l’exemple de la régence de Liége, tant de foi cité dans cette enceinte. Cet honorable membre a dit que l’urgence de la loi communale était incontestable, puisqu’elle avait été décidée au mois d’avril dernier.

Il est évident qu’à cette époque l’urgence n’avait été réclamée que dans la supposition que la discussion pourrait avoir lieu au mois de juin. Mais aujourd’hui que le mois de juillet touche à sa fin, que la longueur de la session nous ordonne de reprendre, on ne peut s’appuyer de l’urgence d’une loi que nous serons dans l’impossibilité matérielle de voter. On ne peut plus rappeler l’exemple de la régence de Liége à propos de l’urgence. Si le gouvernement a pu attendre une décision huit mois sans qu’il en soit résulté des inconvénients pour le pays, il pourra bien attendre deux ou trois mois encore. Je ne dirai cependant pas que si les circonstances l’ordonnaient, il faudrait mettre en discussion le projet de loi spécial qu’il nous a présenté.

Si la chambre avait à s’en occuper, je déclare d’avance que je le combattrais parce que ce projet est en opposition avec l’émancipation communale qui résulte du fait de la révolution, parce qu’il aurait l’air d’une réaction, d’un retour de l’ancien ordre de choses. S’il y avait nécessité pour le gouvernement d’obtenir une sanction de ses actes par la législature, son action envers la province et la commune pourrait être provisoirement régularisée par un article, un seul article rédigé de la manière suivante :

« Les attributions déférées au pouvoir exécutif par les anciens règlements relativement à la commune et à la province sont maintenues jusqu’à la promulgation de la loi communale. »

Au moyen de cet article de deux lignes, qui ne donnera lieu, je pense, à aucune contestation, vous pouvez donner à la commune tout l’organisation qu’elle désire maintenant et le doute cessera.

Il suit de ce que je viens de dire, messieurs, que vous pouvez très bien ajourner la discussion de la loi communale à la session prochaine. Je demande cet ajournement d’autant plus volontiers que je crains avec M. de Brouckere de ne pouvoir assister à la discussion ; j’ai travaillé sans relâche un mois entier, et il arrive un temps où l’on est obligé de s’arrêter pour pouvoir travailler de nouveau. Moi-même, messieurs, je ne pourrais peut-être être présent que 10 à 12 jours ; voyez si vous pouvez réunir 52 membres pour suivre la discussion de la loi communale.

- Quelques voix. - La clôture ! la clôture !

M. de Brouckere. - Je demande à dire quelques mots sur ma motion d’ordre.

- La clôture est mise aux voix, et deux épreuves sont déclarées douteuses.

M. le président. - Aux termes du règlement, lorsqu’il y a doute, la discussion continue.

M. Nothomb. - Je viens appuyer, messieurs, la proposition faite ou plutôt rappelée par l’honorable M. A. Rodenbach, car ainsi qu’on l’a dit, il y a décision prise à cet égard par l’assemblée.

Nous sommes, messieurs, placés dans l’alternative, comme l’a fait remarquer M. Dumortier de voter le premier titre de la loi communale ou bien la loi interprétative présentée à l’occasion de ce qui s’est passé à Liége. Nous ne pouvons reculer à la fois devant l’un et l’autre de ces tâches.

M. Dubus vous a dit : la commune est organisée et la province ne l’est point : il faut organiser la province avant tout ; là il y a urgence : La commune se trouvant organisée, nous pourrons modifier son organisation, le temps ne manquera pas. Messieurs, je crois que la commune n’est pas organisée, nous ne pouvons qualifier d’organisation les institutions communales qui ont été improvisées non par le congrès, comme l’a supposé M. Dumortier, mais par le gouvernement provisoire dans des circonstances extraordinaires.

Le gouvernement provisoire a trouvé une organisation communale complète, des bourgmestres, des chefs d’administration nommés par le gouvernement déchu. Pour faire disparaître les agents de ce gouvernement, le gouvernement provisoire a fait un appel au peuple ; il a pris le pays en quelque sorte par sa base pour jeter les communes dans le mouvement révolutionnaire. Ces mesures, messieurs, étaient naturelles dans les circonstances extraordinaires où nous nous trouvions, elles étaient excellentes dans un moment donné, mais il n’entrait pas dans la pensée du gouvernement provisoire ni du congrès de perpétuer cet état de choses. Les institutions communales alors n’étaient qu’un essai informe, elles ne pouvaient organiser la commune dans un état normal.

Messieurs, il n’y a pas d’anarchie dans le pays, bien qu’il existe d’autres faits que celui qui s’est produit à Liège ; mais il y a anarchie dans les lois, il y a anarchie dans ces institutions informes qui ont subsisté au-delà des circonstances extraordinaires pour lesquelles elles ont été créées.

S’il n y a pas d’anarchie dans le pays, c’est malgré les lois ; ce sont les mœurs du pays et sa propre sagesse qui ont rendu sans effet les germes d’anarchie qui se trouvent dans les lois.

On nous dit que le pays n’attend pas la loi communale, et qu’il attend la loi provinciale. Messieurs, je crois que le pays attend surtout toutes les mesures qui peuvent organiser l’ordre, si je puis parler ainsi, et donner au gouvernement des moyens d’action. Un sentiment qui existe dans le pays, c’est que le gouvernement est faible ; le pays demande qu’il soit renforcé, et il sait que le gouvernement sera fortifié par la loi communale.

Pour être franc, messieurs, j irai plus loin : l’honorable M. Dubus nous a signalé une espèce de tactique qu’il suppose au gouvernement. Cette tactique, c’est que le gouvernement, lorsqu’il aurait la loi communale, organiserait les communes et ajournerait l’exécution de la loi provinciale. Une pareille politique, messieurs, est impossible. La chambre a entre ses mains les moyens de forcer le gouvernement.

M. d’Huart. - On peut mettre à cet égard une disposition dans la loi communale.

M. Nothomb. - Vous pouvez d’ailleurs mettre dans la loi communale une disposition comme l’indique M. d’Huart, un délai fatal après l’expiration duquel la loi communale étant adoptée, la loi provinciale devra être mise à exécution. Si vous adoptez une pareille mesure, toutes vos craintes sur une prétendue tactique du gouvernement deviennent chimériques.

- Quelques voix. - On ne peut ainsi forcer le gouvernement.

M. Nothomb. - Ce n’est pas le moment de discuter jusqu’à quel point il est légal de forcer le gouvernement à mettre une loi à exécution dans un temps donné, toujours est-il que vous êtes armés de moyens constitutionnels contre le pouvoir exécutif.

Je le dis, messieurs, avec cette conscience de la faiblesse du pouvoir qui existe dans le pays, il faut que le gouvernement soit fortifié par la loi communale, avant que vous le mettiez aux prises avec les institutions provinciales. C’est là, messieurs, en me servant d’un mot qui est peut-être trop fort, une autre tactique, que le pays adopte, qu’il avoue hautement.

On veut, dit-on, porter un coup mortel aux libertés, aux franchises communales. C’est ainsi, messieurs, qu’on fait le procès à la chambre, avant qu’elle ait pris une décision. Non, on ne portera pas un coup mortel aux libertés communales, mais on portera un coup mortel aux principes d’anarchie qui naissent des moyens révolutionnaires dont nous n’avons plus besoin, et que le congrès a répudiés lui-même.

On dit que les modifications aux institutions communales actuelles ont été adoptées par la très grande majorité de la section centrale et qu’elles le seront par la chambre. Depuis quand la très grande majorité de la section centrale et de la chambre ne représente-t-elle plus le pays ? Si une pareille majorité sent qu’il est nécessaire de donner au gouvernement la nomination des chefs de l’administration communale, c’est qu’on a reconnu un vice dans l’organisation actuelle ; il faut que ce vice disparaisse ; c’est là qu’il y a urgence.

Ainsi, je crois qu’il y a nécessité de nous occuper soit de la loi interprétative sur les attributions des régences, soit du titre premier de la loi communale ; je pense aussi qu’il convient peut-être de limiter à l’avance notre tâche.

A l’époque où nous sommes, nous sentons qu’il ne nous reste plus que le temps de discuter les articles de la loi communale relative au personnel. Le but ainsi posé, chacun de nous, quelle que soit l’époque où nous sommes arrivés se sentira le courage et la patience nécessaire pour continuer à siéger. Je dis cela, messieurs, à dessein, puisque l’honorable M. Dumortier a posé la question de telle manière qu’il en fait une question de force physique ; d’après lui la chambre doit se demander si elle est fatiguée, si elle s’avoue dans l’impuissance de remplir ses devoirs. Voilà la question posée par M. Dumortier. (M. Dumortier demande la parole.)

Je crois, messieurs, qu’il est de notre dignité de répondre négativement.

Que la chambre soit fatiguée ou non, elle a des devoirs impérieux à remplir envers le pays, et ces devoirs doivent être remplis dans un bref délai.

La loi interprétative du pouvoir municipal, quoiqu’en puissent penser certains membres, soulève, aux yeux de ceux qui l’ont examinée avec soin, des questions tellement graves qu’il nous faudrait plus de temps pour la discuter que pour discuter le titre premier de la loi communale. En effet, la question de la nomination des chefs d’administration est la seule question importante du titre premier de la loi communale. La loi interprétative a rapport à des questions constitutionnelles de la plus haute gravité.

On dit qu’il suffit d’un article de deux lignes au sujet de cette loi. Messieurs, on vous contestera le droit de faire ces deux lignes. On vous demandera si vous n’allez pas donner une extension extraconstitutionnelle à l’article 134 de la constitution.

On nous contestera à nous, législature ordinaire, le pouvoir d’interpréter l’article 134 de la constitution. Vous voyez, messieurs, que cette loi soulève, outre la question de rétroactivité, une grave question de compétence législative.

Si nous sommes fatigués, comme on le prétend, il nous faut ramasser ce qu’il vous reste de courage pour faire sortir le pays d’une situation qui ne doit point se perpétuer. Je ne puis donc adopter l’ajournement de la discussion sur la loi communale.

M. Jullien. - Je viens appuyer la proposition de mon honorable collègue et ami M. de Brouckere. Il n’est personne qui ne soit convaincu du relâchement de nos travaux législatifs et de la lassitude de la plupart des membres de la chambre. C’est l’effet nécessaire d’une session de près de neuf mois. C’est comme on l’a dit à la prolongation de la session que nous devons attribuer la démission d’un des membres les plus distingués de cette chambre et dont, quant à moi, je regrette infiniment l’absence.

On a dit que l’intérêt particulier devait toujours céder à l’intérêt général. Mais il me semble que dans une circonstance pareille, quand on a consacré neuf mois consécutifs aux services publics, on peut bien réclamer aussi quelque peu de temps pour s’occuper de ses intérêts privés. Il est différents membres qui pour siéger ici sacrifient leur affaires et par conséquent leurs intérêts. On ne peut pas exiger trop d’un citoyen, tout le monde n’a pas l’avantage d’avoir deux ou trois places au budget, ou de faire sa profession de membre de cette chambre, Pour ceux-là il peut être très facile de continuer à siéger dans cette enceinte. Mais il faut envisager la position de tous et de chacun des membres de cette chambre.

Voilà ce que j’avais à dire relativement à l’intérêt privé.

Quant à l’intérêt général, il souffre également de la trop grande prolongation des sessions. Vous savez que beaucoup de fonctionnaires de l’ordre administratif et judiciaire, plusieurs membres d’un même siège, font partie de cette chambre. Je vous demande si, lorsque deux membres d’un tribunal sont ici pendant 7, 8 et 9 mois, les affaires des tribunaux où ils siègent ou qu’ils sont chargés de présider peuvent marcher. Vous avez dans cette enceinte des gouverneurs de province, des commissaires de district. Comment doivent aller les affaires administratives, quand ces citoyens aux lumières desquelles je me plais à rendre hommage en privent l’administration de leur province ou de leur arrondissement pendant neuf mois consécutifs ?

Vous voyez donc que sous le rapport de l’intérêt public comme de l’intérêt privé la motion de mon honorable ami M. de Brouckere doit être prise en considération.

J’ai été l’un des plus zélés partisans de la prompte discussion de la loi communale. Mais j’avoue que sous ce rapport mon zèle s’est un peu ralenti. Je n’ai pas vu qu’on ait répondu d’une manière satisfaisante à ce qu’a dit l’honorable M. Dubus, qu’on ne devait pas être si pressé de courir après une loi qui menaçait d’enlever au peuple les libertés communales dont il jouit d’après les lois existantes.

Si on en croit ce qui a été dit, on voudrait dans une autre chambre admettre le principe de la dissolution des conseils provinciaux. Je lâche le mot, que je me trompe ou non. Au reste, ce que je dis n’est que conjectural. Mais on dit que dans l’autre chambre on n’adopterait la loi provinciale qu’avec le principe de dissolution, principe qui n’a pas été adopté par nous, et qui a même été rejeté par une immense majorité, et qu’on ne veut pas soulever cette question avant le vote de la loi communale.

Si c’était là l’intention de cette auguste assemblée, nous verrions ce que nous aurions à faire, car on ne doit pas nous faire la loi. Dire nous ne voterons pas telle loi avant que telle autre ait été adoptée, c’est se rendre maître de l’ordre de nos délibérations, de notre travail, c’est ce que la chambre ne voudrait pas souffrir.

Je crois qu’il est très important pour chacun de nous et pour le pays de connaître à l’occasion de la loi provinciale quelle sera la décision du sénat sur le principe de la dissolution. Si le sénat admet ce principe et que vous l’écartiez de la loi communale, il ne manquera pas de le reproduire. Eh bien, sans anticiper sur une discussion à laquelle peu de personnes prendraient part, parce que la majorité serait décidée à rejeter le principe, permettez-moi de faire une observation. Si vous accordez au gouvernement le droit de dissoudre les conseils provinciaux et ensuite par voie de conséquence de dissoudre les conseils communaux, que pourra-t-il en résulter ?

Eh bien, supposez un gouvernement qui viserait à l’absolutisme : il pourrait dissoudre en même temps la chambre, les conseils provinciaux, les conseils communaux, et il ne resterait pas une autorité debout, pour réclamer l’observation de la constitution, le renouvellement de la chambre et des conseils provinciaux et communaux. Il n’y aurait à lui opposer que la rébellion. C’est une réflexion que je fais en passant, lorsque le principe reparaîtra dans la loi communale, je m’en expliquerai.

Messieurs, je crois aussi comme les honorables préopinants, que si on s’obstine à vouloir discuter actuellement la loi communale, cette loi se ressentira de la lassitude de la chambre. Chacun s’absentant et revenant tout à tour, cette loi ne pourra pas être envisagée et discutée dans son ensemble, car quel ensemble peut-il y avoir dans une discussion à laquelle chacun vient prendre part de semaine et semaine et vote tel chapitre ou tel article ?

Sous le rapport du travail encore, je pense qu’on ferait très bien de renvoyez la discussion à la session prochaine. Nous pourrions-nous en occuper dès les premiers jours de la session ? Les budgets, à l’ouverture de la session, sont renvoyés en section et pendant que les sections les examinent, la chambre ne siège pas ordinairement. Nous utiliserions les moments de la chambre, en discutant la loi communale, aussitôt que la session nouvelle s’ouvrira.

On a mis en avant, comme motif d’urgence, l’affaire de Liége. Mais à cet égard, vous ne gagnerez rien en discutant actuellement la loi communale.

Le sénat a annoncé d’une manière précise, qu’il ne s’occuperait de la loi provinciale que quand la loi communale lui aurait été remise. Or, ce ne sera qu’à l’ouverture de la session prochaine qu’il pourra s’en occuper. D’ici à ce temps, je ne sais pas ce que vous pourriez gagner pour l’affaire de Liége à la discussion qu’on réclame. Au surplus, rien ne doit vous inquiéter, tout est remis à sa place, aucun principe anarchique ne domine. Vous pourriez au besoin adopter la proposition de M. Dumortier à cet égard.

J’ai entendu l’honorable M. Nothomb proposer un moyen de faire cesser les craintes des honorables membres qui ont supposé au gouvernement l’intention de suspendre l’organisation provinciale, quand il serait en possession de la loi communale. Ce moyen serait d’insérer dans cette loi une disposition qui forcerait le gouvernement à exécuter la loi provinciale. Mais ce serait là une chose tout à fait insolite. On n’a jamais vu que, dans une loi étrangère à une autre loi, on posât comme condition le principe de cette autre loi. Vous auriez beau poser ce principe ; s’il pouvait être obligatoire, il détruirait la prérogative royale, d’après laquelle le gouvernement peut toujours opposer son veto. Vous voyez que ce moyen ne vous conduirait à aucun résultat.

Je crois qu’on peut sans inconvénient remettre la discussion de la loi communale à la prochaine session.

Je pense aussi qu’il y a certaines lois dont nous devons nous occuper quant à présent ; par exemple, la loi relative à l’augmentation du personnel des cours, et une ou deux autres lois qui ont été indiquées par mon honorable collègue et ami M. de Brouckere, et celles enfin dont les ministres, en rompant le silence qu’ils gardent dans cette discussion, nous feraient sentir la nécessité. Mais je déclare que si la discussion s’ouvre sur la loi communale, il n’y aura pas moyen de la finir.

La plus grande partie des membres, soit à cause de leurs affaires, soit à cause de leurs fonctions, ne pourront pas y assister.

Je voterai pour la proposition de M. de Brouckere, sauf à régulariser les travaux de la chambre, comme cela a été proposé par plusieurs membres.

M. de Brouckere. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. Helias d’Huddeghem. - Je m’oppose à la clôture afin que l’auteur de la proposition puisse répondre à ceux qui ont combattu sa motion.

M. de Brouckere. - Je ne demande à la chambre que deux ou trois minutes d’attention.

M. Devaux. - J’ai demandé la parole avant M. de Brouckere.

- La clôture est mise aux voix.

Deux épreuves ont été déclarées douteuses, la discussion continue.

M. Dumortier. - J’ai demandé la parole pour répondre quelques mots aux paroles prononcées par un membre de cette assemblée qui est en même temps secrétaire-général des affaires étrangères.

M. Nothomb. - Il n’y a ici que des représentants ; il n’y a pas de secrétaire-général des affaires étrangères.

M. Dumortier. - J’ai dit que vous étiez député et en même temps secrétaire-général. Au surplus ce que j’ai dit, je ne le rétracte pas.

L’orateur auquel j’ai fait allusion a trouvé mauvais que je misse en avant la lassitude de la chambre. Puis il a demandé : La chambre s’avoue-t-elle fatiguée ? se déclare-t-elle impuissante ?

Je trouve commode que des membres qui ne prennent aucune part aux travaux préparatoires des sessions, qui n’ont jamais mis le pied dans les sections ou fait un seul rapport sur quoi que ce soit, qui siègent agréablement pendant une heure ou deux de la séance, viennent jeter à la figure de l’assemblée le défi de déclarer qu’elle est fatiguée, qu’elle est impuissante, alors qu’il est question pour elle de se donner des vacances qu’obtient chaque année le dernier écolier.

Moi, pour ma part, je déclare que je suis fatigué, parce que j’ai beaucoup travaillé. Beaucoup de membres qui, ainsi que moi, ont pris une part assidue aux travaux de la session, peuvent dire comme moi, sans honte, qu’ils sont fatigués, qu’ils sont très fatigués ; et quand ils retourneront auprès de leurs commettants, ceux-ci ne leur en sauront pas mauvais gré, parce qu’ils récapituleront différents travaux auxquels ils se sont livrés dans l’intérêt du pays.

Au reste, messieurs, vous avez un moyen extrêmement simple d’arrêter la discussion de la loi communale. Notre honorable M. de Brouckere vous a cité plusieurs lois dont l’urgence réclame une prompte discussion. Cette discussion pourra durer 15 jours à trois semaines. Le 1er du mois prochain arrivera ; alors vous vous ajournerez jusqu’au 1er d’octobre, et immédiatement après votre réunion vous continuerez l’examen de la loi communale, examen qui vous conduira jusqu’à la présentation des rapports des budgets.

On a parlé beaucoup de l’urgence de la loi communale, et l’honorable membre que je réfute en ce moment, en répondant à l’assertion, émise par moi, qu’il était possible au besoin de déterminer en trois lignes l’intervention du gouvernement dans les affaires d’intérêt commun, a prétendu que la discussion d’un pareil projet nous entraînerait peut-être plus loin que la discussion de la loi communale même. Sans doute, si l’on vient vous demander de donner à la loi un effet rétroactif, il y aura des discussions de la dernière importance. Mais le gouvernement n’a pas besoin d’une pareille disposition ; il faut seulement que la législature assure au pouvoir exécutif les attributions dont jouissait le gouvernement du roi des Pays-Bas. Si c’est ainsi que l’on entend le projet, si l’on évite la rétroactivité, il ne s’élèvera pas la moindre discussion dans cette enceinte.

Le préopinant a dit que le projet serait inconstitutionnel. C’est là une assertion bien commode, mais la preuve on n’a pas cru devoir nous la donner.

Il est certaines personnes qui avancent souvent des opinions aussi hasardées que celles-ci, et qui négligent de les appuyer de motifs admissibles. Il suffit de jeter les yeux sur l’article 108 de la constitution, pour voir que par une loi vous pouvez régler l’intervention royale pour empêcher que les conseils communaux ne sortent de leurs attributions. Au moyen d’une loi de deux lignes, vous rendrez au pouvoir exécutif toute la plénitude des lois précédentes. Ce qu’il faut seulement se garder d’y insérer, c’est le pouvoir de rétroactivité.

Adoptons donc la proposition de M. de Brouckere. Votons d’abord les projets de lois dont l’urgence ne peut être contestée. Alors force nous sera de nous séparer, si vous ne le décidez maintenant ; car au, mois d’août, après 10 mois de session, il restera à peine 25 personnes pour garnir les bancs de cette chambre.

Quant à la proposition que l’on a faite de voter d’abord la première partie de la loi communale et d’en opérer ainsi la division, je ne puis la laisser passer sous silence. Ne vous y trompez pas, messieurs, c’est là le véritable moyen d’étouffer complètement toutes nos libertés communales.

Il y a entre le personnel des administrations locales et leurs attributions une corrélation si intime qu’il est impossible de ne pas discuter en même temps les deux titres qui y sont relatifs. Car si d’un côté vous accordez une part plus grande au pouvoir royal dans la nomination du personnel, il est évident que vous serez disposés à étendre les attributions de ce personnel. Si au contraire vous restreignez l’action du gouvernement sur les personnes, il faudra que vous étendiez son intervention dans les actes communaux pour rétablir la balance.

Maintenant, si vous divisez la loi, vous courez le risque de faire d’abord le sacrifice des libertés communales et de donner au gouvernement un pouvoir monstrueux sur les attributions ; ou bien de n’avoir jamais de loi communale complète. C’est précisément ce qui est arrivé en France. Après avoir donne un pouvoir formel au gouvernement dans la nomination du personnel des administrations communales, la chambre des députés a reculé devant la portée de l’action que le ministère demandait sur les actes. Aussi n’y a-t-il pas encore en France de loi sur les attributions. Si vous suivez la même marche, si vous scindez le projet, vous vous exposerez à lui faire éprouver le même sort.

Puisque l’on a cité l’exemple de la ville de Liége, je rappellerai que ce sont les questions d’attributions qui ont donné lieu à des discussions entre l’autorité communale et le gouvernement. Cela est tellement vrai que le ministère n’est venu vous demander de voter qu’une loi d’attributions.

Votez la première partie de la loi communale, et vous vous trouverez encore dans la même position. Il est impossible que telle soit l’intention de la majorité de l’assemblée, à moins qu’elle n’ait en vue le sacrifice des libertés communales.

Quant à ce que l’on a dit en avançant que l’organisation actuelle des communes n’est qu’une ébauche informe, c’est là un de ces sophismes que l’on vient débiter trop souvent dans cette assemblée et qui sont très familiers au préopinant. L’organisation forte donnée aux communes par le gouvernement provisoire ne peut paraître informe qu’à ceux qui prêchent des principes d’absolutisme. Est-ce parce que le peuple nomme ses principaux magistrats, que nos institutions communales ne seraient qu’une grossière ébauche ? Dites donc alors que la commune en Angleterre a toujours été dans un état informe, puisque dans ce pays le Roi ne nomme aucun magistrat municipal, et que le lord-maire de Londres lui-même est institué par élection populaire.

- Une voix. - C’est la loi communale que vous discutez.

M. Dumortier. - L’orateur qui m’a précédé est bien entré dans le fond de la discussion. Il fallait aussi l’interrompre.

D’ailleurs la question de division a déjà été résolue négativement. Je me résume et je déclare voter la proposition de M. de Brouckere.

M. Nothomb. - Je n’ai qu’un mot à dire.

L’honorable préopinant m’a accusé d’avoir jeté une injure à la figure de l’assemblée ; pour me servir d’une expression très pittoresque que je lui emprunte volontiers, parce qu’indépendamment de la qualité de député, il est revêtu de cette d’académicien (hilarité) ; ce n’est pas moi, messieurs, qui ait posé la question avec la crudité qu’il m’a reprochée. Au contraire j’ai accepté la question dans les termes du préopinant lui-même et je vous prie de vous rappeler que je ne l’ai fait qu’en avouant que j’y trouvais quelque chose de peu convenable.

Quant à ce qui me concerne je m’abstiendrai de répondre aux insinuations de M. Dumortier. Je remplis mes devoirs de député comme je l’entends, je tâche de concilier les obligations du mandat que j’ai accepté avec les travaux qui me sont imposés en dehors de la chambre. Je fais ce que je crois devoir faire et pour relever les dernières paroles de M. Dumortier, je crois pour ma part qu’il peut y avoir deux sortes de personne qui entravent les travaux de la chambre, ce sont celles qui ne font rien et celles qui veulent trop faire. (Hilarité.)

M. Dumortier, rapporteur. - Je dois quelques mots de réponse à ce que vient de dire le préopinant, et je vais régler mes comptes avec lui.

Je disais d’abord qu’il est infiniment commode de dénaturer la pensée de ses adversaires pour la faire tourner contre eux. Nous savons qu’il est des députés à qui ce système n’est que trop familier. L’orateur auquel je réponds est venu prétendre que j’aurais adjuré la chambre de déclarer qu’elle est obsédée de fatigue. J’en appelle aux souvenirs de mes honorables collègues : Est-ce ainsi que j’ai parlé lorsque j’ai rappelé à la chambre la longueur de la session actuelle ? Si quelqu’un est venu demander à la chambre de déclarer qu’elle est obsédée de fatigue, c’est vous. Je vous défie de me prouver que je commets une erreur en avançant ce fait. Je vous en porte le défi formel.

Quant à la dernière observation du préopinant qui a dit que deux sortes de personnes peuvent entraver la marche de la législature, celles qui ne font rien et celles qui font trop, je repousse, messieurs, je renvoie à son auteur une assertion que je ne qualifierai pas, si tant est qu’elle me soit adressée. Je ne viens pas comme le préopinant parader un moment sur les bancs de cette assemblée. Je travaille dans les sections. J’assiste assidûment à nos laborieuses séances : je voudrais, dans de notre pays, que tout le monde en fît autant. (Bruit.) Ne m’interrompez pas ; j’ai le droit de m’exprimer ainsi.

Si le préopinant a parlé de personnes qui ne travaillent pas assez, ce n’est certes, pas moi qu’il a désigné. Mais si le reproche qu’il adresse à ceux qui travaillent trop pouvait m’être appliqué, au lieu d’avoir recours à des insinuations, qu’il aborde franchement la question et qu’il déclare hautement en quelles occasions j’ai voulu imposer mes opinions et mon travail à mes honorables collègues.

En finissant, je suis charmé que le préopinant m’ait fourni cette occasion de démentir une assertion calomnieuse d’un journal avec lequel il a les plus grands rapports. Ce journal, dans lequel on injurie chaque jour les députés de l’opposition, a dit que j’avais prétendu exercer les fonctions de rapporteur de la loi communale ; que pour les obtenir j’avais fait violence aux membres de la section centrale. C’est ce que le préopinant a donné à entendre. J’en appelle à mes honorables collègues de la section centrale, y a-t-il là-dedans un mot de vrai ?

M. le président. - C’est un mensonge. (Remarque du webmaster : cette réplique du président est à l’origine d’un incident animé entre les députés Nothomb et Dumortier au cours des deux séances suivantes. A cette occasion, un erratum a été introduit dans le Moniteur belge du 24 juillet 1834, ainsi conçu : « M. le président de la chambre des représentants nous adresse, avec demande d’insertion, l’erratum suivant à la séance d’hier. Dans le compte rendu de la séance de la chambre des représentants, du 22 juillet 1834, il s’est glissé une erreur. Il y est dit, premier supplément, deuxième page, deuxième colonne, seizième ligne : « M. le président : C’est un mensonge. » M. le président n’a pas prononcé ces paroles. Il ne s’est pas même adressé à l’assemblée. A l’endroit où se trouvent ces mots il a fait un mouvement, et il a parlé à l’un des secrétaires, en lui disant : « Cela n’est pas. » »)

M. Dumortier, rapporteur. - Y a-t-il rien qui puisse justifier cette assertion du préopinant ? Non, messieurs, j’ai été chargé de ce pénible fardeau sans en avoir jamais exprimé le désir. Voilà les faits, quant au reste, j’en donne au préopinant le démenti le plus formel. Sans doute, je suis fier de remplir les fonctions de rapporteur, mais je ne les ai pas recherchées. Si j’avais eu cette pensée, j’aurais fait comme plus d’un membre ne s’en fait pas scrupule, je me serais donné ma voix ; c’est ce que je n’ai pas fait.

Je termine en protestant de nouveau contre cette assertion d’un journal, à la rédaction duquel le préopinant je le répète n’est pas étranger. Je déclare que cette assertion est un mensonge.

M. Nothomb. - Je vous ai rendu et vous rendrai toujours personnalités pour personnalités, injures pour injures, en vous laissant toutefois le mérite d’être provocateur. (Remarque du webmaster : cette réplique est à l’origine d’un autre incident animé entre les députés Nothomb et Dumortier au cours d’une des deux séances suivantes).

M. de Brouckere. - Ce n’est pas ma faute si on a porté la question sur un autre terrain que celui où je l’avais placée. Je ne me suis pas occupé de la question d’urgence de la loi communale ou d’une partie de cette loi ; je n’ai pas soulevé cette question. Ma notion d’ordre devait être l’affaire d’un quart d’heure ; je regrette qu’elle ait été l’occasion de débats qui se sont prolongés pendant deux heures et demie. Le seul but de ma proposition était que la chambre réglât ses travaux de manière à voter les lois urgentes avant la loi. Je ne reviendrai pas sur les motifs de cette proposition, je crois les avoir suffisamment indiqués.

M. H. Dellafaille - L’ordre du jour a été réglé à la suite d’une précédente délibération de la chambre ; elle a décidé que la loi communale serait mise à l’ordre du jour. Pour qu’il soit dérogé à cette décision, il faut une proposition spéciale.

M. de Brouckere. - Cette proposition spéciale, je la fais.

M. d’Huart. - En réalité toute la question en discussion est celle de savoir si la loi communale sera votée à cette session ou à la session prochaine.

- Plusieurs membres. - Cela est évident.

M. de Brouckere. - Il résulte de ce que vient de dire l’honorable préopinant que j’aurais changé ma proposition ; elle tend selon lui à faire renvoyer à la prochaine session la discussion de la loi communale. Messieurs, je me suis borné à demander que la chambre discutât immédiatement les lois absolument urgentes. Si après cela, ai-je dit, vous vous trouvez encore au nombre de 52 qui veuillez continuer de tenir séance, vous voterez la loi communale ; mais je vous prédis que vous ne serez pas en nombre. Voilà ce que j’ai dit ; mais je n’ai pas demandé l’ajournement de la loi communale à la session prochaine.

M. d’Huart. - C’est la même chose.

M. de Brouckere. - Maintenant, si l’ajournement de la discussion de la loi communale à la prochaine session n’est pas le but de ma proposition, qu’il en soit la conséquence, je ne le nie pas.

Mais savez-vous ce qui arrivera ? c’est que de toute manière vous ne voterez pas cette loi, parce que vous ne serez pas assez longtemps en nombre suffisant. Seulement, si vous rejetez ma proposition, il arrivera que vous ne voterez ni la loi communale ni les lois d’urgence, c’est-à-dire les lois de crédit, et la loi relative au personnel des cours. Pour moi, quelle que soit votre décision sur l’ordre du jour, dans 10 ou 15 jours, je crois qu’il ne me sera plus possible de prendre part à vos délibérations.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la motion d’ordre de M. de Brouckere tendant à ce que la chambre règle l’ordre de ses travaux de manière à voter les lois d’urgence avant la loi communale.

- Plusieurs membres. - L’appel nominal.

- La chambre procède à l’appel nominal sur la motion d’ordre de M. de Brouckere ; en voici le résultat :

65 membres sont présents.

1 membre s’abstient.

64 ont pris part au vote.

24 ont voté pour l’adoption.

40 ont voté contre.

La chambre n’adopte pas.

Ont voté pour l’adoption :

MM. Bekaert, Boucqueau de Villeraie, Cols, de Brouckere, W. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, Desmanet de Biesme., de Terbecq, d’Hane, Doignon, Donny, Dubois, Dubus, Dumont, Dumortier, Fallon, Jadot, Jullien, Pirson, Smits, Ullens, C. Vilain XIIII, L. Vuylsteke.

Ont voté contre :

MM. Berger, Brixhe, Davignon, de Behr, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Nef, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Stembier, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Hoffschmidt, d’Huart, Eloy de Burdinne, Ernst. Fleussu, Hye-Hoys, Lardinois, Lebeau, Liedts, Milcamps, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, A. Rodenbach, Rogier, Simons, Vanderbelen, Vanderheyden, Watlet, Zoude.

M. Helias d’Huddeghem. - Je me suis abstenu, parce que d’une part je n’ai pas voulu voter l’ajournement de la loi communale dont je désire la prompte discussion, parce que d’autre part je n’ai pas cru pouvoir voter contre la motion, c’est-à-dire pour que la loi communale soit discutée dans cette session même, parce que, quel que soit à cet égard mon désir, je suis persuadé que bientôt nous ne nous trouverons plus en nombre et nous serons obligés de nous séparer.


M. le président. - J’ai maintenant à mettre aux voix une proposition qui a été déposée par M. Nothomb ; elle est ainsi conçue :

« J’ai l’honneur de proposer que la chambre discute le titre premier de la loi communale et en fasse une loi spéciale. »

M. Nothomb. - Ma motion d’ordre n’avait de l’importance que dans le cas où elle aurait obtenu la priorité. Maintenant que la chambre a décidé que la loi communale était mise à l’ordre du jour, je pourrai reproduire ma proposition lorsque nous serons plus avancés dans la discussion de la loi ; ainsi je la retire.

M. Dumortier, rapporteur. - Eh bien, moi, je la fais mienne et ne la retire pas. (On rit.)

- Un membre. - Vous ne le pouvez pas.

M. Dumortier, rapporteur. - Le règlement est positif. Lorsqu’une proposition est déposée par un membre, il peut la retirer ; mais un autre peut la faire sienne et en demander la discussion immédiate. Ce n’est pas à dire, parce qu’il la fait sienne, qu’il en veuille l’adoption ; il peut la faire sienne pour demander qu’elle soit mise en délibération et pour la combattre. Une proposition peut être dangereuse ; et néanmoins, si elle n’était pas écartée immédiatement, elle pourrait être adoptée dans un autre moment. Je demande donc qu’on vote sur la proposition de M. Nothomb ; et j’espère que la chambre saura la rejeter. Je craindrais que dans un autre moment, par un laisser-aller, suite de la fatigue, la chambre n’adoptât cette proposition.

Voilà pourquoi, messieurs, je fais mienne la proposition de M. Nothomb, et comment d’un autre côté je la combats.

Maintenant je demande que la chambre délibère, et je crois qu’elle écartera la proposition par les motifs que j’ai exposés. Si la chambre faisait la maladresse d’adopter la proposition de M. Nothomb, elle scinderait la loi communale, elle s’exposerait à n’avoir jamais les attributions communales ; elle sacrifierait d’abord le personnel au gouvernement et ensuite les attributions.

Je demande que la chambre vote sur la proposition et qu’elle l’écarte.

M. de Theux. - Je demande l’ajournement de la proposition. Je ferai remarquer qu’il est assez singulier de faire une proposition sienne et de la combattre en même temps.

M. Dumortier, rapporteur. - J’ai expliqué comment.

M. de Theux. - Dans mon opinion, il faut ajourner la proposition, parce que la chambre n’est pas à même de statuer dans ce moment ; la chambre statuera en pleine connaissance de cause, lorsque la discussion sera arrivée à la fin du titre premier de la loi. (Appuyé ! appuyé !)

- L’ajournement est mis aux voix et adopté.


M. Liedts. - Je demande à dire quelques mots au sujet du congé qui a été demandé par M. Legrelle. (Parlez ! parlez !)

M. Legrelle, messieurs, a demandé un congé, parce que l’échevin qui le remplace dans ses fonctions de bourgmestre est malade, et l’honorable membre a à s’occuper de travaux relatifs à une ville très importante et espère être revenu dans quelques jours.

M. Legrelle est l’un des membres les plus zélés de cette assemblée, et je ferai remarquer qu’il n’a pu avoir assez de connaissance de la décision que vous avez prise hier ; s’il avait demandé un congé il y a deux jours, nul doute qu’il ne l’eût obtenu.

Je pense qu’il y a lieu d’accorder le congé demandé par l’honorable M. Legrelle. (Oui ! oui !)

M. Desmanet de Biesme. - Je pense que nous pouvons accorder le congé demandé par M. Legrelle, et à cette occasion je ferai remarquer dans quelle position se trouvent les membres qui demandent un congé.

Nous avons, messieurs, des membres qui ne siègent presque jamais. Il y en a qui n’ont peut-être pas siégé 30 fois ; ceux-là se passent très bien de congé, et il n’y a aucun moyen de les faire revenir.

La chambre a décidé qu’elle reprendrait le cours de la discussion, si on refusait d’accorder le congé demandé par un membre, il arriverait qu’il donnerait sa démission.

- Le congé demandé par M. Legrelle est accordé.

Proposition de loi visant à fixer le début de l'année budgétaire au premier juillet

Motion d'ordre

M. Dubus. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Messieurs, lorsque M. Milcamps a déposé le rapport sur la proposition de M. Verdussen tendante à changer l’époque financière à dater du 1er janvier 1835, la chambre se rappelle qu’elle a décidé qu’elle attendrait que le rapport fût distribué pour fixer le jour de la discussion. Ce rapport est distribué depuis deux jours. La section centrale, messieurs, propose l’ajournement de la proposition ; si la chambre voulait adopter cet ajournement, il y a nécessité de discuter sur la proposition le plus tôt possible ; dans le cas où l’ajournement ne serait pas appuyé et où la chambre voudrait discuter le fonds, il y a plus grande urgence encore de s’occuper de la proposition. J’apprends que M. Verdussen est obligé de s’absenter deux ou trois jours ; l’honorable membre sera de retour samedi. Je demande qu’on fixe ce jour pour s’occuper de sa proposition.

M. d’Huart. - Il vaut mieux attendre que M. Verdussen soit revenu et présent dans l’assemblée pour fixer la discussion de sa proposition. (Appuyé.)

- La proposition de M. d’Huart est adoptée.

Projet de loi communale

Discussion des articles

Titre I. Du corps communal

Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section I. De la composition du corps communal
Article 7

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’art. 7.

« Art. 7 (du gouvernement). Le Roi nomme et révoque les bourgmestres ; il les choisit dans le conseil ou en dehors ; dans ce dernier cas, ils n’ont que voix consultative au conseil. »

La section centrale a présenté la rédaction suivante :

« Le Roi nomme le bourgmestre ; il le choisit dans le sein du conseil. »

M. de Robaulx, sur le même article, a présenté un amendement conçu en ces termes ;

« Les bourgmestres, les échevins et les conseillers sont élus directement par l’assemblée des électeurs. »

M. le ministre de l’intérieur ne se ralliant pas à la proposition de la section centrale, cette proposition est considérée comme un amendement.

M. A. Rodenbach. - Je ne puis pas accorder au pouvoir exécutif ce droit de choisir les bourgmestres en dehors du conseil communal ; accorder un droit aussi exorbitant serait outrepasser la juste mesure constitutionnelle et froisser le principal libéral de notre pacte fondamental. Le gouvernement de Napoléon, si avide de pouvoir, n’en demandait pas davantage lors de l’organisation municipale ; je ne pense pas que sous un régime aussi constitutionnel que le nôtre, de pareilles dispositions puissent être sanctionnées.

Si, par exemple, un ministre ou un gouverneur s’avisait de vouloir imposer à une commune un bourgmestre de sa façon, il n’aurait qu’à expédier un commis de ses bureaux, porteur d’un arrêté royal ; la commune devrait bien le tolérer. L’exemple que je cite est peut-être outré, mais je ne l’avance que pour mieux démontrer le principe illibéral de l’article 7.

L’on peut m’objecter que dans les Etats constitutionnels les monarques ne sont pas tenus de choisir leurs ministres dans la chambre ; à cela je répondrai que les rois ont grand soin de toujours choisir leur ministres dans le sein de la chambre ; car, pour bien gouverner, il faut avoir la majorité ; pour bien administrer une commune, il faut également que le bourgmestre ait une majorité dans le conseil, sinon tout va mal.

Je le répète, accorder le droit de nommer un bourgmestre hors du conseil et hors de la commune est un droit excessif auquel je ne puis pas souscrire.

Il est rationnel et je dirai même constitutionnel que le principal agent d’une commune participe au principe de l’élection populaire. Si un citoyen ne jouit pas d’assez de considération dans sa commune pour se faire élire membre du conseil, c’est que les électeurs, les notabilités ne se soucient pas de l’avoir pour bourgmestre : bref, lorsqu’une personne n’a pas la majorité des électeurs, il ne convient pas de la placer à la tête de l’administration. Je l’ai déjà dit, messieurs, et on ne peut assez le redire, quand on ne sait pas capter les suffrages et qu’on n’a pas la confiance publique, il est très difficile d’administrer une commune et d’y faire du bien ; car les hommes sont ainsi faits qu’ils ne veulent même pas le bien contre leur gré.

Ce sont ces divers motifs, messieurs, qui me déterminent à voter contre l’article ministériel. Mais je donnerai mon assentiment à l’amendement de la section centrale qui accorde au Roi le droit de choisir le bourgmestre dans le sein du conseil.

M. Milcamps. - La proposition du gouvernement tend à conférer au pouvoir exécutif la nomination du bourgmestre avec faculté de le choisir dans le conseil ou en dehors. Cette proposition est dans les termes de l’article 108 de la constitution qui, en posant le principe de l’élection directe à l’égard de ceux qui sont chargés de tout ce qui est d’intérêt communal, permet de faire exception pour le chef.

Quelle fut la pensée du congrès en autorisant cette exception ? Sans doute de laisser à la législature l’appréciation s’il convenait d’introduire une exception à l’égard du chef que le congrès prévoyait pouvoir être tout à la fois l’agent du gouvernement et l’agent du conseil communal.

Ainsi c’est par la nature des fonctions confiées au chef qu’il faut décider s’il doit être soumis à l’élection directe.

Si ses fonctions étaient circonscrites dans un cercle purement local, il serait naturel de le soumettre à l’élection directe. Si ses fonctions ne sont pas étrangères à l’administration générale du gouvernement de l’Etat, il ne paraît pas devoir être soumis à l’élection. Il faut que le gouvernement puisse compter sur son empressement à justifier sa confiance, sur son dévouement à l’intérêt général.

Dans le système du projet de loi, les fonctions du chef ne sont pas circonscrites dans un cercle purement local ; ce fonctionnaire est chargé de l’exécution générale des lois.

A mes yeux, le chef (bourgmestre, car telle est sa qualité qu’on lui donne) a une bien plus grande importance comme agent du gouvernement et officier de police judiciaire que comme agent du conseil.

Relativement au gouvernement, il est investi d’une portion de la puissance exécutive, agissant seul d’après l’article 101 du projet pour tout ce qui a rapport à la publication et à l’exécution des lois et règlements d’administration générale étrangers aux intérêts communaux ; et, comme officier de police judiciaire, il exerce d’après le code d’instruction criminelle des fonctions d’un autre ordre et est chargé de remplir celle de ministère public près le tribunal de police, sauf à se faire remplacer par l’adjoint. (Article 144 de ce code.)

Relativement à la commune, placé à la tête d’une administration collective journalière, il est chargé de convoquer les assemblées, d’en exposer les motifs, d’en diriger les opérations mais là finit son influence ; son avis ne pèse pas plus que celui des autres dans la balance des opinions. Alors que le bourgmestre, dans tout ce qui est d’intérêt communal, ne peut agir seul, alors qu’il ne peut agir que de concert avec des échevins présentés par le conseil, je ne vois guère ce que les franchises communales peuvent avoir à souffrir de la nomination du bourgmestre en dehors du conseil.

Et bien, messieurs, que ces puissantes raisons et des raisons d’intérêt général militassent pour ne pas gêner l’action du gouvernement dans le choix du chef de la commune, la majorité de votre section centrale, par la considération que ce fonctionnaire est investi d’une partie de la puissance exécutive et fait en même temps partie du collège chargé de l’administration journalière et de l’exécution des délibérations du conseil, a cru devoir circonscrire le choix du Roi dans le sein du conseil.

Certes on ne dira pas que la section centrale empiète sur les franchises communales, puisque le congrès qui, personne n’en doute, était ami des libertés publiques, s’il faisait de l’élection directe des conseillers la règle générale, il autorisait une exception pour le chef ; il pensait donc qu’il pouvait être de l’intérêt général que le chef fût choisi en dehors de l’élection. Quoi qu’il en soit, messieurs, la majorité de la section centrale propose l’application de la règle générale pour tous, sans en excepter le chef.

C’est à la chambre à voir si la section centrale ne va pas trop loin, et, si à raison de l’importance des fonctions du bourgmestre comme agent du gouvernement et officier de police judiciaire, il convient de restreindre dans le conseil le choix de ce fonctionnaire.

Car enfin, lorsqu’il s’agit des intérêts majeurs de la commune, d’aliénations d’emprunts, de taxes, vous placez le conseil lui-même sous la tutelle du gouvernement, et lorsqu’il ne s’agira que de simples actes d’administration journalière, de l’exécution des délibérations du conseil, vous craindrez l’influence du pouvoir. N’y a-t-il pas là quelque contradiction ?

Pour ma part, je ne verrais aucun inconvénient à ce que la nomination du bourgmestre fût laissée au choix libre du gouvernement.

M. Fallon. - On sera assez généralement d’accord, je pense, que le choix du bourgmestre doit appartenir au Roi.

Mais ce choix doit-il être subordonné à une élection préalable ? En d’autres termes, le Roi pourra-t-il choisir en dehors comme en dedans du conseil communal ?... C’est là l’objet de la difficulté.

Si l’on interroge la constitution, on remarque que tout en soumettant les membres du conseil à l’élection, elle prévoit que l’élection populaire peut fort bien ne pas convenir à la double mission que doit remplir le chef de l’administration communale et elle abandonne à la loi que nous discutions le soin de décider cette question.

C’est donc en dehors de la constitution, mais toutefois dans des dispositions gouvernementales qu’elle a établies, qu’il faut chercher les moyens de solution.

Le gouvernement propose d’attribuer au Roi le droit de choisir le bourgmestre en dedans et en dehors du conseil, tandis que la section centrale propose de son côté de restreindre l’exercice de ce droit dans le sein du conseil.

Quel est de ces deux systèmes celui auquel il convient de donner la préférence ?

Cette préférence me semble due à celui de ces systèmes qui s’adapte le mieux à l’ordre politique et administratif de l’Etat ; à celui qui concilie le mieux l’intérêt communal avec l’intérêt général ; à celui enfin qui se trouve le plus en harmonie avec la principale mission d’un bourgmestre.

Pour se faire une juste idée de la mission d’un bourgmestre, d’un chef d’administration communale sous le régime de notre constitution, c’est s’égarer et perdre son temps que de rechercher quelles étaient les franchises des communes de la Belgique des temps plus ou moins reculés.

Lorsque, dans leur origine, les communes se sont formées d’agrégations distinctes, elles se sont gouvernées chacune comme elles l’ont trouvé convenir et de manière à se constituer en état d’indépendance. Lorsqu’elles se sont réunies ou se sont trouvées réunies en état de nation, ou bien elles ont accommodé le régime intérieur de leur administration au régime politique de la nation à laquelle elles se trouvaient associées, lorsque ce régime ne froissait pas trop directement leurs intérêts ; ou bien elles ont réclamé et ont conquis des franchises qui servaient de contrepoids à l’oppression et aux exigences du despotisme, alors qu’elles étaient despotiquement gouvernées.

Ce que l’on entendait par franchises communales est actuellement de l’histoire ancienne. Nous vivons aujourd’hui sous un gouvernement constitutionnel où il n’existe ni privilège, ni franchise pour personne, et pas plus pour les êtres collectifs que pour les individus ; nous vivons aujourd’hui sous un régime représentatif où les communes trouvent dans une chambre populaire des garanties contre l’oppression bien plus efficaces que leurs anciennes chartes. A proprement parler, il n’existe aujourd’hui et il ne doit exister qu’une seule commune en Belgique et cette commune c’est l’Etat.

La réunion d’habitants à laquelle nous conservons le nom de commune n’est autre chose qu’une fraction de l’Etat dans un cercle plus étroit que la réunion d’habitants que nous appelons la province.

Comme la province dans ses intérêts exclusivement provinciaux, la commune, dans ses intérêts exclusivement communaux, doit jouir de toutes les libertés que la constitution garantit aux agrégations d’habitants, comme à chaque habitant en particulier. Mais aussi, en ce qui regarde les lois de l’Etat et les mesures d’ordre et d’intérêt général, la commune doit être soumise, tout autant que la province, à l’action directe et immédiate du pouvoir exécutif.

La souveraineté chez nous s’est partagée en trois grands pouvoirs, mais en se divisant ainsi, elle n’a rien voulu perdre et n’a rien dû perdre de son action.

Les communes comme les provinces, n’ont d’autres rapports avec les pouvoirs législatifs et judiciaires que ceux de chaque habitant considéré individuellement. Elles ne sont point appelées à concourir ni aider à l’exercice dans deux branches de la souveraineté.

Mais en ce qui concerne l’exécution des lois et des règlements d’administration générale, les communes comme les provinces sont en rapport direct, immédiat et de tous les instants avec le pouvoir exécutif, et comme nous avons admis chez nous le principe constitutif qu’administrer, ce doit être le fait d’un seul, il faut nécessairement que le chef du pouvoir exécutif chargé de l’administration de l’Etat puisse, dans l’ordre légal de ses attributions, agir aussi librement, aussi efficacement et avec autant d’indépendance dans le cercle de la commune que dans celui de la province.

Sans cela il n’y a plus d’unité dans le pouvoir administratif, du centre à l’extrémité, il n’y a pas égale liberté d’action dans l’exercice du pouvoir exécutif. Le principe gouvernemental est vicié.

Il faut donc, non seulement que le pouvoir exécutif ait son agent dans la commune comme il a son agent dans la province, il faut en outre, sous le régime d’une constitution qui a consacré en termes exprès la responsabilité ministérielle, que dans la commune comme dans la province, il reste responsable des actes de cet agent.

Or, il ne peut exister de responsabilité que là où on a le libre choix de son agent et que là où on a le pouvoir de le révoquer.

La police municipale, comme vous savez, messieurs, est chargée de la surveillance et de l’exécution de nombreuses mesures d’ordre intérieur en ce qui regarde spécialement la sûreté et la tranquillité des habitants et des propriétés$ la salubrité publique ; la libre circulation de cette police n’est pas établie seulement dans l’intérêt de la localité, elle est établie surtout dans l’intérêt général.

A l’action de la police municipale se joint l’action du pouvoir exécutif en ce qui a rapport à la publication et à l’exécution des lois, des règlements et des mesures d’administration générale.

On peut confier la surveillance de la police municipale proprement dite au collège du bourgmestre et des échevins, parce que là le concours de l’intérêt public et de l’intérêt communal existe réellement. Mais en ce qui concerne l’exécution des lois, des règlements et des mesures d’administration générale, je pense avec le gouvernement que ce doit être exclusivement là l’affaire de son agent et qu’en ce point l’intervention des échevins est incompatible avec la responsabilité ministérielle.

Une loi, un règlement d’administration générale, un règlement même d’administration provinciale, peut contrarier des habitudes locales et froisser même des intérêts communaux. Le pouvoir exécutif est responsable de leur exécution uniforme et simultanée sur tous les points du royaume. Nulle part, et pas plus dans la commune que dans la province, il ne doit être exposé à rencontrer des résistances.

Or, si le bourgmestre ne peut agir qu’à l’intervention des échevins qui sont en majorité dans le collège de l’administration journalière, l’action du pouvoir exécutif pourra se trouver paralysée. Ce ne sera pas toujours au moyen d’une opposition directe de la part des échevins, mais souvent par l’effet de la force d’inertie. La première chose à laquelle on doit donc veiller dans l’institution communale, c’est de satisfaire en premier lieu à l’intérêt général dans ses rapports avec l’intérêt communal, et par conséquent c’est l’action du bourgmestre comme agent du gouvernement qu’il faut d’abord assurer.

Quant à moi, messieurs, je ne connais d’autre moyen de concilier cette action avec la responsabilité ministérielle, qu’en laissant au gouvernement le droit de choisir l’agent du pouvoir exécutif en dehors comme en dedans du conseil.

Je me détermine d’autant plus aisément à adopter ce système qu’il ne porte aucune atteinte à l’action libre et indépendante de l’administration communale en tout ce qui regarde ses intérêts domestiques et qu’il satisfait du reste entièrement aux exigences de la loi constitutionnelle.

N’oublions pas en effet, que suivant l’article 31 de la constitution, ce ne sont que les intérêts exclusivement communaux, et rien de plus, que nous pouvons abandonner aux administrations communales. Ce système est d’ailleurs celui que vous avez adopté dans la loi provinciale, et quant à moi, je ne vois pas de raison de ne pas appliquer à la commune les principes que nous avons crus propres à l’organisation provinciale.

Les intérêts provinciaux ne doivent pas être moins ménagés et garantis que les intérêts communaux. Ils sont d’ailleurs placés sur la même ligne dans la constitution, et ce qui convient à l’une de ces institutions doit nécessairement convenir à l’autre.

La province a un conseil, une députation et un chef d’administration sous le titre de gouverneur.

La commune aura un conseil, des échevins pour députation et un chef d’administration sous le titre de bourgmestre.

Le gouverneur est choisi librement par le Roi et il est révocable à son gré. Il assiste au conseil et n’y délibère pas et cependant il préside la députation et délibère avec elle.

Rien n’empêche de mettre le bourgmestre dans la même position alors qu’il a été choisi en dehors du conseil. Il assistera au conseil sans y avoir voix délibérative, il présidera les collèges des échevins et délibérera avec eux.

Dans cette combinaison, il y aura uniformité de principe dans l’organisation des provinces et des communes et je n’y aperçois rien qui puisse raisonnablement alarmer les susceptibilités communales.

L’action du conseil reste libre et indépendante. Aucune voix étrangère à l’élection populaire ne prend part aux délibérations.

Le collège des échevins qui est exclusivement saisi et qui doit être exclusivement saisi de l’exécution journalière de ce qui est d’intérêt communal, est formé de manière que la majorité reste à l’élection populaire.

En dehors du conseil et du collège, le bourgmestre n’est que l’agent du pouvoir exécutif dans ce qui a exclusivement rapport à l’exécution des lois et des règlements d’administration générale, et ce n’est plus là l’affaire de la commune.

Ce système, messieurs, qui n’est autre, comme vous voyez, que le système même que vous avez déjà adopté pour la province, a en outre cet avantage que, dans le cas où un conseil communal ne présenterait aucun membre qui pût ou qui voulût se charger des fonctions de bourgmestre, circonstance qui pourra fort bien se rencontrer plus souvent qu’on ne pense, le service public ne restera pas en défaut.

Voyons toutefois quelles sont les objections que la section centrale et son honorable rapporteur opposent à cette combinaison.

Le bourgmestre, dit-on, est le principal agent de la commune et par conséquent, il doit participer au principe de l’élection populaire.

D’abord cet argument ne me paraît pas exact en fait.

En ce qui touche les intérêts généraux, en ce qui regarde l’action du pouvoir exécutif, le bourgmestre est le principal agent, non pas de la commune, mais dans la commune et, à coup sûr, en cette qualité l’élection populaire ne lui est pas plus applicable qu’au gouverneur de la province où à tout autre agent de l’administration de l’Etat.

Mais, en ce qui regarde les intérêts exclusivement communaux, il n’est pas exact de dire que le bourgmestre est le principal agent de la commune, puisque dans le cercle des intérêts exclusivement communaux, il ne peut se mouvoir sans l’assistance des échevins et que, de ce chef encore, le principe de l’élection populaire ne lui est pas plus applicable qu’au gouverneur de la province qui, sans être membre du conseil provincial, sans avoir passé par la filière électorale, préside la députation, délibère avec elle sur les intérêts exclusivement provinciaux et fait exécuter ses actes.

Tout gouvernement représentatif repose, dit-on, sur la confiance, et si un citoyen jouit d’assez peu de confiance pour n’avoir pas été élu membre du conseil, un tel choix ne tendrait qu’à amener le trouble dans la commune.

Mais cette considération était parfaitement applicable au chef de l’administration provinciale et cependant nous avons pas cru devoir nous y arrêter. Nous n’avons pas pensé qu’il y eût juste motif de craindre que le libre choix du gouverneur ne vînt amener le trouble dans la province ni dans l’administration provinciale.

Sur ce point, le passé ne justifie nullement les appréhensions de la section centrale, et je pense qu’il serait difficile de citer un exemple où le trouble de la commune ait été le résultat d’un choix fait en dehors du conseil, tandis que je pourrais citer de mon côté un exemple où semblable choix, bien loin de déplaire à la commune, fut ratifié aux premières élections qui suivirent sa nomination et qui le placèrent dans le conseil dont, jusque-là, il ne faisait pas partie.

Qu’est-ce qu’un bourgmestre consultatif, dit-on, qu’est-ce qu’un bourgmestre qui n’a que voix consultative dans le sein du conseil ?

La réponse est fort simple. Il y a chose jugée par la chambre que cela n’a rien d’étrange, C’est un agent en tous points semblable à celui que nous avons placé à la tête de l’administration provinciale. Celui-ci n’a aussi que voix consultative dans le conseil provincial, mais à l’instar du bourgmestre dans le sein du collège des échevins, il a voix délibérative dans le sein de la députation.

C’est là, dit le rapport, une position bâtarde qui ne peut servir qu’à déconsidérer le pouvoir et à l’affaiblir.

Je suis du nombre de ceux qui, dans la discussion de la loi provinciale n’ont pas du tout été frappés de cette prétendue bâtardise.

Nous avons, dans l’organisation produite par les arrêtés du gouvernement provisoire, de nombreux exemples vivants, que ce n’est pas toujours celui qui a passé par la filière électorale qui est entouré de plus de considération.

Un bourgmestre sera considéré non pas précisément parce qu’il est sorti de l’urne électorale, mais parce qu’il saura concilier avec fermeté, et sans craindre le résultat d’une élection subséquente, le double devoir qu’il a à remplir tant dans les intérêts généraux que dans les intérêts spéciaux de la commune.

Si, dans le double rôle que doit remplir le bourgmestre, on craint de le placer, comme agent du pouvoir exécutif, sous les exigences du pouvoir, pense-t-on, que comme agent de la commune, les exigences de l’élection populaire ne sont pas tout autant à craindre pour l’exécution rigoureuse des règlements d’administration publique.

Quant à l’établissement du pouvoir dans la nomination d’un bourgmestre pris en dehors du conseil, je suis aussi de ceux qui pensent que l’on n’affaiblit le pouvoir qu’alors que, dans le cercle légal de ses attributions, ou lui refuse une action entièrement libre, qu’alors qu’on lui impose la loi de n’avoir d’autre agent qu’un agent sorti de l’urne électorale.

Du reste s’il est vrai que le gouvernement doit se déconsidérer en faisant son choix en dehors du conseil, il est permis de croire qu’il n’en abusera pas plus qu’il n’en a été abusé sous le gouvernement précédent, et qu’il n’exercera ce droit et n’engagera par suite sa considération, qu’alors qu’il le croira indispensable à l’intérêt général.

M. Desmet. - C’est pour appuyer, messieurs, la proposition faite par l’honorable M. de Robaulx, que les bourgmestres et les échevins soient élus directement par l’assemblée des électeurs de la commune, que je prends la parole.

Il n’y a pas une heure que l’honorable M. Dubus vous a dit que vous étiez sur le point de faire les plus grands sacrifices aux franchises communales et à la liberté que les communes avaient acquises par votre révolution de septembre, et que vous a données ce gouvernement provisoire auquel le pays doit tant, et dont on veut malheureusement détruire les actes successivement, parce qu’ils sont trop libéraux, et trop en faveur du pays et du peuple qui fait le pays.

Eh bien, messieurs, le premier article que nous entamons vient vous le prouver ; s’il passe comme il vous est présenté, et surtout par le gouvernement, pourriez-vous dire que vous aurez encore en Belgique un pouvoir municipal ? Aurez-vous encore ces franchises communales que vous avez toujours eues. Non, messieurs.

Je ne saurais à la vérité concevoir qu’on puisse contester que le choix des administrateurs communaux n’appartiendrait point aux habitants des communes. Si nous voulons qu’il y ait réellement un pouvoir municipal en Belgique, nous ne pouvons pas vouloir que les habitants n’aient pas le droit d’élire ceux dont ils ont besoin pour diriger leurs affaires propres, celles de leur cité ou de leur commune ; comment voulez-vous qu’ils mettent leur confiance dans des individus qui leur sont imposés, et qui ne sont pas de leur propre choix ? C’est comme si, par une mesure législative, vous imposiez aux familles des chefs qui leur soient étrangers, et que les affaires domestiques soient, par la volonté de la loi, dirigées par des individus qui n’appartiennent pas au foyer.

Le pouvoir municipal n’est pas une création de la loi, comme le dit Henrion de Pansey ; il existe par la seule force des choses ; il est parce qu’il ne peut pas ne pas être ; il est parce qu’il est impossible que les habitants d’une même enceinte, qui consentent à faire le sacrifice d’une partie de leurs moyens et de leurs facultés pour se créer des droits ou des intérêts communs, soient assez imprévoyants pour ne pas donner des gardiens à ce dépôt, pour ne pas charger quelques-uns d’entre eux de veiller à sa conservation, et d’en diriger l’emploi.

Mais s’il en est ainsi, si le pouvoir municipal est de l’essence de toutes les corporations d’habitants, les lois ne pouvant rien contre la nature des choses, vous devrez reconnaître qu’elles ne peuvent ni supprimer les corps municipaux, ni par conséquent priver les communes du droit de les élire.

Cependant, toutes les fois qu’un gouvernement faible, inquiet et jaloux, et composé de ministres qui n’ont en vue que leur ambition et leurs propres intérêts, évoque à lui le pouvoir municipal et l’exerce lui-même, en administrant les communes par des fonctionnaires de son choix, et qu’il révoque à sa volonté, quelque dénomination qu’il donne à ces commissaires, il n’y a plus d’officiers municipaux. Mais qu’on ne s’y méprenne point ; s’il n’y a plus d’officiers municipaux, c’est qu’il n’y a plus de corporations, par conséquent plus de régime municipal.

Oui, messieurs, quand les habitants sont privés du droit d’élire leurs administrateurs, ils cessent d’exister en corporation. Ces habitants, étrangers aux affaires de leurs communes et sans liens qui les unissent entre eux, ne sont plus que des agrégations d’hommes que le pouvoir exploite selon son bon plaisir, et qui les conduit comme des serfs. Vous aurez encore des villes, des bourgs et des villages ; mais vos cités, vos communes seront détruites (…)

Qu’un despote affamé de pouvoir s’empare de l’administration de toutes les communes, ce prélude, par acte de violence, à l’envahissement de leurs propriétés, cet abus de la force est en accord avec le principe de ces sortes de gouvernements, et on en est moins révolté. Mais qu’il en soit de même sous un régime constitutionnel, c’est une idée que repoussent également et l’esprit de notre constitution et la nature du pouvoir municipal.

Ce pouvoir est clairement décrit dans votre charte, elle vous le garantit, elle assure à la commune la propre gestion de toutes ses affaires ; tout ce qui regarde ses intérêts est de son attribution particulière, personne n’a le droit d’y intervenir ; elle gère ses affaires elle-même, elle doit par conséquent nommer ses chefs et ses administrateurs. Que le ministère actuel veuille enlever à vos cités et à vos communes ce pouvoir, cela ne doit pas vous étonner ; c’est dans l’essence de son caractère de détruire tout pouvoir subalterne ; sa faiblesse et son ambition s’inquiètent de tout ce qui peut lui montrer de l’opposition ; il veut gouverner tout par lui-même, il veut se mêler de tout, il veut intervenir partout, il veut être au-dessus de la constitution, il ne s’en sert que quand il en a besoin pour augmenter son pouvoir absolu et diminuer la liberté et les droits du peuple. Les gouvernements absolus n’ont pas son exigence.

Et c’est vraiment chose difficile à comprendre : ce que les gouvernements absolus, ce que la Prusse trouve utile et dans l’intérêt du pouvoir d’établir, nos ministres en ont peur. Ils veulent être plus absolus que les ministres prussiens mêmes, ils ne veulent rien laisser au peuple ; ils veulent tout faire par eux-mêmes ! Mais nous osons avancer qu’ils ne savent point ce qu’ils font, ni ne connaissent ce qu’ils demandent ; peuvent-ils se croire assez forts, assez infaillibles pour se reposer entièrement sur leurs propres forces ? leur administration journalière ne témoignent-t-elles pas sans cesse le contraire ?

Quand Stein et Hardenberg ont obligé les communautés, en Prusse, d’élire leurs officiers municipaux, ils savaient bien que pour avoir un gouvernement stable et pas assujetti à des troubles continuels, il fallait mettre sa confiance dans le peuple ; il fallait non seulement lui laisser gérer ses propres affaires de communauté, mais ils ont aussi voulu, dans l’intérêt du pouvoir central même, que celui qui le représentait près de la commune, fût de même de leur choix.

Ceci était bien adroit et très politique. Ces deux profonds administrateurs ne savaient que trop que, pour bien gouverner un pays, il faut avoir la confiance du peuple, et que le plus sûr moyen d’avoir cette confiance était de se montrer confiant dans lui.

Bien maladroits et imprévoyants sont ces jeunes ministres qui ne savent point se pénétrer de ces vérités, qui croient pouvoir tout faire par eux-mêmes, qui n’ont aucune confiance dans le peuple, qui se méfient de lui comme il a droit de se méfier d’eux ; qui ne veulent pas reconnaître ce que les deux habiles ministres de Prusse ont si bien senti, que la plus saine politique en fait d’administration, c’est de mettre sa confiance dans le peuple, de l’intéresser dans la gestion des affaires et de lui donner une part active dans les mouvements politiques du pays (…)

Si le ministère eût consulté le pays sur les inconvénients qu’avait présentés l’élection directe des administrations communales, je crois qu’on lui en aurait indiqué bien peu. Je lui demanderai quelles plaintes ont été faites contre l’acte essentiellement patriotique et libéral du gouvernement provisoire ? Je lui demanderai si l’élection directe n’a pas eu l’assentiment général du pays, du moins de la grande majorité ; car nous savons que dans la société existe une certaine classe, qui ne rêve que privilège et qui se contente peu de tout ce qui est en faveur des principes populaires et dans l’intérêt du peuple.

Si donc la généralité du pays a été satisfaite de l’œuvre du gouvernement provisoire, si l’élection directe des administrateurs communaux satisfait le pays, pourquoi voudriez-vous travailler contre le gré de la nation ? Je ne puis m’expliquer cette politique de vouloir faire du nouveau dans le but unique de mécontenter le peuple et d’agir contre son gré. Je devrais craindre qu’on n’ait des vues perfides, qu’on n’en veuille à nos libertés, qu’on n’en veuille entièrement détruire l’œuvre de septembre et qu’on veuille faire dominer sur la société le despotisme des maires de l’empire et nous enlever les franchises municipales.

Peut-on se dissimuler, je vous le demande aussi, que, notamment dans les circonstances actuelles, où nous avons besoin d’être tous d’accord et où le gouvernement ne peut épargner aucun effort pour s’allier à lui tous les esprits, le cumul des fonctions administratives et municipales présente beaucoup d’avantages ? Ne doit-on pas croire en effet que, voyant l’homme de leur choix honoré de la confiance du gouvernement, les habitants auront plus d’égard pour sa personne et plus de soumission aux ordres qu’il leur intimera, soit comme chef de la commune, soit en qualité d’administrateur ou commissaire du gouvernement ? Le gouvernement devra être convaincu que, dans l’intérêt même de son pouvoir et dans celui de la royauté, il ne pourra mieux faire que de confier son mandat à celui que les habitants ont trouvé le plus digne et le plus propre à gérer les affaires de leur communauté.

Je conclus donc que si vous voulez avoir dans votre pays un véritable pouvoir municipal, conserver avec les communes et les cités leurs antiques franchises, vous ne pouvez enlever aux habitants le droit d’élire leurs propres administrateurs, et que si le gouvernement veut se consolider et se rallier tous les esprits, il doit préférer de prendre ses commissaires près des administrations communales dans ceux qui ont la confiance de la communauté ; alors il acquerra la confiance de tout le pays, et son administration deviendra forte et facile, parce qu’elle sera conforme à l’opinion générale. C’est donc dans l’intérêt du pouvoir même que je viens appuyer la proposition de l’honorable M. de Robaulx, et que j’insiste fortement pour que le bourgmestre et les échevins soient élus directement par l’assemblée des électeurs de la commune.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je dirai quelques mots pour motiver mon vote dans la question qui nous occupe.

Je me rallierai à la proposition de la section centrale, parce que je n’aperçois pas les inconvénients qui pourraient en résulter.

En effet, dans les communes dont la population est considérable, il y aura un assez grand nombre de conseillers pour faire entrevoir que l’on trouvera parmi les membres du conseil, des hommes qui seront capables d’être bourgmestres.

Dans les petites communes, il n’y aura à la vérité que 7 conseillers et c’est le cas où la disposition présentée par le gouvernement pourrait s’appliquer ; mais, messieurs, il ne faut pas des talents si éminents pour être bourgmestre d’une commune rurale, il faut seulement un homme qui ait la confiance des habitants, qui ait du bon sens, en un mot, un honnête homme et dont tout le désir est de faire le bien de la commune.

Si le gouvernement choisissait le bourgmestre hors du sein du conseil, parmi des hommes qui, malgré leurs talents, n’ont pu obtenir assez de suffrages pour être conseillers, il en résulterait sans doute que ce bourgmestre rencontrerait beaucoup d’opposition dans son administration, puisqu’il serait imposé aux habitants contre leur gré ; car, messieurs, il est des hommes très instruits, que les habitants des campagnes redoutent comme chefs de leurs communes, parce qu’ils les connaissent comme étant de petits despotes qui consultent plutôt leurs caprices que l’intérêt des habitants ; et ces cas, messieurs, ne sont pas rares maintenant que les communes fourmillent de nouveaux riches ou d’anciens seigneurs qui ne jouissent pas tous de la confiance de leurs concitoyens.

Ceux-là, messieurs, les habitants n’en veulent pas. Cependant ce sont les plus capables d’être bourgmestres, et vous les nommerez parce qu’ils ont le moyen de se faire présenter par les fonctionnaires que vous devez charger de vous faire les présentations. Ce sont ces nominations-là que je veux éviter.

Si vous astreignez au contraire le gouvernement à choisir le bourgmestre dans le sein du conseil, vous entrez dans les vrais principes et vous le forcez à ne choisir que des personnes qui conviennent aux habitants. C’est là une grande garantie de la bonne administration de la commune. Le bourgmestre est plus l’agent de la commune que l’agent du gouvernement. Car pour la commune, son action est de tous les jours, de tous les moments, tandis que pour le gouvernement il n’a que des mesures générales à prendre, mesures qui ne se présentent pas souvent, telle est celle relative à la milice. Cette mesure intéresse plus le gouvernement que la commune. Mais toutes les autres mesures d’administration regardent spécialement la commune. D’après son système le gouvernement voudrait faire du bourgmestre un homme à sa dévotion.

C’est déjà assez que de lui donner la nomination dans le sein du conseil. Le gouvernement provisoire en avait abandonné la nomination directe aux habitants, et je ne sache pas qu’on ait trouvé de grands inconvénients à ce système, car où sont les plaintes qu’il a suscitées ? Il y avait un mal, c’est que les bourgmestres ne pouvaient pas être révoqués, par même suspendus. C’est là le seul inconvénient. Mais le projet de la section centrale le fait disparaître.

Je donnerai mon assentiment à la disposition qui déclare les bourgmestres révocables, mais je ne vois pas de motif pour laisser au gouvernement la faculté de nommer qui bon lui semble, sur les rapports de ses fonctionnaires, ce serait une source d’abus et d’arbitraire, et les arguments des préopinants ne m’ont pas convaincu, au contraire.

M. Fallon a cité la ville de Namur où un bourgmestre nommé par le gouvernement s’est si bien conduit qu’il a été réélu par les électeurs.

Mais c’est là une exception. Celui qui ne jouit pas de la confiance du public ne l’obtiendra pas quand il aura été nommé par le gouvernement ; et celui qui aura été nommé bourgmestre malgré les habitants ne pourra jamais faire le bien dans la commune. Il en est de même de tous les pouvoirs du pouvoir royal lui-même, s’ils n’ont pas la confiance publique, malgré les meilleures intentions, ils ne peuvent rien faire de bien.

Je n’étais pas préparé à cette discussion, ce qui m’a fait énoncer peut-être avec diffusion les motifs d’un vote que j’émettrai avec la plus entière conviction.

M. Dubus. - Il est à regretter qu’une question de l’importance de celle qui nous occupe, soit discutée par une assemblée aussi peu nombreuse. Tout à l’heure, quand j’étais au bureau, j’ai pu m’assurer que 53 membres seulement étaient présents dans la salle. Quand il s’agit de prononcer sur la liberté des communes, il est fâcheux que la décision soit abandonnée à un petit nombre de membres, un membre seulement de plus que le nombre nécessaire pour délibérer valablement.

L’honorable préopinant a parlé contre le projet du gouvernement. Mon intention est aussi de combattre ce projet, mais avant d’exposer les motifs de mon opinion, je désirerais savoir si quelque membre se propose de parler pour le projet du gouvernement.

Je demanderai au ministre de l’intérieur qui nous a lancé son projet sans exposé de motifs, qui vient de déclarer qu’il persistait dans la proposition du gouvernement, en s’enveloppant toujours du même mystère, je lui demanderai qu’il veuille bien rompre le silence, et nous exposer les motifs de sa proposition.

Ils auraient dû être fournis plus tôt, mais ce qu’il n’a pas fait encore il le peut faire maintenant, et il convient ce me semble, que ces motifs soient donnés avant que la discussion continue.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Pour le moment, je crois devoir me référer aux motifs mis en avant par les honorables MM. Fallon et Milcamps.

J’attendrai pour répondre aux motifs qu’on pourra faire valoir en faveur du projet de la section centrale, que l’honorable M. Dubus et d’autres membres qui se proposent de défendre ce projet aient pris la parole.

M. Eloy de Burdinne. - L’honorable M. Fallon a déjà à peu près détaillé la majeure partie des motifs de mon opinion sous le rapport de laisser au gouvernement le droit de choisir les bourgmestres où il voudra les prendre. J’aurai quelques mots de réponse à adresser à l’honorable M. d’Hoffschmidt, dont je ne partage pas la façon de penser.

Il vous a dit que dans une commune où il y aura un nouveau riche, un mauvais riche, un ancien seigneur, pour lors si bien que ce nouveau riche, ce mauvais riche ou ancien seigneur, n’étant pas nommé membre du conseil, il ne pourra pas être nommé bourgmestre. Cela est parfaitement exact. Mais je répondrai que dans une commune où il y aura aussi un homme qui conviendrait parfaitement, il peut se faire qu’il ne soit pas nommé membre du conseil et ne puisse pas être bourgmestre, parce qu’une cabale, on en voit dans les communes rurales tout aussi bien que dans les villes, aura été faite contre cet individu. Cependant ce sera un homme avec de bonnes intentions, un bon administrateur. Mais, messieurs, je m’en vais vous faire observer autre chose.

Dans une commune rurale où il y aura un de ces nouveaux riches, mauvais riches ou anciens seigneurs ayant les moyens d’imposer le vote des électeurs, il fera composer le conseil de tous hommes incapables et qui dépendent de lui, et il aura soin aussi de se faire nommer membre du conseil.

A qui le gouvernement confiera-t-il les fonctions de bourgmestre, les membres du conseil n’étant pas capables, lui seul excepté ? Il faudra nommer ce nouveau riche, mauvais riche ou ancien seigneur, ou bien un autre membre incapable qui sera toujours le très humble valet du nouveau riche, mauvais riche ou ancien seigneur.

Si bien que nous avons en l’expérience de ce qui s’est passé sous l’empire et le roi Guillaume.

J’ai eu l’honneur d’être bourgmestre, mais alors cela ne s’appelait pas ainsi, les noms ont changé, mais le nom ne fait rien à l’affaire. Quand un homme remplissait bien ses fonctions, il n’est jamais venu en tête de Napoléon ou du roi Guillaume de le révoquer. Cependant tous les cinq ans, on renommait les bourgmestres ou on les changeait. Je n’ai jamais vu un seul homme loyal et intéressé au bien-être public révoqué.

Je dirai plus, dans la province de Liége où l’esprit est assez mauvais, j’avais réputation de faire pétitionner. Cependant, moi tel que vous me voyez, faisant pétitionner, j’ai été renommé par le roi Guillaume. J’ai même été interpellé par le juge de paix, à l’occasion de ces pétitions, et j’ai protesté contre les recherches dont les pétitionnaires étaient l’objet.

Il pourrait arriver, je le répète, qu’une cabale mît le gouvernement dans la triste position de n’avoir pas un homme pour remplir convenablement les fonctions de bourgmestre. Il serait dangereux d’arrêter les rouages de l’administration par suite d’une cabale qui pourrait s’établir.

M. H. Dellafaille - Messieurs, deux opinions bien opposées se réunissent contre le système adopté par la section centrale sur le mode de nomination des bourgmestres.

Nous vous avons proposé de faire concourir à la nomination les deux pouvoirs dont ce fonctionnaire exerce l’autorité : le gouvernement et la commune. Ce mode rencontre une double contradiction.

D’une part, le ministre de l’intérieur et ceux qui soutiennent le même avis demandent que le choix du chef de l’administration communale appartienne exclusivement au pouvoir exécutif.

De l’autre les honorables députés d’Alost, de Soignies et de Philippeville veulent que ce choix appartienne exclusive aux électeurs.

Que faut-il conclure des réclamations contradictoires qui s’élèvent des deux côtés contre la proposition de la section centrale ? Que cette section a respectivement refusé aux partisans des deux systèmes ce que leurs prétentions avaient d’exagéré et qu’elle ne leur a accordé que ce qu’ils étaient réellement en droit de réclamer.

Je crois, messieurs, que nos conclusions se trouvent parfaitement justifiées dans le rapport qui vous a été fait. Cependant puisqu’elles ont été combattues j’entrerai dans quelques considérations qui me semblent propres à les défendre.

L’article 7 nous présente deux questions à résoudre.

Le Roi doit-il intervenir dans la nomination des bourgmestres ?

En cas d’affirmative, jusqu’où doit s’étendre cette intervention ?

Si le bourgmestre n’avait que la seule qualité d’agent de la commune, le pouvoir royal devrait sans aucun doute demeurer étranger à la nomination de ce fonctionnaire. Le principe qui veut que les membres du corps communal soient élus par la commune, ce principe reconnu plutôt qu’établi par la constitution, ne souffrirait aucune exception. Le bourgmestre devrait être choisi soit par les électeurs, soit par le conseil dont il est le chef et le pouvoir exécutif.

Mais le bourgmestre est en même temps agent du gouvernement, et cette circonstance exige une modification à la règle dont je viens de parler.

Si l’on ne peut reconnaître au gouvernement le droit de s’emparer du choix des fonctionnaires communaux, on ne peut non plus reconnaître aux habitants d’une commune le droit d’imposer au gouvernement un agent qui n’aurait point sa confiance. Aux termes de la constitution, c’est au Roi qu’appartient le pouvoir exécutif ; c’est donc au Roi que doit appartenir le choix de l’agent, au moyen duquel il exerce le pouvoir dans la commune.

La loi pourrait en décider autrement, puisque la constitution n’y forme point d’obstacle. Mais pour être légale, une telle décision n’en serait pas moins contraire à tous les principes qui doivent servir de base à une bonne législation sur la matière.

Tel est le motif très rationnel, à mon avis, pour lequel la section centrale a cru devoir admettre l’intervention du Roi dans la nomination des bourgmestres.

Dès la discussion générale, un membre a cru devoir repousser ce motif. Il observe que nous ne faisons que reproduire l’idée du président Henrion de Pensey aux principes duquel il préfère, dit-il, ceux de l’assemblée constituante.

Notre contradicteur a oublié de nous dire en quoi notre motif était erroné, en quoi la doctrine de l’assemblée constituante était préférable à celle de Henrion de Pensey.

J’ignore si cette célèbre assemblée est tellement infaillible aux yeux de l’honorable membre que son autorité lui semble devoir trancher toutes les questions et exclure toute discussion ultérieure.

Il me paraît cependant qu’elle a commis plus d’une erreur que son exemple doit nous apprendre à éviter. Elle a si exclusivement porté ses regards vers la liberté, qu’en plusieurs circonstances elle a perdu de vue la nécessité de garantir le maintien de l’ordre public. Le reproche ne pourrait-il pas s’appliquer entre autres à ceux de ses décrets qui concernent l’objet en discussion ?

Le régime municipal établi par l’assemblée constituante a-t-il beaucoup contribué en France à affermir l’ordre public et à faire respecter les lois ? S’il faut en juger par l’histoire de cette époque, il est permis d’en douter. Ceux donc qui, sans vouloir étendre au-delà de leurs justes limites les prérogatives du gouvernement veulent cependant lui donner les moyens nécessaires à sa conservation et à l’exercice même de son mandat constitutionnel, n’iront pas adopter aveuglement et sans examen les errements d’une assemblée qui après tout n’a rien su édifier de solide. Ils se rappelleront que l’annihilation outrée du pouvoir exécutif a coûté cher à la France et que cette faute a singulièrement contribué à la ruine de la constitution de 1791 qu’on a vu comme un édifice mal construit après quelques mois seulement d’existence.

On me répondra peut-être que diverses autres causes qui ont en France concouru à produire ce résultat n’existent point chez nous ; que les Belges sont plus que les Français en état de supporter la liberté.

Je conviens qu’il y a une notable différence entre les deux époques et les deux peuples, mais qu’importe à l’exactitude du raisonnement de la section centrale ? Il n’en sera pas moins vrai que si vous confériez exclusivement au peuple la nomination des bourgmestres, vous méconnaîtriez la nature mixte de leurs fonctions. Il n’en sera pas moins vrai que vous obligeriez des ministres que vous déclarez responsables de leurs actes, à se servir pour l’exécution de ces mêmes actes d’agents imposés sur lesquels ils n’exerceraient aucune influence d’agents quelquefois hostiles je ne dirai pas au ministère, mais au gouvernement, mais à la constitution elle-même. Ceci, messieurs, n’est pas une vaine supposition, c’est ce qui existe actuellement dans plus d’une commune. Quelques-uns de nos collègues n’ont qu’à rentrer chez eux pour s’apercevoir des difficultés inhérentes à un pareil état de choses.

Pour exalter ce système on a vanté la sagesse générale des choses faites en 1830, on a dit que les habitants d’une commune étaient plus que le gouvernement lui-même intéressés à avoir un bon administrateur, on a cité une expérience de quatre années qui n’aurait fait connaître aucun mauvais résultat.

Messieurs, je crois qu’il ne faut rien exiger. J’admets ce que nos honorables collègues nous disent sur la bonté des choix qu’ils ont été à même d’apprécier ; mais je doute fort que cet heureux succès de l’arrêté du gouvernement provisoire ait été aussi général qu’ils semblent le penser. Comme eux je connais des localités où ce régime a produit les effets les plus avantageux ; mais je connais aussi des communes, très patriotes cependant, où les valets les plus plats du gouvernement déchu ont trouvé moyen de se faire élire ; j’en connais d’autre encore auxquelles les choix ont donné des administrateurs absolument incapables, à cet égard, je pourrais envoyer les incrédules à l’avis de certaines autorités provinciales. Je crois qu’on peut supposer sans crainte de se tromper qu’il en a été de même à peu près partout et que les bons effets de l’arrêté du 8 octobre n’ont pas été sans mélange de quelques inconvénients.

J’admets que le régime actuel n’a jusqu’ici donne lieu à aucun désordre sérieux et cette circonstance peut contribuer à servir de réponse aux détracteurs de la nation belge. Cependant je ne pense pas que ses résultats doivent le mettre absolument à l’abri de toute critique. Je ne ferai aucune allusion à certains événements dont il a été quelquefois question dans cette enceinte : ils sont dus à des causes étrangères à l’objet que nous traitons ; mais il ne serait peut-être pas difficile de trouver des exemples propres à montrer que ce régime n’est pas celui qui assure le mieux la subordination hiérarchique des diverses autorités.

Le simple bon sens doit vous dire qu’il serait imprudent de placer un fonctionnaire dans une indépendance absolue de son supérieur. Ce serait lui donner une facilité trop grande pour entraver impunément à son premier caprice la marche de l’administration.

Des mesures répressives ne remédieraient qu’en partie à cet inconvénient. En vain vous formulerez dans la loi des causes de destitution et même des pénalités plus sévères. Un homme un peu habile peut s’il est mal intentionné gêner l’administration dans une foule de détails sans s’exposer à violer la lettre de la loi et il le fera sans aucun frein s’il peut assez compter sur son influence dans la commune pour prévoir sa réélection. Il est donc indispensable de donner au gouvernement une part d’influence suffisante sur le choix des bourgmestres pour qu’il puisse du moins se mettre à couvert de la mauvaise volonté des agents dont il est obligé de se servir.

Ce régime n’a point paru au congrès national offrir des avantages si incontestables qu’il fallût sacrifier à son maintien les justes droits de l’administration centrale. C’est après en avoir vu qu’il a admis la restriction insérée au n°1 de l’article 108. Remarquez même que loin d’avoir voulu ainsi qu’on vous le propose, ne considérer dans le bourgmestre que la qualité d’agent communal et ne prendre aucun égard à sa qualité d’agent du gouvernement, il semble plutôt incliner vers le système opposé. En effet l’article 108 nous permet de déférer au gouvernement la nomination absolue des bourgmestres, abstraction faite de toute élection quelconque.

Ce n’est qu’une faculté dira-t-on et non une prescription. Soit ; mais quoique je n’aie pas eu l’honneur de faire partie du congrès, je crois pouvoir sans témérité mettre en fait que l’intention de cette assemblée était que le gouvernement obtînt au moins une part quelconque dans la nomination des bourgmestres. Indépendamment des autres raisons que je vous ai alléguées, ce motif suffirait seul pour me déterminer. Dans le cours de cette discussion, je serai plus d’une fois dans le cas d’invoquer le vœu du congrès contre les propositions des ministres. L’équité et la bonne foi exigent donc que je me conforme également à ce vœu, lorsqu’il est favorable à leurs demandes.

Il me paraît impossible, messieurs, de contester avec quelque fondement la validité des motifs sur lesquels on s’appuie pour demander que le gouvernement ne demeure pas étranger à la nomination des bourgmestres. Ce point admis, il faut encore nous fixer sur l’étendue qu’il convient de donner à cette intervention.

Le gouvernement réclame le droit de nommer seul le bourgmestre soit dans le conseil, soit hors du conseil ainsi qu’il le jugera convenable.

Je reconnais que le projet ministériel n’a rien de contraire à la constitution. Elle nous laisse à cet égard la plus entière latitude. Mais il ne s’ensuit pas que nous soyons obligés d’aller jusqu’aux dernières limites qui nous sont tracées.

Je viens de dire (et non sans quelque raison à ce qu’il me paraît) que pour remplir les intentions du congrès, il convenait de donner au roi une part dans la nomination des bourgmestres. Serait-on aussi fondé à prétendre que cette assemblée a voulu donner au gouvernement un droit exclusif ? L’assertion me paraît fort hasardée ? Le congrès n’a pas cru devoir décider jusqu’où s’étendrait l’influence que, dans sa pensée, il réservait au pouvoir royal sur le choix des chefs des administrations locales ; il a trouvé préférable de laisser apprécier cette question par législature.

Puisque nous ne sommes liés ni par la lettre ni par l’esprit de la constitution, nous n’avons à examiner la proposition qui nous est faite, que sous le rapport de son utilité.

Le gouvernement a sur ceux qui réclament le maintien de l’élection populaire l’avantage de nous présenter un système plus favorable à la marche prompte et régulière de l’administration ; mais en tombant dans un excès contraire, il méconnaît comme eux la nature mixte des fonctions de bourgmestre.

J’ai défendu il n’y a qu’un instant les droits légitimes du pouvoir central, contre les prétentions outrées des partisans exclusifs du pouvoir communal. Pour être juste, il faut que je défende à leur tour les droits légitimes de la commune contre les prétentions exagérées du pouvoir central.

Il ne faut pas perdre de vue que si le bourgmestre, comme agent du gouvernement, doit tenir son autorité du gouvernement, il doit aussi comme agent de la commune, avoir obtenu de la commune un mandat au moins indirect. Le mandataire ne peut tenir son mandat que de celui dont il gère les intérêts. Etablir un système contraire, ce serait contraindre les habitants de la commune à voir la gestion de leurs intérêts les plus vifs remise entre les mains d’un agent non avoué par eux et quelquefois entre celles d’un inconnu ou même de tel homme qui n’aurait mérité que leur défiance. Ce système pour avoir souvent été mis en pratique n’en est pas moins oppose aux vrais principes et au simple bon sens.

Dans son bel ouvrage sur le pouvoir municipal, le président Henrion de Pensey observe qu’entre deux principes également respectables mais opposés, il faut chercher un moyen de transaction.

Il en indique trois.

Le chef de l’administration communale peut être choisi par la commune entre des candidats proposé par le gouvernement.

Il peut être choisi par le gouvernement entre des candidats proposés par la commune.

Il peut être choisi par le gouvernement parmi les membres du conseil de la commune élus par les habitants.

L’auteur donne la préférence à ce dernier mode qui est précisément celui que vous propose la section centrale.

Par le moyen que nous vous proposons les droits de chacun sont respectés.

Ceux du roi sont garantis, puisqu’il a la faculté de nommer celui qui doit lui servir d’agent et qu’il trouve une latitude suffisante dans le nombre des personnes entre lesquelles il doit faire porter son choix.

Ceux de la commune le sont également, puisque son premier administrateur est nécessairement un homme déjà investi de la confiance des habitants, et que ceux-ci n’ignoraient pas en le nommant conseiller qu’il pouvait être appelé aux fonctions de bourgmestre.

Il est à regretter que le gouvernement n’ait point adopté un mode aussi simple et qui conciliait aussi bien tous les intérêts. En réclamant le droit de choisir le bourgmestre, il fait de ce fonctionnaire uniquement l’agent du pouvoir exécutif, ne prend aucun égard à sa qualité de mandataire de la commune.

Les ministres me répondront peut être que le bourgmestre sera ordinairement pris dans le conseil, et qu’il ne sera fait de la faculté demandée qu’un usage convenablement restreint et justifié par la nécessité.

Je leur répondrai à mon tour, s’il en est ainsi : Formulez donc votre intention dans la loi. Rendez-y du moins hommage au principe en établissant le choix dans le conseil comme la règle et en ne proposant le choix hors du conseil que comme l’exception. C’est ce qui avait été fait dans les derniers règlements plus libéraux sous ce rapport que le projet actuel.

D’ailleurs, aussi longtemps que vous conserverez une disposition aussi large que celle de l’article 7, je soutiens que la commune demeure absolument étrangère au choix du chef de son administration ; car si par hasard il est pris parmi les conseillers, c’est de votre part un acte du déférence dont on peut vous savoir gré, mais auquel vous n’êtes nullement obligés. Telle peut être au surplus votre intention ; mais elle n’empêchera pas les gouverneurs et les commissaires de district, auxquels vous devrez vous en rapporter, de consulter leurs convenances et non celles des communes.

Le projet de la section centrale donne au gouvernement tout ce que celui-ci peut raisonnablement exiger.

Nous lui donnons plus que n’accordaient les premiers règlements. Sous ce régime, il pouvait dépendre d’un conseil de combiner ses présentations de manière à rendre la prérogative du Roi à peu près illusoire. Nous évitons cet inconvénient et nous donnons au Roi plus de latitude pour son choix.

Nous lui donnons presqu’autant que les derniers règlements qui n’admettaient la nomination hors du conseil que dans des cas extraordinaires et exceptionnels.

Une seule objection un peu sérieuse pourrait nous être faite. Ce serait la peine qu’on éprouverait quelquefois à faire un choix dans les conseils des petites communes rurales. Nous avons cru écarter cette difficulté par l’adoption du paragraphe 2 de l’article 5 qui permettait aux électeurs de prendre un tiers de conseillers parmi les citoyens étrangers à la commune. De cette manière s’il ne se trouvait dans une localité aucune personne agréable aux habitants qui pût ou voulût exercer les fonctions de bourgmestre, les électeurs avaient l’option de chercher au-dehors ce que leur commune ne leur offrait pas.

J’ignore jusqu’à quel point la restriction beaucoup trop forte apportée à cette disposition pourra renouveler cette difficulté, et j’attendrai pour me fixer à cet égard la suite de la discussion. S’il était bien prouvé que la faculté réclamée par le gouvernement fût en certains cas indispensable, sans doute il faudrait avoir égard aux circonstances. Les principes que j’ai invoqués ne sont pas tellement inflexibles qu’il faille sacrifier à leur maintien rigoureux l’intérêt de l’administration et l’intérêt propre des habitants. Mais dans cette supposition même, je demanderai que le choix dans le conseil soit formellement stipulé comme règle et que le choix hors du conseil ne soit admis (si la chose est jugée nécessaire) que comme exception et avec des restrictions convenables.

D’après ces motifs que j’ai eu de vous exposer, je maintiendrai l’article de la section centrale. Je me réserve mon vote sur les exceptions qui pourraient être jugées nécessaires ; mais s’il y eu a d’admises, je persisterai à demander que l’obligation de prendre le bourgmestre dans le sein du conseil soit votée comme un principe auquel on ne déroge que dans le cas de nécessité.

Ordre des travaux de la chambre

M. Desmanet de Biesme. - Il est à craindre que la chambre n’ait de la difficulté à être en nombre si l’heure de la séance est fixée à midi. Je demande que la séance ait lieu à 9 heures. (Appuyé.)

M. Dumortier, rapporteur. - Pourquoi donc l’heure de la séance serait-elle changée ? Est-ce à cause des courses ? Eh bien, si vous fixez la séance à 9 heures, ; elle ne commencera qu’à 10 heures ; et à 11 heures on s’en ira pour voir les courses.

J’avais l’intention de demander qu’il n’y eût pas de séance demain ; et par le fait il n’y en aura pas. Le bureau aurait écrit à ceux de nos collègues qui sont absents, et aurait fait appel à leur patriotisme pour les prier d’assister à une discussion aussi importante. Aujourd’hui nous avons eu beaucoup de peine à nous trouver en nombre, et il n’y avait que deux membres en sus du nombre rigoureusement nécessaire pour la validité de nos délibérations.

M. le président. - Je crois inutile que le bureau écrive aux membres absents ; ils reçoivent le Moniteur et auront ainsi connaissance de la décision de la chambre.

M. d’Huart. - Je ne vois pas pourquoi la chambre ne fixerait pas de séance pour demain. Nous pourrons nous réunir à neuf heures du matin. Cette heure ne présente aucune espèce d’inconvénient. Beaucoup de membres de cette chambre, puisqu’il faut entrer dans ces détails, désirent assister aux courses de chevaux qui auront lieu demain. Aucun obstacle ne s’oppose à ce que nous concilions ce désir avec la promptitude que réclament nos nombreux travaux.

Du reste, on se plaint du petit nombre de membres qui assistent aux séances. Je ne vois cependant pas que nous soyons aussi peu nombreux qu’on veut bien le dire. Il y a en ce moment 61 membres présents. Le bureau a, comme je viens de l’apprendre, déjà écrit aux membres absents. Ceux qui se sont dispensés de venir à la chambre liront demain dans les journaux les résultats de la motion présentée par l’honorable M. de Brouckere et le nombre des membres présents à la séance de demain sera plus que suffisant. Je persiste donc à demander qu’il y ait séance demain, que l’heure de la réunion soit fixée à neuf heures du matin.

M. Dubus. - C’est moi qui ai fait l’observation que vient de rappeler l’honorable M. d’Huart et je l’ai fait en connaissance de cause, puisque je présidais l’assemblée lorsque j’ai compté dans la salle 52 membres présents, et cela au moment où nous discutons une loi aussi importante que celle qui doit fixer pour l’avenir nos institutions communales.

Si vous voulez que les choses continuent ainsi, vous adopterez la proposition de l’honorable M. Desmanet de Biesme ; croyez-vous que demain à neuf heures du matin nous soyons en nombre pour ouvrir la séance ? Songez donc que quand l’heure de la réunion des sections est fixée à 10 heures, c’est avec grande peine qu’elles peuvent commencer leur travail à 11 heures.

Puisque le bureau a écrit aux membres absents sans congé, il est présumable que ceux à qui elles ont été adressées, ne viendront à la séance qu’à l’heure accoutumée. Si donc vous la fixez à 9 heures, vous vous priverez des membres nouveaux dont les lumières et la présence sont nécessaires aujourd’hui qu’il s’agit d’une loi aussi importante que la loi communale. On a parlé des courses de chevaux qui auront lieu demain. La chambre ne peut pas s’arrêter à des considérations de cette nature qui doivent lui être étrangères. Ne nous exposons pas à l’inconvénient de nous passer du renfort des membres absents qui viendront à midi, dans le but seul de céder aux désirs de quelques membres qui voudraient voir les courses de demain.

Je le répète, demain à midi plusieurs membres se proposent d’assister à la séance. Il en est qui auront été prévenus par leur avis de la décision prise aujourd’hui par la chambre. Ils ont la bonne volonté de prendre part à nos travaux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Quant à moi, je ne vois pas pourquoi l’on priverait les membres de la chambre du plaisir de voir les courses de demain. Il est certain qu’à midi nous ne serions pas en nombre, et je crois que les représentants, avertis officieusement par leurs amis de la décision de la chambre, viendront demain en pure perte, attendu que de l’aveu de tout le monde, il n’y aura pas de séance. Je ne sais pas quels sont les membres auxquels le préopinant a fait illusion ; mais ce dont je suis certain c’est que le nombre n’en doit pas être considérable.

Je demande donc en faveur de beaucoup de membres qui ont pris une part assidue à nos travaux qu’il leur soit laissé la faculté de voir les courses de chevaux. C’est un plaisir fort innocent et je ne sache pas que l’on puisse trouver mauvais que l’on veuille en jouir.

M. d’Huart. - J’ai demandé la parole pour relever une assertion de l’honorable M. Dubus. Il a dit que la décision de la chambre provoquerait le retour de plusieurs de nos collègues. La loi communale est à l’ordre du jour depuis longtemps. Les membres absents savent bien que la discussion en a dû être reprise après le vote de la loi sur les céréales. Si nous ne fixions pas la séance à 9 heures, tout ce qui pourrait en résulter, c’est que nous perdrions une journée entière.

M. Dumortier, rapporteur. - Il me semble que par suite de la décision que vous venez de prendre, il est contraire à la dignité de la chambre de fixer à sa séance une heure extraordinaire sous le prétexte de laisser à six membres de cette assemblée la faculté de se rendre à une partie de plaisir. Que diraient nos mandataires ? Que nous avons voulu prolonger la séance dans le seul but de prolonger en même temps nos plaisirs, que nous nous sommes empressés de retarder notre séparation pour assister à des courses de chevaux. (Hilarité.)

Il me semble qu’élever une discussion à propos d’un divertissement est indigne de la représentation nationale. Je demande donc aux membres de cette assemblée qui se sont levés tout à l’heure en faveur de la continuation de la session actuelle et de la discussion immédiate de la loi communale, qu’ils s’empressent également de repousser la proposition qui vient de vous être présentée. Nous ne sommes pas ici pour nos plaisirs, messieurs ; mais bien pour nos devoirs. Ne changeons donc pas sans un motif que la chambre puisse avouer l’heure de nos réunions quotidiennes.

Pour moi, si je propose le rejet de la proposition de M. Desmanet de Biesme, c’est dans l’intérêt de la dignité de la chambre.

- La proposition de M. Desmanet de Biesme est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à quatre heures et demie.