(Moniteur belge n°190, du 9 juillet 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Roo. - Je demande la parole. J’avais demandé qu’on fît concorder l’amendement de M. de Robaulx avec la disposition de l’article 6, en insérant les mots : « ou cachet » après celui : « estampille. » Je crois que l’amendement est reproduit dans le procès-verbal, sans la modification que j’avais réclamée.
M. H. Dellafaille donne une nouvelle lecture de ce passage du procès-verbal où se trouve le mot « cachet » dont M. de Robaulx avait demandé l’insertion.
- La rédaction du procès-verbal est adoptée.
« Le sieur Louis-François Robert, né Français, habitant Tournay, demande la naturalisation. »
« Un grand nombre de cultivateurs de tabac, du district d’Ypres exposent l’état où se trouve la plantation du tabac et demandent une augmentation sur le droit à l’entrée des tabacs étrangers. »
« Trois habitants de Binche réclament contre le projet de distraire de son canton judiciaire trois communes. »
« La régence de Hamme adresse des observations sur le rapport de la commission qui a fait un rapport sur la circonscription des justices de paix dans la province de Liége. »
- Les deux dernières pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur les circonscriptions cantonales.
La première est renvoyée à la commission des pétitions.
M. A. Rodenbach demande la parole sur la seconde. - Dans une précédente séance une pétition vous a été adressée par une commune du district d’Ypres pour appeler votre attention sur l’industrie des tabacs, qui est maintenant presque anéantie dans ce pays. Je viens d’entendre qu’une nouvelle pétition vous était adressée par un grand nombre de cultivateurs de tabac du même district ; je demande qu’elle soit renvoyée à la commission d’industrie, afin qu’elle s’occupe des moyens d’arrêter la ruine d’une branche importante de notre agriculture.
M. de Roo. - La commission des pétitions s’est déjà occupée de la première pétition dont a parlé l’honorable M. Rodenbach. Je demande que celle qui vous est adressée aujourd’hui lui soit également renvoyée.
M. A. Rodenbach. - Je demande l’un et l’autre renvoi, parce que le simple renvoi à la commission des pétitions ne remplit pas le but. Je demande le renvoi immédiat à la commission d’industrie, afin qu’elle puisse s’en occuper de suite et vous faire un rapport dans le plus court délai, sur les moyens de protéger cette industrie dont l’état empire tous les jours.
M. d’Hoffschmidt. - Le renvoi à la commission des pétitions suffit. Si, après avoir examiné ces pétitions, la commission juge qu’il convient d’en saisir la commission d’industrie, elle proposera de les lui renvoyer. On suivra la marche ordinaire.
M. le président. - On pourrait inviter la commission des pétitions à faire un prompt rapport. S’il n’y a pas d’opposition, la pétition dont il s’agit sera renvoyée à la commission des pétitions qui est déjà saisie d’une pétition semblable.
M. Van Hoobrouck. - Je demande qu’on fasse au plus tôt le rapport sur plusieurs pétitions de la plus haute importance dont la commission des pétitions est saisie, qui intéressent les Flandres et qui ont pour objet de demander un canal d’écoulement. Ce pays n’a pas seulement à se défendre contre l’inondation de la mer, mais contre les grandes pluies, et le statu quo ne fait que rendre leur position plus affreuse, en augmentant leur anxiété.
Je sais que le ministre, dans sa sollicitude, a l’intention de demander des fonds pour exécuter le travail que réclament les Flandres. Si la commission des pétitions voulait faire son rapport, elle mettrait le ministre à même de se prononcer sur cette question. Il est indispensable qu’on se presse, car sans cela il serait trop tard pour commencer cette année ces travaux que l’humanité et la politique réclament impérieusement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, déjà la chambre a renvoyé dans une de ses dernières séances, une pétition relative à l’objet dont vient de parler l’honorable préopinant. J’ai annoncé à cette occasion que je me proposais de porter au budget de 1835 une somme destinée aux premiers travaux. Cette somme est portée au projet de loi du budget soumis à la signature du Roi. Reste à savoir si les travaux sont d’une telle urgence qu’il faille les entreprendre avant 1835. Cette question mérite l’examen du gouvernement et de la chambre. Cependant je dois dire que le gouvernement ne serait pas en mesure de commencer tout de suite les travaux, parce qu’il reste des études de terrain à faire.
M. Van Hoobrouck. - Je me déclare satisfait jusqu’à certain point des explications de M. le ministre. Cependant, je dois faire observer que la question des polders est extrêmement grave et compliquée. Il existe des travaux extrêmement urgents, mais qui restent en suspens, parce qu’on ne sait pas à la charge de qui ils doivent être exécutés. Il est important que vous décidiez si ce sont les particuliers, les communes ou la province qui doivent supporter la dépense : c’est dans ce but que je demande qu’un rapport vous soit fait le plus tôt possible.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je dois prier avec instance la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’augmentation du personnel des cours de presser son rapport. Chaque jour l’état de choses que j’ai eu l’honneur de signaler à la chambre s’aggrave et est l’objet des réclamations les plus instantes et les plus multipliées. C’est ainsi qu’une chambre de la cour d’appel de Bruxelles aura presque continuellement chômé, dans l’impossibilité où elle se trouvait de compléter le personnel légal. Cet état de choses a eu lieu non seulement à Bruxelles, mais dans d’autres corps judiciaires.
Je suis obligé d’insister pour que M. le président engage la commission à faire son rapport le plus tôt possible.
M. Pollénus. - Je dois faire connaître à la chambre qu’aujourd’hui encore la commission chargée de l’examen du projet de loi présenté par M. le ministre de la justice s’est réunie dans ses bureaux et s’est occupée de ce travail. Je puis donc donner à l’assemblée l’assurance que sous peu de jours elle pourra vous présenter son rapport.
M. le président. - M. le ministre de l’intérieur se rallie-t-il au projet présenté par la section centrale ou demande-t-il que son projet obtienne la priorité ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne crois pas devoir me rallier au projet de la section centrale. Il est dans ce projet un certain nombre d’articles auxquels je ne verrai pas d’inconvénient à me rallier ; mais avant que la discussion générale ne soit ouverte, j’appellerai l’attention de la chambre sur ces inconvénients qui s’est présentée au deuxième vote de la loi provinciale. La chambre n’ayant pas considéré les articles auxquels le ministre s’était rallié avant la discussion comme définitivement adoptés, y est revenue dans la deuxième discussion ; et de très longs débats s’en sont suivis.
Je voudrais donc, pour éviter une perte de temps, qu’il fût convenu que tous les articles auxquels le gouvernement se serait rallié seront considérés comme définitivement adoptés, et ne pourront donner lieu à aucune discussion nouvelle.
M. Dubus. - Je ferai une seule observation en réponse à la proposition de M. le ministre de l’intérieur. Ou elle est conforme au règlement, ou elle y est contraire. Si elle y est conforme, il suffira d’invoquer le règlement lors du second vote. Si elle y est contraire, elle y apporte une modification. Il faudrait dans ce dernier cas demander formellement qu’un changement y fût introduit.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le règlement n’a pas prévu précisément le cas sur lequel M. le ministre de l’intérieur a appelé l’attention de la chambre. Seulement la juridiction de la chambre a constamment considéré, à l’exception d’une seule dérogation, citée par M. le ministre, les projets de loi et les articles d’un projet de loi auxquels le gouvernement a déclaré se rallier avant que la discussion ne fût entamée, comme projets et articles principaux. Il n’y a pas la moindre différence entre un projet ou un article présenté par le gouvernement et un article ou projet émané de la section centrale, mais adopté par le gouvernement.
C’est exactement la même chose, et la chambre l’a constamment jugé ainsi, sauf une seule exception lors de la discussion de la loi provinciale, exception dont nous n’avons guère à nous louer sous le rapport de l’économie, de temps et de l’expédition de nos travaux.
Le gouvernement n’a aucun intérêt particulier à ce que les articles qu’il adopte ne soient pas soumis à une discussion nouvelle. Il désirerait seulement que la question fût résolue d’une manière abstraite, et qu’une décision de l’assemblée, fondée sur ses précédents, établît désormais que tout article auquel le ministère se sera rallié, avant la discussion bien entendu, sera regardé comme article principal et ne sera pas par conséquent soumis à un second vote.
Veuillez bien observer que lorsque le gouvernement s’est rallié à un projet de loi tout entier, présenté soit par un membre soit par une section centrale, on n’a jamais considéré ce projet comme amendement au projet primitif. Eh bien la règle suivie à l’égard du tout doit être la même pour la partie, et la proposition de M. le ministre de l’intérieur n’a rien que de rationnel.
M. Dubus. - M. le ministre de l’intérieur propose à la chambre de déclarer que les articles auxquels il se sera rallié soient considérés comme des propositions principales et soient exempts de la formalité du second vote. C’est ce que j’ai soutenu dans une autre circonstance, avant la discussion de la loi provinciale ; j’avais pensé que tel était le sens du règlement. Mais, sur les observations émises par l’honorable M. de Brouckere, la chambre a décidé le contraire. Je veux bien qu’elle revienne sur cette résolution. Mais je désirerais beaucoup qu’un article supplémentaire ajouté au règlement fixât désormais notre législation à cet égard.
M. Jullien. - Je conçois fort bien que lorsque le gouvernement fait une proposition, et que la section centrale en présente une autre, si avant la discussion le ministre se rallie à cette dernière, il paraisse naturel que le projet de la section centrale devienne le projet principal. Mais il y a une question nouvelle à examiner. Il s’agit de savoir si un membre ayant la faculté de faire sienne la proposition du gouvernement, le projet de la section centrale doit devenir la proposition principale.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Dans ce cas, le projet de la section centrale, qu’un membre aura fait sien, sera considéré comme amendement.
M. Jullien. - J’ai cru convenable d’appeler l’attention de la chambre sur ce point, afin qu’elle ne prenne point une détermination absolue. Il est bon que la chambre ait ceci présent à l’esprit. Je demande donc que tout projet abandonné par le gouvernement et repris par un membre de l’assemblée soit considéré comme amendement.
- Les propositions présentées par MM. le ministre de l’intérieur et Jullien sont mises aux voix et adoptées.
M. le président. - La discussion générale sur le projet de loi relatif à l’organisation communale est ouverte.
M. Seron. - Je demande la parole.
M. le président. - Pour ou contre ?
M. Seron. - Contre.
M. le président. - La parole est à M. Doignon.
M. Doignon. - Messieurs, en jurant d’observer la constitution, nous avons pris l’engagement de soutenir les franchises de la commune et de veiller à ce que le pouvoir communal formellement établi par l’article 31 soit une vérité dans notre pays. Ce sont les communes qui nous ont envoyés siéger dans cette assemblée ; nous manquerions donc à notre mandat si nous n’apportions dans la défense de leurs droits constitutionnels le zèle et le courage qu’elles attendent de nous dans une aussi grave circonstance.
Le régime municipal qui vous est proposé par le gouvernement est moins libéral que celui ou ceux sous lesquels nous avons vécu durant le règne du roi Guillaume. Ce régime et même quelques propositions de la section centrale tendent à ravir aux communes des droits dont elles sont depuis longtemps en possession, et que Guillaume lui-même avait respectés dans ses règlements arbitraires.
Mais je supplie l’assemblée d’y faire la plus sérieuse attention ; la commune sait qu’elle tient son pouvoir de la constitution même et non du bon plaisir des chambres, elle sait qu’il est écrit en toutes lettres dans notre charte que « les intérêts communaux sont réglés par les conseils communaux, » sauf seulement l’approbation de leurs actes en certains cas, et l’intervention de l’autorité supérieure, s’ils sortent de leurs attributions (article 108). Déjà le projet ministériel a fait jeter des cris d’alarme dans le sein de plusieurs conseils de régence.
Si donc la chambre était assez aveugle pour souffrir ces empiètements ministériels, le Belge, qui connaît ses droits, saura les revendiquer tôt ou tard par les moyens légaux. Le peuple, qui n’a point oublié ses antiques franchises, se montrera aussi jaloux et aussi constant, que jadis pour défendre des libertés qui lui sont acquises irrévocablement et à toujours. Souvenons-nous qu’une des causes de la dernière révolution fut l’apathie et la mollesse de la représentation belge aux états-généraux à l’égard de ces fameux règlements qui dénaturaient et mutilaient les droits de la commune.
Qui de nous, messieurs, aurait pu croire il y a 3 ans, que nous serions aujourd’hui réduits à réclamer comme un bienfait l’adoption d’un certain nombre de dispositions contenues dans ces mêmes règlements. Et je le dis avec douleur, je n’ai même qu’un faible espoir de les voir accueillir.
L’ensemble du projet du gouvernement nous démontre que n’osant attaquer de front le pouvoir communal établi par la charte, il met en œuvre tous les moyens détournés que l’on peut imaginer pour s’emparer du personnel et des actes des administrations et arriver de cette manière à un régime qui les mettrait avec le temps sous son joug et son bon plaisir.
Non seulement il aurait la faculté de suspendre à son gré tous les actes des conseils communaux sans distinction, mais les bourgmestres, les échevins, les assesseurs, les secrétaires, les gardes champêtres, tous révocables à volonté et tenus par ce moyen dans une dépendance complète, deviendraient avant peu de temps les hommes ou les agents du ministère ; et ainsi dans le fait l’administration de la commune n’appartiendrait bientôt plus, selon le vœu de la constitution, aux magistrats choisis directement par le peuple. Le pouvoir constitutionnel des communes, ainsi miné par le pouvoir exécutif deviendrait presque partout un mensonge.
La centralisation est la pensée dominante du projet ministériel : mais la centralisation conduit à l’arbitraire et à la bureaucratie, et l’arbitraire conduit au désordre.
On ne récusera pas sur ce point le témoignage de la section centrale : « Le projet, dit le rapport, empiète à chaque article sur nos libertés, et l’on ne peut méconnaître qu’une seule idée a présidé à sa rédaction : celle de tout rapporter au pouvoir exécutif. » Mais, par une contradiction fort singulière, cette même section centrale adopte plusieurs dispositions ministérielles tendant directement au même but.
Nous devons encore nous rappeler ici que ce qui a hâté la révolution, c’est cette foule d’administrateurs serviles ou complaisants, pris même dans les conseils, dont le pouvoir était parvenu à peupler la plupart des administrations locales. Le peuple y comptait à peine quelques défenseurs de ses droits. Mais ses griefs, méprisés par le pouvoir communal comme par le pouvoir royal, éclatèrent enfin, et le trône est tombé.
Le gouvernement a méconnu dans son projet le caractère et les mœurs du peuple belge. Sa soumission aux lois et à l’autorité, sa docilité à la voix de ses magistrats, son attachement à l’ordre et à la paix publique, et surtout le bon sens qui le distingue éminemment, en font sans contredit un des meilleurs peuples de l’Europe. Doué de semblables qualités, il est extrêmement facile de gouverner, lorsqu’on ne veut que le bien et la justice.
L’amour de l’ordre l’emporte tellement chez lui sur ses autres qualités qu’il se résigne facilement à supporter même de longues et de grandes injustices, plutôt que de recourir à la désobéissance et de compromettre la tranquillité publique : n’a-t-il pas souffert dans le silence et patiemment, pendant près de douze années, le règne d’arbitraire du roi Guillaume ? et peut-être n’eût-il jamais éclaté si enfin l’exemple d’une nation voisine ne l’eût poussé à cette extrémité. La raison générale d’un tel peuple est certes moins sujette à faillir que celle de quelques gouvernants : il est plutôt fait pour dominer son gouvernement que d’être dominé par lui, et si celui-ci venait à s’égarer, lui-même le ramènerait à l’ordre par une résistance toute morale et légale.
Le ministre de la justice vous l’a dit : l’amour de l’ordre est profond en Belgique. Mais, dans ce cas, pourquoi traiter en ennemi le pouvoir communal ? Pourquoi ne voulez-vous pas dans votre loi lui inspirer cette confiance qui vous concilierait l’amour et le respect bien mieux que tous ces moyens de précaution injurieux à son caractère dont vous voulez vous armer, comme si vous aviez à vous défendre contre un peuple qui ne respire que sédition et désordre ?
Le ministère se serait-il aussi laissé entraîner, dans la rédaction de son projet, par quelques contrariétés que notre état de révolution a fait naître dans certaines localités ? Mais qu’on réfléchisse donc que nous nous trouvons à une époque de transition, et que des difficultés sont naturellement inséparables d’une pareille époque. Le législateur qui veut fonder un ordre de choses stable et de longue durée, ne doit pas écrire sa loi sous l’impression des circonstances du moment : mais il doit consulter avant tout l’état de civilisation, le caractère et les mœurs du peuple, abstraction faite de semblables circonstances.
Son devoir est donc aujourd’hui d’organiser d’une manière franche et loyale le pouvoir communal consacré par la charte qu’il a juré et d’attendre ensuite le résultat de l’expérience. N’est-il pas d’ailleurs de la plus grande absurdité de vouloir rendre tout le pays solidaire de quelques écarts de localité dont la faute peut même être également attribuée au gouvernement ? C’est donc le cas de dire avec M. Royer-Collard : Défions-nous, messieurs, d’un ressentiment aveugle qui nous ferait déserter la liberté parce qu’on aurait abusé de son nom.
Il n’est peut-être point de pays où l’on a le plus souvent profané ce nom qu’en France, et c’est pourquoi il n’y a pas d’argumentation plus vicieuse que d’invoquer sans cesse, comme le fait le ministère, l’exemple de la France. Dans cette discussion comme dans celle de la loi provinciale, nous aurons à nous tenir en garde contre cette manière de raisonner qui me parait d’autant moins loyale que nos ministres n’ignorent point que la liberté communale n’est pas dans la charte française l’un des premiers pouvoirs, qui constituent l’Etat, comme on le voit en termes exprès dans la nôtre.
Les Français et les Belges sont deux peuples qui, en tout temps, ont en leur physionomie et leur caractère particuliers. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’institutions fondamentales, on ne peut argumenter de l’un à l’autre. La légèreté et l’inconstance du Français le mettent dans une position à ne pouvoir supporter autant de liberté que le Belge, surtout à une époque où la violence de deux partis formidables a plusieurs fois menacé de renverser le trône. Les mœurs des deux peuples ne peuvent être mises en parallèle.
Le principe religieux, ce premier frein de l’homme, sans lequel l’ordre social ne saurait subsister, est singulièrement affaibli en France depuis nombre d’années. L’irréligion a rendu le Français un peuple, en ce moment, difficile à administrer. Le Belge, fermement attaché à la religion de ses ancêtres, puise au contraire dans cette institution divine une force trop souvent inconnue au Français, pour souffrir avec patience les injustices et les torts de son gouvernement. Il n’est donc pas exposé comme celui-ci à devenir, à chaque moment, le jouet des passions ou des partis. Le bon jugement et la raison calme du peuple belge sont, dans ce pays, un sûr garant qu’il saura toujours maintenir l’alliance de l’ordre avec la liberté.
La corruption et la fraude administratives ne sont pas rares en France ; aussi voit-on en cette matière une foule de lois empreintes du cachet de la défiance. Le Belge, au contraire, a une probité qui est aussi renommée dans le monde que la probité espagnole.
L’instruction primaire est plus répandue, en Belgique qu’en France, dans les campagnes.
En France, les conseils municipaux sont remplis de cultivateurs à peine au-dessus de l’indigence : c’est ce que nous ne voyons pas dans notre Belgique où il règne une honnête aisance jusque dans nos plus petits hameau.
Ainsi, ce sont tous éléments d’ordre qui constituent la nation belge, et l’on ne peut en dire autant du peuple français. Les obstacles et les inconvénients qui pourraient se rencontrer en France, pour une large émancipation des communes, n’existent pas en Belgique.
Qu’on n’infère pas de ce qui précède que je veuille prétendre qu’on doit toujours rejeter les exemples tirés de la France. De ce que les communes ne peuvent y jouir que de moins de liberté, il s’ensuit bien que lorsqu’il est question de dispositions qui restreignent leurs franchises, on ne pourrait en faire à notre pays qu’une fausse application ; mais, au contraire, lorsqu’il s’agit de dispositions favorables à la liberté, il y a lieu, et à plus forte raison, de les admettre en Belgique, Telle est la distinction qu’il importe de faire, et que nous ne devons point perdre de vue dans le cours de la discussion.
Mais je demanderai au ministère : Pourquoi n’invoque-t-il pas autant la législation anglaise que celle française ? En Angleterre, dès que la commune paie le subside à l’Etat et qu’elle satisfait à la milice, le gouvernement la laisse libre pour le surplus.
Le législateur du congrès a rendu hommage aux vertus et aux rares qualités du peuple belge en posant des principes larges pour l’organisation des communes. Tout le système est résumé dans la constitution en quelques dispositions claires et précises. Les intérêts exclusivement communaux sont réglés par les conseils communaux, d’après les principes établis par la constitution, article 31. Le peuple est appelé à élire directement tous ses magistrats, sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs seulement. Tout ce qui est d’intérêt communal est indirectement attribué au conseil communal, sauf seulement l’approbation dans certains cas à déterminer par la loi. Le Roi ou le pouvoir législatif interviennent pour empêcher que les conseils ne sortent de leurs attributions ou ne blessent l’intérêt général, article 10, n°1, 2, 5.
La pensée évidente du législateur a donc été d’accorder à la commune la plus grande latitude possible pour la gestion de ses intérêts, le tout cependant sous la surveillance et l’approbation, en certains cas, de l’autorité supérieure.
Le congrès, persuadé que la commune est la première intéressée à choisir pour magistrats des hommes amis de l’ordre et de la paix, ne s’est même pas opposé, dans la constitution, à ce que l’élection du chef de l’administration continue à lui appartenir, Il n’y aurait donc pas d’obstacle à la laisser jouir de ce droit qui lui fut conféré par l’arrêté du gouvernement provisoire d’octobre 1830, mais pourvu, selon moi, que cette élection fût soumise à l’agréation du Roi qui, au cas de refus, aurait la faculté de faire un autre choix dans le sein même du conseil. J’appuierai volontiers une proposition qui serait faite dans ce sens.
Mais si le ministère parvient à enlever au peuple, d’une manière absolue, l’élection directe du chef de l’administration, certes les chambres ne peuvent faire moins en sa faveur que de lui laisser l’élection indirecte en admettant le conseil élu par lui à présenter au Roi une liste de candidats dans laquelle il devra faire son choix.
A moins que de considérer les conseils communaux comme les ennemis naturels du gouvernement ou en d’autres termes de faire le procès à la constitution elle-même qui les a institués, on ne peut se refuser à laisser ce droit de présentation aux conseils élus par la commune, et de leur donner au moins cette marque de confiance. Ce mode de nomination est celui qui était établi par Guillaume lui-même dans son règlement de 1817. Le roi Guillaume ne l’a changé ensuite, de son autorité privée, que pour corrompre plus facilement les administrations locales, et il avait parfaitement atteint ce but lorsque la révolution est arrivée.
Dès que le bourgmestre est pris par le Roi dans le conseil communal, il est rationnel et bien plus politique de faire porter son choix sur une personne déjà agréable à tout ce corps et par conséquent sur l’une de celles déjà comprises dans la présentation. L’ordre public et la bonne harmonie qui doit exister entre lui et le gouvernement n’en seront que plus assurés.
Mais le conseil, qui en général sera toujours composé des meilleurs citoyens de la commune, ne présentera lui-même que des hommes offrant les meilleures garanties de capacité et d’esprit d’ordre. Ce conseil est ici incontestablement un meilleur juge que le ministère.
Le gouvernement ne pourrait vouloir sortir de la liste de présentation que pour introduire dans ce corps ses propres créatures, c’est-à-dire des hommes qui lui ont déjà donné ou sont prêts à lui donner des preuves de servilisme : car l’expérience nous a suffisamment prouvé qu’il existe de ces hommes dans le plus grand nombre des communes, et qu’à l’aide des fonctionnaires publics, quelques-uns parviennent toujours à obtenir une majorité faible, mais suffisante, qui leur donne l’entrée au conseil. C’est là un mal sans remède et que le législateur ne peut cependant se dissimuler. Or, si le gouvernement veut s’écarter de la liste de présentation du conseil, il ne peut avoir d’autre raison que celle de livrer la commune à de tels hommes.
A la faveur des divisions plus ou moins grandes qui existent ordinairement dans une commune, il est impossible, ainsi qu’on le voit très souvent, qu’il ne se glisse pas de ces conseillers faibles ou complaisants dont le gouvernement peut faire bon marché. Ombrageux et défiant contre la commune, c’est à ces hommes qu’il donne la préférence ; ce qu’il ne pourrait faire s’il devait nommer sur la liste du conseil dont la majorité, entendant mieux les intérêts de la commune et de l’Etat, ne lui présentera point de pareils sujets. Puisqu’au vrai ils auraient moins de mérite, on doit même supposer qu’ils ne peuvent appartenir qu’à la minorité.
Si notre premier but doit être de chercher à opérer l’union intime de l’Etat avec la commune, nous devons nécessairement exiger que le gouvernement fasse son choix dans la majorité du conseil qui est présumée être aux yeux de la loi l’expression du vœu populaire. Or, ce n’est qu’en l’astreignant à prendre dans la liste par lui formée, que vous serez certains, autant qu’il est possible de l’être, que le gouvernement ne s’écarte point du vœu de cette majorité.
On sent facilement combien il peut être dangereux pour le gouvernement lui-même et pour la paix de lui laisser la faculté de fixer son choix sur un membre qui appartiendrait à la minorité et qui par cela même répugnerait à la majorité. Un tel choix aurait pour effet de jeter dans le sein du conseil des germes de discorde, et aurait des conséquences vraiment fâcheuses pour les affaires de la commune et ses relations avec l’autorité surveillante.
Ceux qui ne veulent point du système de présentation, affirmeront que le gouvernement sera attentif à consulter aussi le désir de la généralité des habitants. Mais, dans ce cas, s’il prend pour règle générale le vœu de la commune, pourquoi rejetez-vous la liste de présentation par le conseil qui offre la plus sûre garantie de l’exécution de cette règle ?
Ce n’est rien prouver que de prétendre qu’il est dans l’ordre des choses possibles qu’un conseil oublie assez ses devoirs pour présenter à dessein tous candidats qui répugneraient absolument au gouvernement. Un conseil qui agirait ainsi, violerait au fond la loi et la constitution ; ce serait de sa part une sorte de rébellion.
Mais d’abord, pour admettre que des conseillers en fussent capables, il faudrait supposer que tout le peuple d’une commune qui a élu de tels magistrats, soit lui-même animé d’un esprit de révolte. Or, un cas aussi extraordinaire et aussi rare n’est pas supposable surtout en Belgique ; et ne serait-il pas d’ailleurs de la plus grande injustice de vouloir priver la généralité des communes de l’une de leurs premières franchises, à cause de que quelques-unes d’elles en pourraient faire ?
Il suffit qu’un cas aussi rare répugne à nos mœurs et au caractère national pour en rejeter la supposition, et notre devoir entre-temps est d’attendre le résultat de l’expérience, qui indiquera dans tous les cas la meilleure mesure à prendre. En attendant, il y aurait même déjà un remède à ce prétendu inconvénient dans le renouvellement périodique des conseils. Il n’y a donc nulle nécessité d’aliéner dès à présent au profit du pouvoir une partie aussi précieuse de nos libertés publiques.
Toute la question se réduit donc à celle de savoir si les conseils communaux doivent ou non mériter notre confiance ; mais suspecter un moment leur patriotisme comme leur dévouement au nouvel ordre de choses, c’est faire injure au pays et à la constitution elle-même qui les a créés.
Tout ce que nous avons dit sur la nécessité de la nomination du chef de l’administration, d’après une liste de présentation par le conseil, se réaliserait toutes les fois surtout qu’un bourgmestre du caractère que nous avons tracé plus haut, et en fonctions depuis plusieurs années, parviendrait malgré tout à se faire réélire au conseil.
Celui-là devenu à peu près exclusif du gouvernement, et s’étant fait beaucoup de créatures pendant la durée de son règne, aurait toujours extrêmement de chances et succès pour se faire renommer au conseil, ne fût-ce qu’au moindre nombre de suffrages. Si donc on n’admettait pas le système de présentation, le ministère aurait toujours le moyen de perpétuer dans une commune le bourgmestre de la minorité, ou en d’autres termes le magistrat qui dans la réalité offre le moins de garanties pour l’ordre et le bien-être de la cité.
Depuis près de quatre ans le peuple est en possession d’élire directement son bourgmestre : que pour l’avenir on lui permette au moins de le faire indirectement. Grâce aux bons choix qu’il a faits généralement, il eût été impossible au gouvernement de marcher par suite, notamment, des lacunes que le nouvel ordre de choses a nécessairement hissées dans notre législation, et que nos ministres auraient bien dû faire remplir depuis longtemps. On croirait que les ministres se sont plus à laisser exister ces lacunes pour se créer tout exprès çà et là quelques embarras, et venir ensuite faire parade dans les chambres d’une faiblesse qui n’était réellement qu’en eux-mêmes et non dans nos institutions. Si, au milieu d’une désorganisation générale, la sagesse du peuple a pu suppléer à tout, comment peut-on concevoir la moindre inquiétude pour l’avenir.
Vous pouvez m’en croire, messieurs, je parle de conviction. J’ai eu pendant longtemps des relations multipliées avec plus de cent bourgmestres. Un seul fut suspendu pour désobéissance grave envers l’autorité supérieure. Quoiqu’il fût notoirement orangiste, l’opinion politique fut même tout à fait étrangère à cette disgrâce. Mais je dois le dire en passant, j’ai de fortes raisons de croire que son titre d’orangiste lui a fait trouver quelque protection près du gouvernement, et sa suspension fut levée par celui-ci.
Aucune institution humaine n’étant parfaite, on ne peut se flatter que le système électoral soit exempt de tout abus ; mais le congrès qui connaissait ces inconvénients, ne l’a pas moins admis irrévocablement, et partant il doit recevoir entre nos mains une pleine et entière exécution.
Le congrès a été frappé, avec raison, des abus bien plus graves qu’entraîne le système opposé.
La plus grande part dans la nomination, ou au moins une part égale, doit appartenir à celui qui a autant et même plus d’intérêt à ce que le choix soit le meilleur possible. Or, toutes les communes du royaume et chacune d’elles en particulier sont pour le moins aussi et même plus intéressées que le ministère à avoir de bons bourgmestres, c’est-à-dire, non seulement des hommes dévoués aux intérêts moraux et matériels de la cité, mais encore des administrateurs d’un patriotisme vrai et modéré, attachés au gouvernement et (pour me servir de l’expression d’un honorable collègue) ennemis des révolutions et des révolutionnaires ; car la prospérité de la commune dépendant de la tranquillité du pays, la cité représentée par le conseil sentira toujours la nécessité de comprendre dans sa présentation de pareils citoyens. Cet intérêt, j’ose le dire, la touche de plus près et plus vivement que le ministère, qui, dans ces questions comme dans toutes les autres, est préoccupé avant tout de l’intérêt de son existence personnelle.
D’un autre côté, plus la commune ici représentée par le conseil est intéressée à faire de bons choix, plus naturellement elle y apportera tous ses soins et toute son attention. Or, c’est encore là une mission qu’elle peut remplir bien mieux que le ministère : car elle voit et juge de ses propres yeux, tandis que ce dernier ne voit que d’après les renseignements de quelques agents qui souvent sont guidés par l’esprit de parti, la passion et la prévention, ou manquent eux-mêmes de lumières suffisantes. Les conseils chercheront d’autant plus à présenter des personnes qui puissent en même temps plaire au gouvernement qu’ils sauront d’avance que leurs élus ne seraient plus nommés par lui au renouvellement, si leur administration ne répondait pas à son attente.
Ainsi, sous tous les rapports, il faut reconnaître que, dans notre belle patrie, le peuple, en vertu de la constitution qu’il s’est donnée, peut et doit avoir dans la nomination du chef de ses administrations locales une part au moins égale à celle du pouvoir exécutif. Or, il n’atteint pas encore cette part en la limitant au simple droit de présentation d’une liste par le conseil.
Pour moi, il me paraît plus que probable, et j’ose en appeler à l’expérience, que si même le droit de nomination était attribué aux électeurs à l’entière exclusion du gouvernement, ceux-ci feraient, je crois, moins de mauvaises nominations que le ministère. Ils n’auraient eu effet généralement d’autre règle que l’intérêt sainement entendu de la commune, lequel se confond toujours et ne fait qu’un avec celui de l’Etat.
Il est à craindre au contraire que, dans le système opposé, ce ne soit point le bien-être de la cité qui serve de règle, mais que ce ne soit le favoritisme qui distribue ces places. Les intrigues de cabinet, de cour et de bureau ne le cèdent certainement en rien aux intrigues d’élections. Quel que soit le ministère au timon des affaires, il se verra toujours obligé de déférer aux intrigants qui assiègent le palais. Les vertus publiques et privées du bon citoyen auront toujours accès près du peuple et n’en auront que rarement à la cour et au cabinet.
Sous le gouvernement précédent, un homme immoral ou d’un caractère servile, ou un impie scandaleux dans la commune, aurait eu la préférence. On a vu des gardes-champêtres appelés aux fonctions de bourgmestre.
Aujourd’hui, comme toutes les fois qu’il veut emporter une loi liberticide, le ministère fera des promesses à toutes les opinions : en particulier il protestera de tout son désir de satisfaire à chacune d’elles, et publiquement de la pureté de ses intentions. Mais au résultat nous serions tous dupes. Le système le plus sage est donc de laisser au peuple la plus grande part possible dans les nominations.
Qu’on ne dise pas que le contrôle des chambres sera un frein suffisant. Ne sommes-nous pas fatigués de tonner sans cesse contre une foule d’abus ? et le ministère reste sourd à nos doléances ; les plaintes du peuple traînent dans les cartons de la chambre pendant des années avant qu’elle-même puisse s’en occuper. Le mal qui aura été fait demeurera donc irréparable. Nous vivons même à peu près sans aucune garantie constitutionnelle contre le gouvernement, puisque maintenant c’est un point presque convenu de renoncer à son égard au refus des subsides et même à une simple expression de blâme.
Qu’on ne prétende pas que ce n’est que dans des cas très rares que le gouvernement ne portera pas son choix sur ceux que lui indique la voix du peuple, ou qu’il aura recours aux révocations ; mais si ces cas sont si rares, pourquoi voulez-vous vous attribuer le droit de le faire toujours ? C’est parce que vous dites que ces hypothèses sont très rares qu’il est injuste que vous vous en prévaliez pour ravir au peuple l’une de ses plus belles prérogatives constitutionnelles. Si votre argument était vrai contre le peuple, il le serait aussi contre le gouvernement. Or, que diriez-vous si nous prétendions que le peuple doit avoir le droit de nommer même sans ou aucune agréation du gouvernement parce que celui-ci peut quelquefois abuser de son droit d’agréation ?
Quant à la révocation, qu’importe que le ministère en fasse rarement usage si la seule idée de pouvoir être révoqué à chaque instant tient constamment le bourgmestre dans sa dépendance ? Ce magistrat, étant à tout moment sous le poids d’une pareille menace, perd évidemment sa liberté d’action comme agent de la commune et devient naturellement l’homme du pouvoir ; pour être conséquents, vous devriez donner aussi au peuple le même droit ; mais le renouvellement périodique est lui-même une révocation, et cette mesure est évidemment suffisante si le ministère ne veut fausser l’institution des bourgmestres.
Aux termes de l’article 108, n°1 de la constitution, il n’y a d’exception pour l’élection directe qu’à l’égard des chefs des administrations locales. Mais jamais il n’est venu dans la pensée de personne de soutenir que les échevins ou assesseurs sont aussi chefs de l’administration communale. Il faudrait dire, dans ce cas, que le bourgmestre serait le chef des chefs de l’autorité locale, ce qui est vraiment ridicule. Il me paraît donc incontestable que ces magistrats doivent être élus directement par le peuple, à moins qu’on ne veuille se rendre coupable d’une violation flagrante de la constitution.
La majorité de la section centrale fait une pure subtilité en disant, pour étayer son système que le pouvoir exécutif doit émaner du pouvoir exécutif. Cela pourrait être vrai en France où l’on ne connaît pas de pouvoir communal constitutionnel. Mais en Belgique, où le pouvoir exécutif, dans la commune comme dans l’Etat, a une origine toute populaire, le législateur du congrès a pu laisser à l’élection directe les magistrats qui en sont naturellement chargés au nom du conseil, et c’est ce qu’il a fait en exceptant uniquement de cette élection le chef de ces magistrats.
Mais il y a plus : d’après même l’article 108, le chef lui-même pourrait aussi être élu directement sans aucune intervention du pouvoir exécutif ; c’est ce qui résulte de ces termes : « sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs. » Or s’il n’y a pas même obligation pour la législature de conférer au Roi aucun droit de nomination pour le chef, à plus forte raison ne pourra-t-elle le lui donner pour ses collègues, qui ne sont en aucune manière rappelés dans l’exception et demeurent par conséquent soumis à la règle générale de l’élection directe.
La constitution ne fait et ne devait faire aucune mention expresse des échevins ou assesseurs, ou plutôt des magistrats qui doivent être chargés de l’administration journalière. Tout le conseil étant dans l’impossibilité physique d’administrer par lui-même chaque jour les affaires de la commune, la nature seule des choses voulait que les électeurs pussent désigner spécialement quelques membres pour cette gestion journalière dont le bourgmestre est le chef.
« Tous les pouvoirs émanent de la nation, » dit l’article 25 de la constitution. Ce grand principe doit dominer toutes nos lois ; et par conséquent, s’il pouvait y avoir quelque doute à l’égard d’une partie du pouvoir communal, nous devrions plutôt incliner à le faire participer à l’élection populaire.
Régler les intérêts de la commune, c’est incontestablement les administrer. Or, le conseil communal est seul chargé par la constitution de cette mission importante, article 31 ; c’est donc c’est en lui seul que réside tout le pouvoir communal et c’est en son nom qu’on doit administrer. Aussi sous le gouvernement de Guillaume les conseils communaux s’appelaient-ils conseils d’administration.
Puisque tout ce qui est d’intérêt communal est attribué au conseil, sauf l’approbation dans certains cas, le législateur n’est donc ici pour ainsi dire appelé qu’à déterminer les cas où cette approbation est nécessaire.
A cet égard, il nous paraît convenable de distinguer entre les actes de pure administration d’une part, et de l’autre, les actes extraordinaires qui emportent une aliénation notable des droits ou des biens de la commune, et ceux qui ne sont pas d’un intérêt principalement communal. Le gouvernement ou la commission provinciale interviendrait dans tous ces derniers actes pour y donner son approbation. En France, la législature intervient aussi dans des actes de haute importance.
Quant aux actes de pure administration en général, et d’intérêt communal, la commune doit rester libre dans la gestion de ses affaires ; on doit ici laisser faire, sous la surveillance de l’autorité supérieure, afin de s’assurer que les actes ne contiennent rien qui soit contraire à l’intérêt général et à l’ordre public, ou qu’ils n’excèdent pas les attributions du conseil : on pourrait à cet effet soumettre certains de ces actes à un simple visa.
Je terminerai en déclarant que les opinions de la section centrale, dont nous avons reçu le rapport, ne seront, à mes yeux, d’aucune autorité. Je les considère comme des opinions individuelles appartenant à chacun des membres qui la composaient. Vous avez, en effet, remarqué avec moi que leur nomination dans les sections est l’œuvre d’une minorité ; que dans les questions les plus graves 30 ou 35 membres au plus ont assisté dans les sections, et qu’ainsi, comme l’a fort bien dit M. Jullien dans une autre circonstance, la section centrale n’est malheureusement ici qu’une fiction. Si donc, dans le cours de la discussion, je demande quelquefois le renvoi à la section centrale, ce sera principalement pour donner le temps à la chambre d’examiner mûrement les divers amendements.
M. Dechamps. - Messieurs, beaucoup de personnes regardent les discussions générales comme oiseuses et inutiles. A la vérité, il est des questions qui peuvent s’en passer, mais il en est d’autres qui les nécessitent impérieusement, et certainement la loi qui nous est soumise se trouve en première ligne dans cette catégorie, puisqu’il ne s’agit de rien moins que de la base de notre édifice social tout entier. Aussi, j’attache pour ma part une importance extrême à bien éclaircir les principes généraux qui doivent nous guider, à bien indiquer le but que, selon moi, nous devons atteindre.
Je sais que plusieurs se défient des théories souvent trompeuses : cependant, ne pas avoir pour point de départ un principe, une théorie, n’est-ce pas s’enfermer dans un labyrinthe sans avoir un fil conducteur pour en sortir ? Selon que nous nous serons placés au point de vue d’une centralisation trop exclusive, ou bien d’un fédéralisme absolu, nous arriverons au despotisme ou à l’anarchie. Il est donc nécessaire, messieurs, d’entamer une controverse à fond sur la question de principes ; une fois cela posé, la discussion des articles en découlera tout naturellement.
D’abord, messieurs, il faut se placer franchement en face des deux mots dont les partis se servent mutuellement pour s’épouvanter, je veux parler de la centralisation et des libertés communales. Vous arrive-t-il de vous servir du mot centralisation sans l’accoler à une épithète flétrissante, aussitôt voilà que des adversaires viennent vous accuser de despotisme ; parlez-vous au contraire avec admiration des franchises municipales, soyez certain de voir un autre parti hausser les épaules et vous regarder comme un enthousiaste, comme un fauteur d’anarchie. Ces exagérations, messieurs, sont le plus souvent cause de ces réactions de partis, de ces divisions tranchées entre des hommes souvent faits pour s’entendre et qui se repoussent pour des mots mal définis.
La centralisation et la liberté des communes sont deux éléments aussi réels l’un que l’autre ; ce sont les deux pôles sur lesquels roule toute l’organisation intérieure d’une société, et selon que l’harmonie, que l’équilibre est plus on moins bien établi entre ces deux forces, la nation est plus ou moins bien ordonnée, plus ou moins bien constituée.
Si, frappé trop exclusivement de la nécessité de l’unité centrale, vous ne tenez pas assez compte des libertés publiques, qu’arrivera-t-il, messieurs ? C’est que l’équilibre étant rompu, votre monde politique se penchera tout d’un côté et que vous arriverez de conséquences en conséquences, ou bien au principe de la monarchie de Louis XIV dont l’immobile Orient est le modèle, ou bien au système aussi absolu de la convention dont le type se trouve dans les républiques unitaires et panthéistiques des anciens.
Au contraire, si vous ne tenez pas assez compte de la centralisation bien comprise, votre ordre social tombera sur le pôle opposé, et vous arriverez à sacrifier successivement l’Etat à la province, la province à la commune, puis la commune à la famille, après laquelle il ne reste plus que l’isolement sauvage.
On me dira, messieurs, qu’on s’arrêtera sur cette pente ; mais n’est-il pas bien plus simple de ne pas s’y placer ? Et d’ailleurs la logique des événements ne s’arrête pas ainsi : les conséquences renfermées dans les prémisses qu’on a posées en sortent tôt ou tard infailliblement, apportant la paix et l’ordre si elles contiennent la vérité, apportant des ruines et des révolutions si elles contiennent des erreurs.
Les partisans des deux systèmes exclusifs dont je viens de parler, s’appuient chacun sur des faits historiques importants ; mais ils les interrogent d’une manière tout à fait contradictoire et je pense que leur erreur réciproque et fondamentale provient de cette fausse entente du passé.
Les uns, dans leur admiration pour nos vieilles institutions démocratiques, s’imaginent que nous avons dégénéré depuis, que ce serait un progrès d’y retourner ; les autres, frappés de la grande unité nationale que la royauté a fait prédominer, regardent ces institutions comme usées et leur conservation comme un pas rétrograde. A mon avis, messieurs, il y a erreur de part et d’autre.
Je prie la chambre d’y faire attention ; car l’éclaircissement de ces deux faits, qui servent d’appui aux divers systèmes, peut jeter un grand jour sur le fond de la discussion actuelle.
Nos ancêtres avaient réalisé, dans nos institutions communales, le principe de liberté d’une manière large et vraie ; et il n’en pouvait être autrement, messieurs, puisque ses racines profondes étaient inhérentes à notre sol, puisque le régime communal est le premier qui doit nécessairement naître à se développer.
Nous ne pouvons donc empêcher leur végétation naturelle sans rendre ce sol stérile ; nous devons les conserver, sous peine de faire des abstractions, de fonder sur le vide.
Mais nos ancêtres n’avaient organisé qu’un des deux éléments qui doivent entrer dans la base de la société, la liberté, la vie des communes ; et l’élément d’unité, de centralisation qui unit en faisceau tous ces membres épars, qui fait une nation de toutes ces municipalités distinctes, cet élément n’existait pas alors. La victoire de la monarchie sur la féodalité a introduit l’unité dans ce fédéralisme ; et sous ce rapport, je suis parfaitement d’accord avec les défenseurs de la centralisation : cette victoire a été un grand progrès.
Mais, messieurs, comme il arrive presque toujours, le vainqueur a dépassé de bien loin les limites du camp ennemi, et la monarchie a anéanti gradativement les franchises communales dont elle avait elle-même favorisé la renaissance. Ainsi, messieurs, n’allons pas, par réaction contre les abus de la royauté, détruire le progrès qu’elle a fait faire à l’Europe en introduisant l’unité dans le fédéralisme, et n’allons pas non plus, par réaction contre ce fédéralisme, nous imaginer que l'abolition de nos institutions anciennes par la monarchie, et plus tard par l’empire, a été un progrès, une légitime victoire : non, messieurs, ça été une usurpation, et c’est là une des causes de la mort du régime absolu. Pour nous, messieurs, qui arrivons à ses funérailles, évitons les deux excès dont je viens de vous parler.
Harmonisons les deux éléments que la féodalité et la monarchie ont fait prédominer tour à tour d’une manière trop exclusive ; emparons-nous du principe de nos institutions démocratiques en y introduisant l’unité conquise par la royauté, et peut-être aurons-nous assis notre édifice social sur des bases telles que les révolutions de plus d’un genre qui nous menacent peut-être encore, passeront sans le renverser. Ces faits historiques bien compris, il n’est pas difficile, messieurs, de trouver le critérium qui doit nous guider dans cette discussion, et d’établir l’équilibre que nous cherchons entre l’unité gouvernementale et l’indépendance des communes.
Le vice d’organisation de nos anciennes franchises n’était pas ces franchises elles-mêmes comme plusieurs se l’imaginent : c’était, comme nous l’avons vu, le défaut de centralisation nationale, c’était le fédéralisme. Le pouvoir royal est tombé dans la faute opposée, et au lieu de se borner à établir une grande unité législative et tout à la fois de répression, il a faussé sa mission en abolissant peu à peu les chartes des communes au profit d’un panthéisme administratif.
Emparons-nous donc, messieurs, ou plutôt conservons nos institutions anciennes en ce qu’elles ont de compatible avec notre temps ; elles sont vraies, elles sont vivantes, et je ne comprends pas pourquoi les communes au XIXème siècle seraient moins émancipées dans le cercle de leur administration intérieure que celles du XIIème. Le progrès consisterait-il donc à soumettre l’homme et les nations à une tutelle plus sévère à mesure qui avancent en âge ? Depuis quand l’enfant est-il émancipé et l’homme est-il mineur ? Ou bien sommes-nous moins éclairés, moins dignes de liberté que les Francs et les Germains ? Sinon cela, messieurs, il me paraît que ce serait rétrograder que de restreindre ces vieilles libertés qui forment pour ainsi dire l’air que nous respirons. Les sacrifier à une centralisation administrative, ce serait refouler, concentrer au cœur le sang qui doit circuler dans toutes les veines du corps social, ce serait tuer la nation.
Je sais, messieurs, qu’il est des esprits qui ne reculent pas devant l’idée d’une forte centralisation administrative. Le Moniteur a même reproduit des articles qui prétendaient établir que ce système de tutelle absolue était ce qu’il y a de plus admirable à imaginer.
Le principe qui entraîne ces esprits à tirer cette conclusion est celui-ci : C’est qu’une nation doit perdre en vitalité provinciale et communale ce qu’elle gagne en unité nationale, en centralisation. C’est fort bien, et l’on peut dire de très belles choses pour soutenir ce système en lui-même, mais ce qui me reste à comprendre, c’est qu’on se croie avec de telles théories partisan des institutions constitutionnelles.
Quoi ! messieurs ces personnes admettent les libertés politiques, ces libertés qui supposent une civilisation très avancée, ces libertés qui initient tous les citoyens aux affaires générales de la nation, et ils veulent refuser aux habitants des provinces et des communes la faculté et la capacité de régir leurs affaires propres, celles qu’ils doivent le mieux connaître !
Non, messieurs, ce système ne peut être ainsi scindé sans contradiction, et s’il est vrai que la centralisation administrative est admirable, il s’en suit nécessairement que la tutelle des libertés politiques, en d’autres termes, le système absolu, est plus admirable encore. Voilà, messieurs, où conduit la logique de cette théorie.
Pour moi, je suis convaincu que l’unité nationale et les libertés des provinces et des communes peuvent très bien s’harmoniser sans se coudoyer et se faire la guerre. L’état normal que je me représente à cet égard serait celui où les familles, les communes et les autres agrégations sociales jouiraient de plus de vitalité propre ; où, en même temps, l’unité deviendrait plus centrale à mesure qu’elle serait moins éparpillée, moins répandue dans toutes les directions, dans tous les hameaux.
Une grande diversité dans une grande unité, voilà, selon moi, le principe qui doit nous servir de point d’appui.
Que les communes administrent donc elles-mêmes leur ménage intérieur ; qu’elles aient les coudées franches dans le cercle des affaites communales. Ecoutons ce que nous dit M. Henrion de Pensey des franchises sanctionnées pas les anciennes chartes des communes : « Toutes, dit-il, consacraient le principe que le choix des officiers municipaux appartient aux habitants. Toutes attachaient au pouvoir municipal la manutention des affaires de la commune, le maintien de la police etc. »
Ne détruisons donc pas la base de ces institutions qui ont élevé notre pays à un si haut point de splendeur.
Mais tout en les conservant, souvenons-nous, messieurs, du vice de leur ancienne organisation, du fédéralisme qui a nécessité la réaction monarchique, et n’allons pas briser les anneaux qui lient la commune et la province au pouvoir national, ce serait rétrograder aussi.
Le rôle du pouvoir exécutif ne sera donc pas d’administrer les affaires propres des communes, qu’il régirait mal, puisqu’il ne les connaîtrait pas, ce serait tomber dans la faute qui a perdu l’ancienne monarchie. Mais sa mission sera de réprimer les conflits entre les communes, d’empêcher qu’elles ne sortent du cercle des attributions, et surtout de maintenir partout l’unité législative, les lois politiques auxquelles les lois municipales doivent se soumettre.
Son rôle se borne là ; mais nous ne devons pas craindre de lui donner beaucoup de force pour l’exercer, tout en exigeant des garanties pour en prévenir l’abus. Messieurs, comme pouvoir exécutif et de répression, n’usons pas de méfiance envers lui, puisqu’il ne pourra jamais l’exercer qu’au profit de la liberté de chacun et jamais à son profit exclusif, la puissance législative et l’administration intérieure des communes ne devant plus lui appartenir.
Je vous ai énoncé, messieurs, les principes fondamentaux qui me serviront de règle dans cette discussion importante. Je tâcherai de les appliquer avec conscience lors des débats sur les articles, quoique je n’ignore pas la difficulté qu’il y aura souvent de marquer nettement dans les questions mixtes, les limites des droits réciproques ; c’est à la bonne foi et à la prudence d’en décider.
M. Seron. - Messieurs, mon dessein n’est pas d’examiner dans toutes leurs parties les projets de loi relatifs à l’organisation des municipalités, dont l’un contient 153 articles et l’autre 156, la plupart fort compliqués. Je viens simplement vous soumettre mes réflexions sur les points qui m’ont paru mériter plus particulièrement l’attention de la chambre.
C’est un grave inconvénient des gouvernements dits constitutionnels que l’hérédité, avec le temps, accumule dans les mains du chef inviolable et non responsable une masse effrayante d’argent et de biens souvent acquis par des voies fort équivoques et fort peu honorables. En effet, les hommes, généralement parlant, sont malheureusement possédés de l’amour de la domination ; et, à moins d’être un Antonin, un Julien, un Marc-Aurèle, personnages introuvables dans les dynasties anciennes et modernes, il est difficile, à qui jouit de 30 millions de revenus, de souffrir patiemment la contradiction et de ne pas travailler à s’en affranchir pour substituer sa volonté à la volonté de la loi.
Quand, en Hollande, les Nassau devinrent trop riches, on vit aussi grandir leur morgue, leur insolence et leurs prétentions. Avec leur or ils corrompirent la morale publique, ils achetèrent et les représentants des provinces et les représentants de la nation, et les magistrats et les juges, et la populace. Ils livrèrent à la fureur de celle-ci les meilleurs citoyens, les soutiens de la patrie et des lois. Avec leur or les prétendus fondateurs de la liberté batave la détruisirent, et parvinrent enfin à s’emparer de l’administration et de la puissance souveraine, eux qui, originairement, simples commandants de la flotte et de l’armée de terre, étaient aux ordres des états-généraux. L’histoire est pleine de faits semblables, car partout les hommes se ressemblent et partout les même causes produisent les mêmes effets.
A ce mal dérivant de la nature même des choses, les faiseurs de constitutions ont attaché une prérogative également propre à favoriser l’ambition du monarque et le triomphe du despotisme.
Ainsi, en France, ils ont conféré au roi le droit de disposer à son gré de toutes les places lucratives dans l’armée, dans les finances, dans l’administration civile, dans la judicature, dans les hospices, sans excepter même les emplois d’huissiers, de douaniers et de geôliers. C’est un moyen infaillible pour le gouvernement de se faire des partisans, des amis et des soutiens dans toutes les classes de la société, excepté la classe travaillante et payante, à la vérité très nombreuse ; d’avoir toujours à ses ordres des fonctionnaires aveuglément dévoués, purs de tout sentiment de liberté et d’indépendance, et de peupler la chambre élective de sujets serviles, sans honneur, sans pudeur, corrompus, vendus ou à vendre, dont il obtiendra à volonté des lois d’exception, des emprunts, des milliards d’impôts et une armée considérable et ruineuse, destinée non pas à combattre l’ennemi, mais à tenir la nation sous le joug.
Si ce sont là des vérités, si le gouvernement monarchique n’a déjà, de soi, que trop de force malgré les protestations contraires et les éternelles déclamations des ministres de tous les pays ; si sa pente l’entraîne à l’envahissement des droits de la nation, faut-il encore lui aplanir les voies par lesquelles il atteindra plus facilement et plus promptement son but ? Faut-il lui accorder toujours ce que la loi permet qu’on lui refuse ? La prudence, au contraire, ne commande-t-elle pas de lui refuser tout ce qu’on n’est pas rigoureusement tenu de lui accorder ?
Par exemple, il est écrit dans notre charte, au chapitre des institutions provinciales et communales, articles 108 : « Les lois consacrent, entre autres choses, l’application du principe de l’élection directe, sauf les exceptions qu’elles peuvent établir à l’égard des chefs des administrations communales. » Qu’elles peuvent établir ! Ainsi vous n’êtes pas tenus de créer, par la loi organique des municipalités, les exceptions dont la constitution s’occupe ici ; car si elle les permet, elle ne les prescrit pas, elle les déclare facultatives.
Vous pouvez donc, à cet égard, rejeter et les propositions du gouvernement et les propositions de la section centrale ; il vous est donc loisible de laisser aux communes le droit dont elles jouissent encore à l’heure qu’il est, de nommer elles-mêmes leur bourgmestre. Pourquoi le leur ôteriez-vous ? A quel titre le gouvernement en serait-il gratifié ? De même que le gouvernement français, n’a-t-il pas déjà trop de places à sa disposition ? Prenez-y garde, à force d’augmenter ses pouvoirs, vous finiriez par faire de votre constitution une lettre morte, et de votre liberté un vain mot.
Le gouvernement voit dans les bourgmestres de véritables commissaires royaux à sa nomination, sans limite dans ses choix ; ne lui suffisait pas de nommer les gens du parquet, les gouverneurs, les commissaires de district, les juges de paix, les commissaires de police ; comme s’il ne pouvait jamais avoir assez de fonctionnaires à sa dévotion.De son côté, là section centrale nous dit : « Le bourgmestre, dans sa nomination, doit participer aux deux pouvoirs royal et communal, puisque ses fonctions se rapportent à ces deux pouvoirs. » C’est l’idée, d’ailleurs très mal rendue, d’Henrion de Pansey. Je respecte beaucoup la science de cet illustre président, mais il me sera permis de préférer à ses principes ceux de l’immortelle assemblée constituante.
A mes yeux donc, le bourgmestre, représentant né de la commune, est l’homme de la loi et l’homme du peuple, c’est-à-dire un intermédiaire entre ses administrés et le gouvernement, contre lequel, à chaque instant, il est appelé à défendre leurs droits. S’ils sont surchargés d’impôts, de prestations, de logements militaires ; si leur domicile est violé ; s’ils sont tracassés ou molestés par les agents de la police, de la douane, des accises ; s’ils essuient d’autres vexations, c’est à lui qu’ils ont recours ; c’est lui qu’ils peuvent aborder à toute heure, lui qui écoute leurs plaintes et ne néglige rien pour leur faire rendre justice quand elles sont fondées, lui qui les remet paternellement dans le bon chemin s’il s’en écartent. Ils ont donc le plus grand intérêt à l’élire eux-mêmes et à faire choix d’un honnête homme. Je ne vois pas quel intérêt les ministres, en leur supposant de bonnes intentions, peuvent avoir à ce qu’ils ne l’élisent point.
Mais, dit-on, si les propositions de la section centrale sont adoptées, ils l’éliront effectivement, car ils éliront le conseil, et c’est du conseil que le bourgmestre sera tiré. Quelle pauvreté ! Oublie-t-on que, dans le choix du chef de la régence, la préférence peut tomber sur l’un des membres ayant obtenu le moins de suffrages, conséquemment sur l’homme dont ses concitoyens voulaient bien faire faire un conseiller municipal, mais dont ils ne voulaient pas faire un bourgmestre, qu’ils jugeaient même incapable d’en remplir les fonctions ?
Ainsi, l’article 25 de l’acte constitutionnel aura fait émaner tous les pouvoirs de la nation, c’est-à-dire du peuple, mais inutilement. Dans l’élection de son magistrat immédiat, les pouvoirs du peuple se réduiront à former une liste de présentation ; en réalité les nominations seront l’ouvrage du Roi : je me trompe, elles ne seront pas même l’ouvrage du ministère, puisque le ministère n’y procédera que sur les notes de ses agents chargés de lui désigner les plus dignes d’entre les éligibles.
Croyez-vous que, de cette manière, les sujets seront mieux appréciés et les choix meilleurs ? il est permis d’en douter. Assurément les agents du ministère sont de fort honnêtes gens, ayant d’excellentes intentions ; mais enfin ils sont hommes ; ils ont des préjugés, des passions qui ne leur permettent pas toujours d’être impartiaux ; ils ont, comme tant d’autres, leurs affidés, leurs protégés, leurs amis sur les défauts de qui ils s’aveuglent ; ils ont aussi leurs parents. Soumis d’ailleurs à l’influence de leurs intérêts et de leur emploi, dominés par la crainte de le perdre ou par l’espoir d’en obtenir un autre plus avantageux, ils n’oseraient contrarier les vues du gouvernement qui les nomme et les révoque à volonté. Au contraire, à la longue, ils s’identifient en quelque sorte avec lui ; à la longue, leur raison doit se plier entièrement à son système et s’habituer à n’y voir, en toute occasion, rien que de très naturel, de très raisonnable, de très juste : tel est le cœur humain. Or, le système de tout gouvernement c’est de vouloir être obéi ponctuellement, sans réplique et sans remontrances ; c’est de préférer, dans les magistrats, la souplesse et la soumission à l’aptitude et à la capacité.
Attendez-vous donc à voir rarement dans les listes de présentation où le ministère prendra les bourgmestres, de ces caractères fermes, indépendants, rigides, toujours prêts à opposer la barrière des lois aux prétentions arbitraires et aux empiétements du pouvoir ; et surtout n’y cherchez jamais ces indociles et farouches républicains, redoutables ennemis de la société et de l’ordre, mis à l’index en Belgique où l’on en compte, dit-on, jusqu’à trois.
Au reste, messieurs, ces observations sont générales ; il ne faut y chercher aucune allusion malicieuse et personnelle. Je l’avoue même avec plaisir : parmi les hommes maintenant en place, il en est dont j’honore beaucoup la franchise, le désintéressement et la probité.
Le projet ministériel attribue la nomination des échevins au Roi ou au gouverneur, selon que la population des communes est plus ou moins considérable. La section centrale en charge exclusivement le pouvoir exécutif, mais à la condition de choisir les candidats dont le conseil municipal lui présentera la liste. Pour moi, je crois les échevins éligibles directement par le peuple, comme le bourgmestre lui-même, puisque leurs fonctions sont à peu près semblables à celles de ce magistrat, et que, souvent, ils sont appelés à le suppléer et à le remplacer.
A ces considérations il faut en ajouter une autre non moins frappante. N’est-ce pas une véritable anomalie dans la législation de laisser au peuple la nomination directe, tant de ses représentants dans les deux chambres que de ses administrateurs provinciaux, et de lui refuser, en même temps, la nomination directe de ses bourgmestres et de ses échevins ?
D’ailleurs, ce n’est pas dans les institutions gothiques, c’est dans l’Etat et les besoins actuels de la société qu’il faut chercher les principes de vos lois. La révolution a été faite pour favoriser la civilisation et non pour maintenir les règlements du plat pays.
Voudriez-vous la faire reculer en arrière (comme dit l’honorable M. Dumortier) ? Jugeriez-vous le peuple belge peu mûr pour la liberté, incapable d’user avec discernement des droits qui lui ont été restitués par l’arrêté du 8 octobre 1830 ? Dans ce pays par excellence, a-t-il donné sa confiance à des anarchistes, à des factieux ? Telles n’ont pas été, du moins, les élections que j’ai vues de mes yeux.
Au contraire, dans les cantons de mon arrondissement les choix ont été généralement bons. Si d’anciens bourgmestres connus pour avoir préféré leurs intérêts aux intérêts de leurs communes ont été écartés, le peuple a maintenu dans leurs fonctions ceux dont la conduite était irréprochable ; si les hobereaux, leurs régisseurs et leurs affidés n’ont pu, malgré leurs intrigues, obtenir la majorité des suffrages, personne n’a vu, dans cette manifestation de l’opinion publique, rien d’hostile à la société, rien qui pût la mettre en péril, rien de contraire à la tranquillité et au bien-être la commune.
Il est des hommes qui, sans oser le dire, craignent dans les élections populaires les intrigues d’un parti ambitieux, hypocrite et rusé, dont les vues tendent à faire occuper tous les emplois publics par ses adhérents afin de mieux établir sa domination dans l’Etat. Ils croient remédier au mal en abandonnant au ministère le choix de tous les chefs de l’administration municipale. Mais c’est à la faiblesse des ministères, à leurs continuelles concessions que ce parti doit sa consistance politique. Or, je le demande, aura-t-il moins d’influence sur les nominations du gouvernement qu’il n’en aurait sur les élections du peuple ? Au contraire, car le gouvernement demeurera faible, au lieu qu’à la fin le peuple doit nécessairement ouvrir les yeux.
Au surplus, on trouve dans les deux projets des dispositions purement réglementaires, et d’autres qui ne sont pas à leur place et qui devraient faire la matière de lois spéciales : telles sont, entre autres, celles relatives à la police et aux élections. En faisant plusieurs lois sur la même matière, vous les compliquez de répétitions inutiles.
On y trouve aussi des dispositions contradictoires, inutiles, inconstitutionnelles même ; je vais en citer plusieurs exemples
1° Le projet de la section centrale précise les circonstances au nombre de cinq, où les séances du conseil seront publiques de droit ; il en indique vaguement d’autres où les séances auront lieu à huis clos. Puis il ajoute : « Dans tous les autres cas la publicité est facultative ; elle aura lieu lorsqu’elle sera demandée par les deux tiers des membres présents à la séance. » Ce n’est pas là consacrer la publicité des séances, telle que l’entend l’article 108 de la constitution, c est la rendre illusoire puisque la majorité même des voix ne suffira point pour l’ordonner. C’est aussi substituer l’exception à la règle ;
2° Le tiers de la contribution foncière d’un domaine rural exploité par un fermier lui comptera pour être électeur, comme si le domaine lui appartenait. Cependant la contribution n’est pas sienne ; s’il la paie, c’est en déduction du prix de son bail. N’est-ce pas un véritable privilège en faveur des fermiers, et qui semble imaginé afin de procurer plus de suffrages à leurs maîtres ?
3° Suivant l’article 50 de la constitution, on peut, sans payer un sol d’impôts, siéger sur les bancs de cette chambre où vous représentez la nation entière ; et la loi municipale déclare inéligible aux simples fonctions de conseiller quiconque ne paiera pas le cens requis pour être électeur dans sa commune. L’élection directe est confiée au peuple, mais la loi suppose le peuple assez imprudent pour donner ses suffrages à un individu qui ne présentera point de garantie.
4° Les projets excluent du conseil de régence les employés salariés de la commune, mais ils n’en excluent pas les ministres du culte dont la plupart sont aussi les salariés de la commune qui leur paie un supplément de traitement. De plus, ces ministres ne peuvent être ni bourgmestre, ni échevins ; comment donc les admet-on à faire partie des conseils où sont pris les échevins et les bourgmestres ? Enfin, ils ont hors de l’Etat un chef auquel ils doivent obéissance ; ils ont des privilèges dont ils excipent eux-mêmes pour s’affranchir des obligations imposées par la loi à tous les citoyens ; leur ministère de paix ne leur permet guères d’abandonner leurs brebis pour s’occuper de questions politiques et de procès. Sous ces différents rapports leurs fonctions paraissent peu compatibles avec les emplois civils. Cependant les voici appelés non seulement à régler ce qui est d’intérêt local, mais encore à délibérer sur tout autre objet que l’autorité supérieure soumettra à l’examen du conseil municipal.
Ne vaudrait-il pas mieux les laisser à leur église ? Ne rempliraient-ils pas plus exactement les devoirs du sacerdoce ? N’en seraient-ils pas plus honorés et plus respectés ?
5° Les receveurs communaux sont nommés pour six ans. A quoi bon fixer un terme puisque le conseil peut toujours les révoquer et les suspendre ?
6° Les gardes-champêtres sont nommés par le gouverneur, et les gardes forestiers par la députation provinciale. Pourquoi pas les uns et les autres par cette dernière autorité ?
7° Pourquoi la démission des fonctions de bourgmestre doit-elle être adressée au Roi et n’avoir d’effet que lorsque le Roi l’aura acceptée ? Peut-on forcer les citoyens à demeurer en fonction malgré eux ; et, comme par le passé, ne sauront-ils en sortir qu’au moyen d’une destitution ou d’une démission honorable ?
8° Enfin, pourquoi toutes les exceptions de l’article 9 du projet de la section centrale, et notamment celles du septième alinéa ? Pourquoi déclarer incompatibles, dans tous les cas, les fonctions de greffier et celles de receveur ? Ignore-t-on qu’il est dans le royaume un assez grand nombre de villages où, il n’y a pas 100 habitants, où, par cette raison, tout le monde est en charge ? Ne craint-on pas d’en venir, à force d’exclusions, au point de ne pouvoir y trouver assez de capacités pour composer une administration tolérable ? - On les tirera du dehors. Cela est bientôt dit, mais qui voudra se déplacer pour le plaisir d’occuper à titre nécessairement gratuit, dans de pareilles communes, une place tout à fait insignifiante ?
En voilà assez pour motiver mon vote, qui sera négatif dans le cas où les projets ne subiraient pas des modifications et des changements propres à les mettre en harmonie avec les idées libérales dont l’absence s’y fait trop remarquer.
M. Desmet. - Quand les villes se formèrent en communautés ou corporations politiques, qu’elles obtinrent le privilège d’avoir une juridiction municipale, ce changement contribua peut-être plus qu’aucune autre cause à introduire et à répandre en Europe les principes d’un gouvernement régulier, de la police et des arts.
Le gouvernement féodal avait dégénéré en un système d’oppression. Les nobles, dont les usurpations étaient devenues excessives et intolérables, avaient réduit le corps entier du peuple à un état de véritable servitude, et la condition de ce qu’on appelait les hommes libres n’était guère meilleure que celle du peuple. Cette oppression n’était pas seulement le partage de ceux qui habitaient à la campagne et cultivaient les terres de leurs seigneurs. Les villes et les villages relevaient de quelque grand baron, dont ils étaient obligés d’acheter la protection, et qui exerçait sur eux une juridiction arbitraire.
Les habitants étaient privés des droits naturels et inaliénables de l’espèce humaine. Ils ne pouvaient disposer des fruits de leur industrie, ni par un testament, ni par un acte passé pendant leur vie. Ils n’avaient pas même le droit de donner des tuteurs à leurs enfants dans l’âge de minorité, et ils étaient obligés d’acheter de leur seigneur la permission de se marier. S’ils avaient commencé un procès en justice, il ne leur était pas permis de le terminer à l’amiable, parce que cet accommodement aurait privé le seigneur, au tribunal duquel l’affaire se plaidait, des droits qui lui revenaient lorsqu’il rendait la sentence. On exigeait d’eux, sans indulgence et sans pitié, des services de toute espèce, souvent aussi humiliants qu’onéreux. L’esprit d’industrie était gêné par des règlements absurdes et par d’injustes vexations. Les maximes étroites et tyranniques d’une aristocratie militaire ne pouvaient manquer d’arrêter les progrès de toute industrie.
Mais dès que les villes d’Italie eurent commencé à tourner leur attention vers le commerce et à se former quelque idée des avantages qu’elles pouvaient en retirer, elles songèrent bientôt à secouer le joug des seigneurs insolents et à établir un gouvernement libre et égal, qui assurât parmi les habitants la propriété des biens et encourageât les arts et l’industrie.
La grande augmentation de richesses que les croisades produisirent en Italie occasionna une nouvelle espèce de fermentation et d’activité dans les esprits, et fit naître une passion si générale et si vive pour l’indépendance et la liberté, qu’avant la fin de la dernière croisade toutes les villes considérables d’Italie avaient acquis leurs franchises municipales et s’étaient formées en corps politiques, qui se gouvernèrent d’après des lois établies par le consentement général des habitants...
Cette innovation n’eût pas plus tôt été établie en Italie qu’elle commença à s’introduire en France. Louis le Gros, jaloux d’élever une nouvelle puissance pour contrebalancer celle des grands vassaux, qui souvent donnaient la loi au monarque même, adopta le premier l’idée d’accorder de nouveaux privilèges aux villes situées dans ses domaines. Par ces privilèges, appelés « chartes de communauté, » il affranchit les habitants, abolit toute marque de servitude, et les établit en corporations ou corps politiques, qui furent gouvernés par un conseil et des magistrats de leur propre choix. Ces magistrats eurent le droit d’administrer la justice dans de leur territoire, de lever des taxes, d’incorporer et d’exercer la milice de la ville, qui, à la première réquisition du souverain, se mettait en campagne sous les ordres « d’officiers nommés par la communauté. » En moins de deux siècles la servitude fut abolie dans la plupart des bourgs en France, qui, privés jusqu’alors de liberté, de juridiction et de privilège, devinrent par là des communautés indépendantes.
Les villes d’Allemagne et toutes celles qui composaient l’ancienne Germanie, dont nos contrées faisaient partie, acquirent plus tard que celles de France et d’Italie les privilèges municipaux ; mais comme elles étaient imbues d’un plus grand esprit de liberté, elles les étendirent plus loin, et les conservèrent plus longtemps intacts des empiétements du despotisme.
Les anciens Germains n’avaient point de villes ; même dans leurs hameaux ou villages, ils ne bâtissaient point de maisons contiguës les unes aux autres, c’est ce que rapporte Tacite dans son livre des Mœurs des Germains. Ils regardaient comme une marque de servitude d’être obligés d’habiter dans une ville entourée de murs.
Lorsqu’une de leurs tribus avait secoué le joug des Romains, les autres exigeaient d’elle, comme une preuve qu’elle avait recouvré sa liberté, qu’elle démolit les murailles de quelque ville bâtie par les Romains sur son territoire. Les animaux mêmes les plus féroces, disaient-ils, perdent leur ardeur et leur courage lorsqu’ils sont renfermés : c’est ce que Tacite rapporte de même.
On peut avancer qu’avant le neuvième siècle, il n’y avait point de ville proprement dite dans la Germanie. Henri l’oiseleur, qui monta sur le trône en 929, doit être regardé comme le grand fondateur des villes de cette partie de l’Europe.
Depuis cette époque, le nombre des villes ne fit qu’augmenter et elles devinrent plus peuplées et plus riches ; mais elles étaient encore privées de la liberté et de la juridiction municipale. C’est aux Italiens que nos ancêtres empruntèrent l’institution des communautés, comme le rapporte l’écrivain Knepschild.
Différentes circonstances contribuèrent à l’accroissement de nos anciennes villes, depuis le régna d’Henri l’Oiseleur jusqu’au temps où elles eurent la possession entière de leurs immunités. L’établissement des évêchés et l’érection des cathédrales engagèrent naturellement beaucoup de monde à s’établir dans les villes. On s’accoutuma à y assembler les conseils et à y tenir les cours de judicature de toute espèce, soit civiles, soit ecclésiastiques. On affranchit, dans le onzième siècle, plusieurs esclaves, dont la plus grande partie s’établit dans les cités. On découvrit et l’on exploita plusieurs mines en différentes provinces ; ce qui attira et réunit un grand concours d’hommes et donna naissance à différentes villes.
Les villes commencèrent au treizième siècle à former des ligues pour leur défense mutuelle et pour réprimer les désordres occasionnés par les guerres particulières des barons aussi bien que par leurs vexations. Ces associations rendirent la condition des habitants des villes plus sûre que celle des autres classes des sujets, et engagèrent un grand nombre d’hommes à se faire recevoir membres des communautés.
On ne tarda pas à sentir les bons effets de la nouvelle institution des communautés, dont l’influence, aussi puissante que salutaire, s’étendit sur le gouvernement et sur les mœurs. Un grand corps de peuple fut affranchi de la servitude, ainsi que de toutes les impositions arbitraires et onéreuses auxquelles leur misérable état les assujettissait auparavant. Les villes, en acquérant le droit de communauté, formèrent autant de petites républiques gouvernées par des lois connues de tous les citoyens et égales pour tous ; la liberté était regardée comme une partie si essentielle de leur constitution, qu’un serf, qui s’y réfugiait et qui, dans l’intervalle d’une année, n’était pas réclamé, était aussitôt déclaré libre et admis au nombre des membres de la communauté.
La jouissance de la liberté produisit un changement si heureux dans la condition de tous les membres des communautés, qu’on les vit bientôt sortir de cet état de stupidité et d’inaction où ils restaient auparavant enchaînés, de l’oppression et de la servitude. L’esprit se ranima, le commerce devint un objet d’attention et commença à fleurir. La population augmenta sensiblement. Enfin l’indépendance et la richesse se montrèrent dans ces villes qui avaient été si longtemps le siège de la pauvreté et de la tyrannie.
La richesse amena le faste et le luxe, qui marchent toujours à sa suite, et quoique ce fût un faste sans goût et du luxe sans délicatesse, il en résulta cependant plus de politesse dans les manières et plus de douceur dans les mœurs. C’est dans les villes que les lois et la subordination aussi bien que la politesse des mœurs ont pris naissance, et c’est de là qu’elles se sont répandues insensiblement dans les autres parties de la société.
Dans toutes les villes érigées en communes, il s’éleva un pouvoir qui, habilement secondé par les souverains, rivalisa bientôt avec la puissance féodale, et dont les forces combinées avec celles de la couronne ne tardèrent pas à dépouiller les seigneurs de la plupart des prérogatives qu’ils avaient usurpées sur elle.
A cet événement se rattache, comme dit un savant publiciste, Henrion de Pansey, tout ce qui a été fait dans l’intérêt de la liberté.
Les chartes de commune différaient en quelques points ; mais, uniformes sur les plus importants, toutes abolissaient la servitude personnelle et les taxes arbitraires.
Toutes renfermaient un certain nombre de dispositions législatives qui réglaient les principaux actes civils et déterminaient les peines des délits les plus communs, notamment des délits de police.
Toutes consacraient le principe que « le choix des officiers municipaux appartient directement aux habitants, et sans aucune intervention de la part du souverain. »
Toutes attachaient au pouvoir municipal la manutention des affaires de la commune, le maintien de la police et l’administration de la justice.
Enfin, ce qui est fort remarquable, comme l’observe encore Henrion de Pansey, tous les diplômes autorisaient les officiers municipaux à faire prendre les armes aux habitants, toutes les fois qu’ils le jugeraient nécessaire, pour défendre les droits et les libertés de la commune, soit contre des voisins entreprenants, soitcontre le souverain lui-même.
Bienfaisante prérogative des communes, qu’elles ont perdue, et qui, si elle existait encore, servirait d’une salutaire barrière contre le despotisme et l’arbitraire des gouvernements et les exactions des ministres, et rendrait plus heureuse la société en la prémunissant plus sûrement contre les révolutions générales des peuples.
De ce que nous venons de dire il résulte que le pouvoir municipal n’est pas une création de la loi, qu’il existe par la seule force des choses : il est parce qu’il ne peut pas ne pas être, il est parce qu’il est impossible que les habitants d’une même enceinte, qui consentent à faire le sacrifier d’une partie de leurs moyens et de leurs facultés pour se créer des droits et des intérêts communs, soient assez imprévoyants pour ne pas donner des gardiens à ce dépôt, pour ne pas charger quelques-uns d’entre eux de veiller à sa conservation et d’en diriger l’emploi.
Mais s’il est ainsi, si le pouvoir municipal est de l’essence de toutes les corporations d’habitants, les lois ne pouvant rien contre la nature des choses, il faut dire qu’elles ne peuvent ni supprimer les corps municipaux, ni priver les communes du droit de les élire.
Cependant, toutes les fois qu’un gouvernement inquiet et jaloux évoque à lui le pouvoir municipal, et l’exerce lui-même en administrant les communes par des fonctionnaires de son choix et qu’il révoque à sa volonté, quelque dénomination qu’il donne à ces commissaires, il n’y a plus d’officiers municipaux.
Cela est tellement vrai, et il est bon d’y prendre grande attention, afin qu’on ne s’y méprenne pas. Si dans ce cas il n’y a plus d’officiers municipaux, c’est qu’il n’y a plus de corporations, plus de régime municipal. Il y a encore des villes, des bourgs et des villages ; mais il n’y a plus de cités, plus de communes.
Il est donc évident que les administrateurs municipaux, sans aucune distinction, doivent émaner des habitants, doivent être élus d’eux. Jamais en Belgique, depuis qu’elle a eu des cités et des communes, le pouvoir souverain ne s’est mêlé du choix de ces fonctionnaires ; je ne parle pas cependant des trente années que nous avons été sous le régime de la république et de l’empire français : on sait que cette époque fait une exception qui ne peut pas faire autorité ; et si on se donnait par emphase le nom de citoyen, c’était bien mal à propos, car il n’y avait alors dans toute la France aucune cité.
Si nous voulons donc récupérer actuellement nos communes et le pouvoir municipal, il est de nécessité que le gouvernement n’intervienne aucunement dans la nomination des officiers municipaux ; et si l’autorité royale connaît parfaitement son intérêt, elle se gardera bien de diminuer ou de paralyser dans la moindre des choses les libertés municipales ; elle repoussera les vues et les tendances imprudentes du ministère actuel, qui, comme il l’a montré dans la discussion de la loi provinciale, voudrait entièrement anéantir les pouvoirs subalternes et pour ainsi dire tout réunir au pouvoir central. On doit l’excuser, parce que l’on doit croire qu’étant encore bien neuf dans ce dont il veut se mêler, il ne sait pas très bien ce qu’il fait ni ce qu’il demande, et qu’il ignore qu’en assumant sur le gouvernement trop de pouvoirs, il emploie le plus sûr moyen pour le faire approcher du discrédit et faire perdre la confiance du pays...
Le gouvernement prussien est plus prudent et puis adroit ; quoiqu’il passe pour absolu, il a senti cette vérité gouvernementale qu’affermir le pouvoir sur le bien-être de toutes les classes est la seule bonne politique ; et ce que le peuple prussien aurait dû demander, il l’a eu sans devoir faire des instances près son gouvernement, qui, de son propre mouvement, lui a donné l’affranchissement des communes et le choix libre de ses magistrats municipaux. Hardenberg, homme d’Etat plus remarquable encore que Stein, parce qu’il était moins violent, moins impérieux, moins altier ; diplomate profond et hardi ; libéral dans ses vues et en même temps versé dans la connaissance des hommes, de leurs mobiles et de leurs intérêts, vint compléter l’œuvre de son prédécesseur.
Ce que les lois faites sous le ministère Stein avaient accompli pour le perfectionnement de l’agriculture et l’amélioration du sort des paysans, la fameuse stiedte ordnung ou constitution des villes et le gewerb stever ou taxe du commerce l’accompliront pour les droits civils et commerciaux de la communauté.
La première de ces mesures avait été préparée par Stein, la seconde appartient tout entière au savant ministre Hardenberg. Jusqu’à ce moment, la nomination des magistrats et des juges dans les villes et villages appartenait exclusivement au suzerain féodal. Là justice était secrète, aveugle, souvent partiale, et dirigée par des mobiles de servilité et de complaisance. Une multitude de monopoles, de droits de corporations et de privilèges antiques embarrassaient la marché du commerce, maintenaient les prix à un taux beaucoup trop élevé et perpétuaient la misère publique.
Stein, le premier, voulut renverser tant de barrières. Il commença cette œuvre hardie avec sa témérité accoutumée ; il fit entrer pour la première fois le droit d’élection dans la vie privée des Prussiens. Les habitants durent choisir eux-mêmes leurs magistrats et leurs officiers publics sans que le gouvernement pût s’immiscer dans cette élection et l’entraver. C’est la communauté qui se cotise pour fournir le salaire des magistrats, lorsqu’ils sont rétribués, ce qui n’arrive pas toujours. Ils sont élus pour trois ans.
Les stadt verordneten, élus aussi par leurs concitoyens, sont chargés de la répartition des impôts, du soin des institutions locales, et des devoirs municipaux de diverses natures. Leur charge est purement honoraire. On donne la plus grande publicité à toutes leurs mesures, on affiche les comptes de leur gestion, et le public est mis à même de juger jusqu’à quel point ils se sont rendus dignes du choix de leurs concitoyens
N’est-ce pas là, messieurs, une mise en œuvre bien franche et bien énergique de l’élément démocratique ? Le but du ministère Stein et de celui de son successeur Hardenherg n’était-il pas d’intéresser le peuple à la gestion de ses affaires, de lui donner une part active dans les mouvements politiques du pays ?
Les nobles de ce pays n’ont pas vu sans dépit cette prépondérance accordée au régime municipal ; la plupart, se retirant dans leurs châteaux et dans leurs hôtels, ont laissé les bourgeois diriger à leur guise les affaires de leurs villes et de leurs hameaux ; mais quel observateur philosophe n’apercevra pas dans cette aptitude politique donnée aux classes inférieures et moyennes, un immense perfectionnement ?
Et pour nous, ne doit-elle pas faire le sujet d’une longue méditation ? Quand nous voyons qu’un gouvernement absolu, qu’un des principaux membres de la sainte-alliance, donne par politique, à son pays, l’affranchissement complet du pouvoir municipal, que c’est dans l’intérêt du pouvoir central même qu’il oblige les habitants d’élire eux-mêmes les magistrats et qu’il se fait une loi de ne s’immiscer aucunement dans ce choix, pouvons-nous douter un instant que nous devons conserver l’œuvre de notre révolution, que nous devons maintenir dans tout son entier l’élection directe et le choix par les habitants, tel que le gouvernement provisoire l’a si heureusement décrété, et où il a si bien saisi l’esprit des habitants de la Belgique ?
Si nous détruisons cette belle œuvre, on pourra nous reprocher à juste titre que nous trahissons la révolution de septembre, et que l’avenir de la Belgique se présente sous un aspect bien inquiétant pour ses libertés. Ce n’est jamais que le premier pas qui coûte, les autres suivent de près ; et si on met une première main sacrilège à l’arche sainte de nos franchises, elle ne tardera pas à s’écrouler, et nous pourrons prophétiser qu’une autre révolution n’est pas éloignée.
Soyons donc prudents, messieurs, et plus prudents que ceux qui dans ce moment se trouvent à la tête de nos affaires ; prévenons le coup, et pénétrons-nous de cet adage gouvernemental que le ministre Hardenberg avait si bien senti pour conserver au gouvernement tout son pouvoir, que la plus saine politique est celle qui fait intéresser le plus le peuple dans la gestion de ses affaires et qui lui donne une part active dans les mouvements politiques du pays.
Je n’en dirai pas davantage dans la discussion générale, car je vois dans l’élection par les habitants des officiers municipaux, l’âme du pouvoir municipal, les autres points sont comme des corollaires qui en dérivent ; leur résidence dans la commune sera donc une nécessité, comme il est incontestable que les fonctionnaires ne pourront être destitués que pour forfaiture préalablement jugée. Il en est des officiers municipaux comme des juges, dit Heurion de Pansey : la loi garantit également la durée de leurs fonctions et comme il n’est pas donné aux actes du pouvoir exécutif de prévaloir sur les lois, il faut tenir en principe que, semblables aux juges, les officiers municipaux ne peuvent être destitues que pour forfaiture, concussion, et malversation judiciairement constatées.
M. le président. - Il n’y a plus d’orateurs inscrits sur la discussion générale ; je la déclare close, on va passer à la discussion des articles.
M. le président. - Le gouvernement commence ainsi son projet :
« Titre Ier. Du corps municipal
« Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
« Section première. De la composition du corps municipal »
La section centrale rédige autrement ce titre :
« Titre Ier. Du corps communal.
« Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres.
« Section première. De la composition du corps communal. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne vois pas d’inconvénient à substituer le mot communal au mot municipal. Bien entendu que le corps communal comprend le conseil communal et le collège.
- Le titre proposé par la section centrale est adopté.
« Art. 1er (proposé par le gouvernement). Le corps municipal de chaque commune se compose des conseillers, du bourgmestre et des échevins. »
« Art. 1er (proposé par la section centrale). Il y a dans chaque commune une régence composée des conseillers, du bourgmestre et de échevins. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne vois pas de raison suffisante pour substituer à l’expression claire, précise, de conseil communal celle de régence qui ne se trouve pas en rapport avec la dénomination déjà adoptée. Pour ce qui concerne les provinces, vous avez dit : L’administration de la province est confiée à un corps désigné sous le nom de conseil provincial ; les affaires de la commune doivent, par analogie, être confiées a un corps désigné sous le nom de corps communal ou conseil communal. Il me semble que cette dernière expression est plus claire que celle de régence, qui si elle est historique, n’est pas tellement ancienne qu’on ne puisse la remplacer sans faire violence aux habitudes.
Je crois qu’on doit maintenir la qualification de conseil communal.
M. Dumortier, rapporteur. - Il y a en quelque sorte deux propositions dans celle du ministre ; d’abord celle qui est relative au nom à donner au corps communal ; en second lieu celle relative au principe par lequel on doit commencer, savoir s’il doit y avoir un corps dans chaque commune.
Dans l’article premier de la loi provinciale vous avez décidé qu’il fallait établir le principe qu’il y aurait dans chaque province un corps provincial ; c’est en vertu de cette décision que nous avons cru devoir établir ce principe : dans chaque commune il y a un corps chargé des affaires de la commune.
Le ministre préfère le titre de conseil communal ; il donne à l’appui de son opinion ce qui s'est fait pour la loi provinciale ; mais il n’y a pas similitude entre les deux lois. Si le mot d’états provinciaux n’a pas été conservé, c’est pour ne pas rappeler des institutions que l’esprit de notre révolution a détruites ; mais l’expression de régence n’est que la répétition d’une expression de la constitution ; elle dit que les intérêts communaux sont régis par des corps communaux. Cette expression est ancienne ; elle est consacrée par l’usage et il faut que la législature sache respecter ce qui tient à des souvenirs historiques. Je pense, et dans la section centrale beaucoup de personnes ont pensé, que la dénomination de conseil de régence devait être conservée, afin de conserver à nos institutions un cachet de nationalité. Si, à l’instar de ce qui se fait dans un pays voisin, nous donnons les mêmes noms aux administrations communales, si nous copions ce qu’y fait un ministre du juste-milieu, plus tard il n’y aura qu’à changer le titre du souverain de la Belgique pour perdre notre nationalité.
Il faut toujours conserver ce qui est national et nous avons cru faire une œuvre de nationalité en conservant une dénomination en usage dans le pays. C’est pour cela précisément que nous demandons le rejet de la proposition du ministre.
M. Pollénus. - Je n’attache point une grande importance au titre que l’on attribuera à l’administration des communes ; le motif qui m’empêche d’accueillir la dénomination de régence que propose la section centrale, c’est que l’article 108 de la constitution consacre la dénomination de conseil communal, et c’est celle-ci que j’adopterai.
La crainte que cette dénomination est reçue dans un pays voisin me touche peu, il y aura toujours une grande différence entre nos institutions et celles de nos voisins ; et si les mots se ressemblent, il restera toujours une différence tranchée entre les mœurs des deux peuples ; on ne confondra jamais la constitution belge avec celle de nos voisins ; les motifs de crainte, si crainte il y a, ne sont pas là.
Si j’ai pris la parole, c’est pour vous soumettre quelques considérations à l’appui d’une proposition qui tend à remplacer le mot d’échevin par celui d’adjoint.
Ce n’est point d’une simple substitution d’un mot à un autre qu’il s’agit. Ma proposition tend à proposer un système nouveau, d’après lequel le bourgmestre ou celui qui le remplace serait seul chargé du service d’exécution que les règlements existants et le projet confèrent au collège des bourgmestres et échevins.
L’unité dans l’exécution me paraît la condition de toute bonne administration. Sans cette unité, il ne peut y avoir qu’embarras, hésitations et lenteurs ; tels sont les inconvénients que ma proposition a pour objet de prévenir.
Le système que je propose a été admis dans la loi provinciale ; pourquoi le repousserait-on de la loi qui nous occupe ? Auriez-vous moins de confiance dans un magistrat élu par le peuple que dans un agent du gouvernement ? Car vous vous rappellerez que le gouverneur est seul chargé de l’exécution des mesures délibérées par les conseils des provinces.
Le système d’attributions que propose le gouvernement dans l’article 91 du projet qui est le 43ème de la section centrale, me paraît d’une exécution presque impossible.
Ces articles accordent des attributions aux bourgmestre et échevins ou à l’un ou à l’autre : cette alternative donnera lieu à des embarras inextricables ; car, en cas de concurrence de ces fonctionnaires, on ne saura dans ce conflit à quelles opérations s’en tenir.
C’est encore ainsi que la police rurale et communale est attribuée au collège des bourgmestre et échevins ; l’on conçoit difficilement une police dirigée par un collège et j’en vois d’autant moins de motifs que la police générale sur les objets de la plus grande importance est exercée par un fonctionnaire unique dans toutes les hiérarchies de l’administration.
Je le répète, dans le service d’exécution il me semble que l’unité est indispensable, et que l’intervention d’un collège ne peut y être admise sans inconvénient. Vous vous rappellerez les marques de désapprobation qui suivirent la création d’un conseil dans une haute administration d’où il a disparu depuis.
Et si l’on examine bien les termes de la constitution, on croit y trouver l’idée de ce système d’unité que je viens vous proposer. En effet, l’article 108 de la constitution parle d’un chef du conseil communal, et l’idée d’un chef ne répond-elle le pas à cette idée d’unité que présente le système de mon amendement ? cas on ne conçoit point de chef qui est dépourvu d’autorité et qui est réduit à ne pouvoir agir qu’avec l’assentiment d’un collège.
Messieurs, la concurrence du bourgmestre et des échevins pour l’exécution des décisions communales et pour les mesures de police était inconnue autrefois ; l’idée en appartient aux règlements du précédent gouvernement : sous le règne de Marie-Thérèse, par exemple, je pense que lorsque le premier bourgmestre intervenait, les autres bourgmestres qui étaient des espèces d’échevins étaient sans autorité. Les inconvénients d’autorités concurrentes n’existaient point alors.
Ainsi, dans mon opinion, l’institution d’une autorité collective chargée d’un service d’exécution est viciée par les lenteurs et les entraves inséparables de ces sortes d’institutions. Une autorité d’exécution doit être toute d’action ; toute cause d’entraves inutiles doit en être écartée, et je ne puis concevoir que, tandis que le service d’exécution est attribué à une personne unique dans toutes les autres administrations, on introduirait une exception à ce système pour ce qui concerne les administrations des communes : cela ne se conçoit vraiment pas. Vous voyez donc, messieurs, que ma proposition, si elle était accueillie, fortifierait le service d’exécution et contribuerait par là au développement des institutions communales.
M. Nothomb. - Nous avons commencé, messieurs, par nous occuper d’une question de mot, d’une question grammaticale, celle de savoir quelle dénomination nous donnerons au conseil communal ; sera-ce celle de conseil municipal, de conseil communal, ou de conseil de régence ? il me semble, messieurs, que l’honorable préopinant a changé l’état de la discussion, et qu’il a soulevé une question de principes, qu’il veut troubler par une autre question de mot.
Je ferai remarquer que cette question de principes trouvera sa place dans le chapitre relatif aux attributions. En débattant alors le système exposé par l’honorable préopinant, vous pourrez, tout en conservant la dénomination d’échevins, changer les attributions des échevins ; car cette dénomination n’est pas tellement sacramentelle qu’elle entraîne nécessairement telle ou telle attribution, Il me semble que nous devons ajourner la question de principes, et conserver la discussion dans les limites qu’elle avait d’abord.
Il faut conserver la dénomination d’échevin, parce qu’elle a pour elle l’ancienneté, parce qu’elle se rattache à nos souvenirs historiques. La dénomination d’adjoint n'est pas historique pour nous, elle n’est point consacrée par le temps ; c’est un emprunt fait à la législation de l’empire.
Je reviens à la première question de mot ; la dénomination de régence a été importée parmi nous par les lois et règlements hollandais, et je rappellerai à l’honorable rapporteur de la section centrale que nos anciennes municipalités portaient le titre de magistrat de telle ou telle ville, de bailliage, etc., etc.
La dénomination de régence n’a point pour elle l’autorité des souvenirs historiques que lui attribue l’honorable M. Dumortier. L’argument tiré de l’étymologie du mot municipal me touche peu, car si nous avions à rechercher l’étymologie de tous les mots français qui se trouvent dans nos lois, nous verrions qu’il n’en est presque aucun qui ne s’écarte du sens qui résulte rigoureusement de l’étymologie primitive.
Je ferai remarquer aussi qu’en adoptant le mot municipal, nous avons l’avantage de dire conseil ou corps municipal et municipalité.
Cet avantage n’est pas à dédaigner : en adoptant conseil communal, nous n’aurions que cette seule dénomination ; car le mot communauté ne pourrait être employé.
Enfin le mot régence dans la constitution a une signification particulière ; il faut éviter la confusion qui pourrait résulter du nouvel emploi qu’on veut donner à cette expression.
Je persiste à penser qu’il faut conserver l’expression d’échevin, et ne pas admettre celle de régence.
M. A. Rodenbach. - La constitution consacre les expressions de conseil communal ; ces expressions me semblent beaucoup plus belges que les mots : conseil de régence.
Quant à l’étymologie dont on a parlé, le mot régence n’est pas heureux ; cela vient de régner, gouverner, et on dit aussi la régence d’Alger. (On rit.) Si un étranger venait en Belgique, et qu’il entendît dire : Je vais à la régence, il demanderait quelle est cette régence, et si on va faire un voyage en Afrique. (Nouveaux rires.)
L’expression de conseil communal est consacrée par la constitution, il ne faut pas s’en écarter ; du reste, c’est une question de mots, et je demande qu’on aille aux voix.
M. de Robaulx. - Je ne conçois pas l’importance que l’honorable rapporteur attache à faire changer les mots de conseil municipal adoptés par le projet du gouvernement. Je ne veux pas cependant laisser sans réponse le seul motif qu’il a fait valoir à cet égard.
L’honorable rapporteur a dit : Il nous faut de l’indépendance ; et prenez garde, les mêmes mots qu’en France pourraient amener trop facilement la réunion à la France ; réunion dont l’honorable membre paraît avoir un peu peur.
J’ai dit lors de la discussion de la loi sur les toiles qu’il fallait se rapprocher du système financier français ; quelques membres sont venus me souffler à l’oreille : M. de Robaulx, prenez garde : il ne faudrait que souffler sur les frontières pour faire disparaître la douane française. Tant mieux, ai-je répondu si la douane française est supprimée, nous y gagnerons beaucoup.
On fait valoir aujourd’hui des motifs aussi futiles, nous avons admis l’unité monétaire, et nous n’avons pas cru que c’était prononcer la réunion à la France. Lorsque vous avez admis les kilogrammes, les grammes, avec l’unité monétaire, avez-vus cru que vous formiez la réunion avec la France dont quelques membres ont tant de peur ?
Un honorable membre, M. Pollénus, a dit qu’on pouvait être tranquille ; qu’il y avait une si grande différence entre les deux constitutions qu’il n’y avait pas à craindre de réunion à la France. Je répliquerai à l’auteur qu’il y a une ressemblance entre les deux constitutions, c’est que ni l’une ni l’autre ne sont observées. (On rit.) Voilà, messieurs, une grande ressemblance, et à cet égard, je crains la réunion à la France. (Nouveaux rires.)
Je demanderai à M. Dumortier s’il ne craint pas aussi la réunion à la Hollande en demandant qu’on appelle le conseil communal : conseil de régence. Régence nous vient de Hollande ; il en est de même du mot bourgmestre.
Faisons, messieurs, justice de cette question grammaticale ; les mots doivent être employés selon leur valeur. Nous faisons une loi en français, nous devons employer les mots français.
M. Legrelle. - Il m’est aussi à peu près indiffèrent que l’on consacre la dénomination de conseil de régence ou de conseil communal, mais je dois repousser le système proposé par M. Pollénus, relativement à la substitution du mot adjoint à celui d’échevin. Ce système, d’après le développement que son auteur y a donné, ôterait d’un seul trait tout le système libéral que nous voulons voir consacré dans la loi communale. C’est un système de principe qui aurait les plus graves conséquences. Il résulterait infailliblement de ce principe que le pouvoir municipal résiderait dans la seule personne du bourgmestre ; nous retomberions sous le régime du consulat et de l’empire, c’est-à-dire à une époque où il n’existait aucune franchise.
Le maire était tout dans la ville, et le maire était la machine du pouvoir ; ses adjoints n’étaient que ses employés, et pour mieux dire ses serviteurs. Le rapport de M. Dumortier nous a fait voir à quoi ce système nous menait. Qu’avions-nous à l’époque dont je parle dans le pays ? des adjoints qui étaient tellement au-dessous du maire qu’ils étaient forcés de lui obéir aveuglément, et qu’ils n’étaient consultés que pour la forme.
Nous avons un système de liberté, et nous avons une constitution qui consacre des principes tout autres que ceux que M. Pollénus voudrait introduire dans la loi. Quant à moi je repousserai tous ces principes.
M. Pollénus. - Un honorable préopinant a dit que la dénomination d’échevins devait être conservée à titre de souvenirs historiques. Lorsqu’avec trois de mes collègues je demandais que dans la loi provinciale on conservât la dénomination d’états provinciaux, on me répondait que la chose étant changée, il fallait que les mots changeassent.
Ma proposition est la conséquence de cette décision de la chambre. Lorsque cette dénomination se trouvait dans nos anciennes institutions, les échevins remplissaient des fonctions de judicature. Je ne pense pas qu’il entre dans les intentions des honorables membres qui tiennent à la dénomination d’échevins de leur attribuer des fonctions de judicature.
Je pense que la dénomination d’échevins appliquée à des fonctions administratives ne présente pas l’idée qu’on y attachait autrefois. Je ferai observer que ce mot n’existait pas dans les règlements antérieurs à 1825. Je pense qu’alors c’étaient des assesseurs. Il n’était pas question d’échevins ; de sorte que le souvenir historique de cette dénomination a été interrompu sous le gouvernement précédent.
Je dois une réponse à l’honorable M. Legrelle, qui prétend que se sont les maires de l’empire que je veux. Non ! ce ne sont pas les maires de l’empire que je veux rétablir, car je ne donne au bourgmestre que des fonctions d’exécution. Je ne lui donne pas d’autre autorités que celle que cet honorable membre a jugé à propos d’accorder aux gouverneurs, pour l’exécution des décisions des conseils provinciaux.
Soit que la chambre pense que le bourgmestre doive être pris dans le conseil, ou qu’il ne puisse être nommé en dehors que sur sa présentation, je demande, dans l’un et l’autre cas, si c’est bien sérieusement qu’on me dit que ce sont les maires ou les bourgmestres de l’empire que je veux rétablir.
D’ailleurs, avec les institutions de la Belgique, nous n’aurons jamais à craindre d’avoir des maires de l’empire.
Je pense que si on remettait la discussion de mon amendement jusqu’à l’examen du titre des attributions, on serait alors obligé de remplacer ce mot d’échevins, car il ne répondrait pas à l’institutions que nous voulons consacrée ; car, dans mon opinion, ils ne seraient que les suppléants du bourgmestre, et rien de plus dans les fonctions d’exécution.
M. Jullien. - Je commence par déclarer que je considère la discussion qui s’est élevée comme passablement oiseuse. Cependant, comme il s’est élevé une question de rédaction, et parce que je pense que la loi doit parler dignement et clairement, je ne vois pas pourquoi on substituerait à la rédaction très claire et très précise du gouvernement, celle de la section centrale qui n’a pas les mêmes avantages. Pour en juger, il suffit de rapprocher les deux textes.
« Le corps municipal de chaque commune se compose des conseillers, du bourgmestre et des échevins. »
Voilà une idée bien claire, le corps municipal, l’ensemble des notables de la commune. Il n’est guère possible d’atteindre le but qu’on se propose d’urne manière plus positive.
Voici ce qu’on propose de substituer à cet article :
« Il y a dans chaque commune une régence composée des conseillers, du bourgmestre et des échevins. »
Quand on demande à l’honorable rapporteur la raison de cette différence, il dit : Il faut d’abord constituer l’institution avant de la définir. Voilà pourquoi il faut commencer par déclarer qu’il y a dans chaque commune une régence ; et ensuite définir ce qu’on entend par conseil de régence. Il semblerait d’après cela qu’il y a table rase, qu’il s’agit de constituer la commune.
Dès l’instant qu’il y a une commune, il y a dans cette commune des notables, un corps municipal. Or, je pense que la commune ne fait pas faute. Elle existe et elle est régie depuis des siècles par des lois positives. Il ne faut pas commencer par dire qu’il y a dans chaque commune une régence.
Nous sommes censés adopter ce qui existe. Nous reconnaissons l’existence d’un corps municipal. Mais on a eu la franchise de nous dire : ce n’est pas seulement pour cela que nous proposons notre amendement, c’est parce que l’article du projet présenté est conçu dans les termes de la loi française et que dans les occasions les plus minimes, il faut changer ces expressions pour consacrer d’autant plus notre indépendance. Si c’est dans les mots qu’on fait consister notre indépendance, je crains qu’on ne dise : Elle est dans le mot et non dans la chose.
Je n’attache donc pas la même importance que le rapporteur à ces différences de dénominations.
L’honorable M. Pollénus a proposé un amendement. Comme il est en discussion, j’en dirai quelques mots.
Il propose de substituer au mot échevins celui d’adjoints.
Si vous adoptiez cet amendement, vous renverseriez tout le système de votre loi ; car, d’après la manière dont sont organisés les corps municipaux, la régence, les échevins font partie du conseil de régence, conjointement avec le bourgmestre. Si vous en faites des adjoints, ils ne sont plus du conseil de régence ; ils seront les hommes du bourgmestre, sans attributions spéciales. Vous les prendrez dans le conseil municipal et ils ne seront que les serviteurs du bourgmestre ; ils se trouveront au-dessous des simples conseillers, car les conseillers ont des attributions fixes. Il faudrait désigner les attributions qu’on veut mettre à la place de celles des échevins.
Dans le pays, messieurs, et dans les Flandres surtout, le mot échevin est une tradition historique. Dans toutes les anciennes communes, on connaissait les échevins dans les magistrats.
L’honorable M. Pollénus attribue aux échevins des fonctions judiciaires. Il est vrai que sous l’ancienne administration française les corps municipaux réunissaient les fonctions administratives et judiciaires ; mais comme la loi du 15 août 1790 trace une ligne de démarcation ineffaçable entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif, on peut rassurer l’honorable M. Pollénus sur les craintes qu’il a manifestées. Quant à moi, je voterai contre son amendement, et si le ministre abandonne la rédaction de l’article premier, je la prends pour mon compte et je la fais mienne.
M. de Theux. - Je ne dirai que quelques mots sur l’amendement de M. Pollénus. D’après les réserves faites, il pourrait le retirer, le reproduire, quand nous en serons à discuter les attributions du collège et des échevins. La discussion serait mieux placée dans cette partie de la loi. Cependant je dirai que l’existence du collège des bourgmestre et échevins me paraît utile. Elle est à la commune ce que la députation des conseils provinciaux est à la province, quoique pas précisément au même degré. Mais l’existence du collège a quelque similitude avec la députation des conseils provinciaux. C’est ce que je tâcherai de prouver si l’amendement est reproduit plus tard. Quant à la dénomination, c’est celle de conseil communal que nous devons adopter ; celle qui est dans la constitution, et elle se trouve en harmonie avec celle adoptée dans la loi provinciale.
On paraît vouloir renouveler la discussion qui s’est élevée à l’occasion de la loi provinciale où on voulait donner la dénomination d’états provinciaux. Ici comme alors, je soutiendrai la dénomination de conseil communal.
M. Dumortier, rapporteur. - Un des honorables préopinants veut substituer aux mots conseil de régence ceux de corps municipal. Je demanderai si la constitution parle de corps municipaux. Elle parle de conseils de régence et de corps communaux. Si vous voulez agir en conséquence des principes que vous avez émis, vous devez adopter la dénomination de conseil communal, et non conseil municipal. Le mot municipal ne saurait s’appliquer aux communes rurales. Les membres qui tiennent à la littérature et qui l’invoquent quelquefois doivent ici se rallier à mon opinion. L’expression municipal prise dans cette acception serait vicieuse.
Je vous prie de remarquer que, dans la loi provinciale, on s’était servi du mot municipal toutes les fois qu’il s’était agi du conseil de la commune, et qu’on l’a remplace par le mot communal.
On a attaqué ces principes de deux manières. Le premier orateur a demandé si, en insérant dans la loi le mot de régence, nous ne craignions pas un retour de la nation belge vers la Hollande.
J’ai assez de confiance dans le sentiment d’indépendance qui existe chez le peuple belge à l’égard de la Hollande ; je crois que le souvenir de l’union de notre pays avec cette nation est assez profondément gravé dans l’esprit de tous les Belges, pour croire jamais une restauration possible. L’honorable M. Jullien a trouvé que, dans mon opinion, l’indépendance nationale consistait plus dans les mots que dans les choses. Je désire pour ma part, que celui qui s’est exprimé de la sorte veuille aussi vivement que moi l’indépendance dans les choses. Je désire qu’il le prouve aussi souvent que j’en ai donné la preuve.
Je répondrai aux observations du député de Hasselt. Il désire d’abord que nous adoptions dans la loi l’expression constitutionnelle de corps communal. Il demande également le maintien de la dénomination de bourgmestre, et cependant, par une inconséquence qu’il est difficile d’expliquer, il voudrait que l’on substituât au nom d’échevins celui d’adjoints. Il a employé pour justifier son opinion des raisonnements difficiles à concilier. Il demande la substitution du mot conseil communal à celui de conseil de régence, comme se trouvant inséré dans la constitution. Mais si l’honorable membre voulait que l’on maintînt les expressions que porte notre pacte fondamental, s’il les regardait comme sacramentelles (opinion très contestable d’ailleurs) pourquoi est-il venu proposer avec moi, lors de la discussion de la loi provinciale, de substituer à la dénomination de conseil provincial celle d’états provinciaux ?
Si vous voulez pousser votre système jusque dans ses conséquences, pourquoi n’avoir pas proposé lors de cette discussion le retranchement de l’expression si caractéristique de gouverneur et la substitution des mots insérés dans la constitution : commissaire du gouvernement près du conseil provincial. Pourquoi ne demande-t-il pas actuellement la suppression du mot bourgmestre et son remplacement par les mots constitutionnels de « chef de l’administration communale » ? Ce serait suivre le texte sacramentel de notre pacte fondamental. Si c’était réellement dans des mots qu’existât la liberté et non dans les choses, il faudrait les reproduire et suivre en tout la même marche.
Je pense, messieurs ; que cette discussion est assez oiseuse. Cependant, je répondrai encore quelques mots à ce qu’a dit l’honorable préopinant.
Il a prétendu que dans les premiers règlements on avait consacré le mot d’assesseur, et que ce ne fut que dans les seconds règlements que l’expression d’échevins fut introduite. Il en tire cette conclusion que comme il y a eu cessation de l’emploi de ce mot pendant une période de 25 ans, il n’y a pas de raison pour en refuser la suppression. Je regrette de devoir dire que l’honorable préopinant est parti d’une base tout à fait erronée. Les fait véritables différent complètement de ceux qu’il a cités. Voici comme étaient conçus les premiers règlements. (Aux voix ! aux voix !) Je prie les interrupteurs de me laisser achever. Je ne les interromps jamais. J’ai la parole comme rapporteur de la section centrale, ils ne peuvent me la retirer.
L’assertion de l’honorable député de Hasselt est tellement inexacte, que dans les premiers règlements des villes et des communes c’était l’expression d’échevins qui s’appliquait aux fonctions d’adjoints ; et ce ne fut que dans les seconds règlements qu’elle fut remplacée par celle d’assesseurs pour les communes rurales. (Bruit, interruption.)
J’ai dit, messieurs, que je n’attachais pas d’importance au changement du mot de conseil de régence ; mais je regarde comme beaucoup plus sérieuse l’introduction du mot d’adjoint. Elle entraînerait le bouleversement total de nos idées en matière d’organisation communale.
Je m’oppose donc à la proposition de l’honorable M. de Theux qui a engagé M. Pollénus à ajourner la présentation de son amendement. Je demande au contraire que la chambre donne immédiatement son vote sur cet amendement. (Appuyé.)
Plusieurs voix. - La clôture !
M. Dumortier, rapporteur. - Je ferai remarquer, quant au mot régence, qu’il se trouve déjà consigné dans la loi provinciale.
- La clôture est demandée.
M. le président. - M. Jullien a la parole pour un fait personnel.
M. Jullien. - M. Dumortier a pensé que je lui avais adressé le reproche de voir l’indépendance nationale dans les mots et non dans les choses. C’est précisément le contraire de ce que j’ai dit. J’ai pensé que l’honorable M. Dumortier, voyant l’indépendance de notre pays dans les choses, ne devait pas tenir à la placer dans les mots.
Puisque j’ai la parole…
- Plusieurs voix. - Pour un fait personnel seulement.
M. Jullien. - Il me semble que la dénomination de conseil communal doit être adoptée.
- Une voix. - Pourquoi parlez-vous sur le fond ?
M. Jullien. - Parce que vous me laissez faire.
M. le président. - Je ne puis permettre à M. Jullien de parler sur le fond.
- La clôture de la discussion est mise aux voix et adoptée.
La proposition de M. Pollénus, c’est-à-dire la substitution du mot d’échevin par celui d’adjoint, est mise aux voix. Elle n’est pas adoptée.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de la section centrale.
M. Dumortier. - J’ai dit que je ne m’oppose pas à la suppression du mot régence. Cependant je tiens à ce que la rédaction de la section centrale soit conservée et que l’article premier porte :
« Il y a dans chaque commune un corps communal, etc. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai entendu me rallier à la rédaction de la section centrale, sauf à ce que la suppression du mot régence fût adoptée par la chambre. L’article premier du projet de la section centrale est plus conforme à l’article premier de la loi provinciale que ne l’était celui du gouvernement.
- La suppression du mot régence de l’article premier est mise aux voix et adoptée.
M. de Robaulx. - Si vous remplaciez le mot bourgmestre par la dénomination de maire, croiriez-vous que cette substitution pût amener la réunion à la France ?
- L’ensemble de l’article premier est mis aux voix et adopté.
M. le président. - On passe à l’article 2.
M. Dumortier, rapporteur. - Je demande que le premier paragraphe de l’article 2 de la section centrale soit supprimé, mais que le deuxième paragraphe soit maintenu. Il faut que le principe d’élection soit consacré dans la loi.
M. de Robaulx. - Mais est-ce que l’on escamotera l’élection des bourgmestres et des échevins ? Vous déclarez que les conseillers communaux sont élus directement. Comme je désire que cette élection directe s’étende aux bourgmestres et aux échevins, je demande que l’article 2 soit ainsi conçu :
« Les conseillers, les bourgmestres et échevins, etc. »
M. Dumortier, rapporteur. - Je crois que la rédaction actuelle doit satisfaire l’honorable M. de Robaulx. Le principe n’est pas préjugé dans l’article 2 ; comme les bourgmestres et les échevins seront exclusivement choisi dans le sein des conseils d’après le projet de la section centrale, il est donc entendu que ces fonctionnaires seront nommés indirectement par les électeurs. Mais si M. de Robaulx désire que cette élection soit directe, je lui conseille d’ajourner son amendement jusqu’à la discussion de l’article qui est relatif au mode de nomination de ces fonctionnaires.
J’engage l’honorable membre a ajourné sa proposition jusqu’à la discussion de l’article 7 ou de l’article 9.
M. Jullien. - Je crois que la discussion ne se présentera pas dix fois si l’on admet la proposition de M. de Robaulx et si l’on dit : « Les membres du corps communal sont élus directement par les collèges électoraux. » Par là vous comprenez le bourgmestre, les échevins et les conseillers.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - On comprend parfaitement bien les scrupules qui ont motivé à l’amendement de M. de Robaulx et je crois en effet que par la distinction faite dans l’article premier des trois catégories de fonctionnaires, en s’arrêtant aux expressions de l’article deux, il y aurait préjugé que les échevins ne sont pas nommés directement. Il y a deux moyens de couper court la difficulté et si l’honorable orateur de la proposition veut me prêter quelque attention, il pourra retirer son amendement.
M. de Robaulx. - C’est à moi que le ministre parle ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je parle à toute l’assemblée. Voici les moyens qui se présentent. Premièrement un changement dans la rédaction ; secondement, ajourner tout jusqu’à ce qu’on ait prononcé sur les articles 7 et 9. Si l’on veut voter l’article je maintiendrai l’amendement.
M. d’Huart. - Il semblerait que l’on voudrait abandonner le paragraphe premier de l’article. Je crois utile de dire que le corps communal s’appellera conseil communal. Si on veut ajourner l’article, il est vrai que mes observations pourront se reproduire.
M. Dumortier, rapporteur. - Il me semble qu’on doit dire : « Le conseil prendra le nom de conseil communal » ; il est incontestable que le corps communal ne peut prendre le titre de conseil ; c’est le conseil qui peut porter le nom de conseil communal. Il faut dire cela ou rien.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois que la loi consacrera les expressions qui seront employés. Quand il s’agira du corps délibérant, ce sera le conseil ; quand il s’agira du pouvoir exécutif, ce sera le bourgmestre et les échevins. L’ensemble s’appelle corps communal.
- La chambre ajourne la discussion de l’article 2 après la délibération sur les articles 7 et 9.
« Art. 3. (de la section centrale). Le corps communal est composé :
« - de 7 membres dans les communes de 2000 habitants et au-dessous ;
« - de 9 membres dans celles de 2,000 à 5,000 habitants ;
« - de 11 membres dans celles de 5,000 à 10,000 habitants ;
« - de 13 membres dans celles de 10,000 à 15,000 habitants ;
« - de 15 membres dans celles de 15,000 à 20,000 habitants ;
« - de 17 membres dans celles de 20,000 à 25,000 habitants ;
« - de 19 membres dans celles de 25,000 à 30,000 habitants ;
« - de 21 membres dans celles de 30,000 à 35,000 habitants ;
« - de 23 membres dans celles de 35,000 à 40,000 habitants ;
« - de 25 membres dans celles de 40,000 à 45,000 habitants ;
« - de 27 membres dans celles de 50,000 à 60,000 habitants ;
« - de 29 membres dans celles de 60,000 à 70,000 habitants ;
« - de 31 membres dans celles de 70,000 et au-dessus. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je me réunis à l’opinion de la section centrale.
M. le président. - M. de Theux présente l’amendement suivant :
« Le corps communal est composé de 7 membres dans les communes au-dessous de 1,000 habitants.
« de 9, dans les communes de 1,000 à 3,000.
« de 11, dans les communes de 3,000 à 10,000. »
Le reste comme au projet de la section centrale,
M. de Theux. - Vous avez remarqué que le projet de la section centrale renferme une rédaction contradictoire, quant aux premiers chiffres. En outre, les nombres que j’ai choisis me paraissent plus avantageux pour les communes ; les chiffres de la section centrale me paraissent trop restreints. La section centrale propose, dans son projet, de donner au gouvernement la nomination du bourgmestre en le choisissant dans le conseil. Il faut donc que le conseil soit nombreux.
Nous avons un très grand nombre de communes d’une population très faible, par exemple de 100 habitants à 500, il y a 7 conseillers dans ces communes, on pourra les trouver ; ainsi pour les communes de 1,000 habitants à 2,000, on peut en trouver facilement 9.
Le plus grand nombre des conseillers a aussi cet avantage qu’il rend plus difficile cet esprit de famille si nuisible dans les administrations communales. Je ne crains pas de le dire, la source de tous les abus dans ces administrations, c’est l’esprit de famille. Pour remédier à ces abus, c’est rendre un véritable service que d’élargir le cercle du conseil communal.
En principe, un plus grand nombre de conseillers est encore plus utile lorsque le conseil communal est appelé à délibérer sur des objets très importants, tels que l’aliénation des biens et les emprunts communaux. Il est très important pour ces cas d’élargir le cercle du conseil, afin que sa décision soit impartiale et à l’abri de toute contestation.
Je rappellerai en terminant que dans les anciens règlements les états étaient autorisés à élever le nombre de conseillers communaux selon la population et dans des cas voulus.
M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, l’amendement de l’honorable M. de Theux consiste en plusieurs choses : d’abord il veut que l’on dise : « la commune au-dessous de tel chiffre, » puis il met le mot au-dessus avant le chiffre de la population ; j’adopte ces deux changements comme rendant la rédaction de l’article plus claire.
L’honorable député demande ensuite que l’on modifie le chiffre de la population, qu’on adopte pour première base le chiffre 1,000 habitants, seconde base le maximum de 3,000, et pour troisième base le maximum de 10,000.
Si l’honorable préopinant s’était borné à proposer la première base, je me réunirais à son amendement. En effet, d’après le tableau fourni en dernier lieu par M. le ministre (tableau 4), il résulte que sur 2,738 communes, il y en a 1,581 au-dessous de 1,000 habitants.
Quant à la deuxième et la troisième base proposées, il me semble qu’il y aurait quelques inconvénients à les adopter. Entre ces deux bases, de 3,000 à 10,0000, il y a une différence de 7,000, dans laquelle vient se classer un nombre considérable de communes.
Je crois qu’il ne faut pas adopter cette différence et qu’il faut maintenir l’augmentation admise de 5,000 en 5,000. Cette augmentation met la loi en harmonie avec ce qui a été décidé relativement au cens électoral.
Je sous-amenderai la disposition de M. de Theux et proposerais de mettre 5,000 au lieu de 3,000.
M. de Theux. - Je suis d’accord avec l’honorable rapporteur sur le point principal de mon amendement, nous différons en ce sens qu’il ne veut accorder que 9 conseillers aux communes de 3,000 à 5,000 âmes, tandis que d’après mon amendement, j’en accorde 11.
Messieurs quoi qu’il puisse être beau d’avoir une proportion décimale, il est encore plus beau, dans l’intérêt des communes de leur accorder 11 conseillers pour voter sur les aliénations de leurs biens, et sur les emprunts, et sur les taxes communales.
Le chiffre que je propose était celui du gouvernement, je ne vois pas pourquoi la section centrale voudrait priver les communes d’avoir deux conseillers de plus.
Je ferai remarquer en outre que si le bourgmestre est choisi dans le sein du conseil communal, le gouvernement aura plus de facilité pour faire son choix, alors que le nombre des conseillers sera accru.
M. Dumortier, rapporteur. - Je retire mon sous-amendement, afin d’aller plus vite.
- L’article 3 est adopté avec l’amendement de M. de Theux.
« Art. 4 (de la section centrale). Dans les communes composées de plusieurs sections ou hameaux détachés, la députation permanente du conseil provincial peut déterminer, d’après la population, le nombre de conseillers à élire parmi les éligibles de chaque section ou hameau.
« Dans ce cas, tous les électeurs de la commune concourent ensemble à l’élection.
« Il y a, néanmoins, un scrutin séparé pour chaque section ou hameau. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) déclare se réunir à cet article.
M. de Robaulx. - Je demanderai à M. le rapporteur pourquoi on ne fait pas à la députation provinciale l’obligation de déterminer le nombre des conseillers à élire parmi les éligibles de chaque section ou hameau.
M. Dumortier, rapporteur. - La loi aurait été inexécutable, si nous avions admis le principe d’une manière absolue. Il y a des communes qui n’ont que sept conseillers à élire, et qui ont 24 hameaux. En ayant égard à ce cas, nous avons préféré adopter la proposition du ministre, qui laissait à la sagesse de la députation provinciale à déterminer le nombre des conseillers à élire dans les sections ou hameaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si on devait prendre parmi les éligibles d’un hameau, un ou deux conseillers chargés de représenter ce hameau, il faudrait quelquefois exécuter une chose impossible, car il peut se faire que dans ce même hameau, il n’y ait pas d’éligibles. Ensuite, s’il n’y a que deux éligibles, on ne peut imposer à la commune le choix de ces deux éligibles pour conseillers.
M. de Robaulx. - J’apprécie les raisons qui viennent de nous être données, mais le conseil devrait faire un règlement pour le fractionnement des élections. Dans quel délai ce règlement sera-t-il fait ?
M. Dumortier, rapporteur. - Nous avons pensé qu’il n’y avait pas lieu à s’occuper de cet objet, les habitants des hameaux pourront réclamer auprès de la députation provinciale. (Aux voix ! aux voix !)
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Art. 5 (projet du gouvernement). - Nul ne peut être conseiller s’il ne réunit les conditions nécessaires pour être électeur dans la commune.
« Toutefois un tiers au plus des membres du conseil peut être pris parmi les habitants domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils paient le cens électoral dans celle où ils sont élus. »
« Art. 5 (projet de la section centrale). - Nul n’est éligible s’il n’est pas âgé de 25 ans accomplis, et s’il ne réunit pas en outre les qualités requises pour être électeur dans la commune.
« Toutefois, un tiers au plus des membres du conseil peut être pris parmi les citoyens domiciliés dans une autre commune, pourvu qu’ils paient le cens électoral dans celle où ils sont élus, et qu’ils satisfassent aux autres conditions d’éligibilité.
« Les fils d’électeurs sont éligibles sans devoir justifier du cens électoral, pourvu qu’ils remplissent les autres conditions d’éligibilité. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Malgré mon désir d’abréger la discussion, je ne puis me rallier à la proposition de la section centrale.
M. le président. - Ainsi si cette disposition était adoptée, elle serait considérée comme amendement.
M. d’Hoffschmidt. - La section centrale propose dans cet article une innovation que je ne puis approuver. Elle n’admet pour éligibles que les personnes payant un cens. Elle prive par là ainsi que le fait le projet du gouvernement, une grande partie de nos concitoyens d’un de leurs plus beaux droits, celui d’être choisi par leurs concitoyens pour défendre leurs intérêts.
La section centrale dit, pour motiver cette innovation, contraire aux vrais principes, que l’expérience a démontré que les personnes qui ne possèdent rien sont plus souvent des agents de trouble que d’ordre public, tandis que ceux qui ont quelque chose à perdre dans le trouble et le désordre sont par cela même intéressés à ce que l’ordre ne puisse être troublé. C’est surtout dans les administrations communales qu’il faut craindre ceux qui sont toujours prêts à faire naître du désordre.
C’est là, messieurs, faire le procès à une grande partie des habitants, qui jusqu’à présent ont joui de tous les droits politiques, sans distinction de cens.
Pour être éligible à la chambre et au conseil provincial, il suffit d’être Belge et d’avoir 25 ans. Pourquoi voulez-vous faire une distinction pour les membres du conseil municipal, sous le prétexte que ceux qui ne possèdent rien sont des agitateurs. Je ne comprends pas que le rapporteur ait inséré une semblable considération dans son rapport. Je ne trouve pas cela fort libéral.
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.
M. d’Hoffschmidt. - Je viens de le lire textuellement dans votre rapport. Cela m’a étonné, car le projet de la section centrale est en général très libéral. Et certes, la disposition qui tend à priver les trois quarts de la population du droit d’éligibilité ne l’est pas du tout.
Comment, messieurs, vous ne voulez pas que le citoyen qui jouit de la confiance et de l’estime générales puisse être élu ? A Bruxelles, par exemple, s’il ne paie que 119 fr. de contributions vous le déclarez inhabile ; à vos yeux, il n’est pas bon citoyen, car il n’est pas assez riche ; c’est là une doctrine que je ne m’attendais pas à voir prononcer ici.
Laissez aux électeurs le soin d’apprécier les hommes qui leur conviennent. Ils sont plus à même de juger chez eux ceux qui sont le plus capables d’administrer la commune. Quant à ceux qui seraient troublés, vous n’avez pas à craindre de les voir siéger dans le conseil, ils ne seront pas élus.
La section centrale, dans un autre passage, a, en parlant des membres qui seraient à la fois élus dans plusieurs conseils, exprimé mieux que je ne l’ai fait l’opinion que je viens d’émettre.
Voici ce qu’elle dit :
« Dans la section centrale on a pensé qu’il faut laisser de la latitude aux électeurs, surtout dans les campagnes ; que c’est à eux à connaître ceux qui conviennent mieux aux intérêts de leur localité, et que, si un citoyen jouit tellement de l’estime publique qu’il est élu dans plusieurs communes, il y aurait injustice à l’écarter. En conséquence, l’amendement n’a pas été admis. »
Vous voyez donc que d’après le principe même de la section centrale, il faut laisser les électeurs juges de ceux qu’ils veulent élire. Je trouve une contradiction manifeste avec ce que dit le rapport sur les éligibles.
Mais, messieurs, ce serait une absurdité de limiter le choix des électeurs. Les conseils sont toujours composés des hommes les plus notables, car c’est toujours sur eux que ceux qui paient le moins de contributions portent leurs suffrages. En supposant qu’un septième du conseil, c’est le plus, fût composé d’hommes ne payant pas le cens, je vous demande le grand mal qu’il y aurait, si ces citoyens jouissaient de la confiance des électeurs, et il faudrait qu’il en fût ainsi puisqu’ils auraient été élus.
Est-ce pour un motif aussi futile que vous voudriez fausser un principe ? Je passe au second paragraphe.
La faculté de nommer un citoyen d’une autre commune me paraît devoir entraîner de graves abus. Cette circonstance ne se présentera que rarement, car on n’ira pas chercher un étranger pour administrer la commune, mais comme cela pourrait arriver, je viens m’opposer à ce que la faculté en soit insérée dans la loi.
Comme les fonctions de conseillers sont gratuites, beaucoup de membres les exerceront avec indifférence, les cultivateurs de l’endroit abandonneront déjà avec peine leurs travail pour aller assister au conseil ; jugez ce que ce sera quand il faudra faire une lieue ou deux ; vous savez que la loi ne contient pas de pénalité contre ceux qui n’assisteraient pas aux séances. On n’a pas intention d’en introduire, et le fît-on, elle serait illusoire, car il suffirait de faire dire qu’on est malade.
Les conseillers étrangers à la commune n’assisteraient jamais au conseil, car quoiqu’en payant des contributions ils n’auraient aucun intérêts d’assister aux séances du conseil dont les principales occupations seraient des mesures d’administration.
Il convient donc de supprimer ce paragraphe. Il faudrait qu’une commune fût bien pauvre pour ne pas renfermer dans son sein sept personnes capables de s’occuper des affaires de la commune. Il ne faut pas des qualités éminentes pour faire partie d’un conseil communal. La droiture et le bon sens suffisent. Ce ne sont pas les mauvais petits avocats de villages qui font les meilleurs conseillers.
Je propose de rédiger ainsi l’article : dire uniquement que pour être éligible, il suffit d’être Belge de naissance ou avoir obtenu la naturalisation ; jouir de ses droits civils et politiques et être domicilié au moins depuis le 1er janvier qui précède l’élection.
M. le président. - M. de Robaulx propose un amendement qui consiste à ajouter ces mots : dans les communes ayant moins de 300 habitants.
M. de Robaulx. - Mon amendement est un terme moyen entre la proposition de la section centrale et l’amendement de M. d’Hoffschmidt. Il serait ridicule que dans une ville de 25,000 âmes, il fût permis de chercher le tiers du nombre de conseillers hors de la commune. Pourquoi avez-vous voulu cette exception ? C’est pour que là où la pénurie des habitants peut faire sentir la nécessité de recourir aux communes voisines, cette faculté ne fût pas refusée dans un cas extraordinaire. Je conçois donc que dans une petite commune l’on sente le besoin de nommer des conseillers qui n’y sont pas domiciliés. Mais dans une commune de 25,000 habitants, où donc est la nécessité ? Je crois donc établir une limite où s’arrête cette faculté. Telle est le but de mon amendement ; et je propose que la limite soit fixée à 300 habitants.
- Une voix. - A mille.
M. de Robaulx. - Comment à mille ? La plupart de nos communes rurales n’ont guère une population plus élevée, et vous voudriez que dans une commune de 1,000 à 800 habitants on pût aller chercher hors de son territoire 7 conseillers ? Avez-vous jamais entendu parler que dans les chefs-lieux de cantons, dont la population est quelquefois très peu considérable, il y ait eu pénurie d’hommes éligibles au conseil cantonal ? Je crois la limite que j’ai proposée bien suffisante.
M. d’Hoffschmidt. - Il y a peu de communes qui n’aient que 300 âmes.
M. de Robaulx. - Je ne prolongerai pas le développement de ma proposition. Je laisse à votre sagesse de décider.
M. Angillis. - Je viens appuyer l’amendement de M. de Robaulx. En général, je ne vois pas qu’il faille admettre dans le sein des conseils communaux des hommes qui n’y soient pas domiciliés.
J’ai vu combien, sous l’ancien gouvernement, l’on a abusé d’une pareille disposition. L’on nommait bourgmestres des seigneurs qui habitaient des châteaux situés à plusieurs lieues du siège de leur administration, par le seul motif qu’ils y possédaient quelques propriétés. Ils s’abstenaient de la résidence pendant la plus grande partie de l’année, et lorsqu’ils venaient rendre visite à leurs administrés c’était pour agir en petits souverains. Ils abandonnaient le soin des affaires communales à l’une de leurs créatures.
Si vous admettiez le principe pour les communes de quelque importance, vous verriez devenir bourgmestres des étrangers demeurant à plusieurs lieues de la commune. Or, la possession de propriétés situées dans la commune ne constitue pas un intérêt direct. La commune ne règle rien de ce qui est relatif aux propriétés foncières. Celles-ci ressortent de l’administration générale et quand il y a contestation des tribunaux.
J’appuierai l’amendement de M. de Robaulx parce qu’il peut se trouver réellement des communes dont la population n’offre pas un nombre suffisant d’hommes capables d’exercer les fonctions de conseillers. Mais l’exception sera infiniment rare, et il faut en restreindre le plus possible l’application.
Il y a cependant dans l’article en discussion quelque chose que je ne comprends pas. L’article 5 dit qu’un tiers des membres des conseils communaux pourra dans certains cas être choisi hors du sein de la commune ; d’un autre côté il est dit dans un autre article, que pour être électeur il faut être domicilié dans la commune. Il y a ici une inconséquence ou tout au moins une confusion qu’il serait utile d’écarter.
Pour ce qui est de l’amendement de M. d’Hoffschmidt, je ne puis l’adopter, non pas que je croie que ceux qui n’ont rien sont des agents de désordre. Mais je pense que pour être élu conseiller communal, il faut représenter quelque chose, et ceux qui n’ont rien ne représentent rien.
M. H. Dellafaille. - La nécessité de payer un cens électoral pour pouvoir être éligible n’appartient pas à la section centrale. Elle existait dans le projet du gouvernement et la section y ayant vu une garantie d’ordre, en a prononcé le maintien. Ajoutez à cela que le cens électoral est si faible que ceux qui ne le paient pas ne sont pas censés être en état de remplir les fonctions de conseillers.
M. d’Hoffschmidt s’est élevé contre le paragraphe de l’article qui permet de prendre en dehors de la commune le tiers du nombre des conseillers. Cette disposition est indispensable pour les communes rurales, où il arrivera souvent que l’on ne pourra trouver 7 personnes en état de faire partie du conseil local. Un honorable député a soutenu l’opinion contraire. Je doute qu’il puise la motiver suffisamment.
Il faut commencer par défalquer les pauvres dans les communes qui forment le quart ou le cinquième de la population ; ce n’est pas dans cette classe qu’on ira prendre des conseillers. Il faut ensuite défalquer les enfants et les femmes. Dans une commune de trois cents habitants vous trouverez 50 à 60 familles environ. Il faut encore défalquer les ouvriers, les journaliers, lesquels, sans être à la charge des bureaux de bienfaisance ou à la mendicité, ne sont pas capables d’être conseillers.
Les élections rouleront entre très peu de familles, et les électeurs pourront se plaindre de n’avoir pas assez de latitude dans leurs choix ; ce sont les habitants qui choisissent ; il n’est pas possible que la faveur s’en mêle ; ils choisiront des personnes dignes de leur confiance, et si les élus trompaient l’espoir des électeurs, ils ne seraient pas réélus.
L’honorable M. Angillis demande pourquoi on exige d’autres conditions pour l’étranger, que celles de payer le cens : c’est pour que l’étranger soit Belge et jouisse des droits politiques.
M. de Theux. - Je pense que l’on peut adopter l’article de la section centrale. Il faut que l’élu ait 25 ans, autrefois il fallait également 25 ans pour les villes, et on n’exigeait que 23 ans pour les campagnes. C’était une anomalie. Il est plus simple d’adopter la proposition de la section centrale.
MM. d’Hoffschmidt et de Robaulx combattent cette proposition d’après laquelle un tiers des membres du conseil peuvent être pris dans une autre commune pourvu qu’ils paient le cens dans la commune où on les élit : cette disposition me paraît utile ; elle n’existait pas dans les villes, ni dans le plat pays ; mais c’est une innovation utile.
Vous admettez dans le conseil municipal un homme qui ne paie aucune contribution s’il est domicilié dans la commune ; par compensation ne devez-vous pas admettre celui qui paie dans la commune quoiqu’il n’y soit pas domicilié ? En adoptant l’amendement de M. de Robaulx et de M. d’Hoffschmidt, un homme habitant depuis plusieurs années dans une commune, payant ses contributions dans cette commune, ne pourrait point y être élu, tandis que celui qui serait domicilié dans une commune pourrait être élu quoiqu’il n’y payât pas de contributions.
Nous devons autant que possible faciliter les choix des membres du conseil municipal ; sous quelque rapport qu’on envisage la mesure, on ne peut y voir qu’un objet utile et point d’inconvénient.
Il est impossible que l’homme qui a la confiance des électeurs soit indigne de faire partie du conseil et ne s’occupe pas des intérêts de la commune.
Il y a lieu de maintenir la proposition de la section centrale et de rejeter les deux amendements.
M. Seron. - A demain !
M. de Robaulx. - C’est une question importante : à demain
M. Fallon. - Faites imprimer les amendements.
M. Dumortier, rapporteur. - Je demande à faire une simple observation. L’article est pris au projet du gouvernement ; ainsi on ne peut le reprocher à la section centrale ; c’est au gouvernement à le défendre.
M. d’Hoffschmidt. - Je demande la parole pour demain.
- Plusieurs membres quittent leurs banquettes.
M. Dumortier, rapporteur. - Je demande à répondre à M. d’Hoffschmidt. (Bruit.) M. d’Hoffschmidt m’a inculpé sur une phrase du rapport dont il a tiré la conséquence que selon moi tout homme qui n’a pas de moyens pécuniaires est un agitateur de troubles. Je proteste hautement contre une pareille inculpation. C’est changer les expressions du rapport que de les interpréter ainsi. J’ajouterai que les expressions que j’avais moi-même mises dans le rapport ont été changés ensuite par la section centrale.
- La séance est levée à 4 heures et demie.