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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 19 juin 1834

(Moniteur belge n°171, du 20 juin 1834)

(Présidence de M. Raikem)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître à la chambre les pièces suivantes.

« Plusieurs médecins et chirurgiens de l’arrondissement de Tournay demandent que les commissions médicales soient dissoutes et remplacées par des conseils médicaux provinciaux. »

« Le sieur Louis de Ton, plafonneur à Anvers, réclame le paiement d’une somme de 2,460 francs pour indemnité des pertes que lui a fait éprouver le génie français lors de la prise de la citadelle.»

« Plusieurs habitants de Blerielle, qui ont essuyé des pertes lors du siège de la citadelle de Venloo, en 1833$, demandent le paiement de ce qui leur revient de ce chef. »

- Ces pièces sont renvoyés à la commission des pétitions.


« Les habitants de la commune de Lillo, réfugiés depuis le 30 décembre 1830, demandent du soulagement à leur position malheureuse. »

M. Legrelle. - Messieurs, permettez-moi d’attirer votre attention sur cette nouvelle pétition des habitants de Lillo ; déjà plusieurs fois ces malheureux vous ont adressé leurs plaintes. Vous savez que des inondations sont la cause de leur misère. On ne peut pas différer davantage de venir à leur secours. Je demande que la pièce qu’ils vous adressent aujourd’hui soit renvoyée à la commission des pétitions avec invitation de faire son rapport très prochainement, afin qu’il puisse être joint au rapport sur des pétitions semblables insérées au feuilleton dont la chambre devra s’occuper au premier jour. Le malheur des habitants de Lillo surpasse tout ce qu’on peut imaginer ; leur position est affreuse.

Si dans cette assemblée il se trouvait des personnes qui voulussent, en allant sur les lieux, s’assurer de la réalité de la détresse des réclamants, ils auraient le spectacle de souffrances inouïes ; tous les cœurs en sont émus, et il n’y a pas de paroles pour les peindre. J’espère que la chambre prendra en sérieuse considération la plainte des pétitionnaires.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Il faudrait s’occuper de la loi sur les indemnités dues à ceux qui ont éprouvé des pertes par suite de la révolution et de la guerre.

M. le président. - Il n’y a pas d’opposition ; la pièces est renvoyée à la commission des pétitions avec invitation de joindre le rapport sur cette pétition au rapport sur les pétitions semblables déjà inscrites au feuilleton.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Messieurs, j’ai dit hier que je prendrais des renseignements relativement à l’époque où le rapport sur la loi communale pourra être présente à l’assemblée. Ce rapport est terminé ; il ne reste plus à la section centrale qu’à le revoir. Cet examen pourra être achevé cette semaine.

M. Fallon. - Si le travail de la section centrale peut être terminé cette semaine, je proposerai de fixer la discussion de la loi communale au lundi de la semaine qui suivra celle dans laquelle nous allons entrer. (Appuyé ! appuyé !)

M. H. Dellafaille - Il est fort difficile de fixer le jour de l’ouverture de la discussion sur la loi communale, tant que vous n’aurez pas le rapport sur cette loi : je suppose qu’il soit terminé cette semaine ; mais il faudra qu’il soit imprimé et distribué ; il faudra encore deux ou trois jours pour le lire : je pense qu’il serait imprudent de rien fixer aujourd’hui.

M. Ernst. - Mais considérez qu’on propose un assez long délai.

M. Coghen. - J’appuie la proposition faite par l’honorable député de Namur. On vient de dire que le rapport sera fait cette semaine ; on aura donc huit jours au moins pour l’examiner ; ce temps suffit. Sachant dès à présent que la discussion sera ouverte de lundi en huit, tous les membres de l’assemblée pourront se préparer pour prendre part à un débat aussi important.

M. le président. - Je n’ai pas dit que le rapport sera imprimé cette semaine ; j’ai dit que la section centrale aura terminé son travail cette semaine.

M. Ernst. - En supposant que le rapport sera imprimé jeudi de la semaine prochaine, au plus tard, car on pourra en imprimer successivement toutes les parties, je crois qu’en renvoyant au lundi suivant l’ouverture de la discussion, nous concilions tout. Il convient que le jour de la discussion soit fixé, afin que les membres absents reviennent. On ne peut pas se dissimuler non plus qu’un grand nombre de membres ont l’intention de s’absenter deux ou trois jours à la fin de cette semaine ; il faut qu’ils sachent quand ils devront être de retour. Si on pouvait craindre que le rapport ne sera pas imprimé dans le courant de la semaine prochaine, rien n’empêche de fixer le jour de l’ouverture de la discussion à deux jours plus tard.

M. Legrelle. - Le rapport qui doit vous être présenté est l’un des plus importants qui puissent vous être soumis : il s’agit de formuler nos anciennes franchises, il s’agit de nos précieuses libertés communales. Le rapporteur de la section centrale travaille maintenant dix heures par jour malgré son état de convalescence. Cependant nous avons la conviction qu’il serait impossible de préciser aujourd’hui l’époque où ce rapport sera rendu public. Ce n’est pas seulement la gravité de l’objet qui a retardé la présentation du rapport, c’est encore la maladie de l’honorable M. Dumortier, maladie occasionnée par le rapport même, c’est-à-dire, par excès de travail. Serait-il convenant, après tant de zèle et d’efforts, d’exiger actuellement de l’honorable député de Tournay plus qu’il ne peut faire par suite de l’état de sa santé ?

Avant sa maladie il travaillait au rapport depuis quatre heures du matin jusqu’à minuit.

- Plusieurs voix. - Nous le savons !

M. Legrelle. - Quoi qu’il s’occupe beaucoup encore en ce moment, ce sera tout au plus si le rapport pourra être terminé cette semaine.

D’après nos calculs il faudra au moins six jours pour en soigner l’impression. (Bruit.) Vous en jugerez quand vous aurez le volume entre les mains.

Indépendamment du temps nécessaire pour l’impression, il faudra encore quelques jours pour le lire et l’examiner, et pour la correction des épreuves ; en sorte que vous passerez encore douze à quinze jours avant de pouvoir ouvrir la discussion. Je vous engage, messieurs, à ne pas fixer maintenant l’époque de l’ouverture de vos débats.

Quand la section centrale aura lu les dernières parties du travail de M. Dumortier, elle pourra vous dire quand la discussion sera possible ; jusque-là elle ne peut rien préciser.

M. H. Dellafaille - J’apprécie l’impatience que la chambre montre pour la discussion de la loi communale ; cette impatience nous la partageons. Le retard n’a pas dépendu de nous. La loi communale a été retardée par la loi provinciale elle-même, parce que les mêmes membres faisaient partie des deux sections centrales ; la loi communale a surtout été retardée par l’indisposition de M. Dumortier.

Comme l’a dit M. le président, le travail est très avancé et sera terminé cette semaine. L’impression durera plusieurs jours. Fixer dès aujourd’hui la séance où vous ouvrirez la discussion n’abrégerait rien : car si vous discutiez, ne connaissant pas les motifs pour lesquels la section centrale propose des changements, cela vous entraînerait à des débats interminables.

On parle de prendre quelques jours de vacances ; nous avons des travaux trop importants à faire pour nous séparer.

Quant aux membres absents, je doute que la fixation d’un jour pour la discussion puisse les faire revenir ; nous en avons eu l’exemple par la loi provinciale ; à la première séance 55 membres se sont trouvés présents, et à la fin de la séance la chambre n’était plus en nombre pour délibérer.

M. Eloy de Burdinne. - M. Ernst a annoncé que sur la fin de la semaine on pourra prendre des congés ; M. Dellafaille a fait observer que des travaux importants s’opposaient à ce que nous nous séparassions. Nous avons une loi très importante à faire ; vous allez dire que c’est la loi sur les céréales ; eh bien oui, je veux parler de cette loi : elle ne peut souffrir aucun retard.

La commission d’industrie vous présentera son rapport sur cet objet sous peu de jours ; et avant la discussion sur la loi communale, on pourra s’occuper des céréales. La chambre peut être fatiguée, je le conçois ; mais elle ne saurait prendre des vacances.

M. d’Hoffschmidt. - MM. Legrelle et Dellafaille ont prétendu qu’il faudrait au moins six jours pour l’impression du rapport qui nous sera présenté ; je ferai observer à ces honorables membres que le Moniteur qui publie souvent 24 colonnes dans un seul numéro, les imprime en une nuit : l’impression du rapport pourrait donc exiger tout au plus un jour, un jour et demi. D’ailleurs on peut diviser le rapport et le remettre à plusieurs imprimeries. Par ce mode, quelque volumineux qu’il soit, le rapport pourra nous être distribué vendredi ou samedi, et nous aurons la journée du dimanche pour le lire : on commencera par la discussion générale, les articles viendront après, et on aura toujours le temps d’examiner ce que le rapport en dira.

On peut donc ouvrir la discussion sur la loi communale de lundi en huit. Il y aurait peut-être de graves inconvénients à retarder la délibération sur la loi communale ; le pays attend cette loi avec impatience. On commence à craindre que la loi provinciale ne soit pas mise à exécution, si la loi communale n’est pas votée ; le ministre de l’intérieur a fait entendre du moins qu’il pourrait en être ainsi, quoique je ne voie pas la nécessité d’avoir la seconde loi pour mettre à exécution la première. Messieurs, ne faisons pas attendre plus longtemps au pays les lois organiques dont il a grand besoin, et ne donnons pas au ministère un prétexte pour ne pas mettre à exécution la loi provinciale.

M. Trentesaux. - Je demande qu’on fixe le jour de la discussion de la loi communale au 1er juillet ; c’est le premier jour d’une demi-année. (On rit.)

M. Jullien. - On serait tenté de croire en vérité qu’il y a autre chose que l’indisposition de M. Dumortier qui retarde la discussion de la loi communale. Je ne concevrais pas, si cette autre chose n’existait pas, comment on se refuserait à adopter la proposition de M. Fallon ou celle de M. Trentesaux qui ne diffère que d’un jour.

On fait remarquer que le travail de la section centrale sera infiniment soigné ; plus le travail de la section centrale sera soigné, plus le nôtre sera facile, et moins nous rencontrerons de difficultés dans la discussion.

On dit que les travaux de la chambre étant urgents, personne ne songera à s’absenter ; cela est bon pour ceux qui n’ont pas autre chose à faire ; mais ceux qui sacrifient leurs intérêts pour venir ici seraient bien aises de donner quelques jours à leurs affaires ; je crois qu’il y a beaucoup de membres dans ce cas-là.

J’adopte la proposition de M. Fallon, à moins qu’on ne se rallie à celle de M. Trentesaux.

M. le président. - Je crois qu’on ne peut faire un reproche à la section centrale, relativement au rapport de la loi communale ; il n’y a que l’indisposition de M. Dumortier qui ait retardé ce rapport.

M. Jullien. - Je n’ai fait qu’une supposition.

M. le président. - C’est une supposition erronée.

M. Gendebien. - Hier on a décidé implicitement qu’on imprimerait au fur et à mesure les parties du rapport agréées par la section centrale ; si on procède de cette manière, je crois que le rapport pourra être imprime mardi prochain, et qu’alors, en fixant le jour de la discussion, ainsi qu’on l’a proposé, nous aurons le délai nécessaire pour examiner le travail de la section centrale.

M. Dubus. - Je ne sais pourquoi on fixerait aujourd’hui le jour de la discussion de la loi communale ; nous n’avons pas à cet égard de précédent, et cette fixation serait sans exemple dans cette chambre ; en effet, on doit toujours attendre que le rapport d’une loi soit imprimé et déposé sur le bureau avant de fixer le jour de la discussion. Réellement je ne concevrais le motif de cette déviation à nos précédents que dans le cas où la chambre aurait à se séparer avant le moment où le rapport sera déposé sur le bureau.

Je ne pense pas que ce soit le dessein des honorables membres qui ont parlé ; nous avons des travaux urgents qui peuvent occuper tous nos moments jusqu’à ce que nous discutions la loi communale ; chaque membre, je crois, demeurera à son poste, pour discuter les lois urgentes dont les rapports nous ont déjà été soumis.

Remarquez, messieurs, que la fixation que vous adopteriez serait fondée sur des conjectures qui peuvent ne point se réaliser. Un incident a déjà retardé le travail de la section centrale ; il peut s’en présenter un autre qui retarde encore le rapport.

Je demande qu’on remette la fixation de la discussion de la loi communale au moment où le rapport sera déposé sur le bureau ; je demande, en outre que l’on s’occupe de la loi sur la circonscription des cantons ; nous ne pouvons nous dispenser de voter cette loi dans cette session-ci.

M. le président met aux voix la proposition de M. Dubus, tendant à ce qu’il ne soit statué sur le jour de la discussion de la loi communale que lorsque le rapport aura été déposé.

- Cette proposition n’est pas adoptée.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Jullien.

M. Fallon. - Je me rallie à la proposition de M. Trentesaux.

- La proposition de M. Trentesaux est mise aux voix et adoptée ; la discussion de la loi communale est ainsi fixée au 1er juillet.


M. Dubus. (pour une motion d’ordre). - Je demande que l’on mette à l’ordre du jour, après la loi dont nous nous occupons, la loi sur la circonscription des cantons ; je désire que la chambre soit consultée sur cet objet.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne m’oppose en aucune manière à la motion de l’honorable préopinant, pourvu qu’il soit bien entendu que la loi communale aura toujours la priorité pour le cas où la loi sur la circonscription judiciaire ne serait pas votée au jour indiqué pour la discussion de la loi communale.

M. Eloy de Burdinne. - Je crois que nous ne devons rien préjuger à l’égard de la loi dont a parlé M. Dubus ; si la chambre reconnaît l’utilité de cette loi, à la bonne heure : quant à présent ne nous engageons pas. Je le répéterai, la question des céréales est une question vitale pour le gouvernement, et nous le démontrerons. Lorsque vous aurez fait une loi sur les circonscriptions des cantons judiciaires, et lorsque vous aurez nommé des fonctionnaires, si vous n’avez pas de quoi payer ces fonctionnaires, vous aurez fait une loi inutile.

Je demande la priorité pour la loi des céréales.

M. A. Rodenbach. - La section centrale s’occupe de la loi des céréales ; elle a eu plusieurs réunions, et le principe de cette loi est déjà posé ; je crois que le ministère s’est rallié à ce principe.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Le ministère ne s’est rallié à rien.

M. A. Rodenbach. - Quoi qui en soit, il me semble impossible de fixer la discussion d’une loi dont le rapport ne peut encore être soumis à la chambre. J’appuie la proposition de M. Dubus.

M. d’Huart. - J’appuie la motion de M. Eloy de Burdinne. La loi des céréales est une loi urgente qui mérite toute l’attention de la chambre, car elle intéresse tout le pays. La loi des circonscriptions des cantons judiciaires a pour objet seulement la nomination des juges de paix à vie ; eh bien, vous pouvez avoir cette nomination un peu plus tôt, on un peu plus tard. Par la loi provinciale, nous avons établi les collèges électoraux pour nommer les membres du conseil provincial ; nous avons adopté des tableaux qui déterminent le nombre des collèges ; dès lors, il n’y a plus urgence à voter la loi sur la circonscription des cantons.

Il faut d’ailleurs que la publicité puisse éclairer le pays sur les propositions de la commission ; la loi sur la circonscription judiciaire peut faire naître des réclamations ; les dispositions du projet sont faites dans le silence du cabinet, et les communes peuvent avoir des motifs plausibles de s’élever contre ces dispositions.

Il faut avant tout discuter la loi communale.

M. Pirson. - Je ne connais pas bien ce qui se passe aux frontières, mais je sais que par la Meuse il arrive beaucoup de grain en Belgique ; dans mon pays aucun fermier ne peut vendre un seul sac de grain ; si cet état de choses continue, je vous défie de percevoir les contributions.

M. Eloy de Burdinne. - Il en est de même dans ma province.

M. Dubus. - J’étais loin de m’attendre que la motion que j’ai faite soulèverait une pareille discussion. Personne, messieurs, ne conteste l’utilité de la loi des céréales ; mais avant de s’occuper de fixer la discussion de cette loi, il faut que la chambre soit saisie du rapport.

Il me semble, messieurs, que cette objection est tout au moins intempestive. Un projet de loi définitive sur les céréales a été présenté ; mais comme cette loi est difficile à faire et exige un long examen, une proposition a été faite pour une loi provisoire sur cette matière. Une section centrale est saisie de ces deux projets et s’en occupe sans relâche. Certainement ce n’est pas avant quelques jours d’ici que vous pourrez avoir le résultat de ce travail. La section chargée du rapport de la loi provisoire a suspendu son travail, parce qu’elle sait que la commission d’industrie pourra vous mettre à même de discuter une loi définitive dans cette session.

Ce n’est que dans la semaine prochaine qu’un rapport pourra vous être fait. Je ne vois pas pourquoi, en attendant, nous ne nous occuperions pas des circonscriptions électorales. C’est le 23 mai qu’on a déposé les premiers rapports relatifs à cette loi. A quelques jours près, vous les avez depuis un mois ; et parce que dans quinze jours nous aurons un rapport sur les céréales, nous resterions à rien faire ? C’est ce que je ne puis pas comprendre.

Un honorable préopinant a dit qu’il n’y avait plus d’urgence à s’occuper des circonscriptions des cantons. Il a donc oublié que le 1er octobre est le terme auquel il faut donner l’institution aux juges de paix.

Il importe peu au pays, dit-on, que les juges de paix soient rendus inamovibles un peu plus tôt ou un peu plus tard. Pour prouver que la chose n’est pas indifférente, je n’aurai qu’à rappeler la discussion qui a eu lieu lorsqu’on a fixé le terme auquel l’institution devait être donnée aux juges de paix. Le gouvernement demandait que le terme fût éloigné et même indéfini. Une foule d’orateurs se sont levés pour demander que le terme fût aussi rapproché que possible, et qu’une fois fixé, il ne pût plus être éloigné par aucun motif. On trouvait important que tous les juges fussent rendus inamovibles.

Le vote que vous venez d’émettre dans la loi provinciale rend cette loi d’autant plus importante, car vous avez décidé que les élections se feraient dans les chefs-lieux de canton, et vous avez donné la présidence des collèges aux juges de paix. Vous devez leur donner le caractère d’inamovibilité avant qu’ils soient appelés à présider ces collèges, puisque c’est en considération de ce caractère que vous leur avez donné la présidence des collèges électoraux.

Mais, dit-on, il y aurait un inconvénient à s’occuper de suite des circonscriptions, parce que les communes ne connaissent pas le travail de la commission ; que quand elles le connaîtront, elles feront des réclamations et que vous devez les attendre. Avec un pareil système, nous ne ferions jamais de lois. Le projet du ministre a mis en présence tous les intérêts locaux et provoqué toutes les réclamations. Il est arrivé déjà plus de cent pétitions, qui toutes ont été examinées par la commission. Chaque question a donc reçu tout l’examen dont elle était susceptible. Si vous voulez attendre la dernière pétition avant de voter la loi sur les circonscriptions, il s’écoulera plusieurs années avant qu’elle soit votée. Chaque rapport de pétition provoquera des pétitions nouvelles.

Je pense que, pour mettre à profit le temps qui s’écoulera d’ici à ce que nous nous occupions de la loi communale, et que le rapport sur les céréales nous soit présenté, nous devons discuter la loi sur les circonscriptions cantonales.

M. de Robaulx. - Je crois que vous vous apercevez comme moi que depuis trois jours nous discutons pour savoir ce que nous discuterons. Je m’aperçois maintenant que tous les motifs présentés dans les précédentes séances vont se reproduire à l’envi, et je crains que nous ne discutions pas ce qui est à du jour, la loi sur les toiles. Occupons-nous de l’objet pour lequel nous sommes appelés ici, et quand viendra l’heure du dîner, nous reviendrons sur l’ordre du jour de demain ; les discours seront plus courts, et on décidera plus vite. Je demande donc qu’on passe à l’ordre du jour.

M. Dubus. - La motion de M. de Robaulx tend à renouveler les discussions que nous avons depuis trois jours. Il vaudrait mieux décider la question, maintenant que toutes les observations ont été présentées. (Aux voix ! aux voix !)

- La motion d’ordre de M. de Robaulx est mise aux voix.

Deux épreuves sont douteuses.

M. le président procède à une troisième épreuve avec l’assentiment de la chambre.

- La motion d’ordre est adoptée.

Proposition de loi relative aux droits sur les toiles de lin

Discussion générale

M. le président. - Nous nous sommes arrêtés à la question de savoir si on donnerait la préférence au système de la section centrale ou à celui de M. A. Rodenbach.

M. de Foere. - M. le ministre vous a entretenus hier de la simplicité qu’offrait le mode de perception à la valeur, et vous a demandé que ce mode fût maintenu au moins jusqu’à la révision générale du tarif.

Je vais examiner les deux modes de perception en les comparant, afin que la chambre puisse être éclairée sur son choix.

La perception à la valeur facilite considérablement la fraude et donne lieu à une foule de vexations. Elle facilite la fraude en ce que non seulement les employés des douanes, mais les négociants eux-mêmes, ne peuvent apprécier avec exactitude la valeur des toiles.

Môn honorable collègue M. Bekaert vous a prouvé les vices de la perception à la valeur. Ce système donne lieu à une foule de contestations entre le commerce et la douane. Des négociants vous ont adressé contre ce système des mémoires qui sont appuyés de pétitions nombreuses dont le rapport vous sera peut-être fait demain.

Je demanderai si c’est la commodité des ministres et des employés de douane, ou bien la protection du commerce et l’intérêt du trésor que vous avez en vue quand vous votez une loi de douane.

En adoptant le mode de perception proposé par l’honorable M. Rodenbach, vous consacrez une immoralité dans la loi. Le député de Roulers vous dit qu’il demande un droit de 10 p. c. dans la persuasion que ce droit ne sera en réalité que de 7 p. c. N’est-ce pas dire au commerce : Vous pouvez frauder jusqu’à concurrence de 3 p. c. ? C’est l’intention de la législature. Elle s’est expliquée catégoriquement à cet égard. Voilà l’immoralité dont vous stigmatisez publiquement vos lois. Songez d’ailleurs aux conséquences que pourra avoir un semblable principe. Il sera infailliblement appliqué à toutes les autres déclarations de marchandises, sous prétexte que la législature aurait reconnu implicitement la fraude.

Le mode de perception que je vous propose, au contraire, a l’avantage de trancher toutes les difficultés et met un terme à la fraude. En imposant les toiles d’après le poids des ballots et en appliquant à la qualité de l’objet manufacturé une tarification progressive, qui dans le doute est toujours appliquée en faveur de la douane, on peut avoir l’assurance qu’aucune fraude n’aura lieu. C’est d’ailleurs le mode de perception adopté en France, sans qu’il ait donné lieu à aucune espèce de réclamations.

Le ministère a demandé aux chambres de commerce du royaume des renseignements et des rapports sur la meilleure perception de l’impôt à frapper sur les toiles étrangères. Toutes celles qui ont répondu ont été d’avis de suivre le mode à la loupe, comme étant le meilleur. Ce mode a donc reçu la sanction du pays.

Pourquoi le ministère demandait-il des renseignements, s’il n’avait pas l’intention d’adopter l’avis que la majorité des opinions indiquerait comme étant le plus convenable ? L’unanimité des chambres de commerce ne devait-elle pas l’éclairer sur la marche qu’il avait à suivre ?

La principale raison que le ministre a alléguée en faveur du maintien de l’ancien système, c’est la nécessité de maintenir l’uniformité dans les lois actuelles des douanes, jusqu’à leur complète révision. Cette révision, messieurs, nous est donnée en attente depuis trois ans, et en attendant, la fraude n’en continue pas moins à inonder nos frontières ; le commerce est vexé et l’industrie souffre.

De quel grand changement, au surplus s’agit-il donc ? Le mode de perception au poids est adopté dans les lois des douanes ; il ne s’agit que d’y ajouter la tarification progressive. Le mode de perception à la loupe est d’autant plus avantageux qu’il écarte la nécessité d’appréhension en écartant la fraude, et rend plus rares les procès qui en résultent. Eh bien, le ministère, après avoir reconnu cette vérité dans son rapport, après avoir reconnu qu’il prévient la disproportion du droit, en définitive la fraude, il le repousse cependant dans son rapport.

Aussi la section centrale a été frappée des avantages de mon système, puisqu’elle a tâché de le coordonner avec le système du gouvernement à partir de l’article 2 du projet du gouvernement. Il ne peut donc y avoir le moindre doute sur le mode à suivre. Je demande au ministre qu’il discute franchement les deux systèmes qui ont été soumis à la chambre, qu’il débatte la question au fond comme je l’ai fait, et qu’il ne vienne pas, comme d’habitude, amuser la chambre avec des jongleries et de niaiseries, toutes les fois qu’il s’agit des intérêts matériels du pays.

(Lettre insérée par le même député dans le Moniteur belge n°176, du 25 juin 1834 :)

A M. le directeur du Moniteur belge.

Monsieur, les égards que je dois à la chambre des représentants m’imposent le devoir de repousser un terme injurieux que MM. les sténographes m’ont prêté dans le compte qu’ils ont rendu de mon discours, prononcé, dans la séance du 19 courant, sur mon projet de loi et sur celui de M. Rodenbach, relatifs à la majoration des droits sur les toiles étrangères et au mode de percevoir ces droits J’aurais dit, selon la version du il : « Que le ministre ne vienne pas, comme d’habitude, amuser le chambre avec des jongleries, etc. »

Il est vrai que M. le ministre des finances et M. Legrelle ont pris ce texte pour base de leurs observations ; mais si, par erreur ou dans la chaleur de l’improvisation, il arrive aux membres de la chambre de réfuter des objections imaginaires, ce n’est pas une raison pour les sténographes de les convertir en réalités. Le fait est que je n’ai pas proféré le terme "jonglerie" contre le ministère. Toute la chambre pourra l’attester au besoin. J’aurai toujours grand soin de me resserrer dans les bornes des convenances parlementaires ; et si, en improvisant mes discours sur de simples notes, comme je le fis, il m’échappe des termes inconvenants, je serai toujours disposé à les reconnaître comme tels et à les rectifier. C’est ainsi que le terme "niaiseries", et non "jongleries", m’est échappé dans l’improvisation, et que j’y ai de suite substitué celui de tergiversations. Je maintiens ce dernier terme dont la justesse de l’application ne me serait pas difficile à prouver.

MM. les sténographes ont, en outre, tellement tronqué et défiguré tout mon discours, qu’il se refuse à toute rectification. Je me vois donc forcé de vous l’envoyer dans toute son intégrité, d’autant plus que la discussion est sur le point de renaître.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble serviteur.

de Foere, député du district de Thielt.» (Note du webmaster : Le texte « rectifié » est ensuite publié dans le même Moniteur. Il n’est pas repris dans la présente version numérisée)).

M. A. Rodenbach. - Nous avons déjà perdu depuis plusieurs jours un temps précieux. Je tâcherai d’être bref et j’aborderai franchement la question. Il s’agit aujourd’hui pour la chambre de se décider entre le système de la section centrale et ma proposition.

Mon système, auquel M. le ministre des finances s’est rallié, n’a pas seulement été approuvé par lui, mais plusieurs chambres de commerce du royaume l’ont également adopté. L’honorable M.de Foere ne doit pas l’ignorer, et ce doit être par oubli qu’il a parlé de l’unanimité des chambres de commerce en faveur de sa proposition. La commission supérieure d’industrie, siégeant à Bruxelles, a également été d’avis que le mode de perception que je propose est le meilleur. Cette autorité est d’un grand poids, puisque la commission d’industrie est composée des premières notabilités du royaume.

Je suivrai maintenant l’honorable M. de Foere sur le terrain de l’immoralité dont il a accusé ma proposition. En matière de douanes, il n’y a pas d’immoralité. J’ai dit que le droit fictif de 10 p.c. ne rapporterait en réalité que 7 p. c. On ne peut empêcher le vice de tenter d’enlever au fisc un droit de 3 p. c. sur la valeur des marchandises importées. Dans notre système de douanes actuel, il y a une foule d’articles qui se perçoivent par la préemption. L’honorable M. de Foere a dit que la préemption est un détestable système. Mais la section centrale n’admet le système de perception par la loupe que pour les toiles écrues. Mais elle a maintenu le système que le préopinant appelle un système vicieux. La préemption sera employée à l’égard des nappes, des toiles à matelas, etc. En s’appuyant donc de l’autorité de la section centrale, l’honorable M. de Foere se combat donc par ses propres armes.

J’ai dit que le système de perception du droit à la loupe est un système qui a encore besoin d’être étudié. Pour le prouver, il suffira de remarquer que les toiles d’Allemagne sont de 50 p.c. plus légères que les toiles en Belgique. Il me semble que cette différence de poids doit influer sur la quantité de fils contenus dans cinq millimètres carrés et qu’il peut y avoir matière à erreur. Je n’ai pas le bonheur de pouvoir examiner ce point. Sans avoir étudié l’optique, je crois que le nombre de fils n’est pas le même dans deux pièces de toile allemande et belge à qualité égale.

Il y a encore beaucoup d’autres questions à traiter sur cette matière. Il s’agit de savoir si l’on ne pourra également frauder dans le système à la loupe. Il est possible que des employés qui n’ont que 500 florins par an soient tentés de mal juger la qualité des toiles à la loupe, et des arrangements avec le négociant peuvent leur faire voir d’une manière merveilleuse.

Messieurs, je l’ai dit dans la séance précédente, nous ne pouvons détruire efficacement la fraude avec le système de douanes actuellement établi. Quand nous le reformerons, nous pourrons examiner plus amplement la question que je combats. Du moment que nous aurons acquis la conviction que les puissances voisines ne veulent pas faire des traités de commerce qui nous mettent vis-à-vis d’elles sur le pied de la réciprocité, nous pourrons adopter un système plus prohibitif. Mais changer actuellement le mode de perception, c’est jeter la perturbation dans la législation sur la matière.

Je persiste dans ma proposition.

M. Bekaert. - Messieurs, je prends encore une fois la parole au risque même de répéter ce que j’ai déjà eu l’honneur de vous dire dans la séance d’hier. En effet, il est étonnant, il est même inconcevable qu’une discussion puisse se prolonger sérieusement sur le mode qu’il conviendrait d’adopter pour la perception du droit protecteur que la législature veut accorder à l’industrie linière. La différence qui existe entre les deux systèmes qui ont été proposés est telle qu’elle doit se faire apercevoir, je ne dirai point de ceux qui ont quelques connaissances commerciales, mais de tout homme sensé et de bonne foi. Cette différence est palpable, comme celle de la nuit au jour.

En effet, que voulons-nous ? Accorder protection à une précieuse industrie nationale. Eh bien, messieurs, la raison, le simple bon sens, nous prescrit de prendre les dispositions qui puissent rendre cette protection réelle. Qui veut la fin veut les moyens.

Le mode au poids et à la loupe doit donc être préféré, non seulement parce qu’il est le seul qui soit capable de remplir le but de la loi en satisfaisant aux besoins d’une souffrante industrie, mais encore pour les avantages tant moraux que matériels qu’il réunit si évidemment sur le mode opposé.

Le système que nous défendons est équitable, parce qu’il offre à la fixation du droit une base certaine. J’entends une base matérielle qui est infaillible, qui écarte l’arbitraire et exclut la faveur.

Ce mode offre plus de facilité dans l’exécution, parce que tout douanier sait se servir de la balance et de la loupe, tandis qu’il ne s’en trouvera pas un seul (oui, j’ose l’affirmer), pas un seul qui saura apprécier un envoi de toiles blanches.

Ce mode est plus dans nos mœurs, parce qu’il repousse l’odieux système de la préemption, et qu’il prévient les nombreuses contestations que fait naître sans cesse la perception à la valeur.

Il est préférable parce qu’il est le seul qui puisse garantir à la fois les intérêts du trésor et ceux du commerce. Enfin, ce mode est le seul qui soit moral, le seul qui soit juste, parce que tout impôt protecteur doit être une vérité.

Le système de percevoir le droit à la valeur est loin d’offrir les mêmes titres à la confiance publique ; ce mode n’ayant pour contrôle que la connaissance plus ou moins spéciale, je dirai même la prévention plus on moins favorable, des employés envers le déclarant, ne présente aucune garantie à la fabrication indigène. L’assiette d’un impôt qui n’a point de base sûre, fixe, ou déterminée, par cela seul qu’elle peut prêter à l’arbitraire, est un principe trop dangereux pour être consacré par la loi. Je pose en fait que deux envois de toiles de la même valeur ne seront jamais également estimés ; qu’en sera-t-il donc si l’ignorance ou la faveur devait exercer sur l’estimation une notable influence ? Veuillez, messieurs, réfléchir aux conséquences d’un système si nuisible aux véritables intérêts du pays.

Le mode que nous réclamons, reconnu comme le plus efficace, est celui qui est établi en France et en Angleterre ; il est appliqué contre les produits de l’industrie belge ; pourquoi la Belgique ne l’appliquerait-elle point contre les produits de l’industrie étrangère ? Notre système n’a pas seulement pour lui l’expérience du succès et la sanction de nos voisins, mais sa supériorité est reconnue par M. le ministre des finances lui-même. Consulté par la section centrale sur l’objet dont s’agit, voici la réponse de M. le ministre :

« Le tarif actuel impose les toiles de lin à la valeur ; ce mode paraît le plus simple dans son application, surtout quand il ne s’agit que d’un droit peu élevé, mais il a l’inconvénient de n’être équilibré que par le moyen coercitif de la préemption, qui de sa nature est subordonnée au discernement et à l’opinion des employés. Il laisse donc, sous ce rapport, beaucoup à désirer, surtout dans l’intérêt du trésor. Et vous concevez, messieurs, qu’un mode qui laisse le trésor sans garantie, doit laisser aussi l’industrie sans protection, car les douanes doivent être établies dans l’intérêt du commerce national autant que dans l’intérêt du fisc. »

M. le ministre continue : « Le mode de perception au poids présente une base plus matérielle et plus certaine mais a l’inconvénient de faire peser l’impôt sur la marchandise dans une proportion inverse de sa valeur, vu que les tissus fins et de plus grande valeur pèsent moins que les tissus grossiers et de moindre valeur.

« En France on a adopté un mode mixte, qui consiste à imposer les toiles au poids, mais proportionnellement au degré de finesse, dont on s’assure au moyen d’un instrument appelé compte-fil.

« Ce mode écarte la nécessité de la préemption et prévient la disproportion du droit relativement à la valeur. Sous ce rapport il paraît offrir de l’avantage sur les deux autres. Son application au tarif des douanes belges, par rapport aux toiles, serait un essai dont l’expérience seule pourrait démontrer les avantages ou les inconvénients sur les autres modes. »

Ainsi vous voyez, messieurs, que le ministre avoue lui-même que le mode de percevoir au poids et à la loupe offre de l’avantage sur les deux autres. Eh bien, c’est ce mode dont nous réclamons l’adoption, et nous osons prédire, avec le sentiment de la plus intime conviction, que l’essai en serait couronné du plus brillant succès.

Je dois à la vérité de déclarer que cette opinion si franchement émise par M. le ministre des finances a fait la plus agréable impression sur les membres de la section centrale à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir. Ils y ont acquis la preuve que M. le ministre a la louable intention de faire sortir l’administration des douanes de la vieille ornière des habitudes pour la faire marcher dans la voie des améliorations, en adoptant un système d’impôt plus en rapport avec nos mœurs et les besoins de l’industrie. Nous osons espérer que M. le ministre se ralliera au mode proposé par la section centrale, et qu’il donnera ainsi, dès aujourd’hui même, à son projet d’amélioration un commencement d’exécution, en donnant à la fabrication linière la juste satisfaction qu’elle demande.

M. Zoude. - On doit être convaincu que la seule manière d’augmenter réellement le droit sur les toiles, c’est d’adopter le mode proposé par la section centrale. Le ministre a dit que l’on créerait des embarras à l’administration en changeant la perception. Dans peu de jours la commission d’industrie sera bien obligée, en vous présentant un rapport, de vous proposer sur les tissus en coton une perception des droits basée sur la finesse de ces tissus.

M. de Foere. - Vous avez sous les yeux le rapport de la section centrale ; on y relate les avis des chambres de commerce. On leur a demandé s’il était utile d’augmenter le droit sur les toiles ; elles ont répondu : Oui. Mais elles n’ont rien dit sur le mode de perception, du moins quelques-unes ; celles qui se sont occupées de cette seconde question ont partage l’opinion de la commission.

L’honorable M. A. Rodenbach avoue que la préemption donne lieu à beaucoup de vexations ; alors pourquoi n’admet-il pas le système qui évite la préemption ? On objecte la corruption des employés des douanes contre le système de la commission ; mais cette corruption peut avoir lieu pour un mode de perception comme pour un autre, et elle ne prouve rien.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je me propose de répondre aux partisans du mode de perception basé sur la valeur.

Que disent M. Rodenbach et MM. les ministres pour appuyer le système de perception à la valeur ? Ce mode est plus simple ; l’administration des douanes y est habituée, et il ne nécessitera de sa part aucune étude, aucun progrès dans l’exercice de ses fonctions. Ce n’est pas dans une loi temporaire qu’il faut introduire un nouveau système de perception ; cette introduction ne peut avoir lieu que lors de la révision de notre système général de douanes. Nous avons donné notre assentiment en quelque sorte au mode proposé par la section centrale, ajoute M. le ministre des finances, lorsqu’il s’agissait d’établir un système général de douanes à l’égard de tons les produits de l’industrie linière, lins, fils et toiles ; mais aujourd’hui il ne s’agit plus de cela, il ne s’agit plus que des toiles, il ne s’agit plus que de mettre des droits plus élevés que ceux actuels à l’entrée des toiles étrangères ; il ne s’agit enfin que d’une loi essentiellement spéciale, temporaire et de courte durée, en attendant la révision générale de notre tarif.

Viennent ensuite quelques objections que l’on ose à peine émettre, et d’où il résulterait que le mode proposé par la section centrale, bien qu’il soit fondé sur l’expérience d’un grand nombre d’années faite par la France et l’Angleterre, pourrait en théorie présenter encore quelques légères défectuosités.

Mais, messieurs, rien n’est parfait de ce qui sort de la main ou du cerveau des hommes ; telle est notre condition. Et faut-il, parce que nous ne pouvons pas atteindre entièrement la perfection, que nous nous refusions à en approcher le plus que nous pouvons ? Le ministère nous cite souvent l’exemple de la France, quelquefois même lorsqu’il devrait se garder de la citer, témoins la discussion de la loi provinciale ; et quand il devrait, comme au cas présent, nous engager à entrer dans le système français, il ne le fait pas.

Le mode de M. Rodenbach est plus simple, dit-on ; il ne nécessitera aucun travail d’étude de la part de notre administration douanière, et ce sera de quelques instants que de voter sa proposition de loi. A cela je réponds que d’abord la simplicité ne doit pas aller jusqu’à adopter un système essentiellement vicieux ; que nous ne faisons pas des lois de douanes pour éviter du travail aux employés de l’administration ; qu’au contraire, ceux-ci, dévoués qu’ils doivent être aux intérêts du commerce et de l’industrie du pays, repousseront de tous leurs moyens une telle objection, que je regarde, moi, comme une injure faite à leur zèle et à leur patriotisme ; et qu’enfin nous ne sommes pas ici pour faire des lois à la minute mais pour faire de bonnes lois.

J’ai déjà répondu hier à l’objection tirée du caractère temporaire à donner à la loi. C’est précisément parce que la loi ne sera que transitoire qu’elle n’aura force et vigueur qu’en attendant que nous puissions lui assigner un caractère permanent lors de la révision générale du tarif des douanes, qu’il est permis d’essayer l’emploi d’un mode de tarification nouveau pour nous, mais, je le répète, déjà pratiqué par la France et l’Angleterre. L’expérience que nous en aurons faite par rapport aux intérêts industriels et commerciaux de notre pays nous mettra à même de fixer le tarif d’une manière tout à fait conforme à nos intérêts.

Quant à la dernière objection de M. le ministre des finances, quoiqu’il en dise, ses raisonnements sur le mode de tarification n’ont été appliqués qu’aux toiles et non aux lins et aux fils ; et il ne pouvait en être autrement, car le mode que nous proposons ne peut s’appliquer qu’aux toiles, et nous n’avons malheureusement jusqu’ici pas pu trouver un pareil mode de tarification pour les lins et les fils. En ce qui est des lins, nous avons dû nous résigner au système d’imposition à la valeur ; et quant aux fils nous avons dû nous borner à la désignation des espèces et au poids. Ce qui ne présente à beaucoup près pas autant de sûreté que le mode que nous avons appliqué aux toiles.

Enfin, messieurs, M. Rodenbach a fait lui-même la critique la plus amère qu’on puisse faire du mode de tarification qu’il propose en vous disant : « Si votre intention est de m’accorder une protection de 6 p. c., il faut que dans la loi vous m’accordiez 10 p. c. » Il serait inutile d’ajouter de plus longs développements à cette objection qu’a faite lui-même l’honorable auteur de la proposition, car on ne peut rien dire de plus fort contre son système.

M. Verdussen. - Je me permettrai une seule observation en faveur du consommateur. On ne peut augmenter le droit sur les toiles à l’entrée, sans frapper le consommateur ; on le frappe doublement surtout quand leur prix s’élève chez nous. Si mes renseignements sont exacts, il paraît qu’il y a des toiles que l’on fabrique peu ou point chez nous, et dont la consommation ne peut se passer, les coutils, les toiles à matelas... Pourquoi frapper ces tissus ?

Cette observation me semble avoir quelque valeur et venir à l’appui du mode proposé par la section centrale.

M. A. Rodenbach. - On n’a pas répondu à ce que j’ai dit. Je vous ai fait remarquer que les toiles d’Allemagne sont plus légères que les nôtres de 50 à 60 p. c. ; je vous ai fait remarquer en outre que le système de la commission n’est pas uniforme puisqu’elle propose la loupe d’un côté, et la valeur d’un autre côté, pour asseoir la perception.

M. Zoude vient de nous annoncer que la commission d’industrie proposerait, sur les tissus de coton, un mode de perception basé sur la finesse du tissu ; eh bien, je lui dirai à ce sujet, que je me suis trouvé en présence de quelques fabricants de Gand : interrogés sur ce mode de perception, ils ont répondu qu’il y avait impossibilité à l’asseoir sur la finesse du tissu, parce que la loupe ne peut rien sur les tissus imprimés et sur d’autres.

Pour les toiles il en est de même : la section centrale ne peut proposer la loupe sur les serviettes et d’autres tissus ; elle est obligée de faire exception à son propre système.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Avant de vous soumettre, messieurs, quelques observations sur la matière en discussion, je commencerai par rappeler ce que j’ai dit à la section centrale en réponse à la demande qu’elle m’a faite sur le meilleur mode à employer pour établir les droits sur les toiles.

Je ne lirai pas, comme on l’a fait hier, la presque totalité du rapport ; je rappellerai seulement une partie de l’introduction de la lettre dont M. le rapporteur a parlé :

« M. le ministre des finances, dit la section centrale nous a fait connaître que son opinion ne pouvait être bien fixée à l’égard de la question du droit sur les toiles, qu’il considère comme aussi importante que celle du taux de l’impôt lui-même, que lorsque la discussion de la législature aura fait voir tous les inconvénients et tous les avantages de ce système. Cependant animé du vif désir de contribuer à éclairer le vote de la section centrale autant qu’il lui était possible, il nous a transmis diverses notes. »

J’ai fait, messieurs, cette réponse dans le but de ne pas faire attendre des renseignements que le ministère s’empressera toujours de donner aux députés et aux membres des sections centrales. Je suis entré dans l’examen de la matière sur le pour et le contre des deux systèmes ; je m’en suis rapporté aux lumières que la discussion pourrait faire naître en faveur de l’un ou de l’autre de ces systèmes ; voilà ce que j’ai écrit, et c’est ce que pourront voir ceux qui voudront relire ma lettre à la section centrale. Je ne crains pas que l’on trouve dans cette lettre une contradiction au système que je soutiens aujourd’hui.

D’après la manière réservée dont j’ai fait usage, j’étais parfaitement libre de me rallier à l’opinion de la section centrale, à la proposition de M. A. Rodenbach, ou à tout autre système qui serait présenté pendant la discussion.

Je me rallie à la proposition de M. A. Rodenbach parce que je considère une majoration des droits anciens sur les toiles comme une nécessité momentanée et peut-être durable ; si elle est durable, lorsque l’ensemble du tarif sera révisé, on pourra adopter le mode de perception établi en France ; j’ai dû accueillir ce mode avec d’autant plus de circonspection que je n’ai aucune idée sur sa mise en pratique et sur son application en France. Il faut, avant de se prononcer sur ce mode, savoir s’il ne présente point d’inconvénients, s’il ne porterait point de préjudice à notre industrie.

Mais, dit-on, je me suis rallié à la proposition de M. A. Rodenbach, parce que son système est plus commode, et qu’il offre plus de simplicité ; mais, messieurs, alors qu’il en serait ainsi, je ne crois pas que ce soit un crime ; je dirai plus : si dans ce mode de perception, il y a commodité et simplicité, il y aura avantage pour le contribuable aussi bien que pour l’employé de la douane qui est en contact avec lui.

Je dis qu’il n’y a aucun inconvénient dans la proposition de M. Rodenbach, lorsqu’il y aura bonne foi de la part du commerce ; un négociant se présentera au bureau et dira : Voilà ma marchandise ; je la déclare à tel taux. Y a-t-il quelque chose de plus simple ? Y a-t-il quelque entrave à craindre dans ce système ? Y a-t-il là, de la part du gouvernement, jonglerie, niaiserie, etc., ainsi qu’on l’a dit ? Quant à moi, je crois qu’il peut y avoir jonglerie dans d’autres affaires, mais pour celle-ci, bien certainement il n’y a pas lieu à se servir de cette épithète.

Imposer les toiles à la valeur est un mode tout simple s’il y a bonne foi de la part du commerce. On dit : Mais, pour assurer les droits à leur valeur, vous avez le droit de préemption, et l’exercice de ce droit entraîne dans des contestations et donc des procès. S’il y a bonne foi, si le négociant donne la valeur réelle de la marchandise qu’il déclare, il n’y aura pas lieu à contestations ; il n’y aura point non plus matière à préemption ni à procès, lesquels dans tous les cas ne peuvent jamais résulter de l’exercice du droit de préempter ; car lorsque le directeur a adjugé la préemption, elle est définitive et rend l’employé propriétaire de la marchandise saisie. Les tribunaux ne peuvent donc en connaître, ce fonctionnaire étant institué juge en dernier ressort sur cette matière.

On dit aussi que la fraude aura lieu : je répondrai que s’il y a mauvaise foi, la fraude s’opérera aussi bien avec le mode du compte-fils qu’en percevant le droit à la valeur. Je pense que les objections que l’on a fait valoir ne peuvent faire écarter la proposition de M. Rodenbach qui continue les principes qui existent actuellement.

Je crois avoir répondu à ces objections et particulièrement à celle par laquelle on voudrait donner à la chambre l’idée que le système du droit à la valeur est immoral ; l’honorable M. Rodenbach a déjà repoussé, je dirai même flétri, cette qualification d’immoralité. Si nous sommes immoraux, nous le sommes avec d’autres nations ; car il en est beaucoup qui ont adopté le système que accusé d’être immoral.

J’appuie la proposition de M. Rodenbach, et je crois que la majoration qui en résultera suffira pour protéger notre industrie linière. J’ajouterai que l’on doit aussi proscrire cette idée de la paresse des employés des douanes. On peut être certain qu’alors même que l’on adopterait un mode de perception contraire à celui qu’appuie le ministère, les employés de la douane ne reculeront devant aucune obligation qui aurait pour résultat de substituer au système qui existe le système du compte-fils.

M. Jullien. - Quoique peu familiarisé avec la matière dont il s’agit, ce que j’ai entendu dans cette discussion m’en a assez appris pour pouvoir motiver mon opinion sur la loi qui vous est proposée.

Je dois dire que les moyens déduits tant par la section centrale que par MM. Bekaert et de Foere, m’ont déterminé à repousser le système de perception à la valeur.

En effet, on a fait valoir contre ce système des arguments qui n’ont pas encore été réfutés ; le principal argument est celui-ci : c’est qu’alors même que les employés de la douane ne connaissent pas la valeur des toiles, elles leur seront présentées pour qu’ils en reconnaissent la valeur. Je dis que la base du système du droit à la valeur est défectueuse ; l’ignorance des employés donnera lieu à des injustices criantes à l’égard des négociants.

Je suppose, par exemple, que deux négociants exposent des marchandises de valeur égale, et que l’on tarife l’une beaucoup au-dessous de l’autre. N’est-il pas évident qu’en venant sur le même marché, celui des deux négociants qui aura un employé favorable ou profitera de l’ignorance de cet employé, aura un avantage sur l’autre ?

On dira que ceux qui veulent faire la fraude s’exposent à la préemption. Messieurs, la préemption est quelque chose d’odieux dans le commerce. Plusieurs pétitions vous ont été adressées pour vous demander d’empêcher que les commis de la douane ne se fissent négociants par ce moyen. On a vu que c’était une véritable spéculation de la part de certains employés auxquels des maisons de commerce fournissaient des fonds pour faire des préemptions.

Ce système de préemption, vous a dit le ministre, ne donne lieu à aucun procès, parce qu’une fois la marchandise préemptée, le directeur, en approuvant la préemption, fait cesser la contestation. Mais c’est précisément contre cela qu’on s’élève. J’ai eu occasion de soutenir que le principe posé par M. le ministre des finances n’était pas exact, et que les tribunaux avaient toujours le droit de connaître des préemptions. C’est une question qui est encore pendante devant les tribunaux. Dans tous les cas, il vaudrait mieux que les préemptions fussent jugées par les tribunaux que par les directeurs de l’administration des douanes, qui sont toujours plus favorables à leurs employés qu’au commerce. Du reste, la mesure en elle-même est reprouvée par le commerce, et elle n’est acceptée que parce qu’elle est malheureusement la conséquence du mode de perception à la valeur.

On vous a dit que le mode de perception à la loupe et au poids était celui admis en France et en Angleterre pour l’introduction de nos propres toiles. Ce fait n’a pas été contesté, et on a ajouté avec infiniment de raison que nous devions employer, pour favoriser notre commerce, le mode que les nations étrangères employaient contre nous, comme étant le système le plus sûr pour reconnaître la valeur des toiles, et percevoir un impôt réel au lieu d’un impôt fictif, qu’on peut éluder jusqu’à concurrence de 3 ou 4 p.c., comme cela est résulté de la discussion.

Je ne crains pas les abus que M. Rodenbach prétend devoir résulter du mode de perception à la loupe et au poids. On ne peut pas faire voir avec une loupe ni plus ni moins de fils qu’il n’en entre dans le compte-fils. D’ailleurs, comme la marchandise est toujours là, il serait facile de constater la fraude commise par les employés, de s’assurer si on a compté plus ou moins de fils, suivant qu’on voulait élever ou baisser le droit.

Maintenant je dirai un mot sur l’ordre de la discussion et la manière de la terminer en abrégeant le temps. Je crois que la question de préférence entre les deux systèmes à la valeur ou à la loupe et au poids est assez débattue pour que chacun puisse fixer son opinion. Quant à la quotité des droits à déterminer, elle me semble être une conséquence nécessaire, aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’autre amendement présenté, de l’adoption de l’un ou de l’autre système. Si on adopte le système de la section centrale, on a un droit de 7 p. c. Si on adopte celui de M. A. Rodenbach, le droit sera de 10 p. c.

De sorte qu’on pourrait mettre aux voix, lorsque cette discussion sera close, la proposition de la section centrale, que je considère comme un amendement aux deux propositions faites l’une par M. de Foere et l’autre par M. Rodenbach. La proposition de la section centrale est un amendement à celle de M. de Foere, en ce sens que, tout en adoptant son mode de perception, elle fixe le droit à 7 p. c. au lieu de 10. Quant à la proposition de M. Rodenbach, la section centrale l’amende en ce qu’elle propose un autre mode de perception et un droit de 7 p. c. au lieu de 10.

Si la proposition de la section centrale était adoptée, vous auriez un droit de 7 p. c. perçu à la loupe et au poids.

Ce qu’on doit mettre aux voix maintenant c’est la question de préférence entre le système de M. de Foere et celui de M. Rodenbach. De cette manière, nous mettrons fin à cette discussion qui a déjà été passablement longue.

Quant à moi, je voterai pour la proposition de la section centrale.

M. Bekaert. - Je répondrai à l’honorable M. Rodenbach qu’il ne peut résulter aucune confusion du système de perception à la loupe et au poids parce que les différentes finesses sont classées de manière à atteindre chacune d’après sa valeur. Les toiles de Silésie, dit-il, sont plus légères que les nôtres ; c’est un avantage pour elles.

Quant à M. le ministre, il n’a rien prouvé. Il s’est efforcé de soutenir que le mode de perception à la valeur était plus facile. Je suis d’accord avec lui, mais ce que nous devons examiner, c’est si cette facilité est en harmonie avec les intérêts du commerce. Si nous ne devons considérer que la commodité des employés, nous n’aurons qu’à ouvrir nos frontières à l’industrie étrangère. Mais les industriels étrangers voudraient-ils payer les impôts et les patentes des industriels du pays ? Voilà une question que j’adresse au ministre.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - L’honorable préopinant vient de dire : Le ministre n’a rien prouvé ; et ensuite il ajoute que j’ai essayé de prouver qu’il était préférable de continuer le mode de perception à la valeur que d’établir le système à la loupe et au poids. Je puis n’avoir pas réussi à prouver ce que j’avançais, mais au moins ai-je essayé, et la chambre jugera entre moi et M. Bekaert. En attendant, je prierai l’honorable membre de m’expliquer comment il entend que j’expose l’industrie belge à la ruine et à se trouver dans le cas de ne plus pouvoir payer les impôts, lorsqu’avec la majorité de la chambre j’ai été d’avis de majorer le droit à l’entrée des toiles étrangères.

Il ne s’agit donc ici que du mode et plus du principe, sur lequel mon vote prouve que je veux protéger l’industrie belge et non la ruiner, comme le préopinant m’en prête gratuitement l’intention. Je pense que la perception peut se faire aussi bien d’après la valeur que d’après le compte-fils. Quel que soit le système que vous adoptiez, les employés feront leur devoir.

M. Zoude. - Je demande à répondre quelques mots aux observations de M. A. Rodenbach. Il est vrai qu’il s’est rendu dans le sein de la commission d’industrie. Il est vrai aussi que ces messieurs, consultés sur la question de savoir si on pouvait apprécier la valeur des cotons au moyen de la loupe, ont répondu que c’était extrêmement difficile. Mais nous leur avons dit que nous reculerions devant une prohibition, et c’est alors qu’ils nous ont fourni les données au moyen desquelles nous avons établi nos calculs.

Je prierai M. Rodenbach de mesurer un peu ses expressions. Il a dit que la commission d’industrie ne faisait rien, que nous marchions à pas de tortue. Nous nous hâtons lentement, parce que nous ne voulons pas toucher aux lois qui régissent l’industrie sans consulter tous les intérêts, sans avoir pris l’avis des chambres de commerce et des commissions d’agriculture et d’industrie. Il ne s’agit pas de présenter des projets de loi, mais d’en présenter de bons, et nous nous honorons d’en avoir présenté qui ont été accueillis avec satisfaction par la chambre.

M. Desmaisières. - M. le ministre des finances se repose sur la bonne foi des négociants. Je comprends qu’il peut y avoir de la bonne foi dans les relations des négociants entre eux ; mais la bonne foi des négociants introducteurs de marchandises étrangères, vis-à-vis du fisc, n’est pas de ce monde.

M. Legrelle. - C’est toujours avec un sentiment profond de peine que je vois la législature s’avancer dans un système de prohibition qui ne sera jamais le mien. Il faudra des raisons bien déterminantes pour me faire adopter un projet de cette nature ; mais ici ce n’est pas tant l’augmentation du droit que le mode de perception qui me fait éprouver la répugnance que je signale.

Deux systèmes sont en présence. Celui de la section centrale et celui de M. Rodenbach, sous lequel nous avons vécu depuis un grand nombre d’années et qui n’a jamais donné lieu à la moindre plainte. (Dénégations.) L’autre système est un système tout nouveau, qui vient à peine d’être introduit en France et en Angleterre. Si je défends le système ancien, ce n’est pas parce qu’il offre plus de simplicité, qu’il est plus commode pour les employés de la douane, mais bien parce qu’il est plus dans l’intérêt du commerce, et qu’il obvie aux lenteurs et aux vexations que l’autre mode me fait redouter.

Je crois que le meilleur parti que nous ayons à prendre est de maintenir le système actuellement existant pendant un espace de temps assez court, pendant un an au moins. Nous aurons le loisir d’examiner mûrement le mode nouveau de perception que l’on nous propose, et de demander les avis de personnes autres que les fabricants. Car il ne suffit pas d’agir dans les intérêts de ceux-ci. Il faut prendre également en considération la position et de l’importateur et du consommateur. Je vois bien que jusqu’à ce jour les fabricants ont réclamé, avec chaleur, l’introduction du nouveau système ; je serais curieux de connaître l’opinion de ceux par l’intermédiaire desquels le commerce des toiles se fait.

Un honorable membre, qui croit toujours devoir reproduire son vieux reproche de fraude à l’appui du système rétrograde, a crié à la fraude pour combattre la plus belle loi que nous ayons faite, celle du chemin de fer ; il a crié à la fraude dans un mémoire qu’il a fait imprimer récemment, et dans lequel les commerçants d’une grande cité sont représentés comme vendus aux florins de la Hollande, comme entachés d’égoïsme et d’avidité. Quant à moi, je blâme les fraudeurs autant que l’honorable représentant de Thielt ; mais est-il juste de conclure d’un abus qui existe dans la conduite de quelques individus, et qui ne se représente dans tous les endroits, à celle qui caractérise les commerçants d’une ville en général ? Ce serait un manque de logique auquel M. de Foere joint un manque d’égards et de convenances pour une classe d’hommes respectables qu’il ne connaît et n’apprécie pas ; le député de Thielt impute la jonglerie à ses adversaires, mais je pourrais lui répondre qu’il y a là plutôt de la jonglerie dans son argumentation et qu’en reprochant la fraude au commerce en général, parce que peu d’individus la commettent, il s’éloigne des principes d’éternelle justice, dont il a presque toujours le mot dans la bouche.

M. Gendebien. - Toute la discussion qui vient d’avoir lieu m’a ramené à cette idée simple, que si le gouvernement vous proposait d’adopter une loi tendant à faire mesurer la superficie d’un territoire qu’il aurait acheté par des hommes que l’on saurait très exercés à lever un plan à la simple vue, vous répondriez qu’il y a quelque chose de plus rigoureusement exact que les calculs hasardés de l’arpenteur le plus habile : c’est le mètre, ce sont les moyens mécaniques, et vous auriez raison de répondre ainsi. Le cas ici est identique. M. Bekaert a dit un mot d’un grand sens, il a dit que tout le système qu’il défend repose sur des moyens mécaniques, le poids du ballot et le nombre des fils dans un carré donné. Je vous demande si la question réduite ainsi à sa plus simple expression peut rencontrer une objection raisonnable. Que répond M. le ministre des finances ? Il dit que le système de la section centrale n’empêchera pas la fraude, parce que l’on ne présentera pas les toiles aux bureaux des douanes.

Je demanderai à M. le ministre s’il n’en sera pas de même quand le droit sera perçu selon la valeur de la marchandise. Il est certain que dans tous les cas l’on fraudera de même, parce que c’est là une espèce de fraude qu’aucun système de droits ne pourra jamais prévenir. Mais pour ce qui est de la fraude commise dans l’appréciation de la qualité de la toile, c’est différent. Je suppose les employés des douanes parfaitement probes, inaccessibles à la corruption.

Mettez un parfait honnête homme en présence d’un ballot de toile, et dites-lui d’en fixer exactement la valeur. Les négociants eux-mêmes s’y sont souvent trompés. Pourquoi un employé de la douane ne s’y tromperait-il pas ? Les toiles les plus grossières peuvent recevoir un apprêt qui les fasse paraître d’une manière très avantageuse à côté de toiles d’une meilleure qualité en réalité, mais qui n’auront pas reçu de préparation. Il y a mille moyens de faire ressortir la beauté d’une toile, au point que les négociants eux-mêmes s’y laissent tromper. Il est bien certain que les importateurs étrangers se garderont de donner à leurs toiles aucune préparation et chercheront à lui donner au contraire une apparence grossière, afin de les faire imposer à l’entrée le moins possible. Une fois introduites dans le pays, elles recevront l’apprêt qui leur rendra leur véritable prix.

Mais il sera trop tard. Je me reconnais incompétent à juger en pareille matière ; mais, sans que l’on possède des connaissances spéciales, il tombe sous le sens que l’employé de la douane peut se tromper comme le négociant. Quand le négociant se trompe, c’est aux dépens de sa bourse ; quand c’est le douanier, c’est au préjudice du trésor public.

M. le ministre des finances vous a dit qu’il était dans le doute, et qu’il ignorait s’il adopterait le système de la section centrale ou celui de M. Rodenbach. Mais il me semble que dans la séance précédente M. le ministre s’est décidé en faveur de ce dernier. Je le surprends sur le fait de contradiction avec lui-même.

Puis il a ajouté pour ce qui regarde le système : Je crois en avoir démontré les inconvénients. Et comment a-t-il démontré ces inconvénients ? En nous disant qu’il fallait attendre la loi générale sur l’organisation des douanes. Est-ce là réfuter convenablement des objections ? Que M. le ministre réponde, s’il le peut, à une question ainsi posée : Un employé de la douane, en le supposant doué de connaissances parfaites en matière de toiles, sera-t-il toujours plus sûr de bien évaluer leurs qualités réelles qu’un autre employé ne possédant pas même de connaissances pratiques, mais pouvant peser le ballot et compter les fils d’un carré de toile donné ? Si dans le premier cas le douanier se trompe, sa méprise peut être le résultat d’une erreur ; dans le second cas il n’est pas justifiable, parce que l’opération qu’il a faite est toute mécanique.

M. le ministre des finances vous a dit encore qu’il n’avait aucune idée du résultat, plus ou moins favorable, que pouvait avoir eu le système que propose la section centrale en France et en Angleterre. Il me semble qu’il était de son devoir de prendre des informations à cet égard. C’est une fort mauvaise réponse à donner aux excellentes raisons émises par le judicieux rapport de la section centrale. On vous dit d’un côté que votre système peut être ruineux pour le trésor public, tandis qu’il ne peut jamais arriver de préjudice au fisc dans le second système.

On a dit que le mode de perception proposé par M. Rodenbach ne présente rien d’immoral, que l’on n’était jamais forcé d’être fraudeur. Non, sans doute, messieurs ; mais savez-vous où est l’immoralité ? c’est que le négociant honnête paiera son droit de 9 à 10 p. c., et que le fraudeur, dont on a eu soin de faire la part dans la loi, ne paiera peut-être que 3 à 4 p. c. Il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque M. Rodenbach reconnaît que, pour qu’il rentre dans les caisses du fisc 7 p. c., il faut imposer un droit de 10 p.c. sur l’entrée des toiles.

Par cette combinaison vous déclarez que 7 p. c. suffisent pour assurer une protection à la fabrication indigène et cependant ce n’est pas 7 p. c., mais 10 que vous imposez. 7 p. c. est donc un terme moyen ; et pour que ce soit un terme moyen, il faut qu’il y ait des négociants qui paient plus, et des fraudeurs qui paient moins.

Voilà où gît l’immoralité de votre système, immoralité d’autant plus funeste que, mettant continuellement le négociant honnête en face de son intérêt qu’il voit lésé par la fraude, vous l’amenez à se départir de ses habitudes de bonne foi pour adopter un système coupable. Vous le mettez en un mot en lutte avec sa conscience.

On vous a dit que les préemptions ne donnaient jamais lieu à des procès ; mais, pour mon compte, je me rappelle avoir été consulté un jour par un négociant relativement à un bâtiment d’écorce préempté. Il y a eu un procès qui dura fort longtemps, et le négociant, tout en le gagnant, fut ruiné, parce que, devant livrer sa marchandise dans un temps donné, et ne l’ayant pas fait, il fut tenu à des dommages considérables.

Cet homme est le représentant de dix mille autres. Vous croyez que quand vous avez préempté, tout est fait ; mais les négociants peuvent vous dire qu’ils sont pas quittes pour cette préemption.

On vous a dit encore que, sous l’ancien système, on n’avait pas entendu de plaintes, ; la raison en est simple : il n’y avait de droit que un pour cent sur la valeur. Y a-t-il dans le monde des fraudeurs qui veuillent spéculer sur un droit de un pour cent ?

Vous voyez que l’expérience de l’honorable négociant d’Anvers est ici de peu de poids.

En deux mots comme en cent, quelque expérimenté que soit un homme à mesurer à l’œil, il n’y a personne qui veuille se confier à un tel moyen de mesurer ; vous devez préférer les moyens mécaniques. En matière de douanes, c’est à qui jouera au plus fin. Les lois sur les douanes le prouvent.

Si un négociant veut être de bonne foi, dit-on, le mode à la valeur sera sans inconvénient : mais n’est-ce pas toujours contre la mauvaise foi que nous faisons des lois de douane, que nous comminons des pénalités ? Si l’on comptait sur la bonne foi, il n’y aurait pas besoin de faire des lois de douane. Ramenez-nous au temps de Saturne et de Rhée, où la bonne foi régnait sur la terre, et toutes les lois seront inutiles. En matière de douane il ne faut considérer que la mauvaise foi ; il faut la considérer non seulement pour punir les fraudeurs, mais encore pour protéger les négociants honnêtes. (Aux voix ! aux voix !)

M. A. Rodenbach. - M. Zoude m’a engagé à mesurer dorénavant mes expressions : j’ai pu dire que nous marchions à pas de tortue, sans offenser la commission d’industrie dont il est rapporteur.

Si je voulais justifier mes paroles, cela ne serait pas difficile. Qu’a fait jusqu’ici la commission d’industrie ? un rapport sur les os ; un rapport sur les parapluies ; un rapport sur les chapeaux de paille ; voilà les niaiseries dont elle nous a entretenus. Mais laissons ce détail et les récriminations de côté : je veux être modéré.

L’honorable M. Gendebien a qualifié mon système d’immoral ; ce reproche s’applique également au système de la commission, puisqu’elle ne peut pas s’abstenir de la préemption dans un grand nombre de cas. Les toiles à matelas, les nappes, les serviettes, ne peuvent être imposées à la loupe ; elles seront soumises à la préemption par le mode de la commission comme par celui que je propose.

Je ferai remarquer que la commission ne vous dit pas précisément quel impôt pèsera sur les coutils, sur les toiles à matelas, sur le linge de table : on ne sait si le droit sera de 10 p. c. ou de 7 p. c.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, en soutenant le système de l’honorable M. A. Rodenbach, système qui consiste en une augmentation pure et simple du droit imposé à la valeur, j’ai soutenu non seulement le système que je crois bon, mais que les chambres de commerce et que la commission d’industrie ont reconnu comme tel. Ce n’est pas un système nouveau que nous proposons.

Quant aux connaissances des douaniers pour bien apprécier la valeur des marchandises, je puis calmer les inquiétudes qu’on a conçues à cet égard. Les visiteurs se connaissent tout aussi bien sur la valeur des marchandises que les négociants eux-mêmes ; et quand ils font des préemptions, ils les font avec connaissance de cause.

Dernièrement, à Quiévrain, un négociant de Bruxelles a déclaré des objets pour la valeur de 600 francs, C’étaient des instruments, dont quelques-uns seulement valaient les 600 francs. Les visiteurs ont opéré la préemption ; ils ont payé 10 p c. au-dessus de la déclaration, et ont fait un bénéfice notable. La préemption a été bien et dûment appliquée dans ce cas. (Aux voix ! aux voix !)

Quant à la fraude, je conviens qu’elle se fera dans un système comme dans l’autre. Je n’ai pas dit qu’elle n’aurait pas lieu par préemption, mais j’ai déjà soutenu qu’elle se ferait tout aussi bien par le mode à la loupe que par l’autre.

- La chambre ferme la discussion.

La perception proposée par la section centrale, est mise aux voix.

Plusieurs membres demandent l’appel nominal.

On procède à l’appel nominal.

En voici le résultat :

Nombre des votants, 57.

44 ont répondu oui.

13 ont répondu non.

En conséquence la proposition de la section centrale est adoptée.


M. de Robaulx. - Je demanderai à M. le rapporteur pourquoi le tableau français sur l’impôt des toiles est majoré.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, quelques objections ayant été faites dans la discussion d’hier contre les quotités des droits, et notamment par les honorables MM. de Robaulx et Verdussen, je crois devoir, avant que la discussion n’aille plus loin, donner quelques explications à la chambre.

M. Verdussen a signalé des omissions dans les classifications du tarif ; il a dit : Je ne vois pas figurer les batistes, toiles de Cambray et toiles à voile. Ces tissus se trouvent compris, ceux écrus, dans les cinq premières classes de notre tarif n°3 relatif aux tissus ; et ceux blancs, mi-blancs et imprimés ou teints, dans la cinquième classe.

Vous remarquerez, messieurs, que nous ne fabriquons point de batistes et toiles dites de Cambray, et que par conséquent les droits peuvent être beaucoup plus modérés que ceux sur les espèces de toiles que nous fabriquons. Aussi le sont-ils dans notre système en ce que, ces toiles étant excessivement fines et légères, les droits que nous proposons ne les frappent pas autant qu’ils frappent les toiles étrangères de notre espèce, les toiles d’Allemagne par exemple. Je crois même que si M. Verdussen désirait obtenir en faveur des consommateurs, dont l’intérêt me paraît presque seul devoir venir en ligne de compte ici, une diminution plus ou moins forte des droits d’entrée sur ces espèces de toiles, il verrait probablement sa demande accueillie. Toutefois on ne pourrait les exempter entièrement de droits, car il faut stimuler un peu le zèle de nos fabricants pour qu’ils cherchent à imiter cette fabrication précieuse.

La France n’impose que modérément ces espèces de toiles, mais par une autre raison : c’est qu’elle est la seule pour ainsi dire qui les fabrique ; et au moyen d’ailleurs de la prohibition à la sortie du fil de mulquinerie, qui sert à leur confection et dont la France a en quelque sorte le monopole de la fabrication, elle empêche les tisserands étrangers de tisser aussi cette espèce de toile.

Vous voyez, messieurs, qu’en ce point encore nous pouvons sans inconvénient nous rapprocher du système français et entrer ainsi dans les vues de l’honorable M. de Robaulx, qui tendent, m’a-t-il paru, à chercher à confondre en quelque sorte nos douanes avec celles de France, à former coalition avec ce puissant peuple contre l’Allemagne, à opposer, en un mot, coalition à coalition.

Le tarif que nous proposons se rapproche de beaucoup du tarif français, et il n’en diffère en quelques points que parce que nous avons voulu calculer les quotités de nos droits de manière à ce qu’ils reviennent à sept pour cent de la valeur réelle, et que nous avons dû, au lieu de prendre pour bases de nos calculs les toiles de toute espèce en général, nous attacher particulièrement aux toiles d’Allemagne qui entrent en plus grande quantité dans notre pays, et qui, portant moins de fils dans la chaîne que les nôtres comparativement à leur finesse, et étant en même temps d’un moindre poids à cause de la finesse en trame, sont favorisées par le tarif français. Nous avons dit à cet égard que c’était là une remarque digne de l’attention particulière du gouvernement dans ses négociations avec le gouvernement français relativement au traité de commerce à intervenir.

Quant à l’exactitude de nos calculs, nous croyons qu’il serait difficile de prendre plus de précautions que celles que nous avons prises pour arriver à des résultats satisfaisants. Nous avons, par l’intermédiaire d’un des membres de la section centrale, demandé à la chambre de commerce de Courtray de vouloir nous présenter des calculs consciencieux à cet égard. Nous avons ensuite, avec un des honorables auteurs des propositions, répété les expériences sur des toiles d’Allemagne que nous avons trouvées, dans les magasins de Gand et de Bruxelles, et nous sommes arrivés à très peu près aux mêmes résultats que la chambre de commerce de Courtray. Celle-ci avait établi ses calculs sur le pied de 10 p. c., et nous sur le pied de 7 p. c. ; et en réduisant les droits de la chambre de commerce aussi à 7 p. c., les différences avec les nôtres se sont trouvées en tous points infiniment petites ou nulles.

C’est donc principalement contre l’entrée des toiles d’Allemagne qu’est dirigé le tarif que vous propose la section centrale. Plusieurs membres de cette assemblée, que je crois en petit nombre heureusement, et un de MM. les ministres, m’ont semblé croire qu’il fallait, au contraire, ménager l’Allemagne parce que c’était de ce côté qu’il fallait avant tout que la Belgique tournât ses regards, si elle voulait absolument obtenir un écoulement à l’étranger de quelques produits manufacturiers, déjà favorisés dans notre tarif actuel par la prohibition à l’entrée. Eh bien, j’admets pour un instant que ce soit de ce côté et non vers la France, dont le tarif, cependant, est celui le plus en rapport avec celui que nous devrions adopter, et dont les intérêts industriels et commerciaux peuvent le mieux sympathiser avec les nôtres ; j’admets pour un instant, dis-je, que ce soit de ce côté, du côté de l’Allemagne, que nous devions porter nos regards.

Je vous le demande, messieurs, est-ce bien le moyen d’obtenir quelque chose de ce qu’on demande, en politique industrielle comme en politique guerroyante, que de se courber constamment sous le joug, que de n’oser pour ainsi dire lever la tête, que de se plier enfin toujours aux exigences de ses adversaires ?... Non, messieurs, soit que vous ayez affaire à un ennemi qui combat avec des armes matérielles, soit que vous ayez affaire à un ennemi qui combat avec toute autre espèce d’armes, frappez-le si vous voulez qu’il entre en négociations avec vous. Toutes les courbettes, les politesses, et je dirai même toutes les génuflexions et supplications du monde, ne peuvent rien ici ; et si la loi actuelle avait déjà été promulguée lors du départ de notre ambassadeur pour Berlin, soyez certains que le chef de la coalition douanière allemande aurait senti toute la portée qu’à notre profit nous portions par là à l’industrie allemande, et qu’au lieu de nous faire l’affront sanglant et difficile à supporter par une nation qui, comme la nôtre, a toujours placé l’honneur en première ligne, qu’au lieu de renvoyer brutalement notre ambassadeur, dis-je, il aurait peut-être demandé à entrer en négociations relativement aux douanes des deux pays.

- Quelques voix. - Très bien ! très bien !

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - On vient de dire qu’un ministre avait avancé que l’Allemagne était le seul pays avec lequel nous pussions avoir des relations commerciales ; je proteste contre cette assertion qui a donné lieu à un très beau mouvement d’éloquence qui a été applaudi par M. Desmet. Je repousse une telle assertion comme très erronée.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le tarif des droits d’entrée, de sortie et de transit, décrété par la loi du 26 août 1822, est remplacé par le tarif (annexé à la loi), en ce qui concerne les lins, étoupes, fils de lin, de chanvre et d’étoupes, toiles et tissus de toute espèce dans lesquels le lin ou les étoupes entrent, ne fût-ce que pour une partie. »

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je crois qu’il y aurait à faire un changement à la rédaction de l’article. D’après cet article, en effet, il suffirait d’introduire quelque parcelle de lin dans les tissus pour jouir du bénéfice de l’exemption du droit ; il me semble que, dans l’intention de la section centrale, on n’a voulu appliquer l’article qu’aux matières dans lesquelles le lin et le chanvre domineraient.

Je pense que la rédaction de M. Rodenbach est meilleure et qu’elle devrait être adoptée.

M. A. Rodenbach. - Je pense que M. le rapporteur ne s’opposera pas à la demande de M. le ministre.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - J’ajouterai une autre observation. L’article ne cite que la loi du 26 août 1822, tandis qu’il y a d’autres lois qui ont modifié le tarif des droits dont il s’agit. Il y a, par exemple, la loi du 24 mars 1826 qui a modifié les droits sur les batistes. Il faudrait dire dans l’article ; les tarifs en vigueur.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je dois faire remarquer que la section centrale n’a pas entendu que la loi ne frapperait pas les tissus où le lin formerait la matière principale. Au contraire, elle a pensé que le droit devait s’appliquer à toutes espèces de toiles.

M. de Robaulx. - La seule question qu’il y ait à décider, c’est celle de savoir si on frappera tous les tissus de lin, alors même qu’ils ne contiendraient qu’une faible partie de lin.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - J’ai l’honneur de faire observer que c’est sous le nom de tissus qu’on perçoit les droits sur toutes les étoffes. Si vous dites que les tissus de toute espèce dans lesquels le lin ou les étoupes n’entreraient que pour une partie seraient soumis au droit que nous établissons par cette loi, en faisant entrer quelques brins de fil de lin dans les étoffes de coton, de soie ou de laine, même dans la lisière de ces étoffes, elles se trouveront rangées sous la rubrique des tissus de lin, et ne paieront que le droit imposé sur les toiles. Vous jetterez la perturbation dans toute la perception douanière. Mais puisque vous n’entendez ici vous occuper que des toiles, dites que les tissus dans lesquels le lin, les étoupes ou le chanvre seront la matière dominante, seront réputés tissus de lin.

M. Desmet. - Il y a des toiles d’Irlande et d’Ecosse dont la chaîne est en coton et la trame en fil de lin. Eh bien, il faudra savoir si le lin est dominant ou non. Il s’élèvera alors des contestations qu’il sera difficile de vider.

M. A. Rodenbach. - Comme l’a très judicieusement fait observer M. le ministre des finances, l’article proposé par la section centrale jetterait la perturbation dans notre système de douane. La rédaction de la section centrale ne peut donc être admise. Celle que je propose évite tous les inconvénients que la sienne présente.

On vient de dire que dans les toiles d’Ecosse et d’Irlande la trame était en fil, c’est une erreur. Les tissus que les Anglais nous envoient sous le nom de toiles d’Irlande et d’Ecosse ne contiennent pas de fil de lin. L’erreur provient de ce qu’au moyen du gaz ou de l’alcool ils parviennent à enlever le duvet du coton. M. Hye-Hoys qui connaît ce procédé pourrait affirmer ce que j’avance.

M. de Robaulx. - Je crois comme M. le ministre des finances, qu’on ne peut pas imposer comme toiles tous les tissus pour peu qu’il y entre du fil de lin. Vous en sentez l’inconvénient. Si vous voulez opposer une digue aux cotons anglais afin d’établir plus facilement nos relations avec la France, je ne veux pas leur ouvrir une porte en les laissant entrer au moyen de l’introduction de quelques brins de fil dans le tissu. L’intention des industriels de Gand est de demander une augmentation sur les cotons ; eh bien, quand cette augmentation serait adoptée, qu’arriverait-il ? C’est que sous le prétexte d’introduire de la toile, on vous inondera des cotons que vous aurez voulu proscrire. On ne doit considérer comme toiles que les tissus où le lin ou le chanvre domine.

J’appuie donc la proposition de M. le ministre des finances,

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Les observations de l’honorable préopinant sont fondées ; avec la proposition de la section centrale, nous nous exposons à ramener tous les tissus dans l’industrie linière. Nous devons rester dans la spécialité qui nous est soumise, et sur laquelle la chambre a entendu délibérer. Je crois qu’il faudra prendre la rédaction de M. A. Rodenbach, et en faire l’article premier de la loi qui nous occupe.

M. Bekaert. - D’après les observations qui ont été faites, je demande le renvoi à la section centrale. (Non ! non !)

M. de Robaulx. - Nous pouvons adopter l’article sauf rédaction. Le ministre s’entendra avec le rapporteur.

M. Desmaisières, rapporteur. - Je suis disposé, quant à moi, à me rallier à la proposition de M. le ministre des finances. Mais je ne puis pas parler au nom de la section centrale qui ne s’est pas réunie.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Il faut adopter la rédaction de M. Rodenbach, ou renvoyer l’article à la section centrale.

- Plusieurs membres. - C’est inutile ! aux voix !

- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix. Il n’est pas adopté.

M. Gendebien. - Il n’y a qu’à retrancher la partie de l’article qui donne lieu au débat. La loi générale contient une disposition qui détermine la manière dont la perception du droit doit être faite pour les tissus où il y a mélange. Tenons-nous-en à cette disposition à laquelle il ne peut être dérogé qu’en vertu d’une autre disposition.

M. Hye-Hoys. - Les toiles d’Irlande et d’Ecosse, comme on l’a dit tout à l’heure, ne contiennent pas de fil de lin.

M. Bekaert. - Je demanderai dans quelle catégorie sont placées les toiles d’Irlande qui sont toutes de coton.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Elles sont rangées parmi les tissus de coton.

M. Verdussen. - J’appuie la proposition de M. le ministre des finances, de prendre la rédaction de M. Rodenbach et d’en faire l’article premier de la loi.

J’appellerai votre attention sur un mot que je crois utile d’introduire dans la loi, le mot temporairement. Comme la loi que vous faites n’aura qu’une année de durée, si vous n’adoptez pas mon amendement et que dans un an vous n’ayez pas fait une autre loi, il n’y aura plus rien, tandis que si vous insérez le mot temporairement, la loi actuelle reprendrait sa force.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) déclare se rallier à la proposition de M. Rodenbach, conçue en ces termes :

« Par modification au tarif actuel des douanes, j’ai l’honneur de proposer à la chambre que l’on frappe d’un droit de dix pour cent, à l’entrée en Belgique, les marchandises suivantes :

« Etoffes de lin, de chanvre et d’étoupes écrues.

« Idem, teintes ou blanches.

« Coutils.

« Toiles pour nappes et serviettes.

« Toiles blanchies ou damassées.

« Et, en général, toutes les toiles dont le lin, le chanvre ou les étoupes forment la matière principale, quoiqu’elles soient mélangées avec une autre matière quelconque. »

M. de Robaulx. - Les toiles au-dessous de 8 fils sont ordinairement en étoupes. Le projet de la section centrale les taxe à l’entrée d’un droit de 40 francs par cent kilogrammes. Je demanderai si l’intention de la chambre est d’imposer aux toiles d’étoupes le même taux qu’aux toiles de lin. J’avoue que je ne trouverais pas cela très juste.

M. Trentesaux. - Nous sommes dedans. Nous ne nous y reconnaîtrons plus.

M. Hye-Hoys. - Le droit de 40 p. c. imposé à l’entrée des toiles d’étoupes n’est pas trop élevé. Les cotons importés paient 30 p. c.

M. de Robaulx. - Je ne vois pas trop la similitude qu’il y a entre les cotons et les toiles.

M. A. Rodenbach. - Je dirai à l’honorable M. de Robaulx que le droit de 40 francs par cent kilogrammes sur les toiles d’étoupes n’est pas trop élevé. Je lui dirai qu’à Renaix et à Zèle où ces toiles grossières sont confectionnées, cette industrie ne peut se soutenir à cause de la concurrence des toiles. Elle mérite cependant toute notre sollicitude, puisque ce sont les pauvres principalement qui s’y livrent. Je ne vois pas d’inconvénient à accepter l’article comme il est rédigé par la section centrale.

M. Dubus. - Dans l’opinion de préopinant un droit de 10 p. c. suffit pour protéger la fabrication indigène des toiles. L’honorable membre même n’élève pas aussi haut les prétentions du commerce belge puisqu’il avoue que son droit de 10 p. c. ne sera en réalité que de 7. Il reconnaissait donc la protection suffisante si l’on adoptait cette base. Je lui demanderai donc si le droit de 40 francs par kilogramme ne s’élèvera pas en réalité à 20 francs p. c. de la valeur de la marchandise.

Je pense que le calcul de la section centrale est basé sur la meilleure qualité de la toile 8 fils et non sur la qualité moyenne et encore moins sur la qualité inférieure. J’appelle l’attention de la chambre sur cet objet. Il me semble que si nous devons considérer les besoins de la classe pauvre qui produit, nous ne devons pas perdre de vue les intérêts de la classe pauvre qui consomme.

M. Desmet. - Un droit de 40 par 100 kilogrammes donne un droit de 4 fr. par 10 kilogrammes, or, 10 kilogrammes de toiles font 6 à 7 aunes, dont chacune vaut de 6 à 8 sous. En partant de cette donnée, on verra que le droit de 40 fr. par 100 kilogrammes ne constitue guère qu’un de 7 pour cent sur la valeur.

M. Verdussen. - Quoique je n aie pas de connaissances spéciales sur la matière, un fait que je me rappelle servira à faire apprécier à la chambre la justice du droit de 40 fr. par 100 kilogrammes que la section centrale veut imposer à l’entrée des toiles. Je sais que les toiles à voile, qui se trouvent dans la catégorie des toiles à huit fils, paient actuellement un simple droit d’entrée d’un franc par 100 kilogrammes. Désormais elles paieraient 40 fr., c’est-à-dire que le droit serait doublement décuplé. Il ne me semble pas que la proportion ascendante ait été conservée.

M. Desmaisières, rapporteur. - J’ai dit en commençant que la chambre de commerce de la ville de Courtray avait fait des expériences sur toutes les espèces de toiles et principalement sur les toiles d’Allemagne. Je puis assurer à la chambre que le droit sur les toiles que M. Verdussen cite, n’aura pas l’exagération qu’il lui trouve. Je ferai remarquer à l’assemblée que si les toiles à voile n’étaient imposées que d’un droit d’un franc à l’entrée, c’était dans le but de favoriser le commerce hollandais qu’un droit aussi minime avait été établi. L’industrie belge en a tellement souffert qu’une manufacture de toiles à voile qui s’était nouvellement établie aux environs de Gand a par suite de ce tarif été obligée de suspendre ses travaux.

M. Legrelle. - Je vous avoue que je suis dans une perplexité fâcheuse. L’on veut nous forcer à voter en aveugles. Je pense que les sept huitièmes de l’assemblée n’y entendent pas plus que moi sur la matière spéciale du tarif qui nous occupe, et je crois que l’autre huitième ne l’entend que trop bien. (Hilarité.) L’exemple cité par l’honorable M. Verdussen éclairera vos convictions à cet égard. Pouvons-nous voter ainsi une loi de douanes lorsqu’un exemple cité au hasard vient démontrer que le droit surpasse infiniment le taux auquel seulement nous voudrions le faire atteindre ?

Je désire que pour ces objets de détail on demande de nouveau, non pas l’avis isolé des fabricants qui seuls sont défendus ici avec chaleur, mais aussi celui d’autres personnes intéressées dans la question. A défaut de renseignements plus précis, je me verrai forcé de rejeter l’ensemble de la loi.

M. Dubus. - Dans le tarif de France, pays que nous ne devons pas nous proposer comme modèle pour les prohibitions, les toiles d’Allemagne ne sont imposées que de 30 p. c. ; pourquoi veut-on dans notre tarif les frapper de 40 p. c. ? Je demande que le droit sur les toiles d’Allemagne soit réduit à 30 p. c.

M. Desmaisières, rapporteur. - Dans le tarif français on a voulu frapper particulièrement les toiles que nous, nous voulons protéger.

Nous nous sommes attachés aux toiles d’Allemagne : elles sont plus fines dans la trame que les nôtres, elles sont plus légères ; si vous voulez atteindre votre but, vous voyez bien qu’il faut élever le droit.

M. Bekaert. - L’intention de la commission a été de mettre le droit au même niveau du droit français.

M. Desmet. - Si le droit sur les toiles d’Allemagne était au niveau du droit français, il y aurait erreur dans la rédaction du projet de la section centrale. Les toiles que nous envoyons en France sont bien plus pesantes que les toiles d’Allemagne. Quatre mètres carrés de toile belge pèsent plus que quatre mètres carrés de toile d’Allemagne. C’est ce motif qui doit déterminer à élever le droit.

M. Eloy de Burdinne. - Je ne fais pas partie du huitième de l’assemblée qui, dit-on, a beaucoup trop de connaissances dans l’affaire qui nous occupe ; aussi je viens demander quelques explications. (On rit.)

On a parlé de toiles à voile ; elles paient un franc ; on veut qu’elles paient vingt francs. Fait-on des toiles à voile dans notre pays ?

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. Eloy de Burdinne. - Si on en fait chez nous, alors pourquoi donner un avantage aux étrangers ? Pourquoi ne pas élever le droit à 20 francs ?

On se récrie beaucoup sur l’obscurité de la loi ; je commence à comprendre le but de ces clameurs. Le haut commerce réclame pour lui ; il a peur de payer quelques francs de plus pour se procurer des toiles. En vérité, je ne suis pas touché de ces cris.

M. Dumont. - On dit que nous ne devons avoir en vue que l’entrée en Belgique des toiles d’Allemagne ; eh bien, le tarif français qui est prohibitif ne met que 30 francs sur les toiles d’Allemagne : pourquoi veut-on mettre 40 francs dans notre tarif ? Les explications que l’on a données à cet égard ne me paraissent pas suffisantes.

M. Verdussen. - Je crois qu’il y a lacune dans le tarif présenté. Le tarif français commence sa nomenclature par les toiles de 8 fils, et M. de Foere les réduit de 1 fil ; je crois qu’il faudrait commencer la nomenclature par 7 fils.

M. Gendebien. - On dit dans la nomenclature : « moins de huit fils ; » cela comprend tout.

M. Desmaisières, rapporteur. - J’ai dit, que nos commissaires devaient faire remarquer à la France que, par son tarif égal, elle favorisait l’Allemagne plus que nous ; l’égalité du droit sur nos toiles est une véritable inégalité.

M. Trentesaux. - Il est clair, messieurs, que nous sommes engagés dans une voie où nous ne marchons qu’en aveugles.

La section centrale n’élève pas le droit au-delà de 7 à 10 p. c., et ce tarif, dit-on, est plus élevé que celui de la France ; je dirai à ce sujet que je n’ai pas oublié les plaintes de tout le pays contre le tarif français, je n’ai pas oublié les plaintes des habitants des Flandres, et cependant notre tarif sera plus élevé.

On dit, d’un autre côté, que le tarif français propose un droit sur la valeur de 20 à 30 p. c. ; comment cela s’accorde-t-il avec le taux de notre tarif ? Je l’avoue, je n’y conçois plus rien, et nous ne faisons vraiment que de l’eau claire.

M. Desmaisières, rapporteur. - Pour répondre à ce que vient de dire M. Trentesaux, il me suffira de lire ce passage du rapport :

« Les toiles d’Allemagne portant moins de fils dans la chaîne que les nôtres, comparativement à leur finesse, et étant en même temps d’un moindre poids à cause de la plus grande finesse en trame, il en résulte que les droits d’entrée perçus en France sur nos toiles sont de moitié plus forts proportionnellement à la valeur que ceux perçus sur les toiles d’Allemagne. C’est là une remarque digne de l’attention particulière de notre gouvernement dans ses négociations avec le gouvernement français, relativement au traité de commerce à intervenir. »

Messieurs, j’ajouterai que j’ai reçu une note d’un négociant de Gand qui fournit beaucoup de toiles en France, laquelle note établit que les droits français sur nos toiles reviennent de 15 à 16 p. c. ; ainsi du moment que les droits perçus en France sur nos toiles sont de moitié plus forts proportionnellement à la valeur que ceux perçus sur les toiles d’Allemagne, nos calculs se trouvent justifiés et les droits que nous proposons sont en rapport avec ceux qui pèsent sur nos toiles.

M. Gendebien. - Il y a, ce me semble, une observation bien juste à laquelle personne n’a répondu.

L’honorable M. Dumont a dit : Le tarif français a été fait contre les toiles d’Allemagne, contre les toiles du monde ; pour garantir les toiles françaises contre les toiles d’Allemagne, on a trouvé qu’un droit de 30 fr. par 100 kilogrammes était suffisant ; eh bien, il faut convenir que notre industrie est inférieure à celle de la France, ou il suffit d’admettre le système français.

Je demande qu’on réponde à cette observation de M. Dumont.

M. Desmaisières, rapporteur. - En France on a calculé pour établir un droit sur toutes les toiles en général, et on a pris un terme moyen ; ici nous proposons spécialement d’établir un droit sur les toiles d’Allemagne qui sont celles qui font le plus de tort à notre industrie.

M. Gendebien. - On dit qu’on a pris un terme moyen, mais ce n’est point répondre ; il y a dans les lois françaises des dispositions contre les toiles d’Allemagne ; je répète que dans le tarif français on a jugé qu’un droit de 30 p. c. était suffisant à l’égard des toiles d’Allemagne, nous devons également nous en contenter.

M. de Foere. - Je proposerais, pour terminer la discussion, d’adopter la tarification française.

M. Dubus. - Je crois que c’est mal à propos qu’on a établi une différence à l’égard du nombre des fils entre la proposition de la section centrale et la proposition de M. de Foere ; en effet, moins de 8 fils ou 7 fils c’est, il me semble, la même chose (on rit) ; sur ce point la section centrale et M. de Foere sont d’accord ; les deux propositions ne diffèrent que relativement à l’élévation du droit, pour moi je me rallie à la proposition de M. de Foere.

M. de Robaulx. - J’ai déjà expliqué hier pourquoi je voulais qu’on suivît le système français ; c’est afin de parvenir à établir des relations commerciales avec cette puissance ; je demande de nouveau que nous prenions contre l’Allemagne les mêmes garanties que la France, et que nous suivions graduellement le tarif français.

Si après avoir fait coïncider notre système de douanes avec celui de la France, cette puissance voulait encore faire la guerre à tant de nos principaux produits, nous lui ferions également la guerre relativement à ses soieries. Toujours est-il, cependant, que maintenant nous devons baisser pavillon et faire en sorte que la France se rapproche de nous.

M. Desmaisières, rapporteur. - Comme député je me rallierai à la proposition de M. de Foere.

M. de Robaulx. - Je demande qu’on adopte l’article de la loi française.

M. Dubus. - En proposant de fixer le droit à 27 francs, je me suis rallié à la proposition de M. de Foere.

M. de Foere. - Je me rallierai à la proposition de M. de Robaulx.

M. le président. - Trois propositions sont faites.

La section centrale propose de fixer le droit à 40 fr. M. de Robaulx propose de le mettre à 30 et M. Dubus à 27 fr.

Je vais mettre successivement ces trois propositions aux voix en commençant par celle qui s’écarte le plus de la proposition de la section centrale.

- La proposition de M. Dubus est mise aux voix. Elle n’est pas adoptée.

Celle de M. de Robaulx est adoptée.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.