(Moniteur belge n°84, 25 mars 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Trois habitants de Liége, possesseurs de los-renten dénoncés avant le 1er octobre 1830, déclarent adhérer à la pétition adressée à la chambre par vingt-et-un porteurs de ces obligations qui réclament le paiement des intérêts échus depuis le 1er octobre 1830. »
- Cette pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen de la question des los-renten.
« Plusieurs habitants de la commune de Moll demandent que, dans la nouvelle circonscription des justices de paix, le chef-lieu cantonal soit conservé à cette communes. »
« Plusieurs notaires de Courtray réclament contre le projet de loi sur les nouvelles circonscriptions des justices de paix, qui apporte en même temps des changements notables au notariat. »
« La régence de Theux demande que ce bourg soit rétabli chef-lieu qui porte aujourd’hui le nom du canton de Spa. »
« Les notaires de Hasselt adhèrent à la requête de la chambre des notaires de Bruxelles contre le projet de loi relatif à la circonscription des justices de paix. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
M. Frison. - Je demande la parole pour une motion d’ordre très courte.
M. le président. - Est-elle relative à la loi en discussion ?
M. Frison. - Non, M. le président ; je désirerais adresser quelques interpellations à M. le ministre de la guerre ; je voudrais, par conséquent, qu’il fût requis de se présenter dans l’assemblée ; mais si la chambre ne juge pas nécessaire d’interrompre la discussion, je consens à attendre jusqu’à demain.
M. d’Huart. - Je ne sais pas quel est l’objet de la motion de M. Frison ; mais j’ai lieu de penser qu’elle concerne les mouvements des troupes hollandaises ; il me semble qu’il n’est pas possible d’ajourner à demain les renseignements dont nous avons besoin. Que M. le ministre de la guerre vienne nous dire que toutes les mesures sont prises en cas d’attaque, qu’il vienne rassurer le pays, c’est tout ce que nous lui demandons.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Mais puisque M. Frison, lui-même, consent à remettre à demain son interpellation, il est inutile, ce me semble, d’insister.
M. le président. Je ne puis requérir la présence d’un ministre qu’en vertu d’un décision de la chambre. Je mets aux voix la proposition de M. Frison.
Puisque personne ne se lève contre, la proposition est adoptée. En conséquence, M. le ministre de la guerre sera requis de se rendre demain à la séance.
M. le président. - Suivant la proposition faite hier par M. Dumortier et adoptée par la chambre, nous devons délibérer sur l’article ou sur la question de savoir si le chemin en fer sera exécuté par concession par le gouvernement.
M. Zoude. - Peu d’orateurs ont contesté l’utilité de la route en fer ; c’est vers son mode d’exécution que les attaques ont été principalement dirigées.
Les partisans de la concession ont prétendu que le gouvernement dissimulait la hauteur de la dépense, tandis qu’il en exagérait le produit.
Ils ont ensuite fait naître des craintes sur les embarras que la Prusse nous susciterait sur les droits qu’elle imposerait pour rendre la concurrence avec la Hollande plus difficile. On a même parlé des intérêts de famille, comme s’il n’était pas suffisamment connu que, de tous les gouvernements absolus, celui de Prusse est peut-être le seul en Europe qui n’ait d’autre intérêt que celui de ses peuples, d’autre politique que celle qui lui assure son plus grand bien-être matériel ; comme si cette route, d’ailleurs, n’avait encore pour les provinces rhénanes le but spécial d’y faire arriver, avec une économie considérable, ses houilles de Stolbergh et d’Eschweiller, éminemment les meilleures de la contrée ; et enfin comme si on pouvait ignorer davantage le mécontentement de toute l’Allemagne pour les difficultés interminables suscitées à la libre navigation de l’Escaut au Rhin par les eaux de la Zélande quoique cette liberté ait été acquise par les traités de Paris et de Vienne. Et ces difficultés sont encore de telle nature, qu’un publiciste allemand écrivait naguère qu’on ne pourrait garantir à la génération actuelle la jouissance libre de cette navigation. Cette route est donc, pour la Prusse et l’Allemagne comme pour la Belgique, une nécessité nationale.
Un honorable député a dit encore que la Hollande se déciderait à faire plutôt un sacrifice sur le prix de ses marchandises ou de leur transport que de souffrir une route qui viendrait concourir avec elle sur les marchés de l’Allemagne ; et c’est en présence de ces considérations, c’est après avoir dit que la route serait très coûteuse, peu productive, et qu’elle rencontrerait mille obstacles, qu’on vient vanter le système des concessions comme le seul praticable et utile à la nation.
Nous avons eu une esquisse des douleurs d’une concession, lorsqu’on a sollicité, il y a à peu près un an, l’exploitation de la route d’Anvers à Bruxelles : c’était le précurseur des conditions que l’association nous imposerait pour celle de Cologne.
Mais nous n’en sommes pas aux essais de concession : un événement tout récent nous a rappelé l’existence d’une canalisation entreprise aux risques et périls des concessionnaires avec renonciation à toute indemnité ; et cependant cette entreprise, dont la rétrocession a été offerte au gouvernement de Guillaume en 1830, pour la somme de 4 millions de florins, pourra bien en conter aujourd’hui 8 ou 9 à la nation, si le gouvernement est condamné en appel à subir les exigences des concessionnaires.
Un autre canal, celui d’Antoing, après avoir été ouvert pendant dix-huit mois, écrasait à tel point le commerce par la hauteur de son péage, que le gouvernement fut forcé à racheter pour trois millions ce qui avait coûté en deux aux entrepreneurs.
Un troisième canal, celui de Charleroy, est à peine livré à la navigation depuis un an ; il a coûté 4,350,000 florins, et déjà s’élève une réclamation de près 11 cent mille francs pour travaux extraordinaires, et si par des circonstances quelconques le rachat en était nécessaire, l’indemnité que réclameraient les concessionnaires ne serait pas moins de 5 millions de francs, et le cas se présentera lorsque vous accorderez un embranchement en fer à Charleroy.
Je pourrais vous parler encore d’une autre concession, celle du canal de Meuse et Moselle, dont l’invention sera toujours un monument de gloire pour son auteur : les travaux de ce canal sont totalement abandonnés ; ils eussent cependant été continués par le gouvernement, si cette entreprise n’avait encore été l’objet d’une concession.
Cette canalisation, messieurs, réveille de pénibles souvenirs chez un député du Luxembourg, et vous lui pardonnerez s’il vient avec le sentiment d’une profonde douleur vous retracer les sacrifices que sa province a faits à la cause nationale en offrant en holocauste sur l’autel de la patrie ses intérêts matériels et une partie de ses intérêts moraux.
En effet, sans les événements de la révolution à laquelle nous nous sommes franchement et énergiquement associés, ce canal, qui eût figuré parmi les créations les plus gigantesques du siècle, serait maintenant livré à la navigation sur une étendue de 60 lieues ; plusieurs routes auraient été construites, et l’éducation de nos enfants aurait continué à être soignée. Eh bien, pour prix de notre dévouement, c’est en vain que nous avons sollicité un léger subside pour une route seulement, il nous a été refusé ; nous avons exposé la situation périclitante de nos collèges, et au nom des principes, comme s’il en existait d’autres que ceux d’une justice éternelle nos enfants ont été sevrés du pain de l’instruction.
Je me hâte d’abandonner ce champ de douleur, et je reviens à la question ; et sans chercher davantage des exemples pour prouver les abus des concessions, je me bornerai à vous rappeler ce que l’expérience de tous les jours nous apprend, c’est que si, dans l’accomplissement d’un marché, il se présente une difficulté imprévue, il faut des indemnités à l’entrepreneur ; mais s’il arrive des économies qui ont échappé à la prévoyance, ce n’est pas la nation qui en profitera : les charges lui sont réservées, et les bénéfices aux concessionnaires.
On nous cite l’Angleterre pour l’école modèle du système des concessions ; mais on a dû convenir que, nulle part en Europe, les droits sur les canaux et les chemins de fer n’étaient aussi élevés qu’en Angleterre : on a expliqué cette élévation par les prix comparés de la main-d’œuvre et des matériaux avec ceux d’autres pays, mais le droit n’en est pas moins pesant sur le commerce.
On a dit aussi que l’élévation dans la valeur des actions, qui, pour les routes de quelque importance, est hors de toute proportion avec le taux de leur création, était la preuve que le but de la route, celui de l’extension du marché, avait été obtenu. Mais l’honorable membre voudra bien convenir que si l’on atteignait le même but avec un moindre droit, le commerce en serait plus prospère encore, et que si l’on pouvait obtenir un péage pour les simples frais d’entretien de la route, on procurerait alors au marché toute l’extension dont il serait susceptible. Eh bien, le gouvernement peut seul, après l’amortissement du capital, borner le péage aux frais d’entretien, tandis que c’est alors que le bénéfice commence principalement pour le concessionnaire.
Il y a plus, c’est que le gouvernement peut réduire le péage et même y perdre sans nuire au trésor, parce qu’une route qui prospère augmente la valeur du terrain qu’elle parcourt, y favorise l’accroissement de population, y multiplie les impôts et procure ainsi de nouvelles ressources au revenu public.
Et plus, s’il est vrai que le commerce du Hainaut ait besoin d’être protégé pour soutenir la concurrence avec celui de Liége, n’est-ce pas dans l’entreprise par le gouvernement qu’il doit trouver la protection qu’il réclame ? et le gouvernement n’a-t-il déjà pas montré de la sympathie pour cette province, lorsqu’il a réduit sa redevance annuelle de 150,000 francs sur le canal d’Antoing, et de 30,000 florins sur celui de Charleroy ?
Mais est-il bien vrai que le Hainaut ait créé tous ces canaux et ces routes qui lui assignent le premier rang parmi les provinces industrielles du royaume ? Je suis porté à croire qu’il en est ainsi pour l’arrondissement de Mons, et les renseignements fournis par l’honorable M. Gendebien ne me laissent plus de doutes à cet égard.
Mais il en est tout autrement pour le district de Charleroy. C’est la nature qui a doté celui-ci de la Sambre, qui lui procure de l’écoulement vers la France par Maubeuge, vers Namur ensuite, et vers la France encore par la Meuse.
C’est aux états de Hainaut et de Brabant, auxquels son district houiller était étranger alors, qu’il doit cette route de Bruxelles, la plus fréquentée du royaume avant le canal, et peut-être encore depuis ; route qui lui a ouvert les marchés de Bruxelles, Malines, Anvers et d’une partie des Flandres.
Le pavé de Fleurus, qui lui a livré tout le plat pays entre Namur, Couvain et Bruxelles a été construit par les soins et aux frais des états de Namur.
Depuis lors, la Sambre inférieure a été canalisée, sans qu’il en ait rien coûté à Charleroy. ; mais la nation saura d’abord à quel prix elle en acquittera les travaux. La canalisation de la Sambre supérieure est entreprise, et l’honorable M. Meeus vous a indiqué l’origine des fonds qui y seraient employés.
Et cependant c’est le même district qui, toujours fidèle à son système de désintéressement, a encore été gratifié du canal dit de Charleroy, livré aujourd’hui à une navigation des plus importantes et d’une ressource immense pour ses houilles, fers, chaux, verres, etc.
Enfin, si le charbonnage de Charleroy est fondé dans sa prétention de faire arriver ses houilles au marché d’Anvers aux mêmes conditions que Mons et Liége, la province de Luxembourg peut demander à son tour que ses fers soient rendus sur les marchés de Liège et Bruxelles aux mêmes conditions de transport que ceux de la forgerie de Charleroy.
Mais le Luxembourg attend l’heure de la justice ; il l’obtiendra du gouvernement et des chambres, et cette heure ne peut plus tarder à sonner.
Le Hainaut, je veux dire l’arrondissement de Mons, l’obtiendra de même, et c’est parce que je suis intimement convaincu que le seul moyen de rendre justice à tous est dans l’action directe du gouvernement sur la construction de la route, que je voterai pour l’adoption de l’article 3 du projet de la section centrale.
M. de Puydt. - Messieurs, deux raisons me forcent à retirer la proposition que j’ai présentée hier : la première est la décision prise hier par la chambre de changer l’ordre de la délibération ; la deuxième, c’est que la chambre paraît aspirer au moment où elle pourra s’ajourner. Je crois que la discussion des questions est épuisée. L’examen de ma proposition demanderait une étude prolongée à laquelle on n’aurait pas le temps de se livrer ; je retire donc mon amendement sauf à le reproduire en adaptant les diverses parties aux articles de la loi.
M. Jullien. - Messieurs, il est certaines gens qui croient ou feignent de croire que, pour parler des chemins en fer, il faut être ingénieur, négociant, ou tout au moins ministre ; aussi, au dire de ces gens-là, tous ceux d’entre nous qui ont porté la parole contre le projet de loi, même en ne s’attachant qu’à des questions les plus simples et les plus matérielles, ne comprennent rien à la question. On a même été jusqu’à décliner la compétence des avocats, au moyen d’anecdotes d’ailleurs assez bien arrangées.
Mais si vous parlez pour le projet, à quelque classe que vous apparteniez, et si, avec le chemin de fer, vous tuez le commerce hollandais ; si vous faites arriver dans nos ports les navires de toutes les nations pour échanger leurs riches cargaisons contre nos marbres, nos minéraux, nos tapis et nos toiles de Courtray ; (erratum au Moniteur belge n°85, du 26 mars 1834 :) si vous ouvrez la bouche de notre estomac commercial assez large pour engloutir tout le commerce de l’univers ; si vous débitez d’un ton tranchant que le chemin en fer va affermir à jamais l’indépendance de la Belgique ; enfin si dans une touchante fusion de tous les partis vous faites embrasser les orangistes et les patriotes au milieu des rails et des wagons, on vous proclame des hommes d’Etat, des hommes profonds… Mais hommes d’Etat, hommes profonds, dites-nous donc où vous avez appris l’art de gouverner les peuples, d’administrer les provinces ? Qui vous a enseigné plus qu’à nous la science des Sully, des Colbert, des Pitt et des Carnot ? Messieurs, j’ai meilleure opinion de l’intelligence des hommes. : je crois par exemple qu’un avocat a mission de parler sur toutes les transactions humaines, quand elles sont débattues ; et, si la matière qu’il doit traiter ne lui est pas familière, il doit l’étudier, afin de pouvoir en parler convenablement : autrement ce n’est pas un avocat.
Mais qu’avons-nous besoin de ces distinctions de conditions ? Je vais trancher cette question : nous sommes tous ici des juges ; le débat, quel qu’il soit, vous devez le juger ; or, y a-t-il un juge qui puisse décider une difficulté s’il n’est pas en état de s’en rendre compte à lui-même ? Et s’il peut s’en rendre compte à lui-même, comment ne pourrait-il pas en rendre compte aux autres ? Si vous ne pouviez comprendre une question dans son ensemble comme dans ses détails, vous ne seriez pas des juges, mais des machines à voter ; vous voyez donc bien que tous, tant que nous sommes, nous pouvons nous placer sur le terrain de la discussion. C’est donc sans scrupule que j’aborderai encore une fois la matière. Je me souviens d’ailleurs que, dans la dernière séance, M. Meeus a bien voulu me faire une réputation de financier, et je puis par conséquent m’avancer dans la discussion avec mes franches coudées.
M. le ministre de l’intérieur, pour rendre son projet de loi populaire, vous a dit que lorsque le chemin en fer serait établi, les pauvres paysans éloignés de la ville pourraient désormais y aller voir leur médecin, consulter leur avocat, le bureau des hypothèques, et porter au marché leurs denrées. On dirait, en vérité, qu’aussitôt que le chemin en fer va être construit, il n’y aura pas un village dans le royaume qui n’ait son omnibus pour transporter ses habitants à la ville.
Mais qui croit-on abuser par ces paroles ? Sont-ce les paysans ? mais nos paysans ont cent fois trop de bon sens pour se laisser prendre à cette amorce ; ils savent qu’il n’y a que ceux qui seront riverains du chemin ou à sa portée qui pourront en profiter, et par conséquent une très minime partie des paysans du royaume. Ce qu’ils comprendront encore fort bien, c’est que vous allez grever le pays d’un emprunt considérable dont il vous est impossible de calculer la portée malgré vos devis, et que par suite vous allez augmenter leurs taxes.
Ils n’ont pas oublié, soyez-en sûrs, vos derniers emprunts dans lesquels les spéculateurs, les agioteurs leur ont fait perdre de 30 à 50 p.. c. Tous ces gens-là qui bâtissent leur fortune sur la ruine de vos finances, guettent déjà l’emprunt que vous allez contracter : soyez bien certains qu’ils ne sont pas partisans du système des concessions et vous aurez bientôt peut-être occasion de le reconnaître.
Mais j’admets que tous vos rêves deviennent des réalités : vous conviendrez au moins avec moi que si on peut obtenir tous ces avantages sans qu’il en coûte rien à l’Etat ni aux paysans, il faut s’empresser d’en saisir le moyen, et ce moyen est celui des concessions.
- En ce moment M. Dumont, qui est souffrant, entre dans la salle soutenu par les huissiers. Il ne peut aller jusqu’à sa place accoutumée, et il reste assis sur une chaise dans le couloir. Tous les regards se portent sur l’honorable membre ; plusieurs députés l’entourent, M. Jullien s’interrompt.
M. Jullien, reprenant. - Messieurs, je ne regrette pas d’être interrompu par la présence d’un honorable député du Hainaut qui, tout malade qu’il est, se fait transporter ici pour assister à nos délibérations. Honneur à lui ! c’est M. Dumont.
Je disais que si l’on peut obtenir tous les avantages d’un chemin en fer sans qu’il en coûte un denier à l’Etat par la voie des concessions, c’est ce moyen qu’il faut prendre. Mais, dit-on, nous n’avons pas les mœurs anglaises ; nous ne pouvons pas adopter ce système comme en Angleterre ; et d’un autre côté, si vous adoptez le système des concessions, vous vous livrez à toutes les manœuvres usuraires des concessionnaires, vous livrez le commerce à l’avidité des exploitants. Ecoutons comme on a cherché à appuyer cette opinion.
Si on en croit l’honorable M. Devaux, si on adopte le système des concessions, c’est comme si on écrivait dans la loi : Le chemin de fer sera exploité par la banque.
Si vous écoutez M. Lebeau, il vous dit : La concession, fût-elle présentée, ne sera pas acceptée. Et moi je dis à ces messieurs : Mettez-vous d’accord ; car, s’il est vrai qu’en adoptant le système des concessions c’est comme s’il était écrit dans la loi que la banque exploitera la concession, il est faux que si vous présentez cette concession, elle ne sera pas acceptée, puisque la banque l’exploitera ; et la banque est une compagnie, une société tout comme une autre.
Il est vrai que M. Devaux a peur de la banque ; mais M. Lebeau ne la craint pas, et vous avez vu, quand on a parlé de pygmées, comment cet honorable ministre s’est dressé sur ses pieds pour vous dire : Je n’ai pas peur de la banque. Ce qu’il y a d’étonnant dans tout cela, c’est de voir ces deux honorables députés, qui marchent toujours d’accord, se trouver en contradiction quand ils soutiennent le même système. Nous entendrons leurs explications.
L’honorable ministre de la justice a cité le Journal du Commerce de Paris : je crois que cette citation n’a jamais été plus malencontreuse ; car elle se trouve en opposition avec l’opinion du rédacteur de ce journal, M. E. Flachat, et insérée dans le même Journal du Commerce de Paris quelques jours après la publication du premier article. Comment cela se fait-il ? L’article cité par le ministre aurait-il, par hasard, été fait à Bruxelles et inséré par complaisance ? et quand le rédacteur s’en est aperçu ne s’est-il pas empressé de démentir une doctrine erronée ? Quoiqu’il en soit, voici cet article qui vous a été lu une fois par M. de Puydt ; mais comme il est frappant d’application à la discussion qui nous occupe, je me permettrai de le lire encore une fois. Je désirerais d’ailleurs que les anti-concessionnistes pussent l’apprendre par cœur et le méditer. Je ne citerai que les conclusions ; ceux qui voudraient voir l’article tout entier le trouveront dans le Mercure Belge des 19 et 20 de ce mois. Sur la question d’exécution, M. Flachat conclut de la manière suivante :
« Une administration qui voudrait joindre à son rôle d’harmonisation des intérêts généraux l’exécution des grands travaux publics, qui voudrait avoir ses établissements pour construire ses machines, ses chantiers pour construire des canaux, sans l’intervention des compagnies, ne serait plus bientôt qu’un entrepreneur isolé, gâté par le monopole, ignorant et paresseux comme le monopole. Ce serait nier la vertu de progrès de la masse intelligente dont l’administration peut être l’ombre, mais dont elle n’est jamais la tête. Que les chambres belges se réservent donc la fixation des tracés et profils des chemins de fer, et qu’elles en fixent ensuite l’exécution aux compagnies : qu’elles garantissent à ces compagnies un intérêt minimum, et qu’outre la garantie que leur donnera le pays, elles y ajoutent la location du chemin ouvert aux concurrences, avec interdiction pour les compagnies de l’exploiter. Telles nous paraissent être, quant à présent, les seules solutions satisfaisantes que puisse amener la discussion de cette grande entreprise. »
Qu’a-t-on répondit à cette doctrine ? On a dit que les concessionnaires vexeraient le commerce, qu’ils tariferaient et exploiteraient le chemin comme bon leur semblerait, qu’ils obtiendraient des bénéfices usuraires aux dépens du commerce et du consommateur. Des bénéfices usuraires ! Je suis fâché qu’une erreur aussi grossière soit échappée à un homme de talent comme M. Lebeau, et surtout à un ministre de la justice.
Il y a usure toutes les fois qu’un créancier, abusant de la position de son débiteur, lui fait stipuler des intérêts exorbitants, ou seulement qui dépassent le taux fixé par la loi.
Mais, lorsque vous fixez vous-mêmes les conditions de la concession et que vous dressez les tarifs, lorsque vous laissez ensuite au hasard les chances de pertes ou de gain pour les entrepreneurs, comment supposer que des gains licites, puisque la loi les autorise, puissent devenir usuraires ? Dans tous les contrats aléatoires, il est impossible que l’intérêt soit usuraire ; dans un contrat de rente viagère, vous pouvez stipuler l’intérêt au taux que vous voulez ; or, qu’y a-t-il de plus aléatoire que l’entreprise par concession d’un chemin de fer ? Une action dans ces compagnies est un véritable billet de loterie ? Demandez-le plutôt aux concessionnaires de la route de la vallée de la Vesdre à Verviers ? ils vous diront qu’en entreprenant une route on peut risquer de perdre son capital.
Je félicite au reste ces concessionnaires du changement qui s’est opéré dans le tracé et au moyen duquel leur route se trouvant absorbée par le chemin de fer, ils obtiendront le remboursement de leurs capitaux ; et je suis même persuadé que s’il se trouvait dans cette chambre des actionnaires dans cette route, ils soutiendraient avec le plus grand désintéressement que le dernier tracé vaut mieux que le premier.
Mais des concessions sont impossibles dans notre pays, répète-t-on sans cesse : on ne trouvera pas de concessionnaires. Ce sont là autant d’erreurs. Si l’affaire est bonne, soyez bien sûrs que, sans compter la banque, vous aurez des concessionnaires. S’il ne s’en présente pas, c’est qu’elle est mauvaise. Je tiens à la main trois prospectus de compagnies nouvelles de chemins de fer, prospectus qui viennent de se publier en Angleterre ; ils portent la date des mois de novembre et de décembre derniers.
Eh bien, messieurs, rien que la lecture rapide de ce prospectus vous fait connaître toute l’économie de ces opérations ; et quand je vous en aurait donné un aperçu, vous pourrez réduire à leur juste valeur les assertions des adversaires du système de concession.
Voilà le projet de route en fer de Londres à Southampton : on évalue la dépense à un million de livres sterling ; on propose de créer vingt mille actions, chacune de cinquante livres sterling. Comment procède-t-on pour former ces compagnies ? Les personnes qui se sont réunies dans l’intention de former un chemin en fer, créent un comité. On voit ici les noms des membres du comité ; ce sont des propriétaires habitant des principales villes qui doivent être liées par la route.
Ce comité nomme ses ingénieurs, ses banquiers, son solliciteur auprès du parlement. Les ingénieurs font des études sur les lieux que les chemins doivent parcourir, et ce travail (Erratum au Moniteur belge n°85, du 26 mars 1834 :) dure quelquefois plus d’une année entière pour un chemin beaucoup moins long que celui que nos ingénieurs ont eu à explorer. C’est d’après ce travail qu’on évalue la dépense.
La dépense du chemin en fer de Londres à Windsor est évaluée à 300 mille livres sterling. Cette somme est divisée en 10 mille actions de 30 livres sterling chacune.
La dépense du chemin en fer du comté de Midland est évaluée à 600 mille livres sterling, remplie par 6,000 actions de 100 livres sterling chacune.
Il est stipulé, au reste, qu’on ne doit verser le montant des actions que lorsqu’on a obtenu l’acte du parlement.
Quand les ingénieurs ont fait l’étude du terrain, qu’on a calculé la nature et l’étendue des expropriations à faire, les compagnies s’adressent alors au parlement où l’on discute avec la plus scrupuleuse attention toutes les conditions de la concession. La compagnie de Liverpool a été en instance pendant deux ans avant d’obtenir le bill du parlement. Ainsi, vous le voyez, tous les intérêts sont conservés : ceux des propriétaires des terrains à exproprier, ceux du consommateur, ceux du commerce, enfin tous les intérêts du pays que la législature se montre toujours jalouse de conserver.
Or, ce qui se fait en Angleterre ne peut-il pas se faire ici ? Nos pouvoirs sont-ils moins étendus que ceux du parlement ? Qu’on ne vienne donc pas nous donner le change sur la question, avec toutes ces déclamations, sur l’avidité, sur l’usure des concessionnaires : ce ne seront pas eux qui vexeront le commerce parce qu’ils ont un intérêt tout opposé, et si nous demandons les concessions, c’est précisément pour éviter au commerce et aux voyageurs toutes les vexations qu’ils ne manqueront pas d’éprouver si vous livrez les chemins de fer au monopole du fisc et aux caprices de ses agents.
On a parlé des bénéfices considérables que feraient les concessionnaires ; on a cité avec complaisance la compagnie de Liverpool dont les actions se sont élevées de liv. 100 à 206. C’était du moins leur taux lorsqu’il y a 15 jours j’ai reçu les renseignements dont je donne aujourd’hui connaissance à la chambre.
Mais, messieurs, si les concessionnaires font d’énormes bénéfices, tant mieux : n’est-ce pas une preuve que le pays est dans un état prospère et que le commerce se trouve bien de l’administration des compagnies ? car s’il s’en trouvait mal, le résultat serait tout à fait contraire.
Je vous l’ai déjà dit : en 1760 la population des villes de Manchester et de Liverpool était d’environ 50,000 habitants, et aujourd’hui, messieurs, elle s’élève à environ 300,000 ; et à quoi doivent-elles cet immense développement ? C’est d’abord au canal ouvert par le duc de Bridgewater, et depuis à la création de routes nouvelles, et enfin à la construction des chemins, chemins par voie de concession. Et pourquoi ne pas introduire chez nous un pareil système ?
C’est aujourd’hui un axiome que plus l’industrie gagne, plus l’Etat s’enrichit. Ces idées-là sont celles de tout le monde ; et, si elles n’entrent pas dans la tête de nos ministres, c’est que, tout grands hommes qu’ils peuvent être sous tous les autres rapports, ils sont, sinon des pygmées, au moins de petits hommes en économie commerciale, comme le disait hier l’honorable M. Meeus.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Ces expressions sont ce qu’on appelle en droit des impertinences.
M. Jullien. - Monsieur le ministre a de la mémoire ; mais je n’ai pas habitude d’échanger des paroles désobligeantes avec MM. les ministres ; je n’interromprai donc pas la discussion pour répondre. Si je me suis rencontre un instant dans leur chemin, je reviens au chemin de fer.
Vous voyez, messieurs, par l’exemple de ce qui se passe en Angleterre, combien il est facile de trouver les capitaux nécessaires pour construire les routes en fer.
D’un côté, les propriétaires riverains, pour augmenter la valeur de leurs terres ; de l’autre, les spéculateurs, dans l’espoir d’obtenir de hauts intérêts, tous prennent des actions, et le capital de l’entreprise est bientôt fourni.
Qu’est-ce d’ailleurs qu’une action de 30 ou 50 liv sterl. pour un propriétaire qui a l’espoir de voir doubler ou même tripler la valeur de sa propriété, ou pour un spéculateur qui ne voit souvent que les bénéfices ? S’il y a perte, fût-ce de 50 p. c. ou même de tout le capital, repartie entre tant d’actionnaires, elle est insensible ; mais un gouvernement ne peut pas donner ainsi au hasard.
Voilà, messieurs, les idées financières que j’avais soumises à l’honorable M. Meeus ; c’est dans ces prospectus que je les ai puisées, et vous voilà tout aussi financiers que moi.
J’ai maintenant quelques mots à dire à l’honorable M. Teichmann, bien qu’il soit ingénieur.
J’ai fait dans la discussion générale une observation sur laquelle j’ai provoqué des explications, et elle est restée sans réponse. Dans le premier mémoire de MM. Simons et de Ridder, il est dit, page 6, que le conseil des ingénieurs a été d’avis que des travaux de cette importance devaient être livrés à l’intérêt particulier.
J’ai demandé comment il se faisait que l’avis de MM. Simons et de Ridder avait prévalu sur celui du conseil ou bien si le conseil était revenu de son opinion, et pour quel motif.
Et puisqu’on ne m’a pas répondu, nous pouvons tenir pour certain que le conseil des ingénieurs, présidé, je crois, par l’honorable M. Teichmann, est pour le système des concessions ; et c’est pour nous, messieurs, l’autorité la plus respectable. On serait, je crois, très embarrassé d’expliquer ce changement subit dans le système d’exécution des travaux.
Quand j’ai parlé des vides inhérents au système de régie, j’ai cité les fortifications de Mons, Ypres et Ostende ; et je vous ai entretenus des dilapidations des ingénieurs et des entrepreneurs.
On s’est contenté de me répondre qu’à Ostende l’officier de génie n’était pas belge, qu’il avait été condamné à la peine de mort, et que, par grâce spéciale, on lui avait passé le glaive à la tête.
Je n’ai pas voulu faire de ces brigandages une question de personnes ; aussi j’ignore qui sont les officiers du génie qui ont dirigé les travaux de Mons et d’Ypres ; je ne demande pas non plus si de pareils vols peuvent se faire par le chef seul sans la participation des subalternes.
Mais ce que j’ai oublié de dire, c’est que les fortifications de Nieuport, les seules qui aient été bien achevées et qui n’ont donné lieu, que je sache, à aucunes plaintes, ont été exécutées sous la direction d’un de nos anciens collègues, l’honorable M. Goblet : c’est une justice que je me plais à lui rendre.
L’honorable M. Teichmann, pour faire valoir le système adopté par le gouvernement, a prétendu que l’Angleterre n’avait qu’un commerce d’exportation. Mais, messieurs, l’Angleterre a, comme tous les pays commerçants, son commerce d’exportation et son commerce intérieur ou de consommation : le premier est certainement, pour l’Angleterre, le plus considérable ; mais le second est peut-être d’une plus grande influence sur la question de chemins de fer.
A l’appui de cette assertion, permettez-moi de vous lire quelques lignes de l’un des trois prospectus dont je viens de vous parler, celui de la compagnie du chemin de fer de Londres à Southampton. Ici, messieurs, je traduis aussi littéralement que possible.
« L’expérience a prouvé que les passagers, les marchandises légères, les approvisionnements des marchés en viandes et légumes, sont les sources les plus productives des revenus du chemin de fer. »
Je vous demande maintenant de quelle influence peut être l’argument de l’honorable M. Teichmann sur la question de concession.
Une observation capitale a été faite dans la discussion, et elle ne paraît pas avoir été suffisamment entendue ou appréciée ; c’est que si vous accordez l’exécution au gouvernement, il faut de toute nécessité qu’il se fasse entrepreneur de messageries et de roulage accéléré ; il faut qu’il ait ses directeurs, ses conducteurs, ses bureaux, ses ateliers, ses magasins, enfin tout l’attirail du monopole ou de l’entreprise.
Mais ce n’est pas tout, il faut créer une nouvelle division au ministère de l’intérieur, augmenter la bureaucratie, nommer de nouveaux employés qui, par leurs prétentions et leurs exigences ordinaires, ne feront qu’entraver la circulation des voyageurs et des marchandises.
Vous savez à quelles vexations sont exposés les citoyens quand ils se trouvent en contact avec les agents du fisc et que la loi a établi leurs obligations.
Que sera-ce quand le fisc exploitera en maître avec toute l’arrogance du monopole ?
Vous aurez, dit-on, une commission nommée par le gouvernement. Mais dites-nous si jamais vous avez obtenu quelque chose de bon d’une commission, quand ses membres n’ont ni titre, ni qualité permanente, ni rétribution ? Le commerce doit donc s’attendre à des tracasseries sans nombre.
Ainsi le système de régie va nous jeter réellement dans tous les embarras et les inconvénients qui, dans le système de concession, n’étaient que chimériques et dont les partisans du système de régie ont cherché à vous effrayer.
Je ne dirai qu’un mot sur les calculs de MM. les ingénieurs. Si la dépense ne dépasse pas leurs prévisions, c’est que ces messieurs auront le privilège d’être infaillibles. En France, on s’est trompé de 90 millions sur un devis de 120 ; en Angleterre, on a évalué toute la dépense du chemin de Liverpool à 400,000 livres sterling, et il en a coûté 800,000 ; en Belgique, il est impossible qu’on se trompe.
La chambre paraît fatiguée de cette discussion, et moi aussi ; mais je ne puis me dispenser de revenir sur une question d’honneur pour la chambre : c’est celle du Hainaut ; je vais la réduire à ses plus simples éléments.
Tout citoyen doit payer ses impôts à l’Etat ; mais ce n’est pas à titre gratuit ; en retour, l’Etat est obligé de lui garantir la sûreté de sa personne et de ses propriétés. Voilà le contrat.
Si l’Etat lui demande le sacrifice de sa propriété dans l’intérêt général, il faut qu’on lui paie une juste et préalable indemnité. Voilà la loi.
Appliquons maintenant ces principes à la province du Hainaut. On vous prouve que le projet de loi entraîne la ruine de son industrie, ou du moins on n’a pas répondu jusqu’ici au défi porté par les députés de cette province de contredire leurs assertions et leurs calculs.
Et cependant, en dépouillant cette province, non seulement il n’est pas question au projet de l’indemniser, mais encore on veut contraindre ses habitants à payer la cause de leur ruine ; je vous demande s’il fut jamais une plus révoltante iniquité.
Quant à moi, dût votre chemin de fer verser les trésors des deux mondes sur ma province et sur moi-même, je les rejetterai s’il faut les obtenir au prix de la ruine du Hainaut ; car c’est Dieu lui-même qui a commandé à l’homme de ne pas s’enrichir du bien d’autrui.
Mais vous aspirez à la gloire, vous voulez pouvoir dire aussi : Monumentum exigi. Et bien, soit, je m’associe à vos désirs d’autant plus qu’un ministre de l’intérieur surtout ne peut acquérir cette gloire sans marquer son passage dans l’administration par le bien qu’il fait au pays.
Mais croyez-moi, vous ne prenez pas le bon chemin.
Il n’y a pas de gloire à faire de grands travaux avec beaucoup d’argent et en grevant le pays de dettes énormes ; dans les temps modernes, les grands monuments n’ont fait qu’attester la servitude et la misère des peuples, et la gloire n’est pas là.
Le dernier de vos commis, avec des millions et des ingénieurs qui, dans tous les temps, dans tous les lieux, n’aiment rien tant que d’avoir beaucoup de travaux à faire et dépenser beaucoup d’argent, le dernier de vos commis peut acquérir la gloire que vous enviez.
Mais si vous parvenez à faire de grands travaux sans qu’il en coûte rien à l’Etat, si vous introduisez chez nous le système qui fait la prospérité intérieure de l’Angleterre, alors vous pourrez obtenir quelque gloire, et vous en avez le moyen : c’est le système des concessions.
M. le président. - La parole est à M. Smits.
M. Smits. - J’y renonce.
M. le président. - La parole est à M. Davignon.
- Plusieurs voix. - Il est absent !...
M. le président. - Alors la parole est à M. de Man d’Attenrode.
M. de Man d’Attenrode. - Peu familier avec les hautes questions qui viennent de se traiter avec un talent si remarquable dans cette enceinte, je me suis fait un devoir d’écouter en silence, afin de me former une opinion vraie, et me mettre à même de formuler un vote que je n’eusse pas à regretter un jour.
Au point où en est la discussion, je crois devoir à mes mandataires de motiver quel sera ce vote.
Une grande communication de la mer au Rhin est une entreprise utile, nous en avons tous la conviction comme nos ancêtres ; mais je la veux avec ses avantages et tous ses avantages pour le pays. C’est ce qui me la fait désirer par l’entremise du gouvernement, quoique partisan des concessions. Pour nous en assurer tous les avantages, il faut que le gouvernement, le pays, nous-même en un mot, restions les maîtres d’un tarif qui sera l’arbitre de la prospérité de notre commerce et de notre industrie.
De notre commerce, parce que si le tarif ne stipule pas les faveurs pour le commerce belge, la route ne sera avantageuse qu’au commerce étranger, écrasera le commerce belge, ou plutôt l’empêchera de naître : j’entends le commerce des productions lointaines.
De notre industrie, parce que nous devons être à même de négocier avec la Prusse et même avec l’Angleterre l’abaissement de leurs tarifs de douanes en compensation des immenses avantages que leur offrira le transit à travers notre pays.
Je me résume : la grande communication de la mer au Rhin par concession sera très avantageuse aux étrangers, avantageuse aux comptoirs d’Anvers et d’Ostende, avantageuse aux concessionnaires, peu avantageuse, nuisible peut-être au commerce belge, nulle pour notre industrie et notre agriculture. Par le gouvernement elle est susceptible de procurer de grands avantages à la Belgique, et de ménager les intérêts locaux.
C’est notre position géographique qui, comme celle de la Hollande, établit une barrière entre les intérêts commerciaux de l’Angleterre et de l’Allemagne, qui rend le système des concessions peu favorable dans cette circonstance.
L’existence politique et financière de notre pays nous permet-elle de lui demander des sacrifices d’argent, dont, il est vrai, j’ai la conviction qu’il sera amplement indemnisé si les circonstances favorisent l’entreprise, mais sacrifices qui paraissent devoir être d’autant plus considérables que la route en fer vers Ostende devra se faire simultanément avec celle vers Anvers ? Voilà ce que je ne cesse de me demander.
Je voterai en conséquence pour une route en fer par le gouvernement, qui nous engagera dans des dépenses moins considérables, qui nous servira d’essai, qui ne fera aucun tort aux projets futurs, et qui en réalité remplira le but et les vœux du commerce ; pour une route en fer de Louvain à la frontière prussienne. L’exécution de cette route conduirait les produits allemands et belges jusqu’à une ville où une voie plus économique pour les matières pondéreuses, selon nos ingénieurs eux-mêmes, les ferait couler jusqu’à la mer. Je voterai pour les amendements rédigés dans ce sens.
M. Desmanet de Biesme. - Je n’ai demandé la parole que pour motiver mon vote. Je n’ai pas cru devoir parler dans la discussion générale ; il ne m’était pas possible d’y jeter de nouvelles lumières, et de captiver votre attention, après les discours de ceux de mes honorables collègues qui ont si bien développé leurs opinions. J’aborderai donc franchement la question qui s’agite, et je dirai que je partage entièrement l’opinion favorable au système de concession.
Mais avant d’aller plus loin, je dois le dire, je n’ai pas l’honneur d’être député du Hainaut, mais j’habite un district voisin de celui de Charleroy. J’ai pu juger, par la manière dont l’industrie s’est développée dans ce dernier district intéressant, combien il mérite d’être encouragé. On a parlé, messieurs, du patriotisme de localité ; on lui a reproché de ne pas se sacrifier à l’intérêt général ; mais pourquoi voudrait-on qu’il se sacrifiât s’il doit trouver sa ruine dans la construction du chemin de fer ?
Si Liége manquait de routes pavées, certes le Hainaut aurais mauvaise grâce de se plaindre ; mais quand il s’agit d’un système nouveau qui doit changer toute l’économie commerciale d’un pays, quand il s’agit d’un projet qui ne peut recevoir son exécution qu’aux dépens du Hainaut, cela seul doit suffire pour lui faire rejeter la proposition du gouvernement. Mais, dira-t-on, on pourrait aussi donner au Hainaut des routes. Je le sais, la chose n’est pas impossible ; mais je crois que le moment n’est pas opportun pour l’exécution d’un tel projet, car la Belgique est encore dans un état précaire.
Dans toute cette discussion, ce qui m’a le plus frappé, c’est cet aveu de M. le ministre de la justice, que si la concession était offerte, le gouvernement la refuserait. Je n’ai pas pu, je l’avoue, m’expliquer cette opinion, et rien de ce qui a été dit dans la discussion n’a pu m’éclairer sur ce point ; elle m’a donné à penser que le gouvernement voulait gouverner par l’industrie, et en rattachant à lui les intérêts d’un grand nombre de particuliers, parvenir à un moyen de gouvernement plus facile. Quant à moi je repousserai ce moyen de tout mon pouvoir.
Nous avons vu les inconvénients qu’il y avait à ce que le gouvernement eût la haute main sur et ce qu’il y avait de fatal pour le pays dans ce système. Quand l’empereur, qui réunissait en lui toute la puissance, fut écrasé, on pensa que si on avait moins de gloire, on aurait plus de bonheur. Mais bientôt, en France et en Belgique, le gouvernement chercha à retrouver ce qu’il avait perdu ; et pour cela l’industrie lui a puissamment servi. Sous la restauration nous en avons eu un exemple frappant dans les faveurs que le gouvernement accorda au commerce de Bordeaux et aux départements de l’ouest qui lui étaient favorables par leurs opinions, et dans les entraves qu’il apportait au commerce de la Bourgogne et des provinces de l'est qui votaient dans un sens différent. Nous en avons eu la preuve dans ce pays-ci, particulièrement pour les vins. On a dit que le tarif serait réglé par la chambre ; mais l’honorable M. Gendebien vous a expliqué qu’il était impossible que la chambre réglât ce tarif. Nous ne pouvons point faire de l’administration ; nous ne pouvons pas siéger toute l’année. Lorsqu’il s’agit de régler des droits de barrières, nous sommes obligés de renoncer. Jamais de tels intérêts ne pourront être réglés par cette chambre, où les intérêts de localité se font jour constamment.
J’ai dit ce qui se passait en France sous la restauration ; il en est de même depuis 1830. Au reste, tout gouvernement peut rendre un peuple heureux, même un gouvernement despotique ; car l’opinion publique le contiendrait : mais ce qui est le plus à craindre, ce serait un gouvernement qui, avec des formes libérales, voudrait faire du despotisme ; car il arriverait à son but par des moyens détournés.
Messieurs, on a dit que le projet dont il s’agissait était un projet national : je ne le nie pas, car tout ce qui a une utilité réelle est national en Belgique ; mais je voudrais savoir s’il ne sera pas aussi national, exécuté par voie de concession, qu’exécuté par l’Etat ; s’il ne le sera pas davantage ainsi, car, dans ce cas, toutes les provinces prendrons part à son exécution, tandis que sans concessions, le projet ne sera national que dans les localités où la route passera.
Il me paraît qu’avant de s’occuper de ce projet il était plusieurs objets au moins aussi utiles et plus urgents qui réclamaient l’attention du gouvernement. Ainsi chacun a senti que la séparation de la Belgique avec la Hollande rendait nécessaires des modifications dans le tarif des douanes. Depuis trois ans le gouvernement nous a-t-il fait quelque proposition à ce sujet ? nullement ; ce sont deux honorables députés qui ont été obligés de faire des propositions, l’une relative aux toiles, l’autre sur le droit imposé à la sortie du bétail.
On a dit qu’il y aurait de la honte à ne pas faire la route en fer ; cela ne me touche pas, je l’avoue ; il n’y a pas de honte à savoir régler ses affaires. La honte c’est la banqueroute. Je voterai pour le système des routes en fer par voie de concession ; si les concessions ne sont pas admises, je voterai contre le projet.
M. Desmet. - Messieurs, on vous l’a déjà dit, mais il serait difficile de ne pas se répéter que la petite Belgique était le premier pays du monde où des chemins en fer se faisaient aux frais du gouvernement ; c’est-à-dire, que tout le pays paiera et que l’administration sera l’entrepreneur. Si on se bornait encore à faire un essai, la chose serait compréhensible ; mais la hardiesse de nos gouvernants du moment est si grande, qu’ils font exécuter un ouvrage tellement gigantesque, que jusqu’à ce jour, ni l’Amérique ni l’Angleterre n’en ont fait de pareil.
Et dans quel moment surtout veulent-ils le faire ? Justement dans celui où vous êtes journellement obligés de faire des sacrifices extraordinaires pour conserver votre existence et votre indépendance, et que vous êtes probablement à la veille d’avoir une guerre qu’on vous fera ou que vous serez obligés de faire pour vous conserver comme vous désirez l’être, et comme vous avez droit de l’exiger même par les traités de la sainte-alliance.
Il me semble qu’on ferait beaucoup mieux de laisser dormir le chemin de fer pour quelque temps, et de porter tous nos regards vers la tempête qui plane sur nous, car la concentration de l’armée hollandaise près de nos frontières ne se fait pas sans motif, ni sans vues hostiles ; elle se fait, j’en suis convaincu, d’accord avec les délibérations actuelles du congrès de Vienne : et quoi qu’en ait dit dans le temps un des directeurs de notre bureau diplomatique, quand on critiquait avec de justes motifs l’imprudence, qui n’est pas rare dans notre gouvernement, d’envoyer à Vienne un individu sur lequel on doutait, que dans ce congrès on ne traiterait pas de nos affaires, je présume qu’au contraire elles y font un des principaux objets de ses délibérations, et je crains que le résultat ne le prouve que trop…
M. l’inspecteur-général Vifquain a, dans ses réflexions sur le chemin en fer projeté, fait des remarques pour ce qui concerne l’exécution sur les fonds du budget ou par voie de concession, qui sont tellement bien motivées que je ne crois pas qu’on pourrait seulement y répondre ; et certainement ce ne sont pas les auteurs du projet qui y ont répondu dans leurs répliques !... Il observe entre autres qu’il est très dangereux de protéger l’industrie et le commerce par spécialité, que c’est un bon moyen de porter des troubles dans le pays et de compromettre la paix publique.
« L’industrie et le commerce, dit-il, ne sont qu’une lutte continuelle entre les concurrents ; il n’y aurait, ni sagesse, ni prudence à donner des armes de préférence pour ce combat à telle ou telle partie du royaume. »
Et c’est dans un moment que nous avons un si grand besoin d’union et de tranquillité dans le pays, que nos gouvernants vont y jeter un brandon de discorde, et porter partout l’inquiétude et le mécontentement.
Vraiment, messieurs, on devrait douter des intentions de ceux qui se trouvent à la tête de nos affaires, et on pourrait soupçonner qu’ils ont des vues perfides, contraires aux intérêts du pays ; mais à ce sujet nous pouvons nous assurer ; nous savons que la plupart de ceux qui nous gouvernent dans ce moment, sont les mêmes qui dirigeaient nos affaires au mois d’août 1831, et alors il n’y avait, de leur part, qu’insouciance et imprévoyance ; et que c’est là qu’on a dû trouver la cause de cette déshonorante catastrophe.
M. l’inspecteur-général de nos ponts et chaussées n’est certainement pas une autorité suspecte pour juger la cause des concessions ; et, par la place qu’il remplit, il ne peut avoir aucun intérêt pour se déclarer en faveur de ce mode d’exécution ; nous pouvons donc le croire, il a l’expérience qui le met à même de se prononcer en connaissance de cause, et le raisonnement qu’il tient dans ses réflexions sur le projet ne peut certainement pas être taxé de sophistique ; je voudrais bien qu’on y répondît par un autre raisonnement aussi solide, et qu’on nous démontrât qu’il a tort et qu’il ne juge pas la cause comme l’ont jugée et la jugent encore aujourd’hui tous les savants ingénieurs et économistes du monde entier…
Dans différents discours, on nous a aussi cité le savant inspecteur-général des ponts et chaussées de France, qui, dans toutes les occasions, s’est déclaré fortement en faveur du mode des concessions, et qui ne craint point de publier que ce sont les associations seules qui sont en état d’exécuter des travaux utiles et les porter à une bonne fin.
Il serait déplacé de revenir encore sur ces citations et de vous répéter ce dont vous êtes déjà assez rassasiés. Je comptais cependant vous demander la permission de vous lire un passage d’un article que M. Eugène Flachat, savant ingénieur de France et auteur de vues politiques et pratiques des travaux publics de ce pays, vient de publier sur votre chemin de fer d’Anvers à Cologne. Mais l’honorable M. Jullien vous a déjà communiqué ce fragment.
Et à ce sujet un journal de la ville fit une remarque très sage et que toute la nation appuiera, j’en suis sûr. Nous croyons, disait ce journal, que les grands travaux, les constructions colossales, doivent être exécutés en temps de paix, alors que l’état des finances est prospère.
Que penserait-on, demande-t-il, d’un père de famille qui se ferait bâtir de magnifiques hôtels, alors que sa fortune est encore précaire et que ses dépenses sont beaucoup plus élevées que ses revenus ? On ne pourrait s’empêcher de le blâmer.
Eh bien, la Belgique ne va-t-elle pas imiter la faute de ce père de famille ?
En effet, notre avenir est encore incertain, nos voies et moyens ne suffiront pas pour couvrir nos dépenses ; le statu quo qui se prolonge nous oblige à des sacrifices extraordinaires ; une lutte avec la Hollande n’est pas impossible, elle peut forcer à des dépenses considérables pour défendre notre honneur, notre territoire, notre indépendance ; et ce serait dans un pareil état de choses que nous irions imposer au pays de nouvelles charges, grever le budget de 50 à 60 millions, nous exposer à des embarras sous lesquels, peut-être, nous finirions par succomber.
Qui oserait se rendre solidaire d’une telle légèreté ? qui oserait assumer une telle responsabilité ?
Je me flatte que la représentation belge ne donnera pas cet exemple et ne méconnaîtra pas ainsi le devoir qu’elle a envers le pays, de ne pas le consulter avant de risquer la dilapidation d’un si énorme capital !
Je sais qu’on répondra que tous les capitaux qu’on va dépenser pour le chemin de fer le seront dans une utilité générale ; je ne reviendrai point à cette discussion ; mais si le gouvernement avait eu le courage de consulter toutes les localités du pays, comme c’était son devoir, il aurait appris comment la nation entendait cette utilité générale, et je crois qu’il y aurait pensé deux fois avant de continuer à entraîner le pays dans de si fatales dépenses, et de brusquer ainsi l’opinion de la généralité.
Je me flatte que la chambre sera plus prudente, et qu’elle ne voudra pas se rendre complice de l’imprévoyance et de la légèreté du gouvernement, et qu’en se déclarant pour ce mode de concession, elle prouvera au pays qu’elle ne veut que le bien général et non pas celui seul de quelques capitalistes et du haut commerce, dont l’égoïsme reconnu le fait rarement opérer en accord avec les véritables intérêts de la généralité.
Mais si contre notre attente on voyait le mode de concession repoussé, alors, messieurs, il n’y aurait qu’un seul remède au mal, ce serait que les députés de chaque district, qui ne pourrait pas avoir son morceau de gâteau des millions, vous présentassent un amendement pour augmenter la somme de l’emprunt, afin d’exécuter aussi dans les contrées qu’ils représentent, aux frais de l’Etat, quelques travaux d’améliorations dans les voies existantes de communication et de transport. Et pour mon compte, je vais vous le déclarer, je prendrais la liberté de vous présenter un amendement qui tendrait à augmenter la somme de l’emprunt de quatre millions pour exécuter le travail qu’exige l’entier achèvement de la canalisation de la rivière de la Dendre et de sa jonction avec le canal de Mons. Travail qui, quoiqu’il ne coûtera que quatre millions, sera d’une utilité plus générale pour le pays que la route vers Cologne. Et je crois que vous en serez convaincus quand je développerai l’amendement que je présenterai à ce sujet.
Je dois donc déclarer que si le système du mode d’exécution par concession est admis, je voterai le projet de construire les chemins en fer.
M. Angillis. - Tout système quelconque a ses inconvénients et ses dangers, car les institutions humaines ne sauraient atteindre la perfection, quand les lois de la nature même ont leurs inconvénients ; mais lorsqu’on doit choisir entre deux modes d’exécution, on doit adopter celui qui peut se faire à moins de frais, plus de facilité et en moins de temps. Or, l’expérience la plus consommée nous prouve que la voie de concession est préférable à tout autre mode. Dans les pays où ce système a été adopté, on a exécuté beaucoup de grands travaux en canaux, routes, ponts et établissements de commerce, qui probablement n’auraient jamais été exécutés si on n’eût pas suivi le système de concession,
Quand le gouvernement se réserve l’exécution des travaux publics, la construction est ordinairement lente, très coûteuse et souvent imparfaite.
Voilà, messieurs, ce que l’expérience nous a démontré. Sans doute, ce système a également ses inconvénients, et je l’ai déjà dit ; mais je crois qu’on a exagéré ces inconvénients : en prenant de bonnes mesures, en exprimant dans le cahier des conditions de la concession d’une manière claire et nette les obligations réciproques, en écartant les maximes générales susceptibles de dénégations, de disputes éternelles, je crois qu’on pourrait facilement contraindre les concessionnaires à l’accomplissement, à l’exécution de leurs obligations. D’ailleurs, il n’en est pas d’un chemin comme d'un canal ; tous les cas peuvent, à quelques exceptions près, être prévus, et le petit nombre de ceux qui tomberont dans les exceptions ne pourront jamais susciter de grandes difficultés.
Il y a une autre considération et qui domine toute la question, c’est la considération pécuniaire. Notre état financier, messieurs, ne nous permet pas de faire des dépenses extraordinaires qui ne seraient pas commandées par la plus inexorable nécessité. Et lorsqu’on considère qu’une guerre est dans les choses probables, on demeure convaincu que, dans les circonstances actuelles, ce serait une haute imprudence de diminuer les ressources de l’Etat en même temps qu’on augmenterait les charges de la nation.
Pour ce qui regarde l’emprunt que l’on projette, je dois le faire observer qu’on ne doit user de ce moyen extrême qu’avec les plus grands ménagements. A la vérité notre crédit public est assez bien en ce moment, mais le moindre événement peut tout déranger ; car, il ne faut pas se le dissimuler, et il serait même dangereux de le faire, notre crédit n’est pas encore bien consolidé, et il faut encore quelques années d’existence pour le rapprocher de celui des Etats voisins. Une seule crise financière affectera encore, pendant quelque temps, le crédit belge plus sensiblement que ceux de quelques autres Etats. Nous avons un exemple récent de ce que je viens de dire : à la seule nouvelle de la mort du roi d’Espagne, nos fonds, en quatre jours, subirent une baisse de 6 p. c., et il est probable qu’ils seraient descendus plus bas sans les mesures prises à l’instant.
Nous avons fait un emprunt et nous avons perdu 31 p. c. Maintenant cela irait un peu mieux ; cependant nous ne sommes pas encore dans la position pour contracter un emprunt au plus bas prix possible, et pour une cause naturelle : les esprits, c’est-à-dire les capitalistes (car il faut savoir que ces messieurs évaluent leur patriotisme à autant pour cent) ; n’importe, les esprits sont encore trop frappés des révolutions récentes, pour qu’ils n’admettent pas la possibilité de nouvelles crises politiques. Pour emprunter avec quelques avantages, il faut attendre l’époque de notre arrangement définitif. Si on veut la preuve de ce que j’avance, examinez les cours des fonds publics ; vous y verrez que la rente belge est à 5 1/4 p. c., celle de France à 4 1/8 p.c., et celle d’Angleterre à 3 2/5 p. c. Cependant, personne ne me contestera que la Belgique ne possède, relativement, autant de ressources que ces deux pays ; et, d’un autre côté, la facilité des déplacements de fonds d’un pays à l’autre ne permet pas d’attribuer cette différence à la plus ou moins grande valeur de l’argent dans ces deux pays.
Je sais bien que l’esprit d’association n’a pas encore fait de grands progrès en Belgique, mais il faut encourager cet esprit : en Angleterre et même en France on a senti que, pour porter l’industrie au plus haut degré, et pour donner au commerce une grande étendue, il fallait allier les savants et les capitalistes, les industriels et les commerçants. Ces secours mutuels peuvent opérer de grandes choses, mettre les jouissances à la portée de toutes les fortunes en augmentant en même temps la somme du bien-être de la nation. Il faut donc faire un essai en Belgique et présenter cette grande entreprise par la voie de concession ; de cette manière, la route ne coûtera rien ou peu de chose à l’Etat, et la nation profitera de toute son utilité.
Avant de finir, messieurs, je dois appuyer ce que vient de dire M. Jullien : je veux parler des plaintes qui se sont élevées dans cette chambre. Tous les honorables députés du Hainaut ont soutenu que de la route, telle qu’elle est projetée fera subir une grande perte à sa principale branche commerciale. L’honorable M. Pollénus a fait également entendre des plaintes pour le Limbourg, et aucun des autres députés de cette province ne s’est levé pour contredire les assertions de M. Pollénus ; je dois les croire avérées.
Mon honorable ami M. Gendebien a été plus loin : il a fait des calculs qui prouvent, jusqu’à preuve contraire, que les plaintes des messieurs du Hainaut sont très fondées. Eh bien, je déclare, ne me considérant pas comme député de la Flandre, mais comme député de tout le royaume, que si on ne détruit pas les calculs de M. Gendebien, ou si on ne donne pas tout apaisement au Hainaut, je voterai contre le projet de loi ; je voterai contre non comme un homme qui se plaît à faire de l’opposition, mais comme un homme qui ne veut ni souffrir ni posséder des moyens d’oppression, comme un homme qui veut pour les autres comme pour lui-même la liberté et l’égalité devant la loi.
M. de Robaulx. - Messieurs, mon intention n’est pas de revenir sur les avantages et les inconvénients du mode proposé. La discussion s’est déjà étendue assez largement à cet égard. Mais je reviendrai, comme je l’ai dit hier, sur les sacrifices qu’on se propose de faire ; car c’est une chose sur laquelle on n’a pas donné des explications satisfaisantes. Il a été reconnu que, selon l’équité, si on construisait un chemin de fer, il faudrait, dans les provinces où il y a des canaux, abaisser les péages. M. le ministre n’a pas contredit jusqu’à présent sous ce rapport.
Je demanderai si, d’après les renseignements qu’on a pris, on est en mesure de déterminer l’indemnité à accorder aux concessionnaires de canaux, pour que nous puissions savoir quelle somme nous aurons à voter.
Si, par ce projet, vous accordez d’immenses avantages au commerce d’Anvers et de Liége, il faut, par la même disposition, donner une indemnité aux concessionnaires de canaux dans les provinces qui y ont droit, et fixer cette indemnité. Je demande si on a pris ces renseignements, comme le prescrivaient la moindre prévoyance et le simple bon sens. Que répondra-t-on ? Il ne s’agit point de paroles ; il faut des faits.
Nous fera-t-on cette interminable observation que : « 200,000 tonneaux de houilles du Hainaut sont expédies par la voie des canaux, et qu’en diminuant 1 fr. 50 c. par tonneau, on aura une somme de 300,000 fr. ? » Je n’ai pas voulu hier prendre la parole une troisième fois, pour répondre à cette observation de M. le ministre, dans laquelle il se renferme soigneusement. Mais je ferai remarquer que ce n’est pas seulement sur les houilles qu’il faut diminuer les péages ; car il y a encore d’autres objets d’industrie et de commerce qui sont exportés par cette voie. Toutefois, j’admets qu’il n’y ait que des houilles, et j’espère que la concession est assez large ; soit 300,000 fr,, qu’il est de l’équité de réduire pour les houilles qu’expédie le commerce du Hainaut, et vous avez donc un capital de 6 millions à rembourser. Il faut voter cette somme ; il faut augmenter d’autant le budget ; car il ne s’agit pas ici de paroles, de promesses, il faut que ces promesses soient écrites dans la loi, pour que la province du Hainaut soit rassurée.
J’en viens à un autre point, la question de préférence qui a été traitée assez largement, quoique cependant on ne se soit pas occupé, d’une manière spéciale, de l’exécution de la route par l’Etat.
Ainsi que vous l’a dit l’honorable M. Jullien, si vous votez la construction du chemin de fer par l’Etat, vous faites du gouvernement un entrepreneur de messageries et de roulage. Si vous vous faites entrepreneurs de diligences, transporterez-vous toute espèce d’objets, des ballots, des toiles, des draps, des malles, de l’argent ? Quel système adopterez-vous pour le prix du transport de ces objets ? Les chambres, dira-t-on, fixeront le tarif ; mais, comme un de nos honorables collègues vous l’a dit déjà pour les barrières, la législature éprouve des difficultés à fixer le péage. Cependant pour les barrières il y a un droit fixe. Toute la difficulté est de savoir quelles sont les espèces de denrées qui y seront soumises. Le droit des barrières, dis-je, est fixe, et se perçoit par cheval. Il n’en est pas de même des expéditions de marchandises. Quand vous aura établi un péage de 2 centimes par tonneau pour les houilles, vous ne transporterez pas au même taux des tulles, des dentelles ou des draps ; vous ne transporterez pas pour deux centimes un tonneau de draps. Ce que je demande, et c’est le second point de mon interpellation, c’est qu’on nous dise quels sont les renseignements pris, et ce qu’on se propose de faire dans le cas où les houilles du Hainaut, par suite de l’établissement de la route en fer, ne pourraient pas soutenir la concurrence avec celles de Liége.
Dites si vous voulez entrer dans un système despotique de la Prusse, et si nous devons passer par les mesures brutales qu’il vous plaira de créer, avec cet esprit de benjaminisme que vous montrez pour le haut commerce. Je n’attaque pas les intentions du ministère, il passera comme tout le reste. Mais les institutions restent, et les hommes s’éclipsent.
Je suppose qu’au ministère actuel succède un ministère composé de grands propriétaires : d’après le système politique qui prédomine en France et qui aura toujours de l’influence chez nous, je crois qu’un certain genre d’aristocratie menace de nous déborder ; je suppose que le gouvernement soit composé de grands propriétaires, de gens ayant, comme M. Eloy de Burdinne, une tendresse toute particulière pour l’agriculture, tendresse que je ne blâme pas, seulement je voudrais qu’on ne fût pas exclusif. Au lieu de mettre 40 centimes sur les contributions foncières, il pourrait avoir l’intention de rançonner le commerce, et dire que le transport des marchandises, des houilles de Liége et du Hainaut, se fait à trop bas prix, et que le roulage doit supporter une grande partie de la contribution.
Je donne le revers de la médaille. Ne serait-il pas possible à un autre ministère d’être aussi hostile au commerce qu’on paraît en ce moment lui montrer de bienveillance, si vous laissez au gouvernement le monopole de la route en fer, le droit de rançonner qui il voudra sur cette route. Il faut donc, pour tranquilliser le commerce, que vous disiez quelles sont vos intentions, que vous exposiez les règlements d’après lesquels vous voulez établir les péages.
Il est un troisième point sur lequel je veux appeler votre attention.
Je suppose la route construite aux frais de l’Etat. Vous n’ignorez pas qu’aujourd’hui l’entretien des routes existantes absorbe tous les soins du corps des ponts et chaussées ; on fait bien quelques routes nouvelles, mais c’est principalement l’entretien des routes existantes qui absorbe les soins du corps des ponts et chaussées.
Quel sera le mode d’entretien de la route en fer ? Il faut n’avoir pas la moindre notion sur les travaux publics pour ne pas savoir que l’entretien n’est pas la moindre dépense. Il n’y a personne de vous qui ne sache que, quelque soient les soins qu’on prenne, on ne peut pas éviter les abus, toutes les fois que c’est une province ou une administration qui veut faire réparer qu’on trouve moyen de tromper sur les matières premières, qu’on vole.
Je n’attaque pas ici spécialement l’administration ; je dis que quand elle fait travailler, on la vole avec d’autant plus de facilité que ceux qui sont préposés à la surveillance des travaux, soit qu’on vole ou qu’on ne vole pas, sont toujours sûrs de recevoir leurs appointements. La surveillance n’est jamais aussi efficace que celle d’un bon père de famille. Eh bien ! si on vole déjà pour les travaux des routes ordinaires, quoiqu’il soit assez difficile de voler des pierres et du sable, qui sont des matières très pondéreuses ; quand vous aurez votre chemin de fer, veuillez-nous dire comment vous ferez. Sur les routes ordinaires, s’il arrive un défoncement, on passe à côté ; quel qu’en soit l’état, on peut toujours passer. Sur une route en fer, c’est différent ; qu’une rail vienne à baisser seulement de quelques centimètres, les chariots arrivent à leur destination, c’est-à-dire versent.
Dès lors, il est impossible que la route puisse désormais fonctionner. Quel sera le personnel de l’administration de cette route ? combien faudra-t-il de magasins, de conducteurs ? combien y en aura-t-il le long de la route ? Avez-vous calculé tout ce que cela coûtera ? Il faudra des dépôts de rails, de bois de menuiserie, de fer de wagons, pour réparer là où il y aura le moindre défaut à la route. Eh bien ! il faut établir de ces dépôts partout où le besoin pourra s’en faire sentir, avoir toujours un homme, le marteau à la main, prêt à réparer le moindre accident ; sinon tout ce qui passe est arrêté. Je demande que de dépôts vous serez obligés d’établir ! il en faudra un à tous les demi-quarts d’heure.
Si on vole des pierres et du sable, on volera avec bien plus de facilité du fer, du cuivre et tous les objets nécessaires à la confection et à l’entretien d’une route en fer, les travaux étant faits par le gouvernement.
Je ne sais jusqu’à quel point on a prévu les dépenses, elles ne peuvent être qu’extrêmement considérables. Il est impossible que le gouvernement puisse être aussi bien servi que les particuliers.
Messieurs, le résultat du système des concessions a été longuement exposé ; nous avons dit pourquoi nous en voulons ; nous craignons que dès l’instant que le gouvernement commencera à devenir propriétaire de routes, il ne vienne jeter dans la balance commerciale les millions du trésor, il ne vienne tuer l’esprit d’association.
Personne n’oserait demander la concession d’un chemin quelconque, s’il a la prévision que dans un an, cinq ans, dix ans, le gouvernement pourra faire un chemin parallèle au chemin concédé ; personne ne sera assez osé pour aventurer ses capitaux, sachant que le gouvernement peut venir écraser son entreprise avec les fonds de l’Etat.
Loin de nous la pensée de vouloir être hostile à toute innovation de progrès ; nous voulons le projet, mais nous le voulons par l’industrie elle-même qui est meilleure appréciatrice de ses besoins que le ministère. Nous voulons tellement le chemin en fer que, s’il a besoin de quelques encouragements, nous sommes prêts à les accorder. Vous dites qu’il n’y aura pas de concessionnaires ; en leur offrant un encouragement ils viendront, et j’aimerais mieux donner entièrement 10 millions à la route, sans espoir d’en rien retirer, que d’en aller cautionner 50 ou 60, parce qu’il est de principe général que qui cautionne paie, et je crains de payer.
Messieurs, en Angleterre, dont on a tant parlé dans cette discussion, on n’a pas commencé comme on veut le faire ici, on a commencé par de petits essais, et nous voulons commencer en grand. C’est à vous à juger jusqu’à quel point c’est conseillé par la prudence. Je suis disposé à voter le chemin par concession, et même à accorder un encouragement comme on l’a fait pour d’autres routes.
J’attends les explications que j’ai demandées et que je crois de nature à éclairer l’assemblée.
M. d’Huart. - Messieurs, c’est aussi pour une explication que je prends la parole. Dans une précédente séance, j’ai fait remarquer que dans les calculs des ingénieurs on avait attribué à la route en fer tous les transports qui s’effectuent par les canaux et routes actuelles longeant le tracé du chemin de fer ; j’ai fait remarquer que ces routes devenant, selon ces prévisions, désertes, ne rapporteraient plus à l’Etat aucun revenu ; j’ai demandé si dans les calculs on avait eu égard à ces diminutions de revenu.
On ne m’a pas répondu. Mais, sans attendre davantage la réponse, je puis dire qu’on n’y a pas eu égard, car je n’ai rien trouvé dans les mémoires qui en fît mention. Cependant ces revenus sont très considérables de Bruxelles à Anvers et d’Anvers à la frontière de Prusse au-delà de Verviers.
Je me suis procuré le chiffre de ce que rapporte la route de Bruxelles à Anvers. Cette seule partie de la communication a produit, en 1831, 119,407 fr. ; en 1832, 110,370 ; en 1833, 116,769. Cela ne varie pas beaucoup d’une année à l’autre.
Supposez que cela s’élève seulement à 100 mille fr., somme ronde ; supposez de plus que la route d’Anvers à la frontière de Prusse rapporte aussi 100,000 francs ; c’est trop peu, mais soit : voilà donc 200 mille fr. qu’il faut défalquer de l’évaluation des produits de la route ; c’est un capital de 4 millions à ajouter à la dépense, car, de quelque côté que figure cette somme, ce n’est pas un moyen de revenu nouveau ; si vous le recevez sur votre chemin de fer, il sera en moins dans les produits des routes ordinaires. C’est un double emploi, vous devez nécessairement le défalquer.
M. de Robaulx vous a présenté plusieurs observations que je me proposais de vous soumettre, et en même temps il a établi que la somme que coûterait l’abaissement des péages sur les canaux du Hainaut, d’après les renseignements fournis par les ingénieurs, s’élèverait à 300,000 fr. Je crains que la réduction de ces péages ne coûte davantage.
M. de Robaulx. - C’est pour les houilles seulement.
M. d’Huart. - Soit, pour les houilles seulement ; c’est un capital de 6 millions encore à ajouter. Voilà donc 10 millions auxquels on n’avait pas pensé. Cette seule observation renverse tous les calculs faits pour établir le revenu du chemin de fer.
Je sais qu’on nous dira, en allant chercher des exemples en Angleterre, que, par ce qui est arrivé pour la route de Liverpool à Manchester : on a l’expérience que les produits des routes ordinaires ne diminueront pas, que ces routes continueront à être exploitées comme auparavant. Cet exemple est inapplicable à notre pays. Ce n’est pas ici comme en Angleterre où les communications étaient insuffisantes. C’est parce que les routes et les canaux existants étaient encombrés, qu’on a construit la route en fer de Liverpool à Manchester ; ils le sont même encore tellement, qu’on devra probablement construire une nouvelle voie en fer pour satisfaire à l’insuffisance des communications.
Je répondrai à cette objection par un exemple pris chez nous. Depuis que le canal de Charleroy est ouvert, les rouliers n’ont cessé d’adresser des pétitions aux chambres dans lesquelles ils prouvent, que par l’établissement de ce canal, le roulage se trouve réduit à presque rien, et qu’ainsi ils sont dans la détresse. Vous voyez donc que quand il n’y a pas insuffisance de communications, celle qui ne peut pas soutenir la concurrence doit tomber, et que celle qui transporte à moindres frais doit évidemment l’emporter. Ne voulant pas rentrer dans le fond de la question, je me bornerai à dire deux mots sur le discours que vient de faire un honorable député de ma province.
M. Zoude a déploré l’abandon dans lequel on laissait le Luxembourg ; il vous a parlé d’une multitude de communications qui étaient sur le point de s’exécuter dans cette province sous l’ancien gouvernement, et auxquelles on ne songeait plus ; il vous a parlé aussi du canal de Meuse et Moselle dont les travaux sont suspendus sans opposition de la part du gouvernement, et c’est dans ces circonstances qu’il vote pour le chemin en fer. Je ne sais comment concilier son vote avec ses paroles. Comment ! c’est quand le gouvernement abandonne les travaux projetés et commencés dans le Luxembourg pour construire une route au profit d’une localité spéciale, c’est par ce motif que vous lui confiez des millions dont on ne peut pas calculer le chiffre !
En effet, plus nous avançons dans la discussion, plus nous trouvons d’oublis dans le calcul des revenus. Je dis dans les évaluations des revenus, car je tiens à ce qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée ; c’est plutôt pour ces évaluations, que pour celles des travaux que j’ai de la défiance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je pourrais, à la rigueur, me dispenser de répondre aux dernières interpellations qui m’ont été adressées, car la chambre aura remarqué qu’elles ne se rattachent pas directement à l’objet en discussion. Il s’agit en ce moment de savoir si le gouvernement exécutera lui-même la route, ou si cette exécution sera confiée à l’intérêt particulier, si tant est qu’il se présente des concessionnaires : la question de savoir si, après la construction de la route en fer, il y aura plus ou moins d’activité sur les routes ordinaires, cette question se présentera toujours de quelque manière que la route se fasse. Mais il y a cette différence, que si la nouvelle communication est faite par concession, il y aura perte sur les routes actuelles, en cas de diminution d’activité sur ces routes, sans compensation par la route nouvelle ; tandis que si la route nouvelle est faite par l’Etat, la perte que pourraient présenter les routes anciennes serait compensée par le bénéfice qu’on ferait sur la nouvelle.
Je ferai remarquer on outre que si les routes en pierre sont moins fréquentées, elles causeront moins d’entretien, il y aura, moins de réparations à y faire. Un orateur a observé tout à l’heure que l’entretien des routes en pierre absorbait presque tout entiers les revenus des barrières. Ainsi il n’y aurait pas perte pour le trésor.
Mais nous pensons, nous, que les routes ordinaires ne seront pas moins fréquentées après l’établissement de la route en fer qu’elles ne le sont maintenant. L’expérience a démontré que l’établissement d’une route longeant un canal, ou d’un canal longeant une route, ne diminue pas l’activité de l’ancienne communication. Je ne pense pas que sur la route de Bruxelles à Anvers l’activité ait diminué par suite de l’établissement du canal de Bruxelles à Boom.
Messieurs, on a encore ramené la question des charbons, comme si la route en fer n’était qu’une route de charbonnage ; nous avons cependant déjà fait remarquer que le charbon n’était qu’un des mille intérêts auxquels la route se rattachait. Mais encore une fois, ce n’est pas ici le moment de nous adresser des interpellations sur ce qui pourra être fait pour donner au Hainaut les moyens de transporter ses charbons à moins de frais. Que le chemin de fer se fasse par concession ou par l’Etat, le charbon du Hainaut n’arrivera pas au même prix que les charbons de Liége, en admettant les calculs de nos adversaires.
Ceci ne changera pas le sort des charbons du Hainaut. Au contraire ; j’ai déjà démontré que si les députés du Hainaut veulent de la route, ils doivent mieux aimer qu’elle soit exécutée par l’Etat que par concession, attendu que, le tarif une fois accordé au concessionnaires, ceux-ci ne pourront pas aisément le modifier dans l’intérêt du Hainaut, tandis que si on fait une route nationale dont le péage sera réglé chaque année par les chambres, le Hainaut pourra faire entendre ses réclamations, et si elles sont reconnues fondées, elles seront accueillies par la chambre, tandis qu’elles viendraient se briser contre l’intérêt privé.
M. Jullien. - Le Hainaut fera sa route-lui-même !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Quant au mode d’exploitation de la route, le gouvernement, dit-on, n’a pas fait connaître ses intentions. Messieurs, quoiqu’on en dise, le gouvernement l’a plusieurs fois déclaré, il ne veut pas faire à lui seul et à toujours l’exploitation de la route. Il ne veut pas non plus de monopole. Il laissera l’exploitation libre. Seulement il se réserve de fournir d’abord les machines locomotrices ; et son but, en fournissant les locomoteurs, est de procurer les meilleurs modèles de machines possible et de mettre obstacle à l’exploitation coûteuse qui pourrait s’exercer par l’intérêt privé. Si l’industrie particulière veut rouler avec ses propres machines, le gouvernement ne s’y opposera pas. Mais il s’opposera à ce qu’elle conquière le monopole de l’exploitation, et traite sans merci ni miséricorde le commerce et les voyageurs.
Quand une concurrence se sera établie et que le gouvernement se sera assuré que l’exploitation ne se fera pas d’une manière onéreuse pour le commerce, il pourra cesser de prendre part à l’exploitation. Le gouvernement fera ce que font beaucoup d’autres gouvernements, ce que font la Prusse et l’Angleterre ; car le gouvernement anglais aussi exploite par lui-même certains transports, et tout se passe très régulièrement. Il suffit d’un simple règlement administratif qui ne présentera pas grande difficulté.
Le gouvernement fournira donc les locomoteurs, et, s’il est nécessaire, les chariots ou wagons ; cependant les entrepreneurs de roulage pourront se servir de leurs propres voitures et wagons et chaque wagon, qu’il appartienne au gouvernement ou à l’entrepreneur de roulage, paiera suivant sa capacité ou sa pesanteur et pourra prendre en charge des pierres, du charbon, du grain, voire même des poulets, des œufs et du lait. Je dois ici rassurer ceux qui craignaient que les œufs n’arrivassent en omelette et le lait en fromage. Tous ceux qui ont voyagé sur des routes en fer savent qu’il n’y a pas de transport plus doux, et que pas la moindre perturbation n’est à craindre sur toute la route. Je bornerai la pour le moment mes observations.
M. A. Rodenbach. - M. le président, y a-t-il quelques orateurs inscrits contre le système de concession ?
M. Gendebien. - Il semble que l’honorable M. Rodenbach provoque les membres qui ne veulent pas des concessions à parler ; depuis plusieurs jours, je les provoque également à nous répondre ; j’ai posé des chiffres, et ils ont gardé le silence.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je prie M. Gendebien de répéter ses interpellations.
M. Gendebien. - C’est abuser de la complaisance de la chambre que de répéter tant de fois la même chose. J’ai défié le ministère et les commissaires du Roi de répondre aux observations qui se résument ainsi : MM. de Ridder et Simons ont établi dans leur mémoire que les houilles du Hainaut arrivaient à Anvers depuis un temps immémorial ; j’ai dit que les marchandises partant de Verviers auraient par le chemin de fer un avantage de plus de 60 p. c. ; j’ai dit que dans ce mémoire les houilles n’étaient taxées qu’à moitié des autres marchandises ; j’en ai tiré la conséquence que les houilles de Liége auraient un avantage de plus de 80 p. c. sur les transports des houilles du Hainaut et qu’elles ne pourraient soutenir la concurrence.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - J’admets tout ce que l’honorable préopinant vient de dire ; j’admets que la route transportera à 100 p. c. meilleur marché les charbons de Liége que ceux du Hainaut ; j’admets même que les charbons de Liége seront transportés pour rien : qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce à dire qu’il ne faut pas de route, ou qu’il faut laisser ces bénéfices à l’intérêt particulier ? Est-ce que c’est parce que la route transportera à bon compte qu’il n’en faut pas ? Ou bien est-ce parce qu’il ne faut pas que la route transporte à bon compte qu’on veut des concessions ? Je demande aussi qu’on réponde à ces interpellations.
M. Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je prie M. le président d’interpeller les membres qui se proposent de parler contre les concessions : il faut que l’on entende alternativement un orateur pour et un orateur contre ; et il ne faut pas qu’après avoir entendu tous les orateurs en faveur des concessions, on entende une réfutation en masse de leurs discours : ce serait la une tactique.
M. Devaux. - Je ne ferai pas remarquer ce qu’il va de singulier à vouloir que tel membre parle à telle heure ou à telle autre heure. Pour ma part, je n’ai pas dit sur ces concessions tout ce que je pouvais en dire ; mais, dans une discussion quelconque, on ne peut avoir la prétention de tout dire ; aussi je n’ai pas pris la parole dans l’espoir que la discussion finirait ; c’est encore mon intention de ne pas parler. Je ne demanderai pas la clôture ; je sais ce que l’on y gagne, mais je demanderai la clôture quand on aura entendu M. Dumortier.
M. Davignon. - Je m’étais fait inscrire pour parler contre les concessions ; mais voyant l’assemblée disposée à avancer le terme de la discussion, je renonce à parler ; je me réserve toutefois de dire un mot sur la route de Verviers quand une autre occasion s’en présentera.
M. A. Rodenbach. - Dans une question aussi grave, je ne veux pas employer de tactique je veux de la franchise. Je ne suis pas partisan des concessions ; toutefois je ne veux pas ruiner le Hainaut. Si quelques honorables députés de cette contrée pensent qu’il en est parmi nous qui voudraient la ruiner, ils sont totalement dans l’erreur : nous sommes loin de vouloir la ruine d’une province habitée par d’excellents patriotes, et nous adopterons toutes les propositions qui tendront à les tranquilliser.
On a beaucoup préconisé le système des concessions ; mais cette question de la préférence qu’on doit lui accorder est loin d’être résolue. En France on la débat dans les journaux, et les thèses contraires sont soutenues avec une égale force des deux côtes. L’expérience est là d’ailleurs pour montrer que le système des concessions ne présente pas les avantages qu’on lui accorde. En Belgique est-ce que le système des concessions a été tellement favorable qu’on doive le rechercher ? Ne sait-on pas que les propriétaires du canal de Pommeroeul ont vendu leurs actions avec un bénéfice de deux millions ? Ne sait-on pas que les propriétaires du canal de Charleroy demandent un bénéfice de quatre millions ? Et pour le construire ils ont dû emprunter dix millions au gouvernement syndicat, d’engloutissante mémoire.
Il y a environ deux ans que des concessionnaires se sont présentés pour exploiter par un chemin en fer la route d’Anvers à Bruxelles ; ils demandaient 19 centimes par kilomètre et par tonneau, et pour les marchandises susceptibles d’avarie, ils demandaient 38 centimes. Que demande le projet de la section centrale ? quatre centimes par tonneau et par kilomètre : la différence est immense et est une réponse aux arguments des partisans du système de concession.
Se faire concessionnaire est un excellent moyen pour se faire millionnaire. Il est vrai que, pour arriver à ce résultat, il faut se faire concessionnaire dans le grandiose, et s’associer avec l’aristocratie financière. Il en est plus d’un en France qui est devenu millionnaire. Le propriétaire du canal de Saint-Quentin a gagné plus de 13 millions. Il s’agissait là d’une entreprise de 3 millions et d’une concession de 22 années. Il est vrai que le propriétaire doit ce bénéfice à son talent, et que ce gain n’entraîne pas avec lui l’odieux des gains qu’on n’obtient que par une odieuse et brutale cupidité. Voici d’autres exemples dans le département du Nord, qui seront plus concluants contre les concessions.
Le concessionnaire de l’écluse d’Illy, avec une mise de fonds de 155 mille francs, a eu en douze années un produit de 1.800,000 francs. L’écluse de Goeulzin a donné en cinq ans et demi un bénéfice de plus d’un demi-million ; la mise de fonds était de 130,000 francs.
Les écluses de Fresne et de Thionville, avec une mise de fonds d’environ 80,000 francs, ont aussi rapporté aux concessionnaire, environ un demi-million pour chaque écluse, dans un laps de 5 à 10 années.
Ces faits vous prouvent, messieurs, que le métier de concessionnaire n’est pas mauvais, et que pour faire doubler, tripler, quadrupler, et même quintupler ses capitaux, il faut se faire concessionnaire.
Je sais bien que l’entreprise par le gouvernement n’est pas sans vices ; mais nous sommes sous un gouvernement constitutionnel, et les opérations du ministre seront contrôlées par les chambres.
Il y aura même une commission nommée par le Roi, et dont les membres seront pris dans les chambres, qui sera chargée de surveiller les travaux. On adjoindra à cette commission des hommes éclairés et surtout d’honnêtes gens, et il n’en manque pas en Belgique : notre pays est encore celui où il y a le plus d’honnêtes gens ; aucun autre en Europe n’en pourrait présenter autant ; nous comptons, en proportion de notre population, moins d’intrigants chez nous qu’en France ou en Angleterre où ils pullulent ; nous sommes une nation probe, et je n’ai pas peur qu’on dépense ici des millions sans contrôle.
Si des malversations avaient lieu, chacun de nous pourrait les signaler et faire une proposition pour les arrêter ; nous avons l’initiative des lois, et nous pouvons en faire contre les dilapidations.
Je crois, de plus, que le ministre, avant de s’engager dans de grandes dépenses, aura la prudence de faire un essai sur une courte étendue, sur une longueur de 8 lieues, par exemple : l’expérience lui apprendra par cet essai ce qu’il doit penser des évaluations des ingénieurs. Le fer, tous les matériaux qui serviront à la confection de la route, seront mis en adjudication, ce qui sera en quelque sorte rentrer dans le système des concessions. Je suis partisan de ce système des concessions, mais je pense qu’une route immense, comme celle qui est en discussion, qu’une route nationale doit être faite par la nation elle-même : on ne peut pas aliéner des ports de mer, on ne peut pas aliéner de fleuves ; il est des circonstances où il serait également dangereux d’aliéner des chemins de fer.
M. Dumortier. - Si je me lève dans cette circonstance, je ne dois pas en avoir de reconnaissance à ceux de nos honorables adversaires qui auraient eu quelques observations à faire contre le système de concession. Je regrette que l’un d’eux n’ait pas cru devoir parler avant moi : si c’est une faveur qu’il a voulu me faire, je ne saurais l’accepter ; si c’est une injure, je la méprise.
M. le président. - J’invite l’orateur à ne pas se servir d’expressions désobligeantes pour ses collègues.
M. Dumortier. - Je désirerais, pour le membre dont j’ai voulu parler, qu’il fût aussi conséquent avec lui-même que je le suis dans mes opinions. Il faut, en effet, que celles de M. Devaux se soient singulièrement modifiées ; car, si j’ai bonne mémoire, il y a deux ans qu’il insistait vivement pour que les postes fussent adjugées par concession. Je le prierai de m’expliquer comment il peut se faire qu’il soit aujourd’hui tout à fait en désaccord avec lui-même, et que son avis soit diamétralement opposé à ce qu’il était alors.
Maintenant j’ai quelques mots à répondre au ministre.
Il a dit : Mais en supposant que la route se fît par concession, croyez-vous que le Hainaut serait pour cela moins lésé.
Ma réponse sera facile.
Si la route est faite par des concessionnaires, comme le but de tout concessionnaire est d’avoir l’intérêt de son argent, le Hainaut pourra arriver en concurrence avec tout le monde, et se trouver dans le cas de recueillir des bénéfices qui couvriront la mise qu’il aura faite.
On a parlé, il est vrai, d’une indemnité en faveur du Hainaut. Mais l’honorable M. d’Huart vous a répondu tout à l’heure que si vous accordez une indemnité, elle doit venir nécessairement augmenter la dépense du capital. Vous évaluez à 300 mille fr. cette indemnité, c’est donc un capital de 6 millions, dont il faut augmenter nos dépenses primitives. D’un autre côté, et je prie mes honorables collègues d’écouter ceci attentivement ; d’un autre côté, dis-je, dans quel but accorderez-vous une indemnité au Hainaut ? Dans l’intention, sans doute, de rétablir l’équilibre en faveur de cette province. Mais, le jour où cet équilibre sera rétabli, les houilles de Liége cesseront d’alimenter la province d’Anvers, et dès lors les bénéfices sur lesquels vous comptez seront anéantis. Ainsi, si vous maintenez votre système de péages, la ruine du Hainaut est inévitable. Et si vous rétablissez l’équilibre actuel par une indemnité, la route en fer, aux frais du trésor, est la ruine du trésor public. Je vous défie de répondre à cet argument.
Je crois vous avoir prouvé, messieurs, que pour pouvoir couvrir les dépenses de la route, l’intérêt, l’amortissement et l’entretien, il fallait cumuler tous les bénéfices, exploitation, péage et fermage. On n’a pas répondu à mes calculs.
Quand j’ai prouvé qu’il était impossible au gouvernement de s’ingérer dans le transport des marchandises, que m’a-t-on répondu ? rien ! Cependant il importe de savoir, messieurs, comment la dépense pourra être couverte.
J’ai établi encore, et on ne m’a pas démenti, que la route en fer d’Anvers à la Prusse, comparée avec ce qu’avait coûté celle de Manchester à Liverpool, en admettant même que vous pussiez exécuter à moitié meilleur marché, devrait coûter au moins 20 à 25 millions, il faudra donc pour cette seule partie de la route une recette de 2 millions, si vous ne voulez pas que le trésor soit grevé d’une partie de la dépense. Sur quelles bases établissez-vous vos calculs pour opérer cette recette ?
Vous évaluez le transport à 4 centimes par tonneau et par kilomètre. Or, il y en a 150 de la frontière de Prusse à Anvers ; ainsi un tonneau coûtera 6 fr. de transport pour parcourir toute cette route. Combien vous faudra-t-il de tonneaux pour couvrir votre dépense ? C’est un calcul bien simple : il vous faudra 333,333 tonneaux ou voyageurs, car l’un paie autant que l’autre ; vous évaluez un homme comme un tonneau de marchandise. (On rit.)
Maintenant qu’il est démontré qu’il vous faudra 333,333 tonneaux pour que la recette puisse rapporter seulement l’intérêt de la dépense, voyons à combien se sont élevées les expéditions même dans l’année où le commerce était dans sa plus grande activité.
En 1829, il est sorti d’Anvers 8,300 tonneaux ; voilà donc un déficit de 325,000 tonneaux ou voyageurs. Ce sont des chiffres, messieurs ; je demande qu’on y réponde. Croyez-vous qu’il soit possible de trouver à transporter 325,000 voyageurs par an, ou environ 1,000 voyageurs par jour, d’Anvers à la Prusse ? Ne suffit-il pas d’énoncer ce simple calcul pour faire voir toute l’absurdité des évaluations présentées par le ministère ?
Si ce que j’ai dit est vrai pour une partie de la route, vous pouvez juger si les calculs pour les autres embranchements sont plus exacts, et je vous laisse à penser s’il est possible que le trésor ne soit pas grevé d’une dépense énorme, dont il ne pourra couvrir même l’intérêt, tandis que si vous abandonnez la route à des concessionnaires, ils pourront, eux, faire des bénéfices en les cumulant tous.
Je ne verrais même pas d’inconvénient à ce qu’il leur fût accordé un subside de 3 ou 4 millions, car cela vaudrait mieux que d’en dépenser peut-être 60.
Dans la discussion de ce projet, j’ai toujours eu en vue la question financière, et je dois le dire, sous ce rapport on vous a complètement induits en erreur. Sur toutes les routes en fer établies jusqu’à ce jour, la moyenne du prix de transport est de 10, 12 et 15 centimes par kilomètre. Eh bien, messieurs, c’est sur 2 centimes seulement que le gouvernement a établi ses calculs : je vous demande s’il est croyable qu’il puisse faire pour 2 centimes, ce qui ailleurs en coûte, comme je vous l’ai dit, 10, 12 et 15.
Voulez-vous savoir, messieurs, comment on a établi les calculs pour les voyageurs : eh bien, c’est absolument la même chose. D’après ces calculs, un voyageur, pour aller à Liége, paierait 7 fr. 80 c., tandis que par les diligences ordinaires ce transport se fait pour 5 fr. seulement.
Voilà, messieurs, sur quelles données sont basés tous les calculs du projet, et comment on est parvenu à vous présenter un revenu qui n’existe réellement pas.
A l’occasion des évaluations de MM. les ingénieurs pour la dépense totale du chemin, je vais vous citer un fait qui sera de nature à frapper vos esprits.
Sous le gouvernement hollandais, le roi Guillaume voulut faire ouvrir un canal du Texel à Amsterdam ; on vint demander aux états généraux les fonds nécessaires pour entreprendre ce travail.
Les députés belges, qui siégeaient aux états-généraux, dans cette même enceinte, agissant très sagement, répondirent : « Nous vous refusons les fonds que vous nous demandez ; si ce travail doit être fait, c’est à la Hollande à l’entreprendre, et à en supporter la dépense ; c’est à elle à en faire la concession. »
Mais le roi Guillaume tenait à voir ce canal s’effectuer : il n’y avait qu’un moyen, c’était de se gagner des voix ; tous les moyens possibles de séduction furent mis en usage, et on finit enfin par se créer une majorité qui adopta le projet du canal de la Nord-Hollande.
Ecoutez, messieurs, le résultat de ce premier vote : Ce canal ne devait coûter que 3 millions de florins : quelque temps plus tard, sous prétexte de ne pas avoir dépensé une première somme en pure perte, on demanda 5 millions de florins, et est définitive la dépense s’éleva à 14 millions de florins.
Voilà, messieurs, quel fut le résultat de la déception et des basses manœuvres du gouvernement hollandais. Puisse cet exemple vous servir de leçon.
Je termine par cette déclaration : si l’on parvenait à me démontrer que la dépense du chemin de fer peut être couverte par les recettes, et que la province de Hainaut ne sera pas lésée, je serai le premier à donner mon vote ; mais jusque-là je ne veux pas exposer mon pays à une ruine complète lorsqu’on a d’autres moyens entre les mains : c’est à quoi je ne consentirai jamais.
M. Trentesaux. - Messieurs à envisager cette discussion dans quelques-unes de ses phrases, on pourrait envisager le projet comme tombé au milieu de nous ainsi qu’une pomme de discorde.
On a mis en opposition les provinces de Liége et du Hainaut, le bassin houiller du Hainaut et le bassin houiller de Liège. J’ai l’honneur d’être le député de Tournay, et j’aurai l’honneur de dire à la chambre que le district ni l’arrondissement de Tournay ne possèdent de houillères ; c’est assez vous faire connaître que je suis en position de porter un jugement neutre et conséquemment désintéressé.
Je ne sens en moi aucune opposition contre une route en fer ; je crois au contraire que, faite en temps opportun, après un examen sérieux et approfondi, elle pourrait être très utile. Mais en ce moment de quoi s’agit-il : De deux modes d’exécution qu’on a opposés l’un à l’autre : celui par concession et celui par l’Etat. Mais ces deux modes ne peuvent-ils pas se concilier ? Ne pourrait-on pas au moins ne prendre le dernier moyen qu’après qu’on aura essayé infructueusement le premier ?
Je suppose, messieurs, qu’une discussion semblable eût lieu dans une assemblée de paysans (on rit), guidés par les seules lumières du simple bon sens ; je ne doute pas qu’ils ne se disent : Adoptons le premier moyen ; car par là nous n’exposons rien ; ne recourons qu’en dernière analyse au moyen qui offre du danger. Or, messieurs, il y a du danger à faire exécuter les travaux par l’Etat. Mais le ministre est persuadé que ce moyen est le seul bon ; il en est pénétré ; il est engoué de cette idée (hilarité) ; il en est coiffé. (Hilarité générale.)
Qui empêche donc de tenter la voie des concessions ? Si elle ne réussit pas, vous pourrez alors la faire exécuter par l’Etat. Le pays ne vous blâmera pas de cet excès de prudence. Faites attention à notre crédit public. Une faute menace de le faire déchoir. Si vous faisiez une faute, vous pourriez la payer chèrement ; et c’est peut-être une faute que votre projet.
Je ne crois pas que cette assemblée soit assez bornée pour repousser les concessions d’une manière absolue. N’hésitez donc pas ; considérez que si le gouvernement ne réussit pas, vous manquez votre but ; essayez donc avant tout de la voie des concessions, c’est à quoi je conclus. Je voterai pour les concessions, sans rejeter l’exécution par l’Etat si le premier moyen ne réussissait pas.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Je vais mettre aux voix cette question :
« Les routes en fer portées aux projet de loi seront-elles faites par voie de concession ? »
M. Gendebien. - Je crois qu’il conviendrait mieux de mettre aux voix le projet du gouvernement ; la question de savoir si les routes seront exécutées par le gouvernement. On a discuté l’autre alternative ; mais ce n’est qu’un amendement. (Adhésion.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je ne m’oppose pas à ce que la question soit ainsi posée.
M. le président. - J’ai dû suivre le règlement auquel je suis obligé de me conformer, et proposer de mettre aux voix la proposition de M. Dumortier qui vient d’être discutée. Mais puisque la chambre le juge à propos, je vais mettre aux voix cette question : « Les routes en fer portées au projet seront-elles faites par le gouvernement ? »
- Un grand nombre de voix. - L’appel nominal.
- La chambre procède à l’appel nominal ; en voici le résultat :
Nombre des votants, 90.
Majorité absolue, 46.
Pour l’exécution par l’Etat, 55.
Contre, 35.
Ont voté pour l’exécution des routes en fer par l’Etat :
MM. Bekaert, Berger, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Coghen, Cols, Coppieters, Davignon, de Behr, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, L. Vuylsteke, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Hane, Donny, Dubois, Dugniolle, Duvivier, Ernst, Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Polfvliet, Poschet, Raikem, A. Rodenbach, C, Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Smits, Teichmann, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderheyden, Verdussen, Zoude.
Ont voté contre :
MM. Angillis, Brixhe, Dautrebande, de Brouckere, de Meer de Moorsel, de Puydt, de Robaulx, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, d’Huart, Doignon, (Erratum au Moniteur belge n°86, du 27 mars 1834) Domis, Dubus, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Frison, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Jullien, Meeus, Olislagers, Pirson, Pollénus, Quirini, Rouppe, Seron, Trentesaux, Vanderbelen, C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, Watlet.
- La séance est levée à 4 heures et demie.