(Moniteur belge n°15, du 15 janvier 1834)
(Présidence de M. Pirson, doyen d’âge)
M. Pirson, doyen d’âge, monte au fauteuil à une heure. - Messieurs, vous ne voyez, parmi vous, ni le président, ni les deux vice-présidents ; hier ils étaient également absents ; cette absence est un cas tout à fait particulier. J’ai hésité hier à monter au fauteuil ; aujourd’hui, j’ai cru que ne pouvait pas rester dans l’inaction : voyez si vous approuvez ce que je fais ; je vous prie de me faire connaître si j’ai votre assentiment.
- De toutes parts. - Oui ! oui ! oui !
M. Pirson. - L’un de messieurs les secrétaires va faire l’appel nominal.
M. Liedts procède à l’appel nominal ; les membres présents dans la salle des séances ne sont pas en nombre.
M. Pirson, doyen d’âge. - Plusieurs membres qui sont dans les salles adjacentes, ne veulent pas entrer en séance en l’absence du président et des vice-présidents. Ils ont des scrupules.
M. Ernst. - Continuez, monsieur le doyen d’âge.
M. Dumortier. - J’aurai l’honneur d’exposer à la chambre les circonstances qui ont causé l’absence du président et des vice-présidents. Vous connaissez ce qui s’est passé récemment à Liège. Il paraît que, dimanche dernier, un assez grand nombre de représentants ont invité M. Raikem, notre président, à se rendre à Liége, où doit se tenir un conseil de régence.
M. le président, avant de partir, demanda si M. le vice-président Dubus serait présent le lendemain ; j’ai cru pouvoir assurer que M. Dubus serait de retour lundi matin ; lui-même m’avait annoncé son retour pour cette époque, et vous connaissez tous son exactitude.
D’autres personnes m’avaient également assuré que l’intention de M. Dubus était de se rendre à Bruxelles pour lundi. Je pense qu’il serait de retour s’il n’était retenu par quelque indisposition. Il est occupé à rédiger le rapport sur le ministère de l’intérieur.
Quoi qu’il en soit, il me semble, dans mon opinion, que nous devons continuer la discussion comme si le président et les vice-présidents étaient présents.
Il est vrai que la constitution dit que chaque chambre nomme son président pour toute la durée de la session ; mais la constitution ni le règlement n’ont prévu que les cas ordinaires et non les cas extraordinaires. Il n’est pas possible que la chambre reste inactive ; aux états-généraux il n’y avait qu’un président et point de vice-présidents. Quand le président s’absentait, on appelait au fauteuil le membre qui avait présidé dans les sessions précédentes.
Nous devons aussi trouver le moyen d’avoir toujours un président. Prendrons-nous l’un des anciens président ou le doyen d’âge ? Voilà la manière de lever la difficulté. Comme le règlement accorde le fauteuil au doyen d’âge avant la formation définitive du bureau, il me semble que c’est le doyen d’âge qui doit présider : il y a toujours un doyen d’âge dans un assemblée, et par conséquent elle a toujours un président. Je demande que la proposition soit admise et que l’on continue les travaux de la chambre. (Appuyé ! appuyé !)
M. A. Rodenbach. - Je partage l’opinion de l’honorable préopinant. Je pense que la nomination d’un président est une affaire purement réglementaire, et qu’elle peut prendre une décision dans le but de poursuivre ses travaux.
M. Pirson, président. - Y a-t-il opposition à la proposition de M. Dumortier ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois qu’il faut poser ainsi la question ; « Que ceux qui sont d’avis qu’en l’absence du président et des vice-présidents, le doyen d’âge remplisse les fonctions de président, veuillent bien se lever. »
- Cette question, mise aux voix, est adoptée à la presque unanimité.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Liedts fait connaître sommairement l’objet des pièces adressées à la chambre. Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. d’Hoffschmidt, organe de la commission de comptabilité de la chambre, est appelé à la tribune. Le rapport qu’il présente sera imprimé et distribué.
M. Dumortier. - Je demande que notre propre budget ou que la proposition de notre commission de comptabilité soit examinée après le budget des affaires étrangères.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, la chambre se rappellera qu’elle a fixé la discussion d’un projet de loi après la discussion du budget du ministère des affaires étrangères, c’est celui relatif au traitement des auditeurs militaires. Il y a extrême urgence à examiner cette loi dont la discussion ne peut être longue. Je demande que la chambre maintienne sa décision.
M. Dumortier. - Eh bien, je demande que la proposition de la commission de comptabilité soit examinée après la loi concernant les auditeurs militaires.
- La demande de M. Dumortier est admise.
M. Ernst est appelé à la tribune et présente un rapport au nom d’une commission spéciale sur le projet de loi déposé par M. Dumortier sur l’organisation de l’académie belge.
M. Dumortier. - On pourrait examiner cette loi avant le budget du ministère de l’intérieur, dont le rapport ne vous est pas présenté.
M. Gendebien. - Après les budgets ! Constituons d’abord le pays ; nous constituerons après l’académie.
M. Dumortier. - Les dépenses concernant l’académie se trouveront dans le budget de l’intérieur ; ainsi il conviendrait de les discuter avant le budget de ce département.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le traitement des auditeurs militaires sera compris dans le budget de la justice, et cependant on ne votera ces traitements que bien longtemps après l’adoption du budget de la justice ; il en sera de même relativement à l’académie.
M. Eloy de Burdinne est appelé à la tribune pour présenter le développement de la proposition de loi qu’il a fait concernant l’importation et l’exportation des céréales.
- La proposition de M. Eloy de Burdinne est appuyée par plus de cinq membres.
La prise en considération de cette proposition est mise aux voix et adoptée à une très grande majorité. Elle est renvoyée devant les sections.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, j’avais bien pensé que la chambre n’hésiterait pas à prendre en considération la proposition de M. Eloy de Burdinne ; elle est extrêmement importante et à raison de cette importance, je demanderai que le ministre adresse le projet de loi et les tarifs qui y sont annexés aux diverses chambres de commerce et aux diverses commissions d’agriculture, car la proposition intéresse particulièrement et l’agriculture et l’industrie. Sous un autre rapport, je crois que le renvoi doit avoir lieu.
Souvent dans cette enceinte, dès qu’il s’agit de propositions favorables à l’agriculture, on paraît croire que les membres qui font ces propositions sont guidés par des motifs d’intérêt particulier.
A entendre certaines personnes, le sol belge serait partagé entre quelques familles, tandis qu’il est peu de pays où les propriétés soient autant divisées et où les institutions tendent à une plus grande division de la propriété territoriale. Il est pénible, pour les députés qui ont des demandes à faire dans des intérêts généraux, qu’ils paraissent ne les faire que dans des intérêts privés. C’est ce qui me fait désirer que toutes les chambres de commerce et que toutes les commissions d’agriculture soient consultées dans le cas actuel.
Il y a deux grands systèmes qui divisent ceux qui s’occupent d’économie politique : les uns veulent une liberté illimitée pour le commerce des grains : conséquents avec leur système, ils demandent en même temps une liberté illimitée pour le commerce de tous les produits de l’industrie et de l’agriculture. Lorsqu’on exige que le commerce des grains soit sans entraves afin que les ouvriers puissent se nourrir à bon marché, il paraît juste que les agriculteurs puissent aussi se procurer les produits de l’industrie à des prix modérés.
D’autres veulent des prohibitions ou des tarifs de douanes. Mais, relativement à ce système, je trouve que le pays et le gouvernement sont dans une position assez fausse : nous avons des prohibitions en suivant le tarif hollandais, tandis que notre situation est changée. Quand nous étions réunis à la Hollande, la Belgique trouvait un débouché pour les produits de son sol et de ses manufactures chez les Hollandais, qui ne sont pas comme nous adonnés à l’agriculture et à l’industrie. Il me semble donc que nous avons besoin de beaucoup de renseignements sur ce qui concerne les céréales, ainsi que sur ce qui concerne généralement les douanes : il est temps de nous occuper des intérêts du pays, que d’autres travaux nous ont forcés de négliger trop longtemps.
M. Dumortier. - Je viens appuyer la proposition de M. Desmanet de Biesme, mais avec une légère modification. Je désire que la chambre elle-même envoie la proposition à l’examen des chambres de commerce et des commissions d’industrie. La chambre, quand elle procède aux enquêtes, doit les faire elle-même. C’est ainsi qu’elle a procédé relativement à la loi sur l’organisation judiciaire : alors vous vous êtes adressés directement aux cours et aux tribunaux. Aujourd’hui nous devons agir de même. La chambre est dans son droit, en faisant l’enquête elle-même. Je crois qu’il faut aussi que la chambre envoie la proposition de M. Eloy de Burdinne aux ministres de l’intérieur et des finances.
Ces ministres nous ont déclaré qu’ils s’occupaient tous deux d’une proposition analogue à celle qu’on vient de développer. Ils doivent avoir en main une foule de documents qui ont toujours manqué à la chambre.
Vous savez que j’avais annoncé que je présenterais un projet de loi sur la même matière ; si je ne l’ai pas déposé, c’est faute de documents pour le préparer. Il me semble que le renvoi aux seuls ministres aura pour résultat de ne nous procurer que les documents qu’ils voudront bien nous faire connaître. Comme nous ne voulons pas favoriser une branche d’industrie aux dépens de l’autre, l’agriculture au dépens de l’industrie, nous devons nous entourer de tous les renseignements. J’appuie donc la proposition de M. Desmanet de Biesme, mais en demandant que nous fassions nous-mêmes le renvoi aux commissions agricoles et aux chambres de commerce.
M. Eloy de Burdinne. - Je partage l’avis de M. Desmanet de Biesme ; il faut donner la plus grande publicité à la proposition que j’ai faire ; il fait nous entourer de tous les renseignements que nous pourrons nous procurer. En en prenant de tous côtés, peut-être ne serons-nous pas encore suffisamment éclairés ; mais je demande en même temps que l’on porte un prompt remède au mal qui tourmente notre agriculture ; un remède tardif ne sert à rien. Il est trop tard de fermer la porte de l’écurie quand le cheval est emmené. Qu’on renvoie mon projet de loi où l’on voudra, pourvu qu’on ne les renvoie pas aux calendes grecques.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois que l’on pourrait ne pas donner suite à la proposition de M. Desmanet de Biesme. Le gouvernement, je crois, s’occupe depuis longtemps de la matière qui fait l’objet de la proposition de M. Eloy, et les chambres de commerce et les commissions d’agriculture se sont mises en rapport avec le département de l’intérieur. La proposition qui est faite sera une raison de plus pour que M. le ministre de l'intérieur active les recherches auxquelles il se livre. Les renseignements qu’il a en sa possession sont nombreux.
Je ne combats pas la proposition de M. Dumortier. La chambre serait dans son droit en s’adressant directement aux autorités qui ont été désignées.
Je crois néanmoins que, dans la circonstance actuelle, la démarche serait surabondante, parce que le ministre de l’intérieur provoque de toutes parts un examen qui permettra au gouvernement d’avoir sur ce point une opinion formée. M. le ministre de l'intérieur viendra ici avant la fin de la séance ; il vous dira que le vœu de M. Desmanet de Biesme est rempli. Si ce ministre avait cru qu’une telle discussion eût été soulevée, il se serait rendu au milieu de vous.
M. le président. - La parole est à M. Rodenbach.
M. A. Rodenbach. - Pour exposer mon opinion, j’attendrai que M. le ministre de l’intérieur se soit rendu dans cette enceinte.
M. Dumortier. - Messieurs, ce n’est pas sans étonnement…
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Vous vous étonnez toujours !
M. Dumortier. - Ce n’est pas sans étonnement que je vois le ministre de la justice s’opposer à ce que la chambre s’entoure de renseignement qui n’aient pas passé par la filière ministérielle.
Si vous adoptiez son avis, vous vous condamneriez à ne recevoir que les documents qu’il voudra bien vous remettre. Il est certain que vous n’auriez que les renseignements conformes à son opinion. Or, dans une question de cette importance, l’opinion du ministre peut n’être pas celle qui convienne à la chambre. Lorsque la chambre a voté la loi existante sur les céréales, elle s’est trouvée en opposition complète avec le ministre de l’intérieur, lequel voulait à toute fin maintenir la liberté illimitée du commerce des grains, parce que, disait-il, la liberté illimitée est toujours bonne.
La chambre a pensé que, dans le cas dont il s’agit, la liberté illimitée n’était pas applicable quoique le ministère insistât. Si vous vous contentez des renseignements fournis par le ministre de l’intérieur, vous n’aurez donc que les pièces favorables au commerce libre des grains et ces pièces pourraient être contraires à l’avis des commissions agricoles.
Comme nous l’a dit M. Desmanet de Biesme, il y a ici des intérêts opposés ; l’intérêt de l’agriculture n’est pas toujours celui de l’industrie ; l’intérêt industriel veut que les céréales soient au plus bas prix possible afin de pouvoir diminuer les salaires de la main-d’œuvre.
La chambre, avant de voter sur un objet d’une si haute importance, doit s’entourer de tous les avis : il est impossible que la législature vote sans connaître toutes les raisons que l’on peut alléguer de part et d’autre, et ces raisons, vous ne les connaîtrez que quand vous aurez consulté par vous-mêmes, et les commissions agricoles, et les chambres de commerce. Je ne pourrais concevoir d’après quels motifs le ministère s’opposerait à notre demande. Lorsque nous avons examiné la loi sur l’organisation judiciaire, c’est M. Devaux qui a proposé le renvoi de cette loi aux cours et aux tribunaux ; s’il était ici, je suis persuadé qu’il ne serait pas de l’avis de son ami M. le ministre de la justice, et qu’il appuierait la demande du renvoi, par la chambre elle-même, aux commissions agricoles.
Les intérêts de l’agriculture ne sont pas moins graves que les intérêts de l’administration de la justice.
Je ne crois pas qu’il faille attendre M. le ministre de l'intérieur. La proposition de M. Eloy de Burdinne était à l’ordre du jour, le ministre savait bien qu’on s’en occuperait, et il lui était loisible de se présenter au milieu de l’assemblée.
Je demande l’adoption de la proposition de M. Desmanet de Biesme, avec la modification que j’ai présentée.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je voudrais expliquer mes intentions que l’orateur a semblé méconnaître. Il a l’habitude de s’étonner facilement et surtout de ce qui sort de la bouche d’un ministre. Je ne dis pas que la chambre n’a point le droit...
M. Dumortier. - Vous vous opposez à la motion.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne m’oppose pas à la motion, mais je dis que si le gouvernement s’est occupé de ce qui concerne l’importation des céréales, il me semble que la proposition de M. Desmanet de Biesme conduirait à un double emploi. M. Eloy de Burdinne s’est implicitement élevé contre la proposition de M. Desmanet de Biesme, en déclarant qu’il y avait urgence, et en demandant la plus grande célérité. Le gouvernement ne veut pas vous présenter des renseignements incomplets.
Comment en effet pourrait-il vous communiquer des avis tronqués ? Comment pourrait-il négliger de consulter les organes naturels de l’agriculture et de l’industrie ? Au reste, je n’ai pas demandé qu’on décidât la question ; j’ai demandé qu’on suspendît un moment cette discussion pour permettre au ministre de l’intérieur de se rendre ici. Cependant, si on veut voir de l’opposition dans mon avis, je retire ma proposition.
M. Gendebien. - C’est perdre le temps que de continuer cette discussion. Le ministre de la justice a dit qu’on avait pris des renseignements à toutes les sources ; eh bien, attendons l’arrivée du ministre de l’intérieur.
Si, en effet, il a l’avis des commissions agricoles et des chambres de commerce, à quoi bon faire de nouvelles questions à ces commissions et ces chambres ? Il ne faut pas abuser de leur zèle, il faut être sobre de demandes de renseignements. Je pense que nous devons inviter M. le ministre de l'intérieur à se rendre ici, en le prévenant de l’objet pour lequel nous le mandons, afin qu’il s’informe dans ses bureaux si les renseignements qu’il reçus sont complets.
M. Dumortier. - De quoi s’agit-il ? de la proposition de M. Eloy de Burdinne ? M. le ministre de la justice dit que des renseignements ont été pris par le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je le crois du moins.
M. Dumortier. - Qu’importe qu’on en ait pris ! La proposition de loi ne doit pas moins être soumise par nous directement aux commissions agricoles et aux chambres de commerce.
Je vois le but du ministre ; c’est qu’il veut empêcher la chambre de faire directement les enquêtes ; on dirait qu’il veut s’opposer à ce que la chambre use de son droit constitutionnel. Si le ministre est contraire aux intérêts de l’agriculture, qui pourra assurer que les renseignements qu’il nous procurera ne seront pas incomplets ?
M. Desmanet de Biesme. - C’est moi qui ai fait la première demande d’une enquête. Je me réunis à l’opinion de M. Gendebien pour entendre le ministre de l’intérieur.
- La chambre attend la présence du ministre.
« Art. 4. Autriche : fr. 30,000. »
M. le président. - Nous en étions restés à l’article 4 du chapitre II ; nous avions passé au vote de cet article, mais nous n’étions pas en nombre.
M. d’Hoffschmidt. - C’est bien le chiffre de l’article 4 qui a été mis aux voix.
M. Gendebien. - Il n’y a pas eu décision à la dernière séance, parce que nous n’étions pas en nombre.
M. Legrelle. - Nous étions en nombre quand on a consulté la chambre pour savoir si l’on voterait, mais quelques honorables membres ont quitté la salle lorsqu’on a procédé à l’appel nominal.
MM. Dumortier et Gendebien se sont rendus dans l’une des salles adjacentes à la salle de nos séances.
M. Gendebien. - Nos étions trois dans le salon ; MM. Boucqueau de Villeraie, Dumortier et moi.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Dans la séance précédente, on a agité une question excessivement grave, celle de savoir si la personne nommée par le gouvernement pour représenter le pays à Vienne avait tout pouvoir pour engager la Belgique, alors que l’on allait discuter dans les réunions diplomatiques les questions relatives au Limbourg et au Luxembourg.
M. le commissaire du Roi, dans le cours du débat, a donné à entendre que si les questions territoriales étaient traitées à Vienne, un agent spécial serait envoyé. Je demande si ce sont là les intentions du gouvernement. (Aux voix ! aux voix ! La discussion est close !)
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je ne saisis pas très bien la portée de la demande faite par l’honorable membre. Cependant, à en juger par ses dernières paroles, il suppose que nous enverrions à Vienne un agent accrédité près de la réunion diplomatique. Ce fait est inexact. La Belgique n’a personne à accréditer près de cette réunion. La question belge ne sera pas décidée là : cette question est décidée et l’a été ailleurs.
- La chambre ferme la discussion.
L’article 4, portant le chiffre 30,000 fr. pour un envoyé à Vienne, est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Russie : fr. 40,000 fr. »
- Adopté sans discussion.
« Etats-Unis : fr. 25,500 fr. »
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Le gouvernement demande 25,500 fr., ce qui est une augmentation par rapport à l’année dernière ; mais cette augmentation n’est pas réelle. Le résident à Washington avait 12,000 florins. Au changement du système monétaire, on a transformé cette somme en celle de 25,000 fr. ; par là l’agent perdait 400 à 500 francs. Le gouvernement a cru devoir en appeler à la chambre. C’est par inadvertance que la réduction a eu lieu. Ce sont les intérêts d’un absent que je défends.
M. Fleussu, rapporteur. - Je n’attache pas grande importance à ce que vous adoptiez le chiffre du gouvernement ou celui de la section centrale. Cependant, je dois faire observer que toutes les sections ont demandé la réduction du chiffre à 25,000 fr. Lorsque, sous la Hollande, il y a eu changement de système monétaire, les employés ont gagné ; maintenant ils réclament parce que, dans la fixation des traitements, on compte le florin pour deux francs.
La section centrale a posé le chiffre 25,000 fr., parce que c’est une somme ronde, à laquelle le ministre de la guerre nous a accoutumés.
M. Gendebien. - Il ne faut pas lésiner pour 500 fr. Les Etats-Unis sont le pays où il fait le plus cher vivre. C’est d’ailleurs le pays avec lequel nous avons le plus de relations commerciales, et pour lequel nous avons le plus de sympathie.
M. Coghen. - Messieurs, je demande le maintien du chiffre du gouvernement. Notre agent à Washington est obligé à des dépenses que n’ont pas les agents des autres pays ; il est dans l’obligation, comme chacun sait, de changer de résidence lorsque la saison des fièvres arrive.
M. Dumortier. - J’ai une observation à faire, c’est que la réduction opérée l’année dernière sur cet article est le résultat de la base de 2 fr. 10 c. par florins, prise pour la conversion du chiffre des traitements en francs. Il en a été de même pour tous les traitements du ministère des affaires étrangères, comme du ministère de l’intérieur et des finances ; on a négligé la fraction.
La chambre, en fixant le chiffre à 25,000 fr., a été très conséquente ; nous devons le maintenir à ce taux.
- Le chiffre de 25,500 fr., proposé par le gouvernement, est adopté.
« Art. 7. Envoyé à la Diète germanique : fr. 12,600. » - Adopté.
« Art. 8. Envoyé au Brésil : fr. 21,000 fr. » - Adopté.
« Art. 9. Envoyé en Espagne : fr. 12,600.»
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, vous vous souvenez sans doute que, lors du vote du dernier budget, la chambre a témoigné quelque surprise en voyant figurer un envoyé chargé de nous représenter à Madrid. Le ministère nous a dit que nous n’avions pas encore été reconnus par l’Espagne. Je demanderai si, depuis le changement survenu en Espagne, la France exerçant une grande influence par ce pays, et la révolution belge étant entièrement liée à celle de France, le, ministère a fait quelques démarches pour faire reconnaître et envoyer un agent diplomatique belge dans cette partie de la Péninsule.
C’est d’autant plus important que la Belgique faisait autrefois un commerce considérable avec l’Espagne, et que depuis quelques temps ses relations commerciaux avec ce pays ont constamment diminué.
M. Desmet. - Et le Portugal ?
M. Nothomb, commissaire du Roi. - En effet, après le vote du budget de l’année dernière, le gouvernement a pris de nouveaux renseignements sur la question dont il s’agit. Je dois déclarer à la chambre que les mêmes obstacles à la reconnaissance de la Belgique par l’Espagne existent encore ; mais ces obstacles se rattachent à des précédents tout particuliers à l’Espagne.
Les républiques de l’Amérique méridionale ont été reconnues par plusieurs puissances, quoique ces Etats nouveaux n’eussent pas encore été reconnus par l’Espagne. L’Espagne alors a protesté contre cette reconnaissance, et a posé le principe que les Etats nouveaux ne devaient être reconnus par les autres qu’après avoir été reconnus par les Etats dont ils relevaient et dont ils s’étaient séparés. De cette manière, la Hollande se présente par rapport à l’Espagne dans une position toute particulière : la Hollande n’a pas reconnu le nouvel Etat belge ; nous nous trouvons dans une position à peu près semblable que les Etats de l’Amérique méridionale.
C’est à dessein qu’on vous fait connaître ce fait, pour que, le précédent connu, on n’y cherche pas un motif d’antipathie entre l’Espagne et le nouvel Etat belge. Au contraire, des commerçants et des navires belges ont reçu un fort bon accueil en Espagne ; et même il n’y a que deux jours que l’ambassadeur espagnol a demandé des renseignements à notre gouvernement, mais par l’intermédiaire du ministère français ; de même de notre côté, quand nous avons besoin des renseignement de l’Espagne, nous devons nous servir de l’intermédiaire de l’ambassadeur d’un gouvernement publiquement reconnu par l’Espagne. Tels sont les relations dans lesquelles nous nous trouvons par rapport à l’Espagne, et les obstacles qui s’opposent à une reconnaissance publique.
Le gouvernement, toutefois, reconnaît avec le préopinant la nécessité d’avoir un agent dans la Péninsule. C’est par ce motif que je demanderai qu’on ajoute à l’article, après le mot Espagne, celui de Portugal. Comme nous sommes reconnus dans ce pays, le gouvernement y enverra un agent ; ce sera notre représentant dans la Péninsule.
M. Desmet. - Je demanderai si on ne pourrait pas envoyer un agent commercial en Espagne.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Si nous envoyions un agent commercial en Espagne, la dépense devrait être prise sur le chapitre des dépenses extraordinaires.
Mais l’Espagne se trouve en ce moment dans une position critique, et je pense que nous n’aurons la possibilité d’y envoyer un agent que quand cette position critique aura cessé.
M. Desmanet de Biesme. - Le ministère devait savoir, il y a deux ans comme aujourd’hui, les motifs qui s’opposaient à notre reconnaissance par l’Espagne. Pourquoi dès lors a-t-il été nommé à cette époque un agent diplomatique en Espagne ?
Quand je demande si l’on a fait des démarches pour faire accréditer un agent en Espagne, j’ai voulu parler de démarches auprès du gouvernement français. Car le gouvernement français, par l’influence qu’il a sur la régence d’Espagne, aurait pu avec un peu de bonne volonté faire reconnaître la Belgique par cette puissance.
M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, je n’ai qu’un seul fait à apporter à l’appui de ce que vient de dire M. le commissaire du Roi, c’est que la Grèce, dont le gouvernement est moins bien établi en fait, je crois, que celui de la Belgique, est reconnue par toutes les puissances de l’Europe, et ne l’est pas par l’Espagne. L’Espagne attend que l’empire ottoman ait reconnu la Grèce avant de recevoir l’agent du roi grec. C’est un principe général. Cette puissance n’a pas d’antipathie pour le nouveau royaume belge, et elle le reconnaîtrait, n’était ce principe dont sa politique n’a pas encore voulu dévier.
M. A. Rodenbach. - Messieurs. je viens d’entendre dire qu’il était impossible d’envoyer un agent commercial en Espagne, à cause des circonstances critiques dans lesquelles se trouve ce pays. Je pense, au contraire, que c’est précisément dans les temps de trouble et de guerre civile que la présence d’un agent commercial est nécessaire pour protéger les intérêts des négociants belges, que ces troubles pourraient compromettre. Cet agent pourrait, sinon officiellement, exercer indirectement des fonctions politiques.
Vous savez, messieurs, que le commerce de toiles considérable que nous faisions avec l’Espagne est aujourd’hui très restreint, Ce commerce peut encore s’élever à 4 millions ; il était autrefois de 70 à 80 millions. C’est depuis que nous ne commerçons plus avec l’Espagne que cette industrie est en souffrance. Je demande donc que, loin d’attendre, le gouvernement s’occupe de suite et sérieusement de rétablir nos relations avec l’Espagne. Les ministres eux-mêmes ont reconnu qu’il était temps de s’occuper des intérêts matériels du pays, du commerce et de l’industrie : la question dont il s’agit les intéresse au plus haut point ; j’espère que le gouvernement la prendra en considération
M. d’Huart. - Messieurs, je viens proposer de supprimer l’allocation. Si nous avions réellement un envoyé en Espagne, je voterais pour son adoption, mais il est contraire à la dignité du pays de faire figurer au budget une allocation pour un agent politique dans un pays où on ne veut pas nous recevoir. Si encore nous étions rassurés sur l’emploi du crédit, je pourrais ne pas m’y opposer. Mais vous savez que l’agent d’Espagne est nommé et que le crédit s’absorbe à Bruxelles ; c’est là un abus contre lequel je m’élève de toutes les forces.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je demande qu’on maintienne le crédit en changeant le libellé de l’article, en mettant Espagne ou Portugal. Le gouvernement enverra incessamment un agent en Portugal.
Quant à l’envoyé nommé pour l’Espagne, il n’a pas touché de traitement sur l’allocation dont il s’agit. Cette allocation est restée intacte. Il a été considéré comme agent en non-activité, et il est tombé dans un des cas du chapitre IlI. C’est une question qui a été longuement discutée l’année dernière. Nous nous sommes conformés à la décision de la chambre.
Le gouvernement prendra de nouveaux renseignements pour savoir s’il y a moyen de faire accueillir en Espagne un agent commercial sans caractère public, en attendant que nous soyons reconnus. Il y a donc nécessité d’allouer le crédit, qui sera immédiatement employé, pourvu qu’on ajoute : ou Portugal.
M. Fleussu, rapporteur. - Je ne prends pas la parole comme rapporteur, puisque le chiffre n’est pas contesté. Je veux faire remarquer que le ministère n’a pas répondu à l’observation de M. Desmanet de Biesme que le gouvernement connaissait il y a deux ans comme aujourd’hui le principe qui s’opposait à notre reconnaissance par l’Espagne et que dans tous les cas il était fort imprudent de nommer un agent diplomatique, dans l’incertitude s’il serait reçu. Je demanderai donc ce qui a pu engager le gouvernement à nommer un représentant près d’un pays qui ne nous avait pas reconnus. Il aurait dû s’assurer avant si cet agent serait ou non reçu. Avant d’avoir acquis cette certitude, c’était une coupable légèreté.
Quant à son traitement, cette question se présentera au chapitre suivant, nous verrons jusqu’à quel point le gouvernement est fondé à créer ainsi des traitements de non-activité
M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, le gouvernement a peut-être été un peu léger en nommant un chargé d’affaires pour l’Espagne, cependant il l’a été moins qu’on ne paraît le croire. L’agent belge en Italie fut chargé de prendre des renseignements sur une légation belge à établir en Espagne ; il devait s’assurer si un chargé d’affaires sera reçu par le gouvernement espagnol. Cet agent diplomatique s’adressa à un ministre d’Espagne dans un pays étranger, et ce ministre s’empressa de lui dire que le gouvernement espagnol se lierait avec plaisir d’intérêt avec le gouvernement belge, et qu’il était persuadé, quoique ne sachant rien officiellement, qu’on recevrait volontiers un envoyé belge en Espagne. L’agent espagnol écrivit à la cour, afin d’avoir une réponse officielle ; mais, en attendant, le diplomate belge crut devoir donner à son gouvernement les informations officieuses qu’il venait de recevoir, et c’est sur cette probabilité que fut faite la nomination d’un chargé d’affaires.
Ce n’est que 4 à 5 mois après qu’arriva la réponse officielle : que s’il n’y avait pas un principe admis par le ministère espagnol de ne point reconnaître le nouvel Etat, s’il n’était reconnu par le gouvernement dont il s’était séparé, on recevrait immédiatement l’envoyé belge.
M. Angillis. - Je crois qu’il y prudence à accorder l’allocation. Le budget est fait pour toute l’année, la reconnaissance peut avoir lieu à tout instant : si le gouvernement n’avait pas de crédit, et que la reconnaissance arrivât en l’absence des chambres, le gouvernement serait dans l’impossibilité d’envoyer un chargé d’affaires. Je pense donc que le crédit doit être alloué.
Je désapprouve qu’on ait payé un traitement de non-activité à un homme qui n’a jamais eu d’activité. C’est un abus que nous devons faire cesser.
Puisque nous sommes reconnus par le Portugal, il est très urgent d’accorder l’allocation en ajoutant à l’article les mots : ou Portugal.
M. A. Rodenbach. - Je ne m’oppose pas à l’allocation qu’on demande pour l’Espagne ou le Portugal, d’autant plus que l’argent ne sera pas dépensé avant qu’un agent ait été envoyé dans l’un ou l’autre de ces pays. Mais il est important qu’on y envoie quelqu’un capable de soigner nos intérêts commerciaux. Nous pourrions au besoin augmenter l’allocation.
Les Anglais envoient des agents commerciaux dans les différents pays et donnent ces missions à des hommes habiles ; ce n’est qu’en envoyant comme eux des hommes spéciaux et d’un mérite reconnu pour s’occuper de nos intérêts commerciaux, que notre industrie pourra prospérer.
L’honorable préopinant vient de s’élever contre le traitement payé à un agent qui ne s’est pas rendu à son poste. En principe il a raison ; mais il est des cas particuliers qui, peut-être, peuvent permettre de s’écarter du principe. Je regrette d’être obligé, pour exprimer ma pensée, d’entrer dans une question de personne.
Avant la révolution, M. Kauffman était négociant à Liége. Lorsque M. de Brouckere arriva au ministère des finances, il prit M. Kauffman pour secrétaire. Quand M. de Brouckere se retira, M. Kaufman crut devoir le suivre. Il obtint peu de temps après la place d’intendant de la liste civile. Il abandonna ce poste pour celui d’agent diplomatique à Madrid. Sur ces entrefaites, il fut atteint d’une cruelle maladie. On ne pensa pas que dans ces circonstances on dût ôter à un homme qui avait abandonné sa carrière pour être utile à son pays, un traitement provisoire qui est, je crois, le quart du traitement d’activité. Il y aurait eu de l’inhumanité à le faire.
Du reste, je le répète, en thèse générale je crois juste le principe invoqué par le préopinant ; mais, d’un autre côté, je ne pense pas qu’on puisse abandonner un homme qui a tant sacrifié pour la patrie.
M. Dumortier. - Messieurs, j’appuie l’opinion de M. d’Huart ; il est contraire à la dignité du pays de créer des postes d’ambassadeur pour des pays qui ne nous ont pas reconnus. Il faut avoir le sentiment de sa dignité, et effacer de notre budget les noms de ces gouvernements. Nous ferons voir que nous n’attendons pas après leur reconnaissance. Il sera temps de rétablir ces postes quand nous serons reconnus. Je propose donc de substituer au mot Espagne celui Portugal. De cette manière, nous éviterions de payer un envoyé qui reste à Bruxelles, et la honte de faire figurer dans notre budget le titre d’un ambassadeur près d’une puissance qui refuse de le recevoir. Rappelez-vous, messieurs, ce qui s’est passé l’année dernière.
Un honorable sénateur est envoyé à la cour de Munich ; on était sûr que cette cour s’empresserait de recevoir notre ambassadeur. Qu’est-il arrivé ? Notre envoyé est revenu sans avoir été reçu, en nous rapportant la honte d’avoir échoué devant les portes du palais de Munich. Si le ministère avait été prudent, il n’aurait pas compromis l’honneur et la dignité du pays en l’exposant à un pareil affront. Pour éviter d’en recevoir de nouveaux, supprimons tous les postes diplomatiques près des puissances qui ne veulent pas nous reconnaître ; nous montrerons par là que nous avons le sentiment de notre propre dignité.
M. Eloy de Burdinne. - Je demande la suppression de l’article et l’augmentation du chiffre des dépenses imprévues ; de cette manière le gouvernement pourra envoyer des agents où besoin sera.
M. Coghen. - Je me réunis à la demande que vient de faire l’honorable député de Tournay de remplacer Espagne par Portugal. Le gouvernement pourra de suite envoyer un agent dans ce pays pour défendre nos intérêts commerciaux, et si avant la fin de l’année l’Espagne nous reconnaissait, le gouvernement enverrait un agent qui serait payé sur les dépenses imprévues.
M. le président met aux voix la proposition de M. le commissaire du Roi d’ajouter les mots : ou Portugal.
- Cette proposition paraît adoptée.
- Plusieurs membres. - On n’a pas bien compris.
M. Gendebien. - Je crois qu’il y a erreur. Beaucoup de membres ont pensé que la proposition de M. le commissaire du Roi était la même que celle de M. Dumortier. Cependant il y a une différence notable. En mettant l’Espagne ou Portugal, le gouvernement ne pourrait envoyer que d’un côté ou de l’autre et il pourrait se faire qu’il fallût envoyer des deux côtés tandis que si vous ne mettez dans l’article que Portugal, on enverra un agent à Lisbonne ; et, si l’Espagne nous reconnaît dans le courant de l’année, on enverra un agent extraordinaire pendant six, trois ou deux mois, et dans le budget de 1835 on portera une allocation pour l’Espagne.
Il est peu convenant de ballotter ainsi, en quelque sorte, deux puissances.
M. Trentesaux. - Je propose un moyen qui fera cesser toutes les difficultés, c’est de mettre Péninsule ibérique. (On rit.)
Plusieurs membres. - Mais c’est très juste !
- La chambre adopte le crédit de 12,600 fr, en l’affectant au Portugal.
« Art. 11. Suède : fr. 12,600. »
- Adopté.
- La chambre suspend la discussion du budget des affaires étrangères, pour entendre les renseignements de M. le ministre de l’intérieur sur la question des céréales.
M. Desmanet de Biesme. - Je demande la parole.
Messieurs, lors de la discussion sur la prise en considération de la proposition de M. Eloy de Burdinne, j’avais demandé que M. le ministre de l’intérieur voulût bien se procurer, pour le moment de la discussion, les opinions des états des provinces, des commissions d’agriculture et des chambres de commerce. M. Dumortier avait demandé que ce fût la chambre qui se chargeât de recueillir ces renseignements.
M. le ministre de la justice a dit que le ministre de l’intérieur était à même de donner tous ces renseignements. Je désirerais savoir s’il a consulté les commissions d’agriculture et d’industrie sur le commerce des grains, dont M. Eloy de Burdinne a fait l’objet d’une proposition.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le gouvernement n’a pas encore réuni tous les documents nécessaires pour préparer un projet de loi. Des renseignements ont été pris dans les localités les plus éloignées : il s’est adressé aux consuls des divers pays sur la question du commerce des grains ; d’autres renseignements ont été demandés à certaines commissions. Je me suis mis en rapport avec le ministre des finances, pour avoir certains documents sur l’importation des grains étrangers ; mais quant à présent le gouvernement n’est pas encore assez éclairé pour présenter un projet de loi.
M. Dumortier. - Ce que j’avais prévu est arrivé. Le ministre n’a pas de renseignements à nous donner. La question reste entière.
Il est du devoir de la chambre d’envoyer le projet de M. Eloy de Burdinne à toutes les commissions d’agriculture et d’industrie, ainsi qu’aux chambres de commerce, en demandant leur avis. C’est ainsi que vous avez procédé pour la loi relative à l’ordre judiciaire.
Il y a ici deux intérêts en présence : l’industrie et le commerce d’un côté, et l’agriculture de l’autre. Il faut consulter tous ces intérêts et pour cela prendre l’avis des commissions d’industrie, des commissions d’agriculture et des chambres de commerce. La chambre de commerce d’Anvers réclamera la liberté de commerce. Il faut que la question soit examinée avec maturité. Si on adopte le principe restrictif, il faudra encore établir le taux proportionnel et la base des marchés pour fixer le droit de douane. C’est une question qui mérite toute l’attention de la chambre. Nous n’aurons de renseignements positifs qu’au moyen d’une enquête. Vous nommerez une commission qui s’entourera de tous les éléments et vous présentera un rapport clair sur toutes les questions que soulève la proposition.
En cela la chambre ne fera que suivre sa manière habituelle de procéder.
Je demande donc que la chambre charge une commission de faire une enquête et de présenter ensuite un rapport.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est le droit de la chambre, je ne m’y oppose pas ; seulement, le gouvernement se fera remettre un double des renseignements qui devront être transmis, à la chambre.
M. Eloy de Burdinne. - Si la question était nouvelle, je serais de l’avis des honorables collègues MM. Dumortier et Desmanet de Biesme, qu’il faut donner une grande publicité à la proposition que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre. Mais je ferai observer que si vous ajournez les mesures que je propose, nous verrons notre pays inondé d’une immense quantité de céréales venant de l’étranger ; nous verrons les pays voisins se débarrasser de l’excédant de leurs récoltes. Si, comme je viens de le dire, la question n’avait pas déjà été agitée, je ne vous presserais pas ; mais nous avons vu discuter des lois sur cette matière en Angleterre et en France ; en ouvrant le Moniteur français, nous trouvons les arguments qu’on a fait valoir pour et contre la proposition. Nous avons en outre les discussions qui ont en lieu aux états-généraux sur ce sujet, en 1822 et 25. Alors, M. Barthélemy, que nous regrettons, a fort bien traité la question. Ce qui a été dit se trouve encore au greffe ; on pourrait y prendre des renseignements précieux.
En un mot, en prolongeant la discussion par le motif que nous manquons de renseignements, nous ressemblons à ces gens qui voyant le feu dans leur maison, au lieu de chercher à l’éteindre, réfléchissent sur le choix des moyens, et pendant ce temps tout se trouve dévoré par les flammes.
M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas eu connaissance que des masses de grains fussent entrés en Belgique, comme prétend le préopinant, et c’eût été très difficile ; car, comme chacun sait, les récoltes n’ont pas réussi cette année en Russie. Notre honorable collègue n’est pas très au courant des arrivages. Le péril qu’il nous signale n’existe pas ; nous devons, avant de voter la loi qu’il nous propose, nous entourer de toutes les lumières nécessaires.
Outre les renseignements que va prendre la chambre, je demanderai au ministère de faire publier, soit par le Moniteur, soit par toute autre voie, les tarifs des divers pays circonvoisins sur les céréales. Lorsque nous connaîtrons ces divers tarifs, et que nous aurons examiné les renseignements que la chambre aura recueillis près des diverses commissions d’industrie, d’agriculture et des chambre de commerce, nous pourrons voter en connaissance de cause.
Si on voulait faire trop augmenter les grains, on ferait tort à d’autres industries qui sont en souffrance ; il faut établir une juste balance.
M. Eloy de Burdinne. - Je ne peux quant à présent donner à M. Rodenbach le chiffre des importations de grains étrangers, mais je pourrai le faire d’ici à deux jours.
M. Desmanet de Biesme. - Personne ne peut révoquer en doute ma sollicitude pour l’agriculture. Il faut que la question soit examinée mûrement ; elle intéresse aussi l’industrie et le commerce. Quand on aura discuté le principe, il faudra fixer le taux du tarif. Personne n’est en état de se prononcer, quant à présent, sur la suffisance ou l’insuffisance du tarif actuel. L’agriculture pourrait trouver très bon de l’augmenter, parce qu’elle est en souffrance en ce moment ; mais dans les années où il y aurait trop peu de grains, ou pourrait penser qu’on ne s’est pas assez occupé de l’industrie et du commerce.
Il ne faut pas qu’on puisse dire que certains intérêts ont été sacrifiés à d’autres, dût même pour le moment l’agriculture en souffrir un peu.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le gouvernement ne s’oppose pas à l’enquête. Nous sommes d’accord.
M. Legrelle. - J’entends MM. les ministres dire : Nous sommes d’accord, parce qu’ils sont bien aises de se décharger sur la chambre du soin de faire cette enquête. C’est le ministère qui devrait nous donner tous les renseignements dont nous avons besoin : ce n’est pas pour moi, car j’ai les miens.
Je regarde la proposition comme désastreuse. Chacun a la liberté d’apprécier la question comme il l’entend ; je laisse à mon honorable collègue son opinion qui est entièrement opposée à la mienne.
Quant à l’enquête, je le répète, c’est dans les bureaux du ministère que je pense qu’elle doit se faire.
M. Doignon. - Je demande que la proposition soit renvoyée à la commission permanente d’industrie et de commerce.
M. Davignon. - Déjà, dans deux circonstances, la chambre a renvoyé des propositions à cette commission, qui a réuni tous les renseignements qu’on pouvait désirer. (Aux voix ! aux voix !)
- Un membre. - On en a déjà renvoyé aux sections.
- Plusieurs membres. - L’un n’empêche pas l’autre !
- Le renvoi à la commission permanente de commerce et d’industrie est ordonné.
La séance est levée à 4 heures.