(Moniteur belge n°324, du 20 novembre 1833)
(Présidence de M. Raikem)
M. Corbisier fait l’appel nominal à deux heures. 44 membres sont présents.
Quelques minutes après, la chambre compte plus de 52 membres présents.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, la rédaction en est adoptée.
M. le président. - La députation de la chambre s’est rendue hier au palais à 9 heures pour présenter l’adresse ; voici la réponse que Sa Majesté y a faite :
« Je vous remercie des sentiments que vous venez de m’exprimer au nom de la chambre des représentants ; ils me touchent d’autant plus qu’ils sont unanimes.
« Le gouvernement sent comme vous, messieurs, la nécessité de régler par une loi l’instruction donnée aux frais de l’Etat ; il n’a attendu que la rentrée des chambres pour s’occuper de cet objet important, sur lequel il a cru devoir appeler les lumières d’une commission spéciale.
« Je ne puis que partager votre désir de voir la Belgique libérée des arrérages de la portion de la dette mise à sa charge. Cet objet n’a pas été perdu de vue dans les négociations auxquelles mon gouvernement a participé. Notre prétention à cette libération deviendra d’autant plus fondée, que la Hollande apportera de plus longs retards à un arrangement final.
« Messieurs, je vois avec une vive satisfaction l’union qui existe entre les grands pouvoirs de l’Etat. Elle est garante de l’efficacité avec laquelle ils travailleront de concert à l’accroissement du bien-être public. »
- Plusieurs membres. - L’impression ! l’impression !
- D’autres membres. - Au Moniteur ! au Moniteur !
M. A. Rodenbach. - Si j’en crois un bruit public, la banque aurait consenti à verser au trésor plusieurs millions ; et on lui aurait donné pour nantissement des Rothschild ; je n’ai pas vu figurer aux voies et moyens cette recette. Je demande si le ministre est prêt à nous communiquer les pièces relatives à cette opération, si elle a eu lieu.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Il n’y a aucun doute à cet égard ; je suis prêt à communiquer à la chambre tous les documents relatifs à l’opération dont on vient de parler. J’ai déjà rempli en grande partie cette intention en communiquant les pièces à la commission chargée de la rédaction de l’adresse. Je lui ai tout présenté, excepté de la dernière lettre. Si le résultat de cette négociation ne figure pas aux voies et moyens, la raison en est tout simple, c’est que hier seulement l’affaire a été complètement terminée à la banque. Les budgets sont imprimés depuis plusieurs jours, et il a été impossible d’y insérer des opérations non conclues ; mais quand les budgets seront en discussion, on pourra remplir la lacune.
M. Dumortier. - J’ignore ce qui s’est passé entre M. le ministre des finances et la banque ; mais l’objet dont il s’agit est d’une telle importance que nous devons avoir connaissance des pièces relatives à la prétendue négociation.
Quant à moi, je ne comprends pas de négociation possible entre un caissier de l’Etat et l’Etat lui-même ; je ne comprends qu’une chose, c’est que l’Etat oblige son caissier à faire les versements exigibles. Si les bruits qui circulent sont exacts, il serait manifeste que le gouvernement aurait méconnu dans cette affaire et les intérêts du pays et l’honneur national.
Dans le discours du trône, le chef de l’Etat a appelé notre investigation sur cette importante question ; dans son adresse en réponse au discours de la couronne, la chambre a dit qu’elle attendrait communication des documents qui concernent cette question, avant de pouvoir s’expliquer sur ce fait.
Je fais la motion formelle que le ministre des finances soit invité à déposer sur le bureau les pièces relatives aux rapports qui ont eu lieu entre le caissier de l’Etat et le gouvernement ; je ne dis pas relatives à la négociation, car il ne pouvait y avoir de négociation possible entre l’Etat et son caissier possible entre l’Etat et son caissier. Je demande que ces pièces soient renvoyées dans les sections, pour être soumises à notre investigation.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Le préopinant pouvait, ce me semble, se dispenser d’entrer dans les détails que vous venez d’entendre, puisqu’il avait commencé par dire qu’il ne connaissait ni les opérations ni les titres sur lesquels ces opérations reposent ; la conclusion de son discours tend à ce que les pièces et les titres soient déposés sur le bureau. Je demanderai à la chambre de ne les déposer que demain, et de me laisser le temps de faire transcrire quelques minutes. Après cela, je me rendrai aux vœux de l’honorable membre. (Bien ! bien !)
M. de Theux (pour une autre motion d’ordre). - Jusqu’ici le budget du département de la guerre a été examiné par une commission spéciale. Lorsque la chambre a décidé que les budgets seront renvoyés dans les sections, je ne pense pas qu’elle ait voulu appliquer cette décision au budget dont j’ai parlé. Plusieurs de mes collègues ont exprimé le désir de voir nommer une commission spéciale, et comme je le partage, j’ai cru devoir en faire une proposition formelle. (Appuyé ! appuyé !)
M. le président. - Comment désire-t-on que cette commission soit nommée ?
M. d’Huart. - Le budget de la guerre est un sujet important à examiner. Il conviendrait que chaque section nommât un ou deux de ses membres pour faire partie de la commission spéciale.
M. Meeus. - Je m’oppose à ce que chaque section nomme un membre, et il peut fort bien se trouver qu’une section possède 2 ou 3 membres au fait de la matière, tandis qu’une autre n’en posséderait pas un seul : il faut, je pense, abandonner la nomination de cette commission au bureau.
M. d’Huart. - Puisqu’il faut tout dire, plusieurs membres ont manifesté le désir que je viens d’exprimer, parce que jusqu’ici c’est toujours la même commission qui a été nommée. On voudrait que de nouveaux membres fussent appelés à cet examen.
M. F. de Mérode. - On pourrait abandonner la nomination aux sections, mais sans restreindre le choix d’une section dans le nombre des membres, qui la composent.
M. A. Rodenbach. - Il y aurait un moyen bien simple de terminer cette discussion : que la chambre nomme la commission spéciale au scrutin. (Aux voix ! aux voix !)
- La chambre décide que la commission sera nommée par le bureau.
M. Desmet (pour une autre motion d’ordre). - Depuis longtemps les rapporteurs de la section centrale chargée de l’examen du rapport de la loi sur les sels sont nommés ; je demande s’ils se proposent de nous présenter un travail.
M. Dumortier. - Il ne saurait plus être question de cette loi car elle a été retirée par le fait de la dissolution de la chambre. Mais celle dont on pourrait bien s’occuper, c’est la loi sur les naturalisations.
M. d’Huart. - Nous n’en sommes plus saisis.
M. Dumortier. - La loi, sur les sels, présentée par le gouvernement, n’a été examinée que dans les sections ; le travail n’a pas été au-delà : par le fait de la dissolution, la chambre ne s’en trouve plus saisie. Il n’en est pas de même de la loi sur les naturalisations. Cette loi, amendée par la chambre des représentants, a été amendée aussi par le sénat qui nous l’a renvoyée ensuite. Mais le sénat est un des trois pouvoirs de l’Etat ; il a son droit d’initiative ; il a donc pu nous envoyer la loi sur les naturalisations en vertu de son droit, et nous sommes légitimement saisis du projet.
M. d’Huart. - Le projet sur les naturalisations a été discuté par la chambre dissoute ; le sénat l’a examiné à son tour, et après y avoir introduit des amendements, l’a renvoyé à la chambre dissoute. Cette chambre, créée postérieurement au renvoi, ne saurait donc être légitimement saisie du projet.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je partage l’opinion de l’honorable préopinant. Je pense que la chambre n’est plus saisie de la loi sur les naturalisations, et c’est ce qui m’avait décidé à préparer un nouveau projet ; maintenant, je désire que la chambre statue d’abord sur la question qui vient d’être soulevée.
Ce qui prouve qu’on ne peut regarder ici le sénat comme ayant usé de son droit d’initiative, c’est qu’il s’agissait accessoirement d’impôt. Or, en matière d’impôt, l’initiative est à la chambre des représentants. Le sénat a délibéré sur le projet, par suite du renvoi qui lui en avait été fait par la chambre. Je pense donc qu’il ne peut pas y avoir de doute sur la nécessité de présenter un nouveau projet.
M. Coghen. - Je partage l’opinion des deux honorables préopinants. Il est impossible que la chambre s’occupe du projet qui loi a été renvoyé par le sénat car, d’après tous les antécédents, nous ne délibérons que sur les amendements introduits dans les projets qui nous sont renvoyés : nous ne pourrions donc voter sur le fond même de la loi. Vous le voyez, il est nécessaire de présenter un nouveau projet.
M. Dumortier. - Je ne sais où l’honorable membre a vu que nous ne pourrions plus voter que sur les amendements. Il me semble que nous devrions nécessairement voter sur l’ensemble, et toucher au fond même de la loi.
M. le ministre de la justice a dit que le sénat n’avait pas user de son droit d’initiative, puisqu’il s’agissait d’impôt ; mais le sénat, lui, a retranché l’impôt qui se trouvait dans la loi, et dès lors l’argument de M. le ministre n’a plus aucune valeur. D’ailleurs si de pareils motifs pouvaient être admis, il n’y aurait plus d’initiative pour le sénat, car il est évident que toutes les lois, en définitive, se résolvent en argent. On pourrait donc en conclure que le sénat ne peut jamais rien discuter. Mais, messieurs, vous savez tous qu’en parlant d’impôt, la loi n’entend que ici charges nouvelles qui pourraient résulter d’un projet pour le pays.
L’honorable M. d’Huart pense que le sénat ayant tenu le projet d’une loi présentée à la chambre qui n’existe plus, nous ne saurions en être légitimement saisis. C’est-là, si l’on veut, une théorie ; mais encore faudrait-il qu’elle reposât sur la constitution, sur la loi, sur une règle enfin. Il est manifeste que le sénat pouvait renvoyer le projet à la chambre ; le sénat use de son droit d’initiative et la chambre est bien et dûment saisie du projet qu’il lui envoie.
Maintenant, que M. le ministre retire la loi par un arrêté, il le peut ; s’il ne le retire pas, le gouvernement est sans pouvoir pour en présenter un nouveau. Car il ne doit pas mettre un de ses projets en concurrence avec celui de l’une ou de l’autre chambre. Autrement, que pourrait-il arriver ? La chambre, en vertu de son droit d’initiative, discuterait une proposition et la renverrait au sénat, selon l’ordre du règlement et de la constitution. Puis le gouvernement viendrait présenter une proposition en concurrence, détruire votre initiative. Non, messieurs, vous ne pouvez vouloir la destruction d’un de vos droits. Le gouvernement a son veto ; qu’il en use, il le peut ; qu’il refuse sa sanction aux projets dont il ne veut pas, qu’il retire un projet pour en présenter un autre : là il reste dans ses attributions ; mais il en sort, quand il vient présenter un projet en concurrence avec celui de l’un des autres pouvoirs de l’Etat. Je persiste donc dans ma première proposition.
M. Coghen. - J’ai dit que lorsqu’une loi était renvoyée par le sénat avec des amendements, la chambre des représentants avait consacré en principe que l’on ne discuterait que les amendements. C’est en effet ce qui a eu lieu lors de la discussion de la loi monétaire : un membre ayant voulu ouvrir la discussion sur d’autres articles que les articles amendés par le sénat, la chambre a décidé qu’il n’y avait pas lieu à s’en occuper.
M. Nothomb. - Il me semble que l’honorable M. Dumortier a déplacé la question. il faut rappeler les faits tels qu’ils se sont passés.
Le gouvernement a présenté une loi à la chambre des représentants ; la chambre a adopté le projet avec des modifications ; le sénat l’a modifié à son tour et l’a envoyé à la chambre des représentants ; arrive ensuite la dissolution. Le renvoi fait par le sénat n’est pas postérieur à la dissolution ; si ce renvoi lui était postérieur, je serais parfaitement d’accord avec l’honorable membre, le sénat nous aurait saisis ; mais le renvoi a eu lieu à une chambre qui n’existe plus. Dès lors l’effet du renvoi a cessé d’exister.
Nous pouvons mettre de côté tous les principes que le préopinant a développés sur l’initiative et la prérogative des chambres ; ils ne sont pas à leur place ; tout est ici renfermé dans une question de fait.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, il est évident qu’il y a ici une question de fait sur laquelle M. Dumortier est, je crois, dans l’erreur. En effet, le renvoi fait par le sénat est antérieur à la dissolution.Cependant je n’aurais pas pris la parole pour signaler cette erreur si l’on n’avait pas dit que je voulais contester les droits du sénat.
Peu importe, messieurs, que la question de finances soit principale ou accessoire dans une loi ; cette question de finances n’en est pas moins de la compétence de la chambre des représentants, et doit lui être soumise avant toute autre discussion. Cela est si vrai, que le projet de loi n’aurait pu être proposé dans le sein du sénat par un de ses membres. On ne peut pas présenter au sénat une disposition qui tend à créer un impôt quelconque. La création d’un impôt rentre dans la catégorie des voies et moyens, matière sur laquelle la chambre doit s’expliquer avant l’autre branche du pouvoir législatif.
M. Fallon. - Je ferai observer, comme M. Nothomb, que la solution de la question est subordonnée à un point de fait ; il s’agit de savoir si le renvoi de la loi par le sénat est antérieur ou postérieur à la dissolution. Il paraît qu’on est d’accord qu’il est antérieur, et, dans ce cas il est certain que les lois qui ont pu être adressées à l’ancienne chambre, qui n’existe plus, ne nous lient en aucune manière.
M. Dumortier. - Je viens de vérifier la date du renvoi : c’est le 20 qu’il a eu lieu, et la dissolution est arrivée le 28, Ainsi ma proposition tombe d’elle-même. Cependant, il me semble que le sénat peut, quand il sera réuni, nous envoyer son projet de loi. Pour ce qui me concerne, je désire vivement qu’il le fasse ; il est de toute nécessité que cette loi soit votée avant celle sur l’organisation provinciale, car dans cette loi nous aurons à voir si nous devons admettre dans le sein des conseils provinciaux les personnes qui auront obtenu la petite et la grande naturalisation. Je souhaite que ces paroles parviennent au sénat, et qu’il nous présente son projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’en ai préparé un autre, et je le présenterai à la chambre, à sa prochaine séance.
M. Desmet. - Je profiterai de cette occasion pour demander à M. le ministre des finances s’il se propose de livrer bientôt à notre examen le projet de loi sur les sels.
M. A. Rodenbach. - Ce dernier projet de loi est dans la même catégorie que celui sur l’extradition, et il doit nous en être présenté un nouveau.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - L’observation du préopinant est parfaitement juste. Aussi, ai-je l’intention de présenter à la chambre une loi nouvelle.
M. le président. - La parole est à M. Smits pour faire un rapport sur le projet de loi relatif aux chemins de fer.
- De toutes parts. - L’impression ! l’impression !
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.
M. le président. - Les membres qui formeront la commission chargée d’examiner le budget de la guerre, sont : MM. Brabant, H. Vilain XIIII, Desmaisières, d’Huart, Corbisier, de Puydt, Fallon, Desmanet de Biesme et de Longrée.
Il n’y a plus rien à l’ordre du jour.
MM. les représentants seront convoqués à domicile pour la prochaine réunion.
- La séance est levée à 3 heures.