(Moniteur belge n°200, du 19 juillet 1833)
(Présidence de M. Raikem)
M. Liedts, l’un des secrétaires, fait l’appel nominal.
M. H. Dellafaille, autre secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté.
M. de Laminne-Bex demande un congé de 15 à 20 jours.
- Accordé.
M. le président. - Voici la composition des bureaux des sections :
Première section
Président : M. Pollénus
Vice-président : M. Morel-Danheel
Secrétaire : M. Desmaisières
Rapporteur de pétitions : M. de Meer de Moorsel
Deuxième section
Président : M. Fleussu
Vice-président : M. Verdussen
Secrétaire : M. Watlet
Rapporteur de pétitions : M. Milcamps
Troisième section
Président : M. Dubus
Vice-président : M. Trentesaux
Secrétaire : M. Quirini
Rapporteur de pétitions : M. Poschet
Quatrième section
Président : M. de Theux
Vice-président : M. Legrelle
Secrétaire : M. de Renesse
Rapporteur de pétitions : M. Zoude
Cinquième section
Président : M. Ernst
Vice-président : M. Donny
Secrétaire : M. Dumortier
Rapporteur de pétitions : M. Vanderheyden
Sixième section
Président : M. Liedts
Vice-président : M. Fallon
Secrétaire : M. Corbisier
Rapporteur de pétitions : M. d’Huart
Il est donné connaissance à la chambre d’une lettre de M. le ministre de la guerre, qui lui adresse les explications qu’elle a demandées sur deux pétitions à lui renvoyées par décision du 28 du mois dernier.
M. le président. - Ces explications resteront déposées sur le bureau pour que MM. les membres puissent en prendre connaissance.
M. Legrelle. - M. le président, les rapports contenant ces explications sont d’un si haut intérêt, que l’impression pourrait en être ordonnée, afin que tous les membres en reçussent un exemplaire et que nous fussions à même de répondre aux arguments de M. le ministre de la guerre.
- Plusieurs voix. - Oui ! oui ! appuyé !
- D’autres voix. - L’impression dans le Moniteur suffira.
- La chambre, consultée, ordonne l’impression au Moniteur de ces deux rapports.
M. d’Hoffschmidt, rapporteur, a la parole. (Le rapport de l’honorable membre ne nous est pas parvenu.)
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et fixe la discussion à vendredi prochain
M. le président. - La discussion générale de ce projet de loi est ouverte.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) annonce a la chambre que M. le ministre de l’intérieur se rallie au projet de la commission, sauf un amendement qu’il propose comme article additionnel.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion sur l’ensemble est fermée, et l’on passe à celle de l’article unique ainsi conçu :
« Le ministre de l’intérieur est autorisé à imputer sur les crédits ouverts à son département pour l’exercice de 1831, et jusqu’à concurrence d’une somme de 260,000 fr., les dépenses de 1830 et antérieures restant à liquider.
« Mandons et ordonnons que les présentes, revêtues du sceau de l’Etat, insérées au Bulletin officiel, soient adressées aux cours, tribunaux et aux autorités administratives, pour qu’ils les observent et fassent observer comme loi du royaume. »
M. de Brouckere. - Je ne ferai qu’une seule observation relativement à cet article. Il me semble qu’il ne faudrait pas mettre dans une loi : « Le ministre de l’intérieur est autorisé. » La chambre ne donne pas d’autorisation à tel ou tel ministre, mais bien au gouvernement. Il faudrait donc rédiger l’article de cette manière :
« Le gouvernement est autorisé à imputer sur les crédits ouverts au département de l’intérieur pour l’exercice de 1831, et jusqu’à concurrence d’une somme de 260,000 fr., les dépenses de 1830 et antérieures restant à liquider. »
- L’article ainsi modifie est mis aux voix et adopté.
M. le président. - La discussion est ouverte maintenant sur l’article additionnel présenté par M. le ministre des finances, et ainsi conçu : « Le gouvernement est en outre autorisé à imputer sur les mêmes crédits, jusqu’à concurrence d’une somme de 6,000 fr., les dépenses de 1830 et années antérieures, qui ne sont susceptibles d’être liquidées qu’à titre d’avance. »
M. Legrelle. - Je ne puis admettre l’amendement présenté par M. le ministre des finances : d’abord, parce que la somme de 6,000 fr. est l’équivalent de 5 articles que la commission spéciale a cru devoir rejeter. Vous remarquerez ensuite que, sur ces 5 articles, 2 seulement paraissent devoir être payés sur la somme qu’on nous demande. Pour combattre la proposition, je n'ai rien de mieux à faire que de vous lire les termes même du rapport ; les voici :
« Il vous suffit de savoir, messieurs, que toutes ces créances ont paru à la commission présenter au moins l’apparence de légitimité.
« Je dis l’apparence de légitimité ; et, en effet, messieurs, les membres de la commission ont pensé que si la Belgique doit se montrer jalouse d’acquitter religieusement les engagements que le passé lui a transmis, la législature ne doit cependant pas accorder les fonds qui lui seraient demandé pour acquitter des créances qui n’ont pas même l’apparence de fondement.
« C’est aussi que la commission n’a pas cru devoir comprendre dans la demande de crédit la créance du carrossier du chevalier de Baramendi, ci-devant directeur de l’établissement des vers à soie à Meslin-l’Evêque, du chef de réparations aux équipages de ce directeur ; ni le prix d’un tableau peint par M. Navez pour la galerie de tableaux à La Haye ; ni les exemplaires envoyés en Hollande d’un ouvrage sur la botanique, imprimé en Belgique ; ni la réclamation faite par un professeur d’une université auprès de l’inspecteur-général de l’instruction publique, d’une somme dont rien n’indique pas même l’origine et que l’inspecteur lui-même croit n’être pas due ; ni enfin les réparations faites aux domaines particuliers du roi de Hollande.
« Ces cinq créances qui, dans le projet du ministère, étaient comprises dans la somme demandée, forment un total d’environ 6,000 fr., et devaient par conséquent faire réduire ce crédit à 257,548 fr. »
Le total des cinq créances ne forme donc qu’une somme de 6 mille francs et voilà qu’on nous demande 6 mille francs pour deux créances seulement. Je vous l’avoue, je ne puis admettre l’amendement, quel que soit mon désir de voir encourager les artistes, et M. Navez entièrement payé pour le tableau dont il est l’auteur. Je ne crois pas qu’on puisse faire payer par la Belgique un tableau commandé en 1830 avant la révolution, et destiné à figurer dans la galerie de La Haye.
Autrefois bien d’autres dépenses ont été faites par ordre du gouvernement des Pays-Bas. ; reconnaîtrez-vous à tous ces créanciers les droits qu’on vous propose de reconnaître à deux personnes ? Mais alors vous devrez payer des sommes énormes, et c’est à vous à déclarer si telle est votre intention.
M. Liedts. - M. le ministre des finances m’a communiqué son amendement avant la séance, et je lui ai fait connaître mon opinion individuelle. Il me semble que si la chambre est d’avis de faire l’avance qu’on lui demande, cette dépense figurera beaucoup mieux dans le projet actuel que dans le budget de 1833, d’abord parce qu’il est plus naturel d’imputer au budget de 1831 une dépense de 1830, et ensuite, en la faisant figurer au budget de 1833, il faudrait faire les fonds nécessaires, tandis que les fonds sont tout faits, puisqu’il y a un excédant pour 1831. J’ai raisonné dans l’hypothèse que la chambre fût d’avis d’adopter le crédit.
Il s’est glissé dans le rapport une légère erreur de calcul. J’ai dit que les cinq articles s’élevaient à 6 mille francs. Le tableau de M. Navez est porté pour 2 mille florins, et l’ouvrage de botanique pour 755 fl. ; cela fait donc un peu plus de 6 mille fr. Je laisse maintenant à la chambre à juger s’il y a lieu à accorder le paiement par forme d’avance. J’ajouterai que le tableau a été commandé par le ministre de l’intérieur avant la révolution.
L’artiste a reçu la commande, et n’avait pas à s’inquiéter s’il était destiné à la galerie de La Haye. Maintenant la chambre pourrait accorder les 6 mille fr. comme encouragement aux beaux-arts ; il n’y aurait rien là qui pût autoriser les autres créanciers à adresser de nouvelles demandes.
Enfin, messieurs, je vous dirai que l’ouvrage de botanique a été tiré à 10 exemplaires ; 3 seulement sont restés en Belgique.
On pourrait encore là accorder des fonds par forme d’avance.
M. Verdussen. - Je ne puis partager l’opinion de l’honorable préopinant. Si nous possédions le tableau de M. Navez, ce serait encore une question de savoir si la Belgique doit acquitter la dette. Je ne sais pas si la qualité de Belge de M. Navez peut entrer en ligne de compte. Pourquoi acquitter une dette pour un ouvrage d’art que nous ne possédons pas et que nous n’avons pas la faculté de reprendre ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je crois qu’il s’agit dans tout ceci d’une question d’équité, d’une question de bonne foi ; d’une question fort peu importante pour la chambre et le pays, et assez importante pour les deux citoyens dont la réclamation est soumise à l’assemblée. Voyez quelle a été leur opinion quant ils ont contracté avec le gouvernement des Pays-Bas ! Le ministre n’a pas fait connaître probablement la destination qu’il se proposait de donner à leur œuvre ; c’était là une prévision dans laquelle on ne devait pas initier les deux artistes ; ils n’avaient à s’enquérir que des arrangements qu’ils avaient à prendre avec le gouvernement.
Le gouvernement était dans son droit ; il disposait régulièrement d’une allocation portée au budget pour l’encouragement des beaux-arts. Le fait de la destination était indépendant de la volonté et hors de la prévoyance des artistes quand ils ont contracté. Les événements postérieurs sont également en dehors de la prévision des artistes. Il y aurait peu d’équité, peu de générosité à les rendre passibles de ces événements.
L’exemple cité par M. Verdussen pourrait s’appliquer à d’autres cas, et amener une conclusion toute différente. Je suppose que le roi de Hollande ait commandé à La Haye des tableaux, et qu’il ait jugé à propos d’en gratifier le musée de Bruxelles ; je demande comment on jugerait la réclamation que ferait l’artiste de La Haye au gouvernement hollandais ? On lui dirait : C’est la Belgique qui jouit des tableaux. L’artiste répondrait : Mais je ne me suis pas enquis de la destination que vous donneriez à mon ouvrage.
En jugeant la question de bonne foi, en faisant remarquer qu’elle a peu d’importance pour vous et qu’elle a beaucoup d’importance pour deux chefs de famille, je crois qu’il est de l’équité de la chambre d’accorder l’allocation demandée.
M. Verdussen. - M. le ministre de la justice nous parle de la position d’un artiste hollandais qui réclamerait le paiement d’un tableau que le hasard aurait laissé en Belgique ; mais cette position est toute différente de celle que nous considérons. Le roi de Hollande se dit encore roi des Pays-Bas ; d’après sa manière de voir, il a pu contracter pour la Belgique. L’artiste hollandais aurait véritablement le droit de s’adresser au roi de Hollande pour son tableau resté en Belgique. S’il s’adressait à nous, nous pourrions peut-être juger à propos de payer son tableau dans le cas où nous le garderions.
M. Dubus. - Messieurs, on a plaidé en quelque sorte devant vous la cause de deux personnes ; mais, ce qui attire particulièrement mon attention dans ce débat, ce sont les conséquences qui peuvent résulter de l’article 2. A mes yeux, il n’est pas question d’une somme de 6,000 fr, seulement, mais d’une somme de 2 millions peut-être ; et la chambre y regardera de près avant d’adopter le principe renfermé dans un article présenté à l’improviste et combiné dans sa rédaction de manière à nous mener très loin. Remarquez que personne n’est nommé dans l’article 2 ; on limite bien le crédit à une somme de 6,000 francs, mais cette somme est appliquée à toutes les dépenses faites en 1830 et dans les années antérieures, et qui ne sont susceptibles d’être liquidées qu’à titre d’avance.
Si vous adoptez l’article tel qu’il est, vous posez un principe : vous dites que toutes les dettes faites par la Hollande reviennent à votre charge.
On n’en connaît pas, dit-on, pour une somme au-delà de 6,000 fr. Actuellement on n’en réclame pas davantage ; mais, le principe posé, il pourra s’en présenter pour des millions.
Si l’on veut spécialement, à titre d’avance, liquider les deux créances, que l’on fasse un article spécial.
Ce n’est pas dans la loi que nous discutons que ces créances peuvent figurer ; c’est dans le budget de 1833. La dette n’est pas à notre charge ; elle n’est à notre charge que du jour où nous consentons à payer : donc elle doit être portée au budget de 1833.
Il faut écarter l’article proposé par le ministre de l’intérieur, sauf à avoir égard à la réclamation quand nous voterons le budget.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne m’oppose pas à l’insertion des noms dans l’article, quoique cela ne se fasse pas ordinairement dans les lois.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois qu’il y a quelque inconvenance à mettre des noms propres dans les lois ; on atteindrait le but qu’on se propose en mettant une spécialisation qui préviendrait l’extension que craint M. Dubus. On pourrait aussi déclarer dans le procès-verbal quelle est la destination de la somme allouée.
M. Legrelle. - Même avec la spécialisation que propose M. le ministre de la justice, je ne peux voter le crédit. Le tableau a été peint pour la galerie de La Haye, il a été peint pour la Hollande ; on ne peut l’admettre dans les dépenses nationales.
Quant à l’ouvrage sur la botanique, tous les exemplaires n’en ont pas été livrés ; c’est un écrit périodique que le roi de Hollande n’a pas même reçu ; il n’est donc pas possible de faire une avance pour un tel ouvrage.
M. de Brouckere. - Je désirerais cependant voter ces 6,000 fr., pourvu toutefois que mon vote n’entraînât pas la Belgique à payer d’autres sommes et ne nous engageât à rien. La chambre fera d’autant moins de difficulté, que la plus forte partie de la somme de 6,000 fr. sera destinée à l’un des artistes qui honorent le plus la Belgique, Mais si l’on pose un principe, comme le craint M. Dubus, il ne faut pas voter la loi. D’autres artistes pourraient peut-être venir faire de semblables réclamations, et je vous avoue que je croirais faire une injustice en refusant aux uns ce qui aurait été accordé à d’autres.
Si le ministre ne peut donner, sur les craintes manifestées, des explications satisfaisantes, je ne puis voter la loi.
On a supposé le cas d’un artiste qui aurait fait un tableau pour la galerie de Bruxelles, et l’on a posé cette question : Si cet artiste s’adressait au ministre de l’intérieur hollandais, serait-il payé ? J’en doute fort ; mais ce dont je ne doute pas, c’est que si son tableau était dans la galerie de Bruxelles, j’en voterais le paiement : que l’artiste soit Chinois ou Belge, dès qu’il a travaillé pour nous, c’est à nous à le payer. Quant à la Hollande, il est presque certain qu’elle n’agira pas d’après ces principes, et qu’elle ne paiera pas M. Navez.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Jusqu’à ce jour nous n’avons pas reçu d’autres réclamations que celles qui vous sont soumises maintenant.
M. d’Huart. - Le tableau a été fait pour La Haye ; eh bien que ferions-nous en accordant la somme de 6,000 fr. pour le payer. Nous ferions un cadeau à la Hollande. Nous ne devons pas faire de cadeaux avec l’argent des contribuables, et surtout à La Haye. Je regrette que ce soit un artiste aussi distingué qui soit dans le cas de faire la réclamation en discussion mais je ne puis admettre l’allocation demandée.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il ne s’agit pas ici de générosité ; il s’agit de l’acquit d’une dette. On nous dit que le tableau a été commandé pour La Haye ; mais avez-vous assisté aux stipulations qui ont eu lieu entre le ministre de l’intérieur et l’artiste ? Là est toute la question. Or, l’artiste n’a pas dû s’enquérir de la destination de son tableau, pas plus que l’écrivain n’a dû s’enquérir de la destination de ses volumes.
L’un et l’autre devaient se borner à bien déterminer les conditions relatives au prix et au paiement. Les événements survenus sont en dehors de toutes les prévisions de l’artiste. C’est la Hollande comme la Belgique qui ont contracté avec le peintre et avec l’écrivain ; c’est une dette que vous avez à acquitter. S’il en était autrement, si par suite d’une révolution les artistes devaient voir péricliter leurs droits, il n’y aurait plus moyen de contracter avec eux par les précautions qu’ils prendraient.
Quant à poser un antécédent dangereux, je ferai remarquer qu’il s’agit d’une créance de 1830 et, par conséquent, antérieure à la révolution ; qu’il s’agit d’une créance résultant d’un contrat. La cour des comptes examinera si le gouvernement avait le droit de contracter et si la créance est légale.
Le temps, qui s’est écoulé depuis que le tableau est fait et la modique somme réclamée ne vous permettent pas de refuser le vote du crédit, surtout quand nous ne nous opposons pas à ce que la rédaction soit aussi spéciale qu’on le voudra.
M. de Brouckere. - La manière dont M. le ministre des finances a défendu l’amendement va me rendre plus circonspect dans mon vote. Pourquoi faut-il accorder le crédit suivant M. Lebeau ? Parce que c’est une dette. Mais si c’est une dette, il est évident que tous les créanciers de l’ancien royaume des Pays-Bas ont les mêmes droits à réclamer ce qui leur est dû par la Hollande.
M. le ministre nous a dit encore que toute la question était dans la convention faite avec l’artiste, et que le tableau, ayant été commandé, devait être payé. Mais dans quelle partie de l’ancien royaume a-t-il été transporté ? Où se trouve-t-il maintenant ? Que la partie qui le possède le paie, voilà comment la question doit être décidée en droit. Lorsque j’ai dit que j’étais prêt à voter les 6 mille francs, j’ai demandé à M. le ministre s’il était certain que d’autres demandes ne pussent pas être adressées à la chambre. Je n’ai pas pensé que la chambre dût faire un cadeau à l’artiste, nous ne sommes chargés d’en faire à personne, mais rien ne nous empêche de voter, à titre d’avance, des fonds pour encouragement à un artiste aussi distingué que M. Navez. Pour moi je n’y vois pas la moindre difficulté, et je voterai le crédit, si par là je ne dois pas poser un antécédent dangereux.
M. Legrelle. - Sans doute, M. Navez n’a pas eu à s’occuper où l’on transporterait son tableau ; aussi adopterais-je volontiers la dépense si par là je ne craignais d’établir un précédent dangereux. Mais lorsque nous avons demandé à M. le ministre s’il était certain que d’autres demandes ne fussent pas adressées à la chambre, il a répondu que c’était la seule demande d’artiste qui lui fût parvenue.
Maintenant, messieurs, d’autres demandes ne pourraient-elles pas en effet nous être faites, et, par exemple, des demandes de la nature de celles que M. le ministre n’a pas voulu satisfaire ? Vous vous le rappelez, lorsque des navires de commerce furent construits dans les provinces méridionales, le gouvernement promit des primes à la construction. Ces primes furent accordées pour les bâtiments qui restèrent dans le pays ; quant à ceux qui naviguèrent pour la Hollande, il ne leur fut rien accordé. Cependant, le gouvernement avait autorisé la construction : il s’était engagé vis-à-vis des armateurs. Si donc vous faites une exception pour les artistes, les armateurs viendront vous représenter que leur position est identiquement la même.
M. de Brouckere nous a enseigné le moyen de tout concilier ; il a rappelé que vous pouviez voter des encouragements pour les beaux-arts ; votez donc la dépense dont il s’agit à titre d’encouragement pour M. Navez, et qu’il ne soit pas question d’un tableau exécuté pour la Hollande.
M. A. Rodenbach. - Je demande l’ajournement. On ne peut pas accorder gratuitement une somme aussi forte que celle qu’on nous demande. Ajournons cette question après la paix, comme celle de la construction des vaisseaux de ligne.
D’ailleurs, messieurs, je vous ferai remarquer que nous ne devons pas faire une sorte d’aumône à M. Navez.
M. Jullien. - Messieurs, la question qu’on agite en ce moment est extraordinairement importante. Mais, de quelque nature qu’elle soit, vous reconnaîtrez sans doute que c’est une question essentiellement du ressort des tribunaux ; et la preuve, c’est que M. le ministre de la justice dit qu’il s’agit d’une dette, tandis qu’un honorable conseiller, qui a parlé avant moi, nie que ce soit une dette. Voilà donc un litige tout formé.
L’idée qui se présente d’abord est celle-ci : Un individu a contracté avec l’ancien royaume des Pays-Bas, qui est maintenant divisé en deux parties, dont l’une est la Belgique, et l’autre la Hollande. A qui ce créancier doit-il s’adresser ? Aux héritiers du royaume des Pays-Bas. Ce royaume, étant défunt, a pour héritiers la Belgique et la Hollande. Eh bien ! appliquez ici les principes du droit, et vous n’avez plus d’autre question à examiner que celle de la solidarité. Si vous regardez les deux parties de l’ancien royaume des Pays-Bas comme solidaires, le créancier pourra s’adresser à l’une ou l’autre, selon qu’il le voudra. Mais ce n’est pas à nous de trancher cette question de solidarité.
La succession se divisant, la dette se divise aussi, et dans ce cas je dirais que la Hollande doit moitié de la somme et la Belgique l’autre moitié ; mais il serait à craindre de poser un antécédent fâcheux, tout devant se résoudre dans des liquidations ultérieures.
De reste, M. Navez, qui est un artiste fort distingué, comme on l’a dit, se trouve, je crois, dans une position qui lui permet de supporter l’ajournement.
Dans tous les cas ce n’est pas une raison pour que le gouvernement n’examine pas cet objet avec maturité. Quant à moi je voterai contre l’amendement, à moins que je ne trouve dans la rédaction de cet amendement une garantie certaine contre d’autres réclamations.
M. d’Huart. - Je crois qu’il y a une chose à examiner avant tout, c’est le point de savoir si ce n’est pas pour le cabinet du roi qu’a été commandé le tableau. S’il en était ainsi, messieurs, nous jouerions un singulier rôle en votant des fonds pour un tableau qui se trouverait dans les appartements du roi Guillaume. Dans tous les cas, ce serait agir inconsidérément que d’accorder la somme en ce moment. Je suis bien convaincu que M. Navez est un homme délicat qui serait incapable de toucher deux fois le prix de son tableau ; mais si nous accordions aujourd’hui cette somme, nous pourrions avoir affaire plus tard à des individus moins délicats qui se feraient payer deux fois.
M. Liedts. - Je prie la chambre de me permettre de faire une motion d’ordre. Je demande qu’on cesse d’examiner la question de droit, ce qui serait peut-être dangereux. Vous venez d’entendre trois opinions différentes dont on pourra se prévaloir devant les tribunaux. D’après M. le ministre de la justice, la totalité de la somme serait due ; d’après M. Julien, il n’en serait dû que la moitié ; et suivant M. de Brouckere, il ne serait rien dû sur le tout. Quant à moi, messieurs, j’ai cherché à vous faire envisager cet objet comme un encouragement pour les beaux-arts. Du moment où on le considère autrement, je demande que la discussion sur la question de droit ne soit pas continuée.
M. de Theux. - Puisqu’il s’élève des difficultés sur le fond et sur la forme de l’amendement, je propose de le renvoyer à la section centrale qui s’occupe en ce moment de l’examen du budget de l’intérieur.
M. de Brouckere. - Je crois qu’il vaut mieux prononcer l’ajournement pur et simple, et laisser au ministère le soin de faire à la section centrale ses observations à cet égard.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Si on l’entend ainsi, et qu’on ne veuille rien préjuger, nous ne nous opposons pas à l’ajournement.
- L’ajournement de l’amendement présenté par M. le ministre des finances est mis aux voix et adopté.
On passe à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi.
Sur 59 membres présents, 57 votent pour et 2 contre.
En conséquence, il est adopté.
M. de Brouckere. - Je suis informé que plusieurs sections se sont occupées de ma proposition relative aux avocats de la cour de cassation, et qu’elles ont nommé leurs rapporteurs. Je demanderai que la section centrale veuille bien s’en occuper un instant, afin qu’on puisse mettre cet objet à l’ordre du jour d’une de nos prochaines séances. Cela ne fera pas perdre de temps, ni n’entravera des travaux urgents ; car nous n’avons plus rien à discuter en ce moment. Du reste, cette proposition nous occupera tout au plus une heure ou deux.
M. Legrelle. - J’appuie la motion de l’honorable préopinant, et je demande la même chose pour la proposition de M. Liedts. Nous n’avons rien à faire dans les sections, et je prierai le gouvernement de nous présenter les projets de loi municipale et départementale, ainsi que ceux sur la naturalisation.
- Comme il n’y a rien à l’ordre du jour de demain, la chambre remet la séance à vendredi à 2 heures.
La séance est levée à trois heures et demie.