(Moniteur belge n°82, du 23 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Van Hoobrouck demande qu’un projet de loi, présenté l’année dernière à la chambre et relatif aux pensions militaires, soit réimprimé et distribué aux membres nouvellement élus.
M. Brabant demande également la réimpression des projets présentés par lui et par M. Dubus, pendant la session derrière.
- La chambre décide que ces divers projets de loi seront réimprimés.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) prend la parole et s’exprime dans les termes suivants. - Messieurs, votre section centrale vous a fait connaître, par l’organe de son rapporteur, que j’avais donné mon assentiment à la plupart des réductions qu’elle a proposées au budget du département de la guerre ; et je dois d’abord vous exposer les motifs qui m’ont permis, sans qu’il en résulte de contradiction entre mes demandes primitives et les réductions auxquelles je consens de reconnaître, que ces réductions pouvaient être opérées sans que le service de l’armée en fût compromis.
Dès les premiers jours du mois d’octobre, je fis établir le budget de l’armée sur le pied de paix, comme budget normal de ce département : il fut présenté à la chambre des représentants, avec ceux des autres départements, à la fin du mois de novembre dernier, et compris dans le projet de loi générale du budget des recettes et dépenses de l’Etat.
Mais comme il n’était pas dans l’ordre des choses possibles que l’armée fût mise sur le pied de paix dès le 1er janvier 1833, il avait été décidé, en conseil des ministres, que le gouvernement demanderait aux chambres des crédits mensuels, et en forme de suppléments, pour les dépenses extraordinaires de l’armée, tant qu’elle resterait sur le pied de guerre.
Il fallait donc déterminer le quantum des dépenses de l’armée, telle qu’elle existait au 1er octobre, et telle qu’on supposait qu’elle pouvait encore exister pendant les premiers mois de l’année 1833 pour connaître le montant du crédit mensuel à demander pendant les mois que l’armée resterait sur le pied de guerre ; tel était le but du travail qui fut entrepris au mois de novembre, et qui sert aujourd’hui de projet de budget de l’armée sur pied de guerre.
Ce travail devait être remis, comme renseignement, à la commission qui aurait été chargée d’examiner le budget sur le pied de paix, et de déterminer la quotité des crédits supplémentaires à accorder chaque mois, et tant que l’armée resterait organisée sur le pied de guerre ; mais je fus informé, à la fin du mois de décembre, que la chambre ne s’occuperait pas de l’examen du projet de budget sur le pied de paix, et qu’elle demandait qu’on lui présentât celui du pied de guerre.
Je remis sur-le-champ le travail qui avait été préparé, sur le calcul des dépenses qu’entraînait l’armée, telle qu’elle était composée au 1er octobre 1832, et comme devant être maintenue sur ce pied pendant l’année 1833.
Depuis l’époque à laquelle ce travail avait été rédigé, les circonstances politiques et divers arrêtés du gouvernement, rendus depuis le mois de décembre, y ont apporté des modifications, d’où résulte la possibilité d’effectuer les plus fortes réductions, basées sur des actes du gouvernement, proposées par la section centrale et auxquelles j’ai donné mon assentiment.
Il n’existe donc pas de contradiction réelle entre les sommes supputées alors comme nécessaires, et les réductions dont elles sont reconnues aujourd’hui susceptibles, par les divers motifs que je vais exposer.
(Note du webmaster : l’orateur rentre alors dans le détail des réductions. Ce détail n’est pas repris dans la présente version numérisée. Le ministre termine cet exposé par les mots suivants :)
Animé, comme tous les membres qui composent la section centrale, du désir sincère d’alléger les charges de l’Etat en restreignant les dépenses à ce qui me paraît indispensable pour maintenir notre armée dans l’état satisfaisant où elle se trouve sous le rapport de sa composition actuelle et de sa bonne et solide organisation, je crois pouvoir assurer que l’armée saura reconnaître par son dévouement et son excellente discipline les sacrifices immenses que s’est imposés le pays pour la porter et la maintenir au complet où elle se trouve aujourd’hui,
Les chambres belges ont toujours donné l’exemple de l’accord le plus parfait quand il s’est agi des moyens d’assurer la défense et l’honneur de la patrie, et j’aime à me persuader qu’il en sera encore de même dans la discussion qui va s’ouvrir sur les sommes à accorder pour le service de l’armée pendant l’année 1833.
- L’impression et la distribution du discours de M. le ministre de la guerre sont ordonnées.
M. le président. - Nous avons à l’ordre du jour le projet de loi sur les naturalisations et les projets de loi sur les significations à l’étranger ; je crois qu’il convient de commencer par ce dernier projet.
Voici l’amendement présenté par M. Donny, et qui formerait l’article unique du projet de loi :
« Lorsqu’un directeur de la poste aux lettres déclare qu’il se trouvé dans l’impossibilité de se charger d’un paquet d’exploit présenté à son bureau, en exécution de l’article premier de l’arrêté du 1er avril 1814, l’huissier fera mention de cette déclaration dans son exploit et adressera copie de cet acte sous enveloppe chargée au ministre des affaires étrangères. »
- Cet amendement est adopté.
Les autres articles proposés sont écartés.
La loi est soumise à l’appel nominal.
60 membres sont présents et la loi est adoptée à l’unanimité.
M. Davignon et M. de Haerne se sont abstenus de voter parce qu’ils n’étaient pas présents à la discussion de la loi.
M. le président. - Nous avons à l’ordre du jour le vote définitif sur les amendements adoptés sur le projet relatif aux naturalisations.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, en renvoyant à la séance de ce jour le vote définitif de la loi, vous aviez également ajourné l’examen d’un amendement qui, sans avoir été déposé sur le bureau, avait été annoncé à la chambre. Cet amendement avait pour but de fixer l’état politique des citoyens qui ont obtenu, depuis la révolution, des naturalisations du gouvernement provisoire.
J’ai, messieurs, dans le dessein d’éclaircir les doutes que l’assemblée avait élevés à cet égard, fait dresser l’état le tableau de ces lettres de naturalisation. Elles sont au nombre de 34. Une seules été accordée par le gouvernement provisoire, alors qu’il était investi de la plénitude de tous les pouvoirs, alors qu’il exerçait non seulement le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, mais encore le pouvoir constituant.
Cette lettre porte la date du 5 novembre 1830, et elle est formulée dans les termes suivants : « Des lettres de naturalisation sont accordées au sieur … avec jouissance de tous les droits des étrangers naturalisés. »
Les 33 autres actes de naturalisation sont postérieurs à l’installation du congrès national qui, étant substitué au gouvernement provisoire dans l’exercice du pouvoir législatif et du pouvoir constituant, n’a déféré au gouvernement provisoire que le pouvoir exécutif. La première de ces 33 naturalisations date du 19 novembre 1830 ; elle est conçue dans les mêmes termes à peu près que l’acte de naturalisation dont je viens d’entretenir la chambre.
La dernière date du 8 février 1831, avant la promulgation de la constitution, laquelle a formellement déclaré que désormais la naturalisation ne pouvait être accordée que par le pouvoir législatif.
Il y a donc dans mon opinion 33 naturalisés dont le sort n’est pas douteux, 33 naturalisés qui ne l’ont été qu’à une époque où le gouvernement provisoire était dessaisi et du pouvoir législatif, et du pouvoir constituant. Or, il ne paraît pas douteux que ces naturalisations accordées en vertu du seul pouvoir exécutif, et au moment où la loi fondamentale n’était pas abrogée sur ce point, n’ont pu conférer à ceux qui les ont obtenues que la naturalisation ordinaire.
L’indigénat ne pouvait être accordé sous la loi fondamentale que dans le terme d’une année postérieure à sa promulgation.
Le pouvoir exécutif est passé dans les mains du gouvernement provisoire avec le même caractère et la même étendue que l’exerçait le pouvoir royal en cette matière, et le pouvoir royal ne pouvant accorder que la naturalisation ordinaire, il semble incontestable que son héritier n’a pu accorder des droits plus étendus. Ainsi les avantages attachés à l’amendement que l’on voulait proposer sont vains pour 33 ou 34 citoyens dont il s’agit. Le gouvernement n’a pu leur accorder que la naturalisation ordinaire, c’est-à-dire une naturalisation qui n’est point l’indigénat.
Resterait donc quelques doutes sur le caractère et l’étendue de la naturalisation accordée le 5 novembre 1830, à l’époque où le gouvernement pouvait accorder l’indigénat en vertu des pouvoirs dont il était investi.
Mais, je l’avoue, une grande question vient se présenter et je ne sais pas s’il est bien prudent, s’il est bien légal de la résoudre ; si c’est à nous de restreindre ou d’étendre l’état politique des citoyens, la chambre n’étant pas saisie d’une question de personnes. Ne serait-il pas plus régulier, ainsi que l’a dit la section centrale, d’abandonner la solution de ces questions d’état politiques au moment où elles se présenteront soit devant les tribunaux, soit devant les collèges électoraux, soit devant les chambres ?
Je pense, messieurs, que ce serait ici se substituer à un pouvoir qui, véritablement, prend le caractère du pouvoir judiciaire dans ces matières ; ce serait statuer sur les personnes : ce serait fixer le caractère d’un acte que vous n’avez pas été appelés à poser, à examiner.
Je soumets ces doutes à la chambre. Quant à moi, ils m’arrêtent, et je ne puis ni proposer, ni appuyer un amendement.
Je ferai remarquer que la décision de la chambre serait prématurée, puisque vous n’êtes pas saisis d’une question de personnes par ceux qui ont intérêt à vous la faire décider dans un sens ou dans l’autre.
Ces considérations m’ont engagé à adopter l’opinion de la section centrale, qui a cru devoir garder le silence sur ce point.
M. le président. - Aucune proposition n’est déposée sur le bureau.
M. de Brouckere. - C’est sur la demande que j’ai faite à une précédente séance que M. le ministre de la justice a voulu prendre l’engagement de soumettre une proposition à la chambre. D’après ce qu’il vient de dire, il pense que toute disposition insérée dans la loi présenterait des inconvénients. Je rends justice à ce qu’a dit M. le ministre, et je n’insiste pas pour que le gouvernement fasse de proposition.
Je dois déclarer cependant que je n’adopte pas en tout point l’opinion de M. le ministre de la justice relativement à l’étendue des droits dont jouissent ces individus ; je n’admets pas non plus qu’il y ait impossibilité que la chambre règle ces droits. Si la chambre jugeait à propos de les régler, quelle illégalité y aurait-il ? Je le répète, je n’insiste pas pour qu’une pareille résolution soit prise. Il sera toujours loisible à ceux qu’elle intéresse de s’adresser à la législature pour qu’elle prenne une mesure qui les concerne.
Mais une observation que je dois relever, c’est celle qui a été faite relativement à l’étranger qui a été naturalisé par le gouvernement provisoire. D’après le ministre de la justice, cet étranger pourrait peut-être prétendre qu’il a obtenu la grande naturalisation.
Je n’ai besoin pour réfuter cette proposition, que de me servir des expressions mêmes employées par le ministre, savoir que c’est en quelque sorte sous l’empire de la loi fondamentale des Pays-Bas, qui n’était pas totalement abrogée par la révolution, que le gouvernement provisoire a accordé les naturalisations. Eh bien ! si c’était sous l’empire de cette loi fondamentale, je demanderai que l’on nous montre dans cette loi où elle autorise d’accorder la grande naturalisation même au pouvoir législatif.
L’année qui a suivi la promulgation de la loi fondamentale des Pays-Bas étant expirée, aucun étranger ne pouvait obtenir l’indigénat ; aucun pouvoir ne pouvait le donner, pas même le pouvoir législatif, Eh bien s’il est vrai que le gouvernement provisoire a agi comme pouvoir législatif, le 5 novembre, encore est-il vrai qu’il n’a pas pu accorder la grande naturalisation.
Ainsi, messieurs, il résulte de là, et jusqu’à ce que le législateur ait accordé de nouveaux droits à cet étranger, qu’il n’a pas la grande naturalisation.
Au reste, nous n’avons pas à nous occuper de cette question puisqu’aucun membre n’en a fait l’objet d’une proposition. Je n’en ferai pas non plus ; mais je ne pouvais laisser sans réponse une opinion que M. le ministre de la justice a émise.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, j’aurais parlé tout à fait contre ma propre opinion, si j’avais tranché la question relative à l’acte auquel l’honorable préopinant vient de faire allusion. J’ai dit que, quant aux 33 citoyens naturalisés par le gouvernement provisoire après l’installation du congrès, il me paraissait qu’il ne pouvait y avoir aucun doute que ces naturalisations avaient été accordées en vertu du pouvoir exécutif seulement, et qu’il fallait les restreindre dans le cercle des prérogatives du pouvoir exécutif, tel qu’il était limité par la loi fondamentale. A cet égard, j’ai émis une opinion et je n’ai pas craint de l’émettre, parce qu’elle reposait sur le caractère du gouvernement provisoire après le 10 novembre 1830.
Mais je n’ai pas dit que la question dût être résolue en sens contraire pour la naturalisation datée du 5 novembre 1830. J’ai dit qu’il y avait doute et que la différence de date rendait la question plus délicate à cause de la différence dans l’étendue des pouvoirs du gouvernement provisoire, avant et après cette date ; j’ai ajouté que la chambre ne me paraissant pas appelée à résoudre une question de personnes, je m’arrêtais et n’émettais pas d’opinion.
Toutefois, je suis obligé de répondre à ce qu’a dit le préopinant. Le gouvernement provisoire, selon lui, avant l’installation du congrès n’aurait exercé que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; mais tout le monde sait qu’indépendamment de ces pouvoirs, il exerçait encore le pouvoir constituant, au moins à certains égards.
Il a promulgué une foule d’actes pour lesquels le pouvoir législatif d’alors n’avait pas mission ; il a fait un décret électoral ; il a convoqué le congrès national. Aussi si le gouvernement provisoire avait déclaré qu’en accordant la naturalisation qui porte la date du 5 novembre, il entendait que cette naturalisation sortît les effets de l’indigénat, je crois que cette résolution serait inattaquable .
Le doute n’est donc pas sur l’étendue des pouvoirs du gouvernement provisoire, mais sur l’usage qu’il en a fait ; voilà sur quoi il peut y avoir controverse. La question du pouvoir n’est pas douteuse ; la question d’intention, de volonté seule est douteuse.
Voilà, messieurs, comment j’ai exposé la question :j’ai soutenu que le gouvernement provisoire n’exerçait pas seulement le pouvoir législatif, car alors je conviens qu’il n’aurait pu donner que la naturalisation ordinaire, mais qu’il exerçait en outre le pouvoir constituant, et pouvait donner la grande naturalisation.
Pouvons-nous décider la question par voie d’interprétation ? J’en doute, messieurs ; nous ne sommes pas saisis de cette question : interpréter les lois quand il y a doute, est l’œuvre du pouvoir judiciaire. Ce n’est que lorsqu’il y a conflit entre les tribunaux que le pouvoir législatif est appelé à faire cesser le doute par une loi d’interprétation. Cela est vrai surtout quand il s’agit, comme ici, de fixer l’état politique d’un ou de plusieurs citoyens.
M. Legrelle. - Il me semble, messieurs, que nous discutons des principes dont l’application ne peut avoir lieu. Si M. le ministre de la justice avait présenté une addition à la loi ; si un honorable membre proposait un changement, on pourrait discuter le principe ; sans cela je crois qu’on ne doit pas continuer la discussion.
M. de Brouckere. - Il faut remarquer que nous nous trouvons dans un cas tout à fait exceptionnel. Le ministre avait annoncé une proposition, il nous dit qu’ayant changé d’avis il n’en présentera pas ; il peut avoir raison. Le moins qu’on puisse faire, c’est d’examiner une question aussi importante. L’existence politique de plusieurs individus y est attachée.
M. Dumortier. - Je dois vous avouer qu’il y a quelque chose que je n’ai pas bien saisi dans le discours de M. de Brouckere. Il a demandé quels droits politiques on devait accorder à ceux qui ont reçu la naturalisation du gouvernement provisoire.
Il a pensé qu’on leur avait accordé la grande naturalisation, et il n’a pas voulu se rallier à l’opinion professée par le ministre relativement aux 33 personnes naturalisées depuis l’installation du congrès. Voilà son opinion de la séance précédente. Maintenant la question ne lui paraît pas aussi claire, et il change d’opinion. Pour moi, j’établis une différence immense entre les actes que le gouvernement provisoire a faits avant l’installation du congrès, alors qu’il avait le pouvoir constituant, législatif et exécutif, et ceux qu’ils a faits après lorsqu’il n’avait plus que le pouvoir exécutif.
C’est à tort que mon collègue a prétendu que le gouvernement provisoire n’exerçait pas le pouvoir constituant. Cette erreur est manifeste. Le gouvernement provisoire a convoqué le congrès ; il a donné le droit de siéger dans son sein, le droit de royauté à un étranger qui avait pris une part très active aux événements. Quoi ! le gouvernement provisoire n’avait pas le droit de donner la grande naturalisation ! Mais alors, il n’aurait donc pas pu appeler l’étranger dans le sein du congrès ; il n’aurait donc pas pu prononcer la déchéance des Nassau ! S’il persistait dans ces principes, notre honorable collègue annulerait tous les actes auxquels M. Rogier a pris part.
On a dit que la loi fondamentale des Pays-Bas a existé jusqu’à ce qu’elle ait été déclarée abrogée par la constitution nouvelle. Qu’est-ce que la loi fondamentale ? C’est le contrat fait entre Guillaume et la nation ; mais, du jour où les volontaires prirent les armes pour chasser Guillaume, la loi fondamentale a cessé d’exister, et il serait absurde de prétendre que la loi fondamentale des Pays-Bas a subsisté jusqu’au jour où le congrès a formulé son annulation. Avec ce système vous annuleriez un grand nombre d’actes.
Non ! la constitution des Pays-Bas n’existait plus : le droit d’accorder des naturalisations est un droit politique qui était entièrement dévolu au gouvernement provisoire. Je crois qu’on ne peut contester au gouvernement provisoire le droit de donner la grande naturalisation. L’a-t-il donnée ? voilà la question. Je crois qu’on peut répondre affirmativement. Il a voulu donner la naturalisation entière aux hommes qui par un dévouement sans bornes, ont participé aux événements de la révolution.
M. le président. - M. le comte de Mérode fait cette proposition :
« Les naturalisations accordées par le gouvernement provisoire, avant la réunion du congrès, sont considérées comme grandes naturalisations. »
M. F. de Mérode. - Le motif de ma proposition est de rendre justice à ceux qui ont demandé des naturalisations à l’époque indiquée par ma proposition.
Une seule personne est dans ce cas ; elle était en position d’obtenir la grande naturalisation ; elle ne pouvait s’attendre à être privée d’une partie de ses droits politiques, en abandonnant ceux dont elle jouissait en France. Elle était dans une position élevée, elle était utile au pays par des exploitations importantes. Il a été dans l’intention du gouvernement provisoire de donner à cette personne la plénitude des droits politiques. Dans la précédente séance, j’ai parlé d’après mon opinion ; je l’émets encore dans l’intérêt de la justice.
- Plusieurs membres appuient la proposition.
M. Verdussen. - Quoique je n’aie pas fait une étude approfondie de cette question, je crois cependant devoir en parler. Je pense, messieurs, qu’aucune naturalisation accordée par le gouvernement provisoire ne donne la grande naturalisation.
J’appuie cette opinion sur cette considération, que la loi fondamentale n’a été définitivement abrogée que par la constitution que toutes les parties en existaient encore lorsqu’elle n’avait pas été formellement abrogée par une disposition particulière de la constitution nouvelle.
Quand le gouvernement provisoire renfermait en lui tous les pouvoirs, il n’a donné qu’une seule naturalisation, sous la date du 5 novembre 1830 ; mais il n’a eu l’intention que de donner la petite naturalisation, c’est-à-dire la seule naturalisation qui fût connue. Voici sur quoi je fonde cette intention du gouvernement provisoire. C’est que, par son arrêté du 18 octobre 1830 relatif aux élections du congrès, il a lui-même fait la différence entre les naturalisés et ceux auxquels il conférait l’indigénat.
Il a dit que les électeurs devaient être naturalisés ; et il a ajouté que pour être éligible il fallait avoir obtenu l’indigénat.
Le gouvernement provisoire s’est, dit-on, servi des expressions suivantes dans les premières lettres de naturalisation : « avec jouissance de tous les droits de naturalisation ; » or, il avait déjà dit quels étaient les droits des naturalisés ; ce n’étaient pas ceux de l’indigénat.
Après l’installation du congrès, le gouvernement provisoire a fait différentes naturalisations, et il a dit dans les actes qui conféraient ces naturalisations comme il avait dit dans celle de M. Dumont-Dumortier ; il n’y a que dans une seule où il a dit qu’il conférait « les droits, » au lieu de « tous les droits ; » mais l’un est aussi général que l’autre.
M. de Brouckere. - Mon honorable collègue et ami M. Dumortier a trouvé un meilleur moyen de me combattre, c’est de me mettre en contradiction avec moi-même ; mais comme cette contradiction n’existe pas, il m’a prêté une opinion que je n’ai pas émise.
Lorsque avant-hier j’ai parlé sur la question, je me suis borné à dire, de la manière la plus affirmative, avec toutes les formes d’un doute, que l’opinion de M. le ministre de la justice pouvait se soutenir ; mais que peut-être il y aurait des arguments en faveur de l’opinion contraire. De ce langage à celui qu’on me suppose il y a une grande différence. Je vous prie de remarquer que les orateurs et moi nous n’avons devant les yeux aucun des arrêtés rendus par le gouvernement provisoire, de sorte que nous n’avions aucun moyen de porter une opinion. Cela est si vrai que le ministre a demandé un délai.
Quoi qu’en ait dit mon honorable collègue et ami, je vais examiner la question.
On convient que le gouvernement provisoire, exerçant le pouvoir législatif, ne pouvait accorder la grande naturalisation. M. le ministre de la justice et M. Dumortier conviennent de ce fait. Mais on ajoute : le gouvernement provisoire avait le pouvoir constitutionnel, et comme tel il pouvait faire tout ce qu’il lui plaisait. Messieurs, c’est là une grande question. Je suis persuadé que lui-même ne s’estimait pas un pouvoir constituant, puisqu’il a cru de son devoir de convoquer un congrès auquel il reconnaissait le pouvoir constituant.
Je suppose que le gouvernement provisoire avait le pouvoir constituant, qu’en résultera-t-il ? C’est qu’il avait droit d’abroger une partie de la constitution qui nous régissait ; mais je prie de dire quand, en quels termes, il a supprimé la partie relative aux naturalisations.
Si aucune disposition semblable n’existe, eh bien ! sur quelle disposition s’étayait le gouvernement provisoire pour donner les naturalisations ? C’était sur la loi du mois de décembre 1814, portée en vertu de la constitution des Pays-Bas. Les naturalisations ont été données par le gouvernement provisoire, à la charge d’acquitter les droits imposés par la loi de décembre 1814.
M. Brabant. - C’est un droit d’enregistrement.
M. de Brouckere. - Le gouvernement provisoire eût-il eu le pouvoir constituant, il n’en a pas usé pour abroger la loi sur les naturalisations. Or, toutes les parties de la loi fondamentale des Pays-Bas qui n’étaient pas abrogées étaient en vigueur. Tout le monde était convaincu de ce principe.
Je lis dans la constitution qui nous régit, article 137 : « La loi fondamentale du 24 août 1815 est abolie, etc. »
Aussi, la loi fondamentale a été abolie seulement au moment où la constitution nouvelle a été proclamée. C’est ainsi que le congrès l’a toujours entendu. La loi du 24 août 1815 est restée en vigueur jusque-là.
On veut argumenter des intentions du gouvernement provisoire. Ces intentions, nous devons les chercher dans la disposition même qu’il a prise : il accorde les lettres de naturalisation, avec jouissance de tous les droits, à des étrangers naturalisés ; mais se sert-il de l’expression d’indigénat ? Non, il n’est pas question d’indigénat. Pourquoi ? C’est que le gouvernement provisoire savait bien qu’il ne pouvait pas l’accorder tant que la loi fondamentale des Pays-Bas n’aurait pas été abrogée. Il résulte de là que la naturalisation obtenue le 5 novembre doit être assimilée à celle obtenue par les 33 autres citoyens, qui ne l’ont reçue qu’après l’installation du congrès.
Mais M. de Mérode vient vous soumettre une proposition pour que l’on regarde ce citoyen unique comme ayant eu la grande naturalisation. Je ne m’oppose pas à la proposition, cependant je soumettrai des observations pour savoir jusqu’à quel point il serait juste de ne pas donner en même temps la grande naturalisation aux 33 autres.
M. Verdussen a dit que le sieur Dumont-Dumortier naturalisé le 5 novembre avait obtenu la jouissance de tous les droits des étrangers naturalisés, tandis que les autres n’avaient obtenu que les droits des étrangers naturalisés ; mais le mot « tous » n’ajoute rien de plus au sens. Il y a trois naturalisations qui sont conçues dans les mêmes termes que celle de M. Dumont-Dumortier ; entre autres celles de MM. Perkins, Schmidt et d’un autre.
Il suit de là, et de la manière la plus évidente, que le gouvernement provisoire n’a voulu faire aucune différence entre tous ces individus. En établirons-nous une, nous ? Placerons-nous celui qui a été naturalisé le premier dans une position plus avantageuse que les autres ? Je n’en vois pas le motif.
Voilà les observations que j’ai cru devoir vous soumettre. Il me semble que si l’on adopte la proposition de M. de Mérode, il faudrait que l’on assimilât à l’étranger dont il parle tous ceux qui ont été naturalisés du temps du gouvernement provisoire. Il est très probable que ces individus sont dans l’opinion qu’ils ont obtenu la grande naturalisation. Peut-être n’eussent-ils point accepté une naturalisation ordinaire, une naturalisation partielle pour renoncer aux droits qu’ils avaient dans leur patrie.
C’est dans ce sens qu’il faudrait soumettre une proposition à l’assemblée.
M. Dumortier. - Messieurs, l’honorable préopinant à commencer par émettre une opinion toute contraire à celle qu’il avait émise dans la dernière séance, et j’en appelle à vos souvenus.
M. de Brouckere. - Il n’y a point de contradiction.
M. Dumortier. - Je vous prie de ne pas m’interrompre, car je vous écoute toujours avec plaisir et souvent avec fruit. L’honorable préopinant prétend qu’il n’y a pas contradiction ; mais je vous le demande, si le gouvernement provisoire était sans droits pour accorder la grande naturalisation, pourquoi le préopinant a-t-il vu là un doute que dans la dernière séance il ne pouvait résoudre ? Du moment que vous soulevez la question, c’est que vous reconnaissez implicitement que le gouvernement provisoire avait le droit d’accorder cette naturalisation ; ou la question est oiseuse, et il y a alors toujours contradiction quand vous dites que vous partagez l’opinion émise par le ministre de la justice, que le gouvernement provisoire n’a pu accorder la grande naturalisation depuis le congrès.
J’ai entendu avec surprise mon honorable collègue prétendre que la loi fondamentale est demeurée en vigueur jusqu’au moment où la constitution a abrogé l’ancienne loi fondamentale. Je crois, messieurs, que cette loi a été abrogée le jour où les Hollandais se sont retirés devant les barricades de Bruxelles ; et je vous demanderai s’il y a un acte du gouvernement provisoire qui ait exclu les Nassau ? Vous ne pouvez en indiquer aucun ; cependant l’article 12 de l’ancienne loi fondamentale dit : « La couronne du royaume des Pays-Bas est et demeure déférée à S. M. Guillaume-Frédéric, prince d’Orange-Nassau, et héréditairement à ses descendants légitimes, conformément aux dispositions suivantes. » Vous ne pouvez admettre que cette loi fût encore en vigueur, à moins d’admettre que Guillaume devait toujours ordonner en Belgique.
Ensuite, l’article 105 porte : « Le pouvoir exécutif est exercé concurremment par le roi et les états-généraux. » D’après cela, en suivant votre opinion, les actes du gouvernement provisoire seraient nuls, les actes du congrès seraient également nuls, jusqu’au jour de la promulgation de la constitution, et vous ne pouvez sortir de cet argument.
Tous les droits politiques, conférés aux pouvoirs par la loi fondamentale, étaient réunis dans les mains du gouvernement provisoire, et comme le droit de donner les naturalisations est un droit politique, ce droit a cessé d’être au pouvoir de la loi fondamentale, dès le jour où le gouvernement provisoire s’est établi.
Je répondrai, maintenant, à la seconde partie, celle qui concerne l’individu naturalisé : et d’abord, je dois déclarer que, quoiqu’il y ait similitude de nom, je ne lui suis attaché par aucun lien du sang.
Il y a là erreur de faire dire ce qu’a dit le préopinant et M. le ministre de la justice, quand ils ont affirmé que l’acte de naturalisation est expressément conçu dans les mêmes termes que ceux délivrés après l’installation du congrès. Je tiens en mains le Bulletin des Lois, et je lis : « Des lettres de naturalisation sont accordées à M. D… avec jouissance de tous les droits dont jouissent les étrangers naturalisés. » Et dans celles accordées le 19, le 21 novembre, c’est-à-dire postérieurement à l’installation du congrès, il est dit « avec jouissance des droits, etc. ». Il y a là une grande différence, une nuance sensible. Le gouvernement, en concédant tous les droits, n’a pas entendu la même chose qu’en concédant des droits.
Qu’on ne vienne pas dire, comme quelques préopinants, que c’est toujours la même chose, car il y avait une naturalisation plus étendue que l’autre : il y avait l’indigénat et la naturalisation ; il y avait donc une plus grande jouissance de droits et une moindre ; et pourquoi voudriez-vous accorder les moindres droits à celui auquel le gouvernement a dit qu’il lui concédait tous les droits, et cela, messieurs, au moment où vous reconnaissez que le gouvernement provisoire avait le pouvoir de donner la grande naturalisation ? La question a déjà été plusieurs fois résolue dans le sens que je vous indique : la régence de Tournay a admis cet individu comme électeur, et les états provinciaux l’ont déclaré éligible ; enfin, les électeurs ont jugé dans le même sens, puisqu’il y a un mois il ne lui a manqué que 5 à 6 voix pour être élu sénateur, et le sénat aurait eu alors à décider quelle était l’étendue de l’acte du gouvernement provisoire.
Je pense, messieurs, que ce peu de mots sont suffisants pour motiver mon vote, qui sera en faveur de la proposition de M. de Mérode.
M. le président. - La parole est à M. Marcellis.
M. Marcellis. - J’y renonce.
M. de Brouckere. - Je prends la parole, messieurs, pour justifier un fait ; c’est que quand j’ai dit qu’il y avait quatre lettres de naturalisation conçues dans les mêmes termes, j’avais alors sous les yeux les actes officiels qui prouvent le fait que j’ai avancé. Quant à ce qu’a dit M. Dumortier, pour me mettre en contradiction avec moi-même, comme il s’est servi pour cela de paroles que je n’ai pas prononcées, et m’a prêté des opinions qui ne sont pas les miennes, je n’y répondrai pas.
M. Fleussu. - Votre section centrale s’est occupée, messieurs, de la question qui vous est soumise ; elle a cru qu’elle ne pouvait prendre une résolution, et que la prudence commandait de s’en référer au texte même des lettres de naturalisation.
Il me semble que, dans la discussion actuelle, il y eu erreur de part et d’autre ; les uns prétendent que la loi fondamentale est demeurée en vigueur jusqu’à la promulgation de la constitution, pendant que les autres pensent qu’elle a été abrogée de fait lors des événements de Bruxelles. Dans ces opinions si diverses, il convient d’adopter une espèce de juste-milieu.
Lors d’une révolution, messieurs, toutes les dispositions du pacte fondamental incompatibles avec le nouvel ordre de choses doivent à l’instant disparaître ; toutes les autres, celles qui ne nuisent en rien au principe de la révolution, continuent à demeurer en vigueur. Si maintenant nous faisons l’application au cas qui nous occupe, nous trouverons que ce qui concernait les naturalisations dans la loi fondamentale est demeuré en vigueur.
Sur ce point, on vous a dit que le gouvernement provisoire réunissait dans ses mains tous les droits du pouvoir exécutif et du pouvoir constituant ; sans doute, mais seulement pour constituer le pays, pour prendre les mesures propres à cette constitution, pour faire une loi électorale provisoire et pour convoquer le congrès.
Je vous avoue que je suis un peu étonné de ce que j’ai entendu ; j’ai vu d’honorables membres, il y a deux jours, s’opposer fortement à ce qu’on prodiguât la naturalisation aux étrangers, qui disaient que les étrangers ne quittent ordinairement leur patrie que pour venir chercher ici des emplois. (Ce sont, je crois, les expressions dont on s’est servi.) Aujourd’hui, alors que nous désirons ne pas nous prononcer, ils viennent demander qu’on accorde la grande naturalisation in globo. Je m’étonne de cette manière de procéder. Dans le sein de la section centrale, j’étais beaucoup plus facile que ces messieurs ; à présent nous avons changé de rôle, et c’est moi qui ne veux pas accorder la grande naturalisation.
Le gouvernement provisoire, par son arrêté du 10 octobre, a décrété que, pour être électeur, il fallait être Belge, ou naturalisé, ou habitant la Belgique depuis six ans ; et, pour être éligible, être Belge, ou avoir obtenu l’indigénat. Il a ainsi établi des différences dans les naturalisations.
Je pense que la chambre, par ces motifs, s’en référera à la proposition faite par le ministre, et ne décidera pas la question.
M. Fallon. - Messieurs, je ne pense pas que ce soit sérieusement que l’on trouve des difficultés sur les effets des naturalisations que le gouvernement provisoire a concédées.
Pour apprécier ces effets, deux époques sont à considérer :
Le temps pendant lequel il s’est trouvé en possession des pouvoirs exécutif et législatif tout à la fois, et le temps où il ne s’est plus trouvé investi que du pouvoir exécutif seulement.
Le 12 novembre 1830, le gouvernement provisoire déposa ses pouvoirs dans le sein du congrès.
Le même jour, le congrès le chargea du pouvoir exécutif jusqu’à ce qu’il y soit autrement pourvu.
Avant cette époque, une seule naturalisation fut concédée, c’est celle de M. Dumont-Dumortier qui est du 5 novembre.
Toutes les autres sont postérieures au 12 novembre, au jour où le gouvernement provisoire abdiqua le pouvoir législatif.
Ainsi, de toutes les naturalisations conférées par le gouvernement provisoire, une seule a été accordée dans le temps où il exerçait à la fois le pouvoir législatif et exécutif.
Du reste, cette différence dans les dates ne semble devoir en produire aucune dans les résultats.
La raison en est qu’avant de délivrer des lettres de naturalisation, le gouvernement provisoire avait clairement manifesté la volonté de se conformer, en cette matière, aux principes de la loi fondamentale, jusqu’à l’adoption du tout nouveau système politique.
Cette intention est clairement exprimée dans son arrêté du 10 octobre 1830, organique du congrès national.
Les conditions qu’il exigea pour être électeur et pour être éligible furent différentes, et il observa scrupuleusement en ce point la distinction établie dans la loi fondamentale sur les naturalisations.
Suivant l’article 3 de cet arrêté, les conditions pour être électeurs furent d’être né ou naturalisé Belge ou avoir six ans de domicile en Belgique.
Suivant l’article 10, les conditions pour être éligible furent d’être né Belge ou avoir obtenu l’indigénat.
Le gouvernement provisoire n’a pas délivré des lettres d’indigénat, il n’a délivré que des lettres de naturalisation, Ces lettres de naturalisation n’ont en conséquence produit d’autres effets que ceux que la loi fondamentale attachait aux lettres de naturalisation délivrées sous le gouvernement précédent. Par conséquent, les étrangers, ainsi naturalisés, ne pourront jouir des avantages de la grande naturalisation que par une nouvelle concession qu’ils pourront solliciter, s’ils croient avoir des titres à l’obtention de cette haute faveur.
M. le président. - Voici un amendement de M. Fleussu :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre d’adopter la question préalable. »
M. Legrelle. - Je voulais faire la même proposition, Dans le doute où nous sommes sur ce que le gouvernement provisoire a voulu faire ; quand nous ne savons si ses intentions ont été de donner la grande naturalisation ou la naturalisation ordinaire, nous devions ne pas entrer dans l’examen de la question, parce que ce n’est pas ici une question de principe. Je ne sais pas, mais du moins on a dit qu’il n’y avait qu’une seule personne ayant obtenu des lettres avant l’installation du congrès ; mais si elle a, comme on l’assure, des titres à cette faveur, il peut renouveler sa demande ; elle ne souffrira aucune difficulté, et je voterai pour la question préalable.
M. Dubus. - Messieurs, la discussion actuelle a soulevé une foule de grandes questions, et ces questions ont toutes été traitées d’une manière différente par les orateurs qui ont beaucoup trop généralisé la question. J’observerai les faits de plus près.
On a demandé si, après que le pouvoir a été entre les mains du gouvernement provisoire, la constitution des Pays-Bas était encore en vigueur en tout ou en partie ; si elle a pu rester en vigueur sous le congrès et jusqu’à la promulgation de la constitution nouvelle ?
Quant à la première question, celle de savoir si la loi fondamentale a pu être encore en vigueur sous le gouvernement provisoire, elle me semble être résolue par les actes du gouvernement provisoire ; il a accordé l’éligibilité dans des circonstances où il eût fallu l’indigénat ; il a déclaré éligibles au congrès des personnes qui n’auraient pu être électeurs sous l’empire de la loi fondamentale. Vous voyez que ces pouvoirs étaient supérieurs à ceux qu’il fallait pour accorder la grande naturalisation.
Quant au fait en lui-même, je ne doute pas qu’en stipulant « tous les droits, » ainsi qu’ils sont stipulés dans les lettres de naturalisation du 5 novembre, ait accordé la grande naturalisation. Mais je conçois que cela puisse souffrir quelques difficultés, que cette opinion ne soit pas partagée par tout le monde, et s’il y a doute, en adoptant la proposition de M. de Mérode nous le trancherons.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - On peut les trancher par la négative.
M. Dubus, continuant.- En adoptant la proposition, tous les doutes disparaissent. On a dit que nous voulions accorder la grande naturalisation in globo, et cet in globo ne s’applique qu’à un seul individu ; et en fait, messieurs, par votre résolution vous ne pouvez accorder le droit de Belge à personne plus digne de les exercer. On a dit aussi que la personne devait réclamer ; depuis deux ans le congrès est saisi d’une demande, mais le congrès n’a pas résolu la question ; enfin je vous ferai remarquer que cet individu s’est associé à notre sort dans un moment où il y avait du danger ; il a abandonné la France où il était électeur et éligible, et est devenu Belge depuis notre révolution, tandis qu’auparavant il n’avait jamais voulu être que Français.
M. F. de Mérode. - M. Dubus a parfaitement prouvé le droit qu’avait le gouvernement provisoire d’accorder l’indigénat. Eh bien ! je considère en fait que la naturalisation complète, et sans restriction, a été dans l’intention du gouvernement provisoire à l’égard d’un homme, placé à la tête d’une industrie aussi importante que celle qu’exerce M. Dumont, lorsqu’il consentait, dans un moment très critique, à se rallier au nouveau gouvernement.
M. de Robiano de Borsbeek. - Si les membres du gouvernement provisoire attestent que leur intention été d’accorder la grande naturalisation, je ne veux pas le contester ; nous avons reconnu le droit qu’avait le gouvernement provisoire d’accorder cette grande naturalisation. Il y a ici deux de ses membres, ils peuvent déclarer que telle a été leur intention, et je voterai pour l’amendement de M. de Mérode.
Je répondrai à M. Fleussu qu’il est vrai que je suis difficile pour accorder la grande naturalisation ; aussi, puisqu’on dit que M. Dumont-Dumortier a fait une demande, il n’a qu’à la renouveler, et sans doute elle sera admise avec empressement.
M. F. de Mérode. - Messieurs, je demande à dire un mot pour me justifier du reproche de contradiction qu’on pourrait m’opposer. Lorsque j’ai parlé des naturalisations accordées par le gouvernement provisoire, je songeais à ces naturalisations prises dans leur généralité ; j’avais oublié celle qu’avait accordée le gouvernement provisoire avant la réunion du congrès ; je me suis rappelé cette circonstance particulière, et j’ai dû m’exprimer conformément à la vérité, pour maintenir devant vous des droits que je considère comme légitimement acquis.
M. Fallon. - Je partage l’opinion de M. Dubus que le gouvernement provisoire avait le pouvoir d’accorder la grande naturalisation ; mais la question n’est pas là ; il s’agit de savoir s’il a voulu donner la grande naturalisation. D’abord, je ferai remarquer que le gouvernement provisoire ne connaissait pas la grande naturalisation, il ne connaissait que l’indigénat ; et si vous prenez l’arrêté du 10 octobre 1830, vous verrez qu’il ne s’est pas mépris et a bien distingué entre la naturalisation et l’indigénat. C’est ainsi qu’il a donné l’indigénat à tous les individus domiciliés en Belgique avant 1814. Ainsi, en ne donnant que des lettres de naturalisation, il n’a voulu donner que la petite naturalisation. Il me semble, au reste, que nous ne pouvons discuter une question de personne à propos d’une loi réglementaire. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - La parole est à M. Nothomb.
M. Nothomb. - Si la chambre désire aller aux voix, je renoncerai volontiers à la parole.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question préalable, proposée par M. Fleussu.
M. Legrelle. - En votant pour la question préalable, il est bien entendu que je ne vote pas contre la proposition de M. de Mérode ? (Sans doute !)
- La question préalable est adoptée.
M. Legrelle. - Je demande l’insertion au procès-verbal que l’intention de la chambre n’est pas de se prononcer contre la proposition de M. de Mérode.
M. de Brouckere. - M. Legrelle ne peut demander l’insertion de l’opinion de la chambre.
M. d’Hoffschmidt. - L’interprétation est dans le règlement.
M. le président. - Nous allons passer au vote des articles.
- Les articles 1 et 2 sont adoptés.
M. de Nef. - Puisqu’il en est temps encore, je pense, messieurs, qu’il est essentiel de revenir sur un amendement que vous avez adopté dans l’avant-dernière séance ; je veux parler de celui proposé par l’honorable M. Marcellis, et qui consiste à exiger, outre l’âge de 23 ans, un domicile établi depuis plus de 5 ans de la part de ceux qui voudront obtenir la naturalisation ordinaire.
Les circonstances sur lesquels peuvent être fondées les demandes de naturalisation varient à l’infini ; tel n’aura résidé ici que depuis un an ou deux, et aura plus de titres à faire valoir que tel autre qui y aura résidé depuis plus de cinq ans ; cependant, d’après la disposition que je signale à votre attention, il nous sera impossible de lui accorder sa demande ; nous sommes irrévocablement liés.
On m’objectera sans doute que s’il a réellement de bons motifs à l’appui de sa demande, il pourra obtenir la grande naturalisation ; mais vous vous rappellerez, messieurs, que d’après les conditions exigées par la grande naturalisation, cette faveur ne pourra être accordée que dans des cas rares et spéciaux, et ne pourra par conséquent s’étendre qu’à très peu d’individus.
Il me semble, messieurs, que celui qui a établi son domicile en Belgique après la révolution, et dans un temps où par cela seul il se compromettrait en Hollande, a pour le moins autant prouvé son choix et son affection pour ce pays-ci, que celui qui est venir s’y établir dans un temps où il n’avait aucun risque à le faire, et où il ne perdait par là absolument rien dans le domicile qu’il quittait en Hollande, puisqu’il ne changeait pas de pays. Eh bien ! d’après l’amendement qui a été adopté, vous serez forcés ou bien d’étendre la faveur de la grande naturalisation, ce qui, certes, n’a pas été votre pensée, ou bien de rejeter par une fin de non-recevoir insurmontable des demandes fondées sur les motifs les plus plausibles ; vous serez souvent dans l’alternative, ou de violer la loi au sujet de la grande naturalisation, ou de commettre une injustice ou une ingratitude.
Enfin, messieurs, je vous soumettrai encore une dernière considération. Vous savez tous que surtout la province du Brabant septentrional renfermait, à l’époque de la révolution, un nombre immense d’habitants dont le patriotisme et le dévouement pour la Belgique étaient sans bornes ; plusieurs ont abandonné leur ancien domicile, l’ont transféré en Belgique irrévocablement, et s’étant ainsi compromis chez eux, n’ont conservé aucun espoir de retour.
Quelle sera leur position ? Ils ne pourront obtenir la grande naturalisation, faute de pouvoir satisfaire aux conditions rares et impérieusement exigées à cet effet ; ils ne pourront obtenir la naturalisation ordinaire, se trouvant impitoyablement repoussés par l’amendement dont s’agit, et d’un autre côté ils ne peuvent retourner dans leur précédent domicile, sans s’exposer à y être abreuvés de vexations de toute espèce pour avoir eu le tort irrémissible d’avoir voulu se joindre aux Belges...
Ces considérations me paraissent plus que suffisantes pour motiver le retrait pur et simple de l’amendement de M. Marcellis, et nous laisser par là une entière liberté dans l’application des motifs et des circonstances, variées à l’infini, qui pourront être alléguées par les réclamants.
M. de Robiano de Borsbeek. - Je ne puis partager l’opinion de M. de Nef : il y a sans doute des émigrés hollandais dont je respecte le malheur, mais il n’est pas démontré que tous ceux qui ont quitté la Hollande soient dignes de la naturalisation belge. Ils pourront attendre encore deux ans et demi, La naturalisation ordinaire confère des droits suffisants ; elle permet d’être officier, bourgmestre, etc. Il ne faut pas supprimer les garanties que présente l’amendement. C’est une mesure de prudence.
M. Marcellis. - Quand on fait une loi, on procède par dispositions générales. Mais en faisant la règle générale il arrive presque toujours que l’on commet une légère injustice pour quelques espèces exceptionnelles.
On s’en console en statuant pour les cas les plus nombreux. La règle que j’ai proposée et qui a été promptement admise…
- Plusieurs membres. - Elle n’a même pas été discutée.
M. Marcellis. - Cette règle qui a été promptement admise, peut se modifier de manière à satisfaire les réclamations de M. de Nef. Qu’il rédige une proposition en conséquence. Mais il est impossible d’admettre la suppression totale de l’amendement.
M. Mary. - L’amendement n’a pas été discuté ; c’est pour cela qu’il faut le discuter maintenant et le repousser. Messieurs, souvenons-nous que dans un temps peu éloigné, nous avons été heureux d’admettre un étranger que nous avons mis à la tête du ministère de la guerre.
Je demande que l’on rejette tout délai, toute condition matérielle pour obtenir la naturalisation.
M. le président. - M. de Nef demande le rejet de l’amendement de M. Marcellis.
M. Nothomb. - Je demande aussi le rejet de cet amendement. L’auteur de l’amendement a dit lui-même que tel individu, qui prétendra à la naturalisation, sera dans une position singulière : il sera impossible de lui accorder la grande et, d’un autre côté, vous ne pourrez pas lui accorder la petite, une condition matérielle manquant. Pouvez-vous à ce point entraver la législature présente et les législatures à venir ? Je ne sais pas pourquoi on prend des précautions contre la législature.
Qu’on ne perde pas de vue que la naturalisation ne doit être conférée que par le pouvoir législatif ; que ce n’est pas un arrêté rendu à huis-clos, escamoté dans un bureau, qui apprendra que tel ou tel est devenu Belge et fonctionnaire public.
Si on nous présente des hommes comme candidats à des places publiques, nous empêcherons bien les abus.
Je regarde de plus l’amendement comme inutile, parce que le pouvoir législatif sera toujours là pour mettre des entraves aux inconvénients qui pourraient résulter de la naturalisation. Je demande donc la suppression de l’amendement.
M. Dumortier. - Les observations de M. de Nef m’ont fortement touché. J’éprouve la plus vive sympathie pour les habitatns du Brabant septentrional ; je regrette qu’ils n’aient pas pu comme nous secouer le joug du tyran Guillaume. Je proposerai l’amendement suivant : « Néanmoins, cette condition de 5 années de domicile ne sera pas requise pour les réfugiés du Brabant septentrional. » Pour admettre cet amendement, j’en appelle à tous vos sentiments patriotiques.
M. Marcellis. - L’amendement de M. Dumortier rentre dans le sens des observations que j’ai eu l’honneur de vous soumettre. J’ai posé une règle générale ; on peut la faire fléchir devant la justice de quelques exceptions.
M. Fleussu. - C’est la législature qui donne la naturalisation grande ou petite ; pourquoi voulons-nous la lier et la placer dans l’impossibilité de donner la naturalisation à une personne qui pourrait la mériter et être fort utile ?
Je demanderai des exceptions pour la Flandre zélandaise, pour les provinces rhénanes, pour tous ceux qui nous entourent. N’entravez pas la législature ; l’abus est impossible. Dès qu’il est impossible, toute précaution est inutile et embarrassante. Je voterai pour la proposition de M. de Nef.
M. de Brouckere. - Ce que l’on dit maintenant prouve tout ce que j’ai dit dans les séances précédentes, c’est que la loi est inutile. Le législateur se dégagera de toutes les conditions que vous poserez. Cette considération suffira pour me faire rejeter la loi.
M. Dubus. - On a répliqué à l’argument que vient de reproduire l’honorable préopinant : on lui a répondu d’une manière invincible qu’autre chose était de poser d’une manière générale des questions et de traiter des questions de personnes. Je crois que nous devons exiger des conditions, et des conditions qui donnent des garanties d’attachement pour le pays.
- La chambre, consultée, clôt la discussion.
L’amendement de M. Dumortier mis aux voix est rejeté.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Avant de mettre aux voix le rejet de l’amendement de M. Marcellis, je ferai observer qu’il renferme une condition d’âge qu’il faut conserver.
Par la condition d’âge, on exige que le naturalisé ait 23 ans accompli.
- Cette condition mise aux voix séparément est adoptée.
La condition du domicile pendant cinq années, pour avoir la naturalisation, est mise aux voix. La première épreuve est douteuse. Une seconde épreuve est également douteuse.
On procède à l’appel nominal : 61 membres sont présents.
23 votent la conservation de l’amendement.
38 votent le rejet.
En conséquence la condition du domicile est écartée.
La condition d’âge est ajoutée à l’article.
M. le président. - Nous allons nous occuper de l’article par lequel on exige un droit de 600 fr. au moins et de 1,200 fr. au plus, à fixer par le gouvernement.
M. Legrelle. - Je connais des employés qui sont originaires du Brabant septentrional ; ils remplissent de modestes emplois dans les douanes ; ils ne pourront pas payer 600 fr. Il faudra qu’ils cessent leurs fonctions et qu’ils retournent sous la domination hollandaise. Je propose que le montant du droit soit mis à 200 fr.
M. Fallon commence à développer l’opinion de la section centrale sur cet article ; mais il est quatre heures et demie ; les membres quittent la salle et la chambre n’est plus en nombre pour délibérer.
- La séance est levée, et la discussion est continuée à demain.