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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 mars 1833

(Moniteur belge n°75, du 16 mars 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Jacques fait l’appel nominal à une heure.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, la rédaction en est adoptée.


Par arrêté royal, transmis à la chambre par M. le ministre de la guerre, le général de brigade Nypels, et l’intendant militaire de Bassompierre, sont nommés commissaires du Roi pour soutenir la discussion du budget de la guerre sur le pied de guerre.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1833

Rapport de la section centrale

M. Brabant, rapporteur de la section centrale, qui a été chargée de l’examen du budget de la guerre, est appelé à la tribune. Il prononce l’improvisation suivante. - Messieurs, le gouvernement nous avait demandé un crédit de 73 millions de francs, pour fournir aux besoins de l’armée et du matériel de guerre pendant l’année 1833.

Les sections ont réclamé de nombreuses réductions. Votre section centrale vient aujourd’hui vous en proposer de plus fortes encore, et je suis heureux de pouvoir vous annoncer que M. le ministre de la guerre a donné son assentiment à la plupart d’entre elles. J’entre en matière. (Note du webmaster : l’orateur entre ensuite dans le détail des mesures, chapitre par chapitre. Cette partie de son discours n’est pas repris dans la présente version numérisée. Il se termine ainsi :) Je terminerai en vous indiquant la somme totale des réductions qui ont été opérées : 6,642,373 fr. 51 cent.

Nous avons l’assentiment de M. le ministre de la guerre pour la plus forte partie de cette somme.

Le nouveau tableau sera imprimé, et servira de projet de loi dans le cas où M. le ministre de la guerre s’y rallierait. J’ai dit.

M. le président. - Le rapport et les tableaux y annexés seront imprimés et distribués.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre ; je réitère la proposition que j’ai faite : avant la discussion de tous les budgets, il faut une discussion générale. On ne peut soutenir que cette discussion ne soit dans l’esprit de notre gouvernement ; je m’oppose donc de toutes mes forces que l’on fixe aujourd’hui un jour pour la discussion du budget de la guerre, et je demande l’ajournement de cette fixation.

M. Fleussu. - L’ajournement jusqu’à ce que tous les rapports sur les budgets soient présentés.

M. de Brouckere. - Je réclame un simple ajournement indéfini.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - - Si on ajourne indéfiniment la discussion du budget de la guerre, je serais dans le cas de demander un crédit provisoire pour le mois d’avril. Les autres départements ministériels se trouveront dans la même obligation. C’est un grand inconvénient pour la comptabilité : rien ne peut être régularisé en marchant ainsi.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Ce que réclame M. de Brouckere est entièrement dans le vœu, dans l’esprit du moins, de la constitution, et conforme aux usages de tous les gouvernements représentatifs. Je ne viendrai certainement pas contester ces principes ; je vais plus loin, non seulement il devrait y avoir une discussion générale embrassant les budgets de tous les départements, mais je dis de plus que la discussion des dépenses devrait précéder la discussion des voies et moyens ; j’espère, si des circonstances imprévues n’y mettent obstacle, et si nous sommes encore au pouvoir, que le gouvernement s’empressera d’apporter cette régularité dans la discussion des lois de finances, régularité que nous n’avons pu introduire jusqu’ici par l’effet d’une véritable force majeure.

Oui, messieurs, ce que demande le préopinant est de toute convenance, de toute justice ; mais, je le demanderai, n’y a-t-il pas des circonstances indépendantes de la volonté du gouvernement, comme de la volonté des chambres, devant lesquelles doivent fléchir des principes que personne ne conteste ?

Si la proposition était adoptée, voici ce qui arriverait : Le ministre de la guerre et tous les autres ministres devraient vous demander encore pour un mois ou deux des crédits provisoires.

Voyez, pendant cet atermoiement, quelle sera la position financière du pays, quelle sera la position de tous les comptables, de tous les employés : ils seront tourmentés par une incertitude complète sur le sort qui les attend, sur la quotité de leur traitement, sur les réductions auxquelles ils essaieraient peut-être de se porter d’eux-mêmes dans l’incertitude dont ils sont environnés.

Je soumets ces considérations à la chambre. Nous sommes ici sans intérêt ministériel proprement dit ; nous ne sommes mus que par l’intérêt du pays et le désir d’assurer une marche régulière à l’administration. Je prie la chambre, tout en reconnaissant la vérité du principe, de se demander si, ayant égard à des circonstances qu’il n’a pas dépendu de nous de prévenir, elle ne fera pas une dernière exception à la rigueur du principe rapporté par M. de Brouckere, si elle ne consentira pas à convertir en plusieurs projets de loi la discussion des dépenses.

Remarquez encore qu’il ne dépend pas de la chambre, quelque accélération qu’elle apporte dans ses travaux, de mettre le gouvernement à même de disposer des crédits définitifs qu’elle allouera ; il faut que les lois de finances soient soumises au sénat ; et, par la discussion générale et indivisible des budgets, le sénat ne pourrait, de plusieurs mois peut-être, prendre part à la discussion de ces lois ; et lorsqu’elles lui seraient présentées, il lui serait impossible de les examiner avec maturité ; sa discussion serait véritablement illusoire ; elle se réduirait à une sorte d’enregistrement.

Nous parlons ici dans l’intérêt des services et non dans celui des ministres, pour lesquels la question a très peu d’importance.

M. A. Rodenbach. - Le budget de la guerre a été présenté à part ; je crois que, sans inconvénient, on pourrait le discuter à part. Ce budget est pour le temps de guerre ; il est vrai que les budgets pour le pied de paix devraient être discutés les premiers ; mais il faudra un grand mois pour les discuter. Je demanderai si le travail des sections sur les budgets est achevé et si la section centrale prépare le sien.

M. le président. - La section centrale se réunit tous les jours ; hier à dix heures du soir, elle travaillait encore. Elle en est au budget du ministre des finances.

M. A. Rodenbach. - Je propose formellement de discuter le budget de la guerre séparément.

M. de Brouckere. - M. le ministre de la justice convient que ma proposition entre entièrement dans le vœu de la constitution, qu’elle est de toute convenance, de toute justice ; qu’elle est conforme aux usages reçus dans tous les gouvernements représentatifs.

Après un tel aveu, je m’étonne que l’on demande de déroger à ce qui l’on convient être dans l’esprit de la constitution, et conforme aux usages dont nous ne devons pas nous écarter.

On fait valoir des circonstances extraordinaires. Je n’examinerai pas jusqu’à quel point on aurait pu prévenir la position dans laquelle on nous a placés ; mais je ne vois pas un grand inconvénient à ce que nous votions des crédits provisoires au ministre de la guerre.

Ce vote sera moins dangereux que les votes émis jusqu’à présent, car nous aurons pour base le rapport de M. Brabant, rapport qui propose beaucoup d’économies auxquelles le ministre adhère en grande partie. Il n’y aura pas grand inconvénient à accorder pour le mois d’avril un crédit d’un douzième.

Il y aurait, au contraire, de graves inconvénients à discuter le budget de la guerre hors de cause. Quand nous commencerons une discussion sur l’ensemble des budgets, si celui de la guerre était voté, le ministre se tiendrait en dehors du gouvernement. Et déjà les ministres l’ont mis en dehors de la discussion. C’est un point que je désire traiter à fond lors de la discussion générale des lois de finances. Vous vous rappelez que le ministre de la justice a dit que le ministre de la guerre ne faisait pas partie du conseil des ministres et actuellement on le veut mettre adroitement en dehors de la discussion politique.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je ne sais si j’ai mis de l’adresse dans les observations que j’ai présentées ; je crois n’y avoir apporté que de la franchise et de la loyauté parlementaires. Je pense que la chambre n’admettra pas les interprétations données à mes paroles par l’honorable préopinant.

J’ai rappelé un principe qui m’est aussi connu qu’à cet honorable membre ; mais dépend-il du gouvernement belge d’être dans une position tout à fait normale, d’être dans la position du gouvernement anglais, du gouvernement français et du gouvernement français comme il marchait, sous le rapport financier, avant la révolution de 1830 ; car depuis il a dévié de cette marche régulière ; il a, par exemple, demandé des douzièmes et des crédits provisoires, et cette déviation a été sanctionnée dans la session dernière et dans la présente par les chambres législatives. Cependant, en France, l’on se connaît aussi en gouvernement représentatif.

Ainsi, messieurs, reconnaissons les principes, mais reconnaissons en même temps qu’un pays peut se trouver dans des circonstances où des déviations sont inévitables.

Remarquez, pour rentrer dans le cas dont nous nous occupons, que c’est sans inconvénient que vous séparerez la discussion du budget de la guerre de la discussion des autres budgets. Certainement, la discussion du budget de la guerre est bien moins politique que celle des autres budgets.

C’est à ce point que, condamnât-on l’administration tout entière, beaucoup de bons esprits, eu égard aux circonstances, hésiteraient à rejeter le budget de la guerre ; ils hésiteraient moins à rejeter les autres budgets alors même que ce résultat devrait entraîner la retraite du personnel de l’administration. Le refus du budget de la guerre peut porter un préjudice irréparable au pays, Ayant à voter, et à voter politiquement, la chambre sera plus libre si elle vote séparément sur le département de la guerre. Politiquement, le ministère aurait intérêt à ce que le crédit de la guerre fût réuni aux autres budgets et devînt l’objet d’un vote unique. Je vous parle dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt des services publics, avec franchise et sans viser à de l’adresse.

M. A. Rodenbach. - S’il s’agissait d’un budget ordinaire, tout ce qu’a dit M. de Brouckere serait juste ; mais il s’agit d’un budget extraordinaire, et il doit être voté extraordinairement. Je crois qui nous devons avoir une armée forte, et que nous devons nous en occuper.

M. Angillis. - Nous n’avons qu’un seul budget, divisé en autant de parties principales qu’il y a de ministères. Lorsqu’on discute les budgets de l’Etat, on doit suivre la marche du gouvernement constitutionnel, ou discuter toutes les portions du grand budget. C’est dans l’ensemble du budget qu’on doit voir si le même esprit d’ordre, de méthode, d’économie, a présidé à la rédaction du grand bilan de l’Etat. C’est ainsi qu’on peut comparer les dépenses dans les rapports qu’elles peuvent avoir entre elles, et qu’on examine ce tableau de toute nos ressources et de toutes nos charges.

En les balançant, on se forme une opinion générale et spéciale, et sur la marche de l’administration, et sur l’emploi des deniers de l’Etat.

Les dépenses examinées dans leur ensemble s’éclairent les unes par les autres ; tandis qu’en examinant séparément, elles sont obscures. Je pense donc qu’il faut adopter la proposition de M. de Brouckere.

M. Dubus. - La question telle qu’elle a été posée par les honorables préopinants nous place entre deux inconvénients dont elle nous laisse le choix. Nous devons alors choisir l’inconvénient le moindre.

D’une part il faudrait discuter et voter le budget de la guerre avant la discussion générale des autres budgets : d’une autre part, il faudrait voter de nouveaux crédits provisoires pour la guerre, et peut-être pour les autres services généraux, en attendant que la discussion générale sur les budgets soit devenue possible.

Je préfère, et de beaucoup, discuter maintenant le budget de la guerre, avant d’entamer la discussion générale sur les lois de finances. L’inconvénient le plus grave me paraît celui d’accorder de nouveaux crédits provisoires. Je me prononcerai donc pour la discussion la plus rapprochée.

J’examinerai s’il n’est pas possible de concilier les diverses opinions. Pourquoi ne pourrait-ou pas établir une discussion générale sur les budgets avant que les rapports de la section centrale nous aient été présentés ? Est-il certain que ces rapports fourniront des éléments fort utiles pour la discussion générale ? Je ne le crois pas

J’ai vu les rapports des sections, parce que je suis de la section centrale ; eh bien, les observations ne portent que sur des objets de détail, sur des chiffres. Aucune observation ne peut s’appliquer aux grandes questions relatives à la discussion générale. Ainsi je ne vois pas le moindre inconvénient à fixer un jour pour la discussion générale.

Si nous attendions, pour discuter le budget de la guerre, que tous les rapports aient été présentés, il s’écoulerait du temps encore. Les rapporteurs sont bien nommés, mais la section centrale ne termine sur rien son travail. Sur tous les budgets des renseignements ont été demandés aux ministres, et d’après ces renseignements, qui ne sont pas tous fournis, des résolutions seront prises par la section centrale.

An budget de l’intérieur le chapitre des travaux publics est encore à faire, La section centrale attend des documents.

J’appuierai la proposition de M. Rodenbach.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Des propositions ont été faites par le ministre de l’intérieur pour les travaux publics dans le budget présenté aux chambres ; mais la discussion de la loi sur les barrières pouvait entraîner des résultats qui eussent nécessité de grands changements dans ces propositions. C’est ce qui a déterminé le ministre à demander au président de la section centrale qu’on suspendît l’examen du chapitre des travaux publics à l’intérieur. Le ministre attend le vote du sénat pour savoir s’il aura à présenter de nouveaux articles dans ce chapitre relativement aux routes de seconde classe.

Quant à la discussion générale des budgets, le gouvernement ne s’y opposera pas. Il ne s’agira pas de chiffres dans cette discussion. On peut donc y passer immédiatement, discuter ensuite le ministère de la guerre, puis successivement les budgets des autres départements.

M. le président met aux voix l’ajournement de la discussion du budget de la guerre.

- Cet ajournement est rejeté.

M. de Brouckere. - Je demanderai maintenant si la discussion générale aura lieu avant la discussion du budget de la guerre, ou bien si nous voterons le budget de la guerre, et si ensuite nous aborderons la discussion générale de tous les budgets avant de les débattre séparément.

M. Mary. - Je pense que d’après les usages de la chambre, il y a toujours une discussion générale sur chaque budget ; je crois que la question mise en avant par l’honorable préopinant pourra être résolue après le budget de la guerre.

Nous devrions imiter un peuple voisin et discuter les affaires générales du pays lors de la discussion du budget du ministre des affaires étrangères ; mais je crois que nous ne devons pas entraver la discussion du budget de la guerre en commençant par la discussion générale.

Je demande que l’on décide à quel jour on fixera la discussion du budget de la guerre. La chose est extrêmement importante.

M. Dumortier. - Je ne sais si le préopinant a une idée bien nette du budget de l’Etat. Le budget de l’Etat est un compte de dépenses d’une part et un compte de recettes de l’autre. On ne peut pas séparer ces deux comptes. Il faut que vous fassiez équilibrer vos recettes avec vos dépenses, sans quoi vous marchez à la ruine du crédit public, à la ruine de l’Etat.

On a dit que la discussion générale n’avait qu’un but politique. C’est une erreur : il y a sans doute une question politique dans l’examen général des budgets, mais il y a indépendamment de la question ministérielle une question de chiffres, une question de haute finance. Si vous ne procédez pas à la discussion générale, vous serez dans le cas d’un particulier qui examinerait ses dépenses, les trouverait exactes, mais qui ne verrait pas si ses recettes les balancent.

J’ai voté pour la proposition de M. de Brouckere, parce que je crois préférable d’accorder un crédit provisoire à l’inconvénient de renouveler la loi de finances ; mon opinion a été écartée, mais nous devons demander que la discussion générale précède la discussion partielle des budgets des autres départements.

Le gouvernement, en présentant les lois de finances, a présenté deux lois différentes : par la première de ces lois les ministres sont autorisés à faire les dépenses pour les temps ordinaires ; vous ne pouvez la scinder ; par la seconde on considère le pied de guerre et l’on examine les dépenses qu’il exige.

On ne peut donc scinder le, budget des dépenses ordinaires en autant de discussions qu’il y a de ministères : cette division serait inexplicable. Quant à moi, je fais la motion formelle qu’avant de discuter un budget spécial, il faut une discussion générale.

C’est une chose fâcheuse que la position où la chambre se trouve vis-à-vis des budgets. L’année dernière les budgets avaient été remis à temps ; la discussion a été ouverte dans les premiers jours de février. Cette session, si le ministre nous avait remis les budgets au mois de décembre, nous aurions pu commencer leur discussion beaucoup plus tôt. Le ministre de la justice vient de dire que ce sont les circonstances qui ne lui ont pas permis de présenter les budgets : mais pourquoi n’avez-vous pas déposé les lois de finances sur le bureau de la chambre lors de la séance royale ? Si les budgets ne sont pas encore votés, la faute en est au ministère.

M. de Brouckere. - Le ministère vient de remporter une victoire en obtenant qu’on discutera un budget à part des autres. S’il pouvait obtenir qu’il n’y aura pas de discussion générale sur les budgets, ce serait encore une autre victoire ; mais ils ont trop le sentiment des convenances pour le vouloir ainsi que le propose M. Mary, plus ministériel que les ministres eux-mêmes. Si l’honorable M. Mary avait voulu se rappeler ce qui s’est passé l’année dernière, ce qui se fait dans tous les gouvernements représentatifs, il saurait qu’il y a sur chaque budget une discussion générale, mais qu’il y a encore une discussion générale sur tous les budgets pris ensemble, c’est-à-dire, sur la marche du gouvernement. S’il s’était rappelé cela, il aurait vu que ces deux discussions générales sont différentes.

J’ai eu donc grandement raison de penser à la question de savoir si vous voulez que la discussion générale, indispensable selon moi, ait lieu avant la discussion du budget de la guerre, ou si vous voulez que nous discutions le budget de la guerre isolément et que nous remettions la discussion générale avant tous les autres budgets. Il faut décider cette question.

Je ne sais si M. Mary a un travail préparé sur tous les budgets ; je n’ai pas la faculté d’improviser sur des matières si diverses avant de les avoir étudiées. Tous les membres doivent savoir quand aura lieu la discussion générale afin de pouvoir se préparer ; je prie la chambre de décider si la question générale aura lieu avant la discussion du budget de la guerre, ou si elle n’aura lieu qu’avant la discussion des autres budgets.

M. Fleussu. - J’appuie la proposition faite de faire précéder la discussion du budget de la guerre d’une discussion générale ; l’Etat n’a qu’un seul budget, quoique la discussion générale ne se trouve pas écrite dans la constitution en lettres formelles, elle y est implicitement écrite, puisque la constitution rend les ministres solidaires. Les ministres doivent se surveiller réciproquement ; or, cette solidarité n’existerait plus si l’on adoptait le budget d’un département et si l’on rejetait les autres. Un orateur a dit que peut-être nous ferions mieux d’imiter un peuple voisin, et de traiter la question politique, en discutant le budget des affaires étrangères ; mais si on procédait ainsi, on diviserait la solidarité ministérielle et tout pèserait sur un seul ministre. Cela ne peut pas être.

Il est évident que les sections et la section centrale ne s’occupent ni de la question politique, ni de la question ministérielle. Les sections ne s’occupent que des chiffres : vous verrez en effet que les sections ont fait des observations sur les traitements et sur les dépenses qu’on pourrait retrancher, et rien de plus. Vous pouvez donc dès à présent combiner entre eux les budgets et les soumettre à une discussion générale.

Dans cette discussion générale chacun de nous pourra traiter tel point qu’il jugera convenable ou qui aura frappé plus particulièrement son attention.

Je demande que la discussion générale précède la discussion du budget de la guerre.

M. Mary. - Je n’ai pas voulu écarter la discussion générale. J’ai dit que l’on faisait une demande oiseuse. On soutient que dans tous pays il y a une discussion générale ; eh bien, les faits sont contraires à l’assertion : dans tous les pays constitutionnels nous voyons que la discussion générale n a pas eu lieu. En Angleterre les budgets ont été présentés séparément. En France il n’y a pas eu discussion générale. Ce n’est qu’à l’occasion du budget des affaires étrangères qu’on a soulevé des questions générales ; je crois, messieurs, que lorsqu’on sera arrivé au moment de discuter le budget, on pourra voir s’il convient de traiter généralement les lois de finances.

M. A. Rodenbach. - Je pense que plusieurs de mes collègues n’ont pas bien conçu ma pensée. J’ai demandé une discussion extraordinaire sur un budget extraordinaire, mais je n’ai pas dit qu’on n’élèverait pas des questions générales. Quant à moi je ne me sens pas assez d’audace parlementaire pour oser refuser le budget de la guerre avec les circonstances politiques où nous sommes. Mais il est possible que je refuse mon vote à quatre ou cinq autres budgets si on ne fait pas droit à de griefs fondés.

M. Marcellis. - Je demande que l’on procède à la discussion spéciale du budget de la guerre. Cette discussion ne devra être qu’une discussion de chiffres.

Plus tard nous procéderons à une discussion générale ; et je ne vois pas, les chiffres étant réglés, la nécessité d’exclure le département de la guerre de cette discussion générale.

Il me semble que la discussion générale sera plus complète quand le chiffre de la guerre sera arrêté.

Il y a une considération qui domine sur tout ; c’est qu’il ne faut pas que l’ennemi nous dérange pendant nos discussions. L’Angleterre, qu’on nous propose d’imiter, a la mer et ses vaisseaux qui protègent ses discussions.

Il faudra peut-être, si non voulons naturaliser chez nous la constitution anglaise, la modifier d’après les circonstances bien différentes dans lesquelles nous nous trouvons, d’après notre voisinage continental. Il y a des gens qu’il faut écarter avant tout.

Je demande donc que la discussion générale ait lieu après la discussion du chiffre du budget. (Mouvements divers dans l’assemblée.)

Il paraît que je ne me suis pas bien exprimé.

Quand je demande que nous ne soyons pas dérangés ici, j’entends qu’il faut écarter les ennemis du dehors. C’est tout ce que j’ai voulu dire. (Bien ! bien !)

M. Dumortier. - On ne peut pas établir une discussion générale quand nous ne connaissons rien. Vous ne pouvez pas examiner les budgets sans les rapports. Je demande que la discussion générale ait lieu avant la discussion de la seconde loi des finances, c’est-à-dire avant les budgets ordinaires.

Le budget de la guerre sur le pied de guerre est la première loi.

M. A. Rodenbach. - Que le budget extraordinaire de la guerre soit discuté extraordinairement.

M. le président. - La chambre a décidé que le budget de la guerre serait discuté séparément ; maintenant il faut savoir si la discussion générale aura lieu avec la discussion de ce budget.

M. de Brouckere. - Dans le cas où la discussion générale n’aurait pas lieu avec le budget de la guerre, elle aura lieu avant la discussion des autres lois de finances.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’ajournement de la discussion générale avant la discussion des budgets autres que le budget de la guerre sur le pied de guerre.

- La première épreuve est douteuse.

La seconde épreuve par assis et levé est également douteuse.

On passe à l’appel nominal : 74 membres sont présents : 40 votent l’ajournement de la discussion générale avant les budgets sur le pied de paix ; 34 votent contre.

En conséquence la discussion générale sur le budget est ajournée jusqu’au moment de la discussion des budgets ordinaires, comprenant le budget de la guerre sur le pied de paix.

Ont voté pour : MM. Berger, Boucqueau de Villeraie, Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Robiano de Borsbeek, de Roo, de Sécus, Desmaisières, de Theux, Dewitte, Dumortier, Duvivier, Ernst, Fortamps, Goblet, Hye-Hoys, Jacques, Lardinois, Lebeau, Levae, Marcellis, Mary, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rouppe, Ullens, Vanderbelen, Verdussen, Vilain XIIII, Zoude, Raikem.

Ont voté contre : MM. Angillis, Brabant, Coghen, Coppens, Dams, de Brouckere, de Haerne, de Laminne, Deleeuw, de Meer de Moorsel, de Nef, de Renesse, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Tiecken de Terhove, d’Huart, Domis, Donny, Dubus, Fallon, Fleussu, Jonet, Milcamps Osy, Pirmez, Raymaeckers, Speelman, Thienpont, Vandenhove, Vergauwen, Verhagen, Watlet.

M. Osy. - Je demanderai si l’on pourra discuter les affaires extérieures à propos du budget de la guerre. (Oui ! oui ! Non ! non !)

M. A. Rodenbach. - C’est une condition sine quasi non. Nous aurons toujours la liberté de faire des interpellations diplomatiques.

M. de Brouckere. - Je ne puis pas admettre ce que vient de dire l’honorable M. Rodenbach, car son système tendrait à faire deux discussions. Vous venez, messieurs, de décider, contre mon opinion et contre celle de plusieurs de mes collègues, que la discussion politique est remise, et que le budget de la guerre sera discuté séparément. La discussion ne pourra donc rouler que sur l’administration de la guerre et sur tout ce qui s’y rattache, et non pas sur la question politique.

M. Fleussu. - Pas même sur la question de savoir si nous avons besoin d’une armée ?

M. de Brouckere. - Vous discuterez cela si vous le voulez : quant à moi, je ne vois pas qu’il y ait aucun doute sur ce point.

M. A. Rodenbach. - La chambre en tout temps peut faire des interpellations politiques. Je puis le faire à propos d’un projet de barrières, d’une loi de finances, comme du budget de la guerre. Il n’y a aucun article du règlement qui s’y oppose.

M. Deleeuw. - Je désirerais qu’on se fixât sur ce qu’on entend par discussion générale. Est-ce de pouvoir s’occuper, en discutant le budget de la guerre, de l’administration des autres départements ministériels ? Je crois que non, d’après la décision qui vient d’être adoptée. Mais je prie cependant la chambre de faire une distinction importante : il est impossible de discuter le budget de la guerre, sans entrer dans des considérations politiques.

Sur la proposition de M. le président, la chambre décide qu’elle attendra l’impression du rapport et des pièces pour fixer le jour de la discussion du budget de la guerre.

Projet de loi relatif aux droits sur les céréales

Discussion générale

L’ordre du jour est la suite de la discussion générale sur le projet de loi relatif à l’exportation des céréales.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, hier au sortir de la séance, j’ai fait imprimer des tableaux, qui, je l’espère vous auront été distribués. Vous aurez remarqué que par une erreur typographique un de ces tableaux désigne en florins des prix qui doivent être désignés en francs.

Avant de répondre aux diverses objections qui se sont élevées contre le projet du gouvernement, je devrai d’abord rétablir les faits. Le gouvernement a été amené par des réclamations émanées de cette chambre et par des pétitions, à faire cesser un état de choses qui compromettait les intérêts de l’agriculture, et d’abord à lever l’interdiction du gouvernement provisoire qui empêchait la sortie des grains indigènes. Tel a été le but de son projet de loi.

Sous ce rapport la section centrale est tout à fait d’accord avec le gouvernement ; elle veut aussi que l’exportation des grains soit libre ; elle est même d’accord aussi quant au droit de transit. Elle diffère seulement du système que nous proposons, en ce point qu’elle veut remplacer le très léger droit d’entrée de notre projet par un impôt, et à cet égard le gouvernement n’a pas cru pouvoir se rallier à son opinion, parce qu’il a pensé que l’établissement de cet impôt donnait à la question une importance qui exigeait de sa part de sérieuses réflexions et la recherche de nouveaux renseignements.

La chambre aura à choisir entre les deux projets qui lui sont présentés. Puis restera encore un système juste-milieu en quelque sorte, à savoir si le droit proposé par la section centrale ne pourra pas être ramené par une diminution vers le taux du gouvernement. Dans tous les cas, si c’est le système de la section centrale qui obtient la majorité, le gouvernement aura à examiner s’il doit lui donner sa sanction et le soutenir dans le sénat.

Ceux qui appuient le projet de la section centrale argumentent surtout de la détresse actuelle de notre agriculture. Nous avons déjà répondu à cette assertion qu’une première satisfaction avait été donnée à l’agriculture, par l’adoption d’une loi présentée et défendue comme devant servir ses intérêts. En second lieu j’ai fait hier une observation dont vous aurez pu apprécier la justesse ; j’ai dit que le taux actuel du prix des céréales, bien qu’inférieur à celui des années 1831 et 1832, était cependant supérieur au taux de 1818 à 1829. Or, à moins d’admettre que pendant tout cet espace de temps l’agriculture a été dans la détresse, vous reconnaîtrez que le prix actuel des grains ne vous donne pas le droit de prétendre qu’il est nécessaire de protéger cette industrie par des moyens qui n’existaient pas en 1831 et 1832.

On veut, dit-on, faire hausser le prix des grains en rétablissant le tarif qui était en vigueur en 1830, et c’est précisément sous le régime de la libre importation des céréales qui a duré pendant les années 1831 et 1832, que les grains ont atteint ce prix excessif, auquel je ne pense pas qu’ils pourront se soutenir. Il est loin de ma pensée de dire que ce fait soit le résultat de la libre importation, mais je veux établir que cette liberté d’importation n’a pas amené la baisse de nos céréales.

Maintenant a-t-il été prouvé que cette baisse doit aller en continuant ? Nullement. C’est ce que peuvent croire les agriculteurs et les spéculateurs, mais c’est ce qui paraîtra plus douteux au gouvernement qui doit prendre également sous sa protection, et l’agriculture et le commerce, et surtout une classe importante dont on a peu parlé, la classe la plus nombreuse, celle des consommateurs.

Messieurs, si plus tard il est bien établi que le prix des céréales doit subir une baisse permanente, je conçois qu’alors on sente la nécessité d’en revenir à des droits protecteurs. Mais jusqu’ici le gouvernement ne pouvait pas venir vous proposer un tarif dont on ne sentait pas la nécessité pour les intérêts de l’agriculture. Si cette dépréciation continuait assemblés pour longtemps encore, vous pourrez admettre la partie du système de la section centrale qui aura été ajournée, et vous aurez alors d’excellentes raisons à en donner au commerce et aux consommateurs. Alors il sera facile de vous présenter, non pas une de ces longues lois, comme semble les affectionner M. Angillis, mais une loi de quelques articles, car ce n’est pas à l’étendue d’une loi qu’il faut mesurer son utilité. Je vous rappellerai que les décisions bienfaisantes, les principes généreux proclamés par le gouvernement provisoire avec l’assentiment du pays, sont presque tous conçus en quelques lignes.

L’honorable M. Dumortier, en transportant la chambre sur les bords du Volga, s’est attaché à démontrer que difficilement, avec le maintien du droit actuel, nous pourrions soutenir la concurrence des céréales russes, Il a fait observer, en calculant tous les frais ajoutés au prix brut des grains venus de Russie, que l’hectolitre de froment rendu en Belgique ne coûterait que 10 francs. Il s’en suivrait que, dans le système de M. Dumortier, ce ne serait pas un droit de 2 francs, mais de 5 et 6 francs par hectolitre qu’il faudrait mettre sur les grains du Nord, sans que les nôtres pussent encore rivaliser avec avantage. Or ce ne serait pas seulement le tarif de 1830 qu’il faudrait rétablir, il faudrait en tripler le droit.

En second lieu, l’honorable M. Dumortier a découvert que le gouvernement ne s’était pas rendu un compte exact de son projet, en ce qu’il avait établi un droit égal pour l’entrée et pour le transit. Ne voyez-vous pas, a-t-il dit, que si les deux droits sont égaux, nécessairement le transit tombera et qu’on s’attachera exclusivement à l’importation ?

Messieurs, cette circonstance se présente pour un assez grand nombre d’objets tarifés. On dit qu’on ne déclarera plus les grains au transit. Je pense que c’est une erreur. On continuera à le faire, parce que le commerce dans la prévision d’une prohibition à la sortie pourra entreposer ses grains.

Cette égalité de droits se combine parfaitement à cet égard avec la disposition de l’article 3 de notre projet à laquelle je passe, et qui a donné lieu à des critiques assez violentes. Une telle disposition, messieurs, n’est pas nouvelle dans le régime constitutionnel. Elle a ses analogues en France. Là, il a été reconnu, dans la discussion des tarifs, qu’il fallait, pour les cas d’urgence, autoriser le gouvernement à introduire toutes les modifications nécessaires.

La loi française du 17 décembre 1814 est formelle à cet égard. Et sous l’ancien régime que je puis invoquer ici, attendu que dans la question des douanes le gouvernement hollandais n’était pas le plus illibéral, vous avez la loi du 26 août 1822, qui contient la même autorisation. Je vous ferai remarquer qu’en la refusant au pouvoir exécutif vous le placeriez dans cette singulière position que si, après l’adoption de la loi, il voulait déclarer la guerre à la Hollande, il devrait continuer à permettre dans les localités appartenant à ce pays la libre entrée de nos grains.

Un ministre, a-t-on dit, pourrait abuser d’une pareille autorisation. Mais, messieurs, si, dans la crainte des abus, le pouvoir législatif se croit obligé d’enlever au gouvernement toute liberté d’action, je vous demande ce que devient le principe de la responsabilité ministérielle. Si vous avez un ministre prévaricateur, s’il spécule sur la détresse du pays, n’avez-vous pas votre droit d’examen, de contrôle, et en définitive votre droit de mise en accusation ?

L’honorable M. Angillis a pour la seconde fois déploré l’absence d’un conseil d’Etat, qui pût préparer les projets de loi. Mieux que personne, messieurs, les ministres sont à même d’apprécier sous ce rapport l’importance d’une telle institution. Il est certain que, quel que soit leur désir de bien faire, et leur assiduité au travail, la multiplicité et la variété de leurs occupations ne leur permettent pas toujours d’élaborer, avec tous les soins qu’ils le désireraient, les projets de loi à soumettre à la législature. Pour ne citer que ce qui me concerne, je vous ferai remarquer que le ministère de l’intérieur, outre son budget, a été presque en même temps surchargé d’une loi provinciale, d’une loi communale, d’une loi sur la garde civique, d’une loi sur la milice, d’une loi électorale qui doit vous être présentée, d’une loi des barrières, et d’une loi sur les céréales.

Les ministres sont donc les premiers à reconnaître l’importance d’un conseil qui puisse préparer les lois, Dans l’état actuel des choses, on sait comment se passent les choses. Un ministre possède d’ordinaire, pour tout aide, un chef de division, qui par son salaire n’est pas même placé sur la ligne d’un avocat ni d’un avoué.

Du reste je désire vivement que les projets de loi, alors qu’ils seront élaborés par un conseil d’Etat, ne subissent pas le sort auquel ont été condamnés tous ceux des ministres passés et présents. Je dirai toutefois que je n’ose l’espérer. Dans un pays voisin où il y a un conseil d’Etat, où les lois sont préparées par les hommes les plus capables et les plus considérés à cause de leurs lumières, les projets qui ont été présentés aux chambres n’en sont pas moins percés et criblés d’amendements et de critiques. Je vous demande pardon de cette digression à laquelle j’ai été entraîné par l’observation de M. Angillis.

En résumé, le gouvernement n’a point cru pouvoir se rallier dès maintenant au projet de loi de la section centrale, quant à l’impôt dont il tend à frapper l’importation des grains. S’il ne voyait dans la question que l’intérêt du fisc, il aurait appuyé ce projet de loi. Mais il a négligé ici l’intérêt fiscal en faveur des intérêts du commerce et de la consommation. S’il lui est démontré, après de nouvelles réflexions et de nouveaux renseignements, que le tarif de 1830 ne peut porter préjudice aux deux intérêts que je viens de citer, il ne verra pas de difficulté à donner sa sanction au projet de loi.

M. le président. - M. Osy a demandé la parole, mais je dois faire remarquer qu’il a déjà parlé deux fois dans la discussion. Cependant comme il n’a fait que de courtes observations, je crois que l’assemblée consentira à l’entendre. (Oui ! oui !)

M. Osy. - Je vous disais hier, messieurs, que je m’abstiendrai de voter sur le projet proposé par la section centrale tout en repoussant de tous mes moyens celui présenté par le gouvernement, parce que j’aurais désiré qu’on nous eût laissé quelques jours pour réfléchir s’il fallait revenir à la législature existante en septembre 1830, ou si on pouvait, peut-être, trouver moyen de l’améliorer pour mettre en harmonie la protection que nous devons à un pays si éminemment agricole que le nôtre, et dont le foncier donne encore les plus grandes ressources pour nos dépenses, et qui, dans les moments difficiles et avant l’établissement de notre crédit, a presque seul été appelé à nous mettre à même de combler nos déficits ; ensuite voir si nous pouvions conserver, au moyen des anciens tarifs de 1826, le commerce des grains ; et finalement, voir si les droits à payer à l’importation ne pouvaient pas nuire à notre industrie, en renchérissant trop l’article le plus essentiel à la nourriture de l’homme.

Il me paraît donc que le gouvernement, avant de nous présenter un projet de loi sur les céréales, aurait dû s’entourer de toutes les lumières, et consulter non seulement le commerce, mais même les commissions d’agriculture. Et en proposant, pour ainsi dire, la libre entrée et sortie avec un simple droit de balance, cela prouve qu’il a agi avec la dernière légèreté et sans avoir aucune notion sur les besoins du pays, et se rend tout à fait ridicule envers nos anciens compatriotes en détruisant ce que nos députés aux états-généraux ont obtenu avec autant de peine et par leur persévérance pour la protection de notre agriculture.

Si le projet de loi du ministère était adopté, ce serait véritablement blâmer les efforts que les Belges ont réussi à obtenir certainement contre les intérêts des Hollandais.

Ainsi, avant de détruire ce qui existait avant la révolution, il faut y penser à deux fois, et ce n’est qu’en prenant bien ses informations qu’on verrait si nous pouvons faire mieux.

Comme député d’une ville commerçante, je vous avoue que mes efforts seront toujours pour tout ce qui pourra contribuer à la prospérité du commerce ; mais député de la Belgique, je n’oublierai jamais que c’est dans l’intérêt de tous que je dois travailler, et, ainsi que le commerce, croyez-moi assez libéral pour ne pas vouloir sacrifier les autres branches de notre richesse.

Ainsi, je vous disais hier que je veux, et que c’est notre devoir avant tout, de protéger l’agriculture et les consommateurs, et alors la mettre en harmonie avec le commerce, et profiter, sans nuire, de la situation géographique de notre beau pays, qui est véritablement fait pour être l’entrepôt des grains entre le nord et le midi de l’Europe et même de l’Angleterre ; car, avec notre économie, notre activité et nos capitaux, nous pouvons et devons établir chez nous les greniers d’abondance pour les pays qui, à des intervalles donnés, ont des besoins.

Pendant notre réunion à la Hollande, ce commerce existait peu chez nous ; mais l’année qui vient de s’écouler, et après l’adoption de la loi sur le transit, vous prouve que nous pouvons attirer chez nous une grande partie du commerce de nos voisins, et je ne doute pas qu’avec l’Escaut entièrement libre et sans entraves, les expéditions de la Baltique, de l’Oost-Frise et du Holstein, se feront principalement sur Anvers, et ce sera là où nos voisins trouveront de quoi s’approvisionner lorsque les ports de l’Angleterre et de la France s’ouvriront, car de chez nous presque toute l’année on peut faire des expéditions.

Les renseignements que j’attendais me sont arrivés, et maintenant, au lieu de m’abstenir de voter, je me crois assez éclairé pour non seulement, comme je vous le disais hier, écarter de toutes mes forces le projet ministériel, qui, sans améliorer la situation du commerce, ferait le plus grand tort à notre agriculture, mais même j’appuierai la proposition de la section centrale, qui est de rétablir la législation sur les grains, existante en septembre 1830, tout en laissant la loi en vigueur seulement jusqu’à la fin de l’année ; et alors le gouvernement aura tout le temps de s’entourer de spécialités pour voir si nous devons à la longue continuer le même système, ou s’il convient de prendre celui des droits progressifs, tant pour l’entrée que la sortie ; mais le commerce a besoin de certitude, et je ne puis accorder aucune faculté au pouvoir exécutif de changer, dans l’intervalle des sessions, la moindre chose aux lois, surtout après l’échantillon qu’il vient de nous donner, qui ne peut satisfaire personne et aucune des branches qui demandent toute notre sollicitude.

J’ai recueilli mes renseignements chez un de nos principaux importateurs de grains, et je prendrai la liberté de vous donner lecture de sa lettre pour vous prouver que nos négociants pensent comme moi, qu’ils ne rapportent pas tout à leur intérêt, et qu’ils sont assez libéraux pour vouloir avant tout le bien de tous. Vous nous verrez ainsi toujours, et j’espère que cela détruira une fois pour toutes la fausse opinion que j’ai souvent vu à regret émettre ici, que le commerce ne pense qu’à lui et qu’il est trop égoïste. Je suis charmé de pouvoir vous prouver le contraire, et l’honorable M. Coghen, qui connaît comme moi la personne qui vient de m’écrire, vous dira que c’est elle qui, depuis 1830, a fait en Belgique les plus grandes affaires de grains.

Voici la lettre que j’ai reçue :

« Anvers, 13 mars 1833.

« M. le ministre de l'intérieur vient de proposer une loi qui permet la libre exportation des grains moyennant un droit de balance, et fixe des droits d’entrée pour l’importation des grains étrangers ; sans doute le but du gouvernement est de protéger l’agriculture, en arrêtant la dépréciation du prix des céréales ; mais si la loi, telle qu’elle vient d’être proposée, devait être adoptée, ce but ne serait nullement atteint.

« Nous n’avons malheureusement à espérer aucune exportation des grains ; la France et l’Angleterre nous repoussent pas des droits presque prohibitifs, et, en Hollande, les prix sont tellement bas que nous n’aurions pas espoir d’y écouler nos grains, même dans le cas où les expéditions pourraient se faire sans entraves ; par contre, si nous admettons ici les grains avec des droits aussi insignifiants que ceux qui viennent d’être proposés, nous verrons arriver dans nos ports une grande partie du superflu de l’Oost-Frise, du Holstein, des îles danoises, du Mecklembourg et de la Poméranie.

On objectera peut-être que si nos prix sont très bas, on ne nous enverra pas des grains, attendu qu’il y aurait perte certaine. Mais il est à notre connaissance que presque tous les négociants qui font le commerce des céréales dans les pays que nous venons de nommer, ont fait des achats pendant l’hiver fondés sur des prix beaucoup plus bas que ceux des années précédentes, et sur l’opinion qui a régné en Allemagne que l’entrée de l’armée française serait suivie d’une conflagration générale. Il faut bien maintenant que les détenteurs de ces marchandises cherchent à les vendre. Ils n’ont aucun espoir de réussir en France ou en Angleterre, et la bonne réputation que notre marché s’est acquis depuis deux ans, nous fera certainement donner une préférence qui serait très funeste à notre agriculture.

Il en résulterait que nos fermiers aisés, découragés par les bas prix, ne vendraient pas leurs grains ; mais, au lieu d’y gagner, ils pourraient bien être victimes ; car si, comme tout l’annonce, la prochaine récolte est abondante, les fermiers du Danemarck, du Mecklenbourg et de la Poméranie, qui n’ont presque pas d’impôts à payer, et qui doivent chercher quelque part un débouché pour leur superflu, nous enverront encore une masse de froment, seigle, orge et avoine, et nous pourrons voir se renouveler, pour notre agriculture, les années calamiteuses de 1823 et 1824.

« Un de nos amis acheta, par spéculation, en 1824, à Amsterdam, du seigle de Prusse d’une très belle qualité à 85 fl. P.-B-par last, soit 6 fl. par hectolitre ; sa spéculation était basée sur ce qu’à ce prix les fermiers du Nord ne pouvaient plus rien envoyer en Hollande, attendu qu’après avoir déduit les frais, frets, droits d’entrée, etc., il ne leur restait guère plus que 55 fl. par last, soit 3 fl. 88 par hectolitre : notre ami se trompa ; les envois continuèrent, et il réalisa sa spéculation avec perte.

« Si un pareil état de choses devait se renouveler en Belgique, il est positif que le gouvernement éprouverait de grandes difficultés pour faire rentrer l’impôt foncier et qu’on ne pourrait continuer à percevoir sur le pied actuel. Le gouvernement observera peut-être que, dans un moment où nos manufactures doivent concourir avec celles de l’Angleterre, il est essentiel d’avoir la main-d’œuvre à très bon compte, et que pour cela il faut à l’ouvrier du pain à bon marché ; cela peut être vrai, mais il est également essentiel, pour la prospérité de nos manufactures, que l’agriculture soit florissante.

« M. le ministre a sagement observé que, dans la situation actuelle du pays, il faut traiter la législation des céréales avec une extrême prudence et qu’il convient d’attendre avant de faire quelque chose de définitif ; nous approuvons beaucoup cette prudence, mais il nous paraît, en attendant, qu’il conviendrait de mettre immédiatement en vigueur la loi telle qu’elle était en septembre 1830. Vous en trouverez ci-inclus le tarif. Elle accorderait à nos cultivateurs une protection peut-être suffisante pour le moment, et le gouvernement s’occuperait sans doute d’une loi basée sur le système des droits progressifs en suivant l’exemple de la France et de l’Angleterre. »

Ainsi, après la lecture de cette lettre, je n’ai plus rien à ajouter, et j’espère que le ministère retirera, sans autre discussion, son projet, et que nous nous bornerons, pour ne pas perdre notre temps inutilement, à discuter le projet de loi proposé par la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Pourrait-on savoir le nom de l’auteur de cette lettre qu’on invoque comme une autorité ?

M. Osy. - Je n’ai pas besoin de répondre à cette interpellation qui n’est pas parlementaire. Je ne dirai pas le nom de ce négociant.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Alors de quelle autorité peut être cette pièce pour la chambre ?

M. Osy. - J’ai fait les mêmes observations que contient cette lettre. J’aurais pu les lire à la suite de mon discours comme étant de mon crû, mais je n’en ai pas l’habitude. Ainsi voilà l’opinion du négociant le plus important de la Belgique, que M. Coghen connaît ; et vous voyez qu’il ne plaide pas sa cause, mais qu’il traite la question dans l’intérêt de l’agriculture et des consommateurs.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, on dénature toujours, involontairement sans doute, le caractère du projet de loi présenté par les ministres de l’intérieur et des finances. Il semble, à entendre quelques honorables membres, que le gouvernement soit animé d’un esprit d’hostilité systématique contre l’agriculture. Evidemment il n’en est rien, et je ne pense pas qu’on puisse tirer une pareille conséquence de la circonspection que le gouvernement a apportée dans cette discussion, une des plus délicates qui puisse s’offrir à la législature, ainsi que le reconnaît lui-même le correspondant anonyme de M. Osy.

Le gouvernement, messieurs, a été frappé d’une chose. On lui signalait comme un grand mal, et c’est le seul qu’on lui signalait, la prohibition des grains à la sortie, prohibition due à des circonstances qui avaient cessé. Il s’est arrêté à ce point, qu’on lui présentait comme étant d’une extrême urgence, et satisfaisant au vœu des pétitionnaires et des honorables membres qui appuyaient leurs réclamations dans cette enceinte, il a proposé un projet tendant à faire disparaître ce mal, sans préjuger sur la législation permanente à introduire à l’égard des céréales.

Quant à moi, il m’a toujours paru, bien que j’avoue volontiers mon incompétence en cette matière, que, dans les questions de tarifs, il est sage de procéder non pas brusquement, mais par gradation. Une première mesure vous est aujourd’hui présentée ; elle est le résultat de réclamations vives et fondées. Cette mesure, si on la dégage d’une discussion de principes, peut être adoptée immédiatement et recevoir une prompte application. Mais si le résultat n’en est pas tel que le sollicitent les besoins et les intérêts de l’agriculture, qui empêche que dans une prochaine séance le gouvernement, éclairé par de nouvelles lumières, ou à son défaut des membres de cette assemblée ou du sénat, après avoir aussi recueilli des renseignements, ne saisissent la législature de la question qu’on veut décider aujourd’hui, en même temps qu’on va décréter l’abrogation de l’arrêté pris par le gouvernement provisoire ?

On croit que cette abrogation et l’établissement du faible droit qui doit lui succéder sont, dans la pensée du gouvernement, un système de législation permanente sur les céréales. Mais où a-t-on vu que le gouvernement ait annoncé une pareille pensée ? Ce serait là une imprévoyance qui ne pourrait pas être assez vivement condamnée et dans les chambres et dans le pays. Le ministère a hésité à se rallier au système de la section centrale. M. Osy lui en fait un crime ; mais qu’a fait M. Osy lui-même, qui, je l’avoue, en matière commerciale, est pour nous une véritable autorité ? Hier il a dit : Pour moi non liquet, et je m’abstiens. Aujourd’hui il se déclare mieux instruit et vote. Eh bien le gouvernement s’est abstenu aussi, parce qu’il est encore, aujourd’hui, dans l’incertitude où était hier M. Osy.

Comment donc cette circonspection dans le ministère, circonspection dont on lui a donné l’exemple, devient-elle de l’imprévoyance et un système d’hostilité contre l’agriculture ? Il me semble que la polémique parlementaire devrait se montrer plus impartiale, surtout dans une discussion où je ne conçois pas qu’on puisse apporter le moindre esprit de passion.

Je dis donc qu’il y a ici deux questions, dont l’une ne peut rencontrer aucune divergence d’opinion ; c’est celle de l’abrogation de l’arrêté du gouvernement provisoire, en ce qu’il prohibe la sortie des grains. Mais il en est une autre à laquelle on ne peut toucher qu’avec la plus grande réserve,

On a parlé de l’Angleterre. Mais oublie-t-on que la législation anglaise sur les céréales est l’objet en ce moment de graves réclamations de la part du commerce et des consommateurs ? On s’y demande si en ce point la chambre des lords restera sourde aux intérêts des classes moyennes et inférieures. La question est ainsi présentée par de bons esprits en Angleterre, que s’il n’intervient pas de modifications sur cette partie du tarif, le pays est exposé à de funestes déchirements. On ne peut donc pas venir citer la législation d’Angleterre sur les céréales comme une législation modèle.

Maintenant, après avoir justifié par des motifs qui me paraissent irrécusables la circonspection du gouvernement, je dirai un mot de l’article contre lequel on a dirigé le reproche d’inconstitutionnalité.

La faculté que cet article donne au gouvernement, et sur laquelle d’ailleurs les ministres n’insistent pas, sur laquelle ils sont complétement désintéressés, cette faculté n’est refusée dans aucun des gouvernements constitutionnels, où le droit exclusif de voter l’impôt est le plus solennellement reconnu au pouvoir législatif. Ni en France, ni en Angleterre, ni même dans les Pays-Bas, dont on peut ici citer l’exemple parce que de ce chef il n’y a pas eu de grief articulé contre le gouvernement, cette disposition n’a jamais été refusée, et elle ne me semble pas inconciliable, soit avec le texte, soit avec l’esprit de la constitution. Du moins on admettra, en dernière analyse, qu’il n’y aurait pas d’inconstitutionnalité dans la faculté de prohiber la sortie des grains ; car, là, il s’agit simplement d’une mesure de police, dans certains cas, d’une mesure politique, et nullement d’une aggravation d’impôt.

On a cité avec raison le cas d’une guerre. Il faudrait être bien imprévoyant pour croire que les négociations diplomatiques conduisent toujours inévitablement à un but pacifique ; que, par cela seul qu’on négocie longuement, patiemment, on ne se battra jamais alors même qu’on négocie, il faut pouvoir au besoin menacer de la guerre, et pour cela il faut toujours être en état de la faire. Or, si la guerre venait à être déclarée de part ou d’autre, il faudrait bien que le gouvernement pût prohiber la sortie des céréales, si elles se dirigeaient vers un pays ennemi. A ce titre la mesure proposée par le gouvernement n’aurait, certes, rien d’inconstitutionnel et serait justifiée par les plus pressantes considérations.

Je crois, au moyen de ces courtes observations, avoir justifié la conduite du ministère dans cette circonstance.

- On demande de toutes parts la clôture.

M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour répondre aux observations du ministre. (Non ! non !)

M. Pirmez. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) et M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Non.

M. A. Rodenbach. - Alors je demande que l’on continue : la question n’a pas été suffisamment discutée.

M. de Theux. - Je me proposais de présenter à la chambre quelques observations, mais je pense qu’elles pourront venir lors de la discussion des articles.

M. de Brouckere. - Je voulais faire la même observation. Les orateurs qui veulent parler encore pourront le faire lorsqu’on en sera arrivé aux articles. Mais vouloir continuer la discussion pour persuader aux ministres qu’ils doivent abandonner leur projet, cela serait absurde. Pour moi je déclare que j’approuve le ministre de persister dans le projet du gouvernement, s’il croit qu’il vaut mieux que celui de la section centrale.

- La clôture de la discussion générale est prononcée. On passe à celle des articles.

Discussion des articles

Article premier

L’article premier du projet du gouvernement, auquel la section centrale n’a proposé aucune modification, est mis aux voix et adopté en ces termes :

« Les arrêtés du gouvernement provisoire des 21 octobre et 16 novembre 1830 (Bulletin officiel, n°1 et 33), ainsi que les dispositions du tarif arrêté le 7 novembre 1830 (Bulletin officiel, n°36), relativement aux grains et céréales, sont abrogés. »

Article 2

« Art. 2. L’importation et l’exportation des grains et céréales, ainsi que le transit de ces denrées rétabli par la loi du 1er mai 1832, n°316 (Bulletin officiel, n°31), sont soumis au paiement des droits de douanes fixés dans le tarif provisoire annexé à la présente loi. »

La section centrale propose de remplacer cet article par le suivant :

« Art. 2. L’importation et l’exportation des grains et céréales, ainsi que le transit de ces denrées rétabli par la loi du 1er mai 1832, n°316 (Bulletin officiel, n°31), sont soumis au paiement des droits de douanes fixés dans le tarif en vigueur au mois d’octobre 1830. »

M. de Theux. - Messieurs, le tableau du prix moyen des céréales qui nous a été distribué de la part du gouvernement ne peut nullement nous éclairer ; on nous fait connaître le prix moyen de 1819 inclus 1828 ; mais cette période décennale est la plus basse qu’on eût pu choisir, elle comprend une année où les prix se sont trouvés plus bas que de mémoire d’homme ; si l’on voulait prendre le taux moyen de 10 années, il aurait fallu du moins le former du prix des 10 dernières années.

Mais là n’était pas la question. La section centrale nous ayant proposé de rétablir les droits d’entrée existants sous le gouvernement précédent, il aurait fallu nous faire connaître les prix moyens de chacune des années 1827 inclus 1830. En effet, c’est en 1827 que les premiers droits d’entrée ont été établis, et s’il est prouvé d’une part qu’à cette époque, et depuis, les blés ont été plus chers qu’ils ne le sont maintenant, et d’autre part que les droits d’entrée n’ont causé aucun préjudice au pays, mais qu’ils ont au contraire été utiles, il doit nous être démontré à plus forte raison que le projet de la section centrale mérite toute notre approbation.

C’est en vain que l’on vous allègue que la nouvelle loi sur les distilleries doit soutenir les prix des grains ; il est évident que les arrivages du nord peuvent être tellement abondant que la consommation des distilleries n’exerce aucune influence sur les prix.

Mais, loin de tirer argument de la loi sur les distilleries contre le projet de la section centrale, il doit en résulter un nouveau motif de l’adopter ; en effet, les détenteurs d’eaux-de-vie essuieront déjà une grande perte par l’abaissement du droit sur les eaux-de-vie, et cette perte deviendrait bien plus considérable si le prix de grains continue à tomber.

Du reste, je n’ai eu en vue que de réfuter les objections principales faites contre le projet de la section centrale ; car les faits signalés aujourd’hui par M. Osy ne justifient que trop les alarmes des cultivateurs et ne peuvent laisser aucun doute dans vos esprits.

M. de Robiano propose un amendement tendant à réduire le tarif d’un sixième et la conversion des florins en francs, mais, sur l’observation de M. Dumortier que cela va obliger à discuter article par article, il déclare le retirer.

M. Pirmez. - J’ai préparé des observations que je voulais présenter à l’assemblée, mais on jugera peut-être qu’elles s’appliquaient à la discussion générale.

M. de Brouckere. - Le discours de M. Pirmez, qu’il a bien voulu me communiquer, tend à prouver que le projet ministériel vaut mieux que celui de la section centrale. Il faut donc lui accorder la parole sur l’article 2. (Oui !oui ! Qu’il parle !)

M. Pirmez. - Il faudrait beaucoup de temps et de travail, pour traiter la question qui vous est soumise. Je me bornerai à quelques réflexions sur ce qui a été dit hier sur le projet du gouvernement et sur le projet de la commission centrale.

Plusieurs orateurs ont mis en opposition le commerce et l’agriculture, de manière que le projet du gouvernement était présenté comme plus favorable au commerce, et celui de la section centrale plus avantageux à l’agriculture.

D’abord, il faut remarquer que par le commerce la plupart semblaient entendre seulement l’achat et la vente des céréales, et qu’un seul (M. Lardinois) comprenait toutes les espèces de négoces et d’industries ; et que par l’agriculture, on entendait dans cette discussion uniquement la culture des céréales.

Il faut pourtant faire attention, que la production des céréales n’est pas toute l’agriculture, ce n’en est qu’une partie, et la partie la plus commune, la plus facile ; tellement que les habitants à demi barbares de certaines provinces de la Russie sont presqu’aussi habiles à cette culture que les peuples les plus civilisés.

L’agriculture comprend donc aussi la production de beaucoup d’autres choses, qui servent aux besoins secondaires de l’homme, et qui sont consommées en grande quantité, et en d’autant plus grande quantité que les peuples sont plus avancés en civilisation, Ce sont par exemple, toutes les espèces de bestiaux, les plantes oléagineuses, le tabac et beaucoup d’autres productions encore, qui pour la plupart sont le résultat d’une culture avancée plus productive que la culture des denrées nécessaires aux premiers besoins.

C’est donc à tort qu’on place dans cette discussion, tantôt le commerce des grains, tantôt tous les négoces et toutes les industries en présence de l’agriculture. Ce qui est réellement en présence, ce sont toutes les industries et tous les négoces d’une part, et de l’autre la production des céréales.

Et cette distinction est d’autant plus utile à établir que la production des objets d’une culture perfectionné, doit nécessairement gagner par ce que perdrait chez nous la culture première, celle des denrées de nécessité indispensable.

Il n’est pas besoin de démontrer, je pense, car nous sommes tous d’accord sur ce point, que les arts industriels, les manufactures de toutes espèces, s’élèvent et grandissent en proportion que les travaux qu’ils nécessitent s’exécutent plus facilement, ou à plus bas prix, ce qui est la même chose : que ce prix se règle sur la journée de travail, et cette journée sur les denrées de première nécessité.

Il est donc constant que la facilité de se procurer ces denrées donne de grands avantages aux arts industriels, avantages qui pourraient peut-être balancer chez nous, ceux que d’autres nations ont acquis par leur expérience et leur génie inventif.

Et que résulte-t-il du progrès des manufactures, des arts industriels de la civilisation enfin ? Une consommation immense des produits agricoles supérieurs en valeur aux céréales, comme la viande, le lin, l’huile, et tant d’autres produits indispensables aux hommes avancés en civilisation ; et ne sont-ce pas les arts industriels qui par leur consommation de ces denrées de seconde nécessité (si je peux m’exprimer ainsi), ont porté si haut la valeur des produits agricoles ?

Sans eux nous nous nourririons et nous nous vêtirions encore comme les habitants des rives du Volga, et en compensation nous aurions l’avantage, ainsi qu’on le disait hier, de concourir avec eux pour la vente des céréales.

Les privilèges donnés à la production des céréales ne sont donc pas donnés à l’agriculture, ils sont donnés à une branche de l’agriculture contre toutes les industries et les autres branches de l’agriculture.

Comme je suis convaincu que les privilèges tendant à faire renchérir les denrées de première nécessité, doivent créer une société moins parfaite, je voterai pour la partie du projet ministériel qui établit un droit modéré à l’entrée.

Je n’ai entendu aucune raison qui me fît pencher pour le projet de la section centrale. On a dit que c’était la législation existante ; mais c’est une vraie fiction. Nous sommes bien réellement sous l’empire de l’arrêté du gouvernement provisoire, il nous régit depuis deux ans et demi.

L’ancien tarif est une conquête que nous avons faite sur l’esprit hollandais, après plusieurs années d’un combat opiniâtre, dit-on. Mais je ne suis pas convaincu que toutes les conquêtes que nous avons faites sur l’esprit hollandais, soient bonnes à garder. Rien ne peut dispenser de nous donner les raisons qu’on a données aux Hollandais. D’ailleurs, il s’est opéré en Belgique bien des changements dans les idées depuis l’adoption de l’ancien tarif.

C’est une loi provisoire. Oui, mais on abolit bien difficilement les lois prohibitives. Celles votées sous le congrès durent encore.

Quant à l’exportation, j’admettrai la libre sortie et repousserai tout ce qui pourrait la gêner, et surtout le tarif graduel. C’est principalement dans la législation sur les grains qu’il faut de la fixité. Ce n’est qu’en donnant une grande sécurité aux spéculateurs sur les céréales qu’on s’en procure lorsqu’elles sont rares, et qu’on s’en défait facilement, lorsqu’elles sont abondantes.

(Moniteur belge n°76, du 17 mars 1833) - L’amendement de la section centrale est mis aux voix et adopté à une très grande majorité.

M. Veraghen propose un amendement tendant à exempter du droit les grains en gerbes ou épis venant du dehors et appartenant à des Belges. Il le développe en ces termes. - Messieurs, l’amendement que je propose au projet de loi est devenu d’une nécessité urgente pour venir au secours de huit à neuf cents familles belges, lesquelles, par la séparation de la Belgique avec la Hollande, se trouvent dans la position que leurs fermes et bâtiments sont situés en Belgique et que les terres qu’ils exploitent sont situées dans la Flandre zélandaise ; la plus grande partie de ces fermiers ont des contrats de bail, auxquels ils ne peuvent renoncer qu’après le terme échu.

Tous ces cultivateurs ont, sur la bonne foi, et dans la persuasion de pouvoir récolter leur grains libres de tout droit, continué à ensemencer leurs terres : si maintenant vous voulez les assujettir à un droit d’importation par une loi postérieure à l’époque de l’entrée du bail, il me paraît que vous commettriez une injustice, puisque vous ne leur laisseriez pas récolter librement et sans droit leur moisson, fruit de leur travail qu’ils ont semé dans une époque que les grains et céréales étaient exempts des droits ; d’ailleurs un pareil droit est inexécutable ; car, pour l’exécuter, il faudrait établir, dans l’intérêt du contribuable, des bureaux à l’extrémité de la frontière pour recevoir des déclarations incomplètes : je dis incomplètes ; parce que, dans ma manière de voir, il me paraît impossible de taxer des grains à leur juste valeur en gerbes ou épis.

Et comme le projet de loi n’est que transitoire, et qu’elle cessera de plein droit au 31 décembre prochain, je pense, messieurs, que pour rendre justice, vous ne pouvez pas rejeter mon amendement ; d’ailleurs, tous les fermiers ont des droits acquis, parce que leurs terres sont actuellement en grande partie ensemencées, et que l’année de bail à pris cours depuis St-Bavon dernier ; aussi, messieurs, soyez persuadés que, par le rejet de mon amendement, vous plongerez plus de neuf cents familles dans une position déplorable.

M. Mary. - Le but de cet amendement est rempli par l’article 5 de la loi du 22 août 1822.

M. Veraghen. - Cette loi existe-t-elle toujours ? (Oui ! oui !) Alors je retire mon amendement.

Article 3 (du gouvernement)

On passe à l’article 3 du projet du gouvernement, ainsi conçu :

« Il est réservé au Roi d’augmenter le taux des droits d’exportation et même de prohiber la sortie des grains et céréales, lorsque, dans l’intervalle de l’une à l’autre session des chambres, les circonstances et l’intérêt général du pays nécessiteraient cette mesure.

« Dans ce cas, l’arrêté à prendre à cet effet sera publié au Bulletin officiel et soumis à la sanction des chambres dans le mois de la session subséquente. »

La section centrale propose de retrancher cet article.

M. Dumortier. - J’ai dit que si les ministres ne retiraient pas leur article 3, je présenterais le projet que j’ai eu l’honneur d’annoncer à la chambre ; mais comme je crois que cet article sera écarté, je me contenterai de le déposer comme proposition sur le bureau.

L’article 3 du projet du gouvernement est mis aux voix et rejeté.

Article 3 (de la section centrale)

« Art. 3 (de la section centrale). La présente loi cessera ses effets au 31 décembre prochain »

M. Dumortier. - Je propose de rédiger ainsi cet article :

« La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation ; elle cessera ses effets au 31 décembre prochain. »

Messieurs, si vous n’adoptez pas cet amendement, vous manquerez tout à fait le but de la loi ; car on pourra introduire avec son exécution une masse de grains. Cela, je crois, suffit pour le justifier.

- L’article ainsi amendé est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Comme la loi a été amendée, nous ne pourrons voter sur l’ensemble que samedi prochain.

La séance est levée à 5 heures moins un quart.