(Moniteur belge n°74, du 15 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure et un quart.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
L’ordre du jour est la discussion du projet de loi sur l’exportation des céréales.
M. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je désirerais savoir si la section centrale a déjà terminé son travail sur le projet de loi présenté par le ministre des finances, et qui tend à demander un supplément de crédit pour payer les pensions du second semestre de 1832. Ce projet est extrêmement urgent : une foule de pensionnaires sont dans la plus grande misère, sont réduits à demander l’aumône. J’en ai la connaissance personnelle. Il ne faut pas que la chambre se rende complice de la lenteur du ministère ; il ne faut pas que la chambre retarde la discussion de ce projet de loi. Si la section centrale n’a pas fini son travail, je la prierai de le terminer promptement ; il y a urgence et urgence extrême.
M. le président. - Les sections viennent de terminer leur examen sur cette loi ; la section centrale est convoquée pour demain 10 heures, afin de s’occuper de la loi.
M. Lardinois. - Je ferai la proposition que l’on discute le projet de loi sur les naturalisations avant de passer à la discussion de la loi sur les céréales, parce que le ministre de l’intérieur a reçu des renseignements qui doivent être coordonnés. La loi sur les céréales doit être discutée avec connaissance de cause. Le retard que je propose ne sera que d’un jour ou deux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je n’étais pas hier au commencement de la séance, lorsque l’on a décidé que la discussion sur les céréales commencerait 24 heures après le rapport. Ainsi que l’a dit M. Lardinois, je me suis procuré des renseignements qui peuvent être utiles à la chambre et éclairer les membres qui voudraient prendre part aux débats. Toutefois les renseignements que je puis me procurer ne me sont pas encore tous parvenus. La chambre de commerce d’Ostende m’a envoyé un avis favorable au projet du gouvernement.
J’attends l’avis de la chambre de commerce d’Anvers.
Les documents que j’ai entre les mains viennent du ministère des finances ; ils sont de nature à être imprimés et distribués. La loi est importante ; elle le devient surtout par les modifications que l’on se propose de faire subir au projet du gouvernement.
Le projet du ministère a pour but de satisfaire aux réclamations les plus pressantes.
Il existait un état de choses qui ne pouvait durer. Par suite d’une disposition du gouvernement provisoire, prise dans des circonstances que tout le monde a présentes à l’esprit, il avait prohibé la sortie des grains, et avait déclaré libre leur entrée.
Une loi, adoptée sur la proposition de M. Osy, autorisa le libre transit des grains ; mais il restait encore cette singulière anomalie que les grains étrangers, libres de droit à la sortie, étaient sous ce rapport privilégiés aux dépens des grains indigènes.
Le gouvernement, sans vouloir saisir la chambre d’un projet complet qui eût pu entraîner à des discussions auxquelles elle n’est pas préparée, et que d’autres discussions importantes à l’ordre du jour eussent rendues inopportunes ; le gouvernement s’est contenté de présenter un projet de loi ayant pour but :
1° De lever la prohibition des grains indigènes à la sortie ;
2° De frapper d’un léger droit de balance l’importation des grains étrangers, qui aujourd’hui entrent librement en Belgique ;
3° Et accessoirement, le gouvernement demanda l’autorisation, qui a lieu dans d’autres pays, de rétablir la prohibition à la sortie par simple décision royale, lorsque les chambres ne seraient pas assemblées, si les circonstances l’exigeaient. J’ai vu que cette dernière proposition n’avait pas obtenu l’assentiment de la section centrale. Cette proposition n’avait cependant pas été faite dans l’intérêt du gouvernement, mais dans celui du pays.
Le projet du gouvernement ne devait pas donner lieu à de grands débats. Le projet de la section centrale, en éveillant bien des questions, pourrait entraîner de plus longues discussions.
Au simple droit de balance, proposé par le gouvernement, la section centrale veut substituer un impôt ; or, messieurs, avant de savoir si les grains étrangers doivent être frappés d’un impôt à l’entrée, il importe que les chambres et que le gouvernement recueille les lumières nécessaires pour l’établir. En l’absence de ces lumières, nous serons entraînés à d’interminables débats. Dans l’état actuel des choses, la chambre ne pourrait se livrer qu’à des discussions inopportunes.
Dans tous les cas, j’attendrai la décision de la chambre.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je veux faire une seule observation sur ce qu’a avancé M. de Brouckere, relativement à la lenteur qu’il a reprochée à l’administration pour la présentation de la loi sur les pensions…
M. le président. - Il s’agit d’autre chose maintenant ; quand nous aurons terminé la première discussion...
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il me semble que lorsqu’on est inculpé, on doit avoir le droit de se justifier…
M. le président. - Quand nous aurons terminé la question relative aux céréales.
M. Fleussu. - S’il s’agissait d’un système complet de législation sur la matière, je concevrais l’utilité du délai demandé par le ministre ; je crois que, pour ce cas, il aurait besoin de renseignements. Toutefois, je ne puis m’empêcher de lui faire remarquer qu’il est triste pour nous de voir que, chaque fois qu’une matière fait l’objet d’une discussion, le ministre nous dise : Je n’ai pas les renseignements nécessaires pour présenter un projet de loi complet.
Cependant il y a longtemps que des pétitions ont demandé que l’on fasse cesser les mesures provisoires ; il y a longtemps aussi que l’honorable député qui siège à ma gauche (M. de Tiecken de Terhove) a annoncé qu’il présenterait un projet de loi propre à remplacer les législations éphémères, si le ministre ne prenait l’initiative du changement.
Il ne s’agit pas d’une loi définitive, il s’agit d’une loi transitoire, d’une loi limitée à la durée d’une année ; je ne vois pas qu’il faille tant de renseignements pour cet objet. D’ici à une année, le gouvernement prendra tous les renseignements nécessaires et avisera aux moyens de nous présenter un projet de loi convenable.
On dit que le projet de la section centrale occasionnera de grandes discussions : s’il y a un projet simple, c’est cependant celui de la section centrale. Examinez le projet ministériel, c’est là que de hautes questions vont être soulevées ; vous aurez à débattre des questions de constitutionnalité.
N’est-ce rien que de laisser le gouvernement juge de l’exportation des grains ? Le ministère demande des choses inouïes jusqu’à ce jour, car il demande de pouvoir modifier à son gré le taux des tarifs. Que sommes-nous donc, nous, si nous fixons un taux et si nous laissons au ministère la faculté de le changer ? N’est-ce pas là aliéner nos pouvoirs ?
Voilà, messieurs, les considérations que je ne pouvais laisser passer sans réponse. J’insiste pour qu’on maintienne la décision prise hier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le ministre ne s’oppose pas à la discussion immédiate du projet de la section centrale ; mais on nous a fait observer que ce projet nouveau nécessitait qu’on recueillît des renseignements que le projet du gouvernement n’avait pas rendus nécessaires. Les renseignements demandés ne sont pas encore tous parvenus, tous réunis, et surtout ils ne sont pas connus par la chambre.
Si la chambre veut discuter sans être mise à même de prendre connaissance de documents utiles, libre à elle ; mais j’ai cru devoir la prévenir que des documents pourraient lui être présentés.
Je ne tiens pas à discuter lequel des deux projets est le plus simple ; je ferai observer seulement que le gouvernement ne préjuge pas la question de l’impôt, et que la section centrale la décide, puisqu’elle établit un impôt là où il n’en existe pas. Elle veut satisfaire les vœux de l’agriculture ; mais elle peut être contraire aux vœux du commerce, et le commerce a droit d’être entendu. Il eût donc été nécessaire de consulter les chambres de commerce. Il en est une, la principale, qui n’a pas donné son avis ; je l’attends.
Quant à la question constitutionnelle, j’ai déjà fait entendre que le gouvernement ne tenait pas à la mesure qui soulèverait cette question ; si la chambre ne veut pas accorder sa confiance au gouvernement dans un cas où il ne peut avoir intérêt d’en abuser, eh bien, l’article 3 sera supprimé ; il sera défendu au gouvernement de prohiber la sortie des grains.
S’il est attaqué tout à coup par la Hollande, il faudra qu’il laisse entrer les grains dans Maestricht. Voilà un des cas où le gouvernement pourrait, dans l’intérêt de l’Etat, user de la faveur qu’il demandait.
Les grains étrangers seront-ils frappés d’un impôt à l’entrée, ou bien seront-ils soumis à un droit de balance qui ne peut être mis sur la même ligne qu’un impôt ? II serait difficile au gouvernement, dans l’état actuel des choses, de se rallier au projet de la section centrale ; quand pourrait-il le faire ? Je ne puis préciser l’époque. Mais, d’ici à huit jours il serait prêt à s’expliquer sur un projet qui n’est pas le sien, sur un projet qui a été improvisé par la section centrale. Il serait par trop exigeant de vouloir que, sur le projet de loi qui a été lu hier à la séance, le gouvernement s’expliquât aujourd’hui même.
M. de Brouckere. - Nous perdons encore une fois un temps précieux : on discute la question du fond. D’un côté M. le ministre prétend que son projet est le meilleur ; de l’autre M. le rapporteur prétend que c’est celui de la section centrale ; c’est évidemment là la question du fond.
Relativement à ce qui regarde la question de savoir s’il faut ajourner la discussion de la loi, je crois que l’on a épuisé cette discussion deux fois : hier on a dit tout ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur. M. Osy a demandé la remise à huitaine parce que l’on n’avait pas reçu de renseignements et la chambre a répondu qu’elle n’en avait pas besoin. Je soutiens aujourd’hui une opinion contraire à celle que j’ai professée mais c’est par respect pour la décision de la chambre. Je demande que, sans perdre plus de temps, on entame la discussion de la loi. (Appuyé ! appuyé !)
M. A. Rodenbach. - Le ministre nous dit qu’il faut demander des renseignements au commerce ; qu’on avait reçu des nouvelles d’Ostende ; qu’on en attendait d’Anvers. Depuis plusieurs mois, des pétitions ont été adressées à la chambre, et le gouvernement était suffisamment prévenu que des mesures nécessaires à l’agriculture devaient être prises. Quand il s’agit de céréales, un ministre doit savoir que c’est une matière de la plus haute importance. Pourquoi ne s’est-il pas adressé aux chambres de commerce avant de nous présenter son projet ? Il me semble qu’on devrait s’éclairer avant de libeller une loi. On attend des renseignements d’Anvers : mais le commerce peut avoir intérêt à retarder l’envoi des renseignements demandés. Anvers, on peut le prévoir, réclamera la liberté du commerce ainsi qu’Ostende.
Les droits que propose le gouvernement sont illusoires ; ils ne feraient pas la neuvième partie d’un cents sur un pain.
Hier on a dit qu’il fallait passer immédiatement à la discussion du projet de loi. Nous présumons à peu près tout ce que les chambres de commerce pourront dire : il y a d’ailleurs ici des membres de diverses chambres de commerce de la Belgique. M. le ministre de l’intérieur n’a-t-il pas réuni près de lui le conseil du commerce ? Ainsi tous les renseignements nécessaires ne peuvent nous manquer.
Le pays souffre. Il y a quatre mois que la Flandre occidentale a présenté des pétitions sur la situation des agriculteurs. Le seigle maintenant, par suite de l’introduction des grains étrangers, ne vaut que 9 fr., le froment ne vaut que 15 fr., les céréales sont à vil prix. La loi présentée par la section centrale est une loi protectrice ; elle n’impose pas plus d’un cents par pain. Je demande que la discussion commence.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, les reproches dirigés contre le ministère me paraissent reposer sur une erreur.
Les pétitions auxquelles on fait allusion, qu’ont-elles demandé ? L’abrogation de l’arrêté du gouvernement provisoire. Mais, se sont-elles occupées de la législation qui devait suivre ? Non. Peut-on dire que, soit l’agriculture, soit le commerce, aient rien indiqué sur le taux des droits qui doivent frapper les céréales étrangères ? On a seulement réclamé contre la prohibition de l’exportation de nos grains. Eh bien, le ministre, voulant satisfaire à ces exigences, a présenté un projet de loi, par lequel on fait cesser l’abus signalé à la chambre. Sous ce rapport, le ministère est entré dans la pensée des pétitionnaires et de ceux qui ont appuyé les réclamations sont mises à l’assemblée.
Dans la section centrale, on ne s’est pas borné à abroger le décret du gouvernement provisoire ; on a fait revivre la législation de 1830 ; je demande si l’on s’est expliqué dans les pétitions, dans les réclamations diverses, sur la convenance de faire revivre cette législation ?
Le ministre de l’intérieur, qui n’a pu prévoir la transformation qu’on a fait brusquement subir à son projet, n’a pu provoquer sur ce point les délibérations des chambres de commerce.
L’agriculture seule ne doit pas être représentée ici ; le commerce doit aussi être entendu. Le commerce n’avait pas dû être interrogé sur le projet du gouvernement, parce qu’il ne s’agissait que de l’abrogation de l’arrêté du gouvernement provisoire. Le gouvernement ne mérite aucun reproche, puisque, pour le projet qu’il a présenté, il n’avait pas besoin de renseignements. Mais on propose un autre projet, un projet très différent du sien. C’est pour celui-là que les renseignements sont indispensables, et si le ministre demande la remise à huitaine, c’est afin de pouvoir les obtenir.
Hier, le ministre de l’intérieur n’était pas présent à la séance, il était retenu par d’autres travaux ; sans quoi il aurait exposé les motifs qu’il fait valoir aujourd’hui.
J’avais à cœur de prouver que le ministère a fait son devoir, et qu’il n’a pas pu prévoir un nouveau système. C’est, en effet, un nouveau système que présente la section centrale, car il s’agit de revenir à la législation de 1830, qui a été promulguée sous le gouvernement des Pays-Bas et sous l’empire de principes d’économie politique, qui peut-être ne conviennent plus à la Belgique.
Que demande-t-on ? Le temps de voir s’il faut substituer à la législation existant en 1830 une législation convenable, ou s’il fait la faire revivre sans altération.
M. A. Rodenbach. - M. le ministre de la justice traite la question du fond ; il s’agit de savoir si l’on remettra cette discussion.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je ne parle pas sur le fond ; je réponds aux reproches adressés au gouvernement ou aux ministres.
M. A. Rodenbach. - Je prie M. le président d’aller aux voix ; on a dit qu’il ne fallait pas parler sur le fond.
M. Lardinois. - La proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire consiste à demander que la loi sur les céréales soit discuté après la loi sur les naturalisations. Ce n’est donc pas un délai de huit jours que nous demandons, c’est un délai d’un jour ou deux. J’ai fait partie de la section centrale, et je puis déclarer qu’on ne lui a fourni aucun document, et qu’elle n’en a demandé aucun capable de l’éclairer. Cependant qui dira que le projet ne compromettra pas le commerce des grains ?...
M. Tiecken de Terhove. - Il faut aussi ne pas compromettre l’industrie agricole. (Aux voix ! aux voix ! La clôture !)
M. Dumortier. - Je demande à présenter une simple observation. Je ne peux comprendre comment les ministres disent qu’ils ne sont pas éclairés ; peut-on demander au pouvoir de modifier les tarifs sans renseignements ?
M. Deleeuw se dispose à parler.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) prend la parole. - Messieurs, dit-il, remarquez qu’il ne s’agit pas ici d’une question d’intérêt gouvernemental. Le ministre ne demanderait pas mieux que de se rallier à la proposition de la section centrale ; mais c’est parce qu’il n’est pas assez éclairé sur cette proposition qu’il demande la remise. Il y aurait imprudence au ministère de se rallier à une proposition s’il n’a pas une conviction formée.
M. le président consulte l’assemblée pour savoir si la discussion incidente sera close : l’épreuve est douteuse, et, aux termes du règlement, la discussion continue.
M. Fleussu. - Un des ministres a dit : Les reproches que vous nous adressez reposent sur un fait faux : on vous a présenté des pétitions, mais vous a-t-on présenté un système de législation ? Non, messieurs ; on n’a présenté que les alarmes du pays et l’on n’a signalé que la trop grande importation des céréales étrangères.
Mais les pétitions ont été renvoyées à la commission d’industrie, et cette commission a dû donner au ministère les renseignements convenables. Comment, d’ailleurs, auriez-vous pu, sans renseignements, nous présenter un tarif ?
La section centrale n’a fait que changer ce tarif en y substituant le tarif ancien éprouvé par l’expérience, qui donne les meilleurs renseignements.
M. Deleeuw. - Je ne conçois pas comment on veut remettre à huitaine une discussion qui doit avoir lieu aujourd’hui par décision de la chambre. Si le commerce a des représentants dans cette enceinte, ils nous éclaireront. Il ne s’agit ici que d’une loi transitoire, que d’une loi qui n’aura de durée que pendant neuf mois ; il n’est pas nécessaire de l’élaborer comme une loi définitive. Je persiste pour que la discussion ait lieu immédiatement.
M. Dubus. - Messieurs, je crois qu’il n’a été dit aucune bonne raison pour faire changer l’ordre de délibération réglé hier. Le ministre vient de vous déclarer que les renseignements qu’il est obligé de se procurer pour l’examen du projet de la section centrale n’étaient pas nécessaires pour le projet du gouvernement : mais remarquez-le, les mêmes renseignements sont nécessaires pour apprécier l’un et l’autre projet.
C’est la même question à résoudre dans ces deux projets : il s’agit de savoir si le droit à l’entrée des grains étrangers sera de 11 fl. 25 c. sur le froment, ou s’il sera de 2 fl. 50 c., comme le proposent les ministres.
Ont-ils eu des renseignements pour faire cette proposition ? Eh bien ! ces renseignements mettront à même d’apprécier la proposition de la section centrale, ou la demande d’un impôt de 11 fl. 25 c. Ce que les ministres disent est la même chose que s’ils nous disaient qu’ils présentent un projet de loi avant de s’être entourés des renseignements nécessaires.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Avant de présenter le projet de loi, le gouvernement s’est entouré des lumières de la commission d’industrie qui a donné son adhésion à la proposition ministérielle, en ajoutant que, par la suite, il importerait de faire une loi complète sur la matière.
Le ministre a, de plus, cherché à recueillir l’avis des chambres de commerce ; ces avis ne sont pas tous parvenus. Une seule chambre a exprimé son opinion, et cette opinion est favorable au projet.
Il saute aux yeux de tout le monde que le projet ne peut pas donner lieu aux mêmes inconvénients qui pourraient résulter du projet de la section centrale, puisque ce dernier projet établit un impôt là où le gouvernement continue simplement la situation des choses avec une légère taxe pour le droit d’entrée et une modification pour la libre sortie.
L’arrêté du gouvernement provisoire n’était que temporaire, que transitoire ; cependant, depuis deux ans, il s’est établi des changements dans les relations commerciales, et il pourrait y avoir danger à recourir à l’ancien système. Il me serait donc difficile, par cette considération, de me rallier au projet de la section centrale.
M. Dumortier. - Je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit M. Dubus : mais de tout ce débat il résulte que le ministre a présenté une loi sans l’avoir comprise ; car je lui prouverai qu’une partie de son projet est inexécutable ; ainsi il importe peu de savoir s’il a reçu des renseignements et s’il se réunit au projet de la section centrale.
Comment est-il possible qu’un ministre vienne proposer une mesure semblable à celle de l’article 3, et nous dire qu’il n’a pas les renseignements suffisants ? Il est absurde d’admettre de semblables explications Nous devons donc écarter les observations ministérielles et discuter la loi.
M. de Muelenaere. - Je viens appuyer l’ajournement demandé par le ministre de l’intérieur. Voici mes motifs :
La question qui vous est soumise en ce moment est d’une haute importance ; deux grands intérêts se trouvent ici en présence : l’intérêt du commerce et celui de l’agriculture.
Il importe de ne pas sacrifier l’un à l’autre, il importe de les concilier s'il est possible. S’il est vrai, comme vient de l’annoncer M. le ministre de l'intérieur, qu’il a demandé des renseignements aux chambres de commerce sur le projet de loi proposé par la section centrale, quoique j’aie le plus vif désir qu’on discute le plus tôt possible la loi actuelle, je crois qu’il faut accorder au ministre un délai moral pour qu’il puisse se procurer ces renseignements.
Il est probable que dans la discussion, je me prononcerai contre l’opinion des chambres de commerce en faveur de l’agriculture ; mais c’est précisément parce que je professerai une opinion contraire à la leur que je veux qu’elles soient entendues, qu’elles s’expliquent, qu’elles fassent connaître leur avis à la chambre par le canal du gouvernement. Ce sont ces considérations qui me font désirer que l’on ne procède pas immédiatement à la discussion de la loi, afin que le commerce ne puisse pas se plaindre de n’avoir pas été entendu dans une question aussi grave.
En effet, il est possible que le projet du gouvernement n’ait fait naître de la part du commerce aucune réclamation, et que celui de la section centrale puisse donner lieu à des vives réclamations parce que le commerce pourra se croire lésé par le droit. Ce n’est pas mon opinion, mais il n’en est pas moins vrai que le commerce doit être entendu.
Puisque l’on s’est adressé au commerce, j’aurais désiré aussi qu’on se fût adressé aux comités d’agriculture des provinces. Il n’y aura qu’une partie d’entendue dans cette affaire. Le commerce désire que l’importation et l’exportation des grains soit libre ; mais l’agriculture exige d’un autre côté qu’on mette certaines entraves à ce commerce.
Vous savez tous, messieurs, que ce n’est qu’après plusieurs années de lutte qu’on est parvenu à obtenir le tarif de 1830. A cette époque, le tarif fut considéré comme un triomphe des provinces du midi sur les provinces du nord.
Ce tarif fut considéré comme un bienfait, et je tâcherai de prouver que l’on peut y revenir en attendant une législation complète sur la matière.
M. Zoude. - Comme membre de la commission d’industrie je puis parler des renseignements qu’elle a données. Elle a simplement adhéré au projet du ministère parce qu’il était temporaire, et elle a émis le vœu de voir bientôt présenter un projet définitif.
M. Deleeuw. - Je ne puis laisser passer sans réplique quelques observations de M. de Muelenaere. Je rappellerai encore qu’il ne s’agit que d’une loi provisoire, que d’une loi de courte durée. Les précautions que demande l’honorable membre seraient convenables s’il s’agissait d’une loi organique ; il n’est pas question de cela. D’ailleurs par la discussion nous pourrons nous éclairer suffisamment. Je pense que le commerce est représenté dans cette enceinte, et je persiste pour que l’on discute aujourd’hui ce qui est à l’ordre du jour. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - M. A. Rodenbach a proposé la question préalable, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas lieu à revenir sur la décision hier.
- La question préalable est mise aux voix. Le bureau déclare que la majorité de la chambre en vote l’adoption.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je désire que l’on mette en discussion la proposition du gouvernement. La proposition de la section centrale sera considérée comme un amendement.
M. le président. - La discussion générale sur l’ensemble de la loi est ouverte ; la parole est à M. Coghen.
M. Coghen. - Messieurs, l’objet de la discussion qui nous occupe est de la plus haute importance pour la Belgique, dont la principale richesse sont les produits agricoles : il mérite donc toute notre attention.
Je dois m’opposer de toutes mes forces contre le projet présenté par les ministres de l’intérieur et des finances, parce que, loin de protéger notre agriculture, il compromettrait la fortune publique et la prospérité de notre pays, en établissant seulement un droit qui peut être considéré comme un simple droit de balance, au lieu d’un droit protecteur qui est vivement réclamé.
N’oublions pas, messieurs, quel débats, quelle peine, ont eus nos députés aux états-généraux du royaume des Pays-Bas, quelle persévérance courageuse il leur a fallu pour obtenir successivement les droits établis par les lois des 24 août 1822, 10 janvier 1825, 24 mars 1826, 11 avril 1827 ; droits qui existaient encore en 1830, lors de la révolution belge, et qui n’ont été suspendus, à ma demande, par le gouvernement provisoire, que pour des motifs dont la gravité vous est connue.
N’oublions pas, messieurs, les souffrances de l’agriculture, causées d’abord par une abondance générale presque inconnue, et par des lois qui ne la mettaient pas assez à l’abri de la concurrence du Nord, qui inondait nos marchés de ses produits, et avilissait ainsi tellement la valeur de nos céréales, que beaucoup de cultivateurs ont dû abandonner leurs exploitations.
Je me rallie donc au projet de la section centrale, comme amendement, mais seulement comme mesure provisoire, désirant bien vivement qu’avant de clore la session actuelle, nous discutions une loi qui établisse une législation permanente, loi qui doit consacrer d’abord la protection qui est due à l’agriculture comme source première de la richesse publique, mettre le consommateur à l’abri de l’affreuse nécessité de réduire sa nourriture, et donner au commerce une liberté sage, en harmonie avec notre position, une fixité de dispositions qui non seulement permette les combinaisons commerciales, mais les encourage et les développe, afin de fixer dans notre pays le commerce granifère, trop longtemps négligé.
M. Angillis. - Messieurs, nous sommes encore une fois appelés à discuter un lambeau de loi, qui ajoutera une pièce de plus au fatras de lois qui pèse sur la Belgique. Ce petit lambeau, qui a été forgé dans les ateliers de deux ministères, et qui n’a pas plus de mérite pour cela, a été élaboré dans la section centrale avec une vitesse telle, que la première section, que j’ai l’honneur de présider, et qui a terminé le procès-verbal de ses délibérations hier à midi, n’a pas pu être admise à faire valoir ses observations, qui, selon moi, méritaient d’être prises en considération.
Cette manière de fabriquer des lois est réellement étonnante ; et on ne doit pas oublier qu’il ne suffit pas d’aller vite, il faut encore, en législation, tâcher d’aller bien ; car, s’il ne s’agissait que de publier édits sur édits, règlements sur règlements, on dirait sans doute de fort belles choses ; mais tous ces palliatifs, toutes ces demi-mesures, serviraient d’indications de ce qu’il faudrait faire, plutôt que de moyens pour remédier à des abus que l’on veut corriger.
Le projet en discussion soulève des questions graves, des questions de premier ordre, mais qu’on laisse indécises. Cependant, messieurs, il s’agit d’une loi qui tient essentiellement à l’économie politique et d’où dépend la prospérité de notre agriculture, l’activité d’une partie de nos relations commerciales, et qui doit assurez à la classe industrieuse sa subsistance à un prix qui n’est pas hors de toute proportion avec le prix de la main-d’œuvre ; car cette industrie, à tous égards, puise la vie dans le bas prix de la main-d’œuvre, qui se règle définitivement sur le prix des subsistances.
Tel est le triple but que la loi devrait remplir.
La Belgique, éminemment agricole, doit admettre en principe la liberté du commerce des céréales, avec un droit d’entrée sur les grains étrangers ; mais ce principe doit souffrir des modifications selon les circonstances, selon l’abondance et la rareté des grains dans notre pays. Favoriser l’écoulement et gêner l’importation dans les bonnes années, et faire l’inverse dans les années malheureuses, doit être l’office de la loi. Celle qu’on nous présente ne remplit nullement le vœu de la nation ; elle ne repose sur aucun principe, et ne fera que peu ou point de bien. Aussi, a-t-on soin de la présenter comme mesure transitoire, c’est-à-dire une petite loi provisoire dont l’existence est excessivement bornée.
Quant à moi, je ne veux plus de provisoire, c’est un système complet que je réclame. On n’a pas le temps, dit-on : c’est là la réponse ordinaire. Cependant, dans le cas présent je ne crois pas que l’objet soit si pressant ; car, malgré votre petite loi, vous ne parviendrez pas à exporter vos grains, pour la raison qu’en France et en Angleterre il est à aussi bas prix que chez nous. On pouvait donc prendre le temps nécessaire pour préparer un travail digne de son importance.
Si on avait présenté un projet qui embrasse tout le système, j’aurais développé mes idées sur cet objet de la plus haute importance pour nous ; mais en présence d’un projet aussi incomplet, d’un projet sans base et sans principe, je dois, non seulement m’abstenir de développer mes idées, mais même de voter ; car le projet n’est pas si mauvais qu’il mérite un rejet : mais, ne pouvant l’adopter dans l’état qu’il est présenté, je dois donc m’abstenir de voter.
Avant de finir, je ne puis m’empêcher de faire remarquer que le projet pourrait occasionner de graves inconvénients, surtout pour plusieurs cultivateurs des deux Flandres qui habitent les frontières qui séparent ces provinces de la Zélande, c’est-à-dire de la Flandre hollandaise. Beaucoup de ces cultivateurs ont une grande partie de leurs terres dans le territoire hollandais, de manière qu’avec le projet ils ne pourraient transporter dans les fermes les produits de leurs récoltes recueillies sur les terres situées au-delà des frontières. C’est le cas de proposer un amendement : mais, comme je ne voterai pas, j’abandonne ce soin à ceux qui sont disposés à voter pour le projet.
M. Berger. - Messieurs, votre assemblée sera d’accord, sans doute, de faire disparaître les entraves mises à l’exportation de nos céréales. J’approuve d’autant plus toute disposition pareille que les avantages résultant de la prohibition de leur exportation m’ont toujours paru douteux pour la généralité des habitants, tandis que pour certaines localités, telles que le Limbourg et le Luxembourg, territoires trop éloignés des points de grande consommation, la prohibition de sortie dégénérait en vexation bien préjudiciable à ces provinces sans le moindre avantage pour l’Etat.
La prohibition d’exporter les céréales, au lieu de calmer les inquiétudes du consommateur, ne sert souvent qu’à l’effrayer davantage, en faisant présumer une disette qui n’est nullement à craindre. C’est cette considération, autant que l’importance d’un état de stabilité pour les transactions commerciales, qui me déterminent à approuver le projet de la section centrale, lorsqu’elle refuse au pouvoir exécutif l’arbitrage de la libre exportation. Quant au droit d’entrée sur les céréales étrangères, j’eusse, pour le moment, préféré le projet du ministre aux dispositions présentées par la section centrale.
Cette matière doit soulever des questions de la plus haute importance, et qu’il convient d’approfondir. C’est ce que votre section centrale semble avoir reconnu elle-même en ne présentant son projet que pour une durée de temps très limitée. D’ailleurs, l’incertitude et les difficultés actuelles de nos relations politiques et industrielles avec l’étranger ne seraient pas sans influence sur l’examen de cette question.
Pour ce qui a rapport au projet de quelques membres de cette assemblée d’établir, dès à présent, un maximum et un minimum de droit d’entrée, dépourvus que nous sommes, dans une question de cette importance, des lumières de nos chambres de commerce et des commissions d’agriculture, les principales données nous manqueraient pour établir un tarif en harmonie avec les besoins de la production et de la consommation. Sans doute l’exemple de quelques pays voisins peut paraître séduisant ; mais la situation de notre royaume, la nature des relations commerciales, la différence des populations et de l’étendue des territoires de ces pays avec le nôtre, ne devront-elles pas amener de notables différences ?
Le haut degré de perfection à laquelle est parvenue l’agriculture dans nos contrées, la fertilité du sol, la grande variété de ses produits, et enfin, l’admirable intelligence de nos fermiers pour modifier leurs cultures suivant le besoin des circonstances, rendraient-elles encore nécessaire un tarif tel qu’il en existe dans ces pays ? Nous avons à la vérité, quelques provinces où la culture des céréales est presque l’unique produit du sol ; mais, dans ces localités mêmes, n’est-ce pas plutôt par des moyens qui diminuent les frais de production qu’il convient de venir à leur secours ? Je ne crains pas de le dire : de bonnes communications, par exemple, facilitant pour ces contrées le transport de l’engrais et l’accès dans les grands marchés du royaume, seront plus efficaces pour enrichir les cultivateurs que les droits d’entrée les plus élevés sur les céréales étrangères, et cela sans faire tort ni à notre commerce ni à la nombreuse classe des consommateurs. Je me réserve mon vote.
M. Osy. - Moi aussi je ferai comme M. Angillis ; je m’abstiendrai de voter. C’est depuis hier seulement que la section centrale nous a proposé de revenir aux droits existant avant la révolution. Je suis d’avis que, dans un pays comme la Belgique, nous devons particulièrement favoriser l’agriculture, et que le projet du ministre de l’intérieur ne satisfait nullement ce grand intérêt. J’aurais voté contre cette loi, non seulement à cause du tarif, mais encore à cause de l’article 3 ; car je ne veux pas laisser au gouvernement l’arbitraire des importations et des exportations. Cependant, en revenant aux anciens tarifs, je ne sais pas si nous ne ferons pas un grand tort à la consommation, En 1825, le droit sur les froments était, pour trente hectolitres, de 7 fl. ; en 1826, il fut porté, pour la même quantité de blé, à 27 fl. Ainsi il a été à peu près quadruplé. Je crois que ce tarif, auquel on veut nous ramener, est trop élevé pour la consommation.
Nous aurions dû consulter les chambres de commerce, lesquelles appuieront probablement les droits les plus faibles. Quant à moi, mon système, c’est que nous devons favoriser l’agriculture en Belgique ; mais, de la législation qui existait avant la révolution au projet du ministre, il y a une grande distance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je raisonnerai dans l’hypothèse que je comprends le système du gouvernement, jusqu’à ce que les lumières qui doivent jaillir du banc de M. Dumortier nous aient démontré notre erreur.
On a reproché au projet du gouvernement de n’être qu’un lambeau de loi ; il est vrai que ce projet n’est pas très long et qu’il n’est pas d’une portée aussi étendue que celui de la section centrale, quoique ce dernier n’ait pas coûté plus de 24 heures de travail ; mais le projet du gouvernement n’en est pas moins d’une utilité actuelle.
L’année dernière, sans qu’on se soit livré aux reproches que l’on adresse aujourd’hui au ministère, l’honorable M. Osy ne nous a présenté qu’un petit lambeau de loi sur le transit ; cependant ce petit lambeau de loi a été d’un intérêt immense pour le commerce.
On a cru que cette loi, présentée par M. Osy, laissait une lacune à remplir ; on a trouvé extraordinaire qu’alors qu’on permettait la libre entrée des grains étrangers on prohibât la sortie des grains indigènes. Le projet de loi a pour but de lever cette prohibition.
La section centrale voudrait soulever une question plus grave ; c’est celle de savoir jusqu’à quel point on doit frapper les grains étrangers d’un impôt à l’entrée. Le projet du gouvernement n’a pas la même importance ; mais dans l’état actuel des renseignements parvenus à l’administration, je crois qu’il doit avoir la préférence.
L’agriculture a droit à toute la protection du gouvernement. Cependant, je ne sais si ses souffrances sont aussi grandes qu’on ne cesse de le répéter : nous venons d’adopter une loi qui lui est favorable, une loi qui doit augmenter la consommation des céréales, et probablement leur prix. Voilà un premier bienfait pour l’agriculture.
On raisonne sur la baisse que les céréales ont subie depuis quelque temps ; mais si les documents que j’ai consultée sont, comme je le crois, exacts, le prix moyen actuel des grains en Belgique serait plus élevé qu’il ne l’a été dans l’intervalle de 1819 à 1828.
Voici l’un des inconvénients qui pourraient résulter d’une modification trop grande au projet que je propose. Un grand nombre de navires étrangers ont introduit dans le pays une quantité considérable de céréales ; ils les ont déclarées en transit. Je suppose, messieurs, que la plus grande partie de ces grains soit restée dans le pays ; quel sera l’effet du droit d’importation, dont vous voulez frapper les grains étrangers ? Je vais vous le dire : C’est que les grains étrangers, aujourd’hui en entrepôt, seront déclarés en consommation et par là jouiront d’un privilège à l’égard des autres grains étrangers, privilège dont le résultat sera qu’en entrant en concurrence avec les nôtres, ils diminueront le prix des céréales que vous voulez faire hausser.
Je remarquerai, messieurs, que quant aux intérêts du commerce, nous devons surtout en être soigneux, alors que nos rapports à l’extérieur ne sont pas encore solidement établis, alors que le fleuve par où nous arrivent principalement les céréales n’est pas encore, aux yeux de l’étranger, aussi libre que nous devons espérer, que nous devons exiger qu’il le soit.
Je vous prierai d’observer, messieurs, que je ne fais qu’effleurer ici la matière, attendu que je me déclare incompétent pour discuter, quant à présent, l’opportunité du droit d’importation proposé par la section centrale.
On veut justifier le projet de la section centrale en disant qu’il n’aura qu’une durée limitée ; mais n’eût-il qu’une durée de huit jours, s’il avait pour effet d’éloigner ou d’effrayer le commerce, cet effet n’en porterait pas moins des fruits désastreux.
M. Tiecken de Terhove. - En vous proposant une loi autorisant la libre exportation des céréales, trop longtemps défendue, dans l’intérêt de l’industrie agricole et de la prospérité publique, mon but était de rouvrir instantanément des débouchés pour l’écoulement de la surabondance de ses produits.
Je sais que ses dispositions étaient insuffisantes pour venir efficacement à son secours ; mais, cherchant à porter promptement quelque remède au mal, je voulais, par une loi temporaire et qui ne devait avoir que peu de durée, laisser au gouvernement le temps de nous en présenter une complète sur cette législation importante, calquée sur celle en vigueur cher nos voisins et qui pût satisfaire à tous ses besoins et ses développements dont elle est susceptible. Je nourrissais l’espoir que, portant sa sollicitude sur une branche si importante de la prospérité publique, il n’aurait mis que le retard nécessaire pour s’environner de tous les renseignements, de toutes les lumières nécessaires pour la confection d’une pareille loi.
Ce n’est donc pas sans étonnement que j’ai vu que celle qu’il nous présente ne diffère en rien de celle que j’ai présentée, sauf une disposition qui établit un léger droit d’importation, qui n’est réellement qu’un droit de balance, droit qui, si mon calcul est juste, ne monte, par hectolitre de froment, qu’à la modique somme de 20 centimes, et 10 1/2 centimes sur le seigle ; je vois encore, d’après l’exposé des motifs accompagnant le projet de M. le ministre, que, pour nous présenter une loi plus complète, il semble vouloir attendre que nos relations politiques et commerciales avec les autres nations de l’Europe soient assises sur des bases stables, qui permettent d’apprécier toutes les conséquences d’un tarif progressif en rapport avec les prix des céréales ; et qu’ainsi, avec la foi la plus robuste dans un avenir heureux, cette époque pouvant n’être pas bien rapprochée encore, il nous renvoie aux calendes grecques.
Je crois, messieurs, qu’il est urgent, indispensable, de venir promptement au secours de cette industrie par des mesures protectrices, des moyens efficaces ; à cet effet, j’appuierai de toutes mes forces la proposition de la section centrale, indiquée par presque toutes les sections, celle de rétablir, pour cette année, le tarif est vigueur en 1830.
Messieurs, ce tarif est très modéré ; d’après mes calculs, sauf erreur, l’hectolitre de froment paierait 1 fl. 80 c. par hectolitre, et le seigle 1 fl. 05 c. ; ce faible droit d’importation est d’autant plus nécessaire, si vous voulez qu’une partie de la consommation, dans notre pays, se fasse de nos propres produits ; les importations par terre du côté des provinces rhénanes sont considérables. Nous avons à craindre, quand la Baltique sera navigable, et ce moment est ordinairement au mois d’avril, que nous serons inondés des grains du Nord, avec lesquels il est impossible que nous poussions concourir ; et qu’ainsi cette industrie serait entièrement écrasée. Il importe de prévenir ce mal qui non seulement serait fatal aux cultivateurs, aux propriétaires, à l’Etat, mais à toutes les autres branches d’industrie qui en recevront le contrecoup.
D’ailleurs, messieurs, ce tarif est encore en vigueur en Hollande, et ce pays, qui ne vit que de commerce, n’a pas même élevé de réclamations depuis sa séparation ; le nôtre, essentiellement agricole, trouvant ses ressources, ses richesses principales dans cette industrie, l’accueillera avec faveur, et il aura sans doute les résultats les plus favorables sur la prospérité générale du pays. Je le répète donc, il importe de lui porter promptement secours et protection. Je donnerai donc mon vote à la proposition de la section centrale.
M. A. Rodenbach. - Je n’ai demandé la parole que pour répondre à M. Osy. Il a dit que le tarif de 1830 était fort élevé. Je vais vous prouver en peu de mots, messieurs, que cette assertion est exagérée.
En effet, le droit de ce tarif est pour le froment de 11 fl. 25 c. sur 1,000 kilogrammes, et de 7 fl. 50 c., sur 1,000 kilogrammes de seigle. Messieurs, il y a des produits agricoles qui doivent recevoir une protection beaucoup plus forte que celle d’un droit de 15 à 16 p. c. Songez que vous avez augmenté l’impôt foncier de 40 p. c., et c’est après une pareille augmentation que vous allez refuser à nos agriculteurs un droit protecteur aussi minime ! Un hectolitre de froment pèse cette année 80 kilogrammes, et un hectolitre de seigle 73 kil. Le droit que propose d’établir la section centrale doit être en proportion d’un cents seulement sur un kilogramme de pain blanc de Bruxelles, et d’un demi cents sur un kilogramme de pain de seigle.
J’ajouterai que l’article 3 du projet ministériel lui donnerait un pouvoir exorbitant. Je sais bien que M. le ministre de l’intérieur actuel est un parfait honnête homme, il en a donné des preuves. Mais il peut se trouver, on en a vu des exemples en Europe, un ministre qui voulût accaparer une masse de grains pour s’enrichir. Adopter une pareille disposition serait fort dangereux. Le ministre d’aujourd’hui n’est pas un ministre perpétuel ; il peut être remplacé dans deux ou trois mois, l’expérience a dû nous le prouver. Je me prononcerai donc contre le tarif ministériel qui n’est pas même un tarif, et contre le projet du gouvernement.
M. Lardinois. - Messieurs, s’il ne s’agissait que du projet ministériel, je garderais le silence, parce que j’approuve le tarif qu’il a proposé ; mais le projet de la section centrale étant maintenu comme amendement, je prends la parole pour vous soumettre les réflexions qu’il m’a suggérées.
La question des céréales doit faire naître des discussions de principes qu’il serait fastidieux d’aborder dans cette occurrence, puisqu’il ne s’agit, d’après le projet de loi de la section centrale, que d’une mesure transitoire. Le moment n’est pas non plus arrivé d’ouvrir des débats sur les autres questions d’économie politique ; et cependant il serait à souhaiter que la législature eût prononcé sur ces problèmes avant de toucher au tarif des douanes.
J’avoue que je crains que nous n’accordions trop aux fausses théories ou aux préjugés de la routine, et que, nous écartant des principes d’une liberté bien comprise, nous ne tombions dans un système pareil à ceux qui pèsent si cruellement sur la France et l’Angleterre, et dont elles ne pourront se débarrasser qu’après avoir essuyé plusieurs crises commerciales et financières.
A cet égard vous avez un exemple frappant sous les yeux. La France a besoin de nos toiles, de nos houilles, de nos fers, de nos bestiaux ; elle est tellement encroûtée de prohibitions et de gros droits, qu’elle ne peut admettre ces objets qui sont réclamés à grands cris par ses consommateurs. Grâce à ce système, son industrie manufacturière est arriérée, et elle n’ose permettre l’entrée des étoffes de laine et de coton qui stimuleraient ses fabricants et les forceraient à perfectionner leurs procédés de fabrication, pour pouvoir soutenir la concurrence avec les produits étrangers, sans avoir besoin de payer d’énormes primes. La Belgique saura, je l’espère, éviter une position aussi désastreuse pour les intérêts matériels, que dangereuse pour les intérêts politiques.
Depuis deux mois le ministère s’est ému pour les intérêts agricoles ; mais ceux du commerce et de l’industrie manufacturière n’ont pas encore excité sa sollicitude, du moins aucun fait patent ne le prouve. Je ne lui en fais pas de reproche : les circonstances nous sont contraires, et nous devons attendre la paix pour arrêter notre plan d’économie politique et le suivre avec succès.
Vous avez doté dernièrement le pays d’une loi sur les distilleries, et le ministère s’y est rallié en sacrifiant les intérêts du trésor, dans le but de favoriser l’agriculture. Aujourd’hui il vous annonce que l’agriculture est menacée d’une récolte abondante, et il vous propose l’exportation des grains et des droits à l’importation. La section centrale va plus loin encore ; elle déclare qu’il y a urgence de venir au secours de l’agriculture dont la prospérité s’altère chaque jour, et elle propose de rétablir les droits élevés qui frappaient les céréales au mois d’octobre 1830. Tel est, messieurs, l’état de la question.
Loin de moi l’idée de repousser les mesures qui tendraient à protéger justement l’agriculture ; au contraire, je sais que de sa prospérité dépend la consommation, à l’intérieur, d’une grande partie des produits manufacturés ; je ne puis donc qu’incliner à ce qu’on lui accorde une sage protection. Mais je vois qu’on préconise l’agriculture avec exagération, et qu’on voudrait lui donner la préférence sur le commerce et l’industrie.
Cette opinion a été controversée par les écrivains les plus illustres, et c’est seulement depuis que la science économique a fait des progrès rapides que l’on a reconnu que le commerce et l’industrie, qui multiplient à l’infini les produits, ont sur le travail une action immense que n’a pas l’agriculture. Il est aussi prouvé qu’un pays qui accorderait une préférence exclusive au système agricole, et qui ne s’appuierait pas sur ces deux grandes branches de la fortune publique, le commerce et l’industrie, tombent nécessairement dans un état de misère pareil à celui qui fait gémir la Pologne et la Russie, dont les produits de la terre sont sans valeur ou à vil prix. S’il fallait, messieurs, un exemple éclatant de la supériorité des travaux de l’industrie et du commerce sur ceux de l’agriculture, nous n’aurions pas besoin de recourir à l’histoire des peuples anciens ; il suffirait de jeter les yeux sur l’Angleterre, et nous verrions que ses richesses, et par suite sa prépondérance politique, ont leur origine dans ses manufactures et son commerce.
La révolution a certainement compromis beaucoup d’intérêts matériels ; mais ce n’est pas à l’agriculture qu’il appartient d’élever des plaintes, et l’on conviendra sans donc qu’elles seraient mieux justifiées du côté du commerce et de l’industrie. Depuis 1830, le cultivateur a fait des récoltes abondantes et il a trouvé un écoulement facile et avantageux de ses produits. Il est tel fermier qui a pu payer le prix de son fermage avec le produit de la paille de ses grains. L’aisance a donc été chez le cultivateur, et non pas la détresse.
Vos regards devraient plutôt se porter vers l’industrie manufacturière, qui souffre et qui réclame la main-d’œuvre et les matières premières au meilleur marché possible. Je repousse donc le projet de la section centrale, parce qu’il tend à faire hausser le prix des céréales, et que la conséquence de cette hausse sera une augmentation de salaire que le fabricant sera forcé de faire à l’ouvrier. Je le repousse aussi par le motif que je crains qu’en élevant les droits à l’entrée des céréales, nous ne nuisions aux opérations de nos villes maritimes, en détournant le commerce des grains étrangers qui prenait racine dans notre pays. Une autre considération aussi me guide ; la classe laborieuse a peu gagné à notre révolution, et je ne serais pas fâché qu’elle pût se procurer le pain à bon marché.
Je regrette beaucoup qu’on ait mis une précipitation extrême et dans le rapport et dans la discussion du projet de loi. Si j’avais eu le temps de réunir les documents que je puis me procurer, je n’aurais pas été embarrassé de prouver que l’importation des grains étrangers a été d’une influence très secondaire sur la baisse des céréales.
M. Dumortier. - Messieurs, c’est une vérité reconnue que l’agriculture est une source de prospérité pour les Etats, et sous ce rapport elle mérite la plus vive sollicitude. Le commerce est aussi une source de prospérité pour les Etats, mais l’histoire des peuples nous apprend qu’elle n’est pas durable. Ouvrez, en effet, l’histoire, et vous verrez que les villes les plus florissantes par le commerce, telles que Tyr et Carthage, n’ont fait que passer un instant, tandis que les pays agricoles sont toujours demeurés, malgré les révolutions.
Dans l’état où se trouve aujourd’hui le commerce des grains, si nous n’accordons pas une protection à notre agriculture, il est certain que, malgré les produits de l’année dernière, nous la verrons s’altérer, d’autant plus que la contribution foncière a déjà été frappée d’un impôt extraordinaire, et qu’il faudra peut-être encore augmenter cette charge par suite des circonstances.
Si je devais vous démontrer combien il est important d’apporter un remède au malaise actuel, j’établirais une comparaison entre nos grains et ceux qui s’exportent du Nord. Le port d’Odessa exporte annuellement pour 50 à 60 millions de francs de céréales, et ce n’est là que la moitié des grains qui viennent du côté de la mer Noire. De sorte qu’on peut calculer que l’exportation totale de ce point s’élève à une valeur de 120 millions.
Sur les bords du Volga, un hectare de terre ne coûte en principal que 7 à 8 fr., et pour le fermage que 15 à 20 centimes. Indépendamment de cela, il existe des steppes très étendues, où le foin se trouve en abondance pour la nourriture des bestiaux. Le prix du froment est de 4 fr. l’hectolitre. Je suppose que le chargement soit de 1 fr. l’hectolitre, et que les frais de transport s’élèvent à 5 fr. ; j’arrive à un total de 10 fr. l’hectolitre seulement. Or, comment voulez-vous que notre agriculture puisse rivaliser et soutenir la concurrence avec les grains du Nord ?
Le froment en Belgique coûte de 14 à 15 francs l’hectolitre. En admettant comme terme moyen le prix de 14 francs, il est certain que les marchands de blé d’Odessa qui voudraient les vendre sur le pied de 13 fr. feraient encore des bénéfices considérables et écraseraient notre agriculture.
La protection que le gouvernement prétend lui accorder est vraiment une protection dérisoire ; car qu’est-ce qu’un droit aussi minime que celui qu’il propose, quand le commerce peut procurer les grains aux deux tiers de ce qu’ils valent sur nos marchés ? Je crois donc que nous devons nous rallier au projet de la section centrale, dont le tarif est le même que celui en vigueur en 1830, et n’a rien d’exorbitant.
Je ferai remarquer que le gouvernement provisoire n’a changé cette législation que par la force de circonstances momentanées et qui n’existent plus à présent. On pillait alors les grains sur nos marchés, et leur prix était très élevé à cause des craintes qu’inspirait une disette factice. Dans un pareil état de choses, la mesure que le gouvernement a prise était dictée par la prudence et par la sagesse.
Mais maintenant que ces circonstances n’existent plus, on doit en revenir aux dispositions précédentes qui ont été une cause de prospérité pour notre pays.
J’ai fait observer que MM. les ministres n’ont pas compris le projet qu’ils nous ont présenté, et je le prouve. M. le ministre de l'intérieur, en disant tout à l’heure qu’il attendait les lumières que je jetterais dans la discussion, a admis en principe que le droit élevé proposé par la section centrale aurait cet inconvénient que tous les grains actuellement en entrepôt seraient mis immédiatement en consommation. Mais le projet ministériel ne pare en aucune manière à cet inconvénient, s’il est réel. Il y a plus, messieurs, et c’est ce qui vous prouve que MM. les ministres ne l’ont pas compris, ce projet fixe précisément le même droit pour le transit que pour l’entrée. N’est-ce pas là une absurdité ? Qui viendra réclamer le transit, alors que le droit d’entrée sera le même que pour le transit. Pensez-vous que le commerce ne mettra pas en balance toutes les entraves du transit, tous les frais qu’il exige ?
Je crois que ces observations suffisent pour appuyer l’amendement de la section centrale.
Maintenant, si les ministres tiennent à l’adoption de l’article 3 de leur projet, je m’élèverai de toutes mes forces contre l’adoption d’un pareil système. Je ne crois pas que la constitution ni le sens commun permettent au gouvernement d’augmenter à volonté le taux de droit d’exportation, ni de prohiber la sortie des grains. Si MM. les ministres tiennent à leur projet, je déclare formellement que je ferai la proposition d’établir un maximum et un minimum. J’ai rédigé ce projet sur les calculs que la commission belge a présentés en 1822, relativement aux céréales. Vous n’ignorez pas que les bases arrêtées par cette commission étaient généralement désirées en Belgique, et que c’est le commerce d’Amsterdam qui en a empêché l’adoption. J’ai fait insérer ce projet dans le Moniteur de ce jour afin que les membres de cette chambre pussent en prendre connaissance.
M. Verdussen. - Quelque difficulté que m’offre l’improvisation, j’éprouve cependant le besoin de dire deux mots sur l’ensemble du projet qui nous occupe. Il est indubitable que la loi que nous a présentée le gouvernement a été provoquée par les nombreuses réclamations qui lui sont parvenues. Mais dans quelles circonstances ces réclamations ont-elles été faites ? Lorsque l’exportation des grains était prohibée. Il me paraît que c’était déjà faire un grand pas, et accueillir ces réclamations, que de permettre l’exportation et même de frapper d’un léger droit d’importation les grains étrangers.
On me dira : Lorsque l’exportation était prohibée, l’importation l’était aussi. Oui, c’est vrai ; mais que propose la section centrale, avec plusieurs orateurs qui ont parlé dans son sens ? De nous remettre dans l’état où nous nous trouvions, lorsque nous étions réunis à la Hollande. Mais s’est-on rendu compte de la convenance d’une pareille mesure, maintenant que la Belgique est séparée de la Hollande ? A-t-on examiné la question de savoir si ce ne serait pas déplacer le commerce ? Je crois qu’on ne s’est pas rendu compte de tout cela. C’est pour ce motif que je regrette qu’on ne se soit pas éclaire des lumières des chambres de commerce.
On dit que le droit proposé est trop minime, comparativement à la valeur de la marchandise. C’est une assertion que je ne puis admettre ; car lorsqu’une marchandise s’élève, par le droit dont elle est frappée, de 7 à 8, il me semble que cela est suffisant, et c’est ce qui a été démontré dans la discussion.
On a l’intention de venir au secours de l’agriculture. Mais si le sénat, à qui cette loi sera renvoyée, suit votre exemple, et qu’il repousse également les lumières des chambres de commerce, dans quelle position se trouvera le gouvernement qui seul aura pu recueillir ces mêmes lumières, si après l’adoption de la loi, il est prouvé qu’elle écrase le commerce ? Devra-t-il la repousser contre le vœu des deux chambres, ou devra-t-il la sanctionner alors qu’il saura que c’est la ruine du commerce ? Cela prouve combien il eût été prudent de consulter les corps qui se trouvent en dehors de cette chambre, et qui sont à même de donner des renseignements sur la matière.
Quant à ce qu’a dit M. Dumortier que le transit n’offrirait aucun avantage pour le commerce dès que le droit d’entrée ne serait pas plus élevé, je fais observer que, lorsque des grains ont été introduits en transit avec facilité d’exportation, on a toujours le droit de les réexporter, même quand il serait rendu une loi prohibitive de l’exportation.
M. de Foere. - Je me bornerai pour le moment à rencontrer quelques objections que nous a présentées M. le ministre de l’intérieur.
D’abord, je ne conçois pas que les ministres viennent proposer ici un projet de loi sur les grains alors qu’ils n’ont pas la statistique des grains introduits en transit dans la Belgique depuis la loi Osy, ensuite la statistique des grains exportés, et enfin la statistique constatant la quantité des grains qui restent en entrepôt. Ils devraient savoir que l’on ne confectionne pas un projet de loi aussi important comme on écrit un roman ; il faut qu’il soit basé sur des faits et surtout des faits incontestables.
Je ne conçois pas, d’un autre côté, pourquoi, alors qu’une grande quantité de grains reste en entrepôt, pourquoi ces grains devraient être livrés dans la consommation intérieure. Comme l’a prouvé M. Verdussen, ces grains ont le droit d’être réexportés sans qu’une nouvelle loi puisse les atteindre.
M. le ministre de l'intérieur a dit aussi que la loi Osy était favorable au commerce des grains. Je ne contesterai pas cette assertion, je la crois même vraie ; mais son exactitude dépend de la question de savoir comment le gouvernement exerce le droit de contrôle sur les grains en transit.
Je demanderai à M. le ministre des finances s’il est à même de nous exhiber les trois statistiques dont j’ai parlé. Si le gouvernement ne dispose pas des moyens de contrôle et de surveillance sur les grains introduits en transit, moyens qui se trouvent relâchés après une révolution, il est évident que nous ne pouvons pas faire une loi de transit.
J’ajouterai encore une observation.
Il y a quelque temps, messieurs, qu’un ministre est venu nous demander l’augmentation de l’impôt foncier. Maintenant, un autre ministre vient nous proposer un tarif désastreux pour notre agriculture, et ces deux projets, dont l’un frappe l’impôt foncier de 40 p. c. d’augmentation, et dont l’autre tend à ruiner nos cultivateurs, portent la formule : « de l’avis de notre conseil des ministres. »
Quant à la question de fond, je dirai que je faisais partie de la première section, et que cette première section a proposé d’établir une échelle ascendante et descendante. Ce serait là un véritable moyen de protéger l’agriculture ainsi que l’industrie, et je désirerais qu’on pût adopter ce terme moyen.
M. Mary. - Je n examinerai pas s’il convenait que MM. les ministres se fussent entourés des lumières des chambres de commerce avant de nous présenter le projet de loi en discussion ; mais je dois l’avouer, ces renseignements ne me semblent pas indispensables, comme on vous l’a dit, car nous avons devant nous les mercuriales des mois d’octobre et novembre 1830, et les mercuriales actuelles.
D’après les mercuriales d’octobre et de novembre, le prix du froment s’élevait à 11 à 12 florins par hectolitres. Le gouvernement provisoire, dans l’arrêté qu’il a cru devoir prendre pour suspendre l’exportation des grains, a dit que cette interdiction pourrait être levée lorsque les circonstances le permettraient.
Eh bien ! messieurs, cette époque est maintenant arrivée. Nos céréales sont tombées. Le prix du froment n’est plus que de 7 à 8 fl., tandis qu’en 1830 il était de 11 à 12 florins. Il faut donc nécessairement prendre des mesures propres à protéger l’agriculture qui, depuis la révolution, nous a rendu des services signalés ; car c’est elle surtout qui a supporté le poids des deux emprunts de 10 et 12 millions, et c’est sur elle encore que vient de peser une augmentation d’impôt de 40 p. c. Est-ce dans de pareilles circonstances que vous voulez l’abandonner, en présence de la concurrence des grains étrangers ?
Si la loi devait avoir une longue durée, je concevrais qu’on redoutât pour la suite les mêmes inconvénients que ceux qui ont fait porter l’arrêté du gouvernement provisoire ; mais ce n’est qu’une loi transitoire, et nous ne sommes plus aujourd’hui dans des circonstances semblables. Nous pouvons donc admettre le projet de la section centrale et le droit qu’elle propose.
On a fort bien dit que ce droit est assez faible en lui-même puisqu’il n’est que d’un florin par hectolitre pour le froment. Vous savez, messieurs, qu’un hectare de terre ne produit que 18 à 20 hectolitres, déduction faite de l’ensemencement, et qu’il paie en impôt 12 à 15 florins. C’est donc une somme équivalente à celle que donne l’agriculteur pour le produit de son champ que la section centrale propose de faire payer par les grains étrangers. C’est remettre les choses dans leur état naturel.
Du reste, ce n’est pas le moment d’entrer dans la discussion des lois sur les céréales, loi qui, en France et en Angleterre, excitent beaucoup de mécontentement. Mais là elles sont différentes de celle adoptée en 1826 pour la Hollande.
Le droit est excessif en Angleterre. Il est au moins de 25 schellings par quarter, équivalant à trois de nos hectolitres environ, c’est-à-dire que ce droit s’élève jusqu’à 10 fr. par hectolitre, tandis qu’ici il n’est guère que de 2 fr. Le spectacle que nous donnons est assez singulier, car ce sont les députés belges qui, aux états-généraux, ont réclamé un droit sur les blés étrangers dans l’intérêt de l’agriculture de la Belgique, et ils ne se sont pas contentés du droit de 22 fl. qu’ils avaient obtenu en premier lieu, ils ont fait de nouvelles réclamations, et ce droit a été porté à 24 fl. et ensuite à 27 fl.
Je crois que, comme eux, nous devons protéger une industrie qui est la plus importante et qui a été si utile. J’appuie le projet de la commission.
M. Marcellis. - J’ai fait partie de la section centrale ; j’ai donc le droit, je dirai le devoir, de défendre son projet contre l’ensemble des attaques dont il a été l’objet.
Et, pour entrer en matière, je dirai à l’honorable M. Angillis : Qui prouve trop ne prouve rien. Vous avez raisonné au point d’exclure toutes les lois transitoires ; mais ces lois transitoires, que je n’aime peut-être pas plus que vous, il nous les faut pour tous les cas d’urgence, sous peine d’affranchir le ministère d’une grande partie de notre contrôle. Car, de deux choses l’une : il faut que le ministère ait de la latitude plus qu’il n’en demande et que nous n’avons l’intention de lui en accorder, ou bien que nous consentions à faire ces petites lois, que l’urgence réclame. Qu’il y ait urgence pour les céréales, cela est évident, d’après la marche que la chambre a suivie dans cette matière, d’après la multitude de pétitions sur cet objet, d’après la décision qu’aujourd’hui encore la chambre vient de prendre, en ordonnant de commencer la discussion avant celle de tout autre projet.
Il est malheureusement vrai, les lois urgentes sont nécessairement imparfaites. Ici du moins nous avons quelque avantage, parce que notre loi urgente sera basée sur un tarif longtemps discuté dans les états-généraux, longtemps pratiqué par le commerce, et qui a été considéré comme un triomphe par les provinces méridionales. C’est de l’honorable M. de Muelenaere que nous tenons ces détails, et cependant il a voulu des lenteurs en nous renvoyant aux chambres de commerce et aux comités d’agriculture. (On rit.) Que risquons-nous à adopter provisoirement un tarif que je crois que la Hollande elle-même conserve encore, elle qui certes ne sacrifie point le commerce à l’agriculture ?
Plus tard nous tâcherons de faire une bonne loi définitive, Nous y parviendrons. Déjà les journaux, je veux dire un journal, a répandu sur cette question des lumières qui nous seront utiles. La France possède une bonne loi progressive sur les céréales ; il n’y aura qu’à la modifier d’après les exigences de notre pays. L’Angleterre aussi a une loi progressive, mais dont le taux est trop favorable à l’agriculture. Nous ne suivrons pas cet exemple.
Je vais répondre à l’honorable M. Lardinois. Il s’intéresse vivement à l’industrie ; mais l’art qui produit le grain est aussi une industrie bien importante. La protéger est notre droit ; une loi sur les grains est plus encore, c’est une loi politique. Que faisons-nous d’ailleurs ? Nous nous rapprochons des lois ordinaires, les changements doivent être lents ; mais c’est tout le contraire quand on s’en rapproche. De tels changements sont favorables. Nous devons prévenir le moment des arrivages des grains des ports de la Baltique. C’est un danger qui vous a été signalé par l’honorable de Tiecken.
Dans l’intérêt du commerce, nous avons un droit modéré de transit. Le commerce n’a point réclamé contre le transit que propose la section centrale, c’est l’ancien transit. Pourquoi nuirais-je au commerce d’Anvers ? Je suis de ce pays. Mais il faut qu’aujourd’hui Anvers se contente du transit des grains, ainsi que veut l’intérêt de toute la Belgique.
Ici je m’approche davantage de l’argumentation de l’honorable M. Lardinois. Oui, le droit à imposer sur l’importation des céréales doit élever le taux des salaires ; mais, remarquons-le, l’impôt sur les céréales ne peut élever le prix du pain que de 15 p. c., tandis que la baisse supportée par les grains depuis peu de mois fait baisser le pain de 30 p. c. Qui y a-t-il donc dans notre projet qui puisse inquiéter l’industrie manufacturière ? Je tiens ces détails de l’honorable M. Rodenbach, dont j’apprécie beaucoup les lumières. (On rit.)
Et qu’on ne croie point que je veuille donner à notre agriculture une prééminence décidée sur l’agriculture étrangère ; je me contente de moins pour elle. Il suffit qu’elle puisse concourir ; mais je doute qu’elle le puisse même avec le tarif que nous proposons. Que le commerce provoque une loi définitive, je ne demande pas mieux ; mais qu’arrivera-t-il ? C’est que peut-être le tarif que nous établirons donnera, dans les circonstances actuelles, un droit plus élevé pour l’importation des grains. Ainsi l’agriculture est bien aussi intéressée que le commerce à avoir une loi définitive.
Je souhaite que la loi que nous faisons ne sorte pas tous ses effets, du moins sous le rapport de la date de durée que nous proposons. Mais, pour y mettre fin, il nous faut une bonne loi progressive. Plus tard, messieurs, dans la discussion des articles, je rencontrerai d’autres objections, et je prouverai que nous avons assez de renseignements pour ce que nous nous proposons de faire.
M. Fleussu. - Messieurs, je n’ai que quelques mots à vous dire. Je me proposais de parler en faveur de notre industrie agricole ; mais notre collègue, M. Mary, a prévenu toutes les considérations que je voulais présenter à la chambre. Je me bornerai donc à lui soumettre deux observations sur ce qui a été dit, et de la part d’un honorable membre de cette assemblée, et de la part d’un ministre.
Un honorable membre de cette assemblée, reprochant au gouvernement de n’avoir présenté qu'un lambeau de loi avec beaucoup de légèreté, a cru convenable d’associer à ce reproche la section centrale. Je lui répondrai que la section centrale ne méritait à aucun titre d’être associée à ce reproche, et je vais le prouver. Elle n’a agi ni avec légèreté, ni avec trop de précipitation, car elle a employé toute une séance pour examiner au projet de loi de trois articles, Or, si la section présidée par M. Angillis n’a pas envoyé son rapporteur à la section centrale, il en résulte, non pas que cette dernière a agi légèrement ; mais seulement que la section de M. Angillis s’est trouvée en retard. Il me semble que cette explication était nécessaire.
Vous savez, messieurs, que quand M. le ministre de l’intérieur a présenté le projet du gouvernement, l’urgence de son examen a été réclamée, sinon par lui, du moins par la chambre, et je ne sais pas même si cette urgence n’a pas été prononcée. Ce que je sais très bien, c’est que, dès le lendemain de la présentation du projet, toutes les sections ont été convoquées pour l’examiner ; toutes moins une se sont livrées à cet examen, et en ont envoyé le résultat à la section centrale. C’est après une délibération de deux heures que celle-ci a arrêté son projet de loi.
Je reviens maintenant au fond de la discussion. Il m’a paru que M. le ministre de l’intérieur a affecté de reprocher à la section centrale de vouloir établir un impôt sur l’exportation des grains ; mais, ce qu’il nomme, dans son exposé de motifs, un droit de balance, n’est-il pas un véritable impôt ? Que vous lui donniez le nom de droit de balance, ou toute autre qualification que vous voudrez ; qu’il soit bas ou élevé, peu importe ! Ce n’en est pas moins un impôt. La section centrale a consulté, pour fixer les bases de son travail, l’expérience faite antérieurement, et qui n’a suscité aucune plainte. Le tarif qu’elle propose a été conquis à la suite d’une lutte soutenue aux états-généraux par les députés belges contre les députés hollandais. Eh bien ! allez-vous maintenant adopter un autre tarif, quand celui dont nous demandons le rétablissement n’a excité aucune réclamation et a servi au bien-être de notre agriculture ?
Mais, a dit M. le ministre de l’intérieur, je vous ai signalé les inconvénients de l’adoption de ce système. Vous savez qu’après la loi faite l’année dernière sur la proposition de M. Osy, des grains sont arrivés en immense quantité dans nos ports : il y en a une masse considérable à Anvers, et l’on peut répandre ces grains dans le pays. Messieurs, cet inconvénient, s’il existe, est très faible, eu égard à une importation continue. D’ailleurs, si je connais bien ce qui est relatif à l’entrepôt, cet inconvénient n’existe pas ; car l’entrepôt est un lieu où les grains, quoique dans le pays, sont censés ne pas y être ; et si, au moment de la promulgation de la loi, ils ne sont pas transités, on pourra les astreindre au droit.
M. Desmet. - Messieurs, deux questions importantes se présentent dans la discussion des deux projets qui nous occupent ; celle de la libre exportation de nos grains et celle de l’importation des grains étrangers.
La question de l’exportation des grains me paraît claire et je voterai pour cette libre exportation ; voici mes motifs :
Deux intérêts majeurs, en apparence contraires, font balancer les opinions sur cette grave question ; celui des propriétaires et celui des consommateurs.
Celui des propriétaires exige que l’agriculture, qui est la base de toutes les richesses, soit encouragée par tous les moyens approuvés par la justice, la raison et l’expérience ; qu’elle ne soit jamais entravée par la vente de ses produits, et qu’elle puisse en toute liberté leur chercher des débouchés, non seulement dans l’intérieur, mais encore dans tous les pays étrangers où on voudra les admettre.
D’autre part on invoque l’humanité en faveur de consommateurs, dont les trois quarts sont des journaliers, qui, n’ayant que des salaires à peine suffisants pour les faire exister, doivent craindre que des exportations trop fortes ne fassent hausser le prix des grains à un taux excessif au-dessus de leurs moyens. Les entrepreneurs de manufactures et leurs ouvriers ont le même intérêt, non seulement pour leur dépense personnelle, mais encore pour la prospérité de leurs fabriques, parce que des salaires trop élevés, qui seraient l’effet du haut prix des grains, pourraient faire monter le prix des marchandises qui en sortiraient, et rendre la concurrence étrangère plus redoutable. Ainsi l’intérêt des journaliers des campagnes, celui des ouvriers et des entrepreneurs des fabriques, semblent se réunir pour leur faire désirer que la sortie des grains soit prohibée, afin qu’ils se maintiennent toujours au plus bas prix possible.
Ici, la question se simplifie ; elle se réduit à rechercher si la prohibition doit opérer plus efficacement le bas prix des grains, que la liberté d’exportation.
Or, l’expérience nous fait connaître que dans les pays où l’exportation des grains est constamment permise, tels que la Pologne, la Crimée, l’Afrique, les Etats-Unis d’Amérique, le prix courant des grains est toujours plus bas que dans les contrées soumises à la prohibition. La raison en est que, la certitude de l’exportation faisant proportionner les cultures aux ventes intérieures et aux demandes extérieures, il se trouve toujours dans les magasins des quantités immenses de grains et une surabondance qui maintient les denrées à bas prix ; car alors, les prix étant beaucoup plus élevés, les vendeurs, sans même que l’autorité s’en mêle, aiment mieux vendre leurs grains chez eux que de les expédier dans l’étranger à grands frais, en courant les risques de mer, d’avarie et d’une rentrée de fonds éloignée.
La question de la libre exportation me paraît donc claire, et surtout dans cette année que la dernière récolte a été extraordinairement abondante et que la prochaine promet beaucoup ; et loin que jamais la libre exportation pourrait être nuisible au pays, elle sera toujours un puissant encouragement pour son agriculture, et augmente même ses ressources dans les années de disette.
Mais la deuxième question, qui est celle de savoir si dans ce moment il y a nécessité de défendre l’importation des grains étrangers, ou du moins d’assujettir leur entrée à des droits élevés, est pour moi plus difficile de résoudre à présent, et il me semble, messieurs, que vous êtes dans l’impossibilité de lui donner une solution suffisante si vous n’avez auparavant communication des mercuriales des principaux marchés du royaume ; car, comment pourriez-vous juger ce procès si vous n’avez des pièces et des preuves pour le motiver ?
J’insiste donc fortement à ce que le ministre nous donné communication des dernières mercuriales des principaux marchés du pays, et si je ne puis obtenir ces renseignements, certainement que je n’émettrai point de vote sur le projet de loi en discussion et m’abstiendrai de voter ; car on dit, par exemple, que les seigles sont à un prix trop bas, et un de nos honorables collègues, député des Flandres, m’a assuré qu’aux derniers marches de Gand ces grains ont été vendus à 22 escalins courant ou environ 19 fr. le sac de Gand ; certainement ce prix n’est pas bas ; il est, au contraire, très élevé, et me paraît trop haut pour le consommateur prolétaire.
Vous sentez donc, messieurs, que vous devez connaître auparavant les prix réels des céréales avant que vous puissiez émettre un vote motivé sur la question de savoir si vous ne devez point conserver la libre entrée des grains. Il est possible que le prix du froment soit trop peu élevé, comme l’a avancé l’honorable M. Mary ; mais il est certain que le seigle, qui est le grain le plus important pour la basse classe de nos provinces de Flandre, n’est pas d’un prix trop bas, et si vous pouvez trouver utile de défendre l’entrée du froment, il ne paraît pas évident que la même nécessité se présente pour le seigle qui, dis-je, est d’une grande importance pour la nourriture de nos campagnards et qui sert de principal aliment à nos distilleries, qui, j’espère, vont augmenter en nombre avec la loi libérale que la chambre vient de voter, et qui vont consommer beaucoup de seigle.
M. de Theux. - Ce que j’ai dit, dans une précédente séance, lors de la discussion de la loi sur les distilleries, doit assez faire connaître mon opinion sur les deux projets actuellement en discussion.
Le projet du gouvernement, loin d’accorder une protection à l’agriculture, lui serait funeste. La section centrale, au contraire, vous propose de venir immédiatement à son secours par une mesure provisoire ; elle vous demande de rétablir son tarif qui a été longuement discuté, dans les anciens états-généraux, lors de notre réunion à la Hollande, Ce tarif n’a donné lieu à aucune plainte, et je ne vois pas quel danger nous courons en l’adoptant aujourd’hui.
Quelques orateurs ont cru qu’en élevant le prix des céréales on nuirait à la classe ouvrière ; c’est une erreur qu’il est important de réfuter. Mes honorables collègues voudront bien se souvenir que lorsque les grains sont tombés au dernier prix, la classe ouvrière s’en plaignait amèrement, parce que ceux qui devaient l’employer n’avaient pas les moyens de lui payer un salaire.
Le projet de la section centrale n’a pas seulement pour but de protéger l’agriculture, mais aussi le commerce des villes car on sait qu’il s’est élevé des plaintes générales dans les villes, parce que les boutiques sont désertées par les campagnards. Si vous voulez que les différentes classes de la société vivent dans l’aisance, donnez-leur-en le moyen, c’est-à-dire soutenez les grains à un taux suffisamment élevé.
M. Donny. - Je me bornerai à combattre deux arguments dont M. le ministre de l’intérieur a fait usage, et qui ne paraissent pas fondés.
M. le ministre vous a dit : Il n’y a peut-être pas d’urgence à protéger l’agriculture avec les moyens indiqués par la section centrale. Vous venez déjà de faire une loi extrêmement avantageuse à l’agriculture, celle des distilleries. Par suite de l’adoption de cette loi, les distilleries vont prendre une grande extension et consommer plus de grains. Par conséquent, le prix des grains haussera, et l’agriculture n’aura plus lieu de se plaindre.
Je réponds à M. le ministre qu’il n’en sera pas ainsi. Si les distilleries consomment plus de grains, le prix ne s’en élèvera point, mais seulement la quantité introduite par importation s’augmentera.
M. le ministre vous a dit aussi : Si vous adoptez le projet de la section centrale, voici ce qui va arriver. Il y a dans les entrepôts une grande quantité de grains. Eh bien les entrepositaires, pour ne pas être soumis au droit, vont se hâter de verser tous ces grains dans la consommation intérieure, et il en résultera que vous verrez tomber le prix des grains sur nos marchés.
Je réponds encore à M. le ministre que les grains qui sont dans nos entrepôts sont destinés au transit, et on ne changera pas cette destination, puisque nos céréales sont à très bas prix. Je pense donc que nous n’avons rien à craindre de ce chef.
Messieurs, il faut protéger d’une manière égale l’agriculture et le commerce, et c’est parce que je veux atteindre ce but que je voterai pour qu’on en revienne le plus tôt possible à la législation de 1827, car cette législation permettait à l’agriculture et au commerce de prospérer.
M. de Muelenaere. - Je regrette l’absence d’un honorable membre que vous avez entendu ; son absence m’impose toutefois de ne pas répondre aux plaisanteries qu’il a adressées à ceux qui ne partagent pas son opinion ; je répondrai donc à M. Marcellis comme s’il avait parlé sérieusement.
Messieurs, je reconnais avec l’honorable préopinant qu’il est important, qu’il est urgent même, de venir au secours de l’agriculture qui, par la baisse des céréales, se trouve depuis quelque temps dans un grand état de souffrance ; mais je lui demanderai où il a pu trouver que je voulais des lenteurs : est-ce vouloir des lenteurs que de de demander une remise de deux ou trois jours ?
Quoique l’honorable M. Marcellis nous ait appris qu’Anvers est son pays, il ne m’en sera pas moins permis de douter que le commerce de cette ville l’ait chargé de la défense de ses droits.
Je regrette que le commerce n’ait pas été entendu, qu’il n’ait pas pu faire valoir les griefs qu’il a contre le projet de loi en discussion ; car, moi, je ne veux sacrifier ni le commerce, ni l’agriculture ; mais je pense que le commerce ne m’aurait pas convaincu que le projet de la section centrale n’est pas dans les véritables intérêts du pays.
Au surplus, messieurs, je suis de l’avis de plusieurs honorables préopinants, et notamment de l’avis de l’honorable M. Mary, qu’il est de toute nécessité de venir au secours de l’agriculture ; je suis, avec lui, d’avis que ce que nous pouvons faire de mieux dans les circonstances actuelles, c’est d’en revenir purement et simplement à ce qui existait en 1830.
On était arrivé à cette législation après une lutte de plusieurs années, lutte qui s’était engagée entre les provinces du midi et celles du nord. Cette législation avait été accueillie avec reconnaissance par l’agriculture, et depuis elle n’a pas fait naître de récriminations de la part du commerce.
Je conçois cependant que, parce qu’une loi n’aurait pas fait naître de récriminations en 1830, ce n’est pas une raison de l’adopter en 1833, parce que les circonstances peuvent avoir changé. Ce changement de circonstances est encore un motif pour lequel j’aurais désiré que le commerce eût été entendu.
J’ai l’espoir fondé que le tarif de 1830 n’apportera aucun préjudice aux véritables intérêts du pays.
M. Angillis. - La section centrale a été d’une vitesse extraordinaire. Son honorable rapporteur, tout en voulant me combattre, a confirmé pleinement ce que j’ai dit ; d’après ce qu’il a déclaré, j’ai dû dire que la section centrale était allée en poste. Il a déclaré qu’elle n’avait mis que deux heures pour la rédaction du rapport. Je demande à tous si l’on peut examiner les rapports de cinq sections, les bases d’un projet de loi, et faire d’autres besognes de rédaction en deux heures ? Je ne pousserai pas plus loin ces observations, puisque M. Fleussu m’a rendu justice en confirmant ce que j’avais dit sur la section centrale.
On a reproché à la première section de n’avoir pas envoyé de rapporteur ; mais la première section a cru qu’il ne fallait pas aller si vite : elle voulait poser un principe ; elle croyait qu’un projet de cette nature devait reposer sur des bases, sur le prix des mercuriales, sur les transits et sur d’autres documents statistiques. Après une délibération de deux heures, la section centrale a terminé son travail ; la première section n’a pas eu le temps de présenter son rapporteur. Voilà comment les choses se sont passées.
Quant à ce qu’a dit M. Marcellis, je ne crois pas devoir y répondre. J’ai voulu protester contre des mesures transitoires. Permis à M. Marcellis de les admirer ; moi, je déclare n’en plus vouloir, et je m’abstiendrai de voter.
On a parlé des longues délibérations des états-généraux ; je m’honore d’avoir pris part à ces longues délibérations en luttant pendant deux ans pour soutenir les intérêts du pays.
Pour porter une loi sur la matière dont nous nous occupons, il faut des détails statistiques. Il faut, pour élaborer de bonnes lois une institution qui manque à la Belgique, une institution que le congrès n’a pas voulu parce qu’il voulait un gouvernement à bon marché, idée louable sans doute, mais idée chimérique : sans conseil d’Etat ou sans comité législatif, vous ne pourrez jamais former une bonne législation.
M. Fleussu. - Si le ministre nous avait présenté un système complet sur la matière, je concevrais les réflexions de M. Angillis ; mais il ne nous a soumis qu’une loi transitoire en trois articles.
On a parlé des procès-verbaux des sections ; mais celui de la première section était un petit carré de papier, et il n’a pas pu par sa longueur retarder le travail de la commission.
M. Osy. - La loi présentée par le ministre est sans doute dans l’intérêt du commerce, mais le commerce est libéral et il ne trouvera pas mauvais que l’on rétablisse les lois antérieures à la révolution et sous lesquelles l’agriculture a trouvé protection. J’ai dit que nous devions consulter les intérêts de l’agriculture et de la consommation, et c’est pour ce motif que j’aurais voulu être éclairé et attendre quelques jours pour que des communications utiles nous soient faites.
Si le ministre a consulté le commerce sur son projet de loi, il a dû le trouver admirable. Quoi qu’il en soit, si on consulte le commerce sur les anciens tarifs, il n’aura rien à objecter.
On craint que les grains en entrepôt ne puissent être mis en consommation et faire diminuer les prix des céréales. Il est vrai qu’on s’empressera de mettre en consommation les grains des entrepôts : cependant ne vous effrayez pas, on ne mettra pas les grains en consommation pour les vendre à vil prix. Les négociants les garderont jusqu’à ce que la vente soit avantageuse. (A demain ! à demain ! Il est quatre heures.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je voudrais parler demain au commencement de la séance. (- La clôture ! la clôture !)
M. de Brouckere. - Il y aurait inconvenance à ne pas entendre le ministre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il a été fait un grand nombre d’objections, j’ai besoin de les examiner. L’assemblée paraît fatiguée ; moi-même je le suis aussi ; je demande à être entendu demain. Si l’on ferme la discussion générale, alors je me réserve de parler sur l’un des articles.
M. Dumortier. - Je désirerais que d’ici à demain on imprimât les mercuriales, les documents statistiques. Le gouvernement doit savoir quelle est la quantité des grains importés par le transit, la quantité des grains qui restent en Belgique. Il doit savoir les prix des mercuriales…
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier), montrant une liasse de papiers. - Ce sont précisément ces communications que le gouvernement se proposait de faire. On vous a annoncé qu’il avait des documents propres à éclairer la chambre, et on n’a pas voulu attendre qu’il vous les présentât.
L’honorable M. Dumortier, qui les demande maintenant avec tant d’instance, est l’un de ceux qui ont voulu commencer immédiatement la discussion. Le gouvernement voulait faire faire imprimer les documents qu’il possède. Ceci servira de réponse aux plaisanteries de M. l’abbé de Foere, qui a dit qu’on faisait des lois comme on fait des romans. La loi n’a pas été faite sans bases.
M. Dumortier. - Je demande que le ministre dépose sur le bureau de la chambre les documents dont il parle ; ou bien je demande que la discussion soit close. (A demain ! à demain ! à demain la suite de la discussion !)
- Tous les membres ont quitté leur place et sont debout dans l’enceinte semi-circulaire qui est devant la tribune.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole : le ministre de l’intérieur a quitté la séance avant qu’elle soit terminée ; c’est une impertinence ministérielle ; je la signale à la nation.
M. le président. - Dans l’état où est l’assemblée, la séance ne pourrait continuer ; à demain à midi la suite de la discussion.
- La séance est levée à quatre heures et demie.