(Moniteur belge n°58, du 27 février 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
A une heure et quart on fait l’appel nominal.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.
M. Jacques présente ensuite l’analyse des pétitions adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission.
M. le président. - Messieurs, l’ordre du jour appelle la discussion des articles de la loi sur les distilleries, la discussion sur l’ensemble ayant été close à la dernière séance :
Voici les termes de l’article premier :
« L’accise sur la fabrication des eaux-de-vie, décrétée par la loi du 12 juillet 1821, aura pour assiette la capacité brute de tous les vaisseaux dont les distillateurs feront usage pour la macération des matières premières. »
M. Vandenhove propose à cet article un amendement ainsi conçu :
« La quotité de l’accise est fixée à raison d’un franc par hectolitre de la capacité des vaisseaux à macération, sans égard à la nature des matières.
« Les distillateurs ne pourront faire que trois bouillées par jour ; leur durée, sans interruption, sera fixée par un tarif annexé à la présente loi, calculé sur la surface de chacun des alambics.
« La contenance de chaque vaisseau à macération doit être égale à celle de la chaudière. »
- Plusieurs voix. - Cet amendement ne s’applique pas à l’article premier.
M. d’Huart. - Cet amendement ne peut s’appliquer à l’article premier. Il est évident qu’il n’est destiné qu’à remplacer l’article 2. C’est par erreur, sans doute, qu’il a été proposé en ce moment, et M. Vandenhove ne s’opposera pas, sans doute, à ce qu’il ne soit discuté qu’à l’article 2.
M. Vandenhove. - Je suis content.
M. Mary. - Messieurs, c’est dans l’article premier qu’est posé le principe de la loi ; en effet, il établit l’impôt sur la matière première, et il suit en cela le système consacré par l’arrêté-loi de 1814. Vous savez que quand l’impôt se perçoit à la source, il y a trois modes de perception ; le premier est d’imposer la matière première. Vient ensuite le système de la loi de 1822 qui frappait tout à la fois sur les matières en macération et sur l’alambic.
Ce système est injuste, car il ne frappe que le produit présumé.
Le troisième système est celui qui frappe le produit réel, et c’est celui qui se pratique en Angleterre. En Angleterre la matière distillée tombe dans un réservoir qui est fermé à deux clefs, l’une restant dans les mains du distillateur, l’autre dans celles d’un employé de l’administration. Constater le produit de la distillation est chose fort simple, et qui se réduit à une simple opération de jaugeage.
Ce système paraît le plus juste, et par lui l’impôt ne frappe réellement que ce qu’il doit frapper. Il n’en est pas de même des autres, car on sait que par la vapeur on peut extraire tout l’alcool des matières fermentées, tandis que par les procédés ordinaires on n’en peut extraire qu’une partie ; frapper donc le produit présumé, c’est donner un avantage aux distilleries où l’on travaille à la vapeur.
Il serait plus juste de ne frapper que le produit, il y aurait alors justice pour tout le monde. Je suis étonné, messieurs, que le gouvernement n’y ait pas songé, qu’il ne se soit pas entouré des lumières nécessaires, pour nous dire si le système anglais n’était pas praticable chez nous. Ce n’était pas à nous, en effet, à prendre de telles informations, c’était le devoir du gouvernement ; car ce n’est qu’en s’environnant de toutes les lumières qu’il peut réussir à avoir une loi qui ne soit pas une loi transitoire ou temporaire.
Il est de fait, messieurs, que si la production n’est pas plus forte qu’aujourd’hui, grâce à cette loi, nous aurons un déficit de 3 millions, et je vous avoue qu’il me peine de consentir à une diminution aussi forte sur la matière la plus imposable qui existe. J’aimerais mieux que la diminution portât sur le sel, qui sert à assaisonner les aliments du pauvre, où sur la bière, qui est une boisson saine et bienfaisante, que sur les liqueurs fortes ; d’autant plus que la fabrication de la bière consomme une grande quantité de produits agricoles, et que, sous ce rapport, diminuer le droit, ce serait encore protéger l’agriculture. Cependant comme nous sommes dépourvus de renseignements, et vu la fraude qui se pratique avec le système actuel, je crois que nous devons adhérer au projet de la commission.
Je crois que le projet est très propre à tuer la fraude, et il n’est pas impossible que la production augmentant, l’impôt ne rapporte autant qu’aujourd’hui. Nous en avons un exemple assez récent dans ce qui s’est passé en Angleterre. En 1827, on y diminua de beaucoup les droits sur les eaux-de-vie indigènes ; et, en 1829, le produit de l’impôt fut plus que doublé. Cependant, en Angleterre, le droit était très fort ; il ne s’élevait pas à moins de 2 fr. par litre. Chez nous, il ne s’élevait qu’à 32 ou 33 centimes, il ne sera maintenant que de 16 ; ainsi nos distillateurs n’auront pas à se plaindre.
J’ajouterai cependant une observation. L’impôt porte sur les matières mises en fermentation : par les procédés ordinaires cette opération exige trois jours ; il est à craindre qu’on ne presse la mise en fermentation pour frauder le droit ; en effet, si on parvient à faire fermenter les matières en 24 heures, on ne paie qu’un tiers du droit ; si c’est en 48 heures, on ne paie que les deux tiers. Or, il y a des procédés qui permettent de précipiter la mise en fermentation, On fait fermenter des matières en 18 heures, au moyen du sulfate de cuivre, qui est, vous le savez, un poison très actif. A la vérité, il ne paraît pas qu’il y ait grand danger à l’employer de cette manière, puisque toute la substance délétère reste dans le résidu ; - mais aussi ce résidu n’est plus bon à rien, il est entièrement perdu pour les bestiaux : ainsi les avantages qu’aurait pu en tirer l’agriculture s’évanouissent.
Il existe une loi de 1830 qui défend de mêler à ce qui peut servir d’aliment le mélange de matières nuisibles. Je crois que l’on devrait appliquer cette loi à ceux qui emploient le sulfate de cuivre à la distillation.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, l’honorable préopinant avait en quelque sorte annoncé dès son début qu’il avait à proposer un amendement, mais je m’aperçois qu’il s’est borné seulement à appeler l’attention de l’administration et de la chambre sur le mode suivi en Angleterre. Ce mode, messieurs, a été examiné par votre commission ; mais quand elle a vu de quelles formes il fallait l’entourer, la commission a été unanime pour reconnaître que ce mode serait impraticable en Belgique.
En Angleterre, en effet, la loi exige que les distilleries soient établies dans des lieux où il y ait au moins 20,000 âmes de population agglomérées. Je le demande, pourrait-on adopter une pareille disposition chez nous, où l’on considère les distilleries sous un rapport entièrement différent ? Personne ici, j’en suis certain, ne voudrait y consentir. Remarquez, messieurs, les difficultés que présente le système anglais. Dans ce système il faudrait constater, une fois par 24 heures au moins, le produit réel de chaque appareil de distillation. Or, qui pourriez-vous charger de cette opération ? En chargeriez-vous des employés supérieurs ou des employés subalternes ? Si vous l’abandonniez à des employés subalternes, la corruption qui s’exercera sur eux ne vous donnera aucune sécurité, vos précautions seront illusoires. Si vous créez de agents supérieurs, les seuls qui puisent présenter quelques garanties, pour constater jour par jour le produit de chaque établissement, il faudra les rétribuer en conséquence.
Vous voyez donc que vous créez l’impôt en faveur des agents de sa perception et au lieu d’en retirer quelque avantage, vous devrez peut-être affecter à leur traitement une partie des autres revenus de l’Etat. Je crois qui ces observations suffisent pour vous convaincre que le système anglais est inadmissible en Belgique, où les distilleries sont éparpillées par milliers sur toute l’étendue du territoire.
M. Dumont. - Messieurs, l’article premier est conçu en termes très généraux ; il ne comporte pas d’exception. Cependant l’impôt est de consommation, et c’est par conséquent le consommateur qui devait le payer. On le perçoit à la source, il est vrai ; mais il n’en faudrait pas moins, me semble-t-il qu’il pesât en définitive sur le consommateur.
L’article premier ne distingue pas entre les diverses matières qui peuvent être soumises à la fermentation, il les frappe toutes également ; les unes cependant produisent plus d’alcool que les autres, d’où la conséquence que celles qui en produisent moins seront par le fait plus imposées que les autres. Je crois donc qu’il serait nécessaire de distinguer les matières ; je dois indiquer celles qui produisent moins d’alcool : ce sont particulièrement les pommes de terre. Je sais qu’en général la distillation des pommes de terre n’est pas très répandue dans le royaume ; mais on ne distille presque pas autre chose dans le district de Charleroy ; ces matières sont reconnues produire moins d’alcool, et toujours on a fait une exception en leur faveur. Je proposerai plus tard une disposition dans ce but ; mais j’ai voulu présenter mon observation en ce moment, afin que mon silence sur l’article premier ne soit pas pris pour un consentement.
Je crois qu’une réduction du droit sur cette matière ne peut pas donner lieu à la fraude, car tous les employés peuvent, à la simple inspection, constater si ce sont bien seulement des pommes de terre qu’on a distillées ; ainsi, celui qui, ayant déclaré qu’il distillerait des pommes de terre, serait convaincu d’avoir distillé du grain, pourrait être privé de son industrie pour un temps plus ou moins long. On pourra dire qu’une grande quantité de grain pourrait être fermentée avec un petit mélange de pommes de terre. Cela n’est pas à craindre ; car si je suis bien informé, il faut que le mélange du grain et des pommes de terre soit fait dans une certaine proportion, sans cela il y aurait perte pour le distillateur. Je crois qu’ultérieurement il y aura lieu de présenter un amendement à cet égard. J’ajouterai encore une observation, relativement à la fécule de pomme de terre. Personne n’ignore qu’un hectolitre de fécule contient plus d’alcool qu’un hectolitre de grains ; il y a donc nécessité de faire disparaître l’inégalité qui résulterait de l’adoption pure et simple du principe consacré par l’article premier.
M. Brabant. - Messieurs, je dirai d’abord que les observations présentées par M. Dumont ne se rapportent pas à l’article premier, mais à l’article 2 du projet. L’article premier établit que l’on prendra pour base de l’impôt la capacité brute de tous les vaisseaux dont les distillateurs feront usage pour la macération des matières premières.
Maintenant la question est de savoir si certaines matières premières sont susceptibles de produire plus ou moins d’alcool : cela viendra à l’article 2. Cependant, puisque M. Dumont a fait ses observations quand nous nous sommes occupés de l’article premier, je crois pouvoir lui répondre. Il y aurait, dit M. Dumont, inégalité dans l’impôt si toutes les matières étaient imposée également, puisque les unes produisent moins d’alcool que les autres. D’abord les matières qui produisent le plus d’alcool exigent une plus longue macération que les autres ; il y a donc compensation. D’ailleurs, si par l’égalité, si par l’unité de taxe, il y avait inégalité dans l’impôt, ce serait aux distillateurs à réclamer ; on sait combien l’intérêt personnel est susceptible : et les distillateurs n’auraient pas manqué de réclamer s’ils s’étaient crus lésés ; leur silence doit donc nous tranquilliser parfaitement.
M. Dumont. - Je conviens que mon observation eût été mieux placée à l’article premier ; mais, si la chambre veut le permettre, je répondrai encore un mot à M. Brabant. Nous ne pouvons tirer aucune induction du silence des distillateurs : ces messieurs se reposent entièrement sur les pétitions qu’ils ont adressées à la chambre l’an dernier.
D’un autre côté, dans la réunion de distillateurs qui a eu lieu, les distillateurs de pommes de terre ont obtenu tout ce qu’ils voulaient. Sur le grand nombre de distillateurs qui composaient la commission, presque tous étaient distillateurs de grains ; deux seulement étaient distillateurs de pommes de terre, et ces derniers ont si vivement réclamé, qu’ils ont obtenu une réduction. C’est à l’espoir qu’ils ont que les députes feront valoir leurs droits que doit être attribué leur silence.
Quant à la différence de temps nécessaire pour la macération des matières qui contiennent plus d’alcool, je veux bien croire à ce que nous a dit M. Brabant, mais il me permettra de ne pas me décider encore sur ce point ; il n’a rien répondu, du reste, à ce que j’ai dit de la fécule de pomme de terre.
M. Brabant. - Il faut quatre jours de macération pour la fécule de pommes de terre.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, pour répondre à M. Dumont, je lui dirai qu’on a constaté que les pommes de terre produisent la même quantité d’alcool que le seigle. Quant à ce qu’il a dit relativement au district de Charleroy, je dirai qu’on ne peut pas établir de distinction pour les distilleries où on ne travaille que sur les pommes de terre. Faudrait-il, par exemple, parce que à Bruxelles on emploie du seigle pour fabriquer la bière, faudra-il diminuer les droits pour la Flandre orientale où l’on n’emploie que l’orge ? Non sans doute, et cependant il est certain qu’on obtient à Bruxelles, par le froment, une bière plus forte.
Je dirai à M. Mary, qui est venu nous donner une explication chimique sur le sulfate de cuivre, que les boulangers ne l’ont employé que parce qu’ils ont reconnu qu’il favorisait la panification. Quant à son influence sur la fermentation des cuves, ce qu’a dit M. Mary n’est point exact ; il est certain au contraire qu’avec une demi-livre de sulfate de cuivre on arrêterait la fermentation de 20 hectolitres de grain.
M. Mary. - Par la discussion même qui vient d’avoir lieu, vous devez voir combien l’impôt sur les matières premières est mal établi. Il est de toute évidence que cet impôt ne frappe qu’un produit présumé, tandis qu’il serait juste de n’imposer que le produit réel.
Quant à ce qu’a dit M. d'Elhoungne du grand nombre d’employés qu’exigerait le système anglais, je ne sais pas si le système actuel en exigera moins. Il est certain qu’il en nécessitera encore un grand nombre, car il faudra voir aussi dans chaque établissement quand l’opération est commencée. Au reste, je n’ai fait que soulever une discussion à cet égard, et j’ai dit que le ministère aurait dû s’informer si le système anglais n’aurait pas pu être établi en Belgique.
Quant à l’observation faite par M. Rodenbach, je dirai qu’il est reconnu que le distillateur emploie le sulfate de cuivre pour précipiter la fermentation. C’est là un fait notoire. Je sais aussi que les distillateurs qui emploient le sulfate de cuivre ne peuvent plus utiliser le résidu.
Je demande que M. le ministre dise si ce ne sont pas des faits dont l’administration est informée.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - L’honorable préopinant demande si l’administration sait que le sulfate de cuivre est employé par les distillateurs : non certainement, je ne l’ai jamais entendu dire, et je crois que si quelque distillateur ne pouvait pas utiliser le résidu, il procéderait d’une manière ruineuse et ne pourrait pas lutter longtemps contre ses concurrents. Je peux donc calmer les inquiétudes du préopinant sous ce rapport, s’il lui suffit de savoir que l’administration n’a pas connaissance de l’emploi du sulfate de cuivre par les distillateurs. Quant à ce qu’il a dit du mode anglais, je regrette que ce ne soit que dans ce moment que M. Mary en ait parlé ; mais ce qu’a dit à cet égardM. d'Elhoungne suffit, et il est certain que les membres de la commission s’étant occupés de l’examen de ce système avec les employés supérieurs de l’administration, les uns et les autres l’ont reconnu impraticable.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, la commission, dans la rédaction de cette loi, a été dirigée par le principe de la liberté de l’industrie. La loi n’examine pas quelles matières on soumettra à la fermentation, de quels appareils on se servira, quels procédés on mettra en usage. Elle s’en remet entièrement, sous ce rapport, à l’intérêt privé, qui dirigera l’industrie avec plus de discernement que nous ne pourrions le faire. Si nous entrions dans tous ces détails, il faudrait établir un tarif de droits d’après les diverses substances fermentescibles, et je vous le demande, comment pourrions-nous faire un semblable travail, sans une connaissance parfaite de la proportion exacte qui existe entre elles, sous le rapport de l’alcool qu’elles contiennent ? Qui d’entre nous possède ces connaissances quand il y a divergence d’opinions entre les chimistes eux-mêmes ?
Il faudrait donc commencer par nous livrer à des expériences, par faire des recherches, sur le produit de chaque matière, et ce serait pour nous chose impraticable ; car pour vous prouver combien l’intérêt privé est ingénieux à dérouter l’administration fiscale à cet égard, je ne vous citerai qu’un exemple, qui s’est passé en Angleterre, et que vous pourrez trouver dans le dictionnaire de chimie d’Andrew Ure, et dans celui de Nichsolson.
Jusqu’en 1807, l’impôt sur les distilleries en Ecosse était affermé, et il se percevait sur les bouillées. Pour se soustraire au droit qu’ont fait les distillateurs ? Ils ont accéléré les bouillées, de telle manière qu’ils ont pu en faire 480 dans l’espace de 24 heures, c’est-à-dire une bouillée par 3 minutes. Les fermiers de l’impôt, pour prouver la fraude, se sont, à leur tour, mis à faire des expériences, et malgré l’intérêt qu’ils avaient à les faire avec le plus grand soin, n’ont jamais pu réussir à faire une bouillée en moins de 8 minutes. Vous voyez, par cet exemple, combien une commission que vous nommeriez serait impuissante à faire des expériences sur lesquelles on pût compter.
Il faut donc abandonner ce système, le projet à 16 centimes l’hectolitre de la matière première, et laisser liberté entière à l’industrie, n’importe quelle que soit sa nature, quels que soient les ustensiles et les procédés qu’ils emploient. Ainsi vous rejetez un système de surveillance tracassière et inquisitoriale incompatible avec nos mœurs et même avec notre constitution, car, messieurs, il est temps de mettre un terme à toutes les mesures vexatoires, quel que soit le prétexte dont on voudrait les couvrir.
Un autre motif qui a déterminé la commission, c’est que la fermentation altère les substances qui y ont été soumises, à tel point qu’il est impossible de les reconnaître.
Les chimistes eux-mêmes ne peuvent plus, avec certitude, savoir quelle a été la substance qu’on a employée. Vous voyez donc, messieurs, que le seul système rationnel, le seul praticable, est celui de la commission.
M. Dumont. - Il y a peu de personnes qui soient plus amateurs de liberté que moi : je désire la liberté de l’industrie et du commerce. Mais s’agit-il d’appliquer ce principe ? Il s’agit de savoir si vous demanderez aux distillateurs l’avance de l’impôt que doivent supporter les consommateurs et si vous les mettrez hors d’état de récupérer l’impôt dont ils auront fait l’avance. Eh bien ! je dis que si vous demandez aux distillateurs qui emploient certaines matières un impôt aussi élevé que celui que vous demandez à d’autres, il y aura évidemment privilège pour les uns et désavantage pour les autres.
On répondra que les distillateurs peuvent choisir les matières premières. Messieurs, dans une grande ville, rien n’est plus facile que de choisir la matière à mettre en macération ; mais dans les campagnes, au milieu des forêts défrichées, est-il possible de choisir ? Les pommes de terre conviennent au sol des forêts défrichées ; elles se transportent à peine à deux lieues de l’endroit où elles sont récoltées, attendu leur poids et leur volume ; si on peut les réduire en eau-de-vie, leur transport devient facile et leur culture peut rapporter quelque chose. Vous porteriez donc indirectement atteinte à la propriété par votre loi, puisque vous enlèveriez au cultivateur la liberté du choix des végétaux qu’il doit employer ; vous rendriez un produit agricole nul.
On prétend qu’il est difficile de distinguer les matières qui ont servi à faire certains produits alcooliques, et que les chimistes sont embarrassés eux-mêmes à faire cette distinction ; mais dans les bouillées on peut reconnaître la matière qui a été mise en fermentation ; l’employé le moins instruit en chimie distinguera très bien s’il a été fait usage de pommes de terre ou de grains. S’il n’y avait pas de pommes de terre dans la matière fermentée, l’employé dresserait procès-verbal et le distillateur ne pourrait jouir de la justice accordée à ceux qui se servent de ce tubercule. Il n’y a pas à craindre que le distillateur, ainsi pris en contravention, commette de nouveau la même fraude.
M. Dumortier. - J’approuve ce que vient de dire l’honorable préopinant, quoique ses réflexions ne s’appliquent pas à l’article premier. Je crois qu’il faut en revenir à la discussion de cet article.
Messieurs, je considère le projet de loi comme désastreux pour l’industrie et pour le trésor. Si l’on adopte le système de la commission, il arrivera ce qui est arrivé pour les brasseries : on chargera les cuves, on fabriquera beaucoup plus et l’on paiera beaucoup moins.
Un autre inconvénient immense qui résultera du système proposé, c’est qu’il n’y aura plus de contrôle entre la cuve de macération d’une part et la contenance de l’alambic d’autre part. Si vous supprimez le contrôle, la fraude sera vingt fois plus grande qu’elle n’est aujourd’hui ; vous perdrez en recherches, en procès-verbaux tout ce que vous aurez perçu en argent ; il vous faudra investir le ministre des finances d’un pouvoir inquisitorial. La loi ne fera qu’exciter les plaintes des distillateurs et ruiner le trésor.
C’est une chose fort étrange de voir le ministre des finances venir ici, avec une faiblesse inouïe, appuyer le projet, puis nous présenter le moyen de couvrir le déficit qui résulterait de l’adoption de la loi, déficit qui ne s’élève pas à moins de 3,000,000.
J’ai été scandalisé de voir créer un déficit au moment où nous sommes obligés de recourir à des emprunts onéreux.
L’impôt sur les distilleries est très moral : les pays où se commettent les plus grands crimes et les crimes les plus nombreux, sont ceux où se consomment le plus de matières alcooliques : c’est donc une faute de diminuer les droits sur les eaux-de-vie.
Je demande positivement au ministre comment il pourra couvrir le déficit résultant de la loi. Je voterai contre l’article premier, parce qu’en votant le rejet, je croirai rejeter la loi elle-même.
M. Brabant. - Ou les distillateurs entendent bien mal leurs intérêts, ou ce sont des gens bien débonnaires : d’après ce que l’on dit, le projet serait désastreux ; cependant les distillateurs réclament son adoption à cor et à cri.
On prétend qu’il en sera des distilleries comme des brasseries, et que l’on chargera les cuves outre-mesure, ce qui sera une cause de l’affaiblissement de l’impôt ; je souhaite en effet qu’il en soit pour les distilleries comme il en a été pour les brasseries (je puis parler de cette matière, exerçant la profession de brasseur) ; les brasseurs ont été émancipés par la loi de 1822 ; c’est la seule bonne loi qui ait été faire sous le régime hollandais. Cette loi a-t-elle ruiné le trésor ? Aujourd’hui on porte l’estimation de l’accise sur les brasseries à 5,000,000 et demi de francs ; et je crois, d’après une expérience acquise par les années qui présentent une parfaite analogie avec celle où nous nous trouvons, que cette estimation de 5,000,000 et demi est trop faible ; et je ne doute pas que ces produits ne s’élèvent à 7,000,000 pour 1833.
M. A. Rodenbach. - On discute depuis trois quarts d’heure sur l’ensemble de la loi. M. Dumortier n’a parlé que sur l’ensemble de la loi.
M. Dumortier. - Je n’ai parlé que sur l’article premier ; il est vrai que cet article renferme toute l’économie de la loi.
On m’attribue une opinion que je n’ai pas émise : je ne crois pas que les grandes distilleries seront ruinées ; ce seront les petites distilleries qui seront anéanties. Un petit distillateur ne peut bouillir que deux ou trois jours après la macération, tandis que les grands distillateurs peuvent bouillir trente-six heures après le commencement de la fermentation, et même dix-huit heures après.
On vous a dit que les brasseries étaient émancipées ; je conçois bien que les brasseurs se déclarent émancipés, car ils font un tiers de bière de plus qu’ils n’en paient : c’est un fait manifeste. L’impôt actuel sur les brasseries ne rapporte pas ce qu’il devrait rapporter. Je n’entrerai pas dans cette discussion ; mais je persisterai à soutenir que la loi en discussion sera fatale à l’industrie et au trésor.
M. Desmet. - Je demanderai à M. Dumortier si l’on peut macérer en dix-huit heures ; s’il peut citer une seule distillerie, en Belgique, où l’on macère en si peu de temps ; il faut au moins trente-six heures.
M. Jullien. - Tout ce qui s’est dit dans cette discussion prouve une chose, c’est la difficulté de faire une bonne loi sur cette matière. Il me semble que l’on revient sur une question sur laquelle on semblait d’accord. Tout le monde, excepté M. Dumortier, qui n’a pas pris part à la discussion, voulait sortir de la législation de 1822.
On a tout à l’heure engagé un débat, une discussion de chimie, et vous sentez bien que s’il faut raisonner là-dessus, je ne vois pas de raison pour que la délibération se termine d’ici à longtemps, et surtout qu’elle se termine bien par le peu de connaissances chimiques qui se trouvent dans cette chambre.
Revenons à la question principale, qui est celle de l’article premier. Il s’agit de savoir sur quoi on établira le droit. On a pris pour principe que le droit se prélèverait sur la macération. Les distillateurs emploieront telle ou telle substance, c’est l’affaire de leur industrie. S’il y a cependant tel genre d’industrie, ainsi que le dit M. Dumont, qui ne présente pas les mêmes avantages que les autres, cela pourra être l’objet d’un amendement, tendant à une diminution de droits. Dans ce moment il faut voter sur l’article premier, c’est-à-dire sur la base de la loi. Je demande donc qu’on ne s’écarte plus de l’objet en discussion.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Messieurs, comme vient de le dire l’honorable préopinant, c’est une chose difficile que de faire une bonne loi sur les distilleries. Tous ceux qui ont des systèmes sur cette matière devraient nous les exposer, et, s’exprimant avec circonspection, ne pas venir affirmer avec assurance que les petites distilleries seront ruinées. Nous sommes ici pour faire les meilleures lois qu’il nous est possible ; pour y parvenir, c’est de discuter avec calme, avec modération.
On s’est servi d’expressions un peu fortes relativement au consentement conditionnel que j’ai donné au projet de la commission qui amènera un déficit dans les ressources du trésor. Je crois avoir expliqué les motifs de conviction qui m’ont déterminé à me rallier à ce projet ; je les ai exposés dans les deux séances précédentes et je n’y reviendrai pas.
Je regrette que M. Dumortier n’ait pas assisté à nos débats précédents et qu’il n’en ait pas pris connaissance dans les journaux.
Je crois que, par la modicité de l’impôt et par la manière dont il sera assis, on obtiendra les résultats les plus avantageux pour les distilleries ; je crois à un très grand développement de cette branche de notre industrie ; je ne doute pas qu’on ne consomme beaucoup des céréales de nos récoltes ; je crois à une grande extension des produits que donne l’éducation des bestiaux au moyen des engrais que fournissent les distillations ; je crois aux avantages que ces engrais peuvent fournir au sol même. Dès lors on peut comprendre que je me sois rallié au travail de la commission.
Mais l’honorable M. Dumortier, ne s’arrêtant pas à des objections relatives au projet en lui-même, me presse pour dire quels seront ces voies et moyens que je soumettrai à la législature pour couvrir le déficit que la loi occasionnera dans le trésor. Sur ce point je ne crois pas avoir à m’expliquer. Il serait difficile, dès à présent, de préciser les moyens qu’on emploiera. Il y a dissidence d’opinion sur ces moyens. La loi peut donner de beaucoup plus grands résultats que ceux qu’on en attend. Il faut donc voir marcher cette loi pendant quelques temps. Dans tous les cas, s’il y avait un déficit à couvrir, et nous ne pouvons nous dissimuler qu’il y en aura un considérable à la fin de l’exercice, alors nous nous occuperons des voies et moyens ; nous rechercherons comment on pourra les élever au niveau des dépenses tant ordinaires qu’extraordinaires. Ce n’est pas actuellement le moment de pourvoir aux déficits.
Au reste, messieurs, ces voies et moyens doivent être concertés en conseil des ministres, et ce n’est pas sur une interpellation que je me croirai autorisé à répondre, à parler sur de tels objets ; il ne m’appartient pas à moi tout seul de prononcer ; c’est au corps des ministres constitués en conseil qu’il appartient de décider.
M. d’Elhoungne. - On a parlé de l’accélération de la fermentation ; je suis surpris que les auteurs de ce genre d’objections n’aient pas trouve la réponse à leurs observations dans le rapport de la commission. On ne peut accélérer la fermentation qu’au détriment de la quantité du produit ; et ce détriment du produit est proportionnellement plus fort que l’économie qu’on obtiendrait en fraudant l’impôt. Dès lors, la loi donne la meilleure garantie, l’intérêt des contribuables.
On a fait remarquer qu’il y avait des matières plus riches en alcool que d’autres : cela est vrai ; mais il est reconnu que la durée de la macération est en raison directe de la quantité d’alcool que les matières fermentées peuvent produire ; ainsi, en imposant la macération, vous atteignez le but qu’on doit se proposer dans ces sortes de lois.
Au surplus, toutes ces questions ne se rattachent qu’à l’article 2.
M. Dumortier. - Je veux répondre à M. Jullien : il a dit que tout le monte était d’accord…
- Un membre. - Ce n’est pas là la question !
M. Dumortier. - Je suis complétement dans la question.
L’honorable orateur auquel je me propose de répondre a dit que tout le monde voulait sortir de la législation de 1822 : je le veux bien aussi ; mais je ne veux détruire de ce système que ce qu’il y a d’odieux, et je demande qu’on en conserve ce qu’il a d’utile. Je demande que l’on conserve le contrôle de la cuve par l’alambic et que l’on ne remplace pas ce contrôle par des mesures iniques, vexatoires, par des recherches, des perquisitions fatigantes pour les contribuables.
M. le ministre des finances croit que l’impôt pourrait rapporter plus qu’on ne pense ; qu’il faut attendre et voir : quant à moi je ne puis attendre et voir ; je ne veux pas jouer avec le trésor. Un ministre doit connaître le chiffre de chaque impôt : ce n’est pas avec des présomptions que se remplit le trésor public.
Les grandes distilleries donneront beaucoup d’engrais, ajoute le ministre : mais remplira-t-on le trésor avec des engrais ? Ministre du roi, vous trahissez votre devoir, vous oubliez le but de votre mission ; les intérêts du trésor vous sont confiés ; et c’est M. de Brouckere et moi, qui, jouant un rôle inverse, sommes obligés de nous en occuper. Voilà ce qui arrive quand on porte au ministère des gens qui ne savent pas comprendre les intérêts de l’Etat.
On nous assure que l’accélération de la macération est aux dépens de la quantité du produit et que la différence est au préjudice du distillateur : c’est le contraire qui est vrai.
Les distillateurs ont des procédés perfectionnés d’après lesquels ils peuvent distiller après 18 heures de fermentation ; je n’affirme pas que cela ait lieu en Belgique ; mais je dis que cela est possible, que cela existe. Les petites distilleries finiront donc par être anéanties.
Je le répète, s’il n’existe pas de contrôle entre la cuve et l’alambic, nous retomberons dans le système des recherches, des perquisitions ; les employés iront de cave en cave, de grenier en grenier ; et les contribuables renouvelleront les mêmes plaintes que l’on élevait contre le gouvernement hollandais. Je ne veux pas de vexation ; je veux le contrôle de la cuve par l’alambic, sans quoi je voterai contre la loi.
M. Brabant. - Je veux répondre à un seul argument de M. Dumortier. Cet honorable membre prétend que nous allons aggraver ce qu’il y a de désagréable dans l’exercice ; je croyais que plus une loi était simple, était claire, et moins elle donnait lieu à des procès-verbaux, à des poursuites. Tout le système de votre loi est dans un seul article de quatre lignes ; M. Dumortier en convient, puisqu’il croit rejeter la loi en votant contre cet article. Eh bien, lisez la loi de 1822 qui vous régit.
Etudiez-la bien longtemps, mettez-vous au courant de tous les procédés de la distillation, et vous parviendrez avec beaucoup de peine à la comprendre : vous verrez seulement combien de procès-verbaux peuvent surgir de ces dispositions. Dans notre loi nous ne créons d’autre prohibition que celle d’employer des cuves clandestines. M. Dumortier veut un contrôle de plus ; mais ce contrôle augmentera l’exercice, et c’est de l’augmentation de l’exercice que résultent les vexations.
M. le président. - Je vais mettre l’article premier aux voix.
- L’article premier, mis aux voix, est adopté à une très grande majorité.
« Art. 2. La quotité de l’accise est fixée, par jour de travail, à raison de 16 centimes par hectolitre de la capacité des vaisseaux à macération, sans égard à la nature de matières.
« Néanmoins, la distillation des fruits à pépins et à noyaux macérés est exempte de tout droit, sauf à en faire déclaration préalablement à leur emploi. »
M. le président. - Il y a deux amendements sur cet article ; l’un de M. le ministre des finances, l’autre de M. Vandenhove.
M. le ministre des finances propose de remplacer la rédaction du projet par celle-ci :
« La quotité de l’accise est fixée, par jour de travail, à raison de 18 centimes par hectolitre de la capacité des vaisseaux en macération, sans égard à la nature de matières.
« Néanmoins, la mise en macération et la distillation des fruits à pépins et à noyaux, sans mélange d’autres matières produisant de l’alcool, sont exemptes de tout droit, sauf à en faire déclaration préalable. »
M. Vandenhove. - Il faudrait entendre les développements des amendements paragraphe par paragraphe.
M. le président. - Le règlement porte que tout amendement sera développé.
M. Vandenhove. - Messieurs, j’insiste de nouveau sur une accise d’un franc par hectolitre de matière macérée ; vous ne pouvez, messieurs, vous fixer sur un plus faible droit sans exposer le gouvernement à vous proposer quelque mesure financière pour couvrir la différence entre le produit de l’impôt et les 35,000,000 de francs dont il a indispensablement besoin, puisqu’ils sont portés dans les voies et moyens ; et veuillez observer, messieurs, qu’en vous arrêtant à cette élévation de l’impôt, vous abaissez le droit actuel de 8, 13, soit 30 p. c., car l’hectolitre d’eau-de-vie, depuis la diminution des 2/7, accordée par le gouvernement provisoire, ne paie plus que 9 fl. 99 cents, soit 21 fr. 13 c. ; en adoptant ce paragraphe de mon amendement, l’impôt ne serait que de 14 francs par hectolitre, mais toujours en supposant que vous limiterez les heures de travail.
Je vous ai dit, messieurs, que les distillateurs adversaires du projet avaient gardé le silence ; j’en ai acquis une nouvelle preuve : avant-hier j’ai lu le paragraphe d’une lettre écrite par un distillateur d’une des villes qui a envoyé une pétition à la chambre pour demander l’adoption de la loi en discussion. Il prédit que le gouvernement ne touchera pas le tiers de l’impôt, si la loi passe ; il ajoute qu’elle n’a pu être sollicitée que par les gros industriels, et qu’elle devra être révoquée dans l’année.
Si vous n’adoptez point ce paragraphe, messieurs, non seulement vous n’avez aucune garantie de la quotité des produits pour le trésor, mais vous aurez l’anéantissement des distilleries établies dans les campagnes. Je compte peu sur le succès de mes efforts pour arrêter un mal irréparable ; mais je n’écoute que mon devoir qui m’impose de signaler les dangers qu’il y a de compromettre les intérêts du trésor et d’une masse d’industriels. Quoique je sois du petit nombre de ceux qui se prononcent dans cette enceinte contre les dispositions désastreuses de la loi, il n’en est pas moins vrai que vous aurez à combler un déficit et à vous repentir d’avoir si peu apprécié la position future des petites distilleries placées hors des villes.
Cette disposition est dans la loi actuelle, mais onéreuse et vexatoire pour le distillateur : la loi exige que l’on fixe le commencement et la fin de chaque bouillie, de manière que s’il avance ou retarde ses bouillées, il est passible de fortes amendes.
Le paragraphe proposé limite aussi le temps des bouillées, mais il laisse la faculté au fabricant de les diriger à volonté dans le temps donné ; ce qui est une grande amélioration relativement à ce qui existe, et arrêtera la trop grande abondance des produits ; cette disposition, que l’on appelle contrôle, est la garantie que vous aurez toujours un grand nombre d’usines dont vous verrez infailliblement diminuer la quantité quelque temps après que la loi aura exercé sa funeste influence.
La discussion qui s’est élevée aujourd’hui sur les produits des différents procédés, aussi que des différentes substances, ainsi que des différentes substances, prouve à l’évidence qu’il faut limiter les heures de travail pour obtenir égalité de droits.
Le rapport entre les cuves de macération et la chaudière est indispensable pour prévenir la fraude ; car celles qui sont d’une contenance inférieure à la chaudière se distillent lors de la troisième bouillée. Le distillateur intelligent parviendra facilement à activer son feu de manière à gagner assez de temps pour faire distiller quelques hectolitres de plus proportionnellement à ses cuves-matières à la fin de la troisième bouillée.
M. le président. - Voici l’amendement de M. Dumont :
« L’impôt sera réduit à 11 centimes pour la macération des pommes de terres brutes.
M. Dumont. - Messieurs, j’ai mis le chiffre 11 un peu au hasard ; je l’ai pris dans une pétition sur les distilleries. Il peut être exagéré. Je voudrais qu’il y eût réduction et qu’elle fût la même que celle qu’ils ont déjà obtenue.
M. d’Huart. - Elle est de 20 p. c.
M. Dumont. - Je demande cette réduction.
- L’amendement de M. Dumont est appuyé.
M. le président. - Voici un amendement proposé par M. Seron :
« Le droit d’accise est fixé, pour chaque journée de travail, à 48 c. par hectolitre pour les matières mises en macération, quelle que soit la nature de ces matières. »
M. Seron. - Messieurs, tout le monde convient que la loi du 26 août 1822 est mauvaise, et moi-même, bien que je ne me sois jamais occupé de distillerie, je la regardais comme telle, je l’avoue, avant d’avoir entendu le rapport de votre commission et les longs détails dans lesquels sont entrés plusieurs orateurs. Comment en aurais-je eu une autre opinion ? Cette loi n’est-elle pas l’œuvre des mêmes faiseurs par qui reçurent l’être l’impôt sur la mouture et l’impôt sur l’abattage, heureusement supprimés, et la contribution personnelle et les patentes, malheureusement demeurées intactes malgré tant de réclamations, et qui subsisteront aussi longtemps qu’il plaira à Dieu et à MM. les financiers ?
Mais un point sur lequel on n’est pas également d’accord, c’est la bonté du projet soumis à votre discussion. Il n’y a en effet que le temps et l’expérience qui nous mettront à portée d’en juger. Puisse l’essai qu’on entreprend ne pas nous forcer à revenir sur nos pas dans six mois ou dans un an.
En attendant, je regarde comme un fait incontestable que l’accise fixée pour chaque jour de travail à 16 centimes par hectolitre de matière mise en macération ne produira pas à beaucoup près la somme de 4,000,000 de francs par année. Cependant cette somme, il la faut, vous en avez adopté le chiffre dans le budget des voies et moyens de l’exercice courant ; le gouvernement y compte, et, s’il reçoit moins, il y aura déficit dans les recettes.
Où prendrez-vous l’insuffisance ? Sera-ce dans une augmentation des contributions directes qui pèsent sur toutes les classes de la société ? Quoi ! pour en favoriser une seule, pour ne favoriser peut-être que quelques individus, vous ajouterez des centimes additionnels aux centimes déjà ajoutés à la foncière, à la personnelle, aux patentes, impôts certainement trop onéreux, trop vexatoires, parce que les bases en sont vicieuses, et par suite, la répartition inégale ?
Non, messieurs, vous n’adopterez pas cette mesure désastreuse. Il est bien plus simple, plus raisonnable, plus moral, de laisser subsister, au taux où elle est, l’accise payable sur une boisson nuisible à la classe nécessiteuse, sur une boisson dont l’usage est si propre à la maintenir dans la misère et l’abrutissement.
Au fait, ce droit peut-il paraître exorbitant quand on considère qu’il n’élève pas au-dessus de cinq centimes le prix d’un verre de genièvre ? Mais qui en demande la réduction ? Sont-ce les distillateurs ? Il en est qui m’ont manifesté de bouche, d’autres par écrit, un désir tout contraire. Pour moi, je serais loin de regarder comme un mal que cette boisson coûtât le double aux consommateurs de l’intérieur du royaume, dût-on accorder, dans l’intérêt du commerce, des primes d’exportation et augmenter nos dépenses pour empêcher, au moyen d’une bonne ligne de douanes, l’importation des eaux-de-vie étrangères. Enfin, messieurs, je ne vois rien de plus imposable que les eaux-de-vie.
Je ne veux pas toutefois changer l’économie du projet ; je demande seulement que la première partie de l’article 2 soit ainsi conçue :
« Le droit d’accise est fixé, pour chaque jour de travail, à 48 centimes par hectolitre des matières mises en macération, quelle que soit la nature de ces matières. »
M. d’Huart. - Je demande qu’on mette en discussion l’amendement de M. le ministre des finances, lequel n’a pas été développé ; les autres amendements ont été développés.
M. le président. - M. Vandenhove demande que les distillateurs de pommes de terre ne paient que la moitié du droit.
M. Vandenhove développe ainsi son amendement. - J’ai proposé ce nouvel article, à la demande du propriétaire d’une des principales usines en ce genre. Sans connaître ce procédé, j’ai cru devoir déférer à son désir, parce que les calculs me paraissent exacts et que les formalités auxquelles il veut se soumettre, au cas, que l’on exigeât la totalité du droit, déposent de sa sincérité, Hier matin, il m’a envoyé un billet accompagnant une lettre qu’il me priait de faire parvenir à M. Lannoy, commissaire du Roi, chargé par S. M. d’assister à la discussion de la loi proposée par la commission.
Voici, messieurs, les raisons données par cet estimable industriel :
« Monsieur,
« Au moment où se discute le projet de loi sur les distilleries, je crois ne pas devoir vous laisser ignorer, monsieur, que si ce projet, tel qu’il est proposé par la commission, est converti en loi, toutes les distilleries de fécule de pommes de terre, aucune exceptée, devront cesser de travailler.
« L’impôt proposé étant uniquement basé sur la contenances des cuves, sans contrôle des bouillées, il est évident que moins sera longue la durée des fermentations, moins l’impôt sera élevé ; or, comme il est reconnu que la fermentation des matières de grains peut s’achever en 24 ou 36 heures au plus, et que la fermentation du sirop de fécule exige 4 à 5 jours, il s’en suivra que l’impôt sur ces produits sera trois fois plus élevé que sur ceux provenant de la distillation des grains, ce qui, tout minime que le droit puisse être établi, doit nécessairement amener la suppression de nos établissements.
« J’ai l’honneur de vous adresser une note qui démontre que, pour que l’impôt soit également établi, il ne doit être fixé, pour les distillateurs du sirop de fécule, qu’à la moitié de celui fixé pour les distillateurs de grains, eu égard à la durée de nos fermentations, et compensation faite de ce que nos matières sont plus riches en alcool ; du reste, monsieur, pour que ce terme de quatre jours de fermentation, sur lequel je vous prie, au moyen d’un amendement, de baser l’impôt pour nos distilleries, n’effraie pas la chambre, vous pouvez nous soumettre au double contrôle, c’est-à-dire que les déclarations de travail devront contenir les jours que nous mettrons les cuves en fermentation et ceux que nous les distillerons : si pareil amendement n’était pas adopté, veuillez, dans ce cas, en proposer un qui autorise l’administration à contracter des abonnements avec les distillateurs de fécule, en faisant correspondre l’impôt de 10 centimes, ou tout antre qui sera adopté, avec la durée des fermentations que l’expérience aura fait reconnaître.
« Il est indispensable que l’une ou l’autre disposition particulière soit insérée dans la loi ; sinon, il est impossible que nos établissements puissent marcher.
« Recevez, monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.
« Signé, Vandenbossche.
« Bruxelles, ce 24 février 1833. »
Voici maintenant ce que le même industriel dit relativement à la proportion de l’alcool donné par les pommes de terre et les fruits :
« Le distillateur de grains, en supposant qu’il achève sa fermentation en 36 heures, paiera, à raison de 16 centimes par baril de contenance des cuves, par baril de matières distillées, 24 c.
« La distillation du sirop de fruits peut produire un tiers de plus que celle des matières de grains ; ci, pour cet excédant d’alcool, 8 c.
« Soit, 32 c.
« La fermentation du sirop de fruits exige 4 à 5 jours pour être portée à maturité ; encore faut-il observer que, pour l’achever endéans ce temps, il faudra mettre en fermentation à un degré de densité peu élevé, ce qui empêchera d’obtenir le tiers en plus que j’ai porté en haut ; mais en admettant même cet expédiant, et en supposant qu on pût achever la fermentation en 4 jours, il en résulterait que, pour que l’impôt soit également établi, les distillateurs de fruits ne pourraient payer qu’à raison de 8 centimes par baril de contenance des cuves, ce qui pour les 4 jours ferait aussi 32 centimes. »
- L’amendement de M. Vandenhove n’est pas appuyé.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Messieurs, en vous présentant les probabilités d’après lesquelles le produit de l’impôt projeté me semble ne pouvoir atteindre le montant auquel on l’a évalué, je n’ai nullement méconnu que le système du nouveau projet consiste principalement dans la modicité du droit proposé à l6 centimes, tous additionnels compris, que l’on présume devoir ôter tout appât à la fraude ; mais afin de rendre la diminution probable du produit la moins grande possible, je pense que sans ôter à l’impôt le caractère de modicité essentiel à toute l’économie de la loi, l’on pourrait en porter le taux à 18 centimes au lieu de 16 centimes.
M. Legrelle. - Il est nécessaire de changer l’assiette de l’ancien impôt ; mais il est à regretter que nous ne soyons pas d’accord sur les bases que nous devons adopter. J’ai écouté avec attention tout ce qui a été dit ; j’ai lu tout ce qui a été écrit, et cependant je n’ai pu me former de conviction.
Les distillateurs ne se sont pas plaints de la quotité de l’impôt ; ils n’ont réclamé que contre les entraves que l’ancienne législation mettait à leur industrie par suite de l’exercice. Aujourd’hui, après avoir longuement discuté, il paraît convenu que l’assiette de l’impôt sera établie sur les vaisseaux dans lesquels les matières fermentent : est-ce la modicité de l’impôt qui fera prospérer les distilleries ? Où bien cette prospérité sera-t-elle le résultat de la nouvelle basé donnée à l’impôt ?
Je crois que le changement de deux centimes proposé par M. le ministre des finances ne fera aucun effet sur les distilleries. Ces deux centimes ne rapporteront que 75,000 fr., ce qui est loin d’augmenter suffisamment le chiffre total du produit, afin d’atteindre à l’évaluation de 3,000,000 qui est au budget. Messieurs, il s’agit ici des intérêts de l’Etat, des intérêts de tous les contribuables et non d’une classe de contribuables, et vous devez procéder avec circonspection.
J’ai voulu puiser des lumières dans les rapports des chambres de commerce, et je n’en ai pas trouvé. Ces chambres déclarent qu’aucun de leurs membres n’a de connaissances sur la partie ; qu’elles ont été obligées de prendre des renseignements près des distillateurs eux-mêmes. C’est ainsi qu’ont procédé les chambres de commerce d’Anvers et d’Ostende. Les rapports des autres chambres font les mêmes déclarations Ainsi vous trouvez que les renseignements, si renseignements il y a, sont donnés par les distillateurs ou par les intéressés.
Il est pénible de voter des impôts ; mais, comme nous sommes tous persuadés que maintenant il nous faut des impôts, nous devons établir celui qui est le plus moral : l’impôt sur le genièvre est de cette nature. Il ne faut pas, sans des motifs puissants, le diminuer ; notre nation ne fait que trop usage du genièvre. Il faut ôter toutes les entraves qui résultent de la perception de l’impôt, mais il ne faut pas le diminuer. Si cet impôt devait se réduire à quelques centimes, qui produiraient quelques centaines de mille francs que les employés absorberaient, mieux vaudrait ne pas mettre d’impôt : établissez alors des patentes.
M. Zoude présente des observations sur la macération des pommes de terre mêlées au seigle. Il démontre que la loi n’occasionne dans la perception de l’impôt aucun des inconvénients que l’on a signalés.
M. A. Rodenbach. - Je ne parlerai pas de l’amendement de M. Vandenhove ; je n’ai pas compris la correspondance parlementaire dont cet honorable membre nous a fait lecture.
J’accepterai volontiers l’amendement de M. le ministre des finances, qui porte le droit à 18 centimes ; cependant, quand nous avons été réunis en commission pour l’examen de la loi, à l’unanimité nous avons fixé le taux de l’impôt à 14 centimes, et c’est sur la demande du ministre lui-même, et sur celle de ses agents, que nous l’avons élevé à 16 centimes.
C’est à regret que je consens à l’augmentation. Je crains que cette augmentation ne soit un appât à la fraude. Nous avons prouvé dans les deux séances précédentes que la diminution de l’impôt donnait une augmentation de produits. Deux et deux ne font pas quatre en finances.
Le principe de notre loi est un principe de liberté ; nous voulons anéantir l’esclavage de l’industrie des distillateurs ; nous voulons la liberté des distilleries. La loi hollandaise était remplie de dispositions multipliées, difficiles à coordonner ; elle était éminemment obscure ; il aurait fallu aller à l’université, faire un cours de droit, afin d’entrevoir ce qu’elle exigeait. Les grands fraudeurs seuls ont pu gagner ; mais les petits distillateurs, hommes laborieux et simples, ont vu leur industrie anéantie. Ils craignaient d’être ruinés par les procès-verbaux, et ils ont mieux aimé cesser de travailler.
Aujourd’hui les petits agriculteurs pourront reprendre leur travail ; ils se diront, en voyant la loi : Nous pouvons commencer à l’heure que nous voudrons, agir comme nous voudrons ; pourvu que nous payions 16 ou 18 centimes, tout sera fini.
Je suis étonné que l’honorable député d’Anvers se plaigne de ce qu’on a consulté les chambres de commerce, et de ce que celles-ci se soient adressées aux distillateurs : ignore-t-il qu’en Angleterre, lorsqu’on modifie des lois fiscales, on fait des enquêtes ? Les chambres du commerce d’Anvers et d’Ostende, et les autres, en s’adressant à des hommes spéciaux, ont suivi la bonne route, le véritable système. Cet honorable industriel doit savoir cela.
M. Vandenhove. - Je dois faire observer à M. Zoude qu’il n’est pas entré dans mes intentions de vouloir effacer le dernier paragraphe de l’article, relatif aux fruits à pépins et à noyaux macérés.
M. Zoude. - Vous avez généralisé.
M. Legrelle. - Je regrette de n’avoir pas été compris par un des honorables préopinants ; mais je n’ai pas blâmé les chambres de commerce de s’être adressées aux distillateurs ; j’ai seulement fait observer qu’il n’existait pas d’autres données que celles fournies par les distillateurs.
Quant à ce qu’a dit M. A. Rodenbach, qu’en matière de finances 2 et 2 ne font pas 4, pour montrer qu’une diminution d’impôt amène une augmentation de produit, je voudrais que cela fût vrai, car ce serait un moyen infiniment commode. Par exemple si j’étais à la place du bourgmestre de Bruxelles, au lieu d’augmenter les droits d’entrée de 25 p. c., je les diminuerais de 50. Mais l’expérience a démontré que cette augmentation de 25 p. c. haussait le produit d’un cinquième. J’en suis fâché, car j’aurais voulu que ce qu’on a avancé fût vrai, parce que ce serait un moyen d’alléger les contribuables et d’enrichir le trésor.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je pourrais appuyer les observations de M. Rodenbach au sujet de l’espèce d’enquête qui a eu lieu pour s’assurer si le projet de loi était conforme au vœu des distillateurs. On a semblé trouver mauvais que les distillateurs eussent été consultés par les chambres de commerce. Quant à moi, j’ai si bien cru qu’ils devaient être consultés sur cet objet, que j’ai écrit aux chambres de commerce de convier les distillateurs de toutes les classes pour que les intérêts des grandes, moyennes et petites distilleries fussent représentés.
N’a-t-on pas suivi la même marche quand on a conçu le projet primitif sur les distilleries ? N’a-t-on pas invité les gouverneurs à convoquer les distillateurs de leur province, et à faire nommer des commissaires qui seraient chargés de venir à Bruxelles présenter leurs observations ? C’était alors comme c’est encore aujourd’hui la meilleure manière de procéder. Dans ce moment où des questions majeures pour notre commerce s’agitent à Paris, on y a envoyé des hommes spéciaux. Pour les houillères, par exemple, on s’est empressé d’envoyer un homme très supérieur en cette partie.
Quant à l’idée que le projet de loi exigerait plus ou moins d’employés pour la surveillance, c’est une erreur qui a déjà été émise plusieurs fois et que je dois rectifier. Il existe un certain nombre d’employés pour les accises sur les bières et les distilleries, nombre très faible, quoiqu’en général on le croie considérable. Or, quand bien même les distilleries seraient affranchies de tout droit ces employés devraient toujours être conservés pour le service des brasseries.
M. Jullien. - Messieurs, si vous augmentez le droit qui vous est proposé par l’article 2, je vous prie de faire attention que vous détruisez tout l’avantage, tout le bienfait qu’on peut espérer du projet de loi. Autant vaut retirer ce projet lui-même et rester dans l’ancienne législation ; car, que s’est proposé votre commission ? Deux buts très difficiles à atteindre ; d’abord de détruire la fraude dans son principe, et en second lieu, de ressaisir une industrie qui, malheureusement sous l’influence de la loi de 1822, a été déplacée, puisqu’elle s’est rétablie en partie sur les frontières de France et de Prusse.
Eh bien, l’unique moyen de détruire la fraude, c’est de ne pas lui fournir d’aliments, c’est-à-dire de rabaisser le droit à un taux tellement minime que le fraudeur ne puisse plus trouver d’intérêt à voler ce droit au trésor. C’est là aussi le moyen proposé par la commission. Mais si vous allez retomber dans le vice de l’ancienne législation, en augmentant le droit, ce n’est pas la peine de changer ; car enfin, qu’est-ce qui a donné lieu à toutes les vexations dont s’est plainte la nation et à juste titre ? C’est la cupidité du gouvernement qui exigeait des industriels plus qu’ils ne pouvaient donner.
Voilà la cause de cette multiplicité de procès-verbaux, et de cette résistance opiniâtre de l’industrie qui ne voulait point payer, parce qu’elle ne le pouvait pas ; voilà pourquoi les trois quarts de nos distilleries sont tombées dans cette désastreuse législation. Plusieurs membres vous ont cité des exemples à cet égard ; moi-même je puis aussi vous en citer un. Dans la Flandre occidentale il y avait autrefois 129 distilleries. Eh bien ! par l’effet du dernier régime elles ont été réduites à 57 ; et encore ces dernières n’ont-elles été maintenues que par la patience, par la longanimité d’hommes qui voulaient conserver l’industrie que leur avaient léguée leurs pères, parce qu’ils attendaient des temps meilleurs. Il est impossible de persister dans un pareil état de choses.
Mais, a dit M. Dumortier, comment se fait-il qu’un ministre des finances ne puisse pas nous dire combien produira l’impôt tel qu’on propose de l’établir. Messieurs, je crois qu’à moins d’être prophète, un ministre ne peut dire ce que rapportera une loi, un système, dont vous allez faire l’essai. Je veux bien admettre que nous allons à l’aventure ; mais, au moins, nous marchons dans une voie d’améliorations, tandis que si nous persistons dans l’ancienne législation, nous allons droit à la ruine de l’industrie elle-même qui fait l’objet de la délibération. Il n’y a qu’un système très libéral qui puisse nous faire ressaisir tous les avantages que nous avons déjà perdus.
On objecte que le produit de l’impôt n’atteindra pas le chiffre nécessaire, vu les besoins du trésor. Messieurs, il n’est pas prouvé que cet impôt ne rapportera pas 2 millions de francs. Or, je crois que si le produit s’élève jusque-là, le trésor devra être content, parce qu’au moins il n’aura pas commis mille iniquités pour extorquer des contribuables un troisième million. Mais ne faut-il donc considérer que ce qui rentrera dans les caisses de l’Etat ? Songez bien qu’il s’agit d’une industrie qui a été une des causes principales de la prospérité de la Belgique ; calculez la richesse qu’elle va jeter sur le pays, quand elle aura été régénérée et toujours la richesse nationale tourne à l’avantage de l’Etat, au profit de la caisse de l’Etat. Comparez les deux systèmes et vous verrez qu’il n’y a pas lieu d’hésiter sur le choix.
M. d’Huart. - Je regrette de ne pas devoir appuyer l’amendement de M. Seron. Il est indubitable que son adoption détruirait toute l’économie de la loi et serait un stimulant pour la fraude. Quant à l’amendement de M. le ministre des finances, il ne me paraît pas offrir d’inconvénient. Vous vous rappellerez que dans une précédente séance, un membre de la commission des distilleries, très versé dans la matière, vous a dit que cet amendement ne donnerait lieu qu’à une faible augmentation de 2 centimes par litre d’eau-de-vie, qui ne détruirait pas l’économie du projet et qui procurerait au trésor un bénéfice assez notable. D’après ces considérations, je crois qu’il faut l’admettre.
M. Dumortier propose un amendement tendant à porter la quotité de l’accise à 30 centimes par hectolitre, et il le développe en ces termes. - Messieurs, il me semble que dans cette discussion on a perdu de vue un point extrêmement important. On a manifesté une grande sollicitude pour les distillateurs des première, deuxième et troisième classes, tandis qu’on n’a aucun soin pour le trésor public. On oublie que la loi des distilleries est une loi d’argent ; qu’il a été porte de ce chef au budget des voies et moyens une somme de plusieurs millions et qu’il faut y faire face. On a établi d’après des calculs que la loi ne rapporterait que 6 à 700,000 francs. Or, quand le trésor éprouve un grand déficit et que nous sommes obligés de recourir à des emprunts pour le combler, n’y a-t-il pas lieu à tenir un impôt élevé sur les spiritueux ? Je le répète, cet impôt me semble très moral. Aux Etats-Unis, des philanthropes ont fait des efforts avec le gouvernement pour empêcher la consommation des spiritueux, parce que dans les pays où l’on se livre à ces sortes de boissons il y a beaucoup plus de crimes.
On a dit qu’on voulait la liberté de l’industrie et rendre contents les distillateurs. Messieurs, si vous ne voulez que rendre contents les distillateurs, supprimez entièrement le droit ; mais si vous voulez un impôt, établissez-en un qui rapporte quelque chose au trésor et qui ne donne pas lieu à une foule de procès-verbaux et de contraventions.
J’ai entendu dire aussi qu’on voulait recréer l’industrie dont nous nous occupions. Mais l’honorable membre n’a pas fait réflexion que, pour recréer cette industrie, il faut frapper d’un impôt d’autres industries. Par exemple, on imposera peut-être le sucre de telle sorte qu’on nuirait à une industrie existante au profit d’une industrie éventuelle. Je pense qu’en portant la taxe à 30 centimes ce n’est pas être trop exigeant.
M. d’Elhoungne. - Parmi les amendements qui vous sont présentés, messieurs, il y en a trois qui tendent à augmenter la quotité de l’impôt, et deux qui ont pour objet de le réduire dans deux cas spéciaux. Jusqu’ici l’on n’a pas abordé la discussion des derniers amendements, je les laisserai moi-même de côté. Quant à ceux qui ont pour but une majoration, il me reste très peu de chose à ajouter aux observations lumineuses que l’honorable M. Jullien a fait valoir pour démontrer l’impossibilité d’accueillir cette proposition.
Je ne suis pas plus partisan qu’un autre de l’abus des boissons spiritueuses, qui trop souvent produit des effets funestes pour les classes qui s’y adonnent. Si je trouvais moyen d’établir un impôt plus élevé, afin d’en détourner par là les classes inférieures de la société, il n’y a pas de doute que j’abonderais dans le système des honorables MM. Seron, Dumortier et Vandenhove. Mais il ne suffit pas, messieurs, de fixer le droit à 1 franc, 48 ou 30 centimes, il faut être en état de le percevoir. Or, M. Jullien vous a démontré l’impossibilité de le faire, et jusqu’ici l’objection est restée sans réponse.
Mais, dit-on, il est établi que le projet de loi ne produira que 600,000 francs. Cela n’est rien moins qu’établi, ce n’est qu’une assertion toute nue qu’on a mise en avant sans se donner grande peine pour la justifier. Quant à l’opinion contraire embrassée par votre commission, ses calculs reposent sur l’expérience et des données dont il vous appartient d’apprécier le mérite.
Je n’anticiperai pas sur votre décision, messieurs ; c’est à vous à décider de quel côté se trouve la probabilité, la vraisemblance. Quand on vient dire que la macération peut se faire en 24 heures, qu’on la fait en 18 heures, il est probable qu’on le croit ; mais l’on se trompe si l’on veut tirer de là la conséquence que le distillateur a intérêt à procéder ainsi. Du moment qu’il entreprendra d’accélérer la fermentation jusqu’à ce point, il éprouvera de telles pertes sur le produit, sous le double rapport, de la quantité et de la qualité, qu’au lieu de recueillir de l’avantage, il y mettra du sien. Or, jusqu’ici on ne s’est pas adonné à la fraude par goût ou par plaisir, on ne s’y livre qu’excité par la cupidité ; et comme dans ce cas-ci il y aura perte, on peut être certain qu’on s’en abstiendra.
« Mais, dit-on, la loi des distilleries est une loi d’argent. » Messieurs, cette loi doit être envisagée sous un rapport autrement important. Considérée sous le véritable point de vue de son influence sur l’agriculture, je n’ai rien à ajouter aux observations de l’honorable M. de Muelenaere, qui vous a développé en véritable homme d’Etat l’importance majeure des distilleries en Belgique.
On objecte ensuite un déficit sur les prévisions de la loi des voies et moyens. En effet, l’impôt n’atteindra pas le chiffre pour lequel il figure dans cet acte ; mais je vous dirai franchement que, dans mon opinion, il n’en sera de même dans plus d’une branche du revenu public. Et quelle sera, ajoute-t-on, la manière dont on y pourvoira ? Par une imposition sur le sucre peut-être ? Messieurs, je ne serais pas fâché de voir frapper le sucre d’un impôt réel, d’un impôt plus considérable que celui qui pèse nominalement sur cette denrée de luxe, et il me semble que nous devons tous le désirer. Mais, par malheur, la fraude a anéanti complétement cet impôt ; et j’exhorte, en ce qui me concerne, M. le ministre des finances à songer sérieusement au moyen de rendre au trésor cette branche de revenu que la fraude a totalement paralysée.
Quant à la majoration proposée par M. le ministre, majoration que l’on a regardée comme fort modique, je ne suis pas tout à fait d’accord avec mes honorables collègues. Il s’agit d’élever l’impôt de 8 à 9, c’est-à-dire de 12 et demi p. c., et ce n’est point là une augmentation modique. Sous ce rapport, je me permettrai de mettre sous les yeux de la chambre les résultats de l’augmentation de plusieurs impôts en Angleterre. Avant cette augmentation, la consommation annuelle des tabacs s’élevait en Irlande à 6 millions 480 mille liv. ; après l’augmentation, elle est tombée à 2,414,000 liv., c’est-à-dire qu’il y a eu réduction dans cette branche de commerce de 5/8 ou au-delà de moitié ; et sous le rapport financier, quel a été l’effet de cette mesure ? Avant l’augmentation, le chiffre du revenu montait à 1,236,000 liv., sterl., et après, il est tombé à 1,170,000 liv., c’est-à-dire qu’il y a eu réduction de 5 1/2 p. c.
En ce qui concerne les vins l’importation s’élevait avant l’augmentation de l’impôt à 7,595 tonneaux ; depuis l’augmentation, elle est tombée à 2,052 tonneaux ; d’où il suit que cette branche de commerce a été réduite au quart de ce qu’elle était autrefois ; et sous le rapport des finances, le revenu était de 408,000 liv. sterl., après l’augmentation, il est tombé à 214,000 liv., c’est-à-dire à peu près à la moitié.
Pour le genièvre, avant l’augmentation, l’impôt était payé sur 83,000 gallons. Après l’augmentation, on ne le payait plus qu’en raison de 4.000 gallons ; c’est-à-dire que la matière imposable a été réduite au 21ème de ce qu’elle était autrefois. Et que produisait l’impôt avant sa majoration ? 31,000 liv. sterl. ; et après ? 2,800 liv., ou moins du 11ème du revenu antérieur.
Pour les eaux-de-vie, avant l’augmentation, l’impôt était perçu sur 208,000 gallons ; et après, sur 8,000 gallons seulement ; c’est-à-dire que cette branche de revenu a été restreinte à la 26ème partie de ce qu’elle était autrefois. Et le trésor en a-t-il recueilli davantage ? Avant l’augmentation, le produit était de 70,000 liv. sterl., et après, de 5,600 liv, seulement, c’est à-dire qu’il a été réduit à la 15ème partie de ce qu’il était auparavant.
Voilà pour chaque taxe en particulier.
Maintenant, voulez-vous savoir le résultat de l’augmentation de l’impôt pour tout le revenu de l’Irlande ? Avant ces majorations inconsidérées, le revenu était en 1807 de 4,378,241 liv. sterl. ; et plus tard, il est tombé à 3,376,000 liv. sterl., c’est-à-dire qu’au lieu d’une augmentation, il y a eu une diminution de 1,002,241 liv. sterl., qui font plus de 25,000,000 de fr.
Voilà ce qui est advenu de la majoration des impôts indirects en Irlande ; il est bien fait pour nous dégoûter à jamais de l’envie de chercher, dans des moyens fallacieux, des ressources pour le trésor.
Est-il de son intérêt d’admettre une majoration dans le cas actuel ? Je dois déclarer que la majorité de la commission s’est ralliée à la proposition de M. le ministre ; mais quant à moi, mon opinion y étant contraire, je voterai pour le maintien du chiffre du projet.
M. Dumortier. - Je suis parfaitement d’accord avec l’honorable préopinant sur les calculs qu’il nous a présentés ; mais je suis étonné qu’un esprit aussi juste, aussi judicieux que le sien, les ait appliqués ici. En effet, il s’est attaché à nous prouver qu’une majoration d’impôt amène une diminution de produit. Mais s’agit-il ici d’augmenter les eaux-de-vie ? Non, puisque d’après mon amendement, elles rapporteraient 2,600,000 fr. de moins qu’autrefois. Vous voyez donc que ces calculs ne s’appliquent nullement à l’espèce.
M. A. Rodenbach. - L’honorable M. Dumortier n’était pas présent à la discussion générale, sans cela il aurait entendu les observations qui ont été faites en réponse à M. de Brouckere. J’ai dit que le Roi, dans son discours d’ouverture, avait fait allusion à un projet de loi sur les distilleries, qui, d’après les agents du fisc eux-mêmes, ne devaient rapporter que 900,000 fl. Eh bien ! nous avons démontré que le projet rapporterait de 2,000,000 à 2,500,000 fr. Nous n’avons pas voulu assumer la responsabilité d’une plus haute fixation. Ainsi donc, M. Dumortier, en apprenant que l’intention du gouvernement était d’avoir un projet qui produisît 900,000 fr. seulement, sera convaincu que le nôtre satisfait à ce vœu.
Il a parlé d’immoralité par rapport à la consommation des spiritueux. Je conçois que cela soit immoral. Mais cela existe dans toute l’Europe, et même en Amérique. Mais il y a une autre immoralité qui doit exciter notre attention, c’est la fraude qui se fait d’une manière scandaleuse, surtout dans le Hainaut. La douane ne peut empêcher la fraude des spiritueux qui entrent ainsi sans droits et en masse. De sorte que les eaux-de-vie de France se vendent au même prix que le genièvre. Si on laisse subsister cette fraude, on ne boira plus que des eaux-de-vie de France à Tournay. (On rit.) On ne consomme plus que ces eaux-de-vie dans le Brabant méridional.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis aussi l’ennemi de la fraude. Il est nécessaire que le gouvernement prenne des mesures très actives pour la réprimer. Quand on est venu nous proposer de ne plus faire qu’une seule ligne de douanes, je m’y suis opposé parce que je prévoyais que cette mesure amènerait des résultats contraires à ceux qu’on attendait. De même quand on nous a présenté un projet tendant à défendre l’exportation des sucres par le bureau de Hertaing, j’ai voté contre, et l’événement a précisément prouvé ce que j’avais prévu. La fraude se fait donc d’une manière scandaleuse non seulement dans le Hainaut, mais ailleurs. Quand M. Alexandre Rodenbach est revenu de son voyage de France, il nous a dit qu’on faisait sur la frontière et notamment par Menin une fraude scandaleuse. Elle se fait aussi bien par la Flandre que par le Hainaut.
M. A. Rodenbach. - Je conviens, et M. l’administrateur-général de la douane en est convenu lui-même, que la fraude se fait par Menin. Je l’ai signalée à M. l’administrateur-général qui m’a dit qu’il la ferait cesser. Mais je dois faire observer que c’est dans le pays de l’honorable M. Dumortier plus spécialement qu’on se livre à la fraude. (On rit.) C’est cette province-là surtout qui fabrique fort peu de genièvre et qui introduit le plus d’eaux-de-vie de France en Belgique.
M. Dumont. - Je demande la permission de lire à la chambre un mémoire adressé au congrès par des distillateurs de pommes de terre. Voici ce passage :
« Pour mieux faire ressortir encore l’injustice de la similitude établie par l’article premier du projet, nous vous ferons observer, messieurs, qu’un baril de matière macérée, composé soit de fécule de grains uniquement, soit d’un mélange de celle-ci avec la fécule de pommes de terre, donne un produit varié de 6 1/2 à 7 litrons d’eau-de-vie à 10 degrés, et certes, ceci est loin de l’exagération, tandis que, travaillant en pommes de terre brutes il est déjà très difficile d’obtenir, pendant tout un hiver, un terme moyen de 5 litrons. Il résulte donc de là que, si le projet était adopté sans restriction, l’eau-de-vie fabriquée par les distillateurs de grains et de fécule, d’une qualité toujours supérieure, ne serait imposée que de 3 1/2 à 4 cents par litron ; tandis que l’eau-de-vie provenant de nos distilleries, toujours de qualité médiocre, serait frappée d’un droit de 5 centièmes. En voilà assez pour faire apprécier le mérite de nos plaintes. »
M. d’Elhoungne. - Jusqu’ici on n’a discuté que les majorations. Il faut d’abord les mettre aux voix et ensuite on s’occupera des amendements tendant à diminuer la quotité de l’impôt (Oui ! oui ! Aux voix !)
M. Legrelle propose un amendement tendent à porter la quotité de l’accise à 25 centimes.
- On met successivement aux voix : 1° l’amendement de M. Vandenhove, tendant à porter cette quotité à un franc ; 2° celui de M. Seron, la fixant à 48 centimes ; 3° celui de M. Dumortier, à 30 centimes ; 4° et enfin celui de M. Legrelle, à 25 centimes.
Tous ces amendements sont rejetés.
Celui présenté par M. le ministre des finances est adopté en ces termes :
« La quotité de l’accise est fixée, par jour de travail, à raison de 16 centimes par l’hectolitre de la capacilé des vaisseaux à macération et à fermentation, sans égard à la nature des matières. »
On passe ensuite à la discussion de l’amendement de M. Dumont, qui tend à accorder une diminution d’impôt aux matières macérées consistant en pommes de terre.
M. Dumont. - Par suite de l’adoption de l’amendement de ministre des finances, je porte le chiffre du mien de 12 à 14.
Cet amendement est ainsi conçu :
« L’impôt est fixé à 14 centimes, lorsque les substances composant les matières macérées ne consistent qu’en pommes de terre, dans leur état naturel, ou réduites en pâte avec mélange d’un tiers au plus de malt ou d’orge germée. »
M. Zoude. - La loi sur laquelle les distillateurs de pommes de terre avaient réclamé, est celle proposée au congrès, qui imposait la chaudière, tandis que, d’après le projet, c’est la cuve seule qui est frappée ; et la chambre de commerce de Charleroy, consultée sur le projet en discussion, s’est tue sur la quotité des matières soumises à l’impôt, et elle a adhéré entièrement aux bases de la loi, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire à la chambre dans le rapport sur les observations des chambres de commerce.
J’affirme même qu’aucune pétition, aucune réclamation quelconque n’est parvenue à la commission de la part des distillateurs de pommes de terre, ni de l’arrondissement de Charleroy, ni de Nivelles, ni d’ailleurs.
M. Pirmez. - Je ferai remarquer que M. Dumont vient de lire une pétition des distillateurs de pommes de terre.
- Plusieurs voix. - C’est une pétition au congrès.
M. Dumont. - Hier soir je me suis entretenu avec des distillateurs de Fontaine-l’Evêque, qui sont venus exprès pour m’inviter à faire valoir leur réclamation. Je leur ai demandé pourquoi ils n’avaient pas pétitionné auprès de la chambre, et ils m’ont répondu que la chambre était saisie de leurs pétitions de 1831 et 1832 : voilà d’où viennent leur silence.
M. Brabant. - S’il y a un aussi grand désavantage à fabriquer l’eau-de-vie avec la pomme de terre dans son état brut, le procédé à employer pour faire de la fécule de pommes de terre est très facile. C’est une machine qui ne coûte pas plus de 25 à 30 francs.
M. Dumont. - Plusieurs des distillateurs avec lesquels je me suis entretenu ont essayé de réduire les pommes de terre en fécule avant de les soumettre à la distillation : mais ils ont trouvé que la main-d’œuvre ne leur offrait aucun avantage, et ils en sont revenus à l’ancien mode.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - La modicité du droit proposé par la commission ne permet point d’adopter une diminution quelconque. Je m’oppose donc à l’amendement de M. Dumont.
M. A. Rodenbach. - J’appuie ce que vient de dire M. Brabant, et j’ajouterai qu’un des principaux distillateurs de Liége, M. Plumier, m’a donné l’assurance qu’on retirait beaucoup d’alcool de la fécule de pommes de terre. Si donc on obtient des résultats aussi avantageux à Liège, les distillateurs de Charleroy ne doivent pas rester stationnaires, et je ne vois pas pourquoi on leur accorderait une prime parce qu’ils seraient stationnaires.
M. Berger. - Je dois répondre un mot aux honorables MM. Rodenbach et Brabant, lorsqu’ils disent que les distillateurs de pommes de terre n’ont qu’à se servir d’un autre procédé et de convertit les pommes de terre en fécule. En effet, les distilleries agricoles doivent travailler la pomme de terre dans son état naturel, à raison du résidu qui est de beaucoup meilleure qualité que par la distillation de la fécule. Quant à l’amendement de l’honorable M. Dumont, j’observerai que, pour être juste, il devrait être basé sur une différence d’un cinquième entre le produit de la pomme de terre et la distillation du grain.
M. Brabant. - Je répondrai un seul mot à l’honorable M. Berger, c’est que le surplus de la pomme de terre, après l’extraction de la fécule, peut être donné en nourriture aux bestiaux.
M. Desmet. - Il me semble qu’on pourrait renvoyer l’amendement de M. Dumont à la commission, afin qu’elle l’examine et qu’elle nous fasse son rapport demain.
- Plusieurs voix. - Oui ! oui ! Appuyé !
- D’autres voix. - Non ! non ! Continuons !
M. d’Elhoungne. - La modification proposée par M. Dumont est beaucoup plus importante qu’elle doit le paraître au premier aperçu. Elle tendrait à déroger à ce principe d’égalité et de liberté qui est la base fondamentale du projet de loi. La commission, ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de le dire, a été mue par cette seule considération qu’il faut laisser à l’industriel le choix des matières, des procédés et des appareils dont il entend faire usage. L’amendement tend, au contraire, à varier la quotité de l’impôt d’après la nature des matières fermentescibles.
Si vous l’adoptiez, il ne s’agirait plus seulement d’une modification en faveur de ceux qui emploieraient des pommes de terre ; il faudrait faire un tarif des substances fermentescibles, parce qu’elles ne produisent pas toute la même quantité d’alcool. Si vous accordez une faveur à la pomme de terre, pourquoi la refusez-vous à d’autres matières, à l’épeautre, à l’avoine, à la carotte, à cent autres substances végétales, qui toutes fournissent moins d’alcool que le seigle ?
Pourquoi, d’un autre côté, ne hausseriez-vous pas le droit pour la fécule de pomme de terre, la substance la plus riche en alcool d’une qualité supérieure ? En adoptant ce système de catégorie, nous nous jetterions dans d’inextricables difficultés, car d’autres causes encore influent sur le prix des spiritueux, et on devrait alors tenir compte de toutes, pour dresser un tarif équitable.
D’un autre côté, nous replacerions les producteurs sous le régime tracassier de la loi actuelle, tout en maintenant ouvertes les voies si larges de la fraude. En effet, nous verrions renaître cette époque si féconde en procès-verbaux en contestations, en procès. D’un côté, l’on prétendrait que les matières en macération sont autres que celle qui sont déclarées ; de l’autre, qu’elles sont conformes à la déclaration. Cependant, il est reconnu que la fermentation altère tellement les substances qu’elles deviennent méconnaissables même à l’œil le plus exercé des chimistes.
Si les employés ont l’opinion que la matière macérée se compose de grain, tandis que l’industriel aura déclaré les pommes de terre, comment décider la chose ? L’amendement nous engagerait dans une mauvaise voie ; son adoption donnerait naissance à des difficultés sans nombre, à de prétentions inconciliables, à de abus aussi graves que tenaces. Le trésor, l’industrie, les intérêts les plus importants se trouveraient compromis par cette déviation au principe fondamental du projet.
M. Zoude. - Une observation est échappée à tous les préopinants, c’est que de l’adoption de l’amendement il résulterait un grave inconvénient, celui d’une surveillance toute particulière qui pourrait finir par devenir vexatoire, parce qu’il est difficile, si pas impossible, de distiller la pomme de terre dans un mélange de farine de grain fixée ordinairement à un dixième, et que pour s’assurer si cette quotité n’était pas excédée, il y aurait nécessairement lieu à une surveillance telle que le contribuable pourrait en être vexé, et c’est cette vexation que les auteurs du projet ont voulu éviter.
M. Berger. - Je dois répondre à l’observation que vient de faire l’honorable M. Zoude. A la vérité il serait assez difficile de connaître et d’apprécier la quantité de grain mélangé avec la pomme de terre ; mais, à cet égard, l’intérêt du distillateur même est la plus forte garantie contre la fraude sous ce rapport ; car plus il mettrait de grain, plus l’eau-de-vie qu’il distille lui reviendrait à un prix élevé sans pour cela perdre le mauvais goût inhérent à toute eau-de-vie de pommes de terre. (Aux voix ! aux voix !)
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
L’amendement de M. Dumont est mis aux voix et rejeté.
On met ensuite aux voix le deuxième amendement de M. Vandenhove : il est également rejeté.
M. le président donne lecture de la deuxième partie de l’amendement de M. le ministre des finances sur l’article 2.
- On demande de toutes parts la remise de la discussion à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.