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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 février 1833

(Moniteur belge n°40, du 9 février 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Jacques fait l’appel nominal à une heure.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la réaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l'intérieur

Discussion et vote de l'article unique

M. le président. - Nous avons à l’ordre du jour deux projets de loi : le crédit supplémentaire pour le Moniteur Belge, et la loi sur les bons du trésor ; par quelle loi la chambre veut-elle commencer ?

- Des voix. - Par la loi relative au Moniteur.

M. le président donne lecture du projet présenté par M. le ministre de l’intérieur, et que la section centrale a adopté sans modification.

- Aucune discussion n’a lieu sur l’ensemble de la loi ni sur l’article unique qui la compose, ni sur le considérant qui précède cet article.

La loi est adoptée par assis et levé ; elle est ensuite soumise à l’appel nominal.

Sur 64 membres présents, 59 votent l’adoption, 3 votent le rejet, et deux s’abstiennent.

M. Liedts s’est abstenu parce qu’ayant été absent lorsque la loi a été renvoyée devant les sections, il n’a pu en prendre connaissance.

M. d’Elhoungne s’est abstenu parce qu’il n’a pas pris part au débat (On rit ; l’honorable membre rit beaucoup lui-même.)

Voici le texte de cette loi, qui sera envoyée au sénat :

« Vu les articles 27 et 115 de la constitution ;

« Considérant que les dépenses du Moniteur Belge, en 1832, ont dépassé l’allocation votée au chapitre XII, article premier, du budget de la même année, et que plusieurs de ces dépenses n’ont pu être liquidées à défaut de fonds suffisants :

« Sur la proposition de notre ministre de l’intérieur,

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Art. unique. Il est ouvert au ministère de l’intérieur un crédit supplémentaire de la somme de six mille trois cent soixante-huit francs cinquante-quatre centimes pour couvrir les dépenses à liquider sur l’article premier, chapitre XII (Journal officiel) du budget du département susdit, pour l’exercice 1832. »

Projet de loi autorisant le gouvernement à émettre des bons du trésor

Discussion générale

La suite de l’ordre du jour est la discussion de la loi sur les bons du trésor.

M. le président. - M. le ministre des finances déclare-t-il se rallier au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - J’ai demandé l’émission de bons du trésor : la section centrale les accorde ; mais, en les accordant, elle ajoute des conditions qui dénaturent le plan du gouvernement et l’éloignent du but qu’il se proposait d’atteindre ; ainsi je me rallie au projet de la section centrale. Quant au principe fondamental, je me réserve, dans la discussion, de combattre ce que les propositions de la section centrale me paraîtront avoir de vicieux.

M. le président. - D’après les antécédents, lorsqu’un ministre se rallie au projet, la proposition du gouvernement n’est plus considérée que comme amendement ; c’est l’inverse qui a lieu quand le ministre ne se rallie pas à la proposition de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - C’est ainsi que je l’entends.

Messieurs, j’ai cru devoir faire précéder la discussion qui va s’ouvrir de quelques observations. Je prie la chambre d’écouter avec attention.

(M. le ministre des finances monte à la tribune et s’exprime en ces termes : ) Messieurs, le rapport qui vous a été lu au nom de la section centrale sur le projet de loi relatif aux bons du trésor, renferme trop de critiques amères non fondées, et le sujet en est trop important pour que je ne croie pas de mon devoir de reproduire devant la chambre quelques-unes des explications que je lui ai données, lorsque j’ai été appelé pour assister à ses travaux.

Le premier reproche qu’elle a fait au ministère, c’est de ne vous avoir point proposé d’affecter des ressources au paiement des bons et à ce sujet, elle qualifie le projet de loi de faux en principe, incomplet dans ses dispositions dangereux dans ses conséquences.

Admis dans le sein de la section centrale, et interpellé sur ce point, j’ai dit que les membres de cette chambre savaient sans doute que le gouvernement prévoyait bien qu’il ne pourrait échapper à la nécessité d’un emprunt, si le pied de guerre était maintenu ; mais que le moment de demander l’autorisation de le faire n’était pas venu à l’époque où le projet vous fut présenté.

En effet, messieurs, au mois de décembre le crédit était ébranlé par l’état du trésor qu’on cherchait à confondre avec l’état des finances. Les fonds belges, à la suite de la prise de la citadelle d’Anvers, se relevaient à peine du long engourdissement où ils étaient restés depuis la négociation de la seconde partie de l’emprunt ; ces fonds, personne ne l’ignore, n’avaient pas eu le temps de se placer chez les rentiers, ils se trouvaient encore en majeure partie dans les mains de ceux qui les ont pris à 79, pour les réaliser plus tard avec avantage, mais non pour les garder. Annoncer un nouvel emprunt dans de semblables circonstances, n’était-ce pas forcer les détenteurs à vendre avec empressement, et par là porter une atteinte telle au cours des fonds belges, que le nouvel emprunt n’eût pu être contracté qu’à vil prix ?

Qu’on ne me dise pas que l’autorisation diffère de la négociation, et que l’espace de temps qui devait s’écouler entre ces deux actes eût suffi pour que les obligations demeurées entre les mains des divers spéculateurs pussent s’écouler paisiblement.

Non, messieurs, le public ne peut pas juger l’usage plus ou moins prompt de l’autorisation accordée : la demande seule eût dénoté la nécessité de l’emprunt, et la crainte de le voir jeter tout-à-coup dans la circulation eût produit le même effet que sa réalisation, c’est-à-dire la détérioration du cours.

Cette opinion, messieurs, le ministère ne se l’est pas formée sans réflexion, sans examen : elle est basée sur celle de grands capitalistes et de gens fort versés dans les matières financières. Ce n’est donc ni par légèreté ni par imprévoyance que le ministère ne vous a pas demandé l’autorisation d’emprunter, en même temps que celle de créer des bons du trésor, mais par prudence, et après s’être entouré de lumières puisées dans l’opinion d’hommes éclairés et dans l’expérience de deux peuples plus avancés que nous dans la carrière du crédit public.

Avant de développer ce qui se passe en Angleterre et en France, qu’il me soit permis, messieurs, de vous dire quelles étaient nos intentions en vous proposant le projet que la section centrale dénature d’une manière à laquelle j’étais loin de m’attendre ; car elle avait reçu les explications que je viens de vous donner et celles qui vont suivre.

Notre intention, messieurs, était de mettre en circulation une première émission dont le remboursement était assuré puisqu’elle n’était que l’avance de ce qui nous reste à recouvrer sur le solde de l’emprunt de 48 millions ; cette première émission, ainsi garantie, assurait le crédit des bons ; difficile à établir à son début, comme celui de toute chose nouvelle, mais certain, à cause des avantages qui, une fois connus du public, feraient considérer l’adoption de cette mesure comme précieuse pour l’industrie, le commerce et l’Etat.

D’ici à une seconde émission par négociations, le crédit belge serait relevé (le mois qui vient de s’écouler a prouvé d’une manière éclatante que mes prévisions étaient fondées), et si les circonstances avaient continué à exiger le surcroît de dépense du pied de guerre, une demande d’emprunt vous eût été faite.

Les détenteurs des obligations du premier emprunt eussent eu la possibilité de placer avec avantage ce qui restait en leurs mains, et à une tous les capitalistes se fussent empressés de concourir à une nouvelle opération, la première leur ayant été profitable.

De cette manière nous arrivions à une époque où il ne nous en eût plus coûté 20 ou 25 p. c. pour contracter un emprunt, qui peut-être même eût été inutile si l’armée avait pu être mise sur le pied de paix.

La section centrale en a jugé autrement, messieurs ; elle a cru ne devoir faire du système des bons du trésor qu’une courte introduction à un emprunt. J’ai dû me rallier à cette idée, parce qu’il faut une ressource prompte au trésor pour combler l’insuffisance des recettes ordinaires ; mais, je dois le dire à la chambre, c’est avec regret que j’ai vu repousser l’admission d’un système si simple et si profitable à l’Etat et au public, des bons du trésor, tel qu’il existe en France et en Angleterre, et tel que j’en avais proposé l’introduction dans notre pays.

La proposition de l’emprunt a été faite ; j’y ai consenti parce que les circonstances se sont améliorées depuis le mois de décembre et sont devenues assez favorables depuis quelques jours pour que j’appuie fortement la demande d’autorisation renfermée dans le projet de la section centrale.

Quant aux bons du trésor, c’est sous l’influence de l’exemple et de l’expérience des deux grandes nations dont je viens de parler que le projet de loi a été mûri ; et c’est, comme dans ces deux pays, sans autre garantie que les revenus ordinaires, la bonne foi des habitants et du gouvernement, que la création des bons du trésor vous est proposée.

Quelle autre garantie peut-on affecter à un emprunt quelconque ? Toute dette du pays a-t-elle ordinairement d’autres hypothèques que le pays et son revenu ?

Certes, en envisageant la création des bons du trésor comme l’a fait la section centrale, c’est-à-dire en les amortissant peu après leur naissance, il fallait créer une ressource pour les payer à leur première et dernière échéance ; mais, en vous proposant le système des bons du trésor tel qu’il est, c’est-à-dire, en en faisant une dette flottante variable, suivant les besoins réels, annuellement limitée par la législature, ne coûtant qu’autant qu’elle est nécessaire, évitant au contribuable toute anticipation de paiement, offrant un emploi aux capitaux oisifs ; en proposant, dis-je, ce système tel que l’expérience l’a fait en France et en Angleterre, il ne fallait pas appliquer de ressources particulières à sa garantie.

L’origine des bons royaux en France est due à des embarras momentanés du trésor qui, ne pouvant solder ses livranciers en écus comptant, leur remit des inscriptions sur le trésor, qui ne portaient avec elle aucune garantie légale.

Depuis, et dès 1814, le ministre des finances, baron Louis, pressentant toutes les ressources que pourrait tirer le service de la trésorerie de l’usage de ces mandats à termes, leur donna une sanction plus constitutionnelle, en en faisant autoriser la création par ordonnance royale.

Ces bons obtinrent dès lors un cours facile, et l’arriéré antérieur à 1814 fut acquitté en vertu de la loi du 23 septembre 1814, par des obligations analogues qu’il ne faut pas toutefois confondre avec les bons royaux. Elles avaient trois ans d’échéance, un amortissement spécial, consistant en un excédant de recette, une vente de bois et un emprunt à faire.

Mais, je le répète, ces obligations ne doivent pas être confondues avec les bons royaux ; elles étaient destinées à couvrir un arriéré énorme, et n’étaient dans la main du créancier de l’Etat qu’un titre liquide et escomptable, qui, malgré l’amortissement spécial et l’intérêt de 8 p. c., perdit immédiatement 20 p. c. à la bourse de Paris.

Mais les bons royaux, quoique non garantis, quoique n’ayant pas la sanction de la loi, se soutinrent et devinrent une nécessité pour le trésor et pour le public. Lors de la discussion du budget de 1825, la chambre manifesta le désir de consacrer par la loi l’existence du ces bons dont elle avait reconnu les avantages et dont elle approuvait l’usage.

Le ministre des finances adhéra avec empressement à ce vœu, dont la réalisation ne pouvait qu’ajouter au crédit de ce papier, et depuis cette époque (6 août 1824) jusqu’à la dernière loi des douzièmes provisoires du 15 novembre 1832, un article uniforme quant à la rédaction, mais différent quant à la quotité du montant des bons à émettre, autorise le ministre des finances à maintenir en circulation, pour le service de la trésorerie et pour les négociations, des bons royaux portant intérêt et à échéance fixe. Mais dans aucune des dix lois contenant cet article il n’est alloué de ressources à l’acquittement des bons. Celle du 21 avril 1832 affecte une émission de 105,704,000 fr. en rentes à la diminution de la dette flottante, mais l’applique à des déficits antérieurs.

Le véritable amortissement des bons royaux sont les excédents des budgets, dont l’application se fait par la seule réduction du chiffre de l’autorisation de création. Leur garantie se trouve dans les recettes qu’ils ont pour but de devancer, dans le produit de leur émission continue (qu’à tort on a comparé à ce qu’on appelle la navette dans le commerce), et enfin dans le placement au budget du montant de leurs intérêts.

En Angleterre, comme en France, les billets de l’échiquier, ou bons du trésor, sont votés annuellement par le parlement. Le montant de ceux actuellement en circulation est de 890,083,454 fr. 80 c. Cette somme est énorme, et cependant son paiement ne repose sur aucune ressource spéciale, mais seulement sur l’émission continue et le renouvellement en mains des détenteurs, lorsqu’il est porté quelque changement au taux de l’intérêt.

Depuis trente ans que cette institution existe en Angleterre, les billets de l’échiquier ont toujours été au pair ou même au-dessus du pair, excepté dans quelques circonstances critiques où ils ne sont restés au-dessous que de quelques schellings.

Cependant cette opération est environnée d’un danger devant lequel la France a reculé. Les billets de l’échiquier ne sont payables qu’après une échéance déterminée ; mais ils peuvent être présentés en recette longtemps après cette échéance, et l’intérêt est dû au porteur jusqu’au jour du paiement. Le décompte des intérêts, jour par jour, est même établi sur le billet, en sorte que le porteur et le payeur savent exactement ce qui est dû au jour de la présentation en recette. Ce mode, qui a l’avantage de ne pas forcer le porteur à renouveler son titre, s’il lui plaît de laisser les fonds au trésor, présente ce danger, très grand, surtout pour un Etat dont le crédit n’est pas encore assis, de voir arriver à présentation, le même jour, une masse de bons échus depuis plus ou moins de temps, et cela à chaque variation en baisse ou à chaque nouvelle politique défavorable, vraie ou fausse.

Mais malgré ce danger, auquel il serait imprudent de s’exposer, l’Angleterre, qui même n’a plus d’amortissement pour sa dette consolidée, n’affecte à la réduction de sa dette flottante que les excédents de ses recettes, lorsqu’il en existe.

Si donc le gouvernement s’est trompé en ne vous demandant pas un emprunt simultanément avec les bons du trésor, et s’il croyait pouvoir se reposer sur la confiance publique qui environne ce papier, même en Hollande, où il est coté à 99 3/4, il s’est trompé avec la France, l’Angleterre et la Hollande.

Ce mode d’emprunt est assurément le plus avantageux au gouvernement au pays, mais il ne doit pas être porté trop loin ; son extension outrée en amènerait la perte : au gouvernement, parce qu’il ne comporte qu’un intérêt que nous avons vu descendre progressivement, là où il est en usage, et parce que, contrairement aux autres emprunts, on peut l’étendre ou le restreindre aux besoins réels du moment, et conséquemment on ne paie pas d’intérêt pour des fonds dormants : à la nation, parce qu’il est un moyen facile de placement pour les capitaux oisifs pendant des délais de peu de durée, et qu’il les retient dans le pays jusqu’au moment favorable de les livrer à l’industrie.

Emprunter temporairement sur des bons du trésor, qui n’auront plus de cette institution que le nom, pour emprunter et forcément avant leur échéance de six mois, afin d’en opérer le remboursement, c’est doubler les frais de négociation et accepter à l’avance la loi des prêteurs.

C’est un danger auquel j’ai consenti à m’exposer en me ralliant au projet de loi de la section centrale, parce que, je le répète, il faut qu’une prompte ressource soit votée ; mais je ne puis en assumer toute la responsabilité sans en prévenir la chambre.

Quant aux articles 4 et 5 du projet primitif, que la section centrale vous propose de supprimer, ils avaient pour objet de faire passer successivement au livre de la dette perpétuelle les bons du trésor, mais bien de leur assurer un refuge dans ce livre, pour le cas d’une dépréciation imprévue. C’était une garantie réelle dont j’ai déjà fait ressortir l’avantage, et qui avait été offerte aux obligations du trésor de France, créés par la loi du 23 septembre 1814, quoique cette loi leur assignât un amortissement spécial et déterminé.

Tout me fait augurer que jamais on n’aurait eu recours à la conversion que ces articles autorisaient, mais ils étaient loin d’être inutiles, et leur maintien serait une preuve de bonne foi du gouvernement, qui admet tous ses créanciers aux mêmes garanties.

La section centrale n’a pas admis la disposition finale du projet qui autorisait le gouvernement à racheter les bons du trésor avant leur échéance, sur le motif que cette disposition associerait le ministre des finances au jeu de la bourse. Le rapport cite à cet égard l’opinion d’un célèbre publiciste et flétrit le jeu, l’agiotage et les spéculations clandestines.

Pour qu’une citation soit bonne, messieurs, il fait qu’elle soit applicable au cas mis en délibération, pour qu’une admonition porte des fruits, il faut qu’elle soit juste.

Et j’en appelle à la conscience, au bon sens de chacun de vous, quel est celui qui a pu découvrir le désir de s’associer au jeu de la bourse, de se livrer à l’agiotage, de faire des opérations clandestines, dans la faculté que demande le gouvernement de racheter sa propre créance ?

Pour qu’il y ait jeu, il faut qu’il y ait chance de perte ; et comment cette chance serait-elle possible lorsqu’il s’agit de retirer de la circulation un titre remboursable au pair quelques mois plus tard ?

Quoi ! le trésor serait privé de la faculté de soutenir son propre crédit et de maintenir autant qu’il est en lui la valeur de sa dette dans les mains de ses créanciers ?

Quoi ! le trésor serait obligé de parquer un intérêt sur des billets en circulation, lorsque ses coffres auraient du superflu ?

Mais jamais un pareil droit n’a été dénié à l’Etat, et il ne s’agit point ici de spéculations ni d’opérations clandestines, mais, au contraire, de payer ses dettes plus hâtivement, et conséquemment de les rendre moins onéreuses.

L’opinion de Benjamin Constant viendrait donc bien plutôt appuyer la demande du ministère que la condamner.

Je pourrais encore citer l’exemple de la France et de l’Angleterre, mais j’invoque plutôt la vôtre, messieurs.

En effet, n’est-ce pas la chambre qui a inséré, par amendement dans la loi du 4 avril 1832, que le remboursement de l’emprunt de 10 millions pourrait se faire par rachat ?

Non, messieurs, cette distinction n’a rien d’immoral, ni d’ignoble ; elle est, au contraire, une garantie pour le porteur du titre, un moyen d’économie pour l’Etat qui ne doit pas payer d’intérêt pour des fonds dont il n’a pas besoin.

Je me suis attaché, messieurs, à combattre les reproches principaux qui abondent dans le rapport de la section centrale ; je me réserve de faire valoir quelques moyens en faveur du maintien de la circulation des bons du trésor dans le courant de la discussion des articles.

M. de Foere. - Messieurs, le discours du ministre des finances que vous venez d’entendre, renferme des faits fort exacts et des raisonnements très concluants contre le projet de la section centrale. Une chose a droit de surprendre : ou le ministre, avant de se rallier au projet de la section centrale, a connu les motifs qu’il vient de se développer contre ce projet, ou il ne les a pas connus. Dans le premier cas, je ne conçois pas pourquoi il a abandonné son projet, que je regarde de beaucoup supérieur à l’autre auquel il s’est associé. Dans le deuxième cas, je ne conçois pas plus la raison pour laquelle le ministre ne revient pas à son projet primitif.

Pour établir une discussion régulière sur la grave question qui va occuper la chambre, je devrais commencer par définir ce que c’est qu’une dette flottante, par fixer le caractère des bons du trésor et par assigner leur usage et leur destination. Je supposerai, messieurs, que ces notions préalables nous sont communes.

Je me bornerai à vous prouver, messieurs, qu’une dette flottante est indispensablement nécessaire à tout gouvernement constitutionnel et représentatif.

Si l’Etat s’assujettissait à ne dépenser l’impôt que lorsqu’il est rentré au trésor, il est évident qu’alors il pourrait éviter la dépense des intérêts d’une dette flottante ; mais dans un état représentatif et dans l’état actuel du crédit public, je pense que cet assujettissement est très difficile pour ne pas dire impossible. Les rouages d’un Etat constitutionnel soient trop compliqués, sa marche est trop lente, trop souvent entravée, pour assurer, sans bons du trésor, sans dette flottante, la régularité du service, pour satisfaire exactement à ses engagements et partant pour maintenir le crédit public national.

La section centrale s’oppose à cette circulation permanente, quoique sagement restreinte ; elle substitue aux bons royaux un emprunt destiné à les rembourser le jour de leur échéance. Elle leur enlève aussi leur véritable caractère, prive le pays d’un des moyens les plus simples, les plus faciles, les moins dispendieux, d’assurer la marche du service, et pourquoi ? Pour se jeter dans une mesure beaucoup plus compliquée, beaucoup plus onéreuse, et, qui plus est, dans une mesure transitoire ; car, j’ose vous le prédire, messieurs, lorsque l’emprunt sera épuisé, la force des choses, le besoin du service, le maintien permanent du crédit nous ramèneront infailliblement aux bons du trésor.

La section centrale repousse l’émission et la circulation permanente des bons du trésor, parce que, dit-elle, ces billets n’ont pas de garantie, et à défaut de cette garantie notre crédit public en souffrirait. En les remboursant, lors de leur échéance, au moyen d’un emprunt, ces suites funestes pour la valeur de ces bons et pour notre crédit public ne sont pas à craindre.

Tel est, en substance, le raisonnement de la section centrale.

Je demanderai à cette section quelle est la garantie qu’elle présente par son emprunt ? La dette que contractera le pays par cet emprunt devra être inscrite sur le grand livre. La même faculté est offerte aux porteurs des bons du trésor, qui, selon le projet ministériel, pourront les faire inscrire sur le même grand livre de la dette publique, même avec jouissance qui suivra le jour d’inscription.

Il y a donc évidemment parité sous le double rapport de la garantie et des moyens de soutenir notre crédit.

Quelle autre garantie avaient nos 12 millions ? Cependant les faits ont parlé, et les faits sont pour moi les seules bases de mon opinion. Ces effets ont été négociés au pair pendant quatre mois avant leur échéance. Je dis au pair car, lorsqu’un fonds public à 5 p. c. est fait pendant quatre mois, terme moyen, à 99 p. c., déduction faite de l’intérêt, vous pouvez le considérer comme étant monté au pair, attendu que, dans le calcul des acheteurs, l’unité qui manque au chiffre intégral est absorbée par la commission et le courtage, et par d’autres petits frais que les placements entraînent.

Et quel était, messieurs, le caractère de nos obligations de 12 millions ? Ce n’était que de véritables bons du trésor au porteur et à échéance fixe. Les mots ne changent pas la nature des choses. C’est leur objet, leur but qui en constitue ou l’identité ou la différence.

La section centrale semble ignorer la véritable source du crédit public. Il est important, messieurs, pour notre instruction commune et pour l’utilité du pays, de constater une bonne fois les vraies bases de tout crédit public.

Il y va de nos plus graves intérêts, et, partant de nos devoirs les plus sacrés. Que la chambre ne s’écarte jamais de ces bases dans ses délibérations sur les hautes questions de finance, et sur le vote de cette partie du budget des dépenses qui est affectée à la dette publique. Je vous en ferai apprécier plus loin et plus facilement la raison.

Tout crédit public, comme tout crédit particulier, messieurs, n’est fondé que sur deux bases : les moyens et la volonté inébranlable de satisfaire à ses engagements. Tout autre fondement du crédit est purement fictif. La section centrale s’est jetée à cet égard dans le romantisme financier.

La première base du crédit public : les moyens de tenir à ses promesses, se rattache immédiatement aux ressources du pays. L’appréciation de ces ressources, comparée avec la quotité de sa dette, est tout entière dans l’opinion publique, qui exerce sur ce point, comme sur tous les autres, sa toute-puissance. C’est parce que cette première base manque au crédit public de l’Espagne, que, malgré toute sa bonne volonté, elle perd constamment 50 p. c. sur l’émission de ses obligations, ou, en d’autres termes, qu’elle est obligée de payer 10 p. c. au lieu de 5 p. c. d’intérêt.

L’autre base du crédit public : la volonté inébranlable de payer exactement ses dettes. Ceci est votre œuvre, messieurs. C’est vous qui devez poser cette base. Si jamais, dans aucun cas ni pour aucune raison imaginable, vous n’ébranlez cette base, vous fixerez irrévocablement le crédit public du pays. Vos traitants et vos prêteurs ne vous demanderont jamais d’autres garanties ; c’est la seule raison pour laquelle le crédit public d’Angleterre, malgré l’énormité de sa dette, se maintient. D’un côté, ne pas excéder les ressources du pays par la quotité de vos dettes ; de l’autre, satisfaire ponctuellement à vos engagements ; ces deux moyens répondront toujours à la confiance publique. Telles sont aussi les seules garanties réelles de vos bons, de vos emprunts, et de toute autre dette, quelle qu’en soit la dénomination.

Vous comprenez mieux maintenant, messieurs, l’extrême importance de ne jamais toucher, dans vos délibérations, à ces fondements de notre crédit public, soit par une injuste dépréciation des ressources du pays, soit par d’imprudentes interpellations sur la situation du trésor, soit en n’assurant pas la marche du service public, soit enfin en rejetant tout entier le budget des dépenses, sans faire exception du service de la dette publique.

Cette dernière considération mérite une attention particulière. Si, pour des raisons de politique intérieure ou d’opposition bien justifiée, vous croyez devoir rejeter tout le budget des dépenses sans excepter celles qui sont affectées à la dette, vous serez toujours justement arrêtés devant l’ébranlement du crédit public, que, dans ces cas, tous les députés vendus et tous les ministres perfides fait valoir. Si, au contraire, vous faites toujours, et sans hésiter, abstraction du service de la dette dans le rejet du budget des dépenses, vous n’attenterez jamais au crédit public, et vous détruirez l’arme la plus redoutable des mauvais ministres et de leurs courtisans.

J’ai cru devoir entrer dans ces considérations sur les vraies bases du crédit public et de ses garanties d’abord, parce que cette question rentre essentiellement dans celle que la section centrale a élevée, et qu’elle a fait tourner dans un cercle purement métaphysique ; ensuite, parce que, je regrette de devoir le dire, les précédents de la chambre ne se sont pas toujours resserrés dans ces sages réserves.

En fixant ces seules vraies bases du crédit public, messieurs, je fais abstraction des spéculateurs sur les fonds publics, ou des joueurs à la bourse, ou des agioteurs, comme vous voudrez les appeler. Cette ignoble fraction de prêteurs ne constitue jamais qu’un crédit purement fictif. Bien que la plupart d’entre eux disposent de moyens immoraux pour faire hausser ou baisser momentanément les fonds publics, pour se jouer de la confiance de l’honnête rentier, et pour jeter de fausses alarmes dans les familles, ils ne sauraient cependant jamais constituer le vrai crédit permanent d’aucun pays. Il sera toujours fixé dans les deux seules bases que j’ai eu l’honneur de vous indiquer.

Les seuls artisans du crédit public, messieurs, sont les capitalistes, les rentiers qui, comme placement de leur argent, engagent leurs capitaux dans les fonds publics, dans l’unique but d’en retirer un intérêt annuel. Ce sont ceux-ci seuls qui examinent le crédit des différents pays sur ses vraies bases, eux seuls qui font les avances réelles et non fictives, et, partant, eux seuls qui font le crédit des pays qui méritent leur confiance.

Pour vous le prouver, messieurs, je vous citerai le calcul, fait par un économiste français, du capital engagé dans les dettes publiques de l’Europe. L’énorme différence qui existe entre les fonds publics appartenant aux rentiers fixes, entre celui qui forme la matière pour les spéculations de bourse, vous fera comprendre nos assertions.

Cet économiste fait monter de 38 à 40 milliards de francs la dette publique tout entière, dans laquelle l’Angleterre seule à sa part pour les trois quarts. En rattachant cette estimation approximative du capital dû à une autre estimation faite par un économiste anglais dans son traité « On the present state of England, » vous aurez la juste mesure et de l’immense influence que doivent exercer les rentiers fixes sur les fonds permanents et sur le crédit public, et de la faible part d’influence qu’exercent les agioteurs. Joseph Lowe estime que les capitaux placés dans les fonds publics, d’une manière fixe et en dehors des spéculations de la bourse, s’élèvent, en Angleterre, à peu près aux 4/5 de la dette publique, et que le cinquième restant compose seulement la matière sur laquelle on spécule, et qui détermine les mouvements fictifs de la bourse.

Jean-Baptiste Say semble adopter l’opinion de ceux qui croient en France qu’une portion plus forte que les 4/5 de la dette française appartient aux rentiers qu’on appelle dans ce pays les rentiers casés, et qu’on appelle chez nous les détenteurs.

Remarquez bien que dans le cinquième restant sont compris, d’après ces calculateurs anglais et français, les capitaux des banquiers cosmopolites, tels que les maisons des Rothschild et autres, qui traitent avec les ministres des différents Etats, se chargent de leurs emprunts, achètent et vendent, disposent des puissants moyens de la haute banque pour faire hausser et baisser momentanément le marché de l’argent, et font, par leurs spéculations journalières, des lucres énormes.

Vous devez rester convaincus, messieurs, d’après le calcul de ces proportions de rentes casées et non casées, que les oscillations quotidiennes de la bourse ne sauraient jamais constituer le crédit permanent d’un pays, et que ce crédit est uniquement dû aux ressources du pays mises en regard avec ses dettes, et à la consciencieuse exactitude du pays débiteur à satisfaire à ses engagements.

Heureusement, messieurs, notre beau pays possède les deux qualités essentielles d’un débiteur qui sera toujours recherché. Il renferme et les moyens et la bonne volonté de satisfaire à ses promesses. L’opinion européenne est formée à cet égard depuis des siècles. La section centrale, avec ces garanties, peut dormir là-dessus très tranquillement. Il n’y a que des ministres incapables, dilapidateurs ou perfides, et une chambre imprudente et téméraire, qui puissent arracher à la Belgique ses beaux titres au crédit public.

Si les ministres et les chambres présents et futurs savent tirer parti de la position du pays, messieurs, il en résultera ces trois grands avantages : l° le pays trouvera toujours de l’argent au moment du besoin ; 2° il paiera un intérêt moins fort que beaucoup d’autres, et 3°, avec cette moindre somme d’intérêts, il se mettra en possession d’un capital plus considérable.

Après avoir repoussé les futiles alarmes de la section centrale sur notre crédit, j’aborde une autre illusion financière dans laquelle elle se berce. Elle trouve très beau, en administration des deniers publics, de laisser entre les mains du ministre des finances un capital de 17 millions sans emploi éventuel, et cela sous prétexte de sauver le trésor de tout embarras et de le mettre à l’abri de tout mécompte.

Je ne serais pas surpris si quelque banquier cosmopolite avait présidé à la rédaction du projet de la section centrale, et des motifs qui l’ont déterminée, dans son rapport, pour en venir à un emprunt ! Je serais moins surpris encore (mais, avant de continuer ici, je dois déclarer d’avance que mon intention formelle est de ne faire aucune allusion personnelle à aucun membre de la section centrale, je repousse donc toute autre interprétation que l’on voudrait donner à mes paroles. Je ne fais qu’une simple supposition pour faire mieux ressortir la force de mon raisonnement) ; je serais moins surpris, dis-je, si des intéressés à la banque de Bruxelles, ou si une compagnie d’orangistes avaient dicté le projet et ses motifs. Dans le premier cas, ils n’auraient pas mieux soigné leurs intérêts ; car, certes, la banque en encaissant, comme détentrice du trésor public, nos 17 millions, n’aurait pas la bonhomie de les laisser sans emploi. En face du gouvernement, et à la honte de la chambre, elle les ferait valoir à 5 et 6 p. c. pendant que le pays paierait, pour ces mêmes 17 millions, un intérêt de plus de 5 p.c. au prêteur des fonds à lui empruntés.

Dans l’autre cas, et si entre-temps une restauration avait lieu, ce que je crois, sinon impossible, du moins très peu probable, le roi de Hollande se jetterait sur nos 17 millions, déposés chez le caissier de l’Etat, et renverrait les détenteurs des obligations de l’emprunt proposé là où le roi d’Espagne a renvoyé l’emprunt révolutionnaire des cortès.

Quoi ! messieurs, nous paierions à de nouveaux créanciers de l’Etat les intérêts de 17 millions qu’il possède et dont il peut disposer ! C’est pour laisser dormir ces 17 millions que la section centrale nous propose la levée d’un emprunt de 50 millions ! Et c’est après avoir accumulé des accusations et des reproches continuels contre nos financiers présents et passés qu’elle nous propose cette désastreuse mesure financière.

Je conçois, messieurs, que le trésor doit avoir régulièrement un encaisse de 2 à 3 millions ; que, par ce surplus permanent, il parera à toutes les éventualités, à toutes les vicissitudes, à tous les embarras possibles du service public, alors surtout qu’il disposera du moyen d’émettre des bons du trésor, et qu’en tout cas le pays, par le crédit dont il jouit, trouvera, à coup sûr, de l’argent au moment du besoin, et en moins de trois semaines. Mais affecter à ces craintes moins réelles qu’imaginaires un capital de 17 millions, et en payer les intérêts à de nouveaux traitants durant le paisible sommeil de nos 17 millions, cette conception financière, messieurs, surpasse, je ne dirai pas toute ma raison, mais même toute mon imagination, quelque robuste qu’elle puisse être ; et j’ai assez de confiance dans le bon sens de la chambre, pour ne pas concevoir la moindre crainte qu’un semblable projet soit honoré de ses votes affirmatifs.

Je dois cependant être juste envers notre section centrale ; elle ne s’est pas dissimulé sa malencontreuse conception. « Consultons la raison, dit-elle ; elle nous dira que le plus grand inconvénient que vous ayez à redouter du vote qu’on vous demande, c’est qu’une partie des fonds qu’il met à la disposition du gouvernement restera sans emploi pendant très peu de mois. »

La chambre, j’en ai la ferme confiance, consultera la raison ; mais ce sera pour repousser vigoureusement une semblable conception, qui, si elle pouvait être admise, nous exposerait à la risée de l’Europe.

Pour encaisser 50 millions à côté de nos 17 millions oisifs, la section centrale cherche à se justifier par une compensation. Elle la trouve dans le danger de la fréquence des emprunts, qu’elle évite par le moyen qu’elle propose. Mais il ne s’agit pas de contracter plusieurs emprunts. Toute la question est de savoir si nous emprunterons pendant que nous disposerons de nos 17 millions et de nos bons du trésor, ou si la levée d’un seul emprunt sera reculée au temps où nous en éprouverons le besoin réel. Et, certes, le dernier parti à prendre ne peut rencontrer aucune contradiction raisonnable.

Je comprends la section centrale, lorsqu’elle dit qu’elle a été d’avis que la quotité de l’emprunt soit fixée en capital effectif, et non en capital nominal ; mais je n’en comprends pas les motifs. Le pays, dans l’un et dans l’autre cas, y gagnerait-il une obole ? « C’est une somme déterminée en numéraire qu’il faut au gouvernement. » Dans les deux cas, ce sera du numéraire, sans un centime de différence, que touchera le gouvernement.

« Il est contraire à la nature du contrat, ajoute-t-elle, que l’emprunteur fixe à sa guise la valeur des obligations qu’il délivre : en prenant l’initiative, il s’expose à deux chances également funestes ; car il élève ses prétentions trop haut, et l’opération échoue ; ou il les réduit trop modestement, et il contribue au discrédit qu’il ne tarde pas d’atteindre. » Je ne conçois pas, messieurs, comment il serait contraire à la nature du contrat, soit que ce soit le prêteur ou l’emprunteur qui commence par fixer le taux auquel l’emprunt sera contracté ; et pour ce qui regarde le résultat de l’opération, il dépendra toujours, en dernière analyse, des négociations entamées de part et d’autre d’après un mode quelconque.

Il n’est pas non plus exact de dire que c’est par une faute de ce genre qu’en 1789 l’emprunt de l’assemblée constituante a manqué. L’opération n’a échoué que par absence de crédit, eu égard à la situation de la France. Il est même prouvé de fait que les 5 p. c. français ne se faisaient même avant le consulat de Bonaparte qu’à 10 p. c.

La section centrale propose maintenant le mode d’amortissement de son emprunt. Il serait fait un taux d’un pour cent du capital nominal, accru des intérêts composés. Ici je rencontre du sens en matière de haute finance. Mais pourquoi la section centrale blâme-t-elle si amèrement le même mode d’amortissement que présente le ministre des finances ? Ce ministre ne propose d’autre mode d’amortir sa dette flottante que par le rachat de ses bons du trésor sur la place. Pourquoi attacher à ce simple et sage moyen d’amortissement l’odieux nom de jeux à la bourse, d’opérations clandestines, d’agiotage, lorsqu’elle même elle propose exactement le même mode d’amortissement ? Si la même action est bonne, louable et utile au pays lorsqu’elle est proposée par la section centrale, et mauvaise, méprisable et pernicieuse lorsqu’elle est proposée par le ministère, alors je n’y comprends plus rien.

A l’occasion de l’amortissement de son emprunt, la section centrale prélude ici à l’institution d’une caisse d’amortissement. Certes, il est sage de songer à amortir les dettes du pays ; mais il existe à cet effet plusieurs modes.

Après les courtes mais lumineuses observations que J-B. Say a répandues dernièrement sur cette question, nous avons pu nous croire en droit de nous attendre le moins au mode que propose la section centrale, Ce mode, il est vrai, celui d’une caisse d’amortissement, a fait fureur en Angleterre. Il a été accueilli par des acclamations universelles. C’est le docteur Price, et, plus tard, le ministre Pitt qui ont imprimé, en Angleterre, une vogue si peu méritée à la caisse d’amortissement. Cet établissement est maintenant justement décrié par les économistes modernes les plus accrédités. David Ricardo et Robert Hamilton ont prouvé, par des faits exacts rattachés à la rigueur des chiffres, qu’il n’existe d’autre mode admissible d’opérer l’amortissement qu’en consacrant tout simplement un excédent de revenus, alloués à cet effet, au rachat d’inscriptions de rentes ou d’obligations de sa propre dette, et en les annulant publiquement.

La Revue d’Édimbourg, dans un excellent article sur la caisse d’amortissement, dit que « l’unique service qu’elle ait rendu a été de mettre les ministres en état de négocier les emprunts plus aisément, d’avoir en maniement des sommes énormes, et de persuader au public d’en payer les intérêts de bonne grâce. »

Les deux principales raisons pour lesquelles les caisses d’amortissement sont aujourd’hui reprouvées, sont celles-ci : leur administration entraîne le pays dans des dépenses énormes, alors qu’un pays peut se libérer progressivement, et presque sans frais, par le simple mode que j’ai eu l’honneur de vous indiquer ; ensuite les fonds de ces caisses ont été constamment détournés de leur destination.

Il a été prouvé, par les documents officiels de la session du parlement d’Angleterre de 1819, que les frais de la caisse d’amortissement de ce pays se sont élevés à 187,000 livres st. (4,675,000 fr.).

Ces dépôts ont été violés en 1813, sous l’administration de lord Bexley, et, en 1825, sous celle de M. de Villèle. Vous savez comment le roi de Hollande, à l’aide d’une chambre sans pouvoir comme sans énergie, en a agi à leur égard.

Que la section centrale nous permette à notre tour d’invoquer le bon sens de la chambre pour repousser pour toujours l’institution d’une caisse d’amortissement, pour ne nous en tenir qu’au mode simple, facile et peu dispendieux du rachat des obligations de notre dette.

Enfin, la section centrale écarte encore les bons du trésor, tels qu’ils nous sont proposés par le ministre des finances, parce que, dit-elle, ces bons ne sont qu’un moyen d'établir une seconde espèce de dette perpétuelle. Remarquez bien, messieurs, que, pour obvier à cet inconvénient, elle nous propose l’inscription au grand-livre d’un emprunt. Je vous le demande, messieurs, n’est-ce pas répondre encore une fois à l’objection par l’objection même ? N’est-ce pas faire disparaître un inconvénient en lui substituant un autre exactement de la même espèce ? Ce sont des anomalies, des cercles vicieux presque continuels que la section centrale nous présente. Quelle différence y a-t-il, sous le rapport de la perpétuité d’une dette, entre l’inscription au grand-livre d’une partie des bons du trésor, et entre l’inscription au même grand-livre d’un emprunt ?

Je me trompe ; il y a une différence ; mais elle tourne tout entière contre le raisonnement même de la section centrale. Elle ne veut pas de la dette perpétuelle d’une partie des 30 millions des bons du trésor, et, elle veut bien de la dette perpétuelle d’un emprunt de 50 millions. C’est une contradiction évidente.

La section centrale ajoute encore que le ministre, par son projet, méconnaît l’essence même de la dette flottante.

La section fait donc consister l’essence d’une dette flottante dans le remboursement total de ses billets à échéance fixe. A qui peut-on faire accepter aujourd’hui une semblable définition de la dette flottante, lorsque toutes les théories financières, et la pratique constante d’une dette flottante, prouvent à l’évidence que cette dette n’a rien de commun avec la durée, ou avec le terme de son extinction, alors qu’il n’est pas législativement fixé ?

Cette dette n’est « flottante » pour d’autres raisons que parce que son montant varie de jour en jour, de mois en mois, d’année en année, selon l’émission plus ou moins forte de ses billets à échéance, et selon le rachat plus ou moins considérable de ces mêmes billets. Elle flotte sans cesse entre les limites fixées par la législature.

(M. de Foere entre ici dans des calculs par lesquels il cherche à prouver que, si la chambre donne la préférence au projet qu’il combat sur celui du ministre des finances, l’Etat y perdra de 18 à 20 p. c. Il conclut à l’adoption de ce dernier projet, comme le plus simple, le moins onéreux au pays, le mieux calculé pour la bonne marche du service et pour le maintien du crédit national. Il se propose cependant de présenter quelques amendements lors de la discussion des différents articles du projet ministériel, afin de le rendre aussi parfait que possible.)

M. Osy. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je veux bien croire, messieurs, que l’honorable orateur, en disant qu’on croirait que des agents de la banque ont présidé à la rédaction d’un projet de loi qui vous propose un emprunt dépassant les besoins du pays, n’a entendu faire aucune allusion. Cependant je dois dire que j’étais le seul membre de la section centrale qui fût intéressé dans la banque, et c’est moi seul qui ait demandé qu’on réduisît l’emprunt à 40 millions. C’est ce que peuvent attester tous mes honorables collègues.

M. l’abbé de Foere. - La réponse est facile. Je déclare, et c’est avec sincérité, que je n’ai voulu jeter aucune espèce de blâme sur l’un ou l’autre des membres de la section centrale ; que je ne leur ai prêté aucune intention. Seulement j’ai fait la supposition que si les intéressés de la banque avaient présidé à la rédaction du projet de la section centrale, ils n’auraient pas fait autrement.

M. le président. - La parole est accordée à M. l’abbé Boucqueau, deuxième orateur inscrit.

M. Boucqueau de Villeraie. - Lorsque l’on rapproche le projet de la section centrale relatif aux bons du trésor du projet primitif présenté par le ministre des finances, on remarque quelque chose de bien singulier, et qui est le contrepoids de ce qui arrive ordinairement.

Quand les ministres sollicitent l’autorisation d’imposer aux contribuables quelques charges nouvelles, ou qu’ils demandent quelques allocations en argent ou un moyen de crédit, les chambres législatives se montrent toujours très difficiles à les accorder ; elles cherchent à restreindre ces demandes le plus qu’elles peuvent, persuadées que les ministres sont toujours inclinés à demander plutôt trop que peu ; c’est ce qu’on voit arriver en France et dans tous les pays constitutionnels aussi bien que chez nous.

Aujourd’hui c’est tout le contraire qui arrive : le ministre des finances vous demande 30 millions, et vous en proposez 50. Le ministre vous demande une création de bons du trésor qui ne coûtera à l’Etat que 1,600,000 fr., et vous lui accordez un emprunt qui lui coûtera 12 à 13 millions de perte ; car, pour obtenir un emprunt de 50 millions argent effectif, même en supposant les négociations à un taux favorable, par exemple à 30 p. c. net, il faudrait nécessairement contracter une dette de 62 millions et demi, perte pour la Belgique de 12 millions et demi. Le ministre vous demande de grever l’Etat de 30 millions pour 6 mois, et vous allez le grever de 50 millions à perpétuité ; enfin, pour assurer le service du trésor, le ministre vous demande uniquement cette émission de 30 millions en bons du trésor, et vous lui accordez non seulement ces 30 millions, somme qu’il trouvait suffisante, mais vous lui donnez encore en sus 50 millions d’emprunt.

Ce sera probablement la première fois qu’une chambre législative, dont la principale attribution est d’économiser autant que possible les dépenses publiques et de ménager les ressources permanentes du pays, aura octroyé avec un tel empressement une somme de 50 millions à un ministre qui ne l’a pas demandée.

Mais, dit-on, le ministre des finances se ralliera au projet de la section centrale. Je n’ai pas de peine à le croire ; il serait bien dégoûté de n’en pas vouloir. (On rit.) Et, puisqu’on lui offre, avec une libéralité sans exemple, bien au-delà de ce qu’il a demandé, et de ce qu’il regardait comme pouvant suffire, au moins quant à présent, il n y a rien d’étonnant qu’il l’accepte. (Nouvelle hilarité.)

Mais si l’on réfléchit aux graves inconvénients qui résultent pour les finances et le crédit public, de ce malheureux système d’emprunts sans cesse renouvelés, et à toute la défaveur qu’attache à ce système l’opinion publique, on croira facilement que M. le ministre aurait longtemps hésité, et qu’il aurait éprouvé une grande répugnance à venir nous proposer un nouvel emprunt, ou au moins qu’il ne l’eût fait que lorsqu’il n’y aurait plus eu de possibilité de recourir à d’autres moyens moins onéreux.

Car, certes, il y a très peu de gloire à ne pouvoir inventer et mettre au jour, pour surmonter une gêne passagère, d’autre moyen financier qu’un emprunt. Un emprunt ! mais c’est là le pont aux ânes des financiers ; il ne faut ni du génie, ni capacité pour trouver un moyen aussi usé. Cette ressource-là s’offre à l’esprit le plus borné, et c’est aussi celle à laquelle ont recours tous les dissipateurs et les enfants de famille qui se ruinent (On rit.) Ils vont continuellement frapper à la porte de cette classe de spéculateurs dont la détresse des autres fait la fortune, toujours empressés à offrir des avances et de malheureuses facilités à ceux qui sont en train de manger leur bien en herbe (rire général), de vivre de capitaux au lieu de revenus. Ils leur prêtent de l’argent, mais à quelles conditions ? A des intérêts énormes et ruineux, accompagnés de tout l’attirail ou cortège obligé de frais de commission, courtage, changes, perte de place, et surtout d’une perte énorme ou déduction sur le capital nominal du prêt, comparé à l’argent effectif qu’on en touche et une fois qu’ils sont entre les mains des prêteurs, on peut regarder comme certain que l’heure de leur totale déconfiture ne tardera pas à sonner.

Eh bien ! messieurs, c’est à peu près là ce que nous faisons ; c’est un système aussi ruineux d’emprunts réitérés qu’on nous propose de sanctionner, et cela même lorsque le moment d’une indispensable nécessité n’est point arrivé.

Mais, ce qui me passe et ce que je ne puis m’expliquer, c’est que la chambre des représentants veuille bien consentir à prendre sur elle tout l’odieux d’une pareille mesure et proposer elle-même un nouvel emprunt, qui est déjà, si je ne me trompe, le quatrième ou le cinquième depuis que nous existons, alors que ni le gouvernement, ni ceux qui sont à la tête de l’administration financière, ne l’ont demandé, et que le projet de loi qu’ils vous ont présenté est là pour attester au public qu’ils n’ont pas jugé, au moins quant à présent, qu’un emprunt fût nécessaire.

Il me paraît que le soin de sa propre popularité, aussi bien que ceux qu’elle doit à la conservation des intérêts financiers du pays, devraient engager la chambre des représentants à répudier une aussi malencontreuse initiative, et à ne pas prendre sur elle de charger le peuple belge du poids énorme d’un nouvel emprunt de 50 millions, avant que le gouvernement ne lui en ait fait la demande et ne lui en ait prouvé l’indispensable nécessité avant l’issue prochaine, du moins on peut l’espérer, de nos affaires extérieures.

Je ne conçois pas cet empressement accéléré que nous mettrions à sanctionner par notre initiative, avant toute demande du pouvoir exécutif, un moyen aussi onéreux qu’un emprunt nouveau, qui coûtera à la Belgique au moins 12 à 13 millions en pure perte, et qui, au fond, n’est autre chose qu’une affaire d’argent admirablement utile aux agioteurs et aux capitalistes, mais affreusement ruineuse pour le pays.

J’en reviens donc à dire que non seulement il ne faudrait pas décider un nouvel emprunt, sans que le gouvernement en ait fait la demande et prouvé l’urgence, mais qu’il faudrait attendre, pour l’autoriser, la conclusion de nos affaires extérieures.

Il est une vérité dont personne ne peut disconvenir, c’est que si nous sommes dans le cas de contracter un nouvel emprunt, nous obtiendrons, des prêteurs, des conditions infiniment plus avantageuses au trésor et moins onéreuses au pays, si nous pouvons différer à faire cet emprunt jusqu’à ce que nos difficultés avec les puissances soient arrangées.

Eh bien ! sous ce rapport essentiel, le projet primitif de M. le ministre des finances était très bien imaginé et assorti aux circonstances. Il se proposait de pourvoir à l’excédent des dépenses de l’année, pendant environ six mois, au moyen de 30 millions de bons du trésor dont il proposait la création ; et comme, d’après toutes les démarches que font la France et l’Angleterre, et leurs efforts énergiques pour amener la question belge à une prompte issue, on peut raisonnablement nourrir l’espoir qu’avant ce terme, et même plus tôt, nous serons parvenus à une terminaison de nos affaires à l’extérieur, ces bons du trésor nous conduisaient à cette époque désirée où alors, entièrement libres des entraves et des difficultés qui nuisent encore à notre crédit aujourd’hui, nous pourrons conclure un emprunt définitif, aux conditions les plus avantageuses et infiniment moins onéreuses que maintenant.

Et remarquez qu’alors nous saurons au juste ce qui nous manquera, et quelle somme il sera nécessaire de nous procurer, tant pour couvrir les paiements relatifs à la dette à la Hollande, que pour les dépenses extraordinaires de l’armée, qui alors viendront à cesser. Tout sera fixé et déterminé pour le quantum d’un emprunt, tandis qu’à présent nous sommes à cet égard dans le vague ; si vous faites un nouvel emprunt maintenant, et avant la terminaison de nos affaires, vous serez infailliblement obligés d’en faire encore un nouveau, après qu’elles seront terminées. Or, y a-t-il rien de plus inconvenant et plus nuisible au crédit public que de multiplier ainsi des mesures aussi coûteuses et aussi désastreuses ?

Mais, dit-on, le gouvernement ne fera usage de la faculté d’emprunter, qu’on veut absolument lui attribuer, que plus tard, et quand il le croira utile. Eh bien, qu’il vienne alors la demander, et on discutera l’utilité et la nécessité. Nous ne sommes pas prêts à nous séparer.

Je ne suis pas plus émerveillé de la condition de concurrence et de publicité ; il n’y a pas encore en Belgique de compagnie ou association de capitalistes assez puissante, ou du moins assez entreprenante, pour reprendre un emprunt de cette importance. Ce seront toujours les mêmes personnages qui manieront l’affaire, et cette condition de publicité et de concurrence n’aura d’autre utilité, d’autre résultat, que de dégager le ministre de toute responsabilité sur le taux désavantageux de l’emprunt qui sera contracté.

Messieurs, si vous accordez la faculté d’emprunter au ministère, tenez pour certain que l’emprunt ne tardera guère à être conclu et adjugé ; le ministre sera entouré et circonvenu de tant de commissionnaires, de faiseurs d’affaires et d’offres qu’on lui présentera sous des dehors séduisants, que sous le motif spécieux qu’il faut saisir l’occasion, qu’on ne sait pas ce qui peut arriver, il lui deviendra presque impossible de ne pas passer par leurs mains. D’ailleurs, il est toujours très doux et très commode pour un ministre des finances d’avoir ses caisses pleines, et on peut croire qu’il sera toujours très porté à contracter, lorsqu’on le presse en quelque façon d’en accepter l’autorisation.

Je conclus donc 1° à ce que la chambre ajourne la question d’un nouvel emprunt jusqu’au moment où nos affaires extérieures soient terminées, à moins que cette époque ne tarde encore au-delà de cinq ou six mois, auquel cas le gouvernement pourra présenter à la chambre la demande d’autorisation nécessaire pour un emprunt.

Je conclus 2° à ce que la chambre reprenne les dispositions du projet primitif, qu’elle en fasse l’objet de ses délibérations, et je voterai pour l’adoption de cette mesure.

M. le président. - L’amendement de M. Boucqueau est-il appuyé par cinq membres ?

M. Gendebien. - Il ne s’agit pas d’amendement lors de la discussion générale.

M. de Brouckere. - L’honorable orateur vient de vous faire une double proposition, dont la première partie tend à l’ajournement du projet de la section centrale, et la seconde partie, à ce que la discussion roule seulement sur le projet ministériel. Messieurs, nous ne pouvons pas décider que la discussion ne roulera que sur le projet ministériel, alors que le ministre des finances déclare adhérer à la proposition de la section centrale. Il nous est impossible de prendre pour objet principal la proposition de M. Boucqueau, parce que ce n’est qu’un amendement. Il est indispensable de voter sur un projet présenté par le ministre lui-même, surtout quand il le déclare urgent.

M. le président. - Je dois faire observer que c’est d’après le règlement que je consultais la chambre pour savoir si 5 membres appuyaient l’amendement de M. Boucqueau de Villeraie. L’article 18 porte que les orateurs devront déposer leurs amendements sur le bureau en quittant la tribune, et l’article 43 dit qu’un amendement ne peut être mis en délibération s’il n’est appuyé par 5 membres.

M. de Brouckere. - Est-ce comme amendement que M. Boucqueau de Villeraie nous a fait sa proposition ?

M. Boucqueau de Villeraie. -- D’après l’article du règlement que vient de citer M. le président, j’ai dû présenter ma proposition sous la forme d’amendement.

M. de Brouckere. - Alors je n’ai rien à dire.

M. le président consulte la chambre pour savoir si l’amendement est appuyé par 5 membres.

- Un assez grand nombre de membres se lèvent pour l’appuyer.

M. Gendebien. - Cela est inutile et contraire aux articles 40 et 41 du règlement.

M. F. Meeus. - Messieurs, j’ai examiné avec une sérieuse attention le projet qui vous est présenté par votre section centrale.

Tout en rendant hommage au travail de M. le rapporteur, qui, en cette occasion comme en tant d’autres, a fait preuve de profondes connaissances en matière de finances, et bien que d’ailleurs, sur quelques points, mon opinion se trouve sinon d’accord, au moins en rapport avec le projet de votre section, je me vois cependant obligé de le combattre par des propositions à la vérité à peu près de la nature de celles qui vous ont été faites, mais différentes en partie par leur application.

Il me semble, messieurs, que le moment est venu, puisqu’on a parlé de bons du trésor, de traiter en premier lieu la question de principe, puis après seulement les questions majeures qui se rattachent à notre situation financière actuelle.

La question de principe qui doit donc, d’après moi, s’agiter en ce moment et en premier lieu, est celle-ci : Y aura-t-il une dette flottante en Belgique ? Cette question principale résolue affirmativement, une question subsidiaire en découle naturellement, savoir : Quel sera le chiffre de cette dette ?

Oui, messieurs, dans mon opinion une dette flottante est nécessaire ; et déjà au congrès j’avais émis le vœu que le gouvernement présentât à la chambre un projet de loi sur cette matière.

J’ai dit qu’une dette flottante, c’est-à-dire l’émission d’un papier public, à courte échéance, et qu’on appellera, comme nos voisins, bons du trésor, était nécessaire. J’espère, messieurs, vous le démontrer.

Personne ne contestera d’abord cette vérité, savoir : que tout gouvernement qui veut élever et établir sur des bases solides le crédit national doit non seulement apporter dans l’exécution de ses engagements la plus grande loyauté, mais doit encore mettre l’exactitude la plus sévère dans les paiements.

Toutefois, vous savez, messieurs, que le gouvernement, en fixant tous les ans, de concert avec les chambres et dans une égale proportion, les dépenses et les revenus de l’Etat, se place dans cette alternative, ou d’aviser aux moyens de faire rentrer les revenus assez promptement pour faire face aux dépenses, ou de cesser de remplir régulièrement les engagements contractés, si, contre toutes ses prévisions, les revenus de l’Etat ne remplissaient pas les caisses du trésor au fur et à mesure de ses besoins.

Cependant il arrivera souvent que les revenus de l’Etat seront arriérés : une récolte manquée, soit en totalité, soit même en partie, empêchera que la contribution foncière soit perçue régulièrement ; des prix élevés pour les céréales seront cause de peu d’activité dans les distilleries et les brasseries, les douanes, au lieu d’être productives au commencement de l’année, ne le seront que vers les derniers mois ; enfin des circonstances et des causes diverses, qui échappent d’abord à l’œil le plus exercé et le plus pénétrant, retarderont la perception régulière des revenus de l’Etat. Faudra-t-il alors, je le demande, messieurs, que le gouvernement cesse de faire honneur à ses engagements ? L’employé de l’Etat sera-t-il privé de ses appointements ? Le soldat devra-t-il se passer de sa solde ? Non, messieurs, il ne peut en être ainsi, si ce n’est au risque de porter de la perturbation dans la société et de compromettre la fortune et le crédit publics.

Quel sera donc le moyen d’obvier à la pénurie du trésor, alors que cette pénurie aurait une ou quelques-unes des causes que je viens d’avoir l’honneur de vous signaler ?

Le meilleur moyen sera, dans mon opinion, d’émettre des bons du trésor, c’est-à-dire de créer une dette flottante, dette qui diminuera ou augmentera selon les ressources ou les besoins du trésor, dette d’ailleurs toujours représentée par les revenus arriérés de l’Etat, dette qui par conséquent cesserait momentanément d’exister le jour où le gouvernement s’apercevrait que la perception des revenus suffirait aux exigences du trésor.

Il faut donc, je le répète, messieurs, qu’une loi consacre le principe d’une dette flottante, c’est-à-dire d’une émission de bons du trésor, émission laissée entièrement à la sagesse du gouvernement, qui usera de cette faculté selon les besoins du trésor, et en restant dans les bornes fixées par la loi même.

Ici vient se présenter naturellement, comme je l’ai dit plus haut, la question de savoir quelles limites on posera à cette émission de bons du trésor ; en un mot, quel en sera le chiffre ?

Je vous prie de bien remarquer, messieurs, que j’entends parler ici de la création d’une dette flottante comme mesure de durée ; il faut donc, je pense, en fixer le chiffre dans une proportion qui coïncide avec les prévisions les plus raisonnables sur la pénurie que, dans des temps et des circonstances données, le trésor pourrait éprouver.

C’est pour rester dans ces termes qu’il serait convenable que la loi portât le chiffre de l’émission la plus forte à quinze millions de francs. Ce chiffre vous paraîtra sans doute suffisant, si d’une part vous portez les yeux sur la somme et la nature de nos dépenses annuelles, et que d’un autre côté vous réfléchissiez que, si des événements que nous ne pouvons prévoir exigeaient une plus forte émission de bons du trésor, le gouvernement pourrait, en convoquant les chambres, leur présenter une loi transitoire pour y être autorisé.

D’après les principes que je viens de poser, la loi devrait, ce me semble, être conçue en ces termes :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à émettre, chaque année, des bons du trésor à échéances fixes.

« Art. 2. L’émission des bons du trésor pourra se renouveler plusieurs fois dans l’année, de manière cependant qu’il n’en existe jamais en circulation pour une somme dépassant celle de quinze millions de francs. »

Telle est la loi que je désire comme mesure de durée. Cette loi devrait en outre contenir des règles pour l’émission des bons du trésor ; mais je m’abstiens d’en parler pour le moment.

Je viens de considérer l’émission des bons du trésor comme mesure de durée ; je vais maintenant la considérer comme mesure du moment, comme mesure d’exception.

M. le ministre des finances vous a dit, messieurs, en vous présentant le projet de loi sur les bons du trésor, que le maintien de l’armée sur le pied de guerre occasionnerait un surcroît de dépenses de 48 millions de francs ; mais il faut remarquer que M. le ministre espère pouvoir employer à cette dépense 17 millions de francs, à prendre sur la somme portée à votre budget ordinaire pour payer à la Hollande le rendage qui, aux termes des 24 articles, doit attester chaque année que nous avons eu le courage de consentir à payer des dettes qui n’étaient pas les nôtres ; ce qui réduit le déficit du trésor, pour 1833, à 31 millions de francs.

Comment, messieurs, se procurer ces 31 millions de francs ? Voilà la question qui se présente d’abord. Cette question résolue, il restera à voir comment on pourra adopter un moyen admis pour se les procurer, une émission exceptionnelle de bons du trésor.

Je craindrais de vous fatiguer si je vous répétais de nouveau, messieurs, ce que j’ai eu l’honneur de vous dire dans les discussions sur la loi des voies et moyens. Vous redire en effet qu’on n’a déjà que trop abusé de la ressource trop facile des emprunts ; vous redire que si l’on avait avisé au moyen d’une meilleure répartition de plusieurs de nos impôts, ce qui, à mon avis, était chose facile, on pourrait aujourd’hui, trouver une partie de ces 31 millions de francs, par une augmentation de cents additionnels sur ces mêmes impôts ; passer de nouveau en revue tous les vices de notre système financier, sont réflexions et discours assez inutiles pour le moment, et, comprenant qu’il ne faut pas traîner cette discussion en longueur, j’avoue tout de suite que, malgré ma répugnance à charger de nouveau notre avenir, je ne vois pas d’autre moyen de combler le déficit qu’en recourant à un nouvel emprunt.

Mais, messieurs, faudra-t-il faire cet emprunt dans le moment actuel, et, en supposant que telle soit votre intention, faudra-t-il mettre le gouvernement dans l’impossibilité d’accorder aux prêteurs de longs termes de paiement, condition qui, vous le savez, messieurs, est un appât puissant pour attirer les spéculateurs ? Non, bien certainement.

Quel sera donc le moyen à adopter pour que le gouvernement ne soit pas obligé à contracter tout de suite un nouvel emprunt et pour qu’il puisse accorder aux prêteurs des délais pour le paiement, délais qui, n’en doutez pas, messieurs, auront une heureuse influence sur le taux de l’emprunt ?

Ce moyen vous le trouverez, messieurs, dans une création de bons du trésor, bons représentés par l’emprunt à contracter ; bons dont l’émission cessera entièrement après que les sommes à provenir de l’emprunt seront rentrées daims les caisses de l’Etat.

Vous voyez, messieurs, que les bons du trésor, tels que je vous les propose maintenant, ne sont, et je suis bien d’accord sur ce point avec le projet de la section centrale, qu’un moyen d’attente, une mesure d’exception, une mesure du moment.

Le chiffre de l’émission de ces bons doit, sans contredit, être en rapport avec la somme que le gouvernement doit obtenir par l’emprunt même, soit approximativement 25 millions de francs.

Voici la loi qu’il me semblerait utile d’adopter :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à contracter, dans le courant de l’année 1833, un emprunt de trente-deux millions de francs.

« Art. 2. En attendant que cet emprunt soit contracté, le gouvernement est autorisé à émettre des bons du trésor jusqu’à concurrence de 25 millions de francs.

« Art. 3. L’émission de ces bons cessera entièrement après que cet emprunt aura été conclu et que le produit en aura été versé dans les caisses de l’Etat. »

Il résulte, messieurs, de ce que j’ai l’honneur de vous proposer, que le gouvernement pourrait émettre, outre les 15 millions en bons du trésor votés, comme je l’ai dit plus haut, comme mesure de durée, 25 millions en bons du trésor, votés comme mesure d’exception.

Ensemble donc 40 millions.

Certes, messieurs, une semblable émission est considérable, et sans doute plusieurs honorables membres de cette assemblée me feraient l’objection qu’il est peu probable qu’elle soit possible, si dès à présent j’entrais, à cet égard, dans quelques explications.

Une grande partie de cette assemblée sait que, vers la fin de novembre, je fus chargé, par arrêté royal, d’aller à Paris m’assurer des conditions auxquelles on pourrait placer des bons du trésor dont j’avais conseillé l’émission, et pour lesquels le gouvernement devait vous présenter un projet de loi.

Plusieurs honorables membres de cette assemblée connaissent aussi le succès de ma mission. Malheureusement, par des motifs dont je ne puis encore bien me rendre compte, l’opération que j’avais conclue à Paris fut écartée malgré qu’elle offrait, pour le pays, des avantages réels qu’on obtiendra plus ou moins bien difficilement.

Cette opération était telle, qu’elle ne devait coûter à l’Etat que 6 p. c. l’an et un demi p. c. de commission pour quatre mois ; mais il faut bien le dire, on ne comprit pas ainsi cette opération ; on chiffra sans m’entendre ; enfin on chiffra mal.

J’en dirais volontiers davantage sur cette affaire, mais je veux passer sous silence tout ce qui ne pourrait que porter de l’irritation dans une discussion financière, où le calme et la froide raison sont surtout nécessaires.

Je me bornerai donc à vous dire, messieurs, ce qui est le point essentiel pour le moment, que pendant mon séjour à Paris, j’ai acquis la conviction, je dirai presque la certitude, qu’en apportant les ménagements qu’exigent en général les affaires de crédit, on pourrait obtenir un placement de bons du trésor pour une somme de quarante millions de francs.

Après ces explications utiles, je pense avoir tranquillisé plusieurs honorables membres sur la possibilité de l’émission, qui pourraient douter que M. le ministre des finances ne pût parvenir à placer, s’il était nécessaire, la somme de 40 millions de francs, dont, selon moi, il faudrait autoriser l’émission.

Je viens, messieurs, de vous exposer toute ma pensée, et veuillez le remarquer que, si vous adoptez les moyens que j’ai l’honneur de vous indiquer, vous ne devrez charger notre avenir que d’un emprunt de 40 millions de francs environ, tandis que, par le projet de la section centrale, il faut recourir à un emprunt de 65 millions de francs pour le moins : car veuillez remarquer, messieurs, que le gouvernement obtiendra un cours plus avantageux pour un emprunt de 40 que pour un emprunt de 65.

Une autre considération, qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’il est enfin plus que temps de relever le crédit national, et, au nombre des moyens dont il faut user dans ce moment pour parvenir à cette fin, l’un des meilleurs est bien certainement de ne recourir à un emprunt que pour la moindre somme possible.

Je dépose donc sur le bureau les deux propositions de loi dont je viens d’avoir l’honneur de vous entretenir.

Plusieurs articles de ces deux projets demandent encore quelques développements ; mais ceux-ci trouveront plus naturellement leur place dans le cours de la discussion.

- Les amendements de M. Meeus sont aussi appuyés par un grand nombre de membres.

M. Lardinois. - Messieurs, je place au premier rang des devoirs d’un représentant celui de pourvoir aux besoins des services publics. Un autre, non moins impérieux, est l’investigation scrupuleuse de tous les actes de l’administration, afin de conserver intacts les droits des citoyens et d’apporter une économie sévère dans les dépenses faites pour la chose commune.

Inutile, messieurs, de m’appesantir sur l’état de nos finances ; tous, vous en connaissez la situation. Les débats qui ont eu lieu dans cette chambre depuis l’ouverture de la session auraient suffi pour révéler au public l’embarras de nos finances, si, en dehors de cette enceinte, des ennemis de notre révolution et des gens mus par une honteuse cupidité ne s’étaient chargés d’en faire au pays et à l’étranger un tableau effrayant. Mais votre sollicitude pour les intérêts du pays saura déjouer ces sourdes menées ; vous saurez empêcher le festin des emprunts onéreux auquel on espère être convié.

Le budget des voies et moyens que vous avez voté dernièrement pourvoit aux dépenses ordinaires présumées pour l’exercice courant, y compris les intérêts de la dette qui nous a été imposée par le traité du 15 novembre. Reste maintenant à chercher les moyens de couvrir les dépenses extraordinaires que nécessite l’armée sur le pied de guerre et qui s’évaluent à une somme de 48,000,000 de francs.

Si le ministère avait assez de confiance en lui-même et dans la nation pour oser réclamer une bonne fois l’exécution des 24 articles dans un terme très court, nous nous dispenserions de jeter un regard d’inquiétude sur l’état financier du pays ; nous pourrions commencer par fermer le gouffre des dépenses extraordinaires, en renvoyant dans ses foyers une grande partie de notre armée. Songez-y bien, messieurs, c’est dans la permanence de l’état de guerre que réside tout le mal et si, dans l’ignorance des faits politiques, nous ne pouvons pas réduire considérablement notre armée, j’espère que nous serons d’accord pour porter la hache dans les dépenses excessives du département de la guerre.

En admettant, contre toute vraisemblance, que des réductions considérables sur le budget des dépenses ne soient pas possibles, nous aurons donc un extraordinaire à couvrir de 48,000,000, que l’on peut restreindre à la rigueur à 30,000,000, en n’y comprenant pas les intérêts de la dette à transférer.

Ce sont ces 30,000,000 de francs que le gouvernement vous a proposé, dans votre séance du 26 décembre, de couvrir au moyen de l’émission de bons sur le trésor pour une pareille somme.

A ce qu’il paraît, ce projet n’a pas été goûté par vos sections, et la section centrale a cru devoir le stigmatiser dans son rapport du 1er de ce mois. Il y est dit aussi que M. le ministre des finances s’est rallié aux propositions de la section ; mais d’après les explications qu’il nous a données hier et qu’il vient de renouveler, vous pouvez juger la portée de ce ralliement. C’est en suite de cette déclaration de M. le ministre des finances que je vais examiner simultanément ces deux projets.

Vous aurez souvent remarqué comme moi, messieurs, que beaucoup d’hommes, véritables amis de la chose publique, se laissaient gouverner, même à leur insu, par des motifs qui séduisent leur imagination. Alors le sophisme a pour eux les caractères de la raison, et l’erreur prend la place de la vérité. Pour se garantir de cette influence, le plus sûr est de se rapporter à l’autorité des faits.

Le dernier ministre des finances, soit imprévoyance, soit qu’il ait été dupe de sa bonne foi, a laissé le trésor public dans l’embarras. Pour obvier à cet inconvénient, le gouvernement conçut, ou bien on lui insinua la création d’une dette flottante, fondée sur l’émission de bons du trésor. Cette mesure, que je crois utile et même indispensable, fut approuvée, dès le principe, par plusieurs financiers qui s’offrirent de s’en charger ; mais le gouvernement rejeta leurs propositions qui étaient aussi onéreuses qu’humiliantes pour le pays. J’ai appris que depuis il en avait été fait d’autres plus raisonnables.

On parle beaucoup de bons du trésor, et le plus souvent on n’en comprend pas l’objet. Je vais essayer de présenter quelques idées nettes sur ce genre d’opérations, afin de nous éclairer réciproquement. Dans une question aussi grave, il ne faut pas trop se hâter ; d’ailleurs, à la vue du rapport de la section centrale, un peu de prolixité est bien permis.

On entend par billets, obligations du trésor, bons royaux ou bons de la caisse de service, les effets que le trésor public émet et livre à la circulation pour faciliter ses opérations habituelles, soit pour servir au remboursement de ses dettes ou pour subvenir à ses propres besoins comme papier de circulation.

Ces bons servent à composer ce qu’on appelle une dette flottante. Emis par une loi qui détermine à quelle somme l’émission sera portée, leur échéance ne dépasse pas ordinairement six mois.

Cette espèce d’effets se cote et se négocie de la même manière que les autres effets publics.

L’utilité d’une dette flottante est reconnue par les deux premières puissances de l’Europe qui s’entendent le mieux en finances. Celle de la France s’élevait à 300,000,000 suivant son budget de 1831, et cette somme est principalement appliquée à couvrir les déficits, les créances à rentrer, les prêts et avances, enfin à parer aux besoins journaliers du service. Voyons maintenant si nous avons besoin d’une ressource semblable.

La nécessité d’une dette flottante se fait vivement sentir à la fin de chaque exercice. Vous savez que la rentrée des impôts ne peut jamais avoir lieu avant les dépenses publiques ; car, à cette époque, il reste toujours un bon quart des contributions à recevoir, et cependant il faut que les différents services publics soient alimentés. Comment faire alors sans une réserve de caisse ? On ne paie pas, ou on paie avec des mandats à terme ; on tâche de faire de l’argent par tous les moyens possibles, et le trésor reste plusieurs mois de l’année dans un état de gêne et de souffrance qui compromet le crédit public et répand l’alarme parmi les créanciers de l’Etat. Avec la disposition de bons royaux, on prévient les funestes conséquences d’un tel embarras.

Avez-vous à faire à un déficit ou à un budget extraordinaire ? La dette flottante vous donne la facilité de vous procurer les moyens les plus avantageux pour le trésor public, et vous n’êtes pas abandonné à la discrétion de prêteurs quand vous avez la ressource des bons royaux.

Je pourrais, messieurs, vous développer d’autres considérations pour démontrer la nécessité d’une dette flottante ; mais je m’en tiens à celle-ci, et je ne doute pas que vous ne sachiez les apprécier.

Comment se fait-il que la section centrale proscrit impitoyablement cette mesure financière ? Le projet, dit l’honorable rapporteur, est faux en principe, incomplet, dangereux, subversif du crédit public et destructif du crédit privé.

Ce jugement est fondé sur ce qu’un papier de confiance, à terme fixe, n’a pas de fonds assigné pour assurer le paiement à l’échéance.

Depuis quand, messieurs, le crédit ne s’obtient-il plus que sur la preuve anticipée de nos moyens certains et matériels de faire honneur à nos obligations ? Le crédit pouvait se raisonner ainsi dans le temps que les gouvernements ne respectaient point la foi du contrat, qu’ils vivaient de spoliations et qu’ils devaient passer par les mains des maltôtiers ; mais aujourd’hui il a d’autres racines ; il se fonde sur la richesse d’un pays et le génie de ses habitants, sur la moralité et le propre intérêt de l’emprunteur à remplir ses engagements, et l’on sait que les gouvernements ont mis au premier rang de leurs devoirs le paiement de la dette publique ; et je vous le demande, messieurs, la Belgique offre-t-elle toutes ces garanties ?

Mais, en supposant que nous eussions des domaines, des bois, par exemple, pour une valeur égale à la somme des bons du trésor que nous émettrions, qui serait assez osé pour en proposer l’affectation au remboursement de ces valeurs à terme de six mois ? Personne, sans doute ; car ce serait vouloir ordonner une réalisation forcée, qui ne pourrait avoir lieu qu’au grand détriment de l’Etat.

Je me trompe, messieurs, la section centrale va plus loin ; elle vous propose d’abord de faire un emprunt de 30,000,000, remboursable dans six mois, consentant un intérêt de 8 p. c. par an ; ensuite un second emprunt de 50,000,000 que vous serez obligés de contracter dans l’intervalle des six mois, et à un taux d’autant plus onéreux qu’on saura qu’il n’y a pas de répit possible, et qu’on sera forcé d’emprunter à tout prix parce que l’échéance des 30,000,000 deviendra chaque jour plus menaçante. Nous devons avouer qu’une maison de commerce qui conduirait ses opérations de cette manière, ne pourrait choisir un meilleur chemin pour faire banqueroute.

Lorsque la France a demandé un crédit de 200,000,000 en obligations du trésor, elle pouvait affecter au paiement une partie de ses forêts, puisque le terme de ces obligations était de cinq ans, et qu’elle avait ainsi toute la latitude possible pour vendre ses 300,000 hectares de bois.

Le projet ministériel est subversif du droit public, destructif du crédit privé ! Mais qu’est donc, en comparaison, celui de la section centrale ? Le gouvernement demande un crédit facultatif de 30,000,000 ; la section y adhère en rejetant le système d’une dette flottante, et propose en même temps un second emprunt obligatoire de 50 millions ; c’est-à-dire que la section centrale conclut à autoriser le gouvernement à contracter deux emprunts successifs dans l’espace de six mois, Si vous adoptiez une résolution de cette nature, je pense que ce serait un moyen puissant d’ébranler le crédit public.

Ou objecte encore contre la dette flottante que les bons du trésor ne trouveront pas de preneurs. Et pourquoi ne placerions-nous pas notre papier aussi bien que celui de la Hollande, dont les billets du trésor se cotent ici à 99 ? Si la bourse est le thermomètre du crédit public, nous ne devons pas avoir une pareille crainte ; au contraire, nous devons espérer que bientôt nous pourrons imprimer au papier de l’Etat une valeur égale à celle du numéraire ; c’est, à mon avis, l’ascendant qu’il mérite.

L’histoire financière proclame les immenses avantages des crédits. C’est un système qui, bien dirigé, accroît à la fois la fortune de l’Etat et celle des particuliers : mais, pour arriver là, il est nécessaire que l’action gouvernementale soit libre, et se bien garder de lui montrer la marche à suivre dans les emprunts. Les jeux de bourse sont devenus, depuis quelque temps, dans notre pays, la partie la plus vivante des opérations du commerce, et nous devons soigneusement éviter de servir les projets des agioteurs.

Je fonde encore le placement des bons du trésor sur la préférence qui leur sera accordée par les créanciers des diverses administrations, sur l’emploi avantageux qu’ils présentent aux capitaux. Croyez bien que la spéculation ne tardera pas à s’engager sur ces effets publics, surtout si le gouvernement prend des mesures pour en propager la circulation dans les provinces. Les conséquences de cette circulation seront l’élévation du cours et la facilité de contracter un emprunt à des conditions favorables.

D’après toutes les considérations que je vous ai développées, messieurs, je voterai contre le projet de la section centrale, et je ne crains pas de dire que si vous l’adoptiez, la Belgique pourrait compter votre résolution au nombre de ses jours néfastes.

J’aurais voté pour une dette flottante dans le sens du projet ministériel, parce que : 1° c’est un moyen de prévenir les embarras du service ; 2° un moyen de fructifier les fonds sans emploi, et 3° que les bons du trésor laissent au gouvernement la liberté d’action convenable pour préparer un emprunt avantageux.

Il serait déplacé de vouloir discuter prématurément les moyens de rembourser une dette flottante. Cette discussion ne pourrait avoir, dans ce moment-ci, que des effets pernicieux. Au reste, il n’est pas inévitable que les bons du trésor soient perpétuels ; on peut assigner un terme assez éloigné à leur retrait de la circulation, lequel s’opérerait par des annuités, des lots, des remboursements en numéraire ou en rentes inscrites au grand-livre. Ces moyens et leur opportunité doivent être abandonnés au discernement de l’administration. J’ai dit.

M. Mary. - Messieurs, tous nous voulons ménager les ressources de l’Etat, tous nous désirons que la masse des emprunts vienne à s’éteindre ; mais il faut bien réfléchir sur la position dans laquelle nous sommes placés. Lorsque nous avons discuté le budget des voies et moyens, j’ai eu l’honneur de faire observer à la chambre que nos contributions ne s’élèveraient que de 86 à 87 millions, et que cependant nos dépenses doivent s’élever à 130 millions ; d’où il résulterait un déficit de 43 à 44 millions qu’il fallait combler, soit en augmentant l’impôt, soit en faisant appel au crédit public.

Les bons du trésor sont de deux espèces : les uns doivent fournir par anticipation aux rentrées des recettes, et les autres aux dépenses qui ne sont pas couvertes par les voies et moyens. Ce sont ceux-là que proposait le gouvernement. Il devait nécessairement présenter en regard de ces bons des garanties suffisantes pour inspirer de la confiance au public. Eh bien, tel a été le but de la section centrale en vous proposant un emprunt.

Et remarquez que ce n’est pas elle qui a pris l’initiative. Elle a appelé dans son sein M. le ministre des finances ; on lui a demandé s’il ne serait pas convenable de faire un emprunt, et c’est de concert avec lui que nous vous avons proposé cet emprunt. Peu importe maintenant le chiffre de l’emprunt, nous n’aurons à le discuter que lorsque nous en serons venus à l’article premier. La proposition de la section centrale a un grand avantage, c’est de ne pas porter atteinte à notre crédit public ; car, remarquez que lorsque son rapport vous fut présenté, les fonds étaient de 10 ou 12 p .c. plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui. Vous voyez donc que cette résolution de la section centrale n’a pas fait diminuer notre crédit, mais l’a augmenté. (Rires et dénégations.)

Il est possible que ce ne soit pas là la seule cause de la hausse de nos fonds, mais cette résolution y a contribué. (Nouvelle hilarité.)

- Une voix. - Alors il n’y a qu’à faire encore un autre emprunt que celui-là pour que les fonds haussent toujours davantage. (On rit.)

M. Mary. - Je crois qu’on a mal compris mes expressions. Je n’ai mis cela en avant que pour prouver que l’Etat, d’après la balance des recettes et des dépenses, resterait en déficit de 43 millions : ce déficit on le couvre au moyen des ressources certaines que nous mettons entre les mains du gouvernement, et non pas au moyen de ressources en partie illusoires, comme les bons du trésor ; je dis illusoires, parce qu’au moment de l’échéance il peut se faire qu’il y ait une crise politique, et alors tous les porteurs se présenteraient en même temps, de sorte que le crédit public serait entravé, tandis que, par un emprunt perpétuel, nous n’ayons pas à craindre d’inconvénient semblable.

Je ne défends pas les développements dans lesquels est entré l’honorable rapporteur de la section centrale, car ils lui appartiennent.

Le ministre des finances avait demandé de pouvoir racheter les bons du trésor ; j’ai cru que cela devait lui être accordé, car je ne regarde pas comme un agiotage ce qui a pour but de racheter une dette portant intérêt, et, par conséquent, défavorable au trésor.

Messieurs, je borne là mes observations, et je me réserve d’en dire davantage lors de la discussion des articles.

M. d’Elhoungne, rapporteur. - Comme je dois vous présenter des observations très étendues pour répondre à tous les orateurs, je demande que la discussion générale soit renvoyée à demain. (Oui ! à demain ! à demain !)

- La discussion générale est continuée à demain.


M. le président fait ensuite connaître les noms des membres qui doivent composer la commission chargée d’examiner les droits des légionnaires. Ce sont MM. Angillis, de Brouckere, Donny, Dubus, Fallon, Gendebien et Julien.

- La séance est levée à quatre heures.