(Moniteur belge n°354, du 22 décembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Jacques fait l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Jacques fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
L’ordre du jour est la suite de la discussion de la loi des voies et moyens pour l’exercice 1833.
La chambre en est restée à l’article additionnel proposé par M. d’Hoffschmidt. Cet article a pour but d’exempter les habitants des parties du Limbourg et du Luxembourg, cédées par le traité du 15 novembre, de l’augmentation de 40 centimes sur la contribution foncière, et de 13 centimes sur les patentes.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l’amendement que j’ai l’honneur de vous proposer n’a besoin, pour être apprécié, que de très peu de développements ; je me bornerai donc à vous rappeler en quelques mots la position actuelle des habitants du Luxembourg et du Limbourg en faveur desquels il est conçu.
Après le refus du roi Guillaume d’accepter les 24 articles, vos concitoyens de ces parties proscrites ont espéré fortement que jamais le déchirement de la Belgique n’aurait lieu malgré que le consentement de leur abandon ait été arraché à la représentation nationale, et ils continuèrent, avec le patriotisme ardent qui les a constamment animés, à faire tous les sacrifices exigés d’eux pour le maintien de notre indépendance ; les exemptions qui ont été faites en leur faveur ont même été mal reçues, parce qu’elles découragèrent les moins confiants.
Malheureusement, messieurs, les progrès qu’a faits la diplomatie (progrès qui sont formulés dans la trop fameuse note du 2 novembre) sont venus dissiper entièrement ces douces illusions au moyen desquelles aucune charge ne paraissait trop lourde à des hommes qui chérissent aussi la liberté avant tout.
Mais maintenant, messieurs, ne serait-ce pas une amère, même une cruelle dérision de leur demander un surcroît de charges au nom de cette indépendance qu’on leur arrache ? Croyez-vous que des Belges qui s’attendent tous les jours à être replacés par les baïonnettes prussiennes sous le joug de leur ancien oppresseur, pour essuyer le même sort que les malheureux Polonais, verraient sans indignation que ceux qui les sacrifient exigent en outre d’eux qu’ils se dépouillent en leur faveur avant de les quitter ?
Non, messieurs, cette ingratitude révoltante vous attirerait trop de malédictions et de mépris, vous ne la commettiez pas ! Vous laisserez des ressources à vos frères afin qu’ils puissent adoucir l’exil qu’une partie d’eux sera forcée de faire ; car, n’en doutez pas, messieurs leur Sibérie est au-delà des mers où ils seront obligés de combattre des hommes luttant contre l’esclavage qu’on leur destine à eux-mêmes pour les punir de ce qu’ils se sont joints à nous.
D’ailleurs, messieurs, dans leur position actuelle ils refuseraient sans doute de faire de nouveaux sacrifices, et ils auraient raison car ils savent que s’il est juste qu’ils contribuent aux frais de l’administration paternelle qui les régit encore, il serait, d’un autre côté, très injuste, inique même, de leur imposer une part dans les dépenses extraordinaires occasionnées par notre diplomatie et par notre belle armée, pour laquelle il leur paraît qu’ils sont déjà très généreux puisqu’elle est encore composée en partie de leurs enfants.
Je n’ajouterai rien à ces considérations, qui me paraissent suffisantes pour vous faire approuver les motifs qui m’ont déterminé, messieurs, à proposer l’amendement dont il vient de vous être donné lecture, et qui tend à exempter les populations abandonnées de l’augmentation contenue dans le projet que nous discutons et contre lequel, n’eussé-je que ce motif, je me croirais obligé de voter s’il ne contenait cette exemption, que je considère comme étant de la plus rigoureuse justice.
- La proposition de M. d’Hoffschmidt est appuyée.
M. Mary. - Non, messieurs, aucun de nous ne veut que les habitants des territoires cédés dans le Limbourg et le Luxembourg se dépouillent en faveur de la Belgique ; mais vous avez fait vous-mêmes une distinction entre ces habitants et nous, en repoussant un amendement de M. Dumortier. Il ne s’agit pas d’un budget de voies et moyens extraordinaires, mais d’un budget ordinaire pour faire face aux dépenses ordinaires de l’Etat. Cela est si vrai que j’ai déjà eu l’honneur de vous faire observer qu’en demandant 25 millions de francs pour la guerre, vous auriez à payer 72 millions, et qu’ainsi il faudra pourvoir aux 47 millions excédants.
Les habitants des territoires cédés, en payant des centimes additionnels, ne paieront que les frais. Avec nous, ils paient par tête 22 fr. ; réunis à la Hollande, ils paieront plus du double. On objectera que, dans le budget des dépenses, on a porté une somme de 8,400,000 fl. pour faire face à la dette hollandaise, et qu’ils ne doivent pas contribuer pour ce paiement ; mais, si chez nous ils ne contribuaient pour 8 millions, ils contribueront aux 30 millions de florins que la Hollande doit dans ce moment-ci : ainsi leur position est meilleure avec nous. Ils doivent subvenir aux dépenses de l’Etat, puisqu’ils font partie de l’Etat, et ils ne sont pas dans une situation pire que s’ils n’en faisaient pas partie.
M. Berger. - Il me semble qu’il est de la politique de ne pas surcharger les habitants des territoires cédés. Ces territoires sont parcourus par des agents du roi Guillaume. Vous ne pouvez les forcer à contribuer à l’exécution d’un état de choses qui est la conséquence des 24 articles ; ce ne peut être pour eux une charge ordinaire.
M. de Robaulx. - Il me paraît, d’après les explications données, que le budget en discussion n’est relatif qu’aux charges ordinaires ; alors les habitants des parties du Limbourg et du Luxembourg que nous perdrons, puisqu’ils sont encore régis et protégés par l’administration belge, doivent contribuer aux frais de cette administration.
Je vote contre l’amendement.
M. Angillis. - Les charges énormes que l’on nous demande ne résultent pas de l’état de paix, mais d’une position particulière où se trouve la Belgique : nous faisons des sacrifices pour assurer notre indépendance. Je demande si les malheureux du Limbourg et du Luxembourg jouiront des avantages que nous aurons étant indépendants ? Que les charges que nous consentons soient ordinaires ou extraordinaires, elles dérivent toujours de la situation où nous sommes placés.
Je voterai pour l’amendement de M. d’Hoffschmidt.
M. Faider, commissaire du Roi. - Je combattrai l’amendement et défendrai la proposition du gouvernement tendant à ce que les impôts établis continuent à frapper également sur les parties de territoire cédées. Mon principal moyen sera tiré de la réponse que S. M. a faite à l’adresse que vous avez votée : dans cette réponse, S. M. assure ces parties du Limbourg et du Luxembourg de la haute protection du gouvernement. Je dirai que pour que cette protection soit efficace, il faut que le gouvernement ait dans les mains les ressources nécessaires pour faire valoir ses justes prétentions. Vous appuierez donc l’avis émis par les honorables préopinants, MM. Mary et de Robaulx.
M. d’Hoffschmidt. - Je ferai quelques observations sur ce qu’a dit M. Mary. Il prétend que notre budget est ordinaire : comment persuaderez-vous qu’un budget de 83 millions de francs, comprenant des augmentations de 40 centimes, soit un budget ordinaire ?
Vous ne donnerez pas cette persuasion à des gens qui vont se séparer de nous. Vous aurez beaucoup de peine à exécuter vos lois d’augmentation des impôts dans ces pays. M. le commissaire du Roi nous rappelle l’assurance donnée par S. M. de protéger les habitants des territoires cédés ; faisons comme S. M., venons au secours de ces habitants, et ne les surchargeons pas d’impôts.
M. Dubois. - Je ne pense pas non plus que nous ayons un budget ordinaire ; le discours du ministre des finances, en présentant le budget des voies et moyens, me confirme dans cette idée. Le ministre a dit que le projet de loi comprend des dépenses temporaires.
En effet, est-ce que les 40 centimes seront imposés encore l’année prochaine ? Alors on ne peut pas dire que le budget est temporaire.
M. Jullien. - Voulez-vous exempter les habitants du Limbourg et du Luxembourg des 40 centimes et des 13 centimes additionnels ? Il me semble que la question ne peut être douteuse. Toute la difficulté consiste à savoir si on demande une contribution ordinaire ou extraordinaire. Quand on demande 40 p. c. et 13 p. c. d’augmentation sur le principal, c’est à cause des circonstances extraordinaires où nous sommes, circonstances qui ne peuvent frapper les habitants des territoires cédés.
Qu’on demande à ces habitants l’impôt ordinaire, il faudra qu’ils paient cet impôt quelque part ; mais qu’on ne leur demande pas un impôt vraiment extraordinaire : les 40 centimes et les 13 centimes sont une subvention de guerre. Par ces motifs, je voterai pour l’amendement de M. d’Hoffschmidt.
M. Dubois. - Je vote également pour l’amendement.
M. Osy. - Messieurs, lorsqu’on vous a proposé de ne pas faire payer par anticipation la contribution foncière aux provinces du Limbourg et du Luxembourg, j’ai voté pour cette proposition. Ne sachant pas quand ces provinces nous seront arrachées, il serait injuste de les faire payer d’avance ; mais aussi longtemps que les provinces seront réunies à nous, elles doivent participer à toutes nos charges ordinaires. Le budget que nous votons est un budget ordinaire ce sont les 47 millions que nous voterons pour la guerre qui formeront le budget extraordinaire.
M. d’Huart. - Dans le budget que nous discutons, il y a nécessairement des charges extraordinaires. C’est ainsi que l’on vous porte 17 millions pour l’intérêt de la dette publique. On vous porte ensuite 5 millions d’intérêt pour l’emprunt de 48 millions, et pour la dotation de l’amortissement 1 million. D’où proviennent ces dettes, ces emprunts ? Ne les a-t-on pas dépensés pour frais de guerre ? N’était-ce pas pour soutenir notre nationalité que nous avons fait ces dépenses ? Comment pouvez-vous faire contribuer pour ces sommes des hommes qui perdent leur nationalité, que vous rejeter sous le joug de leur ancien oppresseur ? On prétend que si ces habitants appartenaient à la Hollande, ils paieraient double de ce que nous leur demandons. Quand ils tomberont sous le joug de la Hollande, le roi Guillaume ne leur tiendra compte de rien, et surtout des sommes qu’ils auront payées pour maintenir la nationalité belge. En payant les contributions en 1833 comme ils les ont payées en 1832, ce sera déjà un fardeau assez lourd pour eux.
M. de Robaulx. - Je ne puis concevoir qu’on nous signale un budget de 83 millions de francs comme un budget extraordinaire. Quand nous étions réunis à la Hollande, nous payions en budget décennal et annal 85 millions de florins ; c’était le budget ordinaire ; il y a de la différence de cette somme avec 83 millions de francs.
On objecte l’augmentation de 40 centimes ; mais ce ne sont pas les frais de la guerre qui occasionnent cette augmentation ; c’est parce qu’on s’est trop hâté de diminuer les contributions en 1830 et en 1831 : vous ne faites maintenant, par les augmentations, que réparer le déficit ; vous restituez, en 1833, ce que vous n’avez pas assez perçu en 1831 et 1832. Les frais de guerre, vous les trouvez dans l’emprunt Rothschild. Sans doute que l’on demande de l’argent pour payer l’intérêt de cet emprunt ; mais on n’en demande point pour payer le capital. Si on demandait pour payer le capital, je concevrais qu’ils diraient alors : Nous ne pouvons payer une somme qui a servi à nous arracher à la patrie.
Vous pourrez, peut-être, diminuer le budget ordinaire ; mais ce sera en changeant le système de l’administration. Si vous payez davantage en 1833, c’est pour combler le déficit du non-perçu des années précédentes : nous ne faisons que le budget ordinaire, et cela est si vrai que, si vous avez des frais de guerre, il faudra un emprunt.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Un honorable membre a désiré savoir si le budget était ordinaire ou extraordinaire ; je crois avoir déjà répondu à pareille question ; j’appellerai ce budget un budget mixte : il y a des sommes qui y figurent et qui disparaîtront des budgets suivants. Par exemple, les frais de premier établissement à l’hôtel de la Monnaie.
Ces dépenses n’en sont pas moins des dépenses ordinaires, auxquelles il fallait faire face par le budget des voies et moyens. Le budget est ordinaire, il n’y a pas le moindre doute.
M. Dubois. - Il y a donc, de l’aveu du ministre, de l’ordinaire et l’extraordinaire dans le budget. Je voudrais que les 40 centimes et les autres augmentations ne fussent pas applicables aux territoires cédés.
M. F. de Mérode. - Messieurs, je ne demanderais pas mieux que de soutenir la proposition de M. d’Hoffschmidt, si je croyais réellement servir des populations qui m’intéressent autant que personne.
Toujours, le gouvernement qui succède à un autre a soin de prélever les contributions qui eussent été perçues par celui dont il recueille l’héritage. Le fisc hollandais, si vous faites une exception en faveur des Luxembourgeois et Limbourgeois, en profitera plus tard pour son propre compte. Il leur dira : « Vous avez été exempts de ces 40 et 13 p. c. pendant autant de mois, soldez actuellement ces sommes ; » et nous les perdrons sans aucun avantage obtenu par ceux dont il s’agit. Voilà, messieurs, ce qui me décide à voter contre l’amendement. Je n’hésiterais pas à m’y rallier sans ces considérations, tant j’aimerais à adoucir le plus possible la pénible situation de nos concitoyens.
- L’amendement est mis aux voix et rejeté.
M. le président. - Deux amendements sont proposés par M. Gendebien.
Par le premier, cet honorable membre demande que pour les habitations où il n’y a qu’un foyer, ce foyer ne paie pas la taxe.
Par le second, il demande que les foyers des ouvriers et des fabriques soient exempts de la taxe.
M. Gendebien a la parole pour développer le premier de ces amendements. - Messieurs, dit-il, je ne sais si l’amendement que je présente sera mieux accueilli cette année qu’il ne l’a été l’année dernière.
Je l’ai présenté à la précédente session pour remplir un devoir d’humanité, je le présente à cette session pour remplir le même devoir. Je crois qu’il est par trop rigoureux, alors que pour éviter quelque gêne aux riches, vous exemptez le 13ème foyer, de ne pas exempter le foyer unique du pauvre.
Vous ne pouvez mettre un malheureux dans la position de mourir de froid par l’impuissance de payer l’impôt ; j’ai donc lieu de penser que vous reviendrez sur la décision prise l’année dernière.
M. Faider, commissaire du Roi. - La nouvelle exemption que l’on propose et celles qui existent déjà en faveur des petites habitations, forment une accumulation d’exemptions qui finiraient par être fatales au trésor. Il y a exemption de la contribution personnelle quand la valeur locative de l’habitation est au-dessous de vingt florins ; la loi a donc fait la part du pauvre. Il y a beaucoup d’habitations dont la valeur locative est supérieure à vingt florins et qui n’ont qu’un foyer. Il y a des contribuables dans une certaine aisance qui n’ont pas deux foyers : vous porteriez atteinte, et une vive atteinte, au quantum de l’impôt, si vous adoptiez l’amendement de l’honorable M. Gendebien.
Quant aux foyers des usines et des fabriques, ils ne sont atteints par la loi que lorsque les fabriques et les usines font partie de l’habitation ; je ne crois pas que les bâtiments employés exclusivement aux usines soient atteints par la loi.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - La part du malheureux est faite sous le rapport de l’exemption des foyers. Lorsque la maison qu’il habite est d’une valeur locative au-dessous de vingt florins, il est exempt de tout impôt.
M. Gendebien. - Messieurs, je voudrais savoir quelle influence exerçe, sur l’impôt personnel, l’exemption du foyer unique. Le ministre devrait nous dire exactement le chiffre de réduction que je propose ; alors la chambre verrait s’il vaut la peine de vexer le malheureux.
On vous dit qu’il y a exemption pour les locations au-dessous de 20 florins ; mais, messieurs, on sait comment on opère cette évaluation ; elle est tout à fait arbitraire. Si les agents du fisc mettent beaucoup de formes quand ils agissent vis-à-vis du riche, ils mettent la plus grande rigueur vis-à-vis du pauvre. J’en ai vu l’exemple sous les yeux. Des malheureux, qui n’avaient pas de pain, étaient soumis à l’impôt ; on prenait note chez eux d’une chaise de paille, du moindre objet ; mais lorsqu’il s’agit d’attaquer l’aristocratie mobilière ou de l’argent, on se garde bien de déranger ces messieurs, on ne dérange pas même leurs valets de chambre. Lorsque le malheureux réclame, l’administration repousse sa plainte.
Il faut qu’il paie, et il paie quelquefois au moyen d’aumônes. J’ai été scandalisé de certaines estimations faites dans des communes ; les malheureux ne pouvaient pas payer, et l’administration a été inexorable.
M. de Robaulx. - Je me prononce contre l’amendement de M. Gendebien. Que veut-il ? Dégrever autant que possible la misère ? Le but de l’amendement est atteint par la loi qui dégrève l’individu qui habite une maison d’une valeur locative au-dessous de 20 florins. Que résulterait-il de l’amendement proposé ? C’est que beaucoup de gens de campagne, possédant de grandes exploitations, beaucoup de fermiers et de propriétaires qui ne sont que très légèrement imposés, ne possèdent qu’un foyer, vivent avec leurs domestiques et seraient exempts de l’impôt. Il faut absolument à l’Etat les sommes nécessaires et quand chacun de nous aura dégrevé la classe à laquelle il s’intéresse, il faudra établir un nouvel impôt, ou mettre à 60 ou 80 centimes les centimes additionnels de l’impôt foncier. L’amendement favoriserait ceux qui ne doivent pas jouir de cette faveur. J’en vote le rejet.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Dans le nouveau projet sur les impôts, la base relative aux foyers disparaîtra et je m’en félicite. En effet elle prêtait à beaucoup d’abus, de fraudes peut-être, de vexations. Cependant, il ne faut pas croire que les contribuables soient abandonnés aux caprices des agents du fisc. Je prie la chambre d’être bien convaincue que les experts sont bien choisis, et désignés par les autorités provinciales et cantonales ; ils font leur devoir avec décence et justice. Il y a sauvegarde dans les opérations relatives aux patentes, parce que les répartiteurs sont surveillés par les échevins. Je ne prétends pas qu’il n’y ait pas d’abus, mais je puis assurer qu’ils sont bien moindres qu’on ne le dit. J’espère que la plupart des abus signalés dans cette chambre disparaîtront successivement ou par la refonte des lois fiscales ou par leur amélioration.
M. Gendebien. - Je retire mon amendement ; je préfère le retirer à le voir échouer.
M. le président. - Le second amendement de M. Gendebien est en discussion.
M. Gendebien. - Messieurs, il me semble qu’il y a anomalie à grever l’industrie d’une patente, puis à l’arrêter à chaque pas qu’elle fait, pour lui demander encore de l’argent. Il me semble, messieurs, que dans l’évaluation des patentes, le nombre des foyers représente l’importance plus ou moins grande de la fabrique ou de l’usine, et que ce nombre de foyers entre en ligne de compte dans l’estimation de la patente. Pourquoi faire payer cet objet une seconde fois ? Il y a telle usine qui n’a qu’un foyer, une machine à vapeur et telle autre qui en a 15 ou 20 ; cependant la première peut valoir 5 à 600,000 fl., et l’autre, qui a 15 foyers, n’est que d’une valeur de 50 à 60,000 fr. Les foyers des fabriques peuvent-ils entrer dans la catégorie du personnel ou du mobilier personnel d’un négociant ? Il est temps de faire une juste exemption. L’administrateur de l’enregistrement dit qu’elle existe déjà ; je crois que c’est une erreur ; elle n’est pas dans la loi.
M. Davignon. - Si, comme on vient de nous le dire, l’exemption proposée par M. Gendebien, se trouve dans la loi, hâtons-nous, messieurs, d’en prendre acte ; car, par suite d’une de ces décisions ministérielles, que j’ai qualifiées hier, les foyers des usines et fabriques ont été imposés dès le principe, et n’ont cessé de payer depuis. Il serait de toute justice, comme l’a dit l’honorable membre, que tout ce qui se rattache directement à une profession fût compris dans la patente. J’appuie donc l’amendement proposé ; c’est une première rectification d’une loi absurde.
M. Jullien. - J’ai voté hier pour l’exemption du treizième foyer, non par des considérations aristocratiques, mais parce que je suis convaincu que le maintien de l’impôt du treizième foyer ne faisait que continuer des vexations pour les contribuables sans profit pour le trésor. Je m’en suis expliqué hier, et ce sont ces considérations que j’ai exposées hier qui ont déterminé l’assemblée à consentir la suppression.
Quant à l’amendement de M. Gendebien pour les usines, je l’appuierai de toutes mes forces. Aux aubergistes, vous faites payer une patente ; si vous leur faisiez payer encore les foyers, vous mettriez un double impôt ; eh bien, la même chose existe pour les usines, qui n’existe pas sans foyers, sans fourneaux : vous leur faites payer une patente, et cela doit suffire, Là où il y a le même droit, il y a même raison de décider. Je vote pour l’amendement.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il est évident que la loi n’exempte pas les foyers des usines, et c’est par cette raison que l’on a cru devoir les imposer. L’administration, ayant été consultée, a dû appliquer la loi : tout ce qui n’est pas formellement exempté doit être frappé par l’impôt.
- L’amendement de M. Gendebien, mis aux voix, est adopté ; ainsi les foyers des usines sont exempts de l’impôt.
M. Robiano de Borsbeek demande la suppression des déclarations pour les successions qui ne paient rien au trésor.
Il s’exprime ainsi. - Messieurs, je vous prie de remarquer que dans cet amendement je ne dérange en rien l’économie des voies et moyens : le trésor ne perdra rien, nous pouvons être en sécurité à cet égard.
Hier, j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre différentes observations afin qu’elles produisent leur fruit plus tard. Je reconnais qu’on ne peut introduire des changements quand l’impôt peut souffrir. Ici nous ne voyons rien de semblable à craindre ; je ne demande la suppression des déclarations que là où le fisc ne perçoit rien.
Mon but, messieurs, est de répandre, dans tout le pays, une grande satisfaction, parce que les déclarations des moindres successions sont extrêmement désagréables à tout le monde. Elles engagent dans une multitude de formalités, de dépenses, et cela dans le moment de l’affliction des familles.
Il y a un autre motif qui me paraît très important. Les déclarations que l’on fait mettent le gouvernement dans la confidence des secrets des familles, des fortunes de tout le monde. Par suite de ces déclarations il est facile à chacun de savoir ce que possède son voisin. Dans un pays libre, il faut que le gouvernement ne se mêle pas des affaires de famille, ou le moins possible. Il faut des impôts, certainement ; mais on peut les établir sans s’ingérer d’une manière odieuse dans les affaires de famille.
Je fais grand cas des mesures qui ont un effet moral ; le patriotisme est précieux, il donne des ressources à l’Etat ; mais il faut des bases au patriotisme pour qu’il s’établisse. Il faut que le citoyen sache qu’il est libre, qu’il est son maître ; alors il consent des sacrifices pour conserver son indépendance. On dira que le gouvernement a intérêt de connaître les biens des familles, afin de les atteindre convenablement pour les impôts : cette objection est réelle ; mais, messieurs, il me semble que le gouvernement a d’autres moyens d’atteindre celui qui doit payer, et il est inutile de lui donner le pouvoir inquisitorial contre lequel je réclame. Au moment de voter de majorations sur les impôts, l’amendement étant adopté donnerait satisfaction à toute la Belgique. Le gouvernement d’un pays libre doit s’occuper le moins possible des affaires de la province, de la commune, et encore moins des affaires des particuliers.
Pourquoi donc demander des déclarations minutieuses pour n’obtenir rien à verser dans les caisses de l’Etat ? Le gouvernement atteint toujours le propriétaire par la terre dont le cadastre lui fait connaître la moindre parcelle ; il faut bien que le propriétaire se déclare.
On me dit que ce n’est pas dans un budget des voies et moyens que le changement que je propose doit s’opérer ; j’en conviens ; mais la loi dans laquelle ma proposition pourrait trouver place peut être retardée.
- Plusieurs voix. - L’amendement viendra ailleurs ! L’amendement dans une autre loi !
- La proposition de M. de Robiano de Borsbeek n’a pas de suite.
M. Corbisier. - Il me semble que dans le projet qui nous occupe, il se trouve une lacune, que je crois devoir vous signaler.
Suivant les règles de toute bonne comptabilité, le budget des dépenses doit se balancer par le budget des recettes. Pour que cette balance puisse se faire, il faut que le chiffre total de chacun de ces budgets soit fixé ; or, dans la loi en discussion, ce chiffre total n’est point déterminé. On m’objectera peut-être qu’on ne peut le déterminer d’une manière rigoureusement exacte, d’une manière précise. Mais il faut remarquer qu’en matière de budget, sauf ce qui concerne les dépenses fixes et les recettes invariables, on procède toujours par voie d’évaluation.
L’omission sur laquelle j’appelle l’attention de la chambre, s’était glissée dans la loi des voies et moyens du 29 décembre 1831. Plusieurs membres de cette assemblée ont, dans une occasion toute récente, été à même d’en reconnaître les inconvénients. C’était dans le sein de la commission que vous aviez nommée pour examiner le projet de loi tendant à autoriser le paiement par anticipation des deux tiers de la contribution foncière de 1833.
Il s’agissait de savoir si le produit de l’emprunt négocié avec la maison Rothschild figure dans le budget des recettes de 1832, bien que, de la loi qui charge le gouvernement de contracter cet emprunt, il résulte évidemment que son produit doit couvrir les dépenses de l’Etat ; rien n’indique, aucune disposition n’énonce que ces dépenses sont celles de 1832. La commission n’en a acquis la certitude qu’en recourant au tableau que M. Coghen, ministre des finances d’alors, avait joint à son projet, comme M. le ministre des finances actuel en a joint un au projet qu’il vous a dernièrement présenté.
Je crois donc, messieurs, qu’il est nécessaire de joindre à la loi le tableau. Je le crois, avec d’autant plus de raison, que je vois figurer des recettes montant à 1,260,000 fr. dont il n’est fait aucune mention dans la loi elle-même.
Ces considérations me déterminent à vous proposer l’adoption d’un article additionnel ainsi conçu :
« D’après les dispositions qui précèdent, le budget ordinaire des recettes pour l’exercice de 1833 est fixé à la somme de … fr. conformément au tableau annexé à la présente loi. »
Je me sers du mot « ordinaire, » parce qu’évidemment ce budget ne pourra couvrir toutes les dépenses de 1833, et qu’il faudra nécessairement recourir à des moyens ou à un budget extraordinaires.
Je laisse la somme en blanc, parce que cette somme doit être arrêtée par le tableau qui subira plusieurs modifications d’après les divers amendements adoptés dans le cours de la discussion.
La méthode que j’indique est suivie en France.
- L’amendement de M. Corbisier est appuyé.
M. d’Elhoungne. - J’appuie la proposition de M. Corbisier, mais je proposerai un sous-amendement tendant à substituer au mot « fixé » le mot « évalué. »
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il est entendu que le ministère devra revoir le tableau par suite des changements qui ont été adoptés, et que le chiffre ne sera qu’un simple aperçu, qu’une évaluation. (Oui ! oui !)
M. Mary. - Je ferai observer qu’il y a deux tableaux, savoir un pour les recettes du royaume de Belgique proprement dit, et l’autre pour les produits des territoires à céder, Je crois donc qu’il faudrait encore sous-amender l’article proposé par M. Corbisier et dire : « conformément aux deux tableaux ci-joint. »
M. A. Rodenbach. - Je demande la suppression du mot « ordinaire, » parce que, d’après ce que nous a dit M. le ministre lui-même, le budget que nous venons de voter est un budget mixte.
M. Dumortier. - J’appuie la proposition de M. Rodenbach, parce que dans le tableau dont il s’agit, on a divisé les dépenses en deux catégories, et on a qualifié les unes d’ordinaires et les autres d’extraordinaires.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il me semble que le mot de « budget ordinaire » est bien appliqué ici et doit être conservé.
M. Corbisier. - Je me rallie aux sous-amendements de MM. d’Elhoungne et Mary.
M. d’Elhoungne. - Je me vois encore obligé de faire une observation, c’est que les deux tableaux annexés au budget ne présentent pas des produits absolument identiques. Par conséquent, il est impossible de les réunir ensemble. Il faut nécessairement faire un choix et ne faire figurer que le chiffre d’un seul de ces tableaux.
M. Faider, commissaire du gouvernement. - Je crois que l’amendement n’ajouterait rien à la loi. D’ailleurs, il est impossible de fixer pour toute l’année les produits qui devront revenir des territoires à céder, attendu leur double éventualité ; et ensuite le tableau n’est annexé au budget que par forme de renseignements. Par conséquent il est inutile.
M. Fallon, M. Osy et M. Verdussen appuient l’amendement de M. Corbisier.
M. Mary propose cette autre rédaction :
« D’après les dispositions qui précèdent, le budget ordinaire des recettes de 1833 est évalué à la somme de … francs, conformément au tableau des voies et moyens pour 1833, et de la somme de … francs, conformément, au tableau des produits présumés pour 1833 des territoires à céder. »
M. Osy. - On pourrait mettre « aux sommes de ... francs et de … francs, conformément aux deux tableaux annexés à la présente loi. » Cela concilierait tout. (Oui ! oui ! appuyé !)
M. Mary se rallie à cette rédaction.
- La suppression du mot « ordinaire, » proposée par M. A. Rodenbach, est mise aux voix et adoptée après une double épreuve.
La rédaction de M. Osy est également adoptée.
En conséquence, l’article additionnel de M. Corbisier sera ainsi conçu : « D’après les dispositions qui précèdent, le budget des recettes de 1833 est évalué aux sommes de … francs et de … francs, conformément aux deux tableaux annexés à la présente loi. »
La chambre adopte ensuite l’article final du projet, en ces termes :
« La présente loi sera exécutoire le 1er janvier 1833. »
M. le président. - Attendu qu’il a été introduit des amendements à ce projet de loi, nous ne pourrons voter sur l’ensemble que samedi.
- Sur la demande de M. d’Elhoungne, l’impression en est ordonnée.
M. le président. - La suite de l’ordre du jour appelle les développements des propositions de M. Zoude et de M. Seron.
M. Zoude. - Messieurs, le projet que j’ai l’honneur de vous présenter a pour objet de favoriser une industrie dont les établissements ont exigé l’emploi de capitaux considérables, et dont les productions dans des temps prospères s’élèvent à une valeur de plusieurs millions de florins.
Cette industrie, florissante naguère, ne se soutient aujourd’hui qu’à l’aide du tarif dont je réclame la continuation.
En protégeant cette industrie, vous pourvoyez à l’existence de 80 à 100 mille ouvriers dont la forgerie utilise les bras.
Vous maintenez à une certaine valeur cette immense quantité de bois qui couvre une partie du territoire des provinces de Hainaut, Namur, Liége, Luxembourg, et vous procurez ainsi quelque adoucissement au sort de ses nombreux propriétaires qui, avec cette branche de leurs revenus, ont peine à subvenir maintenant aux charges publiques qui généralement écrasent les propriétés boisées.
Une autre industrie est encore appelée à partager les bienfaits de la mesure que je réclame, celle du roulage qui reçoit de la forgerie le poids énorme de plus d’un milliard de kilogrammes pour une distance moyenne à parcourir de 4 à 5 lieues.
Ce que je dis ici, messieurs, ne repose pas sur des paroles hasardées, mais sur des calculs positifs, qu’il vous serait fastidieux d’entendre, mais que je pourrai soumettre à la commission qui vous chargera de l’examen de ma proposition, si vous la croyiez susceptible d’être prise en considération.
En bornant la durée de la loi à l’époque de l’adoption d’un nouveau tarif de douanes, j’ai consulté non seulement l’intention que vous avez consignée dans la loi du 16 décembre, mais particulièrement l’intérêt des propriétaires forestiers,
En effet, messieurs, la forgerie ne fait ses approvisionnements de bois que dans les derniers mois de l’année ; et certes, dans l’incertitude du sort de la loi qui doit la régir au premier janvier, elle ne peut guère se hasarder à faire des achats à moins d’y être engagée par la grande modicité des prix : dès lors les intérêts forestiers peuvent par suite être compromis.
Il n’en sera pas de même lorsque la loi doit cesser avec la mise en vigueur d’un nouveau tarif général, parce qu’un ouvrage de cette nature étant de longue haleine, le commerce aura le temps de prendre ses mesures de précaution.
Par l’article 2 de la loi, je propose les prohibitions du transit par terre ; en voici le motif :
Chacun sait que la prospérité de la plupart de nos industries dépend d’un traité de commerce avec la France, traité qui assurerait les intérêts des deux pays ; or, ces intérêts sont évidemment compromis par le transit des fers en Belgique : je le prouve.
La France impose les fontes étrangères, à leur entrée dans ses ports maritimes, au droit de 9 fr. 90 c. les cent kilog. ; mais elle les admet à 4 fr. 40 c. par certains bureaux. Cependant, pour introduire les fontes anglaises par nos canaux intérieurs, il n’en coûte à l’introducteur que 60 centimes environ pour les frais de transit, d’où il résulte qu’en empruntant notre territoire, les fontes anglaises parviennent sur les marchés de France, chargées seulement de 5 francs pour tous droits et frais, tandis que l’intention comme l’intérêt de la France étaient de repousser ces fontes par le droit prohibitif de 9 fr. 90 c. Le maintien du transit est donc une hostilité envers le commerce français, sans utilité pour la Belgique ; ce que prouve la modicité des frais de transport.
Messieurs, en vous présentant ce projet, ce n’est pas la voix de quelques industriels que j’emprunte, c’est celle des chambres du commerce de toutes les provinces du royaume où il existe des établissements de forgerie ; en effet, il résulte des rapports parvenus à la commission d’industrie établie par le Roi qu’il y a non seulement unanimité pour le maintien du droit, mais encore pour son élévation, car les conclusions de la majorité sont pour l’adoption franche du tarif français, comme le seul moyen de déterminer le gouvernement à nous faire quelques concessions ; et la chambre de Bruxelles seule réclame une modification en faveur de la mitraille et du fer mulet, mais elle renchérit sur toutes les autres pour une plus forte élévation sur les fers en barres.
Messieurs, j’ajouterai encore quelques mots : il est une de nos provinces où les établissements de forgeries sont les plus nombreux, parce que la nature y a placé les minerais de fer les plus abondants et les forêts les plus étendues ; mais là sont aussi les communications les plus difficiles, et la distance à parcourir par le roulage qui sert les usines à fer du royaume, qui n’est en général que de 4 à 5 lieues, s’élève pour cette province à 6 ou 7. Il est vrai que son étendue fait à peu près la cinquième partie de celle du royaume, tandis que sa population n’en est guère que la douzième.
Pourquoi ? Parce que l’industrie manufacturière comme l’industrie agricole y ont à vaincre tout à la fois la longueur et les difficultés des chemins, ainsi que l’ingratitude du sol.
Ces obstacles disparaîtront insensiblement si le développement de cette industrie est favorisé par des routes en fer et des canaux qui sont peut-être les seuls moyens efficaces de protéger la forgerie.
Mais jusque-là, messieurs, une loi qui nous protège contre l’envahissement par les produits étrangers nous est indispensable ; aussi l’abolition du tarif serait surtout pour cette province un arrêt de mort. C’est cependant vers elle, messieurs, vers le Luxembourg enfin que vous avez quelquefois porté des regards de bienveillance ; je suis heureux de pouvoir les réclamer en invoquant en sa faveur les motifs les plus puissants d’intérêt général, le travail et les productions.
- La prise en considération est mise aux voix et adoptée, et la proposition est renvoyée à la commission d’industrie et de commerce.
M. Seron a la parole pour développer également sa proposition, relative aux monnaies d’or. Il s’exprime ainsi :
Messieurs, l’article 20 de la loi du 5 juin 1832 porte que les pièces de 5 et de 10 florins des Pays-Bas seront reçues au trésor et dans la circulation sur le pied de 47 centièmes 1/4 des Pays-Bas, pour un franc, jusqu’au 31 décembre 1832 ; et qu’à partir de cette dernière époque, et jusqu’à disposition ultérieure, elles seront reçues au taux de 48 centièmes 1/4 aussi pour un franc.
En dépréciant ainsi les pièces d’or de plus de 2 p. c. de leur valeur nominale, de la valeur pour laquelle elles ont été livrées ai public, il eût été juste, me semble-t-il, de procurer à celui-ci les moyens de s’en défaire sans perte, de les échanger au pair, soit à la monnaie soit au trésor.
Mais ces moyens n’étaient pas à la disposition du gouvernement puisque, à l’heure qu’il est, la monnaie n’a frappé qu’une extrême petite quantité d’espèces nouvelles, en proportion de l’or qui se trouve en circulation, et que, depuis la promulgation de la loi monétaire, les caisses publiques ont dû se trouver constamment sans fonds oisifs, par le paiement d’une grande partie des impôts en obligations de l’emprunt de 10 millions, et par la nécessité d’employer le surplus, à mesure de rentrées, au paiement des dépenses courantes.
L’échange étant impossible d’ici au 31 décembre, il y a nécessité d’ajourner la dépréciation des pièces de 5 et 10 florins ; et c’est cette mesure que j’ai l’honneur de proposer. Sans doute elle est conforme à vos principes : vous ne voulez pas imiter le gouvernement de Bonaparte dans ce qu’il statua relativement aux anciennes monnaies françaises et à vos anciennes monnaies provinciales ; vous croyez que quand la loi diminue la valeur des espèces, la perte doit être supportée par la nation entière, et non par les individus dans les mains de qui elles se trouvent.
La banque, je le sais, recevra et fera recevoir par ses agents, après l’époque du 31 décembre, les pièces de cinq et de dix florins pour leur valeur nominale.
Mais cela ne suffit pas ; il faut rapporter l’article 20 de la loi monétaire.
Tant que les dispositions en subsisteront, elles pourront être opposées par les receveurs de l’Etat aux contribuables, par les créanciers de l’Etat à l’Etat lui-même, et par tous les autres créanciers à leurs débiteurs ; nul ne sera tenu de recevoir la pièce de 10 florins pour une valeur excédant 20 francs 72 centimes 104/193 de centime.
Ces courtes observations me semblent justifier suffisamment la proposition que j’ai l’honneur de reproduire :
« L’article 20 de la loi du 5 juin 1832 est rapporté. En conséquence et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, les pièces de 5 et de 10 florins continueront à être reçues dans les caisses publiques, dans les paiements faits à l’Etat et dans la circulation pour la valeur en francs, savoir : la pièce de 5 florins à raison de 10 francs 58 centimes un cinquième, et celle de 10 florins à raison de 21 francs 16 centimes deux cinquièmes. »
M. le président. - Veut-on discuter immédiatement la question de prise en considération ? (Oui ! oui !)
M. A. Rodenbach. - Messieurs, il me semble qu’avant de prononcer la prise en considération de la proposition de notre honorable collègue M. Seron, le ministre des finances devrait nous dire si, au 1er janvier, la banque continuera à percevoir les contributions, pour compte de l’Etat, par l’intermédiaire des employés du gouvernement ; dans le cas affirmatif nous ne devons point appuyer la proposition de M. Seron. Le but de cet honorable collègue serait rempli, puisque la banque a déjà résolu que le public n’essuierait point la perte de 4 francs 39 centimes, à peu près 2 1/2 pour cent florins en or des Pays-Bas.
Mais si le ministère se propose de nommer des agents comptables 4. 5, 6, 7, 8,000 francs par an, pour recevoir les impôts, alors je devrais donner mon assentiment à la prise en considération de la proposition qui nous est soumise. Quoi qu’il en soit, je pense qu’il est très dangereux de changer les lois, lorsqu’il n’y a pas nécessité absolue ; d’ailleurs, messieurs, puisqu’il est reconnu, d’après l’article 20 de la loi monétaire du 5 juin 1832, que les pièces de 10 florins ne valent pas 21 francs 16 centimes, il se pourrait que plus tard la Hollande inonderait le pays de ses pièces en or.
Soyons donc sur nos gardes.
M. Meeus. - Messieurs, après ce qui s’est passé dans la dernière discussion et après l’article inséré dans le Moniteur, j’engage comme député M. le ministre des finances à dire ce que la banque peut faire et ne peut pas faire. Quant à la prise en considération de la proposition, je l’adopterai. Cependant pour le moment je suis opposé à cette proposition, et en voici le motif.
- Plusieurs voix. - Mais c’est la question du fond que vous allez entamer.
M. Seron. - Je demande la parole pour répondre à M. Rodenbach qu’il a commis une erreur en disant que la banque recevait les contributions ; ce sont les agents du gouvernement qui en sont chargés, et quand bien même le gouvernement donnerait à ces agents l’autorisation de recevoir les pièces de 5 et 10 florins, il ne s’ensuivrait pas qu’ils y fussent forcés. Une disposition de loi est donc nécessaire.
M. Osy. - Je demande qu’on accorde la parole à M. Meeus, car il est impossible de discuter la prise en considération sans aborder le fond.
M. Meeus. - J’y renonce.
M. Gendebien. - Il me semble qu’il n’y a pas à hésiter sur la prise en considération. Il est un fait certain, c’est que nous n’avons pas encore assez de monnaie pour remplacer actuellement l’ancienne, et lorsque l’année on a fixé le terme du 31 décembre après lequel les anciennes monnaies qui resteraient en circulation subiraient une grande perte, on pensait pouvoir être en mesure d’émettre à cette époque d’autres monnaies. Comme il est évident qu’il n’y en a pas assez de nouvelles pour remplacer les anciennes, il faut au moins accorder l’honneur d’un examen à la proposition de M. Seron.
M. d’Elhoungne. - (Le discours de l’honorable membre ne nous étant pas parvenu, nous le donnerons demain.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans les sources à notre disposition).
M. Verdussen. - Je regrette que M. d'Elhoungne, qui d’ordinaire nous ramène toujours à la question, s’en soit écarté aujourd’hui. Il a commencé par dire qu’il adoptait la prise en considération, et cependant il s’est livré ensuite à des développements qui étaient tout à fait inutiles. Il me semble qu’il devait se borner à dire qu’il admettait la prise en considération. Quant à moi, je l’appuie.
- La prise en considération est adoptée.
On procède ensuite au tirage des sections.
La séance est levée à 3 heures.