(Moniteur belge n°353, du 21 décembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Jacques fait l’appel nominal avant une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Jacques fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
M. Teichmann, proclamé membre de la chambre dans l’une des séances précédentes, est admis à prêter serment.
MM. Lebeau, Goblet, Rogier, Duvivier sont au banc des ministres.
L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget des voies et moyens.
M. le président. - Le gouvernement demande que l’impôt des patentes soit reporté au taux auquel il était fixé par les lois de 1819 et 1823.
Dans la séance d’hier, M. Dumortier a demandé que la patente des bateliers reste au taux auquel elle était portée par la loi du 21 décembre 1831.
M. d’Huart. - Je ne suis pas de ceux qui appuient l’amendement de M. Dumortier, parce qu’il ne m’est pas démontré que les bateliers soient plus obérés que les autres industriels.
Si l’on examinait de près le droit de patente, on verrait qu’il est tel ouvrage qui, pour être fait complétement, obligerait l’ouvrier à prendre plusieurs patentes.
Un menuisier doit prendre une patente comme marchand de bois, comme menuisier et comme peintre, s’il veut donner la dernière main à son œuvre.
Si je vote contre l’amendement, c’est par des motifs que je peux avouer ; tout député qui vote croit faire une chose utile à son pays.
M. Pirmez. - Je ne sais pas précisément dans quelle situation sont les bateliers ; mais, dans plusieurs parties du territoire, ils sont en concurrence avec d’autres industriels, avec les voituriers. Depuis longtemps, le charbon de Charleroi était transporté par voitures ; maintenant il l’est par le canal, de sorte que les voituriers éprouvent une espèce de crise. Après le budget, je ferai une proposition pour faciliter la transition, relativement à la route de Charleroi. Ceux qui soutiennent que les bateliers doivent être diminués, devraient nous faire connaître l’influence que cette diminution peut avoir sur les autres industries.
M. le président. - M. Davignon propose l’amendement suivant :
« Le droit de patente est maintenu sur le pied établi par l’article 3 de la loi du 29 décembre 1831 ; il sera prélevé sur le principal de cette contribution 13 centimes additionnels. »
M. Davignon. - Messieurs, déjà, dès le commencement de la présente discussion, l’impôt patente a été justement stigmatisé par un de nos honorables collègues ; mais, comme vous l’aurez bien compris, messieurs, ce n’est pas la nature de cette contribution qui a excité les réclamations si constamment, si vivement renouvelées depuis près de 40 ans qu’elle est établie, elle a pour ainsi dire passé dans nos mœurs.
C’est sur la loi du 21 mai 1819, de fiscale mémoire, que portent les justes plaintes du commerce.
Ce n’est pas le moment, messieurs, de vous expliquer par de longs détails tout ce que cette loi renferme d’odieux ; l’honorable M. d’Huart vient de vous citer quelques faits ainsi, un menuisier ne peut toucher à une charpente sans encourir une amende ; un maçon ne peut reprendre à forfait la plus mince construction sans avoir la patente d’architecte ou d’entrepreneur.
Un boutiquier de village, où il faut faire usage de toutes ses ressources pour trouver des moyens d’existence, ne peut adjoindre à son petit commerce, sans au préalable en avoir pris la patente particulière, un article qui lui rapporterait quelque bénéfice, ou dont il voudrait seulement faire l’essai.
Je vous citerai cependant un exemple sur lequel j’ai notion exacte, et qui vous donnera une idée de toutes les subtilités du fisc : le fabricant de draps prend d’abord la patente de la classe dans laquelle il est placé par le nombre de ses ouvriers, il s’ensuit qu’il devrait être par là autorisé à exercer tout ce qui constitue cette profession ; eh bien, non, messieurs il faut encore une patente pour ses mécaniques à filer la laine, il en faut une pour les rames à sécher ses draps, une pour sa presse, enfin une encore pour sa foulerie servant à son usage exclusif ; et chose remarquable, c’est qu’il faut encore payer séparément pour le dégorgeoir placé tout à côté du bac à fouler.
Il résulte de la simple esquisse de cette loi, et j’en fournirai la preuve au besoin, que par les interprétations élastiques auxquelles elle se prête, et qui ont servi de bases à diverses décisions ministérielles manifestement opposées au vœu du législateur, les agents du fisc étaient parvenus à faire de plusieurs de ces dispositions une application tout arbitraire, et à se faire autoriser à des mesures réellement inquisitoriales et vexatoires.
C’est pour commencer le reclassement de ces abus, autant que pour alléger les souffrances du commerce, que le congrès national réduisit de moitié cet impôt.
On avait alors la confiance qu’il serait bientôt porté remède à tant d’inconvénients ; mais je dois le dire avec le sentiment du plus profond regret, rien n’a été fait encore. Si je m’abstiens de récriminations fondées sur une négligence que rien ne semble justifier, j’insisterai avec d’autant plus de vivacité sur ce qu’une nouvelle loi soit présentée à la législature assez à temps pour être discutée et mise en vigueur pour l’année 1834.
Ici, messieurs, il ne peut être question de nouvelles théories, nous avons des précédents que l’expérience a sanctionnés ; et j’appellerai, avec l’honorable M. Seron, l’attention du gouvernement sur la loi du Ier brumaire an VII, sauf à lui faire subir les modifications reconnues nécessaires et à régler les droits suivant les besoins de l’Etat.
Assurément, messieurs, on serait fondé à demander que cet impôt ne supportât aucune augmentation, et je ne balancerais pas à en faire la demande si je n’étais arrêté par la nécessité de subvenir, dans ces moments extraordinaires, aux besoins du trésor, dont l’état n’est cependant pas aussi alarmant qu’on s’est plu à le répandre ; et je saisis l’occasion de le dire avec l’accent d’une entière conviction, basée sur des renseignements qui m’ont été donnés, et que je dois croire exacts.
Dans l’état actuel des choses, je viens vous demander, messieurs, que le droit de patente, au lieu d’être remis au taux auquel il était porté en 1830, comme on le propose, ce qui ferait une nouvelle augmentation d’un quart, soit maintenu sur le pied établi pour l’année courante, avec la majoration, votée sur la contribution personnelle, de 13 centimes additionnels par franc sur le principal.
Je crois inutile de donner de longs développements à cette proposition, elle est basée sur la justice ; car, vous ne l’ignorez pas, messieurs, à l’exception de ce qu’on appelle le haut commerce, qui, par le besoin continuel qu’il a de grands capitaux disponibles, a la plus grande partie de sa fortune en portefeuille, le commerçant, qui est en même temps propriétaire, est aussi atteint par l’addition consentie de 40 centimes par franc sur le foncier ; il l’est bien plus encore par l’impôt personnel qui pèse plus particulièrement sur lui ; car c’est un fait connu de tout le monde, c’est par les négociants que sont occupés, dans les villes surtout, les bâtiments qui comportent des valeurs locatives fort élevées, à cause de leur situation avantageuse.
Par ces considérations, j’ai cru qu’il était juste de solliciter ce léger allégement en leur faveur : la différence que produira cette réduction sera facilement comblée par celle qu’il y aura lieu de faire sur certaine partie du budget des dépenses.
M. de Theux. - Messieurs, je ne m’attendais pas que la proposition du gouvernement, de faire cesser les réductions opérées sur le droit de patente, pût rencontrer de sérieuses objections après votre vote sur les impôts foncier et personnel ; aussi je n’hésite pas à soutenir que la prolongation de ces réductions constituerait une véritable injustice et romprait tout équilibre entre les contribuables.
Je n’entrerai pas, à cette occasion, dans l’examen du système général des impôts établi par la loi du 22 juillet 1821. Je me réserve de le faire lors de la révision de nos lois de finances ; je me bornerai, aujourd’hui, à remarquer que la somme de 2,645,000 de francs à percevoir à titre de droit de patente sur les immenses capitaux engagés dans l’industrie et dans le commerce ne peut être considérée comme excessive.
Déjà la loi du 6 avril 1823 a apporté plusieurs adoucissements à la loi du 21 mai 1819, et elle a réduit d’un tiers les tarifs des patentes annexés à cette loi.
Le droit de patente est généralement établi d’après l’importance de l’industrie ou du commerce exercé dans l’année précédente ou dans l’année courante ; sous ce double rapport, les patentables n’auront pas à se plaindre.
L’on reproche de grands défauts à la législation sur les patentes, mais ce n’est pas un motif suffisant de maintenir la réduction du droit ; déjà la chambre en a décidé ainsi à l’égard de la contribution personnelle et de la contribution foncière où les plus fortes inégalités ont été signalées.
Le maintien de cette réduction serait d’autant plus injuste que vous venez de frapper 40 centimes additionnels sur la contribution foncière ; et que l’on ne dise pas que cette augmentation ne tombe que sur les riches, elle porte aussi sur un grand nombre de petits propriétaires et sur un grand nombre de petits locataires obligés par leurs baux à acquitter les contributions.
M. Davignon. - Je répondrai quelques mots à l’orateur. il a fait mention des capitaux sur lesquels portent les 2,600,000 fr. de patentes ; mais déjà le commerce a été atteint par la majoration de l’impôt foncier et de l’impôt personnel, car il y a des négociants qui sont propriétaires. Il est juste que la contribution pèse sur celui qui possède ; mais l’impôt personnel pèse plus sur les commerçants que sur les autres citoyens, parce qu’ils ont besoin de locaux plus grands. La différence que je demande est de 12 p. c. sur celle du gouvernement ; c’est une affaire de 84,000 florins ; il sera possible d’obtenir cette somme par des réductions sur les dépenses.
M. Lardinois. - Messieurs, je regrette de ne pouvoir appuyer l’amendement proposé par mon honorable collègue, M. Davignon. Il ne s’agit pas maintenant de récriminer contre la loi des patentes, ses vices sont connus de tous les contribuables, et il faut changer totalement cette loi pour remédier à l’arbitraire qu’on signale.
Dans la circonstance actuelle la question se résume à savoir par quels moyens nous couvrirons les dépenses publiques.
Le but qui a dirigé ma conduite dans notre révolution fut toujours en sens inverse à celui de nos doctrinaires.
Ils plaçaient en première ligne la conquête des intérêts moraux tandis que moi, avec tout ce qui tenait à l’industrie, voulions d’abord procurer le bien-être des intérêts matériels, parce que l’expérience nous apprend que dès qu’ils sont en souffrance, c’est la masse du peuple qui en pâtit, et lorsqu’il est privé du nécessaire, il s’enquiert fort peu s’il jouit de la liberté de la presse, du droit électoral et de tous les fameux droits politiques dont nous sommes dotés par notre constitution.
C’est sous l’influence de cette idée, messieurs, que j’ai désiré et demandé la réunion de la Belgique à la France, et quand j’ai vu que ce vœu ardent, partagé par plusieurs provinces, est venu succomber au pied de cette tribune, l’avenir s’est dès lors présenté sombre et hideux devant moi, et j’ai désespéré de notre commerce et de notre industrie.
Mais, il faut le reconnaître, les faits depuis deux ans attestent que je me suis trompé sous ce rapport, et sont venus ranimer nos espérances. L’agriculture a prospéré et ses produits ont trouvé un écoulement facile ; le commerce maritime, s’il ne fut pas brillant comme autrefois, a été du moins très animé pour les circonstances ; les manufactures de draps, d’armes, de toiles, de cotons et toutes les petites industries qui en dépendent, ont beaucoup mieux marché qu’on ne devait s’y attendre. Voilà, messieurs, des faits positifs, consolants ; qui me font penser que la Belgique peut encore jouir d’une existence assez heureuse, même avec l’infâme traité des 24 articles. Si quelques grandes industries restent en souffrance par suite de la révolution, l’on ne peut en conclure qu’elles ne reprendront pas avantageusement le cours de leurs opérations mercantiles, lorsque nos affaires extérieures seront terminées.
Je déduis de ce qui précède que la majoration demandée sur l’impôt des patentes doit être admise. Chaque citoyen doit concourir selon ses moyens aux contributions publiques, et, moins que tout autre, l’industriel refusera sa part des sacrifices lorsque le gouvernement marchera dans la voie des intérêts communaux. Que le ministre sorte une fois de sa paresse d’esprit, qu’il s’occupe avec constance et succès des intérêts matériels, et bientôt il s’attachera le commerce et l’industrie dont l’affection et l’appui manquent maintenant au gouvernement. Aujourd’hui, le grand grief des nations est l’état de guerre qui détruit inutilement, arrête la production des valeurs et empêche plusieurs puissances de s’occuper des réformes et des améliorations commerciales. La fermentation qui existe dans quelques Etats de l’Allemagne n’a pas d’autre cause.
Je ne sache pas, messieurs, que personne ici ignore qu’il faut faire face aux dépenses publiques. Pour y parvenir, vous n’avez d’autre alternative pour le moment que de majorer les impôts ou de recourir aux emprunts. Votez donc, messieurs, ces majorations, votez-les, car un refus compromettrait le crédit public, et vous devriez finir par contracter des emprunts énormes en vous abandonnant à la discrétion des agioteurs qui ne vivent que d’usure et dont l’avidité est sans bornes.
M. Mary. - La section centrale n’a pas cru devoir refuser les patentes. Il a bien été question d’examiner si la loi de l’an VII n’était pas supérieure à notre législation sur les patentes ; mais on a ajourné cet examen, parce que le gouvernement est sur le point de proposer une loi de révision des patentes. La section centrale ne s’est occupée que du chiffre du budget. Le gouvernement demande 33 pour cent d’augmentation ; cette augmentation est considérable ; mais le moment de crise où nous sommes placés exige des ressources extraordinaires.
Par la loi du 28 décembre 1830, les patentes ont éprouvé une réduction ; le commerce étant dans une situation moins pénible, la section centrale a pensé que les industriels, ainsi que les propriétaires, devaient leur tribut à l’Etat dans les circonstances où nous sommes.
Plusieurs amendements ont été présentés : un par M. Dumortier, tendant à laisser la patente des bateliers dans l’état où elle est. Le ministre des finances ne s’est pas opposé à cet amendement.
L’amendement de M. Davignon porte l’augmentation sur les patentes à 13 p. c. ; c’est une différence considérable avec celle que demande le gouvernement ; je ne sais si la chambre pourra admettre cet amendement. D’après le chiffre du gouvernement l’augmentation des patentes serait de 800,000 fr. ; par l’amendement de M. Davignon, l’augmentation serait du tiers ; c’est à la chambre à voir si, dans l’état de crise où est le pays, on peut consentir la diminution,
M. Davignon. - Chacun doit supporter les charges dans une juste proportion, et c’est pour rappeler à cette proportion que je demande la réduction. Les 13 centimes additionnels doivent suffire. Je crois aussi qu’il ne sera pas impossible de combler le déficit que les patentes laisseraient ; j’en appelle au ministre des finances. Je lui demande s’il s’oppose à l’amendement.
M. de Robaulx. - Il me paraît que l’auteur de l’amendement aurait dû répondre aux faits avancés par son contradicteur, M. Lardinois. Ce dernier a dit que le commerce était plus prospère qu’il ne s’y attendait ; que, dans le commencement de la révolution, il avait voulu la réunion à la France, parce qu’il ne croyait pas que la Belgique pût faire fleurir le commerce. C’est sans doute pour cela que cet honorable a voté la république ; car il a dit, pour expliquer son vote, qu’il était républicain, parce qu’il voulait la réunion à la France.
M. Lardinois. - Je n’ai jamais rien dit de semblable.
M. de Robaulx. - Vous l’avez dit dans le temps du congrès… (Bruit.) Quoi qu’il en soit, MM. Davignon et Lardinois sont fabricants ; ils connaissent la situation du commerce, et j’invite formellement M. Davignon à prouver que le commerce n’est pas aussi prospère que le dit M. Lardinois ; sans cette preuve on ne peut voter son amendement.
M. Davignon. - Je suis représentant du pays et non de ma localité. La demande que je fais concerne tous les patentables, et notamment ceux de Bruxelles.
Quant à l’état du commerce, certainement il n’est pas aussi mauvais qu’on le craignait ; mais il est des choses qu’on ne peut pas dire en public : nous avons besoin de relations à l’étranger, c’est le seul moyen de soutenir notre industrie et notre commerce.
M. Lardinois. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Je dois répondre à l’assertion avancée par l’honorable M. de Robaulx. Je la déclare entièrement fausse et je le défie de me prouver le contraire. J’ai toujours désiré la réunion à la France, et lorsque j’ai voté pour la république, jamais je n’ai dit que c’était pour arriver à cette réunion ; ce motif a été énoncé à la tribune par un autre députe que je pourrais nommer. Je ferai observer à l’honorable membre que je ne me dirige pas par des principes absolus ; lorsque les faits viennent éclairer ma raison, je ne les repousse pas, je les admets au contraire, et je vote en conséquence dans l’intérêt du pays.
M. de Robaulx. - Je ne suis pas l’ennemi de l’orateur.
M. Lardinois. - Vous n’êtes ni mon ennemi ni mon ami.
M. de Robaulx. - J’ai dit que plus tard vous aviez expliqué ainsi votre vote pour la république, que c’était pour la réunion à la France.
M. Lardinois. - C’est faux.
- Plusieurs voix. - C’est de l’histoire. A la question ! à la question !
M. Devaux. - Je demande la parole sur les patentes. (On rit.)
Messieurs, je n’ai jamais été du nombre de ceux qui avaient des prévisions sinistres sur l’avenir de notre industrie ; je crois pourtant que l’industrie commande des ménagements. S’il s’agissait d’une somme de plusieurs millions que l’on ne puisse recouvrer ailleurs, je me soumettrais à la nécessité ; mais de quoi s’agit-il ? de 624,000 francs, ou du quart du chiffre porté par le ministre. Pour moi la nécessité d’obtenir cette somme n’est pas assez importante pour augmenter d’un tiers le droit de patente. Il a été proposé un amendement qui réduit l’augmentation à 13 centimes. Je voterai pour cet amendement, sinon je me déciderai à voter contre toute la majoration.
M. Davignon. - Je prie M. le ministre de répondre à l’interpellation que je lui ai faite.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Le gouvernement, en demandant diverses majorations, a reconnu a nécessité de mettre les voies et moyens au niveau des dépenses. Parmi ces majorations se trouve le report des patentes au taux où elles étaient avant la réduction de 25 p. c., faite par un arrêté du gouvernement provisoire.
Bien certainement, lorsque le gouvernement provisoire a réduit les patentes, il y a été porté par de hautes considérations ; à cette époque, l’industrie souffrait ; le commerce était aussi, pour ainsi dire, nul ; il fallait venir au secours de cette classe de contribuables qui se livrent à l’industrie. Mais, depuis lors, il est incontestable que le commerce a repris assez d’activité, assez de développements, assez de prospérité pour que la patente pût remonter à son taux ordinaire. C’est mu par cette vérité que l’administration a proposé l’article qui est en discussion.
Ces considérations ont été mûrement examinées dans vos sections, et particulièrement dans la section centrale ; elles ont été appuyées, et je ne crois pouvoir faire autre chose que de soutenir la proposition du gouvernement et l’avis de la section centrale.
Quant à l’exemption présentée par M. Dumortier, je dois dire pourquoi j’y ai donné mon assentiment.
L’administration a été assaillie d’une foule de réclamations, et notamment des réclamations des bateliers du Hainaut. Les pièces ont prouvé la stagnation complète des bateaux. Il a paru à l’administration trop dur de maintenir l’impôt sur des objets qui ne produisaient rien. C’est par ce motif qu’elle a consenti des remises ; mais, depuis la constitution, l’article 112 s’opposant à toute remise d’impôt, il a été impossible de les effectuer. Attendu que l’exemption demandée aura une très légère influence sur les demandes formées par le gouvernement, j’ai cru devoir appuyer l’amendement de M. Dumortier.
M. de Robaulx. - Je conçois que l’on demande un dégrèvement en faveur des patentes, en faveur des bateliers ; mais je ne le conçois qu’en faveur de ceux qui souffrent. Vous vous rappelez tous que c’est un arrêté du gouvernement provisoire qui a diminué de moitié la patente des petits bateaux, à cause des événements de Namur sur la Sambre. Je me rappelle fort bien que les bateaux de petite dimension, par suite de cette diminution, ont seuls été employés, et que les grands ont été frappés d’inaction.
Il a été porté un arrêté par lequel on a fait cesser cette différence ; on a porté un droit fixe, et grands et petits bateaux ont été traités de la même manière. Dès lors je ne vois pas pourquoi on prendrait une mesure en faveur des bateliers, à moins qu’on ne me dise que les bateliers ont perdus. C’est au ministre à s’expliquer à cet égard.
M. A. Rodenbach. - Je suis étonné de la prédilection toute spéciale du ministre des finances pour les bateliers. Il y a une foule d’autres industries qui souffrent : les Flandres souffrent ; les tisserands qui, avant la révolution, gagnaient un franc et demi, gagnent à peine 75 centimes, Je ferai un amendement sur les Flandres. Il y a quatre ou cinq mille bateaux en Belgique ; si on diminue leur patente, il faudra recourir aux emprunts.
M. Jullien. - Messieurs, dans la discussion générale je me suis élevé contre le maintien de la loi des patentes, parce que vous avez dû vous apercevoir, par suite de la discussion, que la législation était essentiellement mauvaise.
Le principal vice que l’on a signalé, c’est que cette législation laisse entièrement à l’arbitraire des agents du fisc la faculté de hausser ou de baisser l’impôt de la patente au moyen d’une mesure mobile de 17 degrés. Aussi longtemps que cette faculté existera, l’impôt des patentes produira tout ce qu’on voudra, parce qu’on mettra le commerçant dans la 7ème, dans la 8ème classe, comme il plaira ; c’est un impôt élastique entre les mains du fisc.
J’ai signalé cela comme un vice, comme une violation de la constitution. C’est la loi qui doit déterminer l’impôt, et le déterminer d’une manière précise. Le congrès avait senti les vices de cette législation en diminuant les patentes de moitié : c’était là la joyeuse entre de la révolution ; mais cette joie n’a pas duré longtemps ; on vous propose de rétablir les choses en l’état où elles étaient en 1823. Sur quoi se fonde-t-on pour obtenir cette augmentation ? Sur la prospérité du commerce. A entendre deux orateurs qui habitent la même ville et qui font le même commerce, le commerce va bien selon l’un ; il va mal selon l’autre ; c’est-à-dire que l’un gagne et que l’autre ne gagne pas : voilà la règle. (On rit.)
Notre industrie a considérablement souffert et souffre encore. Ce sont les petits boutiquiers, ce sont les petits industriels, qui ne gagnent pas la plupart du temps de quoi payer leur patente, sur qui vous faites tomber un impôt insupportable et que vous voulez augmenter. Mais pourquoi l’augmenter par la loi puisque vous pouvez augmenter à volonté, selon le profit présumé du commerçant ? Profitez de cette faculté que la législation existante vous présente ; demandez quelque chose de plus à ceux qui notoirement ont plus gagné. Demandez moins à ceux qui notoirement ont perdu ; vous pourrez obtenir tout ce que vous voudrez : ne proposez pas d’autre moyen d’augmenter l’impôt.
On a parlé des bateliers : je ne vois pas pourquoi vous feriez pour les bateliers ce que vous ne feriez pas pour d’autres classes d’industriels ; pour être justes, il faut que votre sollicitude s’étende sur tout le monde. Ce serait beaucoup mieux de remanier la législation sur les patentes et de les laisser au taux de 1832.
M. Davignon. Pour me rapprocher autant que possible de l’objet désiré, je viens de modifier mon amendement. Voici ce que je demande :
« Il y aura augmentation de 13 centimes portant sur le principal et sur les centimes additionnels des patentes, » en sorte que l’article concernant les patentes serait ainsi conçu :
« Le droit de patente est maintenu sur le pied établi par l’article 3 de la loi du 21 décembre 1831. Il sera prélevé sur le principal et les centimes additionnels de cette contribution 13 centimes additionnels par franc. »
M. de Theux. - L’honorable M. Jullien a présenté des observations comme s’il s’agissait d’établir le droit de patente pour l’ancien état de prospérité du commerce : mais la question n’est pas là. Il a fait une comparaison entre la loi de finances de 1831, et celle que l’on vous a proposée, et cette comparaison est tout à fait au désavantage du système qu’il soutient. En 1831, vous mainteniez la contribution foncière, et vous augmentiez les patentes ; aujourd’hui vous augmentez la contribution foncière de 40 centimes, et l’on ne demande qu’une augmentation de 23 p. c. sur les patentes. Il faut qu’il y ait équité dans la distribution des charges publiques.
M. Devaux. - L’honorable M. de Theux se trompe en disant que l’augmentation est de 25 p. c. ; elle est de 33 p. c. La proposition de M. Davignon fait que la différence pour le trésor est si peu de chose que l’on ne doit pas balancer à l’adopter. Il aurait fallu mettre 2 ou 3 centimes de plus sur les propriétaires pour couvrir cette différence, qui est peut-être de 300,000 fr. J’aurais mieux aimé porter l’augmentation de la contribution foncière à 50 centimes que de charger l’industrie. Nous aurions pu modifier le budget : les budgets ne sortent pas toujours de cette chambre comme ils y sont entrés.
Les territoires cédés pourront rapporter encore pendant un trimestre, et peut-être davantage, ce qui pourra couvrir un déficit de 300 ou 400 mille francs.
M. Mary. - Il y a une différence extrêmement minime entre la proposition du gouvernement et celle de M. Davignon ; elle est dans la proportion de 114 à 126.
C’est à la chambre à décider.
M. Devaux. Il y a une différence de 20 p. c.
Le gouvernement demande 33 centimes ; M. Davignon en propose 13.
M. Davignon. - Il y a un malentendu : j’ai modifié ma proposition ; je laisse la patente comme elle était en 1832 ; puis je demande une majoration de 13. Ainsi une patente de 100 f. paiera 113. Le gouvernement demande une augmentation de 25 ; la différence est 12 p. c.
M. d’Elhoungne. - La proposition de M. Davignon sera difficile à appliquer ; elle porte sur 88 cents. D’après les motifs exposés par MM. Devaux et Jullien, je crois qu’il conviendrait de ne pas augmenter les patentes et qu’il serait préférable d’augmenter l’impôt foncier.
M. le président rappelle à la chambre les amendements présentés sur l’article en délibération.
M. d’Elhoungne. - Je demande que l’on consulte l’assemblée pour savoir s’il y aura majoration sur le droit de patente.
M. Jullien. - La demande de M. d'Elhoungne est fondée en raison, Ce qui est en question est une majoration ; il faut commencer par décider le principe, pour décider ensuite le quantum.
M. F. de Mérode. - Je demande que l’on suive la marche adoptée hier.
- La question de savoir si les patentes seront augmentées est mise aux voix,
Après deux épreuves, la chambre décide que les patentes seront augmentées.
La proposition du gouvernement de reporter les patentes au taux déterminé par les lois de 1819 et 1823 est mise aux voix et rejetée.
La proposition de M. Davignon est mise en délibération.
M. Verdussen. - Mais, pour voter sur cette proposition, il faut en connaître la portée. Je trouve que le taux de la patente serait porté, d’après cette proposition, à 86 ; d’autres ont trouvé 87 ou 88.
M. d’Elhoungne. - La rédaction de M. Davignon est fautive.
M. Davignon. - Ma rédaction est très claire ; tel qui paie aujourd’hui 100 florins de patente, paiera 113.
- La proposition est soumise à l’appel nominal.
Sur 76 membres présents, 50 ont répondu oui, ou ont voté l’adoption ; 25 ont répondu non, ou ont voté le rejet.
Un seul s’est abstenu.
La proposition est adoptée.
Ont voté pour : MM. Berger, Boucqueau, Cols, Coppens, Coppieters, Corbisier, Dautrebande, Davignon, de Bousies, de Brouckere, Deleeuw, Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, de Robiano, de Sécus, de Terbecq, de Theux, Tiecken de Terhove, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Domis, Dubus, Dugniolle, Duvivier, Ernst, Jonet, Lebeau, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Pirmez, Poschet, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Thienpont, Ullens, Vandenhove, M. Vanderbelen, Veraghen, H. Vilain XIIII, Vuylsteke.
Ont voté contre : MM. Angillis, de Haerne, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Robaulx, de Roo, Desmaisières, Desmet, Donny, Dubois, Dumortier, Fallon, Hye-Hoys, Jacques, Jullien, Lardinois, Levae, Osy, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Seron, Speelman, Verdussen, Vergauwen, Zoude.
M. Teichmann. - Je me suis abstenu, parce que, admis aujourd’hui dans l’assemblée, mon opinion n’est pas assez formée pour donner mon vote.
M. Dumortier déclare retirer la proposition additionnelle qu’il avait présentée, relative aux bateliers.
M. le président. - Avant de passer à l’article 3 du projet du gouvernement, je dois faire observer à la chambre que le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif à la taxe des lettres est prêt. L’assemblée veut-elle en entendre la lecture ?
- De toutes parts. - Non ! non ! L’impression !
- L’impression de ce rapport est ordonnée.
M. le président. - Voici une disposition additionnelle que M. Dumortier propose d’intercaler entre l’article précédemment adopté et celui que nous allons discuter, c’est-à-dire d’après le nouvel ordre de numéros admis par la chambre, entre l’article 5 et l’article 6. Elle est ainsi conçue :
« Les majorations établies par les articles qui précèdent, seront perçues à titre de contributions de guerre. »
M. Dumortier - Messieurs, l’amendement que j’ai l’honneur de proposer a pour but de faire voir aux contribuables les motifs pour lesquels nous avons voté des majorations cette année, et pour indiquer au gouvernement que, bien, que nous adoptions un budget de 83 millions, notre intention est de porter à ce taux les voies et moyens de l’année suivante.
Dans la session dernière, l’honorable M. Coghen, alors ministre des finances, nous avait annoncé que le budget définitif ne s’élèverait qu’à 35 millions de florins, et aujourd’hui on nous présente un budget régulier sur le pied de paix, de 83 millions de francs.
Il y a la une chose inexplicable, et pour ma part je ne conçois pas que le gouvernement nous présente un projet de loi avec une aussi grande majoration qui tend à faire perdre les fruits matériels de la révolution, pour lesquels le peuple l’a faite.
Pour ne pas faire murmurer et éviter de nouvelles commotions, il faut dire que ces augmentations ne sont que des contributions de guerre.
Ce sera une explication pour les contribuables et un avertissement pour les ministres.
- L’amendement de M. Dumortier est appuyé.
M. H. de Brouckere. - Je ne puis laisser passer sans réponse les raisonnements de l’honorable préopinant. Je conçois très bien qu’on puisse trouver singulier qu’on nous présente un budget de 83 millions quand un ministre nous avait annoncé l’année passée que le budget ordinaire ne devait pas s’élever au-delà de 35 millions de florins ; mais je ne puis pas consentir à tromper la nation en disant que ces 83 millions ne nous sont demandés que parce que nous sommes en état de guerre, tandis que le budget qui nous est soumis n’est que pour l’état de paix, et qu’on doit nous apporter un autre budget supplémentaire pour le pied de guerre. L’honorable membre désire que nous fassions entendre à la nation que si nous votons aujourd’hui un budget plus élevé que l’année passée, cet accroissement ne peut être attribué qu’à l’état de guerre, quand au contraire le gouvernement nous dit que ce budget n’est que pour l’état de paix et se propose de nous en présenter un autre. Nous induirions la nation en erreur.
Maintenant si le gouvernement, qui s’est obstinément refusé de nous dire à quels moyens il aura recours pour couvrir les dépenses supplémentaires de l’état de guerre, voulait le faire à l’aide de nouveaux impôts, ce serait alors une véritable subvention de guerre ; mais il n’en est pas de même aujourd’hui. Par conséquent je ne puis admettre la proposition de M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je crois que l’honorable membre n’a pas bien compris dans quel sens j’ai fait ma proposition. Si nous procédions d’après la marche ordinaire, nous aurions d’abord examiné les dépenses, et nul doute que nous n’y eussions fait des réductions telles que l’excédent des voies et moyens ne pût servir à l’état de guerre.
Nous n’avons pas suivi cette marche, et l’assemblée n’a pas voter de réductions ; mais si nous pensons tous que l’Etat peut marcher en 1833 avec les mêmes crédits qu’en 1832, sauf les dépenses accidentelles, telles que celle relative à la cour de cassation, nous devons croire aussi que l’augmentation sera employée en frais d’état de guerre. C’est pour cela que je demande qu’on établisse formellement dans la loi que les majorations demandées seront perçues à titre de contributions de guerre. Si, plus tard, on nous demande de nouveaux impôts, nous les accorderons, parce que nous savons que la guerre exige tous les jours des sacrifices ; mais je ne crois pas que nous devions voter en ce moment sans restriction, parce que le gouvernement pourrait se prévaloir de ce vote l’année prochaine et porter encore le budget à 83 millions.
M. d’Elhoungne. - La contradiction relevée par l’honorable M. de Brouckere est réelle. Il est tout à fait insolite de dire, dans une loi, que l’on vote une taxe de guerre, quand cette loi n’est qu’un budget ordinaire.
L’état de guerre est un état extraordinaire, et les dépenses qui le concernent ne peuvent faire partie du budget régulier ; elles doivent faire l’objet d’un budget supplémentaire. J’ajouterai qu’il serait fort singulier d’insérer, dans une loi, une disposition qui n’imposerait pas d’obligation ; car, enfin, la proposition de M. Dumortier n’est qu’une simple explication. Je concevrais qu’on la fît figurer dans un préambule de loi, mais il est impossible qu’on l’introduise dans les dispositions de la loi même. Je ne pense pas qu’on puisse citer un exemple qui autorise une pareille innovation, et certainement il n’y a pas de motif de rompre ici avec les habitudes consacrées chez tous les peuples civilisés. C’est une chose tout à fait inutile et qui pourrait, peut-être, mériter une dénomination plus sévère.
M. H. de Brouckere. - Je suis parfaitement d’accord avec M. Dumortier pour regretter que le gouvernement nous ait mis dans l’obligation de procéder tout à fait à rebours des principes, c’est-à-dire de voter le budget des voies et moyens avant celui des dépenses ; mais nous nous y avons été contraints.
Quant aux explications de l’honorable membre, elles consistent à dire que la chambre, tout en adoptant le budget de 83 millions, entend qu’il ne soit employé que la somme fixée l’année dernière pour les dépenses ordinaires et que le surplus soit employé pour couvrir une partie des frais de guerre. Eh bien ! je vous demande, messieurs si vous pouvez prendre l’engagement de ne pas accorder une somme supérieure à celle de l’année dernière ? Je désire certainement que la somme ne soit pas plus forte, mais il est impossible que nous fassions d’un pareil vœu l’objet d’une disposition de la loi. Du reste, si, comme je le crois, le but de M. Dumortier a été d’avertir le ministère que la partie de la chambre qui votera les 83 millions ne veut pas lui donner la faculté d’employer le tout aux dépenses ordinaires, et que plus tard elle fera sur le budget des dépenses toutes les réductions possibles, ce but est maintenant atteint, car le ministère a entendu cet avertissement et pourra en profiter, s’il le juge convenable.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - J’abonde entièrement dans le sens de l’honorable préopinant. Il est incontestable que les choses se passeront de la manière qu’il a indiquée. Si lors de l’examen du budget des dépenses, qui ne vous a pas été présenté plus tôt à cause des circonstances, il arrive que la chambre impose des économies sur telle ou telle partie, il est évident que l’avantage résultant de ces économies sera appliqué aux dépenses extraordinaires. Par la suite, les dépenses soumises à la chambre par le gouvernement supporteront des réductions ; il y a des colonnes qui sont destinées à disparaître du budget. Tout cela fera des économies qui seront employées pour les contributions extraordinaires de guerre.
M. Davignon. - Je ferai observer que le vœu exprimé par M. Dumortier a été prévenu dans l’exposé des motifs de M. le ministre des finances, qui a dit en substance que la demande qu’il faisait n’était que temporaire, et que le surcroît des dépenses cesserait avec les circonstances qui l’avaient occasionné.
M. Dumortier. - C’est justement cela qui démontre la nécessité d’admettre ma proposition. (Aux voix ! aux voix !)
M. de Robaulx. - Je demande la parole pour faire finir la discussion ; car, si vous continuiez ainsi, vous vous serez livrés à de très longs débats sans qu’il en résulte un centime de diminution pour le peuple. La proposition de M. Dumortier n’a pas de but ; donc il est inutile de s’en occuper. (Aux voix !)
- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix et rejetée.
M. d’Elhoungne propose à l’article du projet du gouvernement un amendement tendant à ce que, pendant l’exercice 1833, on soumette le traitement, les remises et salaires des employés du gouvernement à une retenue progressive, d’après le tarif suivant :
« Sur le 5ème et le 6ème millier de francs, 12 p. c.
« Sur le 7ème et 8ème, 20 p. c.
« Sur le 9ème et 10ème, 30 p. c.
« Sur le surplus de tout traitement excédant 10,000 fr., 40 p. c.
« Cette retenue n’aura pas lieu pour les militaires, ni pour les employés dont le traitement ne dépasse pas 4,000 fr. »
Il le développe en ces termes : Messieurs, vous venez de soumettre à des taxes extraordinaires de guerre l’impôt foncier, les fortunes en portefeuille, l’industrie et le commerce. Je pense qu’en nous proposant d’étendre la mesure à une autre branche de revenu, je rentre dans le système ministériel qui a obtenu votre assentiment, et je croirais faire tort à la justice de la chambre, en doutant un moment qu’après avoir frappé toutes les sources de revenu de la propriété et du travail, elle n’impose une taxe égale sur le revenu des employés.
D’ailleurs, je m’appuie sur un précédent du congrès, qui par une loi du 5 avril 1831 a déjà adopté la mesure dont il s’agit. Le congrès l’avait également appliqué à ceux qui jouissent de pensions en récompense de services rendus à l’Etat, mais j’en ai voulu exempter ces personnes qui méritent certainement quelque intérêt et qui ne doivent trouver dans leurs pensions que de simples aliments non susceptibles de réduction.
J’en ai aussi excepté les deux classes qui dans la loi du 5 avril ont été frappées d’une réduction de 5 à 6 p. c. Voici le motif qui m’a guidé. Dans ces deux classes se trouvent compris des fonctionnaires jouissant de traitements supérieurs à 500 fl. et ne dépassant pas 2,000 florins. J’ai pensé que lorsque nous discuterons la loi sur le nouveau système monétaire, on présentera des amendements tendant à doubler en francs la somme fixée en florins pour le traitement des fonctionnaires. Par là, vous obtiendrez une réduction de 5 1/2 p. c., et par conséquent le même but sera atteint. Quant aux autres bases, je les ai prises dans la loi du 5 avril, qui a obtenu l’assentiment du congrès et de la nation, et qui, je pense, obtiendra aussi celui de la législature.
- L’amendement de M. d'Elhoungne est appuyé.
M. Devaux. - Je me prononcerai contre l’amendement de M. d'Elhoungne.
Je crois que si les traitements des employés sont trop élevés, il faut les réduire ; sinon, il faut les conserver dans l’intérêt de l’Etat ; car plus vous les réduisez, plus vous écartez les hommes capables de l’administration, et plus, par conséquent, vous nuisez à l’Etat.
D’ailleurs, je ne vois pas qu’on puisse faire de grandes réductions sur le traitement des employés après celles qui ont déjà été faites.
Messieurs, ces fonctionnaires ont calculé leurs dépenses sur ce qui leur a été laissé l’année dernière ; ils ont loué des maisons, ils ont pris des engagements, et c’est par un amendement que vous allez leur ôter une partie des moyens sur lesquels ils avaient compté.
Il ne faut pas sans cesse jeter des incertitudes sur leur avenir, si l’on veut qu’ils servent bien l’Etat.
Il y a encore une autre considération à faire valoir, c’est que l’impôt que l’on propose d’établir est extraordinaire, qui fera peser une charge de 40 p. c. sur quelques classes de fonctionnaires.
On parle de les mettre en harmonie avec la contribution foncière : mais je ferai remarquer que ce n’est pas le revenu du propriétaire qui paie ; c’est la contribution foncière, qui est bien en-dessous de son revenu, tandis qu’ici c’est le revenu même qu’on veut imposer.
De toutes manières, je crois que la proposition ne peut être accueillie.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je m’emparerai d’une réflexion très judicieuse qui a été émise plusieurs fois dans cette enceinte par l’honorable M. d'Elhoungne, pour faire remarquer qu’il se met en contradiction avec lui-même, en proposant d’introduire dans une loi de finances un amendement relatif au traitement des fonctionnaires.
A l’occasion d’une loi de recette, messieurs, on vous demande de modifier, par exemple, la loi qui fixe les traitements de l’ordre judiciaire établi par la loi. L’honorable auteur de l’amendement a fait observer plusieurs fois et fort judicieusement qu’on ne pouvait pas démolir une loi de principe par le budget. Or, la loi qui fixe les traitements de l’ordre judiciaire est une loi de principe, une loi organique de la constitution, et qui serait démolie par le budget des voies et moyens, qui, je le sais, est aussi une loi, mais qui n’est pas une loi de principe.
Vous avez, dans votre dernière session, proclamé la nécessité d’améliorer la position des juges ; vous avez cru devoir relever le rang de la magistrature, en corrigeant la parcimonie des traitements ; vous n’avez fait alors que déférer à de légitimes et générales réclamations. Eh bien ! l’année dernière vous avez fait la part des circonstances, et vous avez décidé que les traitements de l’ordre judiciaire, tels que vous les avez fixés, ne seraient touchés qu’à partir de 1834. Ainsi vous feriez supporter deux fois aux membres du corps judiciaire l’influence d’une considération à laquelle vous avez cédé, avec raison selon moi, dans la dernière session. Réfléchissez, messieurs, que ce serait détruire un droit qui leur est moralement acquis par la loi d’organisation judiciaire. En vertu de cette loi qui fixait la position des magistrats, plusieurs d’entre eux se sont déplacés, mus par la perspective de compensations et d’avantages que vous leur enlèveriez.
Je crois que, par ces considérations et celles que vous a présentées mon honorable ami M. Devaux, vous jugerez qu’il n’y a pas lieu d’admettre l’amendement de M. d'Elhoungne.
M. d’Elhoungne. - Que les honorables préopinants demandent l’ajournement d’un amendement qui, certainement, a une haute portée, je le conçois ; mais qu’ils viennent en demander le rejet pur et simple, au moment même où vous venez de puiser avec une aussi grande libéralité dans la bourse des propriétaires, des industriels et des négociants, c’est ce que je ne puis comprendre.
Si le revenu des membres de l’ordre judiciaire se trouve fixé pair une loi, le revenu de la propriété est établi par la loi des lois, qui veut que tout propriétaire jouisse des fruits de l’immeuble qu’il possède, que tout industriel jouisse des fruits de son labeur. Sortir de là, c’est renverser les bases mêmes de la société.
S'il faut établir une différence entre les revenus de ceux qui sont salariés par l’Etat et les revenus des industriels, ne serait-ce pas en faveur des derniers qu’il faudrait l’établir, qui n’ont d’autres rapports avec la trésorerie que comme contribuables et pour y verser une partie importante de leurs revenus ? A mes yeux ce serait faire injure à la chambre, ce serait outrager la raison que d’hésiter un instant sur le choix. Si l’assemblée pense que cet amendement mérite un plus mûr examen, je ne m’oppose pas à ce qu’il soit ajourné à la fin de la discussion ; je serai même le premier à appuyer la proposition qu’on en ferait ; il est loin de ma pensée de vouloir surprendre à la chambre un vote inconsidéré, Sous ce rapport, je n’imiterai jamais la marche suivie dans cette discussion ; marche que j’ai combattue et que je ne cesserai de combattre à chaque fois qu’elle se reproduira.
L’honorable M. Devaux s’est mépris en pensant que ma proposition tendrait à imposer de 40 pour cent les traitements de quelques classes de fonctionnaires. Ce n’est qu’un tarif progressif tel que la raison l’exige ; s’il y a 40 pour cent à prélever, ce ne sera que sur l’excédent des 10,000 premiers francs ; mais en totalité le droit ne s’élèvera pour ces traitements si élevés qu’à 26 pour cent, ce qui produit une différence en moins d’un bon tiers sur l’évaluation de l’honorable député.
D’ailleurs, si je propose ce chiffre, ce n’est pas que je le croie non susceptible de contestation ou même de réduction : c’est la discussion qui doit nous éclairer à cet égard, et si l’on me prouve que le taux est réellement trop élevé, je serai le premier à appuyer la demande d’une juste réduction.
Le motif qui m’a fait présenter ces chiffres dans l’ordre où ils sont établis, c’est qu’une autre assemblée législative les avait déjà consacrés par une loi. C’est la défiance dans mes propres lumières qui m’a empêché de rien changer à l’œuvre du congrès. Je vous l’ai présentée dans toute son intégrité, et j’ai pensé que ce que le congrès avait décrété aux applaudissements, non seulement des membres qui la composaient, mais encore du public, ne serait pas repoussé par la représentation nationale.
M. Devaux. - Je ne sais pourquodit M. d'Elhoungne parle ici de surprise et d’intention de vouloir esquiver la discussion. Il ne s’agit aucunement de surprendre la chambre.
Pourquoi vient-il ainsi jeter subitement dans la délibération un amendement d’une aussi grande importance ? Il me semble qu’il est permis de le combattre et qu’il n’y a pas là de surprise ni d’intention d’esquiver la discussion. L’honorable membre vous a cité l’exemple du congrès ; mais à l’époque dont il s’agit, les traitements des fonctionnaires étaient plus élevés ; ils ont été considérablement réduits. D’ailleurs, à ce précédent j’en opposerai un autre, c’est que la chambre a depuis refusé d’adopter une mesure analogue à celle que M. d'Elhoungne nous présente. J’ajouterai que par suite de la conversion des florins en francs, qui doit avoir lieu, ces traitements seront encore diminués.
M. A. Rodenbach. - Lorsqu’on reçoit annuellement de l’Etat des sommes considérables, il me semble qu’on peut bien payer une légère contribution. J’appuierai donc fortement la proposition de M. d'Elhoungne, car je suis partisan des économies. Mais je pense que nous devons attendre la discussion du budget des dépenses, et alors j’en proposerai une autre dans le cas où celle de M. d'Elhoungne ne serait pas adoptée.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - J’ajouterai aux considérations que vous ont présentées M. le ministre de la justice et M. Devaux que depuis longtemps les employés du ministère sont passibles d’une retenue pour la caisse de retraite. Cette retenue, quoique considérable, est bien loin d’égaler les charges qui résultent de cette caisse de retraite, et j’ajourne les explications à donner sur ce point jusqu’au moment où il s’agira de cette réponse. Mais je dois dire maintenant qu’on a doublé la retenue sur les traitements des employés des finances. Par conséquent il serait injuste de les diminuer encore.
M. Jullien. - Je crois que l’amendement de l’honorable M. d'Elhoungne a une trop haute portée pour que nous puissions en délibérer sur-le-champ. Nous ne sommes pas préparés pour le discuter ; l’article 43 de notre règlement a prévu ce cas. Il porte que la chambre peut suspendre la délibération si elle décide qu’un amendement doit être renvoyé dans les sections ou à une commission. Quant à moi je pense qu’il faudrait peut-être renvoyer celui de M. d'Elhoungne à une commission, mais dans tous les cas je demande qu’on n’en délibère pas séance tenante.
M. d’Elhoungne. - J’appuie ce que vient de dire M. Jullien, et je demande le renvoi de mon amendement en sections ou à un commission.
- La question du renvoi est résolue négativement après une double épreuve.
M. d’Elhoungne. - Je déclare retirer mon amendement, sauf à le reproduite plus tard.
L’article 3 du projet de la section centrale est mis en discussion. Il est ainsi conçu :
« Les amendes, pénalités et condamnations pécuniaires en matière d’impôt sont passibles des additionnels déterminés par l’impôt auquel elles se rapportent.
« Ces additionnels seront dans tous les cas perçus au profit de l’Etat.
« En cas de transaction autorisée par les lois, ils ne seront dus que sur le montant de la transaction. »
M. de Robiano. - Messieurs, je m’étais proposé de présenter un amendement sur cet article, mais la réflexion m’y a fait renoncer. Toutefois je désire motiver mon opinion.
Cet article maintient de nouveau les transactions en matière d’amendes. Je crois qu’il n’y a que dans nos lois que ces transactions sont permises a priori.
Ces transactions, messieurs, permises entre le délinquant et l’employé subalterne me paraissent très immorales. La disposition qui accorde une part dans l’amende aux agents du fisc depuis les employés inférieurs jusqu’aux supérieurs est aussi quelque chose d’immoral et qui donne lieu à beaucoup d’arbitraire. Je n’ai pas voulu faire de proposition à cet égard, mais il me semble qu’il est très fâcheux que ce soit l’administrateur intéressé qui transige ; c’est le juge qui devrait être appelé à décider. Je me bornerai à ces simples observations, car je crois qu’il faut attendre pour faire disparaître cet abus, jusqu’à la révision de nos lois financières.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je désire seulement rectifier une erreur qu’a commise l’honorable préopinant au sujet de la répartition des amendes, car il s’est abstenu de présenter un amendement et a reconnu qu’il fallait attendre la révision générale de nos lois de finances. Je lui répondrai qu’il n’est dans l’administration aucun chef qui ait part aux amendes. Il n’y a absolument que les employés actifs, qui ont contribué à la saisie, qui y participent. Ainsi il y a toute garantie pour les citoyens, puisque les employés supérieurs qui jugent sont désintéressés.
M. Jullien. - Il y a, messieurs dans la première partie de l’article en discussion un luxe de sévérité et de fiscalité dont j’ai peine à me rendre compte. Lorsqu’il vous suffit d’ouvrir le code des pénalités en matière de douanes et d’accises, pour vous convaincre que ces pénalités sont excessives, je ne conçois pas que vous veuillez les aggraver encore.
Réfléchissez, messieurs, que les amendes en matière d’accises sont décuples du droit. Il m’est arrivé de voir des procès-verbaux. Il m’est arrivé de voir des procès-verbaux dressés contre de malheureux saulniers parce que dans le pesage du sel on n’avait pas trouvé la quantité déclarée, et ces procès-verbaux prononçaient des amendes énormes. Eh bien c’est dans un pareil système pénal que l’on propose encore des majorations considérables. Il me semble que si l’on doit porter des majorations quelque part, ce n’est pas là où les peines sont déjà trop fortes, mais où elles sont trop douces.
L’honorable préopinant vous a dit que les transactions étaient immorales. Je ne partage pas son opinion à cet égard. Nos lois fiscales sont un tel guêpier, un tel guet-apens, que ces transactions sont le seul moyen de se sauver des poursuites du fisc ; car, quand l’on se trouve enlacé dans une loi compliquée, à laquelle les avocats eux-mêmes ne comprennent plus rien (cela est arrivé souvent), il n’y a plus d’autre voie à suivre, que de s’adresser à l’indulgence des agents de l’administration. Dans l’état actuel de la législation, c’est la seule planche de salut pour les malheureux contre lesquels on dresse des procès-verbaux. Mais je suis tout à fait de l’opinion de l’honorable membre, quand il pense que c’est une loi immorale que celle qui accorde une part de l’amende aux employés saisissants.
Elle encourage les saisies, elle occasionne des procès-verbaux que l’on fait, comme on dit, perfas et nefas. Tous ceux qui ont siégé dans les tribunaux pourraient dire avec moi qu’ils ont vu plusieurs de ces procès-verbaux portant tout le caractère du mensonge et n’ayant pas d’autre motif que cette part d’amende, qui a tenté la cupidité des employés. Il est toujours immoral de placer un homme entre son devoir et son intérêt, et les employés subalternes de l’administration, placés dans cette situation, peuvent ne pas avoir assez de probité pour ne pas se livrer à des injustices criantes. Je sais bien que ce n’est qu’à la révision de notre système financier, que de pareils abus peuvent disparaître, mais en attendant je m’oppose à l’aggravation de pénalité que l’on propose.
M. d’Elhoungne. - Je partage l’opinion de M. Jullien. L’article en discussion est ainsi conçu :
« Les amendes, pénalités et condamnations pécuniaires, en matières d’impôt, sont passibles des additionnels déterminés par l’impôt auquel elles se rapportent. »
Il y a là un entassement de mots qui étendrait la mesure au-delà des bornes de la raison, ou ils expriment des non-sens. Je ne connais pas deux genres de condamnation en matière d’impôts, les dommages dus au fisc et les amendes. Supprimez les mots « pénalités » et « condamnations. » On ne doit que des dommages ; ou ne doit rien au-delà ; il faut se borner au mot « amende. »
Le législateur doit être mis à même d’apprécier la portée d’une loi ; l’assemblée qui m’a rappelé ce principe, y sera fidèle elle-même. Pour se faire une idée des pénalités introduites dans nos lois fiscales, il faut s’imaginer qu’il y a trois ou quatre mille espèces de contraventions fiscales. On ne doit pas les augmenter ; car on ne pourrait dire quel en serait le résultat. Nous devons donc nous abstenir en appliquant la règle devenue proverbe : dans le doute, abstiens-toi. Les amendes s’élèvent, en matière d’accises, jusqu’à 20, 30, 40, 100 mille fr. ; pouvez-vous majorer des peines aussi fortes ?
M. H. de Brouckere. - J’ai exprimé mon opinion sur le budget, et j’ai dit quels motifs m’empêcheront d’en voter l’adoption. Cependant, voulant qu’il soit le moins mauvais possible, je vais plus loin que le préopinant, et je demande qu’il y ait, dans la loi une disposition contraire à celle que l’on nous propose. Je demande que l’article soit remplacé par celui-ci :
« Les amendes, pénalités et condamnations pécuniaires ne sont, en quelque matière que ce soit, passibles de centimes additionnels.
« En cas de transaction, autorisée par les lois, le montant de la transaction sera aussi exempt de toute augmentation. »
Comment a-t-il pu entrer dans la tête de qui que ce soit d’augmenter les pénalités dans des lois fiscales et dans des lois de principes ? Quoi, tel délit, puni en 1832, sera puni différemment en 1833 ? Dans un budget qui n’a de vigueur que pour une année, on ne peut augmenter ni diminuer les peines infligées pour les délits ou contraventions. Considérez dans quelles absurdités vous tomberiez d’après l’article proposé : dans certains cas, les contraventions ou délits sont punis d’un emprisonnement ou d’une amende équivalente ; vous augmenteriez l’amende sans augmenter l’emprisonnement, de sorte que la loi n’aurait plus le même caractère d’équité. J’espère que, d’après ces motifs, la chambre n’hésitera pas à adopter l’amendement que je propose, et que je vais déposer sur le bureau.
M. de Robiano de Borsbeek. - J’appuie la proposition de MM. Jullien et de Brouckere : en général, la rigueur des lois empêche leur application. Les amendes sont déjà trop fortes, je désire donc qu’elles ne soient pas augmentées de centimes additionnels.
Quant aux transactions avec l’administration, je crois que nous sommes le seul pays où elles soient permises entre le délinquant et l’agent du fisc. Je suis persuadé que l’administrateur supérieur n’a pas sa part dans le partage ; mais c’est déjà un grand malheur que les administrateurs subalternes partagent le résultat de ces transactions.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je pense, messieurs, qu’au lieu d’une rédaction nouvelle, il faudrait se borner à la suppression de l’article ; car alors les lois en vigueur reprennent leur marche.
M. A. Rodenbach. - Je demande, ainsi que le ministre, la suppression de l’article.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Dans une discussion qui a eu lieu, plusieurs orateurs ont manifesté le désir de voir augmenter la part des employés intérieurs du fisc, afin de rendre plus active leur surveillance contre les fraudeurs ; cela a porté mon prédécesseur à faire droit au vœu de la chambre et, par un arrêté royal, la part des employés a été déterminée à 50 p. c. Il en est résulté de très bons effets : les employés mettent plus de zèle, et poursuivent les fraudeurs avec plus d’activité ; ce qui est dans l’intérêt de notre industrie.
M. H. de Brouckere. - Mon amendement ne pourra avoir aucun mauvais résultat, et dans certains cas, au contraire, il pourra lever beaucoup de doutes. Un contrevenant sera condamné à une amende équivalente à dix fois le droit ; mais le droit est augmenté de centimes additionnels ; l’agent du fisc doutera s’il doit augmenter aussi d’après les centimes additionnels. J’ai rédigé une proposition et l’ai mise sur le bureau.
M. A. Rodenbach. - Les lois pénales hollandaises sont déjà assez dures ; on ne doit pas augmenter leur rigueur.
M. Jullien. - Je crois que l’amendement est inutile si l’on veut rester dans la législation fiscale, dans la législation de 1822. Dans cette législation, il y a, je crois, une disposition qui dit qu’on ne percevra pas les centimes additionnels sur les amendes, les pénalités, et les condamnations fiscales. Je suis étonné qu’on vienne sous le gouvernement nouveau, proposer une disposition semblable à celle de l’article 3.
Je le répète, l’amendement est inutile ; nous restons dans la loi hollandaise ; nous gardons ce qu’elle a de bon et de mauvais.
M. H. de Brouckere. - Si la disposition était dans toutes les lois fiscales, je retirerais mon amendement ; sans cela, je persiste dans ma proposition. Mon amendement est encore important pour les transactions ; elles se font dans l’intérieur du bureau : les agents du fisc pourraient laisser croire au contrevenant que les centimes additionnels doivent frapper le montant de la transaction qu’il doit payer ; il faut donc mettre une disposition qui l’éclaire. La plupart des agents du fisc se conduisent avec loyauté, désintéressement ; mais personne n’oserait soutenir que parmi eux, il n’en est pas un qui n’ait envie d’abuser de sa position. Pour éviter cet abus, on doit insérer dans la loi la disposition que je propose.
M. Faider, commissaire du Roi. - Je dois faire remarquer que l’amendement doit être modifie dans sa rédaction : il faut que l’on explique que le montant des droits fraudés comprend et le principal et les centimes additionnels.
M. H. de Brouckere. - C’est juste.
M. Faider, commissaire du Roi. - Les lois fiscales interprétées par des agents du fisc s’interprètent toujours dans l’intérêt du fisc.
M. H. de Brouckere. - Il n’y a qu’à ajouter à mon amendement :
« La présente disposition ne s’applique pas au montant des droits fraudés. »
M. Angillis. - J’allais faire une observation semblable à celle que vient de présenter M. le commissaire du Roi. J’appuie l’amendement de M. de Brouckere que je crois très nécessaire. Il est des lois qui s’expriment clairement sur les centimes additionnels ; mais il en est d’autres qui gardent le silence. Je ne dirai rien sur l’article en discussion, on a suffisamment montré qu’il était monstrueux.
M. de Theux. - Je demanderai simplement la suppression de l’article du gouvernement ; je ne trouve aucune utilité à admettre l’amendement de M. de Brouckere. Il y a toujours inconvénient à introduire dans un budget de voies et moyens des dispositions qui ne sont bien placées que dans des lois spéciales.
- L’amendement de M. de Brouckere est mis aux voix et adopté à une très grande majorité.
On passe à l’article 4 du projet, ainsi conçu :
« Toutes les dispositions de la loi du 29 décembre 1831, auxquelles il n’est pas dérogé par la présente, sont maintenues.
« Néanmoins la dernière disposition de l’article 4 de ladite loi, qui soumet à l’impôt les foyers excédant le nombre de douze, est abrogée. »
M. d’Elhoungne. - La première partie de cet article est tout à fait inutile, car il est de principe que toutes les lois existantes auxquelles on ne déroge pas continuent de rester en vigueur. Sous ce rapport il faut retrancher la première disposition de l’article.
Quant à la seconde je ne puis pas l’admettre par une raison toute simple, c’est qu’elle tend à rétablir en faveur de l’opulence un privilège en matière d’impôts. Vous devez vous rappeler que dans la loi sur la contribution personnelle, on a exempté de l’impôt des foyers les cheminées au-delà du nombre 12. Eh bien ! messieurs, les habitations qui comptent plus de 12 foyers appartiennent évidemment aux classes riches : vous voyez donc que c’est un privilège que vous leur accordez, tandis que s’il pouvait y en avoir en matière d’impôt ce serait le principe tout opposé qui devrait prévaloir. Le dernier paragraphe de l’article 4 aurait pour objet de faire revivre ce privilège que vous aviez aboli l’année dernière. On vient de vous dire que la mesure que vous avez adoptée n’a pas tourné au profit du trésor, mais je ne puis croire que pour éviter d’être atteintes par cet impôt les personnes riches aient pris le parti de supprimer un certain nombre des cheminées existant dans leurs hôtels ou leurs châteaux.
M. Jullien. - Je partage l’avis de l’honorable M. d'Elhoungne pour la première partie de l’article, qui me semble aussi inutile ; mais je ne pense pas comme lui relativement à la seconde partie ; j’adopte au contraire la proposition de la section centrale qui a voulu rapporter une disposition injuste votée l’année dernière. En effet, messieurs, on a fait sentir avec raison que c’est un impôt qui pèse presque exclusivement sur les aubergistes qui par état sont obligés d’avoir un nombre de cheminées considérable et bien au-dessus de 12. Je pense qu’il est dans l’intérêt de tous et dans celui du fisc de ramener les choses à l’ancien système, parce que les personnes riches éviteront facilement l’impôt qu’on veut faire peser sur eux en bouchant les cheminées de leurs hôtels excédant le nombre de 12.
M. de Robiano. - J’ajouterai à ce que vient de dire M. Jullien que M. le ministre des finances nous a donné l’espoir que dans la loi nouvelle sur l’impôt personnel, il ne serait plus question des cheminées. Je saisirai cette occasion pour dire un mot de deux autres contributions, je veux parler d’abord de celle qui impose les messageries au profit de la poste aux chevaux. Il me semble que si le tarif en était baissé, les maîtres de poste obtiendraient eux-mêmes un produit assez avantageux parce qu’on se servirait beaucoup de la poste. La seconde contribution dont j’ai entendu faire mention, c’est la vérification des poids et mesures.
- Plusieurs voix. - Ce n’est pas là la question ; à la question !
- L’orateur se rassied.
M. Mary. - On a aussi élevé dans la section centrale la question de savoir si la première disposition de l’article n’était pas inutile, mais on a répondu que d’après l’article 111 de la constitution, les lois de l’impôt n’ont de force que pour un an, et il nous a semblé que cette disposition ne pouvait être supprimée.
Quant à la seconde, elle tend à réparer une erreur que l’honorable membre qui y a donné lieu aurait voulu voir rectifier dès le lendemain même de l’adoption des amendements.
M. Gendebien. - L’amendement que j’ai présenté l’année dernière, messieurs, portait deux parties distinctes. Par la première je demandais qu’on exemptât les maisons où il n’y aurait qu’un seul foyer. Je plaidais alors la cause du pauvre, et par compensation, je voulais établir une taxe sur les riches, en frappant de l’impôt les cheminées de leurs hôtels au-dessus de 12. On a rejeté la première partie de ma proposition, et la seconde a été votée si précipitamment que je n’ai pas eu le temps de dire que je la retirais. Le lendemain je demandai que l’on exemptât les aubergistes de la mesure. Eh bien ! je fais encore la même proposition aujourd’hui ; je veux encore qu’on laisse peser l’impôt sur le riche, et qu’on en affranchisse les hôteliers et les aubergistes.
On a dit qu’il n’avait rien produit ; mais je trouve étonnant que quand on veut supprimer une contribution sur les riches, on dise qu’elle ne produit rien tandis qu’on ajoute à ceux du pauvre. Quant à moi je suis convaincu que dans toute la ville de Bruxelles on n’a pas bouché une seule cheminée au-dessus de 12 pour s’affranchir de la disposition adoptée l’année dernière.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je répondrai à l’honorable M. Gendebien qu’en comparant la masse des produits de deux années l’administration est à même de voir si une mesure a été avantageuse au trésor. C’est en faisant cette comparaison que nous avons vu que la disposition adoptée l’année dernière tout en excitant beaucoup de plaintes, n’a pas été productive. (Aux voix ! aux voix !)
M. de Robaulx. - Il me semble que je puis bien présenter une observation. On a dit que l’impôt mis sur les foyers au-dessus de 12 avait donné lieu à la fermeture de plusieurs foyers. Je crois qu’il y a un autre motif, c’est que dans les grandes villes on n’a que trop remarqué depuis la révolution, que beaucoup de gens riches se sont en allés et n’ont pas conservé 12 foyers seulement, mais n’en ont conservé que deux ; c’est que les riches ont été promener leur luxe à la campagne ou à Paris. Je suis de l’avis de ceux qui veulent conserver l’impôt sur les cheminées excédant le nombre 12, même pour les hôteliers, sur le sort desquels je ne m’apitoie guère ; car ce ne sera pour eux qu’un impôt indirect qu’ils feront payer par les voyageurs. On sait que tous les aubergistes s’enrichissent.
D’un autre côté, messieurs, s’il est désagréable pour les grandes maisons qui ont 20 à 25 foyers, de devoir fermer ceux qui sont inutiles, je demanderai s’il ne l’est pas bien davantage encore pour ceux qui n’en ont que 6 et qui ne peuvent, à cause de leurs moyens, en employer que 2. Ceux-là doivent fermer 4 foyers et rendre leurs appartements humides. Eh bien ! pourquoi donc les gens riches ne pourraient-ils pas laisser tous leurs foyers ouverts, quand ce ne serait uniquement que pour assainir leurs appartements ?
Je demande qu’on laisse subsister la perception sur toutes les cheminées excédant le nombre 12, parce qu’elle ne frappe que l’opulence. (Aux voix ! aux voix !)
- La première partie de l’article 4 est mise aux voix et adoptée.
M. le président se dispose à consulter la chambre sur l’amendement de M. Gendebien.
M. Gendebien. - Je dois faire observer que mon amendement ne doit être mis en délibération, que pour autant que la disposition du projet de loi sera rejetée.
- La deuxième disposition de l’article 4 est mise aux voix. L’épreuve étant douteuse, on demande l’appel nomina1. En voici le résultat.
Sur 68 membres 37 ont voté pour et 31 contre. En conséquence, cette disposition est adoptée.
M. d’Hoffschmidt dépose un amendement relatif au Limbourg et au Luxembourg et commence à le développer, mais on demande le renvoi de la discussion à demain.
- La séance est levée à 4 heures un quart.
Membres absents sans congé à la séance du 19 décembre 1832 : MM. Brabant, Coghen, de Muelenaere, de Woelmont, Dumont, Jaminé, Legrelle et Pirson.