(Moniteur belge n°239, du 26 novembre 1832 et Moniteur belge n°330, du 27 novembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
A midi et demi, il est procédé à l’appel nominal ; la chambre est en nombre pour délibérer, et la séance est ouverte.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Jacques présente l’analyse de plusieurs pétitions adressées à la chambre ; ces pétitions sont renvoyées à la commission spéciale.
- M. Dubois, dont l’admission avait été prononcée dans l’une des séances précédentes, est introduit et prête serment.
M. le président. - Il y a deux objets à l’ordre du jour, un rapport sur les pétitions ou la continuation de la discussion des paragraphes de l’adresse.
M. Pirson. - Dans les pétitions, il y en a une qui paraîtrait urgente ; mais je sais que celui qui l’a présentée a reçu réponse de M. le ministre de la justice.
La chambre continue la discussion des paragraphes de l’adresse en réponse au discours du trône.
La chambre en est restée aux paragraphes 4 et 5, ainsi conçus :
« § 4. Si, pour le repos de l’Europe, Votre Majesté a pu amener les puissances garantes du traité du 15 novembre à en assurer l’exécution, nous ne doutons pas que, fidèles à leurs engagements, elles ne se borneront pas à un simple commencement d’exécution. »
« § 5. Votre Majesté aura eu soin de s’assurer que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle se sera également assurée que l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du Luxembourg n’auront pas lieu avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité. Dans ce cas, la nation accueillera avec reconnaissance les fruits de la politique du gouvernement. S’il en était autrement, le ministère aurait méconnu les intentions de la chambre qui ne pourrait que protester contre l’évacuation préalable du Limbourg et du Luxembourg. »
M. Dumont. - Pour remplacer les paragraphes 4 et 5, je proposerai l’amendement suivant :
« Après des délais interminables, l’obstination de la Hollande a amené l’emploi des moyens coercitifs de la part de deux alliés de Votre Majesté. Comme vous, Sire, ils savent que depuis longtemps la mesure des concessions est comblée de notre part, et nous avons la certitude que le roi des Belges défendra avec la dernière énergie et nos droits, et nos intérêts, et l’honneur national. Au milieu des circonstances qui nous pressent, et dans l’état incomplet des négociations qui nous ont été communiquées, la chambre des représentants croit, dans l’intérêt de l’Etat, devoir s’abstenir de se prononcer sur la marche suivie par le ministère. »
M. le président. - Le but de l’amendement tend à la réunion des quatrième et cinquième paragraphes.
M. Dumortier, rapporteur de la commission qui a été chargée de rédiger le projet d’adresse. - Messieurs, il est impossible de diviser les paragraphes 4 et 5 ; il y a connexité entre eux ; il y a beaucoup d’amendements qui se rapportent en même temps à l’un et a l’autre.
- La chambre décide que la discussion des paragraphes 4 et 5 sera simultanée.
M. le président. - Je vais lire plusieurs amendements proposés sur les paragraphes en discussion.
Vous venez d’entendre celui de M. Dumont.
Voici l’amendement au paragraphe 5 qui a été proposé dans la séance du 21 de ce mois par M. Deleeuw :
« Votre Majesté aura eu soin de s’assurer que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle se sera également assurée que l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du Luxembourg n’auront pas lieu, sans la certitude que la Belgique et les populations que l’on sépare d’elle jouiront des droits et des garanties résultant du traité. »
- Plusieurs membres. - Cet amendement a été retiré.
M. le président. - Voici celui qui le remplace et qui a été proposé dans la séance du 23 :
« Le gouvernement de Votre Majesté aura eu soin de s’assurer que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Il se sera également assuré que les territoires qui doivent être détachés de la Belgique ne seront pas réunis à la Hollande, avant que celle-ci ait formellement accepté et ait pris l’engagement de remplir les conditions attachées à la possession des parties du Limbourg et du Luxembourg qui lui sont assignées par le traité du 15 novembre. »
Voici l’amendement de M. de Brouckere, proposé dans la séance du 21 :
« Votre Majesté aura soin de s’assurer que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle aura exprimé sa ferme résolution de n’abandonner les parties du Limbourg et du Luxembourg, assignées à la Hollande par le traité du 15 novembre, qu’après l’adhésion du gouvernement hollandais à ce traité.
« Dans ce cas, la nation ne pourrait qu’approuver la politique du gouvernement. S’il en était autrement, si le ministère avait eu l’imprudence de s’engager à une évacuation de territoire avant l’échange des ratifications, il aurait méconnu les intentions de la chambre, qui ne pourrait que protester contre des engagements auxquels il n’était point en droit de souscrire. »
Voici un amendement de M. Ullens :
« Votre Majesté aura eu soin de s’assurer que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique ; et la chambre aime à croire que Votre Majesté a pris toutes les précautions qui sont en son pouvoir, afin que la ville d’Anvers, déjà frappée sous tant de rapports des fléaux de la guerre, n’ait pas à souffrir davantage des mesures jugées nécessaires pour l’évacuation du territoire. »
Voici deux amendements de M. Dumortier
Le premier, relatif au paragraphe 5 seulement ; le second aux paragraphes 4 et 5.
Le premier est ainsi conçu :
« Le ministère, en consentant à l’évacuation des parties du Limbourg et du Luxembourg arrachées à la Belgique sans avoir préalablement obtenu l’adhésion de la Hollande aux 24 articles, a sacrifié l’honneur et l’intérêt du pays, et a enfreint la loi qui seule a pu autoriser la signature du traité du 15 novembre, et qui ne l’a autorisée que dans les termes mêmes du traité. »
Le second est ainsi conçu :
« Si le refus obstiné de la Hollande d’accéder au traité du 15 novembres a dû forcer Votre Majesté d’en réclamer l’exécution des puissances qui s’en étaient déclarées garantes, la chambre des représentants n’a pu voir sans une vive douleur que la partie la plus désastreuse du traité allait seule recevoir son exécution, en laissant indécises toutes les questions fondamentales, alors que les cinq cours ont formellement déclaré que, « se réservant la tâche et prenant l’engagement d’obtenir l’adhésion de la Hollande aux 24 articles, quand même elle commencerait par les rejeter, elles garantissaient de plus l’exécution du traité déclaré final et irrévocable.
« Ce n’est qu’à cette condition, Sire, que la Belgique a donné son adhésion à un traité qui consacre les plus criantes injustices, nous impose une dette énorme que nous n’avons pas contractée, et nous arrache une partie de ceux qui, de tout temps Belges comme nous, avaient les mêmes droits que nous à secouer le joug de la Hollande.
« Le ministère, en consentant à l’évacuation des parties du Limbourg et du Luxembourg arrachées la Belgique sans avoir préalablement obtenu l’adhésion de la Hollande, a sacrifié l’honneur, et l’intérêt du pays ; il a enfreint la loi qui seule a pu autoriser la signature du traité du 15 novembre, et qui ne l’a autorisée que dans les termes mêmes du traité ».
Une addition est proposée à l’amendement de M. Deleeuw par M. Mary ; elle est ainsi conçue « Votre Majesté empêchera surtout que la navigation de l’Escaut et de la Meuse ne soit entravée ou grevée d’autres droits que ceux qui existaient au 9 juin 1815, époque à laquelle le congrès de Vienne déclarait dans l’article 3 de son acte général que ces droits ne pouvaient en aucun cas excéder ces exigences à cette date ; dans son article 109, que cette navigation ne pouvait, sous le rapport du commerce, être interdite à personne, et que les règlements qui la concernaient seraient conçus d’une manière uniforme pour tous ; et en outre, dans son article 4 de l’année relative à la navigation de la Meuse, que les droits existant en vertu des décrets du gouvernement français du 12 novembre 1806 et du 10 brumaire an XIV, ne seraient pas augmentés, dispositions qui toutes sont conformes à la lettre et à l’esprit de l’article 9 du traité du 15 novembre 1831.
« Elle empêchera également que la portion de la dette mise à la charge de la Belgique, et dans laquelle est déjà compris le calcul de la majeure partie du passif du syndicat d’amortissement, ne se trouve augmentée que par suite de la liquidation de cet établissement.
M. Mary. - Je proposerai une nouvelle rédaction de cet amendement.
M. le président. - M. Dumont a la parole pour exposer les motifs de son amendement.
M. Dumont. - Messieurs, je dois déclarer que je ne suis pas l’auteur de l’amendement. Il m’a été communiqué. L’auteur n’ayant pas cru devoir le présenter lui-même, j’ai pensé rendre service à mon pays en m’en emparant.
Le ministre des affaires étrangères a dit hier :
« Ainsi, vous vous prononcez sur la conduite du ministère actuel, vous prononcerez une sentence sur un procès qui n’est pas instruit. Je crois que ce serait jeter le gouvernement dans de grands embarras ; que ce serait très funeste au pays. En attendant que le ministère puisse se justifier, je crois qu’il est sage de s’abstenir de prononcer.
« On pourrait, il est vrai, recourir à un comité général pour entendre le ministère ; mais, comme le secret est impossible dans une assemblée, ce moyen ne pourrait convenir. »
- L’amendement, étant appuyé par plus de cinq membres, reste en délibération.
M. Deleeuw. - Avant d’exposer les motifs de mon amendement, je crois que l’on devrait statuer sur l’amendement de M. Dumont.
M. le président. - L’intention de l’assemblée est que tous les amendements soient développés. On verra ensuite auquel on donnera la priorité.
M. Pirson. - Je demande la parole pour un sous-amendement.
M. Jullien. - Je demande la parole contre tous les amendements.
M. Deleeuw. - J’ai renoncé à mon premier amendement parce que je l’ai trouvé insuffisant et trop vague. J’en ai été convaincu, surtout après avoir entendu le discours prononcé hier par l’honorable M. de Muelenaere. J’ai pensé que, puisqu’il s’agissait d’une exécution partielle du traité du 15 novembre, nous avions droit de demander des garanties, mais que nous ne pouvions aller jusqu’à demander l’adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre. J’ai donc cru qu’on pouvait trouver un moyen terme, que nous pouvions demander à la Hollande l’adhésion partielle, ou l’adhésion à la partie du traité pour l’exécution de laquelle on prend des moyens de coercition. Je n’ai pas besoin de développer davantage mon amendement.
Par ma proposition, le but des articles 9, 11, 21 du traité du 15 novembre sera rempli, et peut-être le but de l’article 5. Je pense qu’il est prudent de ne pas aller plus loin, et qu’il ne fait pas se prononcer comme dans le paragraphe 5 du projet de l’adresse.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, c’est sur ce qui fait l’objet du paragraphe que nous discutons, qu’a roulé la discussion générale tout entière ; il me semble superflu de traiter de nouveau à fond, et avec tous les développements dont elle est susceptible, une question qui me paraît pleinement éclaircie, et qui est arrivée à un tel point de maturité, que chacun doit avoir son opinion formée.
Trois opinions ont été soutenues.
Les uns veulent qu’on blâme le gouvernement pour avoir consenti à une exécution partielle du traité du 15 novembre ; pour avoir consenti à une évacuation partielle du territoire belge avant que la Hollande ait donné son adhésion formelle, pleine et entière, aux dispositions du traité du 15 novembre.
D’autres soutiennent, au contraire, que le gouvernement a pu, a dû agir ainsi qu’il l’a fait.
Vient alors une troisième opinion, qui est celle de ceux qui voudraient qu’on ne dît rien et qu’on laissât aller les choses jusqu’à ce que tout soit consommé. Et prenez bien garde, messieurs, qu’au nombre de ceux qui professent cette opinion, je range aussi ceux qui présentent et soutiennent de ces petits amendements insignifiants qui ne disent rien.
Au nombre de ces amendements, il faut compter celui que vient de proposer le préopinant. Voilà les petits moyens innocents qu’on emploie pour empêcher de vous exprimer d’une manière nette et franche.
Messieurs, n’allons pas par des détours. Nous connaissons le système du gouvernement : il nous a été exposé. Et je dois le dire, si M. le ministre des affaires étrangères n’a pas eu tout le succès qu’il eût pu désirer, du moins il a mis dans sa défense toute la décence et toute la modération que nous devions attendre de la part du gouvernement dans des discussions de ce genre.
Messieurs, le ministère nous a demandé lui-même une solution rapide et nette de la question ; satisfaisons la demande du gouvernement. Je l’approuve quand il demande que nous nous expliquions complétement. Pour répondre à son attente, il y a à choisir entre deux opinions : ou vous devez approuver le système du gouvernement, ou vous devez le blâmer.
Messieurs, vous savez dans quel sens est rédigé l’amendement que j’ai présenté : il est au fond conforme au vœu de la commission ; seulement j’ai trouvé que la rédaction du projet de la commission laissait quelque chose à désirer, et je pense que parmi les membres de la commission, il s’en trouve de mon avis ; mon amendement tend donc à ce que nous déclarions que nous désapprouvons la marche suivie par le ministère ; et pour soutenir mon amendement, je n’aurais besoin que de me servir des paroles du ministère.
Le traité du 15 novembre est notre droit politique extérieur. L’exécution de ce traité appartient au gouvernement, j’en conviens ; mais j’ajoute : il ne lui appartient pas de dépasser les bornées tracées dans ce traité.
Dans sa réponse du 3 novembre, il a dépassé les époques fixées par l’article 24.
Comme ministre d’Etat, M. le comte de Mérode a lui-même avoué que la faute du ministère se trouvait dans l’article 24 ; mais il a ajouté qu’il fallait mettre le traité en regard d’autres documents. J’ai sommé le gouvernement de montrer ces pièces, et il n’en a montré aucune. On ne cite pas non plus d’acte du pouvoir législatif qui ait révoqué en tout ou en partie le traité du 15 novembre, lequel reste notre droit public.
On ne manquera pas de vous dire qu’un engagement a été pris et qu’il faut le tenir religieusement ; mais cet engagement a été pris par des personnes qui n’avaient pas le droit de le souscrire ; cet engagement ne lie pas la nation.
Il est de principe que le mandataire ne peut jamais dépasser les bornes de son mandat, sans quoi le mandant peut désavouer son mandataire ; eh bien ! c’est un désaveu que nous formons.
Mais on objectera encore que, dans la réponse du 3 novembre, le ministre a dit n’agir que d’après les ordres d’un haut personnage, et qu’il faut que nous nous gardions bien de le compromettre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous ne l’avons pas dit.
M. H. de Brouckere. - Je ne dis pas que vous l’ayez ainsi exprimé ; je dis que vous viendrez avec cet argument ; je veux le prévenir en le réfutant. (Murmures.)
Messieurs, on ne manquera pas de vous faire entrevoir que le gouvernement ayant agi d’après les ordres du Roi, il a été de son devoir de les suivre.
Je ferai observer que la note du 3 novembre a été signifiée à deux gouvernements qui connaissent la responsabilité ministérielle : le gouvernement anglais et le gouvernement français savent comme on le sait en Belgique que le roi ne peut mal faire, et que si nous répudions la note du ministre des affaires étrangères, c’est l’œuvre du ministère que nous répudions et l’œuvre du ministère toute seule.
Je ne crois pas que cet argument puisse avoir de l’influence sur la forme.
- L’amendement est appuyé par plusieurs membres.
M. F. de Mérode. - Messieurs, M. de Brouckere vous a dit que moi-même j’avais reconnu la culpabilité du ministère, en raison de l’article 24 du traité du 15 novembre ; mais c’était en isolant l’article des actes postérieurs que l’on pouvait ainsi conclure contre les ministres ; et j’ai eu soin d’ajouter encore, « à moins toutefois, ce qui serait juste, qu’il nous parût préférable de traiter les affaires extérieures avec un genre d’argumentation moins rigoureux que celui dont usent les avocats devant les tribunaux ; et convenable de tenir compte des faits plus puissants en politique que les démonstrations, fussent-elles mathématiquement exactes. »
Et lorsque M. H. de Brouckere eut réitéré son exigence d’actes notoires, de pièces émanées des chambres, je lui répondis de nouveau que j’avais parlé, non devant un tribunal, mais devant une assemblée politique.
Le préopinant vient de vous déclarer qu’il est du devoir de la chambre d’accéder aux invitations des ministres, qu’il est de son devoir d’approuver ou de blâmer hautement leur conduite. Non, messieurs, telles ne sont point vos obligations : le devoir de la chambre est de considérer ce qu’elle juge le plus utile à la chose publique, et d’adopter, avant tout, ce principe de premier ordre, conformément aux sentiments exprimés par l’honorable M. Dumont.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, dans un incident de la discussion actuelle, j’ai eu l’occasion de dire, et je suis bien aise de le répéter, que la question d’existence ministérielle est peu de chose pour nous en présence des grands intérêts qui se débattent dans cette enceinte, et si cette question pouvait avoir quelque importance à nos yeux, ce serait à cause de l’obligation où nous sommes, non pas comme ministres, mais comme députés, comme citoyens, de plonger au-delà d’une mutation ministérielle, de demander à la majorité, qui deviendrait opposante, si elle a bien calculé toutes les conséquences de la désorganisation du cabinet, au milieu des circonstances graves qui se pressent d’heure et heure.
Si la majorité, qui déclarerait que le gouvernement a suivi une marche préjudiciable aux intérêts du pays, a une administration toute prête, toute constituée à subsister à celle qui existe, qu’elle prenne acte de la déclaration que je fais ici, que, quels que soient les hommes qui composeront ce cabinet, je leur offre l’appui sincère de mes votes et de mes faibles moyens, s’ils apportent au pouvoir des intentions droites et des vues conformes aux vrais intérêts nationaux.
J’ai assez prouvé qu’alors même que je n’applaudis par à tous les actes d’un ministère, je n’hésite pas à l’appuyer. C’est que je sais faire la part des circonstances où nous nous trouvons, c’est que je sais apprécier les difficultés de la position des hommes du pouvoir, et, c’est ainsi que pendant la session dernière j’ai appuyé presque systématiquement le précédent cabinet, bien que tous ses actes n’eussent pas mon approbation. Mais je voyais des hommes qui, comme tous ceux qui viendront aux affaires dans des temps de crise, pour rester, parfois, au-dessous des grands événements dont nous sommes les témoins, ne s’en trouvaient pas moins à la hauteur de leurs fonctions par la droiture de leurs intentions et la loyauté de leur caractère.
Oui, qu’on marche droit au but. Si vous ne voulez pas du ministère actuel, donnez-lui des successeurs ; mais qu’on ne vienne pas ensuite l’appuyer timidement, et surtout qu’on ne recule pas devant cette crainte puérile, indigne d’un député loyal, de passer pour faire du ministérialisme : comme si le gouvernement constitutionnel pouvait faire un seul pas, sans qu’il y eût, dans les chambres une majorité pour appuyer hautement et sans rougir les actes du cabinet !
Messieurs, je n’ai pas hésité à accepter le pouvoir dans ces circonstances, parce que les difficultés étaient grandes. C’est pour la seconde fois que de semblables motifs m’ont amené au ministère. J’aurais considéré comme une lâcheté de ne pas répondre à la confiance qu’on voulait bien placer en moi, précisément parce que les difficultés étaient grandes, effrayantes, et rendaient presque impossible, j’en pourrais citer des témoins irrécusables, la composition de toute administration nouvelle.
Est-ce une misérable ambition qui nous appelle ici ? Il faudrait qu’elle fût bien robuste, cette ambition, qui vous clouant au banc ministériel, semble autoriser de la part de l’opposition tout ce que l’injure a de plus poignant, tout ce que le sarcasme a de plus incisif. Oui, que d’autres viennent s’attacher à ce carcan, et, qu’ils soient catholiques ou libéraux, je déclare que je les soutiendrai parce qu’il est du devoir d’un loyal mandataire de fortifier un pouvoir naissant, sauf à se montrer moins indulgent plus tard.
Si tout est noble, si tout est légitime, si tout conduit à la popularité dans l’opposition, et si, quand on soutient l’administration, on doit être appelé l’avocat obligé de tous les ministères, comme cela est arrivé hier à mon honorable ami (M. Devaux ), lui que ses antécédents devaient mettre plus que tout autre à l’abri d’une si inconvenante attaque, si une pareille réprobation prend faveur, il n’y a plus de gouvernement possible.
Je le répète donc, faites un nouveau ministère, mais appuyez-le sans fausse honte, mais ne reculez plus devant la crainte d’effleurer votre popularité en faisant ce qu’on appelle du ministérialisme.
Il se passe, messieurs, dans cette discussion, une chose assez étrange. L’ancien ministre des affaires étrangères est venu vous dire, et il en sait quelque chose apparemment : « J’ai conçu un système, je l’ai exposé aux chambres ; il a eu leur assentiment, et c’est sous leur influence que j’ai posé tous mes actes. » L’homme qui s’est chargé d’exécuter ce système vient vous dire aujourd’hui : « Le système, je l’ai conclu comme mon prédécesseur, j’ai contribué à le soutenir à Londres d’après ses inspirations ; plus tard je l’ai exécuté, et pas un désaveu, pas une désapprobation ne s’est élevée contre ce système. »
Comment répond-on à ces deux hommes, l’un créateur, l’autre exécuteur du système ? On leur dit : Vous n’y avez rien entendu, vous n’avez pas su ce que vous faisiez, et vous avez pris à rebours l’intention de la chambre. Aujourd’hui nous répudions vos actes, et nous prétendons que vous n’avez pas compris un mot de ce que nous avions dit dans notre adresse.
M. Fleussu adresse à ces voisins quelques paroles qui ne parviennent pas jusqu’à nous.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - M. Fleussu, vous parlerez à votre tour ; j’aurai grand plaisir à vous écouter ; mais, en ce moment, je ne voudrais pas entendre votre bourdonnement incommode.
M. Fleussu. - Je m’adressais à M. Gendebien.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, la chambre n’a pas pris l’initiative du système, il lui a été exposé et elle y a donné son adhésion. Maintenant la chambre prétend qu’on ne l’a pas comprise, que ses intentions ont été méconnues. Eh bien ! nous croyons que la chambre est de bonne foi. Mais s’il en est ainsi, si par un malentendu, des actes se sont accomplis par suite d’un programme diplomatique imposé par la chambre, mal compris par le cabinet, cette leçon ne produira-t-elle pas quelque fruit ? Si votre volonté a été mal comprise par des hommes dont vous n’accusez ni la loyauté, ni la droiture, ni la sagacité, ce doit être pour vous une leçon sévère, et la chambre sentira que quand il s’agit de traduire sa pensée en un système de politique extérieure, elle ne saurait y apporter une trop grande circonspection.
Nous faisons l’apprentissage du gouvernement constitutionnel ; si nous ne voulons pas y rester stationnaires, sachons profiter des fruits de l’expérience.
Le système qui vous avait été exposé par le précédent ministre des affaires étrangères a reçu une déviation momentanée, et je dois en rendre grâce à la chambre, elle ne l’a pas désapprouvée. Cette déviation fut inspirée par le patriotisme le plus pur, et par le dévouement le plus noble, Il y a eu déviation quand M. Goblet a tenté une négociation directe avec la Hollande.
Il n’est pas blâmable, vous l’avez reconnu, messieurs, l’homme qui n’a pas reculé devant une immense responsabilité toute individuelle : il y a eu là courage, abnégation ; c’est un hommage qu’il faut rendre à M. Goblet.
M. de Muelenaere vous a parfaitement démontré hier que nous n’étions plus dans le système de l’article 24 du traité du 15 novembre. Vous en êtes sortis, pour paralyser l’effet désastreux que vous attribuez aux réserves de la Russie. Que l’on rapproche le système de M. de Muelenaere des causes qui lui ont donné naissance, et vous en trouvez la nécessité dans les réserves russes, et dans les prévisions de la chambre sur le sens que certaines cours de l’Europe pouvaient y attacher. Je ne me ferai pas l’apologiste de ces réserves ; ici et ailleurs encore, je les ai hautement désapprouvées ; mais aujourd’hui je ne vois pas la nécessité de faire la guerre à des faits irrévocablement accomplis.
Les réserves russes ont donc donné naissance au système d’évacuation préalable, dont M. Goblet a poursuivi l’accomplissement auprès de la conférence de Londres ; mais là s’est élevé un dissentiment ; la conférence n’a jamais laissé percer l’intention d’en venir à l’emploi des moyens de coercition, avant une tentative de négociation directe qui aurait eu pour but l’acceptation du traité par la Hollande, au moyen de quelques modifications mutuellement acceptables, sans lesquelles il n’était pas permis d’espérer une adhésion immédiate.
Vous savez qu’il s’agissait de procéder d’après un système de justes compensations.
La conférence n’a donc pas voulu consentir aux moyens de coercition avant une tentative de négociation directe avec la Hollande ; mais comme le ministère belge voulait lui-même n’y consentir qu’à la condition de l’évacuation préalable, il s’en est suivi un conflit négatif, dont la conséquence nécessaire aurait été un statu quo indéfini. Voilà où conduisait le système, mis en rapport avec les intentions de la conférence de Londres. Or, cet état de choses ne pouvait durer. Personne ne consentait au statu quo, personne n’en voulait.
Pour sortir de cette impasse, il n’y avait que le moyen adopté par M. Goblet : une négociation tentée directement entre la Hollande et la Belgique, sous toute réserve, si elle échouait, d’en revenir aux dispositions du traité. Cette tentative a échoué, vous le savez ; mais elle a eu l’avantage inappréciable de constater aux yeux de l’Europe le mauvais vouloir de la Hollande, qui, depuis trois mois avait hypocritement prétendu que son plénipotentiaire à Londres était muni de pouvoirs nécessaires pour traiter directement. Cette tactique a été démasquée, et voilà le résultat de la déviation momentanée de M. Goblet au système suivi jusqu’alors.
Une fois la tentative de négociation close, le système nouveau est devenu plus complet que celui qu’on avait poursuivi à Londres. Il nous a été donné de demander non seulement l’évacuation préalable, mais l’exécution complète et violente du traité. C’est dans ce sens que le ministre des affaires étrangères a parlé aux cabinets de France et d’Angleterre ; la note du 30 octobre en fournit la preuve la plus irrécusable. Voici, messieurs, les deux passages de cette note qui dessinent le mieux la politique du cabinet actuel :
« Le temps est donc venu de mettre à exécution un traité revêtu depuis cinq mois de la sanction commune des cinq cours, et dont l'inaccomplissement expose la paix de l'Europe à des dangers croissants et continuels. Au-delà du nouveau refus du gouvernement hollandais, il n'y a plus, pour arriver à ce résultat, que l'emploi des forces matérielles, car on ne peut supposer que les puissances admettent un ajournement indéfini qui porterait la plus grave atteinte à l'ordre public européen, et qu'après deux ans de laborieuses négociations un traité solennellement ratifié reste sans exécution.
« En conséquence, le soussigné a reçu l'ordre formel de son souverain, de réclamer du gouvernement de Sa Majesté le roi des Français l'exécution de la garantie stipulée par l'article 25 du traité du 15 novembre 1831 conclu avec la Belgique. Les circonstances requièrent des mesures vigoureuses et efficaces. Le soussigné ose espérer que le gouvernement français n'hésitera pas à les prendre, en exécution des engagements contractés envers la Belgique. »
Vous savez, messieurs, quel a été le résultat de cette sommation qui fut adressée également au cabinet britannique ; ce résultat est venu se résumer dans la convention du 22 octobre, et je ne crains pas de dire que l’intention des deux puissances d’arriver à l’exécution entière du traité s’y révèle de la manière la plus évidente. En voici les passages les plus saillants :
« Sa Majesté le roi des Français et Sa Majesté le roi du Royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, ayant été invités par Sa Majesté le roi des Belges à faire exécuter les articles du traité relatif aux Pays-Bas, conclus à Londres le 15 novembre 1831, dont l’exécution, aux termes de l’article 25 dudit traité, a été conjointement garantie par LL. MM. l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et l’empereur de toutes les Russies, etc.. etc. ;
« Ont résolu, malgré le regret qu’ils éprouvent de voir que leurs majestés l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et l’empereur de toutes les Russies, ne sont pas préparés en ce moment à concourir aux mesures actives que réclame l’exécution dudit traité, de remplir à cet égard, sans un plus long délai, leurs propres engagements ; et c’est en vue d’y parvenir, par un concert immédiat des mesures les mieux calculées à cet effet, que LL. MM. le roi des Français et le roi du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir : etc. etc.
« Article premier. S. M. le roi des Français et S. M. le roi du Royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande notifieront à S. M. le roi des Pays-Bas et à S. M. le roi des Belges, respectivement, que leur intention est de procéder immédiatement à l’exécution du traité du 15 novembre 1831, conformément aux engagements qu’ils ont contractés ; et comme un premier pas vers l’accomplissement de ce but, leursdites majestés requerront S. M. le roi des Pays-Bas de prendre, le 2 novembre au plus tard, l’engagement de retirer, le 12 dudit mois de novembre, toutes ses troupes des territoires qui, par les premier et seconds articles dudit traité, doivent former le royaume de la Belgique, dont les parties contractantes à ce traité ont garanti l’indépendance et la neutralité. »
Vous voyez que M. le général Goblet n’a pas seulement sommé la France et l’Angleterre de faire évacuer le territoire, mais qu’il les a sommées, fort qu’il était d’avoir démasqué le plénipotentiaire hollandais, de l’avoir laissé sans excuse aux yeux des puissances les plus favorables à la Hollande, de les avoir mises dans l’impossibilité de la défendre ; il les a sommées, dis-je, de faire exécuter le traité tout entier par les moyens coercitifs.
Voilà le fait du gouvernement.
Maintenant arrive le fait des puissances garantes et exécutrices ; si elles procèdent partiellement à l’exécution, ce n’est plus le fait du gouvernement belge ; elles seules sont juges des moyens les plus propres à exécuter la garantie promise et réclamée.
Mais, demande-t-on, si l’exécution doit être entière, pourquoi l’armée française quittera-t-elle le territoire belge immédiatement après la prise de la citadelle d’Anvers ? Indépendamment de graves motifs politiques, je demanderai si, pour les autres conditions du traité, il est besoin d’une armée française en Belgique. Oui, évidemment pour s’emparer de la citadelle d’Anvers une armée est nécessaire, une expédition maritime ne pourrait rien ; mais pour les autres points, et sans vouloir préjuger en rien ce que feront les puissances, une intervention par terre est-elle indispensable ? Je ne le crois pas.
Indépendamment de ce que les considérations les plus graves militent pour que l’armée française ne prolonge pas trop son séjour chez nous, rappelez-vous, messieurs, de quelles répugnances le ministère anglais doit triompher dans son propre pays, dans le parlement et dans les cours du Nord. Si une armée française prolongeait son séjour en Belgique, combien deviendrait facile une collision entre elle et celles des Etats qui nous avoisinent !
Il y a sur ce point, dans le langage de l’opposition, une contradiction frappante et que je dois relever en passant. Voyez-vous, dit-on, d’un côté l’armée française vient ici pour s’emparer de la citadelle d’Anvers, et pour nous imposer après ce fait d’armes de nouvelles concessions ; et d’autre part, on se plaint qu’immédiatement après la prise d’Anvers elle doive se retirer. Conciliez ces contradictions si vous le pouvez ; quant à moi je déclare n’être pas assez habile pour cela.
La France et l’Angleterre, procédant toujours d’après les termes de la convention du 22 octobre, produisent à leur tour l’acte du 30 octobre. Là elles font sommation au gouvernement belge et au gouvernement hollandais d’évacuer réciproquement les territoires qui cessent de leur appartenir.
Pouvions-nous refuser ? Personne ne l’exige. Le seul reproche qu’on nous fasse, c’est d’avoir consenti, nous dit-on, sans condition ; car, de ce qu’il n’y a pas de conditions patentes, il s’ensuit, selon la logique de l’opposition toujours bonne contre le ministère, que nous nous sommes livrés pieds et poings liés à l’Angleterre et à la France.
Je le demande cependant, pouvions-nous, sans mauvaise foi, nous opposer à leurs résolutions ? Le pouvions-nous sans danger ?
Le pouvions-nous sans mauvaise foi ? D’autant moins, messieurs, que la sommation du 30 octobre n’était que le contrecoup de la sommation que nous avions faite nous-même.
Le pouvions-nous sans danger ? Mais, messieurs, sur qui pourrons-nous compter en Europe, si nous nous aliénons la France et l’Angleterre ? Je le dis avec une conviction intime : aliénons-nous ces deux puissances, et il n’y a plus de Belgique. (Mouvement.)
Les moyens d’exécution, je l’ai déjà dit, étaient dans le domaine, dans le libre arbitre des puissances garantes. Le choix qu’elles ont fait vous déplaît-il ? Repoussez-le. Mais nous ne le pouvons sans blesser profondément la France et l’Angleterre : la France qui, ne l’oublions pas, nous a sauvés, en 1830, de l’intervention prussienne, d’une restauration ; et l’Angleterre, sans le concours de laquelle la France est réduite à se défendre seule contre le reste de l’Europe ; l’Angleterre, qui, en 1831, nous a fait obtenir la liberté de l’Escaut.
Après la sommation que nous avons faite à la France et à l’Angleterre, si nous avions adhéré avec des conditions expresses, il leur était libre d’agir ou de ne pas agir. Si elles eussent pris ce dernier parti, que vous restait-il ? Le statu quo. Je demande si quelqu’un eût osé en assigner le terme.
On voulait, et on avait raison de vouloir de la Hollande, une adhésion pure et simple, et non une de ces adhésions entortillées qui ne terminent rien. On voulait, pour réponse à la sommation du 30 octobre, un oui ou un non ; et si nous n’avions pas été aussi catégoriques, si nous avions posé dans notre sommation des réserves et des conditions, de quel droit les aurait-on refusées à la Hollande ? Voilà le piège que nous avons aperçu, que nous avons voulu éviter.
Une adhésion conditionnelle de la Hollande ne pouvait-elle paralyser les moyens coercitifs, donner ouverture à des négociations nouvelles ?
J’entends toujours parler de l’adhésion préalable de la Hollande au traité ; mais si la Hollande se refusait obstinément à donner son adhésion, qui vous a dit que chaque partie ne devrait pas être enlevée par la force ? Or, s’il en est ainsi, par quel point commencera-t-on ? Sera-ce par la dette, à l’égard de laquelle, on voudra bien en convenir, le provisoire ne vous tue pas ? On répondra : obtenez avant tout l’adhésion préalable de la Hollande. Commencera-t-on par la question du syndicat d’amortissement ? Obtenez aussi l’adhésion préalable. Il en sera de même pour chaque partie du traité ; ainsi vous tournerez sans cesse dans un cercle vicieux, et vous rendrez tout moyen de coercition impossible tant que le roi de Hollande n’adhérera pas à toutes les dispositions du traité dont on ne demande pas l’exécution immédiate.
Remarquez, messieurs, que la chambre l’a ainsi entendu dans son adresse. On y lit, en effet, ces mots : « Ce n’est qu’après cette exécution qu’il pourrait être question d’ouvrir les négociations dont parlent les réserves. » Cherchez le mot « adhésion » dans l’adresse. Je crois pouvoir assurer que vous ne l’y trouverez pas.
Mais il y a plus, c’est que l’évacuation, même volontaire,, n’entraîne pas nécessairement l’adhésion du roi de Hollande, Quand il a adhéré à la suspension d’armes, à l’armistice, a-t-il pour cela reconnu notre indépendance ? Nullement. Et quand il adhérerait aujourd’hui à l’évacuation du territoire, quand il se mettrait d’accord avec nous sur plusieurs autres points du traité, il le pourrait sans reconnaître notre indépendance. Car le roi de Hollande pourrait négocier par l’intermédiaire de la conférence, comme il l’a toujours fait ; se mettre d’accord avec nous sur plusieurs points du traité, sur l’évacuation même, sans reconnaître la Belgique. Ainsi jamais le traité ne serait exécuté par voie de coercition, si vous exigez une adhésion préalable quelconque à une partie du traité. Exécution forcée et adhésion volontaire sont deux choses inconciliables.
On prétend aujourd’hui que nous ne serons rien sans la reconnaissance du roi de Hollande. Nous devenons bien humbles aujourd’hui, messieurs, de superbes que nous nous faisions naguère.
Oui, vous pouvez avoir l’évacuation volontaire sans l’adhésion de la Hollande. La chambre l’a bien senti ; aussi dans son adresse n’a-t-elle pas prononcé ce mot une seule fois ; elle n’a jamais parlé que de l’exécution du traité. Ainsi le gouvernement...
M. H. de Brouckere. - Et l’article 24 du traité !...
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous ne pouvons procéder d’après l’article 24. M. de Muelenaere vous l’a prouvé hier. Quant à l’évacuation de la citadelle d’Anvers, cette évacuation n’est plus rien aujourd’hui : c’est chose convenue, à ce qu’il paraît. L’Europe a beau dire le contraire ; les journaux de l’opposition en France, répétés par les journaux belges, ont eu beau dire : Toute la question belge est dans la citadelle d’Anvers, on n’en tient compte. Le roi Guillaume aura beau prouver combien il attache de prix à sa possession, ii aura beau faire levée d’hommes sur levée d’hommes, accumuler emprunts sur emprunts, imposer cents additionnels sur cents additionnels, pour se maintenir chez nous, tout cela n’est rien ; nous en savons plus que l’Europe, plus que le roi Guillaume, plus que les états-généraux dont je vous ferai connaître tantôt une séance fort remarquable.
Mon honorable collègue, le ministre de l’intérieur, vous l’a dit hier : ne voyez-vous pas que l’évacuation forcée est le véritable moyen de détromper le roi de Hollande de l’opinion où il est sur l’impossibilité du recours à l’emploi de moyens coercitifs, de le détromper sur les secours qu’il espère des puissances du Nord ? Ne le voyez-vous pas désillusionné, si je puis m’exprimer ainsi, perdre peu à peu cette confiance dans l’appui des puissances, dont des considérations d’un ordre supérieur, fort heureusement pour nous, enchaînent la volonté ? Ne voyez-vous pas, quand il sera ainsi détrompé, qu’il devra se trouver plus disposé à céder sur les autres points ?
Mais si la possession de la citadelle d’Anvers n’est rien, pourquoi avoir exigé l’évacuation préalable, même avec l’adhésion du roi de Hollande ? Si ce point n’est rien, je vous prie de dire ce que nous gagnerions à l’évacuation réciproque et volontaire ? Je le demanderai : si la citadelle nous avait été rendue dans les premiers jours de notre révolution, qui eût jamais pensé à demander l’évacuation même volontaire du territoire ? L’évacuation obtenue, même volontairement, même avec adhésion du roi de Hollande, ne laisse-t-elle pas ouverture à des discussions sur plusieurs questions vitales, sur des questions d’où peut sortir la guerre ? Et, pour faire la guerre, que les tacticiens de la chambre déclarent beaucoup plus chanceuse après l’évacuation de la citadelle, la question d’adhésion n’est rien si l’adhésion n’est complète, si les points litigieux ne sont réglés simultanément avec l’évacuation.
Encore un coup, la question seule de l’Escaut suffit pour engendrer une guerre nationale en Hollande, Or, la question de l’Escaut, vous avez toujours pensé qu’elle pouvait être traitée après l’évacuation,
Si des relations politiques nous descendons aux considérations d’humanité, nous demanderons s’il n’est pas vrai que l’espoir d’obtenir l’évacuation sans désastre pour la ville d’Anvers n’est pas tout entier dans l’intervention de la France et de l’Angleterre ? La Hollande évacuera peut-être volontairement, peut-être après un commencement d’opérations et au moyen d’une capitulation honorable pour le commandant et la garnison de la citadelle. Le roi de Hollande peut, sans se déshonorer à ses yeux, céder à la France et à l’Angleterre, comme il l’a fait pour l’Escaut en janvier 1831. Mais le ferait-il pour les Belges ? Epargnerait-il Anvers si nous étions seuls contre lui ? Croyez-vous, s’il n’avait qu’à compter avec la Belgique, si la France et l’Angleterre, agissant au nom de la conférence, ne le menaçaient d’une vengeance, d’une répression européenne, qu’il balançât à consommer la ruine de cette opulente et malheureuse cité ?
Voilà des considérations qui n’ont pas été étrangères à la pensée du ministère, et je me fie à la justice et au bon sens des habitants d’Anvers pour l’apprécier. Ils sauront en cette circonstance rendre hommage à la politique du gouvernement.
Mais, nous dit-on encore, vous livrez pieds et poings liés, après les avoir vendus (car c’est là le ton de la polémique dirigée contre le ministère), vous livrez pieds et poings liés, après les avoir vendus, les habitants du Limbourg et du Luxembourg ! Vous avez entendu, à cet égard, les explications du ministre des affaires étrangères. Dussé-je ne pas conquérir l’approbation de la chambre, je n’irai pas plus loin que lui. Mais, méditez ce qu’il vous a dit. Les garanties du traité ne sont pas de vains mots, et si des garanties de cette nature étaient illusoires, elles le seraient aussi bien avec l'adhésion du roi de Hollande que sans cette adhésion.
Il y a plusieurs catégories d’habitants dans les territoires cédés. Les masses, dans les révolutions, ne sont guère compromises. Quant aux personnes que leur conduite signalerait à la vengeance du roi Guillaume, une proposition vous a été faite, et je la déposerais moi-même sur le bureau, si son auteur y renonçait.
La sollicitude du gouvernement s’est déjà portée vers les personnes compromises, vers les fonctionnaires publics notamment, et nous n’avons pas attendu jusqu’à ce jour pour fixer notre pensée sur leur pénible position. Dans ce moment je suis en mesure de placer, et d’une manière convenable, les membres de la magistrature. Dans l’administration il en est de même, et M. le ministre des finances vous dira que depuis quelque temps un concert de mesures a été arrêté par nous sur ce point.
L’humanité nous en fait la loi, et dût-on révoquer la nôtre en doute, on accordera du moins que, nouveaux Méphistophélés, nous ne pouvons faire le mal pour le plaisir de faire le mal. Cependant, d’après l’opposition, nous sommes les vendeurs de nos frères, nous trafiquons de nos compatriotes. Hier, on a dit que nous étions des assassins ; et si cette progression suit son cours naturel et nécessaire, demain sans doute nous serons des anthropophages. (Mouvement.)
Messieurs, on nous a menacés des imprécations de 300 mille âmes. Ah ! messieurs, nous le savons, le malheur rend injuste ; nous avons la conscience que ces imprécations seraient imméritées, et que nous n’avons fait, en adoptant les 24 articles, en nous résignant aux 24 articles, que céder à des considérations d’un ordre supérieur.
Mais, si nous voulions user de récriminations ; si, mettant de côté les intentions que nous respectons, et que nous croyons pures, nous voulions vous dire comment nous apparaît le tableau des conséquences de votre système et de celui que vos amis politiques soutiennent en France, nous vous dirions que ces conséquences auraient anéanti le nom belge, vous auraient exposés aux imprécations, non de 300 mille âmes, mais de quatre millions d’hommes, auraient entraîné une guerre générale, fait peser sur vous une terrible responsabilité, provoqué, après les imprécations de vos concitoyens, celles de l’Europe entière ; on vous accuserait peut-être aujourd’hui d’avoir couvert le monde de sang et de ruines, d’avoir bouleversé tous les principes d’ordre et de civilisations pour revenir, par un long et sanglant circuit, aux baïonnettes du 18 brumaire ou aux baïonnettes de 1815.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne m’attendais pas, dans la discussion importante qui vient de s’ouvrir, à voir figurer les dénominations de libéraux, de catholiques. Nous sommes tous ici les amis du pays, tous nous devons nous unir pour tâcher de rendre sa position meilleure. Il n’y a pas ici de parti, et, quoique le ministre qui vient de parler avant moi ai eu l’air...
M. le président. - Je ferai remarquer à l’honorable orateur qu’il ne s’agit ici que de développer son amendement.
M. Dumortier. - C’est aussi ce que je vais faire, mais j’ai pensé qu’il valait mieux répondre tout de suite au discours de M. le ministre pour ne pas être obligé de demander la parole une seconde fois, (Oui ! oui ! parlez !)
Je disais donc, messieurs, que tous, ici, nous sommes les amis du pays, que nous sommes tous unis pour sa défense ; et, malgré ce qu’on a eu l’air d’insinuer adroitement que telle ou telle opinion de parti pouvait influer sur la décision de la chambre, je déclare, sans crainte d’être contredit, que si l’on voulait prendre les 5 membres de l’assemblée qui jouissent de plus de considération et d’influence, et que ces membres se rendissent coupables des fautes du ministère, un cri unanime de réprobation s’élèverait pour les condamner.
Messieurs, le ministère s’est-il mis en opposition avec la chambre ? Voilà la question à laquelle se rattache l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer. Sans doute, on n’en disconvient plus maintenant ; car on vient de reconnaître que le ministère s’est trompé sur le sens à donner à notre adresse précédente. Je vois avec plaisir qu’il abandonne enfin un système de défense qui a excité et devait exciter les réclamations les plus vives. Car n’était-ce pas une chose étrange que de voir les ministres reporter sur nous la responsabilité de leurs actes, tandis qu’ils voulaient assumer les conséquences des actes de leurs prédécesseurs ?
Messieurs, la note du 11 mai, dont on s’est prévalu, ne prouve exactement rien contre la chambre. Cette note n’a été soumise ici qu’à une simple lecture, elle ne nous a été remise qu’après la clôture de la session, et, lorsque nous en exigions tous la remise, c’est qu’elle désapprouvait (comme on vous l’a dit hier) la conduite de notre ambassadeur à Londres, qui avait eu la faiblesse de recevoir la ratification de la Russie.
On a voulu nous mettre en contradiction avec nous-mêmes. J’aurais pour mon compte bien des preuves à donner du contraire, mais les orateurs qui m’ont précédé ont déjà suffisamment répondu à cette allégation, et je ne m’en occuperai pas.
Est-il vrai que le ministère se soit écarté de la marche qui lui était tracée par la chambre, et ait adhéré à un traité différent de celui que nous l’avions autorisé à accepter ? Voilà le point que je veux traiter. Eh bien, messieurs, lorsque, le 1er novembre 1831, vous avez rendu votre loi autorisant le gouvernement à conclure les 24 articles, avez-vous entendu, je vous le demande, étendre cette autorisation à autre chose qu’à ce traité des 24 articles ? Non, certainement. Vous avez senti tous, et le ministère a senti lui-même, que toutes les dispositions de ce traité étaient corrélatives et qu’on ne pouvait accepter les unes sans les autres. C’est ainsi, je le répète, que l’a entendu le ministère précédent lui-même, et d’ailleurs, je le prouve par le mémoire qu’il a adressé à la conférence le 2 août dernier.
Voici ce que dit ce mémoire :
« Le traité du 15 novembre repose sur un système de compensation ; toutes les dispositions se tiennent, s’expliquent et se corrigent mutuellement ; pour chaque concession, il doit y avoir un dédommagement ; pour chaque sacrifice, un palliatif. C'est ainsi qu'il y a connexité entre la question du Limbourg et celle du Luxembourg ; le roi des Pays-Bas n'obtient un accroissement de territoire dans le Limbourg qu'en cédant une partie du Luxembourg. De même il y a connexité entre le partage des dettes et les stipulations relatives aux communications commerciales : si la Belgique se charge d'un surcroît de dettes, c'est qu'elle doit obtenir des avantages commerciaux particuliers. »
Plus loin le ministre ajoute :
« S’il y a lieu de s’étonner, c'est qu'une combinaison conçue au profit de la Hollande est aujourd'hui méconnue par elle, et que, voulant lui enlever le caractère d'un échange, elle prétende s'attribuer proprio jure tout ce qui lui est assigné dans le Limbourg, faisant de la cession d'une partie du Grand-Duché de Luxembourg une espèce de libéralité gratuite et tout à fait éventuelle. »
Vous voyez donc, messieurs, que ce ministère lui-même a reconnu la connexité dont je parle, et qu’il n’était pas en droit de consentir à morceler le traité du 15 novembre, ni à nous déposséder de forts et de territoires qui sont pour nous le gage de l’exécution intégrale du traité.
Quant à la question constitutionnelle, je crois n’avoir pas besoin de l’aborder, personne n’y a répondu ; et d’ailleurs, l’article 68 de notre pacte fondamental est tellement clair, qu’il est impossible de nier que le ministre l’ait violé. Cet article porte en partie : « Les traités de commerce, et ceux qui pourraient grever l’Etat ou lier individuellement des Belges n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres. » Or, messieurs, viendra-t-on prétendre que le traité du 22 octobre ne grève pas indûment l’Etat, quand il nous place dans une position précaire, dans l’obligation d’accepter toutes les concessions et tous les sacrifices ? Le ministère n’était donc pas en droit d’y adhérer ; en le faisant, il a violé la constitution.
On vous a dit que le pays ne voulait plus du statu quo. Non, messieurs, le pays ne voulait plus du statu quo, mais pourquoi ? Parce qu’il sentait qu’il était temps d’en finir, parce qu’il était épuisé à force de donner des hommes et de l’argent. Et n’était-ce pas pour le faire cesser, ce statu quo, qu’on nous demandait l’autorisation de recourir à des emprunts, d’élever l’armée à 100,000 hommes et ensuite à 130,000 hommes ? Eh bien ! nous avons tout accordé ; et dans quel but ? Dans le but d’être à même de faire nos affaires par nous-mêmes et non par l’intervention des autres. Voilà pourquoi nous avons consenti à tout ; c’était pour sortit de ce statu quo destructif de nos intérêts et de notre liberté.
Mais est-ce à dire pour cela que nous voulions en sortir en appelant l’étranger, en rendant notre position cent fois plus désastreuse ? Non, messieurs ; le ministère ne peut produire un seul acte de la chambre qui prouve que c’était là sa volonté.
J’ai entendu dire que l’intention d’arriver à l’exécution intégrale se révélait dans le traité du 22 octobre. C’est une chose étrange, messieurs, qu’on soutienne cela quand nous avons tous ce traité sous les yeux. Il est vrai que les puissances disent d’abord que leur intention est de faire exécuter les articles du traité du 15 novembre ; mais plus tard elles ne parlent plus de l’exécution du traité, mais seulement de l’évacuation de notre territoire.
On nous a dit que l’armée française était nécessaire pour nous faire rendre la citadelle, tandis que la flotte réunie suffirait pour les autres dispositions des 24 articles. Mais lisez l’article 2 du traité du 22 octobre ; il dit, de la manière la plus précise, que, si le roi des Pays-Bas refuse de prendre l’engagement mentionné à l’article précédent, LL. MM. ordonneront qu’un embargo soit mis sur les vaisseaux hollandais, etc. Quel est donc l’engagement mentionné à l’article précédent ? Messieurs, le texte de l’article ne laisse aucun doute à cet égard. C’est l’engagement de retirer, le 12 novembre, toutes ses troupes du territoire qui doit former le royaume de la Belgique. Et pour qu’il ne reste aucune doute à cet égard, les puissances disent à l’article 3 que, « si le 15 novembre il se trouvait encore des troupes sur le territoire belge, un corps français entrera en Belgique dans le but de forcer les troupes hollandaises à évacuer ledit territoire ; » et à l’article 4, que « l’objet de cette mesure se bornera à l’expulsion des troupes de la citadelle et qu’aussitôt remise aux autorités belges, les troupes françaises se retireront immédiatement sur le territoire français. »
Maintenant quels sont les engagements contractés par les articles précédents ? Ce n’est pas du tout de faire adhérer le roi de Hollande au traité en entier, il n’en est nullement question, mais bien de requérir le roi des Pays-Bas de retirer ses troupes des parties de territoire qui nous sont échues ; et, dans le cas contraire de l’y forcer. Voilà le but de la convention du 22 octobre ; et cela est si vrai, qu’aussitôt ce but atteint, l’armée doit se retirer.
Au surplus, je suppose que le ministère soit ici dans son droit. Mais alors je lui demanderai qui l’a autorisé à signer cette note parricide du 2 novembre ?
Le traité, du moins, dit quelque chose au moins de l’exécution intégrale, mais il n’y en a pas un mot dans la note. Elle en diffère d’une manière frappante, et tous les documents présentent une dégradation effrayante sur ce point. Remarquez en outre que, par une inconcevable incurie, cette note ne nous laisse pas même le plus petit échappatoire ; car elle porte que le gouvernement consentira à évacuer Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les territoires qui, d’après les 24 articles, ne font pas partie du royaume de la Belgique, lorsque la citadelle d’Anvers nous sera remise.
Ainsi, soit que cette citadelle nous revienne après un bombardement, c’est-à-dire en ruines, soit qu’on la remette de bonne volonté, soit que la ville d’Anvers reste intacte, soit qu’il n’en reste que des débris, toujours est-il vrai que vous êtes obligés, aussitôt après, de céder Venloo, le Limbourg et le Luxembourg, sans aucune des garanties assurées précédemment par les 24 articles. Vous êtes obliges de livrer nos concitoyens aux mains de la Prusse, et vous savez tous ce que c’est que le sceptre de fer de la monarchie prussienne.
On nous a parlé de négociations entamées et de notes secrètes. Je déclare, quant à moi, que je ne puis plus m’en rapporter à des propos aussi vagues, aussi incertains. Ce n’est plus d’après ses paroles que je juge le ministère, mais d’après ses propres actes ; et ces actes parlent assez haut pour que nous ne nous laissions pas prendre à des pièges aussi grossiers. D’ailleurs comment ajouterais-je foi à ce que nous dit le ministre sur l’existence de notes secrètes, lorsque je puis démontrer que ce ministre, qui veut être cru sur sa parole d’honneur, a tronqué une des pièces les plus importantes qu’il nous ait lues à cette tribune ? (Vif mouvement de surprise dans l’assemblée.)
Oui, messieurs, je me suis aperçu que, dans le rapport lu par M. le ministre des affaires étrangères, la note de M. Latour-Maubourg, ambassadeur de France, du 30 octobre, était différente de celle qui a été imprimée et qui nous a été distribuée ; car j’y ai fait attention, il en avait supprimé une phrase très importante et menaçante pour la Belgique.
Voici, messieurs, la phrase supprimée ; elle est relative à l’évacuation du Limbourg et du Luxembourg, et porte : « Qu’en cas de refus de notre part, des forces de terre et de mer seraient mises en mouvement par les deux gouvernements de France et d’Angleterre, et que si le 15 de ce mois l’évacuation de la place de Venloo et des territoires qui ne font pas partie du royaume de Belgique n’était pas effectuée par les troupes belges, toutes les mesures seraient prises pour amener à ce résultat. »
Messieurs, cette phrase est de la plus haute importance en ce qu’elle nous dévoile ce que nous devons attendre de l’intervention étrangère ; eh bien, dans le rapport imprimé par les soins du ministère elle se trouve supprimée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Voilà l’original de la pièce tel que je l’ai lu.
M. H. de Brouckere examine un instant cette pièce et reconnaît qu’elle est conforme à celle imprimée.
M. Dumortier. - Je ne sais pas comment cela s’est fait, mais j’affirme que j’en ai tenu note pendant que le ministre en faisait la lecture. (Violents murmures.) D'ailleurs, messieurs, la preuve c’est que dans le Moniteur officiel le rapport se trouve imprimé de cette manière... (Violente agitation.)
- Quelques voix. - Cela serait par trop fort.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous sommes des faussaires alors.
M. Nothomb. - Je puis expliquer ce fait si l’on veut m’accorder la parole.
M. le président. - Vous l’aurez après.
(Moniteur belge n°330, du 27 novembre 1832) M. Dumortier. - On vous a dit, messieurs : Eh quoi ! dans la position où se trouve le pays, vous allez faire retirer le ministère quand on en avait besoin ! Messieurs, le ministère a demandé lui-même, nous a jeté le gant en sommant la chambre de s’expliquer franchement, et nous ne pouvons pas reculer devant la vérité sans trahir notre mandat.
Je concevrais bien que si nous n’avions pas entendu la lecture du rapport de M. le ministre des affaires étrangères, nous gardions le silence en cette circonstance. Mais lorsqu’on a invoqué notre opinion entière, lorsqu’on nous a demandé notre approbation ou notre improbation ; nous ne pouvons pas nous dispenser de déclarer la vérité sans manquer à notre devoir, à ce que nous avons de plus cher, sans trahir les intentions et les intérêts de nos commettants.
On s’est plaint de la violence des reproches adressés au ministère ; on a trouvé, dit-on, les expressions de l’opposition plus fortes qu’on ne devait s’y attendre. Eh quoi ! messieurs, on se plaint de notre langage lorsqu’on nous accusait d’être auteurs du système dont nous avions prévu les funestes conséquences ! Certes, nous avions bien le droit de nous irriter d’une pareille allégation, et nous avons voulu arrêter ce funeste système. C’est pour cela, messieurs, que j’ai présenté mon amendement.
La section centrale avait pensé qu’il fallait s’expliquer sur le ministère d’une manière hypothétique ; mais maintenant toute hypothèse est impossible, il faut dire la vérité.
M. Nothomb. - Je ne prends la parole que pour rectifier un fait avancé par l’honorable préopinant, fait qui m’aurait paru très insignifiant et qui, il faut bien le dire, se rattache à la correction des épreuves. (Murmures.) Ce n’est pas autre chose, et le préopinant le sait lui-même ; il a vu comme moi la dernière épreuve de cette partie du rapport que vous avez entre les mains.
Il est très vrai que les sommations faites à la Hollande et celles qui nous ont été faites ne sont pas identiquement les mêmes. C’est par erreur qu’on l’avait d’abord supposé.
La personne chargée de faire les copies, et d’annexer au rapport ou d’y insérer les diverses pièces, avait supposé qu’il suffisait de prendre un ancien journal, qui contenait la sommation faite à La Haye, et d’y substituer Venloo à Anvers, et Belge à Hollandais. (Nouveaux murmures.) Cette note fautive a été ainsi insérée dans tous les journaux. Ce n’est qu’en voyant la dernière épreuve que je me suis aperçu qu’il était singulier de supposer qu’on mettrait des flottes en mouvement contre la Belgique, phrase qui était empruntée à la sommation hollandaise.
J’ai eu recours aux originaux qui sont tous sous vos yeux, et j’ai vu que, dans la sommation qui nous est faite, les ministres anglais et français déclarent qu’en cas de refus de notre part, toutes les mesures nécessaires seraient prises contre nous.
J’ai fait la correction, et, je le répète, M. Dumortier a vu cette épreuve. Il m’a paru faire des objections, et je me suis dès lors offert à lui donner toutes les explications. (Réclamations.) Je le sais, ce sont là des détails insignifiants ; mais enfin nous ne sommes accusés de rien moins que d’un faux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Un membre de la chambre vient d’accuser M. le ministre des affaires étrangères d’avoir tronqué une pièce officielle. Je le somme de nous déclarer s’il croit que ce fait a été le résultat de la volonté du ministre... (Violente interruption.)
- Plusieurs membres. -Vous n’avez pas le droit de faire des sommations aux membres de la chambre.
M. Gendebien. M. Dumortier demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je le somme de s’expliquer...
- Les mêmes membres. - C’est insulter la chambre ! A l’ordre !
M. le président. - Si un membre demande la parole pour un rappel au règlement, je la lui accorderai ; mais sans cela je dois la continuer à l’orateur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je répète ma phrase. Un membre de la chambre vient d’accuser mon collègue d’avoir tronqué une pièce officielle. Je ne sais pas si chacun de vous, messieurs, sent comme nous toute l’importance d’une pareille accusation. Je demande que ce membre s’explique sur le point de savoir s’il croit que ce fait résulte des intentions et de la volonté du ministre...
M. Pirson. - Il n’a point accusé les intentions, il n’a parlé que du fait, en lui-même.
M. H. de Brouckere. - Je prends la parole pour engager M. Dumortier à ne pas répondre à l’interpellation qui lui est faite. (Très bien !) Il n’appartient pas à un ministre de sommer un membre de la représentation nationale d’expliquer ses intentions. Expliquez-les, ministres, comme vous voudrez ; la chambre, de son côté, saura les interpréter. Je conçois que M. le ministre de l’intérieur se soit offensé s’il a cru qu’on supposait an ministère l’intention de faire un faux ; mais il n’aurait pas dû croire que M. Dumortier se livrait à des suppositions aussi condamnables.
M. Gendebien. - Je voulais dire précisément ce que vient de dire M. de Brouckere.
M. le président se dispose à mettre en discussion le sous-amendement de M. Mary ; mais, sur l’observation de ce membre que son amendement viendra plus à propos après que la discussion aura été vidée sur les autres amendements en discussion, il est ajourné.
M. Pirson présente un sous-amendement à l’amendement de M. H. de Brouckere. A la phrase terminant par ces mots : « qu’après l’adhésion du gouvernement hollandais à ce traité, » il propose de supprimer « ce traité » et de mettre à la place : « à la séparation et à l’indépendance de la Belgique, à la liberté de la navigation de l’Escaut, de la Meuse, et autres stipulations qui concernent plus particulièrement les parties du territoire qui seront abandonnées. »
- M. Pirson développe son amendement, qui n’a pas de suite parce qu’il n’est pas appuyé.
M. Donny. - Je ne prendrais pas la parole dans cette discussion, qui n’a été que trop prolongée, si je ne sentais le besoin impérieux de dire quelques mots pour expliquer les motifs du vote que je vais émettre, vote qui, sans cela, ne saurait être apprécié à sa juste valeur.
Les orateurs de l’opposition ont signalé de la manière la plus énergique les avantages et les dangers de la position dans laquelle se trouve la Belgique. Aussi, s’il s’agissait d’examiner simplement si nous avons lieu d’être satisfaire de la position dans laquelle nous sommes placés, mon vote serait-il négatif ; mais le problème ne se présente pas à moi sous une forme aussi simple.
Il ne me suffit pas de reconnaître que nous nous trouvons dans une position fâcheuse, j’ai encore à examiner si cette position est un résultat qu’on puisse attribuer au ministère ; j’ai à examiner si, comme le ministère le soutient, la chambre lui a prescrit la marche qu’il a suivie. Cette seconde question me semble dominer la première, et la dominer tellement que, si elle devait être résolue affirmativement, s’il était décidé que la chambre a tracé le système du ministère, il deviendrait bien inutile, oiseux même de voir si ce système, avec ce qui en a été la conséquence, est digne de louange ou de blâme. Il s’agit donc d’examiner quelles ont été les relations entre la chambre et le ministère.
Les ministres, et les orateurs qui ont parlé dans leur sens, nous ont tous formellement déclaré que le fait de l’approbation de la chambre au système suivi était réel. D’un autre côté, les orateurs de l’opposition ont soutenu tous le contraire des allégations ministérielles, et les uns et les autres se sont exprimés avec l’accent de la plus intime conviction. Ces convictions d’un sens contraire ont produit sur moi l’effet qu’elles devaient naturellement produire ; elles m’ont jeté dans 1’incertitude la plus absolue sur ce qui s’était passé.
On me dira peut-être : Mais vous avez en main le traité, les notes officielles, les adresses et le rapport, voir même les protocoles. C’est plus qu’il n’en faut pour fixer votre opinion et vous tirer d’incertitude.
A cela ma réponse est facile. Ces pièces ne suffisent pas par elles-mêmes, prises d’une manière isolée, pour trancher la difficulté ; et si l’on veut soutenir le contraire, je demanderai alors, qu’on veuille bien m’expliquer comment il se fait que les ministres et l’opposition invoquent tour à tour les mêmes documents et avec la même assurance, la même conviction. Non, ce n’est pas dans ces pièces qu’on peut trouver les éléments nécessaires pour asseoir son opinion. Il faut recourir aux faits qui se sont passés dans les chambres ; ce qui le prouve d’une manière évidente, c’est que tous les orateurs que j’ai entendu en ont appelé à vos souvenirs. Or, moi qui suis étrangers aux travaux de la représentation nationale, je n’ai pas de souvenirs, et rien ne peut me tirer de mon incertitude, d’une incertitude que je regarde comme raisonnable. Je me plais à croire que vous la trouverez telle, et que, placés dans ma position, vous voteriez contre toute disposition qui jugerait la question dans un sens ou dans l’autre.
M. Jullien. - Messieurs, malgré les amendements plus ou moins insinuants qu’on vient de glisser dans la discussion, les paroles adroites du ministre qui vient de parler avant moi, on ne parviendra pas à déplacer la question ; il s’agit de savoir si, malgré la disposition formelle de l’article 24 du traité du 15 novembre, le ministère a pu consentir à la remise immédiate à la Hollande de Venloo et de ses forts et dépendances, ainsi que du territoire du Limbourg et du Luxembourg cédé par le traité, aussitôt notre entrée en possession de la citadelle d’Anvers.
Cette question, messieurs, en a fait naître plusieurs autres dans la discussion générale sur l’ensemble de l’adresse. Des orateurs ont prétendu que le traité du 15 novembre n’existait plus ; d’autres ont parlé de le répudier ; d’autres enfin, dans leur ardeur belliqueuse, n’ont pas craint de faire un appel à la guerre générale.
J’aborderai, messieurs, toutes ces questions, mais avec brièveté ; mon intention, en prenant la parole, était uniquement de résumer en peu de mots toute la discussion.
J’examine d’abord si le traité du 15 novembre existe encore ; car s’il n’existe plus, inutile de chercher si les ministres y ont contrevenu.
Je ne suis point coupable du traité du 15 novembre : on ne reprochera point à mes amis politiques et à moi d’avoir vendu nos frères, car nous eussions préféré périr avec eux plutôt que de nous sauver à ce prix ; mais, messieurs, dans un gouvernement constitutionnel, c’est la loi qui est souveraine, et quand ce traité désastreux a été converti en loi nous devons nous y soumettre : malheur aux peuples, malheur aux princes, qui ne savent pas respecter les lois !
Si les choses étaient encore entières, c’est-à-dire si nous en étions encore aux premières ratifications, je soutiendrais l’opinion que j’ai émise en d’autres temps, et je dirais avec les orateurs à qui je réponds, que le traité, quoique accepté par nous, ne nous obligent plus dès l’instant qu’il n’était pas ratifié par toutes les puissances qui y avaient été parties ; et en effet, messieurs, lorsque plusieurs mandataires stipulent une convention sous l’approbation de leurs mandants, si un seul des mandants refuse de ratifier, il n’y a plus d’obligation pour personne, le traité est incomplet.
Mais telle n’est pas notre position. La France et l’Angleterre, en acceptant purement et simplement vis-à-vis de nous, malgré le défaut de ratification des autres contractants, se sont rendu propres toutes les conditions du traité ; ces puissances sont restées dans les mêmes termes vis-à-vis de nous, malgré les réserves de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie ; et dans la convention du 22 octobre, elles se sont même isolées de ces trois puissances, pour arrêter entre elles seules les moyens d’exécution : c’est donc à leur égard comme s’il était intervenu entre ces deux puissances et nous un nouveau traité en tout point conforme à celui du 15 novembre ; mais il y a plus, ce traité a reçu, par l’entrée des troupes françaises et la station sur les côtes de Hollande d’une escadre française et anglaise combinée un commencement d’exécution.
Ainsi le traité existe, il est devenu notre droit public. Mais, dit-on, il faut le répudier et faire nos affaires nous-mêmes. Ceux qui tiennent ce langage y ont-ils bien réfléchi ? Répudier le traité du 15 novembre ! Mais, messieurs, c’est le seul titre que nous ayons à une existence politique, le seul titre de reconnaissance de ce fantôme qu’on est convenu d’appeler notre indépendance. Déchirez le traité du 15 novembre, et vous n’êtes plus, aux yeux de la plupart des puissances de l’Europe, que les révoltés de septembre.
Si cette condition maintenant vous convient, vous n’avez qu’à parler. Mais vous vous garderez de briser ce traité ; car, dans la position critique où nous ont mis ceux qui depuis deux ans se sont mêlés de conduire nos affaires, ou même peut-être les événements plus forts qu’eux, ce traité peut devenir la seule planche de salut qui nous reste.
Vous connaissez la politique des cours ; vous savez comme elle varie, d’après les nécessités du moment, les intrigues de cabinet, les changements de système ! Eh bien, supposons un instant que l’Angleterre, qui paraît déjà lasse de l’appui qu’elle nous prête, obéisse aux cris de son commerce, et se retire de nous ; supposons que la France, je me trompe, le cabinet français, se repliant dans les traités de 1814 et de 1815, et, si j’ose m’exprimer ainsi, dans cet égoïsme cruel qui a été si fatal à la Pologne et à l’Italie, cherche aussi à se débarrasser de notre révolution : ces deux puissances seront au moins obligées, d’après ce même traité, de stipuler pour le pays des garanties contre les nouveaux maîtres que la politique européenne, soutenue par la force, pourrait nous donner ; agir autrement serait pour elles une flétrissure éternelle, et il y a de l’honneur en France, il y a de l’honneur en Angleterre, malgré le machiavélisme des gouvernements. Mais si vous rompiez le traité, l’Angleterre et la France, affranchies de toute obligation envers nous, et laissant faire ou faisant pour leur compte, toutes les puissances du Nord viendraient nous imposer la restauration sans condition, et il faudrait la subir.
Je viens maintenant à la question de l’adresse.
Quand on se rappelle que ce traité du 15 novembre a été rejeté avec dédain par la minorité, et que c’est les larmes aux yeux, et comme contrainte et forcée, qu’il a été accepté par la majorité, n’est-il pas déplorable, messieurs, de voir que, par le fait de notre propre gouvernement, nous soyons aujourd’hui réduits à en réclamer l’exécution sincère comme un bienfait ?
Dans tout ce dédale de documents diplomatiques, vous n’avez besoin, messieurs, si vous voulez apprécier sainement toute la difficulté, que de mettre en rapport l’article 24 du traité du 15 novembre, la convention du 22 octobre, et la note de M. Goblet du 2 novembre courant.
L’article 24 du traité dit : « Aussitôt après l’échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux parties, les ordres nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des territoires, villes, places et lieux, qui changent de domination. » Ces dispositions sont conséquentes, elles ne sont que l’expression de la précaution la plus ordinaire ; car, lorsque deux parties se disputent la propriété de territoires ou d’avantages qu’elles possèdent et détiennent respectivement, s’il survient un traité d’échange entre elles, le simple bon sens indique qu’on ne doit pas se dessaisir de l’avantage qu’on tient, sans se saisir à l’instant même de celui que le traité d’échange vous assure. Si l’homme le plus simple pouvait se laisser prendre dans de pareilles transactions, on aurait de la peine à le concevoir ; mais des diplomates, et encore nos diplomates les plus anciens et les plus instruits du royaume, commettre une aussi haute imprudence, voilà, messieurs, ce qui passe toute croyance, si on parvient à l’expliquer !
On nous propose sans cesse l’article premier de la convention du 22 octobre, pour en induire que l’intention des deux puissances est d’exécuter le traité tout entier ; mais lisons attentivement les articles 3 et 4. (L’orateur lit ces deux articles.)
Ainsi, vous le voyez, messieurs, dès l’instant que, pour prix de leur victoire, les Français nous auront livré les ruines fumantes de la citadelle (je dis de la citadelle, car ma pensée n’ose aller plus loin), nos ministres livreront Venloo et ses forts, le Limbourg, le Luxembourg et 400,000 de nos frères à la Hollande ; et les troupes françaises se retireront immédiatement, sur le territoire français, d’après les termes formels de la convention.
Est-ce donc ainsi que les ministres entendent qu’on exécute le traité ? Ne voient-ils pas que, malgré tous les avantages de la possession libre d’Anvers, le statu quo qu’ils nous préparent est pire encore que celui qu’ils font cesser ? Car les questions vitales de la navigation de l’Escaut, de la Meuse, des eaux intérieures, la fixation de la dette, la communication avec l’Allemagne, tout cela va donc être de nouveau abandonné aux négociations et aux protocoles, et on ne manquera pas de nous demander des concessions nouvelles.
Des concessions, messieurs ! mais nous en avons encore à faire, des humiliations à subir : mais la mesure n’en est-elle pas comblée ? Je voudrais douter, messieurs, du consentement de nos ministres à toutes ces mesures désastreuses, mais lisons la note du 2 novembre et vous allez juger par vous-mêmes. (L’orateur lit cette note). Ainsi vous le voyez, rien au monde de plus clair : consentement formel à tout ce qu’on demande, oubli complet de l’article 24 du traité.
Les amis des ministres ont bien senti leur position, car ils n’ont trouvé d’autre moyen de les excuser qu’en accusant la chambre du système qu’ils ont suivi : vous avez vus hier l’honorable M. Devaux, son Moniteur à la main, passer en revue l’opposition et nous rappeler à tous ce que nous avions dit lors de la discussion de la note du 11 mai. Les orateurs qui m’ont précédé ont fait justice complète de ce moyen de défense, et à cette occasion je vous prie de vous rappeler que, malgré mes instances pour obtenir la lecture de cette fameuse note, nous n’avons pas pu l’obtenir, et que nous n’avons même jamais su si elle avait été remise à la conférence. Qu’on cesse donc d’employer de pareils moyens, qui ne font que mettre au grand jour l’embarras de la défense.
On a parlé de crimes, de trahison, de stupidité, dans la conduite des ministres ; je voudrais, messieurs, pour la dignité de nos délibérations, qu’on s’abstînt de ces épithètes irritantes ; les ministres ne sont pas des hommes stupides, il est parmi eux des hommes de talent ? Sont-ils des traîtres ? Je ne peut pas croire que, dans la crise où se trouvent le pays, des hommes élevés au pouvoir par la confiance du souverain auraient médité sa ruine ; mais il n’est pas moins vrai que leur conduite est inexplicable ; il y a au fond de ces documents, que je viens de vous lire, un mystère que nous ne pouvons pénétrer. Vont-ils déposer en mains tierces les forts et le territoire qu’ils vont abandonner ? A côté d’articles patents, y a-t-il des articles secrets ? Je les adjure de s’expliquer et de se justifier, sans quoi je voterai dans le sens de l’adresse, et même je proposerai un sous-amendement plus formel à l’amendement de M. de Brouckere.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - J’ai déjà répondu hier, en grande partie, aux objections qu’a faites M. Jullien. Je vais essayer de lui faire sentir, en l’absence de tout document officiel à lui communiquer, ce qui pourrait inspirer quelque confiance.
Messieurs, on désire savoir ce qui garantit au gouvernement que l’évacuation réciproque aura le caractère formel et satisfaisant que les circonstances exigent.
J’ai déclaré hier à la chambre que je me voyais forcé d’ajourner encore les communications que j’aurais à lui faire à cet égard, si je pouvais, sans manquer au plus impérieux de mes devoirs, me dépouiller de la réserve qui m’est commandée par les graves intérêts dont je suis chargé.
Je ne puis, messieurs, que répéter aujourd’hui cette déclaration. Les pièces imprimées en même temps que le rapport que j’ai eu l’honneur de vous faire sont les seules qui, jusqu’à présent, puissent être rendues publiques ; et je persiste à dire que vous y trouverez de quoi calmer les inquiétudes qui agitent plusieurs d’entre vous.
Veuillez me permettre de revenir sur les observations que m’ont suggérées quelques-unes de ces pièces.
Je crois avoir démontré, par l’examen de la note de la conférence en date du 11 juin, que, dans la pensée de la conférence, l’évacuation réciproque entre la Hollande et la Belgique devait assurer immédiatement à la Belgique la jouissance de la navigation de l’Escaut et de la Meuse, ainsi que de l’usage des routes existantes pour ses relations commerciales avec l’Allemagne, aux termes du traité du 15 novembre.
J’ai dit que nous ne pouvions attendre une interprétation moins avantageuse de la part des deux puisssances de qui nous avions réclamé l’exécution de la garantie stipulée par l’article 25 du traité, et qui s’étaient empressées de convertir cette garantie en faits.
En voulez-vous la preuve, messieurs ; lisez (pages 101 et 102 des annexes à mon rapport) la fin de la proposition faite par la France et la Grande-Bretagne et consignée dans le 7Oème protocole.
Vous trouverez solennellement rappelés les principes que j’ai fait ressortir de la note du 11 juin ; et si la date, un peu ancienne de cet acte vous avait inspiré quelque doute sur sa valeur politique, ce doute disparaîtrait en voyant la France et la Grande-Bretagne lui donner, pour ainsi dire, une nouvelle vie le 1er octobre.
Permettez-moi, messieurs, de vous donner ici lecture de la déclaration du plénipotentiaire britannique, qui termine le protocole en question, dans lequel les deux cabinets ont posé les bases de leur politique actuelle :
« Le plénipotentiaire britannique ne saurait par conséquent consentir à une proposition dont un nouveau délai semblerait devoir être le seul résultat certain ; et, en réservant au gouvernement de Sa Majesté britannique la décision qu’il jugera convenable de prendre en exécution des engagements contractés par Sa Majesté, il se borne, pour le moment, à l’expression de son regret de ce que les plénipotentiaires d’Autriche, de Prusse et de Russie ne se soient pas préparés à concourir à des mesures efficaces, dans le but de mettre à exécution un traité qui, depuis tant de mois, a été ratifié par leurs cours, et dont l’inaccomplissement prolongé expose à des dangers continuels et croissants la paix de l’Europe. »
Le plénipotentiaire français adhéra à cette déclaration.
Ainsi, messieurs, le but des menaces efficaces que les deux cabinets se réservent de prendre, c’est l’exécution du traité dont l’inaccomplissement met en danger la paix de l’Europe, c’est la conservation de cette paix à laquelle toutes les puissances ont fait et font encore de si grands sacrifices. Et croyez-vous, messieurs, que cette grande mission puisse être remplie par la simple évacuation des territoires ? Non, sans doute ; il faut quelque chose de plus pour éloigner ces dangers continuels et croissants qui menacent la paix générale, et ce quelque chose, n’en doutez pas, les puissances exécutrices y ont pensé.
Messieurs, c’est pénétré du véritable esprit des documents sur lesquels je viens d’appeler votre attention, qu’il faut lire la convention du 22 octobre. Il ne faut pas la séparer des actes qui l’ont précédée et avec lesquels elle a les rapports les plus intimes. En l’examinant ainsi, sans passion aucune, il est impossible de n’y pas voir dominer une pensée plus large que celle que quelques orateurs lui ont attribuée, une pensée que je crois avoir fait ressortir, dans la séance d’hier, de la manière la plus claire.
D’ailleurs, messieurs, ce n’est pas seulement dans des actes écrits qu’en cette occasion vous devez chercher vos garanties ; la plupart des adversaires politiques du ministère paraissent même faire peu de compte des engagements pris par les puissances : elles ne les tiennent, pensent-ils, qu’autant que leur intérêt les y porte. Eh bien !... faisons la part de l’intérêt qui domine les puissances, et cherchons à pénétrer un peu l’esprit qui doit animer celles d’entre elles qui agissent en ce moment.
Quel est le premier besoin de l’Europe dans l’état actuel des choses ? C’est évidemment le désarmement général, et celui-ci ne peut avoir lieu tant que la Belgique et la Hollande sont en armes.
C’est donc au désarmement volontaire des deux parties adverses que tendent les gouvernements de France et de la Grande-Bretagne. Je vous le demande, messieurs, leur but serait-il atteint si, après l’évacuation réciproque telle qu’on cherche à la faire envisager, ces gouvernements laissaient les deux armées belge et hollandaise en présence, se menaçant, et par suite menaçant plus que jamais la paix de l’Europe ?
Oui, messieurs, plus que jamais : loin d’avoir atteint le but qu’ils se proposent, les deux cabinets n’auraient fait que s’en éloigner ; ils auraient rendu plus imminente une collision qu’on veut éviter et qu’on n’évitera qu’en nous faisant jouir de tous les droits qui nous sont acquis par le traité du 15 novembre.
Ne supposons pas les puissances exécutrices assez inconsidérées pour s’en tenir à l’évacuation réciproque dans le sens littéral de cette expression. Placez, messieurs, cette mesure insignifiante en regard des grands effets que ces deux puissances se sont donné la tâche d’accomplir ; en regard, dis-je, des difficultés sans nombre qu’il a fallu surmonter pour entreprendre l’expédition, et jugez si raisonnablement on peut nourrir des craintes dont, selon moi, rien ne justifie l’objet.
Non, messieurs, la France et la Grande-Bretagne ne laisseront pas inachevée l’œuvre qu’elles ont commencée ; sans cela elles ne mettraient pas fin à un état de choses dont, pour me servir de leur propre langage, la durée plus longtemps prolongée compromettrait la paix de l’Europe.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, l’honorable M. Jullien a exprimé ses vives inquiétudes sur la stérilité du résultat qu’on obtiendrait par l’évacuation de la citadelle d’Anvers, suivie immédiatement de la retraite de l’armée française. J’ai, dans le cours de la discussion, soutenu que la convention du 22 octobre signale seulement comme le premier pas vers l’exécution du traité l’évacuation de la citadelle d’Anvers. Que toutes les circonstances qui doivent accompagner cette évacuation aient été formulées dans un acte diplomatique, on le conçoit, parce qu’il y avait dans les détails de l’exécution de cette mesure des propositions qui devaient être de nature à rassurer les cabinets sur les intentions loyales et pacifiques de la France. Voilà pourquoi ce traité renferme des développements assez étendus. Je ne doute pas, quant à moi, par suite des considérations exposées par M. le ministre des affaires étrangères, que l’évacuation ne soit suivie d’autres mesures non moins décisives. Pour prouver que ma pensée n’est pas sans fondement, j’appellerai à mon secours un auxiliaire que vous ne qualifierez pas de ministériel, quoiqu’il soit ministre : c’est le ministre des finances du roi de Hollande, parlant aux états-généraux dans la séance du 20 novembre. (On rit.) Permettez-moi de citer ses paroles :
« Pour ce qui est de l’évacuation de la citadelle d’Anvers, dit ce ministre, l’orateur qui la désire se trompe dans sa manière de voir ; car il a dû supposer qu’il resterait à la Néerlande le choix entre cette évacuation et une paix honorable. Dans ce dernier cas, le ministre partagerait l’opinion de l’orateur ; mais il n’en est pas ainsi. Si l’orateur avait lu avec attention les pièces diplomatiques communiquées par le ministre des affaires étrangères, il y aurait vu que l’évacuation de la citadelle d’Anvers est seulement le premier moyen coercitif… »
Le premier moyen coercitif, vous l’entendez ; le mot est souligné, ce n’est pas nous sans doute qui l’avons altéré. (On rit.) Je continue : « le premier moyen coercitif que l’on emploie contre la Néerlande et qui est suivi de moyens de coercition plus forts encore. Il est donc incontestable que, par l’abandon honteux de cette forteresse, nous aplanirons le chemin pour un deuxième et troisième moyen coercitif, que nous ne connaissons pas encore. Quels sont les événements qui surgissent à l’entour de nous ? Des flottes anglaise et française croisent sur nos côtes pour frapper de terreur des malheureux sans défense et entraver notre commerce. Pourquoi cette nombreuse armée française qui envahit la Belgique ? Dans quelles intentions approche-t-elle de nos frontières ? Nous ne les connaissons pas ; nous devons donc opposer la force à la force. »
M. Gendebien. - Messieurs, au point où en est arrivée la discussion, je serais presque tenté de renoncer à la parole, car il me semble que tout a été dit à peu près sur la question ; il serait difficile de répondre mieux qu’on ne l’a fait à celui des ministres qui aujourd’hui a développé si longuement la politique de son prédécesseur et la sienne.
Ce que les ministres veulent faire prédominer parmi les moyens qu’ils emploient, c’est l’espoir fondé sur des documents secrets, et que l’on ne peut pas communiquer ; ils ont été battus sur tous les actes patents ; ils espèrent maintenant vous faire illusion, en alléguant des actes secrets.
Veuillez-vous rappeler, messieurs, lorsqu’il a été question de 18 articles, les abus que l’on a faits de ces documents secrets.
Lorsqu’on vous parlait du Luxembourg, par exemple, on vous disait : « C’est une question d’honneur ; nous défions un roi de régner six mois dans la Belgique sans le Luxembourg. » Mais le ministère disait en même temps : « Je ne peux abuser des documents secrets que j’ai en ma possession ; il est impossible de ne pas abandonner le Luxembourg. » Eh bien, tous ces documents secrets n’ont jamais vu le jour, et vous avez perdu la moitié du Luxembourg.
Aujourd’hui, même tactique. Il serait curieux, messieurs, de voir la marche que nous avons suivie depuis deux ans, toujours avec des convictions intimes et avec des documents secrets.
Voyons le point de départ.
Le 4 novembre, les cinq puissances à Londres rédigent un premier protocole dans lequel elles nous demandent une suspension d’armes, en nous accordant la totalité des provinces méridionales. On nous disait que les troupes se retireraient respectivement derrière les limites des anciennes provinces du prince souverain, et telles qu’elles avaient été fixées avant le traité de 1814 pour celles de ces provinces que les traités de 1814 et 1815 avaient réunies pour former le royaume des Pays-Bas. Tout était bien défini. Que fait le gouvernement provisoire ? Il accepte les bases de cette suspension, par laquelle on lui accordait tout ; et il répondit avec fermeté et franchise, quoiqu’il n’eût à sa disposition que 2,500 volontaires, tandis que le gouvernement actuel, avec 130,000 hommes, tient un langage humble et se laisse dicter la loi par tout le monde.
Nous avons invoqué à l’appui de notre réponse l’article 2 de l’acte constitutionnel des Pays-Bas, où se trouve la définition des stipulations du protocole n°1.
Vous connaissez le langage que tenait le gouvernement provisoire. J’ai signé les préliminaires du traité qui fut fait alors je m’en glorifie tous les jours, et je m’en glorifierai aussi longtemps que les ministres qui se succéderont feront quelque chose de semblable.
Dans le protocole du 17 novembre on ne retranche plus qu’une partie des stipulations comprises dans le premier protocole. On y a omis ce qui délimitait nettement les deux pays, de sorte qu’on ne voit plus ce qui constitue les limites de notre territoire. Le protocole du 17 novembre est le second.
Au 11ème protocole, celui du 20 janvier, on dit : « Les limites de 1790. » Vous voyez, messieurs, par quels détours presque inaperçus on est arrivé à nous contester ce qu’on nous avait accordé d’abord. J’ai refusé de signer le 10ème protocole, et je m’en glorifie encore. Je me suis borné à signer une suspension d’armes provisoire.
Nous sommes maintenant au soixante et dixième protocole. Il y en a eu 69 de fabriqués depuis. Voyez les pas que nous avons faits ! Et cependant les ministres du régent, comme ceux qui ont suivi, vous ont toujours parlé des pas immenses que l’on faisait par la diplomatie. Nous nous sommes aperçus, en effet, qu’il y avait progrès, mais progrès rétrograde.
C’est avec 2,500 volontaires que nous avons tenu la dragée haute vis-à-vis des puissances ; ceux qui nous ont succédé nous ont accusé des pusillanimités : que pourrait-on dire contre eux aujourd’hui ?
Que l’on ne pense pas qu’il y ait ici animosité personnelle. Non, messieurs, je ne comprends pas pourquoi quelques-uns des ministres viennent nous parler sans cesse de leur existence administrative, à laquelle nous ne tenons pas le moins du monde.
Autrefois on supposait que ceux qui attaquaient les ministres voulaient arriver au ministère, quoique deux fois nous ayons refusé des portefeuilles : je le déclare, je n’accepterai pas plus un ministère aujourd’hui que je n’ai accepté les fonctions de procureur-général à la cour de cassation.
A diverses époques nous avons prédit où conduisait la marche de l’administration.
Le 2 du mois de juin 1831, j’ai annoncé au congrès que le ministère nous jetterait dans un cercle vicieux qui finirait par une mystification et par l’acceptation des protocoles J’ai posé nettement la question : Accepterons-nous ou n’accepterons-nous pas les protocoles ? Là-dessus grande rumeur. Mais maintenant, vous le voyez, vous subissez les protocoles, vous allez avoir un article imposé par la violence, vous allez l’obtenir au prix peut-être de l’incendie d’Anvers. Cet article, c’est l’abandon de 400 mille de nos concitoyens, moins les garanties pour les personnes et pour les propriétés, stipulées par les 24 articles.
Les réserves russes et les réserves prussiennes et autrichiennes portent sur trois articles, qui promettent quelque chose ; le reste du traité nous est onéreux ; et on n’exécute que la partie onéreuse pour nous, la seule qui ait été ratifiée par les puissances.
Messieurs, quand il a été question des réserves, vous vous rappelez ce que nous avons dit ; nous disions : Il est possible qu’on exécute le traité ; mais on ne l’exécutera que partiellement pour l’évacuation du territoire, parce que la France se trouvera dégagée pour le surplus, par l’acceptation des réserves.
Vous avez le voisinage de la Hollande ; bientôt vous allez avoir le voisinage des Prussiens : à moins que nous n’ayons perdu la tête, ne croyez pas nous avoir fait illusion.
Avant d’abandonner les habitants de Venloo, du Luxembourg, du Limbourg au roi Guillaume, vous voulez les remettre aux Prussiens ; vous voulez qu’ils passent sous la verge du pouvoir absolu, avant de passer sous leur ancien dominateur.
Le gouvernement prussien est plus hostile à la Belgique que la Hollande ; le gouvernement absolu est l’ennemi de toute révolution ; il sera peut-être plus cruel que le roi Guillaume, qui a quelques-uns des sentiments qu’on est forcé d’avoir dans les gouvernements constitutionnels. Le roi Guillaume, en ressaisissant ce territoire, aurait, par politique, des ménagements à tenir, envers les habitants ; aussi c’est le roi de Prusse qui sera d’abord chargé de donner de la férule, et il la donnera de main de maître. J’ai dit hier que cette remise de territoire était un assassinat politique, je dis aujourd’hui que c’est un double assassinat politique ; car vous les sacrifiez d’abord au bon plaisir du roi de Prusse, pour qu’ils soient ensuite sacrifiés au bon plaisir et aux vengeances du roi Guillaume. Il ne faut pas nous y tromper, ils seront traités comme pays de généralité, et nous comme pays constitutionnel.
Oui, il y a assassinat politique : vous pouvez ensuite vous faire mangeurs d’hommes, comme vous dites ; mais ce ne sont pas des mauvaises plaisanteries qui vous justifieront.
Comment donc les ministres peuvent-ils parler de notes secrètes, lorsqu’en levant un des coins du voile qui couvre leur politique on aperçoit ce qui arrive de funeste à nos concitoyens du Limbourg et du Luxembourg ?
Je voudrais me hâter de finir parce que je suis trop ému.
Je vous ai prédit, il y a vingt mois, que vous alliez avilir la nation, et je vous ai dit qu’une nation avilie était une nation morte. J’ai ajouté que de l’avilissement à la restauration il n’y avait qu’un pas. Vous parlez de patrie : en quoi consiste votre patrie ? Est-ce dans ce lion qui se tient sur ses pattes de derrière ? Est-ce dans l’indépendance du pays, quand vous êtes dans la dépendance de tout le monde ? Est-ce dans le nom de Belges que nous avons fait d’abord respecter par les Allemands et les Français, et qui, maintenant, est la risée de l’Europe, est un titre aux sarcasmes, aux coups d’épée ; témoin ceux qui, récemment encore, ont été à Aix-la-Chapelle et qui se sont hâtés d’en revenir ?
Voilà pour les intérêts moraux ; quant aux intérêts, où en êtes-vous ? Vous allez tomber dans un statu quo dont vous sortirez plus difficilement que du premier : vous donnez au roi Guillaume 400 mille habitants, un territoire excellent et 12,000 hommes pour son armée. Vous lui donnerez de plus les arrérages de la dette, tribut honteux, résultat des manœuvres de nos doctrinaires, vous lui donnerez les moyens de venir nous écraser au printemps prochain.
Le roi Guillaume, se fondant sur les réserves russes, s’il évacue Anvers, ira s’établir à Flessingue et ne vous laissera pas passer, ou ne le fera qu’à des conditions onéreuses et vexatoires. Il détruira votre commerce ; que ferez-vous pour vous y opposer ?
Depuis 18 mois nous vous demandions de construire des bateaux à vapeur : on nous a présenté, l’an dernier, un budget de la marine de 15,000 florins ; il fallait un budget de quinze cent mille florins ou de deux millions. 15,000 florins ! Cela ressemble, disais-je alors, au bilan d’un marchand épicier en faillite... (On rit.) Vous auriez pu faire une flottille avec des bateaux à vapeur qui auraient nettoyé l’Escaut et protégé notre commerce. Où irez-vous quand vous aurez fait évacuer Anvers ? Quels moyens avez-vous de contraindre le roi de Hollande à souscrire aux articles qui lui sont désavantageux ? Croyez-vous que la Prusse, lorsqu’elle sera en possession de la rive droite de la Meuse et du Limbourg, lorsqu’elle sera à deux lieues et demie de Liége, à 12 ou 15 lieues de Bruxelles, croyez-vous que vous la trouverez disposée à imposer des sacrifices à son beau-frère ? Croyez-vous que la Russie et l’Autriche seront plus disposées à imposer les mêmes sacrifices ? Mais non, messieurs, au printemps prochain vous aurez une guerre de principes, et vous aurez abandonné des positions militaires et un territoire magnifique.
De tout ceci je conclus que vous procédez au premier des actes qui vont amener le partage de notre pays. La Prusse aura la rive droite de la Meuse, une partie du Limbourg, du Luxembourg, Maestricht, territoires que vous allez lui donner en séquestre ; la Hollande aura des territoires jusqu’au Demer, et peut-être jusqu’à Bruxelles, et peut-être cette ville même, ce qui me procurera le plaisir de voyager toute ma vie ; l’Angleterre prendra une position militaire sur le littoral qui lui convient, et la France aura le reste.
Je dois ajouter encore un mot.
Je vous disais, il y a vingt mois : Vous ferez maudire la révolution et les hommes qui y ont exposé leur tête ; eh bien ! ce que j’ai dit est arrivé : on maudit la révolution et les hommes de la révolution ; mais, si je suis maudit pour y avoir concouru avec désintéressement, et je puis ajouter avec courage, si je suis maudit, au moins je ne serai pas méprisé. Je léguerai à mes enfants un nom sans tache ; je pourrai aller tête haute dans la terre de l’exil. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour éviter les malheurs qui vont accabler mon pays : dans l’avenir on me rendra justice ; mais, je le répète, on ne me méprisera pas.
- Des applaudissements partent des tribunes.
M. le président. - Toute marque d’approbation ou d’improbation est expressément défendue.
M. F. de Mérode. - Messieurs, l’honorable préopinant vient de vous reporter au temps de la suspension d’armes et de l’armistice, armistice que j’ai signé, ce dont je ne me repens pas, précisément parce que nous n’avions, comme vous l’a dit M. Gendebien, que 2,500 volontaires, troupe flottante dans laquelle se trouvaient beaucoup d’hommes pleins de courage et de dévouement, mais une foule d’autres qui ne faisaient que paraître successivement sous les armes, armes sans cesse vendues et rachetées, pour les remettre à de nouveaux venus.
Il en résultait qu’un échec pouvait désorganiser cette troupe entièrement.
Mais l’orateur vous a aussi parlé de Maestricht, et il importe qu’une bonne fois l’on rappelle à votre souvenir ce qui s’est passé relativement à cette ville. La réussite d’un mouvement qui devait y avoir lieu comme ailleurs échoua par la distribution subite d’une proclamation du prince d’Orange, autorisant les électeurs maestrichtois à se rendre aux opérations électorales pour le congrès. Là, messieurs, fut la cause de notre situation pénible. Des précautions furent prises par l’autorité militaire hollandaise, et le moyen, facile alors, de rendre cette cité malheureuse à sa véritable patrie fut manqué.
Plus tard, messieurs, vous savez qu’on prétendit encore à la possibilité d’entrer dans Maestricht, et M. Charles de Brouckere fut interrogé en comité secret pour donner des renseignements sur cette possibilité. On disait que Maestricht manquait de vivres : M. Charles de Brouckere, dont les parents étaient dans la ville dont il s’agit, déclara qu’elle était abondamment pourvue. Se trompa-t-il réellement ? A cet égard, messieurs, personne ne serait plus à même de nous éclairer que M. Henri de Brouckere.
M. H. de Brouckere. - Pas du tout ; je n’en sais rien. (On rit.)
M. F. de Mérode. - Quoi qu’il en soit, ce ne serait pas là une des erreurs des ministres, pas même de M. Lebeau, qu’il est facile de plaisanter sur ses prophéties, lorsqu’on les isole de la très peu joviale aventure du mois d’août. Quant aux prédictions, il est bon aussi, messieurs, que vous vous rappeliez celles de l’opposition, afin de ne pas trop vous effrayer aujourd’hui de tant de sinistres annonces.
On a prédit que le duc de Nemours accepterait la couronne déférée par le congrès.
On a prédit que le prince Léopold ne viendrait point en Belgique ; on a prédit que jamais l’Angleterre n’userait de mesures coercitives contre la Hollande ; on a prédit que jamais la France ne ferait évacuer la citadelle d’Anvers. Tous les prophètes auxquels appartiennent ces diverses prédictions, vous en adressent aujourd’hui, qui, je l’espère, ne se réaliseront pas davantage.
M. H. de Brouckere. - Je me suis trouvé interpellé ; je certifie à la chambre que je ne sais absolument rien de ce sur quoi j’ai été interpellé. Ce que je puis assurer, c’est qu’au mois de janvier 1831 j’ai soutenu de toutes mes forces que la mesure la plus impolitique et la plus imprudente était de débloquer la ville de Maestricht : je demandais qu’on la laissât bloquée quelque temps encore, parce qu’elle ne pouvait manquer de tomber en notre pouvoir ; mais, au lieu de la bloquer à un quart de lieue, elle l’a été à deux lieues ; et un orateur a voulu soutenir qu’avec le même nombre d’hommes on pouvait bloquer aussi bien à deux lieues qu’à un quart de lieue. (On rit.)
M. F. de Mérode. - Je n’ai point parlé de communications faites par M. Charles de Brouckere au gouvernement provisoire, mais au congrès national dans un comité secret.
Au surplus, je me serais abstenu de prendre la parole, si l’on ne s’était permis dans cette enceinte des bravos et des battements de mains, bons dans un théâtre, mais non dans une assemblée qui délibère sur les plus hauts intérêts d’un pays. (A demain ! à demain ! L’heure est trop avancée !)
M. Gendebien. - Il ne peut plus être discuté que la question de priorité.
M. Devaux. - Tous les amendements sont-ils développés ? (Oui !oui ! La clôture ! la clôture !)
M. de Theux, membre de la commission de l’adresse. - Je vote contre la clôture.
M. de Muelenaere. - Un amendement a été proposé par M. Dumont ; cet amendement n’a reçu que peu de développement ; je le crois d’une haute importance dans la question ; je demanderai à la chambre la permission de dire quelques mots avant la clôture.
M. de Robiano. - On ne peut clore une discussion dans laquelle on a entendu des orateurs que dans un sens. (A demain ! à demain ! L’heure est trop avancée.)
M. Pirson. - En prononçant la clôture, vous ne décidez rien ; reste la question de priorité qui continuera la discussion.
M. de Muelenaere. - La séance de ce jour a été principalement consacrée à entendre quatre ou cinq orateurs qui n’ont présenté que des considérations générales, en sorte que la discussion des paragraphes a été perdue de vue.
- La clôture, mise aux voix, est rejetée. (A demain ! à demain ! à demain ! A lundi ! à lundi ! à lundi !)
- La chambre est consultée pour savoir si une séance aura lieu demain dimanche.
Après deux épreuves, le bureau déclare que la chambre s’ajourne à lundi.
La séance est levée à quatre heures et demie, au milieu de l’obscurité.