(Présidence de M. Pirson, doyen d’âge.)
A une heure moins un quart, M. le président ouvre la séance.
MM. Liedts et H. de Brouckere, les plus jeunes de l’assemblée, remplissent provisoirement les fonctions de secrétaire.
MM. Lebeau, Goblet, de Mérode, Rogier et Duvivier, sont au banc des ministres.
M. le président. - Un de MM. les secrétaires va donner lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. Jullien. - L’appel nominal des anciens membres ; les membres nouvellement élus ne peuvent pas délibérer avant d’être admis.
- L’appel nominal est fait, et la chambre est en nombre pour délibérer.
M. Liedts fait lecture du procès-verbal de la dernière séance de la session précédente.
- Ce procès-verbal est adopté sans opposition.
M. Liedts fait ensuite lecture du procès-verbal de la séance royale d’ouverture de la session actuelle, et de la séance de la chambre des représentants, qui a été tenue immédiatement après la séance royale.
- Ces deux procès-verbaux sont adoptés sans opposition.
M. A. Rodenbach écrit pour s’excuser de ne pas s’être encore réuni à ses collègues ; sa santé l’a empêché de partager leurs premiers travaux.
Plusieurs pétitions sont adressées à la chambre.
« Des électeurs de Liége, de Bruxelles et d’autres lieux demandent que la chambre suspende sa décision sur les élections de ces villes ; il prétendent qu’elles sont irrégulières. »
« 49 avocats du barreau de Bruxelles demandent que l’article 41 de la loi, portant institution d’officiers ministériels près la cour de cassation, soit abrogé. »
- Ces pétitions seront renvoyées au comité spécial chargé de les examiner et d’en faire un rapport.
M. le président. - L’âge m’a appelé au fauteuil à l’ouverture d’une session qui s’annonce au milieu de circonstances bien graves. Nous touchons, dit-on, au dénouement de nos affaires politiques. Je le désire. Dans deux jours, nous assurait-on hier, une armée française viendra...
Vous penserez, sans doute, comme moi, que dans une situation aussi critique nous n’avons pas une minute à perdre, qu’il faut au plus tôt nous constituer définitivement, et que toute discussion oiseuse serait presque de la trahison.
Messieurs, l’ordre du jour appelle en premier lieu le rapport de la commission chargée de la vérification des pouvoirs des députés nouvellement élus ; j’invite M. le rapporteur à monter à la tribune.
M. Jullien. - Je ne suis pas seul rapporteur.
La commission de vérification des pouvoirs des députés nouvellement élus a partagé son travail ; elle m’a chargé de vous entretenir des élections des villes de Bruxelles, de Tongres et de Ruremonde. J’aurai l’honneur de commencer par l’une des élections de la ville de Bruxelles, le procès-verbal des deux autres élections ne nous étant pas parvenu.
Le collège électoral de la ville de Bruxelles était divisé en huit sections ; toutes les opérations faites par ces sections, à l’exception de la septième, ont été trouvées très régulières.
Le résultat des votes portait le nombre des votants à 472 ; la majorité absolue se trouvant être de 237 n’a été acquise à personne. Un ballottage a en lieu, et un incident arrivé dans la septième section doit attirer votre attention.
Les bulletins ne devaient porter qu’un seul nom, cependant ils en portaient trois.
Il faut dire à la chambre que d’abord on avait annoncé que les élections porteraient sur trois représentants, qu’ensuite on avait averti qu’il n’y avait lieu qu’à une élection en remplacement de M. Ch. de Brouckere. Le septième bureau n’a pas tenu compte de cet avertissement. Le bureau central n’a pas cru cependant que cette irrégularité pût infirmer la nomination.
Par le ballottage, M. Ferdinand Meeus a obtenu la majorité relative ; il a été proclamé député, et la commission vous propose son admission.
Ces conclusions sont adoptées.
M. Jullien. - J’aurai l’honneur de passer au rapport des élections de la ville de Tongres. La commission a vérifié que les opérations du bureau central et des sections sont parfaitement en règle.
Les convocations des électeurs ont été faites conformément à la loi électorale ; les délais ont été observés ; on a donné lecture des articles dont la loi exige la lecture ; et en définitive il a été constaté que dans les quatre sections il y avait en tout 149 votants, que sur ce nombre M. le comte Renesse a obtenu 141 suffrages : il a été proclamé membre de la chambre des représentants.
La commission a trouvé cette élection parfaitement en règle, et elle a l’honneur de vous proposer l’admission de M. Renesse à la place de M. Destouvelles.
M. le président. - Il n’y a pas de réclamation ?... Je proclame M. de Renesse membre de la chambre.
- M. Meeus et M. de Renesse prêtent serment.
M. Jullien. - Comme président de la commission de la vérification des pouvoirs, j’ai l’honneur de prévenir la chambre que nous ne pouvons l’entretenir des élections de Ruremonde, d’Ostende, de Courtray, de Huy, Gand, Liége, Bruxelles, par la raison que les procès-verbaux ne sont parvenus que ce matin, et ensuite parce que des réclamations ont été faites contre ces élections.
Dans ces circonstances la commission se propose de vous faire son rapport demain.
- Il y a encore d’autres rapporteurs dont les rapports sont prêts.
M. Nothomb. - Messieurs, je suis chargé de faire le rapport sur les élections d’Ypres. Le député élu est M. Louis Robiano de Borsbeek.
La commission a trouvé les pièces parfaitement régulières. Il est constaté que les électeurs votants étaient au nombre de 400 ; la majorité était donc de 201. M. Louis Robiano de Borsbeek a obtenu 322 suffrages ; M. de Langhe a obtenu 54 voix, et quelques autres concurrents en ont obtenu 4 ou 5.
Il y a une circonstance sur laquelle la commission croit devoir appeler votre attention. Il est constant que deux électeurs qui n’étaient pas inscrits primitivement sur la liste, ont été admis à voter. La commission n’a pas hésité à voir dans ce procédé une irrégularité ; les électeurs qui se présentaient n’étaient pas munis de pièces suffisantes pour avoir droit de voter.
Mais le député élu ayant obtenu 322 voix, en défalquant les deux électeurs irréguliers il lui restera toujours une majorité plus que suffisante pour être député. En conséquence, la commission propose l’admission de M. Robiano de Borsbeek.
- Les conclusions de la commission sont adoptées sans opposition.
M. de Robiano de Borsbeek est admis et prête serment.
M. Dewitte. - Votre commission m’a chargé de l’examen des opérations électorales du district de Bruges. Le collège était divisé en quatre sections. M. Coppieters a obtenu 271 voix sur 323 votants ; il a été proclamé membre de la chambre ; votre commission vous propose son admission, parce que l’élection lui a paru régulière.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Coppieters est introduit et prête serment.
M. de Woelmont, autre rapporteur, fait un rapport sur les opérations électorales du district de Mons, qui ont été très régulières, et conclut à l’adoption de MM. Corbisier et de Bousies.
- Adopté.
Les deux honorables membres sont introduits.
M. Poschet fait ensuite un rapport sur les élections de Saint-Nicolas, et conclut, vu la régularité des opérations de ce district, à l’admission de M. Vilain XIIII.
- Adopté.
M. le président. - Il n’y a pas d’autres rapports prêts pour aujourd’hui.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la nomination du président de la chambre et des secrétaires.
M. Devaux. - Je demande la parole. Messieurs, comme il s’agit ici d’un acte qui doit régir la session tout entière, je crois qu’il est dans les convenances de n’y procéder que lorsque la chambre aura statué sur l’admission des membres dont les pouvoirs sont encore à vérifier. Ils ont comme nous le droit de concourir à l’élection du président ; je ne sais pas pourquoi on les en priverait, et ce n’est pas leur faute, si leurs pouvoirs ne sont pas encore vérifiés. Il faut ou attendre que cette vérification soit faite, ou les admettre sans vérification à voter pour la formation du bureau.
M. Dumortier. - Messieurs, nous ne sommes pas dans des circonstances ordinaires. Vous avez appris hier, par le discours du trône, que dès demain nous allons subir l’intervention étrangère ; demain la Belgique va se trouver dans la position la plus désastreuse : jamais son gouvernement n’a eu plus besoin de l’appui de la nation et de ses représentants. Ce n’est donc pas le cas de vous arrêter à une fin de non-recevoir, car c’est une véritable fin de non-recevoir qu’on nous propose, et si vous aviez le malheur de l’accueillir, vous ne pourriez pas d’ici à demain poster aux pieds du trône l’expression des sentiments qui vous animent, à l’aspect des mesures désastreuses au pays adoptées par le ministère. Vous devenez dès lors les complices du ministère qui n’a pas voulu consulter la chambre dans des circonstances aussi graves, et qui l’aurait pu s’il l’avait voulu, soit en convoquant plus tôt la chambre, soit en ne permettant que plus tard l’entrée de l’armée française.
Il est urgent que la chambre soit constituée, parce que je me propose de faire une motion de la plus haute importance, pour que la chambre exprime sa désapprobation de mesures qui tendent à flétrir notre armée et à nous soumettre à une intervention étrangère ; il faut que la chambre se prononce, pour ne pas devenir la complice du ministère et de son crime.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Oui, messieurs, de son crime, et dans des circonstances aussi désastreuses ce serait s’en rendre complice que d’écarter une proposition par des fins de non-recevoir.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Le ministère ne cherchera pas sa défense dans des fins de non-recevoir ; ce système de défense ne lui va pas ; et quand on voudra poser la question sur son véritable terrain, il ne la désertera pas.
Si l’intervention de la chambre pouvait avoir de l’influence sur l’intervention de la France et la marche de son armée, nous demanderions nous-mêmes que l’on mît le plus de célérité possible dans les opérations qui doivent précéder la manifestation de l’opinion de l’assemblée ; mais l’intervention de la chambre serait inefficace : l’armée française entrera sur notre territoire en conséquence de traités, en vertu des pouvoirs constitutionnels qu’avait le Roi de conclure ces traités, en vertu de conventions qui forment pour la France et l’Angleterre un droit acquis.
Nous assumons sur nous toute la responsabilité de ces conventions. Tout acte de la chambre serait inefficace relativement aux questions sur l’intervention de l’armée française : par suite de conventions solennellement ratifiées, il y a droit acquis pour la France et pour l’Angleterre d’intervenir en Belgique dès demain (15). Tout ce que la chambre peut faire en présence d’un événement qu’il n’est pas en son pouvoir d’empêcher, c’est d’exprimer son opinion dans l’adresse en réponse au discours du trône. C’est alors qu’elle fera peser sur le ministère la responsabilité des traités conclus constitutionnellement.
Si la chambre les improuve, le ministère comprend ce qu’il aura à faire, il se retirera ; si, non contente de cette première sentence, la chambre veut employer plus de rigueur, la cour de cassation est là... (Mouvement dans l’assemblée.) Je le répète, ce ne sera que dans la discussion de l’adresse que viendront trouver place les observations de l’honorable préopinant.
M. H. de Brouckere. - Il est probable que M. le ministre de la justice n’a pas bien compris ce qu’avait dit l’honorable M. Dumortier. M. Dumortier n’a pas soutenu que la chambre avait le droit d’empêcher l’entrée en Belgique de l’armée française ; car, s’il avait avancé pareille chose, il aurait dit une absurdité. La loi du 1er octobre 1831 donne, en effet, au roi le pouvoir de permettre qu’une armée étrangère entre sur le territoire, ou le traverse, et ce droit lui est accordé tant que la paix n’aura pas été signée. M. Dumortier ne veut donc pas empêcher l’armée française d’entrer, mais il veut que l’on discute sa motion aujourd’hui afin que nos vœux et notre opinion soient portés aux pieds du trône avant que l’intervention de l’armée française ne soit un fait consommé, et le ministère n’a pas de raison pour s’opposer à une pareille proposition.
Mais, dit-on, dans l’adresse vous pourrez exprimer votre opinion. Oui sans doute ; mais si, ce que je ne prétends pas, l’adresse était rédigée suivant l’opinion de M. Dumortier, elle arriverait trop tard.
On dit encore : Si vous croyez les ministres coupables, vous les accuserez. Je ne crois que la chambre veuille mettre les ministres en accusation ; mais en tout cas, et quand même on les y mettrait et qu’ils fussent condamnés, cela ne sauverait pas le pays. Il n’y a donc aucune bonne raison à opposer à la demande de M. Dumortier, et je l’appuie afin que sa motion soit discutée et vidée aujourd’hui même : demain il sera trop tard.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne m’attendais pas à prendre la parole avant que la chambre fût définitivement constituée, mais je ne peux laisser sans réponse une expression échappée à l’honorable M. Dumortier.
Avant même d’avoir entendu l’exposé du système suivi par le gouvernement, il a dit que le gouvernement venait de flétrir l’armée ; il l’a dit, messieurs, au moment où l’armée française, en vertu des traités, en vertu des conventions faites conformément aux lois, en vertu des vœux formels exprimés par la chambre, venait exécuter ces mêmes traités !
Non, messieurs, l’armée ne sera pas flétrie parce qu’elle subira la nécessité que subit tout le pays en ce moment. Non, l’armée ne sera pas flétrie ; car, si la moindre atteinte est portée au territoire belge, si la moindre agression est dirigée contre le pays, alors notre armée sera appelée, comme elle doit l’être, à repousser l’agression et à conserver intacts l’honneur ainsi que le territoire belge. Voilà quel sera le rôle de l’armée ; et je trouve vraiment extraordinaire qu’avant d’avoir entendu le gouvernement sur les précautions qu’il a prises pour conserver intact l’honneur de l’armée, on vienne déclarer ici que l’honneur de l’armée est flétri.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, il me semble que la chambre se lance dans une discussion tout à fait oiseuse. Ainsi que vous l’a dit M. de Brouckere, il ne s’agit pas en ce moment de discuter la motion de M. Dumortier, mais de procéder à la constitution définitive du bureau.
Quand M. le ministre de l’intérieur vous a dit que la chambre n’était pas constituée, il a avancé une erreur. La chambre est constituée depuis l’année dernière, et elle reste constituée tant qu’il n’y a pas de renouvellement intégral. C’est le bureau seul qui n’est pas constitué, et c’est à sa constitution qu’il est urgent de procéder.
Quand on veut se rendre compte de la position du pays, on sent qu’il est instant que la chambre soit constituée, et qu’il est très important qu’elle fasse connaître au chef du gouvernement son opinion sur les mesures qui ont été adoptées et les évènements qui se préparent ; car il est de ces actes, messieurs, que l’on peut prévenir encore par l’expression franche de l’opinion de la représentation nationale, et si on attend de le faire dans l’adresse, il sera trop tard. Revenant au seul point qu’il faut vider en ce moment, je dis qu’elle consiste seulement à savoir si l’on veut oui ou non procéder maintenant à la composition définitive du bureau. (Aux voix ! aux voix !)
M. Devaux. - Messieurs, le but de M. Dumortier est de faire arriver au pied du trône, le plus tôt possible, l’expression de l’opinion de la chambre : mais pour cela il faut que la chambre existe, il faut une chambre ; or, il n’y a maintenant qu’une fraction de chambre... (Aux voix ! aux voix !) Les cris « aux voix » ne sont pas une raison. Oui, il n’y a qu’une fraction de chambre. Sur plusieurs élections s’élèvent des difficultés ; vous avez à savoir si M. Goblet est encore député, si M. Duvivier est encore député ; vous avez à savoir si les membres de l’ordre judiciaire qui jusqu’ici ont siégé parmi nous, doivent continuer à y siéger. Nous n’avons ici qu’une chambre présumée, et ce n’est pas avec une chambre présumée qu’on peut émettre une opinion.
Je crois que, par respect pour nos règlements, par respect pour les droits de nos collègues, par respect pour les règles du simple bon sens, nous devons faire ce que les circonstances exigent. Jamais en France une fraction de la chambre n’a pris de délibération. Si nous procédions autrement, ce serait une manière de faire une épuration, de mettre à l’écart les députés dont on craindrait les sentiments ; et c’est un précédent que nous ne devons pas admettre.
M. H. de Brouckere. - Je dois répondre à ce que vient de dire M. Devaux, car il y a dans ses paroles une observation qui me regarde personnellement. Il a dit qu’il y avait dans l’assemblée des personnes qui ne pouvaient pas se considérer comme députés, et qui avaient cependant pris la parole.
M. Devaux. - Je n’ai pas dit positivement que ces personnes ne fussent plus députés, mais que cela faisait question.
M. H. de Brouckere. - Soit. Il y a question. C’est ainsi que MM. Duvivier, Goblet, nommés ministres, et autres députés qui ont été nommés à des fonctions judiciaires, ne devraient pas se considérer comme députés. Quant à moi, je déclare que je considère comme députés MM. Goblet et Duvivier, tant que la chambre n’aura pas décidé le contraire. Ce que je dis pour eux s’applique également aux membres de l’ordre judiciaire. S’il y a doute, que M. Devaux fasse une proposition formelle pour les exclure, et on discutera sa proposition avant celle de M. Dumortier. Mais jusque-là, et tant qu’il n’y aura pas de proposition, je soutiens que les membres de l’ordre judiciaire, aussi bien que les deux ministres ad interim, ont le droit de siéger ici et d’y voter comme députés.
M. Jullien. - Je crois avec l’honorable préopinant que les députés qui siégeaient dans cette enceinte l’année dernière et qui y siègent cette année, sont encore députés jusqu’à ce que la chambré décide sur cette question, parce qu’elle est souveraine en cette matière. Mais il n’en est pas moins vrai qu’on doit savoir si ceux qui ont accepté des fonctions salariées doivent être soumis à une réélection nouvelle.
Je ne partage pas l’avis de M. Devaux qui dit que, jusqu’à ce qu’on ait statué sur les questions agitées, il n’y a ici qu’une fraction de chambre ; je ne puis pas laisser passer cette erreur.
Quand même vous décideriez que les députés compris dans certaines catégories devraient être réélus, la chambre ne serait pas une fraction ; elle serait une unité législative ; elle est constituée depuis l’année dernière ; elle n’est pas chambre nouvelle ; elle est une et entière.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur ces questions, nous ne pouvons pas procéder à la nomination d’un président ; toute chambre doit s’organiser, et la chambre ne peut être détitrée et traitée de fraction.
Quant aux députés nouvellement élus, vous avez dû voir par les pétitions qui vous sont adressées que leur nomination donnera lieu à l’examen de questions délicates, ce qui entraînera peut-être beaucoup de temps.
Je ne vois pas pourquoi on ne procéderait pas actuellement à la formation du bureau. Je conclus à cette formation immédiate. (Aux voix ! aux voix ! aux voix !)
(Erratum inséré au Moniteur n°320 du 17 novembre 1832) M. Milcamps. - Messieurs, je ne viens pas combattre les premières observations du préopinant, mais les dernières. L’honorable préopinant, qui a été le premier rapporteur de la commission des pouvoirs, a fait remarquer que plusieurs procès-verbaux d’élection, et ceux notamment de la ville de Bruxelles, n’étaient pas encore parvenus à la chambre. Je crois, messieurs, qu’il est d’une justice rigoureuse d’attendre que ces procès-verbaux soient arrivés, et que les pouvoirs des nouveaux membres soient vérifiés avant tout autre objet, car nous ne devons pas les priver de concourir à la rédaction de l’adresse. (Aux voix ! aux voix !)
M. Brabant. - Je conteste la qualité de deux membres de la chambre, celle de MM. Gobet et Duvivier. Je crois que le changement de position qu’ils ont éprouvé en acceptant un portefeuille par interim les a privés de leur qualité de députés, et qu’ils ne peuvent figurer ici que comme ministres. Il en est d’eux comme de M. Rogier, qui n’a pas hésité à provoquer lui-même sa réélection.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il y avait un précédent qui devait me dispenser de penser à ma réélection : l’honorable membre qui se trouve à mes côtés (M. de Mérode) a été dans une position semblable à la mienne, et on n’a pas jugé à propos de le soumettre à une réélection. Dans tous les cas, si la chambre change sa jurisprudence, je m’empresserai de m’y soumettre.
M. Nothomb, à M. Brabant. - Faites une proposition formelle.
M. Legrelle. - Il me semble qu’on pourrait s’occuper des élections nouvelles ; les procès-verbaux devraient être rassemblés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ils doivent être remis.
M. Legrelle. - On pourrait s’occuper des élections nouvelles séance tenante.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Si les procès-verbaux ont été remis à temps au ministère de l’intérieur, ils doivent être transmis ici ; ils ne restent pas une heure dans les bureaux, C’est le secrétaire-général qui s’occupe du soin de les transmettre.
M. de Robiano. - Les élections de Tournay sont régulières, le procès-verbal est arrivé.
M. Dumont. - J’ai entendu dire que des procès-verbaux étaient arrivés...
- Une voix. - Ce sont ceux de Gand.
M. Dumont. - Je demande que la séance soit suspendue pendant deux heures pour que la commission s’occupe de la vérification des pouvoirs. Il n’y aurait que les membres dont les procès-verbaux ne seraient pas transmis qui seraient privés de participer à la nomination du bureau. (Appuyé ! appuyé !)
M. H. de Brouckere. - J’appuie la proposition, sauf à ne pas suspendre la séance. Je demande que pendant que la commission fera son travail, on examine la question proposée par M. Brabant.
M. le président. - On vient de dire que des procès-verbaux venaient d’arriver...
Voici la proposition de M. Brabant :
« MM. Goblet et Duvivier ont cessé de faire partie de la chambre en acceptant les fonctions de ministre ad interim. »
La proposition est-elle appuyée ? (Oui ! oui ! oui !)
M. le président. - En voici encore une ; elle est de M. Devaux :
« Je propose à la chambre de décider si les membres de l’ordre judiciaire, qui siégeaient l’année dernière dans cette assemblée, et qui ont été nommés à des fonctions semblables, doivent être soumis à la réélection. »
M. d’Elhoungne. - Ces propositions méritent de fixer l’attention de la chambre ; mais il y a une autre question plus importante, c’est de mettre la chambre en état de manifester ses opinions. Je pense que ce sera remplir le vœu de l’assemblée que de demander la priorité pour la proposition de M. Dumortier, tendant à procéder immédiatement à la composition du bureau. Lorsque cette proposition sera décidée, on pourra cependant, avant de procéder à la formation du bureau, suspendre un moment la séance, afin de laisser à la commission de vérification des pouvoirs le temps d’examiner les procès-verbaux, et de nous faire un rapport sur ceux qui sont arrivés.
De cette manière, nous ne priverons personne de son droit, et on aura économisé le temps de la chambre, Nous ne devons plus nous laisser engager dans des sessions de dix mois : il faut promptement imprimer le mouvement à la machine législative, et aller droit et ferme au but.
M. le président. - C’est une question de priorité qu’il faut décider.
M. Dumortier. - C’est une motion d’ordre.
M. Brabant. - Je crois que la proposition de M. Devaux doit avoir la priorité, ainsi que la mienne ; à moins que M. Goblet et M. Duvivier s’abstiennent, je ne crois pas qu’on puisse la laisser sans solution
M. Duvivier. - Je m’abstiendrai.
M. Brabant. - Si elle était sans solution, il ne serait plus temps de la résoudre quand ces messieurs auraient fait acte de député.
M. le président. - Que ceux qui accordent la priorité à la proposition de M. Dumortier, consistant à procéder immédiatement à la formation du bureau, veuillent bien se lever… (L’appel nominal ! l’appel nominal !)
M. H. de Brouckere. - M. le président, je ne puis pas monter au bureau ; on conteste ma qualité de membre de la chambre : nous sommes ici dix membres de l’ordre judiciaire qui avons été conservés dans nos fonctions. Tant que la question ne sera pas décidée, je ne puis pas prendre place au bureau.
M. Liedts. - Je suis dans le même cas. (On rit.)
- Quelques voix. - Descendez du bureau ! descendez !
M. Liedts. - Non, messieurs ; nous pouvons rester au bureau ; notre qualité est contestée, mais elle n’est pas détruite.
M. le président. - Il faut poser la question de M. Devaux.
M. Devaux. - Ma question est posée ; elle est posée dans des termes conformes aux antécédents de la chambre.
M. Brabant. - Je demande la parole
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
On avait mis la question de priorité en délibération ; entre deux épreuves on n’a plus le droit de prendre la parole. Je demande que la délibération soit terminée et que des questions incidentes n’aient plus lieu.
M. le président. - Ceux qui voudront que l’on procède immédiatement à la formation du bureau répondront oui.
M. Brabant. - La question est mal posée ; la question est de savoir si l’on accordera la priorité à la proposition de M. Dumortier ou à ma question et à celle de M. Devaux.
M. le président. - Eh bien, ceux qui voudront accorder la priorité à la proposition de M. Dumortier, répondront oui. On va faire l’appel nominal.
M. Liedts fait l’appel nominal, dont le résultat donne 30 voix pour la priorité et 34 contre.
La priorité n’est pas accordée à la proposition de M. Dumortier.
Ont voté pour : MM. Angillis, de Bousies, Coppens, Dams, Dautrebande, F. Meeus, de Haerne, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Roo, de Smet, de Renesse, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dumortier, Fallon, Jaminé, Julien, Lardinois, Mary, Osy, Pirson, C. Rodenbach, de Tiecken de Terhove, Vergauwen, H. Vilain XIIII, Zoude, de Woelmont.
Ont voté contre : MM. Brabant, Cols, Coppieters, Corbisier, Davignon, de Foere, Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Theux, Dewitte, Dugniolle, Dumont, Hye-Hoys, Jacques, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Pirmez, Polfvliet, Poschet, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, de Robiano, Verdussen, Vuylsteke, Devaux.
Se sont abstenus : MM. H. de Brouckere, Duvivier, Goblet, Jonet, Lebeau, Raikem, Raymaeckers, Rogier.
M. H. de Brouckere. - Je me suis abstenu parce que ma qualité de député m’est contestée ; mais je déclare que nonobstant cette contestation je me considère comme député.
- MM. Goblet et Duvivier font la même déclaration.
M. le président. - La priorité étant rejetée pour la question de M. Dumortier, reste la proposition de M. Brabant.
M. Legrelle. - Je demande la priorité pour la proposition de M. Devaux, qui concerne dix membres de cette chambre, tandis que celle de M. Brabant n’en concerne que deux.
Après un léger débat, la question de priorité est décidée en faveur de la proposition de M. Devaux
M. d’Huart. -Il faudrait que cette proposition fût développée.
M. Devaux. - Ma proposition est assez claire pour m’autoriser à penser qu’elle n’avait pas besoin de développement. M. le président nous a, d’ailleurs, recommandé d’être courts, car il paraît que l’on est pressé ; c’était autant de motifs pour m’imposer silence. Mais, puisqu’on veut maintenant que je développe ma proposition, je vais le faire en peu de mots. Messieurs, vous savez que la constitution, par son article 36…
M. Dumont. Je demande à faire une motion d’ordre. D’après l’article 35 du règlement toute proposition doit être déposée sur le bureau et renvoyée aux sections. (Rumeur). C’est une observation que je fais ; la proposition de M. Devaux est une véritable proposition ; la chambre l’a décidé, et nous n’avons pas de sections…
- La proposition de M. Dumont n’a pas de suite.
M. Devaux. - Messieurs, l’article 36 de la constitution est ainsi conçu :
« Le membre de l’une ou de l’autre chambre nomme par le gouvernement à un emploi salarié du gouvernement, qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élection. »
Vous le savez, messieurs, à une autre époque, j’ai insisté sur la nécessité de faire une loi d’application de l’article 36, attendu que tant que les cas où il devra être appliqué ne seront pas spécifiés, on restera dans le vague, et nous verrons à tout instant s’élever des difficultés, qui toujours exciteront de nouveaux débats.
L’opinion contraire à la mienne a prévalu, et nous en sentons maintenant les inconvénients.
L’article 36 dit beaucoup plus, pris à la lettre, qu’on n’a voulu lui faire dire.
Toute nomination à un emploi salarié soumet le députe qui l’accepte à une réélection, d’où il semble suivre qu’un ministre par exemple, qui, cessant de l’être, accepterait une place de gouverneur de province, ou l’emploi le plus subalterne s’il était salarié, devrait être soumis à la réélection.
Tel n’est pas je crois, l’esprit de l’article 36. La question se présente ici pour les membres de la chambre nommés aux mêmes fonctions qu’ils occupaient dans l’ordre judiciaire avant l’organisation. Une loi a disposé que tous les tribunaux du royaume recevraient une institution nouvelle, et que les anciens tribunaux ne seraient plus rien.
Cette loi a reçu son exécution. Voilà donc une magistrature toute nouvelle.
En prenant l’article 36 à la lettre, il serait de rigueur, pour les nouveaux magistrats, de se soumettre à une réélection.
Certes, suivant la lettre rigide de la loi sur l’organisation judiciaire, tous les anciens magistrats ont cessé de l’être et ne le sont redevenus que par la nouvelle nomination ; ils devraient donc être atteints par l’article 36 de la constitution. Cependant, messieurs, je crois qu’il est contraire à l’esprit de cet article, quand la position d’un fonctionnaire public n’est pas changée, comme dans l’espèce, quand sa nomination ne l’a pas rapproché du pouvoir ; je crois, dis-je, qu’il est contraire à l’esprit de l’article 36 de soumettre ce fonctionnaire à la réélection. C’est à vous à décider entre la lettre et l’esprit de la constitution.
M. Legrelle. - C’est à l’esprit de l’article qu’il faut s’attacher et non pas à la lettre. En examinant le but de l’article, on voit qu’il tend à soustraire à l’influence du pouvoir les membres de la représentation nationale. Or, on ne peut pas dire que les membres qui ont accepté des fonctions judiciaires soient restés sous l’influence du pouvoir ; au contraire, leur position s’est améliorée ; de précaire qu’elle était, elle est devenue définitive, et ils sont aujourd’hui moins que jamais sous la dépendance du pouvoir. Il n’y a donc pas lieu à les soumettre à la réélection. (Aux voix ! aux voix !)
M. Jaminé. - Il n’y a pas de contestation.
M. le président. - Il n’y a pas de contestation, et, en réalité, il n’y a pas de proposition formelle.
M. Devaux. - C’est bien une proposition que j’ai présentée ; la chambre l’a elle-même reconnu. J’ai le droit de présenter une proposition dans les termes qui me semblent bons, et M. le président n’a pas le pouvoir de l’écarter, en disant qu’il n’existe pas de proposition.
M. Jullien. - Messieurs, si je n’écoutais que l’estime que je professe pour ceux de nos collègues qui peuvent être atteints par cette discussion, je ne prendrais pas la parole, parce que, si mon opinion vient à prévaloir, et s’ils ne sont pas réélus, je serai le premier à regretter leur absence de cette chambre. Mais il s’agit ici d’une question constitutionnelle ; il faut y regarder de près, et ne se laisser influencer par aucune considération.
On demande si les magistrats qui étaient membres de cette chambre, et qui, par la nouvelle organisation judiciaire ont été nommés aux fonctions qu’ils occupaient auparavant, doivent se soumettre à la réélection. Voilà la question nettement posée. Interrogeons la constitution. L’article 36 nous répond d’une manière tout à fait pertinente ; il dit : « Le membre de l’une ou de l’autre des deux chambres nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte cesse immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élection. »
Je demande maintenant aux membres que cela concerne : Avez-vous été nommés à des fonctions salariées ? Ils sont obligés de me répondre oui. Je leur demande ensuite : Avez-vous accepté ces fonctions ? Ils sont encore obligés de me répondre oui. L’article 36 doit donc leur être appliqué. Le texte de l’article est clair, et là où la loi est claire, il n’est pas besoin de recourir à une interprétation. C’est donc à tort qu’on invoquerait l’esprit de l’article, quand son texte est si précis.
On n’a pas encore combattu la proposition de M. Devaux, je ne sais donc pas quelles objections on lui prépare, mais il est facile de les prévoir. On dit d’abord que les juges confirmés dans leurs places n’ont pas changé de position. C’est une erreur. Si vous vous rappelez les discussions qui ont eu lieu sur la loi judiciaire, vous savez que l’ordre judiciaire tout entier a été licencié. Vous avez décidé qu’au Roi appartiendrait la première nomination. Or, une première nomination n’est-elle pas une nomination ? N’est-ce pas que les anciens magistrats qui n’ont pas été renommés ne sont plus rien ? qu’ils ne pouvaient être quelque chose que par une nomination nouvelle ? Il n’est donc pas vrai de dire que ce soit faveur ou justice continuée à ceux qui ont été renommés, que la confirmation dans la place qu’ils occupaient auparavant.
C’est d’autant plus le cas de considérer leur nomination comme une nomination nouvelle, que leur position n’est plus la même. Avant l’organisation judiciaire, les juges n’avaient qu’une position précaire ; c’étaient plutôt des commissaires que des juges. De temporaire qu’elle était, leur position est devenue inamovible, autant que la fragilité des choses humaines peut imprimer un caractère d’inamovibilité à quoi que ce soit. Il n’est donc pas possible de dire que leur situation n’est pas changée.
Mais, dit-on encore, il faut examiner quelle a été l’intention du législateur quand il a fait l’article 36. Messieurs, l’intention du législateur a été de prévenir ces transactions honteuses qui peuvent se faire entre les chambres et le pouvoir, et au moyen desquelles on peut faire, d’un surveillant actif et incommode pour les intérêts du peuple, un homme souple et complaisant. On dit qu’étant devenus magistrats inamovibles, d’amovibles qu’ils étaient, il ne peut exister contre ces députés de motifs de suspicion. Quant à moi je crois qu’il en existe davantage. Je cherche consciencieusement l’intention du législateur et de la loi : lorsqu’un député n’est rien du tout, si le pouvoir lui fait des avances, ou si c’est lui qui en fait au pouvoir, et si ses avances sont rejetées, il n’était rien, il reste rien. Pas de motif de suspicion.
En est-il de même des juges qui ont été nommés de nouveau ? Quand il a été décidé qu’ils seraient tous licenciés, ils ont été menacés pendant plusieurs mois de perdre une position élevée, de se voir enlever un emploi dont les émoluments étaient peut-être nécessaires à l’existence de leur famille. Je vous le demande, dans quelle dépendance n’ont-ils pas été pendant tout ce temps ? Si vous ne faites pas dans l’espèce l’application de l’article 36, quand la ferez-vous ? Je le dis parce que j’en suis intimement convaincu. Les membres dont il est question doivent se soumettre à la réélection. Le texte de l’article 36 est clair ; son esprit est, selon moi, plus clair encore, et quand ces deux conditions sont réunies, il n’y a pas à balancer. Enfin, messieurs, songez-y bien, il s’agit ici de la loi fondamentale, et, si vous y tenez, vous la ferez exécuter.
M. Jaminé. - Messieurs, je me permettrai de dire aussi quelques mots sur la question importante qu’on a soulevée. Rien de plus clair au premier aspect que l’article 36 de la constitution. Cet article cependant, quand on le voit de près, laisse apercevoir des lacunes immenses, et qu’avec toute la prévoyance du monde il était impossible de remplir.
La disposition de l’article 36 dit-elle autre chose, sinon que le député qui n’a pas de fonctions salariées par l’Etat et qui accepte un emploi salarié depuis qu’il est député, doit être soumis à une nouvelle élection ? Il est évident que l’article ne dit que cela ; mais le député qui accepte des fonctions plus élevées est-il sujet à réélection ? Le député qui n’accepte pas le salaire attaché aux fonctions qu’on lui confère, est-il aussi soumis à réélection ? On répond oui, en ajoutant qu’il faut s’en tenir au texte de la loi.
Néanmoins, celui qui dans cette enceinte proposerait de soumettre à une réélection le député promu à des fonctions plus élevées que celles dont il était pourvu, ne serait pas appuyé par vingt suffrages.
Je m’empare de l’esprit de l’article 36 de la constitution, et cet esprit me conduira à une solution négative des questions agitées.
Si un fonctionnaire salarié par l’Etat est proclamé député, c’est que les électeurs n’ont pas douté un seul instant de son indépendance, n’ont pas douté un seul instant qu’il remplirait fidèlement et dans l’intérêt des commettants le mandat qu’ils lui ont confié. Si pendant sa carrière parlementaire il conserve la même place, il ne change pas de caractère ; il est certain qu’il ne doit pas être soumis à une réélection parce qu’on n’a pas détruit ses sentiments d’indépendance.
Appliquons cette considération à l’espèce : un membre de l’ordre judiciaire reçoit le mandat de représentant du pays ; pourquoi ? parce que les électeurs n’ont pas formé de doute sur la ligne de conduite qu’il tiendrait. Quand ce magistrat délibérait, il était amovible, il était dans la dépendance du pouvoir ; maintenant il n’est plus exposé aux caprices du ministère ; alors ne serait-il pas singulier que ce qui donne plus de garantie soit un motif d’exclusion ?
Mais on m’arrête et on me dit : Les juges qui ont été seulement confirmés dans leurs fonctions étaient amovibles, et postérieurement ils ont échangé leurs places contre des places inamovibles ; il y a donc quelque raison pour les électeurs de supposer qu’ils ne se sont maintenus que parce qu’ils ont fait pacte avec le pouvoir ; d’où il suit qu’il faut les soumettre à une réélection. Non, messieurs ; les électeurs ne feront jamais de pareilles suppositions.
Et d’abord, je défie de prouver qu’il y a un seul citoyen dans tout le royaume de la Belgique qui ait pu s’imaginer qu’on accorderait au pouvoir, par la loi sur l’ordre judiciaire, la faculté de culbuter de leurs sièges tous les magistrats nommés avant la révolution. Quoi qu’il en soit, en fait, est-il donc possible de supposer qu’ici il se trouvât quelqu’un qui voudrait soutenir qu’un magistrat pour avoir été maintenu dans son emploi, aurait perdu de son indépendance ?
Mais, poursuit-on, il y a eu intervalle où les anciens magistrats n’étaient plus rien du tout. Je suppose qu’un fonctionnaire député soit un instant en butte aux persécutions du pouvoir ; qu’un instant il soit brutalement révoqué : je suppose que le ministre revenant à des idées d’équité soit convaincu que le fonctionnaire révoqué a donné des preuves de dévouement à l’ordre de choses établi, qu’il a rempli ces fonctions honorablement ; je suppose que le ministre, après 24 heures, réintègre le fonctionnaire ; pourra-t-on soutenir qu’il y a lieu à réélection ? Je dis que non. Les anciens magistrats ont été réintégrés ; ils ont même été réintégrés avant qu’ils ne fussent plus rien, puisque c’est au 5 octobre que leurs pouvoirs expiraient.
Si le temps ne me pressait pas, je pourrais invoquer plusieurs considérations latérales à l’appui de mon opinion ; je pourrais dire qu’on pourrait opérer un bouleversement dans la chambre par le moyen de chaque loi organique.
Par exemple, il faudrait des réélections pour la nomination des juges de paix ; il en faudrait encore pour la nomination à des fonctions communales ou provinciales.
La question agitée irait jusqu’à annuler le mandat des députés de certaines contrées : mais est-ce quand l’intervention étrangère, quand l’intervention prussienne et française peut nous priver de notre indépendance ; est-ce dans un moment aussi critique que nous consentirions à perdre les lumières de plusieurs membres de cette assemblée, si l’opinion de M. Jullien prévalait ? Alors plus d’élections pour le Limbourg ; alors on pourrait dire que les baïonnettes prussiennes ont le droit de remettre un député sous le joug de son ancien maître.
Je conclus et je dis qu’un juge qui est resté juge, qu’un conseiller qui est resté conseiller ; je dis que l’un et l’autre n’ont rien perdu de leur indépendance ; et je m’oppose à ce qu’on nous prive des députés du Limbourg et du Luxembourg, jusqu’à ce qu’on sache bien à qui appartiennent les lambeaux de notre territoire.
M. le président. - La discussion est close. Je vais mettre aux voix la question relative à la réélection des magistrats qui ont conservé leurs fonctions.
- Cette proposition de réélection est rejetée à une très grande majorité.
Deux députés seulement se sont levés pour son adoption.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition relative à la réélection des membres du parquet.
M. Jullien. - Les membres du parquet sont dans une position plus favorable que les conseillers et les juges.
- La chambre décide à une très grande majorité que les membres du parquet ne seront pas soumis à la réélection.
M. le président. - Il y a une troisième proposition ; c’est celle de M. Brabant.
M. Liedts. - Voici cette proposition : « Je soussigné, propose à la chambre de déclarer que MM. Goblet et Duvivier ont cessé de faire partie de la chambre. »
M. Legrelle. - La position des deux ministres n’est pas la même.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Les observations de l’honorable préopinant sont tout à fait justes : il y a des différences notables dans la position de ces deux ministres.
Le ministre de l’intérieur, M. Rogier, en acceptant le portefeuille, a pensé qu’il tombait immédiatement sous le coup de l’article 36 de la constitution lequel exige la réélection. Il a tranché la question qui le concernait, et il a convoqué le collège électoral de Turnhout. En acceptant les fonctions de ministre des finances ad interim, M. Duvivier a voulu profiter des avantages attachés à la position de ministre, et je pense qu’il y a lieu à réélection.
Mais l’honorable M. Goblet est dans une position très différente. Il y a un antécédent qui est identique au cas en discussion.
Toutes les circonstances qui se sont rencontrées pour ne pas décider la chambre à demander la réélection de M. de Mérode se réunissent en faveur de M. Goblet. M. de Mérode a été nommé ministre d’Etat ; il a été chargé du portefeuille de la guerre ; il a rempli ses fonctions gratuitement, et jamais on a pensé à le soumettre à une réélection. M. Goblet est tout à fait dans les mêmes termes : il a été ministre d’Etat ; il a accepté les fonctions de ministre des affaires étrangères sans traitement. Il y a plus : il n’est pas remplacé dans ses fonctions d’inspecteur du génie dont il touche les émoluments. Les fonctions de ministre des affaires étrangères, il les exerce gratuitement.
Il me semble, messieurs, que vous ne perdrez pas de vue les différences qu’il y a entre les trois positions de MM. Rogier, Duvivier et Goblet. Cependant, si la chambre veut revenir sur ses antécédents, mon collègue est prêt à s’y soumettre.
M. d’Elhoungne. - Toutes les fois qu’il s’agit de questions de personnes, je répugne à y prendre part ; ces questions portent des fruits que chacun de nous doit désirer ne pas toucher ; mais, dès que le bien-être du pays l’exige, il faut émettre son opinion.
Je regarderais le rejet de la proposition comme destructif du pacte fondamental, comme destructif de notre constitution.
Messieurs, les différences que l’on veut faire résulter d’entre celui qui accepte des fonctions salariées et reçoit le salaire, et celui qui accepte les fonctions et refuse le salaire, est une de ces distinctions qui ne servent qu’a éluder le texte de la loi.
Messieurs, ou le texte de la constitution est clair et il faut l’appliquer ; ou le sens de l’article 36 est obscur et il faut une interprétation.
Quant à la clarté du texte, il n’y a pas à en douter.
S’il était obscur, nous ne pourrions pas l’interpréter ; nous ne sommes pas le pouvoir constituant, nous ne sommes que le pouvoir législatif.
Si la loi des lois était obscure, elle a prévu les moyens de procéder à sa réforme. C’est en procédant conformément aux dispositions de l’article 141. Nous ne sommes pas ici les juges qui interprétons la loi ; nous sommes ici les esclaves de la loi fondamentale : ou il faut appliquer la lettre de l’article 36, ou il faut déclarer que l’article est obscur. Il faut alors une proposition formelle pour interpréter l’article 36 ; il faut une réélection générale des deux chambres afin de porter une loi interprétative de cet article.
Ainsi vous voyez qu’on n’a rien fait en s’efforçant de vous prouver que l’article 36 est obscur.
Mais, dit-on, il y a un précédent ; c’est lorsque M. de Mérode a exercé l’intérim au ministère de la guerre : il n’y a pas de précédent qui puisse prévaloir contre le texte de la constitution, et de plus les cas ne sont nullement semblables.
Quand M. de Mérode s’est chargé de l’interim de la guerre, tout le monde a vu un provisoire parce que le genre des études et des occupations qu’il a suivies montraient que sa carrière n’était pas de se placer à la tête de la guerre ; il a été déchargé de ce fardeau, et je suis sûr, sur la propre demande. Messieurs, en est-il de même de l’honorable député qui a le portefeuille des affaires étrangères ? Ce n’est pas son coup d’essai dans la carrière diplomatique ; il a été chargé de deux missions diplomatiques ; il ne serait donc pas étonnant qu’il persévérât dans la carrière.
On ne doit pas laisser au pouvoir le moyen de violer la constitution par des mots. Je ne pense pas que la lettre de l’article 36 nous permette de ne pas décider que M. Goblet, ayant été nommé à des fonctions salariées, ne doit pas être réélu.
On a cité un précédent, j’en citerai un autre : M. de Theux s’est trouvé dans la même position que M. Goblet. Il ne voulait pas jouir du traitement de ministre et ne prenait que le titre de ministre ad interim.
Cependant M. de Theux, sentant que la question n’était pas soutenable, a fait cesser l’intérim : je pense que ce précédent vaut l’autre.
Ce serait avec regret que je verrais la chambre privée des lumières de ces deux membres, et que les électeurs ne nous les renvoyassent pas ; mais avant tout nous devons nous attacher à la lettre de l’article 36.
M. Duvivier. - Messieurs, puisque ma qualité de député m’est contestée, je déclare que je me soumets à la réélection.
M. F. de Mérode. - Si j’ai, en acceptant temporairement les fonctions de ministre de la guerre, conservé mon mandat de député, c’est, messieurs, parce que je me considérais comme autorisé par la constitution même à continuer de voter dans cette chambre. En effet que veut l’article 36 de la constitution ? Empêcher la corruption des représentants du pays, par la cupidité des traitements attachés aux places. Ne subtilisons pas sur des mots, allons au fond des choses.
Ma fonction n’est pas salariée pour elle-même, car on ne salarie point un être abstrait ; mais elle l’est dans la personne de l’individu qui la remplit. Or, si le titulaire exerce gratuitement, l’emploi qu’il occupe ne coûte rien à l’Etat ; il cesse par un fait incontestable d’être salarié, à moins qu’on ne prétende que telle place est frappée du caractère indélébile de salariée, comme le papier soumis au timbre ne peut plus, sans subir l’effet des ciseaux, devenir papier libre et non timbré.
Il est indubitable cependant que le gouvernement a toujours le droit de rendre une fonction gratuite, aussi longtemps qu’il le juge possible et utile au bien du service, et je nie formellement que le salaire soit obligatoire, essentiel, inséparable de tel ou tel emploi. J’établis qu’une distinction peut toujours être faite entre la place et le traitement. Si vous acceptez l’un et l’autre, évidemment vous êtes soumis aux dispositions de l’article 36 ; mais attendu, je le répète, que c’est l’appât pécuniaire qu’a voulu combattre cet article, et non l’honneur, le crédit, l’expérience, que l’on peut recueillir de l’exercice des emplois publics, il est clair que le texte et l’esprit de la constitution interdisent aux sénateurs et représentants le salaire et non pas l’acceptation du travail, les risques de la responsabilité dont le budget autorise le dédommagement : car, messieurs, le budget est un crédit ouvert ; pas autre chose.
Il serait tout à la fois très nuisible au gouvernement et au pays, qui, après tout, ont les mêmes intérêts, que l’on interprétât les articles déjà suffisamment restrictifs de la constitution, dans un sens exagéré et véritablement opposé à son esprit. Plus d’une fois il peut arriver que les membres du sénat ou de cette chambre soient à même de rendre quelques services temporaires et purement désintéressés. Qu’un de vous, messieurs, consente à accepter d’une manière transitoire et sans appointements la direction civile ou militaire d’une province, ou une mission à l’étranger, faudra-t-il qu’il renonce à ses fonctions de député, ou qu’il force les électeurs à quitter leurs occupations, à se mettre en campagne, en frais de voyage, pour le réélire ? Vous savez combien est fâcheux l’inconvénient des élections renouvelées sans cesse, il ne tend à rien moins qu’à détruire le système représentatif dans son essence, en affaiblissant de plus en plus le zèle des citoyens appelés à concourir au choix de la représentation nationale.
M. Nothomb. - Messieurs, lorsque je vous disais qu’il y avait un point commun dans la triple discussion qui s’agite, j’avais en vue cette considération importante qu’il fallait interpréter l’article 36 non d’après sa lettre, mais d’après son esprit.
La question à décider est très simple : il s’agit d’examiner si quand il n’y a pas de salaire attaché à une fonction, ou quand il est refusé, il y a amélioration pécuniaire dans la position de député. Je dis non.
L’honorable M. d'Elhoungne, en répondant aux précédents qui avaient été invoqués, a nié l’identité qui existait entre la position de M. de Mérode et le cas actuel. Il a dit que par ses études M. de Mérode ne pouvait être censé que provisoirement à la tête du ministère de la guerre. Eh bien, je soutiens moi qu’il y a identité parfaite entre sa position et celle de l’honorable général. Je ne décide pas la question par le genre des études qu’il a dû faire, mais par la nature même des fonctions qu’il a acceptées. Quoi de plus mobile que le portefeuille des affaires étrangères ! Celui qui s’en est chargé ne l’a fait que pour la réalisation d’un système, et ce système échouant, il se retire ; c’est donc un essai qu’il a fait. C’est à tel point que sa présence au ministère dépend du vote de l’adresse ; sous ce rapport il n’y est donc que provisoirement.
S’il était nécessaire de faire d’autres rapprochements, je ferais remarquer que M. de Mérode avait d’abord été nommé ministre d’Etat et ensuite ministre ad interim de la guerre, et qu’on a procédé de même pour M. Goblet.
Si l’on interprétait l’article 36 à la lettre, on arriverait aux conséquences les plus bizarres. Par exemple, un gouverneur de province est absent. Un membre de la députation qui se charge de remplir les fonctions de gouverneur par interim sera-t-il sujet à réélection ? Dans un ministère, un secrétaire général, un administrateur général peuvent être chargés pour quelques jours du portefeuille pendant l’absence ou l’empêchement du ministre : devront-ils être soumis à la réélection ? C’est là cependant où il faudrait en venir par l’interprétation rigoureuse de l’article. Je resterai donc conséquent avec le vote que j’ai émis dans une autre circonstance, et je vote contre la réélection.
M. Jullien. - Je vous avoue que je ne sais plus trop comment comprendre l’article 36. Quelques membres prétendent que les termes de cet article sont obscurs et veulent recourir à des interprétations. Je ne suis pas de leur avis : les termes de l’article soit fort clairs, et il est un vieux principe et un très vieux principe de droit qui dit que là où le texte est clair, il ne peut être question d’interprétation.
Nous voilà cependant à chercher si des hommes nommés ministres du roi, si des députés qui se placent dans la dépendance la plus absolue du chef de l’Etat, doivent être réélus ; voilà où nous a conduits la prétendue obscurité de l’article 36. Je conçois, messieurs, qu’un ministre ad interim, n’exerçant ses fonctions que parce que le titulaire est empêché, ne soit pas considérer comme ministre et ne doive pas être réélu ; mais quand il n’y a pas de titulaire, le ministre ad interim n’est-il pas réellement ministre du roi ? et après tout, messieurs, tous les ministres présents et futurs ne sont que des ministres ad intérim (hilarité) ; car le roi peut les révoquer quand bon lui semble. Ainsi, la qualification ad interim est tout à fait dérisoire.
Mais, dit-on, si le ministre ad interim refuse le salaire il ne saurait être atteint par l’article 36. Faites attention, messieurs, que l’article dit : « Toute nomination à une fonction salariée, » et il importe peu que le salaire soit accepté ou non. Les fonctions de ministre sont-elles salariées ? Voilà toute la question. L’acceptation du salaire ou le refus ne font rien à la question. S’il en était autrement, vous feriez dépendre une question constitutionnelle d’une question d’argent. Aujourd’hui ma délicatesse ne me permet pas d’accepter le salaire de la fonction qui m’est confiée, je ne devrai pas me faire réélire. Demain j’accepterai le salaire, je devrai être réélu : n’est-ce pas, messieurs, se moquer des constitutions que de les traiter aussi cavalièrement ?
On dit que le député qui accepte un portefeuille sans le salaire n’améliore pas sa position. C’est ravaler la dignité de ministre que de raisonner ainsi. Si vous prétendez qu’un député devenant ministre, appelé à gouverner le pays, n’améliore pas sa position, parce qu’il ne touche pas de salaire, vous comptez pour rien l’honneur attaché à ces fonctions éminentes devant lequel la question d’argent est une question infinie qui ne devrait pas être agitée dans une assemblée nationale.
On a invoqué des précédents. Les précédents me touchent peu, quand ils ne sont pas fondés sur la raison. L’honorable M. d'Elhoungne a parfaitement répondu quant au précédent invoqué et relatif à M. de Mérode. M. de Mérode, en acceptant le portefeuille de la guerre, a fait acte de complaisance ; tout le monde l’a bien compris et c’est pourquoi on n’a pas voulu lui faire l’application rigoureuse de la loi. Quand on juge par analogie, la saine raison dit que la condition d’une et d’autre part doit être la même, et ici la similitude n’existe pas. Le texte de la loi est précis, je le répète ; il faut le respecter.
M. H. de Brouckere. - Et moi aussi je resterai fidèle au vote que j’ai émis précédemment, en votant pour la réélection. L’article 36 de la constitution est conçu en termes assez vagues.
La première fois qu’une discussion s’est élevée sur cet article, c’est quand M. de Theux fut nommé ministre de l’intérieur. La discussion occupa une séance tout entière, et la décision fut renvoyée à un autre jour. Dans l’intervalle la nomination ad interim devint définitive et la solution de la question fut par là rendue inutile. Peu de temps après M. de Mérode fut nommé ministre de la guerre ad interim : je n’avais pas soulevé la question quant à M. de Theux, je ne voulus pas la soulever pour M. de Mérode ; mais si un de mes collègues l’avait fait, je n’aurais pas hésité à demander que M. de Mérode se soumît à la réélection.
Voici comment j’entends l’article 36. Il faut, pour qu’un député soit soumis à la réélection, qu’il y ait changement dans sa position ; or c’est ici le cas. Quand M. Goblet a été élu par les électeurs de Tournay, il était général et inspecteur général du génie, mais il n’était pas ministre. La position n’est donc pas la même. Mais, dit-on, il refuse de toucher le salaire. Cela ne nous regarde pas. C’est une question entre M. Goblet et le gouvernement. Vous ne voulez pas de salaire ? C’est un acte de générosité qui ne m’étonne pas dans M. Goblet, mais qui ne doit être pour nous d’aucune influence. Mais il continue, dit-on, d’exercer les fonctions d’inspecteur général. Tant pis ; moi je voudrais qu’il s’en tînt à ses fonctions de ministre. C’est bien assez de celle-là.
M. Devaux. - Messieurs, j’ai voté tout à l’heure pour que les membres de l’ordre judiciaire ne fussent pas soumis à la réélection ; je voterai maintenant de même pour les ministres ad interim, et je croirai être conséquent avec les précédents de la chambre.
- Une voix. - La question n’a pas été décidée.
M. Devaux. - Elle l’a été lorsque M. Goblet fut nommé ministre plénipotentiaire à Londres. La question doit être posée ainsi : y a-t-il salaire oui ou non ? Il n’y en a pas, donc point d’application de l’article 36.
Mais, dit-on, s’il n’y a pas salaire, il y a augmentation de dignité : je dis que cela est indifférent. La constitution n’a vu que la question d’argent ; et ce n’est pas seulement pour ce seul cas, car l’article 103 contient une disposition analogue pour les membres de l’ordre judiciaire, et cet article 103 peut très bien servir à expliquer l’article 36 : « Aucun juge, y est-il dit, ne peut accepter du gouvernement des fonctions salariées, à moins qu’il ne les exerce gratuitement, et sauf les cas d’incompatibilité déterminés par la loi. » Vous voyez qu’ici la question d’argent décide seule si le juge pourra accepter ou non l’emploi qui lui est offert. Les deux articles sont rédigés dans le même sens. S’ils ne le sont pas dans les mêmes termes, c’est parce qu’ils ont eu un rédacteur différent ; je crois que l’un a été rédigé par moi, l’autre par M. Nothomb.
On a fait une distinction singulière entre la position de M. Goblet et celle de M. de Mérode. On a dit que ses études ne lui permettaient de rester que provisoirement au ministère de la guerre. Je crois, moi, qu’on est bien placé partout quand, comme M. de Mérode, on possède un esprit droit et un noble caractère. Mais voyez la bizarrerie de l’argument ! Si M. Goblet était incapable, s’il était un homme stupide, on consentirait à ce qu’il fût ministre par intérim, et il n’aurait pas besoin d’être réélu ; capable, cette capacité sera précisément la cause de son exclusion. C’est là ce que je ne peux concevoir, ce qui n’est pas admissible. M. Jullien a dit que M. de Mérode ne s’était chargé du portefeuille de la guerre que par complaisance. Qui le lui a dit ? L’ordonnance de nomination disait-elle que c’était par complaisance ? L’arrêté de nomination de M. Goblet est-il différent ?
Les antécédents sont pour moi peu de chose, dit M. Jullien. Vraiment il y paraît, alors que je me rappelle avoir entendu prouver avec infiniment d’éloquence que M. Goblet ne devait pas être réélu, quoiqu’il eût accepté la mission à Londres. Nous avons eu aussi l’avantage de l’entendre discuter toujours avec beaucoup d’éloquence les deux thèses contraires. (Hilarité générale.)
M. Brabant. - Messieurs, je m’étais fondé sur l’interprétation de l’article 36 de la loi fondamentale donnée par le gouvernement lui-même tant à l’égard de M. Rogier que de différents autres membres de la chambre, dont la position se trouvait changée par suite de la nouvelle organisation judiciaire. Le ministère ne tient pas compte de cette interprétation et veut chercher le contraire dans les actes de l’assemblée. Et où le cherche-t-il ? Dans la conduite tenue par nous au sujet de M. de Mérode, lorsqu’il fut chargé de la signature du département de la guerre. Il se fait une jurisprudence d’un défaut de procès.
La chambre n’a jamais été saisie de la question, et par conséquent n’a pu la décider. Une seule fois, nous avons eu à juger une question qui se présentait dans les mêmes termes que celle d’aujourd’hui. M. de Theux, ministre d’Etat, avait été chargé par interim du ministère de l’intérieur, et avait renoncé à tout salaire. La chambre fut appelée a statuer sur le point de savoir s’il pouvait rester dans son sein sans être réélu. Mais le gouvernement sentit si bien que cela ne se pouvait pas, qu’il demanda un délai, et le lendemain M. de Theux était ministre définitif et ministre salarié.
On dit que M. Goblet n’est ministre que par interim et ne touche pas de salaire. Mais la question n’est pas de savoir s’il ne touche pas de salaires ; il s’agit de savoir si les fonctions de ministre des affaires étrangères ne sont pas salariées. Eh bien ! ouvrez le budget, et vous trouverez que 10,000 florins sont affectés au traitement du ministre des affaires étrangères.
On dit en outre que M. Goblet n’est ministre que par intérim ; mais il y a déjà deux mois que cet intérim dure, et il pourrait durer encore !
M. le secrétaire général des affaires étrangères...
- Quelques voix. - Il n’y en a pas.
M. Brabant. - Je vous demande pardon, vous verrez qu’il y en a un. (On rit.) M. le secrétaire général a fait observer que M. Goblet n’était venu au ministère des relations extérieures que pour continuer un système qui avait été conçu lorsqu’il représentait le Roi à la conférence de Londres. Mais si ce système reçoit l’approbation de la chambre, M. Goblet, pour le pousser jusque dans ses derniers conséquences, pourrait ainsi rester ministre pendant dix ans (hilarité) ; car, malheureusement pour nous, en diplomatie le provisoire a déjà duré trop longtemps, et nous ne pouvons guère en prévoir le terme. Je pense donc que M. Goblet doit être soumis à une réélection. (Aux voix !)
M. Jullien. - Je demande seulement à dire quelques mots pour faire voir à la chambre que je ne suis pas aussi inconséquent dans mes opinions que l’a prétendu M. Devaux. J’ai soutenu dans le temps que M. Goblet ne devait pas être soumis à réélection, parce qu’il était alors chargé d’une mission toute temporaire, et d’autant plus temporaire qu’elle devait finir avec la conférence à qui je ne souhaitais pas une longue vie. Aussi est-il revenu promptement de cette mission. Ainsi il ne faut pas mettre M. le ministre Goblet sur la même ligne que M. Goblet chargé d’une mission temporaire près la conférence. C’est dans ce sens que j’ai entendu la question ; je suis fâché que M. Devaux l’entende autrement.
M. Legrelle. - Il me semble que l’article 103 de la loi fondamentale tranche définitivement la contestation. Cet article porte : « Aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonctions salariées, à moins qu’il ne les exerce gratuitement et sauf les cas d’incompatibilité déterminés par la loi. » On me répondra, je le sais, qu’il y a une différence entre cet article et l’article 36, parce que le premier définit les fonctionnaires qui exercent gratuitement. Mais, dans le doute où nous laisse l’article 36, ne devrait-il pas être coordonné avec l’article 103, et ne pourrait-on pas dire par analogie que, si un juge peut accepter des fonctions salariées, pourvu qu’il les exerce gratuitement et qu’elles ne se trouvent pas placées dans les cas d’incompatibilité que la loi détermine, un député peut aussi, sans cesser d’être membre de la chambre, exercer des fonctions salariées, si toutefois il a renoncé à ce salaire ? Voilà selon moi toute la question : est-il permis à un fonctionnaire de rendre des fonctions salariées honorifiques, et je me prononce pour l’affirmative. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - La proposition portait sur deux points. Mais vous avez entendu M. le ministre des finances. D’après sa déclaration croyez-vous qu’il soit nécessaire d’aller aux voix pour ce qui le concerne ? (Non ! non !) Alors la question se réduit à ceci :
« M. Goblet, nommé par intérim ministre des affaires étrangères, devra-t-il être soumis à une réélection ? »
- On demande l’appel nominal. En voici le résultat : 47 membres répondent oui, et 22 non.
M. le président. - En conséquence M. Goblet devra se soumettre à une nouvelle élection.
M. Dumortier. - Je pense que maintenant il n’y a plus de contestations. Il est donc nécessaire et je demande que la chambre se constitue sur-le-champ., Après j’aurai l’honneur de déposer la proposition dont j’ai parlé.
M. L. de Robiano. - Je demanderai plutôt qu’on suspende la séance et qu’on donne le temps à la commission des pouvoirs d’en faire la vérification pour qu’ensuite elle nous fasse son rapport.
M. Jaminé. - Il s’agit de décider s’il faut attendre jusqu’après la vérification des pouvoirs pour constituer le bureau.
M. Verdussen. - Je crois que l’article 5 de notre règlement tranche cette question, puisqu’il porte : « La chambre, après la vérification des pouvoirs, procède à l’élection d’un président, de deux vice-présidents et de quatre secrétaires. » Il faut donc faire précéder la vérification des pouvoirs.
M. Legrelle. - On est tenu de se conformer au règlement toutes les fois que cela est possible ; mais on n’y est pas tenu quand il y a impossibilité de le faire. Si l’on se renfermait dans le système développé par le préopinant, il s’ensuivrait que la chambre, dans le cas où les pièces nécessaires pour vérifier les élections de quelques députés n’arriveraient qu’au bout de 6 ou 8 jours, serait obligée d’attendre jusque-là pour se constituer. Il vaudrait mieux, comme l’a proposé M. de Robiano, donner le temps à la commission des pouvoirs de se livrer à son travail, et se réunir le soir pour entendre son rapport.
M. Dewitte. - Le motif du retard apporté à la vérification des pièces est indépendant des personnes élues et de la commission. Voici le motif : (Ici M. Dewitte lit une lettre de laquelle il résulte que les procès-verbaux d’élections de représentants et de sénateurs qui avaient été faits dans les mêmes districts ont été envoyés à M. le président du sénat pour que celui-ci les adressât ensuite à la chambre des représentants.)
M. Devaux. - La question est toute simple. Il faut toujours que la commission chargée de vérifier les pouvoirs fasse son rapport. S’il se rencontre quelques obstacles et qu’un délai soit nécessaire, on ajourne l’admission des membres élus, sans que cela empêche la chambre de se constituer. Mais il faut que d’abord le rapport de la commission soit fait.
M. Poschet. - Le rapport dont il s’agit n’est pas si facile qu’on le pense ; la commission ne serait pas à même de le faire ce soir, il y a beaucoup de difficultés à résoudre ; d’ailleurs il me semble qu’il n’y aurait aucun inconvénient à renvoyer ce rapport à demain.
M. Dumortier. - La proposition que j’ai eu l’honneur d’indiquer à la chambre est d’une telle importance que je ne conçois pas qu’on veuille remettre à demain ce que nous avons à faire. Je suis vraiment étonné qu’on le demande, car demain il sera trop tard : il faut donc nécessairement se réunir ce soir même. Quelque désir que j’aie de voir siéger ici quelques députés de plus, il y a une considération bien plus puissante qui me presse, c’est celle du salut du pays. Salus populi suprema lex esto !
M. Osy. - J’appuie la proposition qui a été faite de nous réunir ce soir, car on pourrait à cette séance du soir former le bureau et demain on s’occuperait de ce qui concerne le pays.
M. Jullien. - La commission ne peut pas dire quelles difficultés pourront s’élever à l’occasion de pièces qu’elle n’a pas encore vues, mais elle peut apprécier celles que soulèvent les pièces qu’elle a déjà examinées. Je crois dès cet instant pouvoir vous assurer que son travail ne sera pas prêt pour ce soir. Il serait plus raisonnable selon moi de remettre la séance à demain, d’autant plus que personne ne peut apprécier l’importance de la proposition de M. Dumortier, puisqu’il n’a communiqué son secret à personne. (On rit.) Je crois que le salut du pays ne tient pas à quelques heures de plus.
M. le président consulte l’assemblée sur le point de savoir s’il y aura une séance du soir.
- L’épreuve étant douteuse, on procède à l’appel nominal. 32 membres se prononcent pour l’affirmative, et 36 pour la négative.
La séance est levée à quatre heures.