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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 juin 1832

(Moniteur belge n°175, du 23 juin 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

A midi et demi on procède à l’appel nominal.

M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

M. Jacques fait l’objet d’une pétition adressée à la chambre. Cette pétition est renvoyée à la commission spéciale.

Projet de loi relatif à la formation d’une armée de réserve de 50,000 hommes

Formation du comité secret

M. de Gerlache lit le second paragraphe de l’article 33 de la constitution, portant que chaque chambre se forme en comité secret sur la demande de son président ou de dix membres ; puis il déclare qu’un comité secret va avoir lieu, et il enjoint aux huissiers de faire évacuer les tribunes publiques.

L’ordre du jour est l’ouverture de la discussion du projet de loi relatif à la formation d’une armée de 50 mille hommes.

M. Dumortier. - Mais si vous avez de bonnes nouvelles à donner, il faut les donner en public ; je ne comprends pas la nécessité d’un comité secret.

- A une heure le public se retire et les portes de la salle sont fermées.

Discussion générale

A une heure et demie la chambre se forme en séance publique.

M. de Gerlache. - L’ordre du jour est la discussion du projet de loi sur l’armée de réserve… Messieurs, veuillez reprendre vos places.

- Un groupe est formé, près du banc des ministres, autour de M. de Muelenaere, qui tient à la main un papier, un document. La discussion paraît fort animée dans ce groupe.

M. de Gerlache. - En place, messieurs ; en place M. Osy ; en place M. le ministre.

La parole est à M. C. Rodenbach.

M. C. Rodenbach. - A l’occasion du projet de loi maintenant en discussion, je crois devoir, messieurs, signaler à l’attention particulière du ministre directeur de la guerre, quelques abus qui existent dans son administration. Il me suffira, je n’en doute pas, d’en dire un mot pour le voir disparaître promptement, d’autant plus que la plupart de ces abus existaient avant son avénement au ministère.

Il m’est revenu sur l’administration des hôpitaux (je ne parle pas ici du service de santé qui, en général, est bien organisé), des plaintes graves qu’il importe de faire cesser. Je sais, de science certaine, que dans un hôpital militaire, l’on a trouvé trois malades dans le même lit, sans chemise et à peine couverts d’une couverture de laine ; et que, dans deux autres hôpitaux, de malheureux fiévreux ont été couchés sur des matelas pourris de sang et d’ordures. Je m’abstiens, messieurs, d’en dire davantage, pour ne pas blesser votre délicatesse, quoiqu’il devrait être permis de faire entendre sans scrupule les tourments infligés à nos soldats.

L’incurie que je dévoile en ce moment provient, suivant moi, de ce qu’on a cru devoir employer, dans cette partie, des hommes que l’on appelle spéciaux. Je crois que l’humanité, la probité des individus, devront être la première condition pour être admis dans l’administrations des hôpitaux. Les fautes que les personnes peu accoutumées au service pourraient commettre ne seraient jamais si préjudiciables que la spécialité de quelques hommes qui connaissent les finesses du métier, et satisfont souvent leur rapacité aux dépens des soldats malades. Je réclame donc la plus grande surveillance sur le service dont je viens de parler, d’autant plus que l’art de la médecine ne peut rien là où les premières lois de la salubrité sont violées.

Ces détails pourront vous paraître minutieux. J’ai hésité quelque temps à les communiquer à la tribune, mais je me suis souvenu que, dans une autre circonstance, quelques députés se sont enquis avec anxiété (à propos de fourrages), du nombre de chevaux qui garnissaient les écuries des généraux. Il ne m’importe… Moi, je me suis enquis comment sont traité nos soldats, et j’ai acquis la certitude qu’à Bruxelles même, dans une résidence royale, nos soldats sont dépourvus de matelas ; ils couchent sur de petites paillasses, et des paillasses de soldats, c’est-à-dire dont on a décimé la paille. J’ajouterai que huit cents hommes du même régiment ont été atteints de la gale, dans une ville voisine, par le contact des fournitures qui se trouvaient dans le magasin. Tous ces faits sont exacts ; je puis les prouver au besoin. L’Etat, en arrachant les conscrits à leur famille et à leurs travaux, prend l’engagement de les traiter d’une manière convenable. C’est surtout lorsqu’ils sont atteints d’incommodités et privés des soins de leurs parents, qu’ils ont droit à tous les égards, à tous les ménagements.

Nous ne sommes pas ici seulement pour faire des lois ou traités des questions de haute politique. La pensée du législateur, en rendant les élections populaires, a été de donner au peuple garantie et protection. Il faut que le moindre d’entre eux puisse se faire jour jusqu’à la représentation nationale, et que la plainte du plus pauvre et du plus dénué trouve un écho dans cette enceinte. Ceci est surtout applicable aux soldats qui, écrasés sous la dépendance, sous la hiérarchie militaires, ne peuvent pas toujours articuler leurs griefs sans danger.

Avant de donner mon assentiment à la loi qu’on vient de nous soumettre je dois déclarer que je désire, conformément au vœu de l’armée, qu’on n’appelle pas dans son sein plus d’étrangers qu’il n’est nécessaire. Si nous avons tous reconnu la nécessité de nous adjoindre quelques chefs d’une capacité éprouvée et qui eussent la confiance des soldats, nous devons aussi sentir que la dignité nationale exige qu’on y mettre des bornes. Il répugnera à tout vrai Belge de voir les nominations d’individus dans les grades inférieurs par la raison seule qu’ils sont étrangers. Nous avons une foule de vieux et braves sous-officiers, pour qui le grade de sous-lieutenant serait une récompense honorable et méritée. Ce sont ces hommes surtout qu’il importe de rattacher de cœur à la révolution. C’est d’ailleurs parmi eux que Bonaparte prenait ses meilleurs officiers.

J’espère aussi qu’on n’oubliera pas les Belges qui sont encore en Hollande et que le gouvernement prendra une mesure énergique et généreuse à la fois pour forcer nos compatriotes à quitter les drapeaux ennemis et pour déclarer félons, traîtres à la patrie, ceux qui ne seront pas de retour après un délai fixé.

M. Jaminé. - Messieurs, j’ai quelques mots à dire ; l’occasion est assez importante pour ne pas négliger d’émettre un avis.

En me livrant à l’examen du projet de loi présenté par le gouvernement, je me suis demandé s’il fallait admettre le principe, le ministère actuel restant chargé de conduire le char de l’Etat, et je n’ai pas dû faire de longs efforts pour trouver une réponse.

Jusqu’au moment où la chambre, fatiguée de tourner toujours dans le même cercle, a sollicité par une adresse le moyen de s’en sortir, le ministère a été dupé ou trompeur. Dupe, s’il a cru de bonne foi que des négociations de leur nature interminables termineraient quelque chose ; trompeur, si désespérant depuis longtemps de surprendre sur une table ronde la solution au problème, il a continué à nous distribuer des paroles de paix et de sécurité. On nie un délit ; sans rougit on peut avouer une faute. La note remise à la conférence par le général Goblet contient cet aveu.

Depuis, les amis politiques du ministère, ceux qui l’avaient soutenu dans sa faiblesse, se sont rapprochés de ses adversaires ; sans sa coopération, une espèce d’alliance a été conclue et alors seulement il s’est hasardé à dire : nous agirons, accordez-nous les moyens.

Des fonds et des hommes ! Sous le premier rapport le ministère a obtenu une partie de sa demande ; convient-il d’admettre le principe sur lequel repose le second projet de loi ?

Comme repousser le ministère ? Qu’il ait perdu notre confiance ou qu’il la possède encore, nous nous trouvons dans la nécessité de voter cette fois en sa faveur.

J’admets pour un instant que le passé nous inspire plus que de la défiance, j’admets que l’énergie promise pour le mois prochain ne sera que la mollesse du mois passé. Aurions-nous dû refuser les fonds, devrons-nous refuser ces hommes ? Ainsi que la conférence continue à jouer avec nous à la bascule, que la Hollande persiste dans son opiniâtre refus ; que nous dette augmente, que nos ressources diminuent, tarissent ; mais que nous ayons le malheur d’essuyer un échec, et le ministère s’écriera avec quelque fondement : représentants de la nation, vous l’avez voulu cette responsabilité qui pèse sur lui aujourd’hui, qui pèsera sur lui demain, nous l’assumerions tout entière. La majorité du congrès a encore une justification à présenter.

Si, au contraire, depuis la nouvelle attitude qu’a prise la chambre, la marche du gouvernement est plus franche et plus dégagée ; s’il n’a pas d’arrière-pensée, rien ne s’oppose à l’émission d’un vote approbatif, et pour ma part, quoique ces accès de peur et ces velléités d’énergie ne me rassure pas entièrement, je ne puis ôter ma confiance à des hommes qui n’ignorent plus la volonté bien prononcée de la nation !

Je conçois très bien comment en bonne et loyale politique, comment en fine et délicate diplomatie, les protestations les plus ardentes ne sont que des paroles vides de sens, les promesses des mensonges, les menaces des fanfaronnades, mais je ne conçois pas encore comment un fonctionnaire public, un ministre, après avoir engagé son honneur et son existence, peut s’imaginer qu’il lui est libre de se jouer impunément de l’opinion publique.

Et le ministère est lié et il a engage son honneur et son existence.

« Les 24 articles et rien que les 24 articles - Point de négociations nouvelles sans évacuation préalable du territoire - Réparation d’offenses, sinon justes représailles - Ces paroles tombées du haut de cette tribune sont enregistrées dans nos journaux, dans nos archives, dans la poitrine de chaque citoyen ; non, le ministère ne peut braver l’opinion publique au point de faire de cette tribune une chaire de mensonges et d’escobarderies.

Que le principe soit donc admis ; mais le projet le sera-t-il également ? Il y a encore là une tache dans cette constitution. Quand on détruit, on creuse trop profondément ; on veut bâtir trop haut quand on reconstruit. En 1830 on voulait qu’un marchand, qu’un laboureur par cela seul qu’il subissait l’épreuve du scrutin, devînt tout à coup soldat, capitaine, héros ; en 1832 on veut qu’un bout de ruban donne ou paie des qualités, des talents, des vertus. Mais la constitution pour être vicieuse en ce point n’en doit pas moins être respectée. Que le projet soit donc refondu ; et alors est venue la section centrale.

S’il faut convenir que la tâche a été bien remplie, on ne peut se dissimuler que tous les scrupules ne sont pas levés. Mais il s’agit du salut de la patrie ; tout en désirant qu’une discussion approfondie parvienne à rassurer tout le monde, je ne croirai pas manquer au serment que j’ai prêté à la constitution en donnant mon assentiment au projet élaboré dans la section centrale et amendé par la chambre.

Mais le projet adopté et les 30,000 hommes placés sous les drapeaux, que fera le ministère ! Il y a quelques jours, je ressentis un peu d’inquiétude, c’est de l’agitation, de l’anxiété, depuis que j’ai entendu le ministre des affaires étrangères.

Je ne sais si la section centrale a encore foi dans la conférence, elle a du moins l’air de se lamenter sur ce que les protocoles se traînent lentement. Qu’elle soit rassurée : au moment où je parle, l’obligeante conférence a prévu ses craintes et ses désirs, il pleut des protocoles, et, ce qui pis est, tous les protocoles nous sont favorables. « Ce qui pis est », c’est une hérésie, si je dois adopter l’opinion des publicistes qui passent pour être en relation avec nos ministres. Les puissances du Nord reculent devant le reproche du duplicité ; l’intérêt bien entendu de l’Europe exige que les affaires belgo-bataves soient terminées. L’Angleterre et la France forceront la Hollande à signer et la Confédération germanique nous aidera dans le Luxembourg.

Si les 30,000 hommes ne sont demandés que pour satisfaire au vœu d’une puissance voisine, je plains le peuple dont l’existence et le bien-être dépendent de la volonté ou du caprice d’une autre nation. Si les 30,000 hommes doivent s’user dans les revues, parce que la conférence sera crue sur parole, je plains le ministère, car il sera dupe une nouvelle fois ; je plains la Belgique, car elle ne verra plus de terme à ses sacrifices. Et il m’importe peu que le commerce reprenne, que l’industrie soit florissante, lorsque les bénéfices qu’ils procurent sont absorbés par une armée nombreuse qu’on promène et qu’on fatigue inutilement.

Par combien de protocoles devons-nous encore passer avant qu’il soit démontré à nos hommes d’Etat que nous n’avons rien à attendre que de nous-mêmes.

Les divers intérêts qui s’agitent au sein de la conférence ne s’opposent pas à la confection de circulaires, de pancartes, de protocoles, il ne faut que des papiers pour cela. Mais ces intérêts divers s’opposeront toujours à ce que des moyens d’exécution soient concertés et employés. De là cette nécessité de gagner du temps, de là les promesses ou les menaces calquées sur l’attitude que prend la victime. Si je ne veux pas, ministres, que vous étudiez l’histoire volumineuse de la diplomatie, ouvrez seulement l’histoire que vous avez aidé à faire depuis deux ans, et dites-moi, ne nous rudoyait-on pas quand nous étions la tête baissée, à gémir, le dos plié ? Ne nous caressait-on pas quand nous nous tenions debout, fiers, el regard assuré ? Voyez plutôt. Que de biens à la fois, que de protocoles et tout cela parce que nous, nous avons fait une adresse et parce que le ministère nous a demandé 50,000 hommes. Mais il en est de ces promesses aujourd’hui comme il en a été de ces menaces.

Agissez donc, acceptez les protocoles comme suite à un joli petit ouvrage qui ornera un jour vos bibliothèques ; mais agissez.

Et faut-il vous dire toute ma pensée ? j’ai tort peut-être, mais je n’ai pas tort. La conférence dit-elle vrai, la paix dût-elle être acquise de suite, j’aurais un regret. Qu’avons-nous pour nous placer au milieu de la famille européenne ? Sur notre permis d’entrée, ne se trouvent plus les mots : « Lierre, Berchem » ; nous devons baissez les yeux si on n’y trouve plus inscrits que ces mots : « indépendance, mendicité octroyée. »

Agissez donc, ministres, car c’et sous cette condition que mes amis politiques et moi nous vous accordons tout ce que vous demandez, et voyez jusqu’où va notre confiance. Vous exigez trois millions ; vous ne voulez pas nous dire comment vous les emploierez. C’est à l’oreille de la section centrale et bien bas encore que vous voulez le dire et nous votons. Vous voulez 50,000 hommes et nous votons ; vous viendrez bientôt demander de l’argent pour habiller, pour armer ces hommes et nous voterons encore. Faites donc aussi quelque chose pour nous. Si nous nous trompions encore une fois, si toutes ces démonstrations n’étaient faites que pour nous calmer, nous leurrent, qu’on en finisse une fois pour toutes. Catholiques et libéraux, n’ont ici point de division. Ne désirons-nous pas tous ardemment l’indépendance et la prospérité de notre pays ? Opposition systématique alors, opposition intéressante, à moins que quelqu’un soit assez courageux pour employer un moyen plus efficace. Contre ceux qui auront arraché notre jeunesse à ses travaux, contre ceux qui auront dilapidé les fonds publics.

Mais je vais trop loin. Nous n’en viendrons pas à ce parti extrême. Je compte sur la parole d’hommes qui ne trompent pas dans la vie privée, qui ne voudront pas tromper dans la vie publique.

Ministres, encore un mot. Il est question de grever le pays d’une charge énorme. Dans quelques jours nous allons nous séparer. De retour dans nos foyers, nous dirons à nos commettants, le gouvernement est dans la bonne voie ; vous verrez la fin de cette longue et pénible révolution. Encore un mot, ministres : faites en sorte que nous ne soyons pas dans la dure nécessité de devoir nous rétracter, de rougir devant nos commettants. Faites-en sorte qu’en rentrant dans cette enceinte nous ne soyons pas non plus dans la nécessité de vous demander un compte rigoureux des hommes et des fonds que nous mettons à votre disposition, de vous demander compte de notre honneur que nous vous sommons de venger. Je me suis permis de dire : « nous. ». Aucun bon patriote ne se lèvera pour démentir mon langage.

M. A. Rodenbach. - Malgré les protocoles, annexes et documents qui mettent en demeure Guillaume, et qui le somment d’évacuer la citadelle d’Anvers et tout le territoire belge ; malgré ce soi-disant ultimatum de la conférence, je n’en reste pas moins convaincu que cet obstiné souverain persistera à occuper Anvers et n’acceptera les 24 articles qu’avec des modifications déshonorantes et ruineuses pour la Belgique, si on n’emploie contre lui des mesures coercitives, c’est-à-dire des baïonnettes.

Depuis 18 mois, la Hollande ou plutôt les Nassau amusent par des notes fallacieuses le Foreign office et maintenant ils bravent la conférence, dont ils savaient réclamé le secours à hauts cris lorsqu’ils furent chassés de la Belgique et réduits à la dernière extrémité. Quant à moi, messieurs, je pense qu’il est plus que temps d’augmenter notre armée pour sortir du bourbier diplomatique. L’époque est arrivée où nous devons comme en septembre faire nos affaires nous-mêmes ; la tache du mois d’août, notre honneur et notre intérêt nous le commandent impérieusement, car sous peu l’on exigera la capitalisation de la dette ; c’est pour ces motifs que je crois devoir donner mon vote en faveur du projet de loi qui autorise une levée de 30,000 hommes pour former une armée de réserve apte à entrer en campagne.

M. d'Huart. - Messieurs, chaque fois que le gouvernement est venu demander, au nom de la nationalité et de l’indépendance de la Belgique, des subsides en hommes ou en argent, je n’ai pas hésité à les lui accorder, me persuadant qu’il en serait fait un bon usage, en pensant qu’il était de mon devoir de ne reculer devant aucun sacrifice pour sauver la patrie. Je suivrai encore la même règle de conduite aujourd’hui, en donnant mon assentiment au projet de loi en discussion, tel qu’il est modifié par la section centrale.

Je ne me dissimule pas, messieurs, que l’admission de cette loi entraînera la nation dans de nouveaux sacrifices considérables, et qu’elle aura pour conséquence immédiate de grossir notre effrayant budget des dépenses. Je crois servir les intérêts du pays en admettant ce fardeau momentané. Par là le gouvernement n’aura plus de motifs spécieux de temporisation à alléguer ; il sera forcé, par sa position, d’arracher honorablement, avec l’épée, ce qu’on lui disputerait encore honteusement avec les leurres de la diplomatie pendant des années, en ruinant la Belgique ; il agira enfin avec la dignité qui convient à un peuple libre, en se plaçant par soi-même dans la possession de tous ses droits.

M. Jullien. - Messieurs, on vous demande trente mille hommes sous le nom d’armée de réserve ; si vous donnez aujourd’hui les hommes, demain on viendra vous demander de l’argent car l’un ne va pas sans l’autre. Mais, messieurs, nous avons si souvent accueilli de semblables réclamations que, quant à moi, je n’accorderai pas un homme, par un écu sans que la nécessité de cette nouvelle levée ne me soit clairement démontrée, et surtout sans que je sois bien convaincu que le ministère va enfin marcher dans d’autres voies, et malheureusement les communications qu’on vient de nous faire ne m’ont pas donné cette conviction.

Messieurs, depuis neuf grands mois que dure cette session dans laquelle nous avons fait si peu de chose, parce que nous avons passé notre temps à discuter, à rejeter, ou à refaire des projets de loi mal élaborés, nous avons pu au moins reconnaître la tactique habituelle du ministère.

Dans toutes les grandes occasions, vous voyez arriver MM. les ministres à nos séances, avec la guerre dans une main et le traité du 15 novembre ou la paix dans l’autre.

Ont-ils besoin d’argent, de soldats ? Ils ouvrent la main de la guerre, la Hollande a doublé ses armements, une nouvelle invasion nous menace ; l’ennemi est à nos portes, le bélier bat nos murailles ; et nous, messieurs, dans la crainte de compromettre le salut du pays, nous donnons sans compte, argent et soldats, à des ministres qui ne comptent pas non plus (car depuis la révolution nous n’avons jamais vu un seul compte de tous les millions votés par le congrès et par nous-mêmes.)

Mais si on demande au ministère quel est son système, si on se récrie contre les déceptions, les avanies dans lesquelles on nous traîne depuis si longtemps, si nous réclamons avec énergie contre l’enlèvement de M. Thorn, sa captivité prolongée, ou pour parler le langage ministériel, son absence momentanée (hilarité), alors il ouvre la main de la paix et vous en voyez sortir le traité du 15 novembre, avec la neutralité, l’indépendance irrévocable, les garanties des cinq grandes puissances, la fidélité à garder les traités, la prudence que nous commandent notre position et nos relations, etc. que sais-je ? ah ! Messieurs, s’il est des hommes que cet ignoble jeu de bascule amuse, je vous avoue que, quant à moi, il me fait honte, il me fait mal, et je suis las enfin de prodiguer le sang et l’argent du pays, sans effet, sans but, sans résultat, et sans qu’on puisse apercevoir le terme de tant de sacrifice.

Mais où est donc la nécessité de cette levée ? Les ministres nous l’ont répété à satiété, lors de la dernière demande d’hommes et d’argent ; nos forces sont au moins aussi nombreuses que celles de la Hollande ; eh bien, si nous sommes égaux en force, ne le sommes-nous pas en courage ? Et si les traités ne sont pas mensonge et tromperie, ne devons-nous pas compter sur les cinq grandes puissances, et tout au moins sur la France et sur l’Angleterre, pourquoi donc imposer encore au pays ces charges accablantes ?

En examinant maintenant l’ensemble du projet, je pense que ceux qui l’ont conçu ne se sont pas bien pénétrés de la législation sur la milice et sur la garde civique.

Et d’abord qu’entend-on dans l’article 2 par les miliciens restés disponibles ? D’après les lois sur la milice, des 8 janvier 1817 et 8 avril 1820, dès l’instant qu’une classe a fourni son contingent, il n’y a pas de miliciens disponibles. La classe est libérée, sauf le cas prévu par l’article 89.

Si ces miliciens étaient disponibles, comme vous le dites, vous n’auriez pas besoin de demander l’autorisation de les lever, vous seriez en droit d’en disposer. Il faut donc vous expliquer sur cette prétendue disponibilité, si vous ne voulez pas rencontrer des obstacles insurmontables.

En déclarant dans l’article 5 que l’appel aura lieu d’après l’opération faite pour l’inscription des miliciens dans le premier ban de la garde civique, vous vous créez des difficultés sans nombre, car nous ne trouverez plus la moitié des hommes au lieu de l’inscription et ils trouveront bien le moyen d’échapper à votre appel tandis qu’en suivant les lois sur la milice, vous trouvez le milicien à son domicile de naissance, ou domicile réel, et que vous avez son signalement et son numéro sur le registre des inscrits.

L’article qui dit que l’appel se fera par ordre d’âge, ce qui veut dire sans doute par rang d’âge, change toute l’économie des lois sur la milice, qui ne connaît que l’ordre des numéros du tirage, moyen simple, régulier, qu’a déterminé le sort et dont le milicien ne peut par conséquence se plaindre.

Et d’ailleurs en remuant plusieurs classes dans des villes populeuses, vous rencontrerez des miliciens nés le même jour et à la même heure ; que ferez-vous alors avec votre ordre d’âge, prendrez-vous le plus grand ou le plus petit ? En vérité, messieurs, quand on se met en peine de faire des lois qui intéressent à un aussi haut degré toutes les familles, on devrait bien y donner un peu plus de soin.

J’aurais encore beaucoup d’autres erreurs à relever, mais pour ne pas abuser de vos moments, je le ferai dans la discussion des articles, et je me bornerai dans ce moment à provoquer sur ces difficultés les explications de M. le ministre, sauf à y revenir. Je réserve mon vote.

- La discussion est close sur l’ensemble de la loi, on passe à la délibération sur les articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Indépendamment du contingent de l’armée de ligne fixé à 80,000 hommes par la loi du 30 décembre dernier, le gouvernement est autorisé à lever et à tenir sous les armes une réserve dont la force pourra être portée à 30,000 hommes. »

- Cet article est adopté sans débats.

Article 2

« Art. 2. Sont appelés à former cette réserve, les miliciens restés disponibles sur les classes de 1826, 1827, 1828, 1829, 1830 et 1831. »

M. de Gerlache. - Un amendement à cet article est présenté par M. Goethals. D’après cet amendement cet article serait ainsi rédigé :

« Art. 2. Sont appelés à former cette réserve, les miliciens des classes de 1826, 1827, 1828, 1829, 1830 et 1831 qui n’ont pas été appelés jusqu’à ce jour à faire partie de l’armée. »

M. Goethals. - C’est un simple changement de rédaction que je propose. Cette rédaction m’a été suggérée par des réflexions semblables à celles qui vous ont été présentées par M. Jullien. Cet orateur vous a très bien exposé qu’il n’y avait de miliciens « disponibles », de sorte que pour rentrer dans l’idée de la section centrale, j’ai cru devoir rédiger l’article ainsi qu’on vient de le lire.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’ai mis le mot « disponible » pour indiquer les hommes qui n’avaient pas été pris sur les diverses classes. D’après les lois le gouvernement est autorisé à lever un homme sur deux ou trois cents individus ; il en résulte que le contingent annuel était fixé à onze ou douze mille hommes, et c’est à ces hommes que le mot « disponibles » s’appliquait. Le gouvernement n’en a jamais demandé la totalité. Depuis les années 1826, 1827, etc., jusque l’année 1831, on a demandé au plus 9,000 hommes.

Il résulte des tableaux statistiques dressés au ministère de l’intérieur, dans le mois de septembre dernier sur la situation des miliciens des cinq classes de 1827, 1828, 1829, 1830 et 1831 :

1° Que le nombre total de ces miliciens désignés et rendus propres au service était de 130,029. Ce qui fait pour terme moyen 26,000 miliciens pour chacune de ces classes.

2° Que le gouvernement étant autorisé à lever chaque année, un milicien sur 300 habitants, le maximum du contingent exigible par ces cinq années avait été fixé à 61,376 hommes.

3° Mais que le nombre des miliciens appelés sur ces classes ne s’était élevé qu’à 45,633.

4° Qu’il restait conséquemment disponibles 15,743 sur les contingent assignés à ces cinq classes.

5° Et qu’indépendamment des miliciens disponibles sur le contingent, il existait 68,653 miliciens de ces cinq classes qui avaient été reconnus propres au service, mais qui n’avaient pas été appelés à faire partie des contingents annuels.

Ainsi au mois de septembre dernier il existait donc 84,596 miliciens disponibles sur les cinq classes dont il est question.

L’objet le plus important que nous désirions atteindre par le premier projet de loi était de profiter des ressources que présente l’organisation du premier ban des gardes civiques, en y puisant les hommes nécessaires à la formation de l’armée de réserve et de les trouver disponibles et prêts à marcher.

En répartissant la levée sur toutes les provinces, on obvie au grand inconvénient d’épuiser quelques cantons, en y levant les grades civiques du premier ban.

Mais ce qui est venu déranger ce système de levée, c’et l’observation que les classes de miliciens de 1830 et 1831 ne font pas encore partie du premier ban, et que cependant il est juste qu’elles contribuent à cette levée.

Il a fallu appliquer à ces deux classes les dispositions relatives à la levée des milices nationales, et il faut au moins un mois pour les opérations de cette levée.

Et comme le projet de loi porte qu’elle se fera par ordre d’âge, il en résulte qu’on ne pourrait rien lever dans ces hommes du premier ban, avant que ces opérations relatives aux deux premières classes soient terminées.

Pour éviter ce retard, nous proposons de diviser en deux parties égales la levée de 30,000 : la première serait fournie par les classes de 1830 et de 1831, et la seconde par les quatre autres classes. Chaque classe ne s’élève qu’à 9 ou 10,000. Ce qui constitue une égale répartition entre toutes.

D’après ces considérations, nous proposerons l’amendement suivant : « sont appelés à former cette réserve les miliciens des classes 1831, 1830, 1829, 1828, 1827 et 1826.

« Quinze mille hommes seront pris sur les deux premières classes : les quatre dernières fourniront les quinze mille autres.

« Néanmoins ceux de ces miliciens qui servent à titre de remplaçants et qui appartiennent aux classes de 1826 et 1827, ou qui appartenant à celles de 1827 inclus 1831 ne feraient point partie par le numéro qu’ils ont obtenu du contingent à appeler d’après la proposition de 1 sur 300 habitants, conformément à la loi du 28 novembre 1818 ne seront point appelés à concourir à cette levée. »

M. Fleussu. - Il y a là une loi tout entière.

Plusieurs membres. - Il faut diviser cet amendement.

M. Ch. de Brouckere. - C’est un nouveau projet ; il faut qu’il soit soumis à la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Au fond, il n’y a qu’un seul changement important fait au projet de loi, plus une addition relative aux remplaçants, et laquelle doit combler une lacune qui existe dans le projet.

D’abord on a interverti l’ordre des années. Cette interversion est une affaire rationnelle, puisque le projet porte, en principe, que ce sont les plus jeunes qui doivent être appels les premiers. En réalité, il n’y a de changement que dans la rédaction.

M. le ministre de la guerre vous a exposé qu’en s’en tenant au projet de la section centrale, on éprouverait un très long retard dans la levée, parce qu’à l’égard des classes 1830, 1831, il y aurait beaucoup de formalités à remplir devant les conseils de milice. D’ici à un mois on ne pourrait pas espérer avoir des hommes sous les drapeaux.

Pour obvier à ces divers inconvénients, je suppose de diviser le contingent de trente mille hommes, de faire supporter aux classes de 1830 et de 1831, la moitié du contingent, et l’autre moitié aux classes antérieures.

Le but de cet amendement est, comme nous l’avons dit, de pouvoir dès l’abord lever une partie des hommes sur les classes de 1829 à 1826. A l’égard de toutes ces classes, les formalités sont remplies, si l’on adoptait le projet de la section centrale, qui tend à tenir pour bien fait tout ce qui a été fait par les députations des états et les conseils provinciaux, relativement aux hommes inscrits pour les premiers bans de la garde civique.

Quant aux remplaçants, si aucune disposition n’était ajoutée à l’article 2, on pourrait croire que tous les miliciens appartenant aux 6 classes mentionnées dans l’article, et qui sont cependant à déduire pour remplacement, devraient être appelés à l’armée et venir servir comme miliciens ; ce qui aurait le double inconvénient de leur faire perdre le prix du remplacement, et de jeter dans le plus grand embarras ceux qui comptant sur les lois existantes de la milice, les ont appelés à les remplacer.

On n’a pas voulu que tous les remplaçants fussent jamais à la disposition de l’article 2, parce que tous ceux qui sont passibles des lois sur la milice étaient compris dans le contingent de 1 sur 300, ne pouvaient pas se croire libérés du service de la milice, le gouvernement étant toujours libre de les appeler. Par conséquent, il n’y a à leur égard aucun effet rétroactif.

Mais quant à ceux qui se trouvent en dehors de ce contingent et particulièrement, quant aux clases de 1826 et 1827, qui par leur âge sont exemptés de la milice, la disposition est tout à fait juste.

Il y aurait attaque à des droits acquis que d’annuler ce remplacement qui a été fait.

M. Jullien. - Je ne me plains pas de ce que le ministre ait cherché à accorder la loi ; car tout à l’heure j’ai signalé les faits qui l’auraient empêché de marcher ; mais je m’afflige de ce qu’en changeant de système, je ne puis plus rien saisir sur l’amendement.

Pour comprendre cette loi il faut, dans le silence du cabinet, conférer les lois sur les milices avec le projet. Si vous ne pouvez pas faire cette conférence, vous aurez une multitude d’inconvénients, que vous ne prévoyez pas. Quand vous viendrez exécuter la levée, les hommes s’empareront de dispositions mal conçues pour créer difficultés sur difficultés, devant les états députés.

D’un autre côté, vous voyez qu’on englobe dans cette partie de la loi les remplaçants, et cependant les remplaçants et les remplacés ont des droits. Ici nous nous immisçons dans des contrats.

Je ne prends pas part à la discussion, si on ne nous donne pas le temps d’examiner l’amendement.

Avec un peu de réflexion et un peu de temps le ministre pourra nous présenter un autre projet. Le projet de la section centrale est devenu le sien ; on nous l’a dit : eh bien, qu’il le reprenne et qu’il fasse sa besogne, et que nous ne soyons pas obligés de la refaire tous les jours.

M. Gendebien. - J’insiste aussi pour le renvoi à la section centrale, de l’amendement du ministre de la guerre.

Je n’ajouterai qu’une réflexion.

L’amendement est destiné à faire disparaître l’injustice qui résulte de l’article 6 ; mais il me semble que le mieux de tout subsiste toujours.

Je vais dans l’article 6. « L’appel au service de la réserve se fera par ordre d’âge dans chaque commune, en commençant par les plus jeunes, jusqu’à concurrence du contingent assigné à chacune d’elles. » Mais maintenant il ne suffit pas de ce que sous deux classes on prendra 15,000 hommes, qu’on en prendra 15,000 sur les autres classes, il faut dire le contingent que l’on prendra sur chacune des quatre autres classes.

En commençant par les plus jeunes il pourrait se faire qu’on en prît aucun homme sur les dernières. De toutes façons je crois qu’il y a lieu de renvoyer l’amendement à la section centrale ou à une commission.

M. Ch. de Brouckere. - Je demanderai une nouvelle lecture de l’amendement.

M. de Gerlache fait cette lecture.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, les honorables préopinants viennent de faire une motion d’ordre ; c’est le renvoi à la section centrale de cet amendement.

Un honorable membre vous l’a dit, ce n’est plus le projet de la section centrale qui nous est soumis, c’est le projet du gouvernement, puisqu’il se l’était approprié.

Si la section centrale a travaillé huit jours au projet, c’est qu’il était très difficile à rédiger. Aujourd’hui donc il est impossible que nous discutions l’amendement, qui change de fond en comble le projet primitif.

Je ne parlerai pas de ce qu’il peut y avoir de rationnel à mettre 1831 avant 1826 ; ce sont des arguments dont on aurait dû ne pas parler.

Il y a deux changements considérables dans l’amendement : on prend 15 mille hommes sur deux classes, puis 15 mille hommes sur quatre classes ; mais le changement le plus notable est celui relatif aux remplacements. On connaît les lois sur la milice, et cependant aujourd’hui que fait-on ? On dit que ceux des remplaçants, qui par leur numéro ne feraient pas partie de la levée, seront appelés : cela veut-il dire que par leur numéro ils font partie de la levée et seront obligés de servir pour leur compte ?

Souvenez-vous des années 1813 et 1814 ; des reproches que les populations adressaient à Napoléon et des réfractaires révoltés dans la Flandre occidentale au nombre de quinze à seize cents.

M. Destouvelles. - Je voulais faire les mêmes observations que le préopinant. Le projet rédigé par la section centrale a été rédigé constamment avec le ministre de la guerre. Le projet consacre des principes dont il n’y a pas de trace dans le projet du 1er juin. Il n’est pas possible d’improviser des points d’une si haute importance sans avoir compulsé les dispositions des lois antérieures.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, c’est en examinant de nouveau le projet que nous nous sommes aperçu qu’il contenait une lacune quant aux remplaçants. L’amendement que j’ai proposé a pour but de combler cette lacune. Du reste, je sens toute la difficulté qu’il y aurait à discuter l’amendement sans l’avoir médité ; il faut le mettre en harmonie avec le reste du projet, et sous ce rapport, je ne m’oppose pas au renvoi à la section centrale.

M. A. Rodenbach. - Appuyé ! appuyé !

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - L’observation faite par l’honorable M. Gendebien est très juste. Puisqu’on divise le contingent en deux portions, la première étant reportée sur deux classes et la deuxième sur quatre autres classes, il était essentiel de régler le mode de répartition entre ces dernières. Aussi disons-nous que les premiers 15,000 hommes pris sur les classes de 1830 et de 1831 le seront suivant l’ordre du tirage, et que pour les autres classes ce sera suivant l’ordre d’âge ; ce sera l’objet d’un second amendement que je présenterai.

M. de Gerlache. - Nous allons passer aux articles suivants.

- De toutes parts. - Non ! non !

M. Destouvelles. - Tous les articles du projet ont entre eux une telle connexité qu’il est impossible de continuer la discussion sans savoir l’influence que pourra avoir l’amendement sur les articles subséquents.

M. Rogier. - Ce n’est pas pour m’opposer au renvoi de l’amendement à la section centrale, mais pour éviter qu’on ne lui fasse de nouveaux renvois, que je viens vous donner les motifs de quelques amendements que je me propose de présenter…

- Plusieurs voix. - Lisez-les seulement, on n’a pas besoin de connaître les motifs. (Bruit.)

- Autre voix. - Il suffit de les déposer et de les renvoyer aussi à la section centrale.

M. Rogier. - J’avais un amendement à proposer à l’article 3 du projet. Il est même assez radical. Le projet a voulu faire cesser les inégalités qui existent dans les provinces, entre les cantons dont la garde civique a été mobilisée et ceux où elle ne l’a pas été. Il est intervenu à cet égard un certain équilibre en disant que ceux dont le premier ban a été mobilisé ne fourniraient pas de contingent. Il serait en effet difficile de faire partir ce contingent puisqu’il se trouve déjà sous les armes. Mais il reste une partie de la province dont le contingent n’a pas été mis en activité.

Comment le contingent que l’on demande aujourd’hui sera-t-il réparti ? Je n’aurais rien à dire si la répartition de la garde civique mobilisée avait été faite d’une manière égale dans toutes les provinces ; mais le contingent dans telle de ces provinces est plus considérable que dans telle, eu égard à la population ; eh bien, on a aujourd’hui 50,000 hommes à lever, dont 20,000 sont déjà sous les drapeaux, reste 30,000. Ne doit-on pas maintenant reporter ces 30,000 hommes de manière à ce que ceux qui sont déjà sous les armes soient précomptés et qu’il ne s’agisse que de prendre dans la nouvelle levée les hommes nécessaires pour en faire le contingent de chaque localité ? C’est-à-dire qu’en ajoutant le nombre d’hommes sous les armes, à ceux qui seraient demandés, le nombre total ne dépasse pas le contingent partiel de chaque canton. Je crois bien que ceci n’est pas très clair pour ceux qui ont l’honneur de m’entendre… (Explosion d’hilarité, qui est partagée par l’orateur lui-même.)

- Plusieurs membres et, entre autres, MM. Destouvelles et Jullien, demandent la parole pour une motion d’ordre.

M. de Gerlache. - La parole est à M. Jullien.

M. Jullien. - Il importe peu que ce soit l’un ou l’autre, je crois que nous voulons faire la même observation. Messieurs, il me paraît tout à fait inutile que la chambre perde son temps à écouter les développements des amendements de l’honorable M. Rogier ou de tout autre que ceux qui ont des amendements, même des vues, à présenter ; qu’ils les présentent à la section centrale, laquelle pourra les prendre en considération et nous en parle dans son rapport si elle les trouve utiles. Mais ne discutons pas en ce moment, car où cela nous mènera-t-il en définitive ? à dire que les amendements seront renvoyés à la section centrale. Ce n’est pas la peine de discuter pour cela. (Appuyé ! appuyé !)

M. de Gerlache. - L’assemblée vient d’entendre la proposition de l’honorable M. Jullien, est-elle d’avis de l’adopter ?

M. Lebeau. - Je demande la parole sur la motion d’ordre. Ce que demande M. Jullien est l’exécution littérale de l’article 64 du règlement, et je ne vois pas pourquoi M. Rogier comme tout autre ne déférerait pas aux dispositions de cet article ; en voici le texte : « dans le cas où l’auteur d’une proposition ne serait pas membre de la commission chargée de l’examiner ou de la section centrale, il aura le droit d’assister aux séances de cette commission ou de cette section, sans voix délibérative. » Que M. Rogier ou tout autre dépose ses amendements et qu’il se rende, s’il le juge à propos, à la section centrale où il leur donnera tous les développements, qui seraient entièrement perdus ici.

M. Goethals. - Je voulais faire observer à l’assemblée que déjà l’urgence du projet de loi a été reconnue, qu’il est par conséquent essentiel de ne pas apporter trop de retard à sa discussion. Il conviendrait je pense que tous les amendements fussent déposés sur le bureau et renvoyés à une commission qui les examinerait sans désemparer, nous ferait son rapport aujourd’hui même ; on pourrait ensuite le faire imprimer et distribuer le projet pour que la discussion s’ouvre demain.

M. Dumortier. - Il est impossible que la section centrale se retire à l’instant, et vienne un moment après vous faire un rapport ; mais que ceux qui ont des amendements les déposent, ils seront imprimés et renvoyés à la section centrale qui en fera l’objet de son rapport.

M. Destouvelles. - Il ne suffit pas que les amendements soient imprimés, il faut encore qu’ils soient renvoyés à la section centrale. (C’est ce qu’on propose). Ce n’est pas ce que demande M. Dumortier. (Si ! si !)

M. Goethals. - Je ferai observer que de cette manière il sera impossible de s’occuper demain de la discussion du projet.

- Plusieurs voix. - On discutera la loi judiciaire.

M. Goethals. - L’honorable M. Jullien a très bien démontrée que les articles du projet devaient être coordonnés ensemble ; si l’on ne fait pas le rapport aujourd’hui et que nous n’ayons pas le temps de l’examiner, il sera impossible de discuter demain.

M. de Gerlache. - IL n’en est pas question. Demain on discutera la loi judiciaire.

M. Destouvelles. - J’ai l’honneur de répéter à la chambre que la section centrale doit, avant tout, avoir le temps d’examiner des amendements qui changent tout le système ; ce n’est pas chose facile. Il fait qu’on nous donne le temps nécessaire ; et ce n’est pas trop que de renvoyer à après-demain.

M. Dumortier. - Il me semble que quand on a discuté pendant 8 jours sur une loi, on doit être fixé. Ce soir on pourrait donc ce me semble imprimer et distribuer les amendements ; demain à 10 heures, la section centrale se réunirait afin de pouvoir faire son rapport à l’ouverture de la séance et la discussion s’ouvrirait immédiatement. Si on ne suit cette marche, c’est absolument renvoyer la discussion aux calendes grecques.

M. Destouvelles. - Quelque désir que puisse avoir la section centrale de ne pas retarder la discussion, elle ne peut se prêter aux mouvements accélérés de M. Dumortier (hilarité générale) et si M. Dumortier peut refaire tout un projet de loi en deux heures, je le prie de venir nous remplacer à la section centrale, j’en serai fort aise, et je crois que les autres membres qui la composent le seront autant que moi.

M. Dumortier. - Je fais partie de la section centrale, je ne vois pas ce que veut dire l’honorable membre par les mouvements accélérés de M. Dumortier.

M. Destouvelles. - Vous voulez qu’en heurs heures nous refassions tout le projet.

M. F. de Mérode. - Je ferai observer d’ailleurs qu’après-demain, ce n’est pas les calendes grecques, ce n’est qu’un jour de retard.

M. de Gerlache. - Veut-on renvoyer la discussion à après-demain ?

M. Dumont. - On ne peut pas fixer le jour de la discussion avant de connaître le travail de la section centrale.

M. de Gerlache. - On fixera le jour demain, et demain on discutera la loi judiciaire.

- La séance est levée à 3 heures un quart.