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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20 juin 1832

(Moniteur belge n°174, du 22 juin 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

A midi et demi la séance est ouverte.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dellafaille fait l’appel nominal et donne lecture du procès-verbal, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques fait connaître l’objet de plusieurs pétitions adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission spéciale.

Projet de loi portant organisation judiciaire

Discussion des articles

Titre III. Des tribunaux

L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi concernant l’organisation judiciaire.

Article 44

« Art. 44. Les greffiers sont nommés directement par le Roi.

« Le nombre des commis-greffiers est déterminé par le gouvernement, suivant les besoins du service. Ils sont nommés par le Roi sur une liste triple de candidats présentée par le greffier. »

M. le président. - Un amendement est présenté par M. Lebègue : il demande que les commis-greffiers soient nommés par le tribunal sur une liste triple présentée par le greffier.

M. Lebègue. - Messieurs, en discutant hier l’article 35 du projet de loi, la chambre a entendu les raisons qui militaient en faveur de la nomination des commis-greffiers par les corps près desquels ils devaient exercer : on a donc admis le principe contenu dans l’article 35 du projet en adoptant cet article. Maintenant nous discutons un article semblable.

Je crois que les motifs exposés pour soutenir que les commis-greffiers doivent être nommés par les cours d’appel s’appliquent à mon amendement, et comme elles ont été suffisamment développées, il est inutile d’y revenir. Je me bornerai donc à demander que le principe, d’après lequel on a modifié l’article 35, soit appliqué à l’article 44.

M. Jullien. - Je prie M. le président de faire une seconde lecture de l’amendement.

M. le président. - Au lieu des mots : « Ils sont nommés par le Roi, » M. Lebègue demande que l’on mette : « Les commis-greffiers seront nommés par le tribunal sur une liste triple de candidats présentée par le greffier. »

M. Lebègue. - Mon amendement est absolument le même que celui de l’article 35.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On a combattu l’amendement qui a modifié l’article 35. J’ai fait observer, lors de la discussion de cet article, que pour la cour de cassation on avait laissé la nomination des commis-greffiers au Roi ; que l’article 4, relatif à cet objet, a été adopté sans discussion ; qu’en admettant un principe contraire, on introduirait dans la loi une bigarrure choquante. On vous a dit pourquoi il fallait que des agents, faisant des actes auxquels on doit ajouter foi jusqu’à inscription de faux, fussent nommés par le Roi ; je ne reviendrai pas sur toutes les raisons alléguées. Dans le vote définitif, on verra s’il existe des motifs assez puissants pour conserver la bigarrure introduite dans la loi.

M. Lebègue. - Messieurs, je sais qu’il y a une anomalie dans la loi ; mais la chambre n’a introduit cette anomalie qu’avec conviction, et qu’en manifestant le regret d’avoir adopté l’article 4. Vous avez discuté et admis un principe, appliquez-le encore une fois, et vous aurez une bigarrure de moins, et vous n’aurez dans le vote définitif à revenir que sur une erreur.

Au reste, il y a moins d’inconvénients à laisser au Roi la nomination des commis-greffiers près la cour de cassation que celle des commis-greffiers près des cours d’appel et des tribunaux ; les premiers sont sous la main du gouvernement ; il peut les connaître et faire de meilleurs choix ; mais comment voulez-vous qu’il connaisse des hommes situés dans des petites villes éloignées près des tribunaux de première instance ? Les juges sauront mieux choisir que le gouvernement les individus dans lesquels on peut avoir confiance,

M. d’Elhoungne. - Le préopinant vient de proposer l’application du principe que j’ai soutenu devant la chambre. La disposition de l’article a eté, il est vrai, adoptée sans discussion ; elle consacre la nomination des commis-greffiers par le Roi, et une anomalie est signalée dans la loi ; mais, messieurs, il y a un moyen de détruire cette anomalie, c’est de revenir sur cette disposition lors du vote définitif et de donner à la cour de cassation la nomination de ses commis-greffiers. On pourrait même réunir les articles 4, 35 et 44 en un seul en appliquant un seul principe aux cours et tribunaux.

M. Lebeau. - Je suis entièrement de l’avis de M. d'Elhoungne ; il y a moyen de mettre en harmonie trois articles disparates, c’est, lors du second vote, de les réunir en un seul. On a dit qu’adopter l’amendement de M. Lebègue, ce serait empêcher l’introduction d’une bigarrure de plus, et que cette considération est un argument en faveur de la proposition ; je ne partage pas cette opinion, je demande que l’amendement soit rejeté afin qu’on n’introduise pas deux propositions contraires aux véritables principes.

Jusqu’ici la question est indécise puisque sur des articles identiquement les mêmes au fond, vous l’avez résolue différemment.

Je concevrais très bien qu’on pourrait laisser la nomination des commis-greffiers aux tribunaux s’ils n’étaient pas officiers publics, s’ils ne donnaient pas un caractère d’authenticité à leurs actes, tellement qu’ils font foi jusqu’à inscription de faux ; or, je ne crois pas que les tribunaux puissent imprimer le caractère d’authenticité aux hommes qu’ils auraient choisis, ni user du droit de révocation ; ce pouvoir n’appartient qu’au gouvernement ; lui seul, dépositaire de tous les pouvoirs publics, peut accréditer des agents publics.

La question est maintenant de savoir si vous voulez enlever au gouvernement ses prérogatives ; si, ayant décrété la royauté en la forme, vous voulez la république au fond.

Au reste, j’en reviens à la distinction que j’ai déjà indiquée. Si les commis-greffiers n’étaient pas des fonctionnaires publics, si ces hommes, en l’absence du greffier, ne pouvaient pas donner de l’authenticité aux actes qui sortent de leurs mains, je dirais qu’il faut laisser les nominations aux cours et tribunaux ; mais si le commis-greffier est aussi un officier public, s’il peut instrumenter en l’absence du greffier, il ne peut recevoir ce pouvoir que de celui qui a le droit de faire de semblables délégations.

Si l’on fait nommer les commis-greffiers par les tribunaux, pour être conséquent avec ce principe erroné, il vaudrait mieux dire dans les mêmes articles que les greffiers en chef seront aussi nommés par les cours et tribunaux.

Si vous adoptez l’amendement, vous sanctionnez une anomalie déjà introduite et que rien n’appuie.

M. H. de Brouckere. - Et moi, messieurs, je me lève pour que l’amendement de l’honorable M. Lebègue soit admis.

Hier, après une longue discussion, vous avez décidé que les commis-greffiers seraient nommés, non par le gouvernement, mais par les cours d’appel elles-mêmes. Les mêmes motifs qui vous ont déterminés doivent vous déterminer encore.

Il est vraiment inconcevable que l’on veuille adjoindre aux cours et aux tribunaux des hommes, des commis-greffiers, à la nomination desquels ils ne seraient intervenus en rien. Je ne demandais pas la nomination des commis-greffiers par les tribunaux, je demandais que les tribunaux concourussent à la présentation de la liste des candidats, parmi lesquels le Roi nommerait les commis-greffiers ; M. le ministre de la justice s’est opposé à mon amendement et j’ai donné ma voix à celui de M. d'Elhoungne.

Je dirai plus, j’ai trouvé l’amendement de M. d'Elhoungne préférable au mien et je regrette que l’article 4, relatif à la nomination des commis-greffiers de la cour de cassation ait été adopté ; mais de ce qu’il y a une mauvaise disposition dans la loi, ce n’est pas une raison d’en admettre deux : il y a, il est vrai, moins de danger pour la cour de cassation que pour les cours d’appel et les tribunaux, et la raison en est que dans les cours d’appel et les tribunaux de première instance il y a des questions de fait qui ne se traitent pas à la cour de cassation, et où par conséquent les indiscrétions sont peu à craindre.

Généralement il est à redouter que l’homme que l’on mettrait près d’un tribunal ne fût un espion, comme l’a dit M. Gendebien ; c’est ce que l’on a vu et ce que l’on verra encore.

Non seulement les commis-greffiers n’étaient pas nommés en France par le roi, mais ils l’étaient par le greffier lui-même.

On vous a cité la loi de 1790, qui a été répétée par la législation de 1810 ; par ces lois, les commis-greffiers n’étaient pas nommés par le pouvoir exécutif ; et cependant ils faisaient des actes authentiques, et l’on ne s’est pas plaint de cet état de choses.

Les huissiers, comme le dit un des honorables voisins, sont nommés par les tribunaux, et cependant ils font des actes authentiques.

J’appuie de tout mon pouvoir l’amendement de M. Lebègue.

M. Jullien. - Si l’article 4 ne fût passé inaperçu, mon intention était de m’opposer à la nomination des commis-greffiers et même à la nomination des greffiers par le Roi.

Le greffier assiste aux séances de la chambre des conférences ; il est dans l’intimité des juges ; il faut qu’il ait toute leur confiance ; il peut n’être pas un espion, mais il peut être un surveillant incommode (on rit), qui peut rapporter au gouvernement ce qu’il aura entendu dire dans les conférences. En 1791, lors de l’institution de la cour de cassation, on n’a pas hésité à donner la nomination du greffier en chef à la cour. Voici l’article de la loi, pour qu’on n’en doute pas.

C’est l’article 27 de la loi de novembre 1790, où il est dit en parlant du greffier en chef : « Les membres de la cour le nommeront au scrutin et à la majorité des voix ; ce greffier ne sera révocable que pour prévarication jugée. »

Ces dispositions, il est vrai, ont été changées plus tard.

Quoi qu’il en soit, les motifs que l’on a fait valoir pour que la nomination soit donnée aux cours et tribunaux restent les mêmes et doivent faire impression sur vos esprits.

Les greffiers, a-t-on objecté, font des actes authentiques auxquels on doit ajouter foi jusqu’à inscription de faux ; donc ils doivent être nommés par le Roi : cette objection ne me touche pas. Dès l’instant que la loi laisse à la nomination des tribunaux à un certain fonctionnaire, ce fonctionnaire est institué par la loi. Quand la loi dit : un fonctionnaire sera nommé par tel corps, c’est elle qui nomme. Ainsi l’objection faite n’est pas ce qu’on appelle relevante.

Les tribunaux, comme on l’a très bien fait observer, nomment les huissiers, et les huissiers font des actes authentiques. Les gardes forestiers, présentés par un propriétaire, qui le fait admettre au serment, font aussi des actes qui ont foi en justice.

L’objection présentée par M. Lebeau ne me semble pas suffisante pour écarter le principe adopté hier.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - L’on vous a fait valoir plusieurs considérations tendant à prouver que la nomination des commis-greffiers doit être faite par le Roi. On a opposé la loi de 1790, qui conférait à la cour de cassation la nomination même de son greffier en chef. J’ai déjà répondu dans une précédente séance qu’en 1790 il n’y avait pas d’inamovibilité judiciaire ; que les juges étaient nommés pour cinq ans ; que les idées républicaines faisaient alors irruption de tous côtés.

Nous avons une forme de gouvernement absolument différente.

La nomination du greffier ne souffre pas de difficulté ; on n’en élève que pour les commis-greffiers.

On dit d’abord que la nomination par le Roi des commis-greffiers près la cour de cassation présentait peu d’inconvénients parce que cette cour ne traitait pas les points de fait, et que les indiscrétions n’étaient pas à craindre ; mais devant la cour de cassation s’agitent les questions de conflit de juridiction, dans lesquelles le gouvernement peut être intéressé, et bien plus intéressé que dans des questions d’intérêts privés que jugent les tribunaux de première instance.

On dit que les huissiers nommés par les tribunaux font des actes authentiques. A cet égard, je ferai remarquer que d’après la loi de l’an VIII, les huissiers étaient nommés par le premier consul, puis par l’empereur sur une liste présentée par les tribunaux. Par un arrêté de mars 1816, la nomination des huissiers a été conférée aux tribunaux ; mais sous le gouvernement précédent un arrêté aussi avait conféré au gouvernement la nomination des huissiers. On a soutenu que cet arrêté était inconstitutionnel : je demanderai si l’arrêté de mars 1816 était plus constitutionnel. Ainsi l’argument tombe, et je crois qu’on peut persister avec raison à demander la nomination des commis-greffiers ainsi que le propose la section centrale.

M. H. de Brouckere. M. le ministre de la justice dit qu’en 1790 les idées républicaines germaient, et que comme elles ne germent plus, on ne peut appliquer la législation de cette époque. Je demanderai si les idées républicaines germaient en 1810. Alors la loi donnait la nomination des commis-greffiers, non au gouvernement mais au greffier en chef.

J’ai dit qu’il n’y avait pas d’anomalie à ce que le gouvernement nommât les commis-greffiers de la cour de cassation, parce que près de cette cour on exige différentes conditions des commis-greffiers : il faut qu’ils aient 25 ans, qu’ils soient licenciés en droit, etc. Voilà certes des garanties ; mais pour les cours et tribunaux il n’y a aucune garantie, et le gouvernement pourra faire tomber ses choix sur qui il voudra.

Cela me paraît une chose inconcevable que l’on puisse nommer des greffiers et des commis-greffiers sans que les cours et tribunaux interviennent dans ces nominations : les commis-greffiers sont les secrétaires des membres des cours et des tribunaux, ce sont des hommes qu’on leur adjoint ; ils doivent donc les agréer.

Quand je vous dis que le gouvernement peut avoir intérêt à introduire des espions dans la chambre du conseil, le ministre répond que ce qui se plaide dans les cours et tribunaux ne sont que de petites affaires, et qu’à la cour de cassation se plaident les conflits d’attributions : messieurs, c'est devant les cours et devant les tribunaux que se traitent les questions politiques, les causes d’opinions ; et c’est pour ces causes que le gouvernement a intérêt de connaître les sentiments politiques des juges.

M. le président. - La parole est àM. d'Elhoungne.

M. d’Elhoungne. - J’y renonce. (Aux voix ! aux voix !)

M. A. Rodenbach. - Il s’agit d’un principe, votons par appel nominal.

M. Helias d’Huddeghem. - Quand les juges entrent dans la chambre du conseil, on peut mettre les greffiers à la porte. (Oh ! oh !)

Quant aux exemples d’espionnage qu’on a cités, je dirai qu’il y avait près des cours et tribunaux d’autres personnes que des commis-greffiers qui servaient d’espions au gouvernement. (Bruit.)

Par l’article 4, vous avez donné les nominations des commis-greffiers de la cour de cassation au Roi ; comment pourrez-vous la lui ôter dans d’autres articles ? (Aux voix ! aux voix !)

M. Lebègue. - D’après les considérations présentées par M. Lebeau il s’agit d’un principe ; je crois alors qu’il faudrait procéder par appel nominal.

M. le président. - On votera par appel nominal, si cinq membres se lèvent.

Environ quinze membres se lèvent.

L’appel nominal a lieu, en voici le résultat : votants 73 ; oui, 39 ; non 34.

Ont voté pour : MM. Berger, Taintenier, Brabant, Coppens, Coppieters, Corbisier, Dams, Dautrebande, H. de Brouckere, Julien, Lardinois, Lebègue, Leclercq, Lefebvre, Liedts, Mary. Mesdach, Legrelle, Osy, Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron, Thienpont, Vanderbelen, Van Innis, Vergauwen, Verhagen, Watlet, d’Elhougne, Dellafaille, de Roo, Desmanet de Biesme, Desmet de Woelmont, d’Huart, d’Hoffschmidt, Dumont, Jaminé, Jonet.

Ont voté contre : MM. Barthélemy, Boucqueau de Villeraie, Bourgeois, Cols, W. de Mérode, de Muelenaere, Destouvelles, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, Domis, Dubus, Dumortier, Duvivier, Goethaels, Helias d’Huddeghem, Jacques, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Olislagers, Pirmez, Polfvliet, Poschet, Raikem, Ullens, Verdussen, Ch. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Zoude, de Gerlache, et F. de Mérode.

L’article 44 modifié est mis aux voix et adopté ; voici en quels termes il est conçu :

« Les greffiers sont nommés directement par le Roi.

« Le nombre des commis-greffiers est déterminé par le gouvernement suivant les besoins du service ; ils sont nommés par le tribunal, sur une triple de candidats présentée par le greffier. »

Article 45

« Art. 45. Lorsqu’une place de président ou de vice-président devient vacante, le tribunal en avertit le premier président de la cour d’appel, et le procureur du Roi en donne avis au procureur-général.

« Les formes pour la présentation aux places de conseillers sont observées.

« La présentation appartient au conseil de la province où la place est vacante. »

- Cet article est adopté sans discussion.

Articles additionnels (articles 46 et 47)

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’ai ici deux articles additionnels à proposer. Ils sont ainsi conçus :

« Les fonctions qui étaient attribuées aux procureurs criminels sont exercées par les procureurs du Roi dans les tribunaux de première instance des arrondissements dans lesquels siègent les cours d’assises ou leurs substituts. »

« Nul ne peut être juge de paix, s’il n’est âgé de 25 ans accompli. »

Je propose d’établir par une loi ce qui est établi en vertu de dispositions particulières. Tel est le but du premier article additionnel.

Quant au second, il y a discussion entre les auteurs pour savoir s’il faut être âgé de 25 ou de 30 ans pour être juge de paix ; nous avons cru devoir proposer 25 ans et trancher la question.

M. Destouvelles. - La disposition relative aux juges de paix trouverait mieux sa place à l’article 53.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - A l’article 53 il s’agit de dispositions transitoires, et l’article additionnel concernant les juges de paix ne renferme pas une disposition transitoire.

M. Lebeau. - Ne faudrait-il pas être licencié en droit pour être juge de paix ?

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - La qualité de licencié n’est pas requise par les lois ; je n’ai cru devoir prononcer que sur l’âge.

Quant à la première disposition, elle est calquée sur la loi française. (Aux voix ! aux voix !)

M. H. de Brouckere. - Je crois que l’amendement ne peut pas être adopté, car il faut faire une exception pour les localités où se trouve une cour supérieure.

- Des membres. - L’exception existe évidemment.

M. H. de Brouckere. - L’amendement est général : on dit que c’est le procureur du Roi qui remplit les fonctions de procureur criminel là où il y a une cour d’assises. Il me semble qu’il faut changer la rédaction.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - A moins que ce ne soit à Gand il n’y a de procureur criminel près des cours d’assises que là où il n’existe pas de cour d’appel. C’est ainsi que la loi française a été rédigée ; elle n’a donné lieu à aucune difficulté ; elle a été interprétée partout de la même manière.

M. Jullien. - M. le président, donnez encore lecture des amendements.

M. le président relit les articles additionnels.

M. Lebègue. - Je crois les dispositions fort bonnes ; mais je me suis aperçu assez souvent que quelque simple que paraissent des propositions au premier coup d’œil, on les trouve plus complexes et même présentant des inconvénients quand on les examine. Je crois que si l’on donnait 24 heures pour réfléchir sur celles-ci… (Non ! non ! Aux voix !)

On dit qu’il ne faut que 25 ans pour être juge de paix ; je vous demanderai s’il ne faudrait pas d’autres conditions, s’il ne faudrait pas être licencié ou avoir été suppléant… Je ne dis pas oui, je ne dis pas non ; mais du moins il faudrait réfléchir.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Si de la rédaction pouvait naître la difficulté, il suffirait d’ajouter un mot dans le premier article additionnel et mettre « dans les lieux où il n’y a pas cour d’appel. »

Quant au second article additionnel, je ne vois pas qu’il puisse occasionner de discussion : lorsqu’on peut être représentant à 25 ans, il me semble qu’on peut bien être juge de paix.

Un des honorables préopinants a demandé un certain délai pour voir s’il n’y aurait pas utilité d’ajouter d’autres conditions pour être juge de paix. On pourrait demander, a-t-il dit, qu’ils fussent licenciés en droit, ou qu’ils eussent été suppléants ; mais je fais observer que l’on ne pouvait pas pour le moment exiger des conditions qui n’étaient pas prescrites par les lois. Je n’ai proposé l’article que parce qu’il y a dissidence sur la question de savoir s’il faut 30 ans ou 25 pour être juge de paix.

M. Bourgeois. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Liedts propose d’ajouter au premier article additionnel « dans les lieux autres que ceux où siège une cour d’appel. »

M. Liedts. - C’est un sous-amendement.

M. Bourgeois. - Je ne veux pas m’opposer à l’adoption du second article additionnel ; mais je crois que les lois françaises parlent en même temps des suppléants : comme les suppléants remplissent les fonctions de juges de paix, il me semble qu’il faudrait aussi fixer l’âge des suppléants.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il faut ajouter « suppléant. »

M. Lebègue. - Vous le voyez, plusieurs remarques importantes sont faites sur les amendements… Je ne m’oppose pas à leur adoption, mais on pourrait avoir besoin d’y réfléchir…

- Des membres. - L’ajournement !

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’ajournement de la délibération sur les deux articles additionnels.

- L’ajournement mis aux voix n’est pas adopté.


M. le président. - Voici le premier article additionnel sous- amendé :

« Les fonctions qui étaient attribuées aux procureurs criminels dans les lieux autres que ceux où siègent les cours d’appel, seront exercées par les procureurs du Roi près les tribunaux de première instance des arrondissements dans lesquels siègent les cours d’assises, ou par leurs substituts. »

- Cet article est adopté et fera l’article 46 de la loi.


M. le président. - Voici le second article additionnel :

« Nul ne peut être juge de paix ou suppléant s’il n’est âgé de 25 ans accomplis. »

- Cet article est également adopté et fera l’article 47 de la loi.

Titre IV. Dispositions générales

Article 47 (projet de la section centrale)

« Art. 47. Les chambres civiles des cours d’appel et des tribunaux de première instance vaqueront depuis le 15 août jusqu’au 15 octobre.

« Il y aura une chambre des vacations pour l’expédition des affaires urgentes. »

M. Helias d’Huddeghem. - J’aurai l’honneur de proposer ici d’étendre la disposition à la cour de cassation, et voici mes motifs…

M. Jaminé. - Elle aura assez de vacances toute l’année.

M. Helias d’Huddeghem. - La cour de cassation de France a une chambre des vacations, laquelle existe en vertu de la loi de 1790, la loi de l’an VIII et une ordonnance de juillet 1826.

Quant aux avantages d’une chambre des vacations pour les tribunaux, je ne puis m’expliquer ici ; c’est dans l’intérêt des juges, c’est dans l’intérêt du barreau… Il vaut mieux accorder un temps de repos que d’accorder des congés particuliers.

M. Devaux. - Il me semble que la cour de cassation n’aura pas tellement à faire qu’on soit obligé de lui donner des vacances : je conçois que cela est nécessaire pour les tribunaux, il en est qui jugent tous les jours, on doit leur donner un repos de quelque temps ; mais la cour de cassation qui siégera deux fois par semaine, à quoi lui servirait un repos de deux mois ?

Deux mois c’est trop de vacances pour les cours d’appel ; les vacances sont une mesure inusitée dans toutes les administrations. Les conseillers siègent trois ou quatre heures par audience, ils ne sont pas assez fatigués pour qu’on leur donne plusieurs semaines de repos.

On parle de l’avantage des vacances pour les avocats : les avocats, je le comprends, peuvent être fatigués ; mais qu’ils prennent moins de causes... Les médecins, les industriels n’ont pas de vacances ; ils n’entreprennent que ce qu’ils peuvent faire. Je voudrais que les tribunaux de première instance n’aient de vacances que pendant six semaines.

M. Helias d’Huddeghem. - Je suis étonné que l’on dise que les conseillers ne siègent que trois heures par jour. Ces magistrats étudient les lois, examinent les causes tous les jours, indépendamment des audiences qui souvent sont très longues. Après avoir vaqué aux affaires des autres, on doit leur donner le temps de vaquer à leurs propres affaires.

M. Barthélemy. - J’appuie la proposition Devaux, et je demande que les vacances ne durent que du 1er septembre jusqu’au 15 octobre. C’est bien assez.

M. Helias d’Huddeghem. - Ce n’est pas assez !

M. Barthélemy. - Si vous donnez deux mois de vacances, il n’y aura que dix mois d’exercice. Comme les juges ne siégeait que trois fois par semaine, il reste trois jours où ils sont en vacances : en tout cinq mois de vacances par année.

Je sais fort bien qu’on pourrait obliger ces magistrats à s’occuper des affaires mises en délibération lorsqu’ils ne siègent pas ; c’est là ce qui devrait se faire et ce qui ne s’est pas fait : c’est une des causes du retard de l’expédition des affaires. Les jours d’audience, au lieu de monter sur leurs sièges pour entendre des plaidoiries, ils commencent par se réunir pour délibérer.

On vous a dit que les conseillers ne tenaient guère audience que trois semaines sur trois mois ; c’est une semaine par mois. Vous voyez qu’il y a des vacances pendant une grande partie de l’année.

M. Jullien. - Quand on parle de deux mois de vacances, on oublie que cela n’en fait qu’un. Dans les tribunaux de première instaure et dans les cours il y a toujours un certain nombre de juges qui doivent rester. Pendant le premier mois, l’audience est tenue par des juges ; les autres ont vacances : à la fin du mois, ceux-ci reviennent et les premiers prennent vacances.

On compte le travail des juges par les audiences ; mais les juges sont occupés aux audiences des criées, aux matières d’urgence, aux enquêtes, aux appels de police correctionnelle, etc.

Je ne sais par quel esprit d’innovation on veut changer ce qui existe.

Dans les tribunaux il. y s deux sections civiles ; chacune siège trois jours. Mais pendant que les juges ne siègent pas, il ne faut pas dire qu’ils n’aient pas de besogne : ils doivent rédiger les jugements, ils doivent faire des actes.

Je ne puis expliquer tout cela à ceux qui n’ont aucune notion sur l’administration de la justice ; pour les autres l’explication est inutile.

Si vous ne voulez pas donner de vacances aux tribunaux, afin de faire aller les affaires plus vite, je vous dirai que c’est peut-être le moyen de les faire aller plus lentement. Il faut à l’esprit un temps de repos comme il en faut aux bras. Si vous ne donnez pas de vacances, il en résultera que les juges feront de mauvaise besogne. Après les vacances on revient au travail avec plus d’ardeur. Je crois qu’il y aurait du danger à innover sur ce point, et je maintiendrai la proposition de la section centrale.

M. Destouvelles. - Je suis étonné que M. Barthélemy, qui a exercé pendant longues années la profession d’avocat, veuille la rétrécir.

Les juges ont plus d’occupation qu’il ne pense.

Ils étudient les affaires en délibéré ; ils se réunissent dans la chambre du conseil pour discuter sur les affaires qui ont rempli les audiences pendant trois jours ; ils vont entendre des créanciers, ils entendent des parties ; en un mot, je ne crains pas de le dire, il n’y a pas de carrière plus laborieuse que celle de magistrat.

M. Barthélemy. - On a prétendu que ce que nous proposons est une innovation ; et moi, je dis que non, que c’est un retour à l’ancien régime.

Les parlements de Marie commençaient les audiences à six heures du matin, et montaient sur leurs sièges deux fois par jour ; voilà le beau temps de la magistrature. (Hilarité générale.)

Vous nous représentez le travail des juges comme immense : que fait la section de police correctionnelle pendant trois jours ? Elle écoute des procès-verbaux : une aune de l’ancien régime a été saisie… Les juges se regardent entre eux pendant cette lecture… Ne sont-ils pas bien fatigués ?

Dans les cours d’assises que font-ils ? Ils écoutent comme les spectateurs. (On rit.) C’est le jury qui examine et prononce : s’il y a acquittement, on prononce ; s’il y a condamnation on applique la peine prononcée par la loi ... Voilà un bien grand travail ! (On rit.)

C’est en matière civile qu’il y a du travail ; mais ordinairement il y a une bête de somme qui fait tout. (On rit.)

M. le président. - La parole est à M. Lebeau.

M. Lebeau. - Si on ne veut pas continuer la discussion, je renonce à la parole.

M. Leclercq. - Je ne renonce pas à la parole.

M. Lebeau. - Je ne partage pas l’opinion de M. Barthélemy ; je crois qu’il a tracé un tableau bien imparfait des travaux de la magistrature. Je crois que la question de l’établissement des vacances a été résolue par la nature des choses.

Il s’agit maintenant de savoir si vous voulez leur donner deux mois ; je pense qu’il faut adopter l’amendement de M. Devaux. Après la rentrée des cours et tribunaux, il y a encore des vacances de quinze jours environ : après que la distribution des causes est opérée, MM. les avocats vont faire la St-Hubert. Ce n’est qu’après ces secondes vacances que les affaires reprennent leur cours.

M. Leclercq. - Messieurs, si l’honorable M. Barthélemy s’était borné à combattre l’utilité des vacances, j’aurai gardé le silence ; mais pour diminuer le temps de repos qu’on accorde ordinairement aux magistrats, il est entré dans des considérations qui tendent à dénigrer la magistrature, qui tendent à la représenter comme une réunion d’hommes qui vivent aux dépens du public, qui ne gagnent pas le salaire qu’on leur paie.

Je ne puis entendre ces paroles de la bouche d’un ancien membre du barreau, d’un ancien ministre de la justice, d’un membre du pouvoir législatif qui, par devoir, doit faire respecter les lois et ceux qui sont chargés de les appliquer et de les faire exécuter ; je ne puis entendre ces paroles sans rompre le silence ; je croirais manquer à mon devoir si je le gardais.

Je parlerai des devoirs que remplissent les membres de la cour de Liége ; j’en parlerai, parce que depuis sept années j’en fais partie.

Cette cour se divise en trois chambres ; les deux chambres civiles siègent au moins quatre fois par semaine. Les membres des deux sections civiles siègent de plus au moins une fois par semaine pour les mises en accusation ; la troisième chambre est occupée des appels de police correctionnelle.

Ajoutez à ces travaux les pourvois en cassation pour les matières civiles, les assises de la cour criminelle, et voyez s’il reste plus d’un jour entier aux juges pour étudier les affaires pour délibérer…

Il n’est pas exact de dire que l’on délibère au lieu de tenir audience.

Pour moi, messieurs, je le dirai, j’ai, deux ans avant la révolution, siégé dans la chambre des appels de police correctionnelle ; eh bien, j’ai siégé cinq jours par semaine, et quelquefois six jours. Pour remplir ma tâche dignement, j’étais obligé de me lever à cinq heures du matin, afin de pouvoir examiner les affaires avant l’audience ; et en citant mon exemple, c’est celui de tous mes collègues de Liége que je cite.

Voilà le travail de la cour ; ce n’est pas là le travail d’hommes qui mangent le pain de la nation sans le gagner.

D’après ces faits, j’ai été indigné d’entendre un ancien ministre de la justice, un membre de la représentation nationale, dénigrer la justice, et j’ai dû manifester mon indignation.

M. Barthélemy. - Je n’ai pas dénigré la magistrature. Mais on a parlé des travaux excessifs des magistrats, et j’ai signalé les affaires qui demandaient du travail et celles qui n’en demandaient pas.

Ce n’est pas parce que j’ai été ministre de la justice que je connais l’ordre judiciaire, c’est parce que j’ai travaillé pendant plusieurs années sur l’organisation judiciaire que je sais ce qui se fait.

Il peut se faire qu’à Liége des membres de la cour se lèvent à 5 heures du matin ; mais je connais aussi les occupations qu’elle peut avoir. J’ai siégé aux états-généraux souvent 6 mois de suite avec son premier président, M. Nicolaï, avec M. de Gerlache, avec le père même de l’orateur qui était procureur-général, avec un président de chambre ; et le reste de l’année nous nous occupions d’organisation judiciaire ; en sorte, vous le voyez, que la cour de Liége marchait malgré l’absence de plusieurs de ses membres.

Je ne veux pas dénigrer la magistrature, je voudrais au contraire la ramener à son ancienne considération. Les parlements de la Belgique fréquentaient deux fois par jour, le matin et l’après-diner. Alors on ne voyait les magistrats dans aucune fête, dans aucun plaisir, dans aucun spectacle. Voilà comme ils se sont rendus respectables ; et si j’étais ministre, voilà comment je voudrais ramener la justice à l’antique considération qu’elle méritait.

- La chambre ferme la discussion.

L’amendement de M. Devaux tendant à accorder les vacances depuis le 1er septembre jusqu’au 15 octobre est mis aux voix.

Une première épreuve est douteuse.

M. Helias d’Huddeghem. - L’appel nominal !

M. Lebeau. - Encore une épreuve.

- La deuxième épreuve a lieu et l’amendement est adopté.

L’article 47 de la section centrale, modifié par l’amendement de M. Devaux, est mis aux voix et adopté.

Titre V. Dispositions transitoires

Article 48 (projet de la section centrale)

« Art. 48 (de la section centrale). La première nomination des présidents et des conseillers de la cour de cassation appartient au Roi. »

- Adopté sans discussion.

Article 49 (projet de la section centrale)

M. le président. - M. le ministre de la justice présente un amendement qui remplacerait l’article 49.

Le voici : « La première nomination des présidents, conseillers des cours d’appel, ainsi que celle des présidents et juges des tribunaux de première instance, sera faite directement par le Roi. »

M. H. de Brouckere. - Mais cet amendement replacerait les articles 49, 50 et 51 s’il était adopté ; j’espère que non.

M. Lebeau. - Il doit remplacer aussi l’article 52.

M. le président. - M. le ministre de la justice a la parole pour développer son amendement.

M. Jullien. - Mais il faut que l’amendement soit appuyé.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il n’est pas nécessaire qu’il soit appuyé ; il est présenté par le gouvernement.

(Erratum inséré dans le Moniteur belge n°175, du 23 juin 1832) Messieurs, la question que soulève l’article 49 du projet de la section centrale, rapproché de l’article 109 de celui du gouvernement, mérite de fixer l’attention.

Jusqu’ici, les magistrats existants n’ont pas eu le caractère de l’inamovibilité.

L’article 135 du gouvernement proposait de conférer au Roi toutes les premières nominations.

Le projet du gouvernement proposait de conférer au Roi toutes les premières nominations.

Ce projet a été envoyé aux cours, aux tribunaux et aux barreaux du royaume.

Nous ne voyons s’élever contre l’article 109 que la cour de Bruxelles. Elle a prétendu l’inamovibilité actuelle.

La cour de Liége n’a fait aucune observation ; et c’est une preuve qu’elle adoptait la disposition.

Le barreau de la même ville a appuyé l’article. Aucun des membres de ce barreau n’a prétendu que la première nomination ne devait pas émaner du roi. Ma is quelques-uns ont soutenu qu’elle devait avoir lieu sur la présentation des conseils provinciaux, qui, dans ce système, auraient dû être organisés avant la première nomination des membres de l’ordre judiciaire. Mais le barreau a été d’avis de conférer toutes les premières nominations à la prérogative royale. Il ne proposait d’exception que pour les présidents et les vice-présidents, qu’ils voulaient faire choisir par leur corps.

Jusqu’ici, nous ne voyons, dans les magistrats existants, que la cour de Bruxelles s’élever contre la première nomination à conférer au roi.

Le projet du gouvernement renvoyés dans les sections, voici quels ont été leurs avis.

La première et la quatrième sections ont pleinement adopté le projet du gouvernement, et elles ont proposé la rédaction suivante : « La première nomination à toutes les fonctions de l’ordre judiciaire, sera faite directement par le roi. »

La deuxième section a déclaré ne pouvoir arriver à aucune solution satisfaisante. Dans tous les cas, elle a réclamé pour les cours la nomination de leurs présidents.

La troisième, cinquième et sixième sections ont été d’avis de laisser au roi la première nomination de tous les membres de l’ordre judiciaire, sauf celle des présidents aux cours.

Vous voyez, messieurs, que cinq de vos sections ont adopté la proposition de conférer au roi les premières nominations. Une seule, sans se prononcer au contraire, n’a fait qu’émettre des doutes.

La section centrale a fait des distinctions entre les membres actuels de l’ordre judiciaire, et les emplois auxquels il faudrait nommer. Et, entre ceux-là, elle a distingué les juges de paix des membres des cours et des tribunaux de première instance.

La section centrale, composée de cinq membres, a été unanime pour conférer au roi la première nomination des présidents et membres de la cour de cassation, celle aux sièges vacants, et pour ne pas conserver les juges de paix actuels.

Quatre contre un ont été d’avis de prendre les présidents et conseillers des cours de Bruxelles et de Liége, dans le sein de ces cours, et de faire passer de droit l’excédant dans la cour de Gand.

Trois contre deux ont été d’avis de maintenir les juges de première instance.

Enfin, la section centrale a été unanimement d’avis d’attribuer au roi de mettre à la retraite les magistrats trop âgés ou infirmes.

Toutefois, on a unanimement reconnu que les magistrats actuels n’étaient pas inamovibles. Et l’opinion de la cour de Bruxelles sur ce point est restée une opinion solitaire.

Vous voyez donc, messieurs, que la proposition de conférer au roi les premières nominations ne se trouve pas sans appui. Elle a été appuyée par cinq de vos sections, sans avoir été formellement contredite par la section qui n’a pas donné de solution. La section centrale, en adoptant une résolution contraire à celle des sections, n’a pas même été unanime. Une seule voix a décidé quant au maintien des juges de première instance.

On voit que, tout en s’appuyant sur un autre motif, la section centrale en revient à peu près au système de la cour de Bruxelles.

La seule différence est que la cour de Bruxelles réclamait un droit qu’elle prétendait exister ; au lieu que la section centrale accorde le droit, en refusant de reconnaître qu’il ait préexisté.

En examinant la question, nous devons faire abstraction de toute considération personnelle.

C’est en elle-même qu’on doit l’examiner.

Je ne crois pas qu’on puisse sérieusement soutenir que les magistrats existants sont devenus inamovibles par la publication de la constitution. L’article 135 décide formellement que l’inamovibilité ne commencera que lorsqu’il y aura été pourvu par la loi.

Il s’agit donc ici d’une nomination nouvelle. Et la section centrale voudrait faire dériver cette nomination de la disposition de la loi maintenant en discussion.

A la vérité, la constitution s’en est rapportée au législateur pour le mode des premières nominations.

Cependant, il est à observer que, suivant l’article 99, les nominations sont faites par le roi, les unes directement, les autres sur présentation.

Et si les cours choisissent leurs présidents, elles ne peuvent conférer le titre qu’à ceux qui déjà ont reçu celui de conseiller par une nomination royale.

Il est dans la nature du gouvernement monarchique que la nomination des juges soit conférée au roi. Et il existe une garantie dans l’inamovibilité.

En partant de ces principes, les premières nominations doivent, comme celles qui auront lieu par suite, être conférées au roi. ET il resterait à savoir si elle aurait lieu directement ou sur présentation.

Les magistrats ne devaient pas pouvoir réclamer un titre antérieur à la nomination royale.

Mais examinons la question dans ses détails.

Je ne parle pas de la cour de cassation où tout est à créer.

Vous avez maintenant deux cours supérieures. Il y aura trois cours d’appel.

Des déplacements ne peuvent être évités.

On ne peut donc maintenir. Car, par maintenir, il faudrait ne pas déplacer ; ce qui est impossible.

Les magistrats actuellement nommés ont des droits égaux.

Et cependant il faudra désigner ceux qui seront déplacés.

La section centrale propose de faire désigner par le roi ceux des magistrats des cours supérieures de Bruxelles et de Liége, qui composeront les cours d’appel de ces deux villes, et de déclarer que les magistrats non désignés passeront à la cour de Gand.

Par ce moyen, vous chargez le roi de prononcer le déplacement de ceux qui ne seront pas désignés.

A proprement parler, le roi ne nommera pas à une place. Il fera un déplacement. Ce sera, de quelque sorte, des disgrâces que l’on conférera au roi.

Tel ne doit pas être l’usage du pouvoir royal.

Si les premières nominations sont conférées au roi, ce sera, dans la réalité, une place qu’il confèrera, lors même qu’un magistrat serait nommé dans une ville autre que celle où il exerce maintenant ses fonctions.

D’un autre côté, si l’on maintient dans leurs fonctions les juges de première instance, c’est maintenir, par cela même, le siège de tous les tribunaux existants. Car, d’après l’article 100 de la constitution, aucun juge ne peut être déplacé sans son consentement.

Dira-t-on que cet article 100 ne fait pas obstacle aux changements qui pourraient être introduits en vertu de la loi ?

Mais ce ne serait pas résoudre la question. Car, lorsqu’on voudra porter une telle loi, les juges pourront réclamer la garantie constitutionnelle : et la question de constitutionnalité se présentera comme un obstacle à la loi nouvelle.

Examinons les objections que l’on a faite contre la proposition de conférer au roi les premières nominations.

Car, dit-on, remettre en question l’existence des magistrats actuels.

Mais la constitution elle-même l’a laissée en question.

Il ne s’agit pas de leur enlever des droits préexistants. On veut, au contraire, leur en conférer de nouveaux.

La différence avec la section centrale est que celle-ci veut les leur conférer par la loi ; au lieu que nous proposons de ne les leur conférer qu’en vertu de la nomination royale.

Déjà j’ai observé, en présentant des observations générales, que la crainte de nous éloigner des hommes éprouvés par une longue expérience, par des services éminents, pour leur en substituer qui ne présenteraient pas les mêmes garanties était chimérique. Quels intérêts peut y avoir le gouvernement ? N’a-t-il pas un intérêt précisément contraire ? Et la nomination de bons fonctionnaires n’honore-t-elle pas le gouvernement qui les nomme ?

La constitution a conféré les fonctions du ministère public au libre arbitre du roi. N’y a-t-il pas aussi de bons magistrats dans les officiers du ministère public ? Et cette faculté conférée au roi, a-t-elle fait éloigner des hommes d’une capacité reconnue ?

Cependant, lorsque l’article 101 de la constitution a été discuté au congrès, ce sont des députés qui étaient dans les fonctions du ministère public qui se sont élevés contre l’inamovibilité qu’on avait proposée contre la résolution unanime de la section centrale, qui m’avait nommé son rapporteur.

Quelle crainte plus grande peut inspirer la première nomination conférée au roi ?

On a aussi objecté la stabilité de l’ordre judiciaire.

Mais on n’y nuira nullement en conférant les premières nominations au roi.

Car tout son droit sera consommé par les premières nominations.

Et nous n’avons nulle influence à craindre pour les délits politiques et de la presse. Ils sont soumis au jury.

D’ailleurs, on ne peut reprocher aucune influence qui aurait été tentée par le pouvoir.

Il n’y a donc aucun motif de refuser au roi une nomination qui tient à ses prérogatives, et contre laquelle il ne s’est élevé d’autre voix que celle de la cour de Bruxelles.

M. Milcamps. - Messieurs, le projet en discussion, quant à la première nomination des magistrats de l’ordre judiciaire, diffère essentiellement du projet primitif qui avait été soumis à l’examen des sections.

D’après le projet primitif, articles 107 et 109, les cours, tribunaux et justices de paix, n’étaient maintenus que jusqu’à l’installation des cours, tribunaux à établir en vertu de la loi, et la première nomination des magistrats était attribuée au Roi.

Suivant le projet en discussion, articles 49 et 50, les membres des cours d’appel et des tribunaux de première instance sont maintenus dans leurs fonctions. Après la nomination de la cour de cassation, le Roi désigne les présidents et conseillers des cours supérieures de Bruxelles et de Liége pour composer les cours de ces deux villes, et les membres non désignés passent, dans leur qualité actuelle, à la cour de Gand. Cela est très ingénieux.

Cette différence essentielle dans les deux projets semblerait n’avoir pu naître que de la manière d’interpréter ou d’entendre notre code constitutionnel à savoir, si la constitution veut une organisation universelle des tribunaux (c’était l’opinion de M. le ministre), ou si cette organisation n’est ni dans le texte ni dans l’esprit de la constitution (c’est l’opinion d’une des cours actuelles).

La section centrale, au sujet des nominations, a suivi à peu près cette dernière opinion, non point par conviction, mais afin d’éviter de remettre en question le sort des magistrats actuels.

La chambre est appelée à prononcer sur cette grave question : A qui appartiendra la première nomination des magistrats de l’ordre judiciaire ? Chacun de nous a le droit d’exprimer son opinion. Je vais avoir l’honneur de développer la mienne.

L’article 95 de la constitution crée pour toute la Belgique une cour de cassation.

L’article 104 dispose qu’il y a trois cours d’appel, et que la loi détermine leur ressort et les lieux où elles sont établies.

Ces deux dispositions posent seulement quatre grandes bases de l’organisation du pouvoir judiciaire ; d’autres dispositions, constitutionnelles sans doute, présentent l’organisation complète qui ne se conçoit que lorsque les sièges des tribunaux, leur ressort, leur compétence, le nombre des membres dont ils sont composés, leurs qualités et le mode de nomination des magistrats sont déterminés.

C’est à rechercher ces dispositions constitutionnelles que je vais m’attacher.

J’arrête ma pensée sur l’article 99.

La première partie de cet article porte : « Les juges de paix et les juges des tribunaux de première instance sont directement nommés par le Roi. »

La seconde est ainsi conçue : « Les conseillers des cours d’appel et les présidents des tribunaux de première instance de leur ressort sont nommés par le Roi sur deux listes doubles présentées, l’une par ces cours, l’autre par les conseils provinciaux. »

La troisième dispose comme il suit : « Les conseillers de la cour de cassation sont nommés par le Roi sur deux listes doubles présentées, l’une par le sénat, l’autre par la cour de cassation. »

Ces dispositions, comme on le voit, sont organiques ; mais leur exécution suppose le pouvoir judiciaire organisé, l’existence des justices de paix, des tribunaux, des cours d’appel et de la cour de cassation. Mais, pour que ces établissements existent réellement, il faut que les membres en soient nommés. Qui doit faire cette nomination ? J’avais pensé que cette nomination, qui consiste dans l’action de nommer à une charge de juge, qui suppose un choix préliminaire, par celui qui nomme, qui est un acte d’exécution, j’avais pensé, dis-je, que cette nomination appartenait naturellement au Roi.

La section centrale ne paraît pas avoir partagé en tous points ces idées. Elle propose, article 49 du projet, de maintenir dans leurs fonctions les membres des cours d’appel et des tribunaux de première instance. Pour ma part, je trouve cette disposition assez inutile. Que la loi se taise, et les membres des cours d’appel et des tribunaux sont naturellement maintenus.

Mais ici l’intention de la section centrale le décèle. Ce qu’elle vous propose a pour but d’éviter de remettre en question l’existence des magistrats actuels et de leur assurer l’inamovibilité.

Cette proposition est-elle dans les vrais principes ?

L’article 100 de la constitution porte : « Les juges sont nommés à vie. » Il faut donc une nomination. J’ai défini ce terme. Cet article ajoute : « Le déplacement d’un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement. » Donc ces dispositions supposent une première nomination.

On a prétendu que cet article 100 de la constitution, dès l’instant de sa publication, avait consacré l’inamovibilité des juges. Mais c’est une erreur. Cet article suppose aussi le pouvoir judiciaire organisé, une première nomination des magistrats. Si l’inamovibilité des juges était actuellement consacrée, si chaque juge actuel était inamovible, inamoventus, comment la loi pourrait-elle déplacer des conseillers des cours de Bruxelles et de Liége pour les envoyer à Gand ? Et plus tard les juges de paix ?

La constitution veut une première nomination de tous les magistrats de l’ordre judiciaire. Cela me paraît de toute évidence.

La section centrale, qu’un esprit de conciliation anime, vient nous proposer un expédient. Celui de faire de la première nomination des juges des tribunaux et d’une partie des conseillers des cours d’appel, l’ouvrage de la loi, et de laisser au pouvoir exécutif les autres nominations.

Est-ce bien là, messieurs, ce que veut la constitution ? Je ne saurais le penser. Le vœu de la constitution est d’attribuer au Roi la première nomination. Ce vœu n’est peut-être pas explicite, mais telle était l’intention du pouvoir constituant, et je n’en veux d’autre preuve pour ce qui concerne les juges des tribunaux et les conseillers des cours d’appel que l’article 135 ; cet article est ainsi conçu : « Le personnel des cours et des tribunaux est maintenu tel qu’il existe actuellement, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi. Cette loi devra être portée dans la première session législative. »

On a également prétendu, et cette opinion est rapportée, page 8 du rapport général, que cet article 100 ne s’entendait que du nombre de membres dont un tribunal est composé, et qu’on ne pouvait en inférer l’amovibilité actuelle des juges.

Les expressions de la loi, a-t-on dit, doivent être prises dans leur acception actuelle.

Or, quelle autre idée présentant naturellement à l’esprit ces mots « personnel des tribunaux ? » si ce n’est le nombre des membres dont un tribunal est composé. Que l’on consulte les dispositions des lois actuelles, où cette expression se trouve employée, et l’on verra qu’elle n’a pas d’autre sens…

Je n’attache pas à cette expression ce sens exclusif. Dans mon opinion ces mots « personnel des tribunaux, » signifient « les membres qui composent leurs tribunaux, leurs qualités ; » non point celles de Belges de naissance, de docteur en droit, mais celles de président, vice-président, procureur-général, avocat-général, substitut, greffier, commis-greffier, etc., et leur nombre. Cette expression « personnel des tribunaux » est opposée à celle « attributions des tribunaux. » Une preuve que cette expression ne s’entend pas seulement du nombre de membre de membres dont un tribunal est composé, c’est que je lis page 6 du rapport général que le gouvernement provisoire a cru devoir procéder à une réorganisation du personnel des tribunaux. Cette locution est certainement française. Or, l’on sait si le gouvernement provisoire s’est borné à fixer le nombre de membres dont les tribunaux seraient composés.

Ainsi nous exécuterons sainement cet article en déterminant le nombre de membres dont les tribunaux de première instance et les cours d’appel seront composés et le mode de leur première nomination.

Il est remarquable que l’article 49 du projet de la section centrale n’est que la répétition, pour ainsi dire, de l’article 135 de la constitution.

L’article 135 dit : « Le personnel des cours et des tribunaux est maintenu tel qu’il existe actuellement, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi. »

Et l’article 49, qui est cette loi, porte : « Les membres des cours d’appel et des tribunaux sont maintenus dans leurs fonctions. »

Je comprends. Voici le motif décisif. Est-il juste de remettre en question l’existence des magistrats actuels contre lesquels aucune voix ne s’élève et que la considération public environne ? Je m’associe volontiers à cet hommage public rendu à notre magistrature. Mais est-ce à nous qui exerçons ici le pouvoir législatif à apprécier, à juger les qualités individuelles des magistrats ? Laissons au Roi la première nomination. Le personnel étant bon, le gouvernement le maintiendra.

Mais les abus du pouvoir sont à craindre ! Messieurs, ce n’est point cette crainte qui a déterminé la proposition de la section centrale. Et quant à moi, je n’ai point de motifs de penser que le gouvernement ne se conduise pas dans une affaire aussi importante en présence des chambres, avec justice et raison.

Le moment est venu de décider si le Roi aura la première nomination de tous les magistrats de l’ordre judiciaire, ou si, comme le propose la section centrale, nous attribuerons au Roi la nomination d’une partie de ces magistrats, en faisant de l’autre partie l’ouvrage de la loi. Voici mon opinion. Afin que le pouvoir exécutif soit un, je pense qu’il est convenable d’attribuer au Roi la première nomination de tous les juges indistinctement. Je n’appréhende pas que les places à donner deviennent le prix de l’adulation et de l’intrigue. Au contraire, j’ai la persuasion que pour les obtenir il faudra avoir fait preuve de suffisance et de vertu. Je voterai donc le rejet des articles 49 et 50 du projet de la section centrale.

M. Legrelle. - Je voterai contre les articles 48, 49, 50, et 51 du projet. Je ne crois pas, messieurs, devoir prendre sur moi de maintenir sans distinction tous les magistrats actuels sur leurs sièges. J’ai la conviction que des changements, que des déplacements, pour ne rien dire de plus, sont nécessaires.

La question est trop délicate pour que je m’étende davantage et surtout pour que j’en fasse une question de personnes. Mais si je voulais citer des exemples de juges qui ne sont nullement à leur place, cela me serait bien facile. Je me contenterai de dire que je connais tel juge, qui est obligé de juger des affaires plaidées en flamand, et qui ne sait pas un mot de cette langue. C’est un grand inconvénient, et cependant c’est peut-être le moindre de ceux que je pourrais citer. Le gouvernement provisoire, aux intentions duquel je me plais d’ailleurs à rendre hommage, a fait des nominations qui laissent beaucoup à désirer. Il a fait des nominations qui laissent beaucoup à désirer. Il l’a fait malgré lui, sans doute ; mais dans la perturbation et le désordre qui existait, obligés de faire beaucoup et de faire vite, il aurait fallu que les membres du gouvernement provisoire eussent été des anges pour ne pas faillir. Je voterai pour l’amendement de M. le ministre de la justice.

M. Gendebien. - Messieurs, je regrette de ne pas m’être trouvé ici au commencement de la discussion, puisqu’il s’agit d’un objet aussi grave ; mais le peu que j’en ai entendu me fournira le moyen d’opposer aux arguments des préopinants une réponse propre à vous faire réfléchir sur les prétentions exorbitantes du ministère.

Rappelez-vous, messieurs, que la loi fondamentale des Pays-Bas accordait formellement au Roi la première nomination des membres de l’ordre judiciaire. Rappelez-vous de combien de plaintes et de réclamations ce privilège fut l’objet. Ce fut le premier brandon de discorde jeté entre le gouvernement et le peuple belge ; ce fut le premier aliment de cette opposition formidable à laquelle se rallièrent tous les hommes sensés du pays.

Et en effet, messieurs, quel était l’objet de cette disposition de la loi fondamentale ? C’était de mettre dans les mains du gouvernement l’ordre judiciaire tout entier. Ce droit qui souleva tant de haine contre l’ancien gouvernement, on vous propose de l’accorder au gouvernement actuel, non pas d’après le texte formel de la constitution, mais contrairement à sa lettre et à son esprit.

Jugez, messieurs, quels progrès nous avons faits dans le gouvernement représentatif depuis notre belle et glorieuse révolution. Ce qu’on contesta si vivement au roi Guillaume, on veut le faire passer aujourd’hui comme chose toute naturelle, sous prétexte de je ne sais quelle prérogative qui ne se trouve nulle part dans la loi fondamentale. Croit-on par de pareilles subtilités nous enlever le droit de choisir nos magistrats ? Ah ! il faut être dépourvu de sens pour penser que nous nous laisserons prendre à un piège aussi grossier.

La constitution confère-t-elle au Roi le droit de faire la première nomination des membres de l’ordre judiciaire ? Non. La constitution est muette à cet égard, et tout ce qu’elle n’accorde pas au gouvernement lui est interdit. Si ce droit était écrit dans la constitution, je dirais : c’est une monstruosité et notre constitution n’est qu’un vain mot ; car j’aimerais cent fois mieux un ordre judiciaire indépendant sans constitution, qu’une constitution avec une magistrature amovible dans le premier cas, l’indépendance du magistrat est une garantie pour les citoyens contre les excès du pouvoir ; tandis qu’une magistrature servile se fait toujours l’auxiliaire de la tyrannie du gouvernement.

D’après la constitution, le gouvernement ne peut pas nommer un membre, un seul membre d’une cour d’appel ; et vous voudriez qu’on lui donnât le droit de nommer tous les membres de l’ordre judiciaire ? Mais vraiment, messieurs, y pensez-vous ? le ministère y pense-t-il ?

C’est, nous a-t-on dit, le vœu de la constitution ; mais où est- il ce vœu ? où le trouve-t-on ? Pour moi, j’ai beau parcourir le pacte fondamental, non seulement je n’y trouve rien de semblable, mais j’y trouve des dispositions contraires exclusives de ce vœu. L’article 136 dit qu’une loi déterminera le mode de la première nomination des membres de la cour de cassation. Cela veut dire que cette première nomination sera laissée à la loi, non pas au Roi.

Cependant par la loi actuelle, vous avez conféré ce droit au gouvernement. Certes, si j’avais été là, j’aurais refusé mon assentiment à une semblable disposition. Toutefois, il y avait une raison pour la justifier ; elle est prise du mode même de nomination de conseillers de la cour de cassation. Les corps sur la présentation desquels la nomination doit se faire n’étant pas organisés, il fallait bien y suppléer d’une manière quelconque. Mais pour les cours d’appel le même motif n’existe pas. Aucune disposition de la constitution ne parle de leur première nomination, ni ne permet de mettre en question leur existence.

Mais, dit-on, il ne s’agit pas d’enlever un droit acquis aux conseillers des cours d’appel, mais seulement de leur conférer un droit nouveau.

Messieurs, c’est un véritable jeu de mots dont on veut nous payer. En effet, il résulte de ce langage qu’on les confirmera dans leur place. Mais, si c’est là votre intention, confirmez-les tout de suite et faites-le par une loi, car c’est à la législature seule qu’appartient cette confirmation. La loi fondamentale, ajoute-t-on, permet au Roi de nommer les officiers du ministère public. Craint-on cependant qu’il fasse de mauvais choix ? Messieurs, le gouvernement exercera sa prérogative comme il l’entendra. J’aurais été personnellement assez disposé à lui refuser même celle-là, mais il y avait au moins des raisons plausibles pour la lui accorder. La responsabilité ministérielle exige que les agents du gouvernement, que des hommes qui requissent directement ses ordres, puissent être nommés et révoqués par lui.

Mais ici quels ordres la magistrature inamovible a-t-elle à recevoir du gouvernement ? Aucun, et un magistrat sur son siège est inamovible comme le Roi lui-même. Il s’agit, dites-vous, de leur conférer des droits nouveaux ? Si vous êtes de bonne foi, sans arrière-pensée, faites-le tout de suite ; conférez ces droits dont vous parlez, par cette loi même, nous vous donnerons notre assentiment. Mais non, ce n’est pas ce qu’on demande. Le gouvernement seul veut avoir ce droit. Voudrait-on par hasard faire pour la magistrature ce qu’on a fait pour l’armée ? Voudrait-on en faire sortir quelques patriotes qui s’y trouvent clairsemés, car le gouvernement provisoire fut fort modéré dans ses épurations ? Si c’est là le but qu’on se propose qu’on le dise franchement ; si c’est une loi d’ostracisme qu’il s’agit d’exécuter, à la bonne heure.

Mais, dit-on, il y a des juges peu capables dans les tribunaux. Messieurs, je l’ignore, mais ce que je sais, c’est que, malgré la précipitation avec laquelle on a été obligé de précéder dès les premiers jours de la révolution, le gouvernement provisoire a apporté plus de soin que l’on ne peut croire dans les nominations qu’il a faites.

S’il y a procédé vite, ce n’a pas été sans réflexion, et je puis assurer que ce n’a jamais été sans de nombreuses informations. Du reste qui nous garantit que le ministère fera mieux aujourd’hui ? On a parlé du Roi et je suis fâché qu’on ait mis son nom en avant ; mais enfin, étranger au pays, le Roi connaît-il mieux les hommes capables que ne le connaissait le gouvernement provisoire ? Le ministère lui-même sera-t-il plus à l’abri de l’intrigue et de l’obsession que les cinq ou six hommes qui composaient le comité de justice ?

Messieurs, l’expérience que nous avons faite depuis 10 ou 12 mois me donne le droit de concevoir et de manifester mes inquiétudes sur le résultat de ce travail, s’il était imprudemment confié au ministère. Il est une autre objection peu sérieuse et à laquelle je ne sais pas vraiment si je dois répondre : aux termes de l’article 100, a-t-on dit, les juges sont nommés à vie, donc ils doivent être nommés. Oui, sans doute, ils doivent être nommés ; mais ont-ils besoin de l’être, quand ils le sont déjà ? Mais quand l’objection aurait quelque de chose sérieux, il s’agirait encore de savoir par qui ils devraient être nommés. Est-ce par le pouvoir exécutif ? Non, la constitution ne lui donne pas ce droit ; par qui donc ? par la loi, car ce que la constitution ne confère pas au gouvernement le droit de faire, c’est la loi qui fera, et elle le fera en maintenant l’ordre judiciaire tel qu’il est.

On vous a dit qu’il serait dangereux de maintenir tous les membres de l’ordre judiciaire, parce qu’il en est qui ne savent pas un mot de flamand, et qui sont cependant obligés de juger des causes instruites et plaidées en flamand. Qu’il y ait des juges qui n’entendent pas le flamand, c’est possible, mais je l’ignore, et je doute fort qu’il y en ait beaucoup. Mais quand cela serait, partout en Belgique, et à Anvers même on plaide en français. Le barreau d’Anvers réclama comme tous les autres en 1823, quand l’ancien gouvernement proscrivit la langue française, et il est revenu au français aussitôt après la révolution. S’il y a donc un juge à Anvers qui n’entende pas le flamand, c’est un très faible inconvénient.

Que ferait au reste cette toute petite exception ? Suffirait-elle pour remettre en question l’existence de toute la magistrature, et pour ouvrir une plaie qui ne serait pas fermée avant 25 ans ? Messieurs, les hommes sont toujours des hommes : ce n’est pas pour le ministère actuel que je parle, mais pour tous les ministères en général, tous peuvent être circonvenus, aucun n’est à l’abri de l’intrigue, et certes si le gouvernement provisoire a commis quelques erreurs, le ministère se trompera plus facilement encore que le comité de justice.

Quant à la question constitutionnelle, la cour de Bruxelles l’a traitée avec tant de clarté, elle a si bien démontré l’intention des auteurs de la constitution, que je n’y reviendrai pas.

Je terminerai par une dernière considération. C’est que le congrès, en refusant au gouvernement la nomination des membres de l’ordre judiciaire a voulu qu’une distinction fût bien établie entre les pouvoirs. Il a senti l’importance de mettre à l’abri de l’influence du gouvernement le pouvoir judiciaire ; il n’a pas voulu, dans ce but, que le gouvernement eût la nomination directe d’aucun des membres de ce pouvoir : eh bien, s’il ne peut exercer le droit de nomination à mesure qu’un magistrat meurt, si on n’a pas voulu que son influence se fît sentir en nommant un à un les remplaçants des magistrats, que la mort ou toute autre cause éloignerait de leur siège, pourriez-vous, sans blesser les plus simples notions de la raison et du bon sens lui permettre de faire table rase, et de mettre le pouvoir judiciaire à la merci de toutes ses influences ? Cela est impossible, messieurs, car ce serait vouloir à plaisir jeter la confusion dans tous les pouvoirs.

M. A. Rodenbach. - Je m’opposerai de toutes mes forces au maintien dans leurs fonctions de conseillers de la cour d’appel, et de membres des tribunaux de première instance.

Personne ne me contestera que sous Guillaume on ne comptait grand nombre de juges serviles : souvent l’ordre de condamner ou d’acquitter partait de Bruxelles. J’en ai des preuves écrites et je les ai communiquées à plusieurs de mes honorables collègues. Un des membres de l’ordre judiciaire qui siège maintenant dans cette enceinte vient de vous dire, messieurs, que sous le précédent gouvernement, il siégeait même dans nos tribunaux des espions, des délateurs.

A l’époque du congrès on était généralement persuadé que les institutions nouvelles ne marchent bien que sur des tables rases ; qu’avec une réforme radicale enfin ; penserait-on autrement aujourd’hui ? Depuis notre révolution plusieurs ministres abusés par d’injustes préventions, ont écarté les patriotes qui avaient puissamment contribué à notre indépendance ; pour ne pas déplaire au parti de Guillaume, ils ont même nommé des orangistes, je dois lâcher le mot.

Je ne donnerai pas mon vote à un système qui éloigne le gouvernement de plus en plus de la révolution qui l’a fondé.

Si le ministère d’un peuple voisin avait moins encouragé les incorrigibles carlistes, le sang français n’aurait peut-être point coulé dans les journées des 5 et 6 juin, et l’on n’aurait pas vu au sein de Paris des citoyens massacrant leurs frères.

Ceci devrait servir de leçon à nos ministres : des éliminations, des épurations, sont nécessaires dans une foule de branches de l’administration.

En France, des destitutions viennent d’avoir lieu au ministère de la guerre et au ministère des finances ; ces destitutions ont produit un grand effet.

J’espère que nos ministres ne nommeront plus dorénavant des fonctionnaires contraires à l’ordre nouvellement établi ; ce sont les orangistes dont je veux parler.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, si j’avais pu douter un seul instant que nous nous trouvons dans un système de révolution qui devient de plus en plus flagrant, les paroles que je viens d’entendre, et la proposition qu’on vous fait, m’auraient prouvé que nous sommes encore au bord du précipice, puisqu’on vient nous proposer une épuration de la magistrature. Il se peut que les magistrats actuellement existants n’ont pas été nommés pour être inamovibles ; mais ce n’est pas la question qu’al faut examiner. La seule qui s’agite en ce moment est celle de savoir si l’on doit accorder le droit de leur donner l’institution, à la loi, ou à l’homme, c’est-à-dire à l’intrigue et à l’obsession.

Plus je réfléchis à la proposition qui vous est faite, moins je puis concevoir que l’on puisse songer à investir le ministère du droit de pourvoir d’un seul coup la Belgique entière de toute la magistrature.

En effet, messieurs, quel est l’homme qui a assez de connaissances sur le personnel de tous nos tribunaux et toutes les capacités qui existent dans le pays pour pouvoir prendre sur lui la responsabilité du choix de plusieurs centaines de magistrats dignes de siéger sur les fleurs de lys ? (Sourires et chuchotements.) Cet homme n’existe pas. Quel sera donc le résultat d’une telle concession de notre part, même pour le ministère ? Ce qu’il vous propose dans l’intention d’éliminer seulement quelques hommes, l’entraînera plus loin qu’il ne le prévoit lui-même. Il ne sera pas plus tôt armé de ce pouvoir discrétionnaire, qu’il sera obsédé de dénonciations dictées par l’intrigue, la cupidité, l’intérêt personnel ; les importunités d’une foule de solliciteurs viendront l’assaillir et lui arracher ce qu’aujourd’hui peut-être il se promet bien de ne pas accorder.

On ne sait pas où l’on s’arrêtera, messieurs, quand on se lance dans une voie aussi dangereuse. Que le ministère songe à la responsabilité que toutes ces nominations feront peser sur lui. A chacune d’elles, il peut s’attendre, au lieu d’augmenter le nombre de ses amis, de voir au contraire grossir les rangs de ses adversaires, parce qu’il aura un ennemi irréconciliable dans chacun de ceux qu’il aura éconduits ou dont il aura refusé d’accueillir les prétentions. J’ai vu tomber beaucoup de gouvernements, messieurs, mais je n’en ai pas vu de plus près du précipice que ceux qui s’avisaient de faire des épurations et de s’attaquer à la magistrature dont le caractère est d’être inamovible.

Il paraît, messieurs, qu’on n’a pas de très bonnes raisons à nous donner, quand on nous présente comme argument le maintien des sièges de tribunaux. Il n’y a aucune connexité d’une question à l’autre, car la question de sièges se présentera naturellement lors de la discussion de la loi sur la circonscription des arrondissements. C’est alors seulement qu’on pourra s’en occuper. Vous voyez donc que cette question, qu’on vous représente comme liée intimement à la question actuelle, n’y a aucune rapport, et ce n’est qu’une embûche tendant à la bonne foi de quelques députés qui, trop imbus de l’esprit de localité, pourraient se laisser prendre à ce piège.

Il y a, dit-on, dans les tribunaux des hommes qu’il faut en éloigner. Messieurs, s’il y a des brebis galeuses (on rit) dans quelques tribunaux, la loi doit offrir le moyen de les éliminer. Mais si on entend seulement quelques juges peu capables, peu éclairés, la loi est inutile ; car, messieurs, faites, refaites dix fois, cent fois si vous voulez la recomposition des cours et des tribunaux, et je vous défie d’empêcher qu’il ne s’y trouve quelque brebis galeuse ; je dis plus, c’est que plus vous ferez des remaniements, plus les brebis galeuses abonderont ; parce qu’une fois que vous aurez touché à la magistrature, cette carrière ne présentant plus de sécurité ni de stabilité, ceux qui seraient dignes de siéger sur les fleurs de lys (rires et rumeurs) s’en éloigneront, et les places de l’ordre judiciaire seront la proie des hommes sans talent. J’ai dit.

M. Mary. - Messieurs, à la suite des révolutions on rencontre une grande quantité d’intérêts froissés, qui toujours font un grand tort au gouvernement. Il me semble donc plus prudent de rejeter la proposition de M. le ministre que de l’adopter, et cela afin de ne pas augmenter le nombre des mécontents. Voyons réellement si la constitution nécessite une nouvelle institution des juges actuellement en possession de leurs sièges.

M. Jullien. - Messieurs, je vous avouerai franchement que je suis pris au dépourvu et que je n’ai pas examiné la question qui s’agite en ce moment, et cela par une raison bien simple ; c’est que je croyais que le travail de la section centrale avait été fait d’accord avec M. le ministre de la justice : je ne m’attendais pas par conséquent à ce qu’on vînt dans le cours de la discussion nous présenter une disposition si complétement opposée à l’article 49 du projet. Toutefois et quoique je ne sois pas préparé à traiter cette question, il me semble qu’on peut présenter pour la combattre quelques arguments assez concluants.

D’abord, en comparant les dispositions de l’article 136 avec celles de l’article 135 de la constitution, il ne me paraît pas clairement démontré qu’il n’ait pas été dans l’intention des auteurs de la constitution de maintenir dans leur place tous ceux qui les occupent maintenant : la question avec quelque soin qu’on l’examine est au moins douteuse ; mais je veux bien accorder qu’il n’existe aucun doute, et que toute la magistrature doive tôt ou tard recevoir une institution nouvelle… Jusques à quand sera-t-elle maintenir, d’après l’article 135 ? C’est jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi ; mais quelle loi a-t-on eu en vue ? Ce n’est pas une loi transitoire, mais bien une loi d’ensemble et d’organisation, de sorte qu’il serait nécessaire de maintenir dans leur place les magistrats actuels, jusqu’à l’organisation judiciaire, et que vous n’auriez pas le droit de les renvoyer auparavant.

Mais, dit-on, on ne leur fait aucun tort puisqu’ils n’étaient pas inamovibles sous l’ancien gouvernement. Ils n’étaient pas inamovibles non plus, cela est vrai, mais sous l’ancien gouvernement et c’est une justice à lui rendre, ils ont toujours été traités comme tels. On avait et on devait avoir du respect pour l’ordre judiciaire, parce qu’un gouvernement despotique, tout despotique qu’il soit, sent bien qu’en inquiétant les juges dans leur existence, il peut jeter la perturbation dans la société ; la statistique est la vue de l’ordre judiciaire, et les tribunaux qu’on laisse sous la dépendance du pouvoir ne sont plus que des commissions.

Ce que le gouvernement du roi Guillaume n’osa pas faire même en détail, on vous propose de le faire en masse. C’est comme si l’on vous proposait de dire : l’ordre judiciaire est licencié, l’ordre judiciaire sera réorganisé.

On vous a dit que de graves abus existaient aujourd’hui dans la composition des corps judiciaires. Cela est possible ; mais les préopinants pensent-ils qu’il n’y aura pas toujours des abus, quoiqu’on fasse ? Et est-ce une raison pour confier au ministre un droit aussi exorbitant que celui qu’il demande ? Supposez que le ministère se trouve aujourd’hui sous l’influence d’un parti. Qui fera les nominations ? Le parti dont il subit l’influence et dont il exécute les volontés. Et cependant, messieurs, les nominations seront faites irrévocablement, et vous aurez à subir pour longtemps une magistrature imposée par un parti.

D’ailleurs, messieurs, ce n’est pas du tout constitutionnel ; car de ce que la loi est chargée de pourvoir à l’organisation définitive de la magistrature, il s’ensuit bien que vous avez le droit de faire une loi à ce sujet ; mais s’ensuit-il qu’il faille remettre non pas au Roi (car le nom du Roi ne doit pas être mêlé à nos discussions) mais aux ministres, le droit de nommer pour la première fois tous les membres de l’ordre judiciaire en masse directement, quand la constitution lui a refusé ce droit en thèse générale ? Non, messieurs, et j’ai la conviction que ce serait adopter une mesure imprudente dont plus tard vous auriez à vous repentir.

Messieurs, cette loi a déjà subi tant de modifications, elle a heurte tant d’opinions, que si vous y jetez encore ce brandon de discorde, je crains bien qu’au lieu d’avoir une loi qui organise la cour de cassation, les cours d’appel et les tribunaux, vous n’aurez rien du tout ; parce qu’il est possible que chacun mécontent de telle ou telle disposition insérée dans la loi contre son opinion ne la rejette toute entière, et qu’ainsi vous vous trouviez sans loi. Quant à moi, messieurs, je ne voterai que l’article 49, tel que nous l’a proposé la section centrale, et je dois exprimer le regret que j’éprouve de voir que son honorable rapporteur ait été obligé de monter au fauteuil, parce qu’il aurait sans doute défendu l’article du projet, en nous exposant les motifs qui avaient porté la section centrale à le rédiger ainsi (interruption). C’est une simple observation que je fais dans l’intérêt de la chose. Mon opinion est néanmoins formée, et je n’hésite pas à me prononcer contre l’amendement proposé par M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - (erratum, Moniteur belge n°175, du 23 juin 1832.) Messieurs, on a supposé que l’intention des rédacteurs de la constitution avaient été de ne pas conférer la première nomination des juges au roi. Vous savez ce qui s’est passé lors de la discussion de l’article 135, on avait proposé sur cet article un amendement qui consacrât l’inamovibilité des juges actuellement existants. Cet amendement fut rejeté ; ce rejet implique nécessairement qu’on n’a pas voulu que les juges se crussent dès lors inamovibles, et le principe de l’inamovibilité n’a dû recevoir son application que plus tard ; c’est dans ce but que j’ai l’honneur de présenter l’amendement qui est déposé sur le bureau.

On a fait quelques observations en principe. On a parlé de la loi fondamentale de 1815, qui conférait au Roi le droit de faire la première nomination. Vous allez, nous a-t-on dit, rétablir une prérogative, qui a fait le principal élément de l’opposition qui brisa l’ancien gouvernement. Mais messieurs, en quoi consistait le reproche de l’opposition ? Est-ce en ce que la loi accordait au Roi la première nomination ? Non, mais parce qu’on nous avait laissés pendant 15 ans sans organisation judiciaire. Si l’on veut se rapprocher du principe monarchique, il faut que les premières nominations appartiennent au Roi, qu’il nomme directement les juges de première instance et les autres sur présentation.

On a dit que cette prérogative avait soulevé l’opposition contre l’ancien gouvernement ; je remarquerai à cet égard que le barreau de Liège était de l’opposition, et cependant il a émis l’opinion que la nomination devait être déléguée au Roi. Croyez-vous que les officiers du ministère public soient dépendants parce qu’ils sont nommés par le Roi ? Souvenez-vous, messieurs, à ce sujet, des paroles de Carnot, qui fut membre du ministère public. Chaque fois, dit-il, qu’on me chargeait d’une affaire ou d’un ordre qui répugnait à ma conscience, j’envoyais ma démission.

- Une voix. - Ils sont rares les hommes comme celui-là.

M. Seron. - C’est l’exception.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On est convenu même au sein de la section centrale que les membres de l’ordre judiciaire actuel n’avait pas de droit acquis, que par conséquent on le leur enlevait rien, qu’au contraire on allait leur conférer un droit nouveau, et que l’inamovibilité n’était

Je ne sais pas si je dois m’occuper de questions personnelles, mais on a dit qu’en parlant du maintien des sièges des tribunaux, j’avais voulu tendre un piège, une embûche à quelques membres de la chambre. Je crois le préopinant qui a tenu ce langage assez juste pour croire que je ne veux tendre d’embûche à personne, et je suis certain que ce mot lui est échappé involontairement. Il a dû mal saisir ma pensée. Je n’ai pas voulu confondre où plutôt démontrer la liaison entre la question actuelle et celle des sièges ; mais j’ai dit qu’il s’agirait plutôt d’une question de constitutionnalité dans la question du déplacement des juges, que dans celle de la première nomination. Je n’ai au surplus rien affirmé, j’ai dit seulement qu’il y avait doute à mes yeux, et je n’ai pas fait une proposition certaine.

On a dit que le droit accordé au gouvernement lui créerait beaucoup d’ennemis, que serait porter atteinte aux droits des magistrats actuels, que l’intrigue et l’obsession nous conduiraenit plus loin que nous ne pouvions le prévoir. Et on a fait remarquer que l’ancien gouvernement n’avait déplacé aucun magistrat. Messieurs, tous les abus que l’on a signalés ne sont pas plus à craindre que sous le gouvernement précédent. Il ne s’agit ici de porter atteinte aux droits de personne, ni d’éloigner les patriotes des fonctions de la magistrature.

Quant à l’intrigue et à l’obsession je concevrais qu’un homme pût être surpris par de tels moyens s’il s’agissait de nommer à un emploi vacant ; mais quand il ne s’agit que de maintenir dans cet emploi celui qui le possède, c’est ce que je ne conçois plus. En résumé ce que je regarde d’essentiel dans tout ceci, c’est qu’aucun magistrat dans le royaume ne puisse dire qu’il tient ses fonctions d’un droit préexistant au gouvernement actuel et que l’institution royale soit un gage de son dévouement au nouvel ordre de choses.

M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je ne me rappelle pas le propos que j’ai tenu dans mon improvisation ; mais je déclare que je connais trop la loyauté de l’honorable préopinant pour avoir eu l’intention de le blesser.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’avais dit moi-même que je ne le pensais pas.

M. Barthélemy. - Je suis un peu comme l’honorable M. Jullien, je n’ai pas étudié la question, et j’éprouve quelque embarras à me prononcer. Je ne vois qu’un moyen de sortir de la difficulté, et ce moyen me semble ne devoir blesser l’opinion de personne. Je vais vous dire ma pensée tout entière sur la manière dont sous l’ancien gouvernement, on envisageait la position des juges. Je suis plus à même que personne de le faire, m’étant occupé pendant six ans de l’organisation judiciaire.

Les uns pensaient que la première nomination attribuée au Roi impliquait qu’il pourrait considérer tous les juges comme amovibles ; d’autres pensaient le contraire, et ils disaient que la loi fondamentale avait consacré l’inamovibilité du jour de sa publication, et que le pouvoir de nommer n’emportait pas le pouvoir de chasser les juges dont les droits devaient être respectés.

Je peux attester que le Roi lui-même était de cet avis et qu’il ne croyait pas qu’il lui fût permis de déplacer un juge de son siège ; il me l’a dit plus d’une fois, et pour preuve, il ajoutait qu’il n’avait jamais destitué aucun membre de l’ordre judiciaire.

Maintenant une révolution est arrivée ; on a usé du pouvoir suprême pour renverser ce qui existait, sans prendre égard au principe de de l’inamovibilité des juges. Le congrès est arrivé ; là il y a eu des avis différents : on a généralement reconnu que les juges devaient être inamovibles, à partir du jour où l’organisation judiciaire serait faite. Mais quid juris des juges existants ? voilà ce qui n’a pas été clairement expliqué. On peut discuter avec avantage les pour et les contre d’après la combinaison des articles de notre constitution.

Je pense que vous devez reconnaître que chaque juge a un état indépendant, même avant l’organisation judiciaire définitive, et vous n’avez à donner au gouvernement que le droit de classer les magistrats, c’est pour cela que vous avez le droit de faire une loi qui doit expliquer nettement ce que le gouvernement pourra faire. Ainsi, par exemple, vous aurez une cour à Gand. Il faut là des juges qui connaissent la langue flamande, je crois que vous feriez bien de donner au gouvernement le pouvoir de prendre les juges sachant parler flamand, partout où il les trouverait et de leur placer à Gand.

Il vous faut 19 conseillers pour la cour de cassation, 60 pour les cours d’appel, voilà 79 conseillers ; vous n’en avez maintenant que 66 : reconnaissez que ces 66 ont un état indépendant. Que le gouvernement prenne dans ce nombre ceux qu’il voudra mettre à la cour de cassation et qu’il compose vos cours de Bruxelles et de Liège, et pour les conseillers qui manqueront, qu’il fasse des nominations nouvelles. De cette manière, je crois que le gouvernement aura tout le pouvoir nécessaire pour faire une bonne réorganisation. Voilà en résultat, l’opinion que je me suis formée sur ce que le congrès a présomptivement eu l’intention de faire. (A demain ! à demain !)

M. Gendebien. - Messieurs, on est revenu sur les errements commis par le gouvernement provisoire, et qu’on a bien voulu attribuer à la précipitation avec laquelle il a dû faire les nominations. Ne croyez pas, messieurs, que je veuille défendre le gouvernement provisoire. Il a pu commettre des fautes, puisque tout le monde en commet : du moins, ce n’a pas été avec intention ; et, sous ce rapport, il n’a pas besoin d’être justifié ; mais il y a ici des hommes qui doivent y tenir davantage, ce sont ceux d’après les conseils de qui toutes ces nominations ont été faites. Or, pour la cour de Liège et pour son ressort, c’est le ministre de la justice actuel, ce sont avec lui MM. de Gerlache, Lebeau et Devaux (mouvement dans l’assemblée) qui ont été consultés, et pas une seule nomination n’a été faite sans leur avis.

M. Devaux. - Je demande la parole.

M. Gendebien. - Toutes les fois qu’une personne se présentait au comité de justice, quelque fortement recommandée qu’elle fût, ces messieurs étaient consultés ; je les adjure de dire si ce n’est pas d’après leur avis que tout se fait. Je ne sais donc pas pour la cour de Liége quel changement il y aurait à faire, à moins que ne veuille faire de ceci une question de politique, chose que je serai assez disposé à croire si certains bruits qui sont venus jusqu’à moi sont fondés.

Pour la cour de Bruxelles, il y avait dans le gouvernement provisoire et dans l’administration des membres de toutes les provinces du ressort ; tous ont été consultés, tous ont donné leur avis, alors l’esprit de coterie n’existait pas, chacun n’était guidé que par l’amour du bien public ; il y a aujourd’hui plus d’amateurs de places que dans ce temps-là ; on n’était pas assiégé de sollicitations ; au contraire, nous avons dû chercher les hommes qui méritaient la confiance, aller au-devant d’eux, leur offrir les postes qu’ils pouvaient occuper dignement ; c’est ainsi que se faisaient toutes les nominations. Dans les Flandres une seule a été faite par suite de sollicitations.

Il y a plusieurs membres de cette chambre qui tiennent leurs places du gouvernement provisoire, ils peuvent déclarer si ce que je dis n’est pas vrai, et s’ils n’ont pas été invités par nous à les accepter. C’est qu’alors les intrigants n’agissaient pas encore. Le danger était à nos portes, et ce n’est pas alors que les intrigants sont curieux de places. Ils se réservent pour des moments plus tranquilles et moins périlleux, afin de les exploiter sans inquiétude, et nous y sommes arrivés au moment de les exploiter. (Nouveau mouvement.)

On a dit qu’aucun juge n’avait été déplacé par le roi Guillaume. Cela est vrai, messieurs, et je citerai un exemple du respect de son gouvernement pour l’ordre judiciaire, c’est celui de M. Baumhauwer, procureur du roi à Bruxelles ; ce magistrat protesta contre le message du 11 décembre ; il le flétrit en termes tellement énergiques que bien qu’on fasse ici beaucoup d’énergie, je n’en ai jamais vu rien d’approchant. Eh bien ce magistrat n’a pas été destitué, bien qu’il fût amovible ; et vous voudriez faire ce que le roi Guillaume n’a jamais fait, remettre en question l’existence de la magistrature entière. Ah ! vous n’y avez pas réfléchi !

Mais on dit : il faudra bien, par la création de la troisième cour, déplacer des magistrats ; l’article 50 de votre loi y a pourvu. Sans doute, quand les cours de Bruxelles et de Liége auront été complétées, il faudra bien que des magistrats passent à celle de Gand. Mais croyez-vous que la chose souffrira de grande difficultés ? Non, messieurs, il est bien des personnes, dans la magistrature appartenant aux Flandres, qui se feront un plaisir d’y aller. J’en connais qui sollicitaient de rentrer dans les Flandres comme simples juges ; à plus forte raison iront-ils comme conseillers. Voilà donc toutes les difficultés qui disparaissent.

Pour ce qui est des places vacantes, si après la formation de la cour de cassation et des cours d’appel, il manque des conseillers, l’article 51 y a pourvu en disant : « Le Roi a la première nomination aux sièges vacants. » Voilà l’exception que la loi a faite à la règle générale. Je regrette de l’y voir et je la combattrai peut-être ; mais elle ne doit pas moins donner de la sécurité à ceux qui jugeraient à propos d’adopter l’article de la section centrale.

On vous a dit que lorsque l’article 135 avait été discuté, on avait proposé de maintenir tous les juges à leur poste et que cette proposition avait été rejetée. Je ne sais pas ce qui s’est passé alors, attendu que je n’étais pas à Bruxelles, mais d’après ce qui m’en a été dit, il paraîtrait qu’on n’a voulu rien préjuger sur la question et qu’on a voulu laisser au temps le soin de constater les capacités, et c’est ce qui a été fait. Cela résulte du texte et de l’esprit de l’article 135, combiné surtout avec l’article 136 de la constitution.

On a dit qu’il y avait des orangistes dans la magistrature. Ah ! messieurs, si l’on peut faire aujourd’hui des catégories et que l’on commence par la magistrature, je plains bien fort le gouvernement. Si les orangistes sont à craindre aujourd’hui, ce ne sont pas ceux que le gouvernement provisoire aurait introduits dans les tribunaux. Il serait plutôt à craindre que le gouvernement ne se servît de ce moyen, sous prétexte de rapprocher les partis, pour y en introduire ; qu’on regarde les nominations faites depuis quelque temps, on verra si ce n’est pas là la tendance du gouvernement.

Aujourd’hui le soleil est radieux, la secte nombreuse des adorateurs du soleil levant frappe à toutes les portes, les sectateurs ne demandent qu’à se rallier au gouvernement et on acceptera leurs offres, croyant qu’elles sont dictées par le gouvernement, tandis que la servilité seule le dicte : mais c’est ainsi que cela se fait, c’est les hommes serviles qui l’emportent le plus souvent.

On vous a dit que le barreau de Liége avait été d’avis d’accorder la première nomination au roi ; messieurs, j’ai parcouru attentivement les observations de ce barreau, et je n’y ai rien trouvé de semblable ; à moins qu’on ne prenne son silence pour une adhésion, je ne sais donc pas comment on a pu en argumenter. Mais en tout cas j’opposerais au barreau de Liége les développements très lumineux et qui jusqu’ici n’ont pas été combattus de la cour de Bruxelles.

On a encore dit que ceux qui avaient accepté des sièges au moment de la révolution l’avaient fait moins dans l’idée d’avoir une place inamovible, que par dévouement et par patriotisme : je le veux bien, mais voulez-vous les punir aujourd’hui de ce patriotisme et de ce dévouement ? Mais ces hommes honorables qui ont accepté le poste qu’ils occupent au moment du danger, vous les avez enlevés à leur clientèle ; la leur rendrez-vous ? Ils avaient une position, les y replacerez-vous ?

En résumé, messieurs, je pense qu’il suffit de lire les articles 135 et 136 de la constitution, pour être convaincu que jamais on n’eût l’intention d’attribuer au roi la nomination des magistrats. Cette intention fût-elle manifeste, elle ne suffirait pas, car il faudrait une disposition expresse. Croyez-vous au reste que dans l’intention du gouvernement provisoire les places qu’il accordait ne dussent pas être des fonctions durables ? Pour des fonctions dans l’administration, à la bonne heure, il est de leur nature de n’être pas inamovibles, ceux qui les acceptaient savaient bien qu’ils pourraient en être privés. Mais quant aux fonctions de l’ordre judiciaire, jamais le gouvernement provisoire n’a pu les donner avec l’intention de les retirer ensuite, sans quoi il faudrait supposer que ses membres ont voulu tromper leurs concitoyens.

Je ne pense donc pas que personne puisse hésiter à maintenir l’ordre judiciaire tel qu’il existe maintenant, et au moyen de quelques pensions à accorder à quelques magistrats qui comptent de longs services et qui doivent se tenir éloignés de leur siège, soit par l’âge, soit par des infirmités ; je crois qu’il y a lieu de maintenir tous les autres. Vous remarquerez, messieurs, qu’à Bruxelles il y a eu d’abord 22 éliminations, sur lesquelles 2 ont été annulées et les deux conseillers sont rentrés. Reste donc 20 éliminations, il n’est pas certes possible de les pousser plus loin. Quant à la cour de Liége, les éliminations n’ont été faites qu’avec l’avis des personnes que j’ai nommées tout à l’heure ; je ne pense donc pas qu’il y ait lieu de revenir sur ce qui a été fait, et je persiste à demander l’adoption de l’article de la section centrale.

M. Devaux. - J’ai demandé la parole pour un fait personnel. C’est pour relever une erreur commise par l’honorable M. Gendebien, erreur peu importante à la vérité, mais que je ne dois pas laisser passer. Je suis loin de blâmer l’intention qu’a pu avoir le préopinant en mêlant mon nom à ceux de quelques membres, mais à mon égard, il s’est complétement trompé. Je ne me rappelle pas d’avoir eu aucun rapport avec le gouvernement provisoire, si ce n’est dans une seule circonstance, où il m’offrit, à la cour de Liège, une place de conseiller que je refusai, comme je la refuserais encore aujourd’hui si elle m’était offerte.

M. de Gerlache. - Je demande aussi la parole pour un fait personnel. Je crois que M. Gendebien n’était pas à Bruxelles lors de la composition de la cour de Liége.

M. Gendebien. - Je partais le jour même pour Paris.

M. de Gerlache. - Cela importe peu ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que je fus mandé un jour au comité de justice avec mon honorable ami M. Raikem. Arrivés à la réunion, M. Blargnies, je crois, tira de sa poche une liste d’élimination, sur laquelle étaient portés 7 ou 8 conseillers, et on me demanda mon avis, ainsi que celui de M. Raikem.

Pour un ou deux de ces noms, il n’y eut hésitation de la part de personne, et il vrai de dire qu’il eût été difficile de les défendre. Mais, pour les six autres, je m’empressai de dire qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour les écarter et les flétrir en même temps, en leur enlevant leur état et leur moyen d’existence. Je plaidai chaudement et longuement leur cause ; je réussis à empêcher leur élimination, ou du moins, je pense que j’y contribuai beaucoup. C’est la seule fois que j’ai été consulté par le gouvernement provisoire. Depuis, plusieurs nominations de conseillers ont été faites, et j’y suis resté tout à fait étranger.

M. Lebeau. - Je regrette de prolonger cette discussion en parlant sur un fait personnel ; mais on m’a interpellé, et je dois à la chambre un mot d’explication. Le gouvernement provisoire me fit en effet l’honneur de me consulter, ainsi que plusieurs de mes collègues, sur la composition de la cour de Liége, près laquelle on m’avait nommé avocat-général, le 30 septembre, à mon insu, fonction que je crus plus honorable d’accepter alors, que de refuser. Mon avis, ainsi que celui de M. Raikem, procureur-général, fut contraire à un système d’épuration. Nous cédâmes si peu à un esprit réactionnaire qu’un seul magistrat fut écarté par des motifs purement politiques sur lesquels il est inutile de s’étendre ici. Toutefois, nous étions poussés à faire des épurations par beaucoup de personnes qui, toutes, je dois le dire, ne me paraissaient pas complétement désintéressées dans leurs instances.

Je suis entré dans ces courts détails pour vous prouver, messieurs, qu’on peut bien appuyer le système proposé par M. le ministre de la justice, sans vouloir ouvrir la voie à des réactions dont je me suis montré l’ennemi. Que l’amendement passe ou soit rejeté, je crois qu’au fond ce sera la même chose, quant au personnel des cours, et je ne l’appuie que dans l’intérêt de la prérogative royale dont je ne crains pas l’abus dans cette occurrence. (Aux voix ! aux voix !)

M. Gendebien. - Messieurs, je n’ai qu’un seul mot à dire. Si j’ai nommé M. Devaux, c’est qu’alors, je le connaissais très peu, et que MM. Lebeau et Devaux marchait toujours ensemble (on rit), j’ai pu commettre une erreur à son égard. Au reste, il n’y a là rien de bien fâcheux pour M. Devaux.

Quant à la circonstance que vient de rappeler M. Lebeau, je dois lui en rappeler une autre. Le 14 octobre on devait s’occuper de l’épuration de la cour de Liège. Le 15 je devais partir pour Paris, je retardai mon départ d’un jour, et le 16 on discuta le personnel de la cour contradictoirement avec le gouvernement provisoire et avec des personnes venues de Liège et qui prétendaient que les éliminations devaient être plus nombreuses. Quant à la province du Limbourg, on s’attendait d’un moment à l’autre à la reddition de Maestricht, et comme le pays n’était pas encore sous la domination belge, la difficulté de circonscrire les juridictions avait fait retarder les nominations. Elles furent soumises aux députés du congrès de cette province. Je ne sais pas si on trouvera plus de garantie dans un ministre. (La clôture ! la clôture !)

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

On procède à l’appel nominal sur l’amendement de M. le ministre de la justice, il est adopté par 44 voix contre 21.

Oui, 44 ; non, 21 ; abstenus, 6.

Ont voté pour : MM. Taintenier, Boucqueau, Brabant, Cols, Coppieters, Dautrebande, Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, de Smet, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Huart, Domis, Dubus, Dugniolle, Dumortier, Duvivier, Fleussu, Goethals, Jacques, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raikem, A. Rodenbach, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Vergauwen, Verhagen, Vuylsteke, Zoude, Ch. Vilain XIIII.

Ont voté contre : MM. Berger, Coppens, Corbisier, Davignon, H. de Brouckere, d’Elhoungne, de Roo, d’Hoffschmidt, Dumont, Gendebien, Jaminé, Jonet, Julien, Mary, Mesdach, Osy, Pirmez, Raymaeckers, Seron, Van Innis, Van Meenen.

Six membres se sont abstenus. Ce sont MM. Bourgeois, de Gerlache, Helias d’Huddeghem, Lebègue, Leclercq et Liedts.

Les cinq premiers ont donné pour motif de leur abstention leur qualité de magistrat.

M. Liedts. - Je me suis abstenu par le même motif ; mais je dois déclarer que sans cela j’aurais voté contre.

- La séance est levée à quatre heures un quart.


Noms des membres absents à la chambre des représentants, séance du 20 juin : MM. Angillis, de Foere, de Haerne, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Robaulx, Fallon, Gelders, Hye-Hoys, Pirson, C. Rodenbach.