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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 26 mars 1832

(Moniteur belge n°88, du 28 mars 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et approuvé.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.


M. Osy s’excuse de ne pouvoir assister à la séance.


M. Rogier s’excuse également de ne pouvoir se rendre à son poste à cause d’affaires de son administration qui réclament sa présence, et annonce qu’il reviendra le plus tôt possible.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1832

L’ordre du jour est la suite de la discussion des articles relatifs aux prisons, portés au budget de l’intérieur, et qui doivent être transférés à celui de la justice.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VII. Administration des prisons

Article 4

« Art. 4. Achat de matières premières pour les ateliers des grandes prisons, en paiement des salaires : fl. 500,000. »

M. d’Elhoungne pense que le nouveau mode de régie des prisons proposé par M. H. de Brouckere mérite tout l’attention du gouvernement ; mais il signale un exemple déplorable qui a eu lieu à la maison de Vilvorde, sous l’administration de M. Doulcet, alors que le système d’adjudication était en vigueur, c’est qu’on a vu alors le chiffre des décès des prisonniers augmenter de 85 p. c. Il faut donc bien réfléchir avant d’introduire ce nouveau régime qui, d’ailleurs, ne peut s’opérer instantanément. Il consent à affecter 500,000 fl. pour les matières premières des grandes prisons, mais il exige une réduction de compte, et à cet égard il propose un amendement tendant : 1° à ce que le ministre présente, avec son budget de 1833, l’état de situation des magasins et des ateliers des prisons, tant en matières premières qu’en objets confectionnés à la date du 20 septembre 1831, et du 31 décembre de cette même année ; 2° les comptes apurés de 1830 et de 1832 pour les examiner ; 3° et à ce que pour l’avenir le ministre soit tenu de soumettre à la chambre, avec son budget, les états de situation des prisons accompagnés des comptes qui seront apurés.

M. Ch. de Brouckere. - Avant d’exprimer mon opinion sur l’allocation de 500,000 fl. demandée, je dirai quelques mots sur l’amendement que vient de vous proposer l’honorable M. d’Elhoungne. Il me semble qu’il y a dans cette proposition une confusion complète, car je ne conçois pas comment l’on veut mettre dans le budget de 1832 que le ministre sera tenu de vous donner des pièces et des tableaux avant que vous ne discutiez le budget de 1830. Si l’assemblée a besoin de ces documents et de ces tableaux avant la délibération du budget de 1833, elle pourra les exiger dans les renseignements que demande l’honorable membre, relativement à l’état des magasins et des prisons ; il pourra les réclamer avant la loi des comptes.

Je reviens maintenant à l’article 4. Je croyais, lorsque j’ai demandé la remise de la discussion, que la somme de 500,000 fl. donnée à titre d’avance au trésor pouvait disparaître du budget des dépenses ; mais, d’après les explications obtenues du ministre, il résulte de cette manière d’établir la comptabilité plus de régularité ; mais alors aussi la loi des recettes est incomplète, car au lieu de 500,000 fl. qui y figurent, et sont la reproduction de l’avance faite en 1831, il faut majorer cette somme de 170,000 fl., bénéfice déjà effectué sur les fabricants et qui viennent de prouver que j’avais raison de trouver les dépenses des prisons exagérées d’après les chiffres que présentait le budget. Cette double somme doit être renseignée en 1832, parce qu’elle ne l’a pas été en 1831 ; mais de plus, il faut porter à la loi des recettes de 1832 700,000 autres florins pour restitution de la somme que nous allons ordonner ; et, pour les bénéfices de fabrication obtenir pendant l’année, les règles de la comptabilité exigent qu’il en soit ainsi ; le budget ne comprend pas les dépenses et recettes effectuées pendant un exercice ; mais toutes celles affectées à l’exercice. Ainsi donc, la loi des recettes donnera sur les revenus des prisons une plus-value de 121,000 fl., produit de 1830 non encore renseigné.

Ces données, bien claires, diminuent le déficit apparent d’un million de florin. Cette somme eût été renseignée plus tard ; mais j’ai cru qu’il était important de vous désigner, dès aujourd’hui, un article qui grossira le budget des recettes.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Tout ce que vient de vous dire M. Ch. de Brouckere suffit pour repousser l’amendement de M. d’Elhoungne ; aussi, si je prends la parole, ce n’est pas pour le combattre, mais pour répondre à une observation qu’on a faite et qui tendrait à faire croire que l’administration des prisons pourrait inspirer des inquiétudes. Quant à moi je dois déclarer que je n’ai aucune inquiétude ; car, outre les antécédents de l’administrateur, en qui j’ai la plus grande confiance, les chiffres que vient de vous présenter le préopinant prouvent qu’il y a, pour 1831, 700,000 fl. à porter à la loi des recettes. Quant à la reddition des comptes, ce ne peut être que vers la fin du premier semestre de cette année qu’on pourra avoir les comptes de 1831.

M. Bourgeois. - M. d’Elhoungne a dit que, sous M. Doulcet, et lorsque la maison de Vilvorde était régie par le système d’adjudication, les décès s’étaient multipliés dans une progression effrayante ; mais il a oublié que cette année il y a eu une maladie épidémique, et que c’est par suite de cette maladie que la mortalité a augmenté d’une manière aussi considérable : le médecin et le chirurgien de la maison de Vilvorde y ont succombé. J’ai dit déjà que je n’étais pas partisan du mode d’entreprise pour l’entretien, la nourriture et le couchage des prisonniers ; mais pour les travaux je pense que peut-être ce système serait avantageux quant à la comptabilité ; les registres ne font mention de la perte éprouvée par l’administration que dans le cas où la matière première est altérée ; mais pour le reste les pertes ne sont pas constatées.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, répondant à l’honorable M. Ch. de Brouckere, je dirai que nous sommes, à ce que je crois, parfaitement d’accord dans le budget des voies et moyens ; je n’ai porté comme recette que 500,000 fl., je ne pouvais y porter davantage parce que le produit de la main-d’œuvre n’est pas encore connu. La recette provenant des prisons pour l’exercice de 1830 est portée sur ce même exercice ; les sommes reçues et celles à recevoir pour 1831 seront aussi portées sur le compte de cette année. Ces dernières sommes doivent contribuer à diminuer le déficit qui existe pour l’exercice de 1831.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere).- Je pense que les règles d’une bonne comptabilité veulent que l’on continue le mode qui a été suivi jusqu’à présent, c’est-à-dire que, d’un côté, l’on porte les dépenses pour matières premières, et de l’autre, les recettes provenant de la vente des produits des prisons. La vérification est plus facile et plus exacte. En suivant une autre marche, il faudrait créer un fond spécial sur lequel seraient pris les achats des matières premières. Il en résulterait que la cour des comptes n’exercerait plus sa surveillance sur ces dépenses. Je crois que les reproches dirigés contre l’administration des prisons ne sont pas fondés. Indépendamment de la probité et du zèle de l’administrateur, les faits sont là pour prouver que la gestion est bonne. Sur 1830 et 1831, une somme de plus de 800,000 fl. sera versée dans le trésor. Déjà 120,000 fl. y ont été versé de ce chef, et je sais que l’Etat est débiteur d’une livraison de 720,000 fl. Quant au renseignement d’état de situation que demande M. d’Elhoungne, ce n’est pas le cas d’en faire mention dans le budget des dépenses. Le gouvernement prendra acte des observations de l’honorable membre, et la chambre pourra demander les documents qu’elle désirera avant 1833.

M. d’Elhoungne. - Je retire ma proposition. La déclaration de M. le ministre me donne l’assurance que le but que je me proposais sera rempli. Toutefois je ne pense pas comme les préopinants qu’il faille s’abstenir de demander des renseignements dans le budget. C’est par des propositions semblables qu’en France on a forcé le ministère à rendre des comptes sur la dotation de la couronne et plusieurs autres objets. Mais, je le répète, la déclaration de M. le ministre me suffit, et la chambre de son côté prendra acte de ses paroles.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) présente encore quelques observations en faveur de l’administration des prisons. Cette administration, dit-il, a le plus grand intérêt à bien gérer, et c’est ce qu’elle fera pour écarter tout reproche et tout soupçon.

- L’article 4 est mis aux voix et adopté sans changement.

Chapitre VIII. Administration de la sûreté publique

On passe ensuite au chapitre de la sûreté publique, qui doit être également transféré du budget de l’intérieur à celui de la justice.

Article unique

« Art. unique. Frais de police, mesure de sûreté publique : fl. 30,000. »

A cette allocation primitivement demandée par M. le ministre de l'intérieur, M. le ministre de la justice a proposé une augmentation de 10,000 fl. qui a été approuvée par la section centrale.

M. Leclercq. - J’ai dit, dans une précédente séance, que je ne pensais pas qu’il y eût lieu de diminuer des frais de police ; mais je croyais qu’on nous donnerait des explications sur les dépenses de l’année dernière ; or, nous n’en avons eu aucune. Le ministre de l’intérieur, du département duquel dépendait la police, a dû s’appuyer sur certaines bases pour estimer les sommes nécessitées par la police à 30,000 fl., tandis que ce dernier propose de porter l’allocation à 40,000 fl. Il fallait au moins donner à la section centrale des renseignements qui justifiassent cette augmentation, et c’est ce qu’on n’a pas fait. En conséquence, nous ne pouvons ainsi accorder cette allocation, à moins que nous ne veuillions voter en aveugles. Les dépenses de la police, messieurs, sont des espèces de dépenses de guerre, et sont toujours vues de mauvais œil par le public ; pour que le peuple les paie sans murmure, il faut qu’il sache que ses représentants ont des renseignements sur l’emploi de ces fonds.

M. Tiecken de Terhove. - Je ne sais d’où est venue, à la commission, cette affection pour l’administration de la police, au point de consentir à une majoration de 10,000 fl. demandés par M. le ministre. D’une part, je ne conçois pas les motifs de la demande, puisque le ministère nous assure tous les jours que nos affaires sont près de se terminer d’une manière favorable, ni les motifs de la commission, puisque la seule faction qui s’agitait quelquefois, aujourd’hui abattue, impuissante, ne se montre plus nulle part, et cache, dans l’ombre, son désespoir. Jamais le pays n’a été plus tranquille, plus paisible ; aucun symptôme alarmant ne se manifeste. D’autre part, j’ai entendu élever mainte fois la voix, dans cette enceinte, pour accuser cette administration d’actes qui sortent de ses attributions, d’actes arbitraires enfin, qui ne devraient pas provoquer la sollicitude de la commission ni de la chambre ; que d’ailleurs la grande majorité de celle-ci paraît d’accord pour ne lui laisser de durée que jusqu’à la paix.

Si cette administration a pu marcher jusqu’à présent avec les crédits qui lui ont été alloués dans des temps plus difficiles, elle le pourra bien mieux aujourd’hui, avec le crédit demandé primitivement par M. le ministre, et instantanément majoré par lui. Comme nous n’avons remarqué nulle part l’insuffisance de ce service, il me paraît qu’elle pourra très bien marcher avec cette somme. Si cette majoration était appuyée par des motifs puissants, j’y donnerais certainement mon assentiment ; car certes la sécurité de l’Etat avant tout, et alors aucun sacrifice ne doit coûter ; mais ces motifs, je ne les vois nulle part. D’ailleurs, comme nous ne sommes pas près de finir encore la session actuelle, rien n’empêcherait, si des circonstances difficiles surgissaient, d’ouvrir alors un crédit spécial pour cet objet ; mais je le répète, comme on nous donne des assurances de paix, je ne vois pas les motifs qui militent en faveur de cette majoration.

Comme quelques-uns de nos honorables collègues ont été attaqués, depuis trois ou quatre jours, de la fièvre des majorations, tâchons de nous préserver de la contagion, et n’allons pas enfler sans motifs, comme sans nécessité, un budget qui est hors de toute proportion avec nos moyens et d’une ampleur telle qu’à mes yeux, il a des formes monstrueuses. Je voterai donc contre la majoration demandée.

M. A. Rodenbach. - Je suis grand partisan des économies, parce que c’est le peuple belge qui a pris la plus glorieuse part à notre révolution et que c’est lui qui doit plus que personne profiter des diminutions d’impôt. Mais, en cette circonstance, il s’agit de police ; notre existence peut en dépendre. Loin de trouver l’allocation de 40,000 fl. trop forte, je voudrais la voir majorée de 20,000 fl., et je demanderai à M. le ministre de la justice si, dans son âme et conscience, il croit la somme proposée par la section centrale assez forte pour pouvoir répondre de la sûreté publique. Il est parvenu à ma connaissance qu’il existe des comités secrets à Bruxelles et ailleurs.

De son côté, la Hollande envoie des agents titrés, des comtes et des barons pour intriguer et espionner. Pourquoi donc refuser quelques milliers de florins quand il s’agit de soudoyer deux compagnies de police qui ont rendu d’éminents services et qui coûtent plus de 2,000 fl. par mois ? Outre cette dépense, le ministre a besoin de fortes sommes pour envoyer des agents en Hollande, à Aix-la-Chapelle et même à Lille où il existe également un comité secret : en conséquence, je voterai pour le chiffre dont je viens de parler.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Un préopinant a dit que je n’avais demandé que 30,000 fl. dans mon budget pour l’article en discussion ; sans doute, messieurs, quand j’ai fixé le budget, je ne prévoyais pas que les circonstances graves où nous nous trouvions alors dureraient aussi longtemps.

Mais leur prolongation a déterminé, avec raison, M. le ministre de la justice à demander une augmentation de 10,000 fl. ; car, ainsi que l’a dit notre honorable collègue M. Rodenbach, il faut que le gouvernement soit mis à même de surveiller ces sociétés secrètes et les mouvements des agents extérieurs. Ce n’est pas que je veuille soutenir la police sous un régime de paix, mais, au milieu des circonstances où nous sommes placés, je pense que l’allocation est indispensable.

M. d’Huart. - Messieurs, je ne donnerai pas mon assentiment à la proposition de la section centrale, tendant à majorer de 10,000 fl. le crédit de 30,000 fl. demandé primitivement par M. le ministre de l'intérieur pour la police, parce que cette dernière somme me paraît déjà fort élevée, et que l’augmentation n’est d’ailleurs justifiée par rien.

Ennemi de toutes les dépenses occultes et dont l’utilité est contestée, je restreindrai toujours autant que possible les allocations du budget qui y seront relatives.

Je suis de l’avis de ceux qui croient que, dans un pays comme la Belgique, dont les habitants sont éminemment paisibles et soumis aux lois, on peut facilement gouverner sans le secours de l’espionnage, qui ordinairement n’a d’autre effet que de jeter la défiance parmi les citoyens. Partout, comme on sait, la police préventive, pour se rendre importante, invente des complots terribles contre la sûreté de l’Etat : tantôt c’est une machine infernale préparée contre les jours d’un haut personnage, tantôt c’est un projet d’enlèvement, etc. ; grâce aux soins, à l’activité de cette même police, tout a été déjoué. Je sais bien que ces mensonges ridicules finissent par exciter la pitié, mais il n’en est pas moins vrai que d’abord ils ont causé de l’inquiétude dans le pays et produit à l’étranger une impression nuisible.

Messieurs, je suis persuadé que la police répressive est la seule qui convienne aux mœurs de la Belgique et à l’esprit de ses nouvelles institutions constitutionnelles ; si je ne rejette pas aujourd’hui tout espèce d’allocation sous le titre de sûreté publique, c’est par concession à l’opinion de ceux qui pensent que la police préventive peut servir à quelque chose durant l’état de guerre où nous nous trouvons ; aussi, en accordant mon vote à une somme de 30,000 fl. pour cet objet, c’est à condition qu’il ne nous sera plus rien demandé de ce chef dès que nous aurons la paix.

En terminant, je demanderai, ainsi que l’a fait l’honorable M. H. de Brouckere dans la séance de samedi dernier, que M. le ministre de la justice veuille bien fixer son attention sur les abus de pouvoir qui ont pu être commis par l’administration de la police, et dont on a plusieurs fois parlé dans cette enceinte. Il importe que de pareils abus ne prennent pas racine et que les étrangers ne soient pas, sur de simples préventions, expulsés du sol belge : nos loirs et l’esprit hospitalité de la nation s’y opposent trop directement.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je crois aussi, comme M. Rodenbach, que la somme de 40,000 fl. pour la police dans les temps où nous vivons, loin d’être trop forte, n’est pas suffisante. Quand l’ennemi emploie tous les moyens pour intriguer dans le pays, il faut que le gouvernement soit à même de surveiller ces manœuvres, et il ne faut pas qu’il rende compte des mesures qu’il prend pour les prévenir, car le mettre au grand jour ce serait en paralyser l’effet.

Je ferai observer que l’année dernière la compagnie des gardes de sûreté dépendait du ministre de l’intérieur jusqu’en 1831 ; mais aujourd’hui que cette garde est payée sur les fonds de la police, il y a lieu d’accorder la majoration demandée. Quant aux abus de pouvoir de la police, je ferai remarquer qu’il se glisse des erreurs dans toute administration, et surtout dans celle de la police. Je me suis aperçu de quelques-unes, et je me suis empressé de les faire corriger. Au surplus, personne ne peut dire que la gravité des circonstances ait cessé. Quand la paix sera venue, je concevrai qu’on s’oppose à cette dépense ; mais aujourd’hui elle est de toute nécessité.

M. Destouvelles. - Plusieurs orateurs se sont étonnés que la section centrale ait adopté la majoration proposée par M. le ministre de la justice, sans indiquer les motifs de cette majoration ; mais ces motifs ont été indiqués tels qu’ils devaient l’être. Il est dit dans le rapport de M. Dubus : « Les circonstances nécessitent des dépenses plus fortes. Le besoin peut survenir de faire ces sortes de dépenses dans les provinces. » Messieurs, en matière de police secrète, il est impossible de donner des raisons plus explicites. MM. les ministres viennent de suppléer à ce que ce rapport laisse à désirer ; je dis « laisse à désirer, » seulement pour abonder dans le sens des préopinants, car il suffit que la section centrale ait vu la nécessité de l’allocation pour l’accorder, ces dépenses n’étant pas de nature à être rendues publiques.

M. Leclercq. - Messieurs, je ne conteste pas qu’il faille donner au gouvernement les moyens de se mettre en garde contre les manœuvres employées contre lui, mais je n’approuve pas que l’on puisse accorder ces moyens sans aucune explication : or, aucune explication n’a été fournir à l’assemblée ni à la section centrale. Je sais qu’on ne pouvait dire que très peu de choses en séance publique, mais la section centrale pouvait demander tous les renseignements convenables.

Le gouvernement représentatif, messieurs, est un gouvernement de défiance, et dont les actes sont soumis au contrôle des chambres : si ces dernières ont besoin d’explications et que ces explications ne peuvent pas être publiques, elles nomment une commission pour les recevoir. On a dit que, quand le budget a été arrêté, on ne prévoyait pas que l’état où l’on se trouvait alors se prolongerait ; mais il paraît que MM. les ministres ne se sont pas concertés ensemble, car M. le ministre de la justice a donné un autre motif de la majoration : c’est que la garde de sûreté était maintenant adjointe à la police. Dans tous les cas, M. le ministre de l'intérieur savait bien, quand il a fait son budget, ce que coûtait cette garde ; je ne pense pas que cet argument soit fondé.

M. Lebeau. - Ce que vient de dire l’honorable préopinant relativement aux gouvernements représentatifs est exacte, mais sa proposition n’est pas complète. Le gouvernement représentatif est en effet un gouvernement de défiance, mais c’est aussi un gouvernement de confiance dans toutes les positions exceptionnelles. C’est ainsi qu’en France la chambre des députés a accordé un million et demi pour les dépenses secrètes de la police, et cependant on n’était pas en guerre avec une puissance voisine. D’ailleurs, je ferai remarquer qu’un ministère ne peut exister sans la confiance de la représentation nationale.

Il y a de la part de la section centrale une explication extrêmement simple à donner, c’est qu’il est évident que le retard des ratifications a prolongé l’état d’incertitude où l’on se trouvait, et que d’un autre côté il faut empêcher les manœuvres de la dynastie déchue. Nous savons d’ailleurs combien M. le ministre de la justice a mis de parcimonie dans la fixation de son budget, et ses antécédents nous sont un sûr garant qu’il n’a pas demandé sans motifs une augmentation. Remarquez bien que les dépenses de la police sont toutes éventuelles. Une émeute est dans les cas possibles : il ne s’agit pas de machine infernale, mais une émeute peut survenir et exiger instantanément un grand déploiement de forces. Or, si le gouvernement prévient les désordres par son attitude, l’argent aura été bien employé. Si l’on peut s’étonner de quelque chose, c’est que, comme l’a dit M. A. Rodenbach, l’allocation que l’on réclame de ce chef ne soit pas plus élevée.

M. A. Rodenbach. - Il est impossible que le ministre puisse donner des détails sur l’emploi des fonds dont il a besoin pour la police secrète ; il ignore lui-même les événements futurs. La preuve, c’est que, lorsque la bande à Tornaco s’est abattue dans le Luxembourg, la police a dû envoyer 10,000 fl. environ au gouverneur. Je sais qu’on a également envoyé à Anvers et à Gand. Mon honorable collègue, M. Lebeau, a dit que la chambre française venait de voter 1,500,000 fr. pour la police. J’ajouterai qu’outre cela la police perçoit un million sur les maisons de jeu.

M. Dubus, pour justifier la section centrale, dit qu’elle n’a pas procédé sans aucune base ; mais aussi elle a beaucoup accordé à la confiance, car elle a senti qu’en matière de police, ou il faut refuser les fonds, ou les accorder en s’en remettant au ministre sur leur destination. Du reste, il déclare que la section centrale a admis la majoration à l’unanimité.

M. Destouvelles. - M. le ministre de la justice s’est rendu au sein de la section centrale et lui a donné tous les renseignements pour montrer la nécessité possible de l’allocation. Du reste, on ne peut indiquer d’une manière précise la destination de cette somme.

M. d’Elhoungne. - M. Lebeau est convenu que le gouvernement représentatif est un gouvernement de défiance ; mais il a ajouté que c’était aussi un gouvernement de confiance dans les cas exceptionnels. Je pense, messieurs, que ce raisonnement se détruit pas lui-même. Il a dit en outre qu’un ministère n’existe pas sans confiance ; oui, est-ce sans contrôle que les chambres accordent leur confiance à ce ministère ? Non, messieurs ; ce n’est qu’à la condition de vérifier tous ses actes.

Je pense, messieurs, que ce qu’ont dit MM. Dubus et Destouvelles ne prouve pas que la section centrale ait reçu tous les renseignements. On a dit que la parcimonie et les antécédents du ministre répondaient du bon emploi des fonds ; mais c’est là un raisonnement fallacieux, c’est faire une question de personne d’une question de principe. Pour moi, je ne puis voter pour les dépenses de la police, parce que depuis 40 ans elle n’est jamais intervenue sans qu’on ne s’en soit ressenti d’une manière fâcheuse.

M. A. Rodenbach déclare retirer sa proposition de majorer l’allocation jusqu’à concurrence de 60,000 fl.

- La majoration de la section centrale est mise aux voix et adoptée.

On passe ensuite au chapitre des dépenses imprévues.

Chapitre IX. Dépenses imprévues

M. le ministre de la justice (M. Raikem) annonce qu’il est convenu avec M. le ministre de l'intérieur de transférer du budget de ce dernier dans le sien une somme de 3,000 fl.

- Ce transfert est adopté.

Projet de loi portant le budget de la marine de l'exercice 1832

Discussion du tableau des crédits

M. le président. - Nous allons passer maintenant aux articles du budget de la marine qui avaient été renvoyés à la section centrale.

- Après un léger débat, dans lequel quelques membres émettent l’avis d’attendre que le rapport que devait présenter M. Dumortier sur cet objet soit imprimé, la chambre décide qu’elle passera outre à la discussion.

Chapitre II. - Service des ports et des côtes

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Service des ports et des côtes : fl. 2,450. »

Cet article est adopté sans discussion, ainsi que l’article 2 en ces termes :

« Art. 2. Matériel : fl. 2,873. »

Article 3

« Art. 3. Frais de la quarantaine : fl. 19,780. »

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, dans une séance précédente j’ai eu l’honneur de faire observer à la chambre que cet article avait été majoré de 7,280 fl. pour l’établissement de deux barques stationnaires dans l’Escaut, et de 8,000 fl. pour deux autres à établir dans la suite, si cela était jugé nécessaire. Cette demande de ma part a été provoquée par une lettre de M. le ministre de l'intérieur, qui me prévenait que le bourgmestre et le président de la commission sanitaire d’Anvers étaient d’avis qu’il fallait prendre de nouvelles précautions contre l’invasion du choléra-morbus ; c’est pour cela que je vous ai demandé d’un côté 5,280 fl. pour les frais de deux barques stationnaires, et de l’autre 2,000 fl. pour mettre le gouvernement à même de faire face aux dépenses nécessaires pour réparer les avaries et les pertes qui pourraient avoir lieu. Quant aux 8,000 fl. pour l’établissement éventuel de deux nouvelles barques, j’ai été d’accord avec la section centrale sur la suppression de cette somme, sauf à la prendre plus tard, s’il était nécessaire, dans les fonds portés au chapitre VI pour les dépenses imprévues.

M. Bourgeois. - Je suis assez satisfait des explications que vient de nous donner M. le ministre ; mais, au lieu des barques stationnaires dont il vient de parler, n’eût-il pas été plus profitable d’employer à cet usage, comme un honorable membre l’a fait précédemment remarquer, les canonnières qu’on a fait construire. C’est là-dessus que j’eusse désiré avoir quelques explications ; je demanderai aussi à M. le ministre si on a fait l’expertise dont parlait M. Osy à une précédente séance, pour savoir si les canonnières étaient en état de tenir la mer.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - En effet, l’observation que vient de faire l’honorable préopinant avait été déjà produite par M. Osy. J’ai donné à cet égard, à la section centrale, toutes les explications désirables, il en est résulté la preuve qu’il y avait urgence à établir des barques stationnaires ; il en est résulté encore que le retard apporté à l’armement des brigantins et canonnières ne pouvait être imputé au gouvernement. Ces canonnières ne pourraient dans aucun cas être prêtes avant un mois ou six semaines, et nous avons besoin de barques actuellement ; au lieu que dans deux mois, quand les canonnières auraient été prêtes, nous n’en aurons plus besoin. Quant à l’expertise pour savoir si les canonnières pourraient tenir la mer et si elles pourraient être armées en guerre, vous sentez que depuis avant-hier il a été impossible d’y faire procéder ; mais, des informations prises auprès d’officiers expérimentés, il résulte que non seulement les canonnières pourraient tenir la mer, mais qu’elles peuvent très bien être armées en guerre sans danger pour l’équipage ; toutefois nous devons encore faire procéder à une nouvelle vérification.

M. Bourgeois fait à demi voix une observation qui n’arrive pas jusqu’à nous.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - D’ailleurs, il ne pourrait résulter de la mise en mer des canonnières que l’économie du loyer des barques ; mais à Ostende elles ont été concédées au gouvernement par l’administration du pilotage : à Anvers, j’espère qu’il en sera de même, en sorte qu’il ne restera que les frais de l’équipage, qui seront moins élevés que ne le seraient ceux de l’équipage des canonnières.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je ferai d’ailleurs observer que les canonnières ne pourraient servir comme barques stationnaires, car le commandant de la citadelle ne les laisserait pas naviguer dans l’Escaut.

- On met aux voix l’article 3.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) fait observer qu’il y a eu erreur dans le chiffre, et qu’au lieu de 19,780, il faut dire 20,180 fl.

Ce dernier chiffre est adopté.

Chapitre III. Traitements effectifs des officiers de marine

Article unique

« Art. unique. Traitement effectif des officiers de marine : fl. 16,220. »

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Le chiffre de cet article, porté d’abord à 5,820 fl., a subi une majoration, parce qu’un officier de marine ayant rang de lieutenant-colonel avait été mis sous les ordres du ministre de la guerre, et que celui-ci m’a fait observer qu’il fallait le faire reporter sur les contrôles de la marine ; il y avait ensuite deux lieutenants de vaisseau en disponibilité, qui ont été remis en activité de service ; enfin il a fallu porter au budget la solde d’un officier belge revenu des Indes, qui, jusqu’ici, n’a pas touché son traitement faute de fonds. La section centrale a reconnu que ces officiers avaient des droits acquis, et elle n’a pas hésité à voter les fonds nécessaires au paiement de leur solde.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Chapitre IV. Armement et équipement des bâtiments de guerre

Article premier

« Art. 1er. Personnel des deux brigantins : fl. 20,740. »

M. Tiecken de Terhove. - M. le ministre nous demande une somme de 60,537 fl. pour l’armement de deux brigantins, qui servirait à empêcher la fraude sur nos côtes. Si j’ai la mémoire bonne, on leur a reproché des défauts de construction, et on a élevé des doute même si ces bâtiments pourraient tenir la mer. Avant d’accorder cette allocation, je désirerais savoir jusqu’à quel point ces reproches sont fondés.

D’autre part, je pense qu’ils ne pourront être utilisés pour ce service qu’en cas de paix ; car, si nous avons la guerre, il n’est pas présumable qu’ils puissent rendre ce service sans être exposés à être enlevés par l’ennemi, dont la marine est si supérieure en nombre et en expérience. Si la guerre éclate, peut-être pourrait-on les employer utilement dans les eaux intérieures, et dans ce cas j’engage M. le ministre de hâter, autant que possible, l’armement de ces bâtiments. Quant aux 100,000 fl. que M. le ministre demande pour armement imprévu des canonnières, j’y donnerai volontiers mon assentiment, si cet armement, en cas de guerre, peut être effectué en temps utile, de manière qu’ils puissent servir à augmenter nos moyens de défense ; car nous ne devons nous refuser à aucune dépense, qui doit tendre à mettre le pays à l’abri de toute invasion, et rien, j’espère, ne sera négligé par le gouvernement pour nous mettre à temps dans un état de défense respectable. Je désire donc savoir de M. le ministre combien de temps il lui faudra pour armer ces canonnières, et s’il a les marins nécessaires pour former leurs équipages. Je me permets de lui adresser cette question pour savoir si, en cas d’attaque, on pourra utiliser cette somme au but qu’on se propose, et au moment du besoin. Si telle ne pouvait ou ne devait pas être sa destination, je ne pourrais consentir à l’allocation d’une somme aussi considérable qui, en cas de guerre, pourrait être employée plus utilement ailleurs.

Dans une séance précédente, on nous a dit qu’il était indispensable de nous créer une marine. Mais une marine ne s’improvise pas, d’autant plus que nous manquons de tous les éléments nécessaires ; car je cherche vainement parmi nous des hommes spéciaux dans cette partie. Je ne sais non plus si nous avons de bons constructeurs, des marins, enfin tout ce qu’il faut pour créer une marine ; et, ce qui nous manque sans doute, c’est l’argent : bornons-nous donc, pour le moment, au simple nécessaire, et ne donnons pas dans le rêve de vouloir créer une marine comme par enchantement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - J’ai eu l’honneur, dans une précédente séance, de faire observer à la chambre que j’avais fait connaître à la section centrale les motifs du retard de l’armement des deux brigantins et des deux canonnières. Ces motifs sont entièrement personnels à l’administration ; ils ont donné lieu à de graves difficultés, et le gouvernement a même été, à cette occasion, entraîné dans un procès. D’ailleurs, messieurs, vous sentirez qu’il n’est pas facile de marcher vite dans un pays où il n’y a ni arsenal, ni chantier maritime. Du reste, d’après les informations que j’ai prises, les brigantins pourront être armées dans 15 jours, et les canonnières dans un mois.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Matériel des deux brigantins : fl. 49,797. »

- Cet article est adopté sans discussion, ainsi que les deux articles du chapitre VI ainsi conçu :

Chapitre VI. Dépenses éventuelles de la marine

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Secours aux marins infirmes ou blessés au service de l’Etat : fl. 2,000. »


« Art. 2. Armement imprévu des canonnières et dépenses imprévues : fl. 100,000. »

Le budget de la marine se trouve ainsi voté entièrement.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l'exercice 1832

Discussion du tableau des crédits

Articles additionnels

M. H. de Brouckere propose à la chambre de revenir sur le titre de la dette publique, et de discuter les amendements proposés par M. d’Elhoungne, Leclercq et Fallon (voyez la séance du 17 mars).

La discussion est ouverte sur les amendements ; celui de M. d’Elhoungne est ainsi conçu : « Néanmoins, le ministre ne disposera des crédits formant les trois premiers articles de la dette publique, que jusqu’à concurrence de ce qui sera effectivement dû à la Hollande, après déduction faite des dédommagements qui reviendront à la Belgique pour les retards que le roi de Hollande met à l’exécution du traité. »

L’amendement de M. Leclercq est moins impératif, et celui de M. Fallon l’est encore moins que celui de M. Leclercq ; en voici les termes : « Les sommes mentionnées aux trois articles qui précèdent ne sont allouées que sous réserve des droits du gouvernement à des dommages du chef des retards que le roi de Hollande apporte à la ratification du traité, et sans qu’on puisse tirer de ces allocations aucune conséquence préjudiciable. »

M. Milcamps. - Messieurs, je viens m’opposer à l’adoption des amendements proposés aux trois premiers articles de la dette publique du budget de 1832. Il me paraît, messieurs, qu’en introduisant dans la loi du budget l’un ou l’autre de ces amendements, nous posons une cause de guerre ou nous portons atteinte aux prérogatives de la couronne. Au premier abord, cela pourra vous paraître paradoxal ; mais veuillez m’écouter.

Le pouvoir législatif a autorisé le Roi à traiter avec la conférence ; le Roi a accepté et signé le traité du 15 novembre 1831 ; par cet acte, le pays s’est obligé à payer annuellement à la Hollande 8,400,000 fl. ; l’obligation de pays ne peut résulter que de l’acceptation pure et simple de ce traité par la Hollande. Si le roi de Hollande accepte, si les cinq cours représentées à la conférence ratifient, c’est une affaire terminée.

Les honorables auteurs des amendements, dont les vues sont louables sans doute, pour éviter que la Hollande ne tire avantage des allocations pures et simples du budget, ou plutôt pour donner de l’appui au gouvernement belge, proposent :

L’un, M. d’Elhoungne, « de n’autoriser le ministre à disposer des crédits que jusqu’à concurrence de ce qui sera effectivement dû à la Hollande, après déduction faite des dédommagements qui reviendront à la Belgique pour les retards que le roi de Hollande met à l’exécution du traité. »

L’autre, M. Leclercq, « de n’allouer les sommes qu’à la charge par le gouvernement de faire valoir les droits de la Belgique à la réparation des dommages que lui occasionne la continuation de l’état de guerre, par suite des retards apportés par la Hollande à la signature du traité de paix. »

Enfin, le troisième, M. Fallon, « de n’allouer ces mêmes sommes que sous la réserve du gouvernement à des dédommagements du chef des retards que le roi de Hollande apporte à la ratification du traité, et sans qu’on puisse tirer des allocations aucune conséquence préjudiciable. »

Je ne sais si je me trompe ; mais il me semble que, en admettant dans la loi du budget l’un ou l’autre de ces trois amendements, nous entendons que le gouvernement belge n’exécutera le traité, ne paiera que sous la condition, ou la charge, ou la réserve, exprimée dans la loi. Mais si le roi de Hollande ne veut pas souscrire à cette condition, charge ou réserve, s’il exige l’exécution pure et simple du traité, en ce qui concerne les 8,400,000 florins (et il ne manquera pas de raisons, ne fût-ce que celle résultant du retard des trois puissances à ratifier), voilà une source de difficultés ; voilà l’exécution du traité, et, disons-le, le traité lui-même remis en question ; voilà une cause de guerre. Je ne conteste pas aux chambres le pouvoir de mettre des conditions au subside qu’elles accorderont, ni même celui de refuser le subside pour le paiement des 8,400,000 fl. ; mais je dis que, dans ce cas, c’est évidemment provoquer la guerre.

L’on me répondra que les amendements ne tendent pas, d’une manière absolue, à l’inexécution du traité en ce qui concerne l’acquittement des 8,400,000 fl., qu’on ne conteste point ; mais qu’il ne s’agit que de prévenir toute exception, toute fin de non-recevoir que la Hollande pourrait tirer de l’allocation pure et simple au budget des sommes dues en vertu du traité ; qu’il n’est question que de réserver les droits du gouvernement belge à des dédommagements résultant du retard apporté par la Hollande à l’exécution des 24 articles.

Mais vous entendez donc, messieurs, qu’on va ouvrir des négociations à cet égard. Eh bien ! c’est justement là que je vois une atteinte à la prérogative royale : c’est justement là que j’aperçois la confusion des pouvoirs.

Il s’agit, dites-vous, d’ouvrir des négociations ; mais dans tous les gouvernements connus, absolus ou constitutionnels, ce sont les ministres plénipotentiaires qui négocient et signent les traités ou conventions entre puissances, et qui attendent la ratification de leurs souverains respectifs pour en faire l’échange. Ici les chambres sont incompétentes pour prendre part à des négociations, à moins que les traités à conclure n’aient pour objet de grever l’Etat, de diminuer ou d’augmenter les droits de douane, de stipuler une cession ou un échange de territoire.

Lorsque nous avons autorisé le Roi à signer le traité du 15 novembre, nous aurions pu insérer dans l’autorisation telle condition, telle charge ou telle réserve que nous aurions trouvée convenable. Mais ce que nous pouvions alors, nous ne le pouvons plus aujourd’hui qu’il s’agit de l’exécution d’un traité, qu’il s’agit d’entrer dans des négociations au sujet du dédommagement à prétendre à la charge de la Hollande, tous objets qui rentrent dans les attributions du pouvoir royal.

Représentons-nous la position de notre gouvernement en présence de la Hollande. Notre ministre plénipotentiaire devra dire à celui de Hollande : « Mon gouvernement ne peut exécuter le traité du 15 novembre, payer les sommes dues en vertu de ce traité, que sous telle condition, sous telle charge, sous telle réserve. Il ne le peut, parce que la loi s’y oppose. Mon souverain, bien qu’il ne s’agisse que de l’exécution d’un traité, ne peut agir proprio motu, mais en vertu des pouvoirs de la loi. » En vérité, messieurs, je ne pourrai jamais consentir à placer notre gouvernement dans une position semblable.

Suivant la constitution anglaise (je cite ici les paroles d’un grand orateur), « l’intervention du parlement est nécessaire dans les traités, quand le roi stipule des subsides à payer. Depuis que les Anglais ont adopté le système moderne des « appropriations, » le roi de la Grande-Bretagne n’a plus entre ses mains la libre disposition des fonds publics. Lorsque le parlement passe des actes en conformité des subsides promis à une autre puissance, il n’entretient aucune relation directe avec les princes étrangers, et il se borne à voter les subventions convenues. » Agissons de même ici, messieurs, bornons-nous à voter purement et simplement les subsides promis à la Hollande. Mettre à ce vote des conditions, des charges ou des réserves, c’est contrevenir à la constitution.

M. Verdussen. - Les amendements proposés tendent évidemment à entraver la marche du gouvernement ; celui de M. d’Elhoungne est beaucoup trop absolu, et celui de M. Leclercq ne l’est guère moins.

M. Leclercq. - Je renonce à mon amendement et me rallie à celui de M. Fallon.

M. d’Elhoungne. - Moi de même.

M. Verdussen combat celui de M. Fallon, et propose lui-même un amendement, tendant à réunir les trois premiers articles de la dette publique en un seul, qui serait ainsi conçu : « Montant approximatif de la somme à payer en exécution des 27 articles du traité de Londres du 15 novembre : fl. 18,000,000. »

- Cet amendement n’est pas appuyé.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, on s’est mépris sur le sens et l’esprit de l’amendement de notre honorable collègue M. Fallon. On prétend qu’il ne servirait qu’à entraver les négociations ; rien de semblable ne résulte de la teneur de l’amendement. C’est une simple protestation de non-préjudice, qui ne peut ni embarrasser le gouvernement, ni amener une rupture. Cet amendement n’impose au ministère qu’une obligation morale, plutôt qu’une obligation positive et déterminée. Mais alors, dira-t-on, à quoi cela servira-t-il ? Messieurs, jusqu’ici nous nous sommes tenus dans une position extrêmement humble vis-à-vis des puissances. Nous avons eu toujours l’air de leur dire : « Que voulez-vous ? Parlez, nous sommes prêts à souscrire à vos désirs. » Aujourd’hui, que fait-on ? La représentation nationale, appuyant le ministère, veut faire sentir au roi Guillaume que le temps des concessions est passé, et que les retards qu’il apporte à l’acceptation du traité peuvent, en définitive, tourner à son désavantage, puisque des dommages et intérêts lui seront demandés pour les préjudices résultant de ces retards.

L’orateur termine par quelques autres considérations peu importantes, et par un amendement relatif au livre de la dette auxiliaire.

- Cet amendement n’est pas appuyé.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je remercie l’honorable M. d’Elhoungne d’avoir renoncé à son premier amendement ; sans cela j’eusse dû le combattre de toutes mes forces, parce qu’il était de nature à embarrasser le gouvernement et à entraver les négociations.

Quant à celui de M. Fallon, je vous avoue qu’il me semble d’une nature toute différente ; mais il est entièrement inutile, si même il n’est pas dangereux. Je crains que nos ennemis ne s’en emparent pour refuser de coopérer à la conclusion définitive de nos affaires : voilà comment l’amendement me semble dangereux. Il est inutile, car M. d’Elhoungne convient lui-même qu’il ne lie pas le gouvernement, et qu’il ne contient qu’une obligation morale. Mais, messieurs, cette obligation morale existe déjà pour le gouvernement, et il l’a remplie en partie, en représentant à la conférence de Londres le préjudice immense que nous souffrons dans notre commerce, notre industrie, notre bien-être intérieur, et en faisant valoir auprès des puissances les droits que nous avons à une juste indemnité.

J’ai prouvé que l’amendement était dangereux et inutile ; cela suffit pour le faire écarter. Mais l’honorable membre veut, dit-il, donner une nouvelle force au ministère, afin qu’il se montre plus énergique et qu’il fasse paraître que nous ne serons plus disposés à souscrire à tout ce que les puissances voudront ordonner.

Messieurs, vous avez tous applaudi aux paroles que j’ai prononcées naguère dans cette enceinte. L’appui patriotique, noble et généreux que vous leur avez donné, a dû convaincre les puissances que ce serait en vain qu’elle voudrait imposer à la Belgique des conditions attentatoires à son honneur. (Bravo ! bravo !) J’espère que la chambre rejettera l’amendement.

M. Fallon. - Je retire mon amendement.

- Par suite du retrait de l’amendement, il n’y aura rien à change au titre de la dette publique déjà adopté.

La séance est levée à quatre heures.