(Moniteur belge n°74, du 14 mars 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.
M. Dumortier. - Je demande la parole sur la rédaction du procès-verbal. Messieurs, dans votre séance de samedi dernier, j’ai eu l’honneur de demander que la chambre fît mentionner au procès-verbal qu’en ordonnant l’impression du discours de M. le ministre des finances elle n’a entendu en rien approuver les personnalités qu’il contient. Or, comme je ne vois rien de semblable dans le procès-verbal, je demande que cette insertion ait lieu.
M. Dellafaille. - Je ferai remarquer à l’honorable M. Dumortier que, la chambre n’ayant pas pris de décision à cet égard, les secrétaires ne pouvaient prendre sur eux de consigner cette mention au procès-verbal.
M. Lebeau. - Quand la chambre fait imprimer des documents ministériels, c’est pour son instruction ; et il est constant qu’en agissant ainsi, elle ne donne à ces documents ni son approbation, ni son improbation. C’est ainsi que dernièrement elle a décidé l’impression des pièces diplomatiques, afin que chacun de ses membres pût en prendre une connaissance exacte. Il me semble que, dans toutes circonstances, elle ne se propose pas d’autre but. Je crois donc, d’après cela, et surtout quand la chambre a déjà perdu en discussion une si grande partie d’un temps précieux, il y a une extrême susceptibilité de la part de M. le rapporteur de la section centrale, à qui, d’ailleurs, tout le monde et le ministre des finances lui-même, rendent justice, à insister sur ce point. Je demande que l’on passe à l’ordre du jour.
M. d’Elhoungne. - Je pense, comme M. Lebeau, que la chambre, en ordonnant l’impression du travail d’un ministre, n’entend ni l’approuver, ni l’improuver. Cependant, messieurs, dans le cas qui nous occupe, l’honorable rapporteur de la section centrale a cru reconnaître qu’il y avait des personnalités offensantes pour lui dans ce discours : d’autres membres ont cru également qu’il y avait quelque chose qui blessait toute la chambre dans son rapporteur, qui est son organe. Sous ce rapport, la proposition de M. Dumortier me semble digne d’être accueillies ; mais je voudrais en voir disparaître le mot « personnalités, » et il me semble qu’il suffirait de dire qu’en ordonnant l’impression du discours, la chambre n’a pas entendu juger sa rédaction.
M. Delehaye. - La décision de la chambre ayant servi à la publicité du discours de M. le ministre des finances, il me semble qu’il est de toute justice qu’elle ordonne l’insertion demandée par M. Dumortier.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je ferai remarquer que la chambre n’a pas servi, comme le dit M. Delehaye, à rendre public le discours de mon collègue, car il a été imprimé dans les journaux ; et, quand la chambre ordonne l’impression d’un travail, ce n’est pas pour lui donner une publicité plus grande, mais pour l’instruction de chacun de ses membres. S’il en est ainsi, et d’après tout ce qui s’est passé, il me semble que M. Dumortier n’a plus rien à exiger, d’autant plus, messieurs, que si quelqu’un a dépassé toutes les bornes, c’est l’honorable rapporteur. (Murmures et agitation.)
M. Pirson. - C’est quand les abus commencent qu’il faut chercher à les réprimer. Rappelez-vous, messieurs, que lors des états-généraux, les sections avaient demandé la liste des pensions aux ministres : ceux-ci répondirent que les pensions étant dans les prérogatives royales, la législature n’avait pas à les examiner. Les sections insistant, MM. les ministres répliquèrent : Cela ne vous regarde pas, et vous n’aurez pas la liste des pensions. Aujourd’hui, messieurs, n’est-ce pas clair qu’il y a une insurrection bureaucratique contre vous ? Or, il est impossible que, quand la chambre a été si indignement insultée dans la personne de son rapporteur, elle ne veuille pas avoir une réparation. Quant à moi, je demande, non pas l’insertion proposée par M. Dumortier, mais que vous déclariez inconvenantes envers l’assemblée nationale les paroles du ministre des finances.
M. Dumortier. - Je ne croyais pas, messieurs, qu’après toutes les personnalités qui se trouvent dans le rapport du ministre des finances, on me taxerait encore d’excessive susceptibilité, et que, d’une autre part, on dirait que c’est moi qui ai passé toutes les bornes.
Messieurs, cette affaire a cessé d’être la mienne ; c’est celle de toute la chambre, puisqu’ici j’étais son organe. Or, le discours de M. le ministre des finances contient des attaques violentes, celle, surtout, consistant à dire que j’ai dénaturé le rapport d’une commission ; et vous ne pouvez les souffrir. Si vous tolérez un pareil langage, il n’y aura pas de raison pour que les ministres ne viennent pas dans cette enceinte, un fouet à la main, pour nous en frapper la figure.
M. d’Huart. - D’après ce que vient de dire M. le ministre de la guerre, je pense que l’insertion demandée par M. Dumortier est devenue indispensable ; car M. le ministre de la guerre a semblé approuvé le ministre des finances, et blâmer le rapporteur de la section centrale, en disant que celui-ci avait dépassé toutes les bornes. Sans cela, je n’aurais pas insisté pour que cette mention eût lieu au procès-verbal.
M. d’Huart. - D’après ce que vient de dire M. le ministre de la guerre, je pense que l’insertion demandée par M. Dumortier est devenue indispensable ; car M. le ministre de la guerre a semblé approuvé le ministre des finances, et blâmer le rapporteur de la section centrale, en disant que celui-ci avait dépassé toutes les bornes. Sans cela, je n’aurais pas insisté pour que cette mention eût lieu au procès-verbal.
M. Poschet. - M. Dumortier a été accablé, non pas seulement par le ministre des finances, mais par d’autres ministres et par des membres de la chambre.
La chambre ne doit pas souffrir qu’un de ses membres soit traité ainsi. Le zèle qu’il a apportée à son travail devait lui mériter de l’indulgence ; et certes, l’on n’en a pas mis.
J’ajouterai que souvent MM. les ministres sont plus vivement attaqués par d’autres membres de la chambre, qu’ils sont loin de traiter aussi sévèrement.
Si l’on cherchait les causes de cette différence, l’on n’y trouverait, je crois, rien de noble ni de généreux.
M. Jullien. - Il me semble qu’avant de prendre une décision, il est nécessaire de bien poser les faits. D’abord, il est constant qu’un rapporteur représente toute la chambre. Il est constant, d’un autre côté, que des personnalités ont été dirigées contre le rapporteur de la section centrale, et qu’il en est une surtout qu’un honnête homme ne pouvait souffrir en silence ; je veux parler du passage du discours de M. le ministre des finances, où il est dit que M. Dumortier a dénaturé les termes d’un rapport. Il y a là, messieurs, quelque chose de flétrissant, et je m’étonne que ces paroles aient pu échapper à un honorable membre dont nous avions reconnu jusqu’à présent la modération. Voilà les faits culminants de la question. Maintenant il me paraît tout simple que la chambre déclare ne pas approuver de telles duretés ; car il y aurait ingratitude de la part de la chambre envers son rapporteur, qui a passé son temps et ses veilles pour préparer un long travail, à le payer de la monnaie de M. le ministre des finances. Ce serait décourager d’avance tous ceux qui ont de la bonne volonté, dans l’intérêt du pays, de se charger d’un pareil travail. Eh bien ! vous dire qu’un rapporteur ne connaît pas la matière qu’il a traitée et qu’il n’a pas lu le discours qu’il cite, c’est là, je suis fâché de le déclarer, quelque chose de dur et d’inconvenant, et je ne puis qu’approuver la réparation qu’il exige.
M. Lebeau. - Je répéterai ce que j’ai déjà dit, c’est que la chambre, en ordonnât l’impression d’un rapport ou de documents ministériels, n’entend en aucune manière approuver ni improuver ces pièces. Remarquez, messieurs, que, s’il en était autrement, il faudrait les renvoyer avant à une commission pour savoir si la chambre en adopte ou non la rédaction. D’ailleurs, le ministre des finances s’est expliqué, il a fait en quelque sorte une amende honorable ; il a dit que s’il lui était échappé des expressions inconvenantes, il les rétractait et rendait toute justice à M. Dumortier. Je vous le demande, messieurs, irez-vous maintenant faire peser sur un homme dont chacun reconnaît la modération, qui a eu le courage et le patriotisme d’accepter le portefeuille pour ainsi dire sous le canon de l’ennemi, irez-vous faire peser sur lui une censure qui jettera, je le crois bien, l’affliction dans le cœur de ce bon citoyen ? Non, messieurs, vous ne voudrez pas agit ainsi à son égard.
Ce n’est pas sans étonnement que j’ai entendu un honorable membre dire qu’il n’aurait pas été d’avis de l’insertion demandée, si M. le ministre de la guerre n’avait point tenu dans cette séance des paroles qui, selon lui, rendent cette insertion nécessaire. Mais, en tout cas, messieurs, M. le ministre des finances doit-il être responsable des paroles de son collègue ? Et qu’a dit M. le ministre de la guerre ? Que le rapporteur de la section centrale avait dépassé les bornes…
- Plusieurs voix. - Toutes les bornes, et cela n’est pas vrai.
M. Lebeau. - Je le crois aussi… (Non ! non !) Messieurs, dût-on me rappeler à l’ordre, je déclare qu’il y a deux points sur lesquels M. Dumortier a dépassé les limites parlementaires : c’est, d’une part, d’avoir parlé de faiseurs, ce qui suppose que M. le ministre des finances ne saurait point faire par lui-même, et, d’une autre part, c’est d’avoir nommé un homme absent, hors d’état de se défendre. Je pense qu’il est temps de faire trêve à cette déplorable discussion.
M. Leclercq. - Si la chambre se bornait à dire que, n’ayant entendu, en ordonnant l’impression du discours de M. Coghen, ni l’approuver, ni l’improuver, il n’y a pas lieu à faire de mention ultérieure dans le procès-verbal, je crois que M. le rapporteur n’aurait plus rien à désirer, et que, de son côté, M. le ministre des finances n’aurait pas à se plaindre. Mais je ne pense pas que l’on doive passer à l’ordre du jour, ainsi que l’a proposé M. Lebeau ; car ce serait décider qu’il n’y a pas lieu à s’occuper de la proposition de M. Dumortier. M. le ministre de la guerre a dit que M. le rapporteur avait dépassé les bornes, et M. F. de Mérode a ajouté que, si l’on devait se plaindre, c’était du langage qu’a tenu M. Dumortier, et que par conséquent il n’y avait pas lieu d’accueillir sa réclamation. Or, si la chambre passait à l’ordre du jour, elle semblerait approuver ces motifs et désapprouver M. Dumortier. M. Dumortier a été provoqué, messieurs, et, s’il a mis quelque vivacité dans sa réponse, le reproche doit en retomber non pas sur lui, mais sur ceux qui l’ont provoqué. Ainsi, d’après cela, il n’est plus possible d’adopter l’ordre du jour. La mention que j’ai proposée est indispensable. Le rapporteur est l’organe de la chambre, et, s’il veut bien se charger d’un travail long et pénible, il ne faut pas l’en remercier par des personnalités.
M. A. Rodenbach. - Si le ministre de la guerre n’avait pas ratifié les insultes proférées par son collègue des finances, je me serais abstenu de parler. Mais, attendu que la chambre entière a été insultée dans la personne de notre honorable collègue M. Dumortier, je crois de mon devoir de député de soutenir la proposition de l’honorable représentant de Tournay. Bref, si l’on ne désapprouve pas dans le procès-verbal les brocards lancés par les deux ministres contre l’estimable rapporteur, ce serait accorder un brevet d’impertinence aux deux ministres. Nous n’en sommes pas encore arrivés là !
M. Dumortier. - J’ai déjà dit que cette affaire n’était plus la mienne, et il est impossible que la chambre veuille souffrir qu’on accuse un de ses rapporteurs de dénaturer un texte. Maintenant, si quelque chose pouvait confirmer encore ma proposition, c’est ce qu’on dit MM. Lebeau et Ch. de Brouckere. On a dit que M. le ministre des finances avait fait une sorte d’amende honorable : il a dit, en effet, que ce qu’il regrettait le plus, c’était, messieurs, de m’avoir nommé ; mais l’inconvenance existe toujours pour la chambre. On m’a reproché aussi d’avoir prononcé le mot « faiseur. » Eh bien ! messieurs, c’est parce que je connaissais trop bien M. le ministre des finances, pour croire que c’était lui qui eût écrit de semblables choses contre moi. Du reste, on m’avait placé sur le terrain des personnalités, et ne devais-je pas me défendre ? Je crois donc l’insertion indispensable ; mais je déclare me rallier à la rédaction de M. Leclercq.
M. le président donne lecture de cette rédaction, ainsi conçue :
« Attendu que la chambre, en ordonnant l’impression d’une pièce, n’entend ni approuver ni improuver son contenu, elle décide qu’il ne sera pas fait, au procès-verbal, de mention ultérieure. »
M. Poschet. - Mais j’ai demandé que toutes les paroles inconvenantes, prononcées contre M. Dumortier, non pas seulement par M. le ministre des finances, mais par les autres membres, fussent blâmées de la chambre.
M. Rogier. - L’honorable rapporteur se rallie à la rédaction de M. Leclercq ; je ne sais pas pourquoi M. Poschet voudrait être plus susceptible que lui.
M. Poschet. - C’est parce que la dignité de la chambre a été compromise.
M. Rogier. - Eh bien ! il me semble que M. Dumortier peut aussi bien apprécier la dignité de la chambre qu’aucun autre.
M. Poschet. - Je pense que je suis aussi bon appréciateur de la dignité de l’assemblée représentative que M. Ch. Rogier, et je trouve son observation étrange.
M. Delehaye déclare appuyer la proposition de M. Leclercq, parce qu’elle accorde au rapporteur tout ce qu’il est possible de lui accorder.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée à une forte majorité ; en conséquence, le procès-verbal est adopté sans modification.
M. Lebègue analyse ensuite quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission.
M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion générale sur le budget de la guerre.
(Moniteur belge n°79, du 19 mars 1832) M. Pirson. - Messieurs, si je ne me suis point montré dans les premières escarmouches oratoires qui ont eu lieu sur l’ensemble du premier budget du royaume de la Belgique, que nous allons discuter en détail, personne ici, j’espère, n’attribuera mon silence à la pusillanimité. Depuis longtemps j’ai fait mes preuves. Jamais je n’ai changé de principes. Sous tous les gouvernements, républicains ou monarchiques, j’ai accepté des ministres ce qu’ils offraient de bon ; mais toujours je me suis méfié des entraînements de leur position, et j’ai fait de l’opposition loyale et franche. De la discussion générale, qui a produit un grand scandale, nous arrivons à celle des budgets particuliers des ministères.
Nous commençons par celui de la guerre.
Je ne sais si je dois considérer le chef de ce département simplement comme ministre de la guerre, ou bien, en même temps, comme chef de l’insurrection bureaucratique qui s’est élevée, je ne dirai pas contre le rapporteur de la commission du budget, mais contre la représentation nationale dont il était l’organe.
En 1821, je disais aux ministres du roi Guillaume : « Je sais bien que vous n’êtes pas des chefs de division, mais trop réellement payés. (Là il y avait au cabinet du roi un comité occulte qui dirigeait tout.) Voilà votre bill d’indemnité pour tout le mal que vous nous faites ; mais à vous la honte et le déshonneur d’être de vils instruments ! »
Ici l’on veut bien excuser un ministre de toutes les injures et des impertinences qu’il débite à la tribune en les attribuant à ses subordonnés, parce qu’en effet on sait bien que son caractère et son urbanité ne les ont pas inspirées, et voilà qu’un autre ministre, le ministre de la guerre, étranger au département des finances sur lequel planait le blâme, vient prendre fait et cause pour son collègue.
Et pourquoi le ministre de la guerre se met-il en avant ? C’est pour défendre le subalterne soupçonné d’être l’auteur du mémoire débité par le ministre des finances, c’est pour en faire l’éloge le plus pompeux, c’est pour en faire à la fois un homme spécial et universel, sans lequel lui, aujourd’hui ministre de la guerre, n’aurait pu dans le temps être ministre des finances, selon son propre aveu.
M. Lion, puisqu’il a été nommé, a donc dirigé le ministre des finances de Brouckere ; celui-ci en convient ; pourquoi ne dirigerait-il pas maintenant le ministre des finances Coghen ?
Si M. Lion a rédigé d’une manière inconvenante le mémoire du ministre des finances, pourquoi tel autre individu n’aurait-il pas induit en erreur le ministre de la guerre dans le marché Hambrouk ?
Oui, M. le ministre, vous avez été induit en erreur ! Votre loyauté vous en a fait assumer toute la responsabilité. Personne n’accuse votre probité, vos intentions ; d’ailleurs, vous avez rendu les plus grands services à la chose publique, mais le marché Hambrouk n’est pas moins une faute. Vos prédécesseurs en avaient commis de plus graves, je le sais, et pourtant ils n’ont pas été tourmentés comme vous.
Oublions tout le passé, et tâchons de pourvoir convenablement à notre avenir qui, quoi qu’on en dise, est toujours incertain.
Sous ce rapport, il conviendrait peut-être de parler de nos relations extérieures en même temps que de notre armée. Mais, le 15 de ce mois, un traité sur les forteresses doit être ratifié, ce qui fait supposer qu’à la même époque les ratifications des 24 articles pourront se compléter ; si point, il y aura lieu de faire peut-être un grand effort pour arriver, coûte que coûte, à une solution.
Je suis donc loin de penser, comme notre collègue Barthélemy, qu’il faille réduire notre armée ; on ne saurait trop, au contraire, la renforcer par le nombre, l’instruction, les exercices et les approvisionnements. Je voterai pour toutes les économies qui ne nuiront point à ces quatre points essentiels. Je me réserve d'ailleurs quelques observations sur différents objets, à mesure qu’il en sera question.
Je le répète, ce ne sera ni les émeutes bureaucratiques, ni la coalition des parties prenantes qui m’arrêteront, lorsque je pourrai soustraire à leur rapacité les deniers du peuple.
A chacun selon ses capacités et son travail : point de sinécures, point de cumul, point de considération pour tous ces hommes inutiles, produits par compérage ou commérage !
(Moniteur belge n°74, du 14 mars 1832) M. le ministre des finances (M. Coghen). - L’honorable préopinant attribue le rapport que je vous ai fait à un de mes subordonnés. Messieurs, quand un ministre présente un rapport, il le fait sien et il devient responsable. Je regrette que l’on prononce si souvent le nom d’un homme qui n’a pas toutes les capacités pour être ministre des finances, mais qui a des qualités spéciales, ainsi que l’a dit M. Ch. de Brouckere, au moyen desquelles il a rendu de grands services, et qui en rendra encore lors de la liquidation ; car lui seul connaît bien tous les mystères du syndicat.
(Moniteur belge n°75, du 15 mars 1832) M. Fallon. - Messieurs, personne, dans cette enceinte, n’a dû être plus étonné que moi de la doctrine de M. le ministre de la guerre sur les effets de l’état de siège sous le régime de la constitution belge.
En voici la raison : Au moment où la révolution éclata, en septembre 1830, le général van Geen, qui commandait à Namur, voulait aussi se débarrasser des rédacteurs du journal qui s’imprimait alors en cette ville, non pas, comme à Gand, dans un système hostile à notre révolution, mais précisément en sens inverse ; et une déclaration de mise en état de siège fut le moyen qu’il employa pour mettre la main sur ces rédacteurs.
Dans la soirée du 17 septembre, il notifia à l’administration municipale qu’il venait de mettre la ville et la citadelle en état de siège, en la requérant en même temps de faire publier sur-le-champ sa déclaration ; et déjà toutes les mesures avaient été prises pour investir le domicile de l’éditeur.
Je faisais alors partie de l’administration, et je me trouvai ainsi dans le cas de devoir examiner sérieusement jusqu’à quel point l’ancienne loi fondamentale permettait de faire usage des décrets de l’empire sur la matière, alors que son article 2 additionnel maintenait aussi les décrets antérieurs.
Tels sont les principes fort simples qui dirigèrent notre jugement et notre résolution.
Il nous parut qu’un acte du pouvoir exécutif ne pouvait recevoir son exécution que dans le sens de la législation sous laquelle il avait pris naissance ; qu’en conséquence, si ces décrets impériaux s’accommodaient parfaitement avec le despotisme militaire des institutions qui régissaient alors la France, il n’en était plus de même lorsqu’on les plaçait sur le terrain de la loi fondamentale qui avait établi un tout autre ordre de chose ; qu’alors il fallait naturellement qu’ils s’accommodassent aussi avec cette loi, de manière à ne pas l’étouffer, et qu’ainsi, dans le conflit de ces décrets avec cette loi fondamentale, cette loi devait les modifier et ne pas s’en laisser asservir.
En conséquence, et quoique sous le canon de la citadelle, nous répondîmes en général van Geen par une protestation énergique contre sa déclaration de mise en état de siège, et nous lui déclarâmes à notre tour que nous nous refusions formellement à la faire publier, ce qui laissa à l’éditeur du journal le temps d’évacuer les papiers et de s’esquiver lui-même.
Les principes qui m’ont fait agir alors avaient été sérieusement médités ; ils reçoivent , à bien plus forte raison, leur application sous le régime de la constitution belge, et ce qui a été dit ici, depuis quelques jours, n’a fait que me convaincre davantage que le système du ministre de la guerre, dans l’application absolue de ces décrets, est une inconstitutionnalité d’autant plus dangereuse qu’elle peut, là où il plaît au pouvoir exécutif, substituer le despotisme militaire au régime protecteur de la constitution.
Aussi, dans des temps ordinaires, je ne balancerais pas de remplir le devoir que m’impose ma conviction, et je refuserais tout subside au ministère de la guerre. Dans la situation actuelle du pays, je me soumettrai à l’empire des circonstances, et je voterai pour le règlement du budget de la guerre, mais tout en protestant contre une doctrine que je repousse comme inconstitutionnelle, et contre une espèce d’entraînement dont je crains les conséquences.
Prenons-y garde, messieurs ! Et moi aussi je suis convaincu du patriotisme, des talents et du zèle de M. le ministre de la guerre ; et moi aussi je conviens qu’il a donné assez de preuves de son amour pour les libertés publiques, pour que nous puissions espérer qu’il n’usera de l’arme que nous lui laissions dans les mains que contre les ennemis du pays et de ses nouvelles institutions. Mais qu’un de ces ennemis intérieurs arrive au ministère (et qui sait si la politique extérieure ne peut pas un jour opérer ce prodige ?), et alors nous pourrons bien être victimes des conséquences de cette déplorable habitude d’étouffer les discussions les plus importantes de notre droit constitutionnel, en les transformant en questions de personnes.
(Moniteur belge n°77, du 17 mars 1832) M. Lardinois. - Messieurs, dans votre dernière séance, l’honorable M. Gendebien a provoqué des explications de la part du ministre des affaires étrangères sur nos relations extérieures. Dans la brièveté de sa réponse, le ministre ne nous a rien appris ; il s’est contenté de lire un passage du discours de M. Casimir Périer. Je suppose qu’il prépare des renseignements plus étendus, dont il vous donnera connaissance lorsque nous arriverons à la discussion de son budget.
Si je partageais la confiance d’une paix prochaine, je me hâterais, messieurs, de demander de fortes réductions sur le département de la guerre ; mais les assurances pacifiques qui nous arrivent du dehors ne doivent pas nous endormir, car vous n’ignorez pas que notre existence politique est due à des événements fortuits, à des combinaisons jalouses ou à des circonstances heureuses ; croyons bien que la politique étrangère servira toujours ses intérêts, avant de se guider par des sentiments de justice.
Le budget qui va nous occuper doit être voté sur le pied de guerre. Depuis quinze mois nous sommes joués par la diplomatie, et il est probable que le canon devra nous mettre d’accord avec la Hollande ; d’ailleurs, une révolution qui n’est pas soutenue par un grand appareil militaire, ou couronnée par la victoire, est presque une révolution perdue.
Le ministère vous a déclaré qu’il ne laisserait plus fouler aux pieds le caractère national. Cette déclaration suffit pour réveiller le patriotisme, pour faciliter à nos armes les succès de l’enthousiasme, et peut-être pour nous laver du crime politique d’avoir consenti à l’abandon de nos frères du Limbourg et du Luxembourg.
Avant d’aborder le budget de la guerre, je vous ferai encore une seule observation. La maison d’Orange ne peut pas se faire à l’idée qu’elle ne régnera plus sur ses sujets rebelles ; elle est secondée dans ses prétentions par le commerce hollandais, qui ne peut se faire à l’idée que l’étranger ira naviguer sur les eaux intérieures de la Hollande. Si nous étions soumis à la loi du vainqueur, le moindre mal qu’il arriverait au pays serait d’être frappé d’une contribution d’une centaine de millions ; car, dans cette hypothèse, nos intérêts moraux et matériels pourraient bien être anéantis à la fois. Ne balançons donc pas, messieurs, à voter tous les subsides nécessaires pour avoir une armée forte et disciplinée.
Une des plus belles conquêtes de la révolution de 89 est d’avoir consacré et généralisé dans les esprits le principe que les dépenses publiques ne sont légitimes qu’après avoir été consenties par les représentants de la nation.
Le budget est l’examen des crédits spéciaux demandés pour les services des ministères. Pour juger sainement de leur nécessité, il faudrait que nous eussions l’expérience de quelques années du ménage constitutionnel ; nous serions éclairés par les faits et nous déciderions moins souvent sous l’influence de nos préjugés et de notre imagination, qui nous font évoquer des fantômes et empêchent notre raison d’agir.
Notre budget nous révèle un fait incontestable : c’est que nos dépenses excéderont, en 1832, nos recettes de plus du double ; et, quoique nous n’ayons pas le compte des dépenses antérieures à cet exercice, nous savons également que nous avons accordé beaucoup d’argent depuis notre émancipation.
Quelque imparfaite que soit la connaissance que nous avons des actes qui ont donné naissance à l’absorption des fonds de l’Etat, encore est-il vrai que nous pouvons dire avec certitude que la plupart des marchés contractés par le département de la guerre ont été mal combinés et nuisibles au trésor.
Trêve au marché Hambrouk, puisque la chambre a prononcé sur cette grave et pénible question. Maintenant je ne veux vous entretenir que de la fourniture des armes et des draps ; mon devoir m’y oblige, et, lorsque ce sentiment commande, il faut savoir y obéir.
J’ai la preuve que le gouvernement a fait sur ces deux articles une perte énorme. C’est peu d’avoir payé des prix élevés, mais la plupart des marchandises qu’on a reçues étaient défectueuses ; tous les rebus y ont passé, de sorte que l’on a perdu et sur le prix et sur la qualité des objets.
C’est Liége qui a fourni la presque totalité des armes. Si on n’achetait pas toujours, dans ses fabriques, du moins c’était les négociants de cette ville qui avaient soin de pourvoir le gouvernement soit directement soit indirectement. Vous connaissez, messieurs, le fameux achat de fusils faits en Allemagne ; une partie a été distribuée dans les provinces et beaucoup d’entre vous ont pu en juger. Mais ce que vous ne savez pas, c’est l’histoire de ces fusils ; je vais vous la dire en raccourci et telle que je l’ai apprise.
Vous savez que, dans tous les ministères, il y a toujours quelqu’un qui guette les affaires, pour en instruire ceux qui peuvent en profiter. On avait besoin d’armes, et même ce besoin était pressant : un compère vint officieusement prévenir le ministre qu’il connaissait un dépôt de fusils ; que c’était une bonne opération à faire, mais qu’elle devait être traitée avec discrétion et surtout avec des écus. Le ministre adopta cette idée ; mais il fallait trouver quelqu’un de capable et de sûr pour traiter cette affaire : l’officieux avait la réponse prête, il indiqua l’agent du gouvernement à Francfort. Malheureusement, peu après cet entretien, une maison de Liége était instruite de ce projet, et vite elle donne ordre d’acheter une partie de ces fusils. Je ne vous parlerai pas de toutes les ramifications auxquelles cette affaire a donné lieu ; je vous dirai seulement qu’en définitive le gouvernement est devenu propriétaire de ces fusils, dont le nombre était, je crois, de 30,000, et que ce qui avait été payé primitivement 5 à 7 fr., a été vendu jusqu’à 28 fr., et les contrôleurs ont déclaré qu’ils ne valaient pas un florin la pièce. La mauvaise qualité de ces armées était si bien connue, que la maison de Liége dont je vous ai parlé avait eu soin de stipuler dans son contrat qu’on devait la payer à vue de connaissement, c’est-à-dire avant d’avoir reçu et vérifié la marchandise. Elle a été payée.
Dans mon opinion, cette affaire est une des plus scandaleuses que je connaisse. Si le ministre de la guerre ne promet pas de la tirer au clair et de poursuivre les coupables, s’il en existe, je déposerai telle proposition que je jugerai convenir, et je commencerai pas refuser le crédit qu’il demande pour le matériel.
J’arrive à la fourniture des draps. Je ne relèverai pas ce qu’un journal orangiste a bien voulu dire de moi dernièrement, et, si je me tais, ce n’est pas que mes actions craignent la censure ; mais, croyant avoir aidé l’administration de la guerre a faire quelques économies, il serait peu modeste d’en parler.
Sous le gouvernement provisoire, vous savez, messieurs, que notre crédit n’était pas élevé, et cependant, il fallait pourvoir à une foule de dépenses indispensables. L’armée qui s’organisait tant bien que mal, devait être habillée, et l’on s’adressa aux fabriques de Liége pour avoir des draps. Il faut le dire, personne, à cette époque, n’était tenté de fournir ; mais l’appât d’un gros bénéfice et l’assurance d’être payé d’arriérés firent trouver quelques amateurs ; les commissions de draps pleuvèrent sur Liége, et, après que les fabricants eurent déblayé leurs magasins, ils se jetèrent sur Verviers pour y acheter une quantité de draps qu’on ne se serait jamais imaginé devoir être propre à l’habillement des troupes.
Mais alors tout était bon, tout passait. Plusieurs ateliers étant inactifs à Verviers, par suite des circonstances, plusieurs fabricants songèrent à se mettre sur les rangs pour fournir aussi au gouvernement ; il n’y avait rien, ou peu de chose à faire ; toutes les places étaient prises. Cependant, les fabriques de Liége ne pouvaient pas livrer les masses de draps qui leur étaient demandées, on fut obligé de contracter quelques marchés d’urgence qui, cette fois, furent accordés aux industriels de Verviers.
Ainsi que je vous l’ai dit, les fournisseurs faisaient de grands bénéfices qui, à la vérité, étaient rognés tant soit peu par les administrations des régiments. Le proverbe « plus on a et plus on veut avoir » s’est encore vérifié, car les fournisseurs surent adroitement obtenir une augmentation de dix pour cent sur les prix et sous le prétexte d’une hausse de laine. Un fabricant de Verviers offrit de livrer à l’ancien prix ; mais on rejeta sa proposition, parce qu’elle contrariait les intérêts de plusieurs individus.
Mais, me direz-vous, comment se fait-il que vous, membre du congrès, vous n’éclairiez pas le gouvernement sur ces dilapidations ? Je répondrai que mon honorable collègue Davignon et moi avons signalé au gouvernement provisoire et à celui du régent toutes ces turpitudes ; jamais nous ne fûmes écoutés : on opposait toujours les règlements, et il nous aurait été bien plus facile de partager le gâteau que d’obtenir la moindre amélioration en faveur du trésor.
Le ministre actuel de la guerre a commis une faute en renouvelant, avec précipitation, les contrats pour 1832 ; il ne l’aurait pas commise, s’il avait été prévenu à temps ; et il en serait résulté une grande économie. Je dois reconnaître qu’il saisit avec avidité les améliorations qu’on lui propose, lorsqu’il les juges salutaires. Il a déjà commencé à mettre le magasin central sur un bon pied, et l’avantage qu’on en retirera cette année, rien que sur la qualité des objets, équivaudra à plusieurs centaines de milliers de florins. D’autres mesures sont prise par lui pour rendre les contrats de 1832 moins onéreux, et je suis certain qu’il réussira dans ses projets d’économie.
Pour vous donner une idée des sacrifices que l’on a fait sur les fournitures, je vous dirai que plusieurs régiments ont déjà renouvelé leur équipement ; que beaucoup de soldats ont été habillés pour la troisième fois, et qu’ils doivent à leur masse jusqu’à 200 florins, somme qu’ils ne pourront rembourser, à moins qu’ils ne restent toute leur vie au service.
Et en ce qui concerne la justice distributive, je ferai une observation à laquelle j’espère que le gouvernement aura égard à l’avenir. La statistique industrielle prouve que le district de Verviers produit dix pièces de draps, lorsque celui de Liége n’en produit qu’une : les fournitures ont été données en sens inverse.
>Dans le sein du congrès je me suis élevé contre les abus et contre les privilèges, alors que M. Chazal était intendant général. J’avoue que j’étais prévenu contre son administration ; mais, comme il a obtenu son quitus, je souhaite que le compte définitif qui nous sera présenté dissipe toutes les préventions dont ce citoyen, dévoué à la révolution, a été victime.
Déjà cette enceinte a retenti plus d’une fois d’accents généreux en faveur des officiers des volontaires ; il me semble qu’on devrait évacuer cette question, afin qu’elle ne se reproduise plus tous les huit jours, ce qui nous fait perdre un temps précieux.
Notre sympathie pour les volontaires n’a rien qui surprenne, parce que nous sommes presque habitués à les considérer comme ayant décidé seuls les victoires de septembre. Cette opinion, messieurs, n’est-elle pas une erreur ? N’ont-ils été pour rien dans notre triomphe, les Belges qui se trouvaient à cette époque dans l’armée des Pays-Bas, dont l’action fut autant comprimée par la force d’inertie qu’ils présentaient que par l’épouvante qu’inspire un peuple en révolte, n’ont-elles pas contribué puissamment à notre émancipation, et à la retraite des Hollandais, ces municipalités et ces sociétés philanthropiques qui surgissaient dans toutes les villes de la Belgique ?
Sans doute les volontaires ont concouru à chasser l’ennemi, plusieurs de ces braves ont reçu d’honorables cicatrices et d’autres sont morts au champ d’honneur ; mais qu’on reconnaisse une bonne fois que c’est la nation entière qui a renversé le despotisme du roi Guillaume. Au jour du combat, le peuple ouvrit la tranchée et quelques hommes dévoués s’avancèrent avec lui sur la brèche : c’est donc le peuple qui doit occuper la première place dans le sentiment de notre reconnaissance ; le meilleur témoignage que nous puissions lui en donner, c’est de lui procurer du travail et de ménager les dépenses de l’Etat.
La nation n’a été ni ingrate, ni parcimonieuse ; elle a accordé des pensions aux veuves et aux orphelins de ceux qui ont succombé dans la lutte. Elle ne peut être indifférente pour les officiers des volontaires qui ont acquis dignement des grades légitimes.
Vous remarquerez que la France a été moins prodigue que nous dans sa révolution. Les vainqueurs de juillet ont obtenu pour récompense, les uns un signe d’honneur, les autres une sous-lieutenance, et le plus grand nombre a trouvé le prix de leur dévouement dans la dignité d’homme assistant à l’oppression. Maintenant, comparez et jugez quel accueil on doit faire à une foule d’exigences. J’ai dit.
(Moniteur belge n°79, du 19 mars 1832) M. Osy. - Messieurs, les divers griefs que nous avons contre le ministère de la guerre, et que je vous ai exposés, seraient pour moi, dans des circonstances ordinaires, des raisons suffisantes pour refuser mon vote affirmatif au budget que nous discutons maintenant ; car, quoique je respecte la décision de la majorité, je vous avoue que ses décisions ne m’ont pas fait changer d’opinion, ni ne m’ont convaincu que nous avions tort de nous plaindre des actes arbitraires de l’autorité militaire dans les Flandres, ni que nous n’aurions dû examiner de plus près le marché onéreux dont nous nous sommes entretenus avec détail.
Mais, pour être conséquent avec moi-même, j’ai dû peser les conséquences d’un refus de budget, et, approuvant la marche que le gouvernement paraît très décidé à suivre dans les négociations pour les affaires extérieures, et dans l’espoir que MM. les ministres continueront à tenir le même langage ferme, qui consiste à se refuser à toute nouvelle concession et ne vouloir que les 24 articles et rien que les 24 articles ; nous sommes obligés de leur fournir tous les moyens de tenir notre armée sur un pied respectable, et pour pouvoir appuyer notre ferme résolution de refuser toutes nouvelles prétentions des puissances. Je compte donc voter pour l’adoption du budget de la guerre avec les réductions proposées par notre commission spéciale, et encore pour autant que, par la discussion qui va s’établir, je sois persuadé qu’elles ne pourront pas nuire au service.
Je suis encore obligé de revenir sur ma demande à M. le ministre de l’engager à soulager, autant qu’il dépendra de lui, des habitants qui sont obligés à cause des circonstances de loger et nourrir la troupe.
J’espère qu’on formera sous peu des camps, qui auront le double avantage d’éviter de grandes dépenses aux contribuables et de réunir une grande partie de l’armée, et de la former davantage au maniement des armes et aux grandes manœuvres.
Je voudrais aussi que M. le ministre prît en considération, au lieu de faire nourrir les troupes qui sont sur le pied de paix par les bourgeois, en leur payant 25 cents pour la nourriture et 10 cents pour le logement, d’adopter les règlements français, qui n’obligent les habitants de donner aux militaires que le feu et la lumière, et obligent la troupe de faire fournir, pour celles casernées, leur propre ménage par escouade avec leur solde, et en leur faisant seulement distribuer des rations de pain.
En France, les troupes qui sont même en marche sont obligées de faire leur propre ménage dans les étapes, et on a soin d’envoyer d’avance les fourriers ; et même, du temps de l’empereur, l’armée française suivait le même système en Italie : à plus forte raison, on devrait introduire le même système chez nous pour les troupes cantonnées, et j’espère que M. le ministre prendra mes observations en considération et s’efforcera de soulager les contribuables, pour qui les logements militaires sont déjà une très lourde charge, ce qui pourrait encore se prolonger longtemps. Notre devoir est de mettre en exécution toutes les mesures qui, sans nuire au service, peuvent soulager les contrées qui ont déjà tant souffert par la position de notre état de guerre.
(Moniteur belge n°74, du 14 mars 1832) M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je serai fort court, car je rencontrerai toutes les objections lors de la discussion des articles. D’abord je ne crois pas qu’il soit nécessaire de répondre à un honorable membre qui a dit que nous n’aurions pas la guerre, et qu’il fallait réduire l’armée sur le pied de paix. Tout le monde accorde que nous devons nous mettre en mesure.
Quant à M. Fallon, qui a critiqué mon opinion sur l’état de siège, je lui ferai remarquer que nous ne concevons pas d’état de siège en état de paix ; nous avons toujours raisonné pourl’état de guerre.
On a dit qu’on refuserait le crédit que je demande pour le matériel, si je ne promettais pas d’arranger le marché des armes. Je déclare, messieurs, que je ne puis faire aucun arrangement pour un objet à l’égard duquel tout était consommé avant mon entrée au ministère. La cour des comptes seule pourra l’examiner lors de la liquidation.
Mais on a parlé de fournitures de draps, et on a dit que je les avait payés 20 ou 25 p. c. plus cher que ceux que le M. le ministre des finances a mis en adjudication pour les habillements de la douane. Quand je suis entrée au ministère, le tarif des draps avait été augmenté de 10 ou 11 p. c. sur l’ancien, à cause du renchérissement des laines. Vous savez qu’alors le choléra, que l’on craint d’autant moins qu’il approche davantage, faisait craindre que les laines ne pussent plus entrer. On a parlé de primes exorbitantes accordées aux marchands de draps. Eh bien ! je réponds que j’étais à Liége en octobre 1830, et que les anciens fabricants qui avaient fourni la troupe pendant 15 ans, vinrent m’offrir de contracter aux premiers prix de paix.
Ce n’est que par suite du renchérissement des laines que les contrats ont été passés avec une hausse de 6 ou 7 p. c. Quant à la différence du prix auquel contracta M. le ministre des finances pour les douanes, il y a une chose à remarquer, c’est que vingt-quatre soumissions lui furent faites, et la plupart pour un seul lot de deux mille hommes. Quatre lots furent adjugés à trois adjudicataires différents, ce qui prouve que ce n’étaient point là les prix ordinaires ; cela résulte même des soumissions qui portaient pour le premier lot 3 fl. 90, pour le deuxième 4 fl., et pour les troisième et quatrième 4 fl. 50. La moyenne pour le drap marengo était 4 fl. 22 c., tandis que nous payons 4 fl. 84, ce qui fait une différence de 11 p. c. Mais, pour les draps des gardes civiques, je suis parvenu, par des moyens amiables, à réduire le prix à 4 fl. 20 c., c’est-à-dire 2 cents de moins que la moyenne des offres faites à M. le ministre des finances : il faut encore défalquer 2 p. c. pour les frais d’administration, et le prix n’est plus que de 4 florins.
J’ai cru devoir entrer dans ces explications pour démontrer que, quand il y a moyen de faire des économies, je m’empresse d’user de tous les moyens que l’honneur peut avouer.
Tous les autres arguments que j’ai entendus sont des arguments généraux auxquels j’ai déjà répondu dans la discussion sur l’ensemble des budgets, et le reste des arguments spéciaux que je me propose de rencontrer dans celle des articles ; mais, pour qu’il n’y ait pas de surprise, je dois déclarer que, si je partage l’avis de la section centrale sur quelques diminutions de détail, en masse je serai forcé à demander une augmentation ; car, outre 70 mille hommes de troupes, nous avons 10 mille hommes de garde civique. Indépendamment de ces 10 mille hommes, il y avait encore au 1er mars 6,350 soldats et 385 officiers. Mais vous savez qu’au 1er mars la levée ancienne s’est retirée et a été remplacée par la nouvelle. Or, comme il y a beaucoup moins d’hommes de 30 ans accomplis que de 24 à 30, le total se montera encore à 10,000 hommes. Le budget est calculé à raison de 70,000 hommes de troupes ; mais là ne se trouve pas comprise la levée de 1832, parce que nous ne comptions pas le budget sur le pied de guerre pour un temps plus long que jusqu’au 1er mai. Si cependant l’état de guerre continue, les hommes étant aptes à être appelés sous les armes le 1er mai, au lieu d’une diminution il faudra au contraire une augmentation de 600,000 florins.
A l’article garde civique, au lieu de 2 millions 600 mille florins, il faudra porter 2 millions 900 mille florins.
On ne portait rien pour remontes ; et, si nous avions la paix, il y aurait un boni pour le gouvernement au lieu de dépenses ; mais, aujourd’hui, il faut, pour remontes d’artillerie et de cavalerie, une somme de 150 mille florins.
Voilà trois augmentations qui n’élèveront pas le chiffre, mais qui balanceront les diminutions que l’on veut faire.
M. Brabant. - J’avais demandé la parole pour répondre à M. Mary. L’honorable membre avait proposé, au lieu de réduire les dépenses pour l’armée, de les augmenter de 100 mille hommes. Je n’ai qu’un mot à répondre. Nous avons examiné le budget en présence du ministre, et les réductions proposées n’ont souffert aucune difficulté.
M. A. Rodenbach. - Je demande à M. le ministre de la guerre de bien vouloir me donner quelques explications de la manière dont se fait maintenant la fourniture des médicaments composés à l’usage des hôpitaux et de l’armée. Il est parvenu à ma connaissance, et je crois de mon devoir de faire connaître au ministère et à la chambre, que quelques droguistes de cette ville, spéculateurs très adroits, sont parvenus à faire la fourniture de tous les médicaments composés. La loi s’y oppose formellement : les droguistes ne peuvent point confectionner ni vendre des composés. En outre, je demande au ministre pourquoi sur le cahier des charges du mois de janvier il n’y est point question de médicaments composés, tandis que sur les affiches, on parle de drogues simples et composées ; l’on n’a réellement adjugé que les simples. Les droguistes contreviennent aux lois, en manipulant les médicaments. Pourquoi n’adjuge-t-on pas publiquement toutes espèces de drogues ? Il n’est point question ici de marchés d’urgence, et il a été plus que prouvé, dans les précédents débats sur le marché Hambrouk, que la concurrence produit un bénéfice réel à l’Etat. Plusieurs pharmaciens de cette ville signalent cette espèce de monopole dans une pétition que je me propose de mettre sur le bureau. De tout ceci, il faut conclure que les fournisseurs de ces drogues ne sont pas simples.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - L’honorable membre a parlé d’une pétition qui devait être incessamment soumise à la chambre. Je dirai que c’est moi-même qui ai engagé le pétitionnaire à la présenter ; mais il ne m’a pas bien compris. Il y a des faits, lui ai-je dit, dont la publicité seul fait justice. Il a cru que je regardais comme coupables ceux qu’il accusait, tandis que ce sont ceux qu’il défend.
Maintenant, pour ce qui regarde l’administration, quand je voulus régler le service des médicaments, j’ai conçu le projet d’emmagasiner dans un seul local toutes les drogues qui étaient dans 12 ou 21 villes, et de les faire préparer par un pharmacien de l’armée. J’ai adjugé tous les simples qui entrent dans la fabrication des médicaments ; mais, le local n’étant pas entièrement préparé, j’ai dû faire un accord momentané avec un pharmacien à qui l’on donne un tantième p. c. Mais, lorsque la pétition viendra, je prouverai que jusqu’alors nous avions payé le double et le triple. C’est l’inspecteur général du service de santé qui m’en a fourni la preuve lui-même.
M. Fleussu déclare voter pour le budget du ministre de la guerre, tout en protestant contre le marché Hambrouk, qu’il trouve onéreux d’après la déclaration de M. le ministre de la guerre lui-même, qui a dit que ce n’était pas trop de 6 mille florins de bénéfice qu’avait l’entrepreneur, et contre la mise en état de siège de Gand qu’il soutient inconstitutionnelle.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - L’honorable membre a cru encore devoir répété ce que j’avais dit dans l’improvisation. Si je n’ai pas décliné ces paroles à la chambre des représentants, je les ai formellement rétractées devant le sénat, et j’ai déclaré qu’elles m’étaient échappées dans un mouvement de précipitation.
M. Barthélemy pense toujours que la Belgique n’aura pas la guerre, parce qu’il a confiance dans la foi jurée de la France et de l’Angleterre. Le roi de Hollande, dit-il, n’a fait qu’une extravagance en envahissant notre territoire, et cela dans le but d’allumer la guerre générale ; et, voyant qu’il n’avait pas réussi, il s’est retiré honteusement. Voilà tout. (Hilarité.) Maintenant, quand il voudrait renouveler son expédition, nous avons là 40,000 Français à nos portes.
M. Gendebien demande la parole pour motiver son vote, qui sera négatif, et cela à cause du marché Hambrouk. Il revient sur le sous-traité des Flandres, qu’a cité précédemment M. Devaux, et dont il a pris communication. Il trouve que, même d’après ce contrat, Hambrouk a cédé à 14 p. c., ce qui, joint au bénéfice qu’il avait avec le gouvernement, lui fait gagner 25 p. c., 6,000 fl. sur 24,000 fl. de fournitures, par jour.
L’orateur ajoute qu’il votera contre le budget, pour un second grief, qui est l’obstination du ministre de la guerre à ne pas reconnaître les droits des officiers volontaires. Il cite les noms de plusieurs officiers de ces corps, qui, après avoir faire preuve de la plus grande bravoure à Bauthersem et à Louvain, ont été renvoyés il y a six mois.
Il parle, en outre, du major Boulanger, brave soldat, qui a culbuté 2,000 Hollandais à Bauthersem et qu’on a forcé de quitter ses épaulettes pour le nommer major honoraire, sans doute parce que c’était un homme de la révolution, tandis que l’on en emploie d’autres qui ont trahi la révolution en février et mars.
D’après tous ces motifs, il déclare qu’il ne peut donner un vote approbatif au budget du ministre de la guerre.
M. F. de Mérode. - Messieurs, des discussions, en quelque sorte interminables, se sont engagées à l’occasion des réponses données par M. le ministre de la guerre sur les réclamations de certains officiers de volontaires qui prétendent avoir été lésés dans leurs droits par ce ministre. Il me semble, messieurs, que la difficulté, pendante depuis longtemps, est simple à résoudre lorsqu’on la dégage de tous les développements qui ne servent qu’à l’embrouiller. Si les officiers dont il s’agit ont des droits légaux à une solde temporaire, il me semble que les tribunaux doivent en décider ; si rien n’établit la légalité de ces droits, il est impossible qu’une chambre s’occupe du mérite ou de l’incapacité des hommes qui prétendent aux fonctions militaires comme aux fonctions civiles : c’est un objet de pure administration, et la chambre, indépendamment de l’obligation où elle est de se renfermer dans les termes de son mandat constitutionnel, est trop surchargée de travaux importants et généraux, pour entreprendre encore la discussion de tous les intérêts particuliers. Resterait à savoir s’il est convenable d’inscrire au budget une somme destinée à l’entretien temporaire ou viager de tous les volontaires qui, pendant quelques mois ou quelques semaines, ont porté les épaulettes d’officiers.
Autant, et plus que beaucoup d’autres, je m’intéresse à ceux qui ont pris les armes pour la défense du pays, contre une restauration hollandaise en Belgique. Cependant, je dirai sans crainte que, si tous les combattants patriotes doivent être récompensés par de l’argent ou des places, la révolution est la plus grande des calamités ; le trésor, vous le savez, messieurs, ne nous permet pas d’être prodigues, et les membres de cette assemblée qui sont les plus ardents champions des volontaires, parlent sans cesse des contribuables, du peuple qui paient les impôts, en termes qui supposent nécessairement le désir d’une stricte économie. Quant aux places, il est évident qu’elles existent dans l’intérêt d’une bonne administration, et non pour procurer des émoluments à tels ou tels individus ; l’esprit d’ordre et de conduite sont indispensables à l’occupation des fonctions publiques, et tous les hommes qui ont porté une épée ou un fusil ne sont pas pourvus de ces qualités. Messieurs, c’est un singulier privilège que celui que possède le pouvoir exécutif, de distribuer les grades dans l’armée, et, en vertu du brevet qu’il délivre, d’obliger l’Etat à une dette plus ou moins considérable qu’il contracte envers le porteur d’un titre, trop souvent arraché par d’importunes sollicitations. Ce pouvoir est immense, excessif, selon moi, bien que j’en reconnaisse la nécessité ; mais, loin d’engager le ministre de la guerre à distribuer ou à reconnaître légèrement de pareils titres, je pense qu’il est de son devoir de ne les admettre qu’avec une rigoureuse sobriété.
Je sais, par expérience, combien il est facile de se laisser entrainer à la satisfaction de contenter les solliciteurs ; cependant jamais je n’aurais consenti à grever l’Etat d’obligations indéfinies, en sanctionnant des titres provisoires et temporaires comme des droits acquis définitivement.
Abandonnons le champ des suppositions gratuites ; rentrons dans la réalité. Personne n’ignore, car on l’a répété cent fois dans cette enceinte, que, vu l’inique partialité du gouvernement hollandais, nous avions en Belgique trop peu d’officiers pour commander notre armée en ligne. Comment aurions-nous pu fournir des chefs aux bataillons de volontaires levés à la hâte sous la régence ? Le moyen qu’on employa, messieurs, moyen évidemment imparfait et défectueux, fut de permettre à ces hommes de nommer leurs officiers jusqu’au grade de capitaine. Et qu’en résulta-t-il pour les élus ? Ils y trouvèrent l’avantage d’une solde égale à la solde des officiers de l’armée de ligne ; ils obtinrent des frais d’équipement ; et plus tard, une gratification. Et qu’on ne dise point que la plupart avaient abandonné des professions lucratives ; il est de fait que les batailleurs de tirailleurs francs se formèrent généralement d’hommes inoccupés. Maintenant, dit-on, ils sont sans ressources ; ils vous demandent des moyens d’existence : je répondrai qu’officiers comme soldats, tous étaient prévenus que la durée de leur engagements dépendait des circonstances et des besoins du gouvernement.
Après la dissolution de ces corps, dont l’indiscipline se fit généralement redouter des cantons qu’ils occupèrent, le ministre de la guerre admis dans l’armée de ligne une foule d’officiers qui lui semblaient promettre d’utiles services. D’autres furent placés dans les douanes ou ailleurs ; et il fallut assurément toute la sollicitude de l’administration militaire et civile, pour caser tant d’hommes, dont les prétentions, soutenues par quelques orateurs dans cette enceinte, s’élevaient quelquefois au point de refuser des emplois honnêtes de 12 et 1300 francs. Je connais certain signataire de la demande en consultation adressée à M. Maughin, lequel signataire, arrivé de Paris après les journées de septembre, pour se placer en Belgique, vint plusieurs fois réclamer des secours au gouvernement provisoire, secours que je lui remis avec plaisir à mes dépens (car c'était, messieurs, les émoluments de nos hautes fonctions politiques), et qui, décoré aujourd’hui, je ne sais comment, du titre de capitaine, a rejeté un emploi de brigadier dans les douanes que j’avais vivement sollicité pour lui, et que, d’après mon avis, il eût parfaitement bien fait d’accepter. Loin de blâmer le ministre de la guerre, que j’ai vu réclamer dans les bureaux des finances des places en faveur des officiers de volontaires qu’il ne croyait pouvoir introduire dans l’armée, je pense qu’il mérite vos éloges sur ce point, comme sur ses actes considérés largement.
Malgré sa bonne volonté, il n’a pu satisfaire à l’universalité des demandes : tout individu, auquel on refuse l’objet de ses désirs, ne manque pas de se plaindre. Est-ce à la chambre à juger s’il a tort ou raison ? Est-ce à elle à entrer dans les détails qui concernent les personnes ? A les peser dans sa balance ? Et lorsqu’on vient louer, bien ou mal à propos, des particuliers, conviendrait-il à un ministre de déverser sur elle un blâme contradictoire ? Ne serait-ce pas, en l’y forçant, attirer sur lui les haines individuelles ? Je le répète, messieurs, au lieu d’encourager le pouvoir exécutif à se défendre contre les exigences privées, si vous paralysez sa force de résistance, en admettant, sans les motifs les plus graves, les plus incontestables, des réclamations que les désappointés vous adresseront de toute par, le gouvernement deviendra impossible.
La tâche que j’ai entreprise, messieurs, est pénible, vous en conviendrez ; il s’agit d’appuyer des refus, de m’opposer aux réclamations d’hommes qui ne sont point favorisés de la fortune ; mais je plains la chambre, je plains l’administration, si la première se mêle des attributions de la seconde, si elle ne fait pas justice de l’importunité, de l’obsession persévérante et croissante, qui ne manqueront pas d’envahir de plus en plus ses moments.
Messieurs, j’ai suivi la révolution dès son origine ; j’ai vu ce qui s’est passé dans la distribution de ce qu’on appelle faveurs du gouvernement, et il est absolument inexact, comme on vous l’a dit dans les termes les plus exagérés, que les hommes de la révolution aient été exclus, qu’on les ait inhumainement repoussés. Ces hommes, considérés dans leur ensemble, ont moissonné une part très large de bénéfices et d’avantages dans le changement politique commencé en 1830. Parmi ceux qui avaient rendu des services même essentiels à la cause nationale, quelques-uns ont cherché plus tard à la trahir, d’autres à entraîner un peuple plein de bon sens et de moralité vers le désordre et l’anarchie, afin de pêcher en eau trouble et de satisfaire leur ambition. Il a donc été prouvé qu’il ne suffisait pas de s’être montré chaud patriote, en apparence, pour mériter la confiance du gouvernement et la reconnaissance du pays.
Je suis loin de croire que justice comparative pleine et entière ait été rendue, que chacun l’ait obtenue suivant ses œuvres et sa capacité. Plus d’une fois j’ai sollicité, hors de cette enceinte, en faveur d’hommes méritants et délaissés, qui n’occupaient pas le public tout entier de leurs bruyantes réclamations. Mais vos occupations, messieurs, je dira même vos droits, ne sont point de nature à vous constituer en cour d’équité, en tribunal réformateur de tous les griefs personnels : la chose serait impossible assurément, et vous ne tenterez pas, en accueillant des demandes étrangères à vos pouvoirs, une entreprise qui vous détournerait des travaux essentiels, pressants et nationaux, dont il est si fâcheux de voir le trop long ajournement.
Messieurs, je ne suis pas jurisconsulte ; par conséquent, je m’avoue incapable de discuter la question de stricte légalité à l’égard de la mise en état de siège. Mais j’examine des faits les circonstances que personne ne peut contester. Je vois la Hollande menaçante, et son gouvernement fort, parce qu’il est à même d’user de tous les moyens d’attaque et de défense, tandis que l’administration belge, liée par des institutions libres, dont on voudrait exagérer les conséquences, au lieu de les expliquer raisonnablement et politiquement, conformément aux dangers extérieurs, se voir entravée et affaiblie au grand préjudice, non pas d’elle-même, mais du pays tout entier.
Messieurs, je suis parfaitement d’avis que le décret de 1811 ne peut subsister à l’avenir sans contradiction évidente avec l’esprit de la constitution, et je voterai sans hésitation pour qu’il soit abrogé et remplacé par une législation meilleure, dès que notre lutte actuelle avec la Hollande sera terminée. En attendant, je dois à mon pays, je le dois à cent mille jeunes hommes arrachés à leur foyer domestique, à leurs parents, privés d’un secours presque indispensable pour un grand nombre ; je dois à ma conscience de ne pas compromettre inutilement la liberté et la vie de cent mille de mes compatriotes. Messieurs, la manière de résister à l’ennemi est la même pour les gouvernements libres et les gouvernements absolus, et comme je ne crains nullement que le décret de 1811, exécuté provisoirement, puisse tourner à l’avantage du despotisme contre la liberté, mais bien en faveur de la résistance de la Belgique, affranchie contre une restauration absolutiste, je ne me permettrai jamais de subordonner des nécessités évidentes à des théories douteuses, et me conformerai aux opinions des hommes de loi, qui admettent la mise en état de siège et le décret de 1811.
Messieurs, un préopinant vous a dit qu’il était inutile de mettre Gand en état de siège. C’est là une hypothèse ! Mais qui doit-on croire plutôt, de l’opinion de l’honorable M. Fleussu, lequel n’a jamais été à Gand depuis la révolution du moins, ou du général Niellon, responsable de la sûreté de cette ville importante, du gouvernement civil et de l’autorité judiciaire de la même cité ? Un fait incontestable, c’est qu’avant la mise en état de siège Gand était continuellement livré à des désordres intérieurs, à des rassemblements très dangereux pour une place en première ligne, comme aussi très nuisibles à notre existence politique, rendue incertaine aux yeux de l’étranger. Depuis la mise en état de siège, Gand jouit de la plus complète tranquillité. Ce sont là des réalités, messieurs, auxquelles je défie de rien opposer de concluant.
(Moniteur belge n°75, du 15 mars 1832) M. Desmet. - Messieurs, quand on voyait à la séance de samedi dernier, l’empressement que mit M. le ministre des affaires étrangères à répondre à l’interpellation de l’honorable M. Gendebien, certes on croyait que déjà il avait près de lui le rapport officiel qu’on lui demandait sur notre situation politique, et on le croyait d’autant plus qu’il sortit de sa poche un cahier qu’on présumait être une pièce diplomatique ; mais la surprise ne fut pas petite quand on s’aperçut que c’était tout bonnement une feuille parisienne, le « Journal des débats, » que tout le monde avait lue depuis le matin, et dans laquelle le ministre nous a fait une lecture assez longue d’un passage du discours que M. Casimir Périer avait prononcé à la chambre des députés dans la séance du 7 courant, qui à l’heure même était jugé par tous les journaux de France, même par ceux à la solde du ministère français, comme ne disant rien de nouveau et laissant la situation politique de la France et de notre pays dans le même état d’incertitude.
En effet, messieurs, les explications de M. le président du conseil n’ont rien expliqué ; l’exubérance de ses paroles n’a rien éclairci ; sa dialectique habituelle nous a laissés dans le même vague, et on se trouvait aussi savant qu’avant ses volumineuses communications. Quand il a parlé de la Belgique, il a dit que du traité des vingt-quatre articles deux délibérations étaient échangées, qu’il espérait que les autres arriveraient bientôt, mais qu’il ne pouvait en dire davantage. Quand il a touché la question d’Ancône, qui indubitablement est la principale dans ce moment-ci, et sous l’influence de laquelle les autres questions européennes seront résolues, il a dit que de hautes considérations lui interdisaient de s’ouvrir à cet égard. Quand il est arrivé à l’affaire de la Pologne, il a dit encore qu’il ne pouvait en trahir le secret, mais que les négociations étaient commencées.
Du Portugal il n’a dit mot, et sur l’Allemagne, où une combustion est sur le point de s’enflammer, il ne s’est pas plus prononcé que sur le résultat que produirait en Angleterre le triomphe des torys ; enfin, comme d’habitude, il n’a rien dit, il n’a rien expliqué, je le répète, et je défie le plus habile de nous faire comprendre qu’il ait jeté un nouveau jour sur les affaires de l’Europe, et qu’il les ait fait sortir des ténèbres dont elles se trouvent enveloppées depuis que la lutte est commencée entre les peuples et l’absolutisme. Mais une chose bien consolante pour nous, c’est qu’on a vu dans le discours qu’un député patriote, des bouches du Rhône, a prononcé dans la même discussion, que la France se glorifiait d’être alliée à la Belgique, et que cette précieuse alliance, qu’il considérait comme la plus puissante, garantissait aux deux pays une force suffisante pour combattre et triompher de cette aristocratie européenne qui, de tous côtés, viendra fondre sur les nations qui auront à cœur de conserver leur liberté et leur indépendance. Oui, messieurs, c’est là où gît le seul ennemi du genre humain, et, aussi longtemps qu’il ne sera pas morfondu, n’espérons ni la paix ni la tranquillité.
Nous sommes donc toujours dans la même crise et dans cette insupportable incertitude de voir arriver bientôt la paix ou de nous voir de nouveau envahis par des armées ennemies, et certainement ce serait folie que de songer à un désarmement. Au lieu de ralentir nos préparatifs de guerre, augmentons-les au contraire, et n’épargnons rien pour les mettre sur un pied respectable ; oui, augmentons nos forces régulières, et ne tardons plus, comme on l’a fait jusqu’à ce jour, à organiser complètement les cadres de nos troupes citoyennes, qui n’ont été que trop négligées et sans aucun motif ; car, qu’on se souvienne toujours qu’au mois de septembre dernier, sans les gardes civiques, l’invasion hollandaise aurait réussi du côté de la Flandre zélandaise… Je voterai conséquemment, très volontiers, tous les crédits que le gouvernement demandera pour couvrir les dépenses que nos forces militaires exigences.
Mais, d’après moi, grande différence il y a d’accorder des crédits nécessaires et de voter solennellement la passation d’un budget où on vous demande des sommes pour satisfaire à un marché que vous avez reconnu onéreux et scandaleux. Si je le faisais, je me considérerais complice de la dilapidation des deniers du peuple, et c’est pour ce seul motif que jamais je ne donnerai mon vote approbatif à un budget où je trouverai les chiffres de la rente que l’Etat paie à M. Hambrouk. J’ai dit.
(Moniteur belge n°74, du 14 mars 1832) M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, si c’était le moment de répondre aux chiffres de l’honorable M. Gendebien, relativement au sous-traité du sieur Chantrelle, dans les Flandres, je pourrais en produire qui détruiraient les calculs de l’honorable membre. Quant à ce qu’il a dit qu’on n’exécute pas le marché en ce moment, pour en dissimuler la dépense, j’ai déjà répondu, lors de la discussion spéciale du marché, que jamais le gouvernement n’a eu l’intention de tenir toute l’armée sur pied de guerre ; c’est, d’ailleurs, une chose impossible, et surtout en hiver.
Je suis fâché que l’honorable membre ait encore cru devoir parler des volontaires et citer des noms propres ; car, si je voulais répondre, je devrai aussi citer des noms propres, et notamment un sur le compte duquel l’honorable membre lui-même serait probablement fâché que je m’expliquasse, et qui prouverait que je n’ai fait à l’égard des volontaires que ce que j’ai dû. Au reste, si M. Gendebien ou tout autre membre de la chambre le désire, je lui communiquerai confidentiellement des pièces que je ne crois pas devoir lire en public. (Aux voix ! la clôture !)
- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et adoptée.
La discussion est ouverte sur l’article premier du chapitre premier du budget de la guerre. Il est ainsi conçu :
« Article premier. Traitement et indemnité du ministre : fr. 11,000 fl. »
La commission a proposé de diviser cet article en deux paragraphes, et de dire : « Traitement du ministre : fl. 10,000 ; indemnité de fourrage : 500 fl. »
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) consent à la division, mais en maintenant le chiffre pour l’indemnité de fourrage à 1,000 fl.
M. Brabant, rapporteur, demande la priorité pour l’amendement de la commission.
M. d’Huart fait observer que, si la réduction de la commission est adoptée, l’indemnité sera moindre pour le ministre de la guerre que pour un général de division ; il demande que le chiffre du projet du gouvernement soit maintenu.
M. Delehaye. - M. le ministre de la guerre n’est que colonel ; c’est en cette qualité que son indemnité est portée à 500 florins. Si M. le ministre devenait général, son indemnité augmenterait. L’honorable membre soutient, au reste, que le ministre a moins besoin de chevaux qu’un général de division.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, il est très pénible de devoir parler de soi, pour disputer quelques centaines de florins ; mais il faut bien que j’explique comment j’ai entendu le chiffre de 1,000 florins. Si j’ai porté ainsi une somme fixe, c’est que j’ai cru que le ministre ne devait pas être contrôlé pour ses chevaux, comme le sont tous les officiers de l’armée. Il m’a semblé qu’il ne convenait pas qu’un employé, sous mes ordres, exerçât un contrôle sur le chef de l’armée ; car, messieurs, il ne s’agit pas ici de mon grade, une fois ministre de la guerre, on n’est plus soumis à la hiérarchie des grades. Quant à la nécessité d’avoir des chevaux, le ministre est obligé de faire des inspections, et je crois que ce n’est pas trop que d’assimiler, pour l’indemnité de fourrage, le ministre de la guerre à un général.
M. Delehaye persiste dans sa première opinion.
M. d’Huart. - Nous ne connaissons pas, nous ne sommes pas censés connaître le grade du ministre ; nous devons ne voir que le ministre de la guerre, c’est-à-dire le chef de l’armée. (Aux voix ! aux voix !)
- La réduction proposée par la commission est mise aux voix et adoptée.
On passe à l’article 2 ainsi conçu :
« Art. 2. Traitement des employés : fl. 90,200. »
La commission propose, sur cet article, une réduction de 10,200 fl.
M. Tiecken de Terhove. - Messieurs, l’administration de la guerre peut devenir, d’un moment à l’autre, la plus importante de toutes ; je voudrais donc savoir de M. le ministre si la réduction proposée par la commission peut être faite sans nuire au service ; sa réponse dictera mon vote.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, on a cité dans cette discussion avec une si singulière complaisance, l’exemple des nations étrangères, pour établir que nos citoyens ne paient pas encore assez, que vous me permettrez bien de recourir au même moyen pour démontrer qu’ils paient trop. Ils paient trop, disons-nous, parce qu’on exagère les strictes nécessités publiques auxquelles nous avons bien mission de pourvoir, mais cependant sans qu’il nous soit permis de dépasser la limite des véritables besoins du pays.
On ne reproche pas au ministère Villèle d’avoir compromis les services publics par sa parcimonie dans la fixation des traitements. Il ne s’est fait faute de soulager les Benjamins qui exploitaient, pendant sa domination, les budgets de France, en leur donnant aux frais des contribuables tous les auxiliaires que la fainéantise de titulaires pouvait désirer, et que le service réclamait. C’est surtout pendant les années 1825, 1826 et 1827, que ce ministère a le plus scandaleusement abusé de son pouvoir, pour encombrer toutes les branches de l’administration de rouages sans objet, de sinécuristes à gros traitements, d’employés inutiles. C’est précisément cette bienheureuse époque, si chère aux « tax eaters » (mangeurs de taxes) de toute espèce, que j’adopte pour terme de comparaison. Je vous laisse à juger, messieurs, si M. le ministre de la guerre aurait bonne grâce à décliner ce choix.
Quel est le nombre et les classes d’employés qui, pendant 1826, ont travaillé en France au ministère de la guerre, et quel est le nombre et la catégorie d’employés dont notre ministre réclame l’assistance pour 1832 ? Voici, messieurs, les renseignements que je puise, non pas dans le budget de France (œuvre sujette à éventualités consistant en simples évaluations presque toujours exagérées, il est vrai, mais qu’il n’est pas précisément hors de toute impossibilité de voir entachée d’inexactitudes en un sens tout opposé, et qu’ainsi on pourrait récuser), mais renseignements pris dans les comptes de 1826, réglés en 1828, qui ne représentent que des résultats certains, avérés, immuables et irrécusables.
Voici ce que j’y trouve. En France, il y avait un seul chef de division ; chez nous, il y aura un seul sous-chef de division, au traitement de 2,500 fl. Je l’admets au traitement de 5,000 fr. Ce chiffre nous éloigne singulièrement de l’échelle adoptée pour les employés par la chambre des comptes. Un conseiller n’a que 2,500 fl., et un chef de division que 1,500 fl. Je n’insiste pas sur cette disproportion. Je prétends enlever à M. le ministre de la guerre tout prétexte de plainte ; ainsi 5,000 francs.
En France, il y a eu 24 chefs de bureau : chez nous l’on en réclame 12 à 1,500 fl. Evidemment, il y a luxe dans cette proportion de la juste moitié. Cette vérité ressort encore davantage de la comparaison que nous ferons entre le nombre des chefs avec celui des employés qui leur sont subordonnés. En portant les chefs de bureau à cinq, nous sommes encore hors de toute proportion avec la France, et, en allouant 3,000 fr. au lieu de 1,500 fl. (lorsqu’à la chambre des comptes les employés de même grade n’obtiennent que 700 fl.), nous obtenons pour cet article 15,000 fr. au lieu de 18,000 fl.
En France, à chaque bureau on a adjoint deux sous-chefs, dont le nombre est par conséquent le double de celui des chefs de bureau, et s’élève ainsi à 48. Cette marche est rationnelle. Chez nous, on procède au rebours de toutes les nations, en donnant seulement 9 sous-chefs à 12 chefs de bureau. Pour établir le rapport nécessaire entre ces deux classes, il me semble qu’on ne peut conserver plus de 8 sous-chefs à 2,400 francs au lieu de 1,200 fl. Que demande M. le ministre, et il est à remarquer que des employés de cette catégorie ne semblent pas avoir plus de 7 à 800 fl. à la chambre des comptes. Cet article se trouvera réduit de 10,500 florins à 19,200 francs.
En France, les 71 chefs ou sous-chefs de bureau avaient en sous-ordre 348 commis, c’est-à-dire, messieurs, pour terme moyen, chacun 5 employés. Chez nous, nous en avons 25 à 1,000 fl. et 30 à 700 fl. ou cinq commis pour deux chefs. Il y a donc luxe quant au nombre des employés ; il y a prodigalité évidente dans le traitement, puisque, d’une part, il y a une trop faible différence entre celui qui est assigné à ceux de première classe et leur chef immédiat ; que, de l’autre, 700 gros florins c’est beaucoup trop pour de simples expéditionnaires, lesquels se contentent à la chambre des comptes de 4 à 600 fl.
Mais tous les commis du département de la guerre ne sont pas des copistes ; le budget ne fournit pas des renseignements suffisants pour asseoir une opinion à cet égard. Mais, d’après ce que je viens d’exposer, il semble qu’on peut hardiment réduire le nombre des premiers commis de 25 à 20 ; et, en supposant maintenant qu’il faudrait élever le nombre des commis inférieurs et des copistes en les portant de 30 à 40, il semble qu’on pourvoir à toutes les exigences. Pour les commis de première classe qui, à la chambre des comptes, n’ont que 800 fl., au plus 2,000 fr., c’est un très honnête salaire. En allouant à ceux de la deuxième classe, qui se compose en partie de simples expéditionnaires, un traitement moyen de 1,200 fr., ce traitement doit paraître plus que suffisant. A ce taux, tout l’article s’élèvera à 88,000 francs.
Enfin, en France, au service d’un personnel de 423 employés de tout grade, sont attachés 94 gens de service, c’est-à-dire exactement deux pour neuf employés. Chez nous, il y en a 17 pour un personnel de 77 employés, ce qui est à peu près dans la même proportion que chez nos voisins. Mais, chez nous, ils coûtent d’abord en traitement 8,900 fl., plus, en articles additionnels dans une autre subdivision du budget, 1,500 fl., ensemble 10,400 fl., ou plus de 22,000 fr., et donnent ainsi, pour terme moyen, 1,300 fr. par an. A Paris, messieurs, les 94 gens de peine, huissiers, courriers, etc., du ministère de la guerre, figurent au compte de ce département pour 97,000 fr. ou 1,030 fr. par tête. Il semble qu’on peut fort bien réduire leur traitement, à Bruxelles, au taux moyen de 1,000 fr., ou 17,000 fr. en masse.
En somme, nous trouvons 144,200 francs ou environ 68,000 fl. Je propose d’allouer au budget 74,000 fl., en y comprenant le traitement du secrétaire du département, qui figure au budget pour 4,000 fl. Vous voyez, messieurs, que le service sera convenablement assuré, et que, s’il y a à redire à ma proposition, c’est qu’elle ne réduit pas suffisamment le chiffre du budget.
Elle ne le réduit pas assez ; car, bien évidemment, le nombre des chefs et sous-chefs de bureau, tel que j’ai l’honneur de vous proposer de le fixer, est exagéré, comparativement au ministère de la guerre en France, et comparativement au nombre de leurs employés. Mes calculs sont exagérés quant au nombre des commis, que je propose d’augmenter de 10, si, ailleurs, je le réduis de 5. Ils sont exagérés à l’égard du personnel des gens du service ; car il faut convenir, messieurs, que c’est insulter aux malheurs de la nation que d’attacher à moins de 9 employés 2 hommes de service. Mes calculs sont exagérés à l’égard du traitement de plusieurs employés, de presque tous les employés ; car, messieurs, remarquez-le bien, à l’exception des copistes qu’on doit pouvoir se procurer à meilleur marché que 700 gros florins, et même que les 1,200 fr. que nous vous proposons de leur allouer, le traitement que M. le ministre réclame n’a subi, dans ma proposition, d’autres réductions que celle qui résulte de la conversion des florins en francs, par le simple doublement des chiffres.
Cependant toutes ces modifications réunies font une somme totale de 7,500 florins : la contribution foncière de plus d’une ville et bourg ne s’élève pas à une somme plus forte. Tous les impôts réunis de 2 à 3 villes dans une province les plus riches n’excèdent pas cette somme. Elle surpasse peut-être le contingent annuel en contributions de 5 ou 6 communes du grand-duché. Messieurs, sera-t-il dit que la représentation nationale aura imposé le grand nombre si malheureux, dont se composent nos populations, pour conserver huit employés inutiles, disposer 69 autres fort largement rétribués d’ailleurs, et qui se dérobent presque à toutes nos contributions du léger impôt de 5 1/2 p. c. de ce qu’ils touchent au trésor ?
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, dans la comparaison que l’honorable préopinant vient de faire entre les employés du ministère de la guerre en France et du nôtre, je ne vois figurer que les employés non militaires, et non les officiers qui travaillent au ministère en France et qui touchent le traitement de leur grade dans l’état de solde de l’armée. Pour que la comparaison dût juste cependant, il aurait fallu compter le nombre de ces officiers. Il faut remarquer, d’ailleurs, que le budget français, qu’on a cité, était fait pour un temps de paix, tandis qu’ici nous sommes en état de guerre, et nous avons eu à créer toute une armée. Il ne suffit pas, au reste, de savoir ce que coûte en France l’administration centrale, pour la comparer à la nôtre ; car, en France, il faudrait compter les frais de l’intendance militaire, qui est réunie, chez nous, à l’administration centrale. Je le déclare, du reste : il me serait impossible d’assurer le service avec les réductions proposées. Jusqu’au premier janvier dernier, tous les employés de mon département ont travaillé depuis neuf heures du matin jusqu’à onze heures et minuit, et aujourd’hui encore le secrétaire-général et quelques employés ne quittent pas leurs bureaux avant onze heures du soir.
L’honorable membre a parlé d’expéditionnaires et de gens de service. Ici il y a une fausse dénomination dans le budget ; elle existait avant moi, et je l’ai laissée, parce qu’au fond la chose est indifférente. Il n’y a pas d’expéditionnaires au ministère de la guerre, car les circulaires se font toutes par la lithographie ou la chalcographie. On comprend, sous le nom d’expéditionnaires, des employés chargés de tenir des agendas ou des répertoires, et des employés chargées aussi de la rédaction, et qui travaillent sous un chef de bureau. Quant aux gens de service, le préopinant compte mal à propos comme tels cinq lithographes et graveurs du ministère de la guerre.
Quant aux traitements en eux-mêmes, et notamment celui du secrétaire-général, qui travaille 12 ou 13 heures par jour, il est impossible de les réduire. Le secrétaire-général n’est pas un employé qui fasse son travail en 5 ou 6 heures ; c’est au contraire l’homme nécessaire du ministère, qui doit connaître tous les détails de l’administration, à qui rien ne doit être étranger ; sans quoi vous rendriez impossible le changement de ministre ; car lorsqu’un ministre se retire, c’est le secrétaire-général qui doit mettre son successeur au fait de tout. Les chefs de bureau à 2,400 florins ne sont pas non plus trop rétribués, et les autres employés le sont dans un juste proportion. Sous le gouvernement hollandais, sans compter le traitement des officiers qui travaillaient au ministère, et en tenant compte des 10,000 fl. accordés comme indemnité au prince Frédéric, le ministère de la guerre coûtait 145,000 fl. en temps de paix, pour une armée de 35,000 hommes seulement. Nous en avons, nous, 80,000, et par conséquence un grand surcroît de travail, surtout à cause de la précipitation qu’il a fallu mettre dans l’organisation.
M. dElhoungne. - M. le ministre m’a fait remarquer qu’il y avait en France des officiers occupés au ministère de la guerre, et j’aurais dû, dit-il, les compter ; mais, chez nous aussi, il y a des officiers d’état-major au ministère, et que je n’ai pas comptés. Ainsi, sous ce rapport, il n’y a rien à dire contre ma demande. Si j’ai compris les lithographes dans les gens de service, c’est à cause de la modicité de leurs appointements ; mais j’ai prouvé que la moyenne du traitement des gens de service s’élève à 1,300 francs chez nous, et à 1,030 francs seulement en France. Le ministre a parlé du secrétaire-général ; je n’avais pas dit un mot du traitement de ce fonctionnaire, dont je reconnais toute l’utilité. Remarquez, en effet, messieurs, que mes calculs n’ont porté les dépenses qu’à 68,000 fl. ; ajoutez-y 4,000 fl. pour le secrétaire général, vous aurez un total de 72,000 fl., et je propose d’en allouer 74,000 fl. Mais, dit le ministre, sous le gouvernement hollandais, il en coûtait beaucoup plus. Messieurs, sans les abus invétérés qui régnaient sous l’ancien gouvernement, la révolution n’aurait pas eu lieu : n’en laissons pas s’introduire chez nous, si nous voulons en rendre une nouvelle impossible.
- Après une réplique de M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere), on entend M. Brabant et M. Leclercq, qui soutiennent la rédaction proposée par la commission ; M. Jamme, qui prétend qu’il faut voter au ministère une somme globale au moyen de laquelle le ministre se procurerait les employés nécessaires, et M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux), qui combat toute réduction.
- L’amendement proposé par M. d’Elhoungne est mis aux voix et rejeté.
La réduction proposée par la commission est ensuite adoptée.
La séance est levée à quatre heures et demie.