(Moniteur belge n°198, du 30 décembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à onze heures et demie.
M. Jacques fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal, qui est adopté.
M. Jacques analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. Seron écrit que ses affaires lui imposent l’obligation de s’absenter, et qu’il est bien fâché de ne pouvoir donner son vote négatif au budget des voies et moyens. (On rit.)
L’ordre du jour appelle la discussion sur le projet de loi relatif à la prolongation du service du premier ban mobilisé de la garde civique.
M. Milcamps a la parole sur l’ensemble. Il s’exprime ainsi. - Messieurs, le projet de loi pour la mobilisation du premier ban de la garde civique, présenté par le gouvernement, me paraissait s’éloigner dans un point de cette clarté si nécessaire dans les lois, en ce que, d’après les articles 2 et 8 de ce projet, un doute pouvait s’élever si ces articles avaient pour objet d’autoriser le gouvernement à retenir sous les drapeaux les gardes en activité de service qui auraient atteint au 1er janvier leur 31ème année.
La section centrale semble avoir interprété dans ce sens les deux articles, et, par un amendement qui est l’objet de l’article 2 de son projet, elle propose, d’une manière claire, de maintenir en activité de service les gardes actifs qui, le 1er janvier, atteindront leur 31ème année.
Mais cet amendement sape dans sa principale base le système d’organisation de la garde civique, je veux dire la division en trois bancs, en même temps qu’il est contraire aux principes d’égalité que nous ne devons jamais perdre de vue.
Il ne me faudra pas faire de bien grands efforts pour justifier cette proposition.
En temps de guerre, la garde civique se divise en trois bancs (article 43 de la loi générale du 31 décembre 1830.)
Le premier ban est composé des célibataires ou veufs sans enfants, qui n’ont pas atteint leur 31ème année le 1er janvier (article premier de la loi organique du 18 janvier 1831, qui n’est que la répétition de l’article 44 de la loi générale.)
Ainsi, dès qu’un habitant du royaume a atteint sa 31ème année, il appartient de droit au deuxième ban.
Le décret du congrès national du 4 avril 1831 a autorisé le gouvernement à mobiliser le premier ban jusqu’au 31 décembre, sans que le service de ce premier ban pût être prolongé au-delà.
Sans doute, la législation actuelle peut accorder une nouvelle autorisation, même pour appeler les gardes successivement, et autant que le besoin se fera sentir. Mais, remarquez-le bien, messieurs, cette autorisation ne peut porter que sur le premier ban. Cela est si vrai que, d’après l’article 46 de la loi générale, « le second ban n’est appelé à servir activement que quand le premier est mobilisé, » et ce terme mobilisé dans le sens de l’article signifie mis en activité.
Or, le projet de la section centrale a non seulement pour objet d’autoriser la mobilisation du premier ban, mais aussi de maintenir en activité une fraction du deuxième ban. Ainsi, voilà une fraction du deuxième ban qui va servir activement, même avant la mise en activité du premier ban. Car, messieurs, dans la pratique, la mobilisation et la mise en activité ne sont pas des expressions synonymes.
A la vue de ce projet, je me demande si les circonstances sont tellement graves qu’elles rendent nécessaire de maintenir dans les cadres de l’armée cette fraction du deuxième ban, qui doit être bien faible, puisqu’elle n’est censée être que du dixième des gardes de cet âge en activité de service. Je me demande su le salut de l’Etat tient à cette mesure : car le salut de l’Etat seul pourrait la justifier. Je désire que le ministre qui, dans son projet, ne me paraît pas avoir été aussi loin que la section centrale, donne des explications sur ce point ; ces explications seules pourront déterminer mon vote.
J’allais, messieurs, prouver que le projet de la section centrale, en ce qui concerne cette fraction du deuxième ban, était contraire aux principes d’égalité ; mais énoncer cette proposition, c’est suffisamment la justifier.
M. Dellafaille. - Permettez-moi, messieurs, de réclamer un moment votre attention, pour vous dire brièvement quelques mots sur les remarques dont le projet qui vous occupe a été l’objet dans la section à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, et sur un doute qu’un amendement de la section centrale a élevé dans mon esprit.
Je regrette d’abord que la section centrale ait rejeté l’amendement que nous avions proposé à l’unanimité, pour substituer le tirage au sort par compagnie à celui par bataillon. Nous avions eu en vue de rétablir, autant que possible, l’égalité dans cette charge imposée aux citoyens. D’après le projet, il arrivera que le premier ban de tel canton sera appelé tout entier sous les drapeaux au service. Notre amendement, je l’avoue, n’atteignait pas complètement le but : car, pour être rigoureusement juste le tirage devrait s’effectuer par individu ; mais du moins il s’en rapprochait autant que la chose peut se faire. Nous avons encore pensé qu’il aurait été plus juste d’appliquer aux corps déjà mobilisés du premier ban les dispositions relatives à ce tirage ; mais ici on a pu, je crois, consulter l’intérêt de l’Etat et conserver des corps déjà exercés, qui dans peu pourront rivaliser avec la troupe de ligne, sans commettre d’injustice, puisque le gouvernement tenait de la loi le droit de mobiliser telles portions de la garde civique qu’il aurait jugé convenable. Mais la section centrale a, en outre, introduit une disposition qui à mes yeux n’a pas la même excuse, je veux parler de celle qui retiendrait au service les hommes qui ont accompli leur 31ème année. Dans la milice la loi est formelle ; le licenciement quinquennal n’a lieu qu’en temps de paix ; mais, en entrant au corps, le milicien sait d’avance que, dans un cas donné, son service peut et doit être prolongé aux termes de l’acte législatif qui l’appelle et règle son congé. Ici, messieurs, en est-il de même ? L’article 43 de la loi du 31 décembre 1830, ni l’article premier de la loi du 18 janvier 1831, ne font aucune distinction entre l’état de paix ; bien plus, la loi suppose le premier cas, puisque c’est seulement alors que la garde se divise en bans ; elle place hors du premier ban et classe formellement dans le second tout garde qui, au 1er janvier, a atteint sa 31ème année. Pouvez-vous, par une disposition transitoire, donner à la loi que vous porterez un effet rétroactif ? L’utilité publique ne justifie même pas cette mesure. Il y a, si je ne me trompe, environ 20,000 gardes civiques sous les drapeaux : en évaluant au dixième la dernière classe, quoique ce nombre soit beaucoup trop fort, puisque la classe des célibataires âgés de 31 ans est bien moins nombreuse que celle de 21 ou 22, vous trouverez 2,000 hommes que cette mesure rétroactive retiendra au service. Je vous le demande, messieurs, l’utilité de conserver un nombre d’hommes aussi faible, le cinquantième à peine de l’armée, peut-elle justifier cette disposition que je n’hésite pas à qualifier d’injuste ? J’ai cru, messieurs, devoir mettre sous vos yeux ces considérations. Je voterai pour le projet du gouvernement, mais contre l’amendement de la section centrale, et, à moins qu’on ne m’ait démontré mon erreur, je croirai devoir voter contre la loi.
M. Jullien. - La sixième section, dont je faisais partie, avait reconnu que deux difficultés graves s’élevaient à l’occasion du projet : la première était la question de savoir comment le gouvernement entend interpréter la disposition qui autorise les gardes, ayant leur 31ème année, à passer dans le deuxième ban au 1er janvier ; d’après les dispositions de l’article premier du décret du 18 janvier 1831 ; la seconde consiste à savoir quel serait le sort des remplacés dont les contrats, passés en vertu du décret du 4 avril 1831, échoueront le 31 décembre prochain.
Pour résoudre ces difficultés, la section centrale a appelé dans son sein les ministres de la guerre et de l’intérieur, et je vous demande la permission de vous lire la décision qu’elle a adoptée. (Ici l’orateur lit un passage du rapport de la section centrale.)
Ainsi, vous le voyez, messieurs, quant à la première difficulté, la section centrale vous a proposé de concert avec MM. les ministres, un article pour suppléer au silence de la loi ; mais, quant à la seconde question, elle l’a laissée indécise, parce qu’elle a pensé que cette question devait être laissée au pouvoir judiciaire. Mais passer à côté de la difficulté, ce n’est pas la résoudre.
L’orateur fait sentir dans quel embarras vont se trouver ceux qui ont contracté avec des remplacements pour un temps déterminé, dans la foi que leur service ne serait obligé, aux termes de la loi, que jusqu’au 31 décembre, et il demande que la chambre fasse connaître leurs droits aux remplaçants et aux remplacés.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Toutes les observations que vous venez d’entendre seraient parfaitement justes si elles ne partaient pas d’un principe erroné. J’aurai l’honneur de démontrer, lors de la discussion de l’article 2, auquel elles se rattachent, qu’elles reposent sur une fausse base.
Après une légère discussion dans laquelle sont encore entendus M. Leclercq, M. d’Elhoungne et M. Dumortier, la clôture sur l’ensemble est adoptée, et l’on passe à l’article premier ainsi conçu :
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à prolonger le service du premier ban de la garde civique mobilisé jusqu’à la conclusion de la paix avec la Hollande. »
M. H. de Brouckere. - Il me semble qu’il y a ici une très grande difficulté. Le décret du gouvernement provisoire ne mobilisait pas par lui-même ; seulement il autorisait le gouvernement à mobiliser toute une partie de la garde civique. Or, il n’y en a qu’une partie de mobilisée : si nous décidons qu’il n’y aura prolongation de service que pour ce qui est mobilisé, il en résultera que le gouvernement se trouvera lié pour la partie qui ne l’est pas.
M. Destouvelles. - Toute la garde civique a été mobilisée ; mais il faut un arrêté du Roi pour la mettre en activité.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je dois faire observer à la chambre que toute la garde civique a été d’abord mobilisée par un arrêté ; mais une partie seulement a été mise en activité.
M. Dumortier appuie ce raisonnement, et trouve la rédaction parfaitement claire.
M. Leclercq cite les articles 3 et 8 du projet, et trouve qu’en les combinant ensemble on fait disparaître la difficulté ; car il en résulte que la disposition n’est applicable qu’aux portions de la garde civique qui ne sont pas en activité.
M. Milcamps. - Je crois que toute la difficulté provient de ce que les lois sur la garde civique ne parlent pas d’activité. Ce n’est que plus tard qu’on a employé ce terme, quand il devint nécessaire de payer les gardes.
M. Dumont propose de substituer cette rédaction à celle du projet : « Le terme fixé par l’article 4 du décret du congrès national sur la mobilisation de la garde civique est prorogé jusqu’à la conclusion de la paix avec la Hollande. »
M. Dumortier. - Il suffit de lire les considérants du projet pour rejeter cet amendement. Je vote pour l’article de la section centrale.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Comme l’ont dit plusieurs orateurs, le décret du congrès national ne mobilise pas la garde civique ; il ne fait qu’autoriser le gouvernement à prendre cette mesure ; mais par un arrêté du 1er août, toute la garde civique a été mobilisée. La mobilisation, c’est uniquement la séparation des bans. Il n’y a donc pas de difficulté.
M. Gendebien. - Il me semble que, si l’on avait adopté la proposition de la quatrième section, on serait parfaitement clair : elle consistait à insérer dans la loi les trois premiers articles du décret du congrès national. (L’orateur lit ces trois articles, et demande qu’ils soient mis en délibération.)
M. H. de Brouckere. - Il me semble qu’il vaudrait mieux dire : « Les articles 1, 2 et 3 du décret du congrès national restent en vigueur.
M. Gendebien insiste pour sa proposition.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Si l’amendement changeait quelque chose à l’esprit d la loi, je ne m’y opposerais pas ; mais il n’y apporte réellement aucune modification, et, s’il est adopté, il retardera le vote de la loi.
M. Dumortier ne croit pas que toute la garde civique soit mobilisée ; il n’y en a qu’une portion qui, selon lui, soit à la disposition du gouvernement. Cependant toute la garde civique fait l’exercice. Quant à l’amendement de M. Gendebien, je le crois inutile.
M. Bourgeois propose une autre rédaction ainsi conçue : « Le gouvernement est autorisé à proroger le service de la garde civique, limité par l’article 4 du congrès, jusqu’au 31 décembre. » Il y renonce ensuite.
M. Goethals, M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) et M. Destouvelles demandent le maintien de l’article premier.
M. Delehaye. - Je vote contre l’article ; car il parle de service, et une grande partie de la garde civique, par exemple, la légion dont je suis colonel, n’en fait pas.
M. Gendebien. - On a beau dire, je ne vois pas que l’article soit clairement rédigé, et il pourrait occasionner de très grands malheurs. Tout le monde se rappelle la résistance des gardes civiques du Hainaut, qui eut lieu par suite d’une disposition législative mal conçue. Ces rixes ont fait le plus mauvais effet à l’étranger ; car on soupçonnait les gardes civiques de n’agir ainsi que par défaut de patriotisme, tandis qu’eux croyaient agir en vertu de la loi. Il n’y a aucun inconvénient à insérer les articles du décret du congrès national, et vous éviteriez par là de nouvelles rixes.
M. Jullien appuie ces observations et vote pour l’amendement.
- Après quelques nouvelles observations de M. le ministre de la justice (M. Raikem), M. Coppens et M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere), sur la question de savoir si toute la garde civique est mobilisée, on met aux voix la proposition de M. Gendebien, qui est rejetée après l’épreuve et la contre-épreuve.
L’amendement de M. Dumont est également rejeté.
L’article premier de la section centrale est adopté sans modification.
« Art. 2. Par dérogation à l’article premier du décret du 18 janvier 1831, les gardes civiques en activité, qui, au 1er janvier prochain, auraient atteint leur 31ème année, resteront sous les drapeaux jusqu’au licenciement de leur bataillon. »
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) propose de retrancher les mots « par dérogation à l’article premier du décret du 18 janvier 1831. »
L’orateur examine les questions dont a parlé M. Jullien ; il cite plusieurs articles du décret du congrès national et de celui du 4 avril 1831 ; il s’attache ensuite à démontrer que, si les gardes civiques qui sont le premier ban pouvaient passer dans le second, dès qu’ils auraient atteint leur 31ème année, il en résulterait une grande désorganisation : d’ailleurs, le décret ne détermine pas la manière dont on sort du premier ban, et le congrès national a entendu que le premier ban, qui est destiné à maintenir l’inviolabilité du territoire, accomplît sa mission jusqu’au bout, et ne se retirât pas au moment du danger. En outre, l’article 4 du congrès porte : « à moins qu’une loi n’en décide autrement, » et c’est une disposition qui en décide autrement qu’a l’honneur de proposer M. le ministre. Il compare la loi sur la garde civique à celle sur la milice, et il tire de cette comparaison la preuve que les membres du premier ban sont tenus de continuer leur service, même après avoir atteint leur 31ème année, en cas de guerre.
M. Jullien. - A entendre M. le ministre, on dirait que la garde civique est comme l’antre d’un lieu, c’est-à-dire que l’on sait quand on y entre, et non quand on en sort.
Cependant tout le monde a bien compris qu’on reste dans le premier ban jusqu’à l’âge de 31 ans, et que, passé cet âge, on entre dans le second ban. L’orateur répond encore à ce qu’a dit M. le ministre sur la prétendue désorganisation que cela occasionnerait. Il vote contre l’article 2, car il viole évidemment la loi sur la garde civique. On parle sans cesse d’urgence, mais il ne faut pas que la presse fasse adopter à la chambre des dispositions injustes.
M. Milcamps cite aussi plusieurs articles du décret du congrès, et il soutient, comme M. Jullien, que les gardes civiques ayant atteint l’âge de 31 ans peuvent passer dans le second ban ; car si la manière de voir de M. le ministre est juste, il en résulterait qu’ils seraient forcés de rester pendant vingt ans dans le premier ban, si le cas de guerre continuait pendant ce temps.
- La discussion se prolonge. Sont encore entendus pour M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux), M. Dumortier, M. Bourgeois, M. H. de Brouckere, et contre M. Fleussu, M. Delehaye et M. Destouvelles.
Enfin, M. Gendebien propose de retrancher l’article 2, parce qu’il en résultera que, d’après la loi sur la garde civique, les membres du premier ban seront tenus de rester sous les armes jusqu’au 1er mars.
- Cette proposition est appuyée par M. Devaux et M. Destouvelles.
Après quelques observations de M. Milcamps, elle est mise aux voix et adoptée.
En conséquence, l’article 2 est retranché de la loi.
L’article 3 devient l’article 2 ; il est adopté sans discussion, ainsi que les suivants, en ces termes :
« Art. 3 (qui prend le numéro 2). La mise en activité d’une partie de la garde civique aura lieu, dans chaque province, proportionnellement au nombre des gardes de tout le royaume, sans cependant fractionner les compagnies. »
« Art. 3. Un tirage au sort, fait publiquement par le gouvernement de la province, en présence de la députation des états et les chefs de bataillons présents ou dûment convoqués, aura lieu dans chaque province, pour déterminer l’ordre dans lequel les divers bataillons de la garde civique pourront être successivement mis en activité. »
« Art. 4. Lorsqu’une partie seulement d’un bataillon sera appelé pour compléter le nombre des compagnies demandé par le gouvernement, au tirage au sort, effectué de la manière prescrite par l’article précédent, indiquera la compagnie ou les compagnies qui seront mises en activité. »
« Art. 5. Les bataillons ou les compagnies qui, dans ce tirage, auront obtenu les numéros les moins élevés, seront appelés les premiers. »
M. Milcamps propose de placer ici un article additionnel, qui serait ainsi conçu :
« La déclaration de changement de domicile, faite aux termes des articles 1 et 10 du décret du 22 juin 1831, ne dispensera pas les officiers, sous-officiers, caporaux et gardes de servir activement dans les compagnies auxquelles ils appartenaient au moment du tirage.
L’honorable membre développe cet article additionnel. - Messieurs, j’ai puisé dans les articles 1 et 10 du décret du 22 juin 1831, et dans les leçons de l’expérience, l’utilité, ou plutôt la nécessité de l’amendement que j’ai l’honneur de proposer au projet de loi soumis à votre discussion.
D’après ces deux articles, les officiers, sous-officiers, caporaux et gardes peuvent, au moyen d’une déclaration de changement de domicile, quitter les compagnies auxquelles ils appartiennent pour entre dans les compagnies de leur nouveau domicile.
Ainsi, si le sort désigne, comme devant être appelés en premier ordre, une ou deux compagnies de la ville de Bruxelles, et que ce même sort désigne, comme ne devant être appelés qu’en dernier ordre, une ou des compagnies de la ville de Nivelles (je ne cite ces deux villes que pour l’exemple), les officiers, sous-officiers, caporaux et gardes appartenant aux compagnies de Bruxelles, qui ne se soucieront pas de marcher les premiers, changeront de domicile, ou du moins pourront le faire : ita lex.
Messieurs, je vais avoir l’honneur de vous retracer ce qui est arrivé à une époque de triste mémoire.
On savait, dans une ville voisine, que le premier ban allait y être mis en activité, et que cette mise en activité du premier ban n’aurait pas lieu sous certaine commune rurale. Des officiers et des gardes de cette ville voisine, à qui le bruit du canon faisait peur, firent la déclaration de changement de domicile, et, pendant que ceux qui n’employèrent point cet expédient coururent à la défense de Louvain, ceux qui avait fait la déclaration demeurèrent tranquilles dans leur nouveau domicile.
Je ne crains pas de prédire que cet abus se renouvellera, et, à plus forte raison, après le tirage prescrit par le projet de loi. Quand on saura que les compagnies de telle ville doivent être appelées en premier ordre, et que celles de telle autre ville ne doivent l’être qu’en dernier ordre, il s’opérera, je vous en avertis, beaucoup de changements de domicile.
Mon amendement tend à prévenir cet abus.
Qu’on ne m’objecte pas que, du moment que le sort aura désigné l’ordre dans lequel les compagnies seront appelées, les hommes qui le composent au moment du tirage seront passibles de l’appel. Cela ne résulte nullement des dispositions du projet de loi, dont l’objet est de déterminer l’ordre dans lequel, non les individus, mais les bataillons et compagnies pourront être appelés.
Cela est si vrai que ce projet, hors l’article 2, ne trouble en aucune manière l’harmonie ni la marche du système général des lois sur la garde civique. Ainsi, les gardes qui ne sont pas actuellement en activité, continueront à passer à la réserve lorsqu’ils auront atteint leur 31ème année ou lorsqu’ils contracteront mariage ; mon amendement ne modifie pas non plus ce système général. Il n’empêchera point l’officier, le sous-officier et le caporal de donner leur démission chaque année, du 1er janvier au 25 février, et n’empêchera pas non plus le changement de domicile ; mais l’officier, le sous-officier, le caporal et le garde sauront qu’en changement de domicile, ils ne restent pas moins soumis, en cas que la patrie ait besoin d’eux, à servir activement dans les bataillons ou compagnies auxquels ils appartenaient au moment du tirage, si d’ailleurs, au moment de l’appel, ils ne sont pas passés à la réserve.
Mon amendement n’a d’autre objet que d’ôter tout moyen de frauder la loi et, sous ce rapport, j’ai cru qu’il méritait de fixer votre attention.
L’article additionnel est adopté. Il formera l’article 6 du projet.
L’article 7 est ensuite adopté sans discussion dans les termes suivants : « Dans les circonstances majeures et urgentes, le gouvernement est autorisé à s’écarter, pour la mise en activité de la garde civique, de la proportion du nombre des gardes entre les provinces, et de l’ordre du tirage au sort dans chaque province. »
« Art. 8. Les dispositions contenues dans les articles 2, 3, 4, 5 et 7 ne sont pas applicables aux portions de la garde civique qui se trouveront en activité de service au moment de la promulgation de la présente loi. »
M. Gendebien propose et développe un paragraphe additionnel à l’article 8. En voici la contexture :
« Néanmoins, si le gouvernement juge nécessaire d’augmenter le nombre des gardes actuellement en activité, il se conformera aux articles 2, 3, 4, 5 et 7, et il établira, entre les provinces et parties de provinces, la proportion fixée par l’article 2. »
- Cette addition et adoptée sans discussion.
La chambre adopte, enfin, l’article qui porte : « La présente loi sera obligatoire le 1er janvier prochain. »
M. le président. - Veut-on passer à l’appel nominal aujourd’hui ? (Oui ! oui ! Non ! non ! Il n’y a pas urgence !)
M. Barthélemy. - Messieurs, il faut que les doctrines cessent quand l’intérêt de l’Etat l’exige. Sous prétexte de ne pas violer le règlement, vous ajournez un vote qu’il est de l’intérêt de l’Etat d’émettre aujourd’hui. Mais cela est absurde : la chambre n’a pas fait un règlement inviolable ; elle a le droit d’y déroger quand les circonstances l’exigent.
M. Devaux. - Nous avons un règlement qui fait notre loi ; il faut l’observer et ne le violer sous aucun prétexte ; mais il n’y a pas même ici nécessité de violer le règlement. Rien n’empêche de présenter la loi au sénat, quoique nous ne l’ayons pas votée. (Dénégations.) Oui, messieurs, on peut présenter la loi au sénat ; rien n’empêchait le gouvernement de présenter la loi simultanément aux deux chambres, et ce droit lui appartient encore aujourd’hui. Ainsi on aura tout le temps de voter la loi avant le 1er janvier. Si on croyait avoir le droit de violer le règlement, on pourrait dire aussi qu’on a celui de violer la loi.
M. Gendebien. - Nous ne trouvons dans aucun article de la loi aucune disposition qui permette de la violer ; et je ferai observer à M. Devaux qu’on ne pourrait pas présenter la loi au sénat avant le vote de cette chambre, parce que cette loi est relative au contingent de l’armée, et tout ce qui est relatif au contingent de l’armée, aussi bien que les lois de finances, doit d’abord être voté par cette chambre. Je sais bien que le règlement est le palladium de la minorité ; et, comme j’ai depuis quelque temps le malheur ou le bonheur d’être de la minorité, je désire autant que personne qu’il soit exécuté. Mais je sais me plier aux circonstances, et il en est de telles où il est nécessaire de passer par dessus le règlement. Je suis donc d’avis qu’on passe à l’appel nominal ; car je ne suis pas de ces doctrinaires qui laisseraient périr l’Etat plutôt que de violer le règlement.
M. Jullien. - Je demande qu’on déclare passer à l’appel nominal, vu l’extrême urgence ; ainsi on ne pourra pas aller chercher des antécédents dans ce qui s’est passé hier et aujourd’hui, et j’espère que les ministres ne mettront plus la chambre dans la nécessité où elle se trouve de recourir à ce moyen extrême.
M. Devaux. - On vient de dire, messieurs, qu’il s’agissait dans la loi du contingent de l’armée ; c’est une erreur : il ne s’agit pas même du contingent de la garde civique. Il n’est question que d’autoriser l’Etat à prolonger la mobilisation de cette garde, et cela n’a aucun rapport à la fixation du contingent. Au reste, fût-elle relative au contingent, cela n’empêcherait pas de porter la loi au sénat, car la constitution exige que nous votions avant le sénat, mais c’est tout ce qu’elle exige. Or, nous pourrons toujours la voter avant le sénat. Je suis fâché que cette opinion de doctrinaire déplaise à certaines gens ; mais, pour doctrinaire, je le suis, et je plains ceux qui ne le sont pas ; car n’avoir pas de doctrines, c’est n’avoir pas de principes.
M. Dumont insiste pour qu’on ne viole pas le règlement ; il soutient que la loi pourrait être votée même le 3 janvier, parce qu’on pourrait la faire rétroagir, pour empêcher les gardes qui sont sous les drapeaux de les quitter.
M. Van Meenen soutient qu’en déclarant l’urgence, la chambre a le droit de voter la loi, et il est d’avis que la circonstances est assez pressante pour cela.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Quand il serait possible de faire rétroagir la loi, je ferai observer à M. Dumont que, le 1er janvier, le gouvernement n’aura plus le droit de retenir les gardes sous les drapeaux si la loi actuelle n’est pas votée.
- La question de savoir si on votera, vu l’extrême urgence, est mise aux voix, et résolue affirmativement.
On procède à l’appel nominal, dont voici le résultat : membres présents, 71 ; oui, 61 ; non, 1 ; 9 membres se sont abstenus ; ce sont MM. Devaux, Dumortier, Jacques, Lebeau, Nothomb, Pirmez, Verdussen, Coppens et Dumont.
Tous, à l’exception de M. Coppens, de l’abstention duquel nous n’avons pu saisir les motifs, ont déclaré s’être abstenus, parce qu’ils ne croyaient pas qu’il y eût nécessité de violer le règlement.
M. Barthélemy. - Je demande la parole pour prévenir la chambre que je proposerai au règlement un article additionnel, par lequel, lorsque des membres se seront abstenus par des motifs semblables à ceux qui viennent d’être allégués, ils seront censurés. (Rires et légers murmures.) Sous ce prétexte, si nous n’avions été que 52 membres présents, il n’y aurait pas eu de vote légal. Quand la chambre a décidé que l’on votera, il faut répondre par oui ou par non. (Agitation.)
M. Jullien. - Il sera temps de s’occuper de cela quand M. Barthélemy fera sa proposition.
L’ordre du jour appelle la discussion sur la loi relative au contingent de l’armée.
Personne ne demande la parole sur l’ensemble ; l’article premier est adopté sans discussion en ces termes : « Le contingent de l’armée sur le pied de guerre, pour 1832, est fixé à 80,000 hommes, non compris la garde civique. »
L’article 2 est ainsi conçu : « Le contingent de la levée de 1833 est fixé à un maximum de 12,000 hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »
Cet article est adopté après quelques explications peu importantes échangées entre M. Mary et M. Gendebien, et M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere), desquelles il résulte que le gouvernement n’est dans l’intention d’appeler l’entier contingent de 12,000 hommes sous les drapeaux que dans le cas d’urgente nécessité.
L’article 3 est ensuite adopté sans discussion dans les termes suivants : « Une loi fixera ultérieurement le contingent de l’armée sur le pied de paix. »
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) propose et la chambre adopte un quatrième article ainsi conçu :
« La présente loi sera exécutoire le 1er janvier prochain. »
Ce quatrième article, considéré comme un amendement, empêche la chambre de voter sur l’ensemble de la loi.
L’ordre du jour appelle la discussion sur le crédit provisoire à accorder au ministre de la guerre.
M. le président lit l’article unique du projet, qui porte qu’un crédit de 2 millions de florins est accordé à M. le ministre de la guerre pour les dépenses du mois de janvier.
M. de Nef. - Messieurs, si je prends la parole, à l’occasion du crédit demandé par M. le ministre de la guerre, c’est moins pour en faire la critique que pour vous soumettre quelques considérations générales. Je reconnais volontiers que lorsque toutes les craintes de guerre auront disparu, et qu’il s’agira de mettre économiquement l’armée sur le pied de paix, M. le ministre de la guerre rencontrera certainement dans cette opération beaucoup de difficultés ; j’espère cependant qu’alors la même activité qui a été déployée pour mettre l’armée sur le pied de guerre présidera aussi à la réduction sur le pied de paix, que des économies ultérieures pourront encore être introduites successivement, et qu’à l’avenir une publicité suffisante dans les adjudications empêchera des marchés aussi onéreux que ceux qui ont été contractés jusqu’au 31 décembre 1832, et qui ne peuvent être excusés que par la force des circonstances dans lesquelles M. le ministre de la guerre s’est trouvé placé.
L’existence de ces marchés onéreux, de ces bénéfices immenses par un entrepreneur, m’oblige encore à renouveler une réclamation, que j’ai déjà faite précédemment, à charge du ministère de la guerre. Je veux parler, messieurs, de ces habitants des frontières qui ont été chargés de nourrir nos volontaires depuis le mois d’octobre 1830 jusqu’au février 1831, dans un temps où le gouvernement ne faisait aucune fourniture de vivres, et où les entrepreneurs, ne voyant pas des bénéfices certains, avaient soin de se tenir à l’écart.
Quelques-uns de ces habitants, et notamment de la Campine, ont été forcés de se priver du plus strict nécessaire pour faire face à une charge aussi accablante. A la vérité, plusieurs d’entre eux ont été payés de leurs créances ; mais beaucoup d’autres ont vu leur réclamation repoussées à défaut de certaines formalités. Cependant n’aurait-on pas dû considérer qu’à cette époque, où les chefs de corps changeaient à chaque instant, il était impossible de se procurer des titres réguliers ? Ne sait-on pas d’ailleurs qu’il y avait alors des volontaires, et que ce n’était pas le gouvernement qui les nourrissait ? Pourquoi enfin refuser toute confiance aux assurances et déclarations données par les administrations communales ?
Ces réclamations à charge du ministère de la guerre me paraissent tellement justes et équitables, que je ne puis cesser de les faire valoir, surtout quand je vois d’autres personnes s’enrichir aux dépens de ce même ministère.
Il serait plus que temps, messieurs, de venir au secours de ces malheureux habitants des frontières, qui ont encore supporté presque exclusivement les charges de la déloyale invasion des Hollandais au mois d’août dernier, et dont ils ont également droit d’être indemnisés.
J’espère donc que M. le ministre de la guerre trouvera les moyens de leur accorder une juste indemnité pour les sacrifices qu’ils ont faits pour le bien général avec tant de patriotisme, et que, d’après les motifs que je viens d’exposer, les réclamations de cette nature ne seront pas éconduites pour un simple manque de formes.
M. Delehaye se plaint de ce que le gouvernement a institué une école militaire à Bruxelles, dont personne ne connaissait l’existence ; il demande que l’organisation de cette école soit réglée par une loi. Il demande aussi que les marchés conclus Hambrouck soit résiliés, et qu’on mette les fournitures de l’armée en adjudication. Si, lors de la discussion du budget de la guerre, le ministre n’a pas satisfait l’orateur sur ces deux points, il votera contre le budget.
M. A. Rodenbach. - Je n’ai eu connaissance qu’il existait une école militaire qu’avant-hier ; dans beaucoup de provinces on la connaît à peine. Il paraît que 39 élèves y sont admis, qu’ils jouissent du grade de sergents, et qu’ils ont 85 cents par jour. Je me plais à croire que cette école ne sera pas une pépinière de favoris. Déjà il existe une espèce de monopole dans les fonctions publiques. La partialité dans les emplois publics devient aussi révoltante que sous le précédent gouvernement, puisque, sur 380 employés des administrations centrales à Bruxelles, il n’y en a que 22 des Flandres. J’espère que de pareils griefs disparaîtront.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, quand j’arrivai au ministère de la guerre, il existait près du corps d’artillerie une école de jeunes aspirants qui avaient le grade de sous-officiers. La pénurie d’officiers d’état-major et d’artillerie étant très grande, je réunis tous ces jeunes gens pour en former l’école qui existe, et j’en admis d’autres, en les soumettant à des examens dont les journaux ont publié le programme ainsi que les conditions d’admission ; ainsi, il n’y a pas eu de passe-droit ni de faveur pour personne. Du reste, la dépense de cette école se réduit à rien, car les professeurs ne sont pas payés : ce sont des officiers en activité qui donnent des leçons gratuites dans l’école, et des sous-officiers de la garnison vont enseigner aux élèves l’exercice, la manœuvre et tout ce qu’ils doivent savoir. Cette école ne coûte donc que la solde des élèves, qui ont le grade de sous-officiers, comme la plupart l’avaient déjà ; et certes, pour les autres, on ne contestera pas, je pense, au gouvernement, le droit de nommer des sous-officiers. Quant à la somme portée au budget pour l’école militaire, ce n’est pas de celle qui existe qu’on a voulu parler, mais de l’école telle qu’il faudra la créer. Pour ce qui est de dispositions législatives à porter pour organiser l’école, je ne vois pas à quoi elles pourraient servir, et je ne sais de quoi on pourrait se plaindre, alors que, pour être admis dans l’école, il y a concours et publicité.
M. Destouvelles explique que la commission a proposé de voter un crédit de 2 millions pour le ministre de la guerre, dans l’impossibilité où elle s’est trouvée de remplir sa tâche en temps utile. Elle se propose d’examiner avec soin le budget de la guerre dans la première quinzaine de janvier, pour mettre la chambre à même de le voter dans la dernière quinzaine.
Après quelques explications de M. Gendebien, qui se plaint notamment de ce qu’on a licencié le corps de volontaires de Lecharlier, la chambre adopte l’article unique du projet.
L’appel nominal a constaté l’adoption à l’unanimité.
- La séance est levée à 4 heures.