(Moniteur belge n°136, du 29 octobre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi et demi.
M. Jacques fait l’appel nominal.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance publique du 24 octobre ; il est adopté.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à l’examen de la commission.
- M. Angillis prête serment.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) présente un projet de loi dont voici la teneur :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Considérant qu’il y a urgence de pourvoir aux dépenses du mois d’octobre,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Article unique. Les ministres de la justice, des affaires étrangères, de la marine, de l’intérieur et des finances sont autorisés à ordonnancer et faire payer les dépenses courantes du mois d’octobre sur les crédits déjà ouverts. »
- L’assemblée en ordonne l’impression et la distribution.
M. Jonet. - Messieurs, aux termes du règlement, il doit être fait un rapport de pétitions une fois par semaine, et il doit être distribué un feuilleton trois jours au moins à l’avance. Aucun rapport n’a été fait cette semaine : la commission m’a chargé de vous demander quel jour de la semaine prochaine vous désirez qu’ait lieu le rapport, afin que la commission ait le temps de préparer son feuilleton pour que le bureau le fasse imprimer.
M. le président. - La chambre désire-t-elle fixer un jour pour les rapports de pétitions ?
M. Ch. Vilain XIIII. - Tous les samedis.
M. Verdussen. - Messieurs, je ne suis pas d’avis que la chambre s’astreigne à entendre des rapports à jour fixe. Je veux bien qu’on fixe un jour par semaine, mais que ce jour varie suivant les besoins de la chambre.
M. le président. - On pourrait fixer un jour, sauf à déroger à cette fixation, comme nous dérogeons quand il le faut, à l’heure fixée pour l’ouverture des séances.
- L’assemblée décide que les rapports seront faits le vendredi de chaque semaine, sauf dérogation quand il y aura lieu.
M. Lebègue demande que dans le feuilleton de pétition à distribuer, on insère les conclusions de la commission.
Cette proposition, combattue par M. Jonet et M. Destouvelles, est rejetée.
M. Mesdach déclare qu’il retire la proposition qu’il a faite lundi dernier, relativement à la mise en état de siège de la ville de Gand. L’honorable membre n’avait pas fait la proposition pour contester à l’autorité militaire le droit de mettre la ville en état de siège, mais seulement pour empêcher que l’on y établît des tribunaux d’exception. L’honorable membre ayant appris que le conseil de guerre, dont l’installation à Gand avait été annoncée, n’a pas été établi, et qu’à Anvers, qui a été déclaré en état de siège, les tribunaux conservent leur nation, la proposition devient sans objet.
M. le président. - Il n’y a plus rien à l’ordre du jour, la séance publique est levée, le comité général va commencer.
M. Gendebien. - Je demande la parole. Messieurs, il me semble que les inconvénients qu’on a cru trouver à la publicité de la discussion disparaissent, puisque les discours prononcés en comité secret sont publiés dans tous les journaux. Je demande si, dans un tel état de choses, il ne serait pas convenable de rétracter à la décision qui a été prise relativement au comité secret.
M. le président. - M. Gendebien, il y a résolution de la chambre.
M. Gendebien. - Je vais faire une proposition formelle pour que la séance soit publique.
M. le président. - Il faudra d’abord que votre proposition soit examinée en sections.
M. Devaux. - Aux termes de la constitution, lorsque dix membres le demandent, la chambre se forme en comité secret ; ce n’est ensuite qu’en comité secret que l’on peut décider si la séance redeviendra publique.
M. Gendebien. - Qu’on lise le texte de l’article qui contient cette disposition.
M. le président lit l’article 33 de la constitution, qui est en effet conforme à l’opinion de M. Devaux.
- La séance publique est levée. La chambre se forme en comité secret.
Plusieurs membres de l’opposition sortent à l’instant de la salle.
(Note du webmaster : Au Moniteur belge du même jour, on pouvait lire l’article suivant : « Du comité secret : Nous continuons à publier quelques-uns des discours prononcés dans le comité général, et en cela nous ne croyons pas protester contre l’opinion que nous avons émise, avant-hier, sur l’opportunité et la sagesse de la mesure prise par la chambre des représentants. Mais, dira-t-on, qu’est qu’un comité secret qu’on rend public ? N’y a-t-il pas là contradiction évidente, dérision complète ?
(« A cela il y a une réponse bien simple : Le comité général n’est rendu public que dans la partie susceptible de publicité ; le reste est tenu secret, et ce serait une grande erreur de croire que le compte rendu du Courrier et des autres journaux est la reproduction exacte, l’image fidèle de ce qui s’est passé dans la séance. Malgré ces publications partielles, à dessein incomplètes, la mesure du secret atteint son but : elle ôte à la discussion ce qu’elle aurait eu de passionné, d’irritant, d’imprudent Ce qui parvient au public est épuré par ceux mêmes qui font des confidences aux journaux. Ainsi l’a jugé la majorité de la chambre, en maintenant sa première décision. »)
- Le comité général a commencé à une heure et demie ; il a été terminé à quatre heures. Ont été entendus : M. Jullien, M. C. Rodenbach, M. Tiecken de Terhove et M. Jamme, contre ; M. Fallon, M. Osy et M. Poschet, pour.
Nous donnons ci-après plusieurs discours qui ont été prononcés à cette occasion.
M. Fallon. - Messieurs, la Belgique, consternée à l’approche de la nouvelle catastrophe qui la menace, attend avec anxiété que nous lui disions si elle doit se soumettre, ou si elle doit résister à l’oppression ; en d’autres termes, si elle doit, ne fût que précairement, sauver son indépendance au prix des sacrifices qui lui sont imposés, ou bien si elle doit se raidir contre la violence, au risque de creuser elle-même le tombeau de ses libertés.
C’est ainsi que j’envisage la haute question politique que nous avons à trancher bien plutôt qu’à résoudre.
Je ne m’arrête pas au calcul minutieux des sacrifices et des charges imposés. Il n’est que trop vrai que le fardeau en est accablant. C’est là un fait qu’il n’est malheureusement pas permis de contester.
L’idée qui domine pour moi toute la discussion, et qui absorbe toute mon attention, est de savoir si la Belgique de la conférence pourra alimenter son existence plus ou moins longtemps.
J’interroge donc la discussion sur les faits suivants :
Les richesses agricoles de la Belgique seront-elles frappées de stérilité ? Son commerce sera-t-il entièrement paralysé ? L’industrie nationale doit-elle complétement dépérir ? L’écoulement de ses produits devient-il impossible ?
Si j’obtiens la conviction qu’avec le traité imposé tel doit être l’avenir de mon pays, j’abandonnerai l’illusion d’une indépendance qui devrait nécessairement entraîner sa ruine ; je repousserai une combinaison qui ne pourrait amener qu’une honteuse faillite, et je ne balancerai pas à courir toutes les chances d’un refus.
Mais, s’il ne m’est pas clairement démontré que l’adhésion à l’ultimatum de la conférence entraîne nécessairement la décadence et la ruine prochaine des intérêts matériels du pays, alors, avant de placer le crêpe funèbre sur l’autel de la patrie, je mettrai dans la balance, d’un côté, ce que je conserve par mon adhésion, et de l’autre, ce que je puis perdre par mon refus ; et, dans le doute, je ne livrerai pas le sort de la Belgique à des hasards qui peuvent fort bien empirer sa situation matérielle, en la réduisant en même temps à un état complet d’abjection par la perte de son indépendance et de ses libertés.
Ici, je le sais, je me heurte contre des considérations bien propres à m’ébranler, si la froide raison ne me prêtait son secours.
L’indépendance de la Belgique sous le régime du traité imposé, et comme Etat neutre, ne sera plus, dit-on, qu’un mot vide de sens, et c’est à une idole ainsi dégradée que je sacrifierai l’honneur national et la cause des peuples.
Voyons si ce reproche est bien fondé.
L’indépendance de la Belgique de la conférence ne sera qu’un vain mot, c’est-à-dire que cette indépendance ne subsistera que pour autant que la paix du voisinage lui permettra de subsister.
Je le sais, je ne me suis jamais flatté que notre émancipation pouvait en produite une de toute autre nature.
Examinons sans prévention la portion de terrain que nous occupons sur la carte de l’Europe ; n’oublions pas que la Belgique est destinée par sa position à servir de champ clos aux querelles des puissances de premier ordre, quand elle ne sert pas de pâture au plus fort ; comparons les frontières des 18 articles avec les limites de l’ultimatum, et il faudra forcément convenir que, dans un cas comme dans l’autre, nous ne pouvons conserver notre indépendance que pour le temps que cela peut convenir aux puissances voisines.
L’Angleterre ne fermera-t-elle pas l’Escaut quand il lui plaira ? Pour empêcher la Hollande d’agir de même et de faire une irruption chez nous, ce n’est ni Venloo ni Maestricht qu’il faudrait seulement pouvoir lui opposer, mais une flotte et des places fortes sur la frontière du Brabant septentrional ; ce ne serait non plus ni Venloo ni Maestricht qui rendraient une lutte égale avec la Prusse, et à coup sûr la France ne s’arrêterait pas au cordon de places forces qui bientôt va disparaître.
Convenons donc franchement que la force de la Belgique doit être bien plutôt en dehors qu’en dedans de ses frontières, que son indépendance suivra toujours les oscillations de la balance des intérêts politiques de l’Europe, et que, plus ou moins resserrée dans ses limites, elle ne devra pas moins subir le joug de la position.
C’est pour une indépendance aussi éphémère que je fais, dit-on, le sacrifice de l’honneur national et de la cause des peuples.
En ce qui touche la cause des peuples, ce n’est assurément pas sur le terrain de la Belgique qu’elle aura été perdue, puisque le droit d’insurrection y restera solennellement confirmé par les puissances les plus hostiles à la cause populaire ; et, à cet égard, si l’ignominie doit accompagner quelque part le reproche de désertion, c’est au-delà de nos frontières qu’il se fera entendre.
Alors que le cabinet français a cru qu’il était de sa politique de laisser étouffer l’insurrection d’Italie, de laisser périr l’héroïque Pologne, d’abdiquer le principe de non-intervention, d’entrer lui-même comme élément dans la nouvelle alliance du despotisme, et de retirer tout à coup la main tantôt bienveillante, tantôt trompeuse, qu’il avait offerte à la Belgique ; alors surtout que le peuple français lui-même est resté docile spectateur d’une politique aussi égoïste, et n’a pu et n’a pas voulu donner à son gouvernement de plus généreuses impulsions en faveur de l’indépendance des peuples, c’est, suivant moi, une extravagance de croire aider encore à la cause populaire en mêlant les cendres de la Belgique à celles de la Pologne.
Je crois mieux servir cette cause en conservant tout que je pourrai, dans ma patrie le seul monument de triomphe populaire qui peut encore rester débout.
Mais, dit-on, ce monument n’attestera-t-il pas en même temps qu’il a été forfait à l’honneur national ? Ne dira-t-on pas, sur ce moment, qu’après avoir solennellement proclamé qu’elle n’abdiquerait dans aucun cas en faveur des cabinets l’exercice de la souveraineté ; qu’elle ne se soumettrait jamais à une décision qui détruirait l’intégrité du territoire, et qu’elle maintiendrait le principe de la non-intervention, la Belgique s’est cependant courbée sous le joug, et a abandonné une partie de ses plus ardents défenseurs.
Cette considération affligeante me pénètre vivement, et je ne balancerais pas un instant à reprendre la place que j’occupais sur le terrain des 18 articles, si je pouvais encore me livrer aux mêmes sentiments avec quelque espoir de succès.
Mais alors la Pologne se débattait encore contre le despotisme ; la France nous promettait encore une bienveillante et puissante protection ; le bill de réforme en Angleterre laissait encore concevoir d’heureuses améliorations ; nos derniers désastres n’avaient point encore compromis la force morale de notre position. Alors enfin les probabilités me permettaient de satisfaire à toutes les exigences de l’honneur national, puisque je pouvais encore espérer raisonnablement que la Belgique pouvait survivre à une conflagration générale.
Aujourd’hui tout est changé. Toutes ces espérances abandonnent la Belgique, et la résistance l’expose à ouvrir elle-même le tombeau de son indépendance et de ses libertés.
Dans une aussi fatale position, l’honneur national ne demande pas que la raison d’Etat soit étouffée ; il ne demande pas le suicide de notre indépendance et de nos libertés : c’est un langage plus élevé et plus patriotique qu’il nous parler dans la constitution, lorsqu’il nous dit, dans les articles 1 et 68 qu’une loi pourra restreindre les limites de l’Etat et abandonner des portions de territoire.
Lorsque ces articles de la constitution ont été livrés à la discussion, les députés des portions menacées siégeaient dans cette enceinte. On s’est demandé ce qu’il conviendrait de faire dans le cas où la nécessité exigerait l’abandon de quelques portion du territoire ; on a considéré que le sacrifice du tout n’améliorerait aucunement le sort de la patrie dont une force brutale exigerait la distraction ; on n’a pas jugé qu’il y aurait humiliation à sauver l’Etat aux dépens de l’une de ses parties, et ce jugement a eu pour appui cette vérité, qu’il n’y a jamais de honte à se courber sous le joug de la nécessité.
Je pense donc que tout ce que l’honneur et la générosité nationale exigent de nous, dans des circonstances aussi désespérantes, c’est de n’abandonner nos frères qu’alors que l’indépendance de la nation et la conservation de ses libertés se trouvent en péril et qu’il ne reste plus d’espoir de sauver autrement l’œuvre de la révolution.
Si donc la discussion ne me donne la conviction que la Belgique ne peut continuer à exister avec le traité imposé, en attendant du temps un meilleur avenir, la véritable question pour moi se réduira au calcul des probabilités de la résistance : et alors, considérant que si la conférence veut éviter la guerre fédérale, elle voudra nécessairement le moyen qu’il est en son pouvoir d’exécuter ; convaincu, comme je le suis, que dans les actes d’exécution la querelle ne se terminerait pas isolément entre la Belgique et la Hollande ; que la France, n’ayant rien trouvé de choquant pour la cause des peuples et pour le principe de sa propre existence, en soignant une condamnation aussi désastreuse pour la Belgique, n’hésitera pas davantage à souscrire à son exécution ; que même, dans une conflagration générale, ses succès ne serviraient qu’à nous absorber et à nous asservir momentanément, pour nous abandonner encore impitoyablement au jour de ses propres revers, je n’exposerai pas mon pays, soit aux chances d’une résistance, soit aux ravages et aux convulsions d’une guerre générale qui pourrait en être la suite, qui pourrait replacer la Belgique à son point de départ, moins son indépendance et ses libertés, et qui pourrait lui faire payer durement et ignominieusement les indemnités d’un démembrement ou d’une restauration forcée.
Il ne fait pas se faire illusion : toutes les déceptions du cabinet français jusqu’aujourd’hui, et l’apathie même de la France, doivent suffisamment nous avertir que la conférence pourra fort bien reste compacte, ne pas reculer en présence de ses œuvres, et ruiner totalement notre pays dans les frais d’exécution, en commençant précisément par les portions de territoire dont il nous est déjà si douloureux de devoir nous séparer, et que nous frapperions ainsi nous-mêmes d’une double calamité.
Enfin, lorsque je réfléchis que l’oppression des protocoles n’a fait que grandir en raison de notre résistance, et convertir d’hypocrites propositions en décisions tyranniques, toute mon appréhension est dans une occupation violente suivie de protocoles plus désastreux encore ; et je ne puis me flatter, malgré toute la versatilité du cabinet français, que les remords pourraient le gagner subitement et le déterminer, dans l’exécution, à violer aussi précipitamment des engagements aussi solennellement contractés.
Telles sont les considérations qui dirigeront mon vote ; si je ne trouve pas toutefois dans la discussion ultérieure du projet d’autres éléments de solution.
Quant à la question préalable soutenue par mon honorable ami M. d’Elhoungne, j’avais d’abord partagé et soutenu son opinion dans la section à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir ; mais un examen plus attentif de l’article 68 de la constitution me l’a fait abandonner.
Je persiste à croire, comme lui, que le dernier paragraphe de cet article ne fait pas exception à la règle générale qui investit le Roi, non seulement du droit, mais du soin de faire les traités de paix, d’alliance et de commerce, et qu’il n’est, tout au contraire, que le complément de la règle pour les cas qui y sont prévus.
L’idée dominante de la règle a été qu’il arrive plus fréquemment qu’un traité de paix ne peut être différé d’un instant sans compromettre le salut de l’Etat ; et c’est pourquoi on a laissé au Roi le droit et le soin de conclure, sans en référer préalablement aux chambres.
Cette idée a amené la conséquence nécessaire qu’il pourrait consentir à une cession ou un échange par le traité même, sauf le soumettre ensuite à la ratification d’une loi.
Je pense donc que, dans les cas ordinaires, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’un traité volontaire, le Roi doit d’abord le conclure avant d’en saisir la législature.
Mais je pense aussi que, dans le cas extraordinaire d’un traité imposé, tout à fait en dehors de la constitution (car, à coup sûr, si, lors de la discussion de l’article 68, quelqu’un s’était avisé de parler de semblable traité, sa proposition eût été couverte d’imprécations) ; je pense, dis-je, que, dans ce cas, il n’est plus possible d’argumenter de l’article 68 pour repousser le projet de loi par une exception d’inconstitutionnalité.
Quant à l’exception de non-délibérer, soulevée par l’honorable M. Jullien, elle a été longuement discutée par le pouvoir même constituant où elle puisse sa source, et, lors de la discussion sur les 18 articles, elle a été écartée par des considérations que j’ai alors partagées et que je partage encore aujourd’hui.
M. C. Rodenbach. - Messieurs, nous étions donc destinés à devoir sanctionner le déshonneur et la ruine de notre patrie ! Les phrases éloquentes d’un de nos collègues renfermaient donc une sinistre prophétie ! On nous convoque, non pour vendre nos frères (la conférence a consommé cette œuvre d’iniquité), mais pour les livrer de nos propres mains aux réactions, aux vengeances du monarque le plus vindicatif, du peuple le plus antipathique à tout ce qui porte le nom de Belge ! Depuis l’acceptation des dix-huit articles, qui n’étaient qu’une embûche dressée pour assassiner la Belgique, on a compté sur vous, messieurs, pour dépouiller le pays d’une partie essentielle de son territoire, pour détruite son commerce, son industrie, et mettre des entraves à son système de défense. On compte sur vous encore, pour imposer à nous et à nos descendants une dette étrangère insupportable.
Je ne sais si votre suffrage viendra ratifier des traités qui atteignent le dernier degré de l’opprobre ; mais ce dont je suis certain, c’est que la postérité et l’histoire impitoyable imputeront à lâcheté et à faiblesse ce que plusieurs d’entre vous regardent comme un acte de prudence.
La vigueur, la virilité seules procréent une nation indépendante et libre, et non pas la mollesse et une lâche déférence. Oser est toute la politique d’une révolution.
Il est (pourquoi ne pas le dire ?) certaines gens qui semblent exercer sur la chambre une funeste influence, qui, semblables à des astres malfaisants, arrivent de loin, à point nommé, chaque fois qu’il surgit un plan fatal à la Belgique, et dont les opinions politiques, dans lesquelles il y a toujours quelques chose d’individuel, nous annoncent de sinistres présages. Je saurais, messieurs, me mettre à l’abri d’une influence aussi maligne ; non, on ne m’attirera pas dans un guet-apens diplomatique. Je saurai me dégager de toute considération personnelle, d’autant plus que la conservation de quelque honneur, de quelque titre, ne doit entrer pour rien dans les motifs qui déterminent à décider du sort du pays.
Je crois que, par l’adoption des préliminaires de paix, nous avons accordé tout ce qui était possible. Les 18 articles doivent lier les puissances comme ils nous lient, ou bien il devient flagrant que la conférence a deux poids et deux banques, l’une pour les droits des peuples, l’autre pour les droits des souverains, et que le nouveau traité devient une prime d’encouragement pour la perfidie et la déloyauté de Guillaume.
Je sais que, pour obtenir vos suffrages, on a parlé de menaces, du 52ème protocole, d’une flotte dans l’Escaut, du refus de la France de nous secourir en cas d’hostilité, etc. ; mais, en cette circonstance, je suis un peu comme notre honorable collègue M. Barthélemy : je n’ai pas peur ! Je n’ai pas peur de la flotte anglaise ; car l’Angleterre est rarement disposée à agir contre nous, qui n’avons pas de flotte qu’elle ait intérêt à détruire, et son cabinet a, dans ce moment-ci, assez de ses dissensions intestines pour chercher la guerre ailleurs. Une telle intervention serait la chute du ministère Grey, qui ne s’appuie que sur les libéraux, qui n’approuveront jamais la conduite que l’on tient à l’égard des Belges. Je n’ai pas peur que la France nous abandonne. La France, qui a délaissé l’Italie, la noble Pologne, ne fait, en nous protégeant, que défendre ses propres intérêts. Nous sommes en ce moment sa seule alliée sincère. Si le ministère du juste milieu poussait son système de paix à tout prix jusqu’à cette extrémité, nous en appellerions à la chambre des députés, à la nation française. Là, assez de cœurs généreux élèveraient la voix pour stigmatiser une aussi odieuse conduite. Eh bien ! que la France nous abandonne ! Vainqueurs de la Hollande, nous dictons des lois aux vaincus. Si, accablés par le nombre, nous étions débordés par une armée hollando-prussienne, que ferait la France ? Resterait-elle spectatrice paisible de l’envahissement de ses frontières ? Non ! Les défaites de 1815 sont trop profondément gravées dans tous les cœurs, les Français ont trop d’affronts à venger pour ne pas se lever dès qu’un Prussien franchirait nos barrières. Qu’importe, après tout, la guerre un peu plus tôt un peu plus tard ! Forçons la France à se dessiner ! Qu’elle renaisse la France de Juillet, car maintenant je la cherche et je ne la trouve plus ! Qu’elle vienne unir à notre bon droit ses souvenirs et ses vengeances ! Ne nous remettons plus au temps pour l’espoir d’un nouvel avenir ! Si nous laissons échapper l’occasion, les années ne feront que river partout les fers de la tyrannie. Si nous cédons, il n’est plus d’espoir ni pour l’Italie, ni pour la Pologne, ni pour l’Espagne, ni pour le Portugal. Nous aurons donné gain de cause à la sainte-alliance du despotisme ; nous aurons anéanti l’espoir de tous ceux qui défendent avec nous la cause de la liberté, de la philosophe, de la civilisation. Ne nous laissons pas surtout éblouir par les avantages que nous croirions pouvoir obtenir un jour.
La France si grande, si forte, en acceptant sous le poignard des alliés, les conditions des traités de 1815, pensait bien aussi s’en référer au temps. Le temps n’a fait que rendre ses engagements plus difficiles à rompre. La France est aujourd’hui encore la France de 1815, telle que les alliés l’ont faite. Et nous, qui sommes si petits en comparaison de ce beau pays, nous penserions pouvoir récupérer dans l’avenir tout ce qu’on veut nous enlever par la force ? Ce serait, messieurs, une préoccupation dangereuse, une illusion qu’il est essentielle de détruire. Si jamais vous cimentez les désastreuses conditions qui vous sont offertes, nous végéterons dans une condition si dure, que dans quelques années la réunion à la France nous semblera un bienfait, ou la restauration une nécessité.
Je ne vous parlerai pas ici de nos frères en révolution : des voix plus éloquentes que la mienne ont été leurs interprètes fidèles. Nous ne demanderons pas à leurs mandataires cette prétendue générosité, qui consisterait à les livrer aux bourreaux. Assez de cœurs indifférents voteront sans songer aux maux qu’ils leur préparent. Laissez ceux qui sont destinés à subir l’ostracisme exhaler leur indignation. Qu’on accorde du moins la plainte à la victime qu’on immole sur l’autel de la peur.
Je ne m’occuperai pas de l’opportunité de la guerre : d’autre que moi se chargeront de répondre aux assertions erronés que nous avons entendues à cette tribune (par l’ex-ministre de la guerre Goblet). Je ne dirai qu’un mot concernant cet objet. Tous nous avons été témoins des prodiges des barricades. J’ai vu l’enthousiasme de nos volontaires et de nos gardes civiques, leur zèle, leur ardeur, leur courage. Il n’appartient de les déprécier, de les calomnier, qu’à ceux qui, par leur incurie, leurs fautes, ont préparé les journées désastreuses que nous déplorons et dont les nouveaux traités ne sont que les funestes conséquences.
Je n’entrerai pas non plus dans des détails relatifs aux diverses questions du traité, questions qui ont été envisagées sous d’autres faces par les orateurs qui m’ont précédé. Mais, messieurs, que peut-il nous arriver de pis que les conditions imposées ? Si on nous force à l’exécution, nous obéirons ; mais du moins, nous n’aurons pas ratifié par nos suffrages les malheurs et la honte de la patrie. Il ne sera pas dit qu’une assemblée toute populaire et née de la révolution aura foulé aux pieds les lois de l’humanité et les droits des peuples ; que nous aurions nous-mêmes rayé de la liste des citoyens belges ceux qui nous ont aidé à secouer le joug de la Hollande, dont les parents sont morts pour notre cause, dont les fils, les frères, font partie de notre armée, de nos administrations, de notre assemblée nationale.
Ah ! puisqu’on présente de telles conditions à vos délibérations, sans doute elles ne sont pas irrévocables. Il n’y a que les jugements de la Providence qui le soient. Quelque élevée, quelque forte que soit la conférence, il est, messieurs, quelque chose de plus fort, de plus sacré, de plus puissant : la justice et la volonté des peuples.
Je voterai contre les conclusions de la section centrale, c’est-à-dire contre les 24 articles de la conférence.
M. Osy. - Messieurs, je suis obligé de motiver mon vote dans cette grave discussion, et comme de coutume, et de même que je l’ai fait depuis un an, vous saurez toute ma pensée ; et quoique je sois content que nous délibérions en famille, je ne redoute pas que mes paroles soient livrées à la publicité.
J’ai commencé à examiner le traité actuel en le comparant aux 18 articles, et j’y trouve, tant pour les limites, les avantages commerciaux et la dette, des différences énormes qu’il est inutile de vous détailler, car vous devez tous le sentir mieux que moi. Mais je me suis demandé : Quelle est la raison de ces changements dans les conditions qu’on nous impose maintenant ? Est-ce la campagne du mois d’août ? Non, parce que la France l’a non seulement blâmée, mais nous a secouru, et que l’Angleterre, je dis le ministère actuel, l’a blâmée également, et a fait une démonstration en envoyant sa flotte dans les dunes : mais elle s’est bien gardée de la diriger contre la Hollande ; ce qu’elle n’aurait pas osé faire, car cela aurait été très mal vu par l’aristocratie anglaise, qui n’est pas tombée si bas pour croire qu’elle n’a plus d’influence, et parce que l’Angleterre aurait rompu un chaînon de son amitié avec les trois autres puissances. Ce n’est donc qu’une démonstration, et je vous prédis que si la Hollande n’accepte pas, il n’y aura encore que démonstration et pas acte d’hostilité contre la Hollande. Le changement donc est la crainte de guerre du ministère français ; ce que je trouve très louable quand c’est compatible avec l’honneur ; mais cette crainte donne tous les jours plus de force aux autres puissances, et je vois clairement que, quoi qu’elles puissent ne se battent pas en réalité, les puissances du Nord font la guerre amicalement, et suivent toujours la même ligne ; et il se pourrait très bien qu’elles remplissent leur but, qui est de voir ici la restauration ainsi qu’en France, sans voir répandre beaucoup de sang.
M. Lebeau veut nous effrayer en disant que les ennemis des 24 articles sont des personnes qui veulent la restauration ; mais je retourne ces paroles et je dis : « Ceux qui veulent les 24 articles travaillent, sans s’en douter, à la restauration. »
Si nous étions encore au mois de juin, avec les opinions que j’ai toujours manifestées au congrès, j’accepterais ces 24 articles, car nous serions au but que j’ai toujours désiré, sans répandre de sang et mettre fin aux malheurs ; mais aujourd’hui nous avons un souverain que nous sommes tous charmés de voir parmi nous, et qui est venu en vertu des 18 articles ; et j’en appelle à MM. Lebeau et Devaux, si les ambassadeurs de toutes les puissances à la conférence de Londres n’avaient pas promis la reconnaissance de notre souverain et de notre royaume si nous acceptions les préliminaires de paix ?
Cependant cela n’a pas eu lieu, et vous savez, messieurs, que quand un souverain ne veut pas ratifier les actes et paroles de ses ambassadeurs, on trouve mille prétextes.
Vous croyez maintenant qu’après avoir acceptées 24 articles vous serez reconnus ; je vous dirai encore que je suis presque persuadé du contraire ; car dans ces articles, il n’y a pas un mot de la renonciation du roi Guillaume à la Belgique, qu’il a obtenue en vertu du traité de Vienne ; c’est simplement un acte de séparation des deux parties du royaume, car, si je voyais par la suite la reconnaissance, j’y verrais au moins figurer le nom du roi des Belges comme celui du roi des Pays-Bas. Il n’est parlé aux articles 1, 2 et autres que du territoire belge et non du royaume de la Belgique, et on dit toujours : « S. M. le roi des Pays-Bas, » sans jamais parlé de notre souverain.
La France n’a pas fait attention à ce point si essentiel pour notre future indépendance, ou n’a pas su vaincre le but politique évident des autres puissances. Mais ce que je crois, c’est que le ministère Périer veut la paix à tout prix, sans voir où cela mènera la France, et que c’est le premier pas vers la restauration et le renversement du trône de Louis-Philippe, et que les puissances ne font que travailler à éteindre l’esprit révolutionnaire ; ils ont réussi en Pologne et en Italie, et avant peu il n’en restera plus de germes ici ni en France.
Ce sont des prédictions qu’on voudra me contester ; mais les événements prouveront qui aura raison.
Si les 24 articles nous étaient proposés, si je regardais les 24 articles comme un acheminent vers notre indépendance, je passerais en revue les 24 articles, et vous prouverais qu’ils nous sont très défavorables ; mais comme je suis persuadé qu’on nous les imposera tels qu’ils sont, je m’y soumettrai ; mais je suis obligé, d’après ce que je viens de dire, d’expliquer mon vote.
Je ne crois pas que les puissances contraindront la Hollande ; mais si nous refusons, nous serons menacés par l’Angleterre qui agira contre nous, et la Hollande nous attaquera (après avoir accepté comme séparation), et la France, par l’amour de la paix à tout prix de son ministère actuel, nous abandonnera et ne verra pas que par là elle seconde les puissances. Nous serons, je le crains, soumis ; car les officiers français et ses généraux nous quitteront, comme l’a dit M. le ministre des affaires étrangères, et la bravoure de nos troupes ne pourra se montrer, n’étant plus commandée par des officiers expérimentés. M. le ministre de la guerre a pu rassembler sous les drapeaux une armée bien habillée, faire atteler une nombreuse artillerie et avoir une belle cavalerie ; mais tout cela ne sert à rien quand ce n’est pas commandé par des militaires expérimentés.
Je me soumettrai donc aux 24 articles, parce que je vois des malheurs inouïs fondre sur notre malheureux pays, et surtout sur cette malheureuse Anvers, sur laquelle sont braqués les canons de la citadelle et ceux de notre camp retranché. Car, allez à Anvers, messieurs, et voyez si vous pouvez exposer 60,000 habitants à être la victime du feu hollandais et belge.
Pour ma part je ne puis y consentir, et je me dirai : « Je me soumets, » et j’espère que nous ferons tous de même, parce qu’il n’y a pas d’autre porte de salut pour le moment. Soyez bien persuadés que les événements que je prévois ne me guident pas, et tomberont entièrement sur ceux qui ont mené notre barque depuis un an. Mais, je le répète, elle ne viendra jamais à bon port, et je déplore d’avance les jours amers que la conférence prépare à celui qui a si noblement et de confiance voulu partager notre destinée. Mais on s’en est servi pour nous clamer momentanément, car jamais les trois ou quatre puissance n’ont abandonné les plans qu’ils se sont tracés depuis un an.
Je désire être mauvais prophète, mais je vous ai dit toute ma pensée. Je ferai encore observer au ministère qu’il n’y a rien de stipulé au partage de la marine et du matériel de la guerre ; ainsi il me paraît que nous y renonçons.
Messieurs, lisez l’articles 65 du congrès de Vienne :
« Art. 65 Les anciennes provinces-unies des Pays-Bas, et les ci-devant provinces belges, les unes et les autres dans les limites fixées par l’article suivant, formeront, conjointement avec les pays et territoires désignés dans le même article, sous la souveraineté de S. A. le prince d’Orange-Nassau, principe souverain des provinces-unies, le royaume des Pays-Bas, héréditaire dans l’ordre de succession déjà établi par l’acte de constitution desdites provinces-unies. Le titre et les prérogatives de la dignité royale sont reconnus par toutes les puissances dans la maison d’Orange-Nassau. »
Et pour annuler cet article, le roi des Pays-Bas doit, dans le traité qui vous est soumis, renoncer à la Belgique et reconnaître le nouveau souverain et royaume de la Belgique : j’espère que le gouvernement fera attention à cette clause si essentielle à notre future indépendance ; car, jusqu’à présent, notre indépendance n’est reconnue que par l’Angleterre et la France.