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Note d’intention
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Congrès national de
Belgique
Séance du mercredi 22
décembre 1830
Sommaire
1) Communication des pièces
adressées au congrès
2) Composition du bureau de la
commission des pétitions
3) Rapports de la commission des
pétitions relatives notamment à un traité de commerce avec
4) Discussion
des articles du projet de constitution. Titre II. Des Belges et de leurs droits
a)
Article 12 (indépendance des cultes vis-à-vis des pouvoirs publics, notamment question
de l’antériorité du mariage civil sur le mariage religieux). Présentation
d’amendements (Thorn, C. de Smet, Le Grelle, de Robaulx, Trentesaux, Beyts, Surmont de Volsberghe). Discussion (Defacqz,
de Robaulx, de Gerlache, de Foere, Jottrand, de Theux, Forgeur, Van Meenen, Werbrouck-Pieters, Nothomb, Ch. Vilain XIIII, Frison, Van Crombrugghe, H. de Brouckere, Raikem, Beyts, Dehaerne, Van Snick, d’Arschot, de Stassart, Le Grelle, Lebeau, Forgeur, Pirson, Barthélemy, de Celles, d’Ansembourg, A. Rodenbach, Destouvelles)
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles,
Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 585) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance
est ouverte à onze heures. (P. V.)
Un des secrétaires donne lecture
du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
COMMUNICATION DE PIECES ADRESSEES AU CONGRES
M. d’Huart et M. Van Hoobrouck de Mooreghem annoncent
au congrès qu'une indisposition les empêche d'assister à ses séances.
M.
Jobard envoie, pour être distribués aux membres du congrès, 200 exemplaires
d'un projet de société d'industrie. (P. V.)
Un des secrétaires présente
l'analyse des pièces suivantes qui sont renvoyées à la commission des pétitions
:
M. Diepenbeek, de
Bruxelles, sollicite une place de membre de la cour des comptes.
M. Alexandre
Carpentier, receveur des contributions à Tronchiennes, sollicite la même
faveur.
M. Antoine
Closset, contrôleur au bureau de garantie et dans la province de Luxembourg, de
même ; pour prouver ses connaissances en fait de calcul, il joint à sa requête
une brochure écrite par lui.
M. N. F. Berden, demeurant à Ruremonde, sollicite la
place de greffier près la cour des comptes.
M.
de Rudder, docteur en médecine à Anvers, propose d'exempter du service de la
garde civique les docteurs en médecine, en chirurgie et en accouchements. .
M. Dewaide,
vannier à Sainte-Walburge, près de Liége, demande une indemnité proportionnée aux
pertes qu'il a essuyées de la part des Hollandais qui occupaient la citadelle
de Liége.
M. Lallement se
plaint du juge de paix du canton de Namur (Nord).
Les frères
Jean et Jean-François Van Haelen réclament le payement de certaines créances
qu'ils prétendent avoir à charge de l'État.
Trois
officiers de la légion gantoise, de l'expédition d'Anvers, se plaignent, au nom
de la légion, de ce que les hommes qui la composent, quoique non encore
licenciés, ne peuvent obtenir d'être mis en activité ; ils les recommandent à
la sollicitude du congrès, afin qu'ils soient incorporés dans un régiment
quelconque.
Vingt-huit
négociants exposent au congrès les abus qui ont été le résultat de l'arrêté de
j1814, relatif aux sursis à accorder aux débiteurs dans certains cas ; ils
demandent que cet arrêté soit rapporté sans pouvoir jamais être rétabli.
M. Lebrun,
d'Eeghem, demande, dans l'intérêt de toutes les provinces, mais surtout de
M. J. B.
Cantignan, de Haulchin, réclame une somme de 362 fl. 80 cent., montant de la
masse qui lui était due lorsqu'en ,1814 il a quitté le service français ; si
cette somme ne peut lui être accordée en entier, il sollicite du moins une
indemnité.
M.
Guillaume, de Liége, émet quelques observations sur la lettre que monseigneur
l'archevêque de Malines a adressée il y a quelques jours au congrès. (P. V.)
BUREAU
DE
La
commission des pétitions a nommé pour président, M. Coppieters ; pour
vice-président, (page 586) M. de
Gerlache ; pour secrétaire, M. Constantin Rodenbach. (P. V.)
RAPPORTS
DE
M. le président – La parole
est à M. Constantin Rodenbach, rapporteur de la commission des pétitions.
(C., 24 déc.)
M.
Constantin Rodenbach fait un rapport :
- sur les pétitions de MM. Vanhoorde, Staumont,
Gilbert-Frère, et sur celles des gardes civiques de la ville d'Ostende et de Furnes,
concernant le désarmement de la garde civique. (Dépôt au bureau des
renseignements.) (U. B., 24 déc., et P. V.)
- sur la
pétition de M. Metton, qui demande que le gouvernement accorde des lettres de
marque aux négociants qui ont des navires fins voiliers pour courir sus aux
vaisseaux hollandais. (Renvoi aux comités de l'intérieur et de la guerre.) (U. B., 24
déc., et P. V.)
- sur la
pétition de M. Louis Glorieux, de Courtrai, présentant des considérations sur
le sénat. (Dépôt au bureau des renseignements) (U. B., 24 déc., et P. V.)
Les
pétitions de MM. Maus-Casaquy et Piérard sont renvoyées au comité des finances.
(P. V.)
Celle
de M. de Bellemare est renvoyée au comité de la guerre. (P. V.)
L'assemblée
passe à l'ordre du jour sur les pétitions de MM. Beygaert et Jacopssen. (P. V.)
M.
le président – La parole est à M. de Theux, autre rapporteur. (C., 24
déc.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt
rend compte, au nom de la commission des pétitions, d'un mémoire de M. de
Bousies, contenant des observations sur quelques articles du projet de
constitution et sur un traité de commerce à faire avec
M.
le baron de Stassart – Le mémoire, de M. de
Bousies contient, paraît-il, des vues sur un traité de commerce avec
Plusieurs
voix – Au comité diplomatique.
(U. B., 24 déc.)
M. le baron de Stassart – Attendu qu'une
commission d'industrie est attachée au comité de l'intérieur et qu'elle
rassemble déjà les renseignements propres à préparer nos relations commerciales
avec les puissances voisines, je pense qu'il est indispensable que la
communication de l'extrait dont il s'agit soit faite au comité de l'intérieur,
sans m'opposer toutefois à ce qu'une copie soit également adressée au comité
diplomatique. (U. B., 24 déc.)
- Il est décidé que le mémoire de M. de Bousies sera
déposé au bureau des renseignements et qu'il sera envoyé par extrait aux
comités de l'intérieur, de la guerre et des finances. (P. V.)
M. le président annonce
qu'on aura demain le budget provisoire. (U. B., 24 déc.)
M. le baron de Stassart
– Je demande que le budget provisoire soit imprimé sans le moindre retard,
afin qu'on puisse l'examiner, au premier jour, dans les sections. - L'honorable
membre s'attache à démontrer l'urgence de cette mesure. (U. B., 24 déc.)
M.
Werbrouck-Pieters dit que le
travail de la commission est prêt. (U. B., 24 déc.)
M.
le président – La parole est à M. de Pélichy. (C., 24 déc.)
M le baron de Pélichy van Huerne, troisième rapporteur,
propose l'ordre du jour sur une pétition du sieur Van de Moortele rédigée en termes
inconvenants. (V. P., 24 déc., et P. V.)
Des voix – De quoi
traite-t-elle. ? (V. P., 24 déc.)
M
le baron de Pélichy van Huerne – D'une troisième chambre. (V.
P., 24 déc.)
- L'ordre du jour
est adopté. (P. V.)
M. Werbrouck-Pieters – Je prendrai
la liberté de demander à la commission si le rapport sur la pétition des négociants
d'Anvers n'est point prêt. Cette requête est du 7 de ce mois.
M.
Coppieters annonce
qu'incessamment la commission fera son rapport.
PROJET DE CONSTITUTION
Titre II – Des Belges et de
leurs droits
Article 12 du projet
de la section centrale
L'ordre du
jour appelle la discussion sur l'article 12 du titre II du projet de
constitution, intitulé : Des Belges et
de leurs droits.
M.
le président – Voici les termes de l'art. 12 :
« Toute
intervention de la loi ou du magistrat dans les affaires d'un culte quelconque
est interdite. » (U. B., 24 déc., et A. C.)
M. Devaux annonce que
la section centrale est prête à faire son rapport sur le titre du projet de
constitution relatif aux dispositions communes aux deux chambres, et que l'on
pourrait peut-être le discuter demain. (V. P., 24 déc.)
M. de Robaulx – Mais est-il certain
que nous aurons discuté demain le titre sur lequel (page 587) nous délibérons ? Nous avons encore les plus grandes
questions à résoudre. Demain probablement le budget sera présenté... (V. P.. 24 déc.)
-
Le congrès décide que le rapport de la section centrale sera imprimé et
distribué. (V. P., 24 déc.)
On revient à
l'article 12. (V. P., 24 déc.)
Sept amendements relatifs à cet article sont déposés
sur le bureau :
M. Thorn propose une disposition ainsi conçue
:
« Toute
intervention de la loi ou du magistrat dans les actes d'un culte quelconque, et
toute intervention d'un culte quelconque dans les affaires de l'État ou des
particuliers, sont également interdits »
M. Camille de Smet ajoute une
exception à l'art. 12.
M. Le Grelle présente la
disposition additionnelle suivante :
« Cependant
le mariage civil devra précéder la cérémonie religieuse du mariage, toutes les
fois qu'il sera possible aux parties intéressées de se marier civilement. »
M. de
Robaulx propose un amendement conçu
en ces termes :
« Les
lois civiles n'ont aucune sanction dans les affaires de religion, et
réciproquement les lois religieuses n'ont aucune sanction dans les affaires
civiles. »
M. Trentesaux maintient
l'art. 12 en y ajoutant une exception.
M. le baron Beyts présente la
rédaction ci-après :
« Toute
intervention de la loi ou du magistrat dans les affaires du dogme, des rites,
des cérémonies ou de la hiérarchie personnelle des ministres d'un culte
quelconque, est interdite. »
M. Surmont de Volsberghe propose une exception à l'art. 12.
(E., 24 déc., et C., 26 déc.)
- L'assemblée est
indécise. (U. B., 24 déc.)
M. Forgeur – Je viens
d'entendre une foule de rédactions différentes, et j'avoue qu'il me serait difficile
de me décider pour savoir à quel amendement il faudrait accorder la priorité.
M. Defacqz a encore un amendement à présenter, qui doit rendre inutiles non
seulement les sept autres, mais même l'article du projet ; je demanderai la
priorité pour l'amendement de M. Defacqz : du reste, il l'aurait d'après le
règlement, car s'il prouve que l'article et les amendements divers sont
inutiles, son amendement équivaut à la question préalable. (U. B., 24 déc.)
- Cet avis est adopté. (C., 24 déc.)
M.
Defacqz – Si ma proposition était
rédigée par écrit, elle serait ainsi conçue : Je demande le retranchement de
l'art. 12 du projet de constitution. (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 24 déc.)
M. le président
– M. Defacqz a la parole pour développer son
amendement. (C., 24 déc.)
M. Defacqz –
Messieurs, vous avez hier posé d'une manière large et forte
les bases de nos libertés les plus précieuses. La liberté des cultes dans
l'exercice des cérémonies religieuses, la liberté des opinions en toute
matière, seront désormais parfaitement garanties. L'art. 10 ne pouvait aller
plus loin sans porter à l'ordre social une atteinte grave. Il faut que tous les
cultes soient libres et indépendants, mais il faut aussi que la loi civile
conserve toute sa force ; il faut plus, messieurs, il faut que la puissance
temporelle prime et absorbe en quelque sorte la puissance spirituelle, parce
que la loi civile étant faite dans l'intérêt de tous, elle doit l'emporter sur
ce qui n'est que de l'intérêt de quelques-uns. J'en donnerai un exemple
frappant ; je veux parler du mariage. Si l'art. 12 est admis, le prêtre pourra
donner la bénédiction nuptiale à tous ceux qui la lui
demanderont, avant que la loi civile n'ait cimenté leur union ; le ministre de
la loi ne pourra s'en plaindre, puisque la loi lui aura défendu toute
intervention dans les actes du culte. Cependant, messieurs, quelle source
intarissable de désordres dans la société, si le mariage civil ne précède pas
la bénédiction nuptiale ! Qu'on ne m'arrête pas en disant que l'un n'empêche
pas l'autre : c'est une erreur ; vous vous rappelez qu'un des premiers actes du
gouvernement provisoire de 1814 fut d'abroger les art. 198,199 et 200 du Code
pénal, qui défendaient aux prêtres de bénir un mariage sans que le lien eût été
préalablement consacré par la loi civile : cet état de choses dura quelque
temps. Mais combien d'abus n'en résultèrent-ils pas ! Ils devinrent si criants,
que le gouvernement lui-même sentit la nécessité d'y mettre un terme. Par un
arrêté du 10 janvier 1817, il rétablit les dispositions du Code pénal mal à
propos abrogées, et les abus cessèrent. Je vous
citerai, messieurs, un exemple plus frappant encore
: tout le monde connaît l'arrêté du gouvernement provisoire du 16
octobre dernier, qui a fait disparaître toute entrave à l'exercice des cultes.
Par suite de cet arrêté, plusieurs prêtres ont cru pouvoir donner la
bénédiction nuptiale avant que le mariage ne fût contracté devant l'officier de (page 588) l'état
civil. Qu'est-il arrivé ? c'est que, depuis cette époque, presque tous les
couples qui dans les campagnes ignorent les avantagés attachés à l'observation
de la loi civile, se présentent à l'église sans être passés par la municipalité
: indépendamment de cette expérience, vérifiée seulement depuis deux mois, car
il y a à peine deux mois que l'arrêté du gouvernement provisoire a été rendu,
j'en appelle à tous ceux de mes collègues qui habitent la campagne ; ils diront
comme moi, que presque tous les couples se contentent du mariage religieux et
s'inquiètent peu d'observer les formalités prescrites par la loi civile. Voyez,
messieurs, quel désordre va produire un pareil état de choses ! La femme ainsi
mariée ne pourra jamais se parer devant la loi du titre de femme légitime ;
elle pourra voir son époux, son époux à qui elle croyait être unie pour jamais,
former une seconde union, et tandis qu'elle sera considérée comme une vile
concubine, ses enfants seront des bâtards aux yeux de la loi.
De là,
division, haine entre les enfants d'un même père ; ordre régulier de succession
interverti, procès, troubles dans les familles, ébranlement des fortunes ; en
un mot, atteinte portée à l'ordre public : et en remontant à la source du mal,
on reconnaît qu'il dérive de ce que l'on a procédé, avant la solennité civile,
à une cérémonie religieuse qui pouvait aussi bien s'accomplir après.
La priorité
de cette cérémonie est donc, dans ses résultats, subversive de l'union et de la
paix des familles, de la stabilité des fortunes, des règles du droit commun,
enfin de l'ordre social. Or, comme nul ne peut contester que le premier des
besoins est le maintien de cet ordre et que le législateur a pour premier
devoir de le défendre envers et contre tous, il faut reconnaître aussi qu'il
peut exiger, avant la formalité .religieuse, dont au surplus il ne se mêle en
rien, le préalable d'une formalité purement civile qui doit le rassurer contre
les suites de l'autre.
C'est ainsi
qu'avaient raisonné les auteurs de la loi française qui défendait aux ministres
de tout culte de procéder aux cérémonies religieuses du mariage avant qu'on ne
leur exhibât en due forme la preuve de sa célébration antérieure devant
l'officier de l'état civil. Voici comment s'exprimait M. le conseiller d' Etat
Berlier, en exposant au corps législatif les motifs des art.. 199 et 200 du
Code pénal, destinés à sanctionner la disposition du 54e article
organique du concordat de l'an X :
« Les
ministres qui procèdent aux cérémonies religieuses d'un mariage sans qu'il leur
ait été justifié de l'acte de mariage reçu par les officiers de l'état
civil, compromettent évidemment l’état civil des gens simples, d'autant plus
disposés à confondre la bénédiction nuptiale avec l'acte
constitutif du mariage, que le droit d'imprimer au mariage le sceau de la loi
était naguère dans les mains de ces ministres.
« Il importe
sans doute qu'une si funeste méprise ne se perpétue point, et ce motif est
assez puissant pour punir d'une amende les ministres de cultes qui
procèdent aux cérémonies religieuses d'un mariage sans justification préalable de
l'acte qui le constitue réellement.
« Cette
peine, légère d'abord, s'aggravera en cas de récidive, et entraînera à la
seconde récidive, ou, en d'autres termes, à la troisième infraction, là
peine de déportation ; parce que celui qui a failli trois fois se
place évidemment dans un état de désobéissance permanente et de révolte
contre la loi. »
Mais ce
n'est encore qu'un seul des abus résultant de l'art. 12 ; j'en pourrais citer
un grand nombre d'autres, je me contenterai d'en rapporter quelques-uns qui se
présentent dans ce moment à mon esprit. Par cet article vous interdisez au
pouvoir temporel toute intervention dans la nomination des ministres du culte,
même de ceux rétribués par le trésor de l'État : sans doute je ne veux pas que
le pouvoir civil nomme aux fonctions de l'Église, je ne veux pas même qu'il ait
sur ces nominations la moindre influence ; mais si je veux une parfaite
indépendance pour le pouvoir spirituel, il faut par réciprocité que le pouvoir
temporel ait la sienne : alors les prêtres doivent renoncer à leurs traitements
; sans cela il pourrait arriver que le trésor salarierait les ennemis du gouvernement
; bien plus, il pourrait se voir obligé de salarier des individus étrangers au
pays ; il est vrai que dans ce cas, si le gouvernement avait la faiblesse de
payer, il serait quelque chose de plus que bénévole.
Voici un
autre inconvénient qui résultera de l'adoption de l'art. 12. En écartant toute
intervention du pouvoir temporel sur le spirituel, vous allez abroger le décret
impérial du 30 décembre 1809 sur les fabriques, aux dispositions duquel tout le
monde s'est plu à rendre justice.
Mais
c'est assez d'exemples cités. Dans quel dédale nous allons être jetés en
adoptant cet article ! Songez-y bien, messieurs, nous attaquons (page 589) l'ordre social dans sa base,
nous jetons la division dans les familles ; en un mot, nous organisons le
désordre. Retranchons-le donc, messieurs, n'enlevons pas au pouvoir civil une
intervention qu'exige l'intérêt général, et gardons-nous de trancher d'un seul
coup une foule de questions qui méritent un examen sérieux. (U. B., et
C., 24 déc.)
M.
de Robaulx – Messieurs, avant tout, il faut être conséquent avec
nous-mêmes. Loin de moi l'idée de venir ici traiter la question dans l'intérêt
de la religion catholique : je la traiterai dans l'intérêt de tous ; je suis philosophe
avant d'être catholique. (Murmures.) Chacun a ses principes et sa
manière de voir, messieurs ; liberté pour tous ! voilà ce que je veux. Nous
avons déclaré hier liberté entière pour tous, en toute matière nous devons la
maintenir. Ici je ne suis ni catholique, ni protestant, je ne suis d'aucune
religion ; je ne dis pas par là que je renie la religion dans laquelle je suis
né, je veux dire que je raisonne, abstraction faite de toute religion, et comme
si je n'appartenais à aucune. Cela posé, voyons si, par suite de quelques abus
qu'on nous signale, nous devons détruire ce principe réciproque d'indépendance
entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, que nous avons proclamé dans
la séance d'hier. Souvenons-nous, messieurs, de l'union qui a été cimentée
entre les libéraux et les catholiques : nous nous promîmes liberté,
indépendance réciproque ; les catholiques ont été sincères envers nous,
soyons-le envers eux. Les catholiques ne veulent pas être protégés, parce que
protection implique surveillance et gêne. Une religion n'est autre chose qu'une
société qui adopte une doctrine plutôt qu'une autre. Cette doctrine doit être
indifférente à l'État, car il ne faut pas que la puissance civile puisse
s'occuper des dogmes et des croyances. Mais, dit-on, voyez où cela nous mènera.
Lorsque le mariage religieux aura lieu avant le mariage civil, nous dit M.
Defacqz, bien des gens dans les campagnes se contenteront de la
cérémonie religieuse ; de là de graves désordres, car la femme pourra voir son
mari contracter une deuxième union, et ses enfants considérés comme bâtards.
Messieurs, si l'on pouvait parvenir à concilier les idées religieuses avec la
loi civile, on parerait à ces inconvénients, et je serais le premier à me
réunir au système qui opérerait cet effet ; mais rien dans le monde n'est
destiné à la perfection, il n'y a rien de parfait ici-bas : ce que nous faisons
ne sera pas parfait. (On rit.) Vous ne voulez pas que le
mariage soit célébré par le prêtre avant le contrat civil ? Eh bien !
messieurs, voici ce qui va arriver : je
suppose qu'un capucin se présente à l'état civil pour se marier ; la puissance
civile, ne devant pas s'embarrasser des croyances religieuses ni de leurs
prescriptions, ne fera pas difficulté de marier le capucin ou la religieuse qui
le demanderont. Ils seront excommuniés, mis hors de la religion, répudiés par
leurs frères, tout cela ne regarde pas la loi civile ; à ses yeux, ils n'en
seront pas moins aptes au mariage. La loi religieuse sera froissée. Eh bien !
soyons conséquents avec nous-mêmes : s'il est des cas où la loi civile pourra
froisser les lois canoniques, admettons la réciprocité pour celles-ci.
Il
y aura toujours des inconvénients, je le sais, parce que nous ne pourrons faire
rien de parfait ; mais je crois que nous pouvons sans crainte donner liberté
pleine et entière à toutes les religions. Les religions ne sont que des
associations : bientôt nous aurons à nous occuper des associations. Je veux
qu'en les autorisant, on ne leur impose point d'entraves ; qu'on leur laisse et
leurs doctrines, et leurs croyances, et leurs opinions ; mais aussi je veux
qu'elles ne reçoivent aucune protection de la loi civile ; qu'il en soit de
même pour toutes les religions : voilà comme j'entends l'indépendance. On a
parlé des traitements que le trésor paye au clergé ; il est clair que si les
prêtres ont des traitements, ils sont fonctionnaires de l'État, et doivent
subir les conséquences de cette espèce de hiérarchie. Je ne veux pas, pour être
conséquent avec moi-même, m'occuper de la question du traitement ; cependant je
dirai que je serais assez d'avis que les prêtres qui ne voudraient pas se
soumettre à la loi civile, et qui donneraient la bénédiction nuptiale avant le
mariage civil, renonçassent à leur traitement. Je le répète : la bonne foi a
cimenté notre union, il ne faut pas la rompre. Il y aura des abus sans doute,
c'est le sort des choses humaines ; il faut qu'il y en ait. (Non !) Je
pense que, puisqu'il est impossible de concilier les libertés religieuses avec
les exigences de la loi civile, il vaut mieux supporter les abus que d'attenter
à la liberté ; c'est dans ce but qu'a été fait mon amendement. Je me réserve de
pouvoir le reproduire, et j'espère que vous vous empresserez de
l'adopter. (U. B., 24 déc.)
M. de Gerlache – Messieurs,
on a dit « que cet article était inutile, alors que la liberté des cultes était
proclamée, et que l'exercice des cultes était libre. » C'est une chose
fort triste à confesser, mais c'est une vérité attestée par l'histoire, qu'il
ne suffit pas de décréter législativement certains droits pour les faire
respecter. Ne se souvient-on pas que cette assemblée constituante (page 590) qui la première avait
proclamé hautement et formellement la liberté religieuse, la renversa bientôt
en décrétant la constitution civile du clergé ? comme s'il appartenait
au pouvoir civil de constituer le clergé et de tracer la ligne qui le sépare
des autres pouvoirs !
Le même
principe ne se trouvait-il pas tout au long dans notre loi fondamentale, art.
190,191, 192 et 193 ? Or, vous savez quelles tracasseries le ci-devant
gouvernement des Pays-Bas fit subir au clergé. Il prétendait appliquer aux
ministres du culte qui correspondaient avec Rome les dispositions
rigoureuses du Code pénal concernant ceux qui se mettent en relation avec
des souverains étrangers, comme si le pape, chef spirituel de l'Église
universelle, était pour les catholiques un souverain étranger ! Vous vous
souvenez du scandaleux procès de M. de Broglie, évêque de Gand. Je tiens d'un
de nos évêques qu'une bulle qui accordait aux ecclésiastiques d'un certain âge
le droit de porter une calotte en célébrant l'office divin, a été
retenue dans les bureaux de divers ministères pendant plus de six mois ; et
après avoir passé de commission en commission, elle n'en est sortie que bien et
dûment placetée. Aujourd'hui même, le gouvernement français, malgré les
dispositions formelles de la charte, n'a pas encore renoncé à toutes ces
vieilles traditions du gallicanisme. Voilà jusqu'où l'on a poussé l'absurdité
de ces fameux droits régaliens qui ont fait faire tant de sottises au
dernier gouvernement !
Pour
renverser le principe de l'article 12, on a beaucoup argumenté des
inconvénients qui peuvent en résulter ; on a particulièrement insisté sur un arrêté
du gouvernement provisoire, qui, selon l'avant-dernier orateur, a ouvert la
porte aux plus horribles abus. Eh bien, messieurs, après y avoir bien réfléchi,
je ne pense pas que le principe doive fléchir dans cette circonstance. La
religion confère le sacrement ; la loi civile confère les effets civils. Si les
époux ne sont pas unis devant le magistrat, le mariage est privé de ses effets
légaux. Mais la religion est-elle cause de cet inconcevable oubli, d'une
précaution indispensable pour assurer un état et un nom à leurs enfants ? Il me
semble, messieurs, qu'en poussant à ses dernières conséquences le raisonnement
de l'honorable M. Defacqz, si deux personnes vivent en concubinage,
c'est-à-dire sans aucun mariage ni civil ni religieux, vous devriez prendre des
précautions légales pour l'empêcher, car enfin qu'est-ce que le concubinage,
sinon l'oubli des principes civils et religieux tout à la fois ? Mais pour en
revenir à l'épouvantable abus dont vient de parler l'honorable M. Defacqz, et
avant d'écarter de notre constitution un principe que je crois conservateur de
la véritable tolérance, puisque je pense qu'il n'en est que la dernière
expression, je désirerais savoir positivement quel a été le nombre des
malheureuses victimes abandonnées, qui ont si profondément ému notre honorable
collègue. Autrement vous mettriez le clergé lui-même dans une horrible
servitude ; vous auriez le droit non seulement de l'empêcher d'agir, mais vous
pourriez le contraindre à agir, vous pourriez le contraindre à marier, à baptiser,
à enterrer, contre les dispositions précises des lois canoniques. Il faut,
messieurs, que la liberté soit égale pour tout le monde.
(page 591) La
puissance civile peut marier qui bon lui semble, par exemple, un homme lié par
des vœux religieux, un prêtre, un capucin ! Il y a mieux, messieurs, elle ne peut refuser de les marier. Eh bien ! nous demandons que le ministre du culte soit absolument placé dans la même
position, qu'il soit libre enfin d'obéir à ses lois comme le magistrat civil !
Mais les prêtres, a-t-on ajouté, sont payés par l'État ; donc l'État a
le droit d'intervenir. Messieurs, c'est une grande question que celle de savoir
quelles sont les obligations que contracte le clergé
en réclamant un traitement. Ce n'est pas
ici le lieu d'agiter cette espèce de problème
politique. Mais, je n'hésite pas à le
dire par anticipation, puisqu'on m'y invite : la question du traitement du
clergé est, en d'autres termes, celle-ci : Importe-t-il à la société qu'il y
ait, ou non, une religion dans la société ?.. J'ai
dit. (C., 24 déc.)
M. l’abbé de Foere –Messieurs, je ne m'attendais pas à une
discussion sur la question du mariage. J'avoue cependant qu'elle entre dans l'art. 12
du titre qui est maintenant l'objet de notre délibération. Je me vois forcé à
parler sur ce sujet sans préparation. Je réclame, messieurs, toute votre
indulgence. L'honorable M. Defacqz est venu vous
proposer un parti extrême. II veut que les lois civiles priment sur toutes les lois religieuses, et que
celles-ci soient entièrement absorbées par celles-là toutes les fois que les
unes et les autres se trouvent eu collision. Pour moi, messieurs, je ne vous
proposerai pas l'inverse de la proposition exclusive de M.
Defacqz, quoique les principes de liberté que nous
avons sagement adoptés m'y autoriseraient aussi bien que M. Defacqz. Mon
intention est d'entrer dans des voies de conciliation ; mais avant de vous en
proposer les moyens, permettez-moi de vous dire quelques mots sur ces mesures
absolues que l'on vous propose de prendre et sur leurs conséquences.
Les partis extrêmes sont inséparables de l'intolérance et du despotisme.
Ils emportent nécessairement avec eux le principe d'une domination universelle
et absolue. Avec une législation exclusive, il n'est pas de liberté ni de
tolérance possible. Or, messieurs, quelle est la mission avouée du congrès ?
celle d'établir la liberté pour tous. Vous avez admis hier la liberté des
cultes ; si vous adoptez le principe de M. Defacqz, ne détruirez-vous pas d'une main ce que vous érigez de
l'autre ? Au surplus, messieurs, les partis extrêmes ont été la
perte de tous les États, de tous les gouvernements qui les ont adoptés. Si vous
les sanctionnez aujourd'hui,
vous rompez l'union, et vous déposez dans la constitution même, qui ne doit renfermer que des bases d'institutions stables, vous y déposez, dis-je, le germe d'une nouvelle révolution. Les catholiques ne
consentiront jamais à ce qu'aucun des principes essentiels de leur religion
soit sacrifié à des prétentions exclusives.
Voyons maintenant s'il n'est pas possible de concilier les deux
opinions. Comme je ne suis pas préparé à la discussion, je vous déclare
d'avance que je ne préjuge rien sur les mesures que je vais avoir l'honneur
d'indiquer. Je vous déclare même que je ne vous conseille pas d'adopter encore
les moyens conciliateurs que je vous proposerai. Je n'ai d'autre intention que
d'évoquer sur cette grave question les lumières du congrès.
En Angleterre, sans qu'aucune réclamation sérieuse se soit élevée, les
parties vont contracter devant l'église anglicane. Je sais que, dans l'état
actuel des choses, cette disposition ne pourrait pas être adoptée chez nous
dans toute sa rigueur ; mais ceux qui ne voudraient ou ne pourraient pas
contracter devant l'autorité de leurs cultes respectifs, pourraient se
présenter devant l'état civil. Un autre moyen de conciliation serait celui-ci :
la législation civile et la législation canonique conviendraient entre elles
d'établir les mêmes empêchements de mariage, de manière que les parties
contractantes ne rencontreraient plus d'obstacle à remplir les conditions
requises par l'une et l'autre autorité. Ce moyen ne serait pas d'une exécution
aussi difficile que vous pourriez le croire ; car de tout temps il n'a existé
qu'une légère différence entre les empêchements de la loi canonique et les
empêchements de la loi civile. On remarque encore aujourd'hui cette légère
différence dans la législation actuelle.
Je n'entrerai pas à présent dans la question du traitement du clergé,
que M. Defacqz a soulevée. Je crois, avec M. de Gerlache, que nous sortirions
de l'article 12 qui est maintenant l'objet de notre délibération. Je me réserve
de traiter cette matière lorsque le titre relatif aux finances nous sera
présenté.
Je conclurai au rejet de l'amendement de l'honorable M. Defacqz, qui consiste à faire
disparaître l'art. 12 tout entier, et à laisser à la législature future le soin
de statuer sur l'objet de cet article. Ce serait déplacer les compétences que
d'abandonner à l'arbitraire de la législature qui nous succédera la mission de fixer les
bases de nos libertés. Elles doivent être déposées
dans la constitution. (C., 24 déc.)
M. Jottrand – Nous sommes
arrivés à une époque où les hommes éclairés s'accordent généralement à n'interroger un principe qu'en lui-même, (page 592) et abstraction faite des inconvénients partiels qu'il
peut avoir dans son application. On est convenu d'adopter cette manière
d'examiner toutes les questions, par la conviction que l'on acquiert tous les
jours davantage, que rien n'est exempt d'abus ; que les inconvénients d'un
principe varient selon les temps, les pays, les personnes, mais tendent
toujours à disparaître à mesure qu'on avance dans la carrière de la
civilisation et des lumières.
Repousser
l'adoption d'un principe par la crainte de quelques-unes de ses conséquences
immédiates, c'est renoncer aussi à ses conséquences plus éloignées, qui seront
bonnes si le principe est bon. Un marché de cette nature ne peut être que
désavantageux. .
La question
du mariage religieux, laissé indépendant du mariage civil, a dominé
particulièrement le discours de l'honorable M. Defacqz. Les
raisons qu'il a fait valoir à l'appui de la législation étroite don. il
voudrait le rétablissement ou le maintien, sont-elles bien concluantes ?
A l'époque
où fut portée la loi française, dont il a vanté la sagesse et préconisé les
auteurs, le clergé catholique et le catholicisme tout entier se trouvaient en
hostilité avec la législation civile de l'empire. Ce culte avait un souvenir
récent de son ancienne suprématie, même dans l'ordre civil ; il songeait
peut-être encore à reconquérir cette suprématie, car les catholiques ne
pouvaient encore être convaincus, comme ils l'ont été depuis, du changement
profond qui s'était opéré dans les opinions et la position des peuples
modernes.
Pour cette
raison et d'autres encore, le clergé catholique d'alors pouvait être soupçonné
mal disposé à prêcher l'observance des lois nouvelles de l'État, et les abus à
prévoir du conflit nécessaire des deux autorités pouvaient devenir graves et
nombreux. J'atteste ici moi-même l'opinion du conseiller d'État Berlier,
alléguée par l'honorable M. Defacqz : c'est, dit-il, parce que l'état civil était
naguère encore dans les mains du clergé, qu'on porte la loi qui défend, dans
tous les cas, le mariage religieux avant le mariage civil. Ce naguère explique
à lui tout seul la disposition de l'époque.
En 1815,
Quoi qu'il
en soit, nous sommes aujourd'hui beaucoup plus avancés qu'en 1815. Tout le
monde est d'accord maintenant sur la véritable portée de la loi civile et sur
l'autorité qu'elle a seule de régler l'état civil des citoyens.
On vous a
retracé, en les exagérant peut-être, tous les inconvénients qui résulteraient
pour les citoyens mêmes du mépris aveugle qu'ils pourraient faire des lois
civiles sur le mariage. Mais plus ces inconvénients sont graves, plus les citoyens
chercheront à s'y soustraire en satisfaisant à ces lois. Ceux à l'avis desquels
nos paysans s'en réfèrent presque toujours, le bourgmestre et le curé, savent
bien les avertir des dispositions de la loi ; et si l'on veut un exemple du
changement qui s'est opéré, en cela comme en bien des choses, dans l'esprit du
clergé catholique de notre pays, qu'on se rappelle qu'aussitôt après l'arrêté
du gouvernement provisoire du 16 octobre dernier, les évêques ont pris soin
d'instruire leurs subordonnés des obligations qu'ils avaient à remplir envers
les citoyens peu éclairés, pour les empêcher de tomber dans
l'erreur sur la valeur respective des mariages civil et religieux.
L'honorable
M. Defacqz a parlé du danger que nous courrions d'organiser le désordre dans l'État, en
adoptant le principe nouveau que l'ou veut introduire dans la constitution. Il
a cité le décret impérial du 30 décembre 1809 sur les fabriques, décret dont la
sagesse est, dit-il appréciée par tout le monde, et qui pourrait, ainsi que
beaucoup d'autres de nos lois actuelles, être renversé ou modifié.
Mais toute
révolution qui amène de nouveaux principes dans une société organise
nécessairement le désordre dans tout ce qui était fondé antérieurement sur des
principes contraires. La question est de discuter la valeur des principes en
eux-mêmes, avant de faire un choix. Le choix fait, il faut prendre résolument
son parti sur toutes ses conséquences. Jamais sans cela nous n'aurions vu de
révolution ; jamais nous n'en aurions tiré d'avantage.
Autant je
suis opposé au principe de la suprématie de la loi civile sur la loi
religieuse, dans un siècle où nous sommes obligés de les séparer totalement, autant
je repousse les moyens de transaction de la nature de ceux que vient de nous (page 593) proposer M. l'abbé de
Foere sur la question du mariage civil et du mariage religieux.
Accorder aux ministres des différents
cultes la faculté d'attacher au mariage religieux la force du mariage civil,
c'est empêcher tous les citoyens qui ne professent aucune religion de jamais
obtenir pour leurs mariages la
forme qui doit les rendre valides aux yeux de la loi. .
Persuadé que tout point de contact entre
l'autorité civile et religieuse doit être scrupuleusement écarté de nos lois,
je me prononce contre la proposition de M.
Defacqz. (C., 24 déc.)
M. le chevalier de Theux de
Meylandt – L'intervention de
l'autorité civile est une atteinte
incontestable à la liberté religieuse dans l'état actuel de nos sociétés
civiles. L'intervention du pouvoir civil dans les temps où les sociétés étaient
exclusivement catholiques, pouvait avoir moins d'inconvénients, parce qu'alors
les règles de la société civile étaient plus ou moins d'accord avec les règles
canoniques.
Les hommes qui ont proclamé, au commencement de notre
révolution, le principe large de l'indépendance des cultes, se sont montrés à
la hauteur de leur siècle et ont prouvé qu'ils concevaient bien les
changements qui se sont opérés depuis dans
les relations du pouvoir civil et du pouvoir religieux. Il nous faut vivifier le principe que le
gouvernement provisoire a posé.
M. Defacqz a
dit qu'en matière mixte, la loi civile doit avoir la prééminence sur la loi
religieuse, parce que la loi civile est faite du consentement de tous. Cette
maxime est pernicieuse, parce que la
première difficulté est de décider ce qui est de nature mixte ; et qui le
décidera ?
Les
inconvénients allégués par l'honorable M. Defacqz pour ce qui regarde le
mariage, sont insignifiants en comparaison des inconvénients du système
contraire. Au reste, en favorisant seulement le mariage civil, on tombe dans
l'abus grave d'autoriser les alliances purement civiles qui sont scandaleuses. (Murmures,
interruption.)
On a
allégué les concubinages aux yeux de la loi
civile qui résulteront de la permission absolue de se marier
devant l'Eglise. Mais l'Église répondra en alléguant le divorce civil qui fera
des bigames aux yeux de la religion ; le divorce dont les effets déplorables… (Murmures,
nouvelle interruption.)
Enfin, poursuit l'orateur, les
inconvénients qui peuvent résulter de la liberté absolue du mariage religieux ne
sont pas assez graves pour que nous refusions de proclamer un principe de
liberté que consacre l'art. 12 sur lequel nous discutons et dont j'adopte la
rédaction. (C., 24 déc.)
M. Forgeur – Messieurs,
il ne faudrait que le discours que vous venez d'entendre pour se défendre de
se laisser aller à ces idées de liberté religieuse… (Murmures,
interruptions.) D'abord j'ai pensé que la liberté des cultes devait être
entière, sans entraves, et que l'État ne devait pas s'immiscer dans les
affaires de religion ; je le pense encore, mais je ne pense pas que cette règle
soit si générale qu'elle ne souffre aucune exception, et s'il est vrai que la
loi civile fût froissée par la loi religieuse dans une circonstance donnée, j'aime
mieux apporter quelque restriction à la liberté religieuse, parce que je ne
crois pas devoir mettre au-dessus des intérêts de tous ce qui n'est fait que
dans l'intérêt de quelques-uns. Du reste, je crois que jusqu'ici la question a
été mal posée, et que de là viennent les dissentiments qui partagent cette
assemblée. Posons-la comme elle doit l'être.
Déclarer que
toute intervention du magistrat ou de la loi, dans les affaires d'un culte, est
interdite, c'est déclarer une chose qui peut être utile sous certains rapports,
mais qui, certainement, a son côté dangereux. Entend-on par là autoriser le
mariage religieux avant le mariage civil ? Eh bien, messieurs, c'est renverser
la puissance paternelle, porter la division dans le sein des familles, et
livrer la société à une dissolution complète. Je le prouverai par des faits,
messieurs, par des faits irrécusables, et les faits sont toujours plus forts que les
principes. Mais d'abord entendons-nous bien sur ce que c'est que la liberté des
cultes : demandons-nous si cette liberté peut aller jusqu'à porter atteinte à
la loi civile, et voyons si cette dernière n'a pas été faite dans l'intérêt de
tous, si, par conséquent, lorsque son intérêt parle, tous les intérêts
particuliers ne doivent pas se taire. (Pardonnez, messieurs, je sens que je
n'apporte pas beaucoup d'ordre dans mes idées, c'est inséparable d'une
discussion à laquelle je n'étais pas préparé.) On veut la liberté des cultes ;
que deviendrait cette liberté, demande-t-on, s'il vous était permis de vous
immiscer dans les affaires de la religion ? Mais, messieurs, que feriez-vous en
défendant au prêtre de célébrer le mariage religieux avant le mariage civil ?
Serait-ce vous immiscer dans les affaires de la religion ? serait-ce dire que
l'État peut obliger un prêtre ou lui défendre de célébrer un mariage ? En
aucune façon ; l'État ne dit pas au prêtre
; Vous serez forcé de départir la bénédiction nuptiale ou de la refuser
quand je vous le prescrirai ; mais il dit ; Au nom et dans l'intérêt de tous,
je veux que le mariage soit d'abord contracté civilement ; vous, prêtres, vous
marierez, si vous le trouvez bon, les individus que j'aurai (page 594) déclarés aptes au mariage ;
vous pouvez refuser de les marier, si tel est votre bon plaisir : je n'ai ni le
droit ni la volonté de vous y contraindre. Voilà ce que vous dites ; messieurs,
et ainsi vous opérez sur la société tout entière, vous agissez dans l'intérêt
des masses, et vous ne livrez pas la société aux caprices et aux exigences
d'une secte. J'insiste, messieurs, parce que j'attache la plus grande
importance au triomphe des principes que je soutiens : s'ils n'étaient pas
consacrés, la loi civile serait écrasée par la loi spirituelle.
Qu'il me
soit permis de mettre sous vos yeux d'abord les motifs du concordat où cette
question est traitée d'une manière supérieure ; je vous ferai connaître ensuite
les faits déplorables, postérieurs à l'arrêté du gouvernement provisoire, dont
nous a parlé M. Defacqz.
« Dans
chaque religion, dit l'orateur du gouvernement en présentant les motifs
des articles organiques du concordat, dans chaque religion il existe
un sacerdoce ou un ministère chargé de l'enseignement du dogme, de
l'exercice du culte, et du maintien de la discipline. Les choses
religieuses ont une trop grande influence sur l'ordre public, pour que l'État
demeure indifférent sur leur administration.
« D'autre
part, la religion en soi, qui a son asile dans la conscience, n'est pas
du domaine direct de la loi : c'est une affaire de croyance, et non de
volonté. Quand une religion est admise, on admet, par raison de conséquence,
les principes et les règles d'après lesquels elle se gouverne. .
« Que doit
donc faire le magistrat politique en matière religieuse ? connaître et fixer
les conditions et les règles sous lesquelles l'État peut autoriser,
sans danger pour lui, l'exercice public d'un culte.
« C'est ce
qu'a fait le gouvernement français relativement au culte catholique.
Il a traité avec le pape, non comme souverain étranger, mais comme chef de
l'Église universelle, dont les catholiques de France font partie. Il a fixé
avec ce chef le régime sous lequel les catholiques continueront à professer
leur culte en France. Tel est l'objet de la convention passée entre le gouvernement et
Pie VII, et des articles organiques, de cette convention. »
L'orateur
donne ici lecture de quelques articles organiques du concordat ; il cite entre
autres l'article LIV qui est ainsi conçu :
« Ils (les curés) ne donneront la
bénédiction nuptiale qu'à ceux qui justifieront,
en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l'officier civil. »
Vous le voyez, messieurs, dit-il ensuite, le
concordat lui-même voulait que les prêtres ne donnassent la bénédiction
nuptiale qu'à ceux qui auraient justifié avoir rempli les formalités prescrites
par la loi civile. Notez, et j'insiste sur ce point, parce que je sens que
c'est là-dessus que portera le dissentiment dans l'assemblée, notez, dis-je,
que par ainsi on ne s'était immiscé en rien dans les cérémonies du culte ; on
s'était borné à exiger que ces cérémonies fussent précédées par le mariage
civil. Les raisons en sont tellement pressantes, que je ne conçois pas comment
on peut les méconnaître. Il faut d'abord assurer l'état des époux, celui des
enfants, garantir la puissance paternelle de toute atteinte ; eh bien ! si vous
affranchissez les prêtres de ces conditions, si vous permettez la bénédiction
nuptiale avant l'observation de la loi civile, vous compromettez le sort des
époux, vous exposez leurs enfants à la bâtardise, vous détruisez la puissance
du père de famille qui pourra voir ses enfants se marier malgré lui-même avant
l'âge et n'ayant point encore les forces que la loi suppose pour contracter, et
vous arrivez par là jusqu'à contrarier la loi de nature.
Le gouvernement provisoire a cru pouvoir régler de sa propre autorité
une matière qu'il aurait pu laisser au soin du congrès national. Vous
connaissez son arrêté du 16 octobre dernier. J'appellerai un instant votre
attention sur cet arrêté et sur les faits déplorables qui en ont été la suite ;
mais je le dis à l'avance, si vous le sanctionnez, vous aurez la société
divisée en deux parties, les uns mariés légitimement, les autres vivant dans le
concubinage ; en un mot, vous aurez confusion, chaos, pour cela seul que vous
n'aurez pas voulu poser une juste limite à la liberté religieuse : mais,
messieurs, songez-y bien, nous ne sommes ici que pour poser des limites à
toutes les libertés : si elles devaient
être illimitées, indéfinies, on n'aurait pas besoin d'un pouvoir constituant ;
ce serait revenir à la loi de nature.
Voici les termes de l'arrêté du 16 octobre :
« Les lois générales et
particulières entravant le libre exercice d'un
culte quelconque, et assujettissant ceux qui
l'exercent à des formalités qui froissent les consciences, et gênent la manifestation de la foi professée, sont également abrogées. »
On devait s'attendre, messieurs, que, dès le (page 595) début, celte arme dangereuse confiée au clergé ne
serait pas brisée par lui-même entre ses mains, et qu'il en ferait un usage
modéré ; il en fut autrement ; des réclamations arrivent journellement de
toutes les provinces du pays. On dénonce de toutes parts des faits scandaleux
qui sont la suite de l'arrêté. Je tiens à la main deux de ces faits .. (U. B., 24 déc.)
Quelques voix
– Deux ! le
mal n'est donc pas général comme vous dites. (U. B., 24 déc.)
M. Forgeur – Attendez, messieurs ; si
vous ne voulez que des faits, je vous en citerai jusqu'à
épuisement.
(L'honorable
orateur lit une lettre annonçant que,
dans
le district de Tournay, plusieurs unions ont été contractées devant le prêtre
seulement.) (U. B., 24 déc.)
Quelques voix
– C'est vague
! (U. B., 24 déc.)
M. Forgeur – Un peu de
tolérance, messieurs ; veuillez ne pas m'interrompre. (U. B., 24
déc.)
D’autres voix
– De quelle date
est la lettre ? (U. B., 24 déc.)
M. Forgeur – Du 7
décembre. Il n'y avait pas encore deux mois d'écoulés depuis l'arrêté, et déjà,
vous le voyez, plusieurs faits étaient dénoncés. Je citerai maintenant des
faits qui se sont passés dans le district de Liége et qui sont à ma
connaissance personnelle. Un jeune homme fréquentait une demoiselle depuis
quelque temps, il existait un dissentiment entre les familles : on avait
sollicité vainement l'autorisation du père ; l'arrêté est rendu, les jeunes
gens se présentent devant un prêtre et le mariage est consommé. Voilà un fait
que je garantis. Voilà l'autorité paternelle méprisée, foulée aux pieds au nom
de la liberté religieuse. (Interruption.)
Allez au
ministère de la justice, vous y trouverez des plaintes de plusieurs parquets,
de celui de Liége notamment, qui dénoncent de semblables faits. D'autres
membres du congrès en connaissent aussi et peuvent vous les rapporter. Voilà où
nous en sommes, messieurs, avec cette liberté indéfinie ! D'où vient ce mal ?
de ce qu'on s'est relâché des dispositions pénales attachées à l'inobservation
de la loi. C'est à vous de voir si vous voulez exposer le pays aux calamités
qui le menacent, si vous voulez renverser la puissance paternelle, laisser sans
garantie les époux eux-mêmes et leurs malheureux enfants, permettre à la veuve
de se remarier avant les dix mois de viduité ; en un mot, si vous voulez saper
l'édifice social par sa base. Le besoin d'obtenir toutes les dispositions
tutélaires dans une matière d'intérêt général, la conviction dont je suis
assailli que nous ne saurions nous en passer, me fait demander le rejet de
l'art. 12. Si vous l'adoptez, j'ose prédire des désordres graves que vous aurez
à vous reprocher par la suite. (Bravo ! bravo ! On applaudit. -L'orateur,
dont l'improvisation a été chaleureuse et entraînante, reçoit des félicitations
de plusieurs de ses collègues.) (U. B., 24 déc.)
M. Van Meenen
– L'honorable M. Defacqz a dit que la volonté générale fait la loi. Je dis, moi,
qu'il y a au-dessus de cette volonté générale une règle immuable, la justice,
qu'il faut toujours respecter. Les abus que l'on craint après avoir consacré le
principe que l'art. 12 propose, ces abus résultent d'abus antérieurs dont ils
sont la suite et la conséquence. Ils disparaîtront successivement, et les
mariages religieux, déjà contractés sans l'intervention de la loi civile, pourront
toujours obtenir la sanction de cette loi, quand on voudra légitimer les
mariages qui n'en ont point jusqu'ici.
De quelque
parti que l'on soit, on est forcé de reconnaître un fait, c'est que l'immense
majorité des habitants des Pays-Bas sont catholiques. Nous devons dès lors
contribuer de tout notre pouvoir à régler ce qui peut être utile à cette
majorité quand cela ne contrarie pas les intérêts des autres citoyens. Et ce
que je viens de dire s'appliquera plus spécialement à la question du salaire du
clergé, question sur laquelle je me range entièrement à l'opinion déjà émise
par l'honorable M. de Gerlache.
(L'orateur
termine par la réfutation de quelques objections faites par M. Forgeur contre la
liberté indéfinie du mariage religieux, qui du reste n'est pas un mariage aux
yeux de la loi civile.) (C., 24 déc.)
M. Werbrouck-Pieters – M. Forgeur ayant fait valoir avec beaucoup de talent la plus grande
partie des raisons que j'avais à développer devant l'assemblée, je renonce pour
le moment à la parole. (C., 24 déc.)
M. Van Snick – Je demande la parole. (U. B., 24 déc.)
M.
le président – Vous l'aurez à votre tour. (U.
B., 24 déc.)
M. Nothomb –
Partisan de l'union qui a précédé notre révolution, je saisis avec
empressement l'occasion de défendre ce fait qui a amené de si grands résultats,
et qu'il s'agit aujourd'hui de ratifier dans notre constitution. Si l'article
de la section centrale est rejeté, l'union aura été une tactique, et non
un principe, un piège et non un (page
596) acte de bonne foi, une trêve passagère, et non un progrès social.
Je commencerai
par exposer, avec toute la clarté possible, le principe que défendent les
catholiques purs, et cette portion du parti libéral à laquelle j'appartiens.
Messieurs,
nous sommes arrivés à une de ces époques qui ne reviennent pas deux fois dans
la vie des peuples ; sachons en profiter. Il dépend de nous d'exercer une
glorieuse initiative et de consacrer sans réserve un des plus grands principe,
de la civilisation moderne. Depuis des siècles il y a deux pouvoirs aux prises
entre eux, le pouvoir civil et le pouvoir religieux ; ils se disputent la
société, comme si l'empire de l'un excluait celui de l'autre. L'histoire
entière est dans ce conflit que nous sommes appelés à faire cesser, et qui
provient de ce qu'on a voulu allier deux choses inconciliables. Il y a deux
mondes en présence : le monde civil et le monde religieux ; ils coexistent sans
se confondre ; ils ne se touchent par aucun point, et on s'est efforcé de les
faire coïncider. La loi civile et la loi religieuse sont distinctes ; l'une ne
domine pas l'autre ; chacune a son domaine, sa sphère d'action.
M, Defacqz a franchement déclaré qu'il veut que la loi
civile exerce la suprématie ; il pose nettement le principe qui lui sert de
point de départ. Nous adoptons un principe tout opposé : nous dénions toute
suprématie à la loi civile, nous voulons qu'elle se déclare incompétente dans
les affaires religieuses. Il n'y a pas plus de rapport entre l'État et la
religion, qu'entre l'État et la géométrie. Comme partisans de l’une ou de
l'autre opinion religieuse, vous êtes hors des atteintes de la loi ; elle vous
laisse l'existence absolue de la nature.
MM. Defacqz
et Forgeur ont cité des lois, des autorités qui appartiennent à un système que
nous repoussons, C'est le régime de Louis XIV, le régime de Bonaparte, Ne
relevons pas un système qui gît dans la poudre du passé.
Voici donc
notre point de départ : séparation absolue des deux pouvoirs. Ce système est
une innovation. Nous l'avouons. Il exige une indépendance réciproque ;
l'article de la section centrale n'exprime pas cette réciprocité, et c'est en
ce sens que je demanderai une rédaction plus complète.
Maintenant
que le principe est connu, j'en énoncerai les principales conséquences. Celle
qui se produit immédiatement est la suivante : plus de concordat. Deux pouvoirs
qui n'ont rien de commun ne peuvent négocier entre eux.
La deuxième
conséquence est la non-intervention du gouvernement dans la nomination des
chefs religieux, à quelque degré de l'ordre hiérarchique
qu'ils appartiennent. Le chef de l'État doit s'abstenir d'intervenir dans
le choix des évêques, comme le pape s'abstient d'intervenir dans le choix de
nos gouverneurs de provinces.
La troisième
conséquence est que pour tout genre de correspondance, de publication, le
clergé reste dans le droit commun ; les prêtres écriront à leurs
chefs supérieurs, même résidant en pays étranger ; ils publieront leurs
actes, sans les soumettre à un placet. Si ces écrits rendus publics renferment
quelque chose de séditieux, les lois pénales ordinaires les atteindront comme
tout autre écrit.
On ne s'est
pas occupé de ces trois premières conséquences ; une opinion seule agite cette
assemblée ; elle est relative au mariage. Ici je suivrai pas à pas mes deux
honorables adversaires.
M. Forgeur
vous a dit qu'il ne faut pas abandonner à la discrétion des particuliers un
acte aussi important que le mariage, qu'il faut mettre la puissance paternelle
à l'abri de ses propres écarts, qu'il faut prendre des précautions contre
l'ignorance des classes inférieures. Hier, messieurs, vous avez établi que
l'exercice des cultes sera libre, sauf la répression des délits.
Aujourd'hui on vous demande de consacrer le système préventif dans
certains cas. Serez-vous inconséquents à ce point ? Toutes les raisons
alléguées par M. Forgeur s'appliquent avec autant de force à la liberté de la
presse, à la liberté de l'enseignement, au droit d'association. Pour vous
mettre à l'abri des écarts des classes inférieures, qu'on dit si ignorantes,
il faut aussi proscrire ou restreindre toutes ces libertés.
On vous a
fait le tableau des abus que l'arrêté du gouvernement provisoire, en date du 16
octobre, a occasionnés. On vous a cité peu de faits précis, aucun abus
irréparable. Dans le passage d'un ordre de choses à un autre, des abus sont
inévitables ; mais l'opinion publique s'éclairera promptement. Le principe
n'est pas hors de la portée du vulgaire dans son application au mariage : le
mariage religieux ne produit pas d'effet civil, il ne règle ni la filiation ni
les droits de succession. Ces idées sont populaires même dans nos campagnes.
On nous a
cité un mariage religieux célébré sans que la femme eût obtenu le consentement
de son père. Cette femme aurait pu se rendre coupable d'un acte bien plus
répréhensible encore (murmures), et contre lequel tous nos codes sont (page 597) impuissants. Vous voulez
empêcher le mariage exclusivement religieux, qui aux yeux de la loi civile
n'est qu'un concubinage (violente interruption). Ces murmures m'étonnent
; aux yeux de la loi civile, je le répète, et j'appuie sur ces mots, le mariage
exclusivement religieux est un concubinage d'un genre particulier. Pourquoi ne
prévenez-vous pas tout concubinage ? pourquoi faites-vous une exception la où
le concubinage semble prendre un caractère moins répréhensible ? J'interpelle
mes adversaires comme jurisconsultes, je dis que pour être conséquents avec
eux-mêmes il faut qu'ils admettent un système pénal qui prévienne tous les
écarts de la vie privée ; c'est ce qu'avait tenté le gouvernement déchu dans
son fameux projet de code.
La prêtrise
n'est pas un empêchement du mariage civil ; le prêtre n'est aux yeux de la loi
civile qu'un individu. C'est ce que M. Forgeur reconnaît avec moi. Vous voulez confondre les deux lois ; eh
bien, si d'un côté vous interdisez au prêtre de donner la bénédiction nuptiale
lorsqu'il n'existe pas de mariage civil, d'un autre côté vous devez interdire à
l'officier de l'état civil de marier un homme que le droit canon déclare
incapable de mariage. Il y a corrélation entre ces deux idées. Comme
jurisconsultes, vous seriez amenés à adopter la jurisprudence de la cour
d'appel de Paris sur le mariage des prêtres.
On nous
reproche de détruire toutes les dispositions tutélaires de nos codes ; on cite
entre autres la disposition qui interdit à la femme veuve ou divorcée de
convoler à de secondes noces avant l'expiration des dix mois. Une prohibition
analogue se trouve dans le droit canon ; il ne peut en être autrement, la
nature des choses l'exige. Le droit canon dérivé, comme notre code, du droit
romain, exige également le consentement des parents.
Je ne
quitterai pas cette tribune sans rectifier une citation faite par un des
préopinants. Un arrêté du 21 octobre
Messieurs,
je terminerai en répétant qu'il nous est donné de prendre une honorable
initiative. Quel que soit le sort que l'avenir nous réserve, si nous ne sommes
destinés qu'à passer, marquons notre passage par un grand principe, proclamons
la séparation des deux pouvoirs, et donnons un exemple qui ne sera pas sans
influence sur la civilisation européenne et sur la législation des autres peuples.
(C., 24 déc.)
M.
le vicomte Charles Vilain XIIII – Messieurs, je ne viens pas
discuter la question qui vous est soumise ; je demande seulement à citer un
fait, qui pourra servir de contre-poids à ceux que vous a rapportés l'honorable
M. Forgeur. Permettez-moi, comme bourgmestre
d'une petite commune, de vous dire ce qui s'est passé sous mes yeux : le fils
d'un habitant assez aisé du village se lia avec une servante qui ne possédait
absolument rien ; cette liaison eut des suites. Les parents du jeune homme ne
voulurent pas consentir au mariage ; il fallait faire des actes de respect ;
mais il en aurait coûté 60 francs, et
le jeune homme ne les avait pas. On s’adressa au prêtre, qui ne voulut pas
départir la bénédiction nuptiale sans l'accomplissement de la loi civile. Les
habitants de ma commune sont très religieux ; ils furent indignés non-seulement
contre le père, mais encore contre la loi qui obligeait les deux jeunes gens à
vivre en concubinage. Cependant, au bout d'un certain temps, les 60 francs
furent trouvés, on fit les actes de respect et le mariage fut célébré ; mais le
scandale n'en avait pas moins existé. Ce fait fit un tort immense à la loi ; je
le livre à vos méditations. (U. B., 24 déc.)
M. Frison – Je pose en
fait que dans les campagnes, la plupart des couples négligent de se conformer à
la loi civile depuis l'arrêté du 16 octobre. On
a mis sous vos yeux les conséquences funestes qui résulteraient d'un tel état de
choses, je ne les reproduirai pas. Partisan de la liberté religieuse, la
voulant dans la plus grande latitude possible, je crois cependant qu'il faut y
mettre une borne relativement au mariage. Je voterai en conséquence la
suppression de l'art. 12. (U. B., 24 déc.)
M. l’abbé Van Crombrugghe
– L'opinion que je voulais émettre a été si éloquemment développée par M.
de Gerlache et quelques autres orateurs, que je crois pouvoir me dispenser de prendre
la parole. (U. B., 24 déc.)
M. Henri de Brouckere – Il est à
désirer qu'on interdise en général, autant que possible, et l'intervention de
la loi ou du magistrat dans les affaires d'un culte quelconque, et
réciproquement toute intervention d'un culte quelconque dans les affaires de
l'État, et même dans celles des particuliers, si elle n'est invoquée : mais à
cette règle générale, il est une exception qu'il (page 598) faut nécessairement, selon moi, établir dans la
constitution, ou laisser à la loi la faculté de consacrer ; elle est relative
au mariage.
La
disposition prise en 1815, et dont on vous a parlé, l'a été dans des vues
généreuses et libérales ; mais ses funestes résultats n'ont pas tardé à se
faire sentir. Une foule d'habitants des campagnes se marièrent devant l'Église,
sans avoir été unis civilement ; de l'aveu des catholiques les plus zélés (et
je pourrais citer les noms les plus respectables), la disposition fut bientôt
révoquée.
En vain
dit-on que les abus que nous voulons prévenir ne seront pas fréquents ;
l'expérience parle, et j'en appelle à tous ceux de nos honorables
collègues qui habitent les campagnes.
On
suppose que les ecclésiastiques eux-mêmes engageront leurs paroissiens à avoir
d'abord recours au mariage civil ; ils ne réussiront pas près des habitants des
campagnes, que quelques embarras, quelques frais arrêtent. Mais puisqu'on
convient par là même qu'il est à désirer que le mariage civil précède le
mariage religieux, pourquoi ne pas arrêter à cet égard une disposition
formelle' ! plaçons nos garanties dans les institutions et non dans les hommes.
Le mariage
civil pourra se célébrer après ; oui, mais qu'arrivera-t-il si l'un des époux
vient à mourir avant la célébration de ce mariage ? et les enfants ne
seront-ils pas illégitimes ?
Qu'on ne
dise pas que nous ne devons pas entrer dans ces considérations, qu'il faut
laisser à chacun la faculté de faire à cet égard ce qu'il veut, que nous ne
pouvons restreindre un droit qui appartient à tout homme ; il est du domaine du
législateur de veiller à l'intérêt général, à l'intérêt de la société, et dans
ce but il est une foule de droits, non moins positifs, qu'il restreint et qu'il
doit restreindre.
On nous
reproche de favoriser le concubinage, le scandale ; je pense qu'il est immoral
aussi, et souverainement immoral, de s'exposer à donner le jour à des enfants
que la société repoussera, à des êtres malheureux que la loi et l'opinion
condamnent également. Ne favorisons donc pas ceux qui voudraient se contenter
du mariage religieux. Craignons d'ailleurs que le grand désir d'éviter ce qu'on
appelle scandale, ne nous conduise dans des abus tels que ceux dans lesquels est tombé ce même
ministère qui a provoqué l'arrêté de 1815.
Je voudrais donc
que l'art. 12 du projet présenté par la section centrale fût suivi, s'il est
adopté, d'une disposition qui défendît aux ministres des cultes de procéder aux
cérémonies religieuses d'un mariage sans qu'il leur ait été justifié d'un acte de mariage, préalablement reçu par les officiers de l'état
civil. (C., 24 déc.)
M. Raikem – Toute loi qui garantit la liberté doit être vue d'un œil favorable. La
disposition de l'article
Le législateur a lui-même décrété que les hommes sont censés connaître
la loi.
(page 599) Elle est
d'ailleurs mieux connue aujourd'hui
qu'elle ne l'était dans le principe de la publication des lois sur l'état
civil, et l'on peut dire que l'on ne sera trompé que volontairement. Or,
aucune loi n'a pris des précautions contre l'erreur volontaire, si l'on
peut appeler erreur ce qui sera le
résultat de la volonté.
Vous n'avez qu'une seule chose à envisager :
Les abus qu'on prévoit sont-ils assez grands pour restreindre la liberté
?
J'ai longtemps réfléchi sur la question. J'avais même d'abord craint les
abus ; mais, en y réfléchissant davantage, il m'a paru que les abus n'étaient
pas aussi à craindre qu'on se l'imagine.
C'est ici un principe de liberté. On peut abuser de beaucoup d'autres
libertés. Est-ce une raison pour soutenir, comme l'a fait un auteur du siècle
dernier, que le despotisme est le meilleur de tous les gouvernements ?
Mais, dit-on, la loi civile donne une garantie à la puissance
paternelle, et vous la détruisez, si vous autorisez le mariage religieux avant
le mariage civil.
Remarquez, messieurs, que vous n'autorisez rien.
Seulement, vous ne prohibez pas.
On doit en convenir, la puissance paternelle ne va
pas jusqu'au point de pouvoir empêcher le concubinage des enfants. .
Il est encore bien des abus que cette puissance ne
peut empêcher.
Distinguons, dans la puissance paternelle, ce qui est de droit naturel
de ce qui est de droit civil.
Ce qui concerne la puissance paternelle, dans le mariage considéré comme
contrat civil, est uniquement du droit civil.
Elle ne peut donc s'appliquer qu'au droit civil.
Et le contrat civil est celui qui a lieu devant
l'officier de l'état civil.
La majorité n'est elle-même qu'une fiction de la
loi, ainsi que l'âge déterminé pour se marier.
L'esprit peut être mûri avant l'âge de majorité ;
la virilité peut devancer l'âge fixé par la loi.
Ainsi, la fixation de l'âge ne résulte pas du droit
naturel.
Or, dès que vous n'envisagez le mariage que comme contrat
civil, vous ne pouvez mettre
d'empêchement qu'au mariage civil.
Finirez-vous par défendre ce qu'on appelle le mariage naturel ? .
Si le mariage naturel se contracte par le seul consentement, si l'on
doit tenir ce que l'on a promis, ne peut-on pas aussi en
abuser ? On connaît le hoc prœtexit nomine culpam.
Quant à l'art. LIV, non du concordat, mais de la loi organique du 18
germinal an X, il n'est plus applicable à notre régime de liberté.
Défions-nous d'une éloquence entraînante, qui peut séduire au premier
abord, en s'appuyant de quelques faits particuliers. (U. B., 25 déc.)
M. le baron Beyts
– L'article en discussion est ainsi conçu :
« Toute intervention de la loi ou du magistrat dans les affaires
d'un culte quelconque est interdit. »
Je vous avoue, messieurs, qu'en venant ici ce matin, je ne me doutais
pas le moins du monde qu'il fût question du mariage dans cet article. (On
rit.) Cependant, lorsque j'ai eu fait connaître mon amendement, un de nos
collègues, que je ne nommerai pas, est venu me trouver, et m'a demandé si je
n'y ajouterais pas quelque chose relativement aux lois canoniques. (On rit.)
Il y a tant de choses dans le droit
canon. (On rit plus fort.) Il y a quarante ans, lorsque je
suis passé docteur en droit canon, je l'ai étudié, et j'ai vu, dans deux gros
volumes relatifs à la matière, bien des choses, dont les unes sont bonnes sans
doute, mais noyées dans un fatras de choses absurdes et peu raisonnables. J'ai
donc répondu à mon interlocuteur : Mon cher collègue, il m'est impossible de
mettre quelque chose du droit canonique. (Hilarité générale.) Je disais
donc qu'en venant ici je ne me doutais pas de la question ; je ne m'en doutais
même pas au commencement de la séance, lorsque tout à coup M. Defacqz fait
surgir la question du mariage ; et depuis, nous n'avons pas entendu parler
d'autre chose. (Rires.) Je ne suis donc pas préparé à parler sur la
question ; mais cela ne m'empêchera pas d'appuyer la proposition de M. Defacqz,
parce que je la crois nécessaire. Je professe l'amour de toutes les libertés
aussi largement que personne ; mais il ne faut pas confondre deux choses
essentiellement distinctes. Or, je dois l'avouer, je n'ai jamais entendu
oublier les principes, je dis même, vouloir oublier les principes, comme dans
cette discussion. Il faut donc les rappeler. Qu'est-ce que le mariage ? (On
rit.) C'est la conjonction (ici des éclats de rire partent de tous les coins de la salle), c'est la conjonction de deux individus de sexe différent. (L'hilarité
est à son comble.
Interruption prolongée.) C'est la conjonction de deux individus de sexe différent, dans le but de procréer des enfants. (Nouvelle
explosion de rires et nouvelle interruption.) Il y a trois espèces de mariage : le mariage naturel, (page 600) M. Raikem vous en a parlé ;
le mariage civil, et j'entends par là une union résultant du consentement des époux
ct de leurs parents, fait avec toutes les solennités requises par la loi
civile, et devant produire des effets civils. Pour contracter celui-là, il ne
suffit pas d'aller dans une ruelle avec une femme ! (Rires inextinguibles.) Enfin
la troisième espèce de mariage est le mariage sacrement : celui-ci est
institué pour ceux qui vivent dans la religion catholique, que je me fais un
devoir de professer.
Je dis que
sur le mariage sacrement, sur les cérémonies qui l'accompagnent, ni sur les
conditions imposées par l'Église à ceux qui le demandent, la loi civile ne peut
avoir aucune action. Maintenant, d'où vient l'erreur ? c'est de ce que quelques
ministres croient que le mariage à l'église est un mariage. C'est une erreur ;
la bénédiction nuptiale est un sacrement que vous joignez à un mariage déjà
existant. S'il n'y a pas de contrat civil, le prêtre, en bénissant deux époux,
joindrait son sacrement à un mariage qui n'existe pas. Je demande ici la
permission de parler un peu théologie. Dans tout sacrement, il faut trois
choses : le ministre, la forme et la matière. Le ministre, vous l'avez, c'est
le prêtre ; la forme, la loi canonique la prescrit ; enfin, la matière, c'est
le mariage civil lui-même, le mariage existant aux yeux de tous, parce qu'il a
été contracté aux yeux de la loi : c'est là ce que le prêtre doit bénir ; et
s'il donne la bénédiction nuptiale sans le contrat civil, c'est comme s'il
voulait administrer le baptême à un enfant qui n'existerait pas. (Rires et
rumeurs.) D'ailleurs, messieurs, de tout temps il a fallu un contrat civil
pour le mariage, et quand il résultait de la bénédiction nuptial, c'est que la
loi avait nommé le prêtre officier de l'état civil. Les philosophes ont
toujours soutenu ce principe avec un accord unanime. Qui a raison ici ? sont-ce
les catholiques ou les philosophes ? Cette question fut soutenue par Launoy en
1572 ou 1576, dans une thèse publique qui, depuis, a été adoptée en France
comme faisant jurisprudence en cette matière ; et, selon cette thèse, le
mariage à l'église n'existe que lorsqu'il y a préexistence du contrat civil. (A
la question !) J'y suis très-fort dans la question.
(L'orateur réfute quelques arguments présentés par M.
Raikem, et fait observer que la restriction demandée, quant au mariage, en
faveur de la loi civile, est si peu contraire à la vraie liberté religieuse,
que le pape Pie VII, dans le concordat de 1801, avait consenti à ce que les
prêtres ne pussent départir la bénédiction nuptiale qu'après que les parties
auraient prouvé qu'elles s'étaient conformées à la loi civile. Il finit par
demander l'ajournement sur une question trop importante pour être discutée à
l'improviste et sans préparation.) (U. B., 25 déc.)
M.
l’abbé de Foere demande la parole pour un fait personnel, et prétend
que M. Beyts a abusé de la confidence qu'il lui avait faite relativement aux
lois canoniques. (U. B., 25 déc.)
M. le baron Beyts veut
répondre. (U. B., 25 déc.)
M. Forgeur réclame
l'ordre du jour, en disant qu'il n'est pas question d'un fait personnel. (U. B., 25 déc.)
M. l’abbé Dehaerne – Messieurs,
dans l'état actuel de la société, il ne peut y avoir aucune alliance entre le
pouvoir spirituel et le pouvoir civil, autre que celle de la tolérance
réciproque ou de la liberté. Le gouvernement doit respecter toutes les
opinions, quelles qu'elles soient, même celles qui seraient destructives du
gouvernement, pourvu qu'elles ne se réalisent pas, pourvu qu'elles ne
deviennent pas faits. J'en appelle ici, messieurs, à l'autorité d'un grand
citoyen, d'un citoyen qui a opéré la fusion de tous les partis dans
On prétend
que ce n'est pas entraver la liberté religieuse que de défendre le mariage
religieux (page 601) avant le
mariage civil. Je répondrai d'abord que dans le cas où il existerait des
empêchements civils qui n'existeraient pas aux yeux de l'Église, vous forceriez
l'Eglise à reconnaître ou à respecter ces empêchements. La liberté est donc
violée par ce seul fait. Il y a plus, messieurs ; une fois que l'État a le
droit de dominer la société religieuse en un point, il peut la dominer dans
tous les points, il peut l'absorber, la détruire.
Il faut la
liberté, messieurs, pour tous et en tout.
Si cet état
ne plaisait pas au futur gouvernement, on ferait bien de nous en avertir. Alors
la question changerait ; nous nous placerions sur un autre terrain, pour
défendre nos droits et nos libertés. M. Beyts a cru devoir parler théologie ;
moi je parle liberté, et je dis que la religion catholique ou toute autre exige
un consentement préalable a la célébration du mariage ; elle ne demande pas que
ce concours de volontés soit sanctionné par le pouvoir civil ou soit un contrat
civil. Les systèmes dont parle M. Beyts sont surannés, ce sont des systèmes
gallicans. Si la société religieuse juge à propos de bénir le contrat civil,
libre à elle de le faire ; mais l'État ne peut pas exiger la priorité de tel ou
tel acte civil à la bénédiction nuptiale. (U. B., 25 déc.)
M. Van Snick – Quoique
partisan de la liberté autant que personne, je crois qu'il y a des bornes qu'on
ne peut dépasser sans danger. Je prendrai pour exemple la liberté individuelle
: nous l'avons décrétée pleine et entière, cependant nous avons senti la
nécessité d'y apporter des restrictions. Est-il permis, par exemple, à un
individu de se vendre ? Peut-il disposer de sa personne et aliéner sa qualité
d'homme libre pour devenir l'esclave de son semblable ? Non, la loi ne
sanctionnerait pas un pareil contrat. Le domicile est inviolable. Eh bien ! il
est des cas où la loi permet d'y pénétrer. La presse est libre : n'avez-vous
mis aucune borne à cette liberté ? Quel est le législateur qui l'oserait ? En
un mot, messieurs, tous les articles que nous avons votés hier, et qui
sanctionnent nos libertés, y apportent quelques restrictions. Ces restrictions,
l'intérêt général les commande. Or, est-il vrai qu'ici la société soit
intéressée à ce qu'on restreigne la liberté religieuse pour tout ce qui regarde
le mariage ? Est-ce porter une atteinte à cette liberté, ou au culte religieux,
en prescrivant aux futurs époux de passer par la municipalité avant d'aller à
l'église ? Non, messieurs, et quand cette formalité serait trouvée gênante par
quelques individus, ils doivent faire ce sacrifice à l'intérêt général. Voyez
où tendrait une doctrine contraire ! Je ne
parlerai pas de tous les inconvénients qui vous ont été déjà signalés ; mais je
suppose que, comme les chrétiens primitifs, il existât parmi nous des hommes
qui, sous prétexte que l'Église a horreur du sang, ne voulussent pas nous aider
à combattre l'ennemi commun au jour du danger. Leur permettriez-vous de rester
inactifs ? Non, messieurs, vous leur diriez : Nos dangers sont communs,
marchez, votre inaction nous perdrait tous ; vous partagez les avantages de
notre association, supportez - en les charges. (Bravo ! bravo !) (U. B., 25 déc.)
M. le comte d’Arschot – Ce n'est pas
tout,
messieurs, d'avoir proclamé la liberté des cultes ; cette liberté ne doit pas
être une abstraction, une théorie dénuée d'application ; ce serait la plus
fâcheuse des déceptions. On a parlé longuement des abus qui résultent de la
bénédiction nuptiale avant que l'union ait été contractée civilement ; la loi
civile ne statue qu'au civil, elle seule conférera les droits qui résultent du
contrat ; le ministre des autels, le prêtre enfin, quelque malsonnant qu'on
puisse trouver ce nom, ne confère que le sacrement. Il en résulte des
inconvénients, des abus, je l'avoue, et je désire qu'on trouve le moyen de les
éviter ; mais ils sont bien moins graves que les entraves dont on veut charger
de nouveau les catholiques ; on ne le cache pas, on voudrait les astreindre à
toutes les restrictions déterminées par l'ancien concordat et bientôt
probablement on invoquera contre le clergé les décrets organiques. Liberté pour
tous, voilà, messieurs, la motion si fréquemment proclamée dans cette enceinte,
voilà celle qui sera toujours ma devise et qui réglera toutes mes opinions.
Irons-nous imiter ces assemblées qui se sont succédé en France. A peine eut-on
proclamé la liberté des cultes que l'assemblée constituante obligea le clergé à
jurer la fameuse constitution de 1791. Vous connaissez, messieurs, les fatals
résultats de cette mesure, le schisme religieux qui s'ensuivit, la guerre
civile qui désola
M.
le baron de Stassart – Je n'essayerai pas, messieurs, de reproduire les raisonnements que vous ont fait entendre MM. Defacqz,
Forgeur et quelques autres honorables collègues ; ces raisonnements sont encore
présents à votre mémoire ; j'avoue
qu'ils ont porté la conviction la plus complète dans mon esprit. Je pense que
nous n'en sommes pas revenus et que nous ne reviendrons jamais à celle époque trop fameuse où l'on disait Périsse la société plutôt qu'un principe. Une exception à la règle
générale me semble ici tout à fait nécessaire : contracter d'abord le seul
mariage reconnu par la loi civile, c'est-à-dire par la loi de tous, et puis
appeler sur cet acte les bénédictions du ciel, chacun suivant son culte, voilà
ce que prescrivent la prudence et la saine morale... Je recule devant les
désordres que produirait l'admission du mariage religieux comme pouvant
précéder le mariage civil, et je voterai pour la suppression de l'art. 12, à
moins qu'on ne le rédige (ce qui me paraît très facile) d'une manière plus satisfaisante.
(C., 24 déc.)
M. Le Grelle ne reviendra
pas sur ce qu'ont dit MM. Nothomb,
Raikem et d'Arschot. M. Nothomb me paraît avoir lumineusement exposé les
principes de l'union. On s'est attaché à une seule des
conséquences de l'art. 12 , la
non-intervention dans le mariage. D'autres conséquences résultent du même
principe. Hier déjà l'assemblée en a
sanctionné une, la non-obligation de célébrer le dimanche. La question qu'on
agite est une pomme de discorde. Nous ne pouvons vivre que par des concessions
mutuelles. (C., 24 déc.)
M. Lebeau – Le principe de la liberté religieuse doit être nettement posé.
L'amendement proposé par M. Defacqz n'a été envisagé que sous un seul point de
vue, l'antériorité du mariage civil au mariage religieux. Si tel est le but de
l'amendement, M. Defacqz obtiendrait
plus qu'il ne demande. L'article de la
section centrale doit être maintenu. La liberté ne consiste pas seulement dans la faculté de faire le
bien, mais aussi dans la faculté de faire le
mal. Toute liberté entraîne des abus. Si les abus nous engagent a proscrire les principes, il faudrait proscrire la liberté de la presse, le droit d'association, la liberté de l'enseignement. Si vous mettez une restriction au droit de
procéder au sacrement du mariage, il faudra étendre cette restriction à la
confession, car Maingrat a abusé de ce sacrement ;
il faudra l'étendre à toute autre cérémonie religieuse. On a beaucoup parlé de mariage
religieux ; la loi ne reconnaît d'autre mariage que le mariage civil. Ce que
les catholiques nomment mariage religieux ne porte pas atteinte à la puissance
paternelle ; ce n'est qu'un concubinage aux yeux de la loi, et la loi ne défend pas
le concubinage.
Avant
d'aller plus loin, j'ai besoin de déclarer que je n'éprouve aucune sympathie
pour le catholicisme. L'exception que l'on demande ne peut être la seule. Elle
nécessitera des recherches vraiment inquisitoriales. Si vous voulez contrôler
les cérémonies religieuses ou en constater l'existence, vous examinerez les
registres tenus par les prêtres, et à que ferez-vous s'il n'existe pas d'écrits
? Vous multiplierez les enquêtes et les violations de domicile,
Des familles
mahométanes peuvent s'établir parmi nous. Leur religion admet la polygamie qui,
aux yeux de notre loi civile, n'est qu'un concubinage multiple, Si vous
interdisez à ces mahométans de contracter un mariage religieux d'après leur
culte vous rendrez une pratique de leur culte impossible,
et que devient dès lors la liberté ?
Vous demandez
quelles sont les garanties contre les abus du principe que nous réclamons ;
elles sont nombreuses : l'exhérédation, la privation d'aliments,
l'illégitimité en un mot sont les peines que la loi civile attache à la
non-exécution de ce qu'elle prescrit. Le clergé catholique ne peut encourager
la désobéissance à la loi civile. Le catholicisme se déclarerait immoral ; il
se suiciderait.
Ceux qui combattent le principe reconnaissent que le
prêtre peut se marier civilement. Ils admettent donc pour ce-cas la séparation
de la loi civile de la loi religieuse. Le divorce civil, interdit par la loi
religieuse, est encore une conséquence de ce principe, On vous dit que nous
avons restreint la liberté individuelle, la liberté de la presse. La
restriction est répressive, et ce sont des mesures préventives que l'on demande
ici. On a beaucoup parlé de l'intérêt de la société. Le comité de salut public,
Bonaparte, se sont servis du même argument pour anéantir toutes les libertés.
Guillaume Ier et Van Maanen demandaient aussi tout récemment, au nom de la
société, l'anéantissement de la presse. Je
vote pour le maintien de l'art. 12 du projet. (C., 24 déc.)
Plusieurs membres – La clôture !
aux voix ! (E., 24 déc.)
M. le président
– La parole est à M. Pirson. (E., 24 déc.)
Un membre –La clôture,
étant demandée et appuyée, doit être mise aux voix. (E. ,24 déc.) ,
M. Forgeur demande la parole contre la clôture – La
question qui nous occupe est de la plus haute importance. On ne se dissimule pas (page 603) qu'elle tend à amener le
bouleversement de la société. C'est
pourquoi on voudrait étouffer la discussion par les cris : Aux voix ! la clôture
! Il y a encore des orateurs inscrits ; il est de notre devoir de les entendre.
(E., 21 déc.)
- La clôture est mise aux voix et rejetée. (U. B., 25 déc.)
M. Pirson – Je ne comptais point prendre la parole relativement à l'article en. discussion, parce que je le croyais si bien la conséquence du principe de liberté religieuse que nous avons
adopté, que, selon moi, il devait être adopté à l'unanimité.
Cependant la discussion a fait remarquer plusieurs
inconvénients qui peuvent résulter de son adoption. Eh ! mais, comment serait-il possible de passer d'un système à un
autre sans quelques inconvénients ? La liberté de la presse n'aura-t-elle pas aussi ses inconvénients ? Irons-nous, pour fermer la
porte à ses abus, détruire cette liberté elle-même ? On vous l'a dit, en
législature il est impossible de parvenir
à une perfection exacte. C'est la somme du bien qui doit l'emporter sur celle du mal. Eh bien ! dans le cas
qui se présente, la plus grande somme de bien se trouve dans le principe de
séparation entre l'autorité civile et l'autorité religieuse. En effet, la
plupart des maux de la révolution française proviennent de la suprématie que
les législateurs du temps ont voulu conserver et même étendre sur les ministres
du culte catholique. La guerre civile,
N'allez pas
croire, messieurs, que je suis partisan de l'inquisition d'Espagne ; je ne
crains point du tout
celle-ci dans notre pays, et je ne veux pas non plus
de l'inquisition inverse. Je voterai pour toute disposition qui
consacrerait, de la manière la plus expresse et la plus absolue, la séparation
de l'autorité civile de toute autorité religieuse.
Quant aux
traitements des ministres du culte, ils ne peuvent être considérés comme devant
produire une action quelconque sur les principes religieux des ministres du
culte. Nous payerons tous les ministres des cultes reconnus, et non pas
seulement les ministres du culte catholique ; tous seront citoyens, et bientôt
toutes querelles religieuses cesseront : ces querelles, messieurs, étaient
fomentées par les gouvernants qui viennent de tomber et en France et chez nous,
et c'est peut-être la cause principale de leur chute. En France on a rendu le
clergé catholique complice de l'absolutisme ; dans ce pays, on a voulu
l'assujettir, parce qu'un autre culte avait la préférence. Des deux côtés, on a
avili la religion : là, en la rendant toute politique ; ici, en payant des
hommes immoraux pour la combattre. On vous l'a dit, il sera glorieux pour le
congrès de prendre l'initiative d'un système qui ne peut que se fortifier avec
la liberté, et rendre à la morale toute son influence sur le bon ordre, qui est
le but de toute bonne constitution : toute querelle religieuse tend à la
démoralisation ; or, je vous le demande, serait-il facile de gouverner un
peuple sans morale ? Qu'ils sont coupables les hommes qui ont travaillé à
détruire le lien principal de la société !
Je voterai
pour l'article tel qu'il est proposé par la commission. (U. B., 25 déc.)
M. Barthélemy – Vous avez
hier admis l'intervention de la loi pour la répression de l'exercice des
cultes. (Non, non.) Personne
ne s'est expliqué clairement dans cette discussion ; de là cette grande
divergence d'opinions. Si l'on veut interdire toute intervention de la loi
civile dans le dogme, j'adopte l'article entendu dans ce sens. On a toujours en
vue le catholicisme, mais il peut s'établir des cultes contraires à la morale,
à la constitution. On s'est exclusivement occupé du mariage. C'est la loi
civile (l'édit de 1610) qui avait conféré au clergé la tenue des actes de
l'état civil, elle peut lui ôter ce qu'elle lui a accordé. On repousse tout
concordat, toute protection. C'est aller beaucoup trop loin. (C., 24 déc.)
M.
le comte de Celles – La question ne me paraît pas épuisée
; je ne l'envisagerai ni comme théologien, ni comme philosophe, mais comme membre
du congrès.
Dans les
sociétés anciennement organisées, le culte devait être mêlé avec la loi civile,
parce que le pouvoir était fondé sur le droit divin. Les sociétés modernes
reposent sur la souveraineté du peuple ; la loi civile n'a rien à faire avec la
loi divine, et, par conséquent, le culte ne doit influer en rien sur la loi
civile. Ce sont choses distinctes et séparées. Relativement à la question du
mariage, l'observation de la loi civile accorde à ceux (page 604) qui s'y soumettent des avantages qu'il est permis à
chacun de répudier. Ceux qui les repoussent se trouvent hors de la loi, ils se
placent dans une autre sphère ; s'il en résulte des inconvénients, c'est à eux
qu'ils doivent s'en prendre : de là il me semble que vous, législateurs, vous
devez vous contenter de déclarer quelles sont les conséquences de
l'inobservation de la loi. Maintenant, dit-on, il y a des désordres : il y en
aura toujours, parce que des unions cimentées par l'immoralité seront toujours
contractées en dépit de vos lois. Avertissez ceux qui les contractent de ce
qu'ils perdent par une semblable conduite, mais n'allez pas au delà. Dès
l'instant qu'ils seront avertis, ils viendront se soumettre. Mais, parce qu'on
vous signale quelques abus passagers, ne renversez pas un principe salutaire.
N'admettez aucune intervention dans les affaires du culte ; car, si une fois
vous intervenez, vous le pourrez dans tous les cas, et dès lors plus de
séparation entre les deux pouvoirs. L'affaire de la religion est l'affaire de
l'homme avec Dieu ; l'affaire de la loi civile est l'affaire
de l'homme avec les formes de la loi : s'il veut
profiter des avantages qu'elles lui assurent, qu'il les remplisse ; mais encore
une fois, séparez ce qui ne peut être confondu, et surtout que la séparation
soit entière.
On a
tellement confondu les choses dans cette discussion, que je pense me rappeler
qu'en 1814, au lieu de laisser liberté entière aux parties comme on l'a avancé,
on avait voulu que le mariage religieux précédât le mariage civil. On a cité les
faits récents, je ne les ai pas trouvés concluants : je ne pense pas que le
prêtre dise jamais à ceux qui viennent demander la bénédiction nuptiale, que le
mariage civil est superflu. Je crois en avoir dit assez pour vous expliquer mon
vote. Un souverain dans un gouvernement absolu peut vouloir graviter sur la
puissance ecclésiastique, parce qu'il est sacré et que je ne sais pourquoi il
prétend appuyer son pouvoir sur le droit divin ; mais avec l'ordre de choses
actuel, avec la souveraineté du peuple, les deux pouvoirs doivent être
complètement séparés et agir dans leur sphère respective avec une égale
liberté. S'il y a eu des désordres, d'ailleurs, il faut espérer qu'ils ne se
prolongeront pas ; l'exemple du passé fructifiera pour l'avenir. S'il y a
eu des erreurs, on les épurera ; les prêtres eux-mêmes, c'est leur devoir,
avertiront les citoyens que l'état civil est nécessaire pour leur intérêt, pour
celui de leurs enfants. Je ne vois dans l'art. 12 aucun des dangers qu'on
signale, ni qu'il soit en désharmonie avec un système de vraie liberté. Je vote
pour son adoption. J'ai dit. (U. B., 25 déc.)
M. le comte d’Ansembourg
motive son vote ; il ne croit pas que la loi civile puisse dominer la loi
religieuse. La question religieuse a décidé notre révolution. La religion est
un besoin social. Le traitement du clergé est une dette. (C., 24 déc.)
M. Alexandre Rodenbach
– Un catholique vit en concubinage avec une femme. Cet homme est malade, il
envoie chercher un prêtre et lui dit : Mariez-moi. Ce prêtre peut-il lui dire :
Vous êtes-vous fait afficher à la municipalité pendant quinze jours ? Non,
messieurs, il le mariera, parce que, s'il fallait attendre, le mariage ne
serait plus possible. (La clôture ! la clôture !) Eh bien !
blâmera-t-on ce prêtre ? (La clôture ! la clôture !) (U. B., 25 déc.)
M. le président
– M. Destouvelles a la parole. (Non, non ! la clôture ! la
clôture ! Trépignements.) (U. B., 25 déc.)
M. Destouvelles, d'une voix
forte – Messieurs, un célèbre ministre anglais, Pitt, a dit, en parlant de la
révolution française : Les Français ont sauté à pieds joints sur la liberté.
Voulez-vous faire ce saut périlleux ? Pour moi, je ne suis pas de cet avis. (La
clôture ! la clôture !) (U. B., 25 déc.)
M. le président
– Avant de lever la séance, je prie la section centrale de se réunir ce
soir à sept heures. Je préviens l'assemblée que le budget nous sera
probablement présenté demain.
Il y a
encore trois orateurs inscrits qui demandent à répliquer : l'assemblée
désire-t-elle remettre la continuation à la séance de demain ? (Oui ! oui !)
A demain
donc à dix heures. (U. B., 25 déc.)
- La séance
est levée à cinq heures. (P. V.)