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Congrès national de
Belgique
Séance du mardi 14 décembre
1830
Sommaire
1) Communications des pièces
adressées au congrès (Berger)
2) Commission de vérification des
pouvoirs
3) Composition des bureaux des
sections
4) Projet de loi sur la cour des
comptes. Composition de la commission
5) Question du sénat (P =
pour ; C = contre) (de Foere (C), Van Snick, F. de Mérode (P), de Leuze,
Defacqz (C), Nothomb
(P), Ch. de Brouckere (C), Van Meenen (P), Barthélemy
(P), Seron (C), de Theux (P),
Fleussu (C), Beyts, Helias d’Huddeghem
(P), Deleeuw (C), H. Vilain XIIII
(P), C. de Smet
(C), Jacques (P), Wannaar (C))
6) Communication diplomatique
relative à la levée du blocus de l’Escaut
7) Question du sénat (P =
pour ; C = contre) (Henry (P), A. Rodenbach (C), Masbourg (P), Fransman (C),
de Terbecq (P), J-B. Claes
(C), Dehaerne (C), de Roo (P), C. Rodenbach (C), Thienpont (P), d’Huart (C), de Pélichy van Huerne (P), Devaux
(P), Le Grelle (P))
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de
Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844,
tome 1)
(page 417) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à onze heures et demie (P. V.)
M. le président
– On va donner lecture
du procès-verbal, si on veut l'écouter. (U. B., 16 déc.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, lit le procès-verbal qui est adopté. (P. V.)
COMMUNICATION
DE PIECES ADRESSEES AU CONGRES
M. le vicomte Charles Vilain
XIIII,
secrétaire, présente
l'analyse des pièces suivantes qui sont renvoyées à la commission des pétitions
:
M.
Willems, ancien membre de la chambre des comptes à La Haye, se présente comme
candidat pour la future cour des comptes.
Mm,
Lapalière demande qu'on réduise pour le moment tous les emplois supérieurs aux
appointements de 2,000 florins.
M.
Ambroise présente un projet de loi pour la nomination aux emplois publics.
MM.
Kusen, Moular et Muller demandent : 1° que les dépenses qui ont été faites pour
la délivrance du pays soient mises à la charge du trésor public ; 2° la prompte
organisation de la garde civique. Ils réclament en outre contre les comités
secrets du congrès national.
M.
Augustin de Wilde demande son traitement de légionnaire.
Les
bourgmestre et assesseurs de Biesmern demandent que les places de receveur des
contributions directes soient réunies à celles de receveur communal.
M. le
notaire Piérard demande l'abrogation des expertises pour la contribution personnelle.
.
Quatre-vingts
habitants d'Ellouges disent que les Français réclament les os de Napoléon,
et que les Belges doivent en recouvrer le sang. (On rit.) En conséquence ils demandent que la couronne soit
offerte au duc de Reichstadt, à condition qu'il épouse une fille du roi des
Français.
Cinq
électeurs de Haut-Fays protestent contre les élections municipales de leur
commune et en demandent l'annulation.
M.
Gilbert-Frère demande que la constitution soit rédigée dans un style clair et
succinct, mais (page 418) poétique
pour ne pas dire musical, et de manière à ce que chaque citoyen puisse lire son
règlement de vie sur sa tabatière (rires). (P. V.)
M. le président – Le bureau, messieurs, a reçu
une pétition évidemment pseudonyme. Il juge à l'unanimité que cette pétition,
rédigée de la manière la plus dégoûtante, ne présente aucune idée utile.
Voulez-vous qu'elle soit anéantie ou ordonnez-vous qu'elle soit renvoyée à
votre commission des pétitions ? (C. 16 déc.)
- Le
congrès décide qu'elle sera anéantie. (P. V.)
M. Morel-Danheel, rapporteur de la deuxième commission de vérification des
pouvoirs, propose l'admission de M. Berger, député du district d'Arlon. (P. V.)
- Le
congrès adopte ces conclusions, et M. Berger est introduit sur-le-champ. (P.
V.)
BUREAUX DES SECTIONS
Un
des secrétaires fait connaître la formation des bureaux des sections pour le mois de
décembre ; ils sont ainsi composés:
Première
section : M. Van
Meenen, président ; M. le comte de Baillet, vice-président ; M. Deleeuw,
secrétaire.
Deuxième
section : M.
Théophile Fallon, président ; M. de Ryckere, vice-président ; M. le baron
d'Huart, secrétaire.
Troisième
section : M. le
baron de Sécus (père), président ; M. le comte d'Arschot, vice-président ; M.
Devaux, secrétaire.
Quatrième
section : M.
Gendebien, président ; M. Dumont, vice-président ; M. Jacques, secrétaire.
Cinquième
section : M. de
Langhe, président ; M. Lebeau, vice-président ; M. l'abbé Dehaerne, secrétaire.
Sixième
section : M. le
baron de Stassart, président ; M. Thorn, vice- président ; M. Liedts, secrétaire.
Septième
section : M.
Rennequin, président ; M. Charles de Brouckere, vice-président ; M. François,
secrétaire.
Huitième
section : M. le
comte Duval de Beaulieu, président ; M. Coppieters, vice-président ; M.
Jottrand, secrétaire.
Neuvième
section : M. le
comte Félix de Mérode, président ; M. Destouvelles, vice – président ; M. Henri
de Brouckere, secrétaire.
Dixième
section : M. de
Muelenaere, président ; M. Raikem, vice-président ; M. de Behr, secrétaire.
PROJET DE LOI SUR
Le même secrétaire fait ensuite connaître la
composition de la commission des pétitions et celle de la commission pour
l'examen du projet de loi sur la cour des comptes.
La
première est composée de : MM. le chevalier de Theux de Meylandt, Claus,
Destriveaux, Constantin Rodenbach, Wannaar, de Gerlache, le baron de Pélichy
van Huerne, Coppieters, Fleussu, le vicomte Charles Vilain XIIII.
La
seconde, de MM. Zoude (de Saint-Hubert) , Théophile Fallon, Barbanson, Le
Grelle, Hippolyte Vilain XIIII, Du Bus, Charles de Brouckere, le comte Duval de
Beaulieu, Van Hoobrouck de Mooreghem, de Muelenaere. (P. V.)
M. le président
– L'ordre du jour est la
suite de la discussion générale sur le sénat. (C. 16 déc.)
M.
l’abbé de Foere continue son discours, interrompu hier, contre
l'institution d'une première chambre. Il s'attache à réfuter le rapport de la
section centrale ; il s'élève contre l'établissement d'un prétendu pouvoir
modérateur des chambres hautes ; les deuxièmes chambres l'exercent presque
toujours elles-mêmes. Il fait observer que le bonheur qui résulte d'un
gouvernement pour les peuples consiste dans la forme suivant laquelle ces
gouvernements sont organisés. (V. P., 16 déc.)
M. Van Snick – Je demande la parole pour un fait
personnel. Messieurs, j'étais absent hier lorsque M. Lebeau prononça son
discours en faveur du sénat. J'ai deux raisons d'en être fâché : la première,
c'est que cette circonstance m'a empêché d'entendre les observations de
l'honorable orateur, et il y a toujours à profiter avec lui ; la seconde, c'est
que cela m'a mis dans l'impossibilité de répondre sur-le-champ à un fait
personnel. M. Lebeau a prétendu qu'après avoir commencé par faire l'éloge de M.
Benjamin Constant, je n'avais pas craint de qualifier d'absurde et d'impopulaire
son opinion sur la nécessité de la pairie. J'en appelle à vos souvenirs,
messieurs ; en commençant j'avais dit qu'il fallait examiner la question sans
tenir aucun compte des diverses théories des publicistes. Fermons les livres,
avais-je ajouté, afin (page 419) de
ne voir que nous, que la nation pour laquelle nous travaillons, et ne nous
occupons pas des doctrines absurdes et impopulaires sur lesquelles on s'appuie
pour nous faire adopter une institution qui ne nous convient pas. Voilà ce que
j'ai dit : mais il n'est jamais entré dans ma pensée de traiter d'absurde
l'opinion de M. Benjamin Constant sur la pairie. Les termes dont je m'étais
servi pour faire son éloge prouvent assez le respect que je professe pour
l'illustre publiciste : la qualification d'absurde ne tombait que sur ceux qui,
dans cette enceinte, soutiennent la nécessité d'un sénat. (Rires accompagnés
de murmures.)(U. B., 16 déc.)
M. le président adresse quelques observations à l'orateur. (U. B., 16
déc.)
M. Van Snick – Je ne dis pas, messieurs, que ce que
je dis soit la vérité ; c'est ce que je pense (nouveaux murmures); je
permets aux autres d'en penser autant. Je reconnais à tous le droit de
qualifier d'absurde telle opinion que je pourrais professer. Quant à ce que j'ai
dit de M. Benjamin Constant, j'ai pu le dire. On peut d'ailleurs n'être pas
d'accord avec un auteur sur une question sans pour cela méconnaître son mérite.
(U. B., 16 déc.)
M.
le comte Félix de Mérode – J'étais prêt à renoncer à l'établissement d'une chambre à
vie, et à croire qu'une seule assemblée législative suffirait au peuple belge,
lorsque les avis de plusieurs personnes connues dans un pays voisin par les
sentiments les plus libéraux, m'ont fait douter s'il était possible que le
gouvernement futur de notre patrie se consolidât avec une chambre formant seule
la représentation nationale.
J'avoue
qu'il me serait plus que difficile de résoudre, en satisfaisant à toutes les
objections contradictoires, la question épineuse que nous traitons aujourd'hui.
Cependant, messieurs, je présenterai conditionnellement en faveur d'un sénat à
vie quelques courtes observations.
Dans
1'examen des pouvoirs nouveaux que nous sommes appelés à constituer, je me
défie grandement des doctrines savantes empruntées aux livres de théorie
politique, ou des exemples que peut fournir une célèbre contrée insulaire très
différente du pays que nous habitons. L'élément aristocratique, l'élément
démocratique sont pour moi des mots mal choisis et sans signification exacte au
milieu de nous.
.Nous
n'avons plus d'aristocratie réelle, puisque la première et la plus essentielle
condition de l'aristocratie, c'est le droit de primogéniture, ou du moins la
succession de l'héritage paternel assurée aux enfants mâles de familles
privilégiées. Nous avons des propriétaires plus on moins riches, titrés ou non
titrés, mais tous citoyens égaux devant la loi, et ne possédant aucune
prérogative d'exception.
Dans
quel but veut-on fonder une chambre dont les membres conserveront à vie leurs
fonctions législatives ?
Ce"n'est
point, qu'on y prenne garde, pour représenter les intérêts de la noblesse, qui
n'existe que par des souvenirs, mais pour arrêter les mouvements trop
précipités, peut-être, d'une assemblée périodiquement élective, et donner à
l'ordre constitutionnel la stabilité qui lui est nécessaire comme à tout
gouvernement.
Si une
réunion d'hommes plus âgés, un conseil des Anciens, paraissait propre à remplir
le but qu'on se propose d'atteindre, nul doute qu'il faudrait s'y rattacher
plutôt qu'à d'autres combinaisons. Mais on préfère, comme garantie du repos
public, un sénat de notables propriétaires, non point, comme je l'ai dit, parce
qu'ils ont à défendre des intérêts spéciaux, mais parce qu'on a droit d'espérer
d'eux un zèle plus calme et plus prudent pour la chose publique, parce qu'on
leur suppose avec raison plus de motifs personnels de craindre les secousses
qui compromettent la société.
Ce
principe admis comme base, il en résulte que notre chambre à vie ne doit offrir
aucun caractère d'opposition systématique au peuple ou au chef de l'État. Elle
doit être, par son essence, propre à résister aux tentatives prématurées ou
dangereuses de la chambre périodiquement élective, comme à protéger la nation
contre les envahissements de l'autorité qui commande à la force publique et
fait exécuter les lois.
En
effet, messieurs, si un prince avide de domination parvenait, dans quelques
circonstances critiques, à fausser la représentation populaire, à lui imprimer
une direction antinationale, comme celle de la chambre introuvable de France en
1815, en peu de mois peut-être on verrait périr toutes les libertés du pays. Et
qu'on ne dise point que cette supposition tombe sur l'impossible. La guerre suffit
pour amener la chance périlleuse que je signale à votre attention. Au milieu
du choc des armes, l'ascendant qu'obtient le chef des forces militaires
n'est-il pas trop souvent dangereux pour les garanties constitutionnelles ? Une
chambre nommée sous l'influence d'événements faciles à prévoir, dans un pays
que sa position géographique expose à l'invasion étrangère, ne pourrait-elle
point livrer les garanties précieuses si chèrement acquises ?
(page 420) Alors, messieurs, le sénat,
dont l'existence serait antérieure à ces événements transitoires, opposerait
sa résistance immobile et légale aux tentatives du despotisme.
Appuyé
sur l'opinion publique, il paralyserait les efforts combinés du pouvoir et de
la corruption parlementaire. Aussi, pour que le sénat, composé de citoyens
particulièrement intéressés au maintien de la constitution puisse parvenir à
la défendre avec succès au moment du péril, il faut que les membres de cette
assemblée conservatrice soient en nombre fixe; que leur majorité ne puisse être
brisée par les fournées ridicules dont le nom seul exprime la dérision. En un
mot, il faut que le sénat ait une consistance inébranlable.
Qu'on
ne cite point l'exemple de
Mais
considérons
On
m'objectera que la première de ces fournées, mise en œuvre par le ministre de
Cazes, était nécessaire ; et je me garderai de contredire une opinion que j'ai
toujours partagée ; mais pourquoi le complément était-il alors un bienfait
pour la cause du peuple ? Parce que la pairie, nommée par le roi seul, se
composait en majorité d'émigrés plus ou moins hostiles à l'ordre nouveau ;
parce que les membres de l'ancienne noblesse préféraient leurs vieux souvenirs
de courtisans à la réalité d'une belle prérogative nationale, transmissible à leurs
descendants; parce que le gouvernement royal, triomphant à la suite des armées
étrangères, avait éliminé de la chambre haute plusieurs pairs qui n'avaient pas
cru devoir livrer
Le
rappel des pairs exclus par ordonnance et la nomination de plusieurs autres
mettaient donc en harmonie avec le système représentatif une chambre trop mal
constituée dès son origine pour ne pas entraver l'adoption de toutes les lois
conformes à l'esprit de la charte; rentrée alors dans les voies
constitutionnelles, n'oublions pas que la pairie préserva
Mais,
messieurs, si nous établissons un sénat à vie, sera-t-il l'organe d'une faction
hostile au peuple belge, comme se montrait à l'égard du peuple français la
pairie de 1815 ? Non, sans doute ; l'ordre équestre, par sa résistance à la
tyrannie de Guillaume, a prouvé combien il était facile d'obtenir parmi nous
une réunion de propriétaires amis de la liberté. Comment supposer qu'un tel
corps, choisi par la nation, se roidisse obstinément contre les améliorations
que le chef de l'Etat lui-même proposerait d'accord avec la chambre
périodiquement élective.
En
admettant toutefois que le sénat se refuse à voter une loi d'intérêt général,
pourra-t-il, pendant plusieurs sessions successives, persister dans une
résolution qui deviendrait odieuse ? Il me semble que rien n'autorise à prévoir
la conduite la plus singulière, la plus inexplicable de la part d'hommes
essentiellement intéressés par leur fortune à la paix publique, d'hommes
qu'aucun privilège ne favoriserait aux dépens de leurs concitoyens, d'hommes
qui seraient aussi les élus du peuple, car je n'admets l'existence d'un sénat à
vie, et cette existence même ne me paraît honorable et utile, qu'autant que ses
membres l'obtiendraient du choix de la nation. Leur élection doit appartenir
ou bien à tous les électeurs, ou bien à une portion nombreuse d'entre eux,
prise parmi les plus imposés, ou à la chambre élective elle-même, ce qui me
paraît préférable, si ce n'est lors de la première formation, du moins pour les
remplacements que le temps rendra nécessaires.
On
objectera encore qu'il résulte du système que j'indique une sorte d'identité
entre les deux chambres ; eh bien!. messieurs, il en résultera l'union qui fait
la force : et pourquoi deux corps appelés à donner des lois au pays doivent-ils
être en opposition par la trop grande diversité de leurs éléments ? Faut-il de
toute nécessité qu'ils se considèrent mutuellement d'un œil défiant et jaloux
?
Non,
il s'agit uniquement, je ne me lasserai point de le dire, de créer une
assemblée de notables propriétaires, amis de l'ordre, qui redressent
quelquefois des décisions prises avec entraînement dans une chambre plus mobile
; qui, d'autre part, préservent la nation de la connivence dangereuse que des
circonstances imprévues pourraient établir entre le chef de l'État et les
députés du peuple, si la corruption et la crainte (page 421) envahissaient momentanément les collèges électoraux.
Oui,
c'est plutôt encore, messieurs, dans l'intérêt des libertés publiques que je
désire une chambre à vie, que pour la conservation du pouvoir exécutif. Ce
pouvoir indispensable sera fort, sera respecté dès qu'il sera juste, dès qu'il
ne pourra plus se rallier à des abus, à des privilèges que le temps a
irrévocablement condamnés.
Je
vote pour un sénat à vie dont les membres payeront un cens qui fasse connaître
autant que possible leur fortune indépendante ; pour un sénat dont l'esprit
national et la liberté seront garantis tant par l'élection du peuple ou de ses
mandataires, que par la limitation du nombre fixé à la moitié de celui des
députés. Si les membres du sénat refusent itérativement l'adoption d'une loi
adoptée par le chef de l'État et par l'antre chambre, je vote pour qu'à la
seconde ou troisième session, après une dissidence inconciliable, constatée
l'année ou les années précédentes, les deux chambres soient réunies, et qu'une
délibération en commun tranche la difficulté.
Céder
à la majorité de tous les représentants du pays n'a rien d'humiliant ; mais
l'obligation reconnue de subir une majorité qui s'impose par la multiplication
arbitraire des votants, me parait la dégradation complète de tout corps constitué.
On
objecte qu'en combinant ainsi les deux chambres, la majorité de la seconde peut
être forcée de céder en définitive à la minorité. Évidemment alors cette
minorité serait très forte, car en la supposant faible, la majorité du sénat
réunie à elle ne pourrait lui donner gain de cause. Et si la loi en litige n'a
pour elle dans la chambre élective qu'une faible majorité, son utilité doit
être considérée comme douteuse, et dès lors point d'inconvénient grave à ce que
la question soit décidée par la majorité de la chambre à vie.
Mon
opinion est de rejeter l'institution du sénat, s'il est nommé directement par
le chef de l’État et en nombre illimité; je préfère une seule chambre avec tous
ses inconvénients. (U. B., 16 déc.)
M. le baron de Leuze
– Messieurs, je me
plains des orateurs, parce qu'ils ont déjà tout dit. Ils ont fait le tour du
monde et ont étalé ses merveilles, mais ne pourrions-nous faire comme les
douaniers, qui commencent toujours par visiter les plus petits paquets ?
N'importe, mon tour est venu ; voici le mien ; tout mince qu'il est, j'en lirai
le contenu. Si je le savais par cœur, il n'en serait pas meilleur.
Messieurs,
de savants orateurs ne veulent que deux pouvoirs, d'autres en demandent trois.
Moi, je suis pour le nombre trois, car j'ai vu la lumière. Je vais en prouver
la nécessité par quelques suppositions. Je suppose que le chef de l'État est
jeune et superbe et nourri dans un rang
où
l'on puise toujours l'orgueil avec le sang.
Ce
prince irritable aime la gloire des armes ; il veut faire des conquêtes ; il
lui faut de la chair à canon ; il demande cent mille hommes ! Si vous n'avez
qu'une chambre, ils seront accordés, parce qu'elle aussi sera jeune et superbe,
et, comme l'ancienne Rome, voudra conquérir l'univers. Mais, si vous en avez
deux, l'autre chambre les refusera, parce qu'elle aura l'âge de la sagesse, et
qu'elle craindra de voir trembler la terre qu'elle possède ; car ses membres
seront terriens. Ainsi, messieurs, si
vous n'avez qu'une chambre,
Vous
aurez la guerre et ses horreurs;
Si
vous en avez deux,
Vous
conserverez la paix et ses douceurs. (Éclats de rire.)
Choisissez.
Encore un exemple : Si le congrès avait renvoyé l'exclusion des Nassau à la
sanction d'une chambre supérieure, qu'aurait-elle répondu ? Elle aurait dit :
« C'est inutile. C'est s'acharner sur le corps d'un ennemi vaincu ; en
couronnant l'archiduc Charles, ou bien quelqu'un de vous, les Nassau sont
exclus ; » et elle aurait eu raison, car nous n'avons heureusement qu'une
couronne à donner. Messieurs, je pourrais avoir l'honneur de vous offrir encore
quelques exemples, mais je préfère vous donner celui d'être bref. (U. B., t6
déc.)
M. Defacqz – Messieurs, après l'étude des théories et surtout après un
examen réfléchi des faits, si mon esprit avait conservé quelques doutes sur la
question qui est soumise au congrès, la discussion dont elle a été l'objet
dans les sections, dans le comité général, dans la séance publique d'hier, les
aurait entièrement dissipés. Oui, les orateurs qui ont voulu prouver la
nécessité d'établir deux chambres m'auraient convaincu qu'il n'en faut qu'une
seule.
Si
j'avais vu les défenseurs de la double représentation d'accord entre eux sur
le but d'une chambre haute ou sénat, sur les éléments de sa composition,
sur les conditions de son existence, sur la nature et l'étendue de ses
attributions, cette unanimité m'aurait peut-être ébranlé ; j'aurais pu croire à
la vérité d'une opinion qui se montrait sous le même aspect chez tant d'esprits
différents et éclairés.
Mais,
loin de là ! ses partisans les plus purs, les plus zélés, sont radicalement
divisés entre eux sur les bases de leur système, sur tous les détails (page 422) de la forme et de
l'exécution, sur les résultats enfin qu'ils en espèrent.
Les
uns croient que, sans l'hérédité de ses membres, le sénat n'est qu'une
illusion ; d'autres sont convaincus qu'il exercera avec fruit des fonctions
même temporaires ou tout au plus à vie. Ici vous entendez dire que
l'institution est absolument faussée si la nomination n'appartient au chef de
l'État directement et sans partage : là on ne veut admettre que des sénateurs
qui tiennent leur mission d'un collège électoral, et à peine permet-on au chef
de l'État le choix entre deux ou trois candidats. Ceux-ci veulent limiter le
nombre des sénateurs, ils prétendent même en fixer invariablement le chiffre ;
ceux-là s'efforcent de démontrer que la faculté des fournées est de l'essence
d'une chambre haute ; d'un côté on fait du sénat un appui pour le pouvoir
contre la démocratie, ailleurs on ne lui reconnaît d'autre vertu que de
garantir le peuple contre l'abus du pouvoir. Enfin, le cens des électeurs,
celui des éligibles, l'âge de ces derniers, le veto et ses effets, la
dissolubilité, l'initiative et cent autres questions sont, pour les partisans
du sénat, autant de sources d'inconciliables divisions. '
Si
leur système était vrai, il ne serait point susceptible de cette variété
infinie de formes ; car la vérité est une, elle est la même toujours et pour
tous. Dans ce chaos, j'aurais vainement voulu adopter un parti, je n'aurais su
auquel me rattacher. De tous côtés, je vois doutes, contradictions, et la
vérité je ne la découvre nulle part.
Il
faut donc le reconnaître, ce système est encore une de ces théories qui,
fondées sur des hypothèses, ne conduisent qu'à des probabilités ; théories que
chacun exploite suivant le caprice de son imagination, sans qu'il y ait rien
d'absolument vrai dans les raisonnements dont on les étaye, rien d'absolument
nécessaire dans les conséquences qu'on en fait ressortir.
Je
suis ainsi ramené involontairement à l'idée première, à l'idée naturelle et
simple de l'unité, et elle me tire de l'embarras de ces savantes combinaisons
de rouages, de pondération, de contrepoids, etc., où je ne vois de réel que
l'impossibilité d'en faire un ensemble qui marche à l'unisson.
En
vérité, ne dirait-on pas, à tous ces grands mots, que le gouvernement soit une
chose essentiellement difficile, et que son excellence se mesure sur la
complication de ses ressorts ? C'est sans doute une erreur des esprits
vulgaires de croire qu'en cette matière aussi la simplicité et l'unité soient
de quelque prix.
Examinons
cependant quelle évidence contraire a fait répudier pour la représentation
nationale ces principes ailleurs si recherchés et qu'on aspire à voir dominer
dans les institutions les moins importantes.
Il
faut, dit-on, que tous les intérêts, même les intérêts aristocratiques, soient
représentés et défendus.
Qu'est-ce
à dire? que signifie ce mot malsonnant ? Y aurait-il parmi les Belges autre
chose que des citoyens ? y aurait-il en Belgique des intérêts qui ne
fussent pas ceux de la nation, qui ne pussent pas être confiés aux défenseurs
communs des intérêts du peuple ? Et pourquoi donc cette prétention de s'isoler
? quel besoin la justifie ? La chambre unique serait-elle fermée à quelque
classe, à quelque individu ? n'est-elle pas ouverte aux représentants de tous
les intérêts, aux organes de tous les besoins ? et ne sont-ce pas ceux-là surtout
que l'on appelle les représentants des intérêts aristocratiques, qui,
par l'ascendant de leurs richesses et l'avantage de leur position, sauront le
mieux s'en préparer l'accès ? Si quelque chose était à craindre, ne serait-ce
pas plutôt la prépondérance qu'ils pourraient un jour y acquérir ?
Cette
sollicitude pour l'aristocratie, changeant d'objet, va se porter sur le chef de
l'État. On nous le montre sans cesse aux prises avec une chambre unique, et
l'on veut, au moyen d'un corps intermédiaire, amortir la violence des chocs. On
nous parle avec frayeur des excès de la démocratie. Hâtez-vous, s'écrie-t-on,
d'opposer une digue au torrent populaire qui finirait par tout envahir.
Quelques-uns, cependant, ne voient pas les choses sous des couleurs aussi
sombres. C'est l'intérêt même de la chambre qui les guide : c'est pour son bien
qu'ils veulent l'affaiblir. Il faut, disent-ils, lui donner une garantie contre
elle-même, captiver la liberté de son action, pour la sauver des dangers d'une
allure quelquefois trop rapide.
Pour
calmer les alarmes de ces derniers, nous leur dirons que si les périls qu'ils
semblent redouter étaient réels, il y aurait cent moyens d’y parer,
sans être réduit à la création d'une chambre aristocratique.
On
aurait d'abord le veto, l'ajournement, la dissolution. On pourra, sans
compromettre le pouvoir, employer chacune de ces mesures toutes les fois qu'une
juste nécessité en commandera l'usage. La raison publique alors y applaudira la
première, et, loin de l'ébranler, ce triomphe légitime affermira le pouvoir qui
aura osé l'obtenir.
Sans
recourir même à ces remèdes extraordinaires, rien n'est plus facile que de
prévenir les abus de la précipitation, en soumettant les délibérations (page 423) à des formes obligées qui
donneraient aux résolutions le temps de mûrir ; par exemple, en faisant subir
aux projets de loi, quand ils émaneraient de l'assemblée, l'épreuve de deux ou
trois lectures successives, à des intervalles plus ou moins éloignés, et dont
aucune déclaration d'urgence ne pourrait les affranchir.
L'initiative
ainsi tempérée, la précipitation, cet objet de si grandes appréhensions, n'est
plus qu'un vain épouvantail.
Quant
à ceux qui, voyant en perspective le chef de l'État en guerre continuelle avec
la démocratie, veulent lui donner le sénat pour auxiliaire, nous pouvons aussi,
sans ce moyen, les rassurer à leur tour.
Une
constitution forte posera, avec plus de précision qu'aucune autre ne l'a fait
jusqu'ici, les limites respectives des pouvoirs, et fermera ainsi toute
carrière à l'esprit d'envahissement.
La
chambre n'ayant rien à conquérir, toute barrière est inutile et votre sénat
n'est qu'une superfétation, Si, au contraire, la chambre doit résister à
l'empiétement du pouvoir, l'action répulsive ne pouvant être trop directe et
trop prompte, votre sénat n'est qu'un dangereux obstacle. Choisissez dans cette
alternative.
Voulez-vous
d'autres garanties encore ? Vous les trouverez et dans la presse, sentinelle
infatigable, organe puissant de l'opinion qui signale et flétrit l'abus de
quelque part qu'il procède, et dans le sens judicieux et droit de la nation qui
s'empressera de désavouer de fausses mesures auxquelles son intérêt même
servirait de prétexte.
Mais
après tout, par quelles tentatives menaçantes s'est donc manifestée cette
manie d'envahir que l'on prête si libéralement à la chambre élective ? On
dirait vraiment que la nation se prépare à une guerre à mort contre le chef
qu'elle va élire, qu'elle n'enverra à la chambre que des ennemis pour le
combattre ; enfin, qu'elle crée un pouvoir pour se donner le plaisir de le
miner et de le détruire.
Vaines
chimères que dissipent l'expérience du passé et le spectacle du présent, pour
quiconque veut regarder et sait voir sans préoccupation.
J'en
appelle au passé, et à un passé dont nos souvenirs sont encore pleins. Pendant
quinze ans nous avons eu, à côté d'une chambre populaire, une chambre
aristocratique. Eh bien ! quel fruit en est-il revenu soit au peuple, soit au
pouvoir ? quel indice la chambre haute a-t-elle donné de sa trop longue
existence?
Si
elle avait pour mission de défendre les droits de la nation, qui pourrait
songer à ressusciter un corps qui jamais ne laissa percer la moindre sympathie
pour nos libertés, que jamais les cris de la détresse publique ne réveillèrent
de sa noble léthargie ?
Si
c'est au pouvoir qu'elle devait servir d'appui, quel secours en a-t-il reçu ?
pendant quinze ans, elle concourut à donner à ses actes oppressifs une
apparence de légalité, et au jour de vengeance, quand le peuple prononça
l'arrêt du trône, elle avait disparu.
En
présence de ces faits encore flagrants, c'est nier l'évidence que de
méconnaître l'impuissance, l'inutilité, le danger même d'une chambre
aristocratique. Elle n'empêcherait pas le mal, et on pourra faire le bien sans
elle. Si la démocratie était à craindre chez les Belges, nos derniers événements
en auraient développé tous les dangers, Et c'est au sein même de cette
assemblée qu'on les aurait vus éclore.
Cependant
il suffit d'arrêter ses regards sur cette grande assemblée pour satisfaire les
esprits les plus avides de garanties contre l'avenir.
Le
congrès national, produit d'un élément purement démocratique, élu par le
peuple au moment où il venait d'anéantir le pouvoir ; le congrès compte
cependant, en grand nombre, des représentants de ces intérêts que l'on nomme
aristocratiques, des membres de ce que l'on appelait autrefois ordres
privilégiés ; le congrès, loin de se montrer aveugle ennemi de toute autorité,
a su résister à la séduction de la forme de gouvernement en apparence plus
favorable à la liberté, pour adopter celle qu'il croyait plus propre à assurer
le repos et le bonheur de la patrie.
Mais
sa propre expérience est souvent ce que l'on consulte le moins. On s'aveugle
sur ce qui frappe les yeux et l'on porte au loin ses regards : on laisse de
côté sa propre histoire pour aller chercher des exemples à l'étranger. Ainsi,
on nous parle sans cesse de l'Angleterre, des États-Unis d'Amérique, de
Eh
bien! en Belgique, tout repousse cette création d'un corps privilégié qui
emporte la création d'un second privilège, celui d'électeurs à double vote.
N'est-il
pas dérisoire de consacrer cette monstruosité dans une constitution qui
proclame fastueusement l'égalité de tous devant la loi ? Cette institution
qui, sous le règne d'une menteuse égalité, partagerait en catégories et les
électeurs et les éligibles, qui diviserait, opposerait entre eux les
représentants de la nation ; cette institution ne tend qu'à perpétuer en
pratique, qu'à ériger en loi cette détestable maxime si chère au pouvoir et si
fatale au peuple: Divisez pour régner.
Pour
n'être pas réduits un jour à arracher des mains du pouvoir cet instrument
d'usurpation, hâtons-nous de le briser, avant que l'usage n'en soit possible.
Repoussons de nos institutions tout élément de discorde, appelons tout ce qui
peut identifier les intérêts. Soyons unis pour être forts, pour être libres.
N'oublions pas que si la liberté s'acquiert et se conserve par la force, la
force ne s'obtient que par l'union. (U. B., suppl., 30 déc.)
M. Nothomb – Messieurs, il me semble qu'une seule
question est du ressort de la discussion générale, c'est celle de savoir s'il y
aura deux chambres. A l'exemple de plusieurs orateurs qui m'ont précédé à cette
tribune, je renverrai l'examen du mode d'organisation de la première chambre à
la discussion partielle du projet présenté par la section centrale. Je ne
traiterai donc en ce moment ni la question du mode d'élection, ni celle de la
limitation du nombre, questions dont le préopinant nous a entretenus dans son
exorde ; je m'attacherai à la question principale; je répondrai à quelques
objections.
L'institution
des deux chambres est ancienne en Angleterre, c'est une innovation en France et
en Belgique ; on dit qu'en la consacrant nous manquons en quelque sorte à notre
nationalité. Il est vrai, messieurs, que les anciens états généraux ne
consistaient qu'en une seule chambre, mais la nature de leurs attributions
écartait tous les dangers. En France et en Belgique les anciens états généraux
n'étaient pas si activement associés à la direction de l'État. Ils se
réunissaient de loin en loin, au gré du prince ; ils ne participaient pas au
pouvoir législatif ; leurs attributions se renfermaient dans le vote de
l'impôt, et, à leur défaut, dans notre pays, les états de chaque province
accordaient les subsides : c'était même la règle ordinaire. Tous les monuments
de l'ancien droit français ou belge sont l'œuvre du chef de l'État seul. Il y
avait d'ailleurs division, puisqu'il existait trois ordres. Aujourd'hui le
pouvoir législatif est dévolu à la représentation nationale, conjointement avec
le prince. La représentation nationale ne se réunit plus accidentellement ; la
loi du budget, la loi du contingent de l'armée perd ses effets si elle n'est
renouvelée annuellement. Au pouvoir législatif ainsi exercé ajoutez encore le
droit de mettre les ministres en accusation. Tel est le régime moderne :
l'ancienne forme n'en était qu'une faible ébauche. Dépouillez la représentation
nationale de l'initiative, faites-la rentrer dans ses anciennes limites,
réduisez-la au vote de l'impôt, rendez-en la réunion facultative, et la chambre
unique cessera d'être dangereuse. Nos pères ont pressenti le gouvernement
représentatif, ils n'ont connu que ce qu'il a d'extrême : le rejet de l'impôt.
Cette prérogative populaire, qui fait qu'en dernier résultat le pays l'emporte
toujours, est encore notre garantie suprême, mais nous n en1 usons que comme
d’un ultimatum ; nous avons mille armes pour combattre, ils n'en avaient
qu'une seule et ils commençaient par où nous finissons. Je ne suis pas un
détracteur du passé, mais je mesure l'intervalle qui sépare les temps et les
situations ; je tiens compte de la différence qui existe, par rapport à la
distribution des pouvoirs, entre ce qui était il y a un demi-siècle et ce qu'on
veut nous donner aujourd'hui, entre un régime incomplet, produit de mille
accidents du moyen âge, et le régime nouveau qui embrasse toutes les nécessités
sociales.
L'institution
d'une chambre unique est excellente pour faire une révolution, mais dès que
les résultats d'une révolution sont obtenus, elle est peu propre à les
conserver. En vain proposera-t-on de décréter que la représentation nationale
ordinaire ne peut toucher à la constitution, cette défense devient illusoire ;
l'impuissance à laquelle on réduit le corps législatif n'est qu'apparente ; il
ne dépend que de lui-même; vous
essayerez en vain de l'enchaîner, il tient lui-même la chaîne, et il peut la
rompre à son gré. On ne peut pas dire que le pouvoir constituant soit hors de
la portée d'une chambre unique qui le saisira quand elle le voudra. Après avoir
fait la constitution, le pouvoir constituant doit se placer dans une sphère
presque inaccessible ; comme ce législateur de l'antiquité, après avoir donné
des lois à une nation, il doit en quelque sorte s'exiler.
Il y a
plus, avec une chambre unique on ne peut (page
425) pas dire que la puissance législative ordinaire soit réellement
divisée ; la chambre unique et le chef de l'État seront perpétuellement aux
prises ; l'action des pouvoirs sera une sorte de guerre civile ; aucun
intermédiaire n'est là pour vider le partage. Ceci est tellement vrai, que
l'assemblée constituante, après avoir admis l'unité du corps législatif, a
été, par une conséquence impérieuse, conduite à adopter le simple veto suspensif
: il n'existe en effet que ce remède qui concentre le pouvoir législatif dans
une chambre unique, à moins que l'on n'exige que le roi use sans cesse du droit
extrême d'en appeler au pays et ne gouverne qu'au moyen de dissolutions
successives.
On
nous reproche de rendre inutile le veto royal par l'institution d'une
première chambre ; c'est précisément, messieurs, un des avantages de notre
système. Il ne faut pas que le roi soit exposé à recourir à chaque moment au veto
; les deux chambres se contrôlant réciproquement, le roi réserve son veto
pour les cas rares où toutes les deux ont erré. En Angleterre grâce à cette
combinaison, le roi n'a refusé sa sanction qu'une seule fois depuis 1688, et
il a pu garder cette neutralité politique qui est le caractère de la royauté.
On
nous reproche encore de créer un privilège en faveur de la propriété foncière,
de violer la sainte loi de l'égalité, de porter atteinte au système électoral
dont la chambre populaire est le produit. Messieurs, dans les développements
des principes les plus vrais, il est un point où il faut s'arrêter ; si l'on va
au delà, on est conduit à des conséquences contraires à toute existence
sociale. J'admets aussi l’égalité devant la loi, non d'une manière absolue,
mais dans ce sens que les conditions auxquelles la loi soumet l'exercice des
droits politiques, soient telles, que chacun puisse par venir à les remplir,
soit par le cours naturel des événements, soit par l'usage libre de ses
facultés. Nous détruirions l'égalité, si nous demandions le rétablissement de
l'hérédité, qui est un privilège en faveur des personnes, des majorats, qui
constituent un privilège en faveur des choses ; mais de cela il n'est pas
question. Nous demandons deux chambres, et nous exigeons des conditions
différentes d'éligibilité sans privilège. L'orateur à qui je réponds n'a pas
remarqué que tout système électoral est un privilège dans le sens qu'il attache
à ce mot ; il veut qu'il ne soit pas porté d'atteinte aux droits de ceux qui
nomment la chambre élective. Je demanderai de quel droit des citoyens, payant
un certain cens et ayant atteint un certain âge, s'arrogent exclusivement le
titre d'électeurs ; je demanderai l'abolition de ce privilège et l'introduction
du suffrage universel. Pour être conséquent, il faudrait en venir là.
On a
beaucoup parlé de l'assemblée constituante ; plus que personne, messieurs,
j'admire cette assemblée qui a traité ou du moins remué toutes les questions
sociales ; c'est d'elle qu'on peut dire qu'elle a retrouvé les titres du genre
humain. C'est un problème encore indécis de savoir si des institutions, quelles
qu'elles eussent l'été, eussent pu arrêter la révolution française ; néanmoins
je reproduirai une remarque qui a été faite par plusieurs écrivains et que
personne n'a répétée à cette tribune. Louis XVI, disent-ils, eût pu fonder une
monarchie représentative durable si, dès l'ouverture des états généraux, il eût
de son propre mouvement placé l'ordre de la noblesse et le haut clergé dans une
chambre des pairs, l'ordre du tiers et le clergé inférieur dans une chambre des
communes. Acceptant ainsi de prime abord la forme anglaise, il eût anticipé sur
les événements et eût franchi tout l'intervalle, tout l'abîme qui sépare la
monarchie de 1791 de la monarchie de 1815. Je vous abandonne cette
réflexion que j'emprunte à madame de Staël et à Necker, et qui peut être de
nature à faire quelque impression.
Avant de terminer, messieurs, j'ai besoin
de dire que si je demande deux chambres, c'est dans l'intérêt même de ce qu'on
appelle la démocratie. La hiérarchie sociale n'est pas aussi simplifiée qu'on
le dit ; il y a dans la société pluralité d'intérêts ; il y a différence et
inégalité dans les situations. Nous avons éliminé de l’Etat la noblesse et le
clergé comme puissances civiles ; mais il restera toujours deux classes
d'hommes : ceux qui veulent le travail et ceux qui le payent. Les derniers possèdent
la richesse, la propriété, à ce degré où elle est une force, un pouvoir exercé
sur les hommes. Les autres sont dans leur dépendance et cherchent à s'y
soustraire en aspirant au même empire. A moins de détruire toute idée de propriété,
la hiérarchie sociale ne peut se simplifier davantage. Ceux qui achètent le
travail constituent pour moi l'aristocratie moderne ; ceux qui le vendent, la
démocratie. Je fais à chacune sa place, j'accorde à chacune le droit d'être
représentée, je transporte cette dualité dans les institutions. Notre position,
messieurs, peut se résumer en peu de mots ; si, pour nous garantir contre
l'élément démocratique, nous n'instituons pas une première chambre, nous
serons obligés de porter la main sur le système électoral même, nous
chercherons ici les garanties que nous nous serons refusées ; nous élèverons le
cens de l'électeur, l'âge de (page 426)
l'électeur et celui de l'éligible ; qui sait si l'on ne nous proposera pas
d'admettre deux degrés d'élection ? Pour moi, je ne veux pas détruire
l'influence des classes inférieures, masse compacte et toujours agissante ; je
laisse à l'élément démocratique toute sa passion, toute sa spontanéité ; je lui
permets de s'agiter avec turbulence, dans la progression qui fait sa vie, et
d'exhaler tous ses désirs de domination ; je laisse intact le système
électoral et je place ailleurs les garanties contre toute usurpation, contre
tout envahissement. (U. B., 16 déc.)
M. Charles de Brouckere
– Messieurs, je sens
plus que jamais le besoin de réclamer votre indulgence, non pas pour l'opinion
que je viens soutenir, mais pour la manière dont je vous en présenterai le
développement. Membre de plusieurs commissions , je suis tiraillé dans tous
les sens par tant de travaux à la fois qu'il m'a été impossible de donner
quelque ordre à mes idées.
(L'honorable
orateur, après cet exorde, reproduit les raisons sur lesquelles quelques-uns de
ceux qui l'ont précédé à la tribune se sont basés pour rejeter l'établissement
d'une chambre haute, Arrivant aux objections faites par les orateurs d'une
opinion différente, il y répond dans l'ordre suivant) :
Quand
on arrive à la manière de nommer les membres du sénat, on veut, pour nous
rassurer, attribuer cette nomination aux états provinciaux ; les états
provinciaux, dit-on, ont toujours envoyé de bons députés aux états généraux. Je
suis étonné d'avoir entendu l'énonciation d'un pareil fait ; je suis étonné
surtout qu'il ait été avancé par un orateur qui assurément pouvait savoir le
contraire. Quoi !, les étais provinciaux n'ont jamais nommé que de bons députés
? Mais, messieurs, qui ne sait ce qui s'est passé chez nous depuis dix ans ?
Qui ne sait que pendant dix ans on ne compta pas plus de dix ou douze opposants
dans la deuxième chambre ? et lorsque en 1827 ces hommes fermes et immuables
dans leurs opinions, après avoir longtemps vainement combattu pour la
conservation de nos libertés, voulurent secouer un joug devenu de jour en jour
plus insupportable, qu'arriva-t-il ? c'est qu'en
La
chambre ainsi nommée, poursuit-on, sera constituée ou à vie ou elle sera
temporaire. De quelque manière qu'on la constitue, vous aurez dans l'État deux
pouvoirs ayant les mêmes droits, l'un représentant la nation, l'autre ne
représentant qu'une spécialité ; s'il plaît à cette dernière d'arrêter les
opérations de l'autre, elle le pourra, sans que l'appel à la nation soit
possible. Mais on suppose que la première chambre pourra être dissoute.
Messieurs, la dissolution d'une chambre est un appel au pays : comment le pays
pourra-t-il faire connaître son opinion, si ceux dont on a brisé le mandat
n'étaient pas ses véritables représentants ?
On
indique deux moyens de porter remède à cet inconvénient : le premier est tiré
d'un principe consacré par la constitution de 1815, où, dans certains cas
prévus, les deux chambres se réunissaient pour voter en commun. Mais dans
cette hypothèse, il pourra arriver que la chambre basse, celle qui seule
représente la nation, succombe sous celle qui n'en représente qu'une spécialité,
la grande propriété foncière. Ainsi, le pays pourra être privé des bonnes lois
dont on voudrait le doter. Qu'on ne dise pas que je fais des suppositions
gratuites. Si l'on présentait une loi pour permettre l'importation des
céréales, qui n'est persuadé qu'on ne l'obtiendrait jamais d'une chambre
composée en entier de propriétaires fonciers ?
Le
second moyen de rendre vaine l'injuste opposition de la chambre haute, c'est
de déclarer qu'une loi passera de droit à la seconde ou à la troisième
législature. Si vous adoptez un pareil système, vous déconsidérez la première
chambre dans l'esprit de la nation. Plus elle aura montré de persistance à la
refuser, plus elle perdra de sa popularité si on voit qu'elle ne cède qu'à la
force. Mais, dit-on, la chambre haute qui se sera d'abord opposée à la loi
pourra changer de manière de voir l'année suivante. Ce sera encore un moyen
plus sûr de lui faire perdre la considération, car des hommes qui décident
aujourd'hui blanc, demain noir, ne peuvent plus inspirer de confiance.
Ainsi
il n'est aucun besoin d'une chambre haute : ne vous y trompez pas d'ailleurs,
s'il arrivait que les élections de la chambre basse fussent faussées, la
chambre haute ne sauverait pas les libertés publiques. On l'a cependant avancé
à cette tribune, mais l'a-t-on prouvé ?.....
Messieurs,
nous parlons presque toujours sur des souvenirs récents, et pourtant, ou l'on
dénature (page 427) les faits, ou
l'on s'en souvient mal. On a parlé de la chambre des pairs de France et des
services qu'elle a rendus. C'est à elle, dit-on, qu'est dû le rejet de la loi
de justice et d'amour ; mais la chambre des pairs n'a pas eu à discuter cette
loi; elle fut retirée par le gouvernement avant que la chambre s'en fût
occupée. Eh bien ! je dis que si le gouvernement l'avait voulu, la loi serait
passée. Il n'aurait eu besoin pour cela que de nommer une fournée de pairs. Il
n'osa pas le faire ; il recula devant l'opinion publique, parce qu'à cette
époque la disposition des esprits était telle que, s'il eût persisté, une
révolution éclatait. Si la chambre des pairs avait été constituée comme celle
qu'on nous propose, la loi d'amour aurait passé sans difficulté. Que seraient
en effet nos pairs, sinon ce qu'étaient en France les députés de départements ?
Et souvenez-vous, messieurs, que cette loi d'amour fut consentie par les hommes
du double vote.
On
craint l'envahissement de la démocratie. On sent le besoin d'un pouvoir
modérateur, et l'on fait un raisonnement ; je me trompe, on cite une comparaison
de Franklin pour le prouver. Je regrette beaucoup, messieurs, que ce soit
précisément celle-là qu'on ait empruntée à l'illustre Américain, car elle n'est
rien moins que juste, et il n'eût pas été difficile d'en trouver de meilleures
dans ses écrits. Il compare le gouvernement représentatif à un charretier qui a
une côte rapide à descendre : ayant quatre bœufs pour traîner sa charrette, il
en tire deux de devant, les attelle derrière dans un sens opposé à la route
qu'il doit suivre, afin de modérer l'action que le poids imprimerait à sa
marche. Je dis que le charretier prendrait là un fort mauvais moyen ; car une
fois les bœufs de derrière entraînés par ceux de devant, le char n'en irait que
plus vite. (Rumeurs.) Pour moi, messieurs, au lieu de deux j'en aurais
attelé trois par derrière. (U. B., 16 déc.)
Une
voix – Vous
auriez encore plus mal manœuvré. (Murmures, interruption.) (U. B., 16
déc.)
M. Charles de Brouckere continuant – Avec une chambre unique on craint deux
pouvoirs rivaux, qui, dit-on, ne pourront exister longtemps en présence l'un de
l'autre. On nous menace ou du despotisme du chef de l'État, ou de la tyrannie
de la chambre unique. Messieurs, je ne vois pas de pouvoirs rivaux avec le
système que je défends ; je ne connais que le chef de l'État d'un côté et la nation
de l'autre ; souvenons-nous d'ailleurs que cette chambre n'est élue que pour un
temps : d'un autre côté, il existe. un ministère entre elle et le chef de
l'État. Eh bien ! si le pouvoir exécutif n'est pas d'accord avec la chambre, il
arrivera ou que le ministère disparaîtra pour faire place à un autre, ou qu'il
sera fait un appel à la nation par la dissolution de la chambre : dans les
deux cas le dissentiment cessera.
Une
chambre unique, disent quelques orateurs, pourrait usurper un pouvoir excessif,
en diminuant la prérogative royale ; il n'y a aucun remède possible à cela.
Mettez deux, trois chambres en présence ; combinez comme il vous plaira les
éléments de votre gouvernement, toujours la chambre basse dominera les autres
pouvoirs, lorsqu'elle sera l'expression de l'opinion publique, parce que la
chambre basse représente la nation dont émanent tous les pouvoirs, et parce
qu'en définitive ce sont toujours les volontés de la nation que le pouvoir est
destiné à subir. On a beau dire : Il y a une constitution, un contrat qui
définit les pouvoirs et en règle l'usage. Il y a contrat, il est vrai, mais
quand une des parties voudra l'enfreindre, y aura-t-il des juges pour
prononcer ? La chambre haute pourra-t-elle en servir entre le roi et la chambre
élective ? Non, car il faudrait pour cela qu'elle fût hors de la constitution,
et dotée d'un pouvoir supérieur aux deux autres ? Or cela n'est pas. L'opinion
publique, c'est-à-dire la nation, l'emportera donc toujours.
On
craint la précipitation. On ne s'en rapporte pas à notre bon sens, on ne trouve
pas assez de garanties dans un règlement qui tracerait la marche à suivre dans
la confection des lois. Nous avons trouvé un remède à cela : je proposerai avec
M. Forgeur un petit amendement ainsi conçu: Nulle loi ne pourra être adoptée
qu'après trois lectures qui seront faites de dix jours en dix jours. Dès
lors la presse aura le temps d'éclairer la question ; les électeurs, la nation
pourront se faire entendre, et la précipitation ne sera plus à craindre.
D'ailleurs,
messieurs, la précipitation n'est pas dans nos mœurs. Nous n'avons en ce moment
qu'une chambre unique. Nous accuse-t on de trop de précipitation ? Eh!
messieurs, on n'accuse que nos lenteurs.
Mais,
dit-on, quand le souverain sera seul en présence de la chambre, il sera obligé
de faire souvent usage du veto ou de la dissolution, et ces moyens
s'useront vite. Je réponds que si le souverain connaît l'esprit de la nation,
il ne fera pas de ces moyens un usage trop fréquent, mais qu'il accordera au
pays les lois qui lui seront nécessaires.
On tire
du veto un autre argument. Le souverain sera exposé à perdre de sa
popularité toutes les (page 428)
fois qu'il voudra faire usage de son veto, parce que les motifs de ce veto
resteront inconnus, Y songe-t-on, messieurs ? et est-ce sérieusement que je
dois combattre de si futiles objections ? On ne connaîtra pas les motifs du veto
! mais la loi aura été publiquement discutée dans la chambre. Croyez-vous
que ces motifs n'auront pas été développés par les orateurs ministériels ou.
par les orateurs du gouvernement ? Croyez-le bien, messieurs, personne ne s'y
méprendra. Voulez-vous d'ailleurs lever cette difficulté ? Écrivez dans la
constitution que lorsque le souverain voudra faire usage de son veto, il
sera obligé de le motiver.
On
pense que deux chambres donneront de la force au gouvernement : je dis, moi,
qu'elles l'affaibliront, et je le prouve par les raisons mêmes dont se servent
les partisans de ce système. Tous ceux qui veulent une chambre haute nous
disent que si le congrès en décrète l'établissement, ils seront moins exigeants
sur le cens d'éligibilité ; en cela ils veulent être plus républicains que
nous. Donnez-leur un sénat, ils consentiront à augmenter dans la chambre basse
l'élément démocratique. Si leurs vœux se réalisaient, je dis que les dangers
auxquels ils veulent parer n'en seraient que plus imminents. En effet, cette
seconde chambre sera bientôt omnipotente, et comme elle sera plus populaire et
plus violente, elle entraînera à sa suite les deux autres pouvoirs. La première
chambre a pourra bien l'arrêter quelquefois ; mais si à tout moment elle venait
jeter un bâton dans sa roue, elle serait bientôt culbutée, et avec elle tous
les autres pouvoirs.
Sans
deux chambres, l'aristocratie ne sera pas représentée. Mais, pour preuve du
contraire, je ne veux que la chambre actuelle : l'aristocratie se plaint-elle
d'y être sans représentants ? On insiste toutefois, et pour dernier argument,
on dit que la stabilité est attachée à l'existence d'une chambre privilégiée.
On cite l'Angleterre,
Voilà,
messieurs, de quelle manière je crois avoir justifié que l'existence de deux
chambres ne peut nous être utile. En terminant, je dirai qu'il faut nous efforcer
d'approprier nos institutions au sol, aux mœurs, aux besoins de notre pays.
Nous nous distinguons en Europe par notre calme, par notre bon sens ; méritons
toujours cette distinction. Une seule chambre, produit d'une bonne loi
électorale, conservera notre nationalité; sachons nous en contenter, et nous
n'aurons rien à craindre de ceux qui travaillent dans l'ombre à nous enlever
notre indépendance. (U. B., 16 déc.)
M. Van Meenen
– Messieurs, ce n'est
que par nos discussions que le public peut apprendre à connaître et à apprécier
les institutions que nous sommes destinés à donner à
Je
regarde une deuxième chambre comme nécessaire ; elle ne le sera, selon moi, ni
comme destinée à représenter une spécialité, la propriété foncière, ni comme
capable de mettre un frein aux passions et aux débordements populaires ; mais
elle sera indispensable à l'effet d'empêcher l'entraînement d'une chambre
unique, et comme pouvoir intermédiaire entre elle et le souverain, (page 429) exerçant, en cette qualité,
un contrôle salutaire sur les opérations de la chambre élective. En n'admettant
dans la constitution qu'une seule chambre, je la vois sans cesse en présence
du chef de l'État, et nous sommes placés entre deux dangers, celui d'une
collision entre ces deux pouvoirs rivaux, ou celui de leur collusion,
pardonnez-moi ce jeu de mots. De ces deux dangers, ce n'est pas celui de la
collision qui m'effraye, c'est plutôt celui de la collusion, qu'il sera si
facile d'établir au grand détriment des intérêts publics. Je suis effrayé de
voir une seule chambre en présence du chef de l'État, parce que je connais les
hommes. Nous avons besoin de places, d'émoluments, de distinctions ; on les
achètera par des complaisances : on voudra plaire au grand nominateur. Le
souverain adoptera bientôt ces oripeaux si recherchés ; beaucoup de gens en
voudront. Eh bien ! croyez-vous que par leur moyen il lui sera bien difficile
d'avoir dans la chambre une majorité disposée sans cesse à entrer dans ses vues
? Non, messieurs, et cette majorité sacrifiera sans peine : nos libertés ; elle
absorbera bientôt la constitution tout entière. Voilà ce qui me fait sentir la
nécessité d'adopter un troisième pouvoir, parce que, avec lui, la collusion
devient impossible, ou au moins beaucoup plus difficile. J'ai entendu des
orateurs dire que cette crainte était chimérique, et qu'en cas de collusion et
de l'asservissement complet de la chambre élective, la presse suffirait pour sauver
les libertés politiques. Je pourrais, par des exemples nombreux, prouver que la
presse est toujours à la discrétion du pouvoir : nous avons vu ce phénomène chez nous, malgré l'art. 227
de la loi fondamentale. Plus que toutes les autres libertés, celle de la presse
a besoin de trouver des garanties dans l'indépendance de tous les pouvoirs :
quand cette garantie n'existe plus pour elle, elle succombe la première, car la
première elle est attaquée.
On
trouve une garantie contre la collusion des deux pouvoirs dans le retour
périodique des élections. Eh ! messieurs, faut-il si longtemps pour renverser
une constitution qui ne repose que sur deux ou trois bases ? Une fois la
majorité asservie, laissez faire le pouvoir; il vous enlèvera vos libertés
avant que le temps des élections ne soit venu ; que dis-je ? vos élections
elles-mêmes seront anéanties.
On a
fait l'éloge de notre bon sens ; il nous préservera, dit-on, du danger de
laisser la chambre élective seule, en présence du chef de l'État :
souvenez-vous, messieurs, de ce que j'ai déjà dit, ce n'est pas la collision de
ces pouvoirs que je redoute, c'est leur collusion. Contre ce danger on a cité
des exemples récents ; il ne serait pas aisé, dit-on, de séduire par l'appât
des richesses ou des honneurs, des hommes appartenant à une nation comme la
nôtre. Il ne faut pas juger de l'esprit de
Je
l'avoue, messieurs, une seule chambre me suffirait, si quelqu'un pouvait
m'assurer qu'elle restera toujours pure et inaccessible aux séductions du
pouvoir. On demandera peut-être si je suis assuré que la chambre haute ne se
laissera pas gagner à son tour. Messieurs, est-ce une perfection absolue que
nous voulons chercher dans l'établissement des deux chambres ? Non : la
probabilité que toutes les deux ne tomberont pas dans les mêmes piéges, ne
succomberont pas aux mêmes séductions, me suffit ; la difficulté est doublée
pour le pouvoir, s'il cherche à corrompre la législature. Enfin en votant deux
chambres, nous aurons fait le plus possible pour conserver la pureté de la représentation
nationale.
Une autre
considération me fait regarder une chambre haute comme indispensablement nécessaire.
Nous accordons au chef de l'État le pouvoir de dissoudre la chambre élective.
Lorsque la dissolution aura été prononcée, si cette chambre est unique, que
restera-t-il pour servir d'organe aux besoins de la nation ? Rien, le chef de
l'État sera seul. Si, au contraire, nous avons une chambre privilégiée, cette
chambre restera du moins, et en l'absence de l'autre, nous aurons un corps qui
pourra toujours ressaisir les rênes, si le chef de l'État cherchait à envahir
le pouvoir absolu.
J'envisage
encore là nécessité d'une première chambre sous un autre point de vue. On a raisonné
sur la chambre des pairs en France et en Angleterre, on a recherché le bien et
le mal que la pairie a faits dans ces deux royaumes. Sous ce rapport, je crois
que l'on peut dire de ces (page 430)
chambres autant de mal que de bien, et pour ma part, je serais assez
embarrassé de dire de quel côté doit pencher la balance. Ce n'est pas là la
question ; je considère la chambre haute plutôt comme un moyen préventif que
comme un moyen répressif. Je la regarde comme éminemment utile par le contrôle
qu'elle doit exercer sur les actes de la chambre élective. Celle-ci, seule en
présence du chef de l'État, peut se livrer à tous les excès, si elle s'attend à
n'être point contrôlée publiquement ; je dis qu'il n'en sera pas de même lorsqu'elle
aura la certitude que ses actes seront discutés et mûrement examinés par un
pouvoir parallèle au sien. Cette seule crainte la maintien dans de justes
bornes ; elle sera un frein puissant contre une précipitation inévitable, dont
on vous a cité des exemples nombreux. La chambre haute pourra ne pas faire le
bien par elle-même, mais sa seule existence empêchera le mal : ainsi je trouve
un aussi grand avantage dans ce qu'elle ne fait pas que dans ce qu'elle fait.
Elle est là : sa présence me rassure. La chambre élective veillera avec plus de
soin, procédera avec plus de lenteur sur les propositions de ses membres. Nous
sommes tous sujets à nous laisser aller au delà des bornes. Il n'y a pas
d'homme qui ne devînt un monstre s'il lui était loisible de réaliser tontes les
idées qui lui passent par la tête. Mais lorsque pour réaliser votre idée vous
avez besoin de vous adjoindre quelqu'un, vous tâchez de n'enfanter que des
idées raisonnables ; vous laissez de côté les projets inconsidérés ; vous
n'oseriez en communiquer de dangereux, pas même d'inutiles ; il en est de même
de la chambre élective. Seule, elle eût enfanté peut-être une foule de
propositions intempestives ou dangereuses ; ces propositions ne verront
pas le jour, parce qu'elle serait assurée de les voir rejeter dans une chambre
voisine.
On
considère une chambre haute comme une entrave destinée à empêcher tout mouvement
progressif. C'est une masse compacte et stationnaire, dit-on, qui ne peut
qu'arrêter la marche de l'État. Je conçois, messieurs, que cet argument soit de
quelque valeur, aujourd'hui que nous avons tout à faire ; nous sommes en
effet une véritable machine à législation. Il en a été ainsi depuis quinze
ans. Nous n'avons fait autre chose que de rendre des lois, parce qu'on nous
avait entraînés dans le renouvellement de la législation entière. On nous a
fait remanier tous nos codes. On nous a fait discuter cinq ou six différents
systèmes de finances ; si telle devait être toujours la marche de la chambre
élective, je conçois les craintes que l'on éprouverait de se voir arrêté par
une machine stationnaire, tandis qu'il faudrait une machine marchant avec
rapidité. Mais, messieurs, il n'en sera pas toujours ainsi : j'espère que quand
le congrès aura mis la dernière main à la constitution, que les lois organiques
auront été rendues, que notre système financier sera bien établi, qu'enfin dans
deux ou trois ans d'ici, nous serons parfaitement constitués, j'espère, dis-je,
que cette fièvre de législation passera, et que nous ne serons plus une machine
à décrets. Alors nous nous occuperons beaucoup plus de l'administration de
notre pays que de lui donner de nouvelles lois. J'espère enfin que nous
n'aurons plus besoin de marcher avec précipitation et que nous n'aurons plus
d'entraves à craindre.
N'essayons
donc pas du système qui n'admet qu'une chambre unique. Nous ne pourrions le
faire sous de plus funestes auspices. Les exemples de
On
reproche aux partisans des deux chambres de ne savoir pas s'entendre sur la
composition de la chambre haute. Il est vrai qu'à cet égard les opinions sont
partagées. Mais de ce que des difficultés existent sur la manière dont les
sénateurs seront nommés, et sur les conditions d'admissibilité dans la chambre
haute, doit-on en conclure qu'il n'y a pas nécessité de créer cette chambre ?
Nous sommes divisés sur les moyens d'exécution, il est vrai, mais nous sommes
convaincus de la nécessité. Prenons d'ailleurs les questions les unes après
les autres ; ne confondons point des questions qui doivent être traitées
séparément. Reconnaissons d'abord la nécessité d'une première chambre, et
quand nous l'aurons reconnue, alors occupons-nous de sa composition.
J'avoue
qu'effrayé de l'idée d'une chambre haute nommée par le pouvoir royal, j'ai
peine à adopter le projet en discussion. Mais frappé par les considérations si
bien présentées par M. Blargnies, je penche pour son système, et si le congrès
se prononce pour deux assemblées, je me réunirai à mon honorable collègue pour
que ses vues soient adoptées. (U. B., 16 déc.)
M. Barthélemy – répondra à deux préopinants, au plus spirituel et au plus
énergique. (Il se tourne vers M. le comte de Celles et M. Charles de Brouckere;
on rit.) Mon honorable ami, dit-il, M. de Celles, qui a parlé hier, a
fait l'éloge de notre ancienne organisation municipale et provinciale. (page 431) J'irai plus loin ; je veux
aussi un régime compris de tout le monde. Nous avons adopté le gouvernement
représentatif ; la représentation suppose participation de tous, présence de
tous. Une chambre unique aura-t-elle ce caractère ? Je rends hommage à cette
assemblée, je reconnais que toutes les classes y ont eu accès ; c'est un effet
des circonstances où nous nous sommes trouvés, c'est qu'il y a des intérêts
communs, d'impérieuses nécessités qui dominent tout. En sera-t-il de même à
l'avenir ? Les deux espèces d'intérêts se développeront davantage ; le budget,
par exemple, intéresse d'un côté la propriété foncière ; de l'autre, le
commerce, l'industrie, l'instruction. - (L'orateur cite plusieurs autorités et
plusieurs exemples.)
La
société est faite ainsi, la faute ou le mérite n'en est à personne. Cette
double représentation ne peut résulter d'un système d'élection commune ; il
faut deux systèmes. Quels seront-ils ? Consultons nos anciennes chartes. On
admettait jadis de droit les propriétaires qui jouissaient d'une certaine
fortune ; la représentation foncière se constituait ainsi d'elle-même. On peut,
par analogie, astreindre la volonté des électeurs à certaines conditions de
propriété. Il y a deux ans environ qu'on a imaginé en France un système métaphysique
sur la division des deux chambres, système qui n'est pas compris en Belgique
par deux cents personnes. On a essayé pendant quinze ans d'un jeu de bascule,
on a attaché certains avantages arbitraires aux fournées. Mais n'est-ce pas
s'avilir que de consentir à faire partie d'une fournée ? personne en Belgique
n'y consentira. En France on y consent parce que la pairie est entourée de je
ne sais quel prestige ; un pair marie bien ses enfants.(Rires.) - L
'orateur s'attache à démontrer les avantages de la discussion commune, de la
réunion des deux chambres, en cas de dissentiment. Le projet de constitution le
reconnaît, le choix du régent, du tuteur doit se faire chambres réunies. Je
suppose qu'une chambre adopte la loi des dépenses et rejette celle des
recettes, que l'autre adopte la loi des recettes et rejette celle des dépenses.
Pourquoi n'y aurait-il pas une réunion des deux chambres? Autrefois nos états
discutaient par ordre, ne se réunissaient pas en commun ! c'est parce que,
comme vous l'a dit M. Nothomb, nos anciens états ne votaient pas de budget,
mais seulement des subsides et partiellement. Je dirai aussi en terminant:
Restons nous-mêmes, accordons comme autrefois une représentation à tous les
intérêts, et ne nous laissons pas séduire par un système métaphysique que le
peuple ne comprendra jamais. (C., 16 déc.)
M. Seron – Messieurs, je n'ai que deux mots à
dire, et j'aborderai la question sans vous ennuyer d'un préambule inutile : y
aura-t-il deux chambres?
J'ai entendu
alléguer en faveur de l'affirmative l'exemple de toutes les républiques du
nouveau monde, et j'admettrais les deux chambres si vous-mêmes, messieurs, vous
aviez adopté la forme républicaine, parce que, dans la république, une deuxième
chambre serait nécessaire pour servir de contrepoids à la première dont elle
réviserait, adopterait ou rejetterait les actes. Dans la même hypothèse, je
voudrais que les deux chambres ou, pour mieux dire, les deux conseils (car
c'est ainsi que je les appellerais) fussent nommés directement par le peuple
sans aucune condition d'éligibilité, si ce n'est que, pour entrer dans le
second de ces deux conseils, il faudrait être âgé de quarante ans au moins. En
un mot, au nombre des membres près, mes deux conseils seraient pareils en tout
à ceux qu'avait créés en France la constitution de l'an III, sous les noms de
conseil des Cinq-Cents et de conseil des Anciens.
J'admettrais
encore deux chambres, messieurs, si le chef de l'État, bien qu'héréditaire,
était purement chargé de l'exécution des lois. Mais non seulement vous avez
rejeté la république et voté la monarchie, il est hors de doute encore que,
tout à l'heure, votre roi va se trouver investi de l'initiative, de la sanction
des lois, du droit de dissoudre ce qu'on nomme la seconde chambre, et du veto
; prérogatives exorbitantes à mon avis, et que cependant le pouvoir
monarchique, envahissant de sa nature, cherchera à étendre encore par toute
sorte de moyens. Dès lors, et en supposant même élective, temporaire, à la nomination
directe du peuple la première chambre de vos représentants, je ne vois pas de
quelle utilité elle pourrait être pour maintenir ce qu'on appelle la balance
des pouvoirs ; car le pouvoir modérateur se trouvera de reste dans le monarque.
Je dis donc, messieurs, que la première chambre serait une véritable
superfétation, et qu'en l'admettant nous nous écarterions de la maxime : qu'on
ne doit jamais multiplier les êtres sans nécessité.
Mais
elle ne serait pas seulement inutile, elle serait encore dangereuse, parce que,
ne fût-ce que par esprit de corps, elle ne tarderait pas à devenir hostile à
la seconde chambre, dont elle contrarierait continuellement les opérations.
Il
faudrait ne connaître aucunement le cœur humain pour en douter. Que si la première
chambre est salariée, elle coûtera nécessairement beaucoup : autre inconvénient
(page 432) très grave suivant moi,
qui crois que le peuple, qui paye tout, n'est déjà que trop chargé
d'impôts de toute espèce, sans qu'on lui fasse supporter encore la dépense
d'une institution à la fois inutile et nuisible.
Mais
si, au contraire, les fonctions de la première chambre sont gratuites, dans ce
cas, pour être habile à les remplir, il faudra sans doute posséder de grandes
richesses. Ces places ne seront donc pas accessibles au citoyen éclairé et
vertueux, mais sans fortune ; elles deviendront le partage exclusif de ceux
qui forment ce qu'on est dans l'habitude de nommer les premières classes de
la société. Voilà la liberté des votes restreinte, une aristocratie des
richesses, des privilèges créée : il n'y a plus d'égalité entre les citoyens.
Et toutefois, messieurs, remarquez-le bien, nous voulons être plus libres et
plus heureux qu'on ne l'est ailleurs ; nous sommes tous ennemis des abus.
Le mal
sera bien plus grand si la chambre est héréditaire et non salariée, car alors
il faut rétablir les majorats, véritable institution féodale, autre privilège
odieux que le génie du mal a ressuscité en France, mais qui ne peut s'y
maintenir sans que la liberté périsse : il faut, dis-je, rétablir les majorats
; autrement le temps amènera incessamment, dans votre première chambre, des
pairs sans fortune, et qui se vendront au pouvoir si le pouvoir croit qu'ils
valent la peine qu'on les achète.
Voilà,
messieurs, quelques inconvénients (pour ne pas les signaler tous) qui résultent
de l'établissement d'une première chambre ou d'une chambre des pairs, comme on
voudra la nommer. Sont-ils compensés par des avantages que je ne connaîtrais
pas?
Ce qui
est certain, c'est que jusqu'à présent ces chambres ont été défavorables au
peuple et à la liberté. En Angleterre, elles ont constamment secondé les
ministres ; elles ne leur ont opposé d'entraves que dans les circonstances
extrêmement rares où ils ont voulu entrer dans la voie des améliorations et du
bonheur public. Qui ne connaît les actes du sénat soi-disant conservateur,
espèce de première chambre instituée en France sous le régime consulaire,
perfectionnée sous le régime impérial, et qui allait toujours au-devant des volontés
de son maître ?
La
chambre des pairs, sous Louis XVIII et sous Charles X, a-t-elle montré plus de
caractère, de courage et de patriotisme ? Elle n'a osé ou n'a voulu repousser
ni la loi du milliard, ni la loi du sacrilège, ni les lois contre la liberté
individuelle et contre la presse, ni tant d'autres imaginées pour détruire
jusqu'au dernier germe des libertés publiques. Quant à la loi du droit
d'aînesse et à la loi d'amour, si la première a été amendée, et la seconde
rejetée, qui doute qu'on ne le doive uniquement aux cris d'indignation qui, à
leur apparition, s'élevèrent de tous les points de
Enfin,
messieurs, puisqu'il faut dire un mot, pour ne plus en parler jamais, de la
première chambre de nos états généraux, quel bien cette chambre, pendant les
seize années de sa triste et honteuse existence, a-t-elle fait au pays ? Quels
maux lui a-t-elle épargnés ? Non que je veuille, toutefois, mettre sur la même
ligne tous ceux qui ont eu le malheur d'en faire partie.
Il en
est, je le sais, qui n'oublièrent jamais qu'ils étaient Belges, et dont la
résistance aux volontés du despote hollandais, bien qu'impuissante, les
honore et les distingue d'autant plus qu'elle eut peu d'imitateurs.
Dans
la discussion en comité secret, on a dit et répété plusieurs fois qu'une
première chambre était nécessaire pour représenter la grande propriété. Mais,
je le demande, messieurs, les grands propriétaires ne seront-ils pas
représentés dans une chambre unique, nommée par le peuple, où ils auront accès
comme les autres citoyens ? J'ose dire qu'ils y seront toujours
proportionnellement plus nombreux que ceux qui représenteront)a moyenne et la
petite propriété, à cause du poids que les richesses donnent naturellement dans
la société et de leur influence sur les élections. Ici dans le congrès même,
directement nommé par le peuple aux choix de qui la loi n'avait mis aucune
limite, la grande propriété n'est-elle pas suffisamment représentée ?
Je
n'ignore pas qu'au système d'une seule chambre qu'avaient adopté les Mirabeau,
les Barnave, les Lameth, et d'autres membres de l'assemblée nationale dont les
connaissances profondes ne peuvent être contestées, on opposera la courte durée
de leur ouvrage.
Mais,
messieurs, je vous prie de considérer que ce n'est pas faute d'une première
chambre que la constitution de
(page 433) D'où la marche tortueuse et
insidieuse de ses ministres, leurs efforts constants pour paralyser l'action
des lois nouvelles et les rendre illusoires, et la lutte qui s'établit entre
eux et la législature et qui finit par le renversement de la constitution.
Enfin,
messieurs, une chambre aristocratique ne peut être utile qu'au despotisme, dont
nul d'entre nous ne veut.
La
chambre des pairs en France, épurée comme elle l'est, que ferait-elle avec un
roi moins éclairé, moins citoyen, moins patriote que Louis-Philippe Ier '? A
quoi sert-elle maintenant? Combien
peut-elle durer encore, quand il est visible que la révolution est vivante et
que, si elle ne veut plus les excès de 1793 et 1794, elle veut du moins les
principes de 1789 et l'entière destruction des institutions gothiques ? Et, si
la chambre des pairs tombe en France, la vôtre pourra-t-elle se soutenir ici?
Ces
considérations, messieurs, motiveront mon vote en faveur d'une seule chambre
élective, temporaire, nommée directement par le peuple et salariée.
Maintenant
faut-il répondre à l'un des honorables préopinants, lequel, afin de multiplier
les partisans de son système, vous a cité et le peuple français acceptant
l'acte additionnel aux constitutions de l'empire, et le corps législatif de
1815 votant une chambre héréditaire ? Messieurs, j'ai vu
On a
cité des auteurs, on vous a lu de longs passages de leurs écrits, afin de
prouver la nécessité d'une chambre haute. Mais s'il m'était permis, à mon tour,
de vous faire passer en revue une bibliothèque entière, je prouverais
facilement, messieurs, que beaucoup d'auteurs non moins fameux ont écrit en
faveur du système opposé, et en ont démontré la bonté d'une manière
péremptoire. Je prouverais que les excellents motifs dont ils se sont étayés
réfutent complètement ceux de leurs adversaires. Vous auriez d'autant plus de
confiance dans les publicistes dont je mettrais les productions sous vos yeux,
que, du moins, leur opinion, dans laquelle ils sont demeurés fermes, peut être
regardée comme consciencieuse, ce qu'on ne peut dire de l'opinion variable des
de Pradt el des Benjamin Constant. (U. B., suppl., 16 déc.)
M. le chevalier de Theux de
Meylandt – Messieurs, les longs développements que vous avez déjà entendus sur la
question du sénat m'engagent à ne pas vous communiquer les observations que
j'avais aussi préparées ; j'indiquerai seulement les principaux motifs qui
déterminent mon opinion.
En
considérant la gravité et la moralité du peuple belge, en considérant le calme
de cette assemblée nombreuse, on est sans doute porté à croire que nous n'avons
pas besoin de sénat.
Cependant,
je n'oserais admettre une innovation aussi importante dans le système
politique, tandis qu'elle n'a été tentée avec succès chez aucun autre peuple.
Et
d'abord, il est certain qu'elle serait fortement désapprouvée par nos voisins,
et considérée par eux comme constituant notre gouvernement dans un état
précaire, sans garantie de stabilité. En effet, pouvons-nous avoir une entière
confiance que notre chambre élective sera toujours tellement bien choisie, que
jamais une majorité ne l'entraînera hors des voies de la modération ?
Pouvons-nous
compter que, résistant aux désirs d'étendre ses attributions, elle n'attirera
pas à elle la totalité du pouvoir législatif en réduisant à rien dans la
pratique l'exercice du veto suspensif ou perpétuel que vous attribuerez
au chef de l'État ? Et celui-ci conservera-t-il dans son intégrité l'exercice
même du pouvoir exécutif ? Je ne le pense pas, et cependant alors l'équilibre
des pouvoirs serait rompu et la constitution violée dans ses dispositions
principales. En outre, pouvons- nous espérer qu'il ne surgira pas des démêlés
violents entre deux pouvoirs si puissants, lorsqu'ils auront à traiter sans
intermédiaire les objets les plus importants ? et alors quelle utilité pourriez-vous
espérer de la dissolution de la chambre ? Ce remède est trop violent et cause
trop de trouble dans l'État pour croire qu'il puisse amener une chambre
nouvelle disposée à la paix. .
Aussi
les publicistes les plus éclairés sont-ils :l'avis que l'équilibre de ces deux
pouvoirs ne peut être maintenu s'il n'existe en même temps une prairie qui
puisse servir d'intermédiaire par le calme de ses délibérations, et encore plus
par une sage lenteur qui donne un temps utile pour calmer .es passions.
(page 434) Un honorable orateur a
prétendu que le sénat devait être mauvais en soi, puisque nous étions divisés
sur le mode de le composer ; cependant tout ce que l'on peut conclure de cette
divergence, c'est que l'on pense qu'il y a deux modes plus ou moins bons pour
composer une institution approuvée par le plus grand nombre des membres de
cette assemblée.
Je
regarde comme incontestables les avantages d'un sénat pour la perfection de la
législation et le maintien de la paix intérieure ; j'y vois, au contraire, peu
d'inconvénients dans un pays où il n'existe plus le moindre privilège, et dont
la constitution garantit toutes les institutions populaires, en sorte que le
sénat ne peut avoir d'intérêt personnel de s'opposer à aucune loi utile.
Un
éloquent adversaire du sénat a allégué que notre première chambre fut
probablement cause que le roi ne redressa pas nos griefs, lorsqu'elle refusa
son adhésion au message de la seconde chambre qui les appuyait.
Cet
exemple ne peut pas servir de preuve dans cette discussion.
Nous
savons tous que l'ex-roi n'avait que trop d'appui dans
Messieurs,
l'article 1er du projet appelle aussi la délibération sur la nomination du
sénat, cependant peu d'orateurs en ont fait mention ; lors du comité général,
messieurs, on a prétendu que les intérêts du pays succomberaient sous la
représentation foncière ; mais on ne doit pas perdre de vue que la contribution
foncière est établie, qu'elle doit continuer à faire partie du système
financier ; et puis on ne doit pas non plus perdre de vue que la propriété
foncière est la principale richesse du pays, et que, par sa grande division
entre la majeure partie des habitants, elle les intéresse presque tous. En
outre, s'agit-il de défendre l'importation des grains étrangers, on ne pourra
la défendre qu'avec le concours de la chambre élective ; s'agit-il au
contraire de la défense d'exportation, en ce cas, il est vrai, il faudra
l'assentiment du sénat, mais peut-on croire qu'il le refuse lorsque des besoins
rares et momentanés du peuple exigeraient cette défense d'exportation ? Enfin,
rien n'empêche l'admissibilité des grands industriels, puisque beaucoup d'entre
eux payent le cens foncier requis pour le sénat.
L'assemblée
a été partagée presque également entre deux opinions ; la section centrale
vient d'adopter celle de la minorité. La majorité, peut-être trop vivement
frappée de l'impopularité de la première chambre de nos états généraux, dont
d'ailleurs plusieurs membres se sont distingués par leur patriotisme, a cru
qu'il était nécessaire de faire concourir des électeurs à sa nomination ;
j'avais d'abord partagé ce sentiment, mais en y réfléchissant davantage, j'ai cru
devoir l'abandonner moyennant les garanties contenues au nouveau projet de la
section centrale, dont l'une tend à empêcher la déconsidération du corps en
posan. de sages limites à l'augmentation de ses membres, et l'autre assure la
représentation de toutes les provinces à raison de leur population.
La
nomination par le chef de l’Etat ne rend point les sénateurs dépendants,
puisqu'elle est irrévocable et à vie.
Que si
la première chambre de nos états généraux fut si déconsidérée, on doit
l'attribuer principalement à sa composition mixte de Belges et de Hollandais,
et en second lieu aux vices organiques de la chambre.
Ainsi
un traitement considérable pouvait servir d'appât et de récompense à des hommes
dévoués au pouvoir, tandis qu'aucun cens d'éligibilité n'était exigé pour
garantie d'indépendance.
Ces
deux vices ne subsisteront plus à l'avenir ; toutefois il en reste un à
corriger sur lequel j'aurai l'honneur d'appeler l'attention du congrès par une
proposition tendant à déclarer les fonctions de sénateur incompatibles avec
toutes charges à la cour, par le motif que ces charges mettent les sénateurs
dans une trop grande familiarité avec le prince, et qu'elles les rendent
suspects au public, tandis qu'ils ont besoin pour le bien de l'État de jouir du
respect et de la confiance de la nation ; par le même motif ces fonctions
doivent être déclarées incompatibles avec tout emploi public salarié, à la
nomination du chef de l'État, excepté les hautes dignités de ministres,
ambassadeurs ou généraux de l'armée, dans lesquelles les sénateurs pourraient
rendre d'éminents services à la patrie.
Cette
double incompatibilité est assez justifiée par les diverses charges, tant à la
cour que publiques et lucratives, dont le roi avait investi un (page 435) grand nombre des membres de
la première chambre.
Avec
ces conditions, l'indépendance du sénat est pleinement assurée. Car il est
important de remarquer que l'honneur défendant en quelque sorte aux sénateurs
de quitter jamais ces fonctions honorables, ils prennent par le fait la
résolution de se dévouer pendant toute leur vie au service de la patrie, sans
indemnité aucune et sans pouvoir jamais obtenir d'autre récompense que l'estime
de leurs concitoyens.
Toutefois,
j'ai entendu pousser la défiance jusqu’à dire qu'un sénat même composé de cette
manière ne présentait pas encore de garanties ; que ses membres seraient
toujours dévoués exclusivement au pouvoir pour ménager des emplois à leurs
parents ou à leurs amis ; quant à moi, je ne puis partager cette opinion, parce
qu'il n'est pas naturel qu'un homme fortuné veuille, par sa conduite politique,
se déshonorer aux yeux de ses concitoyens, pour favoriser ses parents et ses
amis ; parce qu'un homme affecté de sentiments aussi bas et aussi intéressés
n'acceptera point une fonction à vie qui l'exclut lui-même de tout avantage
personnel, et l'expose à des dépenses plus ou moins considérables. .
Je
sais tout ce que le système d'un sénat électif semble avoir de flatteur pour le
peuple, et cependant le résultat pourrait être tout opposé à celui qu'on se
propose ; en effet, si le chef de l'État trouvait une sympathie dans le sénat
élu, il serait d'autant plus porté à résister aux projets de la chambre
élective, qu'il pourrait se flatter davantage de la popularité du sénat.
D'autre
part, un inconvénient tout opposé peut résulter de l'élection ; c'est que-le
sénat, au lieu d'être un corps médiateur, pourrait devenir trop semblable à la
chambre élective, et rompre l'équilibre des pouvoirs au détriment du chef de
l'État, à qui doit cependant conserver celui que la constitution lui attribue
pour le bien public.
La
crainte de l'un ou l'autre de ces inconvénients et de plusieurs autres qui ont
encore été signalés, dans les différentes discussions préparatoires, me font
préférer un système connu, suffisamment amélioré par de nouvelles conditions.
(E., 16 déc.)
M. Fleussu – Messieurs, la question qui est
soumise à l'attention du congrès se présente à l'esprit sous tant de rapports
différents, que rien ne doit paraître moins étonnant que la divergence des
opinions sur ce point.
Les
partisans de deux chambres voient, dans l'une, vie et mouvement ; dans l'autre,
calme et stabilité. La trop grande activité de l'une vient s’amortir contre
l'immobilité de l'autre, et le trône se trouve ainsi à l'abri de toute
secousse.
Ceux
qui pensent qu'une seule chambre est nécessaire, regardent le sénat comme un
rouage inutile, plus propre à ralentir qu'à favoriser le mouvement.
Selon
eux, le jeu de chaque ressort n'est jamais mieux assuré que quand le mécanisme
est simple ; comme toutes les autres, la machine politique a besoin de l'accord
de toutes ses parties. Ils voient d'ailleurs se dessiner, dans le choix des
sénateurs, des préférences et des distinctions peu en harmonie avec la fierté
du caractère belge, et peu compatibles du reste avec le grand principe de
l'égalité.
Quant
à moi, j'ai pesé avec toute l'attention dont je suis capable les avantages et
les inconvénients d'une chambre haute, sans pouvoir me convaincre de sa nécessité.
Je
vois en Angleterre la chambre haute ; mais il. nous serait bien difficile
d'imiter cette institution anglaise, si même nous en éprouvions l'envie.
La
chambre des lords est composée d'éléments peu communs et qui deviendront
toujours plus rares en Belgique.
Elle
est essentiellement aristocratique, et l'aristocratie se maintient dans ce
pays au moyen de la grande propriété ; elle n'existe plus chez nous que dans un
très petit nombre de familles, où les biens n'ont point été soumis à de
fréquents partages, et elle ne pourrait y être entretenue sans changer
entièrement l'ordre des successions, sans rétablir les droits d'aînesse, les
majorats, les substitutions et les fidéicommis. En Angleterre d'ailleurs,
l'aristocratie est liée de si près à la monarchie que l'une ne peut guère
subsister sans l'autre ; elles se prêtent un mutuel soutien. On ne saurait
toucher à l'élément aristocratique sans exposer tout l'édifice à une ruine
complète.
Au
surplus, de ce que la chambre des lords doit être conservée en Angleterre, où
elle est en rapport avec les autres institutions du pays ; de ce qu'elle y est
un appui du trône, il ne s'ensuit nullement qu'une chambre haute soit
nécessaire dans tout gouvernement représentatif, parce qu'il est certain que là
cette institution a un caractère tout
spécial. '
On
cite l'exemple de
Je
veux bien les reconnaître, mais ne nous hâtons pas trop de rien en conclure.
Pour apprécier
ces services à leur juste valeur, il faut faire la part des circonstances.
Quand est-ce que la pairie a si bien mérité de
(page 436) Dans un moment où il n'y
avait plus qu'un seul moyen d'empêcher une explosion, fallait-il beaucoup de
patriotisme pour l'adopter ? Le rejet était devenu une nécessité, et on ne sait
que trop comment, s'étant rendu maître de la composition de la chambre
élective, le ministère français avait fait de la représentation nationale un
instrument docile de ses volontés.
Or, ce
n'était point
Cet
exemple, puisé dans des circonstances tout à fait extraordinaires, au lieu de témoigner
de la nécessité d'une chambre haute, me semble bien plutôt une preuve du danger
auquel l'État est exposé, quand le ministère parvient à fausser la représentation
nationale, la composant à son gré, parce que dans ce cas c'est le despotisme
ministériel qui s'organise, d'une manière d'autant plus perfide qu'il emprunte
les dehors de la légalité.
Quoi
qu'il en soit, ce qui reste vrai, ce qui, à mon avis, est incontestable, c'est
que le ministère, qui se trouve en présence d'une seule chambre, est nécessairement
plus circonspect, parce qu'il sait qu'il lui manque la ressource du rejet d'une
chambre haute, pour apaiser au besoin l’opinion publique, et qu'il est de
l'intérêt de la couronne de ne point user inconsidérément la prérogative du veto
royal.
J'explique
mon idée : dans tous les États, la chambre haute est la plus rapprochée du
trône ; d'ordinaire elle est remplie de courtisans, de gens à faveur, avides
des honneurs, des distinctions, des emplois et de toutes les récompenses qui
sont à la disposition du pouvoir. Elle est l'appui et la force du ministère.
Sûr d'une majorité dont il peut disposer, il fera des essais, dont il se garderait
bien avec une seule chambre. En effet, si ses projets provoquent les murmures
du peuple, la chambre haute rejette ; en son absence, il devrait se servir du veto
du souverain, et alors arriverait cette bizarrerie que le pouvoir
repousserait des projets que lui-même aurait produits. Il devra donc, quand le
pouvoir législatif n'est point divisé, avoir soin de ne proposer que des lois
qui puissent être acceptées sans inconvénient. On pourrait conclure de là que,
sans l'existence d'une pairie,
Que
vous dirai-je maintenant de la première chambre des états généraux sous le
gouvernement qui vient de tomber ? Loin d'être une sauvegarde contre les
fréquents empiétements du pouvoir, elle a presque toujours été un obstacle aux
améliorations qui ont été proposées. Je me bornerai à un seul exemple : la loi
sur l'organisation judiciaire était d'une exécution sinon impossible, au moins
excessivement difficile; des modifications salutaires ont été .présentées ;
elles furent adoptées par la seconde chambre ; vous savez comment elles ont été
accueillies par la première. .
On
pourrait lui appliquer à juste titre ce qu'un publiciste disait de la chambre
des lords : « Il ne serait peut-être/pas facile de citer de mauvaises lois
qu'elle ait prévenues par sa négative ; on pourrait au contraire en citer de
bonnes qu'elle a rejetées. »
Un
membre cependant a opposé à cette assertion quelques faits historiques ; mais,
si j'ai bonne mémoire, il a puisé ses exemples dans des époques antérieures à
l'organisation actuelle du pouvoir législatif en Angleterre.
Ainsi,
vous le voyez, messieurs, ce n'est point en examinant ce qui se passe autour de
nous, ni en jetant un regard en arrière ; mais c'est en nous consultant
nous-mêmes, que nous pourrons juger de la nécessité de deux chambres.
Je
connais l'empire de l'habitude et je sais qu'en politique surtout on ne doit
point se montrer facile en innovations. Nous sommes habitués à voir, dans les
gouvernements mixtes, le pouvoir législatif divisé en deux branches ; le
projet de l'attribuer à un seul corps, concurremment avec le chef de l'État,
paraît aux yeux de quelques-uns d'entre nous une nouveauté dangereuse ; tâchons
donc, pour les tranquilliser, de découvrir la cause de la division que l'on
remarque ailleurs ; car pour se faire une idée saine d'une institution quelconque,
il faut remonter à son origine.
L'élément
aristocratique, que nous apercevons dans les monarchies tempérées des pays
voisins, est une participation au pouvoir législatif entièrement
exceptionnelle, et en faveur d'une certaine classe de personnes. Cette
exception, je la considère comme un effet de la féodalité ; je crois pouvoir
le prouver : personne n'ignore que les anciens seigneurs étaient presque autant
de petits (page 437) souverains, qui
relevaient d'un seigneur suzerain, auquel ils devaient faire hommage. Par les
principes féodaux, la propriété du sujet n'était considérée que comme un don
conditionnel, par l'acceptation duquel celui-ci contractait une sorte d'obligation
indéfinie, dont la nature n'a jamais été exactement expliquée et qui lui
faisait un devoir de s'abstenir en général de tout ce qui était préjudiciable
aux intérêts du seigneur.
C'était
ce principe de soumission qui, au premier partage des terres conquises,
unissait les barons au prince, les chevaliers aux barons, et les vassaux aux
chevaliers.
Si le
vassal manquait à ses devoirs, il se rendait indigne du bienfait dont il avait
été gratifié, et la propriété lui était ravie, ce qui lui faisait perdre toute
son importance politique.
Cet
état de choses, qui est celui du commencement du régime féodal, était trop
précaire pour subsister longtemps. A mesure que la police féodale s'est
relâchée, les fiefs sont devenus permanents et héréditaires. Enfin, les
progrès de la civilisation firent comprendre aux sujets qu'ils n'étaient point
faits pour n'être considérés, en quelque sorte, que comme des accessoires de la
propriété du territoire sur lequel ils vivaient. De là des résistances contre
les prétentions trop étendues des seigneurs. Elles furent soutenues par le seigneur
suzerain, dont les pouvoirs, par cela même qu'ils étaient ceux du plus fort,
s'étendaient chaque jour au détriment des pouvoirs inférieurs.
.
C'est de cette lutte d'une part et de ces usurpations de l'autre qu'est sortie
la monarchie Au despotisme de plusieurs on a préféré celui d'un seul.
Lorsque
plus tard la forme des gouvernements mixtes s'introduisit, comme les seigneurs,
qui n'avaient point perdu toutes leurs prérogatives, avaient de plus hauts
intérêts à défendre que ceux de la nation, on leur a accordé une représentation
particulière.
C'est
ainsi, si je ne me trompe, que l'élément aristocratique s'est introduit dans
les gouvernements représentatifs.
Par
suite des événements de la révolution, qui a éclaté sur la fin de l'autre
siècle, tous les droits féodaux ont été supprimés ; les lois, qui avaient
maintenu jusque-là la grande propriété ont été abolies. Depuis lors, les
domaines ont été divisés et subdivisés, de manière que tout ce qui reste parmi
nous de l'élément aristocratique n'est guère que les noms de quelques anciennes
familles.
Maintenant
que le temps et la loi ont nivelé toutes les conditions, que les privilèges ont
disparu sans retour, que toutes les distinctions d'ordres sont effacées, que
tous les Belges sont égaux et indistinctement admissibles à tous les emplois,
irons-nous établir une représentation spéciale et composée d'éléments
particuliers ?
Je dis
qu'une chambre haute sera composée d'éléments particuliers, et cela doit être ;
car si elle est, comme l'autre, au choix de la nation, elle se ressentira
presque inévitablement de l'influence sous laquelle l'autre chambre aura été
composée ; de sorte que le pouvoir populaire, contre lequel on pense devoir
prendre tant de précautions, sera en force double, ou pour mieux dire la chambre
haute ne sera qu'une section de la chambre basse, puisque l'une et l'autre
seraient également élues par le peuple, et qu'il est incontestable que les
mêmes moyens doivent produire le même résultat.
Il
faudra donc que la chambre haute soit formée ou par le choix d'autres électeurs
ou par le choix du souverain. Dans le premier cas, vous établissez des
préférences, des distinctions, qui font exception au principe de l'égalité.
Dans le second, vous ouvrez la porte la plus large aux intrigues et aux
faveurs. Choisissez entre ces deux écueils, et prenez garde que dans un cas
comme dans l'autre vous dénaturez l'institution de la chambre haute; car
l'aristocratie ayant cessé de droit et de fait, la cause d'une représentation
spéciale n'existe plus ; donc l'élément aristocratique doit nécessairement,
disparaître de notre constitution.
.
Aujourd'hui la nation est une, ses intérêts sont indivisibles, c'est pourquoi
les lois sont générales, obligatoires pour tous et un chacun. De là qu'une
nation est une, qu'elle n'est point divisée en classes, que les intérêts. des.
uns sont aussi les intérêts des autres, il s'ensuit nécessairement qu'il doit y
avoir également unité dans.,la représentation nationale ; sinon on l'expose à
un choc de volontés contraires, d'où résulte une lutte quelquefois fâcheuse
entre les deux corps politiques appelés à satisfaire aux besoins de la nation.
Cependant
on fait valoir contre le système d'une seule chambre des considérations d'ordre
et de conservation qui valent bien la peine d'être examinées.
Sans
la division du pouvoir législatif, dit-on, le vaisseau de l'État est sans cesse
exposé aux tempêtes des passions de la démocratie ; pour leur opposer une
résistance assez forte, il a besoin d'être assuré par deux ancres. Or comment
garantir la maturité des délibérations, comment prévenir les abus des
précipitations, comment éviter les surprises, comment brider les passions,
comment enfin donner (page 438) au
pouvoir exécutif le moyen de se maintenir contre un pouvoir unique ? une
seconde chambre paraît donc nécessaire tant dans l'intérêt de la nation que
pour la stabilité du trône.
Ces
motifs en faveur d'une chambre haute sont spécieux ; ils doivent paraître
puissants à qui ne saisit que les surfaces. Sans doute les intérêts de la
nation doivent être discutés avec maturité ; on ne doit point les livrer à
l'effervescence des passions ; telle assurément n'est point l'intention des
partisans d'une seule chambre. Mais en laissant au peuple le soin de se choisir
ses représentants, n'avons-nous pas déjà une garantie contre ces prétendus
inconvénients ? Ne dirait-on pas que le peuple entend assez mal ses intérêts
pour confier son sort à l'impétuosité de la jeunesse, à des hommes délibérant
sans calculer toutes les conséquences de leurs délibérations ? De la
composition du congrès, qui est le premier exemple chez nous d'une élection
directe, on peut se faire une idée de la physionomie des législatures subséquentes,
qui se formeront par la même voie. A coup sûr on ne nous fera pas le reproche
d'agir avec trop de précipitation.
La
représentation nationale sera formée d'hommes de tous les âges, de toutes les
conditions et de toutes les opinions ; par suite de cette fusion, il s'établira
inévitablement un contrepoids dans le sein de l'assemblée même.
Le remède,
au surplus, est à côté du mal, car rien n'empêche que par le règlement même de
la chambre on n'établisse un mode de délibération propre à brider les
précipitations et à assurer la maturité des discussions. On pourrait à ce sujet
suivre l'exemple des communes en Angleterre, où l'on exige trois lectures et
trois discussions à différents intervalles.
Par là
on se donnerait des garanties contre les surprises, on aurait le temps de la
réflexion et l'on pourrait mesurer alors toute la portée d'une proposition.
S'il convient de n'avancer qu'à pas comptés, de peur de s'élancer trop avant,
il est parfois non moins utile d'éviter des lenteurs, et les lenteurs sont
toujours inévitables, lorsque les projets de loi doivent être soumis à
l'épreuve d'une seconde chambre.
Il est
encore une observation digne de remarque, c'est que les motifs de crainte qu'on
signale ne pourraient guère se présenter que quand la chambre ferait usage de
l'initiative.
Or, l'expérience
a prouvé que la représentation nationale use rarement de cette faculté. Elle
abandonne au pouvoir exécutif le besoin de préparer et de présenter des
projets de loi ; lorsqu'elle s'en charge, c'est qu'elle est stimulée par le
fond de l'opinion publique.
Que
si, dans ce cas, elle adopte des mesures inutiles ou contraires à l'intérêt
général, le remède est dans le veto du prince, de même qu'il peut
ajourner et même dissoudre la chambre lorsqu'elle annonce des dispositions
hostiles à la sûreté de l'État.
On
objecte qu'il est dangereux de mettre ainsi la monarchie en contact avec le
pouvoir démocratique, et qu'il est nécessaire qu'il y ait entre eux un
intermédiaire.
Je ne
sais si ce n'est point élever la monarchie beaucoup trop au-dessus de la nation,
je ne vois point la nécessité d'une si grande distance entre le chef de l'État
et le peuple ; il me semble qu'ils connaîtraient mieux leurs intérêts et leurs
besoins réciproques, s'ils marchaient davantage de front. Le monarque ne doit
jamais perdre de vue que les intérêts du peuple sont les siens, qu'il fait
partie de la nation, qu'il n'en est que le mandataire ; je ne conçois pas
pourquoi on veut les séparer par un intermédiaire. .
Ce
n'est déjà que par une espèce d'exception que l'on a mis au nombre des
prérogatives de la couronne celle de prendre part au pouvoir législatif, en
lui accordant l'initiative, car si l'on voulait faire une application sévère
de la distinction des trois grands pouvoirs, il en résulterait qu'à la nation
seule appartiendrait la puissance de décréter des lois, et que le principal
attribut de la couronne serait de faire exécuter l'expression de la volonté
générale.
Mais
le chef de l'État doit être tout à la fois l'exécuteur de la loi et le
protecteur du peuple ; c'est en cette dernière qualité, et pour éviter qu'on
n'exécute des mesures contraires aux intérêts généraux, qu'on l'a admis à
l'exercice du pouvoir législatif et qu'on l'a armé du veto.
Il se
compromettra vis-à-vis de la nation, dit-on, s'il fait un usage trop souvent
répété de cette prérogative.
Cette
observation ne me paraît point fondée ; ce n'est point en usant souvent, mais
en usant mal du veto, que ce danger est à craindre. Qu'il ne s'en serve
jamais pour contrarier les vœux du peuple, et ce peuple lui sera d'autant plus
dévoué qu'il saura que c'est dans l'intérêt de la nation que le prince fait
usage d'une faculté aussi large.
J'ai
entendu dire que le pouvoir exécutif ne saurait tenir contre la puissance
législative concentrée dans une seule chambre.
Je ne
puis vous dissimuler que cette objection a bouleversé toutes mes idées. J'avais
pensé (page 439) jusqu'à ce jour
que, placé au-dessus de tous, le roi devient, par sa position même, presque
sans le vouloir, le rival de la loi. Investi d'une somme de pouvoir exclusive,
il doit être sans cesse tenté d'élargir encore son autorité ; aussi
l’expérience n'a que trop appris combien il est nécessaire de restreindre et de
circonscrire dans de sages limites les attributions de la couronne.
Mais
voilà que c'est contre le pouvoir du peuple qu'on veut diriger la salutaire
défiance qu'on avait tournée contre le pouvoir du trône.
Si on
voulait se donner la peine de remonter au berceau de la monarchie, on verrait
qu'elle était d'abord élective et limitée ; qu'insensiblement elle a reculé les
bornes de son pouvoir et qu'elle a fini par les faire disparaître entièrement.
Ouvrez
ensuite l'histoire de toutes les révolutions, et vous y trouverez la preuve
qu'elles ont éclaté, non parce que les peuples ont voulu étendre la puissance
démocratique au préjudice des attributions du pouvoir, mais parce que le
pouvoir avait usurpé ou cherchait à usurper la toute-puissance au mépris des
droits réservés à la puissance démocratique. Les peuples ont trop perdu dans
les commotions politiques, elles froissent trop violemment leurs intérêts pour
croire qu'ils s'y exposent légèrement. Ils souffrent longtemps avant d'agir, et
ce n'est jamais qu'à la dernière extrémité qu'ils ont recours à la triste et
terrible ressource des révolutions.
Ce n'est
donc point contre le peuple, mais contre le trône, qu'il faut prendre des
précautions. Je ne comprends point pourquoi on suppose toujours la chambre
élective hostile au gouvernement ; il semblerait presque que sans motifs, et
de gaieté de cœur, elle va se remuer contre le pouvoir. Je ne partage point ces
appréhensions; car je vois une immense différence entre la démocratie et la représentation
nationale dans une seule chambre. Il y a de l'une à l'autre la même distance
qu'entre le gouvernement démocratique et le gouvernement représentatif.
Le
gouvernement démocratique est voisin de la démagogie. Le gouvernement
représentatif est intéressé à la stabilité du trône comme à la liberté et à la
prospérité du pays.
Une
chambre unique combattra le ministère avec d'autant plus de ménagement qu'elle
saura qu'il lui manque l'appui d'une chambre plus élevée. .
C'est
le motif qu'on signale comme rendant sa résistance dangereuse, qui l'engagera à
ne faire usage de sa force qu'avec prudence, d'où résultera ce double avantage
que le ministère sera plus circonspect et la chambre moins exigeante.
Ici,
je m'attends à une objection.. Par ce système, me dit-on, vous altérez les
effets du gouvernement représentatif ; c'est la lutte continuelle entre le
ministère et la chambre élective qui fait la vie du gouvernement représentatif
; et pour que cette lutte ne soit point un combat à mort pour l'un de ces
pouvoirs, il est indispensable d'en établir un troisième qui, en se joignant
.au parti opposé, rétablisse sans cesse l'équilibre.
Gardez-vous
de croire qu'une seule chambre puisse étouffer ce qu'on nomme la vie du
gouvernement représentatif. Les deux pouvoirs s'observeront, et cette
surveillance réciproque les retiendra l'un et l'autre dans le cercle de leurs
attributions respectives ; ni l'un ni l'autre n'osera franchir la ligne de
démarcation qui les sépare.
Quand
l'opposition et le ministère en seront aux prises, la chambre d'abord, le roi
ensuite, jugeront du débat, et si la résistance se renouvelle et se prolonge,
un appel au peuple sera nécessaire. Le remède est violent, je le sais ; mais
l'existence d'une chambre haute ne l' exclut point ; car quand celle-ci se
joint à l'autre contre le ministère, ou quand elle se range du côté du ministère
contre la chambre élective, il faut encore en appeler à la nation, parce que,
en définitive, il faut que ce soit la volonté générale qui triomphe.
On
nous effraye sur l'avenir, on manifeste des craintes sur l'existence d'un
pouvoir unique, dont on redoute les envahissements ; mais on suppose des
dangers qu'on ne justifie point, Une seule considération suffit pour prouver
qu'ils ne se réaliseront pas : c'est que la chambre se renouvelant
périodiquement, elle se trouve après un certain temps composée de nouveaux
membres. En second lieu, comme elle ne se réunit qu'à certaines époques, le
défaut de permanence sera une sauvegarde contre l'esprit de corps, ce qui fera
que la chambre n'aura jamais assez d'audace pour devenir une puissance
dangereuse. Ces appréhensions ne sont que des répétitions de tout ce qu'ont dit
à l'assemblée constituante les orateurs qui ont parlé en faveur d'un sénat.
Mais Lally-Tollendal, Mounier et autres pouvaient s'élever contre l'absence
d'un pouvoir modérateur par des motifs qui n'existent point aujourd'hui.
La
constitution de 91 n'accordait pas au chef de l'État une part aussi large que
la nôtre dans le pouvoir législatif. Les lois devaient être proposées,
rédigées et décrétées par la représentation nationale ; le roi n'avait que la
sanction et le veto.
Je
conçois qu'avec un tel système il fallût prendre des mesures pour servir de
frein aux passions, pour modérer les précipitations et pour remédier (page 440) aux surprises. Le pouvoir législatif
doit être nécessairement divisé dans tout gouvernement où la puissance
exécutrice, étrangère à la législature, n'a d'autre mission que d'exécuter les
lois adoptées sans sa participation. Dans ce cas, le refus de la sanction ou
l'usage du veto pourraient avoir lieu à chaque instant, et le roi se
trouverait constamment en conflit avec le pouvoir législatif. Mais ces motifs
cessent lorsque c'est le gouvernement lui-même qui propose les lois, et que la
chambre ne jouit que de la faculté de l'initiative, faculté dont elle ne se
prévaudra dans la pratique que lorsque le pouvoir résistera trop longtemps à
l'opinion publique.
Ainsi,
il y avait en France deux raisons bien puissantes et presque péremptoires de
s'opposer à l'unité du pouvoir législatif :
1° La
chambre faisait les lois sans le concours du souverain qui était privé de
l'initiative ;
2°
Elle était permanente.
Ici il
en serait tout autrement : la chambre se réunirait à des époques déterminées,
discuterait les projets qui lui seraient présentés ; seulement elle pourrait en
présenter elle-même.
Malgré
ces motifs de différence entre notre position et celle des législateurs de 91
(cette différence est vraiment remarquable), néanmoins la question a été
résolue en faveur d'une seule chambre par une majorité de 849 voix contre 89.
Je
n'ignore point que « les partisans de la pairie ont attribué tous les maux de
la révolution à son absence : comme s'il eût été possible à un corps, quel
qu'il fût, d'arrêter sa marche ! Ce n'est point la constitution qui lui a donné
le caractère qu'elle a eu, ce sont les événements occasionnés par la lutte des
partis. Qu'eût fait la chambre haute entre la cour et la nation ? Déclarée en
faveur de la première, elle ne l'eût ni conduite, ni sauvée ; en faveur de la
seconde, elle ne l'eût pas renforcée, et, dans les deux cas, sa suppression
était infaillible. On va vite en pareil cas, et tout ce qui arrête est de
trop. » (Note de bas de
page : Mignet, Histoire de
On
vous a cité Thiers, je lui oppose Mignet, car c'est à cet historien que
j'emprunte ces réflexions.
A défaut de raisons bien concluantes en faveur
d'un sénat, on nous a fait de nombreuses citations ; il ne serait pas
difficile de répondre par des citations contraires, et d'invoquer l'autorité
d'une foule de publicistes, notamment celle de Mirabeau et de Bentham.
Celui-ci
a prononcé contre le sénat un arrêt de proscription en termes sévères qui'
attestent sa profonde conviction de l'inutilité et même des inconvénients
d'une chambre haute. Je finirai par vous faire remarquer quelques-uns de ces
inconvénients. Un sénat est, dit on, un pouvoir conservateur ; à mon avis, il
n'est propre à conserver que des abus. Or, je le répète, ce ne sera jamais que
pour remédier à des abus que la chambre prendra l'initiative.
Un
sénat serait un moyen de faire fléchir la majorité devant la minorité ; une
proposition adoptée à l'unanimité de la chambre basse viendrait se briser
contre la majorité d'une seule voix dans la chambre haute. Un sénat formé des
sommités de la société ne consentira jamais des impôts frappant la grande
propriété et les objets de luxe, de sorte que les objets de première nécessité
resteront toujours imposés.
Un
sénat, s'il s'opiniâtre dans un système quelconque, arrêtera non seulement la
marche du gouvernement, mais encore il deviendra un obstacle insurmontable
contre toutes propositions commandées par l'opinion publique. Un sénat donnera
lieu à des lenteurs inévitables et quelquefois bien préjudiciables. L'existence
d'un sénat est incompatible avec l'admission du principe: point de
redressement de griefs, point de subsides, mis à la disposition de la
chambre élective.
Un
sénat enfin, offrira toujours au pouvoir des moyens de séduction faciles. Les
sénateurs n'obtiendront point de rétribution. C'est pour cela qu'ils
trouveront un prétexte de faire acheter leurs services. Ils obtiendront pour
eux et pour les leurs les emplois, les honneurs et les distinctions. Si près
de la couronne, il faut bien briller de quelque éclat. L'on connaît assez la
puissance magique d'un parchemin ou d'un ruban. (C., suppl., 16 déc.)
M. le président
– Messieurs, on m'a
encore parlé aujourd'hui d'une séance du soir, pour hâter nos travaux. (Oui!
oui! (U. B., Suppl., 16 déc.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Je remarque qu'il y a encore un grand
nombre d'orateurs inscrits ; je crois que, pour gagner du temps, il serait
convenable de se réunir ce soir : par ce moyen, dans trois ou quatre jours, la
discussion serait sans doute épuisée. (U. B., suppl., 16 déc.)
-
L'assemblée, consultée par le président, décide qu'il y aura séance ce soir à
sept heures. (P. V.)
M. le président
– Sera-ce une nouvelle
séance ou une simple continuation de celle-ci ? Je fais cette question parce
que dans le premier cas il faudrait rédiger un procès-verbal. (Non!
Non !f) (U. B., suppl., 16
déc.)
Plusieurs voix – La séance n'est que suspendue. (U. B., suppl., 16 déc.)
M. le président
– Elle continuera donc
ce soir à sept heures; la parole est à M. le baron Beyts. (U. B., suppl., 16
déc.)
M. le baron Beyts
après avoir fait
l'historique des diverses phases qu'a subies la discussion relative au sénat,
propose par forme d'amendement un nouveau projet qui, selon lui, est propre à
concilier toutes les opinions. Cet amendement est conçu en ces termes :
« J'ai
l'honneur de proposer au congrès les dispositions suivantes relatives au sénat
:
« Et
ce en remplacement, tant des articles 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93 et 94 du
projet de constitution, que de tous les articles proposés successivement dans
les deux rapports de la section centrale, relatifs à cette importante matière,
« Du
SÉNAT.
« Art.
1er. Les sénateurs sont nommés par le chef de l'État, sur une liste triple de
candidats, présentée par les électeurs qui, dans chaque chef-lieu d'arrondissement,
concourent à la nomination des membres de la chambre élective.
« Le
nombre de dignités sénatoriales, pour lesquelles chaque arrondissement
présente, sera fixé par la loi électorale organique sur la base, autant que
possible, de la proportion de leur population respective.
« Art.
2. Le chef de l'État nomme dans les deux mois qui suivent le jour de la
désignation des candidats.
« Art.
3. Le sénat est composé de cinquante membres. Il ne pourra délibérer, à moins
que trente-neuf de ses membres ne soient
présents.
« Art.
4. Les sénateurs sont nommés à vie.
« Art.
5. Le sénat ne pourra être dissous.
« Art.
6. Les sénateurs ne recevront ni traitement ni indemnité.
« Art.
7. Pour être nommé sénateur, et même pour être valablement désigné comme
candidat sénateur, il faut :
« a.
Être né Belge, être réputé Belge, conformément à la deuxième disposition de
l'art. 54 de la constitution, ou avoir obtenu la grande naturalisation.
« b.
Jouir de ses droits politiques et civils, et avoir l'âge de quarante ans accomplis.
« c.
Être domicilié en Belgique.
« d.
Payer au moins en contributions directes (la patente seule exceptée), toutes
imposées en Belgique, le cens qui suit :
« 1°
Pour les provinces de Luxembourg et de Namur, trois cents florins ;
« 2°
Pour toutes les autres provinces, cinq cents florins.
« Art.
8. Toute assemblée du sénat, qui serait tenue hors du temps de la session de la
chambre élective, est nulle de plein droit, sauf le cas où le sénat serait
réuni en cour de justice.
« Art.
9. Si une chambre élective est élue par suite de la dissolution, par le chef de
l'État, d'une chambre élective antérieure, elle ne délibère jamais séparément,
mais seulement en se réunissant au sénat ; elle délibérera avec lui collectivement,
à la majorité absolue des suffrages des membres des deux chambres présents à
chaque séance ; et cet ordre des délibérations continuera ainsi, pendant toute
la durée de l'existence de cette chambre élective, et jusques à son premier
renouvellement.
« Pendant
tout ce temps, l'application de l'article 32, § 2, de la présente
constitution, relatif à la délibération initiale, sur les comptes, sur le
budget de l'année et sur le contingent de l'armée, reste suspendue ; les deux
chambres réunies délibéreront en commun sur ces objets. »
L'honorable
orateur se réserve d'entrer dans les développements nécessaires à la défense de
son projet, lors de la discussion des articles, et il ajoute :
Messieurs,
je ne dis pas que je suis d'avis qu'il y ait deux chambres ou qu'il n'y en ait
qu'une; mais j'ai voulu, dans le cas où le congrès prendrait le premier parti,
qu'il fît de mon projet la base de la composition de la chambre haute. Je ne
descendrai pas cependant de la tribune sans avoir répondu à une assertion de M.
de Brouckere qui m'a paru au moins singulière. Il a prétendu que les
propriétaires étaient moins que personne intéressés à la conservation de
l'ordre, parce qu'ils n'avaient rien à perdre, leurs propriétés restant
toujours, quoi qu'il arrive. Il a cru entendre quelques murmures, et il s'est
fâché (on rit) ; et comme il s'est tourné vers moi dans ce moment comme
s'il avait cru que c'était moi qui murmurais, je dois dire que je ne murmurais
pas, mais que je disais à mon voisin : Voyons comment M. de Brouckere va nous
prouver cela. (On rit plus fort.) Je vous l'avoue, je trouvais difficile
de justifier une pareille assertion, et en effet, notre honorable collègue
s'est contenté de la mettre en avant sans en prouver la vérité. M. de
Brouckere prétend que les propriétaires n'ont rien à perdre aux révolutions :
qu'il aille le demander à ceux dont les maisons sont brûlées, dont les
propriétés sont ravagées. Qu'il vienne me le demander à moi, qui ai mes biens
dans
Je
répondrai encore à un argument avancé par plusieurs orateurs: on a dit que tous
les Belges devant, d'après la constitution, être égaux devant la loi, et
également admissibles aux emplois, créer une première chambre, c'est créer des
privilèges, c'est consacrer l'inégalité des citoyens, c'est les diviser en deux
classes. Mais, messieurs, c'est abuser de la permission que de produire de tels
raisonnements : un jeune homme qui n'a pas atteint l'âge de vingt-et-un ans ne
peut pas être juge de paix, quoique né Belge ; est-ce une raison pour dire
qu'on le relègue dans une classe à part, qu'il y a deux classes de citoyens ?
Non ; sans doute: laissez-le arriver à l'âge prescrit par la loi ; qu'il
remplisse les autres conditions de capacité, et ce jeune homme, quel qu'il
soit, à quelque classe qu'il appartienne, arrivera à tous les emplois. Pour
être de la chambre haute, il faudra être âgé de quarante ans : est-ce une
raison pour dire qu'il y a deux classes de citoyens ? Mais, dit-on, il y en
aura beaucoup qui mourront avant d'avoir l'âge requis et qui ne seront jamais
sénateurs. (On rit.) Eh! messieurs, ce n'est pas ma faute. (Ces
derniers mots excitent la plus bruyante hilarité; on n'entend plus les paroles
qui sortent de la bouche de l'orateur; elles semblent donner à la gaieté de
ceux qui l'écoutent un nouvel aliment.
Après
une interruption prolongée, M. le baron Beyts descend de la tribune en
demandant que son projet soit imprimé; il le dépose sur le bureau.) (U. B., suppl., 16 déc.)
Plusieurs voix – L'impression! l'impression. (U. B., suppl., 16 déc.)
L'impression
est ordonnée. (U. n., suppl., 16 déc.)
Suspension de la séance
La
séance est suspendue à quatre heures; elle est reprise à sept heures du soir. (P. V.)
M. le président
– La parole est à M.
Helias d'Huddeghem. (U. B., suppl., 16 déc.)
M. Helias d’Huddegem – Messieurs, le congrès national a
décrété que notre gouvernement futur sera monarchique ; il faut donc en suivre
les conséquences et conserver à cette forme de gouvernement ses avantages ; il
faut que l'on donne au chef de l'État le pouvoir nécessaire pour remplir ses
devoirs envers la société. J'ai examiné la question de savoir si la monarchie
pouvait s'associer à une chambre unique, et je pense, messieurs, qu'un pareil
système aurait les suites les plus fâcheuses, et pourrait donner occasion à une
lutte fatale entre le souverain et le peuple. C'était un parlement composé de
la seule chambre des communes que Cromwell établit en Angleterre en
Cette
précaution fut inutile ; Cromwell fut obligé de dissoudre ce parlement ; avant
même que les cinq mois où la loi l'obligeait de ne le pas dissoudre, fussent
tout à fait expirés. Il fut près de deux années à régir l'État sans en
assembler un autre. La convention nationale fut encore une chambre unique, et
personne n'ignore qu'à cette époque l'anarchie exerça sur toute
Un
honorable membre dit que le conseil des Anciens n'a pas donné de la stabilité à
la constitution de l'an III de la république française, mais il faut remarquer
que le cens exigé des électeurs était presque nul, et l'on n'en avait exigé
aucun des députés au conseil des Cinq-Cents ni à celui des Anciens. Les membres
de ces deux conseils n'étaient distingués que par l'âge, au lieu de l'être par
la fortune ; il aurait fallu exiger un cens des éligibles au conseil des
Cinq-Cents et un cens plus élevé des éligibles au conseil des Anciens. (page 443) Les divers pouvoirs auraient
ainsi été mieux divisés et ils se seraient mieux balancés.
Parmi
ces nombreux défauts, le gouvernement directorial avait celui de n'être en
harmonie ni avec les mœurs de
Il est
inutile de rappeler que depuis lors les constitutions promulguées par les
différents gouvernements de l'Europe ont établi le même système de division
de la représentation nationale en deux chambres.
Et
l'on sait que les États-Unis de l'Amérique indépendante avaient senti la
nécessité de l'existence d'un sénat à côté de l'autre chambre. Les fondateurs
de ces républiques savaient que l'égalité parfaite de cette forme de
gouvernement n'est pas le niveau qui aplanit tout ce que la nature a fait
inégal, mais que c'est l'égalité proportionnelle qui donne à chaque individu
une part au gouvernement en proportion des moyens qu'il apporte dans la
société.
Il
serait aussi difficile, messieurs, d'organiser une société sans classifications
politiques, qu'une armée sans divisions militaires, parce que les hommes,
toujours bornés dans leurs actions, ne peuvent agir sur des masses qu'en les
divisant.
Tout
l'art de bien organiser la forme de gouvernement, est donc de multiplier les
classes politiques, afin que la société se soutienne par sa propre force, et
de donner à chaque classe une juste influence, afin qu'aucune d'elles ne soit
intéressée à renverser l'ordre établi.
Il n'y
a de gouvernement stable que celui où la puissance législative réside dans des
corps distincts ; à cet effet, un des deux corps doit être composé des députés
de la nation, ses représentants naturels choisis directement dans chaque
division territoriale, et leur nomination sera à terme. Le sénat forme
nécessairement la deuxième branche du pouvoir législatif, et les sénateurs
doivent être inamovibles, afin qu'ils soient entièrement hors d'atteinte des
volontés et du pouvoir du chef de l'État ; puisque entre la nation et le
prince, pour garantir au peuple la puissance de ses droits et réprimer, s'il le
faut, l'abus de l'autorité dans le prince, le sénat est comme le point d’appui
d'un levier, qui, en s'approchant de l'une ou de l'autre de ses deux
extrémités, les tient dans l'équilibre.
La
qualité de sénateur sera purement personnelle. Si l'on établissait un sénat
héréditaire, il faudrait tôt ou tard rétablir, pour les sénateurs, l'usage des
substitutions par ordre de primogéniture, car sans privilèges et sans
propriétés, le sénat héréditaire est un mot vide de sens, une institution qui
ne remplit pas son but.
Quelques
publicistes paraissent craindre que l'hérédité du trône ne puisse pas se
maintenir sans d'autres hérédités qui lui servent comme d'étais, et que le
trône isolé ne puisse pas rester immobile au milieu d'un tourbillon agité ;
mais un corps de sénateurs inamovibles a aussi de la fixité ; et quand le trône
a ses racines dans les mœurs et les intérêts d'une nation, ce ne sont pas
quelques commotions passagères qui peuvent le renverser. Ce qui renverse les
rois comme tous les autres magistrats, c'est l'abus qu'ils font de leur pouvoir
; il faut donc les empêcher d'en abuser, et pour atteindre ce but, il faut
limiter leur pouvoir.
Le
sénat doit être indépendant, et il le sera de toute influence du chef de
l'État, si ses membres ne sont pas nommés directement par le prince.
Montesquieu, dans son Traité de l'Esprit des lois, dit: « Le peuple a
besoin, comme les monarques, et même plus qu'eux, d'être conduit par un sénat.
Mais pour qu'il y ait confiance, il faut qu'il en élise les membres, soit qu'il
les choisisse lui-même, comme à Athènes, ou par quelque magistrat qu'il a
établi pour les élire, comme cela se pratiquait à Rome dans quelques occasions.
« Le
peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de
son autorité. Il n'a à se déterminer que par des choses qu'il ne peut ignorer,
et des faits qui tombent sous les sens. Il sait très-bien qu'un homme a été
souvent à la guerre, qu'il a eu tel ou tel succès, il est donc très capable
d'élire un général. Il sait qu'un juge est assidu, que beaucoup de gens se
retirent de son tribunal contents de lui, qu'on ne l'a pas convaincu de
corruption ; en voilà assez pour qu'il élise un préteur. Il a été frappé de la
magnificence ou des richesses d'un citoyen, cela suffit pour qu'il puisse choisir
un édile. Toutes ces choses sont des faits dont il s'instruit mieux dans la
place publique, qu'un monarque dans son palais. » (Note de bas de page : Esprit des
lois, livre II, chapitre 2.)
L'indépendance
du sénat se trouvera encore garantie, s'il y a incompatibilité d'être membre
du sénat et d'occuper un emploi dans la maison du prince. Le sénateur ne doit être
que sénateur, ou le sénat n'est plus rien ; par la même raison, il ne (page 444) convient pas que les parents
du prince aient l'entrée au sénat.
Messieurs,
le corps législatif, d'après le projet de constitution, aura le droit de
dénoncer les ministres coupables. Ce droit doit se borner à l'accusation, car
la chambre élective ne peut en même temps accuser les ministres et les juger ;
le jugement devra donc appartenir au sénat, en ce cas seule autorité compétente
pour connaître de 1a nature des délits publics, et dont l'indépendance garantit
la sûreté des jugements. .
Je
désirerais voir conférer au sénat des attributions spéciales, telles que le
maintien de la liberté publique et individuelle, de la liberté de conscience et
de la presse, la faculté d'ordonner et de décerner les récompenses
rémunératoires, etc., etc.
Quelques
orateurs, messieurs, qui s'opposent à l’établissement d'une première chambre,
prétendent que ce sont encore ici ceux qui possèdent le domaine des terres que
l'on veut séparer de la nation, et réunir avec le prince, pour tronquer la
souveraineté nationale. Non ! les partisans du sénat ne veulent former des deux
chambres qu'une seule et même représentation nationale.
Ils
veulent que la propriété soit aussi représentée, et rien n'est plus juste. Si
les hommes ne s'étaient réunis en société que pour se garantir leurs
personnes, ils devraient tous avoir part au pouvoir en raison de leurs
qualités personnelles ou de leur mérite ; mais les hommes ne se sont pas seulement
réunis en société pour se garantir leurs personnes, mais encore leurs
propriétés, parce que, sans propriétés, ils ne pourraient pas se conserver. Ils
doivent donc tous avoir part au pouvoir, en raison de leur mérite et de leurs
propriétés. Il n'y a donc point sur la terre d'égalité absolue ; il n'y a
qu'une égalité relative et proportionnelle ; chacun a dans la société une part
proportionnée à sa mise ; celui qui n'y apporte que sa personne, n'a droit
qu"à la protection de sa personne, et ne doit y jouir que des droits de sa
personne ou de la liberté : mais celui qui y apporte une propriété, a droit
encore à y jouir de sa propriété ; et comme il ne peut y jouir de sa propriété
ni la conserver qu'avec du pouvoir, il a droit aussi à y jouir du pouvoir ou des
droits de la propriété : égaux en liberté, les hommes sont donc, dans la
société, inégaux en pouvoir ; chacun y a ses droits particuliers, et tant que
chacun se contente d'en jouir, l'ordre, qui n'est que la justice, est dans la
société ; mais le désordre commence, lorsque les uns veulent jouir des droits
des autres, parce qu'ils ne peuvent en jouir qu'en les usurpant.
(page 445) L'opposition persévérante du
sénat peut, dit-on, empêcher la publication d'une loi utile. Est-il donc plus
probable que tout le sénat se ligue contre une bonne loi, qu'il ne l'est qu'on
ne surprenne à une chambre unique, peut-être même par une trop grande
précipitation, une mauvaise loi ? Et quand on supposerait quelque réalité dans
le cas d'un concert de tout le corps du sénat, pour rejeter une loi sans motif,
ou même contre l'évidence de son utilité, le mal qui en serait la suite ne
serait pas comparable à celui de la publication d'une mauvaise loi contre
l'intérêt général. L'État serait privé d'un avantage qu'il n'a pas encore
connu, il ne perdrait aucun de ceux qu'il possédait ; les anciennes lois
conserveraient tout leur empire ; sa constitution ne serait pas ébranlée ; en
un mot, la monarchie ne demeurerait point sans loi, parce qu'une nouvelle loi
n'y serait point reçue: mais quelles funestes conséquences ne peut pas
entraîner une loi pernicieuse ! Elle peut exciter le mécontentement des
peuples, occasionner des troubles et des désordres, préparer ou même opérer le
renversement de la monarchie.
Un
membre distingué de cette assemblée a dit que le génie du peuple belge est si
calme, qu'il ne faut pas craindre une chambre unique ; je rends, messieurs, la
même justice à mes chers compatriotes, mais je pense que s'il n'y a pas de
danger à craindre d'une seule chambre législative, il y en aura encore moins
dans l'établissement de deux chambres. La franchise et la bonne foi, qui
forment le fond du caractère belge, s'opposeront à ce que jamais il
s'établisse une lutte entre des députés et des sénateurs belges.
Je
voterai pour deux chambres. (J. F., suppl.,, 20 déc.)
M. Deleeuw – Messieurs, il y a quelque hardiesse à
moi de traiter dans le même sens que M. de Celles, de Brouckere et autres
orateurs distingués, la question qui vous est soumise.
Cependant
je crois que quelques points peuvent encore être examinés, et je vous prie de
m'écouter avec indulgence.
Les
trois principales raisons qu'on allègue en faveur d'un sénat sont celles-ci :
Il
faut que l'aristocratie soit représentée, puisqu'il y aura toujours de
l'aristocratie.
Il
faut qu'un corps modérateur et respectable empêche la marche trop rapide qu'une
seule chambre imprimerait au gouvernement.
Il
faut empêcher que les attaques d'une chambre éminemment populaire n'arrivent
trop directement au pouvoir exécutif.
Je me
propose, messieurs, d'examiner et de (page
445) combattre ces trois arguments le plus succinctement possible. . .
Un de
nos collègues nous a fait observer avec raison, en comité général, que nous
avions perdu beaucoup de temps. Je n'abuserai point de celui qui nous reste
encore.
Il
faut que l'aristocratie soit représentée. Oui, sans doute; mais faut-il qu'elle
le soit séparément? .
Sommes-nous
dans la position où l'Angleterre se trouvait lors de ses premières tentatives
de constitution ?
En
Angleterre, messieurs, lors de l'établissement des principes libéraux, il a
fallu, quoi qu'en ait dit notre honorable collègue M Lebeau, ménager bien des
antécédents.
L'aristocratie
y était forte, compacte, exigeante ; et jusqu'aujourd'hui elle n'a guère cessé
de l'être.
Il
était donc prudent, nécessaire même, de faire avec elle une espèce de compromis
: c'est ce qu'on a fait.
Relativement
à
Une
grande partie de la noblesse, plus exigeante encore que l'aristocratie
anglaise, parce qu'elle voulait se venger de la révolution, dont elle venait de
triompher à la suite des bagages, une grande partie de cette noblesse devait
être aussi ménagée, et l'on fit encore un compromis.
Mais,
messieurs, sommes-nous dans la même position ? Y a-t-il chez nous d'autre
aristocratie possible que celles de l'argent, de la vertu et du talent ?
Notre
noblesse est-elle exigeante?
Non,
messieurs, la noblesse belge est citoyenne, populaire ; elle a rendu d'immenses
services à la révolution, mais le succès de cette révolution est la seule récompense
qu'elle ambitionne.
Notre
position est belle. Je me servirai de l'expression originale, mais juste, de
M. de Celles: il y a chez nous table rase. Nous bâtissons à neuf et
n'avons aucuns décombres à ménager. Nous édifions au nom de la nation et par
ses ordres ; c'est elle qui veut et elle seule qui a le droit de vouloir.
Si,
comme on ne peut en douter, la nation ne veut d'autre aristocratie que celles
de l'argent, de la vertu et du talent, il est inutile de prouver que ces
aristocraties, toutes nationales, auront leurs représentants dans une seule
chambre élective.
La
nation, lors des élections, saura faire acception des notabilités :
Montesquieu dit que le bon sens du peuple est admirable dans le choix de ses
représentants. Je partage l'opinion de l'honorable M. de Celles : je ne crains
pas la démocratie.
J'aborde
un autre argument fait en faveur du sénat.
Il
faut, dit-on, préserver le pouvoir exécutif des attaques directes de la chambre
élective.
On
suppose que sans un pouvoir modérateur, tel que le sénat, un combat perpétuel
s'engagera, combat terrible, dit-on, et qui doit finir par la défaite du
pouvoir exécutif.
Messieurs,
ce combat à mort, dont on veut nous effrayer, je ne puis le redouter.
Nous
ne sommes pas en temps de restauration. Nous allons créer nous-mêmes un pouvoir
exécutif ; il sera l'expression de notre volonté. Le chef de l'État devra sa
haute position à la nation, il ne lui aura rien octroyé ; il lui devra tout, et
il saura sans doute s'en souvenir ; il saura à quel prix son pouvoir pourra
rester stable ; il saura que son existence comme chef dépendra essentiellement
de l'existence des libertés publiques. Pénétré de cette conviction, le pouvoir
exécutif que nous allons créer sera nécessairement modéré : il ne ressemblera
point à ces pouvoirs fondés sur le droit divin, sur la légitimité, dont presque
toute l'Europe se dispose à faire justice.
Si
donc le pouvoir exécutif sent la nécessité de rester dans la constitution,
d'être populaire, où sont les fréquents motifs de l'hostilité que l'on. redoute
tant de la part des représentants de la nation ?
Ces
craintes ne peuvent être fondées que sur la supposition que la nation doit
nécessairement faire plus de mauvais que de bons choix, sur la supposition que
les électeurs composeront principalement l'assemblée représentative de
prolétaires turbulents, de têtes exaltées, de gens enfin n'ayant aucun intérêt
à la stabilité.
Certes,
messieurs, quand on se place sur un terrain aussi avantageux, on peut livrer de
brillants combats, on peut vaincre à son aise.
Je
prie mes contradicteurs de vouloir bien rentrer avec moi dans le champ des
vraisemblances.
Peut-on
supposer aussi gratuitement une représentation nationale toujours opposée au
pouvoir exécutif ? Faut-il donc se défier à ce point des députés ?
Il
faut conclure des arguments que je combats, qu'une bonne loi électorale est
impossible. (page 446) Il semble
que, quoi qu'on fasse, le corps électoral sera inévitablement composé, du moins
en majorité, de gens sans fortune et naturellement disposés à écarter de la
représentation les hommes sages, instruits, les grands propriétaires, les
hommes enfin les plus propres à veiller à nos intérêts et au maintien de nos
institutions.
Je ne
crois pas, messieurs, que ce soit là la pensée des partisans du sénat.
L'impossibilité d'une bonne loi électorale serait un grand malheur : il n'y
aurait plus de garantie pour rien ; tout serait abandonné au hasard.
Je
crois qu'on peut faire une loi électorale telle qu'avec une seule chambre
toutes les classes soient, représentées ; mais ce n'est pas le moment de
discuter cet objet.
Un des
orateurs les plus éclairés de cette assemblée, aux opinions duquel je me suis
presque toujours rangé avec une profonde conviction, a dit en comité général
que si on ne voulait point de sénat, on ne voulait point de monarchie.
Quelque
influence qu'exerce habituellement sur moi le talent et l'expérience de cet
honorable collègue, je ne puis partager son opinion.
En
admettant, par supposition, que la tendance de la chambre élective soit
continuellement de combattre le pouvoir exécutif, je répondrai que celui-ci a
de grands moyens de résistance : le veto (que je voudrais absolu), et la
dissolution.
On dit
que ce dernier moyen est extrême ; qu'on ne peut en user sans risque d'amener
une révolution. Je ne sais si cette crainte est bien fondée.
On a
vu de bons exemples d'une telle mesure, notamment en Angleterre.
Tout
le monde sait que Pitt, ne pouvant réussir à dompter le parti à la tête duquel
se trouvait Fox, conseilla au roi de dissoudre la chambre des communes. La
dissolution eut lieu, et cet appel à la nation eut un heureux résultat : la
nation envoya d'autres députés, et la loi que désirait le ministre fut adoptée
C'est que cette loi était bonne, que la nation la jugea telle, et que
l'opposition qu'elle éprouva de la part de Fox n'était qu'une tracasserie
systématique.
Répondra-t-on
à cela que le système électoral de l'Angleterre était de nature à amener un
pareil résultat ? Eh bien, messieurs, ayons aussi une bonne loi électorale,
meilleure même que celle de l'Angleterre, ce qui n'est pas très difficile.
Supposons
maintenant un résultat contraire. La dissolution de l'assemblée nationale
prononcée, les électeurs renvoient les mêmes représentants.
Quel
remède à cela ? aucun, messieurs, la nation, tribunal suprême de cassation, a
prononcé ; c'est le gouvernement qui a tort ; il faut se soumettre, ou faire
une révolution, qu'on n'accusera certainement pas les représentants d'avoir
provoquée.
Reste
encore un argument en faveur du sénat, et c'est peut-être le plus plausible.
Il
faut, dit-on, qu'un corps modérateur empêche la marche trop rapide qu'une seule
chambre imprimerait au gouvernement.
Remarquez,
messieurs, que constamment on part de cette supposition extrêmement commode que
la chambre des députés sera presque toujours dominée par une majorité
turbulente, exaltée, exigeante. Je crois avoir démontré que cela peut n'être
pas ainsi.
Mais
où donc est le malheur d'aller un peu plus vite qu'auparavant, puisque la route
est maintenant si bien aplanie ?
Le
roi, je l'ai déjà dit, a les moyens d'arrêter un mouvement trop brusque.
Vous
dites qu'il ne faut pas mettre le roi en contact direct avec la nation Mais le
roi a des ministres responsables ; voilà son égide véritable, et non pas un
sénat, qui ne peut rien d'ailleurs contre un refus de subsides.
Vous
dites encore qu'un refus de subsides est un moyen extrême, dangereux, presque
révolutionnaire. Cela est impossible.
Je
sais qu'on ne l'a pas employé chez nous ; mais je pense qu'à l'avenir on ne
s'en ferait pas faute, si, par malheur, il nous revenait encore un gouvernement
tel que celui qui vient de s'écrouler.
D'ailleurs,
il est important que le pouvoir exécutif soit averti, par sa position à
l'égard de la nation, qu'il lui reste peu de chances d'arbitraire : il sera
nécessairement constitutionnel.
Mais
enfin, messieurs, on veut à tout prix un corps intermédiaire, un sénat qui
enraye le char politique ; les sections, réunies en comité général, se sont
prononcées en majorité pour cette institution.
Soi t:
mais alors adoptons de préférence, sous ce rapport, les dispositions de la
constitution de l'an III : ayons deux conseils, nommés directement par les
électeurs, pour le même terme, rétribués tous deux, et que l'un, dont les
membres ne seraient éligibles qu'à quarante ans, ait le nom de conseil des
anciens ou de sénat.
Je
voterai contre l'institution du sénat, telle qu'elle nous est présentée dans
les conclusions du rapport de la section centrale. (P., suppl., 21 déc.)
M. Hippolyte Vilain XIIII – Messieurs,
(page 447) dans les débats qui vont
s'ouvrir sur les institutions fondamentales destinées à régir la nation, une
grande et première idée doit continuellement caractériser nos travaux et
répandre son influence sur toutes nos décisions ; c'est que, dans la sage
prévision de faire coïncider les lois avec les mœurs des habitants, et
d'établir sur des bases fixes la prospérité nationale, nous avons préféré la
forme monarchique à l'élément républicain ; comme nécessité indispensable du
bon gouvernement du pays, pour chef au lieu d'un président temporaire, nous
avons choisi un monarque aux mains de qui serait déposé le futur pouvoir
exécutif de
Restons
donc nous-mêmes, messieurs, et en voulant la monarchie constitutionnelle,
voulons-la tout entière. Voulons-la avec sa responsabilité ministérielle, sa
nomination aux places, son veto, son sénat ; son sénat dont aujourd'hui
nous avons à nous occuper, et dont, dès l'origine, la nécessité a été aperçue
par la majorité de cette assemblée. En effet, refuser à
Une
nouvelle garantie de son indépendance sera la publicité de ses séances et de
ses actes. Cette publicité servira de frein à l'émission de principes
contraires aux libertés générales. En face de la nation, on n'osera pas ourdir
des trames que la désapprobation du peuple frapperait immédiatement
d'impuissance ; l'opinion publique en ferait justice, et nous vivons dans un
siècle où l'opinion publique est la reine du monde.
Armée
de ces stipulations, ne craignez donc pas que la nation soit subjuguée ou
arrêtée dans son essor par la suprématie parlementaire. Craignez plutôt qu'en
faisant intervenir l'action électorale dans le choix des sénateurs, soit par
présentation de listes au chef de l'État, soit par l'élimination des candidats
proposés par ce chef lui-même, vous ne désarmiez totalement le pouvoir
exécutif, pouvoir qu'il importe aussi de rendre stable et solide, puisqu'il
doit conserver les deux autres. Redoutez qu'en adoptant ce nouveau procédé vous
ne compliquiez étrangement tous les rouages de notre système politique. En
effet, présentation de candidats au souverain. Combien y aura-t-il de candidats
éligibles ? Combien par province et quel sera le cens d'éligibilité ? N'y
aura-t-il qu'une seule classe d'électeurs ? et dans cette hypothèse,
n'avez-vous pas dans la première chambre une répétition de la seconde, et
ainsi superfétation représentative ? S'il y a deux classes d'électeurs, vous
rencontrerez l'inconvénient du double vote des grands et des petits collèges,
et vous savez qu'en France ce vice constitutionnel a été amèrement censuré. En
outre, en subordonnant le choix du souverain dans la présentation et les
limites des listes électorales, cette manière d'opérer peut amener dans
quelques circonstances les plus graves résultats. Supposons en effet que
l'esprit du sénat se montre contraire à toute mesure qui tendrait, pour le bien
général et dans des besoins urgents, à grever la haute propriété. Le
souverain, pour mitiger cette opposition compacte, veut augmenter le nombre des
sénateurs : il fait un appel aux électeurs ; mais ces électeurs des grands
collèges, dont les intérêts sont identiques à ceux des sénateurs, qui peuvent
même être facilement influencés par les sénateurs récalcitrants, refusent de
nommer des candidats, de confectionner les listes, et le roi sans liste de
candidats, et par conséquent sans moyen d'opérer la réforme parlementaire, se
voit arrêté dans les projets qu'il médite pour le bien public, et le roi el la
chambre des représentants se trouvent désarmés devant l'immobilité du sénat et
l'obstination des grands collèges, position qui peut conduire à de fâcheuses
catastrophes.
je
conçois, messieurs, qu'à peine délivrés de l'oppression du règne précédent,
frappés encore de la servilité du dernier sénat ; je conçois, dis-je, que nous
voulions armer toute la nation d'une force d'opposition capable d'arrêter
toutes les usurpations du pouvoir. Mais faisons la part du passé ; songeons
qu'autour du nouveau chef, dans les chambres, dans l'administration, ce ne
sera plus cette complication d'intérêts nationaux que nous rencontrerons, qui
a causé si longtemps les calamités du pays : l'intérêt général sera le même
pour tous ; le roi ne pourra avoir qu'un but, celui de la plus grande
prospérité de son royaume ; et le sénat, en défendant la nation, défendra son
bien. Dépouillons-nous donc de tous préjugés antérieurs, et (page 449) rappelons-nous que nous
travaillons pour l'avenir, dans une position nouvelle, pour un pays nouveau.
Une
dernière considération toute de politique extérieure doit encore nous faire
pencher pour la composition d'un sénat directement émané du souverain. C'est
que cette forme, sauf l'hérédité, se rapproche du système constitutionnel de
France et d'Angleterre. Si nous allons constituer un État en sens inverse des
institutions de ces deux peuples, exagérer sur les libertés dont ils
jouissent, adopter deux chambres pour ainsi dire démocratiques, et consentir
sans discrétion notre monarchie en une république déguisée, le concours de ces
deux puissantes nations s'éloignerait de nous, le bon vouloir de leurs
souverains s'éteindrait, et
Je
vote pour un sénat nommé à vie directement par le roi. (U. B. suppl., 30 déc.)
M. Camille de Smet – Le rapport des sections n'est pas propre à encourager les
antagonistes de deux chambres ; cependant, messieurs, je ne puis me taire dans
des circonstances aussi graves et dans un moment où deux révolutions presque
identiques semblent prendre pour modèle l'édifice tyrannique qu'elles viennent
de renverser au prix du sang et des plus grands sacrifices. .
Évitons,
messieurs, le reproche peut-être trop fondé de timidité ; n'hésitons pas chaque
fois qu'il s'agit de prendre une résolution hardie, hors des habitudes des
monarchies représentatives européennes, mais dans des vues de stabilité et
d'une sage liberté que nous ne pouvons assez garantir.
Trop
de ménagements, cet amour immodéré de ce qui est, nous précipiteraient dans de
nouvelles révolutions ; car les idées de liberté et d'égalité marchent avec la
civilisation, et la civilisation ne recule pas, elle se perd ; l'histoire est
là qui le prouve.
Mais,
me dira-t-on, la première chambre, loin d'être un pas en arrière, est une de
ces combinaisons savantes qui se rapprochent le plus de la perfection : et,
pour le prouver, on se garde bien de citer l'histoire de nos dernières années ;
c'est dans l'histoire ancienne ou dans les républiques de l'Amérique que l'on
va puiser. Pour moi, messieurs,je me contenterai de l'exemple de
L'on a
cité la loi sur le droit d'aînesse et celle de justice et d'amour, rejetées par
la chambre héréditaire de France : ces exemples, messieurs, me paraissent bien
mal choisis ; car je ne pense pas qu'il soit venu à quelqu'un de nous la
bizarre idée de nous présenter un sénat comme élément démocratique.
L'unique
preuve découlant naturellement de ces faits est l'avilissement de la chambre
des députés, qui, n'étant pas l'expression fidèle de la nation, devait tomber
devant l'opinion omnipotente, ou faire place à une révolution.
Elle
n'était pas l'expression fidèle de la nation, parce que la loi électorale était
vicieuse, parce que les classes inférieures de la société, ou la démocratie,
n'y étaient pas assez représentées.
Nous,
messieurs ; maîtres absolus de notre sort, nous nous trouvons dans une position
plus heureuse; nous pouvons faire cette loi : faisons-la, sans privilèges
aucuns, et de manière que tous les intérêts y soient : nous ne devrons jamais
craindre que les hautes classes de la société, ou l'aristocratie, n'y soient
assez représentées : j'en prends le congrès et pour témoin et pour preuve.
Si les
partisans de la chambre haute voulaient citer des antécédents favorables à leur
opinion, ils devraient, pour me convaincre, les choisir dans une de ces
circonstances où, la démocratie coulant à plein bord et nous conduisant à
l'anarchie, cette chambre serait, par son influence tutélaire, parvenue à
ramener l'équilibre des pouvoirs et l'ordre dans la société. Ils ne le feront
pas, parce que ces exemples n'existent pas ; il est possible que cela arrive un
jour, j'en conviens, mais toujours est-il que cela n'est pas encore arrivé.
Si, au
contraire, nous voulons des antécédents nombreux de complaisance, je dirai même
de bassesse, dont la chambre des pairs en France, et notre première chambre,
ont donné de si nombreux exemples, nous n'avons que l'embarras du choix : (page 450) loi sur le sacrilège, double
vote, censure, mouture, etc.
J'entends
déjà dire, messieurs, que ce n'est pas une chambre complaisante, une chambre
avilie, parce qu'elle n'a pas d'opinion ni de volonté, que vous voulez ; il me
paraît cependant qu'il vous a été suffisamment démontré que si vous voulez une
chambre haute, vous ne pouvez en vouloir d'autre.
Quel
éclat peut alors donner au trône une réunion de notabilités du pays, traînée à
la remorque par la chambre élective, tantôt augmentée par des fournées, tantôt
décimée par des commotions politiques? Aucun.
ElIe
ne peut être d'aucun avantage au pays; car vainement l'on me dira que, composée
de grands propriétaires, elle sera un obstacle aux révolutions ; mais elle
pourra être hostile et dangereuse pour les libertés publiques. Comme tous les
corps qui ont existé, elle tendra à augmenter sa puissance, protégée par le
souverain, désireux de se créer des créatures ayant de l'influence dans le pays
et jouissant de titres anciens ou nouveaux, qu'il aura soin de créer. L'on
n'improvise pas une aristocratie, a dit un des membres les plus distingués de
cette assemblée : non, messieurs; mais l'on tâche d'en créer une, et ce fut le
but constant suivi avec obstination en France par tous les ministères qui s'y
sont succédé, sans en excepter même le ministère de M. Decazes.
Il est
vrai, messieurs, qu'en Angleterre l'aristocratie et la démocratie se sont
élevées ensemble : la raison en a été qu'en Angleterre le souverain,
tout-puissant, ayant des propriétés immenses, opprima toutes les classes de la
société, et que, forcés de s'unir contre l'oppression commune, ces deux
éléments du gouvernement, se faisant des concessions mutuelles, s'élevèrent
ensemble ; mais la part du peuple n'est pas celle du lion.
Le
contraire arriva en France ; là le peuple seul fut opprimé, et l'on n'y vit pas
cette grande sympathie des grands propriétaires fonciers pour le brave peuple
qu'ils conduisaient en troupeau ; aussi tarda-t-il plus longtemps à se réveiller
; mais le réveil fut terrible et le triomphe bien plus complet.
En
vain m'alléguera-t-on l'esprit bien connu de la noblesse belge : cet esprit
peut changer. C'est en vain qu'on m'allègue sa conduite dans les derniers temps
; elle a marché avec le peuple, il est vrai, quoique un peu timidement ; mais
n'était-elle pas comme lui repoussée, mortifiée, humiliée ?
Et je
ne parle pas seulement de cette ancienne noblesse à parchemins ; la nouvelle,
l'aristocratie des richesses enfin, qui finit toujours par se faire accorder un
petit titre, réunies en corps de l'État, finiront toujours par empiéter sur les
garanties populaires.
On
voudra entourer cette chambre insignifiante que nous voulons faire, de. tous
les prestiges de la grandeur ; pour lui donner de la considération, il faudra
des richesses ; on tentera de créer des majorats ; on réclamera l'hérédité ;
une foule de places et de titres seront créés pour les hauts seigneurs. Lee roi
le fera, parce que sans cela cette chambre ne serait pas une garantie pour lui.
Vous me répondrez peut-être : Il ne le pourra, et moi alors je vous demanderai
ce que vous voulez faire de cinquante ou soixante machines vivantes, sans
considération, sans opinion ni volonté.
Un
honorable orateur nous a dit que cette peur de l'aristocratie était une chimère
; il nous a demandé si nous voulions, comme en France, créer des titres de
proscription... Non, messieurs, nous ne voulons pas dresser des listes de
proscription, mais nous nous opposons de toutes nos forces à une institution
qui nous forcerait peut-être plus tard à recourir à ces fâcheuses extrémités :
du reste, ces proscriptions de
Les
carrières, a dit cet orateur, doivent être ouvertes à tout le monde : qui de
nous songe à faire des ilotes ? L'aristocratie n'a,-t-elle pas mille avantages
? l'influence inséparable de la fortune, l'éducation brillante qu'elle peut
donner à ses enfants, sont-elles donc de si minces chances d'arriver au pouvoir
?
Quelques-uns
considèrent une chambre haute comme pouvoir intermédiaire et modérateur, arrêtant
les empiétements ou du roi ou de la chambre législative ; ils craignent le
contact immédiat qui, ne donnant au roi qu'un veto suspensif, le
déconsidérerait. Je. dois vous l'avouer, messieurs, je ne conçois pas cette
extrême délicatesse pour le pouvoir royal, après la longue discussion de monarchie
républicaine que semblaient vouloir presque tous les orateurs qui ont parlé
pour la monarchie ; à les entendre, cette monarchie n'était qu'une de ces
grandes concessions que nous devions accordera la paix de l'Europe. Et moi
aussi je suis républicain, parce que je regarde ce gouvernement comme le plus
parfait, ont dit plusieurs de ceux qui ont parlé pour la monarchie, en y
ajoutant des mais et des si qui n'avaient de rapports qu'à la politique
étrangère ; et aujourd'hui déjà, cette (page
451) monarchie républicaine, ils veulent la bâtir pièce à pièce sur le
modèle de l'ancienne, qui, je pense, ne l'était pas du tout.
En
d'autres termes, éviter le contact veut dire : que si le roi s'écarte de ses
serments, d'après l'exemple malheureusement trop fréquent de ses prédécesseurs,
le sénat on la première chambre, qu'il aura su gagner par des faveurs, saura,
par son influence, amortir l'action de la chambre législative, et contribuer à
faire naître une de ces chambres serviles, sauvegarde des mauvais rois, bien
plus que garantie des peuples ; ou bien, que cette première chambre arrêtera la
chambre législative empiétant sur le pouvoir royal, qui a le droit, de
dissolution ou d'appel à une chambre nouvelle.
Dans
le premier cas, la démocratie serait pour rien dans l'action du gouvernement,
et nous redeviendrions un peuple esclave, soumis à tous les caprices du
pouvoir, et alors il ne valait pas la peine de faire une révolution.
Dans
le second, la chambre législative ne pouvant faire plier le roi, nous aurions
évidemment une révolution; car elle serait dans l'opinion, que le chef de
l'État refuserait de contenter.
Vous
voulez arrêter le cours de ces grandes commotions politiques qui toujours
entraînent avec elles un malaise momentané, la stagnation de votre commerce et
de votre industrie ; et comment le pourrez-vous, quand le chef de l'État,
soutenu par un corps puissant, dont vous voulez jeter les fondements, marchera
dans un sens, et la nation dans un autre ? p
Le
moyen le plus sûr d'avoir une longue paix, c’est de donner ou plutôt de
conserver la toute-puissance à la nation, qui aura, à ne pas en douter, assez
de bon sens, qui sera assez amie de l'ordre, d'elle-même enfin, pour maintenir
son propre ouvrage.
Les
sociétés modernes ont une garantie nouvelle : cette garantie est la garde
nationale.
Il
serait impossible, nous dit-on, de lutter contre l'impétuosité et les passions
d'un corps qui, reconnu tout-puissant et pour ainsi dire seul puissant,
imposerait au pouvoir, et par conséquent à la nation, ses passions et ses
caprices comme des lois.
Singulier
raisonnement! Vous voulez une chambre qui représente la nation, et vous la
voulez sans puissance ? Ce corps, dites-vous, dominerait le pouvoir et par
conséquent la nation. Et depuis quand le pouvoir est-il la nation? Ne l'avons-nous
pas malheureusement presque toujours vu marcher en sens inverse ? Le roi, du
reste, peut en appeler à une nouvelle élection. Alors si les deux cent vingt
et un reviennent, il doit céder ou tomber ! Vous voulez amortir cette
chute, vous voulez la rendre plus lente et plus douce par le rouage inutile
d'une première chambre ; vous voulez donc que les abus prennent racine, qu'ils
portent leurs fruits, et que, se glissant ainsi peu à peu dans toutes les
branches de l'administration, ils s'y acclimatent, jusqu'à ce que, devenus
insupportables, la nation, opprimée, ait recours à de nouvelles journées des
barricades, aux sanglants triomphes de juillet et septembre ?
Pour
moi, messieurs, je crains d'autant moins cet adieu royal, que des orateurs
distingués de cette assemblée ont dit que la république était le gouvernement
le plus parfait, et que, partageant cette opinion, l'époque de l'établir sera
peut-être arrivée alors.
Vous
voulez un gouvernement de majorités, car vous avez décidé que nous aurions une
monarchie représentative, et vous supposez à ces majorités des caprices et des
passions ? Je, n'ai que deux mots à répondre : si la loi électorale est bonne,
les députés seront l'expression de la majorité de la nation, et alors la
minorité doit en subir les conséquences ; j'ajouterai que s'il était possible
que les majorités eussent des passions et des caprices, ces passions et ces
caprices seraient bientôt érigés en vertus.
Par un
usage répété du veto, nous dit-on, le pouvoir exécutif finirait par se
dépopulariser et se déconsidérer ; je n'y vois pas de mal : qu'il en soit plus
sobre. L'on me cite alors la révolution française et le veto de son
malheureux roi, qui porta sa tête sur un échafaud ; j'ai ici, messieurs, de
nouveau à me féliciter du choix des antécédents, et j'en remercie bien
sincèrement les partisans de deux chambres : je n'aurais pu mieux choisir. Oui,
le sceptre se brisa dans les mains de Louis, non seulement pour le bonheur de
Cette
époque est trop peu éloignée de nous, l'histoire de ce grand drame politique
dont nous commençons à goûter les fruits, trop présente à la mémoire de chacun
de nous, pour que j'entreprenne la justification du peuple français dans ses
plus grands écarts. Je suis presque tenté d'oublier ces excès, quand je
réfléchis aux innombrables abus dont il fut la victime, et surtout quand je
songe aux résultats obtenus.
Un
orateur, en vous parlant de
Un
simple veto royal a, nous dit-on, l'inconvénient de ne pas être motivé
; au moins si la première chambre rejette, ses raisons ont de l'écho : c'est
supposer que le roi n'aura pas de ministres pour défendre sa prérogative dans
cette chambre. On nous a dit aussi que les élections à la chambre législative
pourront se faire sous l'influence des passions. Je vous ai dit d'abord, messieurs,
que je prenais le congrès pour témoin et pour preuve du contraire ; en effet,
jamais élection ne fut plus libre. L'autorité, et je parle avec connaissance
de cause, ne fit jamais moins sentir son action ; ces élections se firent au
bruit du canon, au milieu des passions les plus violentes, au souvenir récent
des cruautés de Bruxelles, à la lueur de l'incendie d'Anvers.
L'histoire
dira si ce congrès fut trop démocratique.
Pour
les opinions de M. de Pradt et de M. Benjamin Constant, je vous dirai, comme
l'honorable M. Seron, que je pourrais chez ces messieurs puiser les opinions
les plus contraires ; M. de Pradt surtout vient de prouver qu'un homme d'esprit
peut se tromper; l'ex-évêque, pensionnaire de notre ex-roi, ne vient-il pas de
publier dans le Courrier français que nous avons fait notre révolution
pour les jésuites ? Craindrait-il par hasard pour ses intérêts tout matériels ?
et serait-ce là la cause de ce revirement d'opinion ? Pour moi, je n'ai pas oublié
que l'ancien ambassadeur à Varsovie traita un grand homme de dieu Mars et plus
tard de Polichinelle Vampire.
J'ai
dit, messieurs, que vous vouliez une chambre complaisante et sans opinion, par
conséquent à la nomination du roi et en nombre illimité, parce que vous ne
pouviez en vouloir d'autres: s'il m'en fallait une preuve, je ne pourrais en
trouver de plus palpable que le rapport de la section centrale ; une foule
d'autres systèmes y ont été développés, aucun n'a pu réunir une majorité, car
tous ils étaient tellement défectueux, qu'ils n'ont pu résister au plus léger
examen.
Ce
serait abuser de vos moments que de combattre un fantôme, c'est-à-dire une
première chambre qui serait choisie par les mêmes électeurs que la seconde ou
par ceux qui payeraient un cens plus élevé ; vous ne voudrez pas établir ce
double vote si odieux, ni avoir deux chambres absolument identiques.
Je
vote contre la création de deux chambres. (U. B., Suppl., 16 déc.)
M. Goethals – Mes occupations, en
qualité de commissaire de district, m'ont empêché de rédiger mes idées sur le
sujet qui occupe le congrès ; en conséquence je renonce à la parole. (U. B.,
Suppl., 16 déc.)
M. Jacques – M. le comte Félix de Mérode ayant
développé mes idées sur la question du sénat mieux que je ne pourrais le faire
moi-même, je renonce à la
parole. (U. B., Suppl., 16 déc.)
M. Wannaar – Messieurs, est-il nécessaire de créer
un sénat ? Avant de répondre à cette question qui nous est soumise, il faut la
poser plus clairement : faut-il diviser le pouvoir législatif ? voilà la
véritable question.
La
nature de ce pouvoir doit nous faire trouver les preuves de l'utilité de cette
division, s'il en existe : car l'intérêt est le seul mobile de la sanction des
institutions politiques.
Remontons
aux principes : qu'est-ce que le pouvoir ? Ce mot est employé en des
sens trop divers pour que les opinions soient à cet égard fixées ; si (page 453) nous différons sur la
signification, nous ne nous entendrons jamais sur les conséquences. Nous employons
ce mot pour exprimer la législation, l'exécution des lois, l'administration, le
judiciaire, les finances, etc. ; nous l'appliquons aux corps, aux individus,
qui sont revêtus de quelque autorité. Qui peut méconnaître cependant que
toutes ces divisions ne sont que, je ne dirai pas les émanations, mais les
parties d'un seul tout primitif, qu'il existe donc nécessairement un pouvoir
unique, et que le possesseur, qui est souverain, en dispose à volonté dans
l'intérêt de la société ?
Le
souverain, c'est la nation entière : le pouvoir souverain, qui lui appartient,
est bien l'ensemble, le seul tout de particules du pouvoir, du droit de chaque
membre de la société de se gouverner ; la nation peut de même se gouverner ;
elle doit le faire, comme c'est le pouvoir de chaque particulier.
Ces
idées sont si justes, si vraies, si peu
compliquées, qu'il est inconcevable d'admettre la possibilité d'une division
du droit de gouverner sa propre personne.
Maintenant,
s'il était convenable d'exercer ce droit par soi-même dans toutes ses parties,
la nation voudrait-elle confier une portion quelconque à d'autres ? N'est-il
pas plus prudent et plus sûr de gérer tout par soi-même, si cela était possible
dans toute sa rigueur ? L'ensemble des droits de cinq millions de personnes est
unique ; son exercice simultané est inadmissible ; d'autres s'acquittent de
cette charge en partie, perd-on ce droit en conférant un mandat ? Non, car il est
inaliénable. Le mandat donne autorité' cette autorité est déléguée. On
dispose temporairement de l'autorité. Or, en disposant d'une partie du pouvoir,
qui comprend toutes les autorités quelconques, on dispose de l'exécution ; ce
que la nation conserve, et dont elle ne dispose pas, c'est la législation.
Elle conserve ce qu'elle peut exercer par elle-même, et délègue à d'autres ce
qu'elle ne peut exercer sans inconvénient.
Nous
avons vu que le souverain est un, que c'est la collection du droit de tous ; le
pouvoir législatif est donc un et simple. Qui a jamais songé à diviser le
souverain ? Pourquoi agirait-on autrement avec le pouvoir législatif ? Ou
plutôt la chose est impraticable : en divisant on aurait plusieurs. souverains,
comme l'on aurait plusieurs pouvoirs législatifs.
Quand
par mandat, par délégation, on confie à l'autorité l'exécution des lois, on la
confie en entier ; on ne fait pas deux ou trois autorités pour l'exécution :
cette autorité est exercée par un seul individu ou corps ; le même principe
existe pour la législation.
C'est
d'après ces considérations et ces vérités mathématiques, si je puis m'exprimer
ainsi, que le chef de l'État n'est nullement le représentant continuel de la
nation ; quand on lui concède l'exécution des lois, il est mandataire ; le mot
mandataire est l'opposé de continuel ; de même les mots représentant et
révocable marchent nécessairement ensemble ; si le chef continuel n'est pas
révocable, il n'est pas représentant.
Ces
principes posés, nous venons à l'application et aux conséquences. On objecte
d'abord que le chef de l'État exerce une partie de l'autorité législative au
moyen du veto : nous répondons que ce n'est pas l'exercice de cette
autorité, c'est un simple moyen de suspension, de retard dans l'intérêt du souverain
lui-même : le roi, qui veille à tout, croyant que le législateur s'est trompé,
suspend : entre temps l'on examine de quel côté est l'erreur, et si la nation
persiste, ce ne peut être que par la persuasion qu'elle ne s'est pas trompée,
et la loi doit être exécutée ; car il est aujourd'hui bien entendu en droit
public, que le veto n'est que suspensif et non absolu ; le veto est
un simple conseil, une prévoyance, une mesure de prudence temporaire.
Mais,
dit-on, il faut un contre-poids entre la législature elle-même, et le chef à
qui appartient le veto ; Voilà au moins la grande argumentation, et sur
ce fondement, on exige l'établissement d'un sénat.
Si ce
sénat est d'accord avec la législature, il est inutile et surabondant ; s'il ne
l'est pas, il a le droit de refuser la sanction de toutes lois quelconques
adoptées par la législature ordinaire, et alors il a une autorité plus étendue
que celle du chef lui-même ; il est au moins l'égal de la législature, il sait
empêcher sa marche, et la lutte peut retarder le rouage de l'État, et
occasionner des dissolutions. On croit remédier au mal en augmentant le nombre
pour déplacer la majorité ; mais quelle certitude a-t-on de trouver dans les
personnes habiles à être sénateurs, par conséquent fort limitées pour le choix,
une autre volonté ? Bien au contraire : l'opposition de cette aristocratie,
comme on l'appelle, viendra de l'esprit de corps et cet esprit, s'il change,
dure le plus souvent de fort longues années. Si le sénat, comme le chef de
J'État, n'a qu'un veto suspensif, il est encore inutile, parce que l'on
ne trouve aucune nécessité que ce veto soit exercé plutôt par deux
autorités que par une seule.
Bien
au contraire, cette troisième partie de (page
454) l'autorité législative, comme on se plaît il l'appeler, au lieu de
remédier au mal, ne peut que le perpétuer et l'aggraver davantage. En .effet,
le sénat peut s'entendre soit avec le chef, soit avec la législature ; dans ce
cas il n'y a derechef que deux volontés opposées, qui luttent l'une contre l'autre ;
pour obtenir la médiation, il faudrait alors une quatrième partie ; celle-ci
peut encore devenir funeste, en s'alliant avec l'une ou l'autre partie: où
s'arrêtera cette combinaison, cette lutte, cette rivalité ? Quand cessera ce
conflit ? Ne sera-t-il pas éternel ? Cette difficulté insurmontable a été
prévue par l'Américain Livingston ; cette seule objection le persuadait
non seulement de l'inutilité, mais du danger d'un sénat. - Quand un sénat n'est
pas lui-même la cause de la dissension, il est dans l'État et dans la société
un corps mort. J'ai cité un écrivain américain, parce que l'on a cru prouver
beaucoup, quand on s'est étayé hier d'une opinion contraire professée par
l'Américain Adams.
Continuons
la discussion sur l'argument si concluant pour quelques orateurs, que le sénat
est un contre-poids dans l'État ; nous disons que c'est un remède mortel contre
un mal imaginaire. On craint sans cesse la démocratie ; pourquoi ? Voilà ce
qu'il fallait prouver ; peut-on, d'après les mœurs de ce siècle, d'après le
besoin du repos pour tous, d'après l'instruction assez générale, qui rend plus
sage, plus raisonnable et plus réfléchi, peut-on supposer le retour de l'excès
d'une démocratie telle qu'elle doive être ralentie. - C'est la démagogie qui
seule est funeste, qui seule doit être étouffée ; car la démocratie, comme je
l'entends, savoir la vraie et sage liberté, est ennemie des privilèges et des
préférences qui sont destructeurs de toute industrie ; cette démocratie est
indispensable dans les États modernes, c'est le règne de l'égalité devant la
loi. Et si une chambre législative méconnaissait temporairement ses propres intérêts
qui sont aussi les intérêts de ses commettants, alors un remède plus efficace
se présente: le droit du veto, de l'ajournement de la chambre par le
prince, et la dissolution elle-même. Mais on accuse toujours une chambre de
représentants choisie pour un temps limité, de pouvoir être trop démocratique ;
un sénat à vie ou temporaire, comme quelques-uns le désirent, ne pourrait-il pas
également être trop fougueux dans son espèce ? Comme tout dépend de
combinaisons inattendues, de circonstances fortuites, pourquoi un sénat ne
sortirait-il pas de ses limites ordinaires ? Un homme fortuné a-t-il moins de
passions ? des exemples du contraire sont assez nombreux. Ne dirait-on pas que
la sagesse et la prévoyance sont le partage et l'apanage exclusif de la
richesse seule ? Au surplus oublions-nous que nous faisons des lois pour des
Belges, dont les mœurs sont moins portées à la versatilité, et que les lois
d'un autre pays ne peuvent pas être les nôtres ? Ce serait ici l'occasion de
faire l'application du système des Filangieri, Mirabeau, Charon, Montesquieu,
Benjamin Constant, etc., savoir, que les lois doivent au moins en partie se
régler d'après les mœurs, et non vouloir régler les mœurs.
Par
conséquent, indépendamment que je ne reconnais pas à un sénat cette qualité
supérieure et divine, d'être toujours sans passions, d'être modérateur, de
servir de tempérament aux excès, de posséder la perfectibilité et
l'infaillibilité, nous avons fait voir qu'il sera plutôt un rival à une autre
chambre, un antagoniste, un véritable ennemi, « Pour tempérer le gouvernement,
dit Montesquieu, qui est aussi une autorité, tout aussi bien que Benjamin
Constant, si souvent cité ; pour tempérer le gouvernement d'un seul, Arribas,
roi d'Épire, n'imagina qu'une république. Les Molosses, ne sachant comment
borner le même pouvoir, firent deux rois ; par là on affaiblissait
l'État plus que le commandement ; on voulait des rivaux, et on avait des
ennemis. »
Eh
bien ! ces deux rois de Montesquieu sont nos deux chambres des temps modernes :
vous voulez des autorités qui se balancent, qui s'observent, qui se
surveillent; vous n'aurez que des ennemis. Si vos chambres sont d'accord, il y
a surabondance ; si elles sont ennemies, vous aurez des commotions
journalières ; et ces discussions, ne dussent-elles engendrer une explosion de
la machine de l'État que tous les demi-siècles, ou tous les siècles, c'est déjà
beaucoup trop ; ne plaçons pas volontairement ce malheureux genre humain sur un
volcan.
Il ne
suffit pas de l'alléguer, mais que l'on nous prouve que le sénat a été le
boulevard soit en faveur du prince, soit en faveur de la chambre élective
elle-même ! Malgré tous ces beaux noms de sénat, de chambre haute, de
sénateurs, de pairs, de modérateurs, les convulsions politiques ont toujours eu
lieu dans tous les siècles ; les révolutions n'en ont pas moins été souvent à
l'ordre du jour ; et l'on est tenté de croire que cette prétendue sagesse
privilégiée est la cause occulte des maux publics : ceux qui plaident pour le
sénat ne le savent que trop bien, ils voudraient se faire illusion, et s'il y
a des théories, des utopies, ce sont (page
455) celles du sénat ; on vante ses vertus possibles et probables ; je
préfère une semi-preuve, mais je l'attends toujours.
Qu'on
soit de bonne foi, qu'on avoue que c'est en faveur du prince et non du peuple
qu'un sénat existerait ; que le sénat serait son soutien et non celui du
peuple. Le prince dans un bon gouvernement représentatif a assez de pouvoir :
n'a-t-il pas le veto, le droit d'ajournement, de dissolution, la
nomination aux emplois en mille autres droits ? et l'on voudrait encore lui
procurer de plus fortes prérogatives ! Pourquoi ? je l'ignore. Les princes au
contraire n'ont-ils pas toujours eu trop de pouvoir ? n'ont-ils pas fait le
malheur des peuples parce qu'ils étaient trop puissants ? Ils lassent les
peuples, et bientôt, ayant abusé de leur pouvoir, ils perdent tout, quand ils
croyaient avoir tout gagné ; bornons-les autant que possible pour leur propre
intérêt, pour leur propre conservation ; et le meilleur service à rendre à
notre chef futur, c'est de le borner dans ses prérogatives.
J'avoue
que j'ai entendu des plaintes amères à ce sujet : le chef doit être fort,
dit-on ; il doit être respecté : oui, mais il sera respecté, quand il sera sage
; il sera sage, quand il sera dans l'impossibilité, autant que les combinaisons
et les prévoyances humaines savent remédier à tout, de faire le mal ; et quand
il ne peut faire le mal, il sera également fort, autant qu'il doit l'être. En
effet cette force est moins active que passive ; le chef est seulement chargé
d'exécuter la volonté du souverain, qui est le peuple ; il est dans le pouvoir
exécutif ce qu'est le juge dans l'ordre judiciaire, qui applique la loi
d'après les divers besoins : le roi, dans la partie administrative, n'est
également que le premier magistrat pour l'application.
A-t-on
prouvé que les chefs de l’Etat, sous les régimes représentatifs, ont eu trop
peu de pouvoir ? certainement non. Est-il prouvé qu'ils en ont eu trop ? Il
faut incontestablement que la chose soit ainsi ; puisqu'ils ont abusé de tout ;
que les maux sont incalculables ; qu'ils ont perdu leur trône justement,
puisqu'ils ne sont pas plaints : nulle part ils ne se sont occupés de
l'amélioration de la chose publique ; la chambre haute était néanmoins là pour
les conseiller. Jusqu'a quand en Angleterre l'homme sera-t-il dégradé par tous
les systèmes vicieux ? Et pour ne .parler que d'un objet, voudra-t-on épurer la
législation civile et criminelle qui y est barbare ? et l'on y vante la haute
civilisation ! Quand la sagesse du roi et de son sénat permettra-t-elle de
rejeter les immondices de ces nouvelles étables d'Augias ? S'il est évident que
les chefs ont eu trop de pouvoir, il faut restreindre ce pouvoir et ne pas
donner un soutien qui a toujours faussé le but qu'on lui suppose gratuitement ;
soutien qui n'a jamais répondu à l'attente, non des peuples, mais de quelques
écrivains et orateurs philanthropes.
Les
grands propriétaires doivent être représentés, dernier rapport des partisans
d'un sénat ; mais est-ce bien de bonne foi qu'on argumente ainsi ? Comment !
est-ce que les intérêts matériels des grands propriétaires diffèrent de ceux
des moindres propriétaires ? N'y aurait-il donc pas de propriétaires à la
chambre élective ? Et ses membres, fussent-ils moins puissants en biens-fonds,
ce que je suis loin d'admettre pour la généralité, car les électeurs ont le bon
sens de choisir, à côté des talents et des intelligences, des personnes qui
offrent des garanties par l'intérêt à conserver leur fortune ; ses membres,
dis-je, fussent-ils moins puissants, défendront-ils néanmoins avec moins de
courage, de prudence et de persévérance, leurs moyens d'existence, et ceux de
leur famille ? Celui qui a 50,000 francs à conserver, est-il plus empressé à
les laisser en danger, que celui qui possède des millions ? est-il plus
amateur de révolutions ? qui pourrait le croire ? qui pourrait le soutenir ?
L'intérêt de 50,000 francs comme celui de mi!lions, est également grand pour
ceux qui les possèdent. En un mot, ce résultat du système des adversaires
serait que le moins riche serait le plus généreux, le moins économe, qu'il
s'exposera davantage à tout perdre, quand le plus fort propriétaire, après
une révolution, conserverait encore quelque chose,
D'ailleurs
s'il faut une représentation distincte pour les grands propriétaires, il en
faudrait, par principe d'égalité de pondération, pour les industriels, et pour
ceux dont les grands capitaux sont en portefeuille ; en un mot, il faudrait
faire représenter séparément toutes les castes, toutes les classes ; les
fortunes, les intelligences, les professions libérales et autres; car chacun a
des intérêts à conserver et à augmenter. Il n'y a pas plus de préférence et de
privilège de conservation pour l'un que pour l'autre. Ce système, me dira-t-on,
est absurde, au moins inexécutable. Eh bien ! c'est le vôtre, dirai-je ; le résultat
prouve la fausseté du système.
Messieurs,
nous raisonnons d'après des institutions déjà vieilles ; et l'expérience de
cinquante ans est plus grande aujourd'hui, qu'autrefois celle de quatre
siècles, ces institutions sont vicieuses ; les combinaisons sont insuffisantes
; nous le savons, nous le voyons ; pourquoi suivrions-nous l'ancienne ornière
? nous sommes obligés de (page 456)
profiter du passé, réparer les torts, en éviter le retour, et sanctionner
d'autres garanties. La révolution aurait-elle été inutile, nulle, sans objet,
sans but, sans fruit ? Serions-nous stationnaires ? Est-ce ainsi qu'on entend
la stabilité ? Est-ce de cette stabilité qu'aurait voulu parler un honorable
collègue qui siége au bureau, quand il a parlé dans une autre séance sur une
autre question ? si c'est celle-là, je la repousse ; je la trouve
indigne de nous ! Non, nous ne voulons pas la stabilité dans ce sens ; ce mot
est impropre ; nous voulons le repos, et le plus de bonheur et de
prospérité possible ; mais nous voulons gagner journellement en liberté
: et c'est dans ce sens que M. de Pradt a dit que le monde est en marche, et
qu'il ne s'arrêtera pas ; cette marche est l'expérience dont on profite. C'est
cette expérience qui nous fait voir, si ce n'est le danger, au moins la plus
parfaite inutilité d'un sénat : et en politique une inutilité est une ineptie.
Ce qui ne produit aucun bien est un rouage qui tôt ou tard dérange la
mécanique.
Ne
faisons pas ici des questions de personnes; ne nous fions jamais sur les personnes,
aujourd'hui intègres, et demain despotes : ne croyons pas que le gouvernement
marchera plus consciencieusement ; les chefs ne tiennent aucun compte des
leçons des peuples; il nous faut donc chercher des sûretés et des hypothèques
contre les empiétements, non dans les personnes, mais dans les choses : il nous
faut un autre régime, fort simple, et non compliqué : si dans la suite il est
prouvé qu'un sénat est indispensable, ce que je ne pense nullement, qui nous
empêchera de le sanctionner ? mais en attendant que la nécessité soit évidente,
que le peuple conserve ses libertés, ses droits ; que le peuple conserve
surtout le pouvoir législatif. Nous avons prouvé plus haut qu'il doit
l'exercer en entier lui-même, parce qu'il est indivisible, et qu'il sait
l'exercer avec plus d'avantage qu'en le cédant en partie, ou à des mandataires
qui se mettent en opposition avec leurs mandants, comme leurs ennemis; ou au
chef de l' Etat, dont l'essence le porte, si je puis me servir de ce terme,
sans cesse vers l'arbitraire, qui aspire toujours à l'agrandissement de son
autorité, et qui, au lieu de régler noblement son allure d'après nos besoins et
nos justes désirs, suit pas à pas patiemment l'empiétement flagrant de nos
pouvoirs, et mine sourdement les bases de l'édifice de l'ordre établi par la
nation elle-même. Il faut nous prémunir contre le retour des abus ; ce ne sera
pas en employant les décombres usés.
C'est
aujourd'hui le cas de dire, comme M. de Sillery à la constituante de France,
dans une sorte d'élan prophétique: « Si à la suite de cette révolution vous
n'êtes pas le peuple le plus libre de la terre, l'Europe vous taxera de rebelles
et de pusillanimes. Achevez votre ouvrage, et vous êtes le premier peuple du
monde.» (U. B,, suppl., 16 déc.)
COMMUNICATION DIPLOMATIQUE
RELATIVE A
M. le président
– Je viens de recevoir
le message suivant :
« Le
président du comité diplomatique à M. le président du congrès national.
« Monsieur
le président,
» J'ai
l'honneur de porter à votre connaissance que le comité diplomatique a reçu,
dans le courant de la journée, une réponse satisfaisante de la part des cinq
grandes puissances sur la levée du blocus et la libre navigation de l'Escaut.
Je me ferai un devoir d'en donner demain communication officielle au congrès
national.
« Je
vous prie, monsieur le président, d'agréer l’expression de mon respect.
« SYLVAIN
VAN DE WEYER.
« Bruxelles,
le 14 décembre 1830. » (Bravos, applaudissements.)(U. B., suppl., 16
déc.. et A.)
M. Henry – Messieurs, la divergence d'opinions sur
l'existence d'une chambre ou d'un sénat a dû nécessairement attirer vos
méditations les plus sérieuses sur les avantages et les inconvénients que
présente une telle institution. La plupart des membres de cette assemblée
paraissent pencher pour cet établissement. J'ai partagé cette opinion lors de
l'examen de la question dans les sections. Je pense en effet que l'établissement
d'un sénat présentera des avantages réels, et que loin de porter atteinte à la
liberté, il ne fera que la consolider davantage en la préservant des désordres
qu'entraînerait l'absence d'une telle institution.
Je ne
me dissimule pas, messieurs, combien la nécessité d'une chambre haute est
contestée. Je ne me cache pas qu'il s'élève une prévention défavorable contre
elle ; et qu'au seul nom de sénat ou de chambre haute, ses adversaires jettent
les hauts cris et s'imaginent voir aussitôt renaître tous les abus de notre
ancienne première chambre (page 457)
ou la nullité politique du sénat de l'empire. Ils voient dans une telle
assemblée un élément aristocratique propre à étouffer la liberté et à nous
l'amener vers la tyrannie dont nous venons de nous délivrer. Mais ces dangers
ne sont pas, messieurs, autant à craindre qu'on se l'imagine. Ce sont des
fantômes créés par la plus noble des craintes, la crainte de voir la liberté en
péril, mais qui doivent disparaître devant l'examen réfléchi des éléments dont
le sénat devra se composer,
Le
pouvoir représentatif doit être exercé par deux chambres ; une chambre élective
et une chambre haute ou un sénat. Exercé seulement par la chambre élective, il
peut en résulter de graves inconvénients qui ont déjà été signalés à cette tribune
et que l'histoire nous a également révélés. L'ordre social pourrait même en
être ébranlé. Ne voyons-nous pas en effet trop souvent le pouvoir législatif en
opposition avec le pouvoir exécutif ? Or, dans ce cas, qu'arriverait-il si le
pouvoir représentatif n'était exercé que par une chambre élective ? La société
se trouverait alors dans un état de crise dont elle ne sortirait que par la défaite
de l'un ou de l'autre pouvoir. Ou le pouvoir exécutif triompherait, ou bien ce
serait le pouvoir représentatif, et alors l'un ou l'autre serait écrasé. Quel
désordre n'amènerait pas alors un tel état de choses ! Dès ce moment, comme le
dit un publiciste, la société ou tomberait dans la paralysie ou flotterait
entre la démagogie et l'absolutisme qui, dans une alternative impétueuse et
sanglante, se disputeraient la triste gloire de la déchirer.
L'existence
d'une double assemblée est précisément faite pour repousser ce malheur ; car
lorsque le choc entre le pouvoir exécutif et l'une des deux assemblées menace
d'éclater, l'autre assemblée s'y interpose utilement en se mettant du côté où
sont les intérêts de la nation et de l'ordre public, fait pencher. la balance,
et par ses efforts ôte à l'une des parties tout espoir de succès. En
jurisprudence, quand deux magistrats sont en contraste, l'intervention d'un
troisième qui se réunisse à l'opinion de l'un ou de l'autre est éminemment
nécessaire pour empêcher que le jugement ne reste indécis. Il doit en être de
même en politique ; quand deux forces sont en contraste, l'intervention d'une
troisième qui se range avec l'une des deux est doublement nécessaire pour
empêcher qu'elles ne tombent dans l'inaction ou que la question ne se décide
par la victoire de l'une et la défaite de l'autre.
Il est
donc nécessaire que le pouvoir représentatif réside dans deux chambres. Ce qui
vient encore davantage mettre en évidence cette nécessité, c'est le besoin de
réprimer les écarts d'une chambre élective qui souvent se laisserait entraîner
à prendre des résolutions précipitées et trop peu réfléchies. Ne voit-on pas
en effet, et n'avons-nous pas eu déjà l'occasion de nous en apercevoir
nous-mêmes ici, que dans des corps délibérants souvent une idée émise par un
des membres est accueillie sans défiance et avec complaisance même par
l'assemblée, ou parce que les inconvénients que la proposition peut entraîner
ne la frappent pas d'abord, ou parce que présentée sous des couleurs
favorables à la lîberté, elle parvient à séduire ? Ne voit-on pas que cette
idée finit alors par s'emparer de tous les esprits sans qu'ils pensent à la
combattre par aucune considération, et qu'une résolution est prise ensuite avec
trop peu de réflexion et de maturité ? En vain dirait-on que par son règlement
l'assemblée peut s'imposer un frein qui la mettra à l'abri de tels écarts ; car
si cette chambre a le pouvoir de faire son règlement, elle a aussi le pouvoir
de le changer. D'un autre côté, si une majorité factieuse ou turbulente se
forme dans l'assemblée unique, comment porter remède aux maux que produiront
des lois empreintes de l'esprit de faction ou de la passion qui les aura
dictées ? A la vérité on pourra dire qu'il sera obvié aux inconvénients d'aussi
funestes lois lorsqu'il s'agira de les faire sanctionner par le pouvoir exécutif
; qu'alors le chef de l'État pourra refuser sa sanction et déjouer ainsi les
projets d'une faction, ou réparer les erreurs produites par la précipitation
ou l'irréflexion. Mais on sait combien est dangereuse l'arme du veto ; l'on
sait combien il deviendrait imprudent d'employer souvent un tel moyen, et avec
quel soin au contraire on doit éviter de mettre le pouvoir exécutif dans la
nécessité de rejeter une loi proposée. C'est toujours pour lui, comme on l'a
dit, un acte suspect qui le dépopularise et répand de la défaveur sur sa conduite.
Quelque justes que soient les motifs apparents d'un tel rejet, on est toujours
enclin à s'en défier, parce qu'on le suppose dicté par des passions ; aussi le veto
est-il presque toujours considéré comme un acte d'hostilité. Avec une
chambre haute, au contraire, aucun de ces inconvénients n'est à craindre: si la
chambre élective a porté une loi injuste ou passionnée, le rejet de cette loi
par une autre assemblée n'a rien d'offensant même pour cette chambre élective.
Chacune des chambres représentant la nation, c'est comme si c'était la nation
elle-même qui reviendrait sur ses pas et reconnaîtrait ses erreurs. Aucun
mécontentement (page 458) n'a donc
lieu alors et tout s'opère sans secousse et sans crise aucune.
Mais il
est même des cas où la ressource du veto s'échappe ; c'est lorsque le
pouvoir exécutif cherche à comprimer les droits du peuple. Que dans une telle
hypothèse le pouvoir parvienne à corrompre la chambre élective et à s'y créer
une majorité qui lui sera servilement dévouée, que deviendra alors le peuple ?
pourra-t-il se réfugier dans le sein d'une autre assemblée ? Non, puisque vous
le parquez dans la chambre élective; et si un nouveau Villèle se présentait
alors avec une loi sur le droit d'aînesse, ou un Peyronnet avec une loi
d'amour, le peuple devrait se courber sous le joug de telles lois condamnées
d'avance par l'opinion publique, parce qu'il n'aurait pas une chambre des pairs
pour empêcher le sacrifice de ses droits.
On
m'objectera peut-être que l'inconvénient de la corruption pour la chambre
élective existera aussi bien pour la chambre haute. Non; la dignité sénatoriale
étant viagère, les sénateurs sortant des plus hautes régions sociales, sous le
rapport des richesses, des talents, des vertus et des lumières; seront plus
indépendants, et par leur position moins accessibles à toutes les séductions du
pouvoir. L'exemple de notre ancienne première chambre ne peut être ici de
quelque poids, car là la nomination appartenait exclusivement au roi, tandis que
nos sénateurs seraient nommés, ou par les électeurs qui nommeraient la chambre
élective, ou par le chef de l'État sur une liste de candidats présentés par les
mêmes électeurs. Telle est la condition sous laquelle j'ai voté pour un sénat
lors de l'examen de la question en section, et ce n'est encore que sous cette
condition que je donnerai mon assentiment à une telle institution.
L'exercice
du pouvoir représentatif par une seule chambre élective présente encore ce désavantage,
c'est qu'il n'est que trop fréquent de voir se former dans les assemblées de
cette nature ou un esprit de parti ou un esprit de corps, qui finit par les
isoler de la nation. Les intérêts du peuple sont alors négligés ou considérés
sous un point de vue tout autre que celui sous lequel ils devraient être
envisagés. D'un autre côté, le désir de parvenir à une popularité toujours
séduisante nous porte insensiblement et involontairement à flatter les passions
populaires, et alors on tombe dans la démagogie, si l'on s'écarte du véritable but
que l'on devait chercher à atteindre. Ces dangers et ces erreurs sont au moins
réparables, lorsqu'une chambre haute est là pour arrêter la marche désordonnée
de la chambre élective.
On
nous a dit, messieurs, qu'une chambre haute était, dans le pouvoir
représentatif, un rouage inutile qui ne faisait que gêner sa marche. Mais ce
rouage, loin d'être inutile, peut au contraire nous préserver de secousses
violentes et nous empêcher de tomber dans des précipices. La marche la plus
précipitée n'est pas toujours celle que l'on doit préférer, et souvent on se
jette dans un abîme eu voulant aller trop vite. Rappelez-vous, messieurs, la
charte de Franklin dont nous a parlé hier l'honorable M. Lebeau. Comme je l'ai
déjà dit, la chambre haute, loin d'être inutile, servira de frein à la chambre
élective ; elle la contiendra ; elle réprimera ses écarts ; elle préviendra
des collisions trop fréquentes entre le pouvoir représentatif et le pouvoir
exécutif ; elle rendra moins nécessaire l'usage dangereux du veto ; elle
empêchera le mal que la mise à exécution de lois ou adoptées avec trop de
précipitation, ou empreintes de la passion pourrait produire ; elle paralysera
les efforts que la chambre élective, animée d'un désir exagéré d'améliorations
sociales, pourrait tenter pour amener des innovations trop démocratiques; elle
contrebalancera cette chambre ; elle sera en un mot un pouvoir modérateur.
Je
voterai donc pour l'établissement d'un sénat, sous la condition cependant que
les sénateurs ne soient pas nommés directement par le chef de l'État, et que
cette dignité ne soit que viagère. (J. B., suppl., 16 déc.)
M. Alexandre Rodenbach – Messieurs,
plus de vingt orateurs m'ont précédé à la tribune. Il paraît qu'il y en a
encore au moins une vingtaine d'inscrits pour traiter la question s'il y aura
une ou deux chambres. Voilà pourquoi je serai concis.
L'on
nous a dit, messieurs, que même aux États-Unis d'Amérique, il y a deux
chambres. Il est vrai que dans le pays de Washington et de Franklin il
y a une première chambre ; mais les députés de cette chambre sont nommés par le
peuple, et ils ne le sont que pour six ans, tandis qu'ici, la majorité des
partisans d'une première chambre les voudrait à vie et nommés par le souverain.
L'on nous a dit aussi qu'en Suisse, il y avait également deux chambres.
Je sais, messieurs, que dans ce pays il y a de grands conseils et de petits
conseils, mais je n'ignore pas que les petits conseils sont une espèce de
première chambre aristocratique, qui envahit tous les droits du peuple et qui
ne tend qu'à augmenter sa puissance.
L'insurrection
qui vient d'éclater en Suisse a été occasionnée par les conseils, dont
l'esprit dominateur froisse l'intérêt des classes moyennes et commerçantes.
En
établissant en Belgique un sénat, (page
459) vous détruisez la souveraineté du peuple. De plus, vous voulez des
sénateurs à vie. Je vous demanderai, messieurs, s'ils seront hommes d'honneur à
vie et quelle garantie vous présentera leur moralité.
Tous
ces motifs me décident à voter pour une seule chambre. (U. B., Suppl., 16 déc.)
M. Masbourg – Messieurs, lorsqu'on observe que,
partout où les sociétés se sont constituées en États représentatifs, il s'y est
toujours établi deux chambres, soit primitivement, soit successivement, il est
difficile de ne pas reconnaître dans cet accord unanime un besoin généralement
senti, et de ne pas voir dans cette institution universellement adoptée une
condition essentielle à l'existence et à la conservation de cette forme de
gouvernement. La triple division des pouvoirs s'est introduite jusque dans les
républiques les plus circonscrites ; le gouvernement fondé sur deux branches
n'a jamais pu solidement s'enraciner même dans ces petits États, où les hommes
ont voulu en faire l'essai.
Vous
le savez, messieurs, il y a des nécessités sociales, des lois fondamentales qui
dérivent de la nature des choses : telle est la constitution des trois pouvoirs
dans les États libres.
Cette
vérité que proclame l'histoire, n'a échappé à aucun publiciste ; tous se
réunissent pour démontrer la nécessité de la balance des pouvoirs et en
exalter les avantages.
Les
assemblées, les corps ne sont pas plus exempts que les individus du désir de
dominer et d'accroître leur pouvoir. Cet esprit d'envahissement s'opposera
toujours à ce que la puissance souveraine puisse se partager entre deux corps,
sans que l'un des deux tende à s'élever aux dépens de l'autre ; une lutte
dangereuse éclatera inévitablement entre ces deux pouvoirs rivaux ; dès lors
la nécessité d'un troisième, destiné à maintenir et à rétablir l'harmonie
entre les deux premiers, est évidente.
Opposer
une barrière contre les entreprises du despotisme ministériel et contre les
envahissements des factions qui pourraient surgir dans la seconde chambre ;
garantir la loi fondamentale non-seulement des atteintes isolées de l'un ou
l'autre de ces corps, mais encore de toute connivence possible entre un
ministère hostile et une majorité qu'il serait parvenu à se former dans la
représentation nationale, telle est la haute mission de ce pouvoir
intermédiaire, véritable boulevard des libertés publiques.
L'absence
d'un système d'opposition balancée dans les États libres a produit des maux
horribles, c'est ce qu'atteste l'histoire des révolutions sanglantes dues
principalement à cette grande erreur politique, que la philosophie parvint à
réformer en éclairant la législation sur la théorie de la balance des pouvoirs.
Cette
institution, aussi nécessaire à la stabilité de l'ordre dans les gouvernements
libres, que l'est celle d'une autorité conservatrice dans toute société, a subi
diverses modifications dans son application. Elle était encore très informe
avant la découverte des assemblées représentatives et de la séparation des
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Mais le principe fondamental de
la nécessité d'une balance politique était le même quant au fond, parce que ce
principe est fondé sur la nature et la raison. Les anciens gouvernements
mixtes, quoique très différents des gouvernements constitutionnels, tels qu'ils
ont été établis en Angleterre, dans les États-Unis d'Amérique et en France,
reposaient sur la même base. Ils se composaient d'éléments semblables mais
différemment combinés, de monarchie, d'aristocratie et de démocratie.
Les
plus habiles philosophes de l'antiquité comprenaient déjà la possibilité d'un
système de gouvernement aussi parfait que celui que nous voyons aujourd'hui en
Angleterre. Leurs connaissances politiques étaient plus avancées que ne l'ont
cru certains publicistes modernes, ainsi que nous le prouvent de récentes
découvertes, et particulièrement celle d'un de ces livres de
« Le
meilleur des gouvernements, dit Cicéron, sera celui qui se composera de la
combinaison égale. des trois modes de constitution réunis et tempérés l'un par
l'autre. J'aime en effet que dans l'État il existe un principe éminent et
royal, qu'une autre partie du pouvoir soit acquise et donnée à l'influence des
grands, et qu'une troisième soit réservée au peuple. Cette constitution a
d'abord un grand caractère d'égalité, condition nécessaire à l'existence de
tout peuple libre. Elle offre ensuite une grande stabilité, les premiers
éléments, lorsqu'ils sont isolés, se dénaturant aisément.»
Ce
passage, que je n'ai transcrit qu'en partie, prouve ce que pensait l'illustre
consul romain sur la nécessité des trois pouvoirs pour un bon gouvernement.
Cette doctrine est, comme on le voit, celle des publicistes modernes, qui sont
unanimes sur ce principe.
(page 460) Vouloir, messieurs, une
monarchie constitutionnelle au moyen d'une seule chambre, c'est lui refuser
l'une des plus fortes garanties de son existence et de sa durée. Combien de
voix s'est-il élevé en France après la dernière révolution du mois de juillet
pour demander la suppression de la première chambre ? ou plutôt n'a-t-elle pas
été maintenue presqu'à l'unanimité ? Dans un autre État, la même institution a
résisté à toutes ses vicissitudes et elle survivra nécessairement à toutes les
réformes que les circonstances et la force des choses pourraient y introduire.
Quelques
adversaires du système de deux chambres redoutent les abus de l'aristocratie,
de cette institution gothique, dont les souvenirs sont bien capables d'inspirer
la frayeur ; mais ce n'est pas ce triste héritage que nous a légué la
révolution, et les alarmes que l'on conçoit à cet égard ne me paraissent pas
fondées. Si l'aristocratie a souvent dégénéré en oligarchie despotique, comme
dans quelques républiques de
D'autres
invoquent à l'appui de leur opinion pour une chambre unique le principe
d'égalité. Mais, messieurs, l'égalité politique n'exclut pas et ne peut pas
exclure les inégalités de fortune, de mérites, de services, etc. L'influence de
ces inégalités dans la société est inévitable. C'est, dit Adams, une
aristocratie naturelle qui a toujours existé et qui existera toujours et
partout. Les hommes peu nombreux, qui réunissent tous ces avantages, formeront
nécessairement une classe séparée, un corps qui peut être utile ou dangereux :
utile, si 1a constitution règle convenablement leurs droits ; dangereux, si
elle les méconnaît. La représentation de ce corps dans une chambre législative,
est, suivant tous les publicistes éclairés, le seul moyen de rendre son
concours utile à la société, et de garantir les libertés publiques.
L'établissement
d'une première chambre n'est sans doute pas sans inconvénients ; la résistance
obstinée que ce corps peut opposer dans certains cas, paralysera, il faut en
convenir, des projets de lois utiles à la nation. Mais ces abus, qui seront
très rares, peuvent-ils balancer les dangers que courront les libertés
publiques, lorsqu'un ministère hostile et influent se sera emparé de la
majorité de la chambre unique. Quelle barrière arrêtera alors les
envahissements ? que deviendront nos institutions ? un nouveau système de
déception minera ces libertés religieuses et d'instruction, sur le sort
desquelles .bien des esprits s'alarment déjà. Ne compromettons pas, messieurs,
par une institution dangereuse, ces libertés si précieuses, et acquises au prix
de tant de sacrifices.
Quels
que soient les inconvénients qui puissent résulter, soit du mode qui sera
adopté relativement à la nomination des sénateurs, ou de la solution des autres
questions qui ne sont que secondaires, ils ne me paraissent pas pouvoir être de
nature à balancer les avantages d'un système qui distribue la législature en
trois branches indépendantes, système sur lequel l'Angleterre a basé les
institutions les plus fortes et les plus libres, système qui a servi de modèle
à tous les gouvernements représentatifs et que tous les politiques admirent
comme l'une des plus grandes découvertes de l'esprit humain. (C., suppl., 19
déc.)
M. David renonce à la parole. (U. B., suppl., 16 déc.)
M.
Fransman – Il est dans mon système républicain de ne reconnaître d'autre
souveraineté que dans la nation ; je vois dans l'institution qu'on nous propose
l'établissement du despotisme, sons une autre forme. On ne doit pas se faire
illusion. Le germe de la noblesse, création barbare de la féodalité, qui
entraîne l'idée de l'oisiveté et de la mollesse avec elle, n'est pas étouffé.
Je ne retracerai point comment elle prêta main-forte au despotisme sous Louis
XVIII et Charles X. L'impôt odieux de la mouture transmettra chez nous son nom
à la postérité. Dégagés des brouillards de
M. le baron de Terbecq
– Messieurs, parmi le nombre d'objets de haute importance, dont le congrès national
est appelé à traiter, on peut placer au premier rang la nouvelle constitution
qui doit assurer à jamais la prospérité de
Le
projet de constitution peut-il satisfaire aux besoins de la nation ? Voilà la
question; la bien résoudre est notre tâche. Cette tâche est assez grande, assez
importante, pour nous occuper sans distraction à la bien remplir.
J'aborde
la question à l'ordre du jour.
Y
aura-t-il deux chambres ? Les membres de la première chambre seront-ils nommés
à vie ? Cette dignité sera-t-elle héréditaire.?
Voilà,
messieurs, les trois seules questions que je traiterai aussi brièvement que
possible.
On a
dit, avec raison, qu'un pouvoir unique finira nécessairement par succomber ;
Que
deux pouvoirs se combattront jusqu'à ce que l'un ait écrasé l'autre ;
Que
trois pouvoirs se maintiendront dans un parfait équilibre.
Ces
lignes, empruntées à Blackstone, prouvent mieux que de longs raisonnements la
nécessité de deux chambres. Qu'on consulte l'histoire, elle confirmera
l'opinion de ce publiciste. A Sparte, l'autorité était partagée en trois
branches, et on disait des Spartiates qu'ils étaient le peuple le plus heureux
de la terre. Il en était de même à. Carthage. Les Athéniens et les Romains
n'ont presque jamais pu avoir la paix intérieure par la division de leur
gouvernement en deux branches.
Je
suis donc intimement convaincu que l'assemblée nationale doit être partagée en
deux chambres, et je voterai affirmativement pour la première question que j'ai
posée.
Je
répondrai aussi affirmativement à ma deuxième question, et je dirai que les
sénateurs doivent être nommés à vie : je sais, messieurs, qu'il y a plusieurs
objections contre cette manière de voir, et tel est l'inconvénient de ces
sortes de discussions, qu'elles présentent toujours une somme égale d'arguments
pour et contre ; mais un législateur doit s'arrêter au système qui, selon lui,
présente le moins d'inconvénients, et c'est après avoir bien considéré et bien
pesé le tout que je me prononcerai pour l'affirmative.
A ma
troisième question, je dirai non, la dignité du sénateur ne sera point
héréditaire. C'est une forte objection contre l'hérédité, disait M. de
Lally-Tollendal dans son rapport à l'assemblée constituante, qu'un individu
naisse investi d'une magistrature judiciaire et politique, par conséquent
dispensé de la mériter, et sûr de l'exercer, même sans capacité pour la
remplir.
Ces
considérations seules, s'il n'y en avait pas d'autres encore, me feraient
rejeter toute idée d'hérédité.
Je
passerai sous silence, messieurs, plusieurs considérations secondaires, dans la
crainte de prolonger inutilement la discussion. Hâtons-nous de restituer au
peuple tous ses droits ; attaquons dans leur source tous les abus, et donnons
aux Belges une constitution qui puisse les rendre heureux. (U. B. , suppl., 31
déc,)
M. Claes (d’Anvers)
– Après le discours de
mon honorable collègue, M. Defacqz, j'aurai peu de chose à ajouter à ce que
j'ai dit dans la section centrale. Je crois que nous n'avons pas besoin d'un
pouvoir modérateur, parce que la modération est innée en Belgique. Oui,
messieurs, la modération est innée aux Belges, nous l'avons vu pendant quinze
années d'un joug odieux. Nous avons vu cette nation calme faire preuve de la
plus grande modération contre un ennemi qui l'avait si cruellement opprimée.
Cette modération ne s'est pas montrée seulement parmi nos braves volontaires,
elle s'est montrée ici, dans cette assemblée, composée de deux cents membres
dont nous admirons le calme et la fermeté. Cette modération a été remarquable
après les rapports des chefs d'administration ; personne n'a élevé la voix, et
cependant il y avait beaucoup de choses à dire : nous avons remarqué qu'un
membre de cette assemblée qui avait dit, dans une séance précédente, que le nom
de quelques employés d'une administration ne pouvait être prononcé sans dégoût,
s'est abstenu, en interrogeant le chef du comité sur quelques points de son rapport,
d'entrer dans la question du personnel. Je dis donc que notre assemblée est
modérée, et que c'est presque une insulte pour la nation que de demander un
pouvoir modérateur. Aussi, les partisans du sénat ont bien senti la faiblesse
de cet argument, et ils se sont rejetés sur la précipitation avec laquelle une
seule chambre délibérerait ; ils ont prétendu que souvent la chambre élective
agirait avec une précipitation (page 462)
contraire aux intérêts de l'État : la meilleure réponse qu'on puisse leur
faire, c'est le calme du congrès, la mesure avec laquelle il prend ses décisions
; et certes, si la nation a un reproche à nous faire, ce n'est pas celui de
trop de précipitation, mais celui de trop de lenteur. Un des derniers
orateurs a craint une collusion ; il a pensé que des moyens corruptifs seraient
employés et pourraient nous conduire au despotisme. Je crois que ce membre n'a
pas vu que le projet de constitution que nous sommes appelés à discuter contient
une disposition formelle pour parer à cet inconvénient.
Les
membres qui feront partie de la chambre élective cesseront leurs fonctions dès
qu'ils seront appelés à un emploi par le chef de l'État ; ainsi, cette
collusion qui pourrait exister par des faveurs, du chef de l'État, ne pourra
avoir lieu, puisque les électeurs seront là pour y veiller.
Voilà
les motifs pour lesquels je désire qu'il n'y ait pas deux chambres dans notre
petite Belgique ; je dis notre petite Belgique, car les orateurs qui m'ont
précédé ont tous parlé de
Le
danger, d'après moi, est d'établir une inégalité entre les citoyens ; quand je
vois que les hommes admis dans le sénat doivent payer un certain cens, que tout
le monde n'y serait pas admissible, il me semble, et l'article de la constitution
qui déclare les Belges égaux devant la loi ne serait plus observé, que la
création du sénat créerait une inégalité. Dans ce siècle positif, l'égalité
est notre premier besoin.
L'orateur
développe longuement cette proposition, et finit en déclarant qu'il croirait
manquer au mandat qui lui est confié en votant pour le sénat. (U. B., suppl.,
t6 déc.)
M. l’abbé Dehaerne – Messieurs, pour
traiter la question du sénat, question fondamentale et presque aussi
importante que celle de la forme du gouvernement, je me placerai sur le même
terrain sur lequel j'ai combattu pour la république. Si j'ai eu le malheur de ne
pas me trouver du côté de la majorité, en votant pour la démocratie pure, il a
été consolant pour moi d'entendre que la plupart des honorables membres de
cette assemblée semblaient plutôt repousser ce régime pour la forme que pour le
fond, et paraissaient convaincus que la monarchie représentative n'est autre
chose qu'une république déguisée. Moi, de mon côté, je préférais niveler notre
ordre politique, et en éliminer les contradictions que j'envisageais comme la
cause des commotions qui agitent et agiteront encore longtemps les peuples de
l'Europe. C'est le même motif, messieurs, qui m'engage à voter pour une seule
chambre. Quelques personnes peu au fait, je crois, des doctrines que je
professe, se sont effrayées des conséquences que j'en ai déduites, parce
qu'elles croyaient y voir une tendance démagogique. Je suis persuadé qu'elles
n'ont aucun doute sur la droiture de mes intentions ; mais pour les rassurer
sur la tendance de mes principes, je tâcherai de faire voir que c'est l'amour
de l'ordre et de la tranquillité qui doit nous faire entrer dans le sens
démocratique autant qu'il est possible, et par conséquent nous éloigner
d'adopter, dans la représentation nationale, aucune distinction d'ordre ou de
fortune, telle que nous présenterait l'établissement d'un sénat.
L'aristocratie,
messieurs, prise en général, n'est autre à mes yeux que la distinction
naturelle de quelques classes de la société sur d'autres classes, de quelques
individus sur d'autres individus. C'est cette distinction qui assure à ces individus,
à ces classes une supériorité sur les personnes qui les entourent, supériorité
qui, dans l'état naturel ou l'état du droit divin, est fondée en raison ; car
dans cet état le droit de gouverner n'est autre chose qu'un devoir de protéger,
et la force qui est employée contre le droit, outre qu'elle est nulle de sa nature,
autorise encore la résistance. Pour vous prouver, messieurs, que c'est là le
véritable état naturel dont les hommes ne sont jamais sortis et dont ils ne
sortiront jamais entièrement, je n'aurais qu'à faire remarquer que la parfaite
égalité est impossible par cela seul que les facultés intellectuelles, étant
inégales chez les divers individus, assurent à ceux qui en sont doués dans une
plus grande intensité un empire bien plus grand sur les autres que l'ascendant
que donne la fortune. II y a plus, messieurs : comme l'esprit et le génie sont
les meilleurs moyens d'augmenter les richesses et de renforcer la puissance,
l'aristocratie des fortunes doit exister par la seule raison qu'il existe une
aristocratie de talents. Voilà l'ordre naturel, voilà l'ordre primitif que Dieu
a établi parmi les (page 463)
hommes; si vous sortez de là, vous tombez dans l'égalité absolue dont vous
devez admettre alors toutes les conséquences, sans en exclure même celle de la
loi agraire.
C'est
ce principe qui a fait penser à un grand nombre d'honorables membres que la
représentation nationale doit être fondée sur deux bases différentes, qu'il
doit y avoir deux chambres, l'une toute populaire, l'autre aristocratique. Je
crois, messieurs, que presque tous leurs arguments se rapportent à cette idée,
car pour ce qui regarde la balance des pouvoirs dont on a beaucoup parlé, cette
balance serait impossible, si les deux chambres n'étaient composées d'éléments
différents; par conséquent, cette raison rentre dans la première. Pour répondre
à ces messieurs, je leur ferai d'abord remarquer qu'ils se placent dans une
fausse position en confondant l'état politique de nos jours avec le système
catholique qui régissait la vieille Europe. Il importe beaucoup de détruire
cette erreur, qui est la source de beaucoup d'autres, et la cause de l'état
d'apathie et d'insouciance où l'on voit tombées dans beaucoup de pays les
populations catholiques qui se laissent dominer par un parti qu'elles prennent
pour une autorité catholique, pour une aristocratie fondée sur le droit divin.
Ce système politique, messieurs, n'existe plus, et il ne peut pas exister dans
l'état actuel de la société, à cause de l'anarchie intellectuelle qui règne
dans les esprits. Par une conséquence nécessaire de cette situation politique,
chacun entre dans les droits de la liberté individuelle, et le pouvoir n'a
d'autre mission, d'autre droit, que d'empêcher la violation de cette liberté.
Si le pouvoir accorde quelques privilèges, quelque protection spéciale à une
certaine classe de citoyens, il s'écarte de ses attributions, il devient
despotique : aux yeux de citoyens qui n'ont d'eux-mêmes aucune supériorité les
uns sur les autres, si ce n'est celle qu'ils veulent bien reconnaître
eux-mêmes, et sur laquelle la loi, qui ne règle que les rapports matériels, ne
peut rien statuer. Si la funeste influence que doivent exercer sur le peuple
toutes mesures exceptionnelles, de quelque pouvoir humain qu'elle émane, est à
redouter, que sera-ce de celles qui paraîtront dictées par un esprit de
système, qui auront leur origine dans la loi fondamentale même, et dans la
nature des pouvoirs, constitutifs de l'État ? Or, tel sera le résultat du
système de deux chambres, système pernicieux qui tend à entretenir l'agitation
et le trouble dans l'État, qui jette la déconsidération sur les mesures les
plus salutaires et les plus équitables, par la seule raison qu'elles émanent
d'un pouvoir conçu dans un esprit d'inégalité, système qu'on regardera
toujours comme injuste, parce qu'il y a un meilleur système possible, celui de
la représentation égale pour toutes les classes de citoyens.
Je
crois, messieurs, vous avoir suffisamment prouvé qu'un sénat, loin de servir à
assurer la tranquillité de l'État, ne peut servir, au contraire, qu'à fomenter
la méfiance, l'inquiétude et le mécontentement. Mais on me répondra que cela ne
démontre pas que le système démocratique et l'unité de représentation soient
sans danger. Sans danger aucun, non, messieurs, car la où il y a pouvoir,
l'abus est à côté ; mais ce qui est certain, c'est qu'il y a moins de danger
que dans le système des catégories et des privilèges, parce qu'il y a moins
d'éléments de désunion et de désordre. D'ailleurs, messieurs, un sénat sera un
boulevard bien impuissant pour résister au développement d'un principe sur
lequel il sera lui-même fondé ; il ne pourra servir qu'à rendre le choc des
partis plus rude et plus violent. Voulez-vous imposer un frein à la multitude
? accordez-lui ce qu'elle peut exiger avec justice ; autrement elle emportera
avec force et ce qu'elle a droit d'exiger et ce qu'elle ne peut pas exiger du
tout Si vous refusez au peuple les garanties auxquelles il a droit, il vous les
arrachera et s'en donnera d'autres bien autrement humiliantes pour ceux qui se
roidissent contre lui.
On
craint que, s'il n'y a qu'une seule chambre, la grande propriété ne soit pas
suffisamment représentée. Pour répondre à cette objection, je n'ai qu'à
appeler votre attention, messieurs, sur la composition. du congrès national, où
toutes les classes, tous les étages de la nation me paraissent dûment
représentés, et où la grande propriété surtout paraît avoir assez d'organes,
puisque c'est pour elle que la majorité paraît être prononcée jusqu'à ce
moment, dans la question qui nous occupe. Il est vrai qu'un honorable membre a
dit, à ce propos, que le congrès, formant une assemblée constituante, ne peut
pas être partagé en deux corps délibérants ; cela ne s'appelle pas aborder la
difficulté, mais biaiser de côté, puisqu'il n'en est pas moins constant que
notre assemblée, choisie d'après un seul et même mode d'élection, représente
suffisamment la grande propriété. Quand je considère le talent qui distingue
cet orateur, je serais presque tenté de croire qu'il a voulu persifler le
système qu'il semblait défendre, et que cet orateur est des nôtres.
Je
sais, messieurs, que beaucoup de personnes désireraient qu'à l'avenir le cens
électoral fût moins élevé pour la chambre élective, et que (page 464) par conséquent alors
l'aristocratie des fortunes sera beaucoup moins représentée, s'il y a une
chambre unique. Cela est vrai, messieurs, mais je vous demande ce qui est plus
naturel, ou que le peuple, qui forme la masse de la nation, soit plus représenté
que les grands propriétaires, ou que ceux-ci, qui ne forment qu'une mince
fraction de la société, soient plus représentés que le peuple. J'irai même plus
loin, messieurs, et je dirai que sous le régime de la liberté individuelle,
régime sous lequel nous sommes appelés à vivre, il faut admettre un cens
électoral aussi bas que possible, et ne limiter le droit d'élire que pouf
autant que l'exige la conservation de cette même liberté. Et si vous redoutez,
messieurs, qu'il soit difficile de fixer un terme à ce droit politique, je vous
répondrai que, si vous établissez en principe qu'on peut créer dans la société
des catégories et des distinctions, alors il me parait également difficile de
fixer des bornes à ce prétendu droit. Pourquoi, par exemple, s'il peut y avoir
une chambre haute qui soit, comme en Angleterre, composée de nobles et de
grands propriétaires, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir, comme dans le même
pays, un banc d'évêques qui est une représentation spéciale du clergé ?
pourquoi ne pourrait-on pas établir d'autres chambres chargées de représenter
spécialement telle ou telle classe de la nation ? où s'arrêteront ces
privilèges ?
Le
principe, messieurs, sur lequel vous voudriez fonder le système de deux
chambres est odieux, il est inadmissible. Ce principe tend à établir deux
castes dans la société, à diviser les intérêts, à établir des impôts plus
onéreux pour la basse classe que pour la classe moyenne ; tel que serait par
exemple une loi de mouture, ou mieux encore l'amodiation avec un maximum assez
modique pour ne pas devoir frapper dans une proportion équitable les grands
propriétaires. C'est ce principe qui tend à concentrer les trésors dans les
mains de quelques particuliers et à faire monter continuellement les richesses
vers les sommités sociales, où elles s'accumulent et s'entassent, à moins
qu'une main toute-puissante, en brisant les chaînes qui les attachent aux cœurs
de ceux qui les possèdent, ne les refoule dans le sein du peuple.
Sous
l'influence de cette charité puissante, l'accroissement des fortunes devient
moins dangereux ; je dirai même qu'il est sans inconvénient, puisque alors il y
a un contre-poids moral qui en neutralise les effets et en prévient les abus.
Mais si l'opulence veut venir au secours de l'indigence, c'est dans un cercle
moins élevé qu'elle doit s'exercer aujourd'hui, que dans le cercle politique;
c'est dans le cercle de la société domestique. Car pour accorder quelque
prérogative sociale à la propriété, cela est devenu dangereux, et contraire au
droit public moderne.
Et
qu'on ne dise pas, messieurs, que je n'entre si largement dans le système
démocratique que pour pouvoir mieux le renverser plus tard ; non, ce n'est pas
là mon idée. A Dieu ne plaise que je me rende coupable d'une telle réticence, d'une
telle hypocrisie ! Lorsque les grandes questions intellectuelles qui agitent le
monde seront résolues, et qu'on aura reconnu généralement que tout État doit
être basé sur les principes conservateurs qui ont été consacrés par tous les
siècles précédents, alors les formes populaires n'en continueront pas moins de
subsister, aussi longtemps que l'opinion leur prêtera sa force invincible ; et
le catholicisme, loin d'y être opposé, y est au contraire très favorable,
lorsqu'elles ne deviennent pas usurpatrices et despotiques. L'Église catholique
n'a-t-elle pas adopté autrefois les formes républicaines de Rome dans
l'institution de ses ministres ? Non, messieurs, la république même n:est pas
incompatible avec l'esprit du catholicisme. (U. B., suppl., 31 déc.)
M. de Roo – Je ne viens combattre, messieurs,
ni la chambre unique ni le système de deux chambres, mais seulement le système
émis par la section centrale. Certes, la question du sénat, qui nous occupe,
n'est pas sans importance pour la société ; c'est un pouvoir modérateur entre
le chef de l'État et la nation, que l'on veut établir. C'est un pouvoir créé
pour concilier le différend qui existe entre les deux parties. Si donc cette
institution conciliatrice émane directement du chef de l'État, tel que le veut
l'art. 1er des conclusions de la section centrale, il est probable qu'elle en
embrasse le parti ; si, au contraire, elle a sa création dans la nation, à
l'abri de l'influence du chef, elle le contrariera, et pourrait ainsi en faire
susciter les plus funestes conséquences pour la nation elle-même.
Il
s'agit donc, dans ce choc des partis, de créer un pouvoir intermédiaire qui,
par la forme de son institution, ne puisse balancer plus d'un côté que de
l'autre, et nous offre des garanties contre l'usurpation de chacun de ces
pouvoirs. Je le trouve, messieurs, dans l'élection directe de ses candidats par
le peuple, en nombre triple, hors desquels le chef choisira ceux qu'il croit
les plus aptes à remplir cette haute fonction, chacun exercera en ce sens un
pouvoir, et s'associera les membres de son choix. C'était aussi l'opinion de la
majorité des membres du congrès lors du comité général, (page 465) dont s'est étrangement déviée la section centrale, pour y
substituer son opinion particulière.
On
dira : La nation ne choisira que des candidats qu'elle se croit attachés ;
mais, messieurs, ne savons-nous pas que l'imitation doit de préférence venir de
la nation, que ce sont les intérêts de la nation que l'on doit prendre en
considération avant tout, et que cette institution n'est absolument qu'un
intermédiaire créé des gens de la nation elle-même ?
L'institution,
sans privilèges autres que ceux qui ressortent de son organisation même, n'est
pas moins redoutable. La place éminente qu'occupent ses membres les attache
plus particulièrement au chef de l'État : plus ils en sont rapprochés,
plus ils sont enclins à en recevoir des faveurs et partant à en être gagnés.
C'est dans son sein que seront souvent et presque toujours pris les hauts dignitaires
du pays, et quelque choix que l'on fasse, il sera toujours
aristocratique, par son institution même ; son élévation, ses conditions pour
en faire partie, le rendront aristocratique. C'est donc encore une faible
garantie que la nation réclame en proportion de la forme des probabilités d'une
préférence, gagnée par l'espoir des faveurs, et par conséquent une faible
barrière entre la prédomination de l'intérêt particulier sur l'intérêt du
peuple.
Une
autre chose, messieurs, qui bouleverse de fond en comble nos institutions
populaires et libérales, c'est que les intérêts de la minorité seront un
obstacle continuel contre les intérêts de la majorité ; quelle réforme, quelle
amélioration, quelle loi en faveur du peuple ne seront point entravées par cette
opposition d'une minorité privilégiée, si l'on ne met obstacle à ce veto que
l'on imprime d'avance sur tout ce qui peut donner des garanties si la nation ?
Oui, c'est une arme que l'on donne à la minorité contre la majorité, et ainsi
on compromet ses intérêts dès qu'ils en sont séparés. Pour ne pas paralyser et
entraver les autres branches du pouvoir législatif, que son veto soit
suspensif. Je ne le de trouve pas inutile, comme l'honorable membre qui m'a
précédé. Les raisons qu'on allègue contre cette proposition ne peuvent en aucun
cas balancer l'inconvénient et la grande imprudence qui en résulterait, de
laisser au sénat un veto absolu, qui pourrait mettre en péril les
intérêts de la nation, qui doivent être la première et suprême loi, lorsqu'elle
est en harmonie avec la justice. Ce n'est pas suspecter l'anti-nationalité de
la première chambre en fixant des bornes, dictées par la prudence, et conformes
à son institution qui, ne le perdons pas de vue, n'est qu'un pouvoir modérateur
entre le roi et la nation, et par conséquent peut en suspendre, mais pas en
détruire les actes.
En
constituant le sénat avec de tels éléments, que risquons-nous d'établir ce
pouvoir, lorsque, par sa constitution bien combinée, il ne peut résulter aucun
mal ? N'exerçant qu'un pouvoir conciliateur, il procure le maintien et la
stabilité de l'ordre social, et d'un autre côté contente beaucoup de monde à
petits frais, et par là maintient la tranquillité dans l'État et le consolide
par des bases formées de toutes les classes de la société, qui concourent ainsi
simultanément au maintien du grand œuvre de son indépendance.
Mais
songez-y, messieurs, nous avons voté la monarchie de préférence à la
république, parce qu'on nous a fait accroire que dans cette monarchie ne
rentreraient que les éléments les plus démocratiques possible, et maintenant
on voudrait déroger à ce principe en introduisant des institutions qui, par
leurs combinaisons, y sont diamétralement opposées, telles que l'article
premier des conclusions de la section centrale.
Les
partisans de cette section s'étaient rangés de l'avis des plus célèbres
publicistes ; mais les plus célèbres publicistes qui ont traité la question sur
un terrain tel que le nôtre, n'en veulent point à ce prix qu'on nous l'offre :
qu'on lise l'immortel mémoire du célèbre Bentham, couronné et voté par
acclamation par les cortès en Espagne, qui étouffa d'un seul trait mille voix
qui s'étaient élevées en faveur d'une chambre haute, qui fit rejaillir des
traits de lumière si perçants que tous adoptèrent son opinion. Là vous
trouverez dépeint au nu, par un publiciste anglais, les avantages et
désavantages de la chambre des lords, et après en avoir balancé le pour et le
contre, il n'hésite pas à conseiller de voter contre une chambre haute.
Pour
moi, sans m'inquiéter de l'opinion de Franklin et des deux gros volumes du
vice-président de l'Union de l'Amérique (John Adams), ni de l'autorité, tantôt
pour, tantôt contre, de M. Benjamin Constant, je désire tels temps, telles
mœurs, telles lois, et je voterai non contre le sénat, mais contre les éléments
tout aristocratiques que l'on veut faire entrer dans son institution, et ainsi
contre les conclusions de la section centrale. (U. B., Suppl., 31 déc.)
M. le président
– Il y a encore seize
orateurs inscrits ; il est dix heures et quart, voulez-vous continuer la
discussion ? (Murmures, rires.) Un dix-septième orateur vient de se
faire inscrire. Au milieu de ce brouhaha, je ne distingue rien. (C., 16
déc.)
(page 466) - Après plusieurs épreuves et
beaucoup de cris, l'assemblée décide que la discussion sera encore continuée
pendant une heure. (C., 16 déc.)
M. le président – La parole est à M. Constantin Rodenbach.
(J. F., 16 déc.)
M. Constantin Rodenbach – Messieurs, les considérations
lumineuses dans lesquelles viennent d'entrer les orateurs distingués qui m'ont
précédé à cette tribune, m'engagent à ne présenter que quelques aperçus
succincts, relatifs au problème important qui nous occupe. Notre honorable
collègue, M. le comte de Celles, ayant d'ailleurs résolu, avec un talent
remarquable, la question qui est soumise à nos délibérations, il me semble
qu'il est inutile de fatiguer l'attention de l'assemblée par une longue et
fastidieuse discussion. .
Une
première chambre élective est suivant moi, une véritable superfétation sociale
; l'hérédité me paraît devoir être la condition essentielle d'une chambre haute
; mais, dans ce cas, on a pour inconvénient l'établissement d'une caste
privilégiée qui n'est guère propre qu'à causer de l'irritation dans les
esprits. N'aimant pas les ordres dans un État, ni des distinctions humiliantes
pour une partie de la société, et ne voulant d'hérédité que pour le souverain,
je refuse mon assentiment à l'institution d'un sénat, quel qu'il soit.
Considérant
une première chambre élective comme n'étant, si je puis m'exprimer ainsi,
qu'une redondance vicieuse, superflue, qu'il importe d'éviter dans un corps
politique bien constitué, je déclare ne vouloir voter que pour une seule
chambre. (U. B., suppl., 16 déc.)
M. Thienpont – Messieurs, la matière en
discussion est tellement débattue, grand nombre d'orateurs ont fait ressortir
avec un si rare talent, selon leurs différentes opinions, les avantages ou les
inconvénients, la nécessité ou le danger de deux chambres, que je croirais
abuser de vos précieux moments si je ne me bornais à vous présenter très
brièvement les principales considérations qui motiveront mon vote. Je réclame
votre indulgence.
La
stabilité de l'édifice social, qui doit servir de base à notre indépendance,
est incontestablement le vœu et le plus ardent désir de la nation entière.
Aussi toutes nos méditations, tous nos efforts tendent à la lui assurer par des
institutions sagement combinées. Nous différons uniquement dans nos vues pour
atteindre ce but.
Par
suite de nos précédentes délibérations, nous avons à la presque unanimité été
convaincus qu'un chef héréditaire en serait nécessairement le plus puissant
appui. Mais cet appui, messieurs, ne peut être abandonné à ses propres forces
et à ses faiblesses ; il a besoin d'être retenu dans les uns et secouru dans
les autres ; il ne peut, à mon avis, se trouver continuellement en présence et
en contact immédiat avec le peuple, sans le plus imminent danger pour la
stabilité de tout l'édifice ; il me paraît, d'un autre côté, qu'un boulevard
contre les exigences exorbitantes de ce même peuple est de toute nécessité
pour la garantie de cette stabilité.
Et en
effet, à quelque distance qu'un souverain soit par sa dignité placé au-dessus
de ses sujets, il est homme comme eux, leurs âmes sont pour ainsi dire, jetées
au même moule ; ils sont tous sujets aux mêmes préjugés, tous accessibles aux
mêmes passions. Bien plus, le poste même qu'occupent les souverains les expose
à des tentations d'extension et d'envahissement, inconnues aux particuliers ;
la plupart, par cela même qu'ils sont plus élevés en dignité, n'ont ni assez de
vertu ni assez de courage, pour modérer leurs passions. Le chef que la nation
se choisira par notre organe n'en sera peut-être pas plus exempt que tout autre.
On peut donc concevoir la crainte qu'il n'ait également cette tendance innée d'étendre
son autorité.
Le
peuple, de son côté, naturellement méfiant du pouvoir, jaloux, ombrageux même
de la conservation de ses libertés et de ses droits ; dans une anxiété
perpétuelle d'y voir apporter la plus légère atteinte ; en vue de prévenir jusqu'à
la possibilité de la moindre usurpation de la part du prince, sera, par cela
même, enclin à en restreindre et. comprimer les pouvoirs, à paralyser son
autorité, pour se créer, s'il était possible, plus de garanties. Ce choc
continuel de passions et d'intérêts produira tôt ou tard une explosion funeste
à l'un et à l'autre pouvoir.
Pour
éviter, messieurs, cette lutte continuelle et ses désastreuses conséquences, il
me paraît indispensable de créer un corps intermédiaire entre le peuple et le
chef de l'État, qui serve d'équilibre et de contre-poids contre l'abus du
pouvoir et les excès de la démocratie ; un corps modérateur, chargé par essence
du dépôt sacré de la liberté publique, et qui, par cela même que, nécessairement
choisi parmi les citoyens les plus favorisés par la fortune, et ayant par
conséquent beaucoup à conserver, aura constamment les yeux ouverts sur les
motions de l'un et de l'autre pouvoir, contre lequel viendra se briser toute
tentative d'usurpation de la part du prince, comme tout débordement de la
part du peuple.
(page 467) Quelques-uns des honorables
préopinants ont pensé que ces débordements et empiétements de la part de la
nation sur les pouvoirs du chef de l'État ne sont qu'un fantôme ; ils en ont
cité comme preuve la composition actuelle du congrès. Mais, messieurs, le
congrès ne devait avoir aucune autre autorité en face ou devant lui ; il devait
réunir l'omnipotence des pouvoirs, tandis qu'au moment même où le chef de
l'État sera proclamé, un second pouvoir existera ; dès lors surgira
indubitablement une opposition, modérée d'abord, mais qui, n'étant point
contenue, dépassera insensiblement, et sans s'en apercevoir, les bornes d'une
sage critique. Ses plus chauds membres, par cela même qu'ils paraîtront
uniquement avoir à cœur les droits et les intérêts du peuple, seront portés à
la chambre élective. Là, soit par principe, soit par jalousie de conserver
leur popularité, ils passeront de la critique à une attaque ouverte, et
mineront, involontairement peut-être, les fondements mêmes de ce trône que vous
aurez abandonné à ses propres forces, que vous aurez, comme s'exprime un
publiciste moderne, placé comme un pic dans une plaine rase ; il ne tardera
guère à s'écrouler, et écrasera dans sa chute tout l'édifice. Et qui l'en empêcherait,
puisque les moyens et le remède seront exclusivement confiés entre les mains de
ceux qui auront eux-mêmes causé le mal ?
Je ne
puis également admettre, messieurs, que nous devions, pour atteindre notre but,
bâtir tout à neuf. N'ayons pas la présomption de nous imaginer, comme s'exprime
un célèbre publiciste, que notre pays n'est plus qu'une carte blanche, sur
laquelle nous pouvons griffonner à plaisir. Un homme qu'une bienveillance toute
spéculative inspire chaudement peut désirer que la société dans laquelle il est
né soit autrement constituée qu’il ne l'a trouvée ; mais le vrai politique
considère toujours quel est le meilleur parti que l'on puisse tirer des
matériaux existants. Penchant à conserver, talent d'améliorer, voilà sa devise,
voilà, ce me semble, celle qui devrait nous guider.
N'ayons
pas la témérité, messieurs, de faire une épreuve â laquelle aucun peu ple ne
s'est encore hasardé.
Je
voterai en conséquence pour deux chambres. (J. F., suppl., 20 déc.)
M. Leclercq est absent.
M. Forgeur renonce à la parole. (U. B., suppl.
16 déc.)
M. le baron d’Huart – Messieurs, m'étant montré partisan de deux chambres
à la section centrale dont j'étais membre, je me crois actuellement obligé de
motiver mon vote qui sera en faveur d'une chambre unique.
Je ne
développerai pas tous les motifs du changement de mon opinion; ce changement
résulte de la conviction que j'ai acquise, par vos lumineuses discussions, de
la supériorité du système d'une seule chambre.
Lorsque
je désirais l'institution d'un sénat, j'avais en vue la stabilité de notre
édifice politique ; ce même sentiment existe toujours en moi ; mais ce que je
redoutais de la précipitation et de l'effervescence d'une chambre unique s'est
évanoui devant l'exemple frappant de cette assemblée, qui, née dans un moment
de révolution et lorsque les passions étaient déchaînées, n'est mue que par
l'esprit du bien et de l'ordre. D'ailleurs la précipitation peut, comme l'ont
démontré plusieurs orateurs, être prévenue par le mode à introduire pour la
discussion des lois.
Je ne
crains pas, ainsi que l'honorable M. Van Meenen, la collusion de la chambre
unique avec le chef de l'État ; je la regarde comme impossible, si je considère
que le renouvellement partiel et périodique de cette chambre aura lieu à des
intervalles rapprochés, et que la presse libre et vigilante ne manquera pas
de signaler aux électeurs le député soupçonné d'avoir manqué à son devoir.
Une
bonne loi électorale, messieurs, nous assurera la bonne composition d'une
chambre unique qui représentera tous les intérêts de la nation ; un sénat, de
quelque manière qu'on le forme, sera toujours une spécialité, et je vous
l'avoue, messieurs, l'idée d'une distinction de classes de citoyens me
répugne.
Regardant
le sénat comme,un rouage au moins inutile, mais parfois dangereux aux libertés
publiques ; le considérant susceptible de se liguer avec le pouvoir exécutif,
envahisseur de sa nature, je le repousse et je voterai pour la chambre
unique. (U. B.. suppl, 16 déc.)
M. Liedts renonce à la parole. (U. B., suppl. 16 déc.)
M le baron de Pélichy van Huerne pense que deux chambres sont
indispensables pour éviter la précipitation, la fougue d'une seule chambre
émanée d'éléments populaires. Il y a un grand intérêt pour la nation de voir la
grande propriété représentée, c'est la seule modération que l'on puisse
admettre. L'orateur vote pour deux chambres. (E., 17 déc.)
M. Devaux – Je ne me proposais pas de prendre la
parole dans la discussion générale ; cependant, je crois devoir vous rappeler
qu'il est un des côtés de la question qui n'a point été examiné (page 468) par les honorables orateurs
qui m'ont précédé.
Avec
une seule chambre, ce n'est pas la démocratie seule qui me paraît à craindre,
c'est l'aristocratie ; partout où on n'a pas marqué sa place, elle a usurpé
sur elle des autres et elle a usurpé une place beaucoup plus grande que celle
qu'il eût été raisonnable de lui faire.
On a
dit que nous n'avions pas d'aristocratie; un membre s'est écrié : Je cherche
l'aristocratie en Belgique et je ne la trouve pas. Eh bien! moi, messieurs, je
ne l'ai pas cherchée et je l'ai trouvée. (On rit.) En. effet, si nous
nous reportons vers l'ancien régime, si nous nous rappelons nos élections
provinciales, et surtout celles des campagnes, nous verrons que l'aristocratie
des grands propriétaires y exerçait une immense influence ; c'est un fait
incontestable et facile à vérifier par chacun de nous.
On a
dit encore que c'était à tort que nous citions comme autorité l'exemple de
Quant
à moi, je ne crois pas que ce soit autre chose, et que ce qui est sage en
France soit déraisonnable en Belgique ; je ne veux pas répéter comme ce
personnage du drame : Mais moi , c'est autre chose. Je crois
qu'il y a une aristocratie chez nos voisins, il y en a une aussi chez nous, et
je pense qu'il est convenable de marquer sa place dans notre constitution, de
peur qu'elle ne prenne elle-même son rang.
Regardez
le congrès, ont dit quelques orateurs qui voulaient nous rassurer contre la
fougue d'une seule chambre, regardez le congrès, il n'est certes pas turbulent
; admirez son calme, sa sagesse, sa fermeté. Ces compliments que nous nous
adressons à nous-mêmes ne me paraissent pas prouver grand'chose. D'abord,
messieurs, y a-t-il déjà si longtemps que nous sommes constitués pour mériter
tous ces éloges ? Avons-nous passé par des circonstances tellement propres à
émouvoir les passions que nous soyons bien sûrs de notre impassibilité ? Si
nous avions en face de nous un pouvoir fort, en état de nous résister et de
faire valoir ses droits, nous aurions peut-être raison de vanter notre sagesse
; mais le pouvoir exécutif d'aujourd'hui, nous l'avons créé d'un souffle, et,
d'un souffle peut-être nous pourrions le renverser. Regardez le congrès,
dirai-je à mon tour ; n'y a-t-il pas d'aristocratie les grands propriétaires
n'y occupent-ils pas une place ? S'ils ont été élus eu grand nombre, même au
milieu du mouvement démocratique qui vient de s'opérer, que sera-ce lorsque le
calme sera revenu ? Leur influence est telle qu'aujourd'hui, si l'assemblée
n'avait été composée que de cent membres, ils seraient presque seuls sur ces
bancs ; songez que ceux d'entre nous qui sont arrivés ici sans appartenir à
cette classe y ont été appelés ou sous le patronage de quelques-uns d'entre eux
ou comme suppléants, parce que ces élections ont été faites avec moins de soin
que les autres. (Murmures.) Comme je suis moi-même ici en qualité de
suppléant, il m'est permis, je crois, d'avancer cette vérité.
Si vous créez une assemblée unique, ou elle
sera emportée par la démocratie hors des bornes que lui assignera la
constitution, ou elle deviendra à la longue aristocratique ; si vous voulez
avoir une chambre démocratique sans inconvénients, votez pour le sénat.
Ce
n'est pas la première fois, du reste, que l'on a voulu essayer d'une chambre
unique : où cela a-t-il réussi ? Nulle part. Et l'on veut nous engager à faire
l'essai d'un système de gouvernement qui s'est écroulé partout où l'on a essayé
de l'introduire ! Je me refuse, quant à moi, à ce périlleux essai. Dans les
républiques italiennes du moyeu âge, on était tellement jaloux de la liberté,
qu'on excluait les nobles, non seulement des assemblées, mais encore de tout
pouvoir dans l'État. Qu'est-il arrivé de ces sages restrictions ? Toutes ces
républiques, sans exception, ont été asservies par l'aristocratie : les unes,
par l'aristocratie nobiliaire, les autres par l'aristocratie marchande.
Si
nous assignons une place aux grands propriétaires, ils y resteront, et s'ils
se présentent pour entrer dans la chambre élective, on sera en droit de leur
dire : Ce n'est pas ici votre place, c'est à côté. Aujourd'hui s'ils se
présentaient, leur influence les rendrait maîtres de l'assemblée, et leur
puissance serait sans contre-poids.
On a
cité en faveur d'une chambre unique une autorité imposante ; j'en citerai une à
mon tour bien imposante aussi. Rassurez-vous, messieurs, elle n'est pas
imprimée, c'est celle que j'ai déjà citée dans mon premier rapport, celle de
Lafayette ; elle n'a pas été émise à propos de
Le
projet de constitution de quatre députés imprimé dans les journaux, a dit
Lafayette, en parlant du projet de MM. Forgeur, etc., a excité beaucoup de
crainte parmi nous. Nous y avons vu un veto suspensif, une chambre
unique; dites bien à vos compatriotes qu'ils évitent un pareil malheur ; nous
avons commis celte faute; que notre exemple leur serve. Avec une seule chambre,
vous tomberez ou dans l'aristocratie ou dans la démocratie, et je ne réponds
plus du sort de la monarchie belge ni de la tranquillité intérieure de votre
pays.
Avec
Lafayette j'ai voté contre la république, avec lui je voterai pour le sénat.
(U. B., suppl., 16 déc.)
M. de Robaulx
est absent. (J. F., 17
déc.)
M. Le Grelle – La question importante qui nous
occupe depuis dix jours a été traitée trop lumineusement pour que je puisse,
sans abuser de votre patience, rentrer dans le fond de la discussion. Mon
opinion se conciliant d'ailleurs avec celle que M. de Mérode et d'autres
orateurs ont développée à celte tribune, je voterai dans le sens de ces
honorables députés pour l'institution d'un sénat.
Si je
réclame un instant votre attention, messieurs, ce n'est que pour relever des
expressions peu exactes échappées sans doute dans le feu de l'improvisation,
mais que la presse pourra reproduire de manière à faire interpréter les sentiments
de leurs auteurs en faveur de la détestable doctrine du régicide : j'ai entendu
proférer avec peine une sorte de justification des jugements iniques et
déplorables qui ont précipité les malheureux Louis XVI et Charles Ier de leurs
trônes pour monter à l'échafaud ; je ne pense pas que ces sentiments
anarchiques siégent dans le cœur de ceux à qui l'on pourrait les imputer, mais
comme le silence en cette occasion serait peut-être regardé comme un
assentiment tacite, je crois devoir protester formellement en mon nom et en
celui de plusieurs de mes honorables collègues contre une doctrine que je
regarde comme subversive de l'ordre social. Oui, messieurs, il faut que toutes
les nations qui nous écoutent sachent que l'apologie du régicide est loin de
nous, et que le supplice des malheureux rois de France et d'Angleterre, immolés
à la fureur des passions de leurs époques, ne sera jamais à nos yeux qu'un
assassinat juridique. (E., 11 déc.)
M. Forgeur, qui avait renoncé à la parole, demande s'il lui sera
permis de reprendre son tour de rôle, si la discussion est continuée. (E., 17
déc.)
Des
voix – Cela
n'est pas douteux. (E. 17 déc.)
- La
séance est levée à onze heures.