Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 16 janvier 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétitions relatives au projet d’une société d’exportation linière,
industrie lainière (Lys, Desmet) et
à une demande en grande naturalisation (Eloy de Burdinne)
2) Projet de loi portant le
budget du département de la justice pour l’exercice 1847.
a) Incident sur la décision
prise de clore la discussion générale (+règlement de la chambre) et décision de
rouvrir cette discussion générale (Van Cutsem, Delfosse, Pirson, Dubus
(aîné), Verhaegen, Fleussu,
d’Anethan, Delfosse, de Theux, Dubus (aîné), Pirson, Delfosse, Rodenbach, Dubus (aîné), de Garcia, Lebeau, d’Anethan, Dubus (aîné))
b) Critique du parcours politique
de ministre de la justice, nominations partisanes de notaires ou de juges de
paix, influence occulte du clergé, offenses à la personne royale et délits de
presse (Pirson, (+affaire Retsin) d’Anethan),
nominations partisanes d’un greffier de juge de paix (Verhaegen,
Dubus (aîné), Brabant, Dumortier)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 503) M. Huveners fait l’appel
nominal à 1 heure.
M.
de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur P.-F. Neysten, facteur dans
l'administration des chemins de fer, à Namur, né à Helmond (Pays-Bas), demande la
naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de
la justice.
________________
« Le sieur F.-N. Etienne,
soldat au 1er régiment de cuirassiers, né à Fléron, demande à recouvrer la
qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger,
sans l'autorisation du gouvernement. »
- Même renvoi.
« La chambre de commerce et des fabriques de
Verviers demande que la société d'exportation étende ses opérations à tous les
produits du pays. »
M. Lys. - Une pétition de la même nature que
celle qui vient d'être analysée vous a été adressée par la chambre de commerce
de Bruxelles, et vous l'avez renvoyée à la commission d'industrie ; mais alors
la loi n'était pas présentée ; maintenant que la loi est présentée, je pense
qu'il y a lieu de renvoyer la pétition à la section centrale chargée d'examiner
le projet de loi auquel elle se rapporte.
M. Desmet. - J'appuie fortement le renvoi
proposé par l'honorable préopinant ; cependant comme les sections ne se sont
pas encore occupées du projet de loi auquel se rapporte la pétition dont il
s'agit, j'en proposerai l'insertion au Moniteur afin que chacun puisse
apprécier ce qu'elle contient.
- Cette double
proposition est adoptée.
________________
« Plusieurs fonctionnaires et cultivateurs,
dans le canton de Lennick-St-Quentin, prient la chambre de s'occuper, pendant
la session actuelle, des projets de loi sur l'enseignement agricole, sur
l'exercice de la médecine vétérinaire et sur l'organisation de l'école
vétérinaire de l'Etat. »
- Renvoi aux sections
centrales chargées d'examiner ces projets.
________________
« Le sieur Raikem, contrôleur de l'atelier
général et du timbre extraordinaire, demande la place de greffier de la cour des
comptes. »
- Dépôt au bureau des
renseignements.
« Le sieur Grégoire Gauchin, capitaine au
régiment d'élite, prie la chambre de statuer sur sa demande en grande
naturalisation.
M.
Eloy de Burdinne. - Le rapport sur la demande du capitaine Grégoire Gauchin est fait : cet
officier désirerait connaître le sort de sa réclamation. Je viens appuyer sa
pétition, c'est-à-dire engager la chambre à statuer dans le délai le plus
rapproché ; c'est un parfait honnête homme qui se croyait Belge et qui n'a
négligé de remplir les formalités exigées par la loi pour le cas où il se
trouve, que parce qu'il ne les connaissait pas.
M. le président. - La chambre étant saisie d'un
rapport, cette pétition peut être déposée au bureau des renseignements.
J'engagerai les personnes qui s'intéressent au capitaine Gauchin à demander, à
l'occasion, la mise à l'ordre du jour du rapport sur sa demande en
naturalisation.
- Dépôt au bureau des
renseignements.
________________
« Le conseil communal de Beverloo demande la
construction de la route de Beeringen à Beverloo, de celle de la section du
canal de la Campine depuis la Pierre-Bleue jusqu'à Hasselt, afin de procurer du
travail à la classe nécessiteuse. »
- Renvoi à la section
centrale du budget des travaux publics.
________________
M. de Meer de Moorsel
informe la chambre qu'une indisposition l'empêche de se rendre aux séances et
demande un congé de quelques jours.
- Ce congé est accordé.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE
1847
Clôture de la discussion générale
M. Van Cutsem. - Il faut voter sur la clôture, nous l'avons demandée hier.
M. Delfosse. - Vous n'étiez plus en nombre.
Un membre. - Il suffît que dix membres
demandent la clôture.
M. le président. - Il n'y avait plus de chambre quand
la clôture a été demandée hier ; si maintenant dix membres se lèvent pour
demander la clôture, je la mettrai aux voix.
- Dix membres se lèvent
pour demander la clôture.
M. Pirson. - Je demande la parole contre la
clôture.
Messieurs, j'avais
quelques observations à présenter ; d'ordinaire je n'abuse pas des moments de
la chambre ; je la prie de m'accorder aujourd'hui la bienveillance qu'elle m'a
montrée plusieurs fois en me permettant de prendre la parole.
DISCUSSION DES ARTICLES
Chapitre premier. - Administration centrale
Article
premier
« Art. 1er. Traitement
du ministre : fr. 21,000. »
M. Pirson. - Messieurs, puisqu'on ne m'a pas
permis de parler dans la discussion générale, je reproduirai, à l'occasion du
chapitre premier, les observations que je voulais présenter, car elles
s'appliquent directement à l'honorable ministre de la justice. Mon intention
étant de voter contre son budget, j'annonce dès maintenant que je voterai
également contre le chiffre de son traitement, pour les motifs que je vais
développer.
Messieurs, en présence
des révélations si accablantes pour le ministre qui se sont produites depuis
l'ouverture de ce débat, et qui pour la plupart, je ne crains pas de
l'affirmer, n'ont pas été détruites par ses explications, après avoir scruté ma
conscience, je me suis dit que je ne pouvais continuer mon concours à ce
ministre, et dès lors il m'a paru qu'il était convenable de motiver mon vote.
Je me serais contenté
d'émettre un vote muet, si je ne considérais comme un devoir pour un député
gouvernemental qui, jamais jusque-là, n'a refusé à aucuns ministres, même ses
adversaires politiques, les fonds nécessaires à la marche du gouvernement, de
faire connaître à la chambre et au pays les motifs de la résolution extrême
qu'il croit devoir prendre.
Cette tâche, je la remplirai
; ceux qui m'ont honoré de mon mandat m'ayant envoyé ici pour dire ce que je
crois être la vérité, c'est un devoir devant lequel je ne reculerai pas,
quelque pénible qu'il puisse être. Et d'abord je m'empresse de le déclarer, en
votant contre le traitement du ministre et contre le budget de la justice, je
ne suis mû par aucun sentiment hostile envers l'ordre judiciaire. Non,
messieurs, bien loin de là. Je me plais, au contraire, à rendre hommage à la
considération méritée dont jouit notre magistrature, sauvegarde si éclairée de
nos droits et de nos institutions, de l'intérêt de l'Etat et de l'intérêt du
citoyen. Je ne crois pas qu'aucun corps en Belgique remplisse mieux sa mission,
avec plus de conscience et d'honneur ; je ne saurais trop louer ses lumières et
son indépendance.
Si je
vote contre le traitement du ministre et contre le budget de la justice, ce
n'est pas non plus que je veuille refuser aux différents cultes et aux
établissements de bienfaisance les subsides dont ils ont besoin. Non, messieurs,
les subsides nécessaires à l’existence du clergé, ceux qui ont pour but de
soutenir les établissements de bienfaisance, les ateliers de travail et les
autres institutions établies en faveur des classes ouvrières et indigentes,
d'améliorer le sort des enfants trouvés, de moraliser les détenus, tous ces
subsides ont mes plus vives sympathies. C'est ailleurs qu'il faut chercher la
cause qui me décide à voter contre le traitement du ministre et contre le
budget de la justice ; cette cause, c'est que je considère comme dangereux pour
le trône et le pays la manière d'administrer de l'honorable titulaire actuel du
département de la justice, et l'affligeant spectacle que la discussion des
actes de son administration offre au public et à cette chambre.
M. Dubus (aîné). - Je demande la parole pour un
rappel au règlement.
Il me paraît évident,
messieurs, que la discussion que l'on renouvelle ici, est contraire au
règlement. Sans cela, il sera vrai de dire que la discussion générale peut être
renouvelée à propos de chaque article du budget ; car toujours on pourra dire :
Je ne veux pas accorder de fonds au ministre ; je ne veux pas lui en accorder,
parce qu'il n'a pas ma confiance ; et on développera tous les motifs qui auront
déjà été développés dans la discussion générale.
Pourquoi y a-t-il une
discussion générale ? C'est précisément pour qu'on fasse valoir alors les
motifs généraux qui peuvent déterminer à rejeter ensuite l'ensemble du budget.
Si cette discussion peut
s'établir ensuite sur chacun des articles du budget, évidemment la discussion
générale préalable est un hors-d'œuvre ; évidemment encore, la discussion des
articles dégénérera en une confusion perpétuelle.
Pourquoi a-t-on établi,
indépendamment de la discussion générale, une discussion des articles ? Mais
c'est afin qu'une fois venu à la discussion des articles, on ne s'occupe que du
fond même du budget, que de la spécialité qui se rapporte à chaque article.
Il
y a plus ; c'est que comme il y a certains chapitres qui peuvent donner lieu à
une discussion moins générale que celle qui s'établit d'abord, à une discussion
un peu plus spéciale, mais cependant moins spéciale que celle qui a lieu sur
chaque article, on a admis qu'il peut s'établir une discussion générale sur
chaque chapitre. Mais, celle-ci, vous en conviendrez, a un autre caractère que
la première discussion, que celle dont je viens de parler, et qu'on voudrait
rouvrir non pas même sur un chapitre, mais sur un seul article.
(page 504) Je ne
crois pas, messieurs, que cela soit conforme aux précédents de la chambre. Car
ce que l'on veut est, je le crois, sans exemple.
Je demande donc que la discussion
soit restreinte à celle de l'article en discussion et qu'on ne rentre plus dans
la discussion générale de l'ensemble des actes du ministre.
M. Verhaegen. - Je ne pense pas, messieurs, que ce
soit sérieusement que, par un rappel au règlement, on veuille empêcher
l'honorable M. Pirson de motiver son vote notamment quant à l'article premier
du budget se trouvant sous le chapitre : Administration générale.
II y avait déjà quelque
chose d'assez extraordinaire dans la clôture prononcée alors que l'honorable M.
Pirson, qui n'abuse jamais de la parole, demandait à pouvoir, dans la
discussion générale, faire connaître son opinion sur l'administration de M.
d'Anethan, alors qu'il annonçait l'intention de voter contre le budget ; je
comprends fort bien que lorsqu'un député comme l'honorable M. Pirson, chez
lequel on reconnaîtra sans doute des principes gouvernementaux et qui ne se
laisse entraîner que par des circonstances majeures, prend le parti qu'il a
annoncé, je comprends fort bien que, sur d'autres bancs que les nôtres, on
cherche des moyens pour empêcher ce député de parler ; mais ce n'est là qu'une
misérable tactique !
La clôture a été
prononcée sur la discussion générale, c'est un fait accompli ; je n'en fais pas
un reproche à la majorité, elle a usé de son droit. Mais il a été bien entendu,
comme il a toujours été entendu dans des circonstances identiques que, sur
chacun des articles, on pourrait faire valoir les considérations que l'on
jugerait à propos à l'effet de motiver son vote.
Que vous a dit
l'honorable M. Pirson ? Il n'y a qu'un instant, il vous a dit : Vous ne
l'avez sans doute pas oublié, il vous a dit qu'il avait les plus profondes
sympathies, le plus grand respect pour la magistrature, il a ajouté que les
cultes et les établissements de bienfaisance étaient loin de faire l'objet de
ses attaques.
Il n'attaque qu'une
chose, c'est l'administration du ministre de la justice, et par suite il
attaque le ministre lui-même, et quel moyen plus logique se rencontre-t-il d'attaquer
un ministre que de voter contre son traitement ?
L'article en discussion
est celui-ci : « Traitement du ministre : fr. 21,000 fr. »
L'honorable M. Pirson vous dit : « Je ne veux pas voter cet article, parce que
le ministre n'a pas ma confiance, et je vais vous dire pourquoi il n'a pas ma
confiance.» A moins que l'honorable M. Dubus ne prétende qu'il n'est plus
permis de contester le traitement du ministre et que la chambre soit
perpétuellement obligée d'enregistrer cet article au budget, il doit reconnaître
que chaque membre de la chambre a le droit de voter contre cet article et de
dire les motifs de son vote.
L'article
40 du règlement porte :
« La discussion générale
portera sur le principe et sur l'ensemble de la proposition ; outre la discussion
générale et la discussion des articles, la chambre pourra ordonner une
discussion sur l'ensemble de chacune de divisions d'une proposition. »
La discussion générale
est close ; il ne nous est plus permis de parler sur l'ensemble du budget, j'en
conviens : mais sur chacun de ses articles il nous est permis de faire toutes
les observations que nous jugeons à propos. Ici il s'agit du traitement du
ministre que l'honorable M. Pirson veut refuser. Peut-il en dire les motifs ?
Evidemment oui.
Poser la question, c'est
la résoudre.
Je ne ferai pas aux
lumières de la chambre l'injure de prolonger une discussion que je considère
comme oiseuse.
M. Fleussu. - Les observations qui viennent
d'être développée, par l’honorable préopinant rendront ma tâche extrêmement
facile, il est évident qu'on a le droit de contester le traitement du ministre
: sans cela, il serait inutile de le faire figurer au budget. Si l'on peut
contester le traitement, Il est évident que l'on peut déduire les motifs pour
lesquels on voudrait que la chambre rejetât le traitement de l'honorable M.
d'Anethan.
Le système de l'honorable
M. Dubus est assez singulier. Il vous dit : Les observations que veut faire M.
Pirson auraient dû être présentées dans la discussion générale. Or, M. Pirson
était inscrit ; il s'était levé pour parler dans la discussion générale,
lorsque la majorité lui a fermé la bouche. D'autres membres aussi, qui n'ont pu
obtenir la parole, sont disposés à voter contre le budget du ministère de la
justice ; les voilà réduits à l'impossibilité de manifester leur opinion.
Veuillez remarquer,
messieurs, qu'il s'agit ici d'un chiffre tout spécial à M. le ministre de la
justice. C'est un pivot sur lequel roule tout le budget lui-même. Par
conséquent, on peut faire valoir contre cette allocation tous les griefs qui
concernent M. le ministre de la justice lui-même, à quelque partie de son
administration que s'adressent les reproches.
Il y a, j'en conviens,
une grande différence entre la discussion générale et la discussion d'un
article spécial. Si, par exemple, à l'article Culte, on venait parler de
l'ordre judiciaire, je comprendrais la demande de rappel au règlement. Mais il
ne peut en être ainsi pour l'article premier. Cet article concerne spécialement
le ministre. C'est le ministre, c'est sa personne qu'on attaque. Il faut bien
que l'on dise pourquoi.
Par
exemple, moi qui ai voté pour tous les budgets, je me sentais encore disposé à
voter pour le budget de la justice. Mais je me suis demandé si je pouvais, moi
magistrat, voter pour ce budget, après que j'avais entendu M. le ministre de la
justice renouveler ses singulières doctrines en matière d'autorité de la chose
jugée, et parler de l'ordre judiciaire avec une incroyable légèreté.
On a fermé la discussion
générale d'une manière plus ou moins brutale ; car tant qu'il y a des orateurs
inscrits on ne clôt pas la discussion générale. Après cela il y aurait
déloyauté à fermer la bouche à un honorable membre qui, d'ailleurs, est dans la
question, puisque, à propos du traitement du ministre, il veut articuler ses
griefs à charge de ce ministre.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Tout ce que vous venez d'entendre prouve une chose, c'est
que la minorité ne veut pas se soumettre à la décision de la majorité. C'est ce
que prouve jusqu'à l'évidence ce que viennent de dire les honorables MM.
Verhaegen et Fleussu ; car il est évident que le but de l'opposition est de
recommencer la discussion générale à propos de l'article premier.
Quant à moi, je ne recule
en aucune façon devant la réouverture de la discussion. Pour mon compte, je ne
demande pas mieux que la discussion continue.
Mais
si la décision de clôture est maintenue, je dis qu'à l'occasion de l'article
relatif au traitement du ministre, on ne peut pas rouvrir la discussion
générale, et ce serait la rouvrir que de passer en revue toute l'administration
du ministre et l'attaquer à raison de tous ses actes. Si l'honorable M. Pirson
ne peut être maintenant admis à articuler tous les griefs qu'il a contre moi,
il aura l'occasion de le faire dans la série des articles ; car l'honorable M.
Pirson, pas plus qu'aucun autre membre de la chambre, n'a le droit de diriger
contre moi des attaques qui ne se rapporteraient pas à des actes de mon
administration. Ainsi quand nous arriverons aux articles concernant les
prisons, les cultes, etc., l'honorable M. Pirson aura l'occasion de développer
ses griefs.
Personnellement, je le
répète, je n'ai aucunement l'intention de m'opposer à ce que l'honorable M.
Pirson, rentrant dans la discussion générale, développe des griefs auxquels il
me sera, j'en ai la conviction, aussi facile de répondre qu'à tous ceux qui ont
été précédemment allégués.
M. Delfosse. - M. le ministre de la justice vient
de tenir un langage vraiment étrange. Il ne veut pas, dit-il, empêcher la
discussion de continuer ; il désire même qu'elle continue ; et, tout en parlant
ainsi,, il fait tous ses efforts pour qu'elle ne continue pas ! M. le ministre
de la justice n'est pas heureux dans les reproches qu'il adresse à
l'opposition. Il serait à désirer pour lui que les reproches que l'opposition
lui adresse ne fussent pas plus fondés. A entendre M. le ministre de la
justice, l'opposition voudrait recommencer la discussion générale. Ce serait
une tactique convenue. Je déclare que je n'avais nulle connaissance de cette
tactique, et que je ne me proposais pas de prendre la parole sur l'article
premier.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je n'ai pas dit vous !
M. Delfosse. - Vous avez parlé de l'opposition ;
j'en fais partie, je pense.
Si le langage tenu par M.
le ministre de la justice est étrange, la proposition d'un rappel au règlement,
faite par l'honorable M. Dubus, ne l'est pas moins. A la place de M. le
ministre de la justice, j'aurais considéré cette proposition comme une offense,
et je me serais levé pour demander que la parole fût maintenue à l'honorable M.
Pirson. Ne voyez-vous pas qu'en fermant la bouche à cet honorable collègue,
sous prétexte d'un rappel au règlement, vous autorisez le public à croire que
les révélations parties de la tribune vous importunent ? Gardez-vous,
messieurs, dans votre propre intérêt, de bâillonner les orateurs de
l'opposition.
L'honorable M. Dubus,
moins que tout autre, aurait dû prendre la parole pour un rappel au règlement.
Je me souviens que, lors de l'examen de la loi communale, l'honorable M. Dubus
et ses amis ont été les premiers à produire, dans la discussion des articles,
des observations qui auraient dû trouver place dans la discussion générale. Si
l'honorable M. Dubus avait raison aujourd'hui, il aurait donc fallu alors lui
fermer la bouche à l'aide d'un rappel au règlement.
Le règlement est très clair
; la discussion générale est close, nous n'avons pas le droit de la rouvrir ;
mais ce n'est pas parce que le discours de l'honorable M. Pirson devait être
prononcé dans la discussion générale, qu'il ne pourrait pas trouver place dans
la discussion des articles. Permettez-moi de citer un exemple : L'honorable M.
Loos a prononcé hier un excellent discours sur les prisons ; il a jugé à
propos, il était dans son droit, de le prononcer dans la discussion générale ;
mais si la clôture l'avait empêché de parler, pourriez-vous lui dire, lorsque
nous arriverons à l'article Prisons : « Votre discours était préparé pour la
discussion générale, nous ne voulons plus vous entendre. »
Nous
avons à statuer en ce moment sur le traitement du ministre de la justice.
L'honorable M. Pirson, comme tout autre membre de la chambre, a le droit
d'exprimer son opinion sur le compte du ministre ; il a le droit de dire que le
ministre n'a pas sa confiance ; il a le droit d'expliquer les motifs du vote
qu'il se propose d'émettre ; comment voulez-vous qu'il les explique, si vous
adoptez la proposition de l'honorable M. Dubus ? L'honorable membre vous
propose de faire violence à la minorité, de la réduire à émettre un vote muet.
Ne le suivez pas, messieurs, dans cette voie.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, mon honorable collègue, M. le ministre de la
justice, a répondu d'une manière victorieuse à tous les griefs qui ont été
articulés de la part de quelques orateurs de l'opposition, qu'il n'a aucun
motif de craindre la prolongation de cette discussion ; aussi, lorsque la
clôture a été mise aux voix, s'est-il (page
505) abstenu de prendre part au vote. C'est la meilleure preuve qu'il
serait encore à même de répondre à d'autres griefs qu'on serait dans le cas de
vouloir articuler à charge de son administration.
Mais nous n'avons pas ici
à discuter la position personnelle de tel membre de l'opposition qui désire
rouvrir un débat dont la clôture a été prononcée, ou la position personnelle de
M. le ministre de la justice. Il est sans exemple que deux discussions aient eu
lieu, l’une sur l’ensemble du budget, l'autre sur le traitement même du
ministre. En effet, que voudrait-on dire d'autre, sur l'article du traitement,
au point de vue politique, que ce qu'on a eu occasion de dire dans la
discussion générale ?
Soutenir la thèse qu'ont
défendue les précédents orateurs, c’est déclarer qu'il n'y aura plus de terme à
vos débats ; que la chambre est désormais en quelque sorte dans l'impuissance
de faire des travaux utiles pour le pays...
J'ai
le droit de tenir ce langage. Lorsque la discussion générale a été suffisamment
prolongée, au sens de la chambre, elle en prononce la clôture, et l'on ne peut,
sous aucun prétexte, rouvrir cette même discussion. Ainsi qu'on l'a fait
observer, si des griefs spéciaux, relatifs à tel ou tel article du budget du
ministère de la justice, n'ont pas encore été articulés, ceux des membres de la
chambre qui ont à en faire valoir, peuvent le faire à l'occasion des chapitres
ou des articles. Mais rouvrir la discussion politique sur le traitement du
ministre, c’est évidemment faire double emploi. Et je demande que dans
l’intérêt du règlement, dans l’intérêt de vos travaux, vous adoptiez la motion
d’ordre de l’honorable M. Dubus.
M. Dubus (aîné). - Malgré les observations faites de l'autre
côté de cette chambre, je persiste dans la motion que j'ai faite et que je
crois entièrement fondée.
La chambre a voté la
clôture de la discussion générale, je prétends que la chambre par ce vote a
décidé quelque chose. Les membres du côté opposé prétendent qu'elle n'a rien
fait, en prononçant la clôture ; pour apprécier cette prétention il suffit de
prendre en considération les motifs qu'ils invoquent. En effet, ils prétendent
que si je veux empêcher la discussion générale de se reproduire, c'est que je
crains les révélations qui résulteraient de cette discussion, les lumières qui
en jailliraient, c'est que je m'aperçois que celui qui veut prononcer un
discours parlé dans un sens contraire à mon opinion.
Ne voyez-vous pas que si
on accordait quelque valeur à de pareils motifs, la conséquence serait que
jamais une discussion générale ne pourrait être close ; il faudrait toujours la
laisser rouvrir, sous peine d'être accusé de vouloir empêcher la lumière de
jaillir, étouffer les révélations qui pourraient résulter de la discussion.
Avec ce moyen banal,
toujours la discussion générale pourrait être renouvelée par un membre
quelconque de la chambre ; il serait interdit de s'y opposer au nom du
règlement, car ce serait vouloir empêcher les révélation que l'on redoute.
Mais il y a eu une
discussion générale ouverte, pour que ces révélations se produisent ; cette
discussion générale n'a pas été courte, elle a duré quatre grandes séances ;
pendant ces quatre séances l'honorable député de Dinant aurait pu se faire
inscrire pour prononcer son discours ; s'il a tardé à le faire, si l'on n'est
arrivé à son tour de parole qu'après que la discussion était close, qu'il ne se
l'impute qu'à lui-même. Pendant ces quatre séances on a débattu tous les actes
du ministre de la justice.
Je vous prie, messieurs,
de bien fixer votre attention sur la portée du vote que vous avez à émettre.
C'est bien à tort qu'on me présente comme n’ayant fait ma motion que parce que
je crains la lumière et les révélations, comme ne m'opposant à ce que l'orateur
prononce son discours que parce que je ne partage pas son opinion.
Je n'ai réclamé que dans
l’intérêt du règlement, dans l'intérêt des discussions futures de la chambre,
pour que vous ne posiez pas un précédent que vous regretteriez plus tard, quand
vous ne pourriez plus mettre fin à des discussions qui, nonobstant la clôture
précédemment prononcée, pourraient se reproduire sans cesse sur tous les
articles d'une loi.
Qu'a dit M. Pirson dès le
début de son discours ? Que, puisqu'on avait fermé la discussion générale
malgré ses réclamations, il demandait la parole et saisissait l'occasion du
premier article de la loi pour prononcer le discours qu'il avait annoncé.
D'après sa propre déclaration à lui-même, son discours appartenait à la discussion
générale.
Que vous a-t-il dit
encore ? Qu'à l'occasion de l'article premier du chapitre premier de la, loi,
il allait passer en revue tous les actes du ministre ; encore de son aveu
évidemment, c'est un discours de discussion générale. Quelle a été sa conclusion
annoncée d'avance ? C'est qu'il rejette l'article premier ; mais il rejette
tous les autres aussi : car sa conclusion, il l'a dit formellement, est le
rejet de tout le budget ; nouvelle preuve que son discours est un discours de
discussion générale.
Maintenant parce qu'il
dit qu'il rejette l’article premier, ce que tout le monde comprend puisqu'il
rejette tout le budget, vous devriez admettre qu'il pourra rentrer dans
l'examen de l'ensemble des actes du ministre à prétexte que le vote de ce seul
article implique un vote de confiance ! Mais s'il en est ainsi, tout député
pourra, avec tout autant de fondement, renouveler la discussion générale sur
les articles 2 et 3 et sur tous les autres articles du budget ; il dira : je
rejette cet article parce que je ne veux pas confier des fonds à un ministre
dont l'administration ne me convient pas ; je le rejette, parce que je ne veux
pas donner les mains, en lui votant un crédit, à ce qu'il puisse administrer.
Et pour prouver que c'est à bon droit que l'on repousse son administration, on
prétendra rentrer dans l'examen critique de tous ses actes. Si donc, à prétexte
qu'un député déclare qu'il ne veut pas voter un traitement à un ministre qui
n'a pas sa confiance, vous l'admettez à prononcer un discours général sur
l'article premier, par le même motif, vous devrez permettre qu'on prononce des
discours semblables sur tous les autres articles du budget.
Mais, dit-on, de ce qu'un
discours a pu être prononcé dans la discussion générale, il ne s'ensuit pas
qu'il n'ait pas pu être prononcé sur une partie du budget. Je le conçois ; la
discussion générale embrasse tout ; puisqu'elle embrasse tout, on peut s'y
occuper d'une partie, même d'un acte isolé du ministre ; celui qui attaque un
acte déterminé du ministre dans la discussion générale pourrait n'en parler
qu'à l'article qu'il concerne. Cela est vrai ; mais la proposition inverse
n'est pas vraie. De ce qu'un discours qui ne critique que les actes de l'une
des administrations du ministère peut être l'un des éléments de la discussion
générale, on ne peut pas inférer de là qu'un discours destiné à la discussion
générale et embrassant tous les actes du ministre peut être prononcé sans
modification sur une des spécialités du budget.
On
objecte donc en vain que l'honorable M. Loos a prononcé, dans la discussion
générale, un discours sur les prisons, qui aurait pu trouver sa place au
chapitre des Prisons. Sans doute, il était dans son droit en le prononçant dans
la discussion générale, parce que la critique des actes de l’administration des
prisons fait partie des éléments de la discussion générale. Mais il ne s'ensuit
pas qu'on puisse, au chapitre des Prisons, prononcer un discours qui embrasse
l’ensemble de tous les actes du ministère. Cet argument n'a donc aucune valeur.
Je persiste avec
confiance dans ma motion.
M. Pirson. - Messieurs, l’honorable M. Dubus a dit qu’on pourrait à
l'occasion des chapitres présenter toutes les observations qui se
rapporteraient à ces chapitres. Les observations que je veux présenter se
rattachent exclusivement à la personne du M. le ministre. Puisqu’on n’a pas
voulu m'entendre dans la discussion générale, c’est donc au chapitre qui
concerne le traitement du ministre que je dois les placer. Je déclare que si on
ne m’avait pas interrompu, j’aurais déjà terminé ; je prends l’engagement
de ne pas parler longtemps, une demi-heure tout au plus.
M. Delfosse. - L'honorable M. Dubus vient de nous
dire que le discours de l'honorable M. Pirson appartient à la discussion
générale, parce que cet honorable membre a manifesté l’intention de voter
contre le budget.
Il ne serait donc plus
permis d'annoncer l'intention de voter contre le budget, sans renoncer au droit
de parler sur l'article auquel se rapportent les griefs que l'on a contre le
ministre ! Ce sont là de ces raisons qu'un esprit sérieux ne devrait pas
produire.
L'honorable M. Dubus nous
a encore dit et M. le ministre de l'intérieur a tenu le même langage, que
l'opposition fait perdre du temps à la chambre.
Il me semble, messieurs,
que ceux-là font perdre du temps à la chambre qui viennent prononcer de longs
discours à l'appui d'une proposition insolite d'un rappel au règlement.
L’honorable M. Pirson vous le disait tantôt, li y a longtemps qu'il aurait
fini, si on ne l'avait pas interrompu.
Savez-vous ce qui nous
fait encore perdre du temps ? C'est la négligence de ceux qui arrivent trop
tard à la séance. Chaque jour, je suis ici à l'heure fixée, et ce n'est qu'une
demi-heure ou une heure après que l'on se trouve en nombre. MM. les ministres
se font très souvent attendre. Voilà ceux qui font perdre du temps à la chambre
! MM. les ministres ont mauvaise grâce à venir articuler un pareil grief contre
l'opposition.
L'honorable M. Dubus
pense que la décision de la chambre qui a clos la discussion générale doit
signifier quelque chose. Sans doute ; elle signifie qu'on ne pourra prononcer
des discours qui n'auraient aucun rapport à l'article en discussion ; toute la
question est de savoir si le discours de l'honorable M. Pirson est dans ce cas,
et je soutiens que non.
L'honorable M. Dubus veut
bien reconnaître que M. Loos, qui a parlé dans la discussion générale, aurait
pu prononcer son discours à l'article Prisons, et pourquoi ? Parce qu'il avait
à parler des prisons. Eh bien, l'honorable M. Pirson doit pouvoir prononcer le
sien sur l'article premier. L'article premier concerne le ministre, et c'est du
ministre que M. Pirson veut parler.
J'ai cité des précédents
posés par l'honorable M. Dubus et ses amis dans la discussion de la loi
communale ; l'honorable M. Dubus n'a rien répondu sur ce point.
- La discussion sur le
rappel au règlement est close.
Plusieurs
membres. - L'appel nominal.
M. le président. - Pour qu'il n'y ait aucune
difficulté dans l'exécution de la décision à intervenir, je demande que le sens
du vote que la chambre va émettre, soit bien précisé.
Veut-on que la question
soit ainsi posée : « Ou ne pourra point, à l'occasion de l'article premier,
« traitement du ministre », parler des actes d'administration du
ministre ? »
Plusieurs
membres. - Oui ! oui !
M.
Rodenbach. - Je demande la parole sur la position de la question.
Messieurs, je trouve qu'à
l'occasion de l'article premier, « traitement du ministre », on ne
peut pas épiloguer sur tous les articles, sur l'ensemble du budget ; mais je
crois qu'à l'occasion de cet article, on peut attaquer le ministre et même les
actes qu'il a posés.
(page 506) M. Dubus (aîné). - Pour comprendre la question, il
faut se rappeler le discours qu'a commencé l'honorable M. Pirson.
Cet honorable membre a
voulu prononcer son discours à l'occasion de l'article premier, en se fondant
sur ce qu'on lui avait fermé la bouche dans la discussion générale. Il a
annoncé qu'il allait motiver son vote du rejet de l'article premier sur
l'appréciation de l'ensemble des divers actes du ministre. Il a donc annoncé
que son discours allait contenir la critique générale des actes du ministre.
M. Verhaegen. - Les actes personnels.
M. Dubus (aîné). - Les actes du ministre lui sont
personnels ; mais ce mot personnel ne fait rien à la question. Il n'en est pas
moins vrai qu'il s'agissait de la critique de l'ensemble des actes du ministre,
en conséquence de quoi il rejetait à la fois l'article premier et tout le
budget.
Or, comme je suis
convaincu qu'admettre ce système, c'est dire que la discussion générale tout
entière se trouve rouverte à l'occasion de l'article premier, j'ai fait une
motion pour demander que la discussion fût restreinte à l'article premier,
c'est-à-dire qu'il ne pût pas être permis, à propos de l'article premier où il
s'agit du traitement du ministre, de renouveler la discussion sur l'ensemble
des actes du ministère.
Ainsi, ma motion est
celle-ci : que l'on ne peut pas, lorsque la discussion est restreinte à
l'article premier, rouvrir la discussion sur l'ensemble des actes du ministère.
M. de Garcia. - Messieurs, la position
de cette question est extrêmement délicate et difficile. Quant à moi, si je
dois me prononcer sur cette question, de quelque manière qu'elle soit posée, je
devrai m'abstenir. Je craindrais de poser des antécédents fâcheux pour
l'élucidation des questions qui se présentent dans cette enceinte.
Vous concevez, messieurs,
combien il est difficile d'apprécier une question semblable. Pour savoir si le
discours d'un membre de cette assemblée, celui, par exemple, de l'honorable M.
Pirson, se rattache ou ne se rattache pas à la discussion générale, il faut
nécessairement que nous connaissions ce discours. Or, tant qu'il n'a été
exposé, je ne puis me prononcer sur son opportunité, et avant cela je suis dans
l'impossibilité absolue de répondre à la question posée.
Dans
cet état, messieurs, une crainte me domine, c'est que la chambre ne pose un
antécédent funeste, un antécédent dangereux, un antécédent de nature à entraver
une discussion franche et utile.
Pour éviter cet inconvénient,
je propose de rouvrir la discussion générale ; la chambre en a le droit, et je
préfère infiniment de revenir sur une décision prise, que de prendre une
résolution qui peut avoir des conséquences fâcheuses pour les discussions du
parlement. Je propose donc formellement la réouverture de la discussion
générale ; et, dans les vrais intérêts de la nation, j'engage fortement la
chambre à adopter ma proposition.
M. le président. - La parole est à M. Lebeau sur la
position de la question.
M. Lebeau. - J'ai demandé la parole sur la
position de la question et pour appuyer la motion d'ordre de l'honorable M. de
Garcia à l'appui de laquelle il n'a pu dire que quelques mots. Je me propose du
reste d'être aussi court que l'honorable membre, en appuyant la proposition.
Je pense, messieurs, que
la question présente de graves difficultés et que le plus sage pour la chambre,
c'est de faire ce qu'elle a fait précédemment, c'est de ne pas poser à la
légère un précédent, et de rouvrir la discussion générale.
Car enfin, voyez ce qui
arrivera lorsque vous aurez décidé qu'on ne pourra rouvrir la discussion
générale. L'honorable M. Pirson se propose de voter coulée le traitement de M.
le ministre. Incontestablement on a le droit de motiver un vote sur un article
du budget. Eh bien ! par la nature des choses même, le rejet du traitement du
ministre amène nécessairement un développement politique.
Il y a plus ; la question
se présenterait encore d'une manière plus nette, si au lieu de demander le
rejet du traitement du ministre, l'honorable M. Pirson proposait une réduction,
quelque minime qu'elle fût, ainsi qu'on le fait en France sur le subside
demandé pour les fonds secrets.
Une réduction quelconque
aurait la même signification que le retranchement du traitement. Or, à l'appui
de cette réduction, qu'il n'a pas même été possible à l'honorable M. Pirson
d'indiquer jusqu'à présent, puisqu'il n'a pas eu la parole dans la discussion
générale, à l'appui de cette réduction qui aurait un sens tout politique, il
doit être permis de dire quelque chose. Ce quelque chose, que sera-ce ? Ceux
qui trouvent que la discussion générale a été assez longue, seront d'avis que
tout développement à l'appui de cette proposition est une discussion générale.
Ceux qui pensent que la discussion générale n'a pas été épuisée, trouveront, au
contraire, qu'il est parfaitement dans les droits de l'orateur qui aura proposé
une réduction de traitement, de faire connaître les motifs de cette
proposition.
Je
voudrais savoir comment vous pourriez fermer la bouche à celui qui proposerait
comme mesure de défiance une réduction du traitement du ministre, alors qu'il
demanderait à présenter des développements à l'appui de cette proposition.
D'après cela, messieurs,
je crois que ce qu'il y a de plus sage, c'est, sans aller plus ou moins loin,
de rouvrir la discussion générale. Si l'on abusait de cette décision, la
chambre saurait toujours bien mettre un terme à la discussion.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, comme je l'ai déclaré, je ne me suis pas opposé
à la continuation de la discussion générale ; par conséquent je ne m'oppose en
aucune façon à ce que cette discussion soit rouverte. Je dirai plus : je désire
que la discussion générale continue ; car j'ai de nouveaux renseignements à
fournir à la chambre sur le compte du sieur Orman dont on s'est tant occupé
dans les séances précédentes ; et si je n'en ai pas parlé tout à l'heure, c'est
que j'ai voulu respecter la décision de la chambre qui avait prononcé la
clôture me réservant de m'expliquer lorsque nous en viendrions à l'article des
juges de paix.
Ainsi,
je répète que je ne m'oppose pas à la réouverture de la discussion générale.
M. le président. - Si personne ne reproduit la motion
d'ordre, je demanderai s'il y a opposition à ce que la parole soit accordée à
M. Pirson.
M. Dubus (aîné). - Dans l'intérêt du règlement et
pour ne pas poser de précédent, je crois qu'il faut mettre aux voix la motion
de M. de Garcia de déclarer la discussion générale rouverte. Sans cela, je le
répète, un membre pourra, lorsqu'il le voudra, renouveler une discussion
générale sur chaque article du budget.
- La chambre consultée,
décide que la discussion générale sera rouverte.
Reprise de la discussion générale
M. Pirson. - Je crois que chaque membre de
cette assemblée a entendu la première partie de mon discours. Je ne le
recommencerai pas. Je continuerai donc au point où j'en étais resté.
Je me rappelle combien en
1830 et avant 1830 fut déplorable pour le souverain, la gestion d'un autre
ministre de la justice, et sous l'empire de ce souvenir, sous l'impression du
mal que fait au pays une administration dont les actes sont tous les jours
frappés de plus en plus de la déconsidération publique, je voterai à mon grand
regret, et quoi qu'il m'en coûte, le rejet du traitement du ministre et du
budget de la justice. Je le voterai ce rejet, comme une protestation formelle
contre la direction donnée à l'administration des affaires ressortissant au
département de la justice.
Messieurs, les choses ne
sont pas tout dans un gouvernement constitutionnel ; les personnes y jouent
aussi un grand rôle. L'attention publique s'attache surtout aux formes
extérieures, et se porte principalement sur les hommes qui sont au pouvoir. Les
systèmes d'administration sont personnifiés dans ceux qui dirigent ces
administrations ; et lorsque ceux-ci dans un but d'ambition, de fortune ou tout
autre, changent d'opinion politique comme ils changeraient de vêtement ; quand
pour conserver leurs portefeuilles, ils ne craignent pas de déconsidérer le
pouvoir, de fausser la sincérité et la moralité du gouvernement représentatif,
ils deviennent bientôt antipathiques à la nation, ils perdent la confiance publique,
compromettent le souverain, et dans cette position, la défiance seule qu'ils
inspirent empêcherait le bien qu'ils pourraient vouloir. Eh bien, messieurs, je
regrette d'être obligé de le dire, je pense que l'honorable ministre de la
justice se trouve dans cette position, et je crains que l'impopularité qui
s'attache à son nom ne remonte plus haut.
Pour moi comme pour bien
d'autres, car dans la magistrature même, j'oserais porter le défi à M. le
ministre de trouver dix personnes qui se fissent les défenseurs de sa conduite
ministérielle et parlementaire, pour moi comme pour bien d'autres, dis-je,
l'honorable baron d'Anethan n'a pas répondu à la confiance qu'on avait mise en
lui, lors de son avènement au pouvoir. Ses évolutions au banc des ministres
nous ont ouvert les yeux ; nous nous aperçûmes que nous avions été trompés ;
nous ne voulons pas maintenant marcher avec lui, et nous nous refusons à le
suivre dans la voie tortueuse où il s'est engagé.
Je ne sais si je me
trompe, mais dans la discussion de l'adresse en réponse au discours du trône,
l'honorable M. de Brouckere a fait un portrait d'homme politique qui me paraît
mesuré à la taille de l'honorable ministre de la justice. Si c'est à lui que
l'honorable M. de Brouckere a voulu faire allusion, je dirai avec l'honorable
M. de Brouckere qu'un ministre qui s'est associé comme élément libéral à la
politique de M. Nothomb, puis à celle de M. Van de Weyer, ne peut prendre la
direction d'un département dans un cabinet homogène de la couleur de
l'honorable M. de Theux sans renier ses anciens principes, et de même que
l'honorable M. de Brouckere, je considère un tel ministre comme excessivement
dangereux pour le pays.
Aussi, messieurs, que
voyons-nous ? C'est qu'au département de la justice, il n'y a plus de justice
que par exception. Les emplois, les distinctions, les faveurs et surtout les
places de notaires, d'avoués, ele juges de paix ne se donnent plus au mérite
combiné avec l'ancienneté et les titres acquis, mais à la protection et à
l'intrigue, à celui en qui l'on pense trouver le plus de dévouement électoral.
Cette manière de procéder et d'établir un privilège en faveur de l'intrigue et
du favoritisme est un mauvais usage du pouvoir. Un pareil système tend à
compromettre la morale publique, le bien le plus précieux des nations
civilisées.
On ne viendra pas nous
dire certainement, que c'est dans l'intérêt de l'Etat qu'on voit le ministre
faire de son autorité un instrument de haine, de rancune et d'esprit de parti ;
et mettre cette autorité à la merci de je ne sais quelle influence ou puissance
mystérieuse, qui sans le savoir, ou dans un but de domination, empoisonne la
morale publique et porte atteinte aux bases mêmes de notre édifice social.
Il est temps que l'on
apprenne à l'honorable ministre qu’il doit y avoir autre chose que des faveurs
dans son département, et que la justice (page
507) est le devoir le plus sacré du pouvoir ; que rien ne doit être plus
sacré et plus immuable que les institutions du pays, et que c'est les fausser
dans leur principe que de substituer l'arbitraire à la règle, que de chercher à
faire des élections menteuses et corrompues par un système largement organisé
de promesses, de faveurs et de places.
Je n'ignore pas non plus
qu'il en est qui prétendent qu'à côté ou au-dessus du ministre, il existe une
influence ou puissance que je ne sais comment définir, à laquelle, dit-on, le
ministre trop faible ne sait pas résister. Qu'on appelle cette puissance,
gouvernement occulte, camarilla, congrégation, influence de salon, peu importe,
le nom est indifférent. On dit et je crois effectivement qu'elle existe.
L'opinion publique s'en est émue, et cette influence pernicieuse perd
l'honorable baron d'Anethan, comme elle a perdu tous ceux qui n'ont pas eu le
courage de lui résister, parce que si l'opinion publique pardonne à une
conscience qui s'égare elle ne pardonne pas à une faiblesse qui s'aveugle. Elle
ne pardonne pas les préférences scandaleuses accordées à des hommes flétris par
les arrêts de la justice. L'opinion publique se soulève contre de pareils
actes, et le pays, averti par un instinct qui ne trompe pas, voit avec effroi
l'abîme vers lequel certains hommes le conduisent.
La chambre n'a pas oublié
l'effet douloureux que produisirent l'année dernière les paroles de notre
honorable collègue M. Dolez dans le rapprochement qu'il fit de la position du
misérable Retsin, d'autant plus protégé qu'il en était moins digne, avec celle
du malheureux que tant de titres recommandaient à la clémence royale, et pour
lequel le ministre se montra si rigoureux. La chambre n'a pas oublié non plus
avec quel peu de faveur furent accueillies alors les explications données par
M. le ministre de la justice, parce que, quelle que soit la pensée de chacun de
nous sur les attributions du pouvoir exécutif, il n'en est pas un, j'aime à le
croire, qui ne désire en voir moraliser l'emploi.
Eh bien, messieurs, on
vous l'a dit, et en présence des affirmations de tant de nos collègues, je
crois le fait vrai, ce même Retsin, cet audacieux hypocrite jouit encore aujourd'hui
d'une position exceptionnelle et privilégiée. M. le ministre n'a compris ni les
avertissements de cette chambre, ni ceux de l'opinion publique, ni ceux de la
presse. Je ne sais quelle influence ou quel entêtement déplorable le portent à
tout braver. L'année dernière c'était Retsin qui devait aider à faire découvrir
bien des scandales ; cette année c'est Orman qui fournit la preuve que le
ministre persiste dans la voie fatale où il s'est engagé.
S'agit-il d'emplois à
conférer, de permutations de résidence de notaires à accorder ; ici encore se
reproduisent les abus et nous retrouvons l'application de cette doctrine
désespérante, qu'il faut presque tout accorder à la faveur et à l'intrigue,
presque rien à la capacité et aux droits acquis. Là c'est un médecin praticien
que l'on nomme juge de paix ! ici c'est un saunier qui obtient le même emploi !
Les candidats réunissent-ils les conditions voulues, les connaissances
spéciales qui leur sont nécessaires pour remplir leurs fonctions ? sont-ils à
même de rendre la justice, de faire l'application des lois ? peu importe. On ne
s'en inquiète pas. Ce que l'on attend d'eux ce sont avant tout des services
électoraux.
Pour les permutations de
résidence de notaire qui, presque toujours, déguisent des traités à prix
d'argent, c'est encore suivant son caprice et les mêmes maximes que M. le
ministre en décide. Lorsque le candidat ne se présente qu'avec des titres
réels, on rejette sa demande. On lui oppose la circulaire du 20 juillet 1843.
Mais si le candidat, au lieu de titres réels, se présente appuyé de services
électoraux rendus ou à rendre, protégé par l'un ou l'autre personnage influent,
oh ! alors, de la circulaire, il n'est est plus question, la permutation est
autorisée.
Les faits qui se sont
passés à Liège et à Dinant, cités par l'honorable M. Verhaegen, sont exacts ;
et l'explication donnée par M. le ministre de la justice n'a pas détruit le
reproche qui lui a été adressé à cette occasion, de faire une application
contraire de sa circulaire de juillet 1843. Pour Liège, on l'a appliqué dans
toute sa rigueur ; pour Dinant, on a fermé les yeux, car il est de notoriété
publique qu'un traité à prix d'argent avait été conclu, et il tombe sous le
sens du moins clairvoyant que l'un des premiers notaires du chef-lieu
d'arrondissement, que celui peut-être qui y faisait le plus d'affaires, ne
permute pas avec un tout jeune notaire de campagne dépourvu de clientèle, sans
une large compensation, sans une bonne indemnité.
On s'est borné à citer
dans cette chambre quelques faits qui démontrent qu'un large système d'abus est
organisé au département de la justice, mais la presse en a dénoncé aussi
beaucoup d'autres semblables qui n'ont jamais été réfutés par les organes du
gouvernement. On n'en finirait pas si on devait énumérer tontes les infractions
à l'esprit des lois, tous les actes arbitraires qui ont été commis par M. le
ministre de la justice. Les avertissements qu'il a reçus de toute part auraient
dû lui ouvrir les yeux, auraient dû le rendre plus circonspect, auraient dû
l'éclairer sur la nécessite de ne pas persévérer dans son système.
Mais quels avertissements
peuvent profiter à celui qui, s'étant couvert les yeux d'un bandeau et n'y
voyant plus, s'imagine, lui aussi, que les autres n'y voient plus. L'honorable
baron d'Anethan croit-il que dans un gouvernement représentatif il soit
possible de dissimuler longtemps les choses ? S'imagine-t-il, par exemple, que
l'opinion publique ne devine pas le plus souvent ce que l'on cherche à lui
dérober ? L'administration a beau chercher à s'envelopper de mystère,
sachez-le, M. le ministre, c'est en vain ; vos actes sont connus malgré vous.
Il n'est plus permis
aujourd'hui aux hommes qui sont au pouvoir d'avoir deux langages, d'avoir deux
appréciations, d'avoir deux justices. Le pays repousse cette doctrine qui
donnerait à l'administration une sorte de juridiction mystérieuse qui n'est
plus de notre temps, ni dans nos mœurs. Votre système funeste conduit au
discrédit du gouvernement représentatif, à l'affaiblissement de tout esprit public,
de tout patriotisme. C'est un système d'égoïsme et de corruption ; c'est un
système qui ne peut durer. Il est impossible, parce que la raison le condamne ;
il est sans appui, parce que la morale publique le réprouve, et il croulera en
vous entraînant dans sa chute. Alors, sans doute, nous verrons l'administration
de la justice, ébranlée par des abus si nombreux, par des actes si scandaleux,
se rasseoir sur un appui solide, et reprendre la dignité et l'autorité morale
qui lui manquent aujourd'hui. Alors aussi, la magistrature pourra respirer à
l'aise et se réjouir de ne plus avoir, pour la représenter, celui qui, dans
cette enceinte, sans nécessité aucune, est venu donner au pays le triste
exemple du mépris de la chose jugée.
Alors aussi, sans doute,
les amis du trône, ceux qui sont sincèrement dévoués au principe monarchique,
et je suis de ce nombre, n'auront plus à gémir de voir, pendant des mois
entiers, un ministre de la justice rester spectateur paisible des outrages
dirigés contre la majesté royale ; de voir un ministre de la justice permettre
pendant des mois entiers la vente et le colportage de ces odieuses caricatures
qui, en corrompant l'esprit des populations, déconsidèrent impunément le chef
de l'Etat, le chef de l'armée ; de voir un ministre de la justice souffrir que
la voie publique soit devenue, à toute heure du jour, un scandale et un danger
pour les mœurs de famille.
Je
m'arrête ici, messieurs ; j'en ai dit, je pense, assez pour motiver mon vote.
Je terminerai, comme j'ai commencé, en déclarant qu'en votant contre le
traitement du ministre et le budget de la justice, je n'entends nullement voter
contre les choses renfermées dans ce budget, contre les hauts intérêts si
dignes de notre sollicitude auxquels s'applique ce budget. Je vote contre ce
budget, parce qu'en mon âme et conscience, je trouve que le chef du département
de la justice compromet la couronne et le gouvernement, parce que je trouve
qu'il n'exerce pas le pouvoir qui lui est confié en vue du bien-être de l'Etat.
Je vote contre le budget de la justice afin qu'il serve de protestation contre
les ministres qui, s'abandonnant aux enivrements du pouvoir, ne craignent pas
de méconnaître et d'altérer essentiellement l'esprit de nos institutions.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Pirson aurait pu, me paraît-il,
s'éviter la peine de prononcer le discours que vous venez d'entendre ; car ce
discours, la chambre l'aura remarqué comme moi, n'est que la reproduction de
tout ce qui a été dit dans les discours précédents. Dans tout ce qu'a avancé
l'honorable M. Pirson, il n'y a pas un fait nouveau. Je dirai plus, il n'y a
même pas de faits, du moins aucun fait prouvé, tout s'est borné à de simples
allégations que l'honorable M. Pirson a prises dans les discours qu'il avait
entendus, à des allégations dont, je pense, l'honorable membre n'a aucune
connaissance personnelle.
Messieurs, depuis quatre
ans à peu près que j'ai l'honneur d'être au banc ministériel, je vois, pour la
deuxième fois, se renouveler le même système d'attaque.
Pendant les deux
premières années que j'étais au ministère, toutes les attaques étaient
exclusivement dirigées contre un seul ministre, mon honorable ami, M. Nothomb.
Il était le point de mire de l'opposition. Maintenant toutes les attaques
s'adressent à moi. (Interruption.)
Cela est évident pour tout le monde.
Du reste, messieurs,
quelles que soient les attaques que j'aurai à repousser, je tâcherai, comme je
l'ai fait jusqu'à présent, d'y répondre par des faits, et j'en appellerai avec
confiance à la chambre, qui a déjà pu apprécier combien étaient péremptoires
mes réponses, et combien étaient peu fondés les griefs allégués par mes
adversaires.
L'opposition n'a-t-elle
pas reçu de nombreux démentis ? (Interruption.)
Quand je dis l'opposition, je veux uniquement parler des membres de
l'opposition qui ont porté la parole, et je fais cette observation pour ne pas
m'attirer un nouveau reproche de la part de l'honorable M. Delfosse. Toutefois,
je pourrais m'adresser à l'opposition tout entière, puisque les orateurs qui
ont parlé n'ont pas été contredits par leurs amis politiques.
A en croire l'honorable
M. Pirson, je resterais au ministère dans une pensée d'ambition personnelle, et
par suite d'un incroyable amour du pouvoir ; d'après l'honorable membre
j'aurais à cette fin changé d'opinion, et je ne serais plus en 1847 ce que
j'étais en 1843 et en 1844, quand cet honorable membre m'appuyait de ses votes
et de son concours.
Eh bien ! je le demande à
la chambre : qui de nous deux a changé ? est-ce moi, est-ce l'honorable M.
Pirson ? L'honorable M. Pirson trouve étrange que je sois maintenant au banc
ministériel, parce que je m'y trouve à côté de mon honorable ami, M. de Theux ;
et lorsque je m'y trouvais à côté de mes honorables amis, M. Nothomb et M.
Mercier, alors l'honorable M. Pirson ne trouvait pas déplacée ma présence au
banc ministériel. Mais que font les personnes ?,Occupez-vous des actes ; et que
l'honorable M. Pirson, que tout autre
membre de l'opposition, me cite un acte posé par moi depuis que je suis au
ministère avec l'honorable M. de Theux, qu'il cite un acte qui indique le
moindre changement dans la ligne politique que j'ai suivie avec M. Nothomb,
alors que M. Pirson nous appuyait.
Il ne suffit pas, pour
faire croire à un changement d'opinion de dire : « M. d'Anethan a
abandonné son premier drapeau ; il est arrivé au ministère comme libéral, et
maintenant, reniant ses antécédents, il a passé dans le camp opposé. »
(page 508) Mais je demande à l'opposition de quel droit elle me
tient ce langage. Sans quelle circonstances ai-je prouvé que j'avais renié mes
antécédents ?
M. Verhaegen. - Le ministère est homogène.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Oui, le ministère est homogène, il est parfaitement
d'accord sur toutes les questions qui sont à l'ordre du jour, et qui seront par
lui soumises à la chambre ; mais pour amener cet accord, aucun de nous n'a dû
abandonner ses convictions.
Quant à moi, messieurs,
que l'on qualifiait de libéral en 1843 et que l'on qualifie de clérical,
d'épiscopal en 1847, je le dirai, je n'ai jamais été libéral à la façon de
l'opposition ; mais je me considère, messieurs, dût cette déclaration exciter
vos rires et vos murmures, comme étant tout aussi libéral, comme étant même
beaucoup plus libéral que l'opposition, dans le véritable sens de cette
expression.
C'est à l'aide d'un mot
dont on dénature la portée, que l'on veut jeter la déconsidération sur une
opinion, sur un parti. L'opposition nous refuse l'épithète de libéraux pour
nous donner celle de rétrogrades, de cléricaux, de réactionnaires ; et pourtant
dans nos actes, dans notre conduite, dans notre politique en un mot, qu'avons-nous
fait d'anti-libéral ? Pour être libéral, faut-il être exclusif, faut-il être
intolérant ?
Pour prouver la
versatilité de mes opinions, l'honorable M. Pirson a invoqué l'opinion de
l'honorable M. de Brouckere. Je ne répondrai.....
M. de
Brouckere. - Je m'expliquerai.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne répondrai pas, quant à présent, à cette partie du
discours de l'honorable M. Pirson, parce que l'honorable M. de Brouckere ayant
demandé la parole, j'attendrai qu'il se soit expliqué pour répondre, s'il y a
lieu, à l'un et à l'autre de ces honorables membres.
J'ai entendu avec
étonnement l'honorable M. Pirson venir faire une déclaration de non-confiance
au nom de la magistrature ; je ne pense pas qu'il ait reçu mandat à cette fin.
L'honorable M. Pirson a
cru pouvoir dire que dans la magistrature il n'y avait pas dix membres qui
approuvaient ma politique, que dans la magistrature il n'y avait pas dix personnes
qui eussent quelque sympathie pour moi.
Un membre. - Il n'a pas dit cela.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demanderai alors ce qu'il a dit.
M. Pirson. - J'ai dit : « Qui défendraient vos
actes. »
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si l'honorable M. Pirson s'est borné à dire que dans la
magistrature il n'y avait pas dix membres qui défendraient mes actes, je ne
devrais peut-être rien lui répondre, car les magistrats ne sont pas plus que
les autres citoyens chargés de défendre les actes de mon ministère. Mais
l'honorable M. Pirson (et son intention ne m'a pas paru douteuse) a voulu faire
entendre que j'étais antipathique à la magistrature. Il est très possible, très
probable même, que des magistrats ne partagent pas toutes mes opinions ; mais
je m'en rapporte sans crainte à la magistrature elle-même, et je suis convaincu
que dans les rangs de cet ordre honorable, auquel j'ai si longtemps appartenu,
je compte encore de nombreux amis.
Je puise cette conviction
dans l'idée que j'ai toujours accompli mon devoir, dans l'idée que les lois
présentées et défendues par moi, ont prouvé ma sollicitude pour l'ordre
judiciaire et les améliorations de la législation. Je puise cette conviction
dans les rapports constamment bienveillants, constamment agréables que j'ai eus
avec tous les membres de la magistrature depuis que je suis à la tête du
département de la justice, et ces rapports me permettent de supposer que
l'honorable M. Pirson est venu remplir ici, au nom de la magistrature, une
mission dont la magistrature ne l'avait pas chargé.
M. Pirson. - C'est mon opinion personnelle que
j'ai exprimée, d'après ce que j'ai entendu dire par plusieurs magistrats.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Mais l'honorable M. Pirson sait bien que la magistrature
est nombreuse. Je lui demanderai s'il a été interroger les membres des cours de
cassation et d'appel et des tribunaux de première instance, pour s'informer
d'une manière un peu inquisitoriale de leur opinion sur mon compte.
M. Pirson. - J'ai parlé d'après l'opinion que
m'avaient exprimée plusieurs magistrats de différentes juridictions, et il n'y
en a pas un qui m'ait jamais dit qu'il approuvait votre conduite.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je vois que l'honorable M. Pirson a bien voulu s'occuper souvent
de moi, en causant avec des membres de la magistrature, auxquels il a cru
devoir demander leur opinion sur mon compte ; je regrette de ne pas savoir sur
quoi cette opinion est fondée.
Je le répète, messieurs,
dans tout le discours de l'honorable M. Pirson, il n'y a que des allégations
sans preuves, sans preuve aucune. C'est ainsi que, rappelant ce qui avait été
dit par d'autres membres de l'opposition, l'honorable M. Pirson a parlé
d'influences à l'aide desquelles se faisaient toutes les nominations dans mon
département. C'est ainsi qu'il est venu reproduire les mots qui, je croyais,
n'auraient plus été entendus dans cette enceinte, les mots d'influence occulte
et de camarilla. L'honorable membre a dit, du reste, lui-même, qu'il ne savait
pas trop ce qu'étaient ces influences, mais que l'opinion publique s'en
préoccupait. Et, messieurs, c'est un représentant de la nation qui vient
sérieusement alléguer comme grief une prétendue influence occulte, alors qu'il
ignore lui-même quelle est cette influence dont il parle !
M. Pirson. - J'ai dit que je ne savais pas
comment la définir.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cette influence occulte n'est apparemment pas née d'hier ;
elle existait probablement en 1843 et 1844, quand j'étais honoré des suffrages
de l'honorable membre, tout comme elle existe aujourd'hui, ou plutôt elle
n'existe pas plus aujourd'hui, qu'elle n'existait alors. Quels sont donc les
faits nouveaux qui ont fait naître dans votre esprit l'hostilité que vous me
témoignez ? Quels sont ces faits ?.. S'ils existent, citez-les !
M. Pirson. - Quand je vous soutenais, les actes
concernant Retsin et Orman n'avaient pas encore été posés.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Vous vous rejetez pourtant sur l'influence occulte pour me
combattre ; vous soutenez que je suis devenu impopulaire, et que je compromets
la couronne par ma présence au ministère.
Messieurs, si une crainte
semblable pouvait avoir quelque apparence de fondement, si je pouvais croire
que ma présence au pouvoir était de nature à exercer une influence fâcheuse
pour les intérêts du pays, et pour la sûreté de nos institutions, je ne
resterais pas cinq minutes à ce banc, je résignerais à l'instant et sans regret
le pouvoir ; mais je suis au contraire convaincu que l'impartialité et la
fermeté que je mets dans la direction de mon administration peuvent me
permettre d'y rendre encore quelques services. C'est le motif pour lequel,
malgré les désagréments et les fatigues d'une position ministérielle que
l'honorable M. Pirson croit pourtant être l'unique but de mes désirs, c'est le
motif pour lequel je reste à mon poste, sans redouter les attaques que vous dirigez
contre moi.
Je ne sais pas, dit
l'honorable membre, résister à l'influence occulte. Mais j'ai prouvé dans
toutes les circonstances, dans toutes les phases de ma vie ministérielle, que
je savais résister à toutes les influences, à toutes les exigences, de quelque
côté qu'elles me vissent, et c'est peut-être parce que j'ai su souvent résister
qu'il y a maintenant contre moi une telle animosité.
L'honorable M. Pirson est
revenu sur le thème favori des accusations lancées par l'opposition ; il est
revenu sur l'affaire Retsin ; mais permettez-moi, messieurs, de faire un
rapprochement.
En France, lors de la
dernière discussion sur la vérification des pouvoirs, l'on a reproché au garde
des sceaux d'avoir fait gracier un individu condamné à l'emprisonnement, parce
qu'il avait besoin, disait-on, du concours de cet individu dans les élections.
Le ministre de la justice a répondu à ce grief par quelques paroles, et la
chambre française ne s’est pas arrêtée un quart d'heure à une pareille
accusation.
Je vous le demanderai
maintenant, messieurs, n'y a-t-il pas une espèce d'inhumanité à revenir
continuellement à la charge sur le compte d'un individu qui est condamné, qui
subit maintenant sa peine, mais qui enfin n'a pas été condamné à l'exposition
publique ? je pense qu'il serait grand temps d'en finir à cet égard, je pense
que la discussion de cette année, ainsi que celle de l'année dernière, ont été
assez longues, pour que chacun ait pu se faire une opinion définitive sur cette
affaire.
Je l'ai dit et je le
répète, Retsin a été mis en liberté provisoire sur un rapport qui m'avait été
fait et qui était basé sur des certificats. Vous vous rappelez dans quelles
circonstances j'ai été amené à prendre cette décision, vous avez pu apprécier
si ces circonstances n'étaient pas de nature à justifier complétement ma
conduite.
Je ne reviendrai plus
maintenant sur cette affaire ; mais ce dont je m'étonne, c'est de voir
l'honorable M. Pirson venir encore soutenir aujourd'hui, malgré mes
déclarations d'hier, que Retsin est traité plus favorablement à Turnhout que
les autres détenus ; j'ai rectifié hier un fait qui était allégué par
l'honorable M. Veydt ; l'honorable membre disait que l'on avait fait des
changements à la prison de Turnhout dans l'intérêt de Retsin ; j'ai répondu à
l'honorable membre qu'effectivement des changements avaient été faits à la
prison, mais que ces changements avaient été faits uniquement pour empêcher
l'évasion possible de Retsin. Voilà ce que je maintiens, et ce qu'il est facile
d'établir... (Interruption.)
J'ai donc raison de dire
que l'honorable M. Pirson est venu alléguer un fait, uniquement parce qu'il en
avait entendu parler dans cette chambre, et que l'honorable membre, sans peser
le pour et le contre, affirme une chose que personnellement il ne connaît probablement
pas.
L'honorable M. Pirson a
parlé ensuite d'un fait qu'il connaît bien, et j'avoue que j'ai vu avec
grand-peine l'honorable membre venir entretenir la chambre de ce fait. Il
s'agit d'une permutation de notaires dans l'arrondissement de Dinant.
L'honorable membre se rappellera, sans doute, que dans le temps, la personne
qui a obtenu la permutation, critiquée par lui, avait demandé la place de
notaire à Dinant ; l'honorable membre se rappelle aussi (et je ne le lui ai pas
caché, nous étions amis alors), l'honorable membre se rappelle aussi que tout
en lui disant que le candidat recommandé par lui, avait selon moi plus de
titres que son concurrent, j'ai ajouté que celui-ci avait l'appui de toutes les
autorités, et était spécialement recommandé par sa position personnelle. Il
était le fils d'un ancien notaire de cette ville, et le neveu du notaire qu'il
s'agissait de remplacer. Le candidat de M. Pirson, déjà notaire, et qui avait
aussi des titres personnels, fut placé ; son concurrent fut nommé à la campagne
; maintenant, il vient d'être placé en ville où il est venu reprendre l'étude
de son père en permutant avec un notaire de la ville. Et aujourd'hui
l'honorable M. Pirson viendra me faire un grief d'avoir rappelé à Dinant un
notaire que toutes les autorités, il y a trois ans, jugeaient déjà digne
d'occuper cette place, et c'est l'honorable M. Pirson, dont le candidat a été
d'abord préféré, qui vient me faire un reproche de ce nouvel acte de justice !
M. Pirson. - Je ne critique la nomination qu'au
point de vue de votre circulaire du 26 juillet 1843, qui défendait les traités
à prix d'argent. (page 509) Je crois
qu'une convention de ce genre existait à Liège comme à Dinant.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - L’honorable membre dit qu'il ne critique pas en elle-même
la nomination qui a été faite à Dinant, mais qu'il la critique parce que
j'aurais agi autrement à Liége. Eh bien, puisque l'honorable membre connaît si
bien les faits, qu'il veuille bien nous dire si les circonstances étaient les
mêmes à Liège qu'à Dinant. (Nouvelle
interruption.)
Quant au traité d'argent
qui serait intervenu à Dinant, je n'en ai aucune connaissance ; les autorités, que
j'ai consultées, ne m'en ont pas dit un mot.
L'honorable M. Pirson,
qui fait une revue très étendue de mon administration, a cru devoir aussi
m'attaquer au point de vue de la chose jugée. J'avoue que, malgré toutes les
connaissances que je suppose à l'honorable membre, je ne pense pas devoir
entamer maintenant avec lui une discussion sur cette question très grave du
droit constitutionnel ; je pense que ces mots : « mépris de la chose
jugée » ont été glissés dans son discours pour faire de l'effet en augmentant
la série des griefs ; mais je ne pense pas qu'il veuille entamer sur ce point
une discussion approfondie. Si toutefois il le désire, et que la chambre y
consente, je suis prêt à soutenir les principes que j'ai souvent énoncés en
cette matière, principes qu'on a singulièrement exagérés et qu'on a exploités,
j'ose le dire, contre moi dans la magistrature pour faire croire que je ne
respectais pas l'autorité des arrêts.
Si l'occasion s'en
présente, je discuterai de nouveau volontiers cette question, et je suis prêt à
l'aborder. Je prouverai que tout ce que j'ai dit est marqué au coin des
véritables principes : que j'ai voulu maintenir intacte la division des
pouvoirs, que certains membres perdaient de vue en soutenant la doctrine que le
pouvoir judiciaire pouvait anéantir la compétence des chambres.
En terminant, l'honorable
M. Pirson est revenu sur cette critique déjà produite que je n'avais pas fait
poursuivre assez tôt les caricatures qui avaient été publiées ; il a même parlé
de scandale que j'aurais toléré dans les rues qui était de nature à
compromettre gravement la morale publique.
M. Pirson. - Je parlais des caricatures
affichées.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable membre n'a fait allusion qu'aux caricatures
qui ont été affichées, soit. Je pense avoir suffisamment expliqué dans la
discussion politique les motifs pour lesquels le gouvernement a agi comme il
l'a fait. L'honorable M. Dolez lui-même a trouvé que le ministre de la justice
avait bien agi dans cette circonstance, il a dit : Je trouve que le ministre a
bien fait de ne pas poursuivre d'abord, je trouve qu'il a bien fait de
poursuivre ensuite ; mais l'honorable membre a ajouté, il est vrai, que
l'existence de ces caricatures accusait un mal sérieux, et il a tiré de ces
publications des arguments contre le ministère actuel, tout en approuvant la
conduite tenue quant aux caricatures elles-mêmes.
je me bornerai à répéter
ici ce que j'ai dit dans la discussion politique.
On se rappelle la
tolérance qu'on avait toujours montrée pour de semblables délits ; cette
tolérance a été maintenue pendant quelque temps, non pendant des mois, mais
pendant un mois. Quand on a vu l'extension qu'elles prenaient, ces scandaleuses
productions, quand on a vu qu'on les répandait à profusion, qu'elles étaient
commentées d'une manière infâme par des journaux, des brochures, des chansons,
qu'on colportait, qu'on jetait sous les portes, qu'on envoyait en grand nombre
dans les provinces, nous avons pensé qu'il était temps d'arrêter ce
débordement. Je pense avoir, en cela, agi avec prudence et conformément à mes
devoirs.
Je vous disais tout à
l'heure que je n'étais pas opposé à la réouverture de la discussion générale,
parce que j'avais à vous communiquer quelques nouveaux renseignements
relativement au nommé Désiré Orman.
L'honorable M. Verhaegen
vous a dit dans la séance du 14 janvier : « Il y a contre Orman quatre
jugements, le premier du 28 mars 1826 ; il n'était pas encore majeur ; il n'avait
que 20 ans, dit-on, mais il a été condamné à trois mois de prison pour coups et
blessures sur des agents de la force publique, ce qui constituait à proprement
parler le délit de rébellion, et la demande en grâce, comme on me l'écrit, a
été rejetée tellement le fait a été considéré comme grave. »
D'abord, relativement à
ce premier fait, je dois déclarer que le ministère public avait considéré cette
affaire comme tellement peu grave, qu'il avait recommandé Orman à l'indulgence
du tribunal ; j'en ai la preuve dans mon dossier.
« Quelques années
après, par un deuxième jugement, Orman a été condamné pour rixe dans un
cabaret, à une peine de police par le juge de paix de Lessines. »
« Le troisième jugement
est de 1842. »
M. Verhaegen. - Il y en a un autre avant.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je suis l'ordre dans lequel vous les avez présentés.
« Le troisième jugement
est de 1842 ; il n'était plus mineur alors, il a été condamné par le tribunal
de Tournay, pour avoir mis sur ses paquets de chicorée la marque et l’étiquette
de MM. Orban et fils de liège. »
J'ai écrit immédiatement
après la séance pour avoir le jugement de police qui n'a pas pu être rendu du
chef d'une rixe, car par ce fait il y aurait eu application de peines
correctionnelles ; mais je ne l'ai pas encore obtenu.
M. Verhaegen. - Il vous est envoyé !
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable membre a une correspondance plus accélérée que
la mienne, car il m'annonce que ce jugement m'est envoyé et il ne m'est pas
encore parvenu. Quand je l’aurai je le communiquerai à la chambre, pour qu'elle
ait sous les yeux toutes les pièces de ce procès ; on verra combien on a abusé
des jugements invoqués. Le premier qui a été rendu contre un jeune homme de 20
ans du chef de coups et blessures, vous avez pu déjà en apprécier l'importance,
d'après les lettres de l'honorable M. Dubus que j'ai lues à la séance
d'hier ; l'autre avait pour objet une contravention de simple police, ce
qui certainement ne peut pas entacher l'honneur d'un fonctionnaire. Je vous
parlerai tout à l'heure du troisième jugement de 1842.
L'honorable membre a
mentionné encore un autre jugement ; je m'abstiendrai, moi, d'en parler ;
d'après les faits rapportés par M. Verhaegen, je pense qu'il est convenable de
ne pas entretenir le public d'une affaire purement privée qui remonte à 1826 et
concerne un homme alors âgé de 20 ans qui maintenant est marié et qui remplit
ses devoirs de bon père de famille. La chambre ne permettra pas qu'on vienne
légèrement porter atteinte, sous ce rapport, à la réputation d'un homme marié.
Maintenant j'arrive au
jugement de 1842.
Je demande si en présence
de la manière dont M. Verhaegen avait parlé de ce jugement, des commentaires
qui en avaient accompagné la mention, chacun n'a pas du croire, qu'un fait
excessivement grave avait été commis, un fait qui attaquait la moralité, la
probité ; qu'il s'agissait d'un fait de faux commis au préjudice de la maison
Orban de Liège.
Je vous demande si telle
n'a pas été votre impression à tous ? C'a été la mienne, et immédiatement après
la séance, j'ai écrit au procureur du roi de Tournay, et si le fait avait été
aussi grave que le disait M. Verhaegen, je me serais souvenu que les greffiers
ne jouissent pas de l'inamovibilité, et une révocation ne se serait pas fait
attendre.
Maintenant, messieurs,
lisons le jugement, et nous verrons quel abus, je puis le dire, on a fait d'une
pareille décision.
D'abord, messieurs, ce
n'est pas une affaire correctionnelle, comme vous auriez pu le croire d'après
l'exposé que vous faisait l'honorable M. Verhaegen.
M. Verhaegen. - Je demande la parole pour un fait
personnel.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne prétends pas que vous l'avez dit, mais je prétends
qu'on aurait pu le croire, d'après votre exposé.
C'est une affaire purement
civile, et je demande à toute la chambre si en entendant les développements
dans lesquels est entré l'honorable membre, elle n'a pas dû croire qu'il
s'agissait d'une affaire très grave, d’une affaire correctionnelle. Or voici le
jugement :
« En cause du sieur
Henry-Joseph Orban, fabricant et négociant, faisant le commerce sous la raison
J.-M. Orban et fils, demeurant à Liège, demandeur, ayant pour avoué Me Goblet,
« Contre le sieur Désiré
Orman, marchand de café chicorée, demeurant à Lessines, défendeur, ayant pour
avoué Me Fontaine ;
« Attendu que la
propriété sur le chef du demandeur de la marque par lui produite au procès, est
constatée par le dépôt qu'il en a fait au greffe du tribunal de commerce de
Liège, le 9 juillet 1819, et que le défendeur n'allègue même pas qu'il aurait
fait pareil dépôt de la sienne ;
« Attendu que le droit de
se servir d'une marque ne devient privatif que par ce dépôt et au profit de
celui qui l'opère ; que telle est la volonté de la loi du 22 germinal an XI,
conçue dans le but d'accroître la confiance générale dans le commerce eu
prenant des mesures pour garantir sa sincérité ;
« Attendu, en
conséquence, que les faits de possession articulés par le défendeur comme ayant
été exercés tant par lui que par les autres fabricants de Lessines sont
irrelevants, puisqu'ils sont impuissants pour engendrer un droit que le dépôt
légal peut seul conférer. »
Ainsi, fin de
non-recevoir prononcée contre Orman, parce qu'il n'a pas opéré le dépôt légal
des vignettes dont il se servait. Il avait posé en fait qu'il en avait eu la
possession antérieure ainsi que les autres négociants de Lessines.
Au fond le jugement
continue :
« Attendu que la
marchandise dont il est question au procès et connue dans le commerce, sous le
nom de café-chicorée, s'adresse, en général, à une classe de consommateurs peu
instruits et même peu lettrés ; que ceux-ci sont habituellement frappés par ce
qui touche les sens, comme la forme, la couleur, le dessin, les images ; que
dans tous les rapports il existe une très grande ressemblance entre les paquets
du demandeur et ceux du défendeur ; qu'il y a identité de forme et de dimension
pour les enveloppes, identité de dessin et de position pour les vignettes,
identité de position pour les noms, les initiales et les adresses, et que les
identités de position ne sont pas seulement absolues, mais encore relatives.
« Attendu que les
dissemblances ne peuvent être saisies que par des personnes qui sachent lire ;
qu'elles consistent uniquement dans la différence des noms, des initiales, des
adresses et par conséquent toutes dans des différences de lettres ;
« Attendu que de telles
différences ne sont point de nature à éveiller l'attention des consommateurs
pour lesquels est faite la marchandise dont il s'agit, et qu'en résumé ceux-ci,
en présence des deux paquets, ne voient que des ressemblances dans ce qui les
frappe, et ne trouvent de dissemblances que dans ce qui ne les frappe point ;
« Par ces motifs, le
tribunal fait défense au défendeur de se servir dorénavant des marques contentieuses,
sous peine de cent francs de dommages-intérêts (page 510) par chaque contravention. Ordonne que le présent jugement
soit imprimé et affiché au nombre de cent exemplaires, aux lieux à désigner par
le demandeur et aux frais du défendeur. Et pour tous dommages et intérêts
soufferts par le demandeur, pour l'usage desdites marques jusqu'à ce jour,
condamne celui-ci aux frais de l'instance taxés à soixante-huit francs quatorze
centimes.
« Accorde l'exécution
provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution, sauf quant aux
dépens.
« (Signé) E. Broquet et
Dubois, commis-greffier.
« Pour copie conforme,
délivrée par le greffier dudit tribunal, à la requête de M. le procureur du
roi, à Tournay, le quinze janvier 1800 quarante-sept.
« E. Dereine, greffier.»
Ainsi, ce jugement prouve
qu'il y avait eu bonne foi de la part de Désiré Orman, qui se fondait sur une
possession qu'il avait seulement négligé de faire légaliser. Il en résulte que
le tribunal a reconnu les différences existant entre les deux vignettes : il en
résulte enfin que le tribunal n'a pas cru qu'il y avait lieu de condamner Orman
à des dommages-intérêts, mais qu'il se borne, à lui défendre, à l'avenir, de se
servir de ladite vignette.
Voici quelques détails
ultérieurs que j'ai reçus sur cette affaire :
« La vignette qu'on
défendit d'imiter portait les noms de J.-M. Orban et fils de Liége : celle
d'Orman les noms de D. Orman de Lessines ; mais avec la ressemblance de
figures, de papier, et les deux autres ressemblances de la vignette Orban, et
ce que fit Orman, les autres fabricants de Lessines le firent aussi avec plus
ou moins de ressemblance. »
Ainsi, messieurs, Orman
avait purement et simplement suivi ce qui avait toujours été pratiqué, il avait
acheté des vignettes sur lesquelles il avait mis, non pas le nom d'Orban de
Liège, mais le nom d'Orman de Lessines. Et c'est à l'aide d'un semblable
jugement, c'est en invoquant des pièces pareilles que l'on veut chercher à
flétrir la réputation d'un honnête homme auquel on n'a à reprocher qu'une
condamnation pour coups à trois mois d'emprisonnement et une autre condamnation
de simple police, toutes deux subies à l'âge de 20 et 22 ans !
Je
demande, messieurs, si lorsqu'on a lu le discours de l'honorable M. Verhaegen,
et les développements dans lesquels il est entré, tout le monde n'a pas dû se
dire : Mais cet Orman que le ministre de la justice a nommé, c'est un
faussaire, c'est un homme dont la réputation, dont la probité sont entachées.
Mais cet homme a volé en quelque sorte le bien d'autrui ; mais cet homme est
venu s'emparer d'une marque de fabrique, qui ne lui appartenait pas ; mais cet
homme a agi sciemment au détriment d'un autre ! Et lorsqu'en présence
d'allégations semblables, on lit le jugement civil dont je viens de vous donner
communication, on voit que le tribunal n'a pas même trouvé qu'il y eût lieu à
condamner Orman à des dommages-intérêts.
Qui osera dire maintenant
que l'on n'a pas attaqué cet homme avec la plus excessive légèreté ?
M. Verhaegen (pour un fait personnel). -
Messieurs, d'après ce que vous venez d'entendre, Orman serait le plus parfait
honnête homme du monde, et il ne manquerait, pour couronner l'œuvre, que de
dire que les coupables sont ceux qui l'attaquent.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non ! non !
M. Verhaegen. - Messieurs, rien ne coûte à M. le
ministre de la justice : dénégations sur dénégations, jusqu'à ce qu'on lui
mette sous les yeux les pièces qui le confondent.
Heureusement le Moniteur
est là, et il apprendra, non pas aux honorables membres de la droite qui ne
veulent pas connaître l'affaire, mais au pays, que dans une première séance M.
le ministre est venu dénier ici ce qu'il a dû avouer ensuite.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Jamais.
M. Verhaegen. - Dans une précédente séance, vous
avez nié formellement la visite que vous a faite M. Janssens de Lessines.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Pas du tout.
M. Verhaegen. - Et vous avez été obligé de venir
ensuite expliquer cette visite qui venait d'être constatée à l'évidence.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Vous m'avez attaqué ; il m'est
permis de vous répondre.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Lisez le Moniteur.
M. Verhaegen. - Je ne sais pas si, dans le
Moniteur, vous n'avez pas donné une autre tournure à vos phrases qui étaient
bien explicites.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Pas le moindre.
M. Verhaegen. - La visite dont j'ai parlé, et que
M. le ministre avait déniée d'abord, était une visite à 7 heures du matin, une
de ces visites qu'on ne donne pas ordinairement au ministère de la justice et
qu'il n'aurait pas dû oublier.
Ce qui m'a étonné, je
dois le dire, et je n'ai cependant pas formulé d'accusation à cet égard, c'est
qu'à la dernière séance on soit venu vous lire deux lettres écrites par un de
nos honorables collègues, en sa qualité de président du tribunal de Tournay, et
dont on n'avait pas jugé à propos de parler précédemment. Messieurs, une de ces
lettres a eu d'autant plus lieu de m'étonner, qu'il s'y trouve, si je ne me
trompe, cette phrase : « Que le sieur Orman jouit de la considération
publique à Lessines et de la réputation d’un bon père de famille. » On pourrait
mettre à côté de cette lettre le jugement civil de 1837, qu'on n'a pas voulu
lire, et qui porte le nom de l'honorable président du tribunal de Tournay.
M. Dubus (aîné). - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Je n'irai pas plus loin sur ce point.
Car, messieurs, vous devez me rendre cette justice que dans mon premier
discours je ne voulais rien dire de ce jugement, mais on m'y a provoqué.
Plusieurs membres. - Si ! Si !
M. Verhaegen. - Des si ! si ! ne sont pas des
arguments.
M. Lejeune. - Vous en avez parlé, voilà le fait.
M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de
vous le dire, je ne réponds pas à ceux qui ne veulent pas m'écouler et qui
d'ordinaire n'accueillent les orateurs qui siègent sur ces bancs que par des
murmures. Mais il y a d'autres auditeurs, et ils sont plus nombreux. C'est
surtout pour ceux-là que je parle (Interruption.)
Les rires ne me touchent
guère et si vous voulez continuer de cette manière, j'attendrai que vous ayez
fini.
J'ai dit que je
n'invoquerais aucun fait dont je n'avais pas la preuve.
M. Van
Cutsem. - Et l'affaire
de la cour de cassation ?
M. Verhaegen. - Successivement à toutes les
dénégations, j'ai répondu par des pièces, mais je ne veux pas inutilement citer
d'autres noms propres.
Je n’ai pas encore oublié
la position qu'on me faisait l'année dernière à l'occasion de mes révélations
au sujet de Retsin. car alors aussi on murmurait et dans la première séance, on
voulait à peine m'écouter ; mais ensuite l'affaire est devenue sérieuse. Il
s'est agi alors de correspondances ; il s'est agi de lettres qui étaient
restées en route plusieurs jours, pour arriver du parquet du procureur général
au ministère, alors qu’elles avaient été adressées par urgence, par un
commissionnaire spécial, pour qu'elles parvinssent immédiatement à leur
adresse, et cependant on déniait toujours !
Je ne reviendrai pas sur
tous ces points ; car le pays en sait assez pour apprécier la moralité de tous
les incidents que la scandaleuse affaire Relsin eu a présentés.
Il est bon de se tenir en
garde contre des assertions et surtout contre des assertions que des pièces
repoussent.
J'ai parlé de quatre
jugements et je défie M. le ministre de la justice de trouver dans mes deux
discours qui sont au Moniteur, rien qui ne soit conforme à ces jugements.
J'ai dit qu'Orman avait été
condamné correctionnellement par le tribunal de Tournay le 28 mars 1826, à
trois mois de prison pour sévices sur des agents de la force publique. Le fait
est reconnu, on ne le dénie pas ; seulement on dit qu'il n'avait alors que 20
ans et que l'affaire avait été considérée comme si peu grave que le ministère
public avait réclamé l'indulgence du tribunal. Mais si le fait est vrai, il me
semble que le tribunal n'a pas partage l'avis du ministère public, et la
requête en grâce n'en a pas moins été rejetée.
Tout ce que j'ai dit sur
ce point, reste donc confirmé.
Orman a été condamné
ensuite par le tribunal de simple police de Lessines, par ce tribunal dont il
est en ce moment le greffier ; et chose bizarre ! il est aujourd'hui le
dépositaire des minutes parmi lesquelles se trouve celle qui le condamne.
Oh ! cela n'est rien,
s'écrie-t-on, c'est une affaire de simple police, il ne s'agissait que d'une
rixe dans un cabaret. (Interruption.)
Mais, messieurs, pourquoi donc ne vous communique-t-on pas aussi ce jugement
quelque peu important qu'il soit ? (Interruption.)
M. le ministre, on m'écrit de Tournay que les quatre jugements vous ont été
envoyés, avec deux autres documents ; mais si vous avez ces deux documents
ainsi que vous l'affirmez par un signe de tête, vous avez donc aussi les
jugements, car ils font partie du même envoi.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cela n'est pas exact.
M. Verhaegen. - Vous avez fait bien d'autres
dénégations ; c'en est une de plus. J'espère au moins que, quant au jugement de
simple police, dont je parlais en dernier lieu, vous n'en contestez plus
l'existence ?
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je n'en sais rien.
M. Verhaegen. - Maintenant le jugement civil, vous
avez jugé à propos de ne rien en dirie ; je n'en dirai plus rien non plus ;
mais si l'on avait pris un fonctionnaire appartenant à notre opinion qui fût
dans une position semblable à celle d'Orman, vous auriez entendu les cris de la
droite...
M. Brabant. - Pas du tout.
M. Verhaegen. - On aurait crié à l'immoralité....
M. Brabant. - Pas du tout.
M. Delfosse. - Et la décoration de M. Lyon que M.
de Theux a blâmée si vivement en 1840 ?
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je la blâmerais encore.
M. Verhaegen. - L'honorable M. de Theux vient de
faire une observation qui donne un démenti aux paroles de M. Brabant.
L'honorable M. de Theux déclare que si un fait, comme celui relatif à la
décoration donnée à M. Lyon par le ministère de 1840 se reproduisait, il
tiendrait le même langage qu'il a tenu alors.
Du reste, voici
maintenant tout le cheval de bataille de M. le ministre de la justice, et il a
terminé par là son discours ; car il a conservé cette dernière réponse, comme
on dit trivialement : « comme le bouquet ». Il s'agit du jugement de
1842, et voici, d'après lui, la preuve de la légèreté que j'aurais commise :
J'ai attribué à Orman un fait d'indélicatesse, et il ne s'agit que d'une
condamnation de très peu d'importance ; ce n'est, (page 511) d'ailleurs qu'un jugement en matière civile, et j'aurais
parlé d'une condamnation correctionnelle. Mais, messieurs, c'est inexact :
quand j'ai indiqué les différents jugements, j'ai donné à ces jugements la
qualification qui convenait à chacun d'eux ; j'ai dit que l'un était un
jugement correctionnel, celui de 1826 ; l'autre, un jugement de simple police,
celui de 1828 ; mais je n'ai pas donné une qualification semblable au jugement
de 1842.
Cependant, messieurs, le
fait n'en est pas moins grave, et savez-vous pourquoi il n'y a pas de peine
correctionnelle, savez-vous pourquoi il n'y a eu qu'une simple condamnation à
des dommages-intérêts, avec défense toutefois, de récidive et autorisation au
plaignant de faire publier le jugement ? C'est que sur cette matière il y a une
loi spéciale, la loi de germinal an XI.
M. Brabant. - Et l'article. 142 du Code pénal.
M. Verhaegen. - En matière de faux seulement
l'article 142 reçoit application.
M. Brabant. - En matière de marques de
commerce.
M. Verhaegen. - II y a aussi une disposition
spéciale pour les passeports auxquels l'article 142 reste inapplicable.
Un membre. - Il y a une disposition spéciale.
M. Verhaegen. - Eh bien oui, il y a une
disposition spéciale pour les passeports ; mais dans ce cas-ci, il y a aussi
une disposition spéciale. Qu'en résulte-t-il ? C'est que le jugement dont M. le
ministre a lu le dispositif, a le caractère que je lui ai attribué.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et les considérants.
M. Verhaegen. - Vous auriez bien fait de lire
aussi les qualités du jugement.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je les lirai.
M. Verhaegen. - Eh bien, messieurs, vous verrez
quelles étaient les prétentions du demandeur ; vous verrez quels étaient les
soutènements de part et d'autre, et puisque vous le désirez, vous verrez la
pièce lundi au Moniteur. M. le ministre pourra avant tout contrôler sa copie
avec la mienne.
Le tribunal de Tournay a décidé
qu'il y avait imitation de la vignette, imitation de la marque, et il résulte
de l'ensemble du jugement, des qualités et du dispositif, qu'il y a eu
intention de tromper les acheteurs au grand préjudice d'un fabricant de Liège,
M. Orban fils. Voilà toute l'affaire !
Maintenant vous,
messieurs, qui m'interrompez, approuvez-vous ce fait ? Direz-vous que ce fait
est moral ? Vous qui voulez justifier Orman et qui trouvez mauvais que je l'aie
attaqué, approuvez-vous sa conduite ? Expliquez-vous-en.
M. Brabant. - Je m'en expliquerai.
M. Verhaegen. - Messieurs, d'après M. le ministre
il y aurait eu bonne foi, et le fait serait parfaitement insignifiant. Mais M.
le ministre ne fait ici que suivre encore les précédents fâcheux dont parlait
tout à l'heure l'honorable M. Pirson. Ce n'est plus moi, mon attaque qu'il
critique ; il critique le jugement, il conteste la force de la chose jugée, car
enfin ce que j'avais à établir est jugé, irrévocablement jugé par le tribunal
de Tournay, quelle que soit d'ailleurs la peine comminée contre un fait spécial
de cette nature, ne se réduisît-elle qu'à une condamnation civile.
Je n'ai plus rien à
ajouter, messieurs, les faits sont connus, la manière dont on a voulu se justifier
met le comble à l'inconvenance, je dois le dire, et je persiste à soutenir
comme je l'ai fait dans mon premier discours, que l'affaire dont nous nous
occupons en ce moment, est le digne pendant de l'affaire de Retsin.
Voici le jugement du 18
décembre 1842 :
« Nous Léopold Ier, roi
des Belges, à tous présents et à venir faisons savoir.
« L'an mil huit cent
quarante-deux, le vingt-deux décembre, le tribunal de première instance de
l'arrondissement de Tournay, province de Hainaut, deuxième chambre, a rendu en
audience publique le jugement suivant auquel ont assisté MM. Broquet,
vice-président, Trenteseaux, Belin, juges, Heughebaert, substitut du procureur
du roi et Dubois, commis-greffier.
« En cause de M. Henry
Joseph Orban, fabricant et négociant faisant le commerce sous la raison J.-M.
Orban et fils, domicilié à Liège, demandeur, ayant pour avoué maître Goblet,
contre M. Désiré Orman, marchand de café, chicorée, demeurant et domicilié à
Lessines, défendeur ayant pour avoué Maître fontaine.
« En vertu d'ordonnance
spéciale octroyée le treize mai mil huit cent quarante-deux par M. le.
vice-président, le demandeur fit assigner le sieur Désiré Orman à comparaître
par-devant ce tribunal à l'audience de la seconde chambre du dix-neuf du même
mois, en exposant que le demandeur est propriétaire d'une marque représentant
un ovale avec losange à côté, dans laquelle se trouvent les initiales du nom de
sa maison de commerce, J. M.O., que cet ovale et ce losange sont disposés d'une
manière particulière et accompagnés de vignettes et de certains signes mis en
usage par le demandeur. Que cette marque qui a acquis une grande réputation dam
le négoce sert à en couvrir la marchandise connue sous le nom de café chicorée
« Que les paquets qui en
sont formés portent au bas une inscription et au côté la signature et le
paraphe de la maison J.-M. Orban et fils, et font partie intégrante de la
marque.
«Que cette marque a été
déposée le neuf juillet dix-huit cent dix-neuf, au greffe du tribunal de
commerce de Liège, au vœu de la loi du vingt-neuf germinal an onze.
« Que le défendeur s'est
permis d'imiter la marque qui vient d'être indiquée, qu'il a copié
textuellement l'ovale, le losange, les vignettes et accessoires, qu'il les a
disposés de la même manière et a placé le paraphe comme sur les marques qui
sont la propriété du demandeur.
« Que par ce fait il
a causé préjudice au demandeur et qu'il est tenu de le réparer conformément aux
articles 1382 et 1383 du Code civil et à la loi du 22 germinal an XI.
« Qu'en conséquence il se
voie et entende condamner à payer au demandeur la somme de trois mille francs,
à titre de dommages-intérêts pour les causes énoncées aux attendus qui
précèdent, sous faire défense d'imprimer, vendre ou débiter à l'avenir sous
lesdites marques, sous-peine de cent francs par chaque contravention.
« Entendre ordonner que
le jugement à intervenir sera imprimé, affiché au nombre de cinq cents
exemplaires aux lieux à désigner par le demandeur et publié dans six journaux
de la Belgique, le tout aux frais du défendeur, s'entendre aussi condamner aux
intérêts judiciaires et aux frais et dépens de l'instance. Voir accorder
l'exécution provisoire du jugement, nonobstant opposition ou appel et sans
caution.
« Maître Fontaine se
constitua pour le défendeur, et l'affaire ayant été mise au rôle de la seconde
chambre et appelée le dix-neuf mai, jour fixé par l'ordonnance de M. le
vice-président, elle fut retenue à la suite du rôle courant.
« Le vingt-huit juillet,
l'avoué du demandeur fit notifier à celui du défendeur, qu'il avait déposé au
greffe, où il pourrait en prendre communication à son apaisement : 1° Le
certificat dûment enregistré et délivré par le greffier du tribunal de commerce
de Liège, constatant que la marque constituant la propriété desdits
Joseph-Michel Orban et fils, a été déposée au greffe du tribunal de commerce de
Liège, le neuf juillet mil huit cent dix-neuf.
« 2° et 3° Deux paquets
chicorée provenant des fabriques de la maison Orban et entourés de leur marques
et vignettes.
« Et 4° un paquet de
chicorée provenant de la fabrique Orman, entouré de marques et vignettes
imitées par ce fabricant.
« Après de nombreuses
remises, l'affaire fut appelée pour être plaidée à l'audience de ce jour,
vingt-cinq novembre mil huit cent quarante-deux.
« Par écrit qui fut lu à
l'audience et visé par M. le vice-président, Maître Goblet prit les mêmes
conclusions que celle reprises en l'exploit introductif d'instance et ci-dessus
transcrites.
« Maître Fontaine lut et
développa un écrit de conclusions motivées qui fut également visé et par lequel
il conclut qu'il plût au tribunal déclarer le demandeur purement et simplement
non recevable, sinon et subsidiairement mal fondé dans toutes ses conclusions,
l'en débouter et le condamner aux dépens de l'instance.
« Très subsidiairement
seulement il conclut à ce qu'il plaise au tribunal admettre le défendeur à
faire la preuve des faits articulés audit écrit par tous moyens de droit et
notamment par témoins ; fixer jour pour l'enquête et réserver les dépens.
« Lesdits avocats ayant
amplement plaidé tous leurs moyens, la cause fut tenue en délibéré et le
prononcé du jugement remis à l'audience de ce jour à laquelle il a été jugé
comme suit :
« Attendu que la
propriété du chef du demandeur de la marque par lui produite au procès, est
constaté par le dépôt qu'il en a fait au greffe du tribunal de commerce de
Liège le neuf juillet mil huit cent dix-neuf» et que le défendeur n'allègue
même pas qu'il aurait fait pareil dépôt de la sienne.
« Attendu que le droit de
se servir d'une marque ne devient privatif que par ce dépôt et au profit de
celui qui l'opère, que telle est la volonté de la loi du vingt-deux germinal an
XI conçue dans le but d'accroître la confiance générale dans le commerce en
prenant des mesures pour garantir sa sincérité.
« Attendu en conséquence
que les faits de possession articulés par le défendeur comme ayant été exercés
tant par lui que par les autres fabricants de Lessines, sont irrelevants,
puisqu'ils sont impuissants pour engendrer un droit que le dépôt légal peut
seul conférer ;
« Attendu que la
marchandise dont il est question au procès, et connue dans le commerce, sous le
nom de café -chicorée, s'adresse en général à une classe de consommateurs peu
instruits et peu lettrés ;
« Que ceux-ci sont
habituellement frappés par ce qui touche les sens comme la forme, la couleur,
le dessin, les images ; que dans tous ces rapports, il existe une très grande
ressemblance entre les paquets du demandeur et ceux du défendeur, qu'il y a
identité de forme et de dimension pour les paquets ; identité de couleur pour
les enveloppes, identité de dessin et de position pour les vignettes, identité
de dessin pour les noms, les initiales et les adresses, que ces identités de
position ne sont pas seulement absolues, mais encore relatives. »
« Attendu que les
dissemblances ne peuvent être saisies que par des personnes qui sachent lire,
qu'elles consistent uniquement dans la différence des noms, des initiales, des
adresses, et par conséquent toutes dans des différences de lettres.
« Attendu que telles
différences ne sont point de nature à éveiller l'attention des consommateurs
pour lesquels est faite la marchandise dont il s'agit, et qu'en résumé ceux-ci,
en présence des deux paquets, ne voient que des ressemblances dans ce qui les
frappe, et ne trouvent de dissemblances que dans ce qui ne les frappe point.
« Par ces motifs, le
tribunal fait défense au défendeur de se servir dorénavant des marques
contentieuses sous peine de cent francs de dommages-intérêts par chaque contravention.
»
(page 512) « Ordonne que le présent jugement soit imprimé et affiché
au nombre de cent exemplaires aux lieux à désigner par le demandeur et aux
frais du défendeur.
« Et pour tous
dommages-intérêts soufferts par le demandeur pour l'usage desdites marques, par
le défendeur jusqu'à ce jour, condamne celui-ci aux frais et dépens de
l'instance, taxés à soixante-trois francs quatorze centimes.
« Accorde l'exécution
provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution, sauf quant aux
dépens.
« Signé : E. Broquet et
Dubois, commis-greffier.
« Mandons et ordonnons à
tous huissiers sur ce requis de mettre le présent jugeaient à exécution, à nos
procureurs généraux, à nos procureurs près les tribunaux de première instance
d'y tenir la main et à tous commandants et officiers de la force publique de
prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
« Ainsi jugé et prononcé
en audience publique dudit tribunal les jour, mois et an que dessus ;
« En foi de quoi le
présent jugement a été signé à la minute par le vice-président, et le greffier
dudit tribunal.
« (Signé) Defrenne,
commis-greffier.
« Enregistré à
Tournay, le neuf février 1800 quarante-trois, vol. 112, fol. 30, case 2 ; reçu
cinq francs neuf centimes pour droit d'enregistrement, onze francs
nonante-trois centimes pour droit de greffe, et cinq francs onze centimes pour
additionnels, neuf rôles sans renvoi.
« Le receveur,
« (Signé) Adam. »
M. Dubus (aîné). - J'ai demandé la parole, messieurs,
lorsque l'honorable député de Bruxelles, rappelant les lettres que j'ai écrites
à M. le ministre de la justice et dont il a, de mon consentement, donné lecture
dans la séance d'hier, m'a reproché d'avoir dit dans une de ces lettres que
Orman avait la réputation d'un bon père de famille, tandis que le jugement
rendu en 1837 prouverait le contraire. D'abord je ferai remarquer à l'honorable
membre qu'il tire évidemment ici une fausse conséquence de ce jugement. Même
s'il avait la portée qu'on veut lui donner, il ne prouverait pas que Orman ne
jouit pas à Lessines de la réputation d'un bon père de famille. Moi, j'ai pris
mes renseignements avant d'écrire, et je déclare que ces renseignements ont été
pris par moi consciencieusement et que la lettre que j'ai écrite à M. le
ministre de la justice est le résultat des renseignements qui me sont parvenus,
et d'après lesquels Orman jouit à Lessines de la réputation d'un honnête homme,
d'un homme attaché à ses devoirs, d'un bon père de famille. Il y est estimé de
tout le monde, et, messieurs, les faits en donnent la preuve. Je rappelais dans
ces lettres, et l'honorable membre s'est bien gardé de rencontrer ce fait, lui
qui prône si haut la valeur des résultats de l'élection, je rappelais dans ces
lettres qu'Orman était sur les rangs pour une place de conseiller communal au
mois d'octobre 1845, dans une élection spéciale qui avait lieu pour remplacer
un conseiller décédé ; qu'il avait un concurrent, et que ce concurrent était
une personne honorable ; les électeurs étaient donc en présence de deux
candidats : Orman, et une autre personne de Lessines, personne très honorable ;
eh bien, Orman fut nommé à une majorité considérable, à la majorité des quatre
cinquièmes des suffrages, 118 voix contre 33...
Voilà certes un fait qui
prouve l'estime dont il jouit à Lessines où, sur la foi d'un ou deux ennemis
acharnés d'Orman, l'honorable député de Bruxelles veut qu'il ne jouisse point
d'une bonne réputation ; car l'honorable membre ne pourrait citer à l'appui de
ses attaques qu'un petit nombre de personnes, quelques hommes passionnés,
animés par l'esprit de parti, ce qui est prouvé par les faits, ce qui peut se
prouver encore mieux par leurs actes.
Et c'est sur la foi de
quelques hommes de parti, de quelques ennemis acharnés d'Orman que l'on vient,
dans le parlement, déchirer la réputation, attaquer l'honneur de cet honnête
homme qui est environné dans sa ville natale de l'estime générale, qu'on vient
le représenter comme un malhonnête homme, comme un homme taré, que le
gouvernement n'a pu élever à une fonction publique qu'en déshonorant en quelque
sorte les fonctions ministérielles elles-mêmes. Voilà les exagérations
auxquelles on s'est livré. Ces exagérations, si elles n'avaient pas pour
conséquence de porter atteinte à ce que nous devons respecter, à la réputation
d'autrui, à la réputation d'un absent, on pourrait s'en moquer ; mais elles
sont réellement déplorables alors que les choses sont poussées à cet excès que
la réputation d'un tiers, réputation intacte dans la ville qu'il habite et qui
n'est pas une bicoque, puisqu'elle compte 5,500 habitants, que cette réputation
est ici déchirée devant vous en son absence, sans que cette attaque contre un
absent ait pu être prévue et que personne ait pu être muni des renseignements
et des pièces nécessaires pour le défendre, de manière qu'on s'attendait
apparemment à ne pas rencontrer de contradictions. Je vous laisse juger,
messieurs, une pareille conduite. Je dis que celle d'Orman est très honorable.
C'est un homme entouré de l'estime publique ; la preuve en est dans des actes
qu'on ne peut pas récuser. Ce n'est pas seulement cette élection, acte très
récent, c'est encore la nomination d'Orman aux fonctions de membre du bureau de
bienfaisance, qui remonte à quatorze ou quinze ans d'ici, ce sont ses
réélections successives en cette qualité, et, je le demande, messieurs, est-ce
que les fonctions de membre du bureau de bienfaisance dans une ville qui compte
plus de 5,500 habitants, et un grand nombre d'indigents, est-ce que ces
fonctions ne demandent pas un homme probe et considéré ? Est-ce qu'on peut
confier à un homme taré les fonctions de membre d'un bureau de bienfaisance
plutôt que celles de greffier d'une justice de paix ? M. le ministre est
l'objet d'attaques violentes, parce qu'il a conféré à Orman ces fonctions de
greffier. Pourquoi n'attaque-t-on pas avec le même acharnement le collège
électoral qui l'a élu conseiller communal, et le conseil communal qui lui a
conféré, puis confirmé à plusieurs reprises les fonctions de membre du bureau
de bienfaisance ? C'est, je le répète, par le conseil communal qu'il a été
confirmé à plusieurs reprises dans ces dernières fonctions ! Or, les ennemis
d'Orman siègent dans le conseil, et c'est à l'unanimité qu'Orman a toujours été
nommé membre du bureau de bienfaisance. Mais alors Orman n'avait pas obtenu les
fonctions de greffier qu'on voulait faire obtenir à un autre ; et c'est là la
cause de toute la haine qu'on lui porte, de l'acharnement que l'on met à le
diffamer.
Sauf le jugement de 1826,
qui, il y a quelques mois, avait été indiqué dans les journaux, personne ne
s'attendait à voir produire les autres. Il est même prouvé par les pièces (le
ministre a fait cette démonstration) que les adversaires d'Orman, au mois de
septembre dernier, ne connaissaient pas les autres actes ; ce sont les
recherches qu'on a faites et qu'on a multipliées dans le dessein de parvenir à
le perdre de réputation, qui les ont fait découvrir et qui les ont fait
produire... quand ? à votre séance même ; on les a produits dans la confiance
que personne ne pourrait les rencontrer.
Un seul acte, dis-je,
avait été indiqué dès le mois de septembre dernier. Cet acte, c'est un jugement
correctionnel, rendu, lorsqu'Orman était âgé de 20 ans ; et la plupart des
actes qu'on oppose à Orman, se reportent en quelque sorte à la même époque.
Orman a eu une jeunesse un peu orageuse. (Interruption.)
Il est bien des personnes, entourées aujourd'hui de l'estime publique, qui ont
eu une jeunesse orageuse. S'il fallait déclarer à jamais incapables de remplir
des fonctions publiques tous ceux qui ont eu à se reprocher quelques écarts de
jeunesse, je crois que le nombre en serait beaucoup plus grand qu'on ne le
pense.
Mais ainsi que je
l'écrivais à M. le ministre de la justice, d'après les renseignements qui
m'étaient parvenus, Orman s'est corrigé, il s'est marié ; il a changé complétement
de conduite ; il est rentré tout à fait dans la bonne voie ; il a reconquis
l'estime publique. Je comprends que s'il avait été question de lui confier des
fonctions en 1827 ou en 1828, la difficulté aurait été grande ; mais après que
cet homme s'est amendé et qu'il en a donné des gages par une conduite honorable
et digne pendant une longue suite d'années, je ne comprends plus pourquoi on
veut réveiller ses anciens antécédents comme une note d'infamie perpétuelle,
comme un motif d'exclusion à tout jamais. Je voudrais bien qu'on eût le courage
de poser, d'une manière générale, le principe que tout homme qui, dans sa
jeunesse, aura commis quelques écarts, doit être éloigné de toutes fonctions
publiques, quelle qu'ait été sa conduite ultérieure. Une fois le principe posé,
l'on serait fort étonné des conséquences de son application.
M.
Rodenbach. - C'est du libéralisme !
M. Dubus (aîné). - Je ne crois pas que le libéralisme
gagnât grand-chose à faire poser ce principe-là.
Mais d'ailleurs les faits
consignés dans ce jugement sont entourés de. circonstances telles, que la
culpabilité en est singulièrement atténuée, et si l'on n'avait pas eu le
dessein, qui me paraît manifeste, de faire un exemple, parce qu'il y avait là
résistance à l'autorité locale, et qu'on s'apercevait déjà alors que l'autorité
locale n'était pas assez respectée ; si, dis-je, on n'avait pas eu ce dessein,
le jugement n'aurait certainement pas été si sévère.
Cet homme d'un naturel un
peu emporté, voyant expulser un de ses ouvriers d'un cabaret dans une commune du
canton de Lessines, a voulu le réintégrer dans le cabaret ; il a résisté au
garde champêtre et au bourgmestre, et il s'est trouvé avoir manqué à des
fonctionnaires publics qui étaient dans l'exercice de leurs fonctions ; il
n'appréciait pas les conséquences d'une pareille résistance : mais s'il ne les
appréciait pas, il les a subies, puisqu'il a été condamné à trois mois
d'emprisonnement.
Eh bien, cette
condamnation, tout le monde sans doute la trouvera fort sévère ; je me trompe
en disant tout le monde : l'honorable député de Bruxelles trouve qu'elle n'est
pas assez forte ; il s'est chargé, lui, de l'aggraver, en faisant de cet
emprisonnement de trois mois une note d'infamie perpétuelle, une espèce de
cause d'incapacité à remplir toutes fonctions, qui ne disparaîtra ni avec le
repentir d'Orman, ni avec une conduite constamment honorable qui l'aura
recommandé aux suffrages de ses concitoyens.
Messieurs, je vous laisse
à apprécier une pareille manière de faire emploi d'un jugement qui remonte à la
minorité d'Orman !
Je ne dirai rien de
l'affaire de police qui remonte à la même époque ; on n'a pas encore la pièce ;
mais certainement puisque c'était une affaire de police c'était bien moins
grave que l'affaire correctionnelle.
Quant au jugement de
1837, je ne dirai qu'un mot : c'est que la cause qui a amené ce jugement
remonte également à l'année 1826 et même plus haut. Ainsi, vous voyez,
messieurs, que tout s'explique par la même circonstance.
Mais, dit-on, s'il était
bon père de famille, aurait-il refusé des aliments ?
Messieurs, il résulte du
jugement lui-même, et l'on aurait dû au moins être assez impartial pour ne pas
en dérober la connaissance à la chambre ; il résulte du jugement lui-même
qu'Orman avait spontanément entendu payer sa dette ; qu'à cette fin il avait
fait des sacrifices ; mais ces sacrifices (page
513) n'ont pas été jugés suffisants. Voilà quelle a été toute la question.
Ce n'est pas en pareille circonstance qu'on pouvait dire que là existait la
preuve qu'il n'était pas bon père de famille.
Nous avons maintenant le
jugement de 1842 et nous pouvons apprécier l'exagération avec laquelle on a
fait emploi de cette pièce, sans la produire. En effet, il s'agit là uniquement
d'une question d'intérêt civil.
Et je dirai que pour qui
connaît l'opinion qui règne dans les localités autres peut-être que les villes
importantes, il ne peut y avoir, dans les faits dont on a parlé, rien qui
inculpe le moins du monde la délicatesse.
On a dit : Mais si le
fait que le jugement impute à Orman ne peut être considéré comme un délit,
c'est parce qu'il y a une loi spéciale sur la matière, la loi de l'an II. Je
dirai à mon tour : Si le fait dont il s'agit n'est pas un fait
complétement innocent, même sous le rapport des intérêts civils, c'est parce
qu'il y a cette loi, peu connue, de l'an II ; si vous supprimez cette loi, il
est évident qu'il n'y a pas le moindre reproche à faire à Orman.
II a demandé à prouver
(et vous n'avez pas le droit de dire qu'il n'aurait pas atteint sa preuve,
puisqu'il n'a pas été admis à la faire, ce serait par trop violent qu'on voulût
faire présumer contre lui que les faits dont il offre la preuve sont faux,
alors que par une fin de non-recevoir on a mis obstacle à ce qu'il administrât
cette preuve), il a demandé à prouver qu'il était en possession de se servir de
la vignette dont il s'agissait, et que sa possession était antérieure à celle
dont se prévalait la maison Orban de Liège.
Au point de vue de la
moralité du fait, tel qu'il résulte du jugement, vous devez admettre qu'il
aurait pu prouver ces faits, si la preuve qu'il en avait offerte avait été
reçue. Eh bien, admettez que le fait soit vrai, et dites-moi en quoi sa
délicatesse peut se trouver compromise ?
Orman n'avait pas déposé
sa vignette, mais s'il était en possession de cette vignette, et s'il ne l'a
pas déposée, ne résulte-t-il pas évidemment de là que c'est qu'il ne
connaissait pas la nécessité de faire ce dépôt ? Sans cela, une formalité aussi
simple, aussi peu coûteuse que celle-là, il se serait empressé de la remplir,
puisqu'à défaut de la remplir, il perdait sa propriété. Ainsi les faits
eux-mêmes enlèvent toute apparence qu'Orman ait manqué à la délicatesse.
Remarquez qu'il n'était
pas le seul qui eût adopté la vignette dont il s'agit ; il avait, comme tous
les marchands de Lessines, adopté cette vignette, sous laquelle il mettait son
nom et son domicile. Mais cette vignette ressemblait à une vignette que la
maison Orban, de Liège, conformément à la loi, avait eu la précaution bien sage
de déposer au greffe du tribunal de Liège. Parce que ce dépôt, assurément
inconnu d'Orman, avait été fait, Orman, choisi pour servir d'exemple, a été
poursuivi et condamné. Mais comment a-t-il été condamné ? On demandait 3,000
fr. de dommages-intérêts. Cette demande a été écartée par le juge qui, appréciant
la moralité du fait, a reconnu qu'il n'y avait pas lieu à accorder des
dommages-intérêts. Toute la condamnation s'est bornée à une défense de se
servir de cette vignette pour l'avenir. Et voilà le fait qu'on présente comme
portant une grave atteinte à la morale. Je voudrais savoir en quoi la morale se
trouve ici le moins du monde intéressée.
Il y avait contestation
sur la question de savoir lequel des deux avait le droit de se servir d'une
vignette ou si tous deux avaient droit de s'en servir ; cette contestation a
été vidée par un jugement. Il n'y a là rien qui porte atteinte à la réputation
de probité dont Orman jouit à Lessines. Je suis autorisé dès lors à dire qu'il
en jouit à juste titre.
De la manière dont le
fait avait été articulé on aurait pu croire en effet qu'il y avait là quelque
chose de grave ; mais depuis qu'il est expliqué je crois que vous comprenez
tous que cela se réduit absolument à rien. Il en reste cependant quelque chose
; une nouvelle preuve de l'acharnement des ennemis d'Orman, de l'esprit de
parti qui les dirige et qui fait qu'ils ne reculent devant aucune extrémité
pour nuire à leur ennemi.
Je
terminerai en déplorant amèrement que de semblables débats aient pour la
première fois eu lieu dans cette enceinte. Jusqu'ici la réputation des tiers
avait été hors de cause ; il paraît, d'après ce que j'ai entendu dans des
séances précédentes, que le précédent qu'on vient de poser aura plus d'un
exemple plus tard, puisqu'on a établi en principe qu'on avait le droit de
déchirer ici à plaisir la réputation des tiers quand on en fait un moyen
d'attaque contre les ministres. Il m'a semblé que si c'était un moyen
parlementaire, ce ne serait pas dans notre chambre seulement que nous en
trouverions un exemple, nous verrions ailleurs aussi les oppositions se livrer
à des attaques violentes non pas seulement contre les ministres, mais même
contre des personnes étrangères à la chambre qui seraient soupçonnées d'être
des partisans du ministère. On verrait traduire ces personnes à la barre de la
chambre quoique absentes, et produire contre elles toutes sortes d'accusations
qu'elles ne pourraient pas rencontrer. Mais vous chercheriez vainement ailleurs
un autre exemple de semblables attaques que celui qui malheureusement vient de
vous être donné.
M. Brabant. - Un citoyen a été l'objet des
accusations les plus graves. L'un des jugements rendus contre lui, et celui qui
a fait la plus vive impression sur la plupart des membres de cette assemblée, a
été lu dans cette séance. Il était facile de réduire la chose à des proportions
très simples ; on était nanti du jugement, on n'avait qu'à en donner lecture,
mais la simple lecture de ce jugement n'aurait pas produit l'effet qu'on
désirait, il a fallu qu'elle vînt d'ailleurs.
On a dit qu'on ne disait
rien que preuves en main, et que ce qu'on avançait ici, on le répéterait eu
pleine place publique ; qu'on n'entendait pas s'abriter derrière
l'inviolabilité du député.
Qu’on y prenne garde, ou
plutôt je pense qu'on se gardera bien, se souvenant de l'article 367 du Code
pénal, d'exécuter la promesse qu’on a faite.
Vous savez ce qu'a fait
Orman ; dans la séance d'avant-hier, je pensais qu'il avait pris le dessin, la
marque avec le nom à d’Orban. Nous voyons d'après le jugement qu'il a seulement
emprunté le dessin et qu'il a écrit son nom d'Orman. Quelle est l'imputation
cependant ? Je lis le Moniteur :
« Le troisième jugement
est de 1842 ; il n'était plus mineur alors ; il a été condamné par le tribunal
de Tournay pour avoir mis sur ses paquets de chicorée la marque et l'étiquette
de MM. Orban et fils de Liège. » Remarquez ces derniers mots en italiques.
Et le Moniteur reproduit
en italique les mots : « MM. Orban et fils de Liège ». Or, savez-vous
ce qui serait arrivé, messieurs, si les faits relatés par l'honorable M.
Verhaegen et qui se trouvent consignés au Moniteur, étaient vrais ? Orman
n'aurait pas seulement été appelé devant la justice civile, afin de dommages et
intérêts et d'interdiction, de continuer l'usage d'une marque ; mais voici ce
que disent les articles 142 et 143 du code pénal :
« Art. 142. Ceux qui
auront contrefait les marques destinées à être apposées, au nom du
gouvernement, sur les diverses espèces de denrées ou de marchandises, ou qui
auront fait usage de ces fausses marques ; ceux qui auront contrefait le sceau,
timbre ou marque d'une autorité quelconque, d'un établissement particulier de
banque ou de commerce, ou qui auront fait usage des sceaux, timbres ou marques
contrefaits, seront punis de la réclusion.
« Art. 143. Sera puni de
la dégradation civique quiconque, s'étant indûment procuré les vrais sceaux,
timbres ou marques ayant l'une des destinations exprimées en l'article 142, en
aura fait application ou usage préjudiciable aux droits ou intérêts de l'Etat,
d'une autorité quelconque ou même d'un établissement particulier. »
En présence de ces deux
dispositions et de l'article 367 du code pénal, je crois qu'on se gardera bien
de répéter en place publique ce qu'on a consigné au Moniteur.
Messieurs, je m'abstiendrai
de qualifier cette conduite.
Mais
tout à l'heure, et c'est lorsque j'ai interrompu l'honorable M. Verhaegen, il
nous disait : Si des faits pareils à ceux qui sont imputés à M. le ministre de
la justice se produisaient au préjudice de notre opinion, oh ! quel soin
vous auriez de les signaler ! Non, messieurs, des faits graves, des faits
déshonorants, des faits d'une méchanceté atroce ont été commis par certaines
gens, et on n'en a pas parlé.
Pour ne pas sortir de
l'espèce, je dirai à la chambre que c'est un greffier de juge de paix qui a
publié, en 1841, le catéchisme de la dîme, sous la date de 1845.
M. Dumortier. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque
j'ai entendu le discours prononcé par l'honorable M. Pirson. Je n'ai pas
l'habitude de prendre, dans cette chambre, la défense de MM. les
ministres ; mais il y a chez moi, messieurs, un sentiment plus fort que le
désir que j'avais de me taire ; c'est le sentiment de la justice, c'est ce
sentiment de l'intérêt qui se rattache toujours aux victimes.
Or, j'ai vu qu'on voulait
faire de M. le ministre de la justice une victime, et j'ai demandé la parole
pour protéger contre les accusations qu'on formulait contre lui.
Qu'est-ce qu'on a
reproché à M. le ministre de la justice ? Deux actes principaux : l'un,
l'affaire de Retsin ; l'autre, l'affaire de M. Orman.
Eh bien ! je le déclare
dans toute la sincérité de mon âme, je ne conçois pas comment il est possible
de lancer ici des accusations contre M. le ministre de la justice, ni quant à
l'un, ni quant à l'autre de ces actes.
Je dis que l'accusation
qu'on lance contre lui dans l'affaire de Retsin, est une accusation injuste ;
car M. le ministre a démontré jusqu'à l'évidence que lui-même avait fait
remettre Retsin en prison, lorsqu'il avait eu connaissance que cet homme se
promenait dans les rues de Mons, et cela avant qu'aucun journal n'en ait parlé.
Il a prouvé par là sa bonne foi, et personne ne peut la mettre en doute.
Vouloir l'accuser pour un
pareil acte, c'est faire une accusation injuste ; vouloir se servir de cette
accusation pour dénigrer un homme honnête, c'est un système que je dois
désapprouver de toute la force de mon âme.
Si je passe à l'accusation
dont on vient de s'occuper, je dirai que l'injustice est non moins flagrante.
Messieurs, je ne connais
pas du tout M. Orman ; je ne me suis nullement occupé de lui. Mais j'ai eu
l'honneur de voir plusieurs fois sou concurrent, M. Lepoivre, dont on vous a
parlé. Eh bien, dans tous les entretiens que j'ai eus avec M. Lepoivre, jamais
il ne m'a rien signalé contre M. Orman ; je suis même convaincu qu'il ne savait
rien contre lui.
Comment ! on viendra
reprocher à M. Orman des actes de sa jeunesse ! On ira plus loin ; on ira lui
reprocher des actes de sa vie intime. Mais que devient donc cette chambre, si
c'est ainsi que les citoyens y sont traînés à la barre de l'opinion publique ?
Comment ! la flétrissure n'existe plus chez nous, et il y aura une flétrissure parlementaire
à laquelle les citoyens ne pourront se soustraire !
Je le déclare, messieurs,
j'ai vu avec une peine infinie ce qui s'est passé depuis trois jours dans cette
enceinte. De pareilles discussions tendent à jeter une profonde déconsidération
sur la chambre. Ce n'est pas ainsi que nous devons comprendre la dignité du
mandat qui nous est confié.
Attaquez les ministres,
lorsqu'ils posent de mauvais actes ; attaquez-les, (page 514) lorsqu'ils donnent des faveurs à des hommes dont la vie
publique a pu être entachée de quelque défaut ; attaquez-les, s'ils font des
nominations inconstitutionnelles ou illégales ; mais ne venons jamais ici, avec
des jugements qui ont fini leur temps, flétrir la réputation d'hommes
honorables qui ont reçu de leurs concitoyens un mandat qui est la justification
de leur conduite actuelle.
On a beaucoup parlé de
cette fameuse affaire d'une fausse marque de fabrique. Messieurs, je le
déclare, j'avais pensé qu'il s'agissait d'une marque fausse dans laquelle on
aurait emprunté le nom de M. Orban. Je l'ai compris ainsi et j'entends tous mes
collègues dire qu'ils l'avaient compris comme moi ; le Moniteur d'ailleurs le
porte tout au long. Maintenant que vous connaissez ce qui en est, je le
demande, messieurs, n'est-ce pas une chose pénible que de voir un homme
honorable, que ses concitoyens ont appelé à faire partie de la régence de la
ville, représenté ici comme un homme indigne de posséder des fonctions
publiques, comme un faussaire ?
Je le déclare, je ne puis
concevoir une pareille discussion. Encore une fois, si la flétrissure n'existe
plus sur la place publique, cette chambre ne doit pas être transformée en
pilori.
Messieurs, je n'irai pas
plus loin. Je regrette amèrement ce qui s'est passé. Je désire qu'on en reste
là et que la discussion soit close sur ces malheureux débats.
- La clôture est demandée
et mise aux voix par appel nominal. La chambre n'est plus en nombre.
La séance est levée à 4
heures et demie.