Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie
et liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mardi 9 juin 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétitions relatives au chemin de fer du Luxembourg (Lys), à une circonscription
cantonale (de Garcia), aux droits d’entrée sur le bétail
(Huveners)
2) Rapport sur des pétitions relatives au droit
d’entrée sur le bétail (Zoude, de Renesse)
3) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire
au budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1846
4) Projet de loi relatif à la concession du chemin
de fer du Luxembourg et chemin de fer de l’Etat (de Bavay, David,
d’Huart,
de
Mérode, de Tornaco, de Man d’Attenrode, de Bavay,
Zoude,
d’Huart,
de Bavay,
Rogier,
Dechamps,
d’Hoffschmidt,
de Mérode,
Anspach,
David,
Mast de
Vries, Osy, Malou, d’Hoffschmidt,
Osy,
de Garcia)
5) Projet de loi accordant un crédit global au
département de la guerre pour l’exercice 1846 (Rodenbach, Delehaye,
Prisse,
de
Garcia, Delehaye, Malou, Rodenbach,
de Garcia,
Veydt,
Osy,
Malou,
de Garcia,
Rogier,
Rodenbach,
Delfosse,
Malou,
Prisse,
de Mérode,
Dumortier)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1585) M. Huveners fait l'appel
nominal à une heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction
est approuvée.
M. Huveners fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Le sieur Wittebols, militaire
pensionné, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir une
augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Le sieur Verpoorten, maître armurier à Anvers, prie la chambre de
statuer sur sa demande tendant à obtenir le payement des armes que les troupes
hollandaises lui ont enlevées en 1830. »
- Même renvoi.
________________
« Plusieurs habitants de Pitthem demandent l'union douanière avec la France. »
« Même demande du conseil communal de Waereghem
et de plusieurs habitants d'Oostroosebeke. »
- Même renvoi.
________________
« Les membres de
l'administration de Grimbergen présentent des observations contre le projet d'établir
un chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost, et prient la chambre, si elle
décidait la construction d'une nouvelle voie ferrée, d'adopter le tracé de
Bruxelles vers Assche et Merchtem par Termonde. »
- Même renvoi.
« Le sieur J.-J. Stevens présente
des observations contre l'article 47 du cahier des charges de la concession du
chemin de fer du Luxembourg. »
- Sur la proposition de M. Lys, la chambre ordonne le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi relatif à cette concession.
« Les administrations des
communes du canton de Huy prient la chambre de transférer à Eghezée le
chef-lieu de ce canton. »
M. de Garcia propose de renvoyer cette pétition à la commission du projet de loi sur
la circonscription cantonale.
- Adopté.
________________
« La chambre des avoués près le
tribunal de Liège demande que la chambre ne se sépare pas sans avoir examiné le
projet de loi qui règle les tarifs en matière civile. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
________________
« Le conseil communal de Renaix
demande l'adoption du traité de commerce avec la France. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
« Le conseil communal de Caulille demande que le gouvernement consente pas à une
réduction du droit d'entrée sur le bétail hollandais. »
« Même demande du conseil communal de Lille-Saint-Hubert. »
- Même renvoi.
________________
M. Huveners. - Je ne me bornerai pas à demander un prompt rapport sur cette
pétition. Mais j'ai besoin d'interpeller la commission des pétitions et de
demander pourquoi elle ne présente pas son rapport, rapport qui lui a été
demandé par une décision indirecte de la chambre. Si elle a des motifs à
alléguer, qu'elle les fasse valoir, nous tâcherons de les combattre.
M. Zoude. - Je répondrai à cette interpellation, en demandant la parole pour présenter
le rapport.
________________
Par message en date du 8 juin, le sénat informe la chambre qu'il a
adopté le projet de loi tendant à accorder au département des travaux publics un
crédit de 40,000 fr. pour les frais des fêtes de l'inauguration du chemin de
fer belge-français.
- Pris pour notification.
RAPPORTS SUR DES
PETITIONS
M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, les conseils communaux de Lommel, de Peer, de Petit et
Grand-Brozel, de Caulille
et autres communes protestent contre l'abaissement du droit à l'entrée du
bétail étranger.
Les pétitionnaires disent, et certes ils le disent avec raison, que
l'industrie agricole est l'industrie mère, qu'elle tient le premier rang, que
les autres ne marchent qu'après elle, qu'elle a donc droit à une protection
toute spéciale du gouvernement.
Le bras droit de l'agriculture, sa branche principale, disent les
pétitionnaires, est l'élève et le commerce du bétail. Cette vérité, ils la
déclarent particulièrement applicable à la Campine qui a besoin d'une grande
quantité d'engrais, ce qu'elle ne peut obtenir que par un nombreux bétail ; et
c'est sous ce rapport qu'ils invoquent leur droit à la protection due à
l'agriculture.
Le gouvernement est d'accord à cet égard avec les pétitionnaires ; on
lit en effet dans l'exposé des motifs de la loi sur le bétail, qui est encore
en vigueur, on y lit, disons-nous, que les modifications introduites par le gouvernement
provisoire, qui réduisirent les droits d'entrée sur le bétail, avaient été
funestes à l'agriculture.
Aussi la commission mixte instituée en 1843 avait considéré toute
réduction comme pernicieuse.
Celle de la province de Liège, entre autres, disait que la loi de 1835
était favorable à l'agriculture par l'encouragement donné à l'élève et à
l'engrais du bétail, et elle ajoutait que le droit n'a contribué que pour la
plus petite part dans l'augmentation du prix du bétail.
C'est d'ailleurs chose notoire que la Hollande a sur la Belgique un
avantage considérable ; les pâturages y sont plus nombreux et le loyer des
terres y est beaucoup moindre ; dès lors un droit est nécessaire pour rétablir
l'équilibre, autrement le bétail étranger aurait un privilège sur le marché
national.
Lorsque pareille question a été soulevée en France, le ministre du
commerce a dit que les intérêts de l'agriculture étaient tellement essentiels
que l'on devait éviter même l'apparence de ce qui pourrait leur être
dommageable, aussi qu'il s'abstiendrait soigneusement de
proposer aucune réduction sur les droits établis à l'entrée du bétail.
A toutes ces considérations, les pétitionnaires ajoutent la plus
déterminante, celle de l'expérience.
Lorsque le gouvernement provisoire réduisit de moitié le droit sur le
bétail, cette réduction ne produisit d'abord aucun effet, parce que la Hollande
y répondit par la prohibition de sortie ; mais elle fut levée après quelques
années de bouderie, et le pays en fut bientôt inondé à tel point que le bétail
indigène n'eut presque plus de valeur. Des plaintes s'élevèrent alors de toute
part ; les ministres, les chambres, les conseils provinciaux furent assaillis
de réclamations, et ce fut pour remédier à un état de choses aussi déplorable
que le gouvernement présenta la loi qui nous régit aujourd'hui et frappa le
bétail du droit de 10 centimes au kilo, ce qui représentait alors 10 p. c. de
la valeur.
Cette loi fut reçue aux applaudissements de tout le pays ; et si le
gouvernement venait à la modifier, les pétitionnaires disent que la misère
accablerait bientôt la Campine, et c'est pour la préserver de cette calamité
qu'ils invoquent l'appui de la chambre.
Votre commission estime que ces pétitions doivent être prises en
sérieuse considération, c'est pourquoi elle a l'honneur de vous en proposer le
renvoi au département de l'intérieur.
- Sur la proposition de M.
de Renesse, la chambre ordonne
l'impression et la distribution de ce rapport ; conformément à une décision
prise antérieurement, elle le maintient à l'ordre du
jour après les objets qui y sont déjà.
PROJET DE LOI
ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR POUR
L’EXERCICE 1846
M. le ministre des finances (M. Malou). présente un projet de loi tendant à accorder au département de
l'intérieur, sur l'exercice 1845, divers crédits supplémentaires s'élevant
ensemble à 218,781 fr.. 66 c.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de
loi. Sur la proposition de M.
Rodenbach, elle le renvoie à la section centrale qui a
examiné le budget de l'intérieur.
PROJET DE LOI RELATIF
A LA CONCESSION DU CHEMIN DE FER DU LUXEMBOURG
Discussion des
articles
Article premier
M. le président. - La discussion continue sur les amendements de MM. David et Mast de
Vries.
M. le ministre des travaux publics
(M. de Bavay). - Messieurs d'honorables membres ont fait hier une interpellation dans
le but d'avoir des renseignements sur un projet déposé au ministère des travaux
publics dans la matinée. Un honorable membre a dit que ce projet avait été
déposé vers 1 heure. Le paquet m'a été remis au moment où je sortais pour venir
à la chambre ; il n'est donc pas étonnant que je ne me sois pas trouvé hier en
position de donner des explications précises.
Ce projet, messieurs, a pour objet l’établissement d'un chemin de fer de
Pepinster vers Trêves. Mais le travail transmis au gouvernement n'est quelque
peu détaillé que pour la section de Pepinster à Spa.
Cette demande est faite par M. Stevens, ingénieur adjoint au corps des
ponts et chaussées, conjointement avec un autre M. Stevens, que je crois être
le fils de cet ingénieur.
Ce qui résulte de ce projet, c'est que la question de la possibilité
d'exécution d'un chemin de fer de Pepinster vers Trêves, n'est pas encore
résolue, au moins par des études sur le terrain,.
Comme je le disais tout à l'heure, le travail soumis au gouvernement n'est
quelque peu complet que pour une partie de la section à établir sur le
territoire belge.
En même temps que cette demande de concession, j'ai reçu une demande de
congé du même ingénieur, tendant à pouvoir disposer de trois mois pour les
études de la ligne, démarche qui implique l'idée d'études non encore faites à
l'heure qu'il est. Cette demande de congé établit en outre que l'ingénieur agit
de concert avec M. Mohr, président du comité de
Trêves. La chambre sait, par tout ce qui a été dit dans cette discussion, que
M. Mohr persiste à soutenir le projet du chemin de
fer de Pepinster à Trêves, contre le vœu d'un grand nombre de membres de son
comité. La demande qui vient d'être faite ne change donc rien à la position des
choses ; nous nous trouvons en présence de M. Mohr,
reproduisant ses démarches et les renouvelant sous une
forme nouvelle.
Le projet qui m'a été soumis hier laisse donc la question dans le même
état.
Il me reste à faire connaître à la chambre qu'avant-hier j'ai eu un
entretien prolongé avec le président de la Société du chemin de fer du
Luxembourg, au sujet de l'article 47 du cahier des charges. J'ai voulu
m'assurer, avant le vote de la chambre, si le retrait ou la modification de ce article 47 élèverait un obstacle absolu.
Je dois dire, messieurs, que le président de la société m'a renouvelé de
la manière la plus formelle ses précédentes déclarations. Aujourd'hui comme
précédemment, il considère la modification du cahier des charges comme ouvrant
la voie à une demande en résiliation, comme mettant l'entreprise elle-même en
péril. Je crois donc, messieurs, devoir persister à demander que l'article 47
soit adopté sans modification.
M. David. - Au moment où l'honorable ministre des travaux publics a pris la
parole, je comptais faire une motion d'ordre tendant à obtenir la communication
par lui de la demande en concession du chemin de fer de Pepinster, Spa,
Stavelot, Malmédy, qui a été déposée hier au ministère des travaux publics.
Maintenant que M. le ministre est venu au-devant de mes vœux, je n'ai plus rien
à dire sur ce point. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce qu'il a dit
relativement à la demande de M. Stevens. Je n'ai pas eu de rapports avec M.
Stevens, je ne puis vérifier les faits. Je me plais à croire que ceux que M. le
ministre a annoncés sont parfaitement exacts, quoique je pense savoir que le
chemin de fer précité est étudié au moins jusqu'à Malmédy et pas seulement
jusqu'à Spa.
Messieurs, je dirai encore quelques mots pour défendre mon amendement.
J'ajouterai à ce que j'ai déjà dit que le tableau séduisant que l'honorable M.
d'Huart a fait hier de tous les avantages qui résulteraient pour le Luxembourg
de la jouissance du chemin de fer en discussion, est précisément celui que je
pourrais vous présenter quant aux avantages qui résulteraient pour l'est et le
nord du royaume, de la construction du chemin de fer de Pepinster à Trêves.
C'est précisément ce brillant tableau que je prierai l'honorable M. d'Huart de
vouloir bien me passer pour mettre sous les yeux de la chambre et l'appliquer à
la concession dont il vient de vous être parlé par M. le ministre des travaux
publics, celle de l'ouverture du chemin de Pepinster vers la Prusse.
M. d’Huart. - Et qui n'a que cinq lieues de distance.
M. David. - L'honorable M. d'Huart me fait observer que le chemin de fer auquel
nous nous intéressons a cinq lieues de distance. Messieurs, je suis heureux de
cette interruption. Je dis que le royaume est divisé dans toute sa largeur et
dans toute son épaisseur entre ces deux voies. Car qu'on se représente dans
quelle position on va mettre le pays. On va donner une concession, qui pourra
plus tard se subdiviser à l’infini, que
les Anglais eux-mêmes n'ont pas encore l'intention de nous revendre, mais
qu'ils nous revendront plus tard lorsqu'ils verront notre impuissance et notre
empressement et qu'ils nous revendront alors le plus cher possible, à un prix
arbitraire.
Représentez-vous, messieurs, que Luxembourg soit situé dans ce coin de
la chambre. De ce côté est la province de Namur, de l'autre est la partie du
pays arrosée par la Vesdre. Eh bien ! vous voyez que
tout le terrain qui se trouve dans ce triangle est confisqué pour 18 années,
pendant lesquelles aucun chemin de fer ne pourra y être construit, quelles que
soient les richesses minéralogiques qu'on y rencontre, quelles que soient les
avantages qui peuvent en résulter pour le commerce et la prospérité de cette
partie du pays.
Messieurs, j'avais exprimé dernièrement une crainte, c'est qu'il n'y eût
là une arrière-pensée, une préméditation ; celle que cette concession ne serait
définitivement un sujet de marchés de rétrocession par ceux qui en seraient
devenus acquéreurs. Cette crainte, je l'éprouve encore. Je ne dis pas que telle
soit ou ait été d'abord l'intention des demandeurs en concession. Je ne pense
pas qu'ils aient eu d'emblée un projet aussi intéressé, aussi odieux. Mais ils
seront alléchés par la demande qu'on leur fera plus tard ; ils verront qu'ils
peuvent revendre cette concession ou ces concessions et ils en tireront parti
en nous tenant la dragée haute.
Une chose qui m’a peiné, messieurs, lorsque
j'ai parlé, non pas toutefois devant la chambre, de cette affaire du chemin de
fer Luxembourg, c'est que, dans l'intimité, la plupart de mes collègues m'ont
dit avoir pensé que je venais défendre ici un simple intérêt de localité. La
proposition que j'ai faite ne se réduit pas à d'aussi mesquines proportions ;
elle embrasse une grande partie du territoire ; je n'ai jamais cité ni Stavelot
(page 1587) ni aucun autre point ;
j'ai seulement cité l'Est et le Nord : eh bien, jeter les yeux sur la carte et
voyez quelle est l'immense concession que vous accordez.
A Dieu ne plaise que je veuille entraver l'exécution du chemin de fer du
Luxembourg. J'ai trop de sympathie pour le Luxembourg pour agir ainsi. J'aurais
voulu seulement que ce ne fût pas le Luxembourg vers la droite qui fût favorisé
au détriment du Luxembourg vers la gauche, et si je pouvais être cause du rejet
d'un chemin de fer semblable, j'en aurais des regrets éternels. Mais je désire
aussi qu'on ne puisse pus nous priver d’une voie de communication qui nous
serait d'une si grande utilité.
La société du chemin de fer du Luxembourg sera éclairée par la
discussion ; elle comprendra facilement que notre proposition ne peut lui
porter aucun ombrage. En effet, messieurs, ce qui sera absorbé en fait de ses
produits par la route de la Vesdre, seront des produits autres que ceux qui
devront être transportés par l'autre route, ce sont des produits qui ne peuvent
se déverser que sur la route de la Vesdre et qui n'iront certes pas faire le
détour par l'autre route.
Une chose, messieurs, qui m'a toujours frappé,
c'est l'immense importance qui s'attache à ce passage de la malle qui doit
aller, comme on l'a dit, jusqu'aux Indes. Mais si l'on offre à la société du
Luxembourg un passage plus court et moins frayeux, pourquoi donc le
refuserait-elle ? C'est un point que la société devrait bien peser. Nous ne
voulons pas son préjudice ; son chemin de fer n'aura pas un kilogramme de moins
à transporter.
On dit toujours, messieurs, que le chemin de fer que nous demandons est
impraticable ; mais alors je ne vois pas de motif pour que la société en ait eu
tant d'effroi.
Messieurs, dans des circonstances aussi douloureuses pour la partie du
pays que je représente, j'ai invoqué le témoignage de l'honorable M. de Theux
et de l'honorable M. Simons ; je leur ai demandé quelques paroles en faveur de
l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter. Cependant ces messieurs sont
restés muets. Je ne sais, en vérité, s'ils veulent combattre ici les arguments
qu'ils ont présentés dans une autre circonstance, lorsqu'il s'agissait aussi
d'un chemin de fer direct. Ils ont posé alors un antécédent qui a été admis par
la chambre ; ils n'ont pas voulu et la chambre n'a pas voulu déposséder
certaines localités ; cependant ici on ne craint pas de déposséder une contrée
tout entière.
Certainement, messieurs, je veux le bonheur du Luxembourg, mais je dois
cependant faire observer que nous avons déjà voté deux millions pour cette
province lorsqu'elle se plaignait de ne pas avoir de chances d'obtenir son
chemin de fer. Ces deux millions ont été appliques au Luxembourg, et s'ils ne
sont pas dépensés en totalité ils doivent se trouver considérablement réduits.
Aujourd'hui, le Luxembourg n'est plus dans la position fâcheuse où il se
trouvait alors, il a maintenant non pas seulement des chances, mais je puis le
proclamer, la certitude d'obtenir son chemin de fer.
Maintenant il a encore son canal. Mais que va devenir la partie du
Luxembourg à laquelle vous n'avez pas appliqué les deux millions ? Il y a
encore des parties qui se trouvent placées vers l'est de la province de Liège qui
sont toutes aussi Ardennaises et Luxembourgeoises, entièrement privées de
routes.
Eh bien, qu'on donne donc en faveur de cette contrée quelques légers
secours, dans le but d'y améliorer la viabilité ; qu'on prenne sur les deux
millions une modique somme, pour en gratifier un pays que vous déshéritez
sciemment, et cela pendant 12 ou 18 années.
Ainsi donc, le Luxembourg qui ne se rapproche pas de la partie est-nord
du royaume est le Luxembourg véritablement favorisé. Je suis enchanté que cette
partie du Luxembourg soit heureuse ; mais je demande qu'on n'oublie pas tout à
fait le Luxembourg qui est placé à l'autre extrémité.
Si l'on veut donner à cette contrée une part dans la distribution des
deux millions, pour améliorer la viabilité, j'indiquerai une route qui est déjà
commencée depuis cinq ou six ans, et qui ne peut s'achever faute de fonds
suffisants.
Je demanderai que le gouvernement ait quelque considération pour cette
contrée ; si l'on nous condamne à n'avoir pas de chemins de fer, qu'on nous
donne au moins des routes !
Il y a encore une autre route qui peut se faire, moyennant des travaux
de nivellement entre Stavelot et Francorchamps, pour rejoindre la route de
Francorchamps-Verviers ; cette route, avec très peu de frais, peut devenir une
route à pente douce vers la vallée de la Vesdre.
Voilà ce qu'on devrait faire pour perfectionner un peu la viabilité dans
le pays dont je défends ici les intérêts avec si peu de succès. M. le ministre
des travaux publics reconnaîtra sans doute que c'est se montrer bien peu
exigeant que d'accepter, au pis allé, des faveurs aussi légères, et cela en
présence de la déchéance dont on nous accable et nous désole.
Je n'en dirai pas davantage pour le moment, j'attends avec résignation
le sort que la chambre réserve à mon amendement et qui ne me semble pas
difficile à prévoir.
M. le président. - Voici une proposition que M. de Mérode a fait parvenir au bureau :
« Le gouvernement est autorisé à renoncer à l'embranchement du chemin de
fer luxembourgeois vers Bastogne, s'il peut, moyennant cette modification
accordée à la société concessionnaire, l'engager à diriger le tracé par la
vallée du Boucq et celles de la Vierre
et de la Semois.
(page 1614) M. de Mérode. - Messieurs, je me
féliciterais de ce que le vote delà loi dont nous sommes saisis ait été retardé
d'un jour, si je pouvais faire adopter un amendement sans danger pour
l'exécution du chemin de fer du Luxembourg, mais qui peut être infiniment utile
au pays et à la compagnie concessionnaire elle-même.
Ce
qui m'a donné l'idée de cet amendement, c'est la lecture du discours
parfaitement raisonné de l'honorable M. d’Huart, que je n'avais pas entendu
prononcer.
Il
ne faut pas, comme il l’a dit, compromettre la grande voie, heureusement
proposée par une compagnie sérieuse ; mais si l’on pouvait sans danger faire
prévaloir le tracé le meilleur, ce serait un grand avantage ; or, pour
atteindre ce but, il peut suffire de laisser au gouvernement une latitude que
je vais indiquer.
L'embranchement
sur Bastogne paraît avoir décidé les concessionnaires à prendre le tracé par
les plateaux élevés de l'Ardenne, au lieu de le diriger par les vallées de la Vierre et de la Semois, bien préférables cependant. Or, en
autorisant le ministre à renoncer éventuellement à l'embranchement sur Bastogne
et à faire accepter librement, bien entendu, par la compagnie, le tracé par le Boucq, qui le rapprocherait de Dinant, et ensuite par la Vierre et la Semois, on satisferait au vœu si bien motivé
de M. Pirson et à des convenances non moins grandes qui militent en faveur de
la direction par la Vierre et la Semois.
En
effet, dans ces vallées se trouvent des richesses et des populations que l'on
chercherait vainement sur les hauts plateaux entre Bastogne et Arlon. On se
rapprocherait extrêmement des belles ardoisières d'Herbeumont
et du riche massif de marne, situé près des Bulles, qui fertiliserait mieux que
tout autre amendement les terres froides et improductives du pays. On
traverserait les vastes forêts, propres à fournir des milliers de billes de
chêne ; enfin, on éviterait l'abondance des neiges, si gênantes pendant
l'hiver, sur les hauts plateaux.
.
Remarquez-le bien, messieurs, je ne demande pour le gouvernement que le droit
de choisir, d'accord avec la compagnie concessionnaire, le tracé par le Boucq, la Vierre et la Semois, en
renonçant, s'il le faut, à l'embranchement vers Bastogne. Si l'administration
trouve dans cet embranchement des avantages préférables au plan que j'indique, elle
le maintiendra ; si elle croit au contraire à la supériorité de celui-ci, elle
sera en position de l'obtenir aisément par la facilité que je propose, à savoir
celle de renoncer à la bifurcation de Bastogne. Ma proposition n'a d'autre but
que l'intérêt public le plus largement compris, rien autre chose ; car je n'ai
de relations privées avec aucune des localités que la chose concerne. Ma
demande mérite votre attention la plus sérieuse. Du reste, je le répète, elle
ne donne qu'une faculté au gouvernement qui restera juge du meilleur parti à
prendre.
Messieurs,
un honorable député de Verviers s'est étonné que je ne prisse pas, selon ma
coutume, la défense du chemin de fer de l'Etat, exposé, selon lui, à des pertes
graves par la création d'un chemin de fer direct par Wavre vers Namur et par
celui du Luxembourg.
Moi,
messieurs, je m'étonne, au contraire, que l'on s'oppose à ces nouvelles voies
de communication : d'abord, parce qu'il est probable, comme l'ont fort bien
exposé M. d'Huart et plusieurs autres, qu'elles ne feront rien perdre au
railway national sans compensation égale et probablement supérieure de produit
pour lui-même ; 2° parce que la perte supposée, fût-elle réelle, ne balance pas
le moins du monde les avantages considérables que l'on doit recueillir d'un
travail aussi important que celui dont se charge la compagnie du chemin de fer
luxembourgeois.
(page 1587) - La proposition de M. de Mérode
est appuyée.
La chambre, consultée, décide qu'elle épuisera d'abord les divers
amendements proposés à l'article 47 du cahier des charges, avant de discuter la
proposition de M. de Mérode.
M. le président. - La parole est à M. de Tornaco.
M. de Tornaco. - Messieurs, j'ai demandé la parole sur l'article 47 ; toutefois je
crois ne pas m'écarter beaucoup du règlement en disant un mot de l'amendement
de l'honorable M. de Mérode.
Je crois que cet amendement remettrait tout en question ; il faudrait
pour s'en occuper sérieusement recommencer tonte la discussion sur le chemin de
fer du Luxembourg ; pour cette raison je le repousserai.
Messieurs, je tiens à dire quelques mois contre l'amendement de
l'honorable M. David, en ma qualité de représentant de la province de Liège,
parce que cet amendement de l'honorable représentant de l'arrondissement de
Verviers se présente sous les apparences d'une faveur à accorder à la province
de Liège.
M. David. - J'ai dit le contraire.
M. de Tornaco. - Quoi que vous puissiez dire, votre amendement se présente sous des
apparences favorables à la province de Liège, attendu qu'il laisserait à cette
province l'espoir d'un nouveau chemin de fer durant les 12 années de la
promulgation de la loi qui nous occupe. C'est cette circonstance qui m'a engagé
à dire quelques mots de cet amendement. Il est inutile ou dangereux. Considéré
par rapport au point de départ de Chênée,
l'amendement est complétement inutile.
Un chemin de fer qui aurait pour point de départ Chênée,
suivrait nécessairement la vallée de l'Ourthe. Quiconque a la connaissance de
cette vallée, sait que d'ici à longtemps ce chemin de fer n'est pas praticable.
Cette vallée est très sinueuse, fort étroite ; elle est resserrée dans beaucoup
d'endroits par des roches escarpées ; elle est de plus sujette à des
inondations fréquentes et d'une assez longue durée, qui deviendront plus
fréquentes d'année en année, comme le long de toutes les rivières à proximité
desquelles doivent avoir lieu de grands défrichements de bois.
Ces faits et ces circonstances font reconnaître que d'ici à longtemps,
quelle que soit l'augmentation de la population et de la richesse dans le
Luxembourg et particulièrement dans la vallée de l'Ourthe, on ne construira pas
de chemin de fer dans cette vallée ; il y aurait trop de détours, trop de
distance d'un point extrême à un autre point extrême ; la dépense serait
beaucoup trop forte.
Je le répète donc, sous ce point de vue l'amendement est inutile ; il
est sans objet.
Je n'en dirai pas autant, si on le considère en prenant Pepinster pour
point de départ. Quoi qu'on ait pu dire dans cette discussion, je pense qu'un
chemin de fer de Pepinster vers Trêves serait extrêmement praticable ; il
serait aussi d’une grande utilité. C'est précisément parce qu'il est praticable
que je combattrai l'amendement de l'honorable M. David.
Mon opinion est que le chemin de fer de Pepinster est un concurrent
naturel du chemin de fer de Bruxelles à Trêves ; et que ces deux chemins de fer
sont exclusifs l'un de l'autre, qu'on ne peut pas obtenir la concession des
deux chemins à la fois. Ce qui le prouve, c'est ce qu'on a dit dans la
discussion. D'un côté, vous voyez les demandeurs de la concession de Bruxelles
à Trêves qui s'opposent à ce qu'on puisse concéder un chemin de fer de
Pepinster à la frontière prussienne.
D'un autre côté, l'honorable M. Osy, qui est d'ordinaire bien informé,
vous a dit que la compagnie qui s'était formée pour demander la concession du
chemin de Pepinster à Trêves s'était dissoute aussitôt qu'elle avait su que le
projet de loi qui vous occupe était présenté.
Par le rapprochement de ces circonstances vous devez reconnaître à
l'évidence que ces deux lignes s'excluent ; si vous voulez avoir le chemin de
Pepinster à Trêves, il faut renoncera celui de Bruxelles à Trêves ; de même que
si vous voulez avoir le chemin de Bruxelles à Trêves, il faut renoncer à celui
de Pepinster pour 12 ans.
Voilà comment la question est posée ; d'après les débats qui ont eu
lieu, entre ces deux chemins, le choix ne saurait être douteux.
L'honorable M. David les veut tous les deux. Je les voudrais aussi. Je
voudrais pouvoir assurer à la province de Liège qu'elle ne sera pas privée de
la route de Pepinster à Trêves, durant un laps de temps quelconque ; mais je
regarde la chose comme impossible. Si je la croyais possible, je ne désirerais
rien tant que de conserver l'espoir d'une nouvelle communication à la province
de Liège ; mais pour une chose incertaine, je ne veux pas compromettre une
chose certaine ; je ne veux pas, pour donner à la province de Liège les chances
d'une communication nouvelle, courir les chances de perdre la canalisation de
l'Ourthe qui est réclamée si vivement tous les ans par le conseil provincial ;
je ne veux pas compromettre non plus l'exécution de la conception la plus
grandiose qu'on ait eue en Belgique après le chemin de fer de l'Etat,
l'exécution d'un chemin de fer destiné à porter dans le Luxembourg, outre la
population et la richesse, la civilisation fécondante du commerce. Je ne veux
pas compromettre la construction d'une voie qui resserrera nécessairement les
liens entre le Luxembourg et les provinces centrales du royaume et dont on peut
dire qu'elle sera également utile sous le rapport des intérêts matériels,
moraux et politiques du pays tout entier et du Luxembourg en particulier.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour provoquer quelques
explications sur l'exécution de l'article 13 du cahier des charges. Cet article
est conçu en ces termes :
« Au fur et à mesure qu'une section sera susceptible d'être livrée
à la circulation, les concessionnaires pourront obtenir sa mise en
exploitation, d'après une autorisation expresse du département des travaux
publics.
(page 1588) Le chemin de fer du Luxembourg,
dont on nous demande la concession, se compose d'abord de la section de Namur à
Arlon, et de la section importante de Bruxelles à Wavre.
L'honorable M. d'Hoffschmidt, pendant son administration, a cru pouvoir
faire cette grave et, je dirai, regrettable concession
à la compagnie afin de lui faciliter, par cet avantage, l'exécution du chemin
de fer du Luxembourg. Je désirerais savoir de quelle façon M. le ministre des
travaux publics entendra l'exécution de cet article.
Je suppose que la section de Bruxelles à Wavre soit prête à être mise en
exploitation avant celle de Namur à Arlon, je demanderai s'il croira pouvoir en
permettre l'exploitation avant d'avoir la certitude de l'exécution de la
section de Namur à Arlon ? La concession de la section de Bruxelles à Wavre
doit être considérée comme une espèce de gage de l'exécution du chemin de Namur
à Arlon. Il me semble que ceux de nos collègues qui s'intéressent si vivement à
l'exécution du chemin de fer du Luxembourg doivent tenir à ce que le
gouvernement réserve l'exploitation de cette section, que je considère comme
gage de l'exécution de la véritable ligne du Luxembourg, de la ligne de Namur à
Arlon. Je demanderai sur ce point des explications à M. le ministre.
M. le ministre des
travaux publics (M. de Bavay). - D'après l'article 13 du cahier des charges, le gouvernement pourrait,
ainsi que l'a fait observer l'honorable membre, n'autoriser l'ouverture d'une
section partielle, qu'autant qu'il le jugerait convenable. L'honorable membre
désire savoir si le gouvernement autoriserait l'ouverture de la section de
Bruxelles à Wavre isolément. Je crois que le gouvernement aurait tort de
l'autoriser, si les concessionnaires ne donnaient pas signe de vie dans
l'exécution du chemin de fer plus spécialement luxembourgeois. Je crois
d'ailleurs devoir faire remarquer qu'il n'est guère à craindre que les
concessionnaires exécutent la section de Bruxelles à Wavre, sans l'intention
sérieuse d'exécuter surtout son développement, le chemin de fer qui leur est
concédé.
Cette section de Bruxelles à Wavre sera fort coûteuse. Il me paraît à
peu près démontré que, si elle ne faisait pas partie d'une grande voie, telle
que le sera le chemin de fer luxembourgeois, cette section ne donnerait que de
faibles produits.
Je suis donc porté à croire que les concessionnaires seront détournés
par leur propre intérêt d'exécuter cette section, sans la faire marcher de
front avec les sections véritablement luxembourgeoises.
M. Zoude. - On vous a dit et répété que la concession du chemin de fer de
Pepinster était l'exclusion de celui de Luxembourg.
On a répondu que le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse avait fait
aussi d'un minimum d'intérêt la condition de son existence, et cependant que,
sur le refus de la chambre, le concessionnaire s'était empressé de se soumettre
à sa décision, et qu'il en serait de même pour le Luxembourg.
Messieurs, sans vouloir établir de parallèle dans les conditions de ces
deux entreprises, il me suffit de reporter vos souvenirs vers cette époque où
les chemins de fer faisaient fureur en Angleterre, où l'on s'arrachait les
actions avec des primes sans cesse croissantes, tandis qu'aujourd'hui il y a
une réaction complète ; la plupart des chemins sont en perte et ne sont même
plus côtés à la bourse de Londres ; on va plus loin, on provoque des
dissolutions de compagnies, on est même venu solliciter à la chambre un refus
de concession, et c'est en présence de cette disposition des esprits envers les
chemins de fer, que l'on voudrait rompre une des conditions auxquelles, à tort
ou à droit, les actionnaires attachent une importance telle, qu'ils renonceront
à l'entreprise si vous dérogez au contrat ; car quelque colossale que soit la
fortune des chefs de la société, toujours est-il que lorsqu'il s'agit d'un
capital qui, pour toute l'entreprise, tant sur notre territoire que sur celui
du grand-duché et des pays voisins, s'élèvera peut-être à 80 millions, le
concours des actionnaires est indispensable.
Cependant la puissance financière de cette compagnie est telle qu'elle
n'a pas craint de proposer au Roi le rachat de tous
les chemins de fer de l'Etat ; et cette proposition est tellement sérieuse
qu'elle fait l'objet des méditations royales.
Messieurs, il faut vous prononcer entre un chemin qui aura quatre lieues
d'étendue sur votre territoire et y dépenser peut-être quatre millions, c'est
celui de Pepinster ; ou bien le chemin du Luxembourg qui aura un parcours de
quarante lieues, qui coûtera 40 à 50 millions employés en main-d'œuvre et en
produits belges ; un chemin qui, enrichissant la plus grande de vos provinces,
augmentera la prospérité des autres parties du pays.
Une province qui a été souvent envisagée comme une charge pour l'Etat à
raison du peu de ressources qu'elle procure au trésor et, disons-le
franchement, une province à laquelle vous n'attachez quelque estime qu'en
considération du caractère de ses habitants et de leur dévouement à la chose
publique.
Eh bien, l'occasion vous est présentée d'élever cette province au rang
des plus aisées du royaume, d'y opérer le défrichement des bruyères dont 140
mille hectares couvrent encore le sol et dont 100 mille au moins peuvent être
convertis en terres arables au moyen de la chaux que le chemin de fer nous amènera.
D'utiliser, au profit des autres provinces, les richesses dont elle
abonde et qu'elle ne peut utiliser faute de moyens convenables de transport ;
tels sont nos minerais de fer amoncelés avec profusion et dont le besoin se
fait sentir notamment à Liège ; nos bois de chêne si réputés et qui vous
fourniront abondamment les billes dont vos chemins de fer manquent ; en retour,
nous recevrons les houilles appelées à si juste titre le pain quotidien de
l'industrie.
Quel que soit le sort que votre vote nous réserve, je ne puis me refuser
à remplir un devoir envers les ingénieurs qui ont été chargés de l'étude du
chemin de fer du Luxembourg, je dois rendre un hommage public au talent qu'ils
ont déployé dans ce travail.
Ils ont eu à vaincre toutes les difficultés que présente un pays élevé
de plus de 500 mètres au-dessus de la mer, un pays dont les montagnes, par des
directions quelquefois capricieuses, semblaient présenter des obstacles
insurmontables.
Toutes ces difficultés, ces ingénieurs les ont vaincues avec tant de
bonheur que la dépense moyenne, si on adopte le tracé par Yvoir, ne dépassera
guère 700 mille fr. par lieue, sans qu'il faille sacrifier, dit M. l’ingénieur
divisionnaire Demoor, ni la rectitude de la ligne, ni
les règles de l'art, ni les exigences de la locomotion.
Les rampes en général ne dépassent pas huit à dix, et on sait qu'en
Angleterre ces rampes n'opposent aucun obstacle, soit à la charge, soit à la
rapidité des convois.
Les rampes de dix à douze permettent encore une charge de cent tonneaux,
avec une grande vitesse, au moyen de fortes machines qu'on construit
maintenant.
A la vérité, dans le voisinage de Namur, si on prend la ligne directe de
Ciney, il y a une rampe de quinze ; mais le même ingénieur, M. Demoor, fait observer que par une circonstance heureuse, la
machine de secours de la station de Namur pourra aider à la remorque des
convois jusqu'au sommet de la rampe où se trouvent d'abondantes mines de fer
qui procureront un retour toujours assuré qui indemnisera largement de tous les
frais.
C'est enfin dans l'étude du chemin de fer du Luxembourg que nos
ingénieurs ont justifié la haute réputation dont ils jouissent et qui leur est
entièrement acquise à l'étranger.
La beauté et l'exactitude des plans qui sont mis sous les yeux de la
chambre, déposent en faveur du soin qu'ils ont apporté à ce travail, et je me
plais à leur adresser publiquement les vifs sentiments de gratitude dont ma
province est pénétrée à leur égard.
J'ajouterai plus volontiers encore la reconnaissance profonde de tous
les Luxembourgeois pour le vote favorable que nous attendons de la chambre.
M. d’Huart, ministre d'Etat. - J'avais
demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. David. L'honorable
M. de Tornaco y a suffisamment répondu : il a présenté, mieux que je ne
pourrais le faire, les raisons que je désirais opposer à l'honorable député de
Verviers.
J'ajouterai cependant que lorsque l'honorable M. David prétend que le
Luxembourg a été singulièrement favorisé et qu'on va encore favoriser la partie
occidentale de cette province aux dépens de la province de Liège, il a
réellement perdu la mémoire. Comment ! On a favorisé le Luxembourg aux dépens
de la province de Liège ! Mais combien donc le chemin de fer d'Ans à la
frontière a-t-il coûté à l'Etat ? Plus de 28 millions. Pepinster, localité qui
serait le point de départ du chemin de fer dont parle l'honorable membre, se
trouve sur cette ligne. Je n'en ai aucune espèce de jalousie. Je me félicite de
ce que cette partie du pays a obtenu cette fraction du chemin de fer. Mais
qu'on ne reproche pas au Luxembourg d'avoir obtenu deux millions, qui, dans
tous les cas, auraient dû lui être accordés pour arriver au chemin de fer.
L'honorable M. de Tornaco a dit quelques mots sur l'amendement de
l'honorable M. de Mérode qui n'est pas en discussion. Cependant, quelques mots
pourraient terminer la discussion sur cet amendement. Je reconnais qu'il y a du
bon dans cet amendement. Au point de vue où je me suis placé dans la séance
d'hier, je dois remercier l'honorable M. de Mérode de l'avoir présenté.
Cependant, je ne puis y donner mon assentiment, parce que je crois qu'il
remettrait tout en question, et qu'il faudrait recommencer la discussion. J'ai
hâte, je l'avoue, d'arriver au vote ; car le sénat est réuni pour quelques
jours seulement. Si nous pouvions voter et lui envoyer aujourd'hui le projet de
loi, il pourrait s'en occuper de suite. Peut-être dans quelques mois
pourrait-on commencer les travaux. Cette considération et la crainte de voir
ajourner une entreprise aussi utile me détermineront à voter sans aucune
modification la loi proposée.
J'ai dit que je devais des remerciements à l'honorable M. de Mérode ;
voici pourquoi : c'est que ses observations rendront la compagnie attentive à
ses intérêts. Elle verra s'il ne convient pas de préférera la ligne droite le
tracé plus développé qu'il a indiqué, tout en laissant à Bastogne
l'embranchement qui lui est accordé.
Je crois que ce que nous avons de mieux à faire dans l'intérêt du pays,
c'est de voter de suite la loi en discussion. Je le désire également dans
l'intérêt de la province du Luxembourg.
M. le ministre des travaux publics
(M. de Bavay). - Puisque la discussion s'est reportée sur l'amendement de l'honorable
M. de Mérode, je crois devoir en dire un mot. Je ne pense pas que cet
amendement puisse avoir d'heureux effets, conduire au résultat que son auteur a
en vue.
L'amendement de M. de Mérode repose sur l'opinion que le gouvernement,
en dispensant la société de dépenser environ deux millions pour l'embranchement
de Bastogne, pourrait déterminer cette société à adopter un tracé autre que
celui auquel elle serait disposée à donner la préférence.
Je crois devoir faire remarquer qu'une somme de deux millions serait
absolument insuffisante pour compenser le désavantage d'un tracé qui ne serait
pas le meilleur au point de vue de l'entreprise. Je pense donc que le
gouvernement, en offrant à la société du Luxembourg, l'abandon de l'embranchement
de Bastogne, n'exercerait sur cette société aucune espèce d'influence.
(page 1589) A ce point de vue, je regarde
l'amendement comme absolument inopérant.
Je suis porté à croire que la société ne renoncerait pas volontiers à
l'embranchement de Bastogne, attendu que ce sera un affluent qui, à une époque
peu éloignée sans doute, aura son importance.
Je ferai remarquer en outre qu'il y aurait quelque chose de fâcheux à
créer un véritable antagonisme entre les localités.
Enfin, je le répète, je regarde l'amendement comme ne pouvant
avoir aucun résultat, quant à la direction du chemin de fer
luxembourgeois.
- La chambre décide que la discussion continuera sur l'amendement de M.
de Mérode, en même temps que sur les amendements relatifs à l'article 47 du
cahier des charges.
M. Rogier. - Voyant l'impatience de la chambre, je serai très court dans les
observations que j'ai à présenter.
Le gouvernement, en nous proposant le chemin de fer de Bruxelles à Arlon
par le Luxembourg, a certainement été guidé par des vues d'intérêt général.
Pour ma part, je dois le dire, parmi les chemins de fer que je suis
disposé à abandonner aux concessions particulières, celui du Luxembourg figure
en première ligne.
Quelles que soient mes sympathies toujours invariables, mes motifs de
préférence en faveur de l'exécution par l'Etat, je ne suis pas tellement absolu
que je veuille écarter le concours des efforts privés.
Je le déclare tout d'abord, le chemin de fer du Luxembourg ne forme
nullement obstacle au principe que j'ai toujours défendu en faveur de
l'exécution des grandes lignes de l'Etat par l'Etat.
C'est sans doute dominé par ces vues d'intérêt général que le
gouvernement a fait le sacrifice de certains intérêts particuliers, intérêts
cependant respectables.
Ainsi pour commencer par les intérêts plus particuliers de l'Etat, le
gouvernement n'a pas hésité à créer une concurrence, une concurrence formidable
aux routes mêmes de l'Etat, c'est-à-dire à la route de l'Etat de Bruxelles à
Namur, qui doit avoir à subir une concurrence très forte de la nouvelle route
qui aura un parcours beaucoup moins long.
Ce n'est pas tout, messieurs, non seulement pour se rendre de Bruxelles
à Namur ; on suivra la nouvelle route, on abandonnera le détour par Charleroy,
mais beaucoup de voyageurs, pour se rendre de Bruxelles à Liège et au-delà,
donneront aussi la préférence à cette route de Bruxelles à Namur ; et
réciproquement venant de Liège sur Bruxelles, beaucoup de voyageurs abandonneront
la route actuelle pour la route concédée. Or, remarquez que sur tout ce
parcours l'Etat ne possède pas un seul kilomètre de route. De Bruxelles à
Wavre, ce sera la compagnie du Luxembourg ; de Wavre à Namur, ce sera la
compagnie de Louvain à Charleroy et à Namur ; de Namur à Liège, ce sera la
compagnie qui porte ce nom.
Voilà donc, messieurs, une concurrence très redoutable que le
gouvernement n'a pas hésité à se créer à lui-même. Mais en même temps qu'il
abandonnait, dans des vues d'intérêts plus généraux, je le reconnais, cet
intérêt de l'Etat sans compensation, il se montrait beaucoup plus prévoyant
pour la compagnie que pour lui-même. En effet il accordait à la compagnie
l'interdiction de toute concurrence pendant douze années, au chemin de fer même
du Luxembourg.
Cette restriction, messieurs, je l'ai vue avec peine. Je regrette que le
gouvernement ne puisse pas s'associer à l'amendement qui a été proposé afin de
mettre obstacle à une pareille interdiction.
De pareilles interdictions sont toujours fâcheuses, et il est à
regretter que si le gouvernement a cru devoir l'introduire d'un côté, alors
qu'il s'agissait des intérêts de la société, il ne l'ait pas introduite de
l'autre côté, alors qu'il s'agissait de l'intérêt de l'Etat. Mais si le
gouvernement nous déclare de la manière la plus positive, comme il l'a encore
fait aujourd'hui, que l'adoption d'un pareil amendement devrait entraîner la
dissolution de la société et mettre obstacle à la création du chemin de fer à
travers le Luxembourg ; pour ma part, il me serait impossible de m'associer à
un amendement qui pourrait avoir de pareils résultats.
Il y a, messieurs, un autre intérêt que je regrette aussi avoir été
négligé par le gouvernement.
Un honorable député de Dinant, dans nos premières séances, a donné tant
de raisons, des raisons si solides en faveur d'une proposition qui avait pour
but d'attribuer un embranchement à cette localité, que j'espère au moins que si
ses observations n'ont pas eu dans cette enceinte le succès qu'elles devaient
avoir, si on les juge à leur solidité, elles auront fait impression sur la
compagnie chargée d'exécuter la route.
Eh bien, messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Mérode ne met pas
obstacle à ce que la proposition de l'honorable M. Pirson reçoive son exécution.
La compagnie aura la faculté de choisir entre l'un ou l'autre embranchement.
Que nous présente, messieurs, l'article 3 du cahier des charges ? Il
nous présente un embranchement partant de Neufchâteau vers Bastogne. Messieurs,
malgré soi on a été porté à voir dans cet embranchement une sorte de
gracieuseté, si l'on veut, en faveur du ministre qui a accordé la concession.
Car certes on ne voit pas trop comment, refusant d'une manière absolue un
embranchement vers le district si important, si populeux, si industriel de
Dinant, on accordait cependant un embranchement vers Bastogne, qui ne semble
pas promettre en revenus et en avantages la même importance que présenterait le
district de Dinant.
Messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Mérode ferait cesser, et
pour le ministre lui-même signataire de la convention, le préjugé fâcheux que
cet embranchement, poussé par une sorte de complaisance, vers Bastogne, a fait
naître, dans l'esprit de beaucoup de monde ; et, pour ma part, à la place de
l'honorable M. d'Hoffschmidt, j'appuierais l'amendement de l'honorable M. de
Mérode. S'il y a véritablement intérêt à donner la préférence à l'embranchement
de Dinant sur celui de Bastogne, la compagnie, au risque de déplaire à une
localité, mais aussi d'être utile à une autre, se décidera pour cet
embranchement, et par là, messieurs, tout en rendant peut-être un grand service
à une localité importante, on aura fait cesser ce qui, je veux bien le croire,
n'est qu'un préjugé, mais un préjugé assez fâcheux.
II y a, messieurs, dans le projet qui vous est soumis, des côtés
regrettables. Mais le même projet offre aussi, dans mon opinion, des côtés
acceptables. Si nous pouvions revenir sur tout ce qui a été fait, je pourrais
encore, et peut-être aujourd'hui avec plus de chances que je n'en ai eu
autrefois, me plaindre et me plaindre amèrement de la marche qui a été suivie
par le gouvernement dans toutes les concessions de chemins de fer.
Je vous ai signalé les dangers, les inconvénients d'une pareille marche.
Malheureusement je suis resté presque isolé dans mon opposition. On s'est
laissé aller à des entraînements fâcheux. Le gouvernement, le premier, a donné
l'exemple de l'abandon de la cause de l'Etat. Aujourd'hui, l'Etat est
entièrement abandonné ; l'exécution par l'Etat, l'exploitation par l'Etat, sont
frappées d'une sorte de réprobation. N'a-t-on pas été dans ces derniers jours
jusqu'à présenter à la chambre, jusqu'à présenter au pays, la perspective
d'aliéner non seulement tous les chemins de fer à construire, mais d'aliéner entre
les mains des particuliers, le chemin de fer construit, le principal pivot de
la nationalité belge, ce qui fait l'honneur et la force du pays !
Voilà, messieurs, où successivement, par suite du rôle que le
gouvernement a joué dans cette question, voilà où la chambre a été amenée.
Si le gouvernement avait joué son rôle comme il devait le jouer, si au
lieu d'entraîner la chambre dans tous ces projets, il était venu se conduire en
gouvernement, en véritable représentant des intérêts du pas, qu'eût-il fait, messieurs
? Il eût d'abord fait étudier avec le plus grand soin, avec la plus grande
circonspection le système général des voies de communication qui convenait au
pays. Il y eût mis un an, deux ans, s'il l'eût fallu, mais enfin, il eût eu des
bases certaines dont aucun intérêt privé ne l'eût jamais fait dévier.
Aussitôt qu'il aurait eu fait étudier un système dans le sens de
l'intérêt public et non pas dans le but d'accorder certaines faveurs à des
particuliers, aussitôt qu'il eût eu un système bien combiné, bien entendu, mais
un système parfaitement d'accord avec les intérêts du pays, alors, messieurs,
il serait venu dire à la chambre : Voilà les chemins qu'il importe que l'Etat
se réserve à lui-même ; voilà les chemins dont à aucun prix il ne doit se dessaisir
; voilà les chemins que le trésor public doit exécuter si pas dans un an ou
dans deux ans, au moins dans 5, dans 10, dans 15, dans 20 ans, voici un
deuxième ordre de chemins que l'Etat peut abandonner à l'industrie privée, nous
les donnerons en concession, mais nous le ferons d'après des tarifs bien
combinés, d'après des tarifs modérés, en arrêtant les conditions toujours au
point de vue de l'intérêt général, et jamais au point de vue d'un intérêt
particulier.
Mais, loin de là, messieurs, il n'y a pas eu d'études générales, il n'y
a pas eu d'études de détail ; pas de plan d'ensemble ; aucune prévision, aucune
précaution ; on a livré le domaine public à la spéculation particulière. Voilà
de quelle manière les intérêts généraux ont été soignés, vous en sentez déjà
certains inconvénients, l'avenir vous en révélera d'autres.
Dans un pareil plan général, je n'hésite pas le dire, le chemin de fer
du Luxembourg eut dû être abandonné à l'industrie particulière, aux entreprises
privées. Ce n'est pas moi, je le déclare, qui jamais aurais imaginé de faire
traverser le Luxembourg par un chemin de fer. Si cependant ce chemin de fer
doit s'exécuter, je le dis tout de suite, il aura rendu un immense service au
pays. Il importe à l'intérêt général qu'une province de cette étendue, d'une
fertilité possible et probable, soit rattachée au reste du pays par des liens
de toute espèce. Je verrais avec le plus grand plaisir ce chemin de fer
réussir. Je n'ai pas à dire quelles sont, quelles peuvent être mes prévisions à
cet égard, mais enfin s'il sort de cette concession nouvelle un chemin de fer,
s'il en sort de plus un canal, je le déclare, cette concession je m'y
associerai sans regret.
Nous aurons encore, messieurs, d'autres propositions de concessions,
d'autres chemins de fer ont aussi fait l'objet de conventions particulières.
Quand la discussion sur ces chemins de fer sera à l'ordre du jour, j'aurai à
renouveler quelques observations sévères, quelques observations qui n'ont été
qu'ajournées jusqu'ici. J'aime à croire que ces observations ne sont pas
applicables au chemin de fer du Luxembourg. Je n'en sais rien ; rien ne nous a
été révélé à cet égard, mais j'aime à croire que ce chemin de fer n'a pas fait
l'objet de spéculations individuelles, de spéculations particulières, comme
nous en avons vu pour d'autres chemins de fer. Si de pareilles spéculations, si
de pareilles complaisances avaient eu lieu, je serais le premier à demander
l'insertion dans la loi, d'un article de blâme pour de semblables spéculations.
Nous voulons le bien-être matériel du pays, nous voulons la prospérité
matérielle du pays, mais nous voulons aussi sauvegarder la moralité du pays, et
à l'instant même nous retirerions notre vote approbatif, si nous pouvions
supposer que ce vote implique une approbation de marchés honteux, de marchés
dont la morale publique ou la morale privée ont à s'offenser. J'espère que rien
de semblable ne s'est passé dans les négociations qui ont précédé la demande en
concession du chemin de fer du Luxembourg, rien du moins ne nous a été révélé à
cet égard.
(page 1590) Dans le cours de cette
discussion ait honorable député d'Alost a défendu avec beaucoup de chaleur,
avec beaucoup de talent, l'intérêt de son district. Il a interpellé le
gouvernement sur la question de savoir si un chemin de fer de Gand à Bruxelles
par Alost recevrait son approbation, soit qu'il fût question de le donner en
concession, soit qu'il fût question de l'exécuter aux frais de l'Etat. Je n'ai
pas encore à m'expliquer sur ce chemin de fer, mais un de MM. les ministres qui
n'est pas M. le ministre des travaux publics... (Interruption.) Pour peu que mes paroles puissent déplaire à nies
honorables collègues, qui ne savent pas encore ce que je vais dire, je veux
bien renoncer aux quelques observations qui me restaient à présenter et qui du
reste reviendront dans un autre temps.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je dois quelques mots de réponse à une partie du discours
que vient de prononcer l'honorable préopinant relativement à la politique que
le gouvernement a suivie en matière de concessions. Je serai très court, car je
comprends que j'entrerais dans une discussion plus générale encore que celle
d'où nous venons de sortir.
Messieurs, l'honorable M. Rogier, renouvelant les observations déjà
faites par d'autres orateurs, a prétendu que le gouvernement aurait dû avant de
concéder des lignes de chemins fer, étudier et présenter à la chambre un
système d'ensemble des voies de communication, afin de pouvoir distinguer
celles qui auraient pu être concédées et celles que l'Etat aurait dû réserver à
son action particulière.
Messieurs, pour moi, je n'ai jamais professé d'idées absolues à l'égard
du mode d'exécution des chemins de fer et des autres voies de communication.
Ainsi, dans mon administration j'ai fait exécuter directement par l'Etat
quelques travaux d'une grande importance. Je citerai le canal latéral à la
Meuse et les canaux de la Campine. J'ai soutenu là, messieurs, le principe qu'a
défendu l'honorable M. Rogier, le principe de l'intervention directe de l'Etat.
Relativement aux chemins de fer, si je n'avais pas un plan d'ensemble à
proposer à la législature, j'avais du moins une idée arrêtée, une idée
d'ensemble que j'ai eu occasion plusieurs fois de développer devant vous.
Ainsi, dans mon opinion, l'Etat devait se réserver les lignes
internationales, à l'exception de celles qui, comme la ligne du Luxembourg, se
trouvaient dans des conditions d'exécution toute spéciales.
Messieurs, lorsque j'étais ministre des travaux publics, bien des
propositions ont été soumises à mon département, pour me faire déroger à ce
système ; je n'y ai jamais consenti ; je n'ai pas accepté, par exemple, les
demandes faites, relativement à la ligne d'Anvers à Breda, voulant réserver
cette ligne à l'action directe de l'Etat, parce que c'était une ligne
internationale.
La proposition dont a parlé l'honorable M. Osy, c'est-à-dire le rachat
de toutes les lignes de notre chemin de fer par une compagnie, n'a pas été
présentée par écrit ni d'une manière formelle ; mais des pourparlers ont eu
lieu sous mon administration et sous celle de mes successeurs ; eh bien, pour
ma part, j'ai toujours résisté d'une manière absolue à toute discussion sur une
pareille proposition, parce que dans mon opinion il y a un intérêt politique à
maintenir le système de 1834, relativement à nos grandes lignes de chemin de
fer ; je crois qu'il ne faut pas substituer à l'action protectrice de l'Etat,
l'action toujours plus intéressée des compagnies.
. Mais, messieurs, si j'avais suivi l'année dernière les conseils de
l'honorable M. Rogier ; si, j'avais attendu une ou deux années pour présenter
un plan d'ensemble plus soigneusement élaboré, mais évidemment pas une ligne de
chemin de fer n'aurait été présentée à la législature et le gouvernement aurait
à subir le grave reproche d'avoir laissé échapper l'occasion d'augmenter notre
richesse nationale.
Il fallait saisir le moment où ces
entreprises étaient possibles ; la veille elles ne l'étaient pas, la veille il
eût fallu des garanties d'intérêt pour amener la formation de compagnies ; et
aujourd'hui ces entreprises ne s'exécuteraient plus ; ainsi il y avait là une
question de circonstance, et le gouvernement a bien fait de la saisir ; et s'il
avait fallu attendre une ou plusieurs années pour présenter ce que l'honorable
membre appelle un plan d'ensemble, aucune proposition n'aurait été soumise à la
chambre et les capitaux employés à l'exécution de ces lignes utiles n'auraient
pas été versés en Belgique.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je ne me propose pas de rentrer dans la discussion
générale ; je ne demande la parole que pour dire quelques mots relativement à
l'amendement qui a été présenté par l'honorable M. de Mérode. Je rencontrerai
cependant les observations qu'a faites l'honorable M. Rogier, en ce qui
concerne les propositions faites à la chambre pour les concessions de chemin de
fer. Mon honorable prédécesseur a déjà répliqué pour ce qui le regarde ; je ne
m'occuperai donc que de la seconde phase qui s'est ouverte pour les
propositions relatives à des concessions, et qui a eu lieu sous mon
administration. Or, je crois qu'il est impossible de mettre plus de réserve que
je n'en ai mis dans les propositions que j'ai eu l'honneur de soumettre à la
chambre. Dans mon court passage aux affaires, plus de 100 demandes en
concession ont été déposées au département des travaux publics ; eh bien,
combien en ai-je soumises à la chambre ? Une seule concession nouvelle, celle
que nous discutons aujourd'hui ; et celle-là avait été même déjà l'objet d'une
convention signée, avant mon arrivée aux affaires, convention qui, du reste,
fait le plus grand honneur à mon honorable prédécesseur.
Ainsi, je crois pouvoir dire qu'il est impossible de mettre plus de
modération qu'il n'en a été mis depuis un an dans la présentation de projets
relatifs à de semblables concessions. Si j'avais voulu céder aux nombreuses
obsessions dont j'ai été l'objet, j'aurais dû présenter beaucoup plus de
projets ; mais prenant en considération les concessions de chemin de fer votées
par les chambres et qui constituent déjà un réseau de chemins de fer assez
étendu, il me semblait qu'il fallait user de modération dans de nouvelles
propositions, et c’est ce que j'ai fait.
L'honorable préopinant a parlé aussi de la moralité qui doit régner dans
les affaires de concessions. Je puis déclarer, messieurs, que, pendant mon
passage aux affaires, surtout en ce qui touche le chemin de fer du Luxembourg,
je n'ai pas eu connaissance d'un fait quelconque qui pût impliquer la moralité
; si, du reste, de semblables faits m'avaient été révélés, je les aurais
réprouvés avec autant d'énergie que qui que ce soit.
Messieurs, je pense maintenant à l'amendement de l'honorable M. de
Mérode qui, s'il n'est pas retiré, est de nature à soulever une longue
discussion. Cet amendement tendrait à substituer un embranchement vers Dinant
ou le passage par la vallée de la Semois à l'embranchement vers Bastogne. Il
m'importe d'abord de protester contre cette supposition, que l'embranchement
sur Bastogne n'a été que la conséquence du sacrifice de l'embranchement de
Dinant ou du passage par la vallée de la Semois ; il n'en est nullement ainsi ;
l'embranchement de Bastogne n'a occasionné aucun sacrifice ; quand cet
embranchement n'aurait pas eu lieu, la compagnie n'en aurait pas moins insisté
pour avoir le chemin le plus direct possible vers Arlon. Voilà la pensée qui a
guidé la compagnie dans cette circonstance : c'était d'avoir le chemin le plus
court possible, parce qu'elle voulait s'assurer le transit des marchandises
vers l'est delà France et vers l'Allemagne.
Quant à l'embranchement vers Dînant, la question reste en suspens ; la
compagnie peut encore diriger la route par la vallée du Boucq
; le plus grand obstacle à ce que cette direction soit adoptée, c'est parce
qu'une autre compagnie a déjà obtenu le privilège de l'embranchement ; de Namur
vers Dinant ; si cette compagnie y renonçait, la compagnie du Luxembourg serait
probablement disposée à prendre l'ancienne direction ; mais vous comprenez que
si la compagnie du chemin de fer de Liège à Namur veut faire un chemin de fer
entre Namur et Dinant, alors il faudrait que la compagnie du Luxembourg, pour
pouvoir passer par la vallée du Boucq, empruntât une
voie étrangère entre Namur et la vallée du Boucq ; et
c'est à quoi elle s'oppose fortement ; on le conçoit du reste ; c'est parce que
l'emprunt d'une voie étrangère entraîne d'assez grands inconvénients. Lorsqu'il
y avait nécessité absolue, comme dans le cas du passage de Bruxelles vers
Namur, il fallait bien emprunter cette voie ; mais lorsqu'un tracé plus direct
se présente, on conçoit qu'une compagnie s'empresse de choisir cette direction,
et c'est ce qu'elle a fait.
Du reste, je le répète, j'ai cherché à obtenir de la compagnie tout ce
qu'il était possible d'obtenir, dans l'intérêt des diverses localités ; et
certes il n'a été nullement dans mes intentions de sacrifier l'intérêt de
Dinant ; j'eusse désiré vivement qu'un embranchement vers Dinant eût pu être
stipulé ; mais cet embranchement, j'en ai la conviction intime, sera exécuté
par l'une ou l'autre compagnie, et même avant que le chemin de fer du
Luxembourg soit terminé.
Quant au passage par la vallée de la Semois, je dois commencer par
rendre hommage au point de vue élevé où s'est placé l'honorable M. d'Huart,
député de Virton, pour examiner cette importante question. Il a parfaitement
compris que l'essentiel dans une question de ce genre était d'avoir le tronc
principal, que les embranchements devaient s'ensuivre nécessairement. Eh bien,
les commettants de l'honorable M. d'Huart, au lieu de me savoir mauvais gré,
doivent au contraire me savoir bon gré de ce que j'ai fait.
La compagnie insistait pour avoir la ligne directe, elle voulait que le
tracé par les crêtes fût inscrit dans la loi. J'en appelle à M. le ministre ;
des travaux publics. Je n'ai pas cru, messieurs, pouvoir m'opposer d'une
manière formelle au tracé direct. Mais j’ai demandé que la question restât
indécise, et je dois dire que j'espère que la compagnie adoptera le tracé par
la vallée de la Semois, parce que ce tracé traversant des contrées fertiles et
populeuses peut présenter de grands avantages à la compagnie ; quand donc elle
l'aura reconnu, il est probable qu'elle le préférera à celui par les crêtes.
Mais pour cette éventualité faut-il sacrifier l'embranchement de Bastogne ? Cet
embranchement n'est pas une chose si fâcheuse qu'on le suppose. Bastogne n'est
pas une grande ville, mais après tout, c'est la seconde ville de la province ;
d'un autre côté, la dépense qui en résultera ne sera que de 400 mille francs
par lieue ou deux millions pour tout l'embranchement. Or, je suis entièrement
convaincu que les revenus de cet embranchement suffiront pour donner un intérêt
convenable de la dépense qui aura été faite.
Voici, du reste, ce qui m'a guidé dans la demande de cet embranchement
qui n'a rencontré aucune opposition de la part de la compagnie ; c'est que si
cet embranchement n'avait pas lieu, un tiers de la province serait privé du
bénéfice des chemins de fer. On voit donc que ce n'est pas là un intérêt
purement de localité. La ville de Bastogne qui est traversée par la route la
plus importante de la province, la voie commerciale la plus suivie, serait
dépouillée des avantages que lui procure le mouvement commercial qui en résulte
pour elle. Sans cet embranchement, non seulement Bastogne, mais tout
l'arrondissement serait sacrifié sans avoir l'espoir qui reste à d'autres
localités d'obtenir un embranchement dans l'avenir. Je désirerais que les
honorables préopinants voulussent jeter les yeux (page 1591) sur la carte ; ils verraient que sans les
deux embranchements obligatoires la concession serait réduite à une seule ligne
qui aurait sans doute été déjà un grand avantage pour le Luxembourg, mais
n'aurait pas suffi pour constituer un chemin de fer désigné sous le nom de
railway Luxembourgeois.
C'eût été un tronc sans
rameaux qui n'aurait pas porté la vie dans cette province ; tandis que
maintenant elle aura son réseau de chemin de fer. Et si la compagnie adopte la
vallée de la Semois, qui donnerait satisfaction complète aux intérêts de
l'arrondissement de Virton, je ne sais ce que le Luxembourg pourrait avoir
encore à désirer.
J'espère que ces considérations suffiront pour que la chambre n'adopte
pas l'amendement de M. de Mérode.
M. de Mérode. - M. le ministre ayant déclaré qu'il ne pouvait pas se servir utilement
de mon amendement, je le retire.
M. Anspach. - Messieurs, je viens m'opposer à l'amendement de M. David aussi bien
qu'à celui de M. Mast de Vries. Je crois que l'adoption de l'un ou de l'autre serait
une cause de résiliation du contrat que nous avons avec la société
concessionnaire. Dans les considérations que l'honorable M. Mast de Vries a
fait valoir à l'appui de son amendement, il a rappelé que dans une occasion
précédente une société, la société du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse,
avait fait des concessions sur les avantages qui lui avaient été accordés dans
le contrat et qu'elle avait fini par consentir à passer par toutes les demandes
que le gouvernement lui avait faites ; et l'honorable membre conclut que nous
pourrions faire la même chose avec la société dont il s'agit ; et même que cela
se ferait d'autant plus facilement que les changements qu'on demandait étaient
de très peu d'importance comparés à ceux consentis par la compagnie de
l’Entre-Sambre-et-Meuse. Je vous prie de remarquer la différence de position de
ces deux compagnies. Les temps sont bien changés. Lorsque la concession du
chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse a été demandée, les chemins de fer
étaient dans toute leur vogue ; il en fallait sur toutes les bourses à Paris et
à Londres, les actions d'une bourse à l'autre, montaient de cent, deux cents,
trois cents francs.
Les sociétés qui voulaient se former devaient aller vite ; pour les
demandeurs de concessions, le bien-être du chemin, le succès de l'entreprise,
étaient le dernier des soucis ; ils voulaient avoir des actions à émettre au
plus tôt.
Que l'honorable membre se procure le bulletin de la bourse de Londres,
il verra si la situation est encore la même que lors de la concession de
l'Entre-Sambre-et-Meuse ; il verra dans quel délaissement sont les chemins de
fer belges, il verra quelles sont les pertes qu'éprouvent les actions. Je lui
laisse le soin de faire la différence et d'apprécier la force de son argument.
Tout le monde est d'accord sur l'utilité du chemin de fer du Luxembourg
; tout le monde est également d'accord pour reconnaître la justice qu'il y a à
accorder à cette province, la seule du pays qui soit encore privée de cet utile
moyen de communication, bien qu’elle ait contribué à l’érection des chemins de
fer qui sillonnent le pays, alors qu'un concours heureux se présente qui
permette de le lui procurer sans qu'il en coûte un sou à l’Etat ; je vous
demande, en effet, s'il serait juste de lui interdire la possibilité d'avoir
cette grande voie de communication. Je ne pense pas que cela puisse entrer dans
la tête de quelqu'un. Ce projet est important non seulement pour le Luxembourg,
mais pour tout le pays.
On est d'accord sur l'utilité du projet et sur la justice de donner ce
moyen de communication au Luxembourg. Mais dans les conditions de la concession
il se trouve quelques conditions plus ou moins onéreuses. Mais il faut voir si
le gouvernement a été le maître de les écarter. Lorsqu'il s'agit de traiter pour
une affaire aussi considérable que celle de ce chemin de fer et de ce canal
dont la dépense montera à 25 ou 30 millions, vous sentez qu'une société qui
s'engage dans une pareille entreprise consulte ses intérêts et les défend.
Le ministre ne traite pas seul. Il demande ce qui lui est avantageux ;
la société voit si elle peut l'accorder.
La société fait certaines conditions qui sont des conditions sine qua
non. Faut-il, parce que vous les jugez onéreuses, compromettre l'existence du
chemin de fer, pour tâcher d'obtenir quelque chose de plus ? Car, il ne faut
pas le dissimuler, c'est l'existence du chemin de fer que vous compromettez. M.
le ministre a déclaré que la société fait des diverses conditions qu'elle a
stipulées une condition sine qua non. Si vous n'accordez pas ces conditions, si
vous faites un changement qui ouvre une cause de résiliation, soyez sûrs que
vous n'aurez pas le chemin de fer.
Dans cette position nous ne pouvons insister pour obtenir ces
changements, quelque douloureux qu'il puisse être d'accepter des conditions que
nous trouvons onéreuses. De deux maux il faut choisir le moindre. Nous ne
pouvons compromettre l'avenir du chemin de fer du Luxembourg qui assure au pays
des avantages si importants.
Je suppose que la convention soit résiliée, que le chemin de fer ne soit
pas construit, croyez-vous que dans la situation actuelle des chemins de fer
vous trouverez une société qui vous offrit les mêmes conditions ?
Je suppose même que vous lui laissiez les cinq millions qui ont été
versés au gouvernement, vous ne trouverez pas une société ; votre chemin de fer
serait ajourné à 15 ou 20 ans.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. David. - J'ai à répondre à l'honorable M. de Tornaco qui a attaqué mon
amendement de manière à faire penser que j'aurais attaqué la province de Liège
plutôt que de chercher à lui faire du bien. Je désirerai dire quelques mots en
ce sens.
- La discussion est close.
L'amendement de M. David est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. Mast de Vries déclare retirer son amendement.
Article 2
M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article 2 du projet de loi, proposé
par M. Osy ; il est ainsi conçu :
« Il sera porté en recette au budget des voies et moyens de l’exercice
1846, au chapitre : Capitaux et revenus, travaux publics (chemin de fer), la
somme de 75,000 francs payée par les sieurs de Clossmann
et consorts pour travaux faits par les ingénieurs de l'Etat. »
M. Osy. - Maintenant que le sort du chemin de fer du Luxembourg est fixé, nous
pouvons nous occuper d'une affaire de comptabilité, qui ne peut, en aucun cas,
nuire à la loi elle-même.
M. le ministre des travaux publics nous a dit hier : « Les actes des
agents de l'administration doivent, dans ma pensée, être non seulement
irréprochables au point de vue de la droiture, de la loyauté et de la bonne
foi, comme ils l'ont été dans l'occurrence ; ils doivent encore être inattaquables,
à quelque point de vue qu'on se place. »
Je trouve ces paroles très belles et je les ai entendues avec grand
plaisir. Mais je crois que c'est par un acte de la chambre que nous devons les
ratifier.
M. le ministre des travaux publics nous a dit hier, qu'effectivement une
somme de 75,000 fr. avait été versée par la société, mais que cette somme ne
représente pas exclusivement une rémunération du travail des ingénieurs,
qu'elle comprend en majeure partie des dépenses toutes matérielles, notamment
des acquisitions d'instruments, des journées d'ouvriers chaîneurs, d'ouvriers
bûcherons, des indemnités payées pour dégâts occasionnés à des propriétés
boisées. Je me suis rendu à la cour des comptes et ensuite au ministère des
travaux publics ; mais je n'ai pu obtenir la répartition de la somme de 75,000
fr. J'ai donc dû mettre ce chiffre dans mon amendement. Il va de soi que les
sommes qui auront reçu cette dernière affectation ne seront pas recouvrées par
M. le ministre des finances.
M. le ministre des travaux publics a dit en terminant :
« Je déclare que la somme qui a été touchée par les ingénieurs, à titre
de rémunération de leur travail et de dédommagement de leurs dépenses
personnelles, sera restituée à la société, que le gouvernement réglera par
lui-même les indemnités qui peuvent être dues à ces agents, et qu'il invitera
la société à en verser le montant au trésor de l'Etat. »
Je trouve qu'il n'y a aucune indemnité à donner à nos ingénieurs.
Cependant à la cour des comptes on m'a remis un arrêté pris par M.
d'Hoffschmidt le 29 décembre dernier, aux termes duquel les inspecteurs
divisionnaires, indépendamment de leur traitement qui est de 8,400 fr., ont
droit à deux indemnités.
Vous voyez donc, messieurs, qu'on accorde à nos inspecteurs
divisionnaires une somme de 14,400 francs, mais que l'article 2 de l'arrêté dit
positivement qu'ils ne pourront rien recevoir de plus qu'en cas de mission à
l'étranger.
Vous sentez que la cour des comptes, qui doit s'en tenir aux arrêtés royaux
et aux arrêtés ministériels pris en vertu de ces arrêtés royaux, ne peut
connaître que des sommes prises en vertu de ces arrêtés. Or, sil les ingénieurs
rendaient à la société la somme qu'ils ont reçue, vous comprenez qu'il n'y
aurait jamais de vérification réelle par la cour des comptes.
Par mon amendement, au contraire, nous chargerons M. le ministre des
finances de recouvrer la somme de 75,000 fr. ; il en déduira les frais pour
instruments, pour journées d'ouvriers, pour indemnités et ce sera de la somme
diminuée de ces frais qu'il justifiera plus tard. Comme la répartition de cette
somme de 75,000 fr. devra être remise à la cour des comptes, vous aurez un
contrôle convenable.
Je crois, messieurs, que c'est là la marche la plus régulière à suivre, et
je ne puis, comme l'a demandé M. le ministre des travaux publics, renoncer à
mon amendement.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, j’aurai l'honneur de proposer à la chambre de disjoindre
de la loi actuelle la proposition de l'honorable M. Osy, en ce sens que la
chambre en fera plus tard un examen raisonné, un examen approfondi.
Je ferai remarquer d'abord que cette proposition ne se rattache pas du
tout à la question de concession du chemin de fer. C'est, comme l'a dit
l'honorable M. Osy, une affaire de comptabilité que nous réglerons.
Que vous propose-t-on, messieurs ? De porter en recette une somme de
75,000 fr., qui est en grande partie dépensée, sinon entièrement dépensée, et
d'une manière que l'honorable M. Osy lui-même reconnaît être admissible.
Si la proposition de disjonction que j'ai l’honneur de faire à la
chambre, était adoptée par elle, il en résulterait que le gouvernement aurait à
soumettre à la section centrale qui a examiné le projet de loi, les calculs,
les chiffres, l'exposé des faits, pour que la somme puisse, par un vote de la
chambre, être admise en tout ou en partie, tant en recette qu'en dépense, en
recette pour la totalité s'il y a lieu, en dépense pour la totalité ou en
partie, selon les faits qui seront, qui pourront être, je n’en doute pas,
justifiés à la section centrale et à la chambre.
Messieurs, je demande la disjonction pour un autre motif encore. Ce
n'est pas légèrement, je pense, ce n'est pas sans un mûr examen des faits et
des causes des faits, qu'il faut indirectement déverser un blâme (le vote de
l'amendement de l'honorable M. Osy aurait ce caractère) sur des (page 1592) agents de l'administration. S'il
y a lieu à blâmer, je demande du moins que ce blâme ne résulte du vote de la
chambre qu'après mûr examen de tous les faits. Je demande, messieurs, que l'on
examine notamment cette question que l'honorable membre suppose déjà résolue et
qui pour beaucoup d'esprits ne le sera sans doute pas, celle de savoir si
lorsqu'un fonctionnaire, dans l'intérêt d'une société, sans préjudice à son
service ordinaire, fait des travaux considérables, double son travail, si dans
toutes les hypothèses possibles, il faut lui refuser une indemnité quelle
qu'elle soit.
C'est là, messieurs, une question que je n'ai
nullement l'intention de décider en ce moment, mais je répète que, comme
plusieurs autres, elle mérite examen, et qu'il faut être fixé sur les faits
avant d'admettre une somme en recette, sans même savoir jusqu'à concurrence de
quel chiffre elle est admissible en dépense.
Je propose donc la disjonction, pour qu'il y ait un examen complet de
tous les faits.
M.
d’Hoffschmidt. - Si la chambre veut entamer aujourd'hui cette discussion, j'aurai
quelques explications à donner sur les faits tels qu'ils se sont passés.
M. le président. - Il n'y a en ce moment en discussion que la proposition de
disjonction.
M. d’Hoffschmidt. - Je ne m'oppose pas à la disjonction. Je crois que ce sera le meilleur
moyen d'examiner et d'approfondir cette question. Mais si la chambre repoussait
la proposition de M. le ministre des finances, je me réserverais la parole.
M. Osy. - Messieurs, l'honorable ministre des finances demande la disjonction
parce que ma proposition n'a aucun rapport avec le projet en discussion. Mais,
messieurs, je vois que dans l'article 13 du cahier des charges il se trouve une
clause en vertu de laquelle une somme de 100,000 fr. est mise à la disposition
du gouvernement. Je crois donc que ma proposition a du rapport avec le projet
en discussion.
Si l'on veut renvoyer cette proposition à la section centrale, il faudra
en faire un projet de loi spécial ; mais au moins j'en demanderai le renvoi
immédiat, car si l'examen de la section centrale était remis à la session
prochaine, la question pourrait bien être oubliée.
M. de Garcia. - Messieurs, je dirai très peu de mots.
Je remercierai d'abord l'honorable M. Osy de la proposition qu'il nous a
faite. Cette proposition soulève une question très grave et digne d'un mûr
examen ; mais par cela même que la question est grave, j'appuierai la
disjonction qui d'ailleurs ne préjuge rien, et ne peut apporter aucune entrave
à la discussion.
La proposition de l'honorable M. Osy sera renvoyée incontinent à la
section centrale qui a examiné le projet de loi, et je crois que dans l'intérêt
des principes comme dans l'intérêt des personnes intéressées, on ne peut
s'opposer à un examen sérieux et utile de la proposition faite.
- La discussion est close.
La proposition de disjonction est mise aux voix et adoptée.
M. Liedts. - La proposition de M. Osy est renvoyée à la section centrale, pour en
faire l'objet d'un projet de loi spécial, s'il y a lieu.
Vote sur l’article
unique et l’ensemble du projet
L'article unique du projet de loi est mis aux voix par appel nominal.
60 membres répondent à l'appel.
56 votent l'adoption.
3 votent le rejet.
1 (M. David) s'abstient.
En conséquence, le projet est adopté ; il sera transmis au sénat. Ont
voté l'adoption :
MM. dHoffschmidt, d'Huart, Donny, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de
Burdinne, Fallon, Fleussu, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts,
Loos, Lys, Malou, Manilius, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach,
Rogier, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Veydt, Zoude, Anspach, Brabant,
Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan, de Baillet, de Bonne, de Breyne, Dechamps,
de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, Delehaye, Delfosse,
d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Naeyer, de Secus,
Desmaisières, Desmet, de Terbecq et de Tornaco.
Ont voté le rejet : MM. Henot, Mast de Vries et Scheyven.
M. David. - Messieurs, vous comprendrez qu'ayant présenté avec cœur et conviction
un amendement en faveur, non d'une localité, mais en vue de l'avenir du nord et
de l'est du royaume, que je vois si cruellement proscrire, je ne pouvais voter
pour la loi, sans me donner à moi-même un véritable démenti.
Je n'ai pas voulu voter contre la loi, messieurs ; c'eût été agir contre
mes sympathies. L'idée d'avoir fait perdre au Luxembourg son chemin de fer, par
une voix qui eût pu être la mienne, n'eût cessé de me poursuivre. Je me suis
donc laissé entraîner par la menace du to be or not
to be des Anglais, et j'ai soulagé ma conscience en
m'abstenant.
PROJET DE LOI
ACCORDANT UN CREDIT GLOBAL AU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR L’EXERCICE 1846
Discussion générale
M. Rodenbach. - Messieurs, je pense qu'il conviendrait de voter un crédit global
portant les dépenses de la guerre pour cette année à 28 millions. M. le
ministre de la guerre a déclaré dans la section centrale que si ce crédit
global ne lui était pas accordé, il devrait demander une majoration d'au-delà
d'un demi-million pour l'augmentation des vivres, pour augmenter d'environ 200
hommes le corps de la gendarmerie, ainsi que pour l'élévation du prix des
fourrages et autres dépenses.
Je sais très bien qu'il est infiniment plus régulier de discuter un
budget, article par article, mais l'époque est déjà tellement avancée que nous ne
pourrions, dans tous les cas, voter le budget que pour quatre ou cinq mois, car
les fonds votés ne vont que jusqu'au 15 de ce mois ; et dès lors si nous
voulions discuter le budget en détail, ce qui ne pourrait certes se terminer
d'ici à 5 ou C jours, nous devrions nécessairement accorder au gouvernement un
nouveau crédit provisoire.
On dira peut-être, messieurs, que si nous votions un crédit global, nous
n'aurions pas connaissance des détails du budget ; mais nous sommes saisis du
budget de 1847, et rien ne nous empêche de l'examiner en sections. Je crois
cependant qu'il vaudrait mieux ne s'en occuper qu'au mois de novembre, car il y
aura alors une diminution dans le prix des fourrages et des denrées, et il en
résultera la possibilité de faire des économies.
Je n'en dirai pas davantage, messieurs ; je crois avoir démontré la
nécessité de voter un crédit global ; car, je le répète, à l'époque où nous
sommes arrivés, le budget que nous voterions en détail rie s'appliquerait
jamais qu'à 4 ou 5 mois, et, en votant un crédit global, nous opérerons une
économie de 3 à 400,000 fr., en supposant qu'il fût possible de retrancher 100
ou 200,000 fr. sur les 500,000 fr. d'augmentation que le gouvernement sera
forcé de nous demander.
M. Delehaye. - Messieurs, je ne suis arrivé que ce matin, et c'est seulement par le
bulletin de convocation que j'ai pu voir qu'il s'agissait de voter un crédit
pour le département de la guerre ; le bulletin de convocation n'indiquant pas
le chiffre du crédit, je croyais qu'il était simplement question d'un crédit
provisoire ; je ne m'attendais nullement à ce qu'on voulût nous faire voter un
budget global.
Je ne suis donc pas préparé à prendre la parole sur cette grande
question. Toutefois, s'il m'est impossible de ne pas faire connaître à la
chambre ma manière devoir à cet égard, mais avant tout qu'il me soit permis de
répondre un mot à l'honorable préopinant.
L'honorable membre dit, que si nous votons un crédit global, il en
résultera une économie de 500,000 fr. Je pense moi, que si le gouvernement peut
faire une économie de 500,000 fr. sans que nous ayons examiné le budget, la
chambre, en se livrant à cet examen, trouvera le moyen de faire une nouvelle
économie.
Mais, messieurs, rien ne serait plus facile au gouvernement que de
présenter un budget et de venir ensuite, au moment de la discussion, dire que
si on veut lui accorder un crédit global, il fera une économie de 5 ou 600,000
fr.
Evidemment une semblable déclaration ne suffit pas pour nous dispenser
de voter le budget.
Je crois, messieurs, que nous pourrions faire de très grandes économies
sur le budget de la guerre ; tous les ans j'ai combattu ce budget parce qu'il
me semble excéder les besoins du pays. Je le déclare, je repousserai le budget
de la guerre aussi longtemps qu'il excédera 25 millions, et j'ai fait connaître
précédemment les motifs pour lesquels je considère cette somme suffisante.
Je trouve, messieurs, qu'il y a véritablement de la contradiction dans
la conduite de nos ministres ; il y a quelque temps, en nous présentant le
budget de 1847, ils disaient que c'était pour faciliter la discussion du budget
de 1846.
Aujourd'hui ce thème est abandonné, il ne s'agit plus du budget de 1847,
on ne veut plus même examiner celui de l'exercice courant ; c'est précisément
pour répondre aux observations des différentes sections sur le budget de 1846
que M. le ministre de la guerre a présenté le budget de 1847. Pourquoi dès lors
y aurait-il un crédit global ? Le gouvernement nous a conviés lui-même à
discuter les détails du budget de 1846. La section centrale n'était donc
nullement fondée à venir proposer à la chambre d'allouer au gouvernement un
crédit global ; je suis vraiment étonné que la section centrale ait pris
l'initiative d'une semblable proposition ; car, je ne puis assez le répéter, le
ministre de la guerre avait demandé lui-même qu'on examinât son budget, et
c'est pour satisfaire aux observations faites par vos sections que le budget de
la guerre a été présenté. La section centrale élevait donc examiner le budget
dans ses détails, et ne pas venir demander un crédit global, pour lequel elle
n'a reçu aucune mission.
Il est vrai qu'aujourd'hui le gouvernement propose une diminution de
500,000 fr. Pourquoi, messieurs, ne trouverions-nous pas à faire de nouvelles
économies si nous nous livrions à l'examen du budget, article par article ? Et
alors même que nous n'obtiendrions pas un pareil résultat, il nous suffirait
d'avoir rempli un devoir que nous prescrit la Constitution. ; tout ce qui se rattache à la Constitution ne saurait nous
être indifférent.
Je voterai contre le crédit global proposé.
M. le ministre de la guerre (M.
Prisse). - Messieurs, à entendre l'honorable préopinant,
j'aurais demandé un crédit global plutôt crue la discussion du budget de 1846 ;
il n'en est rien ; depuis le jour où le budget a été examiné par la section
centrale, je me suis déclaré prêt à le discuter ; je le suis encore ; seulement j'ai ajouté que
si j'étais renfermé dans les différents chapitres de ce budget, il me serait
impossible, non seulement de faire des économies, mais même de me contenter du
chiffre demandé par un honorable prédécesseur, parce que les denrées
alimentaires, les fourrages avaient subi une augmentation telle qu'il y avait
impossibilité à rester dans les limites des allocations demandées.
(page 1593) J'ai ajouté encore que la
gendarmerie ayant été augmentée de 190 hommes et de 27 chevaux, il fallait de
ce chef seul environ 150,000 francs de plus.
Après avoir soumis ces observations à la section centrale, j'ai dit que
l'année étant déjà avancée, il y avait peu de chances d'opérer des changements
possibles ; mais que si l'on trouvait à propos d'accorder au ministre un crédit
global, alors n'étant plus circonscrit dans les différents chapitres, pouvant
déverser les économies d'un chapitre sur un autre trop surchargé, je pensais
pouvoir arriver sans nouveau crédit à la fin de l'année avec la somme globale
demandée par mon honorable prédécesseur et même avec 28 millions ; mais je n'ai
pas demandé qu'un crédit global me fût accordé. Je suis toujours à la
disposition de la chambre pour la discussion de mon budget.
M. de Garcia,
rapporteur. - Messieurs, la section centrale a pensé
qu'en présence d'un exercice engagé jusqu'au mois de juillet, il valait
beaucoup mieux accorder un crédit global que d'aborder la discussion d'un
budget qui ne pouvait réellement recevoir ses effets sur la plus grande partie
de l'exercice engagé.
Elle a pensé de plus que puisque le budget de 1847 était présenté, on
pourrait plus utilement, à l'occasion de ce budget, se livrer à l'examen de
tous les détails que ce budget comporte.
Il est une autre considération que l'honorable M. Delehaye semble perdre
de vue : c'est qu'il y a eu dans le personnel du ministère de la guerre un
changement qui a empêché que la section centrale ne reçût en temps utile les
renseignements qu'elle avait demandés au gouvernement ; ces renseignements,
elle les a obtenus, il y a à peine 15 jours. Dans une position semblable chacun
devra, le reconnaître, en proposant un crédit global, la section centrale n'a
pas voulu se dérober à la besogne, elle a cédé à la force des choses, elle a
voulu remplir consciencieusement la mission qui lui était confiée et ne pas
présenter un travail tronqué ou incomplet. Au surplus, si la chambre décide
qu'elle préfère voter un budget détaillé qu'une allocation globale, la section
centrale se met à sa disposition, et son rapport sera présenté le plus tôt
qu'il sera possible.
Je dis : le plus tôt qu'il nous sera possible ; car, s'il est
vrai qu'une loi a fixé les points principaux de l'organisation de l'armée, il
n'en est pas moins certain que l'examen de ce budget peut présenter des
questions de détails et d'application qui méritent au plus haut point la
sollicitude de la chambre, tels que le bien-être du soldat, le matériel qui
intéresse la défense du pays, etc.
L'honorable M. Delehaye a déclaré qu'il ne donnerait jamais son
assentiment à un budget de la guerre de 28 millions. Je désire que l'honorable
membre puisse démontrer qu'avec les 25 millions qu'il veut bien consentir à
consacrer à cet objet, il soit possible de desservir les besoins de l'armée,
telle qu'elle est organisée ; si l'honorable M. Delehaye parvient à prouver
cette thèse, je considérerai cela comme un miracle, et j'en féliciterai le pays
; mais je doute qu'en présence des principes que vous avez posés, dans la loi
d'organisation, l'honorable membre auquel je réponds, puisse démontrer la
possibilité de réaliser ses vœux et ses prévisions. Cette loi d'organisation,
je ne l'ai pas votée, je l'ai même combattue vivement ; mais maintenant qu'elle
existe, je m'y soumets. Si l'honorable membre pense qu'on peut faire face aux
besoins de l'armée, telle qu'elle est organisée, avec la somme de 23 millions,
je l'engage instamment à nous communiquer ses vues.
Que l'honorable M. Delehaye ait la bonté de se rendre dans les sections
lors du prochain examen du budget de la guerre, et moi, comme tout le pays,
nous lui aurons la plus grande reconnaissance s'il nous donne les moyens de
réduire les dépenses de ce département au chiffre de 25 millions. Ce budget,
sous tous les rapports, est des plus importants et mérite l'examen le plus
sérieux ; le croirait-on pourtant, messieurs, cette grave matière n'a été
examinée, en sections, que par le quart environ des membres de cette assemblée.
Je voudrais au moins que ceux qui semblent porter tant d'intérêt à cette
branche du service public voulussent bien l'éclairer par des observations
présentées utilement.
M. Delehaye. - Messieurs, je concevrais que la section centrale fût venue nous
proposer de voter un crédit global, si M. le ministre de la guerre, récemment
arrivé aux affaires, avait déclaré ne pas être prêt à répondre aux observations
qui lui seraient soumises ; la section centrale aurait pu, dans ce cas,
invoquer, à l'appui de sa proposition, la position toute spéciale du ministre.
Mais il est à remarquer que M. le ministre de la guerre a déclaré qu'il était
prêt à soutenir la discussion de son budget.
M. le rapporteur nous a dit qu'un des motifs principaux qui avaient
empêché la présentation du rapport sur le budget de la guerre, c'était
l'arrivée récente du ministre actuel aux affaires ; mais cet argument vient à
tomber, par suite de la déclaration formelle que vous venez d'entendre. Eh
bien, quand le ministre de la guerre déclare en pleine chambre qu'il est prêt à
défendre ses propositions, n'est-il pas de notre devoir d'examiner ce budget
dans tous ses détails ? Il serait inconcevable que la chambre volât un crédit
global, alors que le ministre dit et répète qu'il ne
recule pas devant la discussion.
Un nouveau ministre vient aux affaires, il n'a pas eu le temps
d'examiner tous les crédits demandés par son prédécesseur ; il réclame de la
chambre un crédit global ; rien de plus naturel que de le lui accorder ; mais
dans le cas actuel, le ministre déclare qu'il est suffisamment préparé pour
répondre à toutes les observations qui pourront lui être faites, et c'est la
section centrale qui prend l'initiative, qui vous propose d'accorder un crédit
global ! Cette manière d'agir est contraire à tous les usages parlementaires,
et elle n'aura certes pas mon vote.
Mais, me dit-on, il y a une loi organique qui ne nous permet pas de
voter une somme inférieure à 28 millions.
D'abord, si je ne me trompe, l'honorable M.de Garcia s'est joint à moi
pour combattre les allocations élevées que l'on demandait pour le département
de la guerre, et ce n'est qu'à notre corps défendant que cette loi organique a été votée. Mais voudrait-on dès aujourd'hui réaliser déjà
les craintes que je vous ai exprimées sur la manière dont on interpréterait
cette loi. J'ai dit que du moment que la chambre aurait voté une loi organique
de l'armée, elle n'aurait plus à examiner le budget de la guerre. Vous voyez
que cela se réalise. C'est une faute que la chambre a commise que de voter
cette loi. Et tout prouve aujourd'hui que cette loi, qui n'a eu d'autre but que
d'enchaîner votre vote, était une conception malheureuse qu'en temps utile on
ferait bien de modifier, dans ce sens que l'effectif de l'armée n'entraîne
point pour l'Etat une dépense dépassant les 25 millions, somme suffisante pour
les besoins et les ressources de l'Etat.
Je vous ai dit, messieurs, lors de la discussion de cette loi organique,
que c’était un piège qu'on vous tendait ; malheureusement la chambre s'y est
laissé prendre. Nous n'avons plus moyen d'examiner le budget de la guerre, nous
sommes fatalement condamnés à voter les sommes qui nous sont demandées. Mais il
y a une observation à faire. M. le ministre vous a dit que, par suite des
modifications qu'il apporterait aux chapitres surchargés....
M. le ministre de la guerre (M.
Prisse). - C'est une erreur, je n'ai pas dit cela.
M. Delehaye. - Mais, M. le ministre, vous avez dit que, pour parer aux dépenses résultant
de l'augmentation du prix des denrées, vous prendriez sur les chapitres
surchargés l'économie proposée, celle de 500 mille francs.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Vous vous trompez, messieurs ; M. le ministre de la guerre a dit que
pour couvrir la dépense des chapitres surchargés par suite de l'augmentation du
prix des denrées, il ferait des économies sur d'autres chapitres.
M.
Delehaye. - Que M. le ministre veuille bien nous expliquer par quel moyen
miraculeux il pourra se contenter d'une somme réduite de 500 mille francs, si,
au lieu d'un budget voté par article, on lui donne une somme globale. Il y aura
donc des chapitres pour lesquels vous dépenseriez moins que ce qui est demandé au
projet de budget. La chambre pourrait, de son côté, réduire les chiffres de ces
chapitres et faire subir à d'autres encore des réductions qu'elle jugerait
convenable.
Vous voyez qu'il y a nécessité d'examiner ce budget. M. le ministre
persiste à dire qu'il ne demande pas mieux qu'on examine son budget ; il est du
devoir de la chambre de l'examiner. Je ne comprends pas que la chambre décline
cet examen quand le gouvernement déclare qu'il ne demande pas mieux que de le
commencer. Il n'y a pas d'exemple dans les annales parlementaires que la
chambre ne veuille pas examiner un budget quand le gouvernement l'y convie.
M. Rodenbach. - L'honorable préopinant dit que M. le ministre est prêt à discuter son
budget ; cela est vrai ; mais alors il demande un million de plus. Nous savions
que M. le ministre était prêt pour la discussion de son budget ; mais il a dit
tout à l'heure, comme il l'avait déclaré à la section centrale, que cela devait
coûter un demi-million de plus. C'est dans l'intérêt du trésor que la section
centrale vous a soumis la question, car elle n'a pas pris de résolution, elle a
dit à la chambre : C'est à vous de décider si vous voulez voter un chiffre
global ou si vous voulez discuter le budget de la guerre. Seulement en votant
un chiffre global, vous pourrez réaliser une économie d'un demi-million.
Nous avons des antécédents de cette manière de procéder ; nous avons eu
d'autres ministres qui ont dit : Si nous n'étions pas liés par les articles du
budget, sur différents chapitres, nous pourrions faire des économies qui ne
nuiraient pas aux services publics. Plusieurs ministres ont fait cette
déclaration et ont en effet introduit des économies dans leur budget. Il y a
d'autant plus d'économie à adopter ici ce mode, que dans six jours vous devriez
voter des crédits provisoires ; car on n'a voté des crédits au département de
la guerre que jusqu'au 15 juin.
Ces crédits provisoires vous coûteraient plus cher que le crédit total
de 28 millions qu'on vous demande pour tout l'exercice. Je sais qu'on peut
contester la constitutionnalité, ou plutôt la régularité de cette manière de
voter le budget de la guerre. Mais à l'époque avancée de l'exercice, quel
budget pouvez-vous voter ? Vous devrez d'abord accorder encore deux mois de crédits
provisoires, cela réduira votre budget à quatre mois. Je dis que dans l'intérêt
du pays, dans l'intérêt de l'économie et d'une bonne administration, vous ne
pouvez pas vous dispenser de voter un crédit global, sauf à examiner toutes les
questions de détail à propos du budget de 1847. Mais pour 1846 l'économie vous
fait un devoir de voter un crédit global.
M. de Garcia. - La considération d'économie est très forte, sans doute, mais ce ne
serait pas un motif suffisant pour s'écarter des prescriptions de la
Constitution. D'autres raisons, développées dans mon rapport, ont été
présentées à l'appui de la proposition qui nous est soumise. L'honorable membre
ne l'a probablement pas lu. Entre autres choses, nous avons considéré que la
plupart des sommes demandées étaient tellement engagées, que quelques
réductions qu'on voulût introduire, elles ne pourraient pas recevoir
d'application. Nous avons considéré ensuite que nous étions saisis d'un budget
pour 1847, dont l'examen nous fournirait (page
1594) l’occasion de traiter toutes les questions qui peuvent se rattacher à
cet objet. Je désire notamment pouvoir y examiner celle qu'a soulevée
l'honorable député de Gand ; celle de savoir si l'on peut réduire à 25 millions
le budget de la guerre.
Une autre considération a conduit la section centrale à présenter un
chiffre global pour l'exercice 1846. C'est la réorganisation du service de
santé. Cette réorganisation au budget est une des questions les plus graves que
soulèvent les dépenses du département de la guerre ; le ministre actuel et son
prédécesseur présentent, à cet égard, des systèmes différents ; le ministre
actuel n'est pas même fixé définitivement sur cette question. Dans cet état
l'on doit nécessairement admettre, qu'il serait difficile que la section
centrale eût arrêté une opinion définitive sur ce point. Quant à moi
personnellement, je crois qu'il serait avantageux que la loi réglât cet objet,
et comme la chambre est saisie d'un projet de loi destiné à régler les conditions
d'avancement dans ce service, on agirait utilement, si l'on insérait, dans
cette loi, quelques dispositions qui déterminassent la position des officiers
de ce service.
Les sections ont fait l'examen de cette loi, et la section centrale
s'est déjà réunie. Si la chambre votait ce projet de loi, le service de sauté
viendrait s'encadrer naturellement dans le budget de l'exercice 1847 ; ce
serait simplifier considérablement une question qui ne peut se discuter avec la
maturité qu'elle comporte dans le cours d'un budget.
L'honorable M. Delehaye ne se rend pas compte des économies que pourra
faire le gouvernement si, au lieu de voter le budget par chapitre, on vote un
crédit global. C'est cependant facile à concevoir. En effet, à chaque article
d'un budget tout ministre doit demander un subside tel qu'il puisse répondre à
toutes les circonstances données, c'est-à-dire la somme la plus forte possible.
Cette conduite est un devoir pour que dans aucun cas le service ne
puisse se trouver en souffrance. Un crédit global ne comporte point une demande
aussi rigoureuse. Il est bien évident que les exigences des diverses branches
du service ne seront pas les mêmes partout, et que partant l'occasion se
présentera de prendre sur un article pour le reporter sur un autre.
M. Veydt. - Le refus d'un budget est le droit
de nous tous ; messieurs, je ne renonce pas à ce droit, dont je ferai usage, au
besoin, dans des circonstances graves. Mais ici je vais être entraîné à voter
contre le budget malgré mes intentions favorables.
En effet, je n'ai aucun motif pour ne point accorder un budget à
l'honorable général qui est à la tête du département de la guerre. Ce qui m'en
empêche, cette fois, c'est l'absence de régularité dans la marche que la
section centrale nous propose de suivre.
Tout ce que vient encore d'alléguer son honorable rapporteur prouve que
nous persévérons dans une voie vraiment fâcheuse et déplorable.
Il dit qu'avec un budget global le ministre arrangera les choses comme
il voudra et de manière à rester dans les limites de la somme globale. N'est-ce
pas contraire au vœu de la Constitution qui exige le vote article par article
et une discussion sur chaque article pour en discuter l'emploi ? C'est une des
premières prérogatives, un des premiers devoirs de la représentation nationale
et je ne puis me résoudre à l'abandonner.
Les considérations que l'on a invoquées pour motiver cette proposition,
sont, tout à fait secondaires. L'honorable M. de Garcia a parlé d'une économie
d'un demi-million. Il y aurait une autre économie plus grande, ce serait de
voter tous les budgets en nous référant aux exercices précédents et de nous en
aller.
L'honorable M. de Garcia a encore fait valoir un argument ; il a dit :
Tous les fonds sont engagés. S'il en est ainsi, je ne conçois pas qu'on puisse
promettre une économie d'un demi-million sur la seconde moitié de l'année.
La question du service de santé n'est pas résolue, nous dit-on ensuite ;
le gouvernement ne peut par conséquent proposer pour ce service un chiffre qui
réponde exactement aux besoins. Alors ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de
maintenir, pour cette année, le crédit porté au budget de l'exercice 1845 ; et
l'on discutera au budget de 1847, quel doit être le montant du nouveau crédit
pour cette partie du service de la guerre.
Par tous ces motifs, mon avis est qu'il n'y a pas lieu de voter un
crédit global.
L'honorable ministre de la guerre lui-même nous a déclaré qu'il est prêt
à s'occuper, au sein de la section centrale, de l'examen détaillé du budget
pour l'exercice 1846. Pourquoi la section centrale ne suivrait-elle pas cette
marche ? Est-ce le temps qui nous manque ?
Mais nous sommes encore réunis pour six semaines au moins. En effet,
nous avons à discuter la loi sur les sucres, la convention du 13 décembre
conclue avec la France, et peut-être le traité avec les Pays-Bas. Tout cela
nous conduira jusqu'en septembre.
La discussion de la loi sur l'enseignement moyen, si elle est abordée,
pourrait prolonger nos travaux jusqu'en octobre. Nous serions donc sans excuse
en votant dès à présent un budget global.
S'il faut un nouveau crédit supplémentaire, pourquoi ne pas le demander
? Nous l'accorderons sans difficulté jusqu'au 15 juillet, même jusqu'au 1er
août, s'il le fallait. Mais au moins la chambre ne se sera point écartée d'une
marche normale, à laquelle je tiens beaucoup.
Je voterai en conséquence contre la proposition de la section centrale.
M. Osy. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Rogier
nous engager à voter un crédit global, parce que nous aurions une économie de
500,000 fr. Il n'en est rien. Je vais vous le prouver.
M. le ministre de la guerre noue a fait savoir que son prédécesseur
avait demandé une somme de 500,000 fr., mais que par suite de l'augmentation de
la gendarmerie et de la cherté des vivres, il aurait besoin de 500,000 fr. dont
il pourrait se passer avec un crédit global. Mais comment ? Par des congés
d'officiers et en appelant plus tard les miliciens au camp. Mais, il en sera de
même si le budget est voté article par article. Il y aura sur plusieurs
articles des excédants qui s'élèveront ensemble à
plus de 500,000 fr. Il n'y a donc aucun avantage à voter un crédit global.
Je trouve, comme l'honorable M. Delehaye, que les dépenses du
département de la guerre sont trop considérables. Je ne voterai donc pas le
crédit global. Je demande le renvoi à la section centrale, avec invitation de
faire un prompt rapport. Dans l'intervalle de la discussion de la convention
avec la France et de la discussion de la convention avec la Hollande, dont nous
aurons sans doute à nous occuper, nous pourrons voter le budget de la guerre.
Il n'y a aucune objection fondée contre cette marche, beaucoup plus régulière
pour la responsabilité des ministres, et que l'honorable ministre de la guerre
lui-même désire voir suivre.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Je tiens à répondre d'abord quelques mots à l'objection soulevée par
l'honorable M. Veydt. Sans doute, les scrupules de constitutionnalité sont
toujours respectables. Mais cette question a été plusieurs fois jugée par la
chambre.
Si je ne me trompe, le premier crédit global qui ait été accordé, l'a
été au général Buzen, en 1840, et alors la question de constitutionnalité a été
directement ou implicitement jugée.
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Il ne s'agit pas de savoir si le général Buzen était depuis six mois
ou depuis six ans au ministère. La question de constitutionnalité est toujours
la même, indépendamment des circonstances de fait.
Je pense qu'à l'époque de l'année où nous sommes arrivés et en présence des
considérations d'économie invoquées par la section centrale, il est préférable
de voter un crédit global.
Je suppose avec l'honorable M. Veydt que les travaux de la chambre se
prolongent jusqu'en octobre... (Réclamations.)
Messieurs, ce n'est qu'une supposition. (On rit.) Je le demande, quel intérêt présenterait la discussion du
budget de la guerre pour l'exercice 1846, en octobre 1846 ? Il ne serait pas
digne de la chambre de considérer une telle discussion comme sérieuse. Ce qui
serait vrai dans cette hypothèse l'est déjà jusqu'à un certain point à l'époque
actuelle.
Nous sommes déjà arrivés à la moitié de l'exercice. La discussion ne
pourrait venir avant que le 2ème semestre ne fût commencé.
Quant à l'économie, toutes les situations du trésor démontrent que par
suite de la division en articles les ministres sont obligés de demander, pour
quelques-uns, des sommes qui dépassent les besoins réels. C'est ainsi que nous
avons chaque année des excédants considérables, sur
les budgets.
Il en résulte que si l'on peut imputer les excédants
de certains articles sur d'autres, il y aura économie sur l'ensemble du crédit.
Ainsi, il me semble utile, non seulement pour les travaux de la chambre,
mais encore pour la situation financière, d'adopter le crédit global tel que la
section centrale l'a proposé.
M. le ministre de la guerre ne se prononce ni pour, ni contre ; il a
déclaré qu'il était aux ordres de la chambre pour discuter son budget, mais
qu'il serait obligé de demander un crédit supplémentaire si le crédit global
n'était pas voté.
M. de Garcia,
rapporteur. - Messieurs, j'ai quelques mots à répondre
à l'honorable M. Veydt.
Cet honorable membre a supposé, pour me combattre, que les principes professés
par la section centrale et par moi-même, avaient pour effet d'établir comme
mesure régulière le vote des crédits globaux. Or, telle n'a nullement été ni
l'intention de la section centrale ni la mienne. Si nous proposons de voter un
crédit global, c'est que nous y sommes déterminés par des circonstances
particulières.
Certainement si la chambre voulait siéger toute l'année, nous ne
demanderions pas mieux que de lui faire un rapport détaillé. Cependant
l'observation que vient de faire M. le ministre des finances démontre à toute
évidence, qu'eussiez-vous un rapport, vous ne pourriez appliquer le budget pour
cet exercice. Car comment marche aujourd'hui le département de la guerre ? II
marche en faisant les dépenses indiquées aux budgets précédents ou à peu près.
D'après ce peu de mots il doit rester démontré qu'il n'est pas entré
dans la pensée de la section centrale ou dans la mienne de prétendre qu'il est
régulier de voter des crédits globaux.
Nous n'introduisons, du reste, pas, comme vous l'a dit M. le ministre
des finances, un système nouveau. Ce système existe en Belgique depuis 1840. Ce
n'est toutefois pas une raison pour continuer à le suivre. Moi-même, dans les
circonstances particulières où nous nous trouvons, je m'y opposerais et
j'adhérerais aux observations de l'honorable M. Veydt.
M. Rogier. - Messieurs, il m'est impossible de laisser passer sans réponse les
doctrines vraiment extraordinaires qu'on professe dans cette enceinte à
l'occasion de la discussion d'un budget.
Comment ! On provoque la chambre à abdiquer le premier, le plus
essentiel de ses devoirs, par le motif que si l'on donne le budget en masse au
ministre, il en résultera une économie pour le trésor. Mais, messieurs, (page 1595) vous faites le procès a la
législature, vous faites le procès au parlement, vous préconisez le système des
gouvernements absolus où l'on n’a pas à rendre compte, à discuter avec les
chambres toutes les dépenses article par article. Je proteste formellement,
messieurs, contre de pareilles doctrines ; elles ne peuvent être de notre temps
et surtout de notre pays.
Messieurs, l'argument que l'on fait valoir pour le ministre de la
guerre, et qui consiste adiré : Accordez en masse 28 millions, il fera 500,000
fr. d'économie, mais cet argument s'applique à tous les budgets. Chaque
ministre, comme M. le ministre de la guerre, est tenté d'épuiser jusqu'à la
dernière limite les crédits qui lui sont accordés. Il n'y avait pas de raison,
messieurs, pour faire une exception quant à M. le ministre de la guerre ; il
fallait voter en masse, in globo, tous les budgets à
tous les ministres. C'eût été une haute marque de confiance, un moyen tout
nouveau, un expédient sui generis et particulier au gouvernement que possède la
Belgique. Mais enfin je ne crois pas que nous puissions nous laisser aller à de
pareils conseils.
M. le ministre des finances vient de faire allusion à ce qui s'est passé
en 1840. Il vient invoquer comme précédent le vote accordé à l'honorable
général Buzen. Messieurs, je ne sais si M. le ministre des finances a voulu
engager dans cette question un ministère précédent, mais je dirai que. pour moi personnellement, en présence de plusieurs députés,
lorsque M. le général Buzen est venu me dire qu'il avait obtenu le vote de son
budget in globo, je me suis récrié, quoique son
collègue, contre une marche aussi irrégulière ; je lui ai dit que, dans mon
opinion, une pareille marche me paraissait peu conforme à la Constitution et
tout au moins très irrégulière.
Mais, messieurs, il y avait alors, pour adopter cette marche, des motifs
tout à fait extraordinaires. A l'époque où le budget de la guerre est venu en
discussion en 1840, l'honorable général Buzen ne faisait que d'entrer aux
affaires. Il y était arrivé au mois d'avril, et lui-même déclarait qu'il ne lui
était pas possible de soutenir son budget. M. le ministre de la guerre actuel,
au contraire, et je l'en remercie, je lui en rends hommage, déclare qu'il
désire que l'on vote son budget, qu'il est prêt à le discuter. Et ce serait la
chambre, qui, oubliant le premier de ses devoirs, voudrait voter aveuglément,
in globo, 28 millions.
Messieurs, le fait qui s'est passé en 1840, était purement exceptionnel.
Il ne faut pas argumenter de ce fait purement exceptionnel pour justifier ce
qui serait un abus. Or, que se passe-t-il, messieurs, depuis 1840 ? D'année en
année vous votez le budget de la guerre in globo.
Est-ce là votre devoir ? Est-ce là de la prudence ? Est-ce là de la sage et
bonne économie ?
Depuis plusieurs années que vous votez un crédit global, je ue vois pas ces grandes économies qu'on nous annonce.
D'ailleurs, ces économies existassent-elles, ce ne serait pas un motif pour
suivre une pareille marche. Vous n'en avez pas le droit. Vous devez au pays la
discussion d'un budget article par article.
M. Rodenbach. - Le général Buzen a obtenu deux années de suite un crédit global.
M. Delfosse. - Il y a eu abus pendant plusieurs années ; ce n'est pas un motif pour
le continuer.
M. Rogier. - Messieurs, j'aime mieux, quant à moi, voter en une seule séance,
mais au moins voter article par article, tout le budget sans y rien changer,
que de m'associer au vote d'un crédit global. Je repousse surtout cette espèce
d'attrait que l'on offre à l'esprit d'économie des uns, à la paresse, ou, si
l'on veut, à l'inertie des autres. Ne votez pas article par article, ce sera
beaucoup plus commode ; voilà ce qu'on dit à l'inertie des uns ; puis on dit
aux autres : Ne votez pas article par article, vous procurerez au trésor public
une économie de 500,000 fr. Ceci est un appel à ceux qui aiment à faire des
économies. Mais quant à moi, je ne vois pas quelle espèce d'économie nous avons
plutôt à attendre d'un budget voté in globo que d'un
budget voté article par article. Il faut qu'un ministre fasse toutes les
dépenses qui sont nécessaires et qu'il fasse en même temps toutes les économies
compatibles avec les besoins du service. Que son budget soit voté article par
article, ou qu'il soit voté in globo, il ne peut
s'écarter de cette règle.
J'espère, messieurs, que M. le ministre de la guerre ne voudra pas
inaugurer son ministère par une marche tout à fait irrégulière. Nous avons
voté, avec une libéralité que quelques-uns de nos collègues nous ont reprochée,
nous avons toujours voté, pour l'armée, généreusement, à nos risques et périls,
quoique membre de l'opposition, toutes les sommes qui nous ont été demandées.
Mais si nous sommes disposés à accorder des sommes considérables à l'armée,
nous voulons qu'elles ne soient pas votées aveuglément par la chambre.
Je dis que la chambre donnerait l'exemple d'un abus très condamnable, si
elle persistait dans de pareilles voies. Que M. le rapporteur veuille bien
convoquer immédiatement la section centrale ; qu'il veuille bien nous faire un
rapport. Je ne demande pas qu'il soit très approfondi pour 1846, puisque
l'exercice est déjà très avancé, mais au moins votons le budget article par
article. Déjà beaucoup d'articles sont votés en fait, puisqu'ils sont
l'application de la loi sur l'organisation de l'armée. La discussion ne nous
prendra que peu de temps, mais rentrons au moins dans une voie normale et
régulière.
Je soumets ces observations à la chambre et au ministère. J'espère que
M. le ministre des finances ne sera pas le premier à encourager la chambre à
donner des exemples d'une aussi grande irrégularité financière.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, si j'invitais la chambre à poser un nouvel acte, ce n'est
pas moi du moins qui l'engagerais à entrer dans cette voie. Le premier acte qui
a été posé en ce sens l'a été en 1840,
M. Delehaye. - Il y avait force majeure.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, voici encore une fois la même objection : Il y avait •
forée majeure, dit-on, en 1840. Je dis, messieurs, qu'il n'y avait pas plus
force majeure alors qu'aujourd'hui, on a eu à apprécier des circonstances ; si
les circonstances diffèrent, elles sont bien plus impérieuses aujourd'hui
qu'elles ne l'étaient alors.
En effet, messieurs, en 1840, le ministère avait été formé au mois
d'avril et. maintenant nous sommes arrivés, je ne veux
pas dire à la fin, mais au moins à une époque très avancée de la session, ayant
encore d'importants travaux à terminer et ne nous trouvant pas saisis d'un
rapport de la section centrale ; en un mot, en présence d'une instruction
beaucoup moins avancée qu'elle ne l'était en 1840.
Il ne s'agit pas ici d'une théorie, mais de l'appréciation d'un fait.
L'on ne veut nullement entrer dans les règles du gouvernement absolu, car alors
ni l'honorable membre ni personne n'aurait à discuter le chiffre du budget ; il
s'agit uniquement de savoir si dans les circonstances exceptionnelles où nous
nous trouvons, l'on préférera le vote d'un crédit global à la discussion du
budget, article par article.
Je n'avais pas l'intention d'appeler dans ce débat un ministère plutôt
qu'un autre. J'ai cité un fait, parce que dans toute assemblée délibérante,
surtout pour les questions qui se rattachent à l'interprétation de la
Constitution, les précédents ont une grande autorité. Pour être impartial,
j'ajouterai que M. le ministre de la guerre, qui a obtenu un crédit global en
1840, en a également obtenu un en 1841, lorsqu'il était associé à d'autres
collègues.
Je le répète, il ne s'agit pas de poser un principe ; mais d'apprécier
les faits.
M. le ministre de la guerre (M.
Prisse). - Messieurs, l'honorable M. Rogier, dans le
discours qu'il vient de prononcer, a avancé une assertion que je tiens à ne pas
laisser passer sans réponse. J'ai dit que si la chambre jugeait à propos de
m'accorder un crédit global, je parviendrais à réaliser une économie de 500,000
fr., somme que je suis obligé de demander si le budget est voté article par
article. Or l'honorable M. Rogier a semblé croire que je paraissais par là provoquer d'un côté l'inertie d'une partie de la
chambre et de l'autre encourager à des souvenirs peu plausibles. Telle n'a pas
du tout été mon intention ; je ne sais pas si je me suis suffisamment expliqué
quant aux économies dont il s'agit.
Je désire donner à cet égard quelques explications. J'ai annoncé que je
pourrais opérer certaines économies s'il m'était permis de verser l'excédant d'un chapitre sur un autre chapitre qui se
trouverait trop chargé de dépenses. Je demanderai à la chambre la permission de
lui citer un exemple de la manière dont certaines économies peuvent être
obtenues. Je suppose que le 1er du mois prochain je vienne à prévoir que pour
finir l'exercice il est nécessaire de renforcer l'article
« casernement » d'une somme de 175 francs qui me manquerait
inévitablement ; eh bien, si le budget est voté article par article je serai
obligé de diminuer l'effectif sous les armes de 19 hommes, puisque 184 jours à
5 centimes (seule ressource que m'offre par jour et par homme la masse du
casernement), donnent par homme 9 fr. 20 centimes et qui fait par 19 hommes 174
fr. 80 centimes ; si au contraire j'ai un crédit global il me suffit de réduire
l'effectif, d'un seul homme, attendu qu'un homme coûte, terme moyen, par jour :
solde 0 75, pain 0 16, casernement, 0 05, soit fr. 0 96.
Or, en envoyant cet homme en congé le 1er juillet, il comptera en moins
dans l'effectif pendant 184 jours, à 0 96. Ce qui fera 176 fr. 64 centimes.
Par cet exemple si simple, vous pouvez juger, messieurs, comment on
peut, lorsqu'on a un crédit global, opérer certaines économies, tout en
maintenant l'effectif nécessaire aux besoins du service.
L'honorable M. Rogier a répété, ainsi que d'autres honorables orateurs,
que je désirais la discussion du budget. J'ai dit, à la vérité, que je me
soumettrais aux désirs de la chambre, mais je n'ai pas l'amour-propre de croire
que, arrivé depuis très peu de temps au ministère où
j'ai trouvé un arriéré assez considérable par suite de la maladie de mon
prédécesseur, j'aie pu étudier suffisamment son budget pour arriver à la
présentation d’un budget parfait. Loin de moi, messieurs, une telle présomption
! Il m'a été, au contraire, impossible de préparer un budget aussi satisfaisant
que j'aurais espéré le faire si j'avais eu assez de temps pour l'étudier d'une
manière complète. Ainsi je ne puis pas désirer la discussion d'une œuvre que je
considère moi-même comme incomplète, mais, je le répète, je suis aux ordres de
la chambre.
M. de Mérode. - Messieurs, si l'on votait constamment un budget global de la guerre,
je verrais dans ce mode de procéder un grave inconvénient. Mais dans les
circonstances où nous sommes placés par un retard exceptionnel, extraordinaire
et par l'urgence qui nous presse à l'égard d'autres lois, je pense qu'il est
mieux entendu d'admettre au milieu de l'année un budget d'ensemble. Je dirai
même qu'admis de temps à autre, les budgets produisent des économies ; parce
que l'on peut avec un tel budget essayer des réductions que l'on n'oserait pas
assurer par des prévisions absolues.
Messieurs, à la fin de juin nous aurons été près de huit mois en session
et cependant la loi des sucres n'est pas votée, les traités ne sont pas votés,
comme nous l'a dit M. Veydt, et si l'on vote encore un crédit (page 1596) provisoire de deux mois, on
ne s'occupera plus réellement que d'un budget de cinq mois.
Je ne dis pas que parce qu'un crédit global est plus économique parfois
il faille adopter ordinairement ce système, car ce serait un abus pire que la
dépense supérieure qui résulte d'un budget divisé par articles. Mais puisque
nous sommes dans une situation exceptionnelle par un retard exceptionnel de
discussion de budgets, nous pouvons profiter d'une économie qui n'est pas
facile autrement et d'autant plus que nous avons eu à supporter des dépenses
imprévues par le fléau qui a frappé les pommes de terre.
Certes, l'an prochain je n'adopterai pas un budget global malgré le
bénéfice pour le trésor qu'il est susceptible de procurer, parce que M. le
ministre de la guerre aura eu le temps de mûrir ses prévisions, mais dans les
circonstances où nous nous trouvons, je ne vois pas l'utilité qu'il peut y
avoir à voter un budget pour la forme, en quelque sorte.
Il est beaucoup plus naturel de faire ce qu'on a déjà fait précédemment,
lorsqu'il y avait des raisons suffisantes pour suivre cette marche ; il est
beaucoup plus utile, en ce moment, de voter un crédit global et d'obtenir ainsi
une économie qui nous échapperait par le vote détaillé du budget. Permettez-moi,
messieurs, de vous faire à cet égard une comparaison sans doute très vulgaire,
mais qui me paraît fort exacte. Dites à un homme chargé de préparer un dîner :
Vous dépenserez tant pour le sel, tant pour le poivre, tant pour les légumes,
tant pour la viande, tant pour le vin, etc., etc. ; il est évident que cet
homme ne pourra pas vous traiter au prix auquel il vous traiterait si vous lui
laissiez la latitude de combiner sa dépense comme il le jugerait le plus
convenable.
Toutefois, messieurs, je le répète, je ne considère pas cela comme un
motif suffisant pour voter tous les ans un budget global : évidemment,
l'inconvénient d'un semblable système serait plus grand que l'avantage qu'on en
retirerait ; mais je crois que les circonstances actuelles justifient le vote
d'un crédit global.
M. Dumortier. - Messieurs, je partage l'opinion que l'on obtiendrait certes des
économies en votant des budgets globaux, car on est beaucoup plus disposé à
voter de petites dépenses qu'à en voter de grandes, et je suis convaincu que
si, au lieu de voter les budgets, article par article, on avait à se prononcer
in globo sur des budgets de 10, de 15, de 20
millions, on ne serait pas à beaucoup près aussi facile qu'on l'est maintenant.
Mais, messieurs, il est une considération devant laquelle toutes les
autres doivent céder. La Constitution veut que les budgets soient votés,
article par article, et dès lors, je pense que nous ne pouvons pas adopter la
proposition qui nous est faite. On viendra dire qu'en 1840 on a voté un budget
global, mais d'honorables membres ont déjà fait remarquer qu'en 1840, on se
trouvait dans une position tout à fait exceptionnelle.
Quelle était la position de 1840 ? C'était immédiatement après les 24
articles. Nous avions une armée de 120,000 hommes ; il s'agissait de la réduire
au pied de paix. On comprend qu'un pareil mouvement ne pouvait pas se faire
d'une manière brusque, qu'il fallait plusieurs années pour arriver à un budget
normal ; c'est pour ce motif qu'on a voté un crédit global. Le même état de
choses existait encore en 1841. Il y avait, en outre, une autre nécessité,
c'était celle d'avoir une loi d'organisation de l'armée. La chambre a lutté
pendant 4 ans pour avoir cette loi qu'elle a fini par obtenir ; cette loi a
amené ce résultat, que la plus grande partie de la discussion du budget de la
guerre se trouve épuisée ; nous n'avons plus qu'une loi d'application, puisque
les objets les plus importants, qui jadis pouvaient donner lieu à des débats,
sont réglés par la loi, et pour mon compte, je ne doute pas qu'avec le talent
distingué de M. le ministre de la guerre actuel, le budget qu'il présentera, et
pour lequel je lui donne d'avance mon vote, sera adopté en très peu de temps
par la chambre.
Je dis donc avec l'honorable M. Rogier qu'il est de notre devoir
d'inviter la section centrale à nous faire un prompt rapport sur le budget de
la guerre ; nous resterons ainsi dans les termes de la Constitution, de la
légalité ; il faut tenir avant tout à la légalité ; j'insiste donc de tout mon
cœur pour que la section centrale soit invitée à faire un prompt rapport. Je ne
pense pas que la section centrale puisse se refuser à nous faire un rapport.
Une section centrale ne peut pas tenir la chambre en suspens. On pourrait avoir
un rapport dans deux ou trois jours.
Un membre. - C'est impossible.
M. Dumortier. - Quant à ce qu'a dit M. le ministre de la guerre sur le moyen
d'opérer des économies, il pourra demander à la section centrale de réunir
plusieurs articles, et il arrivera alors au même résultat qu'il a indiqué ; ce
serait un grand bienfait, puisque par là on réaliserait une économie, sans
nuire au service.
- La discussion est close.
M. Liedts. - Je mets aux voix la question de savoir si le projet sera renvoyé à la
section centrale, avec demande d'un prompt rapport.
- Plus de cinq membres réclament l'appel nominal. On procède à cette
opération.
49 membres y prennent part.
32 répondent non.
17 répondent oui.
En conséquence, la chambre n'adopte pas le renvoi à la section centrale.
Ont répondu non : MM. Brabant, Clep, Coppieters, d'Anethan, Dechamps, de
Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Meer de
Moorsel, de Meester, de Mérode, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux,
Donny, Dubus (aîné), Eloy de Burdinne, Fallon, Huveners, Lejeune, Liedts,
Malou, Mast de Vries, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Van Cutsem, Vanden Eynde,
Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
Ont répondu oui : MM. Anspach, Cans, de Bonne, de Breyne, Delehaye,
Delfosse, de Naeyer, de Tornaco, Dumortier, Fleussu, Lange, Loos, Orban, Osy,
Pirson, Rogier et Veydt.
Des membres. - Votons le crédit.
- Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale sur le
crédit global, la clôture est mise aux voix et prononcée.
On procède à l'appel nominal sur l'article unique du projet de loi, 46
membres seulement sont présents. (A
demain.)
La séance est levée à 5 heures.