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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 6 juin 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1562) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et quart.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« La chambre des avoués près le tribunal de Namur, prie la chambre de discuter, avant la fin de la session, le projet de loi qui modifie les tarifs en matière civile. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Ronflette, notaire à Ixelles, présente des observations concernant le projet de loi sur l'organisation du notariat. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

« Le chevalier de Menten de Horne, ancien officier de cavalerie, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité annuelle sur le chapitre des dépenses imprévues du budget de la guerre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs électeurs à Watermael-Boitsfort prient la chambre d'annuler la décision de la députation permanente du conseil provincial du Brabant du 29 mai, relative à une demande en nullité des élections communales. »

M. Delfosse. - Il s'est passé dans la commune de Watermael-Boitsfort des choses extrêmement graves, je dirai même scandaleuses. Le collège des bourgmestre et échevins s'est permis de biffer de la liste des électeurs communaux, qui avait été affichée, plusieurs noms contre l'inscription desquels aucune réclamation n'était intervenue. Plus tard, cette liste ayant été égarée, le bourgmestre a méconnu son devoir au point d'en fabriquer une nouvelle, à l'approche des élections, et d'en faire usage, bien qu'elle ne présentât aucune des garanties dont la loi a voulu entourer ces sortes des documents.

Je n'hésite pas à le dire, si nous avions un gouvernement qui eût le sentiment de ses devoirs, qui ne fut pas un gouvernement de parti, il ne laisserait pas un instant en fonctions un bourgmestre qui a commis de telles illégalités.

Les pétitionnaires signalent quelques-uns des faits qui se sont passés ; ils signalent, en outre, une espèce de déni de justice dont ils ont à se plaindre. Ils s'étaient adressés à la députation permanente pour faire annuler les élections communales qui ont eu lieu dernièrement à Watermael-Boitsfort, et ils avaient invoqué trois moyens à l'appui de leur requête. La députation permanente a fait droit à leur demande, mais elle n'a examiné que l'un des trois moyens invoqués, laissant les deux autres à l'écart. Le gouverneur du Brabant s'est pourvu contre cette décision de la députation permanente et elle a été annulée par arrêté royal. Cet arrêté réfute le moyen sur lequel la députation permanente s'était appuyée pour annuler les élections ; il répond aussi à l'un des deux autres moyens invoqués par les pétitionnaires ; mais ni la députation, ni le gouvernement n'a statué sur le troisième moyen, qui est très important. C'est celui qui est tiré de ce que plusieurs noms ont été irrégulièrement biffés de la liste.

Je demande que la pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, et que cette commission soit invitée à présenter son rapport avant le jour où la chambre discutera le projet de loi présenté par M. Van de Weyer, et le rapport que M. Dubus a fait sur la pétition qui nous a été adressée par d'autres habitants de la même commune.

M. Vanden Eynde. - J'ai fait partie de la section centrale qui a examiné le projet présenté par M. Van de Weyer, relativement aux listes des électeurs communaux. La même section centrale a eu aussi à s'occuper d'une pétition de plusieurs électeurs de Watermael-Boitsfort, relativement à la liste dont il est encore question aujourd'hui et à l'annulation des élections précédentes.

.L'honorable M. Delfosse est venu dire ici que le bourgmestre de Watermael-Boitsfort avait biffé des noms, qu'il avait égaré la liste, qu'il avait enfin commis des illégalités. Ces faits-là sont d'une grande inexactitude. La section centrale a eu à s'occuper de toutes ces circonstances et elle a pu se convaincre que ce bourgmestre ne mérite pas ces reproches.

Je ne viendrai pas dire aujourd'hui toutes les considérations qui ont déterminé votre commission relativement à cette pétition. J'attendrai seulement que la discussion s'engage à cet égard, et alors j'exprimerai ma pensée et je ferai connaître les motifs qui ont déterminé la section centrale ainsi que les raisons de science, pour lesquelles je puis m’exprimer de la manière que je le fais sur les allégations de l'honorable M. Delfosse.

En ce qui concerne le dernier arrêté pris par le gouvernement, ce n'est pas à moi de le défendre, et je ne puis pas donner d'explications, ni sur la rédaction, ni sur les motifs qui ont déterminé le gouvernement à annuler la décision de la députation. Seulement je désire que la chambre ne se forme pas d'avance une opinion sur les faits allégués par l'honorable M. Delfosse. J'ai pris la parole pour prémunir la chambre contre les erreurs dont l'honorable membre s'est rendu l'organe.

M. le président. - Nous ne pouvons pas discuter maintenant cette question. La discussion doit se renfermer dans la proposition de M. Delfosse.

M. de Garcia. - Le débat actuel est aussi étrange qu'inopportun. On discute le fond d'une pétition dont personne n'a connaissance, à la seule exception peut-être de l'honorable M. Delfosse et de l'honorable M. Vanden Eynde, qui a eu l’occasion de connaître quelques-uns des faits qui s'y trouvent relatés. Dans cet état, il est incontestable que la chambre ne peut entamer le fond de la discussion à laquelle cette pièce peut donner lieu. Dès lors tout en déclarant que je ne m'oppose pas à l'adoption de la proposition de M. Delfosse, je demande qu'on ne discute pas maintenant le fond.

M. d’Huart. - Il me semble qu'il y a lieu d'adopter la proposition de M. Delfosse. Qu'on renvoie la pièce à la commission des pétitions, et qu'un rapport soit fait ; alors chacun aura une connaissance approfondie de la réclamation, et la discussion pourra avoir lieu d'une manière convenable.

Quant aux faits signalés par l'honorable M. Delfosse, je ne pourrais entrer dans des explications à l'égard de ces faits ; on conçoit que, dans ma position, je ne dois en avoir aucune connaissance ; ils ne sont pas d'une nature telle qu'ils aient dû faire l'objet d'un examen en conseil des ministres ; du moins si le conseil des ministres s'en est occupé, ce doit avoir été pendant que je n'étais pas à Bruxelles.

Ce qu'il y a de plus convenable à faire, je le répète, c'est d'adopter la proposition de M. Delfosse, et d'attendre le rapport de la commission,

M. Delfosse. - M. Vanden Eynde vient de qualifier d’inexacts les faits que j'ai signalés ; je n'ai pas l'habitude d'avancer légèrement des faits aussi graves. Ceux que M. Vanden Eynde qualifie d'inexacts ont été avoués par le bourgmestre de Watermael-Boitsfort lui-même, dans l'enquête judiciaire.

M. Desmet. - J'appuie le renvoi à la commission avec demande d’un prompt rapport ; mais je crois que le renvoi devrait être fait, non pas à la commission des pétitions, mais à la section centrale qui s'est occupée de cette affaire. M. Delfosse ne s'opposera sans doute, pas à ce que cette marche soit suivie.

Je propose donc le renvoi de la pétition à la section centrale qui s'est occupée des élections de Watermael-Boitsfort.

M. Delfosse. - Je dois m’opposer à la proposition de M. Desmet. Il n'y a pas de raison pour enlever à la commission des pétitions les attributions qui lui sont conférées par le règlement. Si la pétition qui nous a été adressée dans le temps, par d'autres habitants de Watermael-Boisfort a été renvoyée à la section centrale dont M. Desmet vient de parler, c'est que cette section était alors saisie de l'examen d'un projet de loi qui avait quelque rapport avec la pétition. Aujourd'hui que cette section a terminé son travail et épuisé son pouvoir, il n'y a pas de raison pour la faire revivre en la mettant à la place de la commission des pétitions, qui n'ayant pas encore eu à se prononcer sur les affaires de Watermael-Boitsfort, peut être considérée comme présentant plus de garanties d'impartialité.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne m'oppose en aucune manière à ce que la pétition soit renvoyée à la commission des pétitions. Mais quant aux garanties d'impartialité, je crois qu'elles doivent les mêmes chez toutes les commissions désignées par la chambre.

- La proposition de M. Delfosse est mise aux voix et adoptée.


Par message en date du 5 juin, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi qui remplace les articles 331 à 335 du Code pénal.

- Pris pour notification.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

M. Mast de Vries, rapporteur. - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter le rapport de la commission spéciale chargée de l'examen de la demande de crédit de 40,000 fr. pour le département des travaux publics.

A mesure que le chemin de fer de l'Etat atteignait les localités importantes du pays, des fêtes d'inauguration y ont été données au moyen des subsides votés par ces localités et par le concours efficace du gouvernement.

Lors de la jonction du chemin de fer belge au chemin de fer rhénan, des fêtes brillantes ont eu lieu. Les villes qui profitaient le plus immédiatement de cette jonction se sont empressées à témoigner de tout l'intérêt qu'elles avaient à l'achèvement de cette œuvre internationale.

Les dépenses qui en sont résultées pour le gouvernement ont été imputées sur l'un ou l'autre chapitre du département des travaux publics.

Ce mode, irrégulier sans doute, mais employé depuis 1835, avait reçu une espèce de sanction de la législature, en ce sens qu'il n'avait soulevé aucune observation dans le sein de la chambre.

A l'occasion de l'inauguration des chemins de fer belges-français, une interpellation a été faite par un de nos honorables collègues. Il a engagé le ministre à suivre la voie légale.

(page 1563) Pour répondre à ce vœu, une demande de crédit 40,000 fr. vous est soumise.

La commission que vous avez chargée de l'examen du projet s'est d'abord rendu compte de ce qui a eu lieu lorsque des dépenses du même genre ont été faites pour l'inauguration du chemin de fer belge-rhénan.

Elle s'est demandé si la jonction de Paris à Bruxelles n'était point pour le pays un événement d'une aussi haute importance que celui qui nous a liés à Cologne.

Elle a été unanime à reconnaître que des motifs de haute convenance- nous commandaient de répondre aux invitations qui nous seront adressées de France.

Par ces motifs, votre commission vous propose par cinq voix d'accorder le chiffre demandé par le gouvernement.

Un membre proposait de le réduire à 25,000 fr.

M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué ; à quel jour la chambre veut-elle en fixer la discussion ?

M. Mast de Vries, rapporteur. - Comme l'inauguration est très prochaine, je pense que la discussion du projet de loi pourrait commencer immédiatement. (Oui.)

M. de Brouckere. - Messieurs, je veux simplement déclarer qu'étant l'auteur de la motion par suite de laquelle le projet de loi sur lequel un rapport vient d'être fait, a été présenté, je ne m'oppose en aucune manière à ce que le projet soit discuté immédiatement ; je déclare en même temps que mon vote lui était acquis d'avance. Immédiatement après ma motion, j'ai dit que tout ce que je voulais, c'était que le gouvernement, à l'occasion des fêtes de cette nature, rentrât dans une voie régulière : il y est rentré ; quant à moi, je trouve la somme modérée, et je la voterai avec empressement.

M. Lebeau. - J'appuie également la proposition de l'honorable rapporteur.

- La chambre, consultée, décide qu'elle discutera immédiatement le projet de loi.

Discussion générale

La discussion est ouverte.

M. Lebeau. - Messieurs, je viens remercier l'honorable M. de Brouckere d'avoir soulevé la motion qu'il a soumise à la chambre, il y a quelques jours ; je le fais, non seulement pour le motif, très suffisant d'ailleurs, que vient d'indiquer l'honorable membre, mais encore par une autre raison, d'un ordre plus élevé ; et, sous ce rapport, je regrette qu'on n'ait pas suivi la même marche dans les circonstances antérieures. Je crois qu'il y a des motifs de haute convenance, pour que le pays tout entier intervienne dans les actes de sympathie internationale, et qu'il s’associe, par le vote de ses représentants, à la démonstration amicale, hospitalière, préparée par le cabinet.

Discussion des articles et vote sur l'ensemble

Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close. L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Un crédit de 40,000 fr. est ouvert au département des travaux publics, pour l'inauguration internationale des chemins de fer belges-français. »

- Adopté.


M. le ministre des finances (M. Malou). - Je proposerai d'ajouter un article 2 ainsi conçu :

« La loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

Cet article est mis aux voix et adopté.


Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.

En voici le résultat :

55 membres ont répondu à l'appel.

47 membres ont répondu oui.

6 membres ont répondu non.

En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Van Cutsem, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Zoude, Cans, Clep, David, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Naeyer, de Renesse, de Sécus, de Smet, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dumont, Fallon, Fleussu, Goblet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier, Scheyven, Sigart et Vilain XIIII.

Ont répondu non : MM. de Garcia, de Tornaco, Eloy de Burdinne, Huveners, Simons et Thienpont.

Projet de loi autorisant la concession du chemin de fer du Luxembourg

Discussion générale

M. David. - Messieurs, j'ai lu et j'ai entendu les discours des honorables MM. d'Hoffschmidt, Pirson et Osy, d'abord au Moniteur et ensuite à la séance ; je regrette de n'avoir pu arriver pour le début de la séance. Comme ces honorables représentants, je désire, messieurs, l'exécution des chemins de fer que l'on vous offre, à ce que l'on dit, gratuitement dans le pays.

Je suis donc loin de vouloir repousser le chemin de fer du Luxembourg, s'il a cette qualité-là. Je serais disposé à appuyer même l'amendement de l'honorable M. Pirson. Je suis un des partisans les plus chaleureux et j'appuierai toujours les demandes de concession, en tant qu'elles me paraîtront concilier convenablement les intérêts du pays. Cependant si je désire voir accorder des concessions, je demanderai et j'appellerai de tous mes vœux la suppression de l’article 47 à l'occasion de la discussion qui nous occupe, et je vais avoir l'honneur de vous en donner quelques motifs. Malheureusement mes arguments ne sont pas assez bien classés dans mon esprit aujourd'hui pour que je puisse vous les donner tous. J'espère cependant vous en donner une esquisse et je pense qu'ils sont digues de l'attention de la chambre.

Je vous fais pressentir, messieurs, l'amendement que je vais avoir l'honneur de vous proposer et qui sera rédigé dans ce sens-ci : « Le gouvernement pourra aussi accorder la concession d'un chemin de fer partant de la province de Liège, soit de Pépinster, soit de Chênée, vers la frontière prussienne.»

Voici, messieurs, quelques arguments que je vais avoir l'honneur dé vous soumettre à l'occasion de cet amendement.

Messieurs, parce qu'il y aurait un chemin de fer au-dessus de Namur ; pourquoi à l'autre extrémité du royaume, à partir par exemple, de Pepinster ou de Chênée, n'y en aurait-il pas un pour aller rejoindre le même point à Luxembourg ?

Pourquoi le gouvernement, aurait-il autorisé deux chemins de fer de Paris à Bruxelles, l'un arrivant par Quiévrain, l'autre par Lille, à quelques lieues de distance ? Mais, messieurs, ici il y a des motifs beaucoup plus puissants pour ne pas s'opposer à la proposition que je vous fais. C'est qu'ici il n'y aura que le point d'arrivée qui sera commun... En partant de Pepinster ou de Chênée pour atteindre Luxembourg, on comprendra qu'on dessert toutes localités absolument différentes, qu'elles sont tout autres et indépendantes de celles du projet en discussion.

Les points de départ de ces chemins de fer sont donc absolument différents, l'un partant d'au-dessus de Namur, l'autre de Chênée ou de Pepinster seraient séparés (remarquez le bien, car c'est une chose extrêmement importante), seraient séparés, dis-je, par toute la largeur du royaume.

Parce qu'il a plu au gouvernement de concéder un chemin de fer sur la partie sud du royaume, faut-il condamner à l'ostracisme, faut-il déshériter tous les habitants qui peuplent le nord et l'est du pays ? Voilà cependant, messieurs, ce que vous allez décréter ; et comme vous le disait hier l'honorable M. Osy, ce n'est pas seulement pour douze années, mais on peut compter que ce sera pour les 18 années qu'il vous a annoncées.

Messieurs, je vais avoir l'honneur de vous offrir une comparaison, de vous citer un fait. Mais si M. le ministre des travaux publies n'est pas ici, je regrette aussi que dans ce moment l'honorable M. de Theux ne se trouve pas dans la salle. Ce sont cependant les membres principaux auxquels j'ai à adresser, mes interpellations et dont je réclamerai le témoignage.

Je pense qu'aucun de ces deux honorables membres ne se trouve dans la salle, et dès lors je trouve inutile de continuer.

Une voix. - M. Dechamps est là.

M. David. - Ce que je veux dire à la chambre ne peut concerner l'honorable M. Dechamps. En effet, il s'agit d'une discussion relative au chemin de fer direct de Liège à Hasselt par Ans et Tongres. (M. le ministre de l'intérieur entre dans la salle.)

L'honorable M. de Theux étant maintenant à son banc, je crois devoir rappeler la comparaison que j'ai faite entre les provinces de l'Est et du Nord du royaume, ainsi que les honorables MM. de Theux et Simons à l'occasion du chemin de fer direct de Liège à Hasselt par Ans et Tongres.

Quand on a concédé ce chemin de fer-là, la société Mackenzie voulait également interdire toute concession qui aurait pu être considérée comme une concurrence à ce chemin. Qu'ont fait les députés du Limbourg dont j'invoque le témoignage et dont les paroles sont d’ailleurs consignées au Moniteur. Ils se sont opposés et ils ont eu raison ; ils ont fait rejeter la proposition qui nous était imposée.

Si elle a été rejetée une fois, messieurs, il y a donc un grand et puissant antécédent, elle doit l'être une seconde. On a obtenu satisfaction de la société Mackenzie ; serons-nous plus malheureux vis-à-vis d'une autre société, quand nous aurons prouvé que nos rapports avec le Luxembourg n'ont aucune analogie avec ceux que l'on attend de la voie de communication qu'on nous propose ? Les honorables MM. de Theux et Simons ont bien défendu les intérêts du pays, et ils ont introduit dans la loi des concessions un paragraphe tout à fait dans le sens de l'amendement que je viens proposer à la loi en discussion.

Les voies que je propose, Pepinster ou Chênée, n'ont réellement rien de commun avec les intérêts de la société anglaise. Remarquez-le, le chemin dont la société étrangère dessert les intérêts doit se diriger de Namur vers Luxembourg. Je trouve cela excellent ; j'y donne mon assentiment ; mais rien ne s'oppose à ce que cette société ou une autre desserve les intérêts du nord et de l'est de la Belgique.

Pourquoi repousserait-on l'idée d'introduire un second chemin propre à desservir les intérêts de lest et du nord du pays, tandis qu'en desservant ces intérêts on ne nuirait pas à ceux de l'ouest et du sud ? Ce serait même précisément tout le contraire. Ici je ferai valoir encore un argument, c'est que des chemins de fer, dans les parties du pays qui n'en ont point, procureraient par leurs affluents un bénéfice dans le chemin de fer de l'Etat, en lui amenant des voyageurs et des marchandises. Tous les Belges doivent être égaux devant la loi ; le chemin de fer a aussi sa loi ; il serait donc injuste et illégal de priver de chemins de fer aucune partie du pays.

Il me semble que nous entrons dans une mauvaise voie, messieurs ; c'est une guerre de province à province .Cette fois, je n'en dirai pas davantage. Nous aurons dans d'autres circonstances trop malheureuses, il n'est que trop vrai, l'occasion de proclamer, de faire voir combien est cruelle et impolitique une semblable lutte. L’on entre dans une voie fatale, non (page 1564) pas seulement à propos du chemin de fer du Luxembourg, mais à propos des Flandres ; c'est une double lutte que ma province a à supporter.

Je prétends qu'en adoptant l'article 47, vous commettez un acte d'iniquité, que je pourrais même qualifier d'absurde et d'inutile. Je crois pouvoir le démontrer. Je prétends que cet acte constituera un précédent éminemment dangereux. Vous verrez plus tard les dangers résultant d'un antécédent semblable. Vous serez obligés de subir les conséquences d'un acte aussi irréfléchi que vous aurez posé.

C'est même évidemment un acte inconstitutionnel et, par conséquent, souverainement injuste, que de décréter que, pendant 18 ans, les provinces du royaume situées au nord et à lest seront condamnées à l'isolement, à l'ilotisme, et seront privées d'une de ces communications qui font la gloire et la prospérité des localités qui ont le bonheur de pouvoir en être dotées.

C'est un acte à la fois illégal et injuste, parce que d'abord ce serait violer d'autres antécédents de la chambre que j'ai rappelés ; c'est un acte inutile, parce que vous ne pouvez proclamer la déchéance d'une route, lorsqu'il est prouvé que cette route est la plus courte, la plus naturelle et la plus utile. La route la plus courte, la plus prompte, la plus naturelle reprendra toujours tôt ou tard son cours. L'homme ne saurait lutter contre des éléments aussi providentiels que ceux-là. Sous ce rapport, il y a là un grand avertissement donné à la société demanderesse.

Je puis vous le prouver.

Je vais seulement vous donner lecture d'un passage d'une lettre qui m'a été adressée par un honorable citoyen qui exerce des fonctions élevées dans les provinces rhénanes.

Voici ce passage :

« Une chose, monsieur, qu'il ne faudra pas perdre de vue de votre côté et que vous pourrez faire valoir si l'occasion s'en présente, c'est que pour nous, c'est-à-dire pour le pays de Trêves, le sort du paragraphe 2 de l'article 47 n'est pas, comme pour votre pays, une question décisive, car nous pouvons toujours nous tirer d'affaire d'une autre manière, savoir : en allant avec notre railway ou par Aix la-Chapelle ou par Eupen, pour arriver à Herbesthal. »

Vous le voyez, messieurs, tous les efforts de la Belgique et de la société anglaise seront impuissants en laissant subsister l'article 47, qui sera une ruine pour nous seuls.

Voici un autre paragraphe de cette même lettre :

« Il y a même un parti chez nous qui croit que cette direction serait préférable à celle de Malmedy, etc., parce qu’elle resterait entièrement sur le territoire prussien ; mais pour moi cette considération n'est pas suffisante ; car il s'agit ici d'un chemin de fer non pas prussien, mais belge-trèvirois ou plutôt européen, et, pour cela, il faut absolument s'en tenir à la ligne la plus directe et la plus courte, de manière que la concurrence d'aucun autre chemin ne puisse jamais lui devenir dangereuse, et c'est évidemment et uniquement celle par Spa, Malmedy et Pepinster qui remplira ces précieuses conditions.

«Quant à la Belgique, rien ne saurait lui porter plus d'ombrage que si l'on allait directement d'Aix-la-Chapelle à Trêves, à l'exclusion d'un chemin par Spa,etc., parce que de cette manière et au moyen du railway de Maestricht qui doit être prolongé et faire partie du grand chemin de fer partant de Middelbourg, on ferait les affaires de la Hollande au lieu de faire celles de la Belgique.

Courage donc, messieurs, à l'œuvre ! Faisons les affaires de la Hollande ou celles de la Prusse, et oublions nos intérêts pour soutenir, avec une incroyable préférence, ceux d'une société concessionnaire ! C'est à ne pas y croire, que l'on puisse procéder avec une pareille abnégation, un pareil dédain pour son propre territoire.

J'aime à croire que la chambre, avant d'adopter l'article 47, réfléchira aux conséquences par trop déplorables qui doivent infailliblement en résulter, et que j'ai signalées le plus énergiquement que j'ai pu.

Si la Belgique était dupe, je la plaindrais. Messieurs, que la chambre pèse mes paroles. Je désire qu'on les prenne en sérieuse considération, et que nous ne votions pas légèrement sur l'article 47.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). -J'aurai d'abord à rencontrer quelques-unes des observations faites hier par l'honorable M. Osy. Cet honorable membre a présenté quelques considérations générales, portant aussi bien sur les chemins de fer de l'Etat, que sur les chemins de fer concédés. Sans faire de propositions formelles, l'honorable membre est porté à croire qu'il pourrait être utile de concéder les chemins de fer belges exécutés aux frais de l'Etat. Je pense que cette idée doit soulever de très sérieuses objections. Je ne me dissimule pas que l'exploitation de l'Etat ait certains inconvénients. En fait d'administration, je suis convaincu qu'il n'y a rien de bon, ni de mauvais, dans un sens absolu. Partout on se trouve entre des avantages et des inconvénients dont il faut savoir faire la balance.

Je reconnais qu'à certains égards l'action de l'industrie privée peut être plus puissante, plus énergique ; mais l'action du gouvernement, par contre, est, il faut bien le reconnaître, plus protectrice de tous les intérêts ; le gouvernement est beaucoup plus responsable de sa gestion vis-à-vis du public que ne le seraient les sociétés ; sa gestion offre plus de véritables garanties.

L'honorable M. Osy trouve que nos chemins de fer sont dans un état d'infériorité, comparés à certains chemins de fer étrangers. Je pense qu'il ne faut pas établir de comparaison entre des situations dissemblables. Nous ne sommes pas en Belgique dans une position qui puisse être comparée à celle de certaines parties de l'Angleterre, ni de certaines parties de France.

Nous n'avons en Belgique rien qui puisse être comparé, ni aux grands centres de commerce et d'industrie de l'Angleterre, ni à la capitale de la France. Nous n'avons pas non plus un tarif à beaucoup près aussi élevé que ceux de France et d'Angleterre. Si donc les directions des chemins de fer qui touchent aux métropoles commerciales et manufacturières de l'Angleterre, si les directions des chemins de fer qui touchent à Paris, peuvent se montrer plus larges que notre gouvernement pour des renouvellements de toute nature, cela tient, messieurs, à leur position : ces sociétés font et peuvent faire ce qui chez nous conduirait à des résultats financiers très regrettables.

Nous savons, messieurs, que sur la plupart des chemins de fer anglais, les rails ont été renouvelés successivement, chaque fois que les progrès de l'industrie ou les études des ingénieurs ont fait reconnaître la nécessité de rails plus forts. Ces renouvellements ne sont pas une charge trop lourde, lorsqu'on tient à des points de commerce et d'industrie de premier ordre, et lorsque l'exploitation trouve dans un tarif élevé une très large rémunération.

Ici, messieurs, nous sommes forcément astreints à un rôle plus modeste. Nos tarifs sont bas, et nous n'avons pas les mêmes ressources de mouvement commercial. L'état d'infériorité de nos chemins de fer, que je n'admets pas dans toute la latitude de l'expression de l'honorable M. Osy ; cet état d'infériorité est du reste en grande partie une chose de date. En fait de chemins de fer, le dernier venu est en général le mieux monté, le mieux organisé. J'ai pu remarquer moi-même, en examinant les différents chemins de fer qui touchent à Paris, que, parmi ces chemins de fer, les derniers exécutés étaient très supérieurs aux lignes ouvertes deux ou trois ans auparavant.

Les objections de l'honorable M. Osy rentrent en partie dans les arguments qui ont été présentés, il y a quelques années, à la chambre des députés de France contre le système des chemins de fer, par M. Arago. M. Arago émettait alors l'idée qu'on soulevait prématurément en France la question des chemins de fer, que les chemins de fer étaient destinés à subir d'importantes modifications, modifications qui pouvaient ôter au matériel à créer immédiatement une partie de sa valeur dans un avenir plus ou moins éloigné.

Cet argument a quelque chose de fondé, mais il prouve trop. Evidemment si en Belgique nous avions attendu jusqu'en 1846 pour décréter nos chemins de fer, nous eussions pu faire d'un jet quelque chose de meilleur que ce que nous avons aujourd'hui. Mais enfin nos chemins de fer, tels qu'ils existent, nous ont rendu d'immenses services ; je n'entends pas dire que, dans l'exploitation de nos chemins de fer, il n'y ait rien à améliorer, à perfectionner ; et à ce point de vue, je suis aussi difficile à satisfaire que beaucoup de membres de cette chambre. Je reconnais qu'il nous reste bien des choses à faire, mais ces perfectionnements, ces améliorations doivent être le fruit du temps ; il est impossible de les réaliser immédiatement et simultanément.

Je ne pense pas non plus que les concessions qui ont été accordées pendant la session dernière nous aient fait, pour le chemin de fer, une position toute nouvelle et qui motive l'idée émise par l'honorable M. Osy. J'ai la conviction que les concessions, votées à la session dernière, feront du bien au chemin de fer de l'Etat au lieu de lui porter préjudice.

En Angleterre, les grandes lignes ne redoutent pas la construction d'autres chemins de fer ; là, très souvent les grandes compagnies ont accordé à des compagnies d'embranchement, soit des subventions, soit des garanties d'intérêt, et c'est surtout depuis le très grand développement donné aux chemins de fer en Angleterre, que les lignes primitives sont devenues véritablement productives.

Je crois donc, messieurs, pouvoir maintenir que la position du chemin de fer de l'Etat est au moins aussi bonne qu'elle l'était avant les concessions de l'année dernière. Je crois aussi qu'il n'y a aucune espèce d'incompatibilité entre l'exploitation des lignes de l'Etat par le gouvernement et l'exploitation d'autres lignes par des sociétés.

Ainsi l'Etat représentera toujours la plus grande exploitation du pays, l'exploitation régulatrice, si je puis le dire ; il y aura évidemment une certaine dépendance de la part des compagnies vis-à-vis du chemin de fer de l'Etat, pour leur coïncidence ; sous ce rapport, messieurs, l'Etat, en conservant l'exploitation de ses lignes, conserve en même temps une position extrêmement forte vis-à-vis des sociétés.

Je pense, messieurs, que la Belgique s'est montrée sage en fait de chemins de fer, aussi bien lorsqu'elle a décrété ses lignes que lorsqu'elle a accordé des concessions ; je pense que ce sont là deux choses parfaitement susceptibles de coexister.

L'Etat a fait, dans les bornes de ses ressources financières, ce qu'il pouvait faire ; mais il était arrivé à une limite où force lui eût été de repousser beaucoup de chemins de fer utiles à la prospérité du pays, si ces chemins de fer avaient dû, de nécessité, être exécutés au compte du trésor.

Je pense donc que notre situation ne présente rien qui puisse ressembler à une déroute, rien qui puisse motiver, s'il m'est permis de le dire, un cri de sauve qui peut.

Je ne pense pas qu'il faille admettre avec l'honorable M. Osy qu'il soit décidé que le gouvernement ne fera plus de chemin de fer. Je crois qu'il n'y a qu'une chose évidente pour tout le monde, c'est que l'Etat n'a actuellement qu'une marge assez restreinte pour faire des travaux à son compte ; mais je pense qu'il faut se garder de poser ici un principe (page 1565) absolu, et qu'il aura à examiner et à apprécier les questions lorsqu'elles se présenteront. J'ai déjà eu occasion de déclarer, à la séance d’hier, que si le chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand s'exécutait, il y aurait vraisemblablement des raisons très fortes pour l'exécuter au compte de l'Etat.

Messieurs, au point où en sont les choses, je crois que nous ne pouvons poser aucune règle absolue ; je crois que nous devons user de circonspection, examiner de près les propositions qui nous seront faites.

L'honorable M. Osy pense que des voyageurs pourraient arriver de Calais à Bruxelles, en négligeant presque totalement le chemin de fer de l'Etat. Je dois, à cet égard, faire remarquer à la chambre que, lors de la concession des chemins de fer de la Flandre occidentale, on a eu soin de faire une réserve, portant que la branche qui se dirige vers Furnes ne pourrait être prolongée vers la frontière de France sans une loi. Les chambres se sont donc réservé le pouvoir d'apprécier s'il pourrait convenir au pays d'introduire par cette voie les voyageurs venant de Calais.

L'honorable M. Osy a également considéré la ligne de Bruxelles vers Gand comme concédée ; ainsi l'argument de l'honorable membre repose sur une supposition. Il pense aussi qu'au moyen du chemin de fer de Bruxelles à Wavre et de la ligne de Louvain à la Sambre, on pourrait arriver par Charleroy et le chemin de fer d'Erquelinnes à la frontière française plus facilement et à meilleures conditions que par la ligne de l'Etat. C'est encore là une erreur. Le chemin de fer d'Erquelinnes a son point de départ à Marchienne-au-Pont.

Or, la distance de Bruxelles à Marchienne-au-Pont, par le chemin de l'Etat, est moindre que le parcours de Bruxelles à Marchienne par Wavre et Gembloux. De plus, le chemin de fer de l'Etat aurait, pour ce trajet, une supériorité réelle, à cause de ses pentes meilleures et par le motif qu'il ne présente aucune solution de continuité, tandis que les voyageurs qui prendraient la ligne de Louvain à la Sambre, seraient soumis à un transbordement à Wavre.

L'honorable M. Osy a demandé des explications sur deux points : il a désiré savoir pourquoi les études de la ligne du Luxembourg avaient été faites par les ingénieurs de l'Etat et de quelle manière les frais de ces études avaient été payés. Messieurs, la clause du contrat qui a réservé ces études aux ingénieurs de l'Etat, était la conséquence d'une autre clause, portant que la compagnie pourrait se retirer et réclamer la restitution du cautionnement, si les études établissaient que la dépense devrait dépasser le chiffre moyen de 800 mille francs par lieue de 5,000 mètres. Les études par les ingénieurs de l'Etat étaient donc indispensables pour offrir à l'Etat la garantie que la société ne se retirerait pas, sans motif réel, en invoquant des chiffres établis d'une manière forcée.

Pour ce qui est des frais de ces études, ils se sont élevés, non à la somme de 100 mille francs, ainsi que le pense l'honorable membre, mais à 75 mille francs. Cette somme, messieurs, a été payée pour le compte de la compagnie par ses banquiers à Bruxelles.

L'honorable M. Osy a présenté ensuite diverses objections contre le paragraphe 2 de l'article 47 du cahier des charges, objections reproduites et appuyées de nouveaux arguments par l'honorable M. David.

L'honorable M. Osy a pensé que l'exposé des motifs ne justifiait pas suffisamment cette clause exceptionnelle ; messieurs, cette clause a été établie dans le contrat, non par amour de l'exception, non par mauvais vouloir pour certaines localités, ni même, dirai-je, par défaut de sollicitude pour certaines localités, mais uniquement parce qu'on la regardait comme une nécessité, pour assurer, dans les premières années surtout, l'existence du chemin de fer du Luxembourg. J'ai déjà eu l'occasion de faire remarquer, à la séance d'hier, que l'entreprise du Luxembourg était une entreprise hardie, une entreprise qui ne peut être menée à fin que par des hommes ayant confiance dans l'avenir. Pour cette entreprise, les premières années, il ne faut pas se le dissimuler, seront difficiles, ce chemin de fer devant, sur une grande partie de notre territoire, passer par des localités peu populeuses, dont les transports, tant en personnes qu'en marchandises, ne peuvent être que fort restreints. Le chemin de fer du Luxembourg avait donc besoin, pour assurer son existence, de transports autres encore que ceux que pourraient lui assurer les localités traversées.

J'ai dit encore que le chemin de fer du Luxembourg a pour objet, non seulement de desservir nos relations à l'intérieur, mais de nous créer des relations dans l'est de la France et une partie de l'Allemagne, notamment sur le marché de Trêves. On conçoit dès lors que la suppression de l'article 47 laisserait la société du Luxembourg exposée à une concurrence qui, dans les premières années, pourrait lui porter un coup funeste.

M. David. - Il vaut beaucoup mieux sans doute que ce soit au nord et à l'est du royaume que le coup soit porté qu'à une société anglaise.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - L'honorable M. Mast de Vries, qui a également élevé des objections sur cet article y a vu bien à tort, je me permets de le dire, une espèce de menace contre la chambre.

Je puis donner l'assurance que rien n'est plus loin de la pensée de la compagnie qu'une pareille menace. Le gouvernement se refuserait également à en être en aucune manière l'interprète. On n'a pas fait de menace, messieurs, on a indiqué ce que l'on regardait comme une nécessité d'existence.

L'honorable M. Mast de Tries a rappelé à cette occasion ce qui avait eu lieu, lorsqu'il s'était agi de la garantie d'un minimum d'intérêt à accorder à la société de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Je pense, messieurs, qu'un fait a échappé à l'honorable membre : c'est le temps qui s'est passé entre la présentation du projet de l’Entre-Sambre-et-Meuse à cette chambre et le vote de ce projet. Dans l'intervalle, messieurs, la situation des choses s'est modifiée du tout au tout. En Angleterre les entreprises de chemins de fer qui pendant longtemps n'avaient pu y être conduites à bien qu'avec beaucoup de peine, y avaient repris subitement une faveur très grande. C'est alors, messieurs, que les directeurs de la compagnie, non pas pour satisfaire à une espèce d'injonction de la chambre, mais de leur propre mouvement, ont proposé le retrait de cette garantie d'un minimum d'intérêt.

Je dois faire remarquer, messieurs, que lorsque l'affaire de l'Entre-Sambre-et-Meuse a été discutée, il n'y avait pas de société formée. Il n'existait qu'une réunion de quelques personnes qui avaient fourni le cautionnement de leurs ressources personnelles. Ici, au contraire, il y a une société formée ; il y a des actions émises ; il y a donc non seulement la direction, mais il y a de plus des actionnaires ; actionnaires qui ont des droits qu'ils pourraient faire valoir le cas échéant, dans un sens peut être fort peu conforme à l'intérêt du pays.

Je reconnais, messieurs, que l'article 47 consacre un principe auquel il eût été désirable de ne pas avoir recours, s'il avait été possible de donner au chemin de fer du Luxembourg, à d'autres conditions, de véritables garanties d'existence. Cette clause, messieurs, est exceptionnelle. Mais une entreprise du genre de celle du chemin de fer du Luxembourg est aussi une entreprise exceptionnelle, une entreprise capitale pour le pays.

Je prie donc la chambre d'examiner avec attention si, pour atteindre un pareil résultat, et sans poser aucune espèce de précédent pour l'avenir, elle ne pourrait pas admettre ici ce principe exceptionnel.

M. Osy (pour une motion d'ordre). - Messieurs, vous voyez que ce que j'ai eu l'honneur de vous dire hier est exact. La société a payé les travaux faits par nos ingénieurs. Elle avait mis à la disposition du gouvernement, non pas 75,000 francs, mais 100,000 francs pour payer les travaux de nos ingénieurs.

M. le ministre vient de nous dire qu'on avait pris sur cette somme celle de 75,000 francs. Mais il ne nous a pas dit où étaient allés ces 75,000 fr.

Cependant j'avais positivement demandé si la somme payée par la société était entrée dans le trésor.

Messieurs, si la somme que nous votons annuellement et qui se monte à 451,000 fr., pour les traitements de nos ingénieurs, pour les frais de bureau, de déplacements, indemnités et dépenses éventuelles, ne suffit pas, M. le ministre sera obligé de nous présenter une demande de crédit supplémentaire ; mais la régularité de la comptabilité veut que la somme payée pour des travaux faits par des ingénieurs, entre dans notre trésor. Je propose donc à la loi un article 2 ainsi conçu : « Il sera porté en recette au budget des voies et moyens de 1846, au chapitre capitaux et revenus, travaux publics, chemin de fer, la somme de 75,000 francs payée par les sieurs de Clossmann et consorts pour les travaux faits par les ingénieurs de l'Etat. »

Voilà, messieurs, la seule marche régulière à suivre. Aucun de nos employés, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, ne peut être payé par qui que ce soit. Allez au chemin de fer ; offrez la pièce à un employé qui vous aura porté un paquet, il a ordre de ne pas le recevoir. A plus forte raison, des ingénieurs ne doivent-ils pas être payés par des compagnies. Qu'arriverait-il, messieurs, si des ingénieurs de l'Etat étaient payés par des compagnies ? Ne pourrait-il pas arriver qu'ils soignassent les intérêts de la compagnie plus que ceux du gouvernement ?

Ainsi, l'article 47 contre lequel nous réclamons, la suppression de l'embranchement sur Dinant, qui se trouvait dans le contrat primitif et qui ne se trouve plus dans le contrat définitif, ne pourraient-ils pas être une conséquence du payement des ingénieurs de l'Etat par une compagnie ? Messieurs, je ne le crois point, je ne fais pas une pareille supposition, mais il ne faut pas y donner lieu.

Je veux de la moralité en tout, et c'est parce que je veux de la moralité et de la régularité, que je demande qu'aucun employé de l'Etat ne puisse recevoir la moindre indemnité sous aucun prétexte, et l'indemnité payée par la société doit entrer dans le trésor de l'Etat. Je crois et j'espère que la chambre tout entière approuvera et votera mon amendement.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je désire seulement donner une explication à l'honorable M. Osy et à la chambre. Le contrat primitif ne portait pas qu'une somme de 100,000 fr. serait mise à la disposition du gouvernement pour les frais d'étude, mais simplement que cette somme serait déposée pour servir aux frais d'étude. Par conséquent il n'y a pas eu marché entre la société et le gouvernement, celui-ci ne s'est pas chargé de faire les études pour une somme de 100,000 fr. qui dans tous les cas aurait été acquise à l'Etat. Il n'y avait pour la société qu'obligation de verser la somme pour servir au payement des études au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

M. Osy. - J'ai demandé à M. le ministre où est allé l'argent, s'il a été déposé dans les caisses de l'Etat.

Un membre. - Il a été payé à ceux qui ont fait les plans.

M. Osy. - Ceux qui ont fait les plans sont les ingénieurs de l'Etat, et je dis qu'ils ne peuvent recevoir de gratification de personne. Ils sont payés par l'Etat. Nous allouons annuellement une somme de 451,000 fr. pour nos ingénieurs, non seulement pour payer leurs traitements, mais aussi pour payer leurs frais de route.

Je soutiens qu'aucun ingénieur de l'Etat ne peut recevoir un sou de qui que ce soit et que les 75,000 fr. qui ont été payés doivent entrer dans les caisses de l'Etat.

J'espère donc que la chambre tout entière votera l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.

(page 1566) M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je viens défendre le projet de loi qui vous est soumis. Je viens le défendre avec une conviction profonde, non, messieurs, parce que je l'ai présenté à la chambre, mais parce que le chemin de fer qui doit en être la conséquence, est à mes yeux une entreprise grande et utile pour le pays.

Je ne chercherai donc point à dissimuler le vif, le puissant intérêt que je porte à cette entreprise. Je considère, messieurs, son succès comme une question de vie ou de mort pour la grande province à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

Messieurs, je commencerai d'abord par constater un fait satisfaisant, c'est que le projet, quoiqu'il ait soulevé des objections de détail, a cependant rencontré de vives sympathies et dans cette chambre et au-dehors de cette chambre. Dans les sections je crois qu'il a été admis à l'unanimité ; il en a été de même à la section centrale, et les honorables membres qui ont pris la parole dans cette discussion, quoiqu'ils aient combattu quelques dispositions secondaires, ont cependant annoncé, presque tous, qu'ils voteraient en sa faveur.

Je l'avoue, messieurs, je ne comprendrais guère qu'il pût en être autrement. Lorsque, l'année dernière, plusieurs demandes de concessions de chemins de fer furent soumises à la chambre, elles ont été accueillies avec la plus grande faveur, même avec une espèce d'enthousiasme. Toutes ont été votées à la presque unanimité par les deux chambres.

Je ne comprendrais donc point par quel étrange motif un autre sort attendrait la grande entreprise sur laquelle vous avez à vous prononcer aujourd'hui, lorsqu'il s'agit d'un chemin de fer que l'Etat n'aurait certainement jamais songé à exécuter ; lorsqu'il s'agit d'un chemin de fer qui traversera 40 lieues de notre territoire.

Messieurs, je me propose d'aborder les principales objections qui ont été faites contre le projet ; mais avant je demanderai la permission de présenter quelques observations sur l'utilité du projet et sur les circonstances qui ont amené les modifications apportées à la première convention.

Messieurs, en jetant un coup d'œil sur la carte on s'aperçoit de suite que le grand réseau de nos chemins de fer laisse une lacune extrêmement importante. Dans les provinces centrales du royaume, il existe de nombreux chemins de fer, et le nombre tend à en augmenter tous les jours, tandis que toute une province et la moitié d'une autre province, formant ensemble à peu près la cinquième partie du royaume, sont privées de tout chemin de fer...

M. de Garcia. - Et même de tout canal.

M. d’Hoffschmidt. - Et même de tout canal, comme le dit fort bien l'honorable M. de-Garcia

Eh bien, messieurs, le projet de loi tend à amener l'exécution, dans cette partie du pays, non seulement d'un chemin de fer, mais aussi d'un canal, canal dont nous réclamions depuis 15 ans inutilement l'exécution, canal qui avait amené pour le gouvernement des difficultés devant les tribunaux.

Messieurs, ce n'est point seulement un intérêt provincial que ce chemin de fer doit favoriser. Les intérêts généraux du pays y trouveront également un immense avantage.

En effet, le chemin de fer du Luxembourg est destiné à relier nos grands centres de commerce et de production à une contrée jusqu'à présent inaccessible pour eux.

En ce qui concerne l'intérêt commercial, le chemin de fer du Luxembourg fournira le moyen à nos ports de mer de transporter les denrées coloniales et dans tout le Luxembourg, et à Trêves, et dans une partie de l'Allemagne. C'est ce qui est démontré dans son rapport annexé au projet de loi.

Je ne sais si tous les membres de la chambre y ont fait attention, mais dans ce rapport il est démontré que l'on pourra transporter les denrées coloniales du port d'Anvers à Trêves par le chemin de fer du Luxembourg en concurrence avec les voies fluviales de la Hollande.

Mais, messieurs, pour que ce résultat soit obtenu, il faut que le chemin de fer soit aussi direct que possible, il ne faut pas qu'on lui fasse faire des détours qui nécessairement apporteraient une aggravation dans les prix de transport.

Quant à l'intérêt de l'industrie, il n'est pas moins évident. Au moyen du chemin de fer du Luxembourg les bassins houillers du Hainaut et de Liège pourront transporter leurs houilles pour alimenter les forges de l'est de la France. C'est encore, messieurs, ce qui est démontré dans un des rapports annexés au projet de loi. Vous y voyez, par exemple, que le prix d'une tonne de houille, transportée de Liège aux forges de Haynage sur la frontière française, sera de 22 fr. 25 c. tandis que les houilles de la Sarre y coûtent 28 fr. 40 c. Et ce sont les industriels français qui eux-mêmes ont déclaré qu'après la construction de ce chemin de fer, ils seraient en mesure de demander 100,000 tonnes de houille aux bassins de la Belgique. Il y a donc là un grand intérêt pour l'industrie liégeoise et cet intérêt est le même pour l'industrie du bassin de Charleroy.

Parlerai-je, messieurs, de l'industrie luxembourgeoise, qui est dans un état complet de stagnation, qui sera même frappée de mort, si elle n'obtient pas des voies de communication plus rapides, plus économiques ? Eh bien, au moyen du chemin de fer dont il s'agit, cette industrie aussi reviendra en quelque sorte à la vie !

Quant à l'intérêt de l'agriculture, il est également évident. On a souvent parlé du défrichement de nos bruyères ; or, messieurs, le meilleur moyen pour obtenir ce défrichement, sera la voie de communication dont il s'agit, qui permettra de transporter d'une manière plus économique les amendements nécessaires aux terrains à défricher, et qui permettra également aux produits du Luxembourg de venir sur les marchés belges qui jusqu'à présent ont été complétement fermés pour eux.

Si je passe maintenant aux localités qui sont intéressées à ce chemin de fer, je trouve d'abord la capitale elle-même. La capitale a intérêt à être reliée le plus directement possible aux grands centres de population du pays, à tous les chefs-lieux des provinces. Je trouve la ville de. Wavre, localité importante et qui obtiendra, ainsi, que toutes celles qui l'environnent, une communication directe avec la capitale. Je trouve Namur, qui a bien un chemin de fer de l'Etat, mais d'où l'on ne peut arriver à la capitale sans faire un détour de 10 lieues. Dans l'état actuel des choses, le chemin de fer de l'Etat y forme une espèce d'impasse, tandis qu'avec celui du Luxembourg elle obtiendra de nouveaux débouchés et deviendra un centre de communications très importantes.

Messieurs, en présence de ces immenses avantages, je ne sais pas si je dois attacher un trop grand prix aux objections qui nous ont été soumises. Je conçois que peut-être les articles du cahier des charges ont pu être plus avantageux encore, je conçois que ce cahier des charges puisse renfermer quelques défectuosités de détail ; car quel est le travail qui est parfait ? Mais ce que je ne pense pas, c'est que nous devions nous arrêter obstinément à ces objections, lorsqu'il s'agit avant tout d'assurer l'exécution d'une grande ligne de chemin de fer qui doit procurer des avantages si considérables au pays et qui, si elle ne se fait pas maintenant, ne se ferait peut-être que dans un avenir éloigné.

Nous discuterons, du reste, la valeur de ces objections ; mais avant de nous en occuper, je désire vous entretenir des modifications que, comme ministre des travaux publics, j'ai cru devoir apporter à la première convention conclue par mon honorable prédécesseur.

D'après la première convention, le chemin de fer devait partir de la vallée du Boucq et aboutir au village d'Yvoir, entre Dinant et Namur. La première convention renfermait aussi déjà cet article 47 qui est si vivement attaqué en ce moment. Je ne dis pas ceci, messieurs, pour répudier ma part de responsabilité, mais parce que l'on croirait peut-être qu'en ma qualité de Luxembourgeois, j'ai été trop facile pour certaines conditions du cahier des charges.

La première modification, c'est le départ de la ville de Bruxelles au lieu du village d'Yvoir ; c'est moi qui l'ai adopté.

On conçoit qu'au premier moment d'effervescence, lorsque tous les capitaux se portaient vers les chemins de fer, on n'ait pas été si difficile sur la direction à suivre. Mais lorsque les études ont été faites, cette effervescence était déjà considérablement calmée ; il y avait même crise dans les actions de chemin de fer de Londres et de Paris. Dans cette situation, les demandeurs en concession ont sollicité le départ de la capitale, comme condition nécessaire du succès de leur entreprise ; et dans toutes les conférences que j'ai eues avec eux, comme dans l'examen approfondi que j'ai fait de la question, j'ai reconnu que, sans le départ de Bruxelles, il fallait renoncer à notre chemin de fer.

Il est certain, messieurs, que lorsqu'on accorde une concession de chemin de fer, il faut que cette concession se trouve dans des conditions de vitalité, qu'elle ait des chances de succès, que ceux qui ont l'entreprise aient intérêt à y persévérer. Si vous concédez une ligne de chemin de fer dans des conditions désavantageuses, de manière à ce qu'on puisse prévoir que plus tard elle sera onéreuse pour ceux qui doivent l'exécuter, il est évident qu'elle ne peut pas manquer d'être un jour abandonnée. Certes, ceux qui ont demandé la concession du chemin de fer du Luxembourg méritent toute confiance, ce sont des hommes importants, des hommes persévérants dans leurs desseins ; mais derrière eux se trouvent les actionnaires, et il faut que les actionnaires soient convaincus de la bonté de l'entreprise, car sans cela, ils n'opéreraient peut-être pas les versements successifs qu'ils sont obligés de faire, et alors l'entreprise serait menacée dans son existence.

Eh bien, je dois le dire, si on n'avait pas fait partir le chemin de fer du Luxembourg de Bruxelles, si on l'avait laissé aboutir à la vallée de la Meuse, au petit village d'Yvoir, je suis convaincu que cette grande affaire eût échoué.

Voilà, messieurs, les motifs qui ont amené, de ma part, la modification la plus importante à la convention passée avec mon honorable prédécesseur.

On conçoit, du reste, que les demandeurs en concession cherchent à avoir le chemin le plus direct. Il s'agit, pour eux, d'obtenir le transit des marchandises. L'espoir qu'ils ont fondé sur cette entreprise résulte non seulement des relations intérieures, mais aussi du transit des marchandises étrangères et des marchandises belges, qui doivent aller concourir sur les marchés étrangers avec les produits des autres pays. Ainsi leur intérêt dans cette circonstance est tout à fait commun avec l'intérêt du pays : si le chemin de fer ne leur permet pas de transporter nos produits sur les marchés étrangers, les actionnaires en souffriront ; mais le pays lui-même en souffrira ; nous ne trouverons pas alors, au moyen de cette voie de communication, le débouché que nous avons lieu d'en espérer.

Veuillez d'ailleurs remarquer, messieurs, que toutes les grandes lignes de chemin de fer, pour avoir un succès assuré, doivent partir soit de la capitale, soit d'un autre grand centre de population. Il en est ainsi des grandes lignes de la France ; du chemin de fer du Nord, qui va être inauguré dans quelques jours, de la ligne de Lyon, de la ligne de Paris à Strasbourg.

Une seconde disposition qui a disparu de la première convention, c'est (page 1567) la stipulation d'après laquelle, si le chiffre de 800,000 fr. par lieue était dépassé, es concessionnaires pouvaient se retirer et reprendre leur cautionnement. Cette stipulation n'est pas reproduite dans la convention nouvelle, et c'est là un point très important. Je sais bien que les ingénieurs ont constaté que le chemin de fer ne coûterait pas 800,000 fr. par lieue, mais on conçoit que si les actionnaires voulaient tirer parti d'une pareille clause, ils pourraient toujours prétendre que les calculs des ingénieurs sont erronés, et cela seul aurait pu empêcher l'exécution de l'entreprise.

Deux conditions nouvelles ont encore été insérées dans la convention, ce sont deux embranchements obligatoires dans le Luxembourg. L'embranchement vers l'Ourthe et l'embranchement de Bastogne. L'embranchement de l’Ourthe par Deulin a une très grande importance, car sans cet embranchement, la ville de Liège n'eût pas été reliée au chemin de fer, tandis que maintenant elle sera mise en communication avec le Luxembourg, non seulement par le canal, déjà si intéressant pour elle, mais également par le chemin de fer ; elle pourra ainsi transporter les produits de son industrie dans toutes les contrées traversées par le railway.

Quant à l'embranchement de Bastogne, je demanderai à la chambre la permission d'entrer dans quelques détails à cet égard, parce qu'il a été vivement critiqué.

Veuillez, messieurs, jeter les yeux sur la carte du Luxembourg, et vous remarquerez tout de suite que si l’on s'était borné à la ligne adoptée dans la première convention, des arrondissements tout entiers n'auraient pas profité du chemin de fer. Ainsi l'arrondissement de Marche n'aurait pas eu un embranchement ; celui de Bastogne qui tout entier se fût trouvé en dehors du chemin de fer, non seulement n'en aurait pas profité, mais il en aurait été complétement la victime. Dans le moment actuel presque toutes les relations du Luxembourg avec l'intérieur du royaume, se font par Bastogne ; Bastogne est un centre de communication très important ; c'est par Bastogne que passe tout le roulage du Luxembourg. One serait-il advenu, s'il n'y avait pas eu un embranchement du chemin de fer vers Bastogne ? C'est que, comme je l'ai déjà dit, cet arrondissement non seulement n'aurait pas profité du chemin de fer, mais aurait perdu tout son commerce, toutes ses relations.

Donc ce n'eût pas été dans toute la force du terme un chemin de fer luxembourgeois ; il eût été utile à certaines localités ; mais l'intérêt d'autres localités aurait été complétement sacrifié.

Maintenant, cet embranchement de Bastogne serait-il si onéreux pour la société ? Vous avez pu remarquer dans les détails qu'il ne coûtera que 416,000fr. par lieue, et que tout l'embranchement coûtera 1,962,000 fr., c'est-à-dire, qu'il coûtera moins qu'une lieue de chemin de fer en Angleterre et qu'une demi-lieue dans la vallée de la Vesdre. Eh bien, je ne pense pas que la compagnie puisse considérer cette somme si faible comme un sacrifice, car ce sera toujours un affluent assez important de la ligne principale.

La ligne principale ne peut pas être en quelque sorte une espèce de tronc sans rameaux ; il faut qu'elle ait des affluents, pour que non seulement ils puissent porter la vie dans toute la province, mais aussi pour que le chemin de fer soit alimenté par ses produits et ses voyageurs.

Il s'agit ici d'une concession de 90 années. Si dans les premiers moments peut-être la circulation n'est pas considérable sur certaines parties du chemin de fer, elle le deviendra nécessairement plus tard, et ces parties de la province, peu peuplées aujourd'hui, auront inévitablement une population considérable dans les temps à venir.

Voilà les considérations qui m'ont fait insister en faveur de l'embranchement de Bastogne, et cet embranchement n'a nullement été imposé à la société. La société, considérant le coût assez peu élevé de l'embranchement, n'a pas fait difficulté de l'adopter. Cet embranchement n'a, du reste, nui à personne. Un honorable député de Dinant a paru croire qu'un embranchement sur Dinant, embranchement qui n'a jamais existé dans la première convention, aurait été sacrifié à un embranchement sur Bastogne. Cela n'est pas : l'embranchement de Bastogne n'a causé aucun tort à quelque localité que ce soit ; si cet embranchement n'avait pas existé, la direction du chemin de fer n'aurait pas été différente.

J'arrive maintenant à l'objection qui a été présentée par l'honorable M. Pirson relativement à Dinant.

Constatons d'abord un fait, c'est que jamais il n'a été question de faire passer le tracé du chemin de fer par Dinant et le Fonds-de-Leffe. La première convention, comme j'ai eu l'honneur de le dire, faisait aboutir le chemin de fer à Yvoir dans la vallée de Boucq ; mais il n'a jamais été question d'un chemin de fer passant par Dinant et par le Fonds-de-Leffe. Messieurs, si vous avez lu le rapport qui a été fait sur cette question et qui est joint au travail de la section centrale, vous avez pu voir quelles difficultés insurmontables s'opposent à ce qu'un chemin de fer passe par la vallée de Leffe. Voici ce qu'on lit dans re rapport :

« Voici M. le ministre, quel a été le résultat de cette reconnaissance du vallon de Leffe, par M. l'ingénieur Denis.

« Le ruisseau, ou plutôt le torrent de ce nom, débouche dans la vallée, sous la ville de Dinant, entre deux roches à pic et perpendiculairement au cours du fleuve.

« Le fond de la vallée est entièrement occupé, soit par des habitations, soit par des papeteries et autres usines, surtout dans la partie inférieure. Les sinuosités sont très brusques, et les roches des deux versants s'enchevêtrent, pour ainsi dire, les unes dans les autres. Pour obtenir, entre Dinant et Sorine, un tracé avec courbes de 200 mètres seulement de rayon, il faudrait ouvrir un grand nombre de tunnels dans les deux flancs du ravin, et il serait extrêmement difficile de laisser subsister les papeteries que le ruisseau fait mouvoir ; de sorte que, quand bien même la pente du torrent s'y prêterait, il y aurait déjà de la témérité à songer à diriger un chemin de fer le long du vallon par lequel il se précipite vers la Meuse. Mais aux difficultés que présente l'étude du tracé viennent se joindre celles de la pente rapide du ruisseau. En supposant que l’on se relevât de 10 à 15 mètres dans la vallée de la Meuse, ce qui rendrait la station de Dinant à peu près inabordable, l'inclinaison du railway atteindrait au moins deux centimètres sur plusieurs kilomètres d'étendue. Cette forte rampe et un tracé aussi brusque détruiraient complétement l'économie du reste du projet qui, de Ciney à Arlon, satisfait partout à des conditions admissibles de tracé et de pente. La dépense serait d'ailleurs considérablement augmentée, en même temps que le parcours serait, comme je l'ai dit plus haut, allongé d'une lieue, la distance de Namur à Ciney, par le tracé direct, par le vallon du Boucq et par celui de Leffe, étant respectivement d'environ 5 1/2 lieues, 7 1/2 lieues et 8 1/2 lieues. »

Vous voyez donc, messieurs, je le répète, qu'il y avait les plus grandes difficultés à faire passer un chemin de fer par le vallon de Leffe ; mais indépendamment de cette considération, qu'on allongeait par là le parcours du chemin de fer, il y avait une considération bien plus puissante, c'est que la société aurait dû emprunter un chemin de fer étranger depuis Namur jusqu'à Dinant. En effet, dans la concession que vous avez accordée pour le chemin de fer de Liège à Namur, cette société a la préférence pour l'exécution de l'embranchement de Namur à Dinant et elle a toujours manifesté l'intention d'exécuter cet embranchement. Eh bien messieurs, comprendriez-vous un chemin de fer, partant de Bruxelles, qui doit d'abord emprunter une voie étrangère, depuis Wavre jusqu'à Namur ; qui continuerait à emprunter une voie étrangères depuis Namur jusqu'à Dinant, pour remonter ensuite le Fonds-de-Leffe ? Evidemment une compagnie sérieuse n'aurait jamais accepté un pareil tracé, et si nous avions voulu l'exiger, nous n'aurions pas eu de chemin de fer.

Le seul changement apporté par moi à la convention sur ce point, a donc consisté à rendre facultatif le passage par la vallée du Boucq, tandis qu'il était obligatoire ; le chemin de fer devait aboutir au petit village d'Yvoir ; maintenant il peut aller directement de Namur sur Ciney. Voilà tout ce que j'ai fait.

Maintenant voyons les motifs de ce changement. Lorsqu'on a passé la première convention, on ne croyait pas à la possibilité d'un chemin de fer direct de Namur vers Ciney ; on pensait que tout chemin de fer, pour parvenir aux crêtes du Luxembourg, devait passer par la vallée du Boucq. D'un autre côté, on pensait également que le chemin de fer du Luxembourg, pour parer à ce grave inconvénient, pourrait peut-être, une fois arrivé au village d'Yvoir, continuer jusqu'à Jemeppe, où devait aboutir le chemin de fer de Louvain à la Sambre. En troisième lieu, il n'était pas question à cette époque du départ de Bruxelles. Or, cela a été changé pour des motifs que j'ai déjà eu l'honneur d'expliquer ; le départ de Bruxelles a été arrêté ; la possibilité du tracé direct de Namur sur Ciney a été reconnue par les ingénieurs de la compagnie, et en troisième lieu, le chemin de fer de Louvain à la Sambre a changa de direction ; comme vous le savez, au lieu d'aboutir à Jemappe, il aboutira à Namur et à Charleroy. Du reste, messieurs, le passage par la vallée du Boucq n'est pas condamné ; il reste encore facultatif. Ce qui s'oppose principalement au choix de ce tracé, c'est que la société de Liège à Namur doit faire le chemin de fer de Namur à Dinant. Or, comme je l'ai déjà dit, on conçoit que la compagnie du Luxembourg cherche à ne pas devoir emprunter une ligne étrangère, ce qui entraîne plusieurs difficultés. D'abord sur cette partie du parcours commun la compagnie qui emprunte la voie ne fait aucun bénéfice ; puis le contact de deux sociétés sur une même voie présente toujours des inconvénients. Pour la partie du chemin de Louvain à la Sambre, commune aux deux lignes, il y a une convention préalable d'après laquelle l'exploitation sera commune.

Mais cette convention a été faite sous les auspices du gouvernement, parce que le gouvernement accordait à la compagnie de Louvain à la Sambre des avantages assez grands par le changement de tracé. Il n'en est pas de même ici. Si la compagnie du Luxembourg empruntait la voie de Liège à Namur, elle ne ferait aucun bénéfice sur cette voie, elle devrait payer une redevance et, de plus, elle aurait les inconvénients d'un parcours commun ; vous concevez dès lors pourquoi la compagnie du Luxembourg a toujours mis une grande résistance à passer par la vallée du Boucq. Si la compagnie de Namur à Liège renonçait à son privilège et que la compagnie du Luxembourg fût appelée à faire le chemin de Namur à Dinant, peut-être donnerait-elle la préférence à cette direction, car elle doit rencontrer de très grandes difficultés de terrain entre Namur et Ciney.

Si donc elle pouvait obtenir le droit de préférence qui est accordé à la compagnie de Namur à Liège, je pense qu'elle serait portée à passer par Yvoir. Il n'y aurait plus que l'inconvénient de rallongement du parcours qui serait, je crois, d'une lieue.

Messieurs, je crois véritablement que Dinant n'a nullement été sacrifié dans cette question. Je n'avais, quant à moi, aucune raison pour sacrifier les intérêts de Dinant.

Ce que je désirais, ce qui m'a dirigé c'est d'assurer l'exécution de cette grande voie de communication que je n'aurais pas voulu voir péricliter dans mes mains, à cause des avantages qu’elle devait procurer à tout le pays et particulièrement à une province à laquelle, naturellement, je m'intéresse très vivement.

Comme je le disais tout à l'heure, Dinant a été si peu, sacrifié, que je pense qu'il est même désintéressé dans la question. Dinant sera relié à (page 1568) Namur par le prolongement du chemin de fer de Liège ; cela ne peut lui manquer, il y a dans la concession de ce chemin une condition qui impose à la compagnie concessionnaire l'obligation de prolonger son chemin jusqu'à la frontière de France si un railway est construit de la frontière à Vireux. Cela peut se réaliser d'un moment à l'autre. Il sera dans tous les cas de l'intérêt de cette compagnie de construire une ligne aussi importante, aussi utile. Si elle ne le faisait pas, une autre compagnie le ferait. Dinant sera donc relié à Namur et même à la France, par un chemin de fer.

Ensuite, si la ville de Dînant n'est pas directement intéressée au chemin de fer projeté du Luxembourg, il y a une partie de l'arrondissement de Dinant qui y est intéressée. Rochefort, localité importante de cet arrondissement, voit le chemin de fer du Luxembourg traverser ses murs ; c'est là un immense avantage pour cette localité, et pour l'arrondissement de Dinant, avantage inespéré par elle il y a un an.

D'un autre côté, il me semble qu'on perd toujours de vue que dans ces sortes d'affaires, le gouvernement n'est pas seul à traiter. Il est en présence d'une compagnie qui cherche naturellement à défendre ses intérêts et qui est en droit de le faire.

Quand il s'agit d'une concession importante, dont le succès est assuré, qui est l'objet d'une vive concurrence, le gouvernement est fort, il peut imposer ses conditions, être difficile ; mais quand il s'agit d'une concession dont le succès peut paraître problématique, le gouvernement ne peut pas venir imposer des conditions onéreuses à la société, elle ne les accepterait pas. Si le gouvernement se montrait difficile, la société se retirerait et le gouvernement commettrait la faute de faire manquer une grande et belle entreprise.

Il s'agit ici d'une voie importante, d'une voie qui présente des chances diverses, et qui exige une grande persévérance, et une grande habileté pour l'exécuter.

Il s'agit d'une voie de communication qui ne doit pas s'arrêter à Arlon, mais est destinée à traverser le territoire d'autres royaumes. Le gouvernement aurait eu tort, en présence de ces difficultés, de créer des entraves, car elles empêcheraient inévitablement l'exécution d'un pareil projet.

Messieurs, je passe maintenant à la seconde objection, celle qui a soulevé le plus d'observations dans cette enceinte, je veux parler de l'objection qui s'attache à l'article 47. Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, cet article 47 existait dans la première convention. La première convention a été passée dans le mois de mai de l'année dernière. A cette époque, messieurs, on croyait généralement, je dois le dire, à l'impossibilité de construire un chemin de fer dans le Luxembourg. On le considérait comme une chimère. Les demandeurs en concession n'abordaient une semblable entreprise qu'avec défiance.

On conçoit que ces demandeurs aient voulu obtenir des garanties contre une concurrence dangereuse pour le succès de leur projet qui reposait principalement sur le transit et le transport des marchandises du pays à l’extérieur. Ils devaient chercher à éviter immédiatement du moins, pendant les premières années, toute concurrence qui serait de nature à renverser leur exploitation dans son enfance.

Maintenant le gouvernement devait-il se refuser à toute concession, à toute faveur pour obtenir l'exécution de ce chemin de fer ? En France, par exemple, la plupart des chemins de fer, ceux surtout qui ne sont pas dans des conditions brillantes, ont obtenu des subventions du gouvernement, ou bien ont été concédés en vertu de la loi de 1842, d'après laquelle le gouvernement doit faire les 3/5 environ de la dépense. Eh bien, l'article 47 n'est rien auprès de pareils sacrifices.

Veuillez remarquer, messieurs, que cette condition d'abord n'est que pour douze années. S'il s'agissait d'un monopole perpétuel, je comprendrais qu'on pût s'y opposer. Mais il ne s'agissait pour le gouvernement que d'abandonner pendant douze années la possibilité de faire un autre chemin de fer vers Trêves.

M. de Renesse. - A dater de la concession.

M. d’Hoffschmidt. - Oui. Voici l'article : « Toutefois, pendant les douze premières années, à dater de la promulgation de la loi de concession, il ne pourra être construit, entre la Meuse, en amont de Liège, et le chemin de fer de Liège vers Cologne, aucun railway qui puisse faire concurrence au chemin de fer du Luxembourg.

Ainsi, messieurs, il faut que ce soit un chemin de fer qui puisse faire concurrence à celui dont nous nous occupons. C'est une question à examiner par le gouvernement. S'il reconnaît que la concurrence n'est pas possible, l'article 47 ne sera pas applicable.

Remarquez, messieurs, qu'à l'époque dont je viens de parler on croyait tout à fait à l'impossibilité de construire d'autres chemins de fer dans cette direction ; maintenant encore la possibilité n'en est nullement démontrée. J'avais déjà signé la dernière convention, lorsque des représentations m'ont été faites sur l'article 47. Je crois que ces représentations ont été provoquées par quelques personnes de Trêves qui croyaient à la possibilité de construire un chemin de fer partant de Pepinster. Mais je crois aussi que la compagnie ne s'est pas constituée, que les études n'ont pas été faites et que le comité des chemins de fer de Trêves en a même abandonné l'idée.

L'honorable M. David a donné lecture d'une lettre qu'il a reçue. Je vais à mon tour vous donner lecture d'une lettre qui rend compte de ce qui s'est passé dans le comité des chemins de fer de Trêves. Cette lettre étant très longue, je me bornerai à en lire quelques passages :

« Dans l'assemblée des habitants de Trêves qui a eu lieu le 11 courant par suite d'une invitation du comité élu le 10 novembre de l'année dernière pour les affaires des chemins de fer, ce dernier a fait son rapport sur son activité et sur l'état actuel des affaires du railway. Il a, par acclamation de tous ses membres, manifesté l'opinion qu'un choix indépendant d'une ligne qui par sa direction puisse devenir d'un avantage immédiat pour la plus grande partie du district de la régence de Trêves, ne saurait avoir lieu vu la situation et les rapports tant politiques que commerciaux de notre contrée.

« Partant de ce point de vue, le comité a cru ne pouvoir exprimer l'espoir d'un chemin de fer, que dans le cas où une puissante société d'actionnaires, ne se bornant pas au commerce intérieur de l'Eifel et du Hochwald choisirait la ville de Trêves pour point central d'un chemin de fer joignant ceux de la Belgique à ceux du haut Rhin et de l'Allemagne méridionale.

« Depuis longtemps le succès d'une telle voie de commerce européenne avait été discuté, et le comité trouva à sa formation deux sociétés établies pour la mise à exécution de ce projet. Celle formée à Bruxelles fut bientôt dissoute pendant que la Great-Luxembourg-Company dirigea sa ligne d'Ostende et Anvers par Namur et Arlon sur Luxembourg et le Rhin. Le comité devait donc choisir entre deux partis à prendre ; ou il devait dès le premier abord tâcher de créer une société toute nouvelle dont le but serait d'établir une ligne sortant d'un point quelconque du chemin de fer belge-rhénan et allant par Trêves à Neunkirchen ou il devait s'adresser à la Great-Luxembourg-Company, afin de l'engager par tous les moyens à passer la Moselle près de Trêves. Une union de ces deux voies à suivre n'était pas possible puisque tout ce que le comité aurait pu faire pour l'une devait nécessairement nuire autant à l'autre, ou la collision directe d'intérêts de ces deux lignes.

« Le comité se décida, sans hésitation, pour la Great-Luxembourg-Company et se mit en rapport avec elle, sans faire la moindre démarche pour former une nouvelle société en concurrence avec celle-ci. Les raisons d'une telle décision sont évidentes. Le plan de la Luxembourg-Company menait la ligne jusque tout près de cette ville ; cette compagnie exista et elle avait fait preuve de sa volonté et de sa vigueur par un versement assez considérable ainsi que par l'obligation prise de conduire le railway jusqu'à Arlon.

« Quand même le gouvernement belge doit encore demander le consentement des chambres, personne ne doute qu'elles ne sanctionneront une entreprise qui dégage le trésor public de l'obligation légale de construire de ses propres moyens un chemin de fer à Arlon, chef-lieu de la province de Luxembourg. C'est dans cette persuasion que le gouvernement belge n'a cessé de persister dans l'exécution de ce railway par la société anglaise. Un chemin de fer jusqu'à Arlon doit donc être attendu en tout cas. »

Vous voyez donc, messieurs, que ce comité formé l'année dernière pour les chemins de fer à construire à Trêves, s'est trouvé en présence d'une compagnie toute formée, celle du Luxembourg, et d'une compagnie éventuelle. Le choix, dit-elle, ne pouvait être douteux et elle s'est adressée à la compagnie du Luxembourg.

Je crois que la lecture du passage que je viens de vous faire connaître, suffit pour démontrer que nous ne nous trouvons pas en présence d'un projet formel qui pourrait être mis incessamment à exécution, mais que nous nous trouvons seulement en présence d'une éventualité en ce qui concerne l'idée du chemin de fer de Trêves à Pepinster.

Ainsi, messieurs, quand bien même l'article 47 n'existerait pas, vous ne pourriez compter sur cette autre voie de communication. Il est probable que vous ne l'auriez pas, et la lettre que vous a lue l'honorable M. David démontre que déjà une autre idée a surgi à Trêves ; c'est de conduire le chemin de fer, si c'est possible, vers Aix-la-Chapelle, de manière à ne traverser que le territoire prussien.

Dans tous les cas, messieurs, j'ai toujours trouvé la compagnie inébranlable sur cette clause. Elle en a toujours fait une condition sine qua non. Et ici je ne suis pas de l'opinion de l'honorable M. Mast de Vries. Je crois que si vous opériez une modification à cette condition essentielle il en résulterait certainement l'abandon de l'entreprise.

Vous savez que, d'après l'article 6 de la convention, si elle est modifiée, la société a le droit de se retirer et de reprendre son cautionnement de 5 millions. Voilà, messieurs, à quoi vous vous exposeriez.

Pour l'éventualité d'avoir deux ou trois ans plus tôt peut-être un chemin de fer dans cette direction, si toutefois ce chemin de fer se fait un jour, vous vous exposeriez à voir abandonner cette belle, cette grande, cette intéressante entreprise, pour laquelle il n'y a plus qu'à mettre la main à l'œuvre, et cela pour un chemin de fer qui n'aurait que quatre lieues sur notre territoire, tandis que celui qui serait abandonné, doit en traverser 40 lieues et passer par une partie du pays qui sans cela serait très probablement déshéritée à jamais de ce moyen de communication.

Messieurs, pour la ville d'Anvers, la voie de communication partant de Pepinster ne serait pas plus avantageuse, elle le serait même moins que celle dont il s'agit aujourd'hui. D'Anvers à Trêves il y a la même distance à très peu de chose près par le chemin de fer du Luxembourg, que celle qu'il y avait par le chemin de fer de Pepinster.

Quant à Liège, messieurs, ses habitants et ses produits ne devraient pas passer par Namur, comme l'a prétendu l'honorable M. Osy. Liège pour le transport de ses produits, suivra tout naturellement le canal de Meuse et Moselle, prendra alors l'embranchement qui se dirige vers Rochefort, et arrivera ainsi sur le marché de Trêves, sur le marché de la France, sur le marché de l'Allemagne, à des conditions plus favorables que par l'autre voie de communication, qui, je le répète toujours est tout à fait éventuelle.

(page 1569) Je ne comprendrais pas comment, dans cette hypothèse que la compagnie abandonnera cette entreprise, si importante, comme je l'ai démontré, pour tant de localités du pays, pour notre commerce, pour notre industrie, pour notre agriculture, on irait s'attacher à une stipulation qui n'est pas, je le reconnais, tout à fait ordinaire, mais qui ne s'applique non plus qu'à un chemin de fer tout à fait exceptionnel, qui ne trouvera plus d'équivalent dans notre pays.

Il me reste, messieurs, à parler de quelques objections qui concernent le chemin de fer de l'Etat.

L'honorable M. Mast de Vries, en appelant notre chemin de fer un joyau, et je suis tout à fait de son avis, craint que celui du Luxembourg ne vienne lui faire un tort immense. Messieurs, je ne partage nullement ces craintes. Je suis aussi porté pour le chemin de fer de l'Etat que qui que ce soit. J'attache le plus grand prix à la prospérité de cette grande propriété nationale. Mais je dis que si le chemin de fer de l'Etat était la cause que d'autres chemins de fer très utiles ne pussent se faire, s'il était un obstacle à ce que des voies de communication réclamées par les plus grands intérêts du pays pussent se construire, je dis qu'alors le chemin de fer de l'Etat ne mériterait plus au même degré l'intérêt que nous lui portons. Mais j'ai plus de foi, messieurs, dans le chemin de fer de l'Etat, Je dis que quand toutes ces voies de communication seront faites, quand Bruxelles sera le centre de nos chemins de fer, encore le chemin de fer de l'Etat aura des revenus plus considérables que ceux qu'il a maintenant. Quelques-unes de ces voies de communication peuvent lui faire concurrence. Mais il y en a bien d'autres qui seront des affluents productifs.

Je ne crains pas de le dire, quand ces voies que vous avez concédées et quelques-unes que vous concéderez encore (car il y aura un point où il faudra s'arrêter et le nombre des lignes principales que nous devrons encore construire n'est plus, selon moi, considérable), je suis persuadé que le chemin de fer de l'Etat, et j'en appelle sur ce point à l'avenir, aura des produits beaucoup plus considérables qu'aujourd'hui.

Le chemin de fer, par exemple, dont il s'agit maintenant, lui enlèvera, il est vrai, quelques voyageurs partant de Namur et se rendant à Bruxelles et vice versa : mais je vous demande, messieurs, s'il serait possible et raisonnable de soutenir qu'à perpétuité tous les voyageurs de Namur, de la province de Luxembourg et de tous les environs, devront passer par Charleroy pour arriver à Bruxelles, devront faire 22 lieues au lieu d'en faire 12 ? Mais où iriez-vous puiser alors vos revenus, revenus que l'on regrette dans ce moment ?

Vous iriez les puiser dans la bourse des voyageurs de Namur et de ceux de Bruxelles se rendant à Namur. Non seulement c'est là que vous iriez chercher vos ressources, mais vous occasionneriez à ces mêmes voyageurs une perte de temps considérable. Tandis qu'ils pourront, par la nouvelle voie, parcourir la distance entre Bruxelles et Namur en une heure et demie, ils restent aujourd'hui quatre heures. C'est là une perte de temps, messieurs, qui, lorsqu'il s'agit des chemins de fer, dont le premier mérite est d'économiser le temps, le temps que Franklin appelait l'étoffe dont la vie humaine est faite, est extrêmement considérable. Et pour quelques revenus de plus, vous iriez à perpétuité forcer les habitants de la province de Namur et de celle de Luxembourg, à passer par Charleroy. Je crois réellement que cela n'est pas soutenable.

D'un autre côté, s'il y a une certaine perte que l'on évalue à 137,000 fr., si je ne me trompe, mais d'un autre côté, le chemin de fer de Luxembourg amènera nécessairement sur la voie entre Namur, Charleroy et Braine-le-Comte des voyageurs de l'étranger. Tous les voyageurs de l'Allemagne, de l'est de la France, et se rendant dans le Hainaut ou le nord de la France, passeront sur le chemin de fer de Namur à Charleroy.

Il en sera de même de quelques localités importantes qui, profitant de ce chemin de fer, viendront encore apporter une augmentation de revenus sur celui de l'Etat.

En Angleterre, messieurs, comme vous le disait tout à l'heure M. le ministre des travaux publics, le nombre des chemins de fer a considérablement augmenté. Dans les premiers temps, on a cru aussi qu'ils allaient se nuire réciproquement. Mais il en a été tout autrement. Plus le nombre des chemins de fer a augmenté, plus la plupart de ces chemins de j fer ont vu également leurs recettes s'accroître.

Lorsqu'on a fait le chemin de fer de Bruxelles à Charleroy, on a cru qu'il allait nuire considérablement aux recettes du canal de Charleroy. Ces recettes, au contraire, sont considérablement augmentées.

Voyez encore, messieurs, ce que vous dit le rapport si remarquable de M. l'ingénieur Desart, c'est que plus vous diminuez le parcours, plus vous reliez aux grands centres de population des villes et des localités de moindre importance, plus vous augmentez la circulation sur les chemins de fer.

Je vous parlerai très peu, messieurs, d'une pétition qui nous est arrivée, d'après laquelle le chemin de fer du Luxembourg, ou plutôt le chemin de fer de Bruxelles à Namur, enlèverait au chemin de fer de l'Etat les voyageurs se dirigeant vers la France et les voyageurs se rendant de Bruxelles à Liège.

C'est là, messieurs, une erreur évidente. M. le ministre des travaux publics vous a déjà fait connaître qu'entre Bruxelles et Charleroy il y avait par le chemin de fer de l'Etat une distance moindre ou du moins égale à celle qu'il faudra parcourir par la nouvelle voie. On ne peut donc supposer que les voyageurs partant de Bruxelles pour se rendre en France, iront préférer une voie de communication par Wavre et Gembloux, pour changer deux fois de convoi, alors que le chemin de fer de l'Etat peut les transporter directement à Charleroy à des conditions plus avantageuses.

Il en est de même pour les transports entre Liège et Bruxelles. On prétend que les voyageurs se rendant de Bruxelles à Liège passeront par Namur. Or, il se trouve que la longueur du trajet entre Bruxelles et Liège n'est, par le chemin de fer de l'Etat, que de 115 kilomètres, tandis que la longueur du trajet en passant par Namur sera de 120 kilomètres.

Comment peut-on donc supposer que les voyageurs de Bruxelles iraient préférer le chemin le plus long, le chemin qui les forcerait à un changement de convoi à Namur, plutôt que de suivre la ligne de l'Etat qui probablement sera encore améliorée dans l'avenir, lorsque vous aurez une communication directe entre Bruxelles et Louvain ?

Messieurs, je bornerai là mes observations, car je commence à être fatigué, et je vois que l'heure est déjà assez avancée.

Mais j'appelle encore toute l'attention de la chambre sur ce point, c'est que si, modifiant la convention, nous allons adopter quelque amendement, je n'hésite pas à croire que cette modification ne sera pas acceptée par la compagnie concessionnaire, surtout en ce qui concerne l'article 47. J'en ai la conviction intime. A plusieurs reprises j'ai parlé de cet article 47 aux représentants de la compagnie, et, je le répète, ils se sont constamment montrés inébranlables ; c'est donc une condition sine qua non de l'exécution de ce chemin de fer.

Dans tous les cas, si vous parveniez même à faire accepter ce changement par les concessionnaires primitifs, il est assez probable que vous n'y réussiriez pas auprès des actionnaires de Londres, qui ont maintenant aussi un contrat à faire respecter.

Eh bien, messieurs, je le dis avec sincérité, si le chemin de fer n'était pas exécuté, ce serait un malheur pour le Luxembourg. Dans ce moment, messieurs, il existe une grande calamité dans cette province, la famine règne dans le Luxembourg. Hier le gouverneur de la province est venu avec toute la députation, pour implorer les secours du gouvernement. Eh bien, s'il y avait eu un chemin de fer, cette situation malheureuse n'aurait pas existé, le commerce eût pu alimenter cette province en céréales.

N'allons donc pas encore aggraver cette situation en rejetant un projet sur lequel les populations du Luxembourg fondent leurs plus grandes espérances.

M. de La Coste. - Je ne puis m'empêcher, messieurs, de regretter que ni M. le ministre des travaux publics actuel ni son honorable prédécesseur, n'ait cru devoir répondre aux observations que j'ai émises hier et qui me paraissaient avoir assez d'importance. Les deux points que j'ai touchés n'ont pas été rencontrés. Je dois donc penser qu'on n'a aucune raison à y opposer, et en conséquence j'aurai l'honneur de présenter à la chambre l'amendement suivant :

« Sont supprimés de l'article premier du cahier des charges les mots : « Avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. »

Les motifs qui me portent, messieurs, à proposer cet amendement, sont puisés dans l'intérêt du chemin de fer de l'Etat et dans l'intérêt de notre dignité.

Comme je l'ai expliqué dans la séance précédente, nous avons consacré par la loi un cahier des charges qui accorde à la société du chemin de fer de Louvain à Charleroy et à Namur, la préférence pour les embranchements, il a été dérogé par la société même à cette stipulation pour un seul embranchement, celui de Bruxelles à Wavre ; sans cela cet embranchement serait également en contradiction avec la loi précédente ; cette contradiction n'existe point d'après l'axiome volenti non fit injuria ; mais il n'en est point de même en ce qui concerne l'embranchement auquel s'applique mon amendement ; nous ne pouvons pas, par une concession ultérieure, retirer, violer une faveur que nous avons accordée par une loi précédente. Ce serait là, messieurs, porter l'atteinte la plus grave à la foi publique et à tous les chemins de fer en concession, car alors on pourrait, en faveur d'une nouvelle concession, altérer les conditions d'existence des concessions antérieures.

La deuxième considération, messieurs, est puisée dans l'intérêt public, dans celui du chemin de fer de l'Etat. Pour atteindre Marchienne où l'on trouverait le nouveau chemin de fer se dirigeant vers Paris, par Saint-Quentin, il y a, je pense, par Braine-le-Comte 75 kilomètres, et par Wavre et Gembloux 76 1/2 kilomètres : la différence est donc de 1 1/2 kilomètre.

Je ne ferai pas observer qu'une différence de 1 1/2 kilomètre peut facilement se racheter par la vitesse des transports ; mais remarquez, messieurs, que dans cette distance de 76 l/2 kilomètres on comprend 18 kilomètres formant le parcours entre Wavre et Gembloux ; or, si vous faites aboutir un embranchement entre Wavre et Gembloux vous pouvez gagner facilement quelques kilomètres, et par conséquent, sans toucher au chemin de fer de l'Etat, vous atteindrez le chemin de fer le plus direct pour arriver à Paris. Je crois, messieurs, que nous ne devons pas pousser le désintéressement jusqu'à nous faire un tort semblable, lorsqu’il n'est pas balancé par de grands avantages que cet embranchement secondaire ne me paraît point promettre au pays.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je regrette de n'avoir pas rencontré les observations de l'honorable membre et je le prie de croire qu'il n'y a chez moi aucune pensée de négliger les observations qu'il présente dans cette enceinte.

Messieurs, les longueurs de Bruxelles à Marchienne-au-Pont sont les suivantes : par le chemin de fer de l'Etat, 70 kilomètres ; par le chemin de fer de Bruxelles à Wavre, 75,750 mètres ; il y a donc une différence de 5,750 mètres en faveur du chemin de fer de l'Etat. Je dois faire (page 1570) connaître en outre, que, sous le rapport des pentes, la route de Bruxelles à Marchienne-au-Pont est infiniment plus facile par le chemin de fer de l'Etat, qu'elle ne le sera par Wavre et Gembloux. Entre Bruxelles et Wavre entre Wavre et Gembloux il y a des pentes très fortes.

Il y a donc, en faveur du chemin de fer de l'Etat, et l'avantage d'une moindre longueur et l'avantage qui résulte de meilleures pentes. Mais il y a plus que cela, messieurs, il y a surtout, en faveur du chemin de fer de l'Etat l'avantage de l'unité, de la continuité du service.

Si l'on faisait usage des deux chemins de fer concédés, de Bruxelles à Wavre et de Wavre à Charleroy, par Gembloux, il faudrait, messieurs, s'adresser à deux concessions différentes, se faire transporter jusqu'à Wavre par la société du chemin de fer du Luxembourg, de Wavre à Charleroy, par la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre, puis de Charleroy à Marchiennes, par le chemin de fer de l'Etat. Il est évident que dans de telles circonstances, le chemin de fer de l'Etat a les avantages les plus marqués sur les lignes concédées.

L'honorable M. de La Coste a indiqué hier une autre éventualité, celle où le chemin de fer de Manage à Wavre, dont la concession est demandée, serait prolongé jusque vers Landen. Je dois faire observer, messieurs, que ce prolongement, depuis Wavre jusqu'à Landen, reste facultatif pour le gouvernement.

Le contrat soumis à la chambre pour le chemin de fer de Manage à Wavre, porte en effet que ce prolongement pourra se faire, de commun accord avec le gouvernement ; il faudrait donc la volonté du gouvernement pour que ce prolongement se fît. D'ailleurs, je ferai remarquer que c'est là une question qui se présentera d'une manière plus spéciale, lorsque viendra la discussion du chemin de fer de Manage à Wavre.

En ce qui concerne l'embranchement sur un point de la section de Wavre à Gembloux, je pense qu'il n'y a à cet égard aucun dissentiment possible entre les deux sociétés. Ici, il y a des plans à approuver, et c'est lorsque ces plans seront présentés, que la question sera examinée. Il est évident d'ailleurs qu'un cahier des charges nouveau ne peut pas déroger à un autre cahier des charges, voté antérieurement par une loi. On peut donc considérer les droits de la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre comme étant entièrement saufs.

M. Pirson. - Messieurs, j'essayerai de répondre aux diverses objections qui ont été présentées contre la critique qu'en mon âme et conscience j'ai cru devoir faire, d'une partie du tracé de la voie ferrée projetée pour le Luxembourg.

D'abord, messieurs, je crois avoir un devoir à remplir, et je viens le faire. C'est de déclarer que si, à la séance d'avant-hier, dans la chaleur de l'improvisation, il a pu m'échapper quelques paroles trop dures, trop amères à l'égard de l'un de nos honorables collègues, pour lequel depuis longtemps je professe sincère estime et sincère affection, il n'a pu entrer dans ma pensée de le blesser. Si donc, j'ai pu le faire involontairement avant-hier, aujourd'hui volontairement, je vous prie de le croire, spontanément et cordialement, je retire les expressions dont je me serais servi et qui pourraient donner lieu à une pareille interprétation, à une pareille supposition.

De toutes parts. - Très bien ! très bien.

M. Pirson. - J'aborde maintenant l'objet en discussion.

Je commencerai par repousser le reproche qui m'a été adressé, de me faire l'organe des rivalités locales. Depuis que j'ai l'honneur de siéger parmi vous, j'ai pris pour règle de conduite, au contraire, de ne donner aux questions locales que l'importance qu'elles peuvent mériter, et pour moi elles s'effacent devant la question qui doit toujours dominer dans cette enceinte, celle de l'intérêt général.

Mais, qu'il me soit permis de le faire observer, en puis-je, moi, si la situation de la ville de Dinant est telle qu'elle doive nécessairement être reliée au railway du Luxembourg ? Suis-je pour quelque chose dans ces circonstances que dans deux provinces, que sur une étendue de 32 lieues, la ville de Dinant est, après Namur, le plus grand centre de population ; qu'elle est située sur la Meuse ; qu'elle possède un pont mettant en communication les deux rives du fleuve ; qu'elle est le point de jonction de cinq routes de l'Etat ; qu'elle est un centre autour duquel gravite un grand mouvement de voyageurs, un grand mouvement commercial et industriel ; qu'elle possède les meilleurs cours d'eau de la Belgique ? Assurément, messieurs, je ne suis pour rien dans cette réunion de circonstances particulières à la ville de Dinant.

C'est à sa position géographique qu'elle le doit, et en ce qui me concerne, je serais coupable si, parce que l'intérêt général se trouvant dans la ville que j'ai l'honneur de représenter, je désertais cet intérêt général, si je ne venais le défendre, si je ne venais vous dire toute la vérité. Je suis doublement heureux, au contraire, de pouvoir en cette occasion me montrer le défenseur des intérêts généraux de mon pays, en faisant valoir l'intérêt de mon arrondissement.

Messieurs, plusieurs questions ont été soulevées par l'honorable préopinant. J'en examinerai quelques-unes, les plus importantes, et je le ferai le plus brièvement possible, afin de ne pas abuser des moments que la chambre veut bien me consacrer.

L'honorable député de Bastogne, nous parlant au nom de l'intérêt général, nous a dit : Pour le succès, pour la réussite de l'entreprise, la ligne du chemin de fer du Luxembourg doit être la plus courte. Moi je réponds : Votre objection est erronée ; puisque vous parlez d'intérêt général, avant toute autre considération, la ligne du chemin de fer du Luxembourg doit être la plus utile au pays, et pour être la plus utile, elle doit être la plus peuplée.

En invoquant la considération que vous voulez faire prévaloir, c'est à tort que vous parlez de l'intérêt général ; ce n'est pas l'intérêt général que vous défendez, c’'est l'intérêt étranger que vous défendez. Dans la convention du 8 août 1845, le tracé par la vallée du Boucq était obligatoire. Ce tracé, moins favorable il est vrai, que celui par le Fonds-de-Leffe, était cependant beaucoup plus avantageux au pays, que le tracé direct de Namur à Ciney, et non seulement on l'a rendu facultatif dans la convention du 26 février 1846, mais aujourd'hui on se prononce pour le tracé direct. Eh bien, il me semble que c'est par condescendance pour les concessionnaires que l'on a agi de la sorte, et que les intérêts du pays en souffrent.

Et en disant que c'est par condescendance pour la compagnie, je n'entends nullement faire aucune allusion personnelle ou particulière à l'honorable député de Bastogne, j'entends ici par le mot condescendance l'espoir de voir faire à la compagnie de plus beaux bénéfices.

On nous dit encore : Le tracé que vous réclamez, le tracé par le Fonds-de-Leffe, présente beaucoup de difficultés ; il est presque impraticable, et l'on a cru trouver une preuve de cette assertion dans le rapport du 4 mai 1846 de M. l'inspecteur divisionnaire de Moor.

Messieurs, veuillez le remarquer, le rapport en question ne faisait pas partie des documents qui nous furent primitivement distribués. C'est sur ma proposition que la section centrale chargea son rapporteur de s'informer près du gouvernement s'il n'avait pas été fait un tracé ou avant-projet par la vallée de Leffe, et alors nous fut adressé ce rapport du 4 mai 1846, rapport, j'en conviens, venu fort à propos, pour aider à l'argumentation qui m'est opposée.

Mais, messieurs, examinons ce rapport du 4 mai 1846, qu'est-il ? quelle valeur a-t-il ? Est-ce le résumé d'un travail réfléchi, l'expression d'une étude sérieusement entreprise ? Du tout, M. l'inspecteur divisionnaire de Moor se charge lui-même de vous indiquer ce qu'est son rapport, c'est « le résultat d'une reconnaissance du vallon de Leffe faite par M. l'ingénieur Denis. »

Je n'ai pas l'honneur de connaître M. Denis et je me plais à croire que c'est un ingénieur fort capable ; mais à M. l'ingénieur Denis j'opposerai un autre ingénieur qui passe aussi pour avoir beaucoup de mérite, j'opposerai M. l'ingénieur Dudot, qui est l'ingénieur de la compagnie et auquel bien certainement la compagnie n'aurait pas confié le soin de ses intérêts, si son mérite n'était notoire et connu. Eh bien, M. l'ingénieur Dudot aussi est venu examiner la vallée de Leffe, et lui ne s'est pas borné à une simple reconnaissance de la localité, il en a fait une étude et terminé l'étude, il a déclaré, entre autres personnes, au bourgmestre de la ville de Dinant, que le tracé par le Fonds-de-Leffe ne serait pas plus long que celui par la vallée du Boucq et que cette direction nécessiterait moins de travaux d'art. Cette déclaration se trouve mentionnée dans la pétition qui vous a été adressée par l'administration communale de la ville de. Dinant. Voici les paragraphes qui la concernent :

« Jusqu'à présent la ville de Dinant avait toujours cru voir son territoire se relier au réseau général des chemins de fer, soit directement, soit par un embranchement, et certes, l'importance de son commerce était de nature à lui faire supposer que ses espérances ne seraient pas vaines ; elle a même pu croire ces espérances réalisées, lorsque des ingénieurs sont venus récemment faire des études et lever des plans qui auraient pour résultat de diriger par la vallée du Fonds-de-Leffe, faubourg de Dinant, le chemin de fer du Luxembourg, dont M. le ministre des travaux publics a déposé le projet sur le bureau de la chambre des représentants le 4 mars dernier. »

Les ingénieurs dont il est question ici sont ceux de la compagnie, je me trouvais à Dinant en même temps qu'eux.

« De Namur à Ciney la distance n'est pas plus grande, en suivant le projet dinantais qu'en suivant la vallée du Boucq, à cause des nombreuses sinuosités qu'elle présente ; par cette vallée il y aurait à faire des travaux d'art extrêmement dispendieux, dont on serait dispensé par les Fonds-de-Leffe ; tout cela est reconnu par M. Dudot, ingénieur de la compagnie anglaise qui demande la concession ; il l'a avoué à M. le bourgmestre de la ville. »

A M. l'ingénieur Denis j'opposerai donc M. l'ingénieur Dudot, et je vous demanderai, messieurs, si, lorsqu'il s'agit d'intérêts aussi importants que ceux que je vous ai signalés, l'on peut raisonnablement apporter à cette chambre, pour base de leur discussion, un document aussi peu sérieux que celui d'une simple reconnaissance faite par l'un de nos ingénieurs, quelque transcendant que puisse être d'ailleurs le mérite de cet ingénieur. Et je vous demanderai encore si un pareil document est de nature à pouvoir commander de notre part une confiance absolue, et à nous faire infirmer le tracé direct de Namur à Ciney.

Evidemment non, et le rapport du 4 mai 1846, de M. l'inspecteur divisionnaire de Moor, loin de pouvoir être considéré comme une des pièces principales du procès pendant devant vous, en ce qui concerne le tracé par le Fonds-de-Leffe, ne peut être envisagé que comme l'une des pièces les plus insignifiantes, que comme une pièce trop insignifiante eu égard à l'importance des intérêts auxquels elle se rattache. Ce n'est pas sur un croquis ou sur une simple reconnaissance qu'une assemblée législative peut délibérer en connaissance de cause sur des questions de l'espèce. Il lui faudrait au moins une étude ou un projet complet pour arrêter son opinion, et l'impossibilité matérielle que l'on invoque ne se trouve en réalité basée sur rien. Moi, je crois que cette impossibilité matérielle n'existe pas, parce que jusqu'à présent, je n'ai pas plus de motifs de refuser ma confiance à M. l'ingénieur Dudot que je n'en ai de l'accorder à M. l'ingénieur Denis.

Cette question du tracé par la vallée de la Meuse me conduit tout naturellement à faire quelques observations sur le tracé direct de Namur à (page 1571) Ciney. Ce tracé, pour lequel on semble se prononcer avec tant de ferveur, est loin, de présenter les mêmes avantages que celui par la vallée du Boucq, soit au point de vue de la sécurité des voyageurs, soit au point de vue des intérêts de la compagnie.

Au point de vue de la sécurité des voyageurs, le tracé direct n'offre pas autant de garanties. D'après les plans qui ont été remis à votre section centrale, et qui se trouvent en ce moment déposés sur le bureau, il aura des tranchées de 25 à 30 mètres de hauteur, et, vous le savez, les grandes tranchées présentent des chances d'accident, surtout pendant les premières années d'exploitation, par les éboulements, par les glissements de terre qu'elles occasionnent. Ces éboulements, qui sont toujours dangereux, provoqués d'ordinaire par des temps humides, peuvent entraîner les conséquences les plus fâcheuses. Vous vous rappellerez peut-être avoir lu dans les journaux qu'en Angleterre, il y a quelques années, sur le chemin de fer le Great Western, neuf voyageurs perdirent la vie, et douze autres furent grièvement blessés par suite d'un éboulement qui survint au moment du passage d'un convoi.

Ensuite le tracé direct aura 742 mètres de souterrains de plus que celui par la vallée du Boucq. Sans vouloir exagérer le danger des souterrains ou tunnels, il n'est douteux pour personne que les souterrains offrent des inconvénients pour la sécurité du parcours. L'obscurité qui y règne fait que la surveillance est plus difficile, et la proximité des parois expose le convoi à venir se briser contre les faces latérales des voûtes à la moindre déviation.

Enfin négligeant, dans les deux tracés, les pentes en dessous de cinq millimètres, comme étant faciles à surmonter, le tracé direct aura quatre pentes de douze millimètres sur une étendue de 14,500 mètres (près de trois lieues) et une pente de seize millimètres sur une étendue de 6,575 mètres (plus d'une lieue), tandis que le tracé par la vallée du Boucq n'aura qu'une pente de sept millimètres sur 5,502 mètres, et une pente de neuf millimètres sir 3,859 mètres. Je vous ferai remarquer, messieurs, que la pente du plan incliné de Liège n'est que de vingt-huit millimètres, de sorte que par le tracé direct sur une étendue de 6,375 mètres, sur une étendue de plus d'une lieue par conséquent, il y aura une pente de seize millimètres, ou une pente de plus de la moitié de celle du plan incliné de Liège. Or, vous savez encore que les locomotives perdent de leur vitesse, en gravissant des rampes ; que leur construction est telle que leur puissance jusqu'à une certaine limite croît proportionnellement à leur vitesse, de telle sorte que sur les rampes assez longues et assez fortes pour produire un ralentissement dans la marche, leur énergie éprouve une constante diminution. Eh bien, sur des rampes aussi longues que celles de 6,375 mètres et 6,500 mètres avec des pentes de seize et douze millimètres, comme il s'en trouve dans le tracé direct je suis persuadé, quelle que soit d'ailleurs la force des locomotives qui seront employées, qu'il y aura un ralentissement considérable, peut-être de fréquents temps d'arrêt, et qu'il pourra arriver que les remorqueurs manqueront précisément de force au moment où ils en auraient eu le plus de besoin. Et il résultera de ces inconvénients que la compagnie, qui semble préférer le tracé direct pour jouir d'un parcours plus prompt entre Namur et Ciney, obtiendra précisément le résultat inverse. J'avais donc raison de dire qu'au point de vue de l'intérêt même de la compagnie, il était plus avantageux pour elle d'adopter le tracé par la vallée du Boucq, que le tracé direct, parce qu'avec le premier, qui coûtera moins de 800,000 fr. par lieue, qui sera établi sur un sol ferme avec des pentes modérées, qui ne nécessitera pas d'aussi grands travaux d'art, on franchira la distance de Namur à Ciney, plus vite peut-être qu'avec le second qui est estimé un million de plus à la lieue, qui exigera des pentes rudes et des travaux d'art très coûteux, et qui nécessitera des charges annuelles d'entretien très considérables.

S'il était possible qu'au point de vue anglais, le tracé direct de Namur à Ciney fût préférable, ce ne serait pas un motif, pour nous députés belges, de l'adopter.

Nous devons exiger celui qui lésera le moins les intérêts locaux et favorisera le plus les intérêts généraux du pays.

Messieurs, l'Etat doit donner satisfaction à tous les intérêts légitimes qui viennent se placer à côté des chemins de fer, et cette satisfaction à donner, doit passer avant l'intérêt de la compagnie. N'allez pas par entraînement, par enthousiasme, vous laissant conduire sur une pente irréfléchie et dangereuse, sacrifier les vrais intérêts, les intérêts durables et perpétuels du pays à une question du moment, à un intérêt étranger. Les chemins de fer ont pour effet de changer d'une manière trop brusque et trop précipitée les conditions de bien-être, de prospérité, d'existence même des localités qu'ils traversent, pour que ces changements puissent être le privilège de quelques portions du pays, pour que les avantages qu'ils procurent, ne fût-ce même que pour peu de temps, soient exclusivement réservés à une direction favorisée.

Songez donc que les déplacements d'intérêts opérés par les chemins de fer sont si nombreux, qu'au lieu de les augmenter, on doit rechercher tous les moyens de les diminuer. Eh bien, ainsi que je l'ai déjà dit, il me semble que c'est pour complaire à une compagnie trop puissante peut-être par ses influences, bien plus que dans l'intérêt du pays, que la convention du 8 août 1845 a été modifiée.

Prenez les rapports de M. l'inspecteur divisionnaire de Moor. On y lit que le tracé direct de Namur à Ciney sera très coûteux à établir et d’une exploitation dispendieuse, tandis que, pour le tracé par la vallée du Boucq, il n'y est fait aucune observation défavorable. Bien au contraire, M. de Moor fait remarquer que l’allongement du parcours par la vallée du Boucq n'a rien d'exagéré, puisqu'il n'est que du 1/4 au 1/3 du parcours, alors que de Mons à Tournay il est de près du 1/4 ;

De Mons à Namur, de plus du 1/3 ;

De Bruxelles à Gand, de près de la 1/2 ;

De Bruxelles à Namur, de près des 3/4 ;

De Bruxelles à Louvain de près des 3/4.

Si l'Etat s'était chargé de l'exécution des travaux, indubitablement il eût préféré la ligne du Boucq au tracé direct, et parce que la compagnie se prononcerait pour ce dernier, il faudrait absolument le lui accorder. Comment, messieurs, parce que l'Etat n'exécuterait pas, le gouvernement ne devrait plus se préoccuper des intérêts généraux du pays, il devrait descendre du point de vue de l'utilité générale pour venir se placer au point de vue des désirs d'une compagnie ! Je ne saurais admettre un pareil système, et je le repousse de toutes mes forces, parce que le gouvernement doit porter ses regards plus loi, et considérer comme son premier mobile de donner satisfaction aux intérêts généraux du pays.

Et, messieurs, sans vouloir en faire une application à la compagnie du chemin de fer du Luxembourg, qu'il me soit permis de le faire remarquer en passant : nous ne sommes pas ici pour faire les affaires de MM. les directeurs, de MM. les administrateurs des compagnies de chemins de fer, pour faciliter aux spéculateurs des opérations de bourse ; nous avons été envoyés ici pour faire les affaires du pays, pour veiller à ses intérêts, et pour les défendre au besoin.

L'honorable député de Bastogne, à l'appui des observations qu'il a présentées pour repousser le tracé par la vallée de Leffe, a fait valoir de prétendus inconvénients puisés dans cette circonstance qu'il y aurait un tronc commun à deux sociétés, entre Namur et Dinant. Mais en quoi un tronc commun peut-il vicier une ligne de chemin de fer et en particulier celle du Luxembourg ? D'ailleurs, messieurs, veuillez-le remarquer, dans la convention passée le 8 août 1845 avec la même compagnie, ce tronc commun existait pour la partie comprise de Namur à Yvoir. Ce principe y était donc admis et consenti.

Dans la convention que nous discutons il y aura encore un tronc commun pour une partie du chemin de Bruxelles à Namur ; Le même principe de tronc commun se retrouve dans la plupart de nos chemins de fer et dans la plupart des concessions qui ont été accordées. Pourquoi la compagnie du Luxembourg se montrerait-elle plus susceptible pour-un tronc commun de Namur à Dinant que pour un tronc commun de Wavre à Namur ? Les troncs communs sont tellement dans la nature des choses que partout, que dans tous les pays, voire même en Belgique, ils forment la règle générale et non l'exception. Je dirai plus, c'est qu'ils offrent des avantages parce qu'ils diminuent les frais de construction, d'usure et d'exploitation. De Bruxelles à Liège, à Anvers, à Gand, est-ce que la partie du chemin comprise de Bruxelles à Malines, n'est pas un tronc commun ? De Bruxelles à Mons et à Namur, est-ce que la partie du chemin comprise entre Bruxelles et Braine-le-Comte, n'est pas un tronc commun ? De Tirlemont à Waremme et à Saint-Trond, est-ce que la partie comprise entre Tirlemont et Landen, n'est pas un tronc commun ? Si vous n'aviez pas ces troncs communs il vous eût fallu construire des lignes entières et séparées, pour conduire à chacune des localités que je viens de citer, et nécessairement vos frais de construction, de personnel, de matériel et d'exploitation eussent été augmentés. Les troncs communs sont donc généralement utiles, plus avantageux que désavantageux, et relativement au chemin de fer du Luxembourg, celui de Namur au Fonds-de-Leffe, aurait de plus cet avantage particulier qu'il empêcherait une injustice, en assurant à une localité importante, le bénéfice d'une voie ferrée.

L'honorable ministre des travaux publics, répondant hier à une interpellation que je lui ai adressée, et tantôt l'honorable député de Bastogne ont, me paraît-il, exagéré les conséquences du moindre changement qui serait apporté à la convention. L'on vous a dit que si une seule clause de la convention venait à être modifiée, vraisemblablement le chemin de fer du Luxembourg ne s'exécuterait pas.

Eh bien, pour mon compte je n'en crois rien. Je crois au contraire, d'après les éloges pompeux que l'on nous a faits de l'administration de la compagnie, et que j'ai été heureux d'entendre faire, je crois, dis-je, qu'il ne peut être vraisemblable que la compagnie rompe son contrat pour un allongement de 8 à 10 kilomètres, alors surtout que l'allongement n'augmentera pas le temps de durée de parcours. Si encore l'allongement devait être onéreux, sans profit, je concevrais l'objection ; mais sans aucun doute, il sera avantageux.

Il sera avantageux parce qu'il faut une certaine somme de voyageurs et de marchandises pour couvrir les dépenses d'un chemin de fer ; qui cette somme de voyageurs et de marchandises existe entre Namur et Dinant, et qu'elle est telle que non seulement elle procurera des bénéfices, mais même de beaux bénéfices ; il sera avantageux, parce qu'avant toute autre considération, les chemins de fer sont faits pour les populations, et qu'ils doivent être placés là où se trouvent les populations, et non dans les déserts ; parce que la valeur d'un chemin de fer, c'est sa circulation ; parce qu'on ne fait pas de chemins de fer pour le bon plaisir d'en faire, mais pour y passer, que pour y passer, il faut des populations et que ces populations existent pour le tracé ou l'embranchement que nous réclamons.

Il sera avantageux, parce qu'il aboutira à Dinant, centre de commerce et d'industrie ayant sur Namur un mouvement annuel de transports, de 40,400,000 kilogrammes détaillés comme suit :

Ardoises indigènes, 2,500,000

Marbres, 3,500,000

Charbon de terre, 3,600,000

Fers, 2,500,000 ;

Ecorces et perches, 14,000,000

(page 1572) Froment et farines, 3,000,000

Cuirs secs et autres, 1,700,000

Cartons et papiers fabriqués à Dinant 1,000,000

Sel brut et autres, 2,600,000

Bières et vins d'Allemagne importés dans la commune, 500,000

Marchandises diverses chez les commissionnaires de la ville, 3,000,000

Idem chez les négociants, 2,500,000

Total, 40,400,000.

Il sera avantageux, parce qu'à Dinant et environs, il se trouve sur les affluents de la Meuse, des moteurs hydrauliques, mis en activité, et représentant une force de 825 chevaux, dont le détail est comme suit (en chevaux-vapeur) :

Ermeton-sur-Meuse, 15

Hastière-Lavaux, 60

Waulsort, 25

Anseremme, 45

Dinant, 235

Bouvignes, 25

Houx, 15

Warnant-Moulin, 180

Yvoir, 60

Annevoie-Bouillon, 100

Profondeville, 60

Lustin-Taille-Fer, 10

Wépion, 10

Total, 825.

Il sera avantageux parce que placé dans les conditions que je viens d'énumérer en principes et en faits, un chemin de fer ne peut pas ne pas l'être.

Vous voyez donc, messieurs, que moi aussi je veux ce qui peut être avantageux à la compagnie, que je défends ses intérêts ; mais, Belge avant tout, j’attache une importance beaucoup plus grande à faciliter le déplacement des citoyens belges, à faciliter le transport des marchandises et manufactures belges, qu'à transporter directement, des ports de la Manche à ceux de la Méditerranée, les voyageurs anglais qui se rendent à Bombay ou à Calcutta. Commercialement parlant, a-t-on dit encore, le chemin de fer du Luxembourg avec ses prolongements sera une des communications les plus importantes de l'Europe, car il est destiné à relier l'Atlantique à la Méditerranée, la Méditerranée à la mer Rouge, la mer Rouge à la mer des Indes, la mer des Indes à la mer de Chine ; comprenez donc le transit qu'il procurera à la Belgique !

Ah ! messieurs, de tout mon cœur, je souhaite pour mon pays, que le chemin de fer du Luxembourg gratifie la Belgique de cet immense transit que l'on nous fait espérer. Mais pour me persuader, que l'on me donne au moins quelques renseignements sur les prolongements de ce chemin de fer ? Pour la Belgique, je connais sa direction, je sais par où il passera, mais hors de la Belgique comment se prolonge-t-il ? Afin de ne plus m'attirer le reproche de m'abandonner aux exagérations, quoique ce reproche m'ait été fait à tort, je ne demanderai pas, quant à présent, comment il se prolongera de Bombay à Calcutta ? Si ce sera par terre en traversant l’Indostan, ou par mer au moyen du golfe de Bengale ? Mais pour la Prusse, le duché de Bade, le Wurtemberg, la Bavière, la Suisse, la Lombardie, pour atteindre Trieste, que l'on me dise au moins nominalement quels sont ces prolongements, à quelles voies de communication ils aboutissent, quels sont ceux qui sont terminés, quels sont ceux qui restent à exécuter, quels sont les services déjà établis, et que l'on m'indique en quoi consistera le transit que l'on nous promet ?

Dans l'exposé des motifs, et dans le rapport de votre section centrale, j'ai beau chercher, je ne trouve rien, absolument rien, pas une appréciation quelconque. Souffrez alors, mon honorable collègue du Luxembourg, que j'accepte avec défiance et réserve vos belles promesses, et si vous voulez que je me convertisse à votre foi, dites-moi quel sera ce transit de marchandises destinées à l'Allemagne, à la Suisse et aux Indes, et par quelles voies il se rendra à sa destination. Dans le doute, avant de croire à l'accaparement du transit européen, permettez-moi de trouver beaucoup plus rationnel d'assurer à nos centres de population un échange facile et commode de leurs produits ; avant de raccourcir la route des Indes, au profit de quelques voyageurs anglais, permettez-moi de trouver beaucoup plus national de raccourcir la distance qui sépare nos villes. Et voilà pourquoi j'ai tant à me plaindre de la convention du 26 février 1846 et pourquoi j'insiste tant pour obtenir une modification au tracé de quelques kilomètres.

Messieurs, ouvrez une carte de l'Europe ou de l'Amérique, et voyez si en France, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, on a, dans la direction des chemins de fer, sacrifié les relations intérieures aux relations extérieures.

Positivement non, messieurs ; on s'en est bien gardé, et on a eu raison. Dans ces pays, on s'est appliqué, au contraire, à relier entre eux tous les centres de population, et l'on ne s'est pas laissé prendre à l'argument seulement éblouissant et spécieux, de préférer la chance du transit étranger à la prospérité nationale, de préférer un transit inappréciable et inconnu, à un mouvement commercial intérieur, saisissable, assuré et bien connu.

Aux considérations que je viens de présenter en faveur de mon amendement, j'en ajouterai une dernière, et je terminerai en faisant un appel aux sentiments de justice et d'équité de la chambre.

Les chemins de fer, vous le savez, messieurs, sont monopoleurs par essence. Dans une certaine sphère d'attraction, ils absorbent toute la circulation soit des voyageurs, soit des marchandises. Ils portent la perturbation dans une foule d'industries anciennes ; ils compromettent le sort d'une foule de personnes. On comprend dès lors avec quel ménagement, avec quelle prudence on doit déterminer leurs directions, si l'on ne veut bouleverser de fond en comble une quantité de positions acquises. Eh bien, que voulez-vous que devienne la ville de Dinant, si vous ne la reliez au chemin de fer du Luxembourg et si vous la laissez dans une espèce d'impasse entre ce chemin et celui de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Dans cette condition, il faut qu'elle périsse, et vous lui enlevez un courant commercial dont elle est en possession depuis un temps immémorial.

Evidemment, messieurs, ce serait là une injustice révoltante ; vous ne voudrez pas, j'espère, vous associer à un pareil acte, et vous ne voudrez pas lui refuser un chemin de fer alors qu'on les prodigue au reste de la Belgique. C'est à vous, messieurs, qu'il appartient de décider si elle doit être sacrifiée à un intérêt plus étranger que national ; c'est à vous qu'il appartient de décider de la prospérité ou de l'anéantissement de cette ville.

J'ai rempli mon devoir en vous soumettant les justes doléances, et en prenant de mon mieux la défense de ses intérêts. Je finis en vous priant de ne pas rejeter mon amendement.

- La séance est levée à 4 heures.