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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 décembre 1845
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives à la réforme postale (de Terbecq, de La Coste, Duvivier)
2) Projet de loi portant le
budget du département de la justice pour l’exercice 1846 (Zoude)
3) Projet de loi accordant
des crédits supplémentaires au budget du département des affaires étrangères
pour créances arriérées. Mise à l’ordre du jour (Osy, Dubus (aîné), Delfosse, Eloy de Burdinne, Malou, Osy,
Delfosse, de Garcia)
4) Projet de loi fixant le
contingent de l’armée pendant l’année 1846
5) Projet de loi accordant
un crédit provisoire au département de la guerre pour l’exercice 1846
6) Projet de loi relatif à
la répartition de la contribution foncière (Zoude)
7) Projet de loi portant le
budget des voies et moyens pour 1846. Discussion générale. (A : Equilibre général des recettes et des
dépenses ; B : réforme de la fiscalité. C : contribution foncière ;
D : situation sociale dans les Flandres et/ou dépôts de mendicité) (D (Rodenbach), A, B, D (de Mérode), A, D, mise au travail des ouvriers désoeuvrés
au moyen de travaux publics (Delehaye, David, Delehaye), D (Lejeune, Van de Weyer), D, B,
droits de succession, droits sur les bois (de Corswarem),
D (de Roo), droits de succession, C (de
La Coste), droits sur la bière, C (Malou), D (et à Verviers)
(Lys), D (de Mérode), A, droits de succession (Osy),
B, droits de succession, A (Malou), clôture de la discussion
(d’Elhoungne, de Haerne, de Villegas), contribution personnelle et patentes (Savart-Martel), D (d’Elhoungne, Van de Weyer, de Haerne, d’Anethan, de Haerne, de Villegas, d’Anethan, Rogier, Van de Weyer, Dumortier, d’Elhoungne, Van de Weyer, (+colonie de Santo-Thomas) Devaux, de Theux, de
Roo, Rodenbach, de Brouckere,
Maertens, Rodenbach), C,
droits sur le sucre (Eloy de Burdinne))
8) Projet de loi prorogeant
le régime d’importation en transit (Loos)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 296) M.
Huveners procède à l'appel nominal à midi et quart.
M.
Albéric Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en
est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
Le sieur Chalbert, secrétaire communal à Arlon, demande l'établissement d'une
caisse de retraite ou de prévoyance pour les employés des administrations
communales. »
-
Renvoi à la commission des pétitions.
«
Plusieurs habitants de Termonde demandent la réforme postale basée sur la taxe
uniforme de dix centimes. «
«
Même demande de plusieurs habitants de Braine-le-Comte et de plusieurs habitants
de Louvain. »
M.
de Terbecq. - Je demande le renvoi de la pétition des habitants de Termonde à la
commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
M.
de La Coste. - La pétition de Louvain m'a été remise de la part du commerce de
cette ville ; elle porte les noms les plus respectables. J'en demanderai
également le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un
prompt rapport.
M.
Duvivier. - Je fais la même demande pour la pétition de Braine-le-Comte. Elle
est aussi signée par les habitants les plus notables de cette ville.
-
Les trois pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, avec demande
d'un prompt rapport.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR
L’EXERCICE 1846
M.
Zoude
présente le rapport de la section centrale sur le budget des finances.
-
Ce rapport sera imprimé et distribué.
PROJET DE LOI ACCORDANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES AFFAIRES ETRANGERES POUR CREANCES ARRIEREES
M. Osy présente le rapport de la
section centrale qui a examiné le projet de loi allouant au département des affaires
étrangères un crédit supplémentaire de 24,600 fr., pour faire face à diverses
créances arriérées.
-
Ce rapport sera imprimé et distribué.
(page 306) Plusieurs membres. - La
lecture du rapport.
M. Osy. - Je pourrais vous donner
lecture du rapport ; mais je crois qu'il nous faudra attendre la présence de M.
le ministre des affaires étrangères pour la discussion. Il sera nécessaire
d'avoir quelques explications. Il s'agit de crédits arriérés remontant jusqu'à
1832.
M. le président. - A quel jour la chambre
veut-elle fixer la discussion de ce projet de loi ?
Plusieurs
membres. - A demain.
M.
Delfosse. - Je propose de le mettre à l'ordre du jour de la prochaine séance.
M.
Dubus (aîné). - Je crois, messieurs, que nous pouvons décider immédiatement qu'il y
aura séance demain. Il est impossible que la chambre chôme pendant 24 heures,
et retarde d'autant l'envoi au sénat du budget des voies et moyens. Cette
assemblée n'aura déjà pas un temps suffisant pour examiner ce budget. A
l'époque de l'année où nous sommes parvenus, nous devons continuer nos travaux
sans désemparer.
Je
fais la motion formelle qu'il y ail séance demain.
M.
Delfosse. - Je crois qu'on pourrait ne se prononcer sur ce point qu'à la fin de
la séance. Si le budget des voies et moyens était adopté aujourd'hui, il serait
inutile d'avoir séance demain.
M. Eloy de Burdinne. - Je partage jusqu'à un
certain point l'opinion de l'honorable M. Delfosse. On pourrait décider qu'il y
aura séance demain si le budget des voies et moyens n'est pas voté aujourd'hui.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Je ferai remarquer que le budget de la dette
publique et plusieurs lois qui expirent au 31 décembre, doivent également être
votés avant que la chambre se sépare, de sorte que, dans toute hypothèse
j'appuie la proposition de l'honorable M. Dubus.
M. Osy. - Je ne m'oppose pas à ce
qu'il y ait séance demain. Mais je crois que nous devrons encore nous réunir
lundi. Ainsi, tout en me prononçant pour que nous ayons demain séance, je
demande qu'on n'étouffe pas la discussion dans le but de terminer dans les 24
heures.
M.
Delfosse. - La raison que l'honorable M. Dubus nous a donnée à l'appui de sa
motion, c'est que le sénat doit pouvoir s'occuper lundi de l'examen du budget
des voies et moyens. Dès lors, si le budget des voies et moyens était voté
aujourd'hui, il serait inutile d'avoir séance demain ; le but de l'honorable M.
Dubus serait atteint.
On
nous dit que nous devons encore voter le budget de la dette publique et
plusieurs autres projets avant de nous séparer. Mais nous pouvons encore avoir
séance lundi, mardi et mercredi.
M. de Garcia. - Messieurs, j'appuie la
proposition d'avoir séance demain. Si nous remettons la suite de nos discussions
à lundi, les membres qui appartiennent aux localités les plus voisines de la
capitale retourneront chez eux, et ainsi il arrivera que lundi nous n'aurons
qu'une séance insignifiante, qui ne peut jamais commencer qu'à 2 heures, à 2
heures et demie. Pendant ce temps, les membres appartenant aux localités les
plus éloignées, doivent rester dans la capitale et y perdre leur temps.
Messieurs,
nous avons encore un grand nombre d'objets à l'ordre du jour, et si nous ne
pouvons pas terminer demain, ce n'est pas une raison pour s'arrêter, c'est une
raison pour avancer nos travaux.
-
La chambre, consultée, décide qu'il y aura séance demain, et met le projet sur
lequel M. Osy vient de faire rapport à la suite des objets à l'ordre du jour.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION ORDINAIRE
M.
Maertens, au nom de la commission des naturalisations, présente plusieurs
rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
-
Ces rapports seront imprimés et distribués.
PROJET DE LOI FIXANT LE CONTINGENT DE L’ARMEE PENDANT L’ANNEE 1846
-
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à
l'examen des articles qui sont adoptés, sans observations, dans les termes
suivants :
«
Art. 1er. Le contingent de l'armée pour 1846, est fixé au maximum de
quatre-vingt mille hommes.
«
Art. 2. Le contingent de la levée de 1846 est fixé à un maximum de dix mille
hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement.
«
Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1846. »
Il
est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet ; il est
adopté à l'unanimité des 63 membres présents.
Il
sera transmis au sénat.
Ces
membres sont : MM. de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus aîné, Dubus
(Albéric), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot,
Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens,
Malou, Mast de Vries, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Scheyven,
Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vandensteen, Veydt, Vilain XII11, Zoude,
Biebuyck, Brabant, Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan, David, de Breyne, de
Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, Delfosse, de Mail
d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de
Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT PROVISOIRE AU DEPARTEMENT DE LA GUERRE
POUR L’EXERCICE 1846
-
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à
l'examen des articles, qui sont adoptés, sans observation, dans les termes
suivants :
«
Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre, un crédit provisoire de
cinq millions de francs (5,000,000 de fr.), à valoir sur le budget des dépenses
de l'exercice 1846 dudit département.
«
Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
Il
est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté
à l'unanimité par les 65 membres présents.
-
M. Liedts monte au fauteuil.
PROJET DE LOI RELATIF A LA REPARTITION DE LA CONTRIBUTION FONCIERE
M.
Zoude
présente le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur
la répartition de la contribution foncière.
La
chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et en fixe la
discussion à la suite des objets qui se trouvent à l'ordre du jour.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS POUR L’EXERCICE 1845
Discussion générale
M.
Rodenbach. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai fait suffisamment connaître
l'extrême misère qui règne dans les deux Flandres. Je ne reviendrais pas sur ce
sujet, si je n'avais reçu aujourd'hui même, de ma province, des nouvelles dont
il résulte que le malheur augmente de jour en jour. Aujourd'hui on a dû fermer
les portes de la ville de Bruges et y placer la force armée pour interdire
l'accès de la ville aux malheureux ouvriers qui manquent de travail et de pain.
Ces malheureux ont été reconduits dans leurs villages par la gendarmerie. Eh
bien, messieurs, ils ne demandent que du travail ou du pain, et il est de votre
devoir, il est du devoir du gouvernement de leur procurer l'un ou l'autre.
Un
honorable orateur a parlé de la prospérité des autres provinces, des tories
journées que les ouvriers y gagnent. Je sais très bien, messieurs, que dans
certaines parties du pays, le travail ne manque pas ; je sais que l'industrie
métallurgique, l'industrie des mines, par exemple, sont prospères ; mais c'est
précisément ce qui doit permettre de venir avec d'autant plus d'efficacité au
secours des localités le plus fortement frappées. C'est dans les Flandres que
la misère est la plus grande ; c'est dans le centre de la Flandre occidentale,
c'est à Roulers et dans son arrondissement qu'est le centre de la misère. Là,
il n'y a point de travail ; là, rien ne se fait, et je demande à M. le ministre
des travaux publics de bien vouloir y songer. Déjà, messieurs, l'on a ruiné en
grande partie les communes par les dépôts de mendicité, certes la plus mauvaise
de toutes nos institutions. Les dépôts de mendicité sont le réceptacle de
l'écume de la société : on y admet jusqu'à des voleurs et des malfaiteurs de
toute espèce. On y admet, aux frais des communes, bien entendu, tous ceux qui
se présentent, sans s'inquiéter le moins du monde d'où ils viennent. Je dis que
le gouvernement doit y faire attention. Aujourd’hui le dépôt de mendicité de
Bruges est comble ; on a été obligé d'employer la force armée pour chasser les
mendiants.
On a demandé aux chambres et l'on a obtenu sans la
moindre difficulté un subside de 2 millions pour venir au secours des classes
nécessiteuses. Eh bien, si je suis bien informé, le gouvernement ne veut
accorder des secours aux communes qu'à titre de prêt ; c'est à titre de prêt
seulement qu'il consent à accorder quelques centaines de francs aux communes.
Mais, messieurs, les communes sont déjà presque ruinées. Ou veut donc les
ruiner complétement ; on veut donc anéantir nos communes et nos provinces !
J'espère que le gouvernement y regardera à deux fois avant de prendre la
résolution définitive de ne faire que de simples prêts sur les 2 millions que
les chambres ont mis à sa disposition. Le gouvernement a adjoint au ministère
de la justice une commission d'hommes capables, distingués par leur humanité ;
cette commission doit avoir exprimé l'opinion qu'il faut accorder des secours
gratuits et non pas des prêts qui ne pourraient que ruiner complétement les
communes. Je prie le gouvernement de faire la plus grande attention aux
observations qui ont été faites. Je dois répéter ce que j'ai dit hier : on en
est réduit, dans les Flandres, à manger des féveroles, à manger ce qu'on donne
aux animaux, à manger même du cheval.
M.
de Mérode. - Chaque année j'ai fait tous tes efforts qui étaient en mon pouvoir
pour amener l'équilibre des recettes et des dépenses ; craignant quelque
calamité imprévue, j'ai constamment supplié cette chambre et le gouvernement de
recourir, eu temps calme et heureux, non pas aux emprunts, aux aliénations de
la fortune publique, mais aux impôts, pour subvenir aux besoins annuels de
l'Etat. Malheureusement rien n'est moins populaire que l'augmentation des
taxes, rien n'est plus populaire que les dons accordés aux frais du trésor ;
ainsi va-t-on bientôt célébrer à Liège la munificence du précédent ministre des
travaux publics qui vous a persuadé de consentir à un large tribut en faveur du
commerce de cette ville. Quant à moi, messieurs, qui ai constamment cherché à
vous convaincre de la nécessité de prendre d'une main ce que vous sèmeriez de
l'autre, je ne serai invité à aucune fête, pour la tâche ingrate el pénible que
j'ai remplie.
L'un
des orateurs précédents vous a fait un discours dans lequel il a critiqué
l’assiette de presque tous les revenus productifs pour l'Etat, il a déclaré
qu'il recommencerait chaque année future la même philippique que nous avons
entendue l'année dernière et dont l'honorable M. Mercier, ministre des
finances, avait cependant de la manière la plus complète redressé les erreurs
par une réfutation péremptoire ; et ce même orateur n'en a pas moins soutenu le
pied militaire de l'armée, l'augmentation du traitement des magistrats que je
me suis abstenu de voter, à cause de l'insuffisance des voies et moyens ; or,
ce serait en vain que l'honorable membre voudrait accommoder ses deux
combinaisons d'idées, l'une hostile aux recettes, l'autre favorable aux
dépenses, en vous indiquant de nouvelles bases de contributions dont rien ne
démontre l'exécution pratique ; tandis que nous connaissons les résultats
financiers des taxes actuelles. Attaquer ces ressources en sollicitant des
dépenses notables, ne peut être un acte raisonné sérieusement, parce que l'on
crée des impôts faciles à percevoir en imagination, (page 307) sans qu'aucune preuve expérimentale en démontre le
produit. N'est-il pas singulier ensuite qu'un représentant de la capitale
attaque constamment les propriétaires qui viennent y passer une partie de
l'année, y déverser une partie plus grande encore de leur fortune ? Il a
signalé comme devant être fortement frappées de contributions les maisons
écartées de la rue aux Laines, et cependant ces maisons que rapportent-elles à
ceux qui les habitent ? Généralement j'en puis parler par expérience, que leur
rapportent-elles ? Rien absolument que des frais ! Si les habitants de ma
commune de Rixensart, district de Nivelles, vous adressaient des pétitions pour
me forcer à résider constamment avec eux, je le concevrais ; car avec ce que me
coûte la maison même, très peu décorée que j'occupe l'hiver tue aux Laines,
j'aurais bientôt construit une route pavée vers la Hulpe ou vers Hulpe et par
goût je préférerais infiniment employer ainsi ce qui me reste de disponible.
Taxer à outrance, à Bruxelles, ce qu'on appelle les hôtels, ce serait
simplement exciter la désertion de ceux qui, je le répète, viennent souvent y
manger le plus clair de leur bien ; ce ne peut être la mission réfléchie d'un
mandataire de la capitale belge, et bien que les députés de chaque localité
représentent la nation tout entière, ce serait pousser loin le principe que de
les obliger à une abnégation telle des intérêts de leurs commettants qu'ils se
constitueraient les promoteurs de ce qui peut leur nuire d'une manière plus
directe qu'à tous autres habitants du pays. J'ai cité une des conceptions qu'on
nous a proposées comme si heureuses pour remplacer nos voies et moyens, et l'on
voit qu'elle aboutirait facilement à zéro.
J'en
viens à un objet plus important. La situation particulièrement malheureuse de
certains districts des Flandres. Je crois, messieurs, que nous devrions cette
année spécialement abandonner les utopies soi-disant populaires et chercher
tous les moyens de remédier à de très grandes misères trop réelles.
Avec
le système de prévoyance que j'ai souvent réclamé, nous ne serions pas dans
l'embarras, nous aurions une réserve applicable à ces maux intenses.
Vu
l'état des choses, la première mesure à prendre, c'est d'abord de ne réduire en
rien les ressources du trésor, de repousser toutes les réductions de recettes
proposées. Il faudrait, en outre, que M. le ministre des finances cherchât
pendant le premier semestre quelques accroissements de voies et moyens
recouvrables pendant la seconde moitié de l'année et fît prévaloir toutes les économies
acceptables dans la discussion des budgets.
Pour
équilibrer les recettes et les dépenses, il y a quelques moyens d'impôts que
l'on pourrait saisir immédiatement. Parmi ces impôts, le meilleur à établir
est, sans nul doute, un droit de succession en ligne directe pour les héritiers
uniques, pour les héritiers qui n'ont point de partage à faire, qui recueillent
seuls toute une succession.
Quiconque
s'est trouvé engagé dans ces partages sait combien ils entraînent de frais,
d'embarras, de retards, de procès parfois, inconvénients dont l'héritier unique
est complétement affranchi, indépendamment de l'avantage qu'il a de recueillir
seul ce dont il n'aurait qu'une fraction s'il avait des copartageants.
A
l'égard des travaux publics, il conviendrait aussi de réserver les sommes qui
leur sont applicables aux districts où la misère est à un haut degré et
d'ajourner ailleurs les dépenses. Je sais qu'à peu près partout on a besoin de
travail pendant l'hiver, mais les besoins sont relatifs, il faut aller au plus
pressant et le plus pressant est, sans nul doute, dans certains districts des
Flandres, ceux d'Alost et d'Audenarde, par exemple. Toutefois il est
indispensable de se bien persuader que le gouvernement en aucun pays ne peut se
charger d'en faire subsister les habitants. Le gouvernement et le pays ne font
qu'un. Le gouvernement ne possède que ce que possède le pays. La lune et les
autres planètes pas plus que les contrées voisines ne lui donneront ni vivres,
ni pécule, et lorsque j'entends demander ce que fait le ministre de la justice
pour entretenir les pauvres des Flandres, je me demande aussi comment le
ministre de la justice peut les entretenir. Il est vrai qu'on a voté en session
extraordinaire deux millions, mais ces deux millions ne sont pas une rivière
qui roule à flots continus l'argent liquide comme au pays d'Eldorado. Quant à
moi, bien que n'appartenant pas aux Flandres, je consens volontiers à ce que
les deux millions y soient spécialement verses, c'est-à-dire, dans les
districts flamands les plus accablés. Dans une autre circonstance ce serait
ailleurs peut-être qu'il faudrait porter des secours. Cette fois le plus grand
mal étant là, c'est là qu'il faut agir.
Une circonstance que je dois cependant signaler, c'est
l'absence du mouvement parmi les populations des Flandres pour trouver de
l'occupation hors de leurs cantons. On m'assurait, hier encore, qu'à Couillet
on avait fait venir deux cents ouvriers flamands et qu'il n'en était resté que
huit. Ne serait-il pourtant pas préférable que l'on pût employer dans nos
établissements du pays wallon . des Belges, que des Anglais ou des Allemands ?
M.
Delehaye. - Mon honorable ami M. Delfosse, avec cette franchise et ce talent qui
le distinguent, a exposé à la chambre tous les secrets de notre situation
financière. Il a prouvé que nous nous trouvons en présence d'un découvert de 14
millions et 1/2, qui, si l'on tient compte de tout ce qui s'est passé jusqu'à
présent, devra être porté, avant la fin de l'exercice, à 20 ou peut-être même à
25 millions. Lorsque mon honorable ami a fait ses calculs, il n'a pas même tenu
compte d'autres éventualités qui doivent encore aggraver cette position. Il n'a
point parlé du déficit probable à résulter des cotes irrécouvrables de la
contribution foncière et de la contribution personnelle.
Vous
savez, messieurs, que la calamité dont le pays a été atteint cette année, a
surtout sévi dans les Flandres. Vous savez aussi, que dans ces provinces le
morcellement de la propriété est extrême, que la plupart des propriétaires n'y
possèdent guère qu'un hectare ou un hectare et demi. Eh bien, la position de
ces petits propriétaires est devenue tellement embarrassante qu'ils seront dans
l'impossibilité de payer leurs contributions ; de ce chef donc, le trésor ne
percevra rien ou percevra très peu de chose.
La
contribution personnelle laissera aussi de très grands vides ; là encore le
trésor ne pourra pas recouvrer une grande partie des ressources sur lesquelles
on a compté
Il
est une troisième circonstance, messieurs, qui viendra encore diminuer les
ressources et aggraver le découvert du trésor. C'est la malheureuse loi sur les
sucres. Depuis longtemps, nous demandons la modification de cette loi ; elle
vient enfin de nous être promise, et j'espère que, sous ce rapport, le
gouvernement ne reculera plus devant son devoir. Si mes renseignements sont
exacts, l'impôt sur les sucres rapportera, en 1845, à peu près un million de
moins qu'il n'a rapporté en 1844.
Ainsi,
messieurs, de quelque côté que nous nous tournions, partout nous rencontrons le
déficit.
Mon
honorable ami, M. Delfosse, a indiqué aussi quelles étaient, d'après lui, les
mesures au moyen desquelles on pourrait mettre un terme à ces déficits toujours
croissants. Parmi ces mesures, l'honorable membre en a signalé une à laquelle
je ne saurais donner mon assentiment. Je pense que cette fois l'honorable M.
Delfosse s'est trompé, et il m'est d'autant plus permis de le lui faire
observer, que la chose lui arrive plus rarement. Il pense que, pour mettre un
terme au déficit, il faudrait qu'il y eût un excédant de trois ou quatre
millions des recettes sur les dépenses.
Eh
bien, messieurs, je pense qu'un semblable état de choses amènerait précisément
un résultat inverse de celui qu'en attend l'honorable membre ; je crois que si
le budget des voies et moyens dépassait de trois ou quatre millions le budget
des dépenses, vous seriez inévitablement amenés à voir surgir continuellement
de nouvelles demandes de crédits ; ce serait à qui le premier ferait brèche à
l'excédant. Si la situation financière présentait un excédant quelconque, vous
verriez surgir de toutes parts ces demandes de dépenses nouvelles auxquelles
vous aurez d'autant plus de mal de résister qu'on vous dirait que les fonds
sont votés.
J'indiquerai,
messieurs, un moyen qui me paraît beaucoup plus efficace pour arrêter
l'accroissement continuel du déficit ; mais il faudrait qu'à cet égard la
chambre se soumit également à la mesure. Ce serait de prescrire au gouvernement
le devoir de ne jamais présenter un projet de loi entraînant des dépenses
quelconques sans que ce projet ne soit accompagna d'un autre projet Créant les
ressources nécessaires pour y faire face. Si la chambre prenait une bonne fois
la résolution de déclarer d'une matière formelle que jamais elle ne votera une
dépense quelque urgente, quelque utile qu'elle puisse être, sans la couvrir à
l'instant même par de nouvelles ressources ; si la chambre prenait cette
résolution et si elle la maintenait, il est évident que tout nouveau déficit
serait impossible. Lorsqu'il s'agit uniquement de dépenser, sans s'inquiéter le
moins du monde du point de savoir comment on couvrira la dépense, alors on est
toujours porté à accorder tous les crédits demandés ; mais s'il fallait à
l'instant même décider comment la dépense sera couverte, par quels
contribuables les fonds nécessaires seront fournis, soyez persuadés, messieurs,
que l'on y regarderait à deux fois ! Voter des dépenses ne présente pas
d'inconvénient ; mais rien n'est plus impopulaire que de nouvelles charges, de
nouveaux impôts. Si vous ne prenez pas cette mesure, le découvert du trésor ira
constamment en augmentant.
Messieurs,
je n'en dirai pas davantage sur cette question. Je pense que le gouvernement
s'empressera de déclarer que, d'après lui, il y a nécessité, d'un côté, de
modifier immédiatement la loi sur les sucres, et, d'un autre côté, de pourvoir
au déficit qui résultera de la perception de la contribution personnelle et de
la contribution foncière.
Messieurs,
je dirai maintenant un mot sur un point qui a été touché par un honorable
membre de cette chambre, et pour lequel je me suis opposé qu'on clôturât hier
la discussion générale.
Messieurs,
vous n'ignorez pas que la calamité dont le pays est frappé, par suite de la
disette des pommes de terre, sévit principalement dans les Flandres. Vous
savez, messieurs, que déjà la position des deux Flandres était très mauvaise
avant l'apparition de ce fléau ; et aujourd'hui, on peut dire que cette
position est devenue intolérable. Je m'expliquerai aujourd'hui à cet égard avec
une entière franchise. Si nous n'avions pas conclu une nouvelle convention avec
la France, j'aurais gardé le silence ; on m'eût reproché de nous créer de
nouvelles difficultés. Mais puisque cette convention est conclue, je n'ai plus
de ménagements à garder envers personne.
Messieurs,
vous n’ignorez pas qu'environ les cinq sixièmes de la population des deux
Flandres se trouvent aujourd'hui réduits à se nourrir exclusivement de navets.
J'ai reçu d'une commune une lettre dans laquelle on dit que, les navets étant
venus à manquer, on s'est jeté sur le colza. Le colza sert donc aujourd'hui de
nourriture aux hommes, à défaut de toute autre substance alimentaire. Je me
demande si les sentiments d'humanité que vous avez si souvent exprimés, ne
seront pas douloureusement affectés, à la vue d'un pareil spectacle ? Votre
sympathie ne sera-t-elle pas acquise à une pareille situation ? Je me demande
si la chambre n'est pas d'avis, avec nous, qu'il faut prendre des mesures promptes
et efficaces pour parer à d'aussi grands maux.
Dans
mon opinion, ces mesures doivent être passagères, comme le sera sans doute la
calamité qui les provoque.
C'est
assez vous dire, messieurs, que je ne m'explique pas le singulier projet que
l'on prête à M. le ministre de la justice, et qui consisterait à augmenter le
nombre actuel des dépôts de mendicité.
Si
ce qu'on m'a rapporté est exact, M. le ministre de la justice serait en (page 308) instance pour créer de
nouveaux établissements de ce genre à Ruysselede et ailleurs. Messieurs, je ne
crains pas de dire, que si telle est l'intention réelle du gouvernement,
l'exécution de cette idée malheureuse produirait un double résultat également
funeste : la ruine des communes et la démoralisation des populations.
Tout
le monde sait, en effet, qu'il suffît qu'un individu ait passé seulement
quelques jours dans un dépôt de mendicité, pour qu'il retourne, dans le sein de
sa famille, plus vicieux qu'il ne l'était avant d'en sortir. Les individus,
enfermés dans un dépôt, y perdent tout sentiment de famille, toute notion de
leurs devoirs ; rentrés dans leurs communes, ils ne peuvent donc qu'y augmenter
la démoralisation.
Messieurs,
les dépôts de mendicité présentent, d'ailleurs, un autre inconvénient. Il n'est
pas de commune qui, du chef d'une ou de deux personnes entretenues dans un
dépôt, ne soit obligée de faire une dépense double de ce qu'elle serait si elle
nourrissait ces individus au sein de leur famille. L'entretien d'un seul
individu dans le dépôt impose aux communes une charge plus grande que
l'entretien d'une famille tout entière.
En
les secourant donc à domicile, non seulement on réaliserait une grande économie
dans les dépenses, mais on empêcherait encore la démoralisation de se propager
dans les campagnes, on y maintiendrait l'esprit de travail et d'ordre qui
distingue encore aujourd'hui ces populations. Que M. le ministre de la justice
renonce donc au système qu'il a en vue, car, d'un côté, il tend à augmenter les
charges des communes et, d'autre part, il détruit les sentiments de moralité.
Je
pense dès lors que le projet attribué à M. le ministre de la justice doit être
abandonné, s'il existe réellement ; et si les deux millions que nous avons
votés au mois de septembre dernier devaient servir à l'acquisition de nouveaux
dépôts de mendicité, je déplorerais amèrement la confiance que j'aurais eue
dans le ministère, en lui accordant ces deux millions (Interruption.)
Je
suis heureux de voir que d'autres membres de cette chambre partagent ma manière
de voir sur les inconvénients que présenterait l'établissement de nouveaux
dépôts de mendicité.
Messieurs,
on m'a dit que d'autres mesures avaient été prises au ministère de 1'intérieur.
Je ne sais pas quelles sont ces mesures. Mais qu'il me suit permis de le dire,
les antécédents digues de toute confiance de M. le ministre de l'intérieur, me
donnent l'assurance que les mesures prises, comme celles qu'il prendra, seront
réellement favorables aux communes ; j'ai la conviction intime qu'avec les
idées qui distinguent M. le ministre de l'intérieur, les deux millions seront
bien employés ; et je suis convaincu que le ministre ne démentira pas la
confiance que nous lui avons montrée, en mettant les deux millions à sa
disposition.
Pour
ma part, je m'en rapporte donc entièrement à ce que fera, à cet égard, M. le
ministre de l'intérieur qui, je l'espère, ne craindra point de nous demander de
nouveaux subsides si les sommes mises à sa disposition n'étaient point
suffisantes. Pour le moment, nous nous contenterons donc de l'expression de
sympathie que M. le ministre manifeste pour tes malheureux.
M.
David. -
Vous vous contenterez, pourvu qu'on vous donne le tout, comme vient de le
demander M. de Mérode.
M.
Delehaye. - En supposant même qu'on donnât toute la somme aux Flandres, la chose
serait-elle si exorbitante ? L'honorable M. David ne doit pas oublier que
pendant quarante ans la Flandre orientale a dû supporter un tiers de
contributions de plus que les autres provinces. Ainsi, si vous consacriez
aujourd'hui la totalité des deux millions aux deux Flandres, ce ne serait
qu'une faible restitution de ce que ces provinces ont payé de trop.
D'un
autre côté, je ne comprends pas l'interruption de l'honorable M. David. L'honorable
membre nous a reproché notre misère, il y a quelques jours ; il a ajouté que si
nous étions dans une position misérable, par contre, les habitants de son
district étaient riches. Mais s'ils sont riches, pourquoi enviez-vous alors ce
qu'on veut faire en faveur des populations pauvres des Flandres ? Que
l'honorable membre ne perde pas de vue que notre misère ne nous pousse point à
demander l'aumône, qu'elle ne nous avilit pas à ce point. Nous ne voulons que
du travail, c'est la seule faveur que nous sollicitions.
Je
finis par une dernière observation.
Pendant
la session extraordinaire, M. le ministre des travaux publics nous avait promis
de faire exécuter immédiatement tous les travaux à charge de l'Etat, dont
l'exécution pouvait avoir lieu ; et d'inviter aussi les compagnies à commencer
les travaux dont elles avaient été déclarées concessionnaires.
Or,
je ne pense pas que dans les deux Flandres, c'est-à-dire dans les provinces où
il y a le plus de besoins, le gouvernement ail fait entamer un seul travail
d'utilité publique. Je sais que l'on travaille à la double voie du chemin de
fer entre Bruges et Ostende. Mais c'est un travail très-peu important, et qui
sera terminé en peu de temps. Dans la Flandre orientale, on est resté inactif
jusqu'ici ; on n'a rien fait jusqu'ici ni dans le district de Saint-Nicolas, ni
dans celui de Termonde, ni dans celui de Gand, ni dans celui d'Eecloo.
Cependant,
messieurs, il y a des travaux urgents à exécuter, qui aujourd'hui
présenteraient une double utilité : celle d'abord de fournir du travail et
celle non moins grande d'augmenter la richesse publique ; nous nous sommes
plaints souvent des inondations qui désolent nos campagnes, qui détruisent nos
récoltes ; ne serait-ce pas le moment de mettre la main à l'œuvre pour remédier
à ce fâcheux état de choses ? Je sais très bien que M. le ministre des travaux
publics, répondra qu'il vient seulement de recevoir le travail de la
commission, et que les conclusions proposées sont conçues sur une si grande
échelle qu'il est impossible de se prononcer immédiatement.
Mais
je ferai remarquer à M. le ministre des travaux publics que le travail de la
commission se divise en plusieurs parties, et que, parmi ces parties, il y en a
qui occasionneraient une très faible dépense. Parmi les travaux hydrauliques
partiels, indiqués par la commission et dont l'exécution peut se faire
immédiatement, se trouve l'élargissement du canal de Nevele. Ici il n'y a pas
d'expropriation à faire ; toutes les propriétés appartiennent au gouvernement
ou à la province. Il y aurait à faire une dépense de 110,000 fr. ; cette
dépense consisterait uniquement en main-d'œuvre ; elle ferait disparaître
immédiatement le grave inconvénient qui a été signalé depuis longtemps et qui
résulte de la trop grande masse d'eau qui nous arrive de la France par la Lys.
Pourquoi M. le ministre des travaux publics
n'a-t-il pas songé à distraire du projet général ces travaux partiels dont
l'exécution aurait donné du travail à de nombreux ouvriers, pendant une partie
de l'hiver, et cela précisément dans les localités les plus souffrantes. Il y a
d'autres travaux en amont et en aval de Gand que l'on réclame depuis longtemps
et dont la construction utile procurerait un long travail à la classe ouvrière.
Je suis persuadé qui si M. le ministre des travaux publics était venu présenter
dans ce but un projet à la chambre, le projet n'aurait rencontré aucune
difficulté : la chambre se serait rappelé les nombreuses et vives réclamations
que les députés, non seulement des Flandres, mais aussi du Hainaut, ont faites
en cette enceinte, pour qu'on mette un terme à ces inondations qui viennent
périodiquement effrayer de nombreuses population.
M.
David.
(pour un fait personnel). - Messieurs, je suis convaincu que tous, vous avez
été frappés de l'évidente exagération avec laquelle l'honorable préopinant
vient de s'exprimer, à l'occasion de quelques paroles prononcées par moi dans
une séance précédente, et à cause de l'interruption que je viens de lui adresser.
Il
est manifeste que les réclamations des Flandres sont tellement vives et sans
cesse renaissantes, que nous pouvons légitimement présumer qu'on consacrera la
presque totalité des deux millions au soulagement des populations de ces
provinces. Or, nous avons une autre province à soulager, une province
industrielle qui éprouve aussi de grands besoins. Elle réclame sa part du
subside. A entendre seulement le discours de l'honorable membre, et les paroles
de M. le comte de Mérode, on peut croire qu'il y a une forte tendance à faire
profiter les Flandres seules de l'allocation.
Quand
j'ai dit, il y a quelques jours qu’on faisait tout pour les Flandres, j'ai
cité, à l'appui de cette assertion, ce que l'on accordait aux cotons, aux
toiles ; j'ai rappelé le subside de 200,000 fr., les 10 p. c. à l'exportation
des cotons, etc. ; toutes faveurs que j'ai évaluées de 16 à l,700 mille fr. Je
Vous le demande, messieurs, si le reste du royaume devait être traité dans la
même proportion, que deviendraient nos finances ?
Ce
n'est pas tout : la partie industrielle de la province de Liége est à la veille
de devoir faire un nouveau sacrifice ; on va écorner de nouveau l'industrie
drapière de mon district, holocauste dans toutes les occasions où il faut
soulager d'autres souffrances, pour assurer le renouvellement d'une convention
qui aura été si insignifiante pour les Flandres et si onéreuse pour nous. Je
veux parler du traité du 16 juillet.
M. le
président. - Veuillez-vous restreindre au fait personnel.
M.
David. -
Je n'ai pas dit, comme le prétend l'honorable M. Delehaye, que nous étions
riches à Verviers ; non, j'ai dit que nous étions industrieux. Je prie
l'honorable membre de ne pas m'attribuer des paroles que je n'ai pas prononcées
; à Verviers, nous ne mourons pas de faim, mais nous ne demandons pas l'aumône.
Nous n'en sommes pas réduits là, grâce à la libéralité, à la générosité sans
limite de mes concitoyens
M.
Delehaye. (pour un fait personnel.) - L'honorable M. David, complétant sa pensée
manifestée par une interruption, nous dit que dans son district oh ne demande
pas l'aumône. Nous ne la demandons pas davantage, nous la repoussons de toute
notre énergie ; ce que nous demandons avec instance, c'est du travail. L'amour
du travail est trop puissant dans les Flandres, il est trop noble à nos yeux
pour que nous réclamions jamais de la charité publique, les moyens d'existence.
Messieurs,
l'honorable député de Verviers parle des avantages dont jouit l'industrie
cotonnière. Je ne sais ce que cette industrie vient faire dans cette
discussion. Mais quel est l'avantage que vous faites à cette industrie qui a
perdu l'immense débouché qu'elle trouvait dans les colonies hollandaises ?
On
ne demande pas l'aumône chez vous ! Mais M. David veut-il nous cacher que sa
province prospère précisément à l'abri d'un système prohibitif ? Vos fers, vos
houilles, industries dignes de toute notre sollicitude sans doute, ne seraient
jamais parvenus à un si haut degré de prospérité, si nous ne nous étions pas
imposé, dans leur seul intérêt, des impôts énormes.
Messieurs, si en répondant à l'honorable M. David
j'ai mis quelque vivacité dans mes paroles, vous l'attribuerez au sentiment
pénible que j'ai dû éprouver en entendant l’étrange interruption dont mes
paroles ont été l'objet. Il n'y a eu rien de désobligeant, dans ma réponse,
pour l'honorable membre dont j'estime beaucoup le caractère ; mais je n'ai pas
pu laisser sans réponse une insinuation qui tendait à mettre en doute
l'activité, le zèle, la moralité de nos classes ouvrières que l'on outrage,
messieurs, en supposant qu'elles demandent l'aumône.
M.
Lejeune. - Messieurs, on ne peut méconnaître que la discussion du budget des
voies et moyens ne soit une occasion très opportune de parler de la situation
malheureuse dans laquelle se trouvent les ouvriers des Flandres. Cependant,
messieurs, je me bornerai à très peu d'observations (page 309) à ce sujet. Car, cette discussion, si elle était poussée
trop loin, ne serait pas, selon moi, sans danger. Ce n'est point par de longues
discussions, ce n'est pas au bruit d'une grosse voix que l'on pourrait nourrir
nos ouvriers.
M.
Rodenbach. - Le silence est plus dangereux.
M.
Lejeune. - Nous devons parler sur une pareille matière avec calme, avec
circonspection, avec beaucoup de prudence.
Nous
avons plusieurs écueils à éviter. Nous avons à craindre, messieurs, de faire
naître des espérances qu'il serait impossible et au gouvernement et aux
chambres de réaliser ; nous avons à craindre de faire naître des exigences
auxquelles ni le gouvernement ni les chambres ne pourraient satisfaire. Nous
devons craindre, messieurs, d'exagérer les moyens qui sont au pouvoir du
gouvernement pour venir au secours de la classe ouvrière. Car cette fausse
interprétation de nos discussions pourrait traîner après elle des exigences
très embarrassantes.
En
Angleterre, messieurs, il y a une partie du pays qui souffre aussi beaucoup. A
l'occasion de la crise ministérielle en Angleterre, O'Connell déclare qu'il
appuiera ceux qui nourriront le peuple anglais.
Et
quel est le point de son programme qui répond à cette déclaration ? Ce point
est l'abolition des lois sur les céréales. Voilà, messieurs, ce que dans ce
moment il appelle nourrir le peuple anglais !
Messieurs,
je désire qu'on ne se méprenne pas sur mes paroles ; je suis loin de croire que
cela suffise chez nous ; cependant nous pouvons établir cette comparaison : Ce
qu'on demande en Angleterre avec tant d'instance, nous l'avons déjà dans notre
pays. Le gouvernement et les chambres se sont empressés de prendre cette mesure
; et cette mesure a été prise sans aucune opposition.
Je
le répète, pour que ni l'honorable membre qui m'interrompt, ni aucun membre de
cette chambre ne se méprennent sur ma pensée. Cette mesure, je l'ai considérée
comme très bonne, comme nécessaire dès les premiers moments. Mais j'ajouterai
que, selon moi, elle ne suffit pas pour notre pays.
Ce
que je redoute, messieurs, c'est qu'on ne fasse croire au pays que le
gouvernement est cause de la misère, qu'il dépendrait du gouvernement de la
faire cesser. Il serait dangereux de laisser s'accréditer une pareille opinion.
Mais quelle que soit ma réserve, il est cependant quelques points sur lesquels
nous devons être rassurés.
Le
gouvernement est-il bien pénétré de toute l'étendue de la misère ? Connaît-il
bien la position des Flandres ? Je ne sais si je puis dire : J'en doute. Mais,
du moins, ce que nous pouvons dire, c'est qu'il n'existe aucun acte
significatif qui démontre que le gouvernement soit parfaitement au courant de
la situation. C'est un point sur lequel nous devons être rassurés, avant de
prendre des vacances.
Un
deuxième point, c'est de savoir si le gouvernement est disposé à faire tout ce
qui est possible pour soulager nos populations ouvrières, non seulement au
moyen des fonds dont il dispose aujourd'hui, mais au moyen de toutes autres
ressources pour lesquelles il croirait avoir besoin de l'intervention des
chambres.
Le
gouvernement ne peut croire que les chambres refuseraient leur concours aux
mesures qu'il croirait nécessaires. Elles ont manifesté des dispositions tout
opposées. Si ces mesures ne sont pas indiquées par le gouvernement, les
ministres ne seraient pas admis à faire tomber sur les chambres une
responsabilité qui pèse et qui ne doit peser que sur eux.
Il
est un autre point sur lequel je désire fixer l'attention du gouvernement, ce
sont les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre et la sécurité publique.
Les
circonstances où nous nous trouvons sont très malheureuses. Ce qui les aggrave,
c'est que les malfaiteurs profilent de cette situation pour exercer leur
industrie. Nous avons déjà connaissance de beaucoup de faits qui sont de nature
à alarmer les habitants des campagnes. On a constaté que la plupart de ces
mendiants qui vont, par bandes, inquiéter les fermiers, sont des repris de
justice. Il est donc nécessaire d'établir des moyens de surveillance extraordinaire.
Cela est nécessaire, surtout sur la frontière. Noire frontière qui touche à la
Zélande est digne de toute l'attention du gouvernement. Là, les malfaiteurs
peuvent faire leurs expéditions et se sauver immédiatement en pays étranger.
Je
n'indiquerai pas les mesures, à prendre à ce sujet ; ces mesures, du reste, me
paraissent très simples et ne sont pas de nature à entraîner des dépenses
considérables.
Le
meilleur moyen de sauver nos ouvriers, c'est de leur procurer de l'ouvrage. Je
l'ai dit au mois de septembre, c'est le but vers lequel doivent tendre tous nos
efforts.
J'insiste
sur ce point, parce que, dans une séance précédente, on a déjà critiqué
prématurément quelques-unes des propositions faites par M. le ministre des
travaux publics, notamment pour la construction de routes. Je dois déclarer que
je suis d'une opinion tout à fait contraire à celle qui a été exprimée à ce
sujet. Loin de blâmer le gouvernement de ce qu'il a demandé des crédits pour
l'exécution de travaux publies, je ne crains pas de dire qu'il en a demandé
trop peu.
Au
moyen de ces travaux, on pourra soulager la misère, venir au secours des
ouvriers sans ouvrage ; mais, en outre, messieurs, c'est un des meilleurs
moyens d'employer les fonds de l'Etat ; c'est un capital bien placé. Ce sont
des travaux que vous feriez, que vous devez faire tôt ou tard. Plus tôt vous
les ferez, plus tôt vous augmenterez les sources de la richesse nationale, de
la prospérité du pays.
Dans les circonstances actuelles, je ne pourrais
prendre la responsabilité de refuser au gouvernement les fonds nécessaires pour
l'exécution de travaux publics dont l'utilité serait démontrée.
Je
bornerai là mes observations.
J'espère
qu'avant la fin de cette discussion, l'un ou l'autre des organes du
gouvernement nous donnera, sur les divers points que j'ai indiqués, des
explications de nature à nous rassurer.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La chambre doit être
frappée du sens des paroles qu'elle vient d'entendre et de l'extrême réserve,
de la sagesse pratique toute particulière, avec laquelle l'honorable membre a
abordé cette question, qu'on doit en effet éviter avec soin de jeter
inopinément dans une assemblée délibérante.
Je
conçois les devoirs que les membres de cette chambre ont à remplir envers leurs
commettants ; mais ils comprendront aussi que la sollicitude du gouvernement
doit être moins démonstrative que la leur, et que l'espèce d'inaction apparente
dans laquelle le gouvernement se renferme sagement, lui est dictée par les
règles les plus simples de prévoyance administrative que la chambre appréciera,
j'espère.
Les
honorables membres savent, par des renseignements puisés à la source même, que
cette inaction apparente n'est pas de l'indifférence, que le gouvernement agit,
mais dans la sphère où la prudence l'oblige à se renfermer.
Je
ne pense pas que la chambre exige de moi d'autres explications.
M.
de Corswarem. - Dans l'état où la discussion se trouve en ce moment, il n'y a plus
guère quelque chose de neuf à dire. Je me contenterai donc d'émettre mon
opinion sur quelques faits avancés par d'honorables membres de cette assemblée.
Je
dois convenir avec l'honorable M. Delehaye que les non-valeurs seront très
nombreuses l'année prochaine, surtout dans les campagnes.
La
section centrale vous a dit que la perte d'un précieux tubercule était en
quelque sorte compensée pour le cultivateur par la récolte satisfaisante des
céréales et le prix élevé de tous les produits du sol. Je ne puis partager en
aucune manière cette opinion de la section centrale. Dans les endroits où la
récolte a été la plus satisfaisante, je crois qu'elle n'a pas été des trois
quarts d'une bonne récolte.
En
général, on peut dire qu'elle n'équivaut qu'à une demi-bonne récolte. Si dans
quelques localités elle équivaut aux trois quarts d'une bonne récolte, c'est
assurément le maximum.
Les
cultivateurs qui ont récolté une partie de grains, plus que suffisante pour la
consommation des personnes de leur ménage, n'y trouvent aucune ressource. Les
pommes de terre étant perdues, ils sont obligés d'employer leurs grains à la
nourriture de leur bétail. Si le prix du bétail était un peu élevé, ils
trouveraient là une espèce de compensation.
Malheureusement,
il n'en est rien ! Le bétail est aujourd'hui à vil prix. Le prix des bœufs
maigres, des bouvillons et des génisses a baissé de 50 p. c. ; celui des vaches
laitières a baissé de 20 à 30 p. c ; celui des cochons maigres a baissé certainement
de 60 p. c.
M. Eloy de Burdinne. - On les donne pour rien.
M.
de Corswarem. - Voilà donc encore une grande
ressource totalement enlevée aux cultivateurs.
Cet
état de choses sera cause que les cotes irrécouvrables monteront à un chiffre
très élevé l'année prochaine.
Les
importations considérables de céréales qui ont été faites dans le pays viennent
heureusement dissiper toute crainte de disette jusqu'à la récolte prochaine.
Mais
si la récolte prochaine est bonne, comme je le souhaite bien ardemment, nous
sommes certains que lorsque le cultivateur pourra apporter des grains au
marché, il ne pourra les vendre, à cause du bas prix auquel ils seront alors ;
il sera obligé d'attendre jusqu'après l'hiver suivant, s'il veut seulement en
obtenir le prix de revient.
J'applaudis
à la générosité de l'honorable comte de Mérode. Cet honorable membre ne laisse
passer aucune occasion, sans montrer toute la générosité de son caractère. Mais
quelquefois il se laisse aller un peu trop loin. C'est ce qu'il a encore fait
aujourd'hui en faveur des Flandres.
Il
voudrait que les deux millions accordés au gouvernement dans l'intérêt des
classes pauvres, fussent employés exclusivement dans les Flandres. Si la misère
n'était que là, je partagerais entièrement son avis. Mais il y en a dans toutes
les provinces. Dans celle dont je représente un district, je pourrais citer une
localité où les habitants sont aussi malheureux que dans quelque autre partie du
pays que ce soit. Ce sont les riverains de la vallée du Demer, dont les
propriétés ont été inondées deux ou trois fois, dans le courant de l'année, et
qui ont perdu, non seulement les pommes de terre, mais encore les céréales, les
navets et tous les autres fruits que les Flandres ont encore conservés. Ceux-là
ont droit à la bienveillance du gouvernement à un aussi haut degré que la
partie la plus malheureuse de la population du pays.
L'honorable
député de Bruxelles nous a proposé un système nouveau d'impôts ; si ce système
était soumis à nos délibérations, nous l'examinerions, et je suis bien certain
qu'alors beaucoup des résultats qu'il a indiqués viendraient à tomber ; il y a,
par exemple, des mesures qui, au premier abord, paraissent équitables et qui changent
complétement d'aspect quand on les examine attentivement.
L'honorable
membre demande un droit de succession en ligne directe sur les préciputs. Tout
homme qui a l'expérience des affaires sait qu'il existe deux espèces de
préciputs. Celui qu'il a appelé majorat, est un véritable préciput ; et si on
pouvait lui faire payer un droit, j'y applaudirais de grand cœur ; mais il en
est un autre qui consiste en une avant-part que les parents laissent à
quelques-uns de leurs enfants en compensation de ce qu'ils ont donné à
d'autres.
Personne
n'ignore que quand des enfants sont établis ils ont souvent recours à leurs
parents pour demander des fonds en avancement d'hoirie ; pour éviter les frais
qu'entraîne la constatation de ces avancements d'hoirie, (page 310) et pour ne pas le porter à la connaissance du public, les
parents se bornent à laisser, par préciput, une portion égale aux enfants qui
n'ont rien reçu, pour les mettre sur le même pied que ceux qui ont réclamé un
avancement d'hoirie. Pour distinguer ce préciput de celui qu'on appelle
majorat, je ne sais quel moyen on pourrait adopter.
L'honorable
comte de Mérode voudrait, lui que l'héritier unique payât un droit de
succession ; cela serait encore juste et équitable si l'héritier unique
héritait plus que des héritiers en grand nombre. On sait que quelquefois le
sixième ou le dixième d'une succession est plus considérable que toute la
succession recueillie par un héritier unique. Voilà encore une idée qu'on ne
peut guère ranger parmi celles qui sont susceptibles d'être mises en pratique.
M.
de Mérode. - C'est en proportion.
M.
de Corswarem. - L'honorable M. Verhaegen est revenu, je ne sais pour la quantième
fois, sur la réduction à un demi pour cent du droit de 2 p. c. qui frappait les
ventes d'arbres et de bois. J'ai déjà eu l'honneur de lui expliquer la cause de
cette réduction. Quand la loi du 2 frimaire an VII a été portée, il y avait
beaucoup d'arbres dans les forêts qui avaient appartenu à des corporations, à
des majorais et à d'autres établissements de mainmorte, qui jusque-là n'avaient
rien payé à l'Etat. En les soumettant à la contribution foncière, on frappait
bien le fonds, mais non ce qui le garnissait. Pour atteindre cette dernière partie
de la propriété, on a établi un droit d'enregistrement de 2 p. c. sur les
ventes d'arbres et de bois. Depuis, les arbres qui couvraient ces propriétés
ont disparu. Et la vente de ceux qui existent encore aujourd'hui en plus petit
nombre ne produirait plus que des droits d'enregistrement insignifiants.
En
1822, le gouvernement des Pays-Bas a jugé à propos de ne plus faire payer le
droit de 2 p. c. par les ventes d'arbres venus sur un terrain qui a payé tous
les ans la contribution foncière et tous les autres impôts qui frappent la
propriété.
Ce
droit n'était pas seulement applicable aux arbres, mais encore aux fruits
pendant par racines : ceux de ces fruits qui sont le plus souvent vendus
publiquement appartiennent presque toujours à de petits cultivateurs ou à des
personnes qui sont dans une position malheureuse.
Les
fermiers, obligés d'abandonner leurs exploitations, laissent pour garantie à
leurs propriétaires leur part des fruits pendant par racine. Le propriétaire
prélève sur ces ventes ce qui lui revient pour fermages du fonds, et celui qui
a semé ne retire que la différence entre sa dette et le produit de la vente ;
si vous frappes cette vente d'un droit, c'est encore le malheureux qui le
payera, et ce n'est pas celui-là que l'honorable députe de Bruxelles veut
atteindre en rétablissant le droit de 2 p. c. qui a été réduit à 1/2 p. c.
Vous
savez tous, messieurs, que tous les ans on signalait comme matière éminemment
imposable le tabac ; on faisait un reproche au gouvernement de ne pas imposer
cette marchandises. Mais aussitôt que le gouvernement a proposé un droit sur le
tabac, de telles clameurs se soit élevées, une telle opposition s'est
manifestée, qu'il a été rejeté à une grande majorité.
Si
le gouvernement proposait d'établir un droit sur les successions en ligne
directe, d'augmenter le droit d'enregistrement sur les ventes de fruits pendant
par racine, il rencontrerait une opposition non moins forte que celle qu'a
rencontrée la loi sur les tabacs. S'il était permis de ne pas agir
sérieusement, je dirais que, pour se débarrasser de tous ces projets nouveaux,
le gouvernement n'aurait qu'à les présenter ; ils seraient rejetés et jamais
plus on en reparlerait.
Au lieu de changer les bases des impôts établis, il
serait préférable de les conserver, mais en s'appliquant à les répartir avec le
plus d'équité possible, en les dégageant de ce qu'elles ont d'arbitraire et de
vexatoire. Les populations s'effrayent toujours de tout impôt nouveau ;
lorsqu'elles sont habituées aux impôts existants, il faut les conserver et
tâcher de les rendre plus légers.
Le
but que nous devrions chercher à atteindre, c'est la suppression des centimes
additionnels ; mais il se passera encore quelque temps avant qu'on puisse y
parvenir. En attendant je fais des vœux pour que leur suppression arrive le
plus tôt possible. Si on la proposait et qu'il fut démontré qu'il n'y aurait
pas d'inconvénient à l'adopter, je m'engage dès à présent à appuyer la
proposition de toutes mes forces.
M. de Roo. - J'applaudis beaucoup à
la sage réserve de M. le ministre de l'intérieur ; mais dans l'occurrence cette
sage réserve ne suffit pas, il faut quelque chose de plus explicite, de plus
concluant. Je persiste donc à demander au gouvernement, ou à l'un ou l'autre
des ministres, de vouloir s'expliquer sur les mesures qu'il entend prendre pour
venir au secours de nos classes ouvrières, afin d'atténuer la misère qui
afflige principalement et plus particulièrement les Flandres.
Messieurs,
les communes se sont épuisées en secours accordés, les particuliers également,
c'est maintenant au gouvernement à apporter son tribut, sur lequel on compte.
Messieurs,
annuellement on retire des Flandres plus d'un demi-million de revenus,
provenant d'anciennes rentes et obligations des ci-devant couvents et cloîtres,
qui entretenaient, eux, les pauvres, laquelle somme reflue vers la capitale ;
elle y sert au superflu, et à élever des palais, y tenir les pauvres pour ainsi
dire dans l'opulence, leur donner des calorifères dans leurs corridors et leurs
chambres, enfin des domestiques pour leur service ; tandis que dans les
Flandres ils croupissent dans la plus grande misère, ils n'ont pas de quoi se
vêtir, de quoi se nourrir, de quoi s'abriter des intempéries des saisons.
C'est
là, messieurs, un contraste frappant, pour une même classe d'individus. Je
crois que si le gouvernement se faisait rendre compte de tous les revenus de
nos riches hôpitaux, les pouvait centraliser, et ainsi les distribuer
équitablement dans l'intérêt de tous les pauvres en général, il y aurait de
quoi entretenir tous les pauvres du pays.
Le
pauvre ne demande pas des palais, du superflu ; il n'a besoin que de pouvoir
subsister.
Messieurs,
nos dépôts de mendicité sont également encombres, celui de Bruges, qui peut contenir
neuf cents individus, en contient actuellement plus de douze cents ; ils sont
niches jusque sous le loi ; et c'est là, il est vrai, une mesure imprudente
pour les épidémies et le désordre qui pourraient en résulter. Mais force est de
le faire ainsi, vu la grande quantité de pauvres qui y affluent journellement.
Le
fait que vient de signaler l'honorable M. Rodenbach, n'est que trop exact, il
se trouve consigné dans toutes les feuilles de Bruges. Une pauvre femme de
Thielt s'est présentée à la porte de Bruges, accompagnée de quatre enfants en
bas âge Sur la déclaration qu'elle voulait aller au dépôt de mendicité, défense
lui fut faite d'entrer en ville. Sur ce refus, elle répondit en sanglotant,
qu'il ne lui restait qu'une chose à faire, et elle se dirigea vers le fossé du
rempart, pour s'y jeter avec ses quatre enfants. On l'empêcha d'exécuter ce
triste dessein, et on s'empara de la pauvre femme et de ses enfants, et on la
transporta, sur une charrette, accompagnée de la gendarmerie, à Thielt.
On
demande si le gouvernement ouvrira enfin les yeux sur les maux qui affligent
réellement les Flandres.
Je demande, à mon tour, si ce n'est pas au
gouvernement à prescrire des mesures pour mettre fin à un pareil étal de
choses.
Messieurs,
les vieillards, et les enfants peuvent être une charge communale ; mais les
gens valides, les ouvriers, qui ne demandent que du travail pour se procurer
leur existence, doivent être secourus par le gouvernement ; c'est-à-dire, que
c'est le gouvernement, qui doit aider à leur procurer du travail, qui doit
venir au secours des comités de travail, afin de leur procurer le travail
nécessaire pour y trouver leur subsistance. C'est là la tâche qui incombe au
gouvernement.
Et
puisque le gouvernement a maintenant reçu le rapport du comité institue par lui
pour organiser le travail, qu'il en connaît les conclusions ; nous insistons
pour qu'il s'explique relativement aux mesures qu'il est intentionné de
prendre.
M.
de La Coste. - Je voulais dire quelques mots sur ce droit de succession en ligne
directe ; je croyais pouvoir me taire sur cette question, parce qu'il me semble
qu'il y a beaucoup d'inconvénients à traiter incidemment des questions de cette
nature. Cependant comme plusieurs orateurs l'ont encore traitée, je crois
devoir faire observer à la chambre que cette proposition, dans l'étal de noire
législation, tendrait à cumuler tout ce qu'il y a de plus fiscal dans deux
législations qui partent d'un principe opposé, la législation hollandaise et la
législation française ; en deuxième lieu, elle tendrait à aggraver la charge
qui pesé sur les seuls individus qui par la nature de leur fortune sont
atteints par l'impôt, en laissant en dehors ceux qui ne payent rien ; en troisième
lieu elle rétroagirait sur une foule de transactions faites sur la foi d'une
législation qui nous a régis pendant 25 à 50 ans. Je crois comme l'honorable M.
de Corswarem que si une pareille proposition était faite elle rencontrerait une
grande opposition. Je dis ceci pour qu'on ne prenne pas le silence d'un grand
nombre de membres pour un acquiescement.
Je ne suis pas disposé à appuyer les amendements
qui tendent à rejeter une partie des centimes additionnels soit sur le foncier,
soit sur d'autres objets, parce que, dans l'état actuel des choses, nous devons
laisser au gouvernement les ressources dont il peut disposer. Je demanderai au
ministre si son intention est, s'il serait possible d'accorder un dégrèvement
non aux gros fermiers, mais aux très petits cultivateurs dont la récolte a
manqué, aux petits cultivateurs qui cultivent un hectare, un demi-hectare, et
qui ayant planté cette étendue de terrain en pommes de terre, n'ont absolument
rien, ni pour payer leurs loyers et leurs impôts, ni pour vivre.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je répondrai à deux observations qui
m'ont été faites par l'honorable préopinant, l'une à la séance d’hier, l'autre
à l'instant même.
La
première observation se rapporte à un paragraphe du discours d'introduction des
budgets. L'honorable membre a cru que le gouvernement, en se prononçant sur la
législation relative aux bières, avait menacé cette grande industrie. Non,
messieurs, le gouvernement, frappé comme la législature de la diminution du
produit de l'accise sur les bières, s'est borné à dire que son attention se
porterait sur les faits, qu'il les constaterait, et I qu'une fois que l'on
serait rentré dans les circonstances normales, il verrait quelles sont les
mesures qui peuvent être prises pour concilier les intérêts de cette industrie
avec ceux du trésor.
Pour être plus explicite, messieurs, je dirai que lorsque le prix des
céréales sera retombe à un taux normal, je me propose de réunir une commission
dans laquelle cette industrie importante sera largement représentée, afin
d'examiner si, comme je le pense, cette conciliation des intérêts est possible.
Cette industrie, que mon intention est de représenter dans la commission, ne
doit donc pas s'effrayer du paragraphe qui se trouve dans le discours
explicatif des budgets.
Quant
au dégrèvement à accorder sur les contributions directes pour l'année courante,
je reconnais, messieurs, toute l'équité d'une pareille mesure. Mais je n'hésite
pas à dire que dans l'application il y aurait une impossibilité absolue. Il
s'agirait, en effet, d'accorder des dégrèvements à raison de faits qui n'ont
pas été constatés et qui devraient l'être rétroactivement, et il s'agirait de
constater ces faits pour des milliers de contribuables. Si ce système pouvait
prévaloir, je ne sais où le gouvernement s'arrêterait, je ne sais où seraient
les garanties contre les fraudes inévitables.
M. Lys. - Messieurs, je ne me
proposais pas de prendre la parole (page
311) dans la discussion générale. Mais les observations de l'honorable
comte de Mérode me forcent à venir vous dire quelques mots de la position du
district auquel j'appartiens.
Cet
honorable membre a engagé le gouvernement à employer exclusivement les deux
millions mis à sa disposition, pour venir au secours des Flandres. Il m'est
impossible, messieurs, d'appuyer cette invitation au gouvernement, car ce
serait par là reconnaître que les Flandres ont seules besoin de secours.
Je
crois, messieurs, que ce n'est pas le moment de venir discuter en séance
publique les questions de misère, comme on l'a fait jusqu'ici. Je pense que
lorsqu'on est à la veille de renouveler un traité ou au moins de le ratifier,
il eût mieux valu que ceux qui avaient des observations à faire sur la
situation de leur district, se rendissent dans le cabinet des ministres et leur
fissent part de leurs observations, de la nécessité qu'il y avait de venir au
secours de ces districts.
M.
Vanden Eynde. - C'est très juste.
M. Lys. - Messieurs, je n'en
dirai pas davantage sur ce point. Mais je dois déclarer à l'honorable comte de
Mérode qu'il y a des districts ou des parties de district qui sont tout aussi
malheureux qu'on dit les Flandres. Je vous citerai Verviers et ses environs.
Ces localités ont autant d'ouvriers agglomérés que peuvent en avoir les
Flandres, proportion gardée. Cependant la fabrique des draps de Verviers est
depuis plus de six mois dans une position souffrante, position qu'il faut
attribuer à la cherté des vivres qui cause une mévente sur le marché.
Nous
avons entendu un honnête député de Gand venir nous dire que la situation des
fabriques à Gand était dans un état prospère. Le ministère ne sait-il donc pas,
nous a-t-il dit, que la prospérité industrielle dont nous jouissons depuis un
an, est précisément due au défaut de concurrence de la part de l’Angleterre ?
Depuis
six mois, nous ne sommes pas assez heureux pour en dire autant de Verviers et
de ses environs. Cela vous prouve, messieurs, que Verviers a aussi besoin de
secours que les villes de la Flandre.
J'ai
entendu dire hier, messieurs, que les cultivateurs des Flandres ne pouvaient
vendre leurs grains, parce qu'ils étaient obligés de s'en nourrir ; j'ai
entendu dire aussi qu'ils étaient réduits à se nourrir de navets et de
carottes. Mais, messieurs, dans la partie ardennaise du district de Verviers,
le terrain ne permet de cultiver ni navets, ni carottes ; on ne peut y cultiver
que des pommes de terre et quelque peu d'avoine. Ce sont là toutes les ressources
des cultivateurs de Jalhay et des communes environnantes. Or, ils ne peuvent
pas se nourrir de pommes de terre, ils ne peuvent non plus venir les vendre au
marché de Verviers comme ils le faisaient les années précédentes, car dans ces
localités la récolte des pommes de terre non seulement n'y est pas d'un
cinquième comme dans quelques autres provinces, mais n'y est pas même d'un
vingtième. Aussi, messieurs, ces communes sont-elles dans le plus pressant
besoin, et je crois que j'ai plus de motifs pour parler en leur faveur que n'en
ont eu d'honorables préopinants pour parler en faveur des Flandres.
Vous voyez donc, messieurs, que l'opinion de
l'honorable comte de Mérode est une véritable utopie.
M.
de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Lys. - Messieurs, la ville de
Verviers reconnaît qu'elle n'a droit qu'à une part des deux millions qui ont
été mis à la disposition du gouvernement, et que cette somme doit être partagée
entre toutes les villes et les communes qui ressentent les effets de la
calamité qui a affligé le pays. Mais cette part, elle l'attend avec impatience.
Jusqu'ici le petit nombre de famines riches que renferme cette ville, ont, par
une généreuse assistance, soutenu la classe malheureuse ; et je citerai, pour
stimuler la charité des nombreuses familles riches qui habitent nos grandes
villes, M. Armand Simonis, industriel, qui a envoyé au bureau de bienfaisance
une traite de 10,000 fr. sur son banquier, et je suis persuadé qu'il ne bornera
pas même ses dons à ce grand acte de bienfaisance ; qu'il aura des imitateurs
dans sa famille. Mais, je dois le dire, les besoins sont si grands, que les
subsides du gouvernement sont attendus avec une vive impatience.
M.
de Mérode. (pour un fait personnel). - Messieurs, on m'a signalé comme ayant fait
une motion qui est insoutenable. Je ne viens pas la défendre. Je déclare que si
dans le pays il est quelques localités malheureuses qui n'appartiennent pas aux
Flandres, je ne prétends pas les exclure. J'ai parlé d'une manière générale, el
je crois qu'il faut convenir qu'en général, c'est dans les Flandres que la
misère est la plus grande.
M. Osy. - Messieurs, je voudrais
pouvoir appuyer les réductions qui sont proposées sur le budget des voies et
moyens, mais le chiffre des dépenses n'étant pas encore connu, je crois que
nous devons, cette année, nous abstenir de réduire les recettes. Je saisirai
cette occasion pour exprimer mon regret de ce que depuis plusieurs années, nous
votons les recettes avant d'avoir fixé les dépenses. C'est la une grande
irrégularité, et j'engage beaucoup M. le ministre des finances a examiner si,
dans le courant de cette session, il ne pourrait pas présenter les budgets des
dépenses de 1847 en temps utile pour que nous puissions les voter avant de nous
séparer, de manière à n'avoir plus à nous occuper, à l'ouverture de la session
prochaine, que du budget des voies et moyens. Alors, messieurs, nous connaîtrions
nos dépenses et nous pourrions tuer nos ressources en conséquence.
J'ai
entendu faire la critique de plusieurs de nos lois d'impôt, et entre autres des
lois sur la contribution personnelle et sur les patentes, ainsi que de la loi
sur le débit des boissons distillées. Certainement, messieurs il y aurait
beaucoup à faire en ce qui concerne les deux premières de ces lois, et je
regrette que M. le ministre des finances n’ait pas pris l'engagement d'en
proposer la révision dans la session actuelle. Quant à la loi sur les boissons
distillées, il n'y a qu'une opinion dans la chambre pour reconnaître qu'elle
doit être révisée dans le plus bref délai possible, car les petits débitants
payent autant que ceux dont la vente est considérable. On pourra très bien répartir
cet impôt d'une manière équitable, tout en conservant au trésor un revenu d'un
million.
On
a parlé aussi de la loi sur les successions, mais je n'entrerai pas maintenant
dans des détails à cet égard. Il est certain que le trésor a beaucoup perdu par
suite de l'abolition du serment. J'avais proposé, il y a quelques années, de le
rétablir ; mais cette motion n'a pas eu d'écho dans cette chambre, et
certainement je ne la reproduirai pas. Il y aurait cependant quelque chose à
faire sous ce rapport, car les successions ne produisent presque plus rien au
trésor. Les fonds publics au porteur, par exemple, qui se trouvent dans une
succession, sont maintenant considérés comme ayant été abandonnés, avant la
mort de celui dont la succession est ouverte ; cela est envisagé comme une
donation entre vifs.
Cependant
les fonds publics sont aujourd'hui un objet très important et ce sont
précisément là les valeurs qu'il faudrait frapper le plus fortement.
Anciennement, tous les fonds publics étaient en nom, et alors on pouvait les
faire payer, mais aujourd'hui la plupart des obligations sont au porteur et il
est impossible de les atteindre. Je demanderai à M. le ministre des finances,
s'il n'y aurait pas un moyen d'imposer cette partie considérable de la fortune
publique.
Je
ne puis partager l'opinion de l'honorable M. de Mérode, en ce qui concerne le
droit à établir sur les successions en ligne directe, surtout dans les familles
où il n'y aurait qu'un seul héritier ; mais, comme l'a très bien dit
l'honorable M. Verhaegen, nous devrions au moins frapper les préciputs.
Le
budget présenté par M. le ministre des finances offrait un excédant d'environ
200,000 fr., mais je partage l'opinion de la section centrale, que les
évaluations relatives aux bières et aux sucres, par exemple, sont trop élevées,
et qu'il faut les réduire au moins de 400,000 fr. Il y aurait donc un déficit
de 200,000 fr. à peu près. Si donc nous ne voulons pas rompre l'équilibre entre
les recettes et les dépenses, nous ne pouvons pas voter la suppression des
centimes additionnels proposée par l'honorable M. Savart. J'aurais vivement
désiré pouvoir adopter cette proposition, mais je crois que, dans l'état actuel
de nos finances, la chose est impossible.
En
ce qui concerne les bons du trésor à émettre, je prierai M. le ministre des
finances d'examiner ce que dit la section centrale, à la page 4 de son rapport.
Il paraît que le gouvernement a perdu de vue que les 2 millions votés dans
notre session extraordinaire doivent être ajoutés au déficit, qui serait ainsi
porte de 14 millions et 1/2 à 16 millions et 1/2.
Je crois, messieurs, que vous serez obligés de
repousser toutes les augmentations de dépenses qui vous sont proposées, et
cette opinion est partagée par toutes les sections. Déjà la section centrale du
budget des finances a rejeté toutes les nouvelles dépenses portées à ce budget,
à l'exception d'une bagatelle de 200 francs. Je crois que la même marche sera
suivie pour tous les autres budgets, et la chose est indispensable en présence
du déficit que présente notre situation financière.
Je
demanderai à M. le ministre des finances un mot d'explication sur la question
de savoir si les deux millions votés au mois de septembre ne doivent pas, dans
son opinion, être ajoutés au déficit des 14 millions et 1/2.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - En effet, messieurs, dans le cours de cette
discussion je n'ai pas pris l'engagement de réviser immédiatement plusieurs de nos
lois d'impôt les plus importantes. C'est que je suis profondément convaincu que
les réformes à faire dans les lois d'impôt exigent une très grande prudence,
une très grande circonspection. Outre les motifs que j'ai déjà fait valoir pour
démontrer la nécessité de cette prudence, de cette circonspection, il en est un
très important au point de vue des intérêts du pays ; notre système d'impôt se
lie intimement à notre système électoral, et telle réforme d'impôts,
préconisée, par exemple, par l'honorable M. Verhaegen, équivaudrait à un
changement complet de l'organisation politique du pays. D'autres réformes moins
vastes auraient cependant aussi des effets qu'il faut bien peser avant de les
aborder.
En
faisant cette observation, je n'entends nullement me déclarer partisan de
l'immobilité de nos lois d'impôt, mais je dis qu'avant de proposer des
innovations en cette matière, le gouvernement doit poser mûrement toutes les
conséquences qui peuvent en résulter, non seulement au point de vue financier,
mais encore au point de vue d'autres intérêts qui, certainement, ne sont pas
non plus sans importance.
Les
intérêts politiques ne sont pas les seuls qui se lient aux lois d'impôt ! Il
est de ces lois, la loi sur les successions par exemple, qui se lient
intimement à l'état des fortunes privées, à l'existence même de la famille. Ce
serait se tromper étrangement que de voir seulement le côté financier dans les
lois d'impôt. Ces lois ont des rapports avec d'autres intérêts tout aussi
importants au moins que l'équilibre entre les recettes et les dépenses de
l'Etat.
L'honorable
membre a demandé si je ne connaissais pas un moyen d'atteindre d'une manière
complète les fonds publics Je lui répondrai naïvement que non, et s'il
connaissait ce moyen, il rendrait au gouvernement un très grand service en le
lui indiquant.
Il
ne faut, du reste, pas croire qu’on ne paye plus rien du chef des fortunes
mobilières. La suppression du serment a atténué pendant quelques années les
produits ; cependant, disons-le à l'honneur du pays, la fraude n'a pas
l'étendue qu'on lui attribue quelquefois, et la preuve en est dans les produits
que le trésor réalise sur les droits de succession. L'honorable membre ajoute
que notre budget soldera en déficit. Messieurs, (page 312) cela n'est pas encore démontré. Je ne me rallie pas aux
réductions proposées par la section centrale et, lorsque nous en viendrons à
ces réductions, j'espère démontrer à la chambre qu'elles ne doivent pas être
faites ; si la chambre partage cette opinion, l'équilibre pourra être maintenu.
J'applique la même observation aux prévisions que forme l'honorable membre
relativement aux réductions qu'il croit que la majorité de la chambre opérera
sur les dépenses. Nous discuterons les propositions qui sont faites à cet
égard, et je crois qu'il est impossible et à d'honorable membre et. à la
majorité de la chambre de prendre, dès à présent, l'engagement de repousser
systématiquement toutes les augmentations de dépenses qui sont demandées.
Les
dépenses ainsi que les recettes seront discutées, mais on ne peut pas établir
un préjugé contre les augmentations de dépense qui seront, je pense, pleinement
justifiées.
L'honorable membre a perdu de vue les explications
qui .ont été données dans la session extraordinaire sur l'imputation du crédit
de 2 millions. Deux moyens se présentaient alors pour couvrir cette dépense :
ou une émission de bons du trésor ou l'imputation directe sur le budget de
1845. D'après les faits connus à cette époque, nous pouvions espérer (et les
faits postérieurs ont justifié cette prévision), nous pouvions espérer un
excédant considérable sur l'exercice de 1845, et, d'un autre côté, nous avions
l'espoir que les crédits portés au budget ne seraient pas entièrement dépensés.
Dès lors, au lieu de demander à la chambre l'autorisation d'émettre des bons du
trésor, j'ai fait remarquer que ces deux millions pouvaient être imputés
directement sur l'exercice de 1845, que les ressources de cet exercice seraient
suffisantes, mais que, par suite de cette imputation, l'exercice de 1845 n'influerait
que peu ou n'influerait pas sur la situation générale du trésor.
M.
d’Elhoungne. (contre la clôture.) - Messieurs, je n'avais qu'une seule observation
à faire, c'était pour adresser une interpellation à M. le ministre de
l'intérieur sur les explications qu'il a données tout à l'heure. Je pense que
la chambre doit me permettre de faire cette interpellation.
M.
de Haerne. - Je désirerais aussi faire une interpellation à M. le ministre de la
justice ; c'est pourquoi je demande que le débat continue encore pendant
quelques instants.
M.
de Villegas. - Je m'oppose aussi à la clôture, attendu que j'ai également à faire
une interpellation. Cette interpellation serait tout à fait opportune, et je ne
pourrais pas la présenter dans la discussion des articles.
-
La chambre décide que la discussion continue.
M.
Savart-Martel. - Messieurs, les centimes additionnels dont je demande la suppression,
sont des centimes extraordinaires qui n'ont été mis que provisoirement en 1833,
dans des circonstances qui n'existent plus.
Nous
devons cet allégement à l'opinion publique, si tant est qu'on soit forcé à
maintenir la loi odieuse qui concerne la contribution personnelle et la
contribution des patentes. Je doute beaucoup du succès d’après ce que je viens
d'entendre, mais je fais ici le sacrifice de mon amour-propre pour satisfaire
au cri de ma conscience. Du reste, en faisant cette proposition, c'est avec
l'opinion que sur les dépenses préavisées, on trouvera facilement à compenser
la différence ; si l'on veut enfin ne pas confondre les dépenses nécessaires
avec celles seulement utiles.
Messieurs,
nous n'avons fait qu'une demi-justice en venant au secours des ouvriers et des
indigents ; mais la classe voisine de celles-ci mérite aussi quelques
considérations.
Quant à moi, je crois que vous recevrez plus
facilement ces contributions avec la remise de 10 p. c, que si vous maintenez
ces additionnels.
Qu'il
me soit permis, messieurs, de finir par une observation que me suggère le
discours que je viens d'entendre.
Vous
avez fait (et je suis loin de m'en plaindre) de grands sacrifices en faveur des
Flandres, à cause de l'industrie linière. Mais une partie du Hainaut avait
aussi cette industrie. Je citerai, entre autres, le canton d'Ellezelles. Est-il
juste que des communes, séparées des Flandres uniquement par une ligne
intellectuelle, ne soient point traitées avec la même faveur que le habitants
voisins, uniquement parce qu’ils appartiennent à une autre provinces ?
J'appelle sur cette position l'attention de L'honorable ministre de
l'intérieur.
M.
d’Elhoungne. - Messieurs, je m'associerais jusqu'à un certain point au reproche
d’imprudence que l'honorable M. Lys a adressé aux députés des Flandres, si la
misère qu'ils ont signalée à l'attention de la chambre et du gouvernement,
était due à une cause permanente, et non à des circonstances exceptionnelles, à
des circonstances auxquelles les négocia-tiens diplomatiques et les traités qui
en sont la suite, ne peuvent apporter aucun remède immédiat.
Les
députés des Flandres qui ont soulevé cette discussion, plus pénible, plus
douloureuse pour eux que pour leurs collègues ; ces honorables députés ont obéi
à un sentiment qu’ils ont clairement exprimé : c'est qu'ils pensaient que le
gouvernement n'était pas assez informé, pas assez convaincu du degré où la
misère est parvenue dans les Flandres. Cette opinion, que ces honorables
membres sont venus exposer, existe malheureusement parmi toutes les populations
des Flandres.
Là,
messieurs, on est généralement persuadé que le gouvernement et les chambres
ignorent la misère profonde et sans exemple qui pèse aujourd'hui sur nos deux
provinces.
C'est
à cette occasion et pour ce motif que je dois adresser à M le militaire de
l'intérieur l'interpellation que j'ai annoncée. M. le ministre de l'intérieur a
fait ressortir avec beaucoup d'insistance que le gouvernement devait apporte :
une grande réserve dans ses communications avec le pouvoir législatif au milieu
des circonstances difficiles où nous nous trouvons. Mais je pense, messieurs,
que M. le ministre de l’intérieur a poussé sa réserve trop loin. En présence de
ce sentiment généralement répandu dans les Flandres, que le gouvernement et les
chambres ignorent la véritable situation des choses, il me semble que M. le
ministre de l'intérieur aurait dû nous rassurer, qu'il aurait dû laisser tomber
du haut de cette tribune quelques paroles d'encouragement et d'espoir pour ces
malheureuses populations qui se débattent contre la misère et la faim ; qu'il
aurait dû annoncer à nos malheureux concitoyens que le gouvernement n'étudiait
pas seulement d'un œil attentif leurs besoins et leur position, mais qu'il
avait encore plus que personne le sentiment des immenses devoirs qu'il a à
remplir ; en un mot, que le gouvernement faisait de la situation des Flandres
l'objet de sa sollicitude constante, et qu'il était décidé à user de tous les
moyens praticables pour venir au secours de ces provinces.
Ces paroles, je prie M. le ministre de l'intérieur
de ne pas nous les refuser, avant notre retour dans nos foyers ; afin qu'il
nous soit permis au moins de dire à nos commettants qu'il y a au pouvoir des
hommes qui connaissent leur misère, qui ont les yeux fixés sur leurs
souffrances, qui veillent sur leur avenir, et qui leur permettent d'espérer.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, j'ai eu un
grand tort, je l'avoue, et je vais le réparer. J'ai parlé à la chambre avec
trop de concision, je me suis borné à lui dire que le gouvernement agissait.
J'ai pensé, messieurs, que ce simple mot en disait plus que toutes les paroles
que l'honorable préopinant exige de moi. J'aurais pu sans doute, en cherchant à
imiter son improvisation chaleureuse, en m'animant de ses sentiments
philanthropiques ; j'aurais pu, dis-je, donner à cette parole des
développements qui auraient peut-être provoqué des applaudissements sur ces
bancs ; mais la réserve dans laquelle je me renfermais, m'a imposé cette
concision de langage que j'espérais voir comprise par l'honorable préopinant.
Messieurs,
dans la misère publique, il y a deux phénomènes frappant d'ordinaire les
observateurs. Il y a l'impression que donne le spectacle de la misère, il y a
la connaissance plus froide de cette misère. Entre les honorables députés des
Flandres et le gouvernement, il y a précisément cette différence qu'ils sont,
eux, sous l'impression immédiate de la misère qui frappe leurs yeux, et qu'ils
en ont ainsi un sentiment plus vif, plus saisissant en quelque sorte. Mais,
messieurs, le gouvernement placé à distance, et moins ému que ces membres, n'en
a pas moins la connaissance approfondie de cette misère, pour n'être point sous
cette impression immédiate, il n'en a pas moins étudié à fond l'état des
choses.
Messieurs,
vous avez parmi vous des administrateurs habiles et éclairés qui jouissent à la
fois de la confiance du gouvernement et de l'attachement de leurs administrés.
Ces hauts fonctionnaires n'ont pas manqué à leur devoir envers le gouvernement,
envers les provinces dont l'administration leur est respectivement confiée ;
ils ont rendu au gouvernement un compte exact et détaillé de la situation de
leurs provinces. Si nous sommes éclairés sur la misère publique, c'est grâce
aux renseignements qu'ils ont fournis, et c'est aussi d'après leurs données que
le gouvernement agit.
Je pense, messieurs, que cette explication paraîtra
suffisante à la chambre. L'honorable préopinant lui-même a reconnu que nous
devions nous renfermer dans une extrême réserve. Cette réserve nous était
d'autant plus commandée que si quelques députés des Flandres demandaient, avant
de retourner dans leurs foyers, des explications propres à tranquilliser leurs
commettants, d'autres députés de la même province déclaraient avoir, dans les
projets du gouvernement, une confiance illimitée, déclaration à laquelle nous
avons été très sensibles et que nous saurons justifier pleinement.
M.
de Haerne. - Messieurs, mon intention n'est pas de forcer MM. les .ministres à
nous exposer dans tous ses détails le plan qu'ils ont conçu pour faire face à
la situation. Je ne veux pas leur demander de s'expliquer sur tous les moyens
qu'ils croient devoir employer pour soulager la misère publique ; je pense
aussi que les administrations qui possèdent la confiance du gouvernement et des
populations doivent avoir donné à MM. les ministres des renseignements exacts
sur la situation. Il n'en est pas moins vrai que dans le pays en général, et
dans les Flandres, en particulier, on est dans une incertitude complète ; on
perd courage, parce qu'aucune explication ne part du pouvoir ni de la chambre.
C'est un état d'incertitude qu'il est de l'intérêt de la chambre, et du
gouvernement avant tout, de faire cesser.
Et
c'est pourquoi, messieurs, nous croyons, en acquit de notre conscience, pouvoir
adjurer le gouvernement de nous faire connaître au moins quelques-unes des
mesures qu'il a prises, et qui puissent au moins donner aux populations la
garantie qu'elles ne seront pas abandonnées.
Il
y a d'autres raisons qui nous engagent à rompre le silence ; c'est que, d'après
les rapports qui ont déjà eu lieu entre le gouvernement et diverses
administrations locales, il paraîtrait que le gouvernement a adopté, sa moins
partiellement, un système de distribution de fonds qui ne rencontre aucune
sympathie. Le gouvernement ferait sur les deux millions des prête, au lieu de
dons gratuits. Ce système est généralement désapprouvé. Je vais en donner la
raison.
Si
le gouvernement adopte ce système au lieu de soulager la misère là où elle
existe, là où elle est le plus intense, les fonds seront donnes aux localités
qui en ont le moins besoin, car il s'agira de savoir si on pourra rembourser :
il n'y aura que les villes, que les communes riches qui pourront se décider à
accepter un prêt avec l'espoir de pouvoir le rembourser, tandis que les
communes peu riches n'oseront pas les accepter, de crainte de ne pouvoir les
rembourser ; vous détournez ainsi les fonds de leur véritable destination.
(page 313) Je sais qu'on insinue, c'est
un bruit qui court, qu'on ne sera pas forcé à la restitution. Mais rien n'est
décidé à cet égard ; on ne connaît pas ce secret, dans les campagnes.
Aussi
longtemps qu'il n'y aura pas de décision positive, on n'osera pas accepter les
prêts dans la crainte de se trouver obéré plus tard. Cette crainte arrêtera
l'élan. J'avais donc des motifs suffisants pour élever la voix et pour demander
des explications aux ministres.
Je
crois qu'il n'y a pour le gouvernement aucun danger à indiquer la voie dans
laquelle il entrera pour soulager la misère des ouvriers, en général, et de
ceux des Flandres en particulier. Il ne s'agit pas de créer de nouvelles
institutions, de recourir à des moyens inusités jusqu'à présent, mais il s'agit
de suivre sur une plus large échelle les voies dans lesquelles l'administration
est entrée précédemment. Quelles sont les voies dans lesquelles on est entré ?
Pour
donner du travail aux ouvriers en général on a eu recours bien souvent aux
travaux publics ; pour ceux qu'occupe l'industrie linière et qui sont dans la
plus grande misère (je parle des Flandres, du Hainaut, de la province d'Anvers,
du Brabant, car là aussi, des ouvriers sont dans la misère à cause de la crise
de l'industrie linière), les moyens à employer sont connus. Vous savez que dans
beaucoup de localités on a institué des comités de travail qui ont produit les
plus grands et les plus heureux résultats, non seulement en améliorant
l'industrie, mais aussi en soulageant la misère, en donnant du travail dans les
communes de 5 à 6 mille âmes, à six ou huit cents ouvriers, qui, sans cela,
eussent été dans la nécessité de recourir aux bureaux de bienfaisance. Ces
institutions existent, le gouvernement n'a qu'à les soutenir qu'à les
fortifier, les développer en donnant des subsides qui seront on ne peut mieux
employés. Tous les jours, ces ouvriers viennent nous assiéger au nombre de 20 à
50. Ils viennent nous demander quoi ? Non l'aumône, mais des rouets de métiers
perfectionnés, en nous assurant que cela leur suffit pour vivre. Et nous
devrons les renvoyer ? Cette position est cruelle pour nous autant que pour
eux.
Le gouvernement
craint d'être débordé par les communes, une fois qu'il entrerait dans cette
voie. Cette crainte est exagérée ; en suivant le système adopté précédemment,
les communes ne seront pas aussi exigeantes qu'on le pense, car on ne leur a
donné des fonds qu'à condition qu'elles intervinssent elles-mêmes pour une
quote-part. Voilà la garantie qu'on a contre les exigences qu'on pourrait
craindre de la part des communes.
On
nous a fait un reproche de montrer ici une sympathie trop vive, en quelque
sorte compromettante, en faveur de la population des Flandres, je dois le dire,
quand on a parlé des ouvriers flamands, je n'ai pas entendu qu'on voulût
exclure les autres ; tous les ouvriers sans travail nous sont chers au même
titre ; membres d'une même famille ils doivent exciter notre sympathie au même
degré comme hommes et comme Belges.
Je
veux que les fonds soient répartis avec la plus grande justice distributive
entre tous les pauvres du pays, je ne veux pas d'exception pour les Flandres ;-
mais une vérité que la chambre reconnaîtra avec moi, c'est que dans les
Flandres, les ouvriers sans travail sont beaucoup plus nombreux que dans les
autres provinces. Voilà pourquoi, toujours au nom de la justice, on a réclamé
pour ses ouvriers flamands une plus large part des fonds que le gouvernement a
à sa disposition. Nous ne voulons pas rechercher où ils sont, mais les soulager
là où ils se trouvent, porter le plus grand secours là où ils sont en plus
grand nombre.
Un
honorable membre vous a dit que si on accordait les deux millions aux ouvriers
flamands, cette générosité de la part de la chambre et du pouvoir ne serait pas
trop grande. Eh bien, je le pense aussi, mais je ne veux pas dire pour cela
qu'il ne faille pas venir au secours des pauvres des autres provinces. Si je me
rappelle bien, quand on a voté les deux millions, d’après ce que j'ai vu dans
les feuilles publiques, car je n'ai pas assisté aux débats, la chambre n'a pas
décidé qu'elle se bornerait à ce secours ; et s'il est reconnu que les fonds
votés sont insuffisants. que de nouveaux secours sont nécessaires, je suis
convaincu que du moment que le gouvernement les demanderait, les chambres ne
feraient pas défaut.
Messieurs,
j'ai dit que je prenais surtout la parole pour faire une interpellation à M. le
ministre de la justice. Vous savez qu'il y a quelque temps, le ministre de la
justice a nommé une commission chargée d'examiner quels sont les moyens de
subvenir aux besoins de la classe ouvrière et de la classe indigente, surtout
dans le moment actuel. Cette commission, dont j'ai l'honneur de faire partie,
s'est réunie à plusieurs reprises ; elle a élaboré un travail. Ce travail a été
discuté, et un rapport a été arrêté. Ce rapport expose toute la situation du
moment ; il appelle l'attention du gouvernement sur les diverses classes de
pauvres qui se trouvent dans le pays, surtout dans le moment actuel. La
commission a très bien compris qu'il fallait faire de la situation de la
Flandre une question spéciale.
C'est
pourquoi la commission appelle l'attention particulière du gouvernement sur la
situation des ouvriers flamands. Elle engage le gouvernement à venir au secours
de cette classe le plus promptement possible, non en créant en leur faveur des
moyens nouveaux, comme je l'ai dit, mais en fortifiant les institutions qui
existent déjà, en venant au secours des comités industriels par des subsides
extraordinaires afin d'étendre le travail plus qu'il ne l'a été, d'encourager
la distribution des matières premières et des outils perfectionnés pour donner
du travail a ceux qui n'en ont pas, pour mettre nos ouvriers à même de soutenir
la concurrence et de gagner la vie.
Je crois pouvoir demander à M. le ministre de la
justice s’il ne serait pas possible qu'il nous donnât non pas aujourd'hui, mais
avant que la chambre se sépare, quelques explications sur le rapport qui lui a
été communiqué et qu'il nous fît connaître quelles sont ses vues à cet égard.
Je
désirerais qu'il voulût s'expliquer et nous dire jusqu'à quel point il approuve
les conclusions de la commission, s'il croit pouvoir les adopter eu tout ou en
partie ou s'il peut au moins nous faire connaître celles qu'il approuve. C'est
une simple demande que je fais, un vœu que j'exprime pour rassurer les
populations qui ont les regards tournés vers nous.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je
ne sais jusqu'à quel point il est convenable de venir parler d'un rapport remis
à un ministre, par une commission dont l'honorable membre fait partie, ce
rapport ne devant recevoir de publicité qu'avec l'approbation du ministre
auquel il est adressé. Ce rapport m'est parvenu hier, j'ai eu à peine le temps
de le lire, c'est dire assez qu'il ne m'a pas été possible de me livrer à un
examen approfondi. Mais je puis déjà dire que ce rapport me paraît contenir
plusieurs vues très sages et très pratiques. La réserve dans laquelle M. le
ministre de l'intérieur a cru avec raison devoir se renfermer, je la garderai
également ; je me refuserai à donner des explications sur les moyens que le
gouvernement compte employer pour venir en aide aux classes laborieuses. Quant
au rapport en lui-même, j'examinerai ultérieurement s'il y a lieu de le publier
ou de ne pas le publier.
Puisque
j'ai la parole, je répondrai à quelques observations qui ont été faites. L'honorable
M. Delehaye m'a critiqué en m'attribuant des intentions qui ne sont pas les
miennes. Déjà, dans une séance précédente, j'ai répondu à une critique
semblable de l'honorable M. Castiau.
Je
n'ai que peu de chose à ajouter aux explications que j'ai données alors.
Je
suis complétement de l'opinion de l'honorable M. Delehaye ; je pense, comme
lui, que si le gouvernement se bornait à établir des dépôts supplémentaires
pour combattre la misère, cette mesure isolée serait déplorable et désastreuse
; mais si je suis d'accord avec l'honorable membre sur ce point, d'un autre
côté il m'est impossible de prendre l'engagement de n'établir dans aucun cas de
dépôt supplémentaire ; la prudence commande au gouvernement d'être en mesure
afin de pouvoir, dans les circonstances données, offrir un asile aux individus
qui se présenteraient. Supposons un chômage dans le travail occasionné soit par
la saison rigoureuse, soit par toute autre cause, n'est-il pas indispensable,
je le demande, que le gouvernement ait des locaux disponibles pour recevoir les
malheureux qui viendraient demander un asile et du pain, que le défaut de
travail les mettrait dans l'impossibilité de se procurer ?
Je
partage, je le répète, l'opinion de M. Delehaye, sur les inconvénients que
présentent les dépôts actuels de mendicité, sur le danger de les multiplier
sans une nécessité urgente ; aussi ai-je fait tous mes efforts pour en diminuer
la population ; les mesures que j'ai prescrites ont eu déjà de bons résultats
au moins dans quelques dépôts. Toutefois, plusieurs dépôts renferment encore
une population tellement nombreuse, qu'il est impossible de l'augmenter, et
cette circonstance fait un devoir au gouvernement de prendre les mesures que la
prudence lui conseille, en organisant éventuellement et temporairement des
locaux supplémentaires, dont il ne sera fait usage qu'à la dernière extrémité
et dans un intérêt d'ordre public comme dans un intérêt d'humanité.
Je
dois maintenant un mot de réponse à M. de Roo. Cet honorable membre, blâmant ce
qu'on faisait pour venir au secours de la classe malheureuse, a parlé des
palais que le gouvernement ferait bâtir dans les villes pour recevoir les
indigents. Je ne sais à quels palais il a voulu faire allusion, mais cet
honorable membre ignore-t-il que les constructions de cette nature sont élevées
par l'administration des hospices, sans l'intervention du gouvernement, qui ne
peut donc mériter de ce chef aucun reproche ?
Les
fonds employés à la construction de ces édifices pourraient, d'après
l'honorable membre, recevoir une autre destination : il faut, d'après lui
centraliser la charité publique, donner des secours aux plus nécessiteux ; mais
tout ce qui appartient aux hospices a été donné dans un but spécial. Détourner
les fonds de la destination indiquée par les donateurs, par les fondateurs des
hospices serait violer la volonté de ces fondateurs, et commettre un acte de la
plus flagrante injustice.
Je
ne répondrai pas à la singulière doctrine de l'honorable M. de Roo : Que la
commune doit des secours aux enfants, aux vieillards aux infirmes, mais que les
hommes valides doivent être à 1a charge de l'Etat ; où l'honorable membre
a-t-il puisé cette distinction ? Je lui dirai du reste que, dans un Etat bien
organisé, les hommes valides ne doivent être une charge pour personne ; ils
doivent à l'aide du travail pourvoir à leurs besoins, et j'ajouterai que le
gouvernement fait tous ses efforts pour que le travail ne manque pas.
Encore
un mot relativement à un point qui a été touché par M. Lejeune. Cet honorable membre
a parlé de faits graves et nombreux qui seraient de nature à inquiéter les
populations, à troubler même la paix publique. Il est vrai que la mendicité en
bandes s'organise dans quelques localités, que des vols assez nombreux ont été
commis. Mais je dois confirmer ce qu’'a dit l'honorable M. Lejeune ; la plupart
de ces vols out eu pour auteurs des repris de justice, et non des malheureux
qui y auraient été poussés par la misère.
La misère n'est souvent qu'un prétexte ; et cela
est si vrai que des vols de récoltes ont été commis par des individus que la
misère était loin d'accabler ; mais qui, exploitant les malheureuses
circonstances où le pays se trouve, ont espéré l’impunité en pensant qu'on
attribuerait à de véritables indigents les vols commis, et qu'on ne ferait
aucune recherche, aucune poursuite.
Au
reste, aucun moyen de surveillance n'est négligé, des patrouilles se font dans
la plupart des communes.
La
gendarmerie est renforcée ; et à l'aide de ces mesures jointes à la vigilance
des autorités administratives et des officiers de police judiciaire, (page 314) je suis convaincu que l’on
parviendra à réprimer les crimes, à arrêter et à en punir les auteurs.
M.
de Haerne. (pour un fait personnel). - M. le ministre de la justice m'a reproché
d'avoir parlé de choses que, selon lui, je n'aurais pas dû mettre en avant.
Pour répondre à ce reproche, il suffira de dire que je n'ai rien révélé du tout
de ce qui s'est passé dans la commission ; j'ai parlé seulement de ce qui est publié
dans tous les journaux de la capitale, y compris le Moniteur. Si cette
publication n'avait pas eu lieu, je n'aurais point parlé de ce qui s'est passé
dans la commission ; mais à cause de cette publicité, j'ai pensé que le
gouvernement devait s'expliquer.
M.
le ministre de la justice m'a mal compris, lorsqu'il a cru que je demandais des
explications immédiates. J'ai dit que je désirais que M. le ministre de la
justice s'expliquât avant que la chambre se séparât. Je n'ai pas demandé que le
travail de la commission fût livré à la publicité, car j'admets qu'il pourrait
peut-être y avoir à cela de l'inconvénient pour le gouvernement ; mais j'ai
demandé si M. le ministre de la justice ne pourrait pas indiquer les mesures
que le gouvernement croirait devoir prendre. En d'autres termes, j'ai demandé
si parmi les idées que les journaux attribuent à la commission, il y en a que
le gouvernement trouve bonnes. Je ne vois en cela ni inconvenance ni
indiscrétion.
M.
de Villegas. - L'interpellation que j'ai à adresser au ministère rentre entièrement
dans les observations très chaleureuses qui ont été présentées par l'honorable
M. d'Elhoungne. Comme je ne puis espérer obtenir de M. le ministre de
l'intérieur une réponse plus catégorique, je renoncerai à la parole, moyennant
toutefois une seule observation.
Dans
la séance d'hier, les députés d'Audenaerde ont été mis en quelque sorte en
demeure de vous présenter le tableau de la misère qui règne dans ce district.
Je
n'apporterai pas dans cette discussion mon contingent de faits, pour vous
démontrer toute l'étendue de cette misère, et de la multiplicité des attentats
contre la propriété qui en sont la suite inévitable. Je me bornerai à déclarer
que cette misère est extrême dans l'arrondissement d'Audenarde et qu'elle est
parfaitement connue du gouvernement.
Je
suis convaincu, pour ma part, que le gouvernement, dans le véritable intérêt de
sa responsabilité, contribuera à venir en aide aux véritables besoins des
populations.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je regrette la publicité anticipée qui a
été donnée aux travaux de la commission qui n'ont été terminés qu'hier. Le
gouvernement avait nommé cette commission pour s'éclairer ; c'était donc à lui
qu'il appartenait de décider si ces travaux devaient ou non être publiés. La
chambre n'est pas saisie de ce rapport, peu importe qu'il ait été publié dans
les journaux.
Plusieurs
membres. - C'est dans le Moniteur même.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, rien n'a été inséré dans la
partie officielle du Moniteur. La chambre ne croit pas, sans doute, qu'il entre
dans mes attributions de vérifier avant l'impression la partie non officielle
de ce journal ; dès lors, je ne suis pas responsable des indiscrétions qu'il
peut commettre.
Le
rapport de la commission, rapport très remarquable, indique quelques mesures
que, d'après la commission, le gouvernement devrait prendre pour venir au
secours de la classe souffrante. J'examinerai avec la plus grande attention les
mesures proposées ; mais je pense qu'il ne sera ni utile ni convenante que je
fasse connaître à la chambre celles que j'adopterai. M. le ministre de
l'intérieur a indiqué les motifs pour lesquels il croit devoir s'abstenir de
donner des explications à ce sujet. Ces motifs ont reçu l'approbation de la
chambre. J'imiterai la réserve de mon honorable collègue. Dans tous les cas,
les mesures ne seront arrêtées qu'après en avoir conféré avec M. le ministre de
l'intérieur, nos deux départements s'étant concertés pour toutes les mesures
qui ont été prises depuis la loi qui met deux millions à la disposition du
gouvernement.
M.
Rogier. -
Les questions soulevées dans cette discussion, ont toutes leur degré
d'importance. Mais aucune ne me paraît avoir plus d'importance et
d'opportunité, que celle soulevée en dernier lieu par tes représentons de deux
de nos provinces les plus populeuses.
A
entendre ces honorables représentants, la misère dans ces provinces serait
arrivée à un état extrême ; ils sont unanimes à cet égard. Les fonctionnaires
publics appartenant à ces provinces, qui, par leur position, sont en mesure
d'apprécier la réalité de la situation, viennent eux-mêmes confirmer les faits
avancés par leurs collègues.
Une
pareille situation mente l'attention la plus sérieuse, non pas seulement du
gouvernement, mais encore du parlement. Il ne suffit pas, dans de pareilles
questions, de se retrancher dans un silence absolu, il ne suffit même point
d'invoquer sa responsabilité éventuelle. Il faudrait, ce me semble, quand les
faits sont réels et sont arrivés à un tel degré de gravité, que le gouvernement
eût à répondre aux chambres autrement qu'en invoquant sa responsabilité.
On
trouve quelquefois, messieurs, que les membres qui soulèvent des questions
politiques, dans cette enceinte, ont tort. On va jusqu'à leur reprocher de
faire de la métaphysique. Les questions politiques ont une haute importance, et
nous ne renonçons nullement à les traiter en temps opportun, mais les questions
matérielles dans lesquelles quelques opinions voudraient que toute l'activité
parlementaire se renfermât, ces questions matérielles, quand elles se
présentent, il ne faut pas non plus les étouffer par le silence. Il faut
pouvoir les aborder franchement et courageusement.
Il
m'est arrivé souvent de garder le silence en présence des plaintes soulevées
par les représentants des Flandres. Je croyais qu'il y avait exagération dans
ces plaintes. J'ai souvent pensé que ces malheurs vus de près parlaient trop
haut aux sentiments des honorables représentants. Mais l'ensemble de ces
plaintes, leur persistance, les renseignements qui de toutes parts nous
parviennent sur l'état des Flandres, toutes ces circonstances, je dois le dire,
ont fait que je m'associe aujourd'hui à ces plaintes parce que je les crois
malheureusement fondées sur la réalité.
Si
tel est, messieurs, l'état d'une grande partie de notre population il importe
au gouvernement, il importe aux chambres d'y vouer toute leur sollicitude, et
non pas seulement de prononcer des discours, mais de passer, s'il le faut, à
des actes.
Le
parlement anglais, messieurs, le gouvernement anglais s'occupent souvent,
s'occupent longuement des intérêts de l'Irlande. La Belgique a-t-elle dans les
Flandres une espèce d'Irlande attachée à ses flancs ? Le mal, je l'espère,
n'est pas arrivé à un pareil degré ; mais s'il existe seulement tel qu'on le
présente, il faut que la Belgique s'occupe des Flandres, comme la
Grande-Bretagne s'occupe de l'Irlande.
Fermer
les yeux, messieurs, sur une pareille situation, se renfermer dans un silence
absolu, être effrayé d'un commencement de publicité donne par le journal
officiel lui-même sur le résultat d'une première enquête, ce n'est pas là ce
qu'on doit attendre du gouvernement. Le gouvernement doit savoir, depuis quatre
mois qu'il est en possession des ressources qu'il est venu nous demander, ce
qu'il en a fait, ce qu'il se propose d’en faire ; et je ne vois pas, pour moi,
où serait le grand danger, où serait la grande indiscrétion de dire : Voilà ce
que nous avons fait, voilà ce que nous nous proposons de faire. Mais loin de
là, messieurs ; jusqu'ici le gouvernement n'a en aucune manière informé la
chambre et par conséquent le pays d'aucun des actes qu'il a posés.
La
somme de deux millions, qui était demandée pour faire face aux circonstances
extraordinaires et malheureuses dans lesquelles nous nous trouvons, ne
suffit-elle pas ? Qu'on le dise. Qu'on réclame une somme nouvelle, en nous
déclarant la destination qu'on entend lui donner. La somme de deux millions, au
contraire, suffit-elle ? Que l'on nous dise en quoi elle suffit, quelle
destination on a commencé à lui donner, quelle destination on se propose de lui
donner encore.
Je
sais, messieurs, que lorsque le gouvernement se présente à vous et vient vous
dire : Prenez garde, ne m'interrogez pas, il y a du danger à répondre ;
beaucoup d'esprits s'associent à cette réserve et croient qu'en effet il y
aurait indiscrétion, il y aurait de grands dangers à parler. Pour moi, dans des
questions de cette importance, dans des questions qui touchent si
essentiellement à l'existence du peuple, je crois qu'il y a plus de danger à se
taire qu'à parler. Je crains qu'il n'y ait dans ce silence, je le déclare, plus
d'impuissance que de discrétion.
Du reste, un pareil silence le refus de faire
connaître la ligne de conduite que l'on a suivie et celle que l'on se propose
de suivre, ne fait qu'ajouter a la responsabilité du gouvernement. Le moment
viendra, messieurs, où il faudra bien qu'on s'explique ; j'espère qu'alors le
gouvernement n'aura pas à regretter d'avoir en quelque sorte esquive la
discussion publique, et repoussé les conseils utiles qui pouvaient en surgir.
Dans
mon opinion, messieurs, la somme de 2 millions est tout à fait insuffisante
dans les mains de l'Etat pour arriver au but qu'on veut atteindre. Avec 2
millions on pourra distribuer d'une manière plus ou moins déguisée quelques
aumônes à un certain nombre de communes. Mais si l'on veut aboutir à un grand résultat,
à un résultat efficace, les deux millions, suivant moi, ne suffiront pas.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je ne m'attendais
pas, à l’occasion de cette discussion, de voir en quelque sorte se renouveler
la discussion politique, et de m'entendre reprocher aujourd'hui d'avoir traité
de métaphysique vague les objections qui nous avaient été faites alors.
A
entendre l'honorable préopinant, on serait tenté de croire que le gouvernement,
honteux en quelque sorte de son rôle, ou sentant son impuissance, ne s'est
renfermé dans une réserve qui lui est commandée par le plus impérieux des
devoirs, que pour s'affranchir de toute responsabilité on pour dissimuler sa
débilité ou son inaction.
Messieurs,
en vous parlant des devoirs d'un gouvernement, on vous a dit qu'ils
consistaient surtout à aborder courageusement les questions matérielles. Il y
a, messieurs, pour un gouvernement un courage plus grand que celui-là : c'est
le courage de s'exposer à l'impopularité momentanée, que son silence peut faire
naître dans quelques esprits. Un gouvernement qui connaît sa mission. un
gouvernement qui comprend ses devoirs et qui sait les remplir, ne cherche pas,
messieurs, à capter votre approbation, à obtenir une popularité momentanée, en
venant vous exposer pompeusement toutes les mesures qu'il a prises dans
l'intérêt général, alors que la plus stricte réserve lui est commandée par ce
même intérêt.
Le
gouvernement, messieurs, ne cherche pas à s'abriter sous le silence ; il veut
au contraire vous déclarer qu'il a agi, que son action est continuelle, qu'on
peut en connaître le caractère en s'adressant, comme le conseillait un
honorable représentant, aux membres mêmes du cabinet, prêts à montrer avec
discrétion aux représentants de la nation que les mesures qui ont été prises,
sont basées sur une connaissance parfaite de la situation des choses et sur les
règles d'une prudence que quelques-uns d'entre eux ont déjà approuvée. Ils ont
reconnu que les principes qui ont présidé à l'emploi d'une partie des deux
millions mis à notre disposition, sont des principes que l’expérience a
consacrés, et dont on ne s'écarterait point sans danger.
Je
conçois, messieurs, que si pour la première fois nous nous présentions dans
cette enceinte pour vous demander un crédit extraordinaire destine à subvenir
aux besoins de la situation, le gouvernement aurait tort de ne pas prolonger
cette discussion, et qu'il aurait au contraire intérêt à s'éclairer de vos
idées. Mais cette discussion a déjà eu lieu dans voire sein. Nous ne ferons en
quelque sorte que la renouveler en prolongeant ce débat.
Quoi
! messieurs, nous avons, dit-on, repoussé vos conseils ! Mais rappelez-vous (page 315) ce qui s'est passé lors de la
session extraordinaire. Nous avons dit à la chambre que toutes les opinions
seraient recueillies religieusement par le gouvernement, qu'elles lui
serviraient de guide dans l'emploi des deux millions. Or, si la discussion
devait se renouveler aujourd'hui, je crois, messieurs, que je pourrais porter
en quelque sorte le défi qu'on indiquât au gouvernement une idée nouvelle qui
ne s'est pas fait jour dans votre session extraordinaire.
Loin
donc de repousser vos conseils, nous les avons demandés, nous les avons
recueillis, et ce sont ces mêmes conseils qui nous servent de guide dans ce
moment.
Le
parlement anglais, dit l'honorable préopinant, ne recule pas devant des
discussions pareilles. L'honorable membre se fait un parlement anglais a
priori, parlement anglais qui a posé des actes qui ne sont pas jusqu'à présent
parvenus à ma connaissance. S'il avait suivi attentivement l'histoire
parlementaire de ce grand pays, il aurait vu que tomes les fois que
l'Angleterre se trouve dans une circonstance extraordinaire, les membres du
parlement se gardent bien d'accabler en quelque sorte journellement le
ministère de leurs questions, qu'ils se bornent à poser des principes généraux
et qu'ils en abandonnent l'exécution au gouvernement sous sa responsabilité. Il
n'y aurait pas en Angleterre d'homme politique qui acceptât la direction des
affaires, à la condition de venir tous les jours initier le parlement dans
l'exécution de toutes les mesures qu'il aurait prises, et de demander s'il a bien
ou mal fait.
Ce
n'est pas ainsi qu'un gouvernement agit. Nous nous sommes posé un principe
général ; nous le réalisons, nous l'exécutons. Nous sommes à la vérité obligés
par la loi même à vous soumettre un rapport détaillé de toutes les mesures.
Mais vous avez vous-mêmes fixé l'époque à laquelle ce rapport doit être
présenté ; or, je le déclare, si je devais, à la première interpellation qui
m'en serait faite, venir vous rendre compte, toutes les semaines, de l'emploi
des fonds qui ont été mis à notre disposition, je n'accepterais point le
pouvoir à ces conditions-là. De deux choses l'une, ou la chambre a confiance
dans le gouvernement, et elle croit que l'emploi de ces fonds sera dirigé avec
prudence et habileté, ou la chambre n'a point cette confiance ; dans ce dernier
cas, je lui reconnais le droit de le déclarer, de le déclarer de la manière la
plus solennelle. Que la chambre se prononce ; sa décision sera respectée. Mais
j'abaisserais le gouvernement, si je venais toutes les semaines déposer en quelque
sorte à vos pieds l'ensemble des mesures qui ont été prises, et si, succombant
à une espèce de lâcheté ministérielle, je mendiais toutes les semaines votre
approbation, et me mettais à couvert sous elle.
L'honorable
membre a trouvé, messieurs, qu'il y avait, de la part du gouvernement, une
timidité incroyable à reculer en quelque sorte devant la publicité d'une
enquête qui vient d'être faite par une commission. Mon honorable collègue, M.
le ministre de la justice n'a point dit à la chambre qu'il reculât devant la
publicité du rapport de cette commission ; seulement il a fait ressortir
l'espèce d'inconvenance (je demande pardon à l'honorable député de cette
expression ; un mot plus doux ne m’arrive pas en ce moment) de l'espèce
d'inconvenance qu'il y avait, de la part d'un membre d'une commission nommée
par le gouvernement dans le but de s'éclairer lui-même, à exiger que la chambre
fût saisie d'un rapport que le gouvernement ne connaît pas encore, puisqu'il ne
l'a reçu que depuis hier. Ainsi, messieurs, il n'y a point de timidité ; mais
je dirai plus, il y a du courage à accepter hautement toute la responsabilité
des mesures que nous prenons.
Si,
dans l'exécution de ces mesures, nous nous apercevons que les deux millions
sont insuffisants, alors, messieurs, nous viendrons demander un supplément de
crédit et alors la chambre décidera si le rapport dont elle a fixé le dépôt, je
pense, au 31 décembre 1846, si ce rapport doit être présenté avant l'époque
indiquée par la loi. Nous serons prêts alors à répondre à cette exigence dont
nous reconnaîtrons la justice, et non seulement, nous justifierons de l'emploi
des deux millions, mais nous serons prêts encore à accepter une responsabilité
nouvelle.
L'honorable
préopinant a, sans doute, été frappé d'une circonstance qui s'est révélée dans
un pays voisin. Il a cité le nom du grand agitateur, (Interruption.)
L'honorable membre a parlé de l'Irlande. Or, messieurs, en Irlande, le grand
agitateur a déclaré qu'il soutiendrait le gouvernement à la condition que le
gouvernement nourrirait l’Irlande. Eh bien, messieurs, je suis fâché de devoir
le déclarer, mais si je ne puis avoir l'appui des honorables membres qu'en
contractant l'obligation de nourrir la Belgique, je serai forcé de renoncer à
cet appui.
M.
Devaux. -
Je demande la parole contre cette plaisanterie.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - A Dieu ne plaise que je
plaidante sur une question aussi sérieuse que celle-ci ! J'ai voulu faire
comprendre à la chambre quel est le devoir d'un gouvernement et dans quelles
limites ce devoir doit être renfermé. J'ai voulu de plus faire comprendre à la
chambre que le pouvoir législatif s'exerce en posant des principes généraux
dont l'application est abandonnée à des ministres responsables. Or, ce serait
intervertir la marche de toutes les affaires, ce serait en quelque sorte
dépouiller le gouvernement de son action, que de permettre à une assemblée de
s'immiscer continuellement, hebdomadairement, journellement dans les mesures
que prend le gouvernement, et qu'il prend dans le cercle de ses attributions
légitimes.
Voilà, messieurs, ce que j'ai voulu faire
comprendre à la chambre, non pas en plaisantant, mais de la manière la plus
grave, la plus sérieuse ; je prie l'honorable membre de le croire.
La
situation des Flandres, messieurs, je le répète, est connue du gouvernement ;
elle lui est connue de la manière la plus complète et la plus régulière ; elle
lui est connue par les rapports les plus détaillés des fonctionnaires qui
administrent ces deux provinces et dont la responsabilité est engagée envers le
gouvernement. Je rends ici, messieurs, à ces fonctionnaires la justice de dire
qu'il ne s'est point passé de jour sans que le gouvernement ait été mis
complétement au courant de la situation des choses. C'est sur leurs rapports
que les mesures ont été prises et qu'elles continueront de l'être.
M.
Dumortier. - S'il s'agissait, messieurs, de venir demander au gouvernement,
chaque semaine, l'emploi qu'il a fait des fonds mis à sa disposition ; s'il
s'agissait de venir chaque semaine lui demander à quelles autorités il a alloué
des fonds, à quelles administrations il a accordé ses bienfaits, alors je
concevrais la réserve dans laquelle se renferme le ministère et je dirais avec
lui qu'il ne serait pas possible de gouverner le pays à cette condition. Mais
ici rien de semblable n'existe. Que demandent les députés des Flandres, que
demandons-nous, nous députés d'autres provinces qui ont été également frappées
? Nous demandons et nous sommes en droit de demander quels sont les principes
généraux adoptés par le gouvernement pour la répartition des subsides. Voilà ce
que nous avons le droit de savoir ; et l'ignorance où le pays est laissé à cet
égard paralyse l'action de la charité, elle empêche les établissements de
charité et les autorités locales d'intervenir ; l'inaction du gouvernement
entraîne à sa suite l'inaction générale. Ce système de réserve, ce système de
silence, ce système de dignité ministérielle, si je puis l'appeler ainsi, est
une véritable calamité pour le pays ; et pour mon compte, je dois blâmer de
toutes mes forces le gouvernement d'entrer dans un semblable système.
Encore
une fois, messieurs, s'il s'agissait de harceler le ministère, de lui demander
chaque jour ce qu'il a fait, quels subsides il a accordés, je concevrais le
refus du ministère de répondre. Mais on demande seulement à connaître les
principes généraux sur lesquels repose la répartition des subsides, et nous
avons le droit de le savoir, alors surtout que nous allons rentrer dans nos
foyers et que nos commettants viendront nous demander ce que nous avons fait
pour soulager la misère publique.
A
cela on vient nous répondre, messieurs : « Le gouvernement agit et si vous voulez
connaître les mesures qu'il prend, adressez-vous à MM. les ministres en
particulier ; ils vous diront quelles sont ces mesures. » Ou ajoute : « Mais
n'avez-vous pas la responsabilité ministérielle ? » La responsabilité
ministérielle ! Vraiment il s'agit bien de responsabilité ministérielle quand
le pauvre n'a point de pain. Qu'est-ce que la responsabilité ministérielle dans
une semblable circonstance ? Eh, mon Dieu, quand la misère sera arrivée à son comble, à quoi servira la responsabilité
ministérielle ? A quoi servira-t-elle lorsque l'on sera peut être obligé
d'employer des mesures sévères pour empêcher l'émeute ? Oui, messieurs, je le
dis avec un profond sentiment de douleur, si l'inaction du gouvernement se
prolonge, si son silence continue et si par suite de ce silence les
administrations des villes et des campagnes s'abstiennent de prendre des
mesures actives pour adoucir la misère publique, alors de grands malheurs sont
inévitables pour le pays.
Je
ne crois pas, messieurs, qu’il existe ma moindre similitude entre la situation
qui nous occupe et celle à laquelle on fait allusion lorsqu'on nous parle de
l'Angleterre. Oui, en Angleterre lorsqu'il s'agit de grandes questions
internationales, le cabinet vient répondre aux membres du parlement qui l'interrogent
: « Les négociations ne sont point terminées et nous manquerions aux intérêts
du pays si nous faisions connaître ces négociations. »
Pourquoi
cette réserve, messieurs ? Parce qu'il ne faut pas que l'étranger sache ce qui
se passe dans le sein du cabinet. Mais ici rien de semblable n'existe ; il
n'est point question d'un acte international ; il est uniquement question de
notre classe ouvrière. Eh bien, je dis, messieurs, que dès l'instant où l'on
aurait adopté le système de faire acheter des denrées pour pourvoir les
entrepôts afin d'empêcher la hausse à l'intérieur, dès ce moment aucune hausse
n'aurait pu se produire ; au contraire, la baisse aurait eu lieu. Le silence du
gouvernement ne se justifie donc par rien ; au contraire, les paroles du gouvernement,
si elles étaient justes, si elles reposaient sur le principe des achats de
subsistances, ces paroles auraient pour résultat de faire baisser le prix des
denrées nécessaires au peuple.
On
a parlé de l'inconvénient de l'interpellation faite par un honorable membre de
cette chambre. Je suis en droit de m'étonner des paroles que MM. les ministres
ont adressées à cet honorable membre. Comment ! on lui fait un crime de
demander communication d'un rapport qui se trouve inséré au Moniteur ! (Interruption.) Il s'y trouve au moins en
résumé. Eh bien, lorsqu'on fait ainsi connaître ce rapport au pays tout entier
par la voie du journal officiel, y a-t-il inconvenance de la part d'un membre
du parlement à réclamer ce document ?
Mais,
messieurs, mettez-vous donc d'accord avec vous-mêmes, et si la chose est
tellement mystérieuse que vous craigniez de la faire connaître à la chambre,
alors ne la publie pas dans le Moniteur, de manière à la faire connaître au
pays tout entier. Ou bien si le rapport pouvait être sans inconvénient public
dans le Moniteur, alors ne reculez pas devant les interpellations qui vous sont
adressées par un membre de la représentation nationale. (Interruption.) Vous n'avez pas le droit de venir blâmer un membre
du parlement lorsqu'il demande communication d'un document que vous avez publié
par extrait dans le Moniteur. Vous n'avez pas le droit de dire à un membre du
parlement qu'il sort des convenances, alors qu'il demande communication d'une
pièce que vous avez fait connaître vous-même à la Belgique entière.
Messieurs,
je dois le dire, le silence du gouvernement en cette circonstance ne m'indique
qu'une seule chose : c'est que le gouvernement n'a rien fait. Si le
gouvernement avait posé quelque acte, il n'hésiterait pas à en donner
connaissance à la chambre. Quel était le devoir du gouvernement ? (page 316) C'était de faire un appel à
tous les établissements de charité publique ; c'était de donner de la publicité
à ses actes, afin de donner du courage et de l'espoir à ceux qui n'en avaient
plus, de donner de l'action à ceux qui en manquaient ; c'était de donner de
l'aliment à ces sentiments de généreuse charité qui existent partout et qui
sont si nécessaires dans le moment présent. Le silence du gouvernement est de
nature à empêcher ces bienfaits que nous devons tant désirer de ne pas voir
manquer à la classe nécessiteuse.
Ce ne sont pas les Flandres seules qui sont
frappées. L'arrondissement auquel j'appartiens se trouve dans une position
presque aussi malheureuse. Dans les communes de cet arrondissement, les paysans
n'ont pas mangé de pommes de terre depuis deux mois, et vous savez que les
pommes de terre constituent la nourriture principale des gens de la campagne.
L'élévation du prix des céréales, d'un autre côté, nuit considérablement à leurs
moyens d'existence. Que ferez-vous dans quelques mois, quand les denrées de
l'automne et du printemps seront épuisées ? Si le gouvernement ne s'y est pas
pris d'avance, pensez-vous qu'alors vous pourrez, dans un moment, trouver les
moyens de faire face immédiatement aux nécessités qui se présenteront ?
Rappelez-vous les plaies d'Egypte ; rappelez-vous les magasins que l'on fit
alors. Attendrons-nous jusqu'au dernier moment, et dirons-nous alors au pays :
Vous n'avez pas de pain, nous allons chercher le moyen de nous en procurer.
Messieurs,
c'est en s'y prenant longtemps d'avance, c'est en agissant d'une manière
prudente, et non pas en se tenant dans une prudente réserve que l'on paralyse
la famine. Or, je vois ici, non pas une prudente activité, une téméraire
réserve que je blâme de tous mes moyens, mais comme étant fatale au pays.
M.
d’Elhoungne. - Messieurs, les dernières paroles qui ont été prononcées par M. le ministre
de l'intérieur me mettent dans la nécessité et m'imposent le devoir de lui
faire une courte réponse.
Je
n'ai pas entendu sans émotion le discours prononcé par mon honorable ami, M.
Rogier. Je dois féliciter les Flandres du nouvel et éloquent défenseur qu'elles
ont trouvé en lui. Mais je regrette d'autant plus que M. le ministre de
l'intérieur, en répondant à mon honorable ami, bien loin de faire une juste
part aux légitimes doléances des Flandres, ait paru, au contraire, vouloir leur
ravir jusqu'à l'espérance.
M.
le ministre de l'intérieur semble croire que l'insistance des députés des
Flandres, dans cette pénible discussion, soit due à un vain désir de
popularité. On dirait, à entendre M. le ministre de l'intérieur, que ceux qui
se taisent, qui se renferment dans une réserve aussi facile qu'injustifiable,
que ceux-là seuls dédaignent une vaine popularité, et que les autres parlent
seulement dans le but de voir leurs paroles obtenir, au dehors, les
applaudissements de la foule.
Pour
ma part, je repousse une pareille insinuation, et je dirai à M. le ministre de
l'intérieur que je n'entends être le courtisan ni du peuple, ni de personne.
Que
le gouvernement y songe, la responsabilité qu'il prend devant les chambres et
le pays est immense. Il ne s'agit pas seulement, M. le ministre de l'intérieur
de savoir ce que vous ferez des deux millions que nous avons déjà votés. Des
voix, appartenant aux diverses provinces se sont élevées dans cette enceinte ;
elles proclament hautement, franchement, loyalement, que la ressource des 2
millions est insuffisante. Et en présence des députés des Flandres qui vous
affirment que ces ressources ne peuvent parer ni aux nécessites du moment, ni
aux nécessités de l'avenir ; en présence des députés d'autres districts qui
vous tiennent le même langage, que faites-vous, M. le ministre ? Venez-vous
nous dire que les ressources votées sont suffisantes ? Venez-vous nous rassurer
? Non, vous gardez le silence, vous affichez de la réserve, toujours de la
réserve ; vous faites de la diplomatie !
Messieurs,
nous ne demandons pas à M. le ministre de l'intérieur qu'il nous initie à tous
les détails intimes du gouvernement ; nous n'avons pas l'absurde prétention
d'exiger qu'il vienne nous rendre compte, semaine par semaine, de ce qu'il a
fait, de ce qu'il compte faire.
Mais
sous le coup de l'incertitude qui trouble les esprits, de l'anxiété, de
l'angoisse qui règnent partout, nous remplissons un devoir, M. le ministre, en
vous disant : « Les ressources que vous avez demandées, sont insuffisantes ;
tous les hommes sages et expérimentés de la chambre proclament leur
insuffisance ; eh bien, si vous aussi vous les croyez insuffisantes,
déclarez-le sans hésiter ; si au contraire, elles vous paraissent suffisantes,
hâtez-vous de nous rassurer en nous apprenant pourquoi vous différez d'opinion
avec nous. »
Messieurs,
on a cité l'Irlande ; en effet, le nom de l'Irlande vient naturellement à notre
pensée quand nous parlons des Flandres. Il y a de tristes et cruelles analogies
entre la position des Flandres et celle de l'Irlande. Le cœur m'en saigne d'y
songer. Mais, cependant, si Daniel O'Connell, en demandant au ministère de la
Grande-Bretagne de nourrir l'Irlande, forme un vœu qui peut paraître insensé,
je pense, messieurs, que les députés des Flandres ne forment pas encore un vœu
insensé en demandant à la Belgique de nourrir les Flandres, et de les nourrir
en leur donnant du travail.
Quoi ! nous avons un des plus beaux et des
plus riches pays du monde, si beau et si riche qu'on a pu dire que la Belgique
serait un jour aussi le plus beau royaume, après le royaume du ciel ; dans ce
pays, il y a un vaste ensemble de travaux publics dont l'exécution peut à
l'instant même commencer ; les capitaux ne manquent nulle part ; partout des
bras attendent pour se mettre à l'œuvre, partout des hommes affamés ne
demandent que du travail ; les ressources sont là, le travail est là, et vous
ne pouvez pas, avec tous ces éléments, avec toutes ces ressources, vous engager
à nourrir les Flandres ! Ah ! M. le ministre de l'intérieur, vous seriez bien
au-dessous de votre position, le gouvernement serait bien peu à la hauteur des
devoirs que les circonstances lui imposent, il manquerait bien étrangement à sa
mission, si, par son administration et par ses notes, il n'avait, comme par
votre discours, à offrir en perspective à la Belgique que la famine et ses
horreurs !
M.
le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, l'honorable
préopinant s'est mépris sur le sens de mes paroles. Selon lui, j'aurais vu, au
fond des discours qui ont été prononcés, je ne sais quel vain désir de
popularité. Il n'en est rien.
Messieurs,
lorsque j'ai parlé de popularité, j'ai seulement voulu faire entendre à la
chambre qu'il y avait, en ce moment, plus de courage à se taire qu'à parler ;
j'ai dit que si je pouvais révéler à la chambre les mesures qui ont été prises,
je ne doutais pas que je n'obtinsse l'approbation de l'assemblée, mais que je
ne voulais pas conquérir cette popularité, au prix du sacrifice de mon devoir.
Mon
devoir (et mes collègues partagent ma conviction à cet égard), mon devoir est de faire et de me taire. Je me tairai
donc, mais en me taisant, je continuerai à agir, j'apprécierai tous les
besoins, je parerai autant que possible à toutes les exigences de la situation.
Lorsque j'aurai rempli ce devoir pénible, et si je reconnais alors que la
ressource des deux millions est insuffisante, je viendrai vous le dire,
messieurs ; je viendrai vous demander un supplément d'allocation. Vous jugerez
alors, comme je l'ai déjà dit, s'il y a lieu d'exiger du gouvernement qu'il
vous fasse, soit immédiatement, soit à l'époque fixée par la loi, son rapport
sur l'emploi du crédit des 2 millions.
Je ne pense donc pas, messieurs, par ces paroles
simples et graves, décourager les députés des Flandres, jeter en quelque sorte
la terreur dans leurs âmes ; je pense, au contraire, leur donner l'assurance la
plus complète que le gouvernement n'est ni imprévoyant, ni inactif. S'ensuit-il
y messieurs, que tout en agissant ainsi, nous puissions admettre que le
gouvernement soit à même de nourrir, non pas seulement les Flandres (comme me
le fait dire l'honorable préopinant, en dénaturant mes paroles), mais la
Belgique toute entière. C'est là une responsabilité que je n'ai pas voulu
accepter. J'accepterai la responsabilité de tous les actes que je poserai dans
la sphère du possible, mais je n'irai pas au-delà. Si la chambre exigeait
davantage, elle m'imposerait un devoir que je ne pourrais pas remplir.
M.
Devaux. -
Je crois qu'il n'est pas en mon pouvoir de faire prendre au gouvernement une
position autre que celle qu'il a choisie ; mais je crois qu'il est de notre
devoir de lui représenter que cette position de réserve et de mystère si absolu
n'est ni sans inconvénients, ni sans dangers, et que, dans tous les cas, elle
aggrave singulièrement sa responsabilité.
On
ne demande pas qu'il vous rende compte jour par jour, semaine par semaine, des
mesures qu'il adopte ; tout ce qu'on avait demandé, c'était de connaître leur
caractère général ; ce serait même déjà quelque chose d'utile de savoir ce
qu'il ne fera pas.
Les
inconvénients du silence complet du gouvernement sont de plusieurs natures.
D'abord, c'est l'incertitude où nous nous trouvons tous sur la suffisance de
l'allocation que nous avons votée. En l'absence de toute explication du
gouvernement, il nous est impossible de savoir si la somme que nous avons
votée, est réellement suffisante pour être employée avec la moindre efficacité.
Cette incertitude rend la position des députés des Flandres très pénible dans
la discussion du budget ; si la somme allouée est insuffisante comme on peut le
craindre, ils voudraient en proposer l'augmentation, et le silence où le
gouvernement se retranche les en empêche.
Il est
extrêmement pénible d'avoir à voter sur des budgets, sans savoir quelles sont
les dépenses réellement nécessaires.
Un
autre inconvénient, c'est de maintenir tous ceux qui peuvent aider au
soulagement de ces maux dans l'incertitude sur ce que fera le gouvernement. Il
doit naturellement arriver de là que les uns désespèrent de l'assistance du
gouvernement, et qu'ils ne font pas ce qu'ils pourraient faire s'ils se
sentaient soutenus par lui, et que d'autres au contraire, espérant trop du
gouvernement, ne font pas assez par eux-mêmes : si le gouvernement avait adopté
une marche plus assurée, s'il avait déterminé le caractère général que devait
avoir son intervention, il n'y aurait point eu de mécompte ; on aurait su ce
qu'on devait faire par soi-même ; les administrations provinciales et
communales, les bureaux de bienfaisance, la charité privée, auraient eu un
point de départ.
On
aurait dû depuis plusieurs mois convoquer les conseils communaux des Flandres,
leur dire ce qu'on pourrait faire, les travaux publics que le gouvernement
pouvait entreprendre. Les provinces auraient su ainsi ce qu'elles devaient
faire par elles-mêmes : les conseils auraient examiné s'ils n'avaient pas
d'autres travaux à ajouter à ceux du gouvernement ; ils auraient pu en faire
les fonds ; au besoin même voter des emprunts ; à leur suite seraient venus les
conseils communaux, les bureaux de bienfaisance, les comités de charité et la
charité privée. On aurait pu concevoir un ensemble de mesures ; le gouvernement
aurait donné l'idée d'un système à suivre. Tout cela ne peut plus avoir lieu.
On viendra faire un rapport, demander des secours nouveaux, ceux que vous avez
accordés se trouvant insuffisants. Alors pourrez-vous encore prendre un
ensemble de mesures de concert avec les provinces et les communes, comme vous
auriez pu le faire dès le principe ? Sera-t-il encore temps de remédier au mal
quand il aura acquis sa plus grande intensité ? Ne faisons pas, à l'égard des
malheureux de l'intérieur du pays, ce qu'on a fait à l'égard des infortunés
partis pour Guatemala que nous ne voyions pas nos concitoyens mourir de faim
sous nos yeux ; sans leur porter secours. Alors aussi le gouvernement n'a pas
voulu dire, (page 317) ce qu'il
comptait faire pour les Belges, abandonnés au sort le plus affreux sur la plage
de Santo-Thomas ; alors aussi on promettait un rapport ; en attendant, la mort
les a moissonnés ; et Dieu sait ce qui en restera quand on se sera décidé à
aller à leur secours !
Messieurs,
on a parlé de la situation des dépôts de mendicité ; vous savez que, chez nous,
à défaut de place, les prisons sont devenues forcément des suppléments de ces
dépôts. Le hasard fait que j'ai sur moi, dans ce moment, une lettre que
m'écrivait, il y a quinze jours, un membre de la commission administrative d'une
des prisons de la Flandre. Permettez-moi de vous en lire quelques lignes. Je
demande pardon à celui qui les a écrites de faire usage en public d'une lettre
familière qui n'avait nullement cette destination. Mais, par cela même, elle
n'en sera que plus propre à faire comprendre à nos collègues des autres
provinces toute la réalité du malheur qui afflige les Flandres.
« Vous ne pouvez vous imaginer, me disait cette
lettre, l'épouvantable aspect que présentent tous ces malheureux qui viennent
encombrer la prison ; c'est surtout le quartier des femmes qui vous déchirerait
le cœur. Nous avons de la place pour loger trente ou quarante femmes, eh bien,
il y en a 166, savoir : 94 femmes et 72 enfants dont un tiers à la mamelle.
Chambres à coucher, corridor, chauffoir, tout est couvert de paillassons l'un à
côté de l'autre. Ces pauvres petites créatures couchent avec leur mère, au
risque d'être étouffées par elles. Toutes ces femmes sont dans le dénuement le
plus complet, sans chemise, sans bas ni sabots. Ce sont des familles entières
qui nous arrivent de Zarren, de Clercken, de Vrybusch, etc. Une femme me disait
que, pendant deux jours, elle n'avait eu que de l'eau pour toute nourriture, et
elle avait trois enfants dont un au sein. Il faut voir comment ces malheureux
dévorent la nourriture qu'on leur donne à leur arrivée dam la prison ! Qu'on ne
dise pas que la misère publique a été exagérée, elle dépasse l'idée qu'on s'en
fait... »
M. de Theux. - Messieurs, la question
n'est pas de savoir s'il faut venir au secours des populations malheureuses,
alors que le travail viendrait à manquer, et que les ressources locales
manquent, telle n'est pas la question ; la chambre et le gouvernement sont
d'accord sur la nécessité de venir au secours des populations malheureuses ; le
véritable point de la discussion est celui-ci : le gouvernement peut-il dès
maintenant faire connaître aux chambres les mesures qu'il entend prendre pour
porter remède à cette calamité publique ? Il me semble qu'on perd de vue ce qui
s'est passé dans la session de septembre dernier, quand deux millions ont été
mis à la disposition du gouvernement.
A
la section centrale on a demandé la présence des ministres ; des membres ont
mis en avant, chacun de leur côté, différents moyens de venir en aide aux
populations malheureuses. Le gouvernement a cru qu'il y aurait pour lui
imprudence, même impossibilité de s'expliquer sur les mesures qui seraient le
plus utiles au pays. Cette opinion du gouvernement a été consignée dans le
rapport de la section centrale, et les deux millions ont été votée par les
chambres à l'unanimité, avec cette intention de la section centrale, d'en
laisser la libre disposition au gouvernement, sans exiger d'explications
préalables sur leur emploi. Je sais que depuis lors des faits se sont
passés ; il serait désirable de connaître quel sera l'emploi des deux
millions pour que chacun put s'arranger
en conséquence, dans les localités, dans les provinces. Mais il y a à cela une
difficulté très sérieuse ; les deux
millions ne sont pas la seule ressource ; c'est, au contraire, la moindre ; la
principale consiste dans les nombreux travaux publics à exécuter, et par le
trésor et par les compagnies. Quant à ceux qui doivent être faits aux frais du
trésor, nous connaissons à peu près l'ensemble des travaux que le gouvernement
a en vue. Pour les travaux à exécuter par les compagnies, nous ne sommes pas
certains s'ils seront commencés pendant l'hiver ou ajournés jusqu'au mois de
mai, époque obligatoire.
Si
une grande partie des travaux concédés pouvaient être entamés dans un bref
délai, la situation viendrait à changer, pourvu que l'hiver ne fût pas trop
rigoureux et permît d'exécuter les travaux. Si, au contraire, les compagnies ne
peuvent pas commencer les travaux, ou si la saison rigoureuse de l'hiver
mettait obstacle à leur exécution, la situation changerait encore, mais, cette
fois, d'une manière fâcheuse pour la classe laborieuse. Dans cette situation,
les deux millions mis à la disposition du .gouvernement, seraient insuffisants
; le gouvernement devrait venir réclamer de nouveaux subsides de la
législature.
Il
me paraît donc certain que dans l'état actuel des choses, il est impossible de
prévoir les mesures qui seraient nécessaires ou celles qu'on pourrait s'abstenir
de prendre. Il a y encore une impossibilité physique dans le moment actuel. Une
autre circonstance, c'est le changement qui pourra survenir dans le prix des
denrées alimentaires. Ce changement peut être favorable ou défavorable ; un
motif encore qui empêche d'annoncer l'ensemble des mesures qu'on croira devoir
prendre. Mais, dit-on, le gouvernement pourrait en faire connaître
quelques-unes. Ne perdons pas de vue, messieurs, que si le gouvernement
annonçait quelques-unes des mesures qu'il se propose de prendre, elle seraient
discutées ; on demanderait des mesures complémentaires, on viendrait démontrer
l'insuffisance de celles annoncées, et finalement ce ne serait plus le
gouvernement qui ferait l'emploi des deux millions, se serait la chambre qui en
ferait la distribution par l'impulsion de la discussion parlementaire ; ce
serait renverser tous les rôles ; pour moi, je n'accepterai pas la
responsabilité de ce rôle, parce que les renseignements me manquent pour
indiquer l'emploi le plus équitable.
On
a signalé la misère des Flandres. Dans une grande partie de ces provinces la
misère est réelle, mais elle n'est pas la même dans toutes les communes des
deux Flandres ; heureusement pour le pays, il n'en est pas ainsi, car alors ce
ne serait pas par deux millions, mais par dix millions qu'il faudrait procéder.
Je
pourrais dire que dans le Limbourg il y a aussi beaucoup de misère : là il n'y
a pas d'industrie, il n'y a pas de manufactures, les récoltes en pommes de
terre ont été perdues là comme dans les autres provinces ; une partie de la
récolte des céréales même a été moins bonne, là, que dans d'autres localités.
Dans
le Hainaut, par exemple, la récolte des céréales a été infiniment meilleure que
dans le Limbourg. On a cité aussi la population des Ardennes. Il est à ma
connaissance que là, comme dans une partie du Limbourg, les populations vivent
de privations, non seulement cette année, mais habituellement. Pourquoi ? Parce
que le sol est stérile, que le travail agricole ne donne pas au cultivateur la
juste récompense de sa peine.
Sans
doute les membres de la chambre qui ont des communications à faire au
gouvernement peuvent les faire, non seulement dans le cabinet des ministres,
mais dans cette enceinte.
J'admets
ce droit ; je conçois que quelques membres de cette chambre considèrent cela
comme un devoir pour eux ; mais s'ensuit-il que le gouvernement doive suivre la
discussion sur ce terrain et prendre l'engagement de faire tel emploi d'une
partie des deux millions mis à sa disposition ? Si nous avions des motifs de
croire que le gouvernement fût indifférent à la misère publique, nous devrions
aller plus loin, prendre d'autres mesures ; mais il ne conste nullement que le
gouvernement soit indifférent à la misère publique. Je dirai que le
gouvernement et les chambres ont fait plus qu'il n'a été fait dans aucun autre
pays où la maladie des pommes de terre a sévi. La Belgique a pris l'initiative
d'interdire la sortie des denrées alimentaires et d'en permettre la libre entrée
; elle a fait plus, elle a donné une grande impulsion aux travaux publics ; en
outre, une somme de deux millions a été votée pour satisfaire, sinon à tous les
besoins, au moins aux plus urgents. Quant à l'intensité du mal, elle ne peut
pas être connue ; elle dépendra de la rigueur de la saison et de l'importance
et de la quantité des travaux qui pourront être commencés.
Je
disais que le gouvernement a à peu près pour 15 millions de travaux à exécuter
aux frais du trésor. Si je ne me trompe, les travaux autorisés, je pourrais
dire décrétés, car ils seront devenus obligatoires à une époque déterminée, les
travaux à exécuter par voie de concession doivent s'élever à 70 millions.
Et ces travaux sont répartis, en général, dans les
diverses provinces.
Vous
voyez qu'il y a là encore un état d'incertitude qui ne permet pas d'annoncer
quelque chose de définitif.
Si
j'ai pris part à cette discussion, c'est uniquement dans l'intérêt du pays,
pour que l'on ne pense pas que ni la majorité des députés de la nation, ni le gouvernement
soient indifférents aux calamités publiques. Si une telle opinion se propageait
dans le pays, ce serait une véritable calamité. Heureusement il n'en est pas
ainsi. Je suis convaincu que le gouvernement, aidé du concours des chambres,
saura faire face à ce qu'exige la situation.
M. de Roo. - J'avais demandé la
parole pour répondre quelques mots à M. le ministre de la justice.
Lorsque
j'ai dit que le gouvernement devait procurer du travail aux hommes valides, j'ai
dit qu'il devait seulement intervenir dans ce but.
L'honorable
ministre de la justice doit savoir que la loi sur la mendicité est, dans l'état
actuel des choses, un véritable non-sens ; que les hommes valides, sortis des
dépôts de mendicité, entrent presque tous dans les prisons de l'Etat, sous la
prévention d'un délit, et deviennent ainsi une charge pour le gouvernement. Ne
vaudrait-il pas mieux a priori les maintenir dans ; le sentier de la vertu, que
de les voir s'adonner aux vices ?
J'ai signalé également ce fait qu'il y a des
pauvres qui sont dans l'opulence, et qu'il y en a d'autres qui sont dans une
extrême misère. J'ai demandé au gouvernement, qui a la main haute sur ces deux
institutions, s'il ne pourrait pas les réunir et appliquer le superflu de l'une
aux besoins de l'autre.
M.
Rodenbach. - Je crois en avoir dit assez hier et aujourd'hui. Si ce que j'ai
avancé était contredit, je réclamerais la parole. J'y renonce pour le moment.
M.
de Brouckere. - J'ai écouté avec attention les nombreux reproches qui ont été
adressés dans cette séance au gouvernement. Si l'on avait eu pour but de
critiquer les mesures prises par le gouvernement, ou de démontrer que celles
qu'il a prises ne sont pas suffisantes, si cela avait été établi, je
m'associerais aux reproches qui ont été articulés. Mais veuillez remarquer
qu'on s'est borner à reprocher au gouvernement de ne pas s'expliquer sur ce
qu'il fera.
Plusieurs
membres. - On demande ce qu'il a fait.
M.
de Brouckere. - Ce qu'il a fait, tout le monde le connaît.
Plusieurs
membres. - II n'a rien fait.
M.
de Brouckere. - Ce qu'on reproche au gouvernement, c'est de ne pas publier un
programme général des mesures qu'il prendra à l'avenir, de ne pas nous donner
le détail des mesures qui pourront être appliquées aux diverses provinces. Le
gouvernement ne peut s'expliquer à cet égard. Ce serait impossible, parce que
les mesures dépendront des circonstances qui peuvent varier à l'infini, non pas
seulement suivant l'époque, mais même suivant les localités.
Ainsi
la mesure qui peut convenir pour certaines parties des Flandres pourra ne pas
convenir pour d'autres parties du royaume.
Mais,
dit-on, si le gouvernement s'explique, il en résultera que la charité
particulière sera plus active, parce qu'elle n'aura plus qu'à seconder les
mesures que prendrait le gouvernement. Je crois au contraire qu'il faut (page 318) laisser agir la charité
particulière, et que les localités où le gouvernement devra venir en aide sont
celles où la charité particulière ne suffit pas, car il est évident que si le
gouvernement doit secourir les 2,500 communes du royaume, ce n'est pas deux
millions qu'il faudra, 25 millions ne suffiront pas. Nous devons nous rappeler
ce vieil adage : « aide-toi, le ciel l'aidera ! » Il faut d'abord que
les bureaux de bienfaisance et les communes fassent tout ce qui est en leur
pouvoir pour aider les habitants surchargés. Ce n'est que quand les moyens
employés par les communes et les bureaux de charité seront insuffisants que le
concours du gouvernement devra commencer.
Ici
je diffère d'opinion avec l'honorable M. Devaux qui voudrait que le
gouvernement commençât, que les provinces suivissent, puis les localités. Je
crois, au contraire, qu'il faut laisser faire la charité particulière, les
bureaux de bienfaisance, les communes et que c'est seulement quand leurs
ressources auront été reconnues insuffisantes que le gouvernement devra
intervenir par des secours pécuniaires ou en nature ; car je ne parle pas ici
des moyens de fournir de l'ouvrage à la classe malheureuse. Mais lorsque le
gouvernement vous dit qu'il agit sous sa responsabilité particulière, on lui
répond : Qu'est-ce que la responsabilité ministérielle quand le peuple n'a rien
? Je vous le demande : le gouvernement aurait-il donné du pain au peuple en
venant dans de longs discours faire étalage de ses sympathies pour la classe
malheureuse ? Pour moi, j'aime mieux les actes que les discours.
Je
demanderai aux honorables membres qui m'ont interrompu de démontrer que les
mesures qu'il a prises ont été insuffisantes.
Plusieurs
membres. - On n'a pas pris de mesures.
M.
de Brouckere. - Le gouvernement n'a pas pris de mesures, mais n'a-t-il pas provoqué
la libre entrée des céréales, des denrées de toute espèce et, par un arrêté
récent, n'a-t-il pas autorisé celle des farines ? Je répète que jusqu'ici
personne n'a démontré que les actes du gouvernement auraient été insuffisants.
On demande en quoi consistent ces actes ? Mais au lieu de faire cette demande
on devrait démontrer l'insuffisance des mesures qui ont été prises et expliquer
en quoi elles devaient être plus efficaces. C'est ce qu'on n'a pas fait. La
chambre a accordé au gouvernement 2 millions dont il dispose sous sa
responsabilité. On veut qu'il déclare si ces deux millions suffisent ou non.
Mais il ne peut répondre à cette question, cela dépendra des circonstances.
Lorsque les deux millions seront épuisés, si les circonstances ne sont pas
meilleures il est certain qu'il viendra solliciter un nouveau crédit. Vous
serez alors en droit de lui demander quel usage il a fait des deux millions.
Jusque-là, selon moi, selon la chambre entière, le gouvernement ne doit aucun
compte. Je dis selon la chambre entière, parce que, quand elle a voté les deux
millions, elle a été unanime pour reconnaître qu'il n'y avait pas de conditions
à mettre à l'emploi de ce crédit, qu'il n'y avait pas de comptes à rendre avant
que les deux millions ne fussent épuisés.
On
ne connaît pas, dit-on, les mesures qu'a prises le gouvernement ; mais si le
gouvernement n'a pas pris jusqu'ici de grandes mesures générales, c'est parce
que la nécessité ne s'en est pas fait sentir. Le gouvernement a pris une foule
de mesures de détails suivant les besoins des provinces, des localités, et ces
mesures, dont quelques-unes au moins sont connues de beaucoup d'entre vous, ont
produit un bien réel là où elles ont été exécutées. Il en est une dont je puis
parler, que tout le monde connaît : c'est celle qui concerne les travaux
publics. Il est de notoriété publique que le gouvernement, dans ces derniers
temps, a accordé des subsides nombreux pour des travaux d'utilité publique,
qu'il a fait en sorte que ces travaux soient répartis dans les différentes
parties du royaume. C’était la meilleure mesure qu'il fût possible de prendre.
Je ne puis parler de toutes les parties du royaume ; mais je connais une
province où le gouvernement a fait ce qui dépendait de lui pour qu'il y eût des
travaux dans les différentes parties de celte province.
Des demandes vont être adressées à M. le ministre
de l'intérieur, à l'effet d'obtenir des subsides pour les chemins vicinaux ; je
recommande spécialement ces demandes à M. le ministre de l'intérieur.
D'ordinaire, le gouvernement n'accorde qu'une somme à peu près égale aux
subsides des provinces. Dans les circonstances extraordinaires où nous nous
trouvons, il est à désirer que le gouvernement se montre un peu plus généreux ;
que les subsides qu'il accordera pour les chemins vicinaux excèdent dans
certains cas ceux que les provinces peuvent accorder parce que les fonds
provinciaux sont très restreints. Si l'on pouvait organiser des travaux aux
chemins vicinaux dans toutes les parties du pays, ce serait un immense
bienfait, parce que les habitants des campagnes trouveraient de l'ouvrage sans
devoir aller à une grande distance.
Si
l'on croit que le gouvernement peut prendre, dès à présent, d'autres mesures
que celles qu'il a prises, qu'on les indique ; mais on ne peut demander un
programme de toutes les mesures à prendre qui peuvent varier selon le temps,
les besoins et les localités.
Plusieurs
membres. - La clôture !
M.
Maertens. - Je suis inscrit après l'honorable M. de Brouckere. Je désirais
répondre brièvement à son discours Je pourrais donner à la chambre des
renseignements très précis, que ma position m'a mis à même de recueillir.
M.
Rodenbach. - Il n'y a plus que trois orateurs inscrits. Je demande qu'on les
entende. Déjà la clôture a été demandée Personne ne s'est levé. Il arrive que
des personnes demandent légèrement la clôture, et quand il s'agit de se lever,
ils ne se lèvent pas.
-
La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.
M. le
président. - M. Eloy de Burdinne a déposé un nouvel amendement à l'article
premier. Je vais en donner lecture :
«
J'ai l'honneur de proposer la suppression des dix centimes additionnels
extraordinaires et des trois centimes additionnels supplémentaires à la
contribution foncière. »
Plusieurs
membres. - A demain ! à demain !
D'autres membres. - Non ! non ! Laissez
développer l'amendement.
M. le
président. - La parole est à M. Eloy de Burdinne pour développer son amendement.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j'aurai
l'honneur de vous prévenir d'abord, qu'en faisant cette proposition, je ne veux
pas priver le trésor d'une somme égale à celle dont je demande la suppression.
Je proposerai, au contraire, au gouvernement et à la chambre, un moyen non
seulement de remplacer le déficit qui pourrait résulter de l'adoption de mon
amendement, mais, en outre, de procurer au trésor une ressource annuelle de
plus de 800,000 fr.
Messieurs,
mon système est simple ; il a pour effet surtout de faire peser les charges sur
les classes aisées, et non sur les classes nécessiteuses. J'espère donc que la
majorité l'accueillera avec faveur.
Messieurs,
je déclare que j'appuierai l'amendement de l'honorable M. Savart.
Je
demande comme lui la suppression des 10 centimes additionnels extraordinaires
sur le personnel et sur les patentes.
En
outre, je demande la suppression des 10 et des 3 centimes additionnels
extraordinaires à la contribution foncière, avec d'autant plus de droit que la
position du cultivateur est dans un état plus digne de compassion que ne le
sont les classes élevées sujettes à l'impôt personnel ; les financiers, par
exemple, qui sont en général appelés à profiler de la suppression des centimes
additionnels, demandée par l'honorable M. Savart, demande qui, j'en suis
persuadé, trouvera de la sympathie dans cette chambre.
Si
la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre, est mûrement pesée et
appréciée comme je l'apprécie moi-même, je ne forme aucun doute que la grande
majorité m'appuiera et votera la suppression des 10 et des 3 centimes
additionnels extraordinaires à l'impôt foncier.
Qu'on
ne perde pas de vue que la suppression des centimes additionnels à l'impôt
foncier ne profitera pas ou profitera fort peu aux grands propriétaires, mais
bien à la classe des cultivateurs grands et petits, et, principalement à la
classe des petits propriétaires qui cultivent leur propriété.
Et
remarquez-le bien, pour un grand propriétaire, il y en a dix possédant de 4 à
20 hectares qu'ils cultivent eux-mêmes.
S'il
est inexact de soutenir que l'impôt foncier n'est pas à charge du propriétaire
parce qu'il a chargé son locataire de le supporter, on conviendra avec moi
qu'une réduction dans cet impôt sera tout à l'avantage du fermier et des petits
propriétaires cultivateurs ; comme une augmentation serait faite à son
détriment pendant la durée de son bail, qui, en thèse générale, renferme la
stipulation que l'impôt foncier des terres louées est à sa charge du repreneur
ou du locataire.
Dix
petits propriétaires cultivateurs éprouveront, sur un grand propriétaire, par
la suppression des 10 et des 3 centimes additionnels à l'impôt foncier, un bien
faible allégement et une bien minime indemnité des déficits qu'ils ont éprouvés
par la perte des pommes de terre et le déficit dans le produit des céréales.
Je
vous en ai donné les détails dans une séance précédente. Je me bornerai à faire
remarquer que sur chaque hectare cultivé en pommes de terre, il y a un déficit
de plus des trois quarts, soit plus de 400 fr. par hectare, el sur chaque
hectare cultivé en froment dans la grande partie du pays, taux moyen, une perte
de plus de 130 fr.
Cet
état de choses mérite considération, je l'espère ; il sera apprécié par la
chambre.
Malgré
l'équité de la proposition que nous formulons, malgré les efforts que nous
ferons pour la soutenir, nous rencontrerons une forte opposition de la part de
M. le ministre des finances, ainsi que de la part de la section centrale, par
l'organe de son honorable rapporteur.
On
viendra peut-être encore nous dire que le cultivateur est indemnisé en partie
des pertes éprouvées, par le haut prix des céréales et autres denrées alimentaires
; sans tenir compte de la réfutation que j'ai faite de ce raisonnement, si
toutefois on ne reproduit pas les mêmes arguments pour obtenir une fin de
non-recevoir.
On
ne manquera pas de vous dire que des besoins du trésor ne permettent pas la
suppression des centimes additionnels, dont nous demandons le retrait.
Eh
bien, messieurs, si on ne croit pas trouver le moyen d'équilibrer les dépenses
avec les recettes au moyen de réductions au budget des dépenses, il en est un
bien simple d'augmenter les recettes et de faire supporter celte augmentation
par la classe aisée, y compris les grands propriétaires.
La
consommation du sucre, matière de luxe et dont font usage les grands
propriétaires et toutes les classes aisées, pourrait très bien supporter une
augmentation de droit d'accise ; el cette matière de luxe pourrait être frappée
d'un droit double de celui qu'elle supporte, et donner au trésor une recette de
6 à 8 millions de francs au lieu de 2,800,000, que l'on nous dit être leur
prévision ; soit, en plus qu'il ne donne, 3 à 4 millions.
Cette
augmentation de recettes sur la consommation du sucre vous permet de faire
disparaître les centimes additionnels, dont nous vous demandons le retrait sur
la contribution foncière, sur le personnel et sur les patentes, tout en
augmentant les recettes du trésor.
(page 319) En voici la preuve :
Les
10 centimes additionnels à l'impôt foncier rapportent au trésor, 1,550,000 fr.
Les
3 centimes, 534,750 fr.
Les
10 centimes à l'impôt personnel donnent en recette, 809,091 fr.
Les
10 centimes additionnels à l'impôt patente, 260,000 fr.
Total,
3,153,841 fr.
On
peut obtenir sur la consommation du sucre, 4,000,000 fr.
En
plus par la soustraction des centimes additionnels sur les impôts foncier,
personnel et patente, vous aurez un déficit de 3,153,841 fr.
Soit
en augmentation de recette au profit du trésor, 816,159 fr.
On
me répondra peut-être que, pour obtenir une augmentation de recette de quatre
millions sur les sucres, on doit avant tout voter une modification à la loi ;
j'en conviens. Mettons-nous à l'œuvre, et nous parviendrons à obtenir ce beau
résultat ; je ne crois pas l'opération bien difficile. Avec du bon vouloir, on
parviendra à une législation qui donnera plus de quatre millions de recette au
trésor sur l'accise des sucres. On y parviendra en augmentant le droit, et
principalement en évitant les moyens d'éluder la loi, comme on le fait
actuellement.
Messieurs,
ce qui doit étonner, c'est que nous ayons, il y a deux ans, augmenté l'impôt
sur le sel, impôt qui pèse sur les classes malheureuses, et qu'aujourd'hui tout
en maintenant cet impôt sur ces classes malheureuses au secours desquelles nous
devons venir, nous réduisons l'impôt sur le sucre. C'est réellement une chose
que je ne puis m'expliquer, et que ni M. le ministre, ni M. le rapporteur de la
section centrale, ni la section centrale tout entière elle-même ne pourraient,
je crois, m'expliquer. N'est-il pas vraiment ridicule de percevoir sur les
consommateurs du sel une recette de 4,800,000 fr. et de ne demander aux
consommateurs du sucre que 2,800,000 fr. ? Messieurs, avec un pareil système,
vous forcez le malheureux à se priver d'une matière qui lui est indispensable,
et vous favorisez la consommation du sucre.
Messieurs,
le sel en Belgique paye à raison de 400 p. c. à la valeur.
On
me dira peut-être qu'en fait d'impôt 2 et 2 ne font pas quatre, et que les
sucres exotiques, si on les frappait d'un droit élevé, entreraient en fraude.
Messieurs, le sucre raffiné est frappé par notre tarif d'un droit de 95 fr. par
100 kil. et cependant on ne craint pas la fraude. Je ne la craindrais pas,
quant à moi, davantage, si l'on frappait le sucre brut d'un droit de 80 el même
de 100 fr. par 100 kil.
Un
honorable collègue me fait remarquer qu'on n'importe pas de sucres raffinés.
Mais à quoi devez vous cette absence d'importation, messieurs ? Vous la devez
au droit de 95 fr. par 100 kil.
Messieurs,
on me dira peut-être qu'un impôt de 8 millions sur la consommation du sucre en
Belgique serait trop élevé. Mais voyons ce qui se passe en France.
En
France, si je suis bien informé, la consommation du sucre rapporte environ 80
millions, pour une population de 34 millions d'habitants, soit plus de deux
millions de francs de recette pour chaque million d'habitants, ou plus de 2
francs par tête d'habitant. Si on perçoit en France plus de deux francs par
tête d'habitant sur la consommation du sucre, en Belgique, on pourrait, aussi
bien qu'en France, percevoir un impôt sur cette consommation (le sucre), à
raison de 2 fr. par tête d'habitant, soit plus de 8 millions de francs.
Une
loi, en France, régit la matière. Modelons-nous sur la législation française,
en frappant les sucres étrangers de droits aussi élevés qu'en France.
Vous
le savez, les sucres de canne des colonies françaises sont considérés comme
sucres indigènes. Messieurs, si nous avions des colonies, je serais aussi
d'opinion que nous devrions frapper les sucres qui en proviendraient du même
droit que le sucre de betterave que nous produisons ; mais, je le répète,
imitons l'exemple de la France, frappons, comme elle, le sucre qui nous vient
de l’étranger.
Toutefois,
messieurs, je n'entends pas rendre impossible le raffinage en Belgique du sucre
exotique. Si l'on peut trouver un système qui permette l'existence des deux
industries, je serai le premier à lui donner mon assentiment. Mais nous devons
chercher avant tout à assurer au trésor un revenu de 7 à 8 millions.
Vous
voyez, messieurs, que si je demande la suppression d'un impôt qui pèse trop
fortement sur les cultivateurs, je propose en même temps le moyen de combler le
déficit par un impôt qui pèserait uniquement sur la classe aisée.
PROJET DE LOI ACCORDANT DES CREDITS PROVISOIRES AU DEPARTEMENT DE
L’INTERIEUR POUR L’EXERCICE 1846
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter à la
chambre un projet de loi de crédits provisoires pour le département de
l'intérieur.
-
Ce projet sera imprimé et distribué. Il est renvoyé à la section centrale
chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
PROJET DE LOI PROROGEANT LE REGIME D’IMPORTATION EN TRANSIT
M. Loos. présente le rapport de la
section centrale sur le projet de loi prorogeant la loi du 18 juin 1842, qui
autorise le gouvernement à modifier le régime d'importation en transit direct
et en transit par entrepôt.
-
Ce rapport sera imprimé et distribué.
La
chambre met le projet à la suite des objets à l'ordre du jour.
La
séance est levée à quatre heures trois quarts.