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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 5 mai 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1584) (Présidence de M. d’Hoffschmidt)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure et un quart.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pétitions suivantes adressées à la chambre.

« Le conseil communal d’Overyssche prie la chambre d’adopter le projet de loi sur les céréales transmis par le sénat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la matière.


« Le conseil communal de Jemappes prie la chambre de rejeter les demandes de concession de chemin de fer de Manage à Mons, du Borinage à la haute Sambre et d’Ath à Termonde. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets relatifs à ces chemins de fer.


« L’administration communale d’Ichteghem demande que le chemin de fer de Bruges à Courtray passe par Thourout et Roulers avec embranchement sur Dixmude et Thielt. »

« Même demande des conseils communaux de Couckelaere, Cortemark et Aertryck. »

M. Rodenbach – La commission chargée de l’examen des projets de loi sur les chemins de fer en Flandre a terminé son travail. Je demanderai qu’au lieu de renvoyer les pétitions dont il s’agit à la commission, on les dépose sur le bureau pendant la discussion des projets de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants d’Oordeghem et les administrations communales de Daevegem, Borskebe, Massemen-Westrem, Smetelede, Burst, Herzeele, Ressegem, Sonnegem, Vlierzele, Vleckem, Dambrugge, Ostergem, Hautem-St-Liévin et Letterhautem demandent que le chemin de fer d’Alost à Gand traverse la commune d’Oordeghem, et se raccorde au chemin de fer de l’Etat à Mille-Quatrecht. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession d’un chemin de fer par la vallée de la Dendre.


« Plusieurs habitants de la Boverie, Froidmont et Vennes demandent la rectification du lit de la Meuse en amont du pont de la Boverie, et l’endiguement de leur île du côté de la Meuse. »

M. Delfosse – Les habitants de la Boverie se plaignent, avec raison, des inondations dont ils ont fréquemment à souffrir. Il ne se passe presque pas d’année sans qu’il y ait des victimes et de grands désastres. Il y a longtemps que le gouvernement aurait dû prendre des mesures pour mettre un terme à un état de choses aussi affligeant ; c’était pour lui un devoir impérieux, un devoir d’humanité.

(page 1585) Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si la commission qu’il a nommée en 1844 pour rechercher quel serait le meilleur mode de dérivation de la Meuse n’a pas encore terminé ses travaux. M. le ministre des travaux publics doit sentir tout ce qu’il y a d’urgent dans cette affaire.

Je propose le renvoi de la pétition à la commission avec demande d’un prompt rapport.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, comme vient de le rappeler l’honorable M. Delfosse, j’ai nommé, il y a un an, une commission mixte, composée de membres du conseil communal, de la députation permanente et d’ingénieurs. Cette commission a été chargée d’examiner la question de l’amélioration de la navigation de la Meuse dans la traverse de Liége, et d’indiquer en même temps les remèdes propres à prévenir les inondations.

Cette commission m’a remis son travail, il y a très peu de temps. Mais, messieurs, le canal latéral à la Meuse, dont la chambre vient de voter l’exécution, change l’état des choses sous le rapport de la navigation ; il faudra que les travaux à la Meuse dans la traverse de Liége soient mis en rapport maintenant avec l’exécution du canal latéral à la Meuse. Dès lors, le système proposé par la commission et qui peut être conservé peut-être en partie, au point de vue des inondations, devra être remanié au point de vue de la navigation. J’ai soumis au conseil des ponts et chaussées la question dans son ensemble. J’attends son rapport, afin de connaître jusqu’à quel point le système préconisé par la commission mixte peut être maintenu ou jusqu’à quel point il doit être modifié.

M. Lesoinne – Messieurs, cette affaire est assez urgente. J’appelle l’attention spéciale de M. le ministre des travaux publics sur cet objet. Il y a une demande en concession pour le chemin de fer qui doit traverser précisément la Boverie. Il est, par conséquent, nécessaire de faire des études pour voir jusqu’à quel point le danger des inondations pourrait être augmenté par la création de ce chemin de fer. Je demande donc que ces études soient faites le plus promptement possible.

- La proposition de M. Delfosse, tendant à ce que la pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport, est mise aux voix et adoptée.


« Le sieur Meurant se plaint de ce que deux de ses frères et un beau-frère ont été arrêtés en violation de la loi. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Gelrode demande que le chemin de fer de Louvain à Diest passe par Aerschot. »

- Même renvoi.


« L’administration communale de Tirlemont dont la réclamation, du chef des pertes causées par les événements de guerre de la révolution, a été écartée par le motif que la loi du 1er mai 1842 ne serait applicable qu’aux individus seuls, prie la chambre de la relever de cette décision. »

- Même renvoi.

Projet de loi autorisant la concession d'un chemin de fer de Bruges à Courtray, à Ypres et à Poperinghe, avec embranchements

Rapport de la commission

M. Malou – Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d’examiner le projet de loi relatif au chemin de fer de la Flandre occidentale.

M. le président – Il est donné acte à M. le rapporteur du dépôt de ce rapport qui sera imprimé et distribué. A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion du projet ?

M. Malou, rapporteur – Messieurs, l’ordre du jour est assez chargé. Vers la fin de cet ordre du jour se trouve placée la discussion de deux projets de chemin de fer. Je demanderai que le projet de loi sur lequel je viens de faire un rapport soit placé à la suite des deux chemins de fer. Le dernier, si ma mémoire est bonne, est celui de Manage à Mons.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif aux céréales

Discussion générale

M. le président – La parole est à M. Zoude, pour développer l’amendement qu’il a présenté dans la séance précédente.

M. Zoude – L’amendement que j’ai l’honneur de vous présenter avait déjà fait l’objet de la sollicitude d’un ancien collègue qui, comme doyen d’âge, nous a souvent présidés lors de l’ouverture des sessions ; ce collègue est aujourd’hui remplacé par son fils, auquel nous portons toute l’estime que nous professions pour son père ; je veux parler de M. Pirson, né dans le ci-devant duché de Bouillon, dont il connaissait parfaitement tous les besoins.

Ces besoins, messieurs, étaient ceux des céréales qu’un sol ingrat refusait en quantité suffisante pour nourrir ses habitants.

Le moyen d’y pourvoir était la libre importation des grains de France qu’accordait le gouvernement des ducs de Bouillon et de l’Autriche pour les communes mixtes.

Mais la voix de cet honorable citoyen n’eut pas d’écho ; parce qu’il n’y avait pas d’antécédents à invoquer ; le traité n’avait pas encore déchiré deux de nos provinces ; il ne pouvait réclamer alors la même justice que vous avez rendue au canton de Verviers, dont les conditions sont identiquement les mêmes que celles du canton de Bouillon.

De part et d’autre le produit du sol ne peut suffire aux besoins des habitants, de part et d’autre, les marchés sont éloignés des consommateurs. Ceux où Bouillon est forcé de s’approvisionner sont à une distance moyenne de douze lieues d’Arlon, de Dinant et de namur, ce qui est, dit la régence pétitionnaire, une cause incessante de misère pour le canton.

Vous avez soulagé Verviers, nous réclamons la même justice pour Bouillon.

Dans le rapport que j’ai eu l’honneur de vous présenter à la séance dernière, j’ai prouvé par des états statistiques que les besoins de la population du canton de Bouillon excédaient de plus de 15 mille hectolitres le chiffre de ses productions.

J’ai entendu dire alors à mes côtés que cette insuffisance provenait du peu de progrès qu’y faisait l’agriculture ; mais ce reproche n’est pas mérité : l’agriculture progresse dans ce canton, comme dans toute la province ; mais la population progresse en même temps, en sorte que la proportion reste la même entre la production et la consommation.

Il arrivera cependant un temps où l’équilibre s’établira, parce que les routes dont le Luxembourg commence à être doté, permettront de faire un plus grand usage de la chaux, et par suite d’élever les produits des céréales au niveau des besoins des habitants. C’est par cette considération que je sous-amenderai ma proposition en bornant sa durée à 10 ans ; il suffira, je crois, de dire : « Il pourra être importé, pendant dix ans, dans le canton de Bouillon, par les bureaux à désigner à cet effet par le gouvernement, etc. »

J’espère, messieurs, qu’au moyen de cette modification la chambre voudra bien faire accueil à l’amendement que j’ai l’honneur de vous présenter.

M. Lys – Messieurs, la question des subsistances a toujours été l’une des plus graves qui aient occupé le gouvernement ; et cela se conçoit du reste facilement : à la question des subsistances est intimement liée la tranquillité publique. De la question des subsistances naissent souvent des conflits, des révolutions même. Enfin, la prospérité de l’industrie et du commerce dépend de la législation que l’on adopte sur cette importante matière.

Quel est le but que doit se proposer la loi dans une matière, qui touche à tant d’intérêts divers ? La loi doit faire en sorte que les subsistances soient livrées à la consommation au prix le plus bas possible.

Une loi qui aurait pour but avoué d’arriver à un autre résultat, serait indigne du nom de loi ; ce serait un acte d’une iniquité révoltante ; car il y a iniquité à faire payer à l’homme le droit de vivre, qu’il tient non pas de l’Etat, mais qu’il tient de Dieu. Aussi, toute législation sur les subsistances, quelqu’hostile qu’elle soit au consommateur a-t-elle soin d’emprunter un faux air de protection pour le consommateur lui-même : nous en avons un nouvel exemple à l’occasion du projet des 21 représentants ; il soignait mieux, nous disait-on, les intérêts du consommateur que ceux du producteur. Que l’honorable M. Eloy ait pu le penser ainsi, je puis l’admettre, mais que les honorables comtes de Theux et de Muelenaere, ses cosignataires, aient pensé de même, je ne me permettrai pas de le supposer.

C’est l’industrie agricole nationale qu’il faut protéger, à l’effet de prévenir les disettes éventuelles ; c’est l’agriculture, nous dit-on, qu’il faut protéger efficacement, pour mettre en défrichement de vastes bruyères, et donner ainsi au pays les moyens de pourvoir par lui-même, à sa subsistance, sans le secours de l’étranger.

Ce ne sont là, messieurs, que de spécieux arguments, qui n’ont aucune valeur réelle, il est facile de le démontrer.

A la différence des établissements industriels, il est impossible d’augmenter d’un seul pouce le nombre des terres de première qualité que renferme le pays ; l’on peut améliorer des terrains de qualité inférieure ; mais les améliorations ne se maintiennent qu’à force de soins et d’engrais, personne ne pourra contester un seul instant cet avancé ; or, quel est le résultat d’une loi sur les céréales ? Evidemment, cette loi est une prime accordée aux possesseurs des terres de première qualité, sur les possesseurs de terres de deuxième classe, et ainsi successivement. Cette prime donne au propriétaire le moyen de louer ses terres à un prix plus élevé, d’après la classe à laquelle elles appartiennent. Voilà le seul, voilà l’unique effet d’une législation qui frappe un droit à l’entrée des céréales.

Il est impossible de nier que tel soit le seul et le principal effet de la loi. A l’époque du renouvellement des baux, le propriétaire, qui lui possède la terre, instrument qui de sa nature constitue un véritable monopole, se trouve en présence du fermier exploitant, et d’une foule d’autre fermiers ou capitalistes, qui sont pleinement satisfaits, dès l’instant qu’ils retirent l’intérêt ordinaire de leur capital et quand ils trouvent les moyens de subsister.

La concurrence entre les fermiers ou capitalistes donne ainsi au propriétaire foncier le moyen de réaliser une augmentation sur le prix du fermage. Le nombre des capitalistes est illimité, tandis que celui des propriétaires fonciers est nécessairement limité.

Sans doute, une protection exorbitante fera que des terrains de qualité très inférieure, que des bruyères, seront mis en culture ; mais ces bruyères défrichées ne sont-elles pas condamnées à un état d’infériorité perpétuelle ? Ne serait-elle pas absurde la conduite d’un pays qui voudrait à tout prix maintenir une protection industrielle pour laquelle il serait dans l’impossibilité absolue de posséder jamais des instruments aussi productifs et aussi perfectionnés que ceux de ses voisins ?

Ce serait là se condamner à une perte énorme de tous les instants, et ce serait là, d’un autre côté, s’enlever les moyens de se livrer à un autre genre d’industrie qui, rentrant dans toutes les conditions ordinaires de prospérité, eût donné au pays le moyen de réaliser des bénéfices et des profits considérables.

Les capitaux ne resteront jamais improductifs, et, à coup sur, il vaut mieux les employer dans une branche d’industrie, de nature à marcher progressivement, plutôt que d’immobiliser un capital considérable, sans avoir jamais l’espoir de pouvoir obtenir aussi bien et à aussi bon marché que les autres pays.

D’un autre côté le commerce d’importation des céréales favorise singulièrement l’industrie. Les pays agricoles ne sont pas tentés d’élever des établissements industriels, lorsqu’ils ont la certitude d’écouler les produits qu’ils retirent de l’agriculture. Les rapports qu’établit un commerce d’échanges (page 1586) avantageux pour les deux pays, est le moyen le plus sûr et le plus efficace d’avoir toujours le pays abondamment pourvu de céréales, et à bas prix.

Notre législation sur les céréales est, à mon avis, d’autant plus contraire à tous les principes sur cette matière, qu’elle s’applique à un pays de peu d’étendue, qui ne présente aucun variation sensible, ni dans la position des terres, ni dans leur climat.

L’on conçoit, jusqu’à un certain point, une législation sur les céréales, lorsqu’il s’agit d’un Etat d’une vaste étendue, ayant des contrées appartenant aux pays froids, d’autres aux régions tempérées, d’autres encore aux pays chauds. Dans ce pays, la récolte ne peut jamais manquer partout à la fois ; la différence dans le climat et dans la situation des contrées fait que la température, défavorable à cette partie de l’empire, exerce une influence d’une toute autre nature sur les autres provinces. Dans un vaste Etat, une législation sur les céréales ne peut donc se concevoir jusqu’à un certain point ; mais il n’en est pas de même d’un pays d’une minime étendue, ne présentant aucune variation, soit dans son site, soit dans son climat.

On crie aux souffrances de l’agriculture. Oui, messieurs, il y a souffrance ; mais cette souffrance tient précisément à la loi de 1834. Vous avez donné aux propriétaires les moyens de louer très-cher. Les baux constatent que les locations qui étaient originairement de 50 fr., sont portées aujourd’hui à 100 fr. en plus. Une modification aussi radicale, dans les rapports des fermiers avec les propriétaires, doit nécessairement à la moindre baisse, créer un état de gêne et de malaise pour les fermiers ; mais cette gêne, ce malaise, ne tiennent pas à la nature de l’industrie agricole ; au contraire, cette industrie est l’une de celles qui sont les moins (erratum, page 1612) exposées aux variations. Les vicissitudes, la gêne, les souffrances de l’agriculture sont l’œuvre d’une législation vicieuse, qui en créant une hausse fictive, en maintenant les prix à une hauteur, au-dessus de la (erratum, page 1612) proportion naturelle, a fait contracter, par les fermiers, des obligations qu’ils ne peuvent plus remplir dès l’instant qu’il y a baisse.

On demande encore une protection pour l’industrie agricole, pare qu’elle paye à peu près seule l’impôt du sang. C’est là, messieurs, il faut en convenir, un fort pauvre argument ; tout le pays paye l’impôt du sang proportionnellement à la population de chaque localité. Ce n’est pas dans tous les cas une raison pour payer les subsistances à un prix plus élevé.

L’industrie agricole ne paye pas une part plus forte dans les impôts que les autres industries. Il faut se défier de tous ces calculs, qui vous présentent la terre comme payant à peu près tous les impôts, comme faisant face à elle seule à tous les besoins de l’Etat. C’est au commerce et à l’industrie que l’agriculture doit l’écoulement de ses produits. Si la population n’avait pas augmenté, grâce aux progrès de l’agriculture, que seraient devenus les produits agricoles ? Où se seraient-ils écoulés ? Abandonnons toutes ces déclamations, et n’oublions pas que l’agriculture est elle-même intéressée à la prospérité et au développement de toutes les industries.

La véritable protection de l’industrie agricole se trouve dans son essence même, dans la nature de ses produits. Les céréales sont une matière énormément pondéreuse, elles sont difficiles à transporter d’un pays à un autre ; elles sont, d’un autre côté, sujettes à détérioration, soit par échauffement, soit par l’action de l’eau de mer, quand on les transporte par mer.

Les céréales du pays ont donc un avantage tellement marqué sur les produits similaires des autres pays, qu’il est inutile de recourir à la protection de la loi. Il faut, pour qu’une protection naturelle aussi efficace soit insuffisante, que l’agriculture nationale soit dans un état d’infériorité bien grand vis-à-vis de l’industrie agricole des autres pays, ou il faut que nos terres soient singulièrement ingrates ; et si l’une ou l’autre de ces hypothèses est vraie, il y a injustice à cherche dans la loi un remède à un état de chose qui, dans le premier cas, s’améliorera parle progrès que fera nécessairement la science agricole et qui, dans le second cas, ne pourra jamais être modifié au prix d’aucuns sacrifices.

Il est vrai que la loi interdit l’exportation des céréales quand elles ont atteint un certain taux ; mais cette interdiction n’avait pas besoin d’être établie par la loi ; elle existait de fait avant la loi. Va-t-on vendre ses produits au loin, quand on a la certitude de les vendre à un prix élevé dans l’intérieur du pays ? Personne n’osera soutenir que les marchands voudraient courir les chances, les dangers du commerce lointain, lorsqu’ils peuvent réaliser, à un prix élevé, les denrées dans l’intérieur. D’un autre côté, n’oublions pas que l’exportation des céréales est à peu près impossible dans un pays où règne la disette. Il y a en effet danger et très-grand danger, à tenter d’exporter les subsistances qui se trouvent au milieu des populations qui souffrent de la disette. La loi, en prohibant l’exportation, ne fait en réalité aucune concession. En principe, je suis donc adversaire d’une législation qui, à mon avis, n’est profitable qu’à la classe la plus riche du pays.

C’est avec satisfaction que j’ai entendu l’honorable comte de Theux partager mon opinion, qu’un régime de liberté illimité, comme celui du gouvernement des Pays-Bas, serait le plus favorable à l’agriculture, et j’ajouterai, moi à l’industrie ; car la Belgique deviendrait le magasin de l’Europe, au lieu que le commerce des céréales est aujourd’hui abandonné à la Hollande.

La loi de 1834 est mauvaise dans son fondement ; on veut la rendre encore plus mauvaise, en établissant que l’entrée ne sera plus libre au-delà de vingt francs ; car on vous propose de fixer un droit de 12 fr. 50 c. par 1,000 kil. de 20 à 22 fr. et de 3 fr. lorsque le prix sera de 22 à 24 fr. Cette disposition est essentiellement mauvaise, injuste même en présence du maintien absolu du droit de 37 fr. 50 par 1,000 kil. jusqu’à ce que le prix surpasse vingt francs. Pour que la loi proposée fût conséquente avec elle-même, elle aurait dû abaisser le chiffre de 37 fr. 50 c., lorsque le prix était parvenu à 17 fr., et faire une échelle de 17 à 20 fr., en réduisant le droit de 17 à 18 fr., à 28 fr. ; de 18 à 19 fr., à 17 fr. ; de 19 à 20 fr. à 10 fr. C’est là l’échelle que proposait le gouvernement dans son projet de 1843, sauf qu’il réduisait le droit à six francs, de 19 à 20, et qu’ici je le porte à dix. On pourrait alors établir un droit de 6 fr. de 20 à 22 fr., et un droit de 3 fr. de 22 à 24 fr.

Remarquez qu’il y a à ajouter 16 centimes additionnels ; ainsi 28 fr. donnent 32-48 ; 17 fr. donnent 19-72 ; 10 fr. donnent 11 60 ; 6 fr. donnent 6 96 et 3 fr. donnent 3 46.

La loi n’aurait pas encore été bonne, mais elle aurait été moins mauvaise ; elle aurait, par cette disposition, compensé l’introduction d’une modification nouvelle apportée à la loi de 1834.

Qu’il me soit permis de faire observer que votre section centrale, après avoir décidé à l’unanimité, qu’un remaniement général du tarif des céréales ne serait pas proposé, vient ensuite apporter des changements à ce tarif, non afin de rectifier le tarif existant, mais le maintenant au contraire non tel que le présente la loi de 1834, mais renforcé de deux échelons, au détriment du consommateur.

L’on ne change rien, en ce qui concerne le seigle, à la loi de 1834, on semble ainsi protéger la classe malheureuse, mais on ne sait que trop que le prix du froment est régulateur des autres céréales, et que dès la cherté de celui-ci influera sur le prix du seigle, qui, par le mauvais rapport établi, reste frappé d’un droit excessif, avant que l’entrée libre soit prononcée. De belles mesures préventives contre la spéculation suffisaient, et on les prenait en augmentant le nombre des marchés.

Si vous adoptez le projet de la section centrale, les cultivateurs et les consommateurs s’en apercevront bientôt, les cultivateurs par la hausse du prix des baux, les consommateurs par le renchérissement des denrées alimentaires.

Les auteurs de la loi auront ce qu’ils désirent, ils ne demanderont rien de plus. On vous annonce une disposition provisoire, mais ce sera du provisoire dans le genre de la loi de 1834, et ils sauront s’opposer à ce qu’on revienne de sitôt sur cette question.

On a dit, messieurs, qu’on ne voulait augmenter l’échelle de l’impôt que pour le froment ; mais lorsque le froment monte, le seigle suit ; on ne peut faire renchérir le froment par une modification de tarif, sans que le seigle subisse une hausse proportionnelle. Cette connexion est tellement évidente qu’en France on a jugé inutile de rien stipuler de spécial pour le seigle dans la loi sur les céréales de 1832.

La loi suppose de plein droit que, si le froment hausse ou baisse, le seigle subit les mêmes variations.

Dès lors en touchant au tarif de froment, et en proposant des mesures pour en élever le prix, la section centrale agit très-directement sur le seigle et sur l’avoine. En ayant l’air de dire qu’on laisse dans le statu quo ce qui concerne le seigle, on établit ainsi un bien singulier statu quo.

La proposition de la section centrale est capitale, exorbitante, et sera, à coup sûr, une loi définitive.

La section centrale nous dit qu’elle n’a pas eu à établir les faits ou à discuter les principes sur lesquels doit reposer une bonne législation des céréales, et elle nous présente une disposition complémentaire des lois existantes, pour aggraver le triste sort qu’a fait au consommateur la loi de 1834, au profit non des cultivateurs, mais des propriétaires ; elle veut ainsi sanctionner la mesure inconstitutionnelle que nous avait envoyée le sénat. L’article 27 de la Constitution, ne peut laisser aucun doute ; l’initiative de toute loi d’impôt vous appartient, et c’est à regret que nous avons vu la section centrale détourner la question, en y mêlant celle des 21 membres qui n’a aucun rapport avec son projet, qui est bien réellement la proposition du sénat, sauf son dernier article. La chambre, en agissant ainsi, ne soutient pas ses droits constitutionnels. La section centrale suit la marche du gouvernement ; elle a recours aux expédients, pour éluder la question.

Cette mesure complémentaire est proposée sans même examiner les nombreuses pétitions qui vous ont été présentées, on en ajourne l’examen à l’époque où vous vous occuperez de la révision des lois des céréales.

Mais qui ne sait que c’est là un ajournement indéfini ? C’est donc le rejet de ces pétitions, et, en effet, la loi de 1834 portait qu’elle serait soumise à révision avant le 30 juin 1837 ; elle n’a pas été révisée et nous sommes en 1845.

Voilà, messieurs, l’accueil qu’on fait aux pétitions, droit qui est consacré par la Constitution.

On vient donc proposer d’aggraver la situation pénible des consommateurs, et dans quelles circonstances ? dans le moment où la nombreuse classe prolétaire augmente considérablement ;

Dans le moment où l’industrie générale de la Belgique doit produire bon marché si elle veut soutenir la concurrence avec les produits étrangers ;

Dns le moment où il est démontré, depuis bien des années, et j’en appelle au gouvernement, que la Belgique ne produit pas les céréales qui lui sont nécessaires.

Lors de la loi de 1834, on était parvenu à persuader que la Belgique produisait pour sa consommation, mais bientôt l’erreur a été démontrée et le gouvernement en 1840 vous disait :

« Le devoir du gouvernement est d’éclairer l’opinion publique et de démontrer non-seulement que la récolte des céréales qui forme a base de notre alimentation n’offre pas d’excédant à exporter, mais que, depuis dix ans, le pays consomme, ou ce qui est la même chose, a besoin de consommer, année commune, pour plus de deux millions de francs de grains, de froment et de seigle étrangers. »

S’il en était ainsi de la fatale loi de 1834, les besoins de la Belgique (page 1587) de recourir aux céréales étrangères, doivent être augmentés bien considérablement, car la population de la Belgique ne comptait alors que quatre millions d’habitants, aujourd’hui elle excède le nombre de cinq millions.

Et c’est avec une pareille augmentation de population, lorsque, de l’aveu du gouvernement, la production ne suffisait pas pour l’alimentation de quatre millions d’habitants, qu’on vient vous proposer d’augmenter les entraves à l’entrée des grains étrangers, lorsque cette population est augmentée de plus du quart !

On ne cesse de vous citer l’exemple de la France qu’on prend toujours pour point de comparaison, mais la France produit les céréales nécessaires à sa consommation, et d’autant plus facilement qu’elle ne fabrique ni bières, ni genièvre Or, en est-il de même en Belgique ? Non, sans doute. Il ne faut donc pas citer un pareil exemple. Non, messieurs, vous ne pouvez accueillir un pareil projet ; il suffirait d’une mauvaise récolte pour affamer la Belgique. Rappelez-vous qu’une seule distillerie à Anvers consomme annuellement 50 mille hectolitres de seigle. Avec des droits gradués jusqu’à 24 francs, lorsque le pays serait menacé de la famine, on verrait les céréales se diriger vers les pays voisins qui absorberaient les grains étrangers au détriment de la Belgique.

Ce serait là organiser la famine, et cette loi serait dès lors immorale et impolitique sans avantage pour l’agriculture, compromettant les intérêts de l’industrie et du commerce, le sort des classes ouvrières et le repos de la société, ne tendant qu’à favoriser quelques centaines de grands propriétaires au détriment de cinq millions de consommateurs.

Je ne croyais pas, messieurs, que le gouvernement se rallierait à un pareil projet ; je ne pouvais le croire, lorsque je jetais les yeux sur son projet de loi de 1840, et sur celui plus récent de 1843.

J’avais espéré que M. le ministre de l'intérieur, en nous faisant l’énumération des mesures qu’il allait prendre pour connaître les véritables besoins de l’agriculture et des populations, allait ensuite proposer l’ajournement de toute proposition sur les céréales ; car il n’y avait nulle urgence, lorsqu’en doublant les marchés régulateurs, on évitait les menées illicites des spéculateurs, il n’y avait, je dirai même, plus d’actualité ; mais M. le ministre a abandonné, comme de coutume, le système par lui proposé fin de novembre 1843, lorsqu’il a vu les exigences du sénat ; ce n’est plus une rectification de l’échelle de 1834 qu’il vient vous demander, il la perd tout à fait de vue, il a reçu le mot d’ordre, et il se gardera bien de l’enfreindre, car il lui est venu de la part de ceux qui aident à conserver les portefeuilles, aussi vient-il vous dire qu’il faut détruire l’appât qu’offre le tarif de 1834, qui fait passer subitement du droit de 37 fr. 50 à zéro.

Ce n’est pas ainsi qu’il voulait détruire cet appât en 1843. Alors l’expérience de plusieurs années avait constaté que la loi de 1834 présentait plusieurs défectuosités, il croyait qu’on pouvait facilement améliorer le système qui servait de baise à la loi de 1834, en restant dans les termes de cette loi ; que c’était là une expérience nouvelle, destinée à nous éclairer, le cas échéant, sur la révision du système en lui-même ; que ce système en effet ne pouvait être jugé, que s’il avait été appliqué avec les rectifications reconnues nécessaires.

Il ajoutait ensuite :

« Le prix de 20 francs est maintenu comme prix normal.

« A l’entrée, au lieu de passer immédiatement au droit fort élevé de 37 fr 50, quand le prix est au-dessous de 20 fr. et jusqu’à 15 fr. par hectolitre, on divise pour ainsi dire ce droit en cinq. En d’autres termes, on substitue à l’échelon unique de 15 à 20 fr. cinq échelons, et le droit de 7 fr 50, qui seul était applicable à cet échelon unique, est remplacé par des droits progressifs, et qui s’élèvent de 6 fr à 50 fr. (moyenne 28 fr.) en raison inverse de la diminution de prix. De même, le seul droit de 75 fr. par 1,000 kilog., applicable quand le prix de l’hectolitre de froment est de 12 fr. et au-dessous de 15 fr. est divisé et remplacé par une série de 3 droits, variant de 61 à 83 fr. (moyenne 72 fr.) les 1,000 kilog., et progressant, par conséquent aussi, en raison inverse de la diminution des prix, le tout jusqu’à la prohibition à l’entrée, qui a lieu, comme sous la loi de 1834, quand le prix du froment est de 12 fr. et au-dessous.

« Il n’échappera à personne que, par les changements indiqués, on reste dans les termes de la loi de 1834. On se borne à graduer les droits qu’elle a établis.

« On peut voir par le tableau (annexe litt. O), que dans tous les cas on s’est attaché à assurer à l’agriculture le prix rémunérateur de 20 fr ; par hectolitre. Au fut et à mesure de la diminution des prix, le droit d’entrée s’élève de manière à maintenir ce prix normal à l’intérieur du pays. »

Aujourd’hui tout est changé : pour plaire aux grands propriétaires les droits de 37 fr. 50 sont maintenant jusqu’à ce que le prix de l’hectolitre de froment excède vingt francs.

Qui aurait jamais cru, messieurs, que M. le ministre de l'intérieur ferait une telle abnégation de ses principes, si clairement manifestés dans son projet de 1843 ? Je concevrais qu’il eut pu se rallier au projet de la section centrale, au projet voté par le sénat, mais en y apportant une modification qui aurait réduit le droit de 37 fr. 50 d’après une échelle convenable lorsque le prix du froment aurait été de 17 à 20 fr. l’hectolitre.

C’est là une nouvelle preuve de sa soumission pour les exigences de certains corps, de certaine majorité, qui lui inspirent des craintes pour sa position actuelle.

Ce n’est pas ainsi que j’entends l’action du gouvernement, qui doit chercher à maintenir la tranquillité dans le pays ; car il reste certain pour moi, que le projet restant tel qu’il est présenté, il pourrait servir à la troubler ; c’est un germe de plus de division et d’irritation lancé dans le pays et division d’autant plus fâcheuse, qu’elle tend à mettre les classes ouvrières en état d’hostilité envers la propriété foncière.

M. Eloy de Burdinne – Avant d’entamer la discussion au fond, je me permettrai de répondre quelques mots à l’honorable M. Lys.

L’honorable membre est impressionné de l’idée que la loi que nous proposons doit faire hausser le prix des grains en proportion du droit dont il sera atteint. Cette opinion est erronée. Je suis à même de le démontrer, et je le démontrerai.

L’honorable M. Lys vous a dit que la loi française de 1832 ne frappait que le froment d’un droit d’entrée, et qu’elle n’imposait pas le seigle. Il faut que l’honorable membre n’ait pas lu la loi française. Que dit, en effet, l’article 3 de cette loi ? Cet article porte :

« Art. 3. Les droits d’entrée des grains d’espèce inférieure et leurs farines seront fixés d’après les droits à prélever sur le blé-froment et sa farine dans la proportion du tableau. »

Or, qu’avons-nous fait en vous proposant le projet de loi ? Nous avons établi le droit sur le seigle, sur l’orge, sur l’avoine et sur d’autres denrées, d’après l’échelle française.

L’honorable M. Lys compare toute la Belgique aux environs de Verviers. Il croit que la Belgique ne produit pas de grains en quantité suffisante pour alimenter ses populations.

M. Lys – C’est le gouvernement qui nous a fourni la démonstration de ce fait.

M. Eloy de Burdinne – Oui, le gouvernement a fait des investigations, il a demandé des renseignements aux administrations locales, par l’intermédiaire de MM. les gouverneurs. Et vous vous imaginez que les rapports des administrations locales sont exacts ! détrompez-vous, sous l’administration française, les campagnards ont été trop souvent dupes de leur franchise, en donnant l’exacte indication de leurs produits, parce que ces demandes de renseignements leur étaient toujours faites dans le but de les surcharger. Que font-ils depuis lors ? ils déguisent la vérité ; ils donnent les deux tiers, ou tout au plus les trois quarts de leurs produits réels.

D’après les statistiques fournies par le gouvernement la production de la Belgique n’est que de 9 millions d’hectolitres de froment et de seigle, tandis que les besoins de la population exigent dix millions, dit M. le ministre, dans son rapport ; donc, il nous manque un million d’hectolitres.

Il y a dix ans que je m’occupe de statistique ; je puis donc croire que la statistique que je fais maintenant des produits, aura toute l’exactitude qu’il est possible d’apporter dans les documents de ce genre. Cette statistique est près d’être terminée ; pour obtenir des renseignements convenables, j’ai parcouru le pays au lieu d’aller passer mes vacances de Pâques dans mes foyers. Je me suis assuré de la quantité des produits ; nous avons le cadastre, qui nous donne le nombre des terres labourables en Belgique, et quand on est muni de renseignements pris sur les lieux mêmes, on est à même, je pense, de faire un travail aussi exact qu’il est possible de rédiger en fait de statistique agricole.

Messieurs, je me fais fort de vous démontrer que la Belgique produit, non pas 9 millions de céréales, mais 13 à 14 millions, année commune.

Au surplus, quand ma statistique sera terminée, je la soumettrai à l’investigation de mes amis et de mes adversaires.

Le projet de loi, dit l’honorable M. Lys, va organiser la famine. Je le prie de voir ce qui s’est passé en France. Est-ce que la loi française a organisé la famine ? Il s’en faut de beaucoup ; tout à l’heure, je vous le démontrerai par la statistique française. Je démontrerai aussi qu’il n’est pas exact, comme l’a annoncé M. Lys, que la France produise le grain nécessaire à la consommation. Elle en approche ; mais depuis quand ? Depuis qu’elle a la loi protectrice que nous réclamons. Avant, elle en était fort loin. Je le démontrerai encore par la statistique. Elle démontre la nécessité d’une loi protectrice, non dans l’intérêt de l’agriculture, mais du consommateur. Savez-vous qui a intérêt à ce que le grain soit cher ? Ce sont les spéculateurs, le commerce. Cela s’est vu à différentes époques, il est facile de le démontrer. Je vous en donnerai tout à l’heure un échantillon.

Ce sont, dit-on, les intérêts des grands propriétaires que nous défendons. Mais les propriétaires sont les plus intéressés à avoir la liberté illimité ; ils sont plus intéressés à avoir la loi de 1834 que la loi que nous proposons, parce que, par les fluctuations des prix des grains, les terres sont recherchés, et on les leur loue quand les baux ont encore deux ou trois ans à courir ; on calcule sur un prix de 25 fr., et les malheureux se ruinent.

Vous comprenez qu’un grand propriétaire est intéressé à avoir un haut prix, pour louer chèrement. Par la loi française, il est évident que jamais les grains en France n’ont été aussi chers qu’en Belgique, ce que je démontrerai tout à l’heure.

Mais l’honorable M. Lys a dit aussi que ce projet de loi pouvait occasionner des troubles ; oui par suite de la méchanceté, de l’ignorance et de la fausse interprétation qu’on donne à un acte d’homme beaucoup plus philanthrope, beaucoup plus humain, plus intéressé à favoriser les classes pauvres que ceux qui repoussent notre projet qui ne peut déplaire qu’aux marchands de grains et aux spéculateurs qui vivent au détriment des classes pauvres et des consommateurs.

L’honorable M. Osy est un grand propriétaire ; il a intérêt à voir des variations dans le prix des grains, parce que quand le prix est élevé il a des baux à renouveler, il profitera de l’occasion comme les autres.

L’honorable M. Osy est un peu marchand de grain, si mes renseignements sont exacts.

M. le président – M. Eloy de Burdinne, ce que vous dites là est une personnalité ! C’est contraire au règlement.

(page 1588) M. Eloy de Burdinne – L’honorable membre fait partie du commerce. Il a intérêt aux fluctuations dans les prix des céréales, par conséquent…

M. le président – J’invite l’orateur à s’adresser à la chambre.

M. Eloy de Burdinne – Je réponds à l’honorable M. Osy qui a dit qu’il était désintéressé dans la question.

M. le président – Aux termes du règlement, vous devez vous adresser à la chambre.

M. Eloy de Burdinne – Je m’adresse à la chambre ; il y autant de chambre à ma droite qu’à ma gauche.

Je passe tantôt de la gauche à la droite, de la droite à la gauche.

M. le président – Certainement vous pouvez vous adresser tantôt à la droite tantôt à la gauche de la chambre, mais vous ne pouvez vous adresser à un membre personnellement.

M. Eloy de Burdinne – Si vous le préférez, je m’adresserai au président.

J’aurais cependant un mot à adresser à l’honorable M. Manilius qui a dit que les malheureux ouvriers de Gand devraient travailler pendant une partie de la nuit pour parvenir à se procurer du pain. C’est un fait, mais ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’à Gand où il y a tant de philanthropie, on frappe d’un impôt mouture la consommation uniforme des habitants. Comment ! il faut avoir du grain à bon marché ; nous le voulons aussi, mais nous voulons protéger le produit de notre sol comme nous protégeons les produits de l’industrie cotonnière gantoise, à la différence que nous ne demandons pas de subsides à l’Etat pour favoriser notre industrie.

M. Manilius – Nous non plus !

M. Eloy de Burdinne – L’honorable M. Manilius dit qu’il n’en demande pas non plus, mais alors les 700 mille fr. que nous avons votés pour encourager l’exportation de l’industrie cotonnière gantoise, ont donc été dépensés en pure perte !

L’ouvrier sans ouvrage paye le pain plus cher à 15 fr. l’hectolitre qu’à 20 fr. lorsqu’il a de l’ouvrage, et pour autant que l’industriel paye convenablement son travail.

C’est ce que vous a démontré M. Pirson.

Pour le moment, je me bornerai à ces quelques observations.

J’aborde des faits qui sont de nature à démontrer que notre proposition est bien plus favorable au consommateur qu’au producteur. C’est donc pour justifier notre acte que l’entrerai en matière.

La question qui nous occupe est une question grave, nous ne devons pas nous le dissimuler.

S’il était vrai, comme on le prétend, que le droit dont nous proposons de de frapper les céréales étrangères, dût être supporté par le consommateur, aucun de nous n’aurait signé la proposition qui vous est soumise ; et si elle était venue du dehors, elle eût rencontré autant d’opposants qu’il y a de membres dans le parlement belge.

Les économistes prétendent que les droits dont sont frappées les denrées de première nécessité sont supportés par les consommateurs. Il en serait ainsi si le monopole avait lieu.

Mais lorsque plusieurs nations produisent les mêmes denrées sur nos marchés, elles viennent entre elles se faire concurrence sur les marchés des pays qui ne produisent pas suffisamment les matières qu’elles importent, et le droit de douanes est supporté par les importateurs et nullement par le consommateur, au moins en thèse générale (il est des exceptions à toutes les règles, mais l’exception ne fait pas la règle).

17 nations nous importent de l’orge :

Mise en consommation pendant les années 1843 et 1844

Provenance : Russie 1843 : 1,848,307 kil. 1844 : 1,531,061 kil.

Provenance : Suède :1843 : 17,011 kil. 1844 : 736,779 kil.

Provenance : Norwége : 1843 : 35,400 kil. 1844 : » .

Provenance : Danemark : 1843 : 6,653,209 kil. 1844 : 3,901,081 kil.

Provenance : Prusse : 1843 : 8,209,691 kil. 1844 : 9,200,346 kil.

Provenance : Mecklenbourg-Schwérin : 1843 : » 1844 : 160,760 kil.

Provenance : Hanovre 1843 : 2,292,095 kil. 1844 : 1,994,809 kil.

Provenance : Grand-duché de Luxembourg : 1843 : 13,586 kil. 1844 : 2,596 kil.

Provenance : Pays-Bas : 1843 : 17,998,755 kil. 1844 : 20,749,968 kil.

Provenance : Angleterre : 1843 : 859,365 kil. 1844 : 51,790 kil.

Provenance : France : 1843 : 525,463 kil. 1844 : 744,091 kil.

Provenance : Egypte : 1843 : » 1844 : 128,877 kil.

Provenance : Hambourg : 1843 : ». 1844 : 157,553 kil.

Provenance : Brême : 1843 : » 1844 : 29,094 kil.

Total général : 1843 : 38,452,882 kil (dont 22,862 kil. au droit réduit) ; 1844 39,368,805 (dont 8,508 au droit réduit)

Il n’en est pas de même des impôts de consommation dont on frappe les produits de son sol. L’impôt mouture, par exemple, est supporté par le consommateur ; et une commune d’une population de 100,000 âmes, qui percevrait 200,000 fr. d’impôt mouture annuellement, frapperait sur chaque contribuable une contribution de 2 fr., taux moyen. Comme la classe ouvrière consomme plus de pain que la classe aisée, il est constant que cet impôt est en grande partie supporté par la classe ouvrière.

Ce n’est pas à la légère, messieurs, que nous vous avons soumis le projet de loi sur les céréales, projet que nous avons considéré comme bien plus avantageux encore à la classe des consommateurs qu’à la classe des producteurs. Notre conduite a été franche et loyale ; nous vous l’avons prouvé en donnant longtemps d’avance, je ne dirai pas des arguments, mais des faits à l’appui de notre proposition. A ces faits, comment a-t-on répondu ? On a répondu par des injures. Cependant, messieurs, ces faits on a pu les contrôler ; et si, comme nous, on avait bien examiner les documents statistiques et les mercuriales qui nous ont été distribués le 4 mars 1845, loin de nous combattre, on voterait sans désemparer le projet de loi sur les céréales que nous avons eu l’honneur de soumettre à la législature.

Ce n’eût été qu’en tremblant que nous vous eussions proposé une échelle graduée aussi élevée ; je pourrais même dire que nous aurions reculé devant cette présentation si nous avions pu croire que le quart même du droit dont nous frappons les céréales étrangères auraient été supporté par le consommateur. Une échelle aussi élevée régit la matière en France, et je ne crois pas que la position agricole belge diffère beaucoup de la position agricole française. S’i y a une différence, elle est en faveur de la Belgique.

Nous avons cru qu’une législation qui régit la matière en France depuis plus de douze ans et dont on est généralement satisfait, si j’en excepte le commerce qui spécule sur la nourriture uniforme de la classe pauvre, pourrait être adoptée en Belgique ; et cette législation, nous vous l’avons proposée en vue d’éviter le trop haut comme le trop bas prix des céréales. L’un et l’autre de ces deux excès est nuisible à la classe ouvrière. Ce fut en vue d’éviter les extrêmes que nous vous avons soumis le projet de loi dont l’adoption produirait le même résultat que celui obtenu en France, à la satisfaction générale du pays, si j’en excepte quelques économistes peu satisfaits de voir leur théorie renversée par la pratique.

J’en viens maintenant aux faits, et je vais démontrer que les droits de douanes sur les céréales sont acquittés et supportés par l’étranger.

Pour administrer cette preuve en Belgique sur toutes les espèces de céréales, il eût fallu que la législation sur les droits d’entrée du froment et du seigle eût varié aussi souvent que sur l’orge. Il n’en fut pas ainsi, la législation de 1834 n’a pas varié en ce qui concerne le froment.

L’orge nous fournit le moyen de prouver la vérité.

Résultat de la pratique.

En 1831, 1832, 1833 et 7 mois de 1834, en franchise de droit, prix moyen : fr. 10 42

Du 1er août 1834 au 31 décembre 1839, cinq années, cinq mois, au droit d’un franc par hectolitre, prix moyen : fr. 9 70

En 1840, 1841 et 1842, au droit de 4 p.c., le prix moyen de ces trois années fut de fr. 11 42

Quatrième période : en 1843 et 1844, deux années au droit de 25 c. par hect. ; prix moyen : fr. 10 92.

Il résulte de cette démonstration que l’orge a valu 1 fr. 22 c. de moins pendant la période où elle était frappée du droit d’un franc comparativement à son prix pendant les trois exercices où elle entrait en franchise de droit ou 4 c ; de droit de balance.

Je ne veux pas insinuer que le droit dont cette céréale a été frappée en a fait baisser le prix, mais bien que le droit n’a exercé aucune influence. Cependant, si l’inverse était arrivé, nos adversaires en auraient peut-être tiré parti ; ils auraient prétendu que l’élévation du prix était le résultat du droit de douane dont étaient frappées les céréales étrangères.

De l’orge, je passe au froment et au seigle.

Le prix de l’hectolitre de froment était en 1833, taux moyen, de fr. 14 73.

Il entrait sans droit.

En 1834, pendant les cinq derniers mois de l’année, sous l’empire de la législation de 1834, au droit de douane de six francs l’hectolitre, il a été vendu à 14 92, soit 19 centimes plus cher avec un droit de six francs, que sous le régime libre.

Le cultivateur a obtenu 19 centimes de faveur et non six francs, comme le prétendent nos économistes.

Voilà un fait bien plus étonnant : en 1833, le prix du seigle fut, taux moyen, de fr. 9 85 sous le régime de libre entrée.

En 1834, sous le régime de la loi qui frappait cette céréales d’un droit de trois francs, le prix étant en dessous de neuf francs, pendant les cinq derniers mois de l’année 1834, le seigle, taux moyen, a valu fr. 8 63, moins cher de fr 22 centimes au droit de 3 fr. que sous l’empire de la liberté absolue.

Je bornerai là mes observations sur la variation du prix des grains survenue en Belgique sous l’empire d’une loi qui peut être éludée et qui prête trop à la spéculation contre l’intérêt de la classe des cultivateurs, mais plus encore contre celui des consommateurs.

Les faits suivants vont vous prouver l’effet bienfaisant d’une loi de l’espèce de celle que nous vous avons soumise.

La France est régie par une législation qui ne diffère que très peu de notre projet.

Voyons ses effets en France et comparons-les à ce qui a lieu en Belgique. Je trouve, dans les documents statistiques que nous a fournis le gouvernement, le 4 mars 1845, le prix des grains en France et en Belgique.

(page 1589) Ne voulant pas abuser de votre indulgence, je ne vous entretiendrai que des prix courants du froment en 1838, tant en France qu’en Belgique.

A partir du 1er janvier jusqu’au 31 avril, époque où les trois quarts des cultivateurs vendent leurs céréales, le prix de l’hectolitre de froment fut, taux moyen, de fr. 16 87, en Belgique ;

En France, à plus de 17 fr. 90 c., taux moyen, pendant cette période. Ici avantage pour le cultivateur français de près d’un francs par hectolitre, de faveur pour le consommateur de trois quarts de centime par kilogramme de pain.

Passons au prix comparatif à partir du mois de juin.

Comparaison des prix de l’hectolitre de froment en France et en Belgique pendant cinq mois de 1838

Juin 1838 :

En Belgique, libre à l’entrée, prix : fr 20 62

En France, au droit de 6 fr. 25 c. à l’entrée : fr. 18 47.

Il était en France de 2 fr. 15 au-dessous du prix belge.

Juillet 1838 :

En Belgique, libre à l’entrée, prix : fr 21 64

En France, au droit de 6 fr. 25 c. à l’entrée : fr. 18 65.

Il était en France de 2 fr. 99 au-dessous du prix belge.

Août 1838 :

En Belgique, libre à l’entrée, prix : fr 22 88

En France, au droit de plus de 6 fr. fr. 18 85.

4 fr. 03 au-dessous du prix belge.

Septembre 1838 :

En Belgique, libre à l’entrée, prix : fr 24 73

En France, au droit de 4 fr. 75 : fr. 19 76.

4 fr. 97 au-dessous du prix belge.

Octobre 1838 :

En Belgique, libre à l’entrée, prix : fr 25 36

En France, au droit de 3 fr. 25 c. : fr. 20 71.

4 fr. 65 au-dessous du prix belge.

En 1838 le commerce avait fait ses approvisionnements chez les cultivateurs au prix moyen de fr. 16 87.

Il a vendu, taux moyen, à fr. 23.

Bénéfice brut par hectolitre, 6 fr 13.

Bénéfice net plus de 5 fr. par hect.

Soit environ 30 p.c. d’intérêt de son capital en 8 à 9 mois.

D’après ce que vous venez d’entendre, vous devez reconnaître que les droits sur les céréales n’ont d’influence sur le prix que lorsque les grains sont bien en dessous du prix normal, tandis que, le froment parvenu au-dessus du prix normal, le droit protecteur accordé par notre projet, en faveur du consommateur, est bien plus dans l’intérêt de ce dernier, qu’il n’est avantageux pour le cultivateur.

L’adoption de notre proposition produirait un résultat semblable à celui produit en France, qui est de maintenir les prix au taux normal.

Nous devons chercher à éviter le trop haut comme le trop bas prix.

Le trop haut prix est une calamité.

Le trop bas en est une autre.

Il faut que l’ouvrier qui produit le grain puisse en manger comme celui qui travaille à d’autres productions ; et lorsque la classe des cultivateurs est dans la gêne, le commerce et l’industrie ne vendent plus leurs produits, et, si cette gêne dure quelques années, alors les ouvriers manquent d’ouvrage, ils payent le pain plus cher que lorsqu’ils ont à travailler, il leur en coûte un ou deux centimes en plus.

Pour obtenir les produits à bon compte, on doit encourager la production.

Les faits suivants vont le prouver.

La loi française fut votée en 1832, et confirmée en 1833.

Premier triennal Pendant les années 19831, 1832 et 1833, avant de juger le résultat de la loi, il y eut un excédant d’importation sur les importations pour complèter la consommation pendant ces trois années, de 5, 123,700 hectolitres de froment, soit par année, 1,707,900 hectolitres, taux moyen.

Deuxième période – En 1834, 1835 et 1836, sous le régime de la loi des céréales, semblable à celle proposée pour ces trois années, il a suffi de 95,716 hectolitres, soit par année 31,905 1/3, et cela pour combler le déficit des produits sur la consommation.

Troisième triennal – En 1837, 1838 et 1839 ;

Plus importé qu’exporté, 728,171 hect.

Soit taux moyen par année, 242,724 hect.

Quatrième période – En 1840, 1841 et 1842 :

Plus importé qu’exporté, 1,799,042 hect.

Soit taux moyen par année, 599,680 hect.

Par la différence des importations en moins, depuis l’adoption de la même loi que celle que nous proposons, on doit reconnaître que la production en céréales a considérablement augmenté en France, et que la loi a produit un effet moral sur les propriétaires qui ont été portés à faire plus de dépense en engrais étrangers ; de là une augmentation de produits.

Je terminerai par cette dernière observation, me réservant d’y revenir, attendu que j’ai bien d ‘autres faits à vous soumettre, tous à l’appui de notre proposition.

Je me réserve de revenir sur cette question, si on m’en donne l’occasion. Je ne reculerai pas devant aucune difficulté sérieuse qui serait de nature à être combattue franchement et loyalement.

Je reviendrai sur cette question.

- M. Vilain XIIII remplace M. d’Hoffschmidt au fauteuil.

M. Cogels – S’il est une question où le gouvernement devrait être jaloux de son droit d’initiative, c’est celle qui nous occupe ; car, ainsi qu’on l’a fait remarquer dans le rapport de la section centrale, aucune question ne peut présenter plus d’intérêt engagés, et des intérêts plus difficiles à concilier.Cependant, qu’avons-nous vu ? A la suite d’une loi qui n’était ni favorable à l’agriculture ni favorable au commerce ; que la chambre a votée, mais qu’elle a subie plutôt qu’approuvée ; à la suite de cette loi, nous avons vu un honorable membre du sénat faire une proposition qui devait avoir des résultats tout à fait opposés, mais qui renfermait des dispositions inexécutables, qui la firent reposer dans les cartons du sénat pendant près de trois mois. Cependant, dans l’intervalle, la baisse des céréales fait des progrès. C’est à l’occasion des bas prix de février qu’on a vu surgir la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne, à laquelle 20 de ses honorables collègues se sont ralliés ; quand je dis 20, je me trompe, car tous ou presque sont venus nous dire qu’ils avaient signé la proposition, mais n’en approuvaient nullement les dispositions, ou, si l’on veut, les chiffres. Or, en pratique, les chiffres sont tout.

Il me semble qu’avant de signer on aurait dû calculer toutes les conséquences, toute la portée de la proposition. Au reste, je suis loin de vouloir m’associer aux clameurs que cette proposition a fait surgir. Je respecte les intentions qui ont dicté cette proposition. Je suis convaincu que ces intentions étaient bonnes ; que nos honorables collègues n’ont pas voulu aggraver la position de la classe pauvre, qu’ils n’ont pas voulu accorder à la propriété une protection exagérée au détriment d’autres intérêts tout aussi respectables. Pour moi, je n’ai acquis qu’une conviction, c’est que plusieurs honorables membres s’étaient trompés de prime abord sur les conséquences que la proposition pouvait entraîner. Ce qui le prouve, c’est que dans une section composée de plusieurs membres signataires, j’ai vu, sinon la proposition, du moins les bases de la proposition écartées à l’unanimité.

Les honorables membres ont d’abord voulu presser l’examen de leur proposition. Cependant la chambre a senti la nécessité, dans une question aussi grave, de s’entourer de renseignements qu’elle n’avait pas.

Enfin, comme il n’y avait pas péril en la demeure, et comme le prix des grains se relevait, on ne s’en occupa point. Mais cette hausse des prix amena une autre proposition, le projet de loi du sénat ; ce projet de loi, qui est une conséquence de la proposition de l’honorable baron de Coppens, et qui cependant n’y ressemble nullement, fut présenté, discuté et voté en deux jours ; on vint nous le présenter comme projet d’urgence ; on voulait nous le faire voter sans examen ; ce fut le jour de notre séparation qu’il nous fut présenté. Fort heureusement, la chambre résolut de prendre tout le temps nécessaire pour son examen.

Deux jours auparavant, M. le ministre de l'intérieur avait lui-même augmenté l’inquiétude qui s’était répandue, je ne sais trop comment. On était menacé, nous disait-il, de voir le prix du froment porté à 20 fr. et de voir une nouvelle combinaison amener sur le marché en quelque semaines les grains nécessaires à la consommation de toutes une année ; or, savez-vous ce que c’est que le grain nécessaire à la consommation de toute une année ? C’est 10,500,000 kilog ; c’est 700,000 tonneaux, c’est-à-dire 2 ½ fois le mouvement de toute notre navigation ; c’est-à-dire une quantité de gains pour laquelle il faudrait 160 millions de francs. Nous étions menacé de voir arriver tous ces grains, quand nos fleuves étaient gelés, quand nos entrepôts étaient vides, que ceux de la Hollande et de l’Angleterre étaient mal fournies, lorsque la navigation de la Baltique ne devait pas être ouverte avant 2 mois. Ces grains auraient dû nous tomber du ciel. Sans cela, je ne sais comment ils seraient arrivés.

Enfin, la proposition du sénat fut renvoyée aux sections et livrée à l’examen ordinaire, simultanément avec la proposition de 21 de nos honorables collègues. Quel fut le résultat de cet examen ? Il y eut autant de projets, autant de systèmes qu’il y a de sections. Preuve combien la chambre était éclairée sur la question, comment tout le monde était pénétré des véritables intérêts du pays !

La section centrale, qui n’avait pas plus que nous le temps d’examiner la question à fond, trouva un moyen terme à cette situation difficile, aux inquiétudes qu’on avait vu naître, à tort ou à raison dans le pays. Que fit-elle ? Elle présenta, non pas la proposition du sénat, mais un fragment de cette proposition ; car, il faut en convenir, la proposition du sénat n’est en partie pas autre chose que le projet de la section centrale. Elle nous le propose non comme une disposition définitive, mais comme une disposition tout à fait provisoire. Ainsi, c’est une situation provisoire à ajouter à tant de provisoire que nous avons déjà dans notre législation sur les céréales. Car si nous exception la disposition relative au froment, tout est provisoire.

La section centrale a reconnu que nous ne pouvons faire maintenant une législation définitive, que la question n’a pas été suffisamment étudiée, que nous ne sommes pas entourés des renseignements nécessaires, que par conséquence tout ce qu’il y a à faire, c’était d’assurer l’exécution de la législation de 1834. C’est ce qui se trouve textuellement dans le rapport ; et c’est un point sur lequel on paraît généralement d’accord.

Mais, messieurs, quelle est la base de la loi de 1834, quel est le principe de cette loi ? C’est le prix rémunérateur.

Il fat se reporter à l’époque à laquelle la loi de 1834 a été votée. Nous nous trouvions alors sous le régime d’un droit fixe. Nous avons vu à cette époque une baisse progressive du prix des céréales, non pas causée par le droit fixe, car je prouverai tout à l’heure le contraire, mais causée par deux récoltes très-abondantes dans toute l’Europe, pas deux récoltes excédant les besoins de la consommation, cause qui produira toujours et partout les mêmes effets.

En 1834, on n’était pas très exigeant. On regardait le prix de fr. 17 50 comme un prix rémunérateur, et je crois qu’il pouvait l’être alors. On établit donc, pour laisser une certaine liberté au commerce, une échelle qui n’était pas très-bien graduée, mais qui soumettait au même droit le froment à partir de 15 fr. jusqu’à 20 fr. ; au-delà de 20 fr. entrée libre. (p. 1590) Ce n’était qu’au-dessous de 15 fr. qu’il y avait un droit excédant le droit supposé normal de fr. 37 50 qu’on avait substitué au droit fixe.

Quelles furent, messieurs, les conséquences de cette loi ? Elle n’eut d’abord aucune influence, comme vous l’a fort bien dit l’honorable M. Eloy de Burdinne, sur les prix des céréales. Car nous vîmes, dans les cinq derniers mois de 1834, le prix moyen du froment à 14 fr. 92 c., dans l’année 1835, il fut de 14 fr. 67 c. ; en 1836, de 15 fr. 58 c. ; en 1837, de 16 fr. 62 c., et ce n’est que dans les années 1838, 1839 et 1840 que nous le vîmes s’élever à 21 fr. 17 c., 23 fr. 86 c. et 22 fr. 21 c., et rester successivement aux environs de 20 fr., pour s’élever à nouveau, en 1842, au prix de 22 fr. 16 c.

Vous le voyez, messieurs, ce n’est pas loi qui, dans les circonstances ordinaires, agit sur le prix des céréales, mais c’est la nature et ce sera toujours la nature qui agira sur les prix, et qui dominera toutes les lois. Aussi, qu’a fait le gouvernement pendant toute cette période qui s’est écoulée depuis 1834 ? Il nous a proposé plusieurs lois provisoires, mais pas une seul qui fût dans l’intérêt de l’agriculture. Toutes les lois qui ont été proposées par le gouvernement depuis 1834, ont été proposées dans l’intérêt des consommateurs, non pas en vue de la hausse du prix des céréales, mais dans l’intérêt de la baisse. Je n’en citerai qu’une seule, parce qu’elle est la plus importante et parce qu’elle a beaucoup d’analogie avec la position dans laquelle nous sommes exposés à nous trouver peut-être d’ici à huit à dix mois.

Messieurs, vous vous rappelez tous que l’hiver de 1837 à 1838 avait été extrêmement rigoureux. On avait conçu d’abord de grandes inquiétudes pour l’état de la récolte. Cette inquiétude s’était calmée plus ou moins ; mais, finalement, on s’aperçut qu’en 1838 on avait eu une mauvaise récolte, on s’aperçut qu’à la fin de cette année les approvisionnement de la Belgique n’étaient pas suffisants pour les besoins de sa consommation, et c’est pourquoi l’honorable M. de Theux, qui était alors ministre de l’intérieur, proposa fort sagement la loi dont je vais vous donner lecture : elle est du 3 janvier 1839 :

« Par modification temporaire à la loi du 31 juillet 1834 (n° 626), les grains et farines de froment et de seigle, importés en Belgique depuis la date de la promulgation de la présente loi, jusqu’à celle du 31 juillet 1839 exclusivement, seront admis à l’importation en franchise de tous droits de douane, sauf le payement d’un droit de balance fixé à 50 c. par 1000 kilogrammes. »

Vous voyez donc, messieurs, que le gouvernement assurait la libre entrée de tous les grains qui pouvaient s’importer en Belgique pendant six mois et demi. Pourquoi le fit-il ? Parce qu’il s’était aperçu que la loi de 1834 avait apporté des entraves au commerce, qu’elle avait éloigné les commerçants de faire arriver dans les entrepôts belges des grains dont la vente pouvait devenir impossible. En effet, messieurs, il aurait suffi d’une simple modification du prix des mercuriales pour rendre invendables des grains qui, à l’époque où les ordres auraient pu être donnés, pouvaient entrer en franchise de droits. Le gouvernement a donc pris cette mesure pour dire aux négociants : Vous pouvez hardiment donner des ordres dans la Baltique et ailleurs ; tous ce que vous ferez entrer d’ici à six mois, vous pourrez l’introduire en franchise de droits, alors même que les prix tomberaient à 15 fr.

Eh bien, messieurs, nous pouvons nous trouver cette année dans la même position où nous nous sommes trouvés lorsque le gouvernement a reconnu la nécessité de prendre cette mesure. En effet, la récolte se présente de la manière la plus fâcheuse ; l’orge est détruite, en grande partie ; le froment a considérablement souffert. Nous ne pouvons pas encore juger de l’importance du mal qui aura été fait. Je désire de tout mon cœur que les craintes exprimées à cet égard ne se justifient pas, mais il est bien certain que l’on connaîtra seulement le véritable état de la récolte lorsque la moisson sera faite. Eh bien, alors il sera peut-être trop tard pour amener en Belgique les grains nécessaires à l’approvisionnement du pays. Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, à cette époque les approvisionnements sont presque nuls et nous avons bien autre chose à craindre que des importations exagérées comme celles que l’on dit avoir été faites en 1843.

On a beaucoup parlé de combinaisons qui auraient eu lieu en 1843, combinaisons que je serais le premier à condamner et dont je chercherais par tous les moyens possibles à empêcher le retour. Mais, messieurs, ne soyons pas plus sévères que ne l’ont été les tribunaux ; ne condamnons pas des hommes que les tribunaux ont acquitté. Vous le savez, messieurs, l’affaire a été déférée à la justice, et heureusement on n’a pas trouvé de coupables. Ce qui prouve, du reste, que la hausse, à cette époque, n’était pas due à ces combinaisons, c’est que, lorsque le résultat a été atteint, ce qui aurait dû produire une forte baisse, on a vu au contraire, continuer la hausse.

En effet, messieurs, comme l’a dit M. le ministre de l'intérieur, la combinaison a eu lieu au mois de juin ; c’est dans la première semaine de juillet que l’importation a été déclarée libre. C’est à cette époque qu’il a été importé en franchise de droit, à peu près 200,000 hectolitres, jetés immédiatement sur le marché. Eh bien, messieurs, quelle a été sur le prix des céréales l’influence de cette immense importation ? Dans la deuxième semaine de juillet, le prix du froment était de 20 fr ; 29 c. ; dans la troisième semaine il était de 20 fr. 40 ; dans la quatrième de 21 fr. 10 ; dans la première semaine d’août, il était de 21 fr ; 91 ; dans la deuxième de 21 fr. 34 ; dans la troisième de 20 fr. 28.

Vous voyez donc, messieurs, que si la hausse a pu être aidée par des combinaisons, elle existait dans la nature des choses et qu’elle se serait produite sans qu’on se fût le moins du monde pressé de l’obtenir.

L’honorable M. Eloy de Burdinne vient de nous parler des conséquences du régime français. A l’entendre on dirait , messieurs, que l’adoption de sa proposition, qui est hors de question maintenant, devrait avoir pour effet de faire baisser le prix des céréales.

Mais, s’il en était ainsi, je ne sais pas trop comment l’agriculture y trouverait un encouragement, une protection, car il est bien certain que si, par exemple, on allait promettre aujourd’hui aux fermiers que le froment s’établira en Belgique au taux normal de 17 fr., ils ne verraient pas là un grand encouragement à cultiver ce qu’ils vendent maintenant 19 à 20 fr. Je n’ai donc pas bien compris la force de cet argument.

Mais, messieurs, il faut voir ce qui s’est passé en France.

La loi française est du 16 juillet 1819 ; au moins, c’est alors qu’on en a adopté les bases, car les lois subséquentes n’ont été, pour ainsi dire, que réglementaires, sauf quelques-unes qui ont eu pour objet de faciliter l’importation dans certains départements du Midi. Eh bien, messieurs, on nous a dit que la législation française empêchait les prix de descendre trop bas et de s’élever trop haut. Voyons ce qu’il en est :

En 1829, la principale année de véritable disette que nous ayons eue depuis l’introduction de la loi française, en avril 1829, le prix du froment était :

A Arras, de fr. 30 50 ; à Cambrai, de 31 ; à Douai, de 29 ; et à Péronne, jusqu’à 33 25. A la même époque nous avons vu le seigle : à Arras, à fr. 17 75, à Cambrai, à 18 50, et à Douai, à 17. Je n’ai pas les prix du marché de Péronne pour le seigle.

Eh bien, messieurs, en Belgique, on n’avait pas vu les prix du froment dépasser : à Louvain fr. 26 58, et à Anvers 27 38.

Ensuite, messieurs, vers l’époque où l’on a présenté la loi de 1834, nous avons vu en France le froment : à Péronne, à fr. 12 12, à Cambrai 11 90, à Arras 12 25 et à Douai 12 25.

Ce sont les prix de janvier à février 1831, tandis qu’en Belgique où nous avions un droit fixe, le prix du froment était encore de 12 fr. 85 ½. , et celui du seigle de fr. 8 41, alors qu’en France le prix du seigle était tombé au dessous de fr. 8 25.

Vous voyez donc, messieurs, que la législation française, loin d’empêcher ces prix très-hauts et très-bas, que l’honorable M. Eloy de Burdinne regarde comme un très-grand mal, que la législation française, loin d’écarter ces grandes fluctuations, les a, au contraire, assurées.

En Angleterre, messieurs, c’est la même chose. Là, on a vu le prix du froment tomber jusqu’à 36 schellings, et s’élever au delà de 75 schellings. Eh bien il y a là des droits excessivement protecteurs et une échelle graduée encore plus étendue que l’échelle française.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, quelle que soit la législation que vous fassiez, vous n’empêcherez jamais les lois de la nature d’avoir leur cours. Plus vous donnerez de certitude au commerce des grains, plus vous accorderez une protection stable à votre production agricole. Je ne dis pas qu’il faille admettre la franchise des droits, mais je pose en fait, et lorsque nous y reviendrons je le prouverai, qu’un droit fixe bien établi est plus protecteur de l’agriculture que toute échelle graduée possible. D’ailleurs, pour en avoir la preuve, nous n’avons qu’à nous reporter aux époques antérieures à 1834.

Maintenant, messieurs, la seule disposition de la section centrale à laquelle je puisse donner mon assentiment, c’est l’augmentation du nombre de marchés régulateurs. Cependant, ne nous dissimulons pas qu’il y a plusieurs de ces marchés qui ne contribueront pas à établir le véritable prix des grains. L’honorable M. Eloy de Burdinne vous a fait avant-hier une observation qui ma étonné de sa part, car je rends cette justice à l’honorable député de Waremme, que certainement personne plus que lui n’a étudié la question des céréales ; mais alors il est un fait qui n’aurait pas dû lui échapper ; il a témoigné son étonnement de ce qu’à Louvain, à Tirlemont, à Anvers et à Bruxelles, le prix du froment dépassait 19 fr., tandis qu’à Gand et à Bruges il n’était que d’environ 17 fr. ; mais, messieurs, il y a à cela une cause toute naturelle, c’est que les froments qui se vendent à Louvain, à Tirlemont et sur tous les marchés où l’on conduit les produits de nos meilleures terres à froment, c’est que ces froments sont des froments roux, qui varient 2 à 3 francs de plus que les froments des Flandres qui sont des froments blancs. (Interruption.) Je vois un honorable député de Courtray sourire, mais il suffit de s’adresser au premier marchand de grains venu pour se convaincre de l’exactitude de ce que j’avance. Tout le monde sait qu’à St-Nicolas, par exemple, le froment qui vient des environs de Tamise, et qui est de qualité supérieure, se place séparément et que les froment de Catloo, du polder d’Aremberg, etc., occupent la plus grande place sur le marché que ces froments se vendent à 2 francs et quelquefois 3 francs de moins que le froment roux. Je vois par les signes d’assentiment des honorables députés de St-Nicolas que je ne me trompe pas. Dans toute la Flandre orientale, on cultive très-peu de froment roux. (Interruption.)

Du reste, messieurs, je fais une seule question : Quels sont les froments que l’on conduit à un marché quelconque ? Ce sont évidemment ceux qui se cultivent dans les environs. Eh bien, ce que l’on trouve sur les marchés de (page 1591) Gand et de Bruges, c’est en très-grande partie du froment blanc des polders. (Interruption.)

Messieurs, j’ai écouté en silence tous les orateurs qui ont parlé avant moi, je réclame la même indulgence, je demande qu’on ne m’interrompe point ; je crois n’avoir rien dit qui mérite ces interruptions ; je crois avoir ménagé toutes les susceptibilités ; je crois m’être conformé en tout aux convenances parlementaires.

Plusieurs membres – Certainement.

M. Cogels – Nous allons donc ajouter aux marchés régulateurs ceux de Lokeren, St-Nicolas, Eecloo, Furnes, quatre marchés où se vendent principalement de ces froments blancs de qualité inférieure dont je viens de vous parler. L’adjonction de ces marchés, à laquelle je ne m’oppose pas, du reste, aura donc pour résultat de faire constater un prix inférieur à celui du froment de meilleure qualité.

On vous a parlé encore de l’influence qu’exerce la cherté des grains sur l’industrie. On a voulu nous faire croire que lorsque les grains étaient très-chers, l’industrie devait prospérer, parce que dans les campagnes, les cultivateurs avaient un sort meilleur et pouvaient par conséquent faire une dépense considérable. Je ne suivra pas les honorables membres dans les arguments qu’ils ont fait valoir à l’appui de leur opinion. Mais je m’empare seulement des faits, c’est-à-dire des circonstances où nous nous sommes trouvés.

Vous vous rappelez que, de 1839 à 1843, nous avons eu des prix élevés pour les céréales. Il n »’y a pas eu une seule plainte de la part de l’agriculture. Il n’y a pas eu une seule proposition pour renforcer la loi de 1834 ; il n’y a pas eu même d’opposition dans la chambre, aux lois tendant à modérer la loi de 1834, non dans l’intérêt du cultivateur, mais dans l’intérêt du consommateur, dans l’intérêt de l’industrie.

Dans cette période, nous avons vu l’industrie extrêmement souffrante, et plus encore en Angleterre où les mêmes causes ont produit les mêmes effets, et nous avons vu la prospérité de l’industrie renaître en Belgique avec la baisse des céréales. Si l’on pousse le raisonnement de mes honorables adversaires jusque dans ses conséquences extrêmes, on arrive à dire que la disette est un bienfait et l’abondance un fléau. Non, messieurs, des prix très-élevés ne sont pas un bien ; cela est fort naturel. Car le prix des céréales varie, sans que le prix de la journée de l’ouvrier suive les mêmes variations. Il est évident que l’ouvrier ne peut consacrer à l’achat des objets qui ne sont pas de première nécessité que l’excédant de ce qu’il doit indispensablement dépenser pour ses aliments. Si l’ouvrier gagner 1 fr., et qu’il doive dépense 60 c. pour ses aliments, il lui reste 40 c. S’il doit dépenser 80 c. pour sa nourriture, il ne lui restera que 20 c. S’il doit donner le franc tout entier pour son alimentation, il ne lui reste plus rien. Ce raisonnement est tout aussi juste que ceux qu’on a fait valoir pour soutenir l’opinion contraire.

Dans de telles circonstances, vous devez en convenir, il y aurait un véritable danger à adopter une partie des propositions de la section centrale ; c’est celle qui tend à augmenter le prix rémunérateur, à ne rendre l’entrée du froment libre que lorsque le prix s’élève à 24 fr., à frapper le froment d’un droit modéré même à 22 fr. et d’un droit assez fort de 20 à 22 fr. Car lorsqu’on aura admis cette nouvelle aggravation pour le consommateur (et si ce n’en est pas une, c’est que la disposition restera sans application et par conséquence inutile), il sera bien difficile d’y faire renoncer.

Ce qui est certain, c’est que lorsque nous serons appelés à nous occuper d’une révision entière, sérieuse de la législation sur les céréales, on voudra nous faire admettre cette baisse de prix rémunérateur comme prix nouveau.

Dans cette position, il m’est impossible de donner mon assentiment à la disposition proposée, d’autant moins que, dans les circonstances actuelles, dans le cas où la récolte justifierait les craintes qu’elle a fait naître, nous pourrions nous trouver à la fin de 1845 dans la même position qu’à la fin de 1838. Nous serions exposés à prendre, au commencement de 1846, la même mesure qu’en janvier 1839. Or, aussi bien pour le cultivateur que pour le commerçant, pour le consommateur, il faut éviter de reproduire constamment dans le parlement des questions qui jettent l’irritation partout, dont s’emparent l’esprit de parti et toutes les mauvaises passions. Pour le cultivateur, pour la véritable prospérité de toutes les branches d’industrie et de commerce, il faut de la stabilité, il ne faut pas que nous ayons à voter tous les ans, 4, 5 ou 6 lois provisoires.

Il y a assez longtemps que la Belgique est assurée de son existence comme nation, pour qu’elle donne enfin quelque stabilité à sa législation, et surtout à sa législation sur les céréales.

Plusieurs membres – Bien ! très-bien !

M. Rodenbach – Lorsqu’on a commencé cette discussion, on a fait une motion d’ordre, à propos de laquelle j’ai dit quelques mots. Je dois y revenir, d’autant plus que l’honorable préopinant vient de nous rappeler que lorsque nous avons signé notre projet de loi (le 14 février), le droit que nous proposons était exorbitant.

On peut lui contester cette assertion ; car alors , comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, le froment, notamment sur les marchés des Flandres, ne valait que 15 fr. l’hectolitre.

Je vous le demande, lorsqu’on songe aux impôts énormes qu’on paye en Belgique, peut-on trouver ce prix suffisant ? A cette époque, un projet de loi était indispensable. Ce qui le prouve, c’est que le prix du froment est maintenant de 19 à 20 fr. A Bruxelles, comme je l’ai dit, il s’est vendu 20 fr. au dernier marché.

A entendre l’honorable préopinant et d’autres qui l’ont précédé, il semblerait que la protection qu’on demande est considérable. Il n’en est pas ainsi. En France, le froment n’est maintenant entièrement libre que quand le prix est à 24 fr. ; en Angleterre, dans ce pays où les ouvriers sont les meilleurs de l’Europe, les grains ne peuvent entrer libres de tous droits que quand le prix est à 32 fr., tandis qu’en Belgique il suffit que le prix soit de 20 fr. pour que l’entrée du froment soit libre.

L’honorable préopinant a eu l’air de dire que la proposition de la section centrale est exagérée. Tout au plus avec les 16 c. additionnels dont a parlé l’honorable député de Verviers, cela ne fera jamais qu’une protection de 6 p.c., car le projet de la section centrale ne demande qu’un francs par hectolitre, et un franc de droits par hectolitre avec les centimes additionnels, cela ne fait qu’une protection de 6 p.c.

Messieurs, que se passe-t-il pour tous nos produits manufacturés ? Certaines de nos industries jouissent d’une protection de 10 à 20 p.c., pour d’autres, et je citerai les fers, la protection s’élève jusqu’à 50 p.c. ; l’industrie drapière, l’industrie cotonnière, toutes les industries enfin, jouissent d’une protection considérable. Et pour les céréales, messieurs, on ne vous demande qu’une protection de 6 p.c. ! Voilà, messieurs, l’énorme droit qui doit amener l’augmentation du prix du pain.

En admettant, messieurs, que le prix du pain augmente dans la proportion du droit que l’on demande, savez-vous de combien s’élèverait le prix ? Il s’élèverait d’un centime par kilogramme pour le pain le plus généralement consommé par le peuple, et d’un centime et demi au plus pour le pain blanc.

Messieurs, l’honorable député d’Anvers vous a dit que les Flandres et le pays de Waes produisaient peu de froment. Je puis assurer qu’il est complètement dans l’erreur, et les rumeurs des députés des Flandres le lui ont déjà prouvé. Je ne parlerai que de ma province, parce que c’est celle que je connais le mieux ; et je dirai que dans le centre de la Flandre occidentale on récolte beaucoup de céréales. On récolte entre autres le froment blanc qui a une très-grande réputation. Les cultivateurs de la France et notamment du département du Nord viennent acheter dans le centre de la Flandre occidentale du froment pour ensemencer leurs terres. Nous récoltons, je le répète ; beaucoup de froment et peut-être le meilleur de l’Europe ; l’honorable membre a donc commis une erreur en disant que les Flandres en produisent très-peu.

L’honorable député de Verviers vous a dit que le projet de loi aurait pour effet de faire augmenter les baux, alors que déjà depuis quelques années ils avaient été augmentés du double.

Messieurs, le prix des baux a augmenté, celui des biens-fonds a augmenté dans la même proportion. Je demanderai à l’honorable membre si dans sa province comme dans tout le pays les propriétaires retirent de leurs terres plus de 2 ½ à 3 p.c. Or, c’est le revenu qu’ils obtenaient encore avant l’augmentation du prix des baux.

Je sais très-bien, messieurs, que les baux sont augmentés, mais je l’attribué à la concurrence immense que se font les fermiers. Tout le monde, aujourd’hui, veut louer des terres. Et d’où provient cette concurrence, messieurs, pour obtenir des terres ? Elle provient de ce que la population augmente considérablement et que dans notre pays, il n’y a que trois millions d’hectares de terre destinés à la culture des céréales, c’est-à-dire 75 ares par habitant.

Messieurs, il me paraît évident qu’une modification à la loi de 1834 était devenue nécessaire, et je pense que les trois quarts de la chambre partagent cette opinion. Car je vois que sur six sections, il y en a cinq qui demandent que la loi de 1834 soit modifiée ; que sur cinq membres de la section centrale, quatre le demandent également. Si nous examinons l’avis des députations permanentes, l’avis des commissions d’agriculture, nous voyons que presque toutes demandent un changement à la loi.

Je crois donc, messieurs, que maintenant que nous nous rallions à la proposition de la section centrale, que nous nous bornons à demander une protection de 6 p.c. lorsque le grain est au prix de 20 à 22 francs, et une protection d’un et demi p.c. seulement lorsque le grain est aux prix de 22 à 24 francs, on ne peut nous taxer d’exagération.

L’honorable M. Osy, messieurs, a soulevé une question de constitutionnalité. Il me semble qu’il est inopportun de parler maintenant de l’inconstitutionnalité de la proposition du sénat. Car nous n’avons plus à nous occuper de cette proposition, elle est écartée. S’occuper de la question de constitutionnalité serait donc un hors-d’œuvre.

D’ailleurs, messieurs, la chambre était saisie de la question des céréales par la proposition des 21 membres. La section centrale a donc pu formuler un autre projet ; c’est ce qu’elle a fait en vous proposant d’ajouter à la loi de 1834 deux nouveaux échelons qu’elle a trouvés nécessaires pour empêcher que des manœuvres ne s’établissent, et le prix du froment approchant maintenant du prix de 20 fr., nous pourrions voir avant peu ces manœuvres mises en usage.

Je crois donc, messieurs, qu’il serait inopportun de traiter maintenant la question de constitutionnalité, d’autant plus que la section centrale a écarté le projet du sénat comme elle a écarté la proposition des 21 membres. Car cette proposition a aussi complètement disparu et elle doit disparaître. En effet, depuis qu’elle vous a été faite, le prix des grains a augmenté de 4 fr. par hectolitre ; c’est là une augmentation considérable, et ce qui pouvait être bon il y a 3 mois serait mauvais en ce moment. Aussi moi-même voterais-je contre cette proposition, si elle nous était faite aujourd’hui.

M. Castiau – Je n’abuserai pas des moments de la chambre. Je ne viens pas traiter la question des céréales. Déjà , lors de la prise en considération de la proposition des 21, j’ai eu l’occasion d’exprimer dans cette enceinte mon opinion sur les lois de céréales, leurs inconvénients et leurs dangers. Il me suffira donc pour aujourd’hui de m’en référer au discours si remarquable que l’honorable M. Cogels vient de prononcer.

(page 1592) Mon seul but est d’appeler votre attention sur une question qu’on semble vouloir, à force d’habilité, soustraire à votre examen, quoiqu’elle domine le débat, et de vous signaler les principales contradictions du rapport de la section centrale.

La section centrale nous avait promis, dans son rapport, de se renfermer dans un rôle de complète neutralité, de ne toucher en rien aux bases de la législation de 1834 et de ne pas préjuger cette grave question des céréales qui, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire déjà dans cette enceinte, peut devenir, dans certaines circonstances, une question de vie et de mort pour les populations. Les renseignements nous manquaient, en effet, pour résoudre, en ce moment, ce difficile problème.

Et cependant, malgré sa promesse, la section centrale n’a pas résisté au désir de se prononcer et de faire triompher l’opinion qui animait la majorité de ses membres. Elle ne s’est pas contentée de nous proposer les mesures propres à empêcher le renouvellement de manœuvres frauduleuses qu’on prétend avoir existé en 1843. Elle a modifié, profondément modifié la législation déjà exorbitante de 1834 sur les céréales. Elle en a renforcé les dispositions. Là où la loi de 1834 proclamait la libre entrée des grains, la section centrale a établi des droits d’entrée. Quand le prix du grain atteignait 20 francs, les considérations de prudence politique autant que d’humanité avaient fait autoriser l’introduction des blés étrangers. Maintenant l’échelle des droits va s’élever jusqu’à 24 fr. Ce n’est que lorsqu’on arrivera à ce prix aussi exagéré pour les classes ouvrières qu’alarmant pour l’ordre public, que les grains étrangers pourront entrer dans ce pays en franchise de droits. Et ces dispositions, qu’on vous présente comme provisoires, une fois votées, deviendront définitives et immuables !

Au lieu d’ajouter ainsi de nouvelles charges à celles qui déjà grèvent les classes ouvrières et d’établir de nouveaux privilèges en faveur de la propriété foncière, la section centrale avait, ce me semble, quelque chose de mieux et de plus urgent à faire, c’était de veiller à la défense de la Constitution et au maintien de nos droits. La question qu’elle eût dû examiner et résoudre avant toutes les autres, c’était celle de savoir si l’initiative prise, en cette occurrence, par le sénat, ne violait pas l’art. 27 de la Constitution et ne constituait pas une véritable usurpation de pouvoir.

Cette grave et intéressante question, qu’elle eût dû aborder résolument, elle l’a laissée dans l’ombre après l’avoir couverte d’un voile prudent ? Elle ne s’en est occupée que pour déclarer qu’elle ne la traiterait pas. Elle a tout fait pour amoindrir l’importance de cette question, et pour nous prouver que nous n’avions pas d’intérêt à la résoudre, qu’elle ne se présentait ici que d’une manière « théorique et abstraite » ?

Quoi, messieurs, il s’agit de savoir si la Constitution a été violée, et ce serait là une vaine question de théorie ! Il s’agit de savoir si les droits de la chambre n’ont pas été usurpés, et ce serait là une abstraction ! Nous n’aurions pas intérêt à examiner de telles questions, et nous pourrions laisser récuser en théorie et la Constitution et nos droits ! Non, non, il n’en saurait être ainsi. Le premier, le plus grand de tous les intérêts pour nous, c’est la défense de la constitution, c’est le maintien de nos droits. C’est là un dépôt sacré qui nous a été confié et que nous devons rendre intact et inviolable à nos successeurs.

De la franchise donc et du courage. Ne nous laissons pas endormir par des équivoques et par d’habiles commentaires. Allons avec loyauté au fond des choses et demandons-nous franchement : Qu’avons-nous à discuter, et que discutons-nous ici ? Cette question a été posée au commencement du débat ; mais, il faut en convenir, on n’y a fait que des réponses aussi embarrassées qu’incomplètes ?

Qu’est-ce donc que nous discutons ? Est-ce la proposition des 21 ? Non certes. Les plus timides en désavouent l’exagération ; les plus courageux l’ajournent ; tous la réservent pour d’autres circonstances. Il est donc bien entendu que cette proposition n’est pas aujourd’hui en discussion. Et s’il pouvait rester du doute à cet égard, j’en appellerais à l’auteur de la proposition lui-même, je m’adresserais aux entrailles paternelles de l’honorable M. Eloy, et je lui demanderais s’il reconnaît son enfant, cet enfant robuste et vigoureux qu’il était venu déposer sur notre tribune, dans l’espèce d’embryon parlementaire que la section centrale lui a substitué.

Si ce n’est pas la proposition des 21, est-ce une proposition spéciale de la section centrale ? Pas davantage. La proposition de la section centrale ne peut se produire dans une enceinte que comme l’accessoire d’une des propositions qui lui étaient renvoyées. Elle a pu, sans doute, la modifier et l’amender ; mais elle ne peut détacher ses propositions accessoires de la proposition principale qu’elle avait à examiner, et c’est toujours cette proposition principale qui est, dans l’ordre du règlement et de nos précédents parlementaires, le premier objet du débat.

Et cette proposition principale, quelle est-elle aujourd’hui ? C’est la proposition du sénat. Nous n’en avons pas, nous ne pouvons pas en avoir d’autre à discuter en ce moment.

Cette proposition eût dû, dans tous les cas, avoir le pas même sur la proposition des 21. Celle-ci n’était que l’œuvre de l’initiative personnelle de quelques membres de cette chambre. La proposition du sénat était, au contraire, l’œuvre d’un des grands pouvoirs de l’Etat. La résolution du sénat était d’autant plus grave qu’elle avait reçu l’adhésion du gouvernement. C’était donc plus qu’une simple proposition, plus qu’un projet de loi ordinaire ; c’était presque une loi ; il n’y manquait que notre assentiment. Il n’était pas au pouvoir de la section centrale de la passer sous silence et de l’écarter du débat. C’eût été de sa part un déni de pouvoir, un déni d’intervention qui l’eût exposée elle-même au reproche d’inconstitutionnalité.

En principe donc, c’est la résolution du sénat que nous sommes appelés à discuter aujourd’hui. J’ajoute qu’en fait, la proposition de la section centrale est bien la même que la proposition du sénat, l’analogie est complète. La section centrale n’a-t-elle pas adopté les principales dispositions de la résolution du sénat, celles relatives à l’aggravation des droits et à l’augmentation des marchés régulateurs ? Si elle y a introduit des modifications, elles sont de peu d’importance, et ces modifications laissent subsister, dans son essence et dans son principe, la résolution du sénat qui soulève la question de constitutionnalité, celle relative à l’augmentation du droit protecteur.

Vainement M. le rapporteur dans son désir d’éviter le débat, a-t-il prétendu que cette question était devenu dans objet par suite des modifications qu’il proposait, puisque ces modifications exigeaient le renvoi du projet de loi au sénat. L’inconstitutionnalité en sera-t-elle moins flagrante ? Le sénat s’en sera-t-il moins approprié une initiative qui ne lui appartenait pas ? Nous taire, c’est avouer notre impuissance et notre défaite. Discuter la proposition du sénat, même pour la modifier, c’est accepter sa compétence, c’est reconnaître son droit d’initiative.

Puis, qui donc a pu ainsi donner à M. le rapporteur l’assurance que les modifications qu’il propose, seraient acceptées par l’assemblée ? Connaît-il le secret de nos futures délibérations ? Déjà un honorable membre, M. de Renesse, a annoncer l’intention de reproduire la disposition du projet de loi du sénat relative aux mercuriales ; d’autres pourront reproduire les dispositions relatives à l’exportation des farines, les seules dispositions libérales du projet du sénat Et si le projet du sénat est ainsi rétabli dans sa pureté primitive, il n’y a plus de renvoi possible ; nous aurons nous-même jugé la question, et nous l’aurons jugée contre nous.

Avant de la décider, puisque cette question nous presse tant de toutes parts, puisque nous ne pouvons l’éviter, examinons-là donc.

L’art. 27 de la Constitution interdit catégoriquement au sénat le droit d’initiative, quand il s’agit de lois relatives aux « recettes de l’Etat ».

Une loi qui augmente les droits d’entrée sur les céréales est-elle, oui ou non, une loi relative aux recettes de l’Etat ?

Messieurs, j’en appelle à vos consciences et à vos souvenirs : n’es-il pas vrai que quand le projet de loi du sénat a été apporté dans cette enceinte, cette question n’était ici douteuse pour personne ? N’est-il pas vrai qu’instinctivement en quelque sorte vous sentiez qu’une grave atteinte avait été portée à vos attributions ? N’est-il pas vrai que, si la question avait été alors décidée sous l’influence de cette première impression, qui presque toujours est la meilleure, parce qu’elle le résultat d’un sentiment de raison et d’équité, il ne se serait pas trouvé ici peut-être une seule voix, à l’exception de celle de M. le ministre de l'intérieur, pour soutenir la légitimité de l’intervention du sénat dans cette occurrence ?

Depuis lors l’argumentation a pu préparer ses ressources et ses armes Elle produit maintenant ses commentaires, ses distinctions, j’oserai presque dire ses subtilités. Elle torture et cherche à fausser par ses interprétations le texte si formel de l’article 27. Elle prétend qu’il faut distinguer. C’est toujours là la dernière ressource du paradoxe. Elle prétend donc qu’il faut distinguer entre les lois qui ont principalement pour objet les recettes de l’Etat et celles qui n’arrivent à ce but que d’une manière indirecte. Ici, dit-on, l’objet principal de la loi, c’est la protection de l’agriculture ; l’objet accessoire, c’est le droit d’entrée, c’est la recette. Interprétée autrement, la disposition de la Constitution rendrait, ajoute-t-on, l’initiative du sénat inutile et dérisoire.

Mais où donc a-t-on puisé cette distinction ? Le texte n’est-il pas absolu ? se prête-il à ces interprétations subtiles à l’aide desquelles il n’est pas de violation de la loi qu’on ne puisse justifier ? Que devient alors la Constitution ? Que devient la réserve formelle qu’elle contient, en faveur de la chambre des représentants, du droit d’initiative pour les lois de recettes et pour les lois d’impôts ? Le droit d’initiative du sénat ne sera-t-il pas encore assez étendu quand il comprend toutes les autres parties de la législation ?

Qu’on distingue et qu’on équivoque tant qu’on voudra, on ne parviendra jamais à modifier le caractère du projet du loi qui nous a été transmis par le sénat. C’est une loi de recette et l’on pourrait même à la rigueur soutenir que c’est une loi d’impôt. Ce projet a pour effet inévitable d’établir une taxe indirecte sur la consommation des céréales et d’augmenter les recettes du trésor de toute l’importance des droits d’entrée qui seront désormais payés pour l’introduction des grains étrangers.

Nous opposera-t-on que cette perception est éventuelle ? Mais n’en est-il pas de même de toutes les droits de douane ? Toutes les lois de douane ont pour objet principal la protection de l’industrie, et pour but accessoire, l’intérêt fiscal du gouvernement ? Prétendra-t-on que les lois de douane ne retombent pas sous l’application de l’art. 27 de la Constitution ?

Ce n’est pas ainsi qu’en ont jugé les peuples qui nous ont devancé dans la carrière du gouvernement représentatif et qui nous ont fourni la disposition qu’il s’agit d’appliquer en ce moment. En Angleterre, c’est à la chambre des communes qu’est réservé le premier vote des lois de douanes, et vous venez encore d’en avoir un exemple remarquable à l’occasion des modifications importantes proposées par Peel aux tarifs de son pays. En France, c’est également à la chambre des députés que sont discutées et votées les modifications de tarifs . et cependant, les dispositions de la charte française sont bien moins larges et bien moins explicites que la disposition de notre Constitution. La charte ne parle que des « lois d’impôt », expression sur laquelle on aurait pu équivoquer pour prétendre qu’elle ne s’appliquait pas aux « lois de douanes » ; notre constitution n’admet pas même cette équivoque. Elle tranche la difficulté ; elle nous réserve le vote de « toutes les lois de recettes », sans distinction, que la recette soit l’objet principal ou l’accessoire, que la recette soit éventuelle ou permanente.

Eh ! messieurs, croyez-le bien, si nous protestons contre le projet de loi (page 1593) que le sénat nous a transmis, ce n’est pas pour le frivole plaisir de soulever ici une misérable question d’étiquette politique et de préséance parlementaire. Nous insistons pour la défense de notre droit, parce que ce droit touche à l’essence même du gouvernement représentatif. C’est une pensée profonde qui a dicté la réserve faite en notre faveur par la Constitution du droit de voter les impôts et les recettes. Par là on a voulu nous rappeler que nous étions, plus spécialement encore que le sénat lui-même, les véritables représentants des intérêts populaires. En nous réservant ce droit, on a voulu aussi nous imposer des devoirs plus rigoureux. En plaçant cette initiative sous notre sauvegarde, c’était pour donner aux intérêts populaires plus de garanties. Car notre responsabilité à nous, dont le mandat est soumis à un renouvellement plus fréquent, est bien autrement énergique que la responsabilité du sénat dont les membres sont élus pour huit ans. Puis, nous sortons, nous, des rangs du peuple qui peut nous choisir dans toutes les classes de la population. Et, au contraire, le cens d’éligibilité pour le sénat est tellement élevé qu’il restreint forcément le choix des électeurs dans les rangs des grands propriétaires. Voilà pourquoi la Constitution nous a conféré l’honneur et nous a en même temps imposé le devoir de nous placer à l’avant-garde en quelque sorte, quand il s’agirait de la défense des droits et des intérêts populaires.

Nous avons donc à défendre ici l’une de nos principales prérogatives. Nous devons la défendre avec d’autant plus d’énergie que l’intervention du sénat dans la question paraît inexplicable. La chambre était déjà saisie de la question des céréales. La proposition des 21 lui avait été soumise. Cette proposition était renvoyée à l’examen des sections. Et c’est au moment où l’on allait s’en occuper que le sénat s’empresse de voter son projet de loi sur les céréales. Ne dirait-on pas qu’on a voulu nous gagner de vitesse, au risque d’engager ici un conflit d’attributions, une lutte de prérogatives ?

Et c’est pour la seconde fois, si je ne me trompe, que cette tentative d’envahissement est reproduite ! N’est-ce pas également, en effet, à la veille du jour fixé pour la discussion, dans cette enceinte, de la loi sur les droits différentiels, qu’une proposition relative à cette question a été prise en considération par le sénat ? N’était-ce pas là une violation nouvelle de l’art. 27 de la Constitution ?

Ne pensez-vous pas, messieurs, qu’il est bien temps de mettre un terme à ces tendances envahissantes auxquelles tous les pouvoirs ne sont que trop disposés à céder, et d’assurer à la fois, et l’inviolabilité de la Constitution et le respect de nos prérogatives ?

Le moyen le plus décisif et le plus énergique serait de prononcer la question préalable sur toute la partie de la proposition qui est relative à l’aggravation des droits de douane ; car, l’origine de cette proposition, c’est la résolution du sénat ; et, en la prenant, le sénat me paraît avoir commis une véritable inconstitutionnalité.

Telle est la motion que j’ai l’honneur de présenter à la chambre. A elle de décider aujourd’hui si elle entend maintenir la Constitution et défendre ses droits.

M. Malou – Si j’ai bien compris la proposition, la question préalable est demandée sur la première partie du projet de la section centrale ; il serait à désirer que cette question fût vidée avant de continuer la discussion au fond.

Messieurs, j’ai cru un instant, en entendant l’honorable membre, que nous n’avions pas en Belgique deux chambres produits de l’élection populaire, mais une chambre qui avait le droit de ramener l’autre, une chambre qui avait la suprématie sur l’autre, car il vous a dit : Il est temps de faire cesser toutes ces inconstitutionnalités. On dresse contre le sénat une sorte d’acte d’accusation.

De grâce, dans l’intérêt de nos institutions, mettons dans les rapports entre les deux chambres, non pas plus de modération de langage, mais une plus saine appréciation de l’esprit de nos institutions.

Les deux chambres, messieurs, jugent leur compétence. Chacune d’elles apprécie sa compétence. Que résulte-t-il de là ? Il en résulte que nous pouvons fort bien déclarer que dans notre opinion le sénat est sorti des limites de sa compétence. A Dieu ne plaise que je conteste à cet égard le droit de la chambre. Mais il résulte aussi que le sénat après votre déclaration, pourrait déclarer à son tour qu’il est compétent, et le maintenir. Je pose ces deux hypothèses précisément pour faire sentir à la chambre combien est grave et délicate la question qui vient d’être soulevée par l’honorable M. Castiau.

Sans doute, s’il y avait nécessité de résoudre cette question, nous devrions l’aborder. C’est précisément parce que cette question a paru à la section centrale ne pas devoir être résolue, qu’elle s’est abstenue de se prononcer. C’est sans doute par erreur, pour avoir mal lu le rapport que l’honorable membre a supposé que la section centrale admettait la compétence du sénat. On a dit positivement qu’on ne se prononçait ni pour ni contre.

M. Castiau – Les faits !

M. Malou – Il m’est impossible de répondre à toutes les objections à la fois. Je disais donc qu’il avait paru inutile de résoudre cette question. Et pourquoi ? Parce que la section centrale et la chambre ne sont pas saisies en vertu de la seule initiative du sénat. C’est là le motif décisif, par suite duquel nous pouvons nous dispenser de résoudre cette question délicate et difficile.

J’ai entendu l’honorable membre émettre sur les pouvoirs des sections centrales une doctrine toute nouvelle. Par suite de cette doctrine, une section centrale peut amender, mais elle ne peut pas changer le principe. Mais voyez donc, messieurs, ce qui se passe tous les jours dans les sections centrales. On y discute le principe comme dans la chambre ; et, quand on croit devoir substituer un principe nouveau au principe primitif, on le fait ; chaque jour cela a lieu, sans que jamais on ait contesté ce pouvoir à la section centrale. Si elle ne l’avait pas, elle pourrait corriger dans un projet un vice de rédaction, elle ne pourrait pas corriger un mauvais principe.

Pour démontrer l’inutilité d’une solution sur ce point, il suffit donc de reconnaître que la chambre et la section centrale n’étaient pas saisies de la question par suite de la seule initiative du sénat ; que la section centrale, comme la chambre, était saisie de cette question avant la proposition du sénat, pouvait substituer au principe du projet un principe nouveau, sans empiétements sur l’initiative de la chambre. Il en résulte que la proposition de la section centrale peut être considérée comme l’exercice de son droit, par suite de la proposition des 21 membres. On me dit : Ce n’est pas la proposition des 21 membres. Mais ce n’est pas répondre : il suffisait que la section centrale eût à examiner la proposition des 21 membres pour pouvoir nous soumettre son projet. S’il en est ainsi, il est évident qu’il est inutile de discuter la compétence constitutionnel du sénat.

J’entends demander ce que nous allons faire de la proposition du sénat. Mais déjà, dès le début de la discussion, sur l’interpellation de l’honorable M. Fleussu, j’ai fait remarquer quelle serait la conséquence du vote, que ce serait de vider pour le moment la question des céréales. Une section centrale a fait un rapport sur le projet du sénat et sur celui des 21 membres ; elle vous présente un projet nouveau ; le vote de ce projet emporte dessaisissement pour la chambre de toute la question des céréales.

J’entends dire que cela n’est pas exact. Je demande ce qui arrive tous les jours quand deux ou trois projets sont soumis à la section centrale ; elle fait son rapport, on discute sur toutes les propositions simultanément. Si le gouvernement adhère au projet de la section centrale, on discute sur ce projet, et quand le vote a eu lieu, l’affaire ne reparaît plus au rôle de la chambre. C’est ce qui arrivera encore aujourd’hui.

J’ai dit que la section centrale avait été saisie de la proposition des 21 membres, comme du projet du sénat. Le projet du sénat est un fait, en supposant que ce ne soit pas un droit, dès lors, en disant que la section centrale a examiné l’une et l’autre, je puis maintenir la conclusion que j’ai posée, à savoir qu’il est inutile de discuter la question constitutionnelle, et que, par le vote, la chambre, sera dessaisie de toutes les propositions, sauf au sénat, au gouvernement, à chacun de nous, quand les circonstances paraîtront l’exiger, à reproduire cette grande question.

M. Dumortier – Je prends volontiers la parole par suite de la déclaration de l’honorable rapporteur que la proposition de la section centrale emporte dessaisissement du projet des 21. Je suis l’un des signataires du projet des 21, et je n’entends nullement que la proposition en discussion emporte le dessaisissement, sans même qu’il ait été discuté dans la chambre.

Le projet que j’ai signé avec 20 de mes collègues est sans doute susceptible de modifications…

M. le président – Il ne peut s’agir de la proposition des 21 ; il s’agit du projet du sénat.

M. Dumortier – Je traite la question préalable.

M. le président – La question préalable n’est pas demandé sur la proposition des 21.

M. Dumortier – L’honorable M. Malou a traité la question préalable comme il l’a voulu. C’est pour appuyer la question préalable que je parle du projet des 21. Je fais un appel aux 20 collègues qui l’on signé avec moi. Je crois être dans mon droit. Je dis qu’il est impossible que nous abandonnions notre projet sans qu’il ait été examiné. En effet qu’examine-t-on ? car il ne fait pas équivoquer ni se livrer à des subtilités ; il faut juger ici avec le simple bon sens. Qu’on jette les yeux sur le projet de la section centrale ; qu’on le compare à celui du sénat et à celui des 21 ; il est évident que c’est le projet du sénat, avec de légers amendements. Il n’y a pas un seul mot, ni dans le système, ni dans le texte qui ressemble au projet des 21. (Adhésion.)

Le projet des 21 ne figure dans le rapport que par la ligne suivante, qui se trouve au bas de la première page « (2) Proposition de loi signée par 21 représentants, n°191. » (On rit.)

A part cela, il n’est nullement question de notre proposition. Remarquez que notre proposition est très sérieuse, que nous voulons la voir examiner. C’est en prenant comme point de départ cet état de choses que nous avons à examiner la question préjudicielle qui nous est soumise par mon honorable collègue et ami, M. Castiau. Pour moi, cette question ne fait pas de doute. Ce n’est pas que je veuille établir une lutte entre deux assemblées parlementaires. Mais, qui a soulevé cette question. Est-ce la chambre des représentants ? certainement , non. Si l’on discute et si l’on adopte, dans l’autre chambre, un projet de loi qui blesse nos prérogatives, ce n’est pas nous, c’est l’autre chambre qui soulève la question de prérogative.

Il semblerait, a dit l’honorable préopinant, que nous vivons dans un pays où il n’y a pas deux chambres électives. Oui, nous avons deux chambres électives ; mais il n’y a qu’une seule Constitution ; or, la Constitution a réservé, dans les termes les plus précis, l’examen de toutes les questions de recettes à la chambre des représentants. Ce n’est pas sans intention que dans l’art. 27 de la Constitution on a dit « toute loi relative aux recettes de l’Etat » et non pas toute loi relative aux impôts. C’est précisément en vue des objets de la nature de celui qui nous occupe, qu’on a adopté ces expressions.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Et la prohibition ! le sénat n’aurait-il pas le droit d’user de son initiative, dans cette question ?

M. Dumortier – Nous n’avons pas à nous occuper de la prohibition. A loi dont nous nous occupons est une loi relative aux recettes de l’Etat.

(page 1594) La proposition de la section centrale ne se rapporte qu’au projet du sénat ; en effet, ce projet est relatif aux objets ci-après : 1° modification à la quotité des droits ; 2° mesures pour empêcher une hausse factice sur les céréales ; 3° augmentation du nombre des marchés régulateurs ; 4° disposition relative à la mouture des farines dans le pays. La section centrale a écarté la disposition relative à la mouture de la farine dans le pays et la disposition régulatrice ; elle a admis une augmentation de l’échelle des droits, avec des chiffres différents, mais dans le système du sénat, et l’augmentation des marchés régulateurs, venant également du sénat. Il suffit de jeter les yeux sur les deux projets, pour reconnaître que le projet de la section centrale n’est autre chose que la proposition du sénat modifiée. Quant à la proposition des 21, elle serait escamotée. Je ne veux pas que l’on escamote une proposition que j’ai signée, et que l’on a qualifiée de « loi de famine ». La chambre l’amendera, la rejettera, si elle veut. Mais elle doit la discuter. Je ne veux pas qu’il advienne de ma proposition ce qui est advenu de la proposition de mes honorables amis MM Brabant et Dubus, qu’on a appelée proposition de « dîme et de main morte », parce qu’elle n’a pas été examinée. Voilà, mes 20 honorables collègues et amis, ce qui arriverait de notre proposition, si on ne la discutait pas.

On vous dit : Chaque chambre est juge de sa compétence. Fort bien. Pour moi je dirai : Chaque chambre exerce ses attributions, conformément à son règlement. Cela est plus constitutionnel. D’ailleurs, dans la confection des lois, chaque chambre est juge, non-seulement de sa compétence, mais encore de celle de l’autre chambre. Aujourd’hui nous avons une loi à examiner. La première chose à faire, c’est de voir si le projet qui nous est transmis par l’autre chambre est ou non inconstitutionnel. Lorsque nous avons été admis dans cette enceinte, nous avons prêté un serment très-bref, mais très-significatif, celui d’observer la Constitution. Sans doute toutes ses dispositions doivent être également chères et sacrées pour nous. Cependant celles qui doivent nous être chères par-dessus tout, sont celles qui concernent nos prérogatives. Dans aucun Etat constitutionnel, on ne voit une chambre abdiquer ses prérogatives.

Ce n’est pas ici une vaine question de forme ; c’est une question extrêmement grave ; car si l’on reconnaît au sénat le droit d’initiative dans les questions de douane, voyez où cela nous mènerait. L’expérience n’a que trop démontré que souvent le gouvernement, pour obtenir l’échange de quelques décorations, sacrifié les intérêts du pays, dans les traités de commerce. Nulle part, ces traités de commerce ne seront discutés d’une manière plus approfondie qu’à la chambre des représentants. Mais si un mauvais traité de commerce nous arrive, après avoir reçu l’assentiment de l’autre chambre, n’aura-t-il pas sur l’esprit de la chambre plus d’influence que si nous en étions saisi directement par l’initiative du gouvernement !

Mais, dit-on, la chambre des représentants et la section centrale sont saisies non-seulement de la proposition du sénat, mais encore de celle des 21 ; en présence de ces deux projets, la section centrale, usant de son initiative, a pu présenter un projet nouveau. Tout cela est parfaitement juste. Mais voyons ce qu’elle a fait. Propose-t-elle le projet des 21, ou celui du sénat. C’est une question que le dernier homme du peuple résoudrait aussi bien que nous. Il suffit, comme je l’ai dit, de comparer les deux projets de loi.

Adopter la proposition qui vous est faite, ce serait violer notre serment, sacrifier nos prérogatives. A mes yeux, c’est une des plus importantes. Nous ne pouvons l’abdiquer. Dans toutes les assemblées délibérantes, on regarde comme un devoir sacré de transmettre intactes à ses successeurs les prérogatives qu’on a reçues de ses devanciers.

Je voterai pour la question préalable posée par l’honorable M. Castiau.

Je reprendrai au besoin toutes les dispositions du projet du sénat, autres que celles relatives à la tarification. Pour la tarification, quoique partisan de la protection à accorder à l’agriculture, je ne puis l’admettre, parce que ce serait fausser mon serment ; et avant mes affections, mon serment me tient à cœur.

M. Dubus (aîné) – La section centrale s’est considérée et devait se considérer comme valablement saisie de la proposition qui vous a été faite par 21 membres de cette chambre. Après examen de cette proposition, elle vous présente des conclusions motivées ; on repousse les conclusions de la section centrale par la question préalable. Sur quel motif ? Est-ce parce que la section centrale n’était pas valablement saisie ? Il est évident qu’elle était valablement saisie par la proposition des 21 membres, prise en considération par la chambre, examinée par les sections, qui ont nommé des rapporteurs, lesquels ont composé une section centrale. C’est de cette manière qu’une section centrale est valablement saisie.

La section centrale a donc été valablement saisie. Dès lors a-t-elle pu ou n’a-t-elle pas pu vous présenter les conclusions qu’elle vous a présentées ? Messieurs, je ne comprends pas comment on pourrait élever un doute sur ce point. Faites abstraction pour un moment d’une proposition qui a été admise par une autre chambre, et considérez la section centrale en présence seulement de la proposition des 21 membres. Aurait-il été en son pouvoir de vous présenter les conclusions qu’elle vous présente ? Evidemment oui ; elle le pouvait. Elle était saisie de la proposition des 21 membres ; elle était saisie de la question des céréales ; elle pouvait croire, comme elle a cru, que le moment n’était pas venu de remanier tout le tarif de la loi de 1834, qu’il valait mieux n’y introduire qu’un ou deux changements propres à faire disparaître les inconvénients dont on se plaint principalement, et dans cette opinion elle devait vous présenter des conclusions mais si elle le pouvait faire valablement et constitutionnellement par suite de la proposition des 21 membres, comment a-t-elle pu être destituée de ce droit, par cela seul qu’une autre chambre aurait adopté une proposition que vous dites inconstitutionnelle ? Si cette proposition est inconstitutionnelle, si elle n’a aucune valeur, elle ne peut ôter ni à vous ni à la section centrale un droit que vous avez, un droit qu’a la section centrale d’après votre règlement. Sans cela il faut dire qu’alors que vous êtes saisis d’une question, il dépend d’une autre chambre de vous en dessaisir en votant une proposition inconstitutionnelle, et je ne connais rien de moins raisonnable et de moins logique qu’un pareil soutènement.

Ainsi, messieurs, ne vous faites pas un fantôme de cette circonstance que la proposition que vous fait la section centrale a une analogie extrêmement grande avec la proposition qui a été adoptée par l’autre chambre. Cette analogie résulte uniquement de ce que la section centrale a été frappée, comme on l’a dit dans l’autre chambre, de l’impossibilité de remanier maintenant tout le tarif de la loi des céréales et de la nécessité qu’il y avait de porter remède aux abus dont on se plaint principalement. Eh bien ! dès que la section centrale était frappée de cette nécessité, dès qu’elle sentait le besoin d’apporter un remède à un mal qui est généralement reconnu, elle a dû vous présenter les conclusions qui vous sont présenter. Ces conclusion sont manifestement constitutionnelles et ce serait véritablement un précédent inouï qu’un vote qui repousserait, par la question préalable, non pas la proposition du sénat, mais la proposition de la section centrale valablement saisie. (Interruption.)

J’entends dire qu’il suffirait que le premier venu fît un amendement pour éluder la disposition constitutionnelle. Messieurs, non, il ne suffit pas que le premier venu fasse un amendement ; avant de faire un amendement, il faut que la chambre soit valablement saisie d’une question. Ainsi la première chose à examiner, c’est de savoir si la chambre est valablement saisie d’une question. Or, quelle est la question ? C’est la question des céréales, c’est la question du tarif de 1834. la chambre en était-elle saisie, oui ou non, avant la proposition du sénat ? oui elle en était saisie ; elle en était saisie par la proposition des 21 membres ; et dès lors, oui, le premier venu peut faire un amendement tel qu’il le jugera fondé, et cet amendement ne pourrait être repoussé par la question préalable.

Ce n’est donc pas un sophisme, comme je l’entends dire près de moi, c’est quelque chose de très-sérieux ; rien ne ressemble moins au sophisme que cela. Il s’agit de savoir, en définitive, si, alors que vous êtes valablement saisis d’une question, vous devriez vous en dessaisir par cela seul qu’une autre chambre s’en serait saisie mal à propos et inconstitutionnellement, comme on le dit. Mais c’est précisément parce qu’elle en aurait été saisie inconstitutionnellement que cela ne doit avoir aucune influence sur la détermination que vous aurez à prendre. C’est précisément pour ce motif que vous devez vous considérer comme saisis d’une proposition et comme ayant le droit de prendre, sur cette proposition, telle décision que vous jugerez à propos.

Ainsi, messieurs, avant la proposition du sénat, vous étiez saisis de la question des céréales ; vous en demeurez saisis, et c’est parce que vous êtes saisis de cette question que la section centrale vous a fait cette proposition.

Examinez cette proposition au fond. Si vous ne la jugez pas fondée, rejetez-la ; mais ne la rejetez pas par la question préalable. Car la section centrale était autant en droit de vous faire cette proposition que vous êtes en droit de l’adopter, par cela seul que vous avez été saisis valablement de la question des céréales.

M. Dumortier – Nous ne sommes pas saisis valablement de la proposition du sénat.

M. Dubus (aîné) – Puisqu’on dit que nous ne sommes pas saisis valablement de la proposition du sénat, je répète que nous n’avons pas à examiner cela. Moi aussi, messieurs, j’ai été d’avis, dans ma section que nous n’étions pas constitutionnellement saisis de la proposition du sénat ; mais je dis que nous étions valablement saisis de la proposition des 21 membres, et que sur cette proposition nous pouvions voter tel amendement que nous jugerions convenir aux circonstances actuelles.

Je m’oppose donc de toutes mes forces à la question préalable.

M. Verhaegen – Messieurs, l’honorable M. Dubus cherche à tourner la difficulté. Je vais rétablir les faits et tâcher de mettre la question sur son véritable terrain ; je crois qu’alors elle ne pourra plus soutenir l’ombre d’un doute.

Nous plaçant dans une position assez difficile, l’honorable M. Dubus vient de dire en terminant : La proposition du sénat, il faut en faire abstraction ; et avant lui, l’honorable M. Malou avait dit : la proposition des 21, il ne s’en agit plus. La chambre est dessaisie.

M. Malou – Il ne s’en agira plus quand on aura voté.

M. Verhaegen – Vous demandez aux autres, M. Malou, de ne pas vous interrompre. Je vous prie d’avoir pour moi les égards que vous réclamez, d’autant plus qu’on paraît disposé à s’en aller le plus tôt possible.

Je trouve, messieurs, et que l’honorable M. Dubus a eu tort, et que l’honorable M. Malou a eu tort.

Il s’agit tout à la fois de la proposition de sénat et de la proposition des 21, et j’ai d’autant plus de raisons de le dire, que l’intitulé même du rapport le prouve : « Rapport fait par M. Malou, au nom de la section centrale, chargée de l’examen des propositions de loi sur les céréales », et je trouve en note : « proposition de loi signée par 21 représentants, projet de loi transmis par le sénat. » Ainsi vous ne pouvez pas faire abstraction de la proposition du sénat, c’est le rapport de la section centrale qui nous le dit. Vous ne pouvez faire non plus abstraction de la proposition des 21, je le reconnais, c’est la section centrale qui vous le dit.

La chambre était régulièrement saisie, vous a dit l’honorable M. Dubus ; par suite, la section centrale était régulièrement saisie, et vous ne pouvez (page 1595) demander, dit-on, à l’honorable M. Castiau, la question préalable sur les conclusions de la section centrale.

Messieurs, entendons-nous. Il ne s’agit pas de demander la question préalable sur les conclusions de la section centrale, mais il s’agit de la demander sur la partie du projet de loi qui est inconstitutionnelle. Voilà la question préalable nettement et bien posée, et d’après cela, l’honorable M. Dubus va être d’accord avec nous ; car il pense aussi que le sénat n’avait pas le droit de faire ce qu’il a fait. Donc sa proposition était inconstitutionnelle, don elle peut être repoussée par la question préalable.

Messieurs, la section centrale avait le droit, elle avait même le devoir d’examiner si cette proposition du sénat qui avait été transmise à la chambre et qui faisait partie de son examen était ou non constitutionnelle. L’honorable M. Dubus a pensé qu’elle était inconstitutionnelle ; la section centrale devait se prononcer sur ce point. Vous dites : Nous mettons cela de côté. Mais vous ne pouvez mettre de côté ce que la section centrale n’a pas mis de côté. Car la section centrale s’est saisie de l’examen des deux propositions. Elle ne pouvait mettre de côté non plus ce qui avait été examiné dans les sections.

Messieurs, on a dit que nous devons des égards au sénat, et je partage cette opinion. Mais ceux qui pensent ainsi, ne peuvent pas dire que nous devons mettre de côté une proposition du sénat. Vous devez au sénat une réponse. Si vous pensez qu’il n’a pas eu le droit de faire ce qu’il a fait, dites-le lui ouvertement et franchement ; vous userez du droit que la Constitution vous donne. Mais il ne vous est pas permis de lui répondre par un déni de justice.

Vous craignez les conflits ! Mais dites-moi donc ce qui arriverait si la chambre, adoptant la proposition de la section centrale, la renvoyait au sénat, et si le sénat vous disait : Vous voulez que j’examine votre projet ; mais, avant tout, examinez le mien. Je voulais un projet de loi sur les céréales ; il ne vous a pas plu de prendre une décision à son égard ; je n’ai pas à vous répondre sur celui que vous me transmettez. Voilà, messieurs, où naîtrait le conflit, et je vous défierais de sortir de ce conflit. D’un autre côté, messieurs, si le sénat, voulant aussi trouver un terme moyen, disait : Je laisse mon projet, il a été abandonné par la chambre, je ne m’en occupe plus ; je vais maintenant examiné le projet que la chambre m’envoie ; croyez-vous qu’alors la dignité du sénat ne serait pas compromise ?

Messieurs, je dirai aux membres de la section centrale que, puisqu’ils ont examiné et le projet de loi du sénat et la proposition des 21, alors que M. Dubus prétend qu’il n’est plus question du projet du sénat, tandis que M. Malou prétend qu’il n’est plus question de la proposition des 21 ; je dirai cependant, à l’un ou à l’autre de ces messieurs, qu’il n’y a pas de milieu entre ces deux hypothèses : Ou bien (et c’est à la section centrale que je réponds par ce dilemme), ou bien vous avez amendé le projet du sénat, ou bien vous ne l’avez pas amendé. Si vous l’avez amendé, votre amendement n’est que l’accessoire d’un principal que j’ai le droit d’examiner, et votre accessoire n’est pas constitutionnel si le principal n’est pas constitutionnel. Voilà la première parie de mon dilemme. Ou bien vous n’avez pas amendé la proposition du sénat, et, dans ce cas, vous commettez un déni de justice, en ne voulant pas même examiner l’œuvre du sénat. Eh bien, vous ne pouvez pas mettre ainsi de côté un projet de loi qui vous a été envoyé par le sénat.

Maintenant l’honorable M. Dubus dit qu’il ne s’agit pas de la proposition du sénat ; mais, messieurs, le rapport de la section centrale prouve qu’il s’agit de cette proposition, que la section centrale l’a examinée, que les sections l’ont examinée. L’honorable M. Dumortier vous annonçait tantôt que si la question préalable est rejetée, il fera siennes toutes les dispositions du projet de loi du sénat dont la section centrale n’a pas proposé l’adoption. Eh bien ! comment les fera-t-il siennes ? Il ne les fera pas siennes comme usant de son droit d’initiative, il les fera siennes parce qu’elles se trouvent dans le projet du sénat…

Plusieurs membres – Non, non.

M. Verhaegen – On dit non. Moi je me permets de dire : Oui, car si l’honorable M. Dumortier reprend les dispositions qui se trouvent sans le projet du sénat, c’est parce que nous discutons le projet du sénat amendé par la section centrale. C’est ce qui donne à M. Dumortier le droit de faire siennes ces dispositions. Mais si l’honorable M. Malou, malgré ce qu’il a dit dans le principe, soutient maintenant avec l’honorable M. Dubus, qu’il s’agit encore de la proposition des 21, alors comment empêchera-t-il l’un de ces 21 membres de reproduire toutes les dispositions de la proposition qu’il a signée ? Evidemment l’honorable M. Malou ne pourra pas l’empêcher quoiqu’il ait dit tout à l’heure qu’il ne s’agissait plus de cette proposition.

Quoi qu’il en soit des opinions qui ont surgi, toujours est-il que la section centrale a examiné et le projet du sénat et le projet des 21. Eh bien, il faut déblayer le terrain. Voulez-vous vous occuper du projet des 21 et déclarer le projet du sénat inconstitutionnel ? Oh, alors, nous serons parfaitement d’accord, mais vous devez statuer ; il ne nous est pas permis de passer sous silence le projet du sénat ; ce serait un véritable déni de justice.

Au reste, messieurs, en faisant cette proposition, nous avons rempli notre devoir. C’est nous qui avons pour le sénat les égards qui lui sont dus, tout en demandant que la prérogative de la chambre soit respectée. On ne met pas de côté sans mot dire, on n’escobarde pas un projet de loi qui nous est renvoyé par le sénat ; il faut avoir le courage de dire que ce projet est inconstitutionnel.

M. Vanden Eynde – Je demande la parole pour un rappel au règlement. M. Verhaegen vient de dire que la, section centrale a « escobardé » le projet du sénat.

M. Verhaegen – Je n’ai pas dit cela.

M. Vanden Eynde – Je l’ai compris ainsi et, comme membre de la section centrale, je ne puis passer laisser passer une semblable expression. Si l’honorable M. Verhaegen ne l’a pas prononcée, qu’il le dise ; s’il l’a prononcée, je demande qu’il se rétracte.

M. le président – Je ne crois pas que M. Verhaegen ait dit que la section centrale avait escobardé la proposition du sénat. Si j’avais entendu de semblables paroles, je me serais empressé de les relever.

M. Verhaegen – L’honorable M. Vanden Eynde est tout à fait dans l’erreur.

M. le président – La parole est continuée à M. Verhaegen.

M. Verhaegen – Je disais, messieurs, qu’il fallait avoir le courage de déclarer que le sénat était sorti de ses attributions en nous envoyant le projet dont il s’agit, ou bien qu’il fallait déclarer le contraire, que la question ne pouvait pas être passée sous silence. Quant à moi, je suis convaincu que le projet du sénat est inconstitutionnel, et j’appuie de toutes mes forces la question préalable, non pas sur les conclusions de la section centrale, mais sur la partie du projet du sénat, qui nous a été signalée par l’honorable M. Castiau.

M. Malou, rapporteur – J’aurai toujours le courage de résoudre une question quelque difficile qu’elle soit, lorsque la solution en sera utile ; mais résoudre à plaisir, en théorie, d’une manière abstraite une question comme celle-ci, c’est une chose à laquelle je ne me prêterai jamais. Je persiste à dire, messieurs, que la solution qu’on nous demande est complètement inutile : la chambre a été saisie de la question des céréales avant que le sénat n’eût pris l’initiative ; elle a renvoyé l’examen de cette question aux sections, et c’est sur la proposition de la section centrale qu’elle est appelée à se prononcer. Ce n’est pas sur le projet du sénat, messieurs, qu’on nous demande la question préalable ; c’est sur le projet de la section centrale. Mais ce serait un fait sans exemple, non-seulement dans notre pays mais dans tous les pays constitutionnels, que de prendre une semblable résolution.

Nous vous avons proposé des dispositions que nous avons crues utiles et nous vous avons déclaré qu’il nous semblait inutile de délibérer sur la question soulevée par l’honorable M. Castiau.

Quelle serait la conséquence de l’adoption de la proposition de cet honorable membre ? Mais la chambre resterait saisie de la question des céréales ; rien ne serait fait. Je ne sais ce que vous auriez décidé en adoptant la question préalable ; vous n’auriez pas même décidé que le sénat est sorti de ses attributions ; vous auriez simplement prononcé la question préalable sur une proposition qui nous est régulièrement soumise.

On a posé un dilemne ; on vous a dit, messieurs, ou la section centrale a amendé le projet du sénat ; ou elle ne l’a pas amendé ; on a mis en opposition mon opinion et celle de mon honorable ami, M. Dubus ; mais, messieurs, nous sommes parfaitement d’accord ; nous avons dit, l’un et l’autre, que la section centrale avait examiné toutes les propositions relatives aux céréales et que lorsque la chambre aurait voté une de ces propositions, les autres se trouveraient pas cela même écartées. Le dilemne de l’honorable M. Verhaegen n’a qu’un tort, c’est de ne pas être un dilemme.

Vous devez une réponse au sénat ! Mais, messieurs, si nous votons le projet de la section centrale, nous donnons une réponse au sénat. Nous n’avons pas à donner au sénat une réponse motivée. L’honorable M. Castiau propose de dire au sénat : Vous êtes sorti de vos attributions constitutionnelles. Je ne vois nullement la nécessité de dire cela au sénat. Je crois qu’il suffit de lui envoyer le projet de loi que nous aurons voté. C’est là, ce me semble, la seule réponse que nous ayons à lui donner. C’est ce que nous faisons tous les jours, c’est ce que nous avons le droit de faire.

- La clôture est demandée.

M. Manilius (contre la clôture) – Je pense, messieurs, qu’on ne peut pas clore aussi brusquement cette discussion. J’ai fait partie de la section centrale, dont on a beaucoup parlé. J’appartenais, il est vrai, à la minorité ; mais je n’en désire pas moins pouvoir m’expliquer. Je tiens à avoir mon tour de parole On veut clore pour partir, mais ce n’est pas ainsi qu’il faut faire marcher les délibérations. Je suis ici depuis dix heures du matin et certainement à cinq heures j’aurais bien de droit de vouloir partir. Après sept heures de séance, on peut prétendre à une fin, mais je ne suis pas fatigué, je ne demande pas que la séance soit levée. Cependant si d’autres membres désirent quitter, il ne faut pas tirer parti de cette circonstance pour étouffer la discussion.

Je demande que la clôture ne soit pas prononcée et qu’on renvoie la discussion à demain.

M. Dumortier – Messieurs, la question est excessivement grave ; et d’ailleurs, outre la question constitutionnelle, il en est une autre que nous devons examiner. Il s’agit de savoir si l’on peut, comme on semble vouloir le faire, absorber une proposition signée par 21 membres de la chambre. C’est là une double considération qui doit engager la chambre à ne pas clore légèrement une discussion de cette importance.

M. Verhaegen (contre la clôture) – Je prie la chambre de ne pas clore la discussion. Je désire pouvoir répondre à l’honorable M. Malou ; je désire surtout entendre le gouvernement. Est-ce que le gouvernement n’a rien à dire pour soutenir la prérogative du sénat ? M. le ministre de l'intérieur avait dit qu’il défendrait la prérogative du sénat ; maintenant on ne s’inquiète plus de cette prérogative.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, si la question de prérogative du sénat était directement mise en cause, un de mes collègues ou moi, nous aurions pris immédiatement la parole. Mais qu’on me permette de le dire, quelques membres de cette chambre comprennent si peu (page 1596) la position prise par la section centrale, qu’ils s’imaginent que la question de prérogative est mise en cause mais elle ne l’est pas. (Dénégations.)

M. Delehaye – Mais vous-même avez demandé un prompt rapport sur la proposition du sénat.

M. Castiau – Prouvez que la question de prérogative du sénat n’est pas en cause.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), reprenant – Pour le prouver, il me suffirait de rappeler les expressions dont on s’est servi tout à l’heure pour caractériser la position prise par la section centrale.

La section centrale a voulu laisser en dehors du débat la question de savoir si le sénat a agi constitutionnellement ou non ; c’est la position qui a été prise par la section centrale elle-même. Respectant cette position, nous avons dû garder le silence. Ce n’était pas à nous d’expliquer la position prise par la section centrale, c’était à la section centrale elle-même à vous donner ces explications, et elles ont été données parfaitement par l’honorable rapporteur et par l’honorable M. Dubus aîné. Si l’on devait considérer la chambre des représentants comme saisie de la question de prérogative, nous prendrions immédiatement la parole, et, pour ma part, je chercherais à démontrer, ce qui est mon opinion personnelle, que le sénat na pas commis d’excès de pouvoir.

Du reste, je ne pense pas qu’on en finisse aujourd’hui.

Des membres – A demain donc !

D’autres membres - Aux voix ! la clôture !

M. Delehaye – Messieurs, on veut escamoter la discussion. Comment un débat aussi important, on voudrait le clôturer en ce moment ! mais ce serait réellement honteux !

Quelques membres – C’est très vrai !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’entends dire derrière moi que ce serait honteux de clore…

Des membres – Oui ! oui ! certainement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Comment, messieurs, la chambre n’a pas le droit de clore ! (Bruit, agitation.) Mais si la chambre est suffisamment éclairée, elle peut clore ; et je ne pense pas que l’honorable membre puisse caractériser la clôture comme il vient de le faire.

Quelques membres – Non, sans doute.

M. Delehaye – C’est moi qu’on incrimine, je demande la parole.

Messieurs, j’ai dit qu’il serait honteux de clore le débat sur la question de constitutionnalité, et je maintiens tout ce que j’ai dit. (Réclamations.) Je répète que je maintiens ce que j’ai dit, je vais m’expliquer.

Comme vient de le dire M. le ministre de l'intérieur, quand la chambre déclare clore une discussion, elle éntend déclarer qu’elle est suffisamment instruite. Or, moi je soutiens, qu’elle n’est pas suffisamment instruite, et qu’elle ne peut pas l’être….M. le ministre de la justice, qui m’interrompt, n’est pas suffisamment instruit lui-même, et ce n’est pas d’ailleurs la première fois que cela lui arrive…

Je dis donc que la chambre n’est pas suffisamment instruite, et je le prouve. La section centrale déclare qu’elle n’a pas examiné la question de constitutionnalité, qu’elle a voulu la tenir à l’écart. Or, puisque la section centrale ne s’est pas occupée de l’examen de cette question importante, il en résulte évidemment que la question n’a pas été étudiée suffisamment, pour être résolue à l’instant même. (Interruption.)

On me dit : cette question est inutile ; non, elle n’est pas inutile, et elle doit être inévitablement tranchée par vous. Il ne me sera pas difficile de le prouver.

Des membres – C’est le fond ! parlez contre la clôture.

M. Delehaye – Je parle contre la clôture.

Ainsi, le gouvernement a demandé un prompt rapport… sur quoi ? sur la proposition du sénat ; et aujourd’hui que ce prompt rapport ne vous a pas été présenté, aujourd’hui que la question principale a été tenue à l’écart par la section centrale, dans son travail, vous allez clore la discussion, et vous prétendriez être suffisamment instruits pour résoudre la question ! Mais c’est impossible, et c’est dans ce sens que j’ai pu dire qu’il serait honteux de prononcer la clôture.

M. le président – Je vous interromps, M. Delehaye ; la chambre a le droit de clore, et je vous prie de rétracter le mot « honteux », que vous venez de prononcer.

M. Delehaye – Mais, M. le président, la chambre ne peut pas clore quand elle n’est pas suffisamment instruite.

M. le président – Je le répète, la chambre a le droit de clore.

M. Delehaye – La chambre aurait sans doute le droit de clore, je ne le conteste pas, mais il y aurait honte à vouloir étouffer la discussion ; elle serait plus fondée à désapprouver mes paroles, si, contrairement à ma pensée, j’allais rétracter mes paroles, alors qu’elles sont l’expression de ma conviction intime ; je persiste à dire que, dans l’état d’instruction imparfaite où se trouve la question de constitutionnalité, il sera honteux de clore ! Après cette déclaration de ma part, la chambre fera ce qu’elle jugera convenable ; je vous ai dit franchement mon opinion ; la chambre doit me savoir gré de ne pas rétracter des paroles qui ont pleinement exprimé ma pensée ; il y aurait donc honte aussi pour moi, si, reculant devant un rappel à l’ordre, dont le pays d’ailleurs sera juge, je vous tenais un langage qui ne serait pas conforme à ma conviction ; ce serait indigne et de vous et de moi. Je maintiens donc ce que j’ai dit. (Bruit, agitation.)

M. le président – M. Delehaye, je suis obligé de vous rappeler à l’ordre.

M. Delehaye – Vous ferez ce que votre devoir vous prescrit, comme j’ai rempli celui que me dictait ma conviction.

M. le président – Un membre de cette chambre ne peut pas qualifier de honteux l’usage d’un droit constitutionnel de la chambre.

M. Delfosse – M. le ministre de l'intérieur nous disait tantôt, que ce serait un devoir pour le gouvernement de défendre la prérogative du sénat, si elle était mise en cause.

Eh bien, je réponds à M. le ministre de l'intérieur, que la prérogative du sénat est mise en cause ; cette prérogative a été contestée par les honorables MM. Verhaegen, Castiau, Dumortier. Il y a plus, la chambre est saisie d’une proposition formelle.

Je somme donc M. le ministre de l'intérieur d’être conséquent avec ses paroles et de s’expliquer sur la grande question qui est soulevée.

La prérogative du sénat est en cause, c’est pour M. le ministre de l'intérieur, plus que pour tout autre, un devoir de la défendre, car c’est lui qui a poussé le sénat à un acte que beaucoup d’entre nous regardent comme inconstitutionnel.

Je ne dirai pas que ce serait une honte pour la chambre de clore la discussion en ce moment ; je ne dirai même pas que ce serait une honte pour M. le ministre de la laisser clore sans avoir pris part au débat ; mais je dis que cela ne ferait honneur, ni à la chambre ni au ministère dans l’opinion du pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne pense pas qu’il entre dans les intentions de la chambre de discuter des questions oiseuses. (Interruption.) Je sais parfaitement bien que je ne serai pas d’accord avec vous.

La section centrale est venue nous expliquer la position qu’elle a prise, elle a établi que la question de prérogative est hors de cause. Dès lors, à moins que le ministère ne veuille s’attribuer un rôle tout nouveau, celui de traiter des questions oiseuses, nous pouvons garder le silence. Nous avons fait assez en disant que personnellement nous croyons que le sénat n’a pas commis un excès de pouvoir, et s’il fallait le démontrer, nous le ferions. Mais pourquoi le démontrerions-nous ? La proposition de l’honorable M. Castiau ne porte pas même sur cette question, elle porte et ne peut porter que sur la position prise par la section centrale.

M. Dumortier – Si la question de constitutionnalité était oiseuse, comme vient de le prétendre M. le ministre de l'intérieur, sans doute, la chambre, à la veille de la clôture de la session, ferait fort bien de l’écarter. Mais remarquez-le d’abord, une question de prérogative constitutionnelle n’est jamais une question oiseuse ; mais, d’un autre côté, cette question absorbe complètement une proposition faite régulièrement, en vertu d’un droit constitutionnel par 21 membres de cette chambre. Cette propositon disparaît…

Un membre – Vous pouvez la reproduire.

M. Dumortier – Je le répète, cette proposition disparaît complètement, au moyen d’une subtilité de la section centrale, qui reconnaît elle-même l’inconstitutionnalité d’un projet, et l’accepte cependant à l’aide d’un biais.

Je demande si c’est là une question oiseuse.

La chambre doit aux 21 signataires de la proposition de loi de la discussion, et puisqu’il est démontré que le projet de loi en discussion serait l’absorption de la proposition des 21, il me semble que la matière est digne de toute la sollicitude de l’assemblée.

On me dit que le biais auquel a eu recours la section centrale ne tranche pas la question constitutionnelle. Mais remarquez….

Des membres – Vous ne parlez pas contre la clôture

M. Dumortier – Je parle contre la clôture.

Je voulais donc vous faire remarquer, messieurs, que la chambre peut émettre des votes autant par son silence que par un oui ou par un non.

Dans cet état de choses, la chambre doit continuer la discussion…

M. Dubus (aîné) – Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Dumortier – Je suis étonné que ce soit l’honorable membre qui demande contre moi un rappel au règlement. C’est une grande leçon pour moi.

Je dirai à l’honorable membre : Si vous êtes ici pour faire votre devoir, laissez la discussion avoir son cours ; vous avez dit vous-même, que la proposition du sénat était inconstitutionnelle ; eh bien, ne nous empêchez pas de le démontrer.

Un grand nombre de voix – Aux voix ! la clôture !

M. le président – La chambre est saisie de deux propositions, l’une de M. Castiau, et l’autre de M. Verhaegen.

La proposition de M. Castiau est ainsi conçue :

« J’ai l’honneur de proposer la question préalable sur le paragraphe premier du projet de loi de la section centrale. »

La proposition de M. Verhaegen est ainsi conçue :

« J’ai l’honneur de proposer la question préalable sur le projet de loi qui a été transmis à la chambre par le sénat. »

M. Dubus (aîné), sur la position de la question – Messieurs, ce débat a été soulevé par la proposition de l’honorable M. Castiau ; c’est celle dont il vous a été donné lecture en premier lieu ; c’est la seule qui ait été discutée et sur laquelle on demande la clôture. Quant à l’autre, elle n’a pas été discutée, et si on veut la discuter demain, on le fera. Mais je demande que la chambre se prononce en ce moment sur la question préalable, telle qu’elle a été proposée par la section centrale.

M. Verhaegen – Je ne sais si on a bien compris ma proposition, mais il n’y a entre cette proposition et celle de mon honorable ami, M. Castiau, que cette différence-ci : Je demande la question préalable sur toute la (page 1597) proposition du sénat, tandis que l’honorable M. Castiau ne la demande que pour la partie du projet du sénat, relative aux recettes. Mais la question de prérogative est également en jeu dans nos deux propositions.

M. Castiau – Pour couper court à ce débat, je déclare me rallier à la proposition de l’honorable M. Verhaegen.

Un membre – La demande de clôture devient dès-lors sans objet. (C’est juste.)

- La chambre remet à demain la discussion de la proposition de M. Verhaegen.

La séance est levée à 5 heures et demie.