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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 3 mai 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1573) (Présidence de M. d’Hoffschmidt)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure et demie. La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pétitions suivantes adressées à la chambre.

« La chambre de commerce et des fabriques de Courtray prient la chambre d’autoriser la concession d’un chemin de fer d’Ypres par Wervicq et Menin vers Courtray et Bruges, par Thourout, avec embranchement sur Thielt et Dixmude. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à la concession d’un chemin de fer dans la Flandre orientale.


« L’administration communale de Lichtervelde demande que le chemin de fer de Bruges à Courtray passe par Thourout et Roulers. »

« Même demande de l’administration communale de Gits. »

- Même renvoi.


« L’administration communale de Zarren demande la construction d’un chemin de fer de Bruges vers Dunkercke, passant par Zarre et reliant Thourout, Dixmude et Furnes au chemin de fer de l’Etat. »

- Même renvoi.


« L’administration communale d’Eeghem demande que le chemin de fer de Bruges à Courtray passe par Thilet, avec un embranchement d’Ingelmunter à Roulers. »

« Même demande de l’administration communale de Caneghem. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Manage prie la chambre d’autoriser la concession du chemin de fer de Manage à Mons. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à ce chemin de fer.


« Le sieur Houyet, administrateur gérant de la société des moulins à vapeur de Bruxelles, prie la chambre d’ajouter au projet de loi sur les céréales présenté par la section centrale, l’article 2 du projet transmis par le sénat. »

« Même demande des sieurs Braeckmans et Rens, agents de la société anonyme des moulins à vapeur d’Anvers et de Gand. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les céréales.

Projet de loi autorisant la concession des chemins de fer de Liège à Namur, de Manage à Mons et d'autres voies de communication

Rapport de la commission

M. Lesoinne, au nom de la commission chargée de l’examen de divers projets de loi de concession de chemins de fer dépose le rapport sur le projet de loi relatif à la concession des chemins de fer de Namur à Liége et de Mons à Manage.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et, sur la proposition de M. de Garcia, la chambre met le projet de loi à l’ordre du jour après ceux qui y sont déjà.

Rapport sur une pétition

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, le conseil communal de la ville de Bouillon a l’honneur d’exposer à la chambre que les communes dont son canton se compose jouissaient, sous les gouvernements de l’Autriche et des ducs de Bouillon, de la faculté d’importer de France, en franchise de tous droits, la quantité de grains nécessaire aux besoins de leur population.

Ce privilège leur était accordé en considération de l’ingratitude du sol qu’elles occupent et de leur éloignement, qui est en moyenne de 12 à 15 lieues des marchés d’Arlon, Dinant et Namur, ce qui élève le prix des grains à un taux disproportionné à leurs moyens pécuniaires ; ce qui est une cause dit cette régence, de misère incessante qui accable ce canton, qui a éprouvé une espèce de famine, lorsque les communications ont été interceptées par les masses de neige qui ont couvert si longtemps les Ardennes.

La sincérité de l’exposé de la régence est démontrée par les états statistiques qui élèvent la population de ce canton à 8,000 âmes, tandis que la production en céréales n’est que de 4,000 hectolitres.

Or, la consommation du royaume par habitant, qui est de 2 ¾ hectolitres n’étant pour ce canton que de 2 ½ hectolitres, attendu que la pomme de terre entre pour une part assez notable dans sa nourriture, il en résulte que la quantité de grains nécessaire pour une population de 8,000 habitants est de 20,000 hectolitres ; mais la production n’étant que 4,000 hectolitres, il y a un déficit de 16,000 hectolitres.

Cependant les pétitionnaires ne demandent qu’une importation de 15,000, pour lesquels ils ne réclament pas l’exemption de tout droit, comme ils en jouissaient précédemment ; ils demandent seulement la faveur ou plutôt la même justice que vous avez rendue au district de Verviers avec lequel ils se trouvent dans des conditions identiques.

C’est dans ce sens que la commission d’industrie vous a présenté un rapport sur la pétition de la commune de Sugny appartenant au même canton.

Votre commission a l’honneur de vous proposer le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion de la loi sur les céréales, et c’est à son sujet que je présenterai un amendement lorsque la discussion sera ouverte.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l'intérieur, pour le palais de Liége

Rapport de la section centrale

M. Maertens – J’ai l’honneur de présenter le rapport de la commission quia été chargée d’examiner le projet de loi ayant pour objet d’ouvrir au département de l’intérieur un crédit extraordinaire pour approprier le logement du gouverneur et les bureaux du gouvernement provincial à Liége.

- Ce projet est mis à l’ordre du jour après les objets qui y sont déjà.

Projet de loi modifiant les droits d'entrée et de sortie sur les céréales

Discussion générale

M. le président – La section centrale propose un projet de loi conçu en un seul article. La discussion générale se confond avec la discussion sur l’article.

Je demanderai à M. le ministre s’il se rallie à ce projet.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous n’avez pas oublié que, par un article du budget de l’intérieur, vous avez autorisé le dénombrement de la population du royaume. En examinant la marche à suivre pour cette grande opération, j’ai reconnu qu’on pouvait y joindre, sans grand surcroît de frais, deux autres opérations fort importantes qui nous procurerons une statistique agricole et industrielle.

J’ai dit, en justifiant l’allocation que je demandais au budget de l’intérieur que, pour arriver au dénombrement exact de la population, il fallait ne pas s’en rapporter aux seules autorités locales, qu’il fallait envoyer sur les lieux des délégués du gouvernement central et surveiller le dénombrement qu’il s’agit de faire. J’ai même rappelé les préventions qui existent contre les recherches de ce genre ; les populations s’imaginent qu’on n’a pas d’autre but que l’augmentation des impôts. Nous avons reconnu qu’il serait facile, en faisant le dénombrement dans chaque village, d’y joindre d’autres tableaux où se trouveraient des données statistiques, agricoles e industrielles.

Je ne vous entretiendrai pas de la statistique industrielle, je ne m’arrêterai qu’un moment à la statistique agricole. J’ai fait dresser des tableaux sur lesquels on inscrira, commune par commue, le nombre des propriétaires qui exploitent par eux-mêmes, le nombre des fermiers, des domestiques et des manœuvres. On indiquera ensuite le nombre des bestiaux et de quel genre sont les biens en exploitation ; ensuite les divers produits agricoles. Ce travail sera très-considérable C’est donc là une vaste enquête administrative qui donnera à la fois la population et la statistique industrielle et agricole du pays. J’ai même mis à profit les questions qui m’avaient été faites, quant il s’est agi de la prise en considération de la proposition relative aux céréales, questions auxquelles il m’était pour le moment impossible de répondre.

Vous savez aussi que le gouvernement s’est occupé d’un autre travail que je vous ai présenté et qui est en ce moment à l’impression. Je veux parler des octrois municipaux. C’est une question d’une grande importance, pour apprécier la situation des populations de nos villes et de toutes les industries intra muros.

En troisième lieu, il est un autre travail dont je me suis occupé, c’est de constater la condition des ouviers en Belgique, notamment en ce qui concerne les heures du travail et l’âge des ouvriers. Ces recherches sont faites, j’en fais faire le résumé en ce moment, je compte le faire imprimer pour la session prochaine.

Si le gouvernement s’est occupé de ces diverses enquêtes dont les unes sont achevées à peu près, et les autres sont commencées et se poursuivront avec activité, c’est que ces renseignements manquent à la législature. Au point où nous en sommes arrivés, les grandes questions qui nous préoccupaient depuis la conclusion de la paix se trouvant résolues, toute l’attention doit se reporter sur les questions intérieures, sur les questions dont dépend le sort des populations, le sort de l’industrie et de l’agriculture. Je dirai même, pour compléter la série des documents que je prépare, que je touche aussi au moment où je pourrai présenter un travail sur les chemins vicinaux, question très-importante aussi pour apprécier la situation des populations ; car rien n’influe plus sur le sort des populations, sur la civilisation que la nature et le nombre des communications. Tous ces travaux nous seront utiles, nécessaires même pour un grand nombre de lois que vous serez appelés à faire.

Ces travaux deviendront la base non-seulement des lois fiscales, mais des lois industrielles et agricoles, des lois sur la milice, de diverses autres lois encore qui tiennent à l’organisation intérieure.

Enfin pour m’attacher plus spécialement à l’objet qui forme l’ordre du jour, la statistique agricole dont je vous ai entretenus est indispensable pour arrêter une législation définitive sur les céréales, si tant est qu’on puisse appliquer (page 1574) ce mot aux choses humaines ; nous saurons enfin au moins approximativement quelle est la production agricole du pays.

C’est assez vous dire que je ne pense pas que le moment soit venu de faire une loi définitive sur les céréales. Est-ce à dire cependant qu’aucune mesure ne soit nécessaire en ce moment ? Vous connaissez le danger que présente la législation de 1834. Ce danger a été révélé en juin et juin 1843, de manière à alarmer le pays. Permettez-moi de vous rappeler ce précédent.

En 1843, il y a eu deux fois libre entrée pour le froment, c’est-à-dire que le prix du froment a, à deux époques de cette année, atteint le taux de 20 fr. D’abord en janvier, l’introduction a été peu considérable. Il n’y a pas eu ici de manœuvres.

Une deuxième fois, en 1843, le prix du froment a atteint 20 fr. Ce prix n’avait été atteint que par suite de manoeuvres qui ont été dénoncées au gouvernement, qui sont d’ailleurs de notoriété publique. 36,211,000 kil. de froment ont été introduits en 1843. Six millions au plus avaient été introduits en janvier, la première fois ; mais la seconde fois, par suite de manœuvres, 30 millions de kilogrammes à peu près furent subitement introduits pendant cette quinzaine où le froment s’est touvré une seconde fois libre à l’entrée, à partir du 4 juillet 1843. On peut dire que cette introduction, à l’aide de manœuvres, a été de 30 millions.

M. Lesoinne – Avez-vous tenu compte de l’introduction par Verviers ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Soit, je réduirai le chiffre à 25 millions. J’avais déjà déduit 6 millions.

On suppose qu’il est entré 6 millions et que l’on doit porter l’introduction faite au moyen de hausses factices à 30 millions. Mais n’importe, disons 25 millions. Cette quantité est assez considérable. Cette importation subite est venue déranger toute l’économie intérieure. La récolte était très-bonne cette année ; nous n’avions pas besoin alors de cette énorme introduction des céréales étrangères ; Nous devons, en présence de ce précédent, examiner si nous sommes exposés à un danger du même genre pour la présente année. Ce danger, messieurs, a semblé de nouveau probable, dans le cours de l’hiver dernier, qui a été extrêmement long et rude. Ce danger a-t-il complètement cessé maintenant ? Je ne le crois pas. Jetez les yeux sur les dernières mercuriales publiées dans le Moniteur d’hier, vous verrez que, sur plusieurs marchés, les prix ont atteint presque 20 fr. : à Anvers, 19 57 ; à Bruxelles, 19 20 ; à Louvain, 19 17. ces deux marchés sont les plus importants avec Liége.

Ces deux marchés, où les prix sont arrivés à 19 fr. 20 c., doivent dont être largement pris en considération quand il s’agit de fixer la moyenne. Elle n’est encore que de 18 11 eu égard à tous les marchés, qui sont au nombre de 10. Je crois que nous sommes exposés au même danger qui s’est révélé en juillet 1843, et qu’il est prudent de prendre des précautions. Ces précautions vous sont proposées par la section centrale. D’après les considérations que je viens de vous exposer, je crois devoir appuyer la proposition, sauf à présenter, quand on sera à la fin de la discussion, quelques modifications.

Je crois donc qu’en ce moment il y a impossibilité d’arrêter une législation définitive.

Plusieurs membres – Sur quoi porte l’amendement ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Sur le seigle.

Il est dit que dans certains cas l’entrée du seigle pourra être libre. Il faudrait ajouter une condition indiquée par un arrêté royal de 1843, c’est que le prix du seigle sera de 13 fr., au moins.

Nous disons en résumé que, d’une part, une législation définitive sur les céréales n’est pas possible. Nous n’avons pas les matériaux nécessaires pour résoudre cette question en connaissance de cause. Ces matériaux, le gouvernement les recueille, il y mettra toute l’activité possible. Mais c’est un grand travail. Les différents documents que j’ai indiqués ne pourront être préparés, résumés et livrés à l’impression avant un an. Il ne faut pas d’effrayer de ce terme ; ce travail est destiné à servir longtemps de base à beaucoup de lois d’ordre intérieur ; on ne peut y mettre trop de soin.

D’un autre côté, une mesure me semble dès à présent indispensable pour prévenir les dangers qu’offre la législation de 1834. Je crois donc qu’il y a lieu d’admettre, sauf modification, la proposition que vous fait la section centrale.

M. le président – La parole est à M. Manilius pour une motion d’ordre.

M. Manilius – Je voulais demander au gouvernement sur quel objet la discussion allait s’établir. M. le ministre vient en partie de répondre à cette question.

Ais puisque j’ai la parole, je déclarerai à M. le ministre que je ne l’ai pas bien compris. Je lui demanderai de s’expliquer. Il vient de dire qu’il se rallie au projet de la section centrale pour prévenir les fraudes qui se commettent.

Mais se rallie-t-il à l’augmentation de tarif proposé par la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Oui !

M. Manilius – Ah ! M. le ministre veut donc plus que prévenir la fraude ; il veut augmenter le tarif. Il est très-bon de le savoir. Nous prendrons nos mesures en conséquence.

Je ne puis pas parler maintenant sur le fond de la question, puisque je n’ai la parole que pour une motion d’ordre.

Je voulais savoir si M. le ministre se rallie au projet de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Oui, je m’y rallie.

M. Manilius – Fort bien ; j’en prends acte.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre n’a pas besoin de tant se féliciter et de prendre avec tant de satisfaction acte de mon adhésion à la proposition de la section centrale. J’ai dit quel est le danger de la législation de 1834 ; de quelle manière peut-on le prévenir ? Le préviendra-t-on suffisamment en augmentant le nombre des marchés régulateurs ? L’honorable membre soutiendra peut-être l’affirmative, j’écouterai sa démonstration avec la plus scrupuleuse attention ; je désire qu’il parvienne à me convaincre, ainsi que la majorité de la chambre.

Je crois que l’augmentation du nombre de marchés régulateurs ne suffit pas ; je crois qu’il faudrait y joindre la deuxième mesure, consistant à admettre un droit, lorsque le prix atteint 20 fr. ; c’est-à-dire qu’il faut détruire l’appât qu’offre le tarif de 1834 qui fait passer subitement du droit de 37 fr. 50 à zéro.

Je désire qu’on parviennent à me démontrer que l’augmentation du nombre de marchés régulateurs suffira, que nous atteindrons le but, en prenant cette seule mesure.

Si l’on fait cette démonstration, je m’en féliciterai.

M. le président – La parole est à M. Fleussu pour une motion d’ordre.

M. Fleussu – M. le président a demandé au gouvernement s’il se rallie à la proposition de la section centrale. J’aurai l’honneur de faire observer que la proposition ne vient pas du gouvernement, qu’elle est due à l’initiative de 21 membres de cette chambre.

Je désire savoir si ces honorables membres se rallient à la proposition de la section centrale.

M. Eloy de Burdinne – Au nom de mes collègues, et vu le peu de temps qui nous reste pour examiner cette grave question, je déclare que nous nous rallions à la proposition de la section centrale.

Plusieurs membres – Ainsi la proposition des 21 est retirée ?

M. Eloy de Burdinne – Pas du tout. Je m’expliquerai plus tard. Pour le moment, vu le peu de temps qui nous reste pour discuter convenablement notre proposition, nous consentons à ce qu’elle soit ajournée, et à ce que dans cette session on discute seulement la proposition de la section centrale. Mais nous n’entendons nullement la retirer.

M. de Garcia – La proposition des 21, que j’ai signée, a été l’objet de calomnies dans cette enceinte et en dehors de cette enceinte. (Réclamations.)

M. le président – Le règlement interdit à l’honorable membre un tel langage envers des collègues.

M. de Garcia – Je retire volontiers le mot un peu dur que je viens de lâcher. Qu’il me soit seulement permis de faire connaître la raison qui m’a fait prononcer ce mot.

Un honorable membre, qui n’est pas en ce moment dans cette enceinte, a dit que nous n’aurions pas le courage de soutenir notre proposition. Je ne le nommerai pas ; je crois que la chambre n’a pas oublié cette accusation.

Quant à moi, j’aurai ce courage. Cependant, je ne suis pas de ceux qui se refusent à revenir de leur opinion, quand on leur démontre qu’elle n’est pas fondée. Si l’on me démontre que notre proposition est exagérée, qu’en abaissant dans certaines proportions le chiffre établi, l’agriculture trouvera une protection sérieuse, efficace, je déclare que je me rallierai volontiers aux mesures qui nous seront démontrées suffisantes.

On dit : la loi est dans le chiffre ; pour moi, elle est dans le principe, et le principe exige une protection sérieuse, efficace pour l’industrie la plus importante du pays. Ce principe, je le veux, et j’en soutiendrai l’application, aussi longtemps qui j’aurai l’honneur de siéger dans cette assemblée.

L’honorable M. Fleussu a demandé si nous n’abandonnions pas la proposition que nous avons signée. D’abord, je déclarerai à l’honorable M. Fleussu que je ne lui dois pas une réponse à cet égard.

M. Fleussu – J’ai bien le droit, sans doute, de demander aux signataires de la proposition s’ils se rallient au projet de la section centrale !

M. de Garcia – J’ai le droit de dire que je ne veux pas répondre à cette interpellation, et je ne reconnais, ni au gouvernement, ni à personne, le droit de répondre pour moi.

M. le président – J’engage l’honorable membre à se renfermer dans l’objet de la motion d’ordre.

M. de Garcia – Je m’y renferme et n’en sors nullement.

On a demandé si nous n’abandonnions pas la proposition que nous avons présentée en vertu de la prérogative que nous attribue la Constitution ; je ne fais que répondre à cette interpellation. Je déclare au surplus, que je ne l’abandonne pas. Cependant, par les considérations qu’a développées M. le ministre, me rendant aux raisons qu’il a données, raisons que je trouve très-solides, et qui doivent servir de base à une bonne loi sur les céréales, je n’insiste pas pour le moment, sur la proposition que nous avons signée ; mais, pour l’avenir, je déclare ne renoncer en aucune manière à son examen.

M. Rodenbach – Je répondrai à l’honorable M. Fleussu que quand nous avons signé la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne, c’était vers le 14 ou le 15 février. Alors les mercuriales donnaient pour prix l’hectolitre de froment environ 16 fr. ; il y avait même plusieurs marchés notamment dans les Flandres où le prix courant n’était que de 14 à 15 fr. On redoutait une crise pour l’agriculture. C’est ce qui nous a déterminés à signer cette proposition.

Aujourd’hui, que les prix sont augmentés, plusieurs de nos honorables collègues, pas plus que moi-même, ne voudraient plus de cette proposition.

(page 1575) En effet, le froment de première qualité s’est vendu hier sur le marché de Bruxelles 20 fr. 10 c. l’hectolitre.

Notre intention était d’accorder une protection à l’agriculture. Lorsque nous appuyons la proposition de la section centrale, peut-on dire que nous voulons une protection trop forte ?Lorsque le prix est à 20 fr., on demande une protection d’un franc par hectolitre. C’est une protection de 5 p. c. Vous-mêmes en être juges ? existe-t-il en Belgique une seule industrie qui n’ait pas une protection plus forte que 5 p.c. ?

Eh bien, messieurs, maintenant le projet de la section centrale n’accorde à l’agriculture qu’une protection de 5 p.c. si le prix s’élève jusqu’à 22 à 24 fr. La protection ne sera plus que de 25 centimes par hectolitre, c’est-à-dire de 1 ou 2 p.c.

M. le président – Je ferai remarquer à M. Rodenbach qu’il entre dans le fond de la question.

M. Rodenbach – On nous a interpellés sur la question de savoir si nous maintenions notre proposition. Il faut bien que nous puissions dire pourquoi nous avons signé la proposition dans d’autres circonstances, et pourquoi, aujourd’hui que la question est complètement changée, nous nous rallions au projet de la section centrale. Du reste, je reviendrai sur ce point dans la discussion générale.

M. Fleussu (pour un fait personnel) – L’honorable M. de Garcia a dit qu’il ne nous devait pas compte de son opinion. Je ferai remarquer à l’honorable membre que ce n’était pas à lui que je me suis adressé, que je ne tenais pas à savoir s’il avait modifié son opinion, que si je lui avais fait une interpellation aussi directe, il aurait eût le droit de me faire la réponse qu’il m’a faite. Mais ce n’est pas là la question : lorsque le gouvernement présente un projet de loi et que ce projet est modifié par la section centrale, M. le président demande si le gouvernement se rallie à la proposition de la section centrale. Lorsqu’un membre de la chambre a présenté une proposition qui a été modifiée par une commission ou par la section centrale, M. le président adresse la même question à l’auteur de cette proposition. Or, 21 membres ne doivent pas avoir plus de privilège que le gouvernement ou qu’un seul membre qui a usé de son droit d’initiative. J’étais donc dans mon droit ; et j’ai suivi tous les usages parlementaires en demandant si les 21 signataires de la proposition primitive se ralliaient au projet de la section centrale.

Je suis vraiment étonné de la vivacité de la réponse de M. de Garcia. On dirait que ces messieurs ont voulu se cacher derrière la discussion qui va avoir lieu sur le projet de la section centrale.

M. le président – Vous n’avez pas le droit de faire une semblable supposition ; le règlement s’y oppose.

M. Fleussu – Je demande maintenant s’il n’était pas nécessaire que mon interpellation eût lieu, pour que nous puissions savoir sur quoi nous allons discuter ? Il était bien nécessaire de savoir si la discussion allait rouler et sur le projet de la section centrale et sur la proposition des 21 membres. Il fallait bien qu’on s’entendît sur ce point, et c’était réellement pour faciliter la discussion que j’avais fait mon interpellation. Maintenant, l’honorable M. Eloy de Burdinne, au nom des 21 signataires de la proposition, a dit qu’il se ralliait au projet de la section centrale ; dès lors tout est dit : la discussion ne portera que sur le projet de la section centrale.

M. de Haerne – Messieurs, on a demandé si les signataires de la proposition primitive se ralliaient au projet de la section centrale, et l’honorable M. Eloy de Burdinne, tant en son nom qu’au nom de ses collègues, a répondu affirmativement à cette question. Comme je suis un de ses collègues, il m’importe de dire à la chambre dans quel sens j’ai signé la proposition. Il ne s’agit pas, pour moi de savoir si j’abandonne la proposition pour me rallier au projet de la section centrale. Comme j’ai eu l’honneur de le dire, dans la discussion sur la prise en considération, j’ai signé la proposition, non pour appuyer les chiffres, mais dans le seul but d’appeler l’attention de la chambre sur la nécessité de donner une protection efficace à l’agriculture,protection qui, à mes yeux, n’était pas encore déterminée.

J’ai ajouté que je ne voulais pas faire augmenter le prix du pain et, à cet égard, j’ai cité l’exemple de la France, où, malgré un tarif plus élevé que le nôtre, les grains sont en général à meilleur compte que chez nous. Voilà dans quel sens je me suis expliqué de prime abord ; l’on aurait donc tort de dire que je cherche à me réfugier derrière la discussion qui doit s’établir sur la proposition de la section centrale ; puisque je me suis expliqué sur ce point avant même que le public s’en fût occupé.

J’ai dit aussi, messieurs, à cette occasion, que je croyais qu’il n’y avait pas péril dans la demeure, ou que du moins la mesure proposée n’était pas tellement urgente que le chambre ne pût attendre jusqu’à ce qu’elle fût pourvue de tous les renseignements nécessaires. J’ai fait cette déclaration en répondant à l’honorable M. Castiau qui demandait une enquête.

Messieurs, cette opinion est toujours la mienne. Aussi je me rallie à ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur en réponse à l’honorable M. Manilius ; il a déclaré que si l’on pouvait lui démontrer que, pour le moment, il suffirait d’augmenter le nombre des marchés régulateurs pour prévenir les manœuvres frauduleuses, il se rallierait à cette opinion. Moi aussi, messieurs, si on peut nous faire cette démonstration, j’admettrai la division du projet de la section centrale et je consentirai à ce qu’on renvoie la partie qui concerne l’augmentation des droits jusqu’à l’enquête que fait le gouvernement.

Telle a toujours été mon opinion. Il ne s’agit donc pas de savoir si je renonce à la proposition qui a été faite à la chambre, puisque je n’ai jamais entendu l’admettre dans toute son étendue.

Plusieurs membres – L’ordre du jour !

M. Malou – Messieurs, la question qui s’agite devant vous ne peut être immédiatement tranchée par l’ordre du jour. Il s’agit d’empêcher qu’i y ait un malentendu sur le vote du projet de la section centrale.

J’insiste sur l’observation de l’honorable M. Fleussu. Il est évident que la question posée par l’honorable membre se réduit à savoir si, en supposant que le projet de la section centrale soit admis par la chambre, elle est dessaisie de toutes les autres propositions ou si elle en reste saisie. Il faut s’expliquer franchement, messieurs, nous savons tous que nous voulons décider, mais nous ne devons pas laisser subsister de malentendu.

Eh bien, messieurs, à quel point de vue la section centrale s’est-elle placée ? Elle s‘est dit que son projet contenait un essai nouveau, que son projet contenant un complément à la loi de 1834, la conséquence du vote de ce projet serait de considérer comme étant devenues sans objet pour le moment toutes les propositions dont la chambre est saisie, c’est-à-dire en d’autres termes, set la chose est assez claire, de dessaisir la chambre de toutes les autres propositions, sauf aux honorables membres qui les ont faites, sauf à chacun en un mot, à user quand et comme bon lui semblera, de son droit d’initiative.

Je pense, messieurs, qu’en posant ainsi la question, elle exige impérieusement une solution.

M. de Roo – Messieurs, je suis aussi un des signataires de la proposition de loi des 21 ; mais tout en signant cette proposition, je ne me suis pas astreint à repousser toute autre qui tiendrait au même but.

Tout ce que j’ai voulu, c’est mettre un terme aux vices de la loi de 1834, vices qui vous ont été démontrés souvent dans cette enceinte, et qui viennent encore de l’être par M. le ministre de l'intérieur, lorsqu’il vous a dit qu’en 1843 on a introduit, au moyen d’une hausse factice, 36 millions de kilogrammes de céréales, alors que la récolte était prospère.

Je crois donc qu’en votant aujourd’hui pour le projet de la section centrale, je ne m’écarte pas de mon idée primitive, ou du but que je me suis proposé en joignant ma signature à celle de mes collègues.

Ce que je désire, messieurs, c’est donner une protection modérée à l’agriculture ; et croyant que la proposition de la section centrale aura cet effet, mon but sera atteint par son adoption.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je ferai remarquer à l’honorable M. Fleussu que je ne recule pas devant la discussion au fond de notre proposition. Je suis prêt à l’entamer et à vous démontrer, comme je l’ai déjà dit, qu’elle est bien plus avantageuse au consommateur qu’au producteur. Mais pour démontrer cette vérité, il me faudrait un temps assez long, et il en résulterait une discussion assez étendue. C’est pourquoi j’y renonce pour le moment.

J’aurais toutefois un mot à dire à M. le ministre de l'intérieur. Il vous a annoncé, et c’est ce que j’avais vu comme lui dans le Moniteur, que le prix du froment était coté la semaine dernière à 19 fr. 57 c. à Anvers, à 19 fr. 20 c. à Bruxelles et à 19 fr. 17 c. à Louvain. Mais, messieurs, je vous prie de jeter les yeux sur les prix d’autres marchés aussi considérables comme régulateurs ; vous y verrez qu’à Bruges le prix du froment est à 16 fr. 48 c., qu’à Gand, il est à 16 fr. 96 c., à Arlon à 15 fr. 20 c. Je vous le demande, messieurs, ne peut-on pas supposer sur certains marchés des opérations du genre de celles qui vous ont été signalées et que l’honorable M. Osy connaît parfaitement puisque, le premier, il en a parlé à la chambre. Ne serait-il pas possible que ces prix d’Anvers, de Bruxelles et de Louvain fussent des prix factices ?

Il est donc important, messieurs, de nous occuper immédiatement de la question.

M. Osy – Messieurs, je prends la parole pour combattre le projet de loi de 21 de nos collègues, celui du sénat et également celui de votre section centrale. Lors de la prise en considération, j’ai combattu le projet de loi de nos 21 collègues ; ce projet est tellement exagéré, que je ne m’y arrêterai guère ; les droits protecteurs sont tellement exorbitants, qu’ils doivent convenir qu’ils n’ont pas suffisamment approfondi la portée de leurs propositions. Pour le seigle dans l’état actuel, le droit serait de 6 fr. 90 l’hectolitre, tandis qu’il ne paye aujourd’hui que 1 fr. 75.

L’orge, actuellement imposé à 28 c., payerait 5 fr. 25 c., et l’avoine, au lieu de 57 c., aurait à payer 3 fr. 67 c. Aussi plusieurs de ces messieurs ont abandonné eux-mêmes leur système lors de la discussion en section centrale ; et je crois même que plusieurs et peut-être le plus grand nombre doivent avoir le regret d’y avoir donné un instant leur adhésion, depuis qu’ils ont vu la grande réprobation du public en général, pas seulement des consommateurs mais aussi des propriétaires.

Je ne m’arrêterai donc pas à ce projet et combattrai principalement la loi du sénat et celle présentée par la section centrale.

Mais avant, je suis obligé, par devoir, de soulever la question constitutionnelle.

La loi du sénat est une loi d’impôt. Avec la loi de 1834, après 20 fr., il n’y a pas de droit et on en propose un jusqu’à 24 fr., d’après l’art. 27 ; le sénat ne pouvait pas prendre l’initiative. Je laisserai à d’autres honorables collègues de traiter cette question, mais nous devons regretter que, pendant les discussion au sénat, le ministre de l’intérieur n’ait pas défendu cette prérogative ; mais cela ne m’étonne pas, d’après le rôle peu digne joué par le ministre ; et il s’est seulement hâter de se tirer d’un mauvais pas, il a recouru comme toujours à un expédient et a négligé le principal pour l’accessoire.

Je m’explique.

Il y a quinze mois, le 28 novembre 1843, M. le ministre de l'intérieur présente un projet de loi après avoir pris l’avis des chambres de commerce, des députations et des commissions d’agriculture (ainsi cette question était très-bien instruite) et déjà la section centrale était constituée et avait commencé (page 1576) ses délibérations, et quoiqu’il y eût des divergences d’opinion, personne ne voulait aller aussi loin que les 21 ; et même l’on ne demandait pas une protection comme le fait la loi du sénat et votre section centrale.

Il y a donc 15 mois que le principe du gouvernement était de faire quelques changements à la loi de 1834, mais dans l’intérêt du consommateur, car on proposait alors de faire une loi mieux graduée.

Le principe d’alors était de conserver le froment libre à 20 fr., mais au lieu d’un droit uniforme de 37 fr. 50 c., lorsque les froments seraient de 15 à 20 fr., et seulement le droit double de 12 à 15 fr., on vous proposait un droit échelonné comme suit :

de 6 fr , de 19 fr à 20 fr.

de 17 fr, de 18 à 19 fr.

de 28 fr, de : 7 à 18 fr.

de 39 fr., de 16 à 17 fr.

et seulement de 72 fr., de 13 à 14 fr.

et de 83 fr, de 12 à 13 fr.

et prohibition, comme en 1834, à 12 fr. et au-dessous.

C’était une loi dans l’intérêt du commerce et surtout des consommateurs. Quelques réclamations effrayèrent le gouvernement ; et à l’ouverture de la session actuelle, on nous annonça que le projet de 1843 était retiré et qu’on en présenterait un autre dans le courant de la session.

Le gouvernement ne bougeant pas, il s’est laissé devancer par l’initiative parlementaire, et quoique la proposition de nos 21 collègues fût évidemment outrée, le gouvernement ne combattit pas la prise en considération. Je suis heureux d’avoir, dès ce jour, protesté contre un projet de loi si contraire à tous les intérêts du pays, et je demandai l’insertion au procès-verbal de mon refus de prise en considération. Le projet de loi du 14 février ne tarda pas à provoquer les réclamations les plus violentes, les plus justes, et M. le ministre effrayé d’une pareille répulsion, a dû chercher dans son imagination féconde le moyen de se tirer d’un mauvais pas et de sa condescendance ou au moins de son silence, lors du développement de 21 de nos collègues, qui tous, sans exception, faisaient partie de la majorité, qu’il na pas osé mécontenter ni combattre.

Là, nous avons eu la preuve que le ministre considère son existence ministérielle avant les graves intérêts du pays ; car une loi sur les céréales concernant tous les intérêts, depuis le plus malheureux consommateur jusqu’au plus riche propriétaire, est certainement la loi la plus importante que nous soyons appelés à faire.

Aussi, une expression que j’ai souvent entendu chez des membres influents de la chambre est très juste : le ministre de l’intérieur n’est plus que le commis de la majorité, et veut tâcher de contenter tous les intérêts.

Le gouvernement, voyant donc, au bout d’un mois, la grande répulsion du pays et voulant en même temps rendre service à la grande majorité de nos 21 collègues, profita de la proposition d’un honorable sénateur, pour engager le sénat à s’occuper, sans retard, de la grave question des céréales et dans les 48 heures on présenta, on discuta et on adopta a loi du sénat du 15 mars, à laquelle M. le ministre avait donné toute son adhésion, et cependant l’on veut hardiment dire que le principe de M. le ministre au mois de novembre 1843 était une loi en faveur du consommateur et du commerce : pas de droit au-delà de 20 fr. avec échelle graduée.

Quinze mois après, le même ministre donne son approbation à une loi toute en faveur du propriétaire au grand détriment du consommateur, et déclare se rallier à une proposition qui maintient le droit actuel jusqu’à 20 fr., mais impose le froment de 1 fr. 13 c de 20 à 22 fr., et encore de xxx c., de 20 à 24 fr.

Ainsi, à la fin de 1843, principe en faveur du consommateur ; au commencement de 1845, principe en faveur du propriétaire et au grand détriment du consommateur, et je prouverai plus tard que ce principe, dans un cas donné, peut amener la famine en Belgique.

Un ministre aussi versatile dans ses opinions d’économie politique, est un véritable fléau pour un pays.

M. le président – Je dois rappeler à l’orateur que les personnalités sont interdites.

M. Osy – Quoique ma proposition de confiance n’ait pas été admise par la majorité, je me glorifie tous les jours de plus en plus de l’avoir faite ; et de la manière dont on mène les affaires les plus graves du pays, avant peu bien de mes collègues auront des regrets de ne m’avoir pas appuyé au commencement de 1845. le temps prouvera que j’avais raison, qu’il était plus que temps de voir nos affaires d’administration intérieure et les intérêts commerciaux et industriels dans d’autres mains, je ne dis pas plus habiles, mais au moins dans des mains d’hommes ayant des convictions politiques, et qui, avant la question de portefeuille, voient la question d’intérêt général.

Souvent, l’honorable M. Nothomb, qui n’est que l’agent de la majorité, vous a cité sir Robert Peel. Ce qui vient de se passer au parlement anglais devrait être pour lui d’un grand exemple.

Sir Robert Peel, après avoir pacifié l’Irlande, et ainsi n’ayant pas la main xxx, vient, après un an, proposer une loi qui répugne à ses amis politiques ; mais comme il propose un grand acte réparateur pour une partie du royaume qui était opprimé, il a le courage de la poser, d’affronter sa majorité et ses amis en proposant ce qui est juste ; il a le talent de persuader une grande partie de ceux qui étaient décidés à ne pas rendre justice à l’Irlande.

A la chambre des pairs, la répulsion pour les catholiques est encore plus grande ; mais sans avoir d’autre motif que la justice, et décidé d’avance à abandonner le pouvoir si le parlement n’approuve pas ses plans, il ose affronter une aussi grave question, et, s’il ne l’emporte pas aujourd’hui, il tombera glorieusement, et, avant peu d’années, on lui rendra justice, et la nation entière devra finir par voir qu’il ne demandait qu’un acte réparateur et qui calmera pour toujours cette Irlande qui était encore, il y a peu de mois, si agitée et qu’on a dû garnir de troupes et de citadelles. Aujourd’hui on peut retirer ces troupes, et la reine peut se présenter en Irlande, où elle sera reçue comme le sauveur de ce pays opprimé.

Si sir Robert Peel avait le caractère de M. Nothomb, il aurait suivi sa majorité ; et l’Irlande, pacifiée aujourd’hui, serait peut-être à feu et à sang. Si la guerre avec les Etats-Unis éclatait, tous les embarras intérieurs seront aplanis, et voilà la force de la Grande-Bretagne. Ce grand homme voit avant tout les intérêts généraux, tandis que notre grand homme ne voit avant tout, que son existence au pouvoir.

L’année prochaine, nous aurons de grands intérêts à débattre avec la France et la Hollande, et c’est alors que je l’attends à l’œuvre.

Pour la question des céréales, les réclamations en Angleterre sont des plus vives ; sir Robert Peel ne veut pas se faire forcer la main, mais s’il reste au pouvoir, il la tranchera contre ses amis politiques, comme il a tranché la question du collège en Irlande.

Ce qui fait la force du pouvoir, c’est d’avoir des hommes de conviction et qui inspirent la confiance aux chambre et au pays, et il est impossible à la fin d’une session, et avec un ministre qui abandonne aussi légèrement ses principes, et qui dans l’intervalle de quelques mois est le protecteur du consommateur et ensuite de son oppresseur, et devient le protecteur du propriétaire, pour conserver sa position et être agréable à la majorité des deux chambres. Et peut-être même est-ce un calcul électoral, et pour moi je suis persuadé que ceci entre pour beaucoup dans son revirement du tout au tout.

Comme il est impossible de faire, dans ces circonstances, une bonne loi, je désirerais que nous décrétions une enquête parlementaire, qu’on fera dans l’intervalle des deux sessions et qui serait composée de 7 ou 9 membres.

Je préférerais le rejet des trois propositions, des 21, du sénat et de la section centrale, sauf à prendre quelques bonnes dispositions pour que les mercuriales soient une vérité, et j’attendrai le cours de la discussion, pour voir si l’opinion se forme plutôt pour le rejet que pour une enquête.

Pour moi, je ne veux pas, pour un objet si important, des lois provisoires et et transitoires. Nous devons désirer la stabilité, que les propriétaires-fermiers sachent à quoi s’en tenir pour le renouvellement des baux et que le commerce sache à quoi s’en tenir pour l’alimentation des marchés. L’industrie également y est fortement intéressée, car une augmentation du pain peut et doit influer sur la main-d’œuvre.

Lorsque l’honorable M. Ely de Burdinne a fait sa proposition, les froments étaient près de 16 fr. et donnaient des inquiétudes aux propriétaires. Mais l’hiver long et nuisible que nous avons eu a fait changer la situation de nos marchés, et la moyenne est de nouveau au-delà de 18 fr., et lorsque M. le ministre, la veille de notre dernier ajournement, a voulu nous effrayer, en disant qu’il fallait se presser, qu’il y avait péril, et que nous étions menacés d’une importation pour la consommation d’une année, il doit nous avoir pris pour des enfants, et si jamais il y a eu une exagération (je ne dirai pas gasconnade), c’était bien celle-là.

Nous n’avons guère que 30 mille hectolitres de froment dans nos entrepôts, et à la date du 23 mars lorsque M. le ministre prononça ces mots étranges et effrayants, nous avions dans l’entrepôt d’Anvers 5,790 hectolitres de froment, 963 hectolitres d’avoine, 14,627 hectolitres de seigle et 531 hectolitres d’orge.

Et si même avant la fin de l’année nous pouvons importer 150 mille hectolitres, c’est la nourriture d’environ 9 jours, calculant sur une consommation de 5 mille 400 hectolitres. Admettez que si le froment vient à 20 fr. et que le seigle puisse entrer avec franchise de droit, lorsqu’il sera à 13 fr., je ne crois jamais qu’on pourra importer 100 mille hectolitres de seigle. A cette occasion, je vous dirai qu’à Anvers nous avons une seule distillerie qui a besoin de 1000 hectolitres par semaine, soit 50 mille hectolitres par an. Ainsi la moitié de cette quantité est absorbée par un seul établissement.

La moyenne de vos importations de 1833 à 1844 a été de 217,368 hectolitres de froment, 40,211 hectolitres de seigle, 383,90 hectolitres d’orge et de 222,32 hectolitres d’avoine.

Et si vous prenez la moyenne depuis la paix de 1839 et la séparation des deux dernières provinces, vous trouverez de 1835 à 1839 inclus, une importation de froment de 40 mille kil. seulement, tandis que de 1840 à 1844 il y a eu une importation de 160 mille kil.

Preuve évidente que depuis 4 ans vos importations et vos besoins ont considérablement augmenté, et c’est avec des statistiques pareilles que vous voulez augmenter le prix des grains par des augmentations de droits protecteurs lorsque le froment sera de 20 à 24 fr. !

La récolte sera certainement tardive et très-modérée, car on a dû retourner bien des champs de froment, et dans le Nord on a non-seulement défendu les exportations dans l’est de la Russie (en Pologne et en Courlande), mais on dû déclarer les importations libres.

Si par une récolte tardive et si le commerce ne soignait pas dans le courant de l’année pour approvisionner le pays entre les récoltes de 1845 et 1846, et si vos voisins, la France et l’Angleterre avaient aussi des besoins, vous pourriez vous trouver au printemps dans la plus mauvaise position. N’oublions pas que sans la crise financière en Angleterre au printemps de 1842, le commerce n’aurait pas trouvé des grains à l’étranger pour les besoins pressants des consommateurs, et lorsque la moyenne du froment était de 22 à 23 fr. (page 1577) Les nombreuses faillites en Angleterre dans les commerce des grains, furent un bonheur pour la Belgique, et le commerce en profita pour des importations si nécessaires à la subsistance du pays.

Augmentez vos droits protecteurs, et avant un an ceux qui l’auront voté auront peut-être et vraisemblablement les plus vifs regrets. Pour moi, quoique propriétaire moi-même, et bien que je pusse certainement augmenter mes revenus si la loi du sénat était adoptée comme législateur et mettant toujours de côté mes propres intérêts, je refuserai toujours mon vote à des lois qui sont contraires à l’intérêt général du pays. Son intérêt veux que nous fassions tous nos efforts pour que le froment ne dépasse guère 20 fr. ; et je veux protéger le commerce dans l’intérêt du consommateur. Un droit fixe de 2 fr. l’hectolitre de froment, c’est ce qui convient le mieux à la Belgique et je le démontrerai.

Depuis 1834 jusqu’à la fin de 1843, le trésor n’a presque jamais perçu de droits d’entrée, car le commerce, voyant l’allure de vos marchés, attend jusqu’à ce que le froment soit libre à l’entrée et ainsi en n’alimentant pas vos marchés aide à la hausse au détriment du consommateur ?

Mettez un impôt de 12 fr. 50 jusqu’à 22 fr., on attendra le prix de 22 fr., et on n’importera qu’à 22 fr. avec un droit de 3 fr. par 1,000 kilog., et tout cela au détriment du consommateur.

En 1843, on a mis en consommation 42 mille kilog. de froment qui au droit de 2 fr. l’hectolitre auraient produit avec les centimes additionnels une recette de 1,200,000 fr.

La même année on a importé 16 mille kil. de seigle, soit environ 230,000 hectolitres, qu’on aurait pu faire payer à un droit fixe de 1 fr. 30 l’hectolitre, ce qui aurait produit 300,000 fr.

Vous auriez donc eu, en 1843, une recette de 1,500,000 fr., tandis que d’après la statistique du gouvernement, le trésor a seulement perçus pour du froment la somme de 100,000 fr, et pour le seigle 23,000 fr, soit ensemble, 123,000 fr. Différence : 1,370,000 fr.

Faites telle loi que vous voudrez, le commerce sait attendre la libre entrée, mais tout cela est au détriment du consommateur et du trésor, tandis qu’avec un droit fixe vous êtes assurés d’une recette certaine ; et comme il est prouvé que nous ne suffisons pas à nos besoins, un droit fixe empêcherait une top grande cherté des céréales, parce que le commerce n’a plus le même intérêt qu’aujourd’hui pour attendre la libre entrée. Et puis n’avez-vous pas déjà le droit fixé pour l’orge qui vous a donné en 1843 une recette de 155,000 fr. ?

Je dirai seulement quelques mots sur les fraudes dont on accuse le commerce ; je maintiens que ce qu’on a fait n’est pas contraire à la loi, et la justice l’a décidé ainsi ; mais en Angleterre, où l’on fixe le droit d’entrée sur les prix moyens de six semaines, soyez persuadés que par des moyens légaux, on aide également à hausser ou à baisser la mercuriale, et c’est au gouvernement à donner de bonnes instructions aux autorités communales, pour que les mercuriales soient fixées sur des marchés réels. Sous ce rapport, il y a beaucoup à faire.

On a déjà beaucoup parlé des importations de 1843. Si nous examinons le document n°4, page 39, vous verrez, messieurs, que la troisième semaine de juin, la mercuriale moyenne de tous les marchés a été fixée à 20 fr 16 ; la quatrième semaine à 20 fr. 49 ; et ainsi, après ces prix fixés, on introduisit 200,000 hectolitres de froment en franchise de droit ; et ne perdez pas de vue, messieurs, que cette grande importation était la nourriture de la Belgique pour 15 jours.

Aussi, la cinquième semaine de juin, le froment baisse à 19 fr. 42 ; la première semaine de juillet, il y a reprise à 19 fr. 92 ; la deuxième semaine (ainsi 3 semaines après la forte importation), on remonte à 20 fr. 29 ; la troisième semaine à 20 fr. 40 ; la quatrième semaine on dépasse 21 fr. ; et finalement, la première semaine d’août, nous voyons le prix de 21 fr. 91 c. ; la deuxième semaine nous voyons le prix de 21 fr. 54 c.

D’après cette statistique, je prouve que sans l’importation des 200 mille hectolitres à la fin de juin, vous auriez peut-être vu des prix de 23 à 24 fr. ; et voilà le service rendu par le commerce en faveur des consommateurs, et qui n’a pas nui aux propriétaires.

La baisse n’a commencé qu’au mois de décembre 1843, lorsque les fermier viennent au marché pour payer leurs fermages.

Ceci répond victorieusement aux attaques continues contre le commerce, dont vous ne pouvez pas vous passer, sans attendre, dans un terme plus ou moins éloigné, une crise terrible, la famine avec toutes ses horreurs, et je ne veux pas m’en rendre complice, en votant des droits protecteurs au-delà de 20 fr. pour le froment, et 13 fr. pour le seigle.

Il me reste quelques mots à dire sur les craintes chimériques des bas prix dans le Nord et à la Mer Noire ; je puis vous assurer que les achats faits avant et pendant l’hiver, lorsque les prix étaient les plus bas à Hambourg et en Poméranie, reviennent en entrepôt sans aucun bénéfice, à 18 fr., et ainsi, avec le droit d’entrée à 21 fr ; 30. Depuis, il y a hausse partout.

Je raisonnerai seulement sur les calculs présentés par le gouvernement, quoiqu’ils ne soient pas très-exacts ; car, pour les importations d’Odessa on a oublié la prime d’assurance et la commission d’achat, et le fret est porté au plus bas ; il faut donc augmenter les frais de 10 p.c.

M. le ministre convient que les froments d’Odessa valent 3 fr. de moins que les nôtres. Et, en prenant la moyenne de toute l’année, le prix de revient serait de 13 fr. (voyez page 96). J’ajoute l’erreur signalée de 10 p.c., soit 14 fr. 30 c., et ainsi, avec le droit d’entrée, 17 fr. 65 c., pour des froments qui valent 17 fr. lorsque les nôtres sont à 20 fr.

Je prends le calcul des importations de la Baltique (page 96 bis) En 1842, le prix de revient est 28 fr. 43 au prix le plus élevé, et 17 fr. 6 c. au prix le plus bas, mais seulement à l’entrepôt et en prenant les chiffres du gouvernement, en commun je trouve 22 fr. 75 c. et pour le seigle, la commune est 13 fr., le tout en entrepôt.

Vous voyez donc, messieurs, qu’on vous effraye à tort de toutes ces importations qui doivent inonder la Belgique.

Il me reste, messieurs, à vous parler de la situation de notre culture. En prenant les années 1819 à 1844, deux époques, 1819 à 1831 et 1832 à 1844, et retranchant dans chacune de ces époques l’année la plus élevée et l’année la plus basse, je viens au calcul suivant pour établir la moyenne des céréales en Belgique :

1ère époque 1819-1931 : froment 16,68 ; seigle 10 57

2ème époque 1832-1844 : froment 18 47 ; seigle 11 69.

Ces chiffres étant pris des statistiques du gouvernement, vous avez la preuve que le sort des propriétaires s’est amélioré de près de 2 fr sur le froment et au-delà de 1 fr sur le seigle, et ainsi le propriétaire a pu augmenter ses baux. Mais je ne veux pas que le moyenne de 18 fr. 50 vienne à 20 ou 21 fr. pour que les propriétaires puissent encore augmenter leurs revenus au détriment des consommateurs.

Par toutes ces raisons, je blâme de la manière la plus énergique la marche tortueuse du gouvernement dans cette grave question, et je voterai contre toute augmentation de droits protecteurs. Mais vous me trouverez prêt à trouver des moyens pour établir exactement les mercuriales et faire qu’elles deviennent une vérité.

M. Vandensteen – Nous discutons en ce moment une des lois les plus importantes du pays. Et, en effet, messieurs, il ne s’agit rien moins que de décider si l’on veut laisser en souffrance la première de nos industries, celle qui est la source de toutes les autres.

Dans un pays éminemment producteur, comme le nôtre, travailler au soulagement de la classe agricole, c’est travailler au bien-être de toutes les classes de la population.

Quand on envisage toute la portée de la question, on se convainc qu’elle ne peut être circonscrite dans les limites étroites que certaines opinions voudraient lui donner en la représentant comme devant uniquement favoriser les intérêts de celui qui possède au préjudice de celui qui ne possède point. Non, messieurs, cette question a un caractère bien plus général puisqu’elle embrasse tous les intérêts du pays. Aussi, je l’avoue, je regrette que, dans certaines pétitions qui ont été adressées à la chambre, on ait dénaturé si étrangement les intentions loyales et pures de nos honorables collègues qui ont cru, dans cette circonstance, faire usage du droit que leur confère la Constitution. Il est fâcheux que chaque fois qu’il s’agit, dans cette enceinte, de questions agricoles, il existe des préventions si fortes contre la principale branche de notre richesse nationale.

Nous pouvons différer d’opinions, quant aux moyens à prendre pour remédier aux vices que renferme la loi qui nous régit, mais au moins nous devons tous être d’accord qu’il est indispensable d’assurer, sans froisser d’autres intérêts aussi légitimes, l’existence de la population qui compose les trois quarts des habitants de la Belgique. Travailler au soulagement de cette classe nombreuse, c’est assurer à nos industries un débouché immense et prospère.

Qui peut nier que la gêne du cultivateur ne porte un atteinte grave au commerce et à l’industrie, qu’elle ne paralyse ces rapports de tous les instants qu’il est important de voir s’établir entre le producteur et le consommateur. Et, pour ne citer, dans cette question, qu’un seul genre de commerce, je dirais : laissez dans la gêne l’habitant de nos campagnes, et vous anéantissez infailliblement le commerce de détail qui n’existe que par eux ; vous tuez cet élément le plus puissant du commerce.

Si malheureusement la production agricole tend de plus en plus à se restreindre chez nous, nous devons attribuer ce fâcheux résultat au peu d’encouragement que l’on accorde à l’agriculture. C’est en vain que nous votons, chaque année, au budget de l’intérieur ce chapitre, si pompeusement intitulé « encouragement à l’agriculture », si nous ne prenons des mesures qui satisfassent efficacement ces intérêts sui souvent méconnus.

De ce que l’industrie agricole se montre plus calme, moins pressante que les autres, s’ensuit-il qu’elle ne souffre point, qu’elle doive toujours être exclue de nos sympathies, oubliée, comme si à son sort ne se liaient point les intérêts les plus vitaux du pays ? N’oublions pas, messieurs, qu’elle alimente des milliers d’individus qui ne subsisteraient pas sans elle et qui envisagent avec le plus grand effroi la situation actuelle ; ils savent qu’ils en sont les premières victimes. Aussi ne devons-nous pas être étonnés si de nos jours nous voyons ces émigrants nombreux déserter les campagnes et augmenter la population déjà si nombreuse de nos villes manufacturières ou, s’abandonnant au hasard, porter leur misère dans des colonies lointaines. Ce résultat n’aurait pas lieu, si le sort du paysan était amélioré et obtenait une certain considération.

Je sais que, pour expliquer l’état de la situation actuelle, on accuse les grands propriétaires d’avoir élevé les baux sans mesure. C’est pour eux, dit-on, qu’il faut modifier la législation actuelle, seuls ils en profiteront. Ces assertions, qui ne sont rien moins qu’absurdes, pour l’homme de bonne foi, se trouvent détruites par le plus simple examen des faits, et ne sont produites que dans un seul but : on veut élever les hostilités entre les propriétaires et les locataires ; on représente les uns comme des oppresseurs, les autres comme des opprimés ; on tâche, en un mot,de séparer des intérêts qui sont inséparables. Ce système n’est point admis dans les campagnes. Les cultivateurs, comme les fermiers locataires, savent que leur cause est intimement liée à l’existence des propriétaires, que leurs intérêts sont communs, (page 1578) et qu’ils ne peuvent exister l’un sans l’autre. Examinons si cette élévation des baux, contre laquelle on s’élève tant, est la cause du mal, s’il est le résultat de la seule volonté de ces grands propriétaires, que ‘on représente à nos populations comme des ennemis de leurs existences.

Quel est donc le fait qui a donné depuis quinze ans une plus value à la propriété et qui par conséquent légitime cette augmentation des baux ? Mais évidemment c’est le morcellement. La seule volonté du propriétaire n’eût jamais produit la transformation que nous voyons, si un de ces événements auxquels sont soumises toutes les industries indistinctement, n’était venu se produire et n’eût été assez puissant pour créer une situation nouvelle. Cette transformation, à l’aide du morcellement, agit sur toutes les parties du pays. Le déclassement est tel, qu’il a envahi le sol tout entier, et a anéanti, il faut bien le reconnaître, presque totalement cette grande propriété contre laquelle on s’élève avec tant de véhémence.

Il n’est point inutile de démontrer au profit de quoi s’est fait ce déclassement : c’est bien certainement au profit d’une foule de petits propriétaires qui sont venus se poser comme intermédiaires entre le grand propriétaire et la population des campagnes.

Ces nombreuses existences constatent donc un fait que l’on ne peut méconnaître qui, du jour qu’il s’est produit, a acquis à cette classe, des titres incontestables à notre sollicitude ; et, ne l’oublions pas, messieurs, elle constitue une partie notable de la nation, elle possède la branche la plus importante de notre richesse nationale ; qu’elle a mission de faire fructifier dans l’intérêt de tous, et enfin, elle participe pour la plus forte part aux charges de l’Etat. A ces titres, nous lui devons donc une protection, comme à toutes les autres industries, sans cela, nous la réduirons à une impuissance qui porterait le coup le plus terrible au pays et le rendrait de plus en plus, chaque année, tributaire de l’étranger pour des sommes énormes.

Il a été reconnu, aussi bien par les commissions d’agriculture, que par les chambres de commerce, que la loi de 1834 était vicieuse, qu’elle n’accordait au cultivateur qu’une protection illusoire, puisqu’elle ne se fait sentir que lorsque les céréales sont parvenues à un prix tel qu’il ne permet plus au cultivateur d’être indemnisé de ses peines et de son travail ; qu’en outre, elle offre des dangers aux commerce par la facilité avec laquelle elle se prête à la fraude.

Dans la discussion qui vient d’avoir lieu au sénat, à ce sujet, n’a-t-on pas démontré qu’il suffisait d’une somme de 20,000 fr. pour établir des prix fictifs et agir, à l’aide de ces prix, sur tous les marchés du pays ? Cette imperfection de la loi ne constitue-t-elle pas déjà à elle seule l’obligation de révision, puisqu’il est constaté qu’elle peut, dans certaines circonstances, livrer entre les mains des spéculateurs l’existence de toute la population et que, dans d’autres, par des introductions frauduleuses, elle peut porter le préjudice le plus notable à notre industrie agricole, en avilissant le prix de nos propres denrées.

Tous les documents qui nous ont été fournis prouvent que la législation actuelle doit être modifiée. C’est une nécessité bien démontrée, et les moyens proposés par la section centrale ne sont que les résultats des combinaisons fournies par le sénat, la proposition des 21 membres et la plupart des différents corps constitués, qui ont été consultés.

L’intérêt public demande que les prix se maintiennent constamment dans de justes limites, de manière à ce qu’ils ne tombent jamais assez bas pour que le cultivateur ne puisse se couvrir de ses frais de culture et de l’intérêt de ses capitaux. Partant de ce principe, il est admis que le prix régulier de l’hectolitre de froment doit être de 20 fr., ou à peu près, et celui du seigle de 12 à 13 fr. ; bien entendu je ne parle pas ici d’années où il pourrait y avoir manque général de récolte ; c’est l’exception ; le gouvernement alors a toujours le pouvoir de prendre des mesures selon les circonstances. Ainsi donc, admettant, comme le législateur de 1834, le prix de 20 fr. l’hectolitre, nous devons rechercher les moyens qui assurent les principes consacrés dans cette loi.

Différentes propositions ont été soumises à la chambre, l’une modifie complètement notre tarif, l’autre s’attache plus particulièrement à améliorer certaines dispositions de la législation actuelle. Celle faite par 21 de nos honorables collègues, suivant moi, répondrait plus directement aux besoins, non pas parce qu’elle accorde une protection plus directement aux besoins, pace qu’elle remédie, à l’aide d’une échelle mieux graduée et successive, à une des grandes imperfections de la loi de 1834, qui ne marche que par transitions brusques. De ce que ce système est plus complet, qu’il présente un caractère plus définitif, s’ensuit-il qu’il doive être adopté en ce moment ? Je ne le pense pas, messieurs, car ce serait se refuser à toutes les modifications utiles qui peuvent être apportées à la législation actuelle ; ce serait, il est vrai, modifier tout l’ensemble d’une loi imparfaite, mais qui cependant peut encore recevoir des améliorations satisfaisantes sans en dénaturer le caractère.

Des trois moyens admis par le sénat, deux sont acceptés par la section centrale, sauf une modification ; l’autre est écarté. Si on admettait une échelle graduée franc par franc pour la perception du droit à l’entrée, je concevrais l’abandon que l’on propose de la mesure qui avait été adoptée par le sénat, consistant à doubler le délai nécessaire à la formation des mercuriales ; dans ce cas, les spéculateurs n’auraient plus la même chance favorable à courir, car ils n’obtiendraient qu’un léger avantage, tandis qu’en laissant, comme le propose la section centrale, une uniformité de droits, dans une limite trop étendue, de 15 à 20, on néglige, suivant moi, une précaution essentielle et qui donnerait un puissant appui à la mesure qui tend à doubler le nombre des marchés régulateurs.

Les motifs qui ont porté la section centrale à augmenter de deux échelons le tarif de la loi de 1834 sont trop puissants, je pense, pour ne point être admis. Et, en effet, quel est le but qu’on se propose ? C’est d’une part, d’empêcher des spéculations frauduleuses et en outre de maintenir la protection à l’agriculture, il faut donc adopter une mesure propre à empêcher ces moyens employés pour faire hausser, puis diminuer subitement, à l’aide de prix fictifs, celui des denrées. Ce but ne peut être atteint qu’en adoptant une disposition qui fasse disparaître cette transition qui, sans aucune gradation, fait passer le produit étranger d’un droit élevé à une franchise absolue ; sans cela, nous n’obvions à aucun des inconvénients de la loi de 1834 et on laisse subsister tout l’intérêt puissant qu’ont les spéculateurs d’aider les mercuriales pour provoquer la libre entrée des céréales étrangères.

Le droit que l’on établit à l’entrée, lorsque les prix sont de 20 à 22 et de 22 à 24, est trop faible, pour faire hausser les grains indigènes au-delà de la limite de 19 à 20, puisque nous devons lutter contre un produit étranger qu’on obtient facilement et qui se vent à un prix bien inférieur au nôtre, mais au moins il produira ce résultat immense en ce qu’il forcera le spéculateur détenteur de céréales étrangères à livrer sur nos marchés des masses de grains qui étaient tenues en réserve jusqu’à ce que l’entrée libre en fût permise.

Les diverses considérations que je viens de présenter à la chambre prouvent, que les modifications proposées le sont, non pas en vue de certains intérêts particuliers, mais bien dans l’intérêt général, que sans elles, la loi de 1834 ne sera jamais qu’une loi illusoire ôtant même au commerce toute sécurité.

La chambre, qui toujours se montre si protectrice envers nos industries, qui naguère encore a voté des sommes considérables pour le canal latéral de la Meuse, et je l’en félicite, refusera-t-elle, dans cette circonstance, la protection si faible que vient réclamer la première des industries du pays, celle dont découlent toutes les autres, et qui, comme je l’ai dit en commençant constitue la plus grande richesse de la Belgique. J’aime à croire que non, messieurs, car ce serait proclamer à la face du pays que jamais plus les intérêts agricoles ne doivent trouver protection dans cette enceinte.

M. Manilius – Il est maintenant très-bien établi que nous n’avons à discuter que la proposition de la section centrale, qui à mes yeux est un amendement aux différentes propositions qui ont été présentées. Je tâcherais autant que possible de me renfermer dans cette étroite discussion.

Cependant, messieurs, au commencement de la séance et dès le début du débat, M. le ministre de l'intérieur m’a convié à lui faire des démonstrations. Je tâcherai de lui faire ces démonstrations, mais auparavant j’en ferai une autre, elle tendra à vous prouver, messieurs, que dans la manière d’agit de M. le ministre de l'intérieur, il y a une grand disposition à se soustraire aux difficultés de la question.

Qu’est venu vous dire M. le ministre de l'intérieur ? Pour une question aussi grave, a-t-il observé, j’ai besoin d’abord de la statistique des populations. Messieurs, la statistique des populations en matière de céréales est toute faite ; il y a quatre millions de mangeurs de pain en Belgique. Voulez-vous les diviser ? Votre statistique est encore faite. Prenez les listes électorales, voyez quels sont vos contribuables ; examinez de quel chef ils sont contribuables, et vous avez votre statistique des propriétaires, il y a des colonnes qui distinguent le foncier personnel et patente. Otez le nombre des contribuables du chiffre des 4 millions qui doivent payer et qui demandent le grain à bon marché.

Voilà, messieurs, la statistique toute faite. Tous les documents sont en la possession de M. le ministre de l'intérieur S’il lui en manque, il peut en obtenir dans les 24 heures des gouverneurs de province.

Vous voyez donc, messieurs, que cette statistique, dont M. le ministre dit avoir besoin, n’est qu’un moyen auquel il a recours pour dissimuler le fond de ce que nous voulions savoir de lui.

M. le ministre nous a dit qu’une autre question se rattache à celle des céréales, celle des octrois. Messieurs, il ne fallait pas attendre jusqu’aujourd’hui pour s’éclairer sur cette question. Voilà cinq ou six mois que M. le ministre nous a fait un rapport à cet égard. Qu’est devenu ce rapport ? On me répondra qu’il est à l’impression. Il faut, messieurs, que ce travail soit très-volumineux ; ce sera certainement un travail très-curieux qui enrichira notre bibliothèque, puisqu’il demande six mois pour l’impression.

Il est aussi très-intéressant, a dit M. le ministre, de connaître les heures de travail des ouvriers. Messieurs, ces heures sont au-delà de ce que devrait supporter l’ouvrier ; mais le nombre régulier des heures de travail ne suffit plus pou qu’il puisse se procurer son pain, bien que le prix des céréales n’atteigne pas encore 20 fr. Il en est ainsi, messieurs, non-seulement dans les villes manufacturières, mais même dans les campagnes. Les heures de la journée ne suffisent plus à l’ouvrier même dans les longs jours d’été ; il faut qu’il travaille encore une partie de la nuit pour gagner l’existence.

Vous voyez donc que les motifs allégués par M. le ministre sont des moyens employés pour se soustraite aux difficultés de la question ; et si M. le ministre a cru faire une démonstration pour que nous le croyions, je viens d’en faire une pour que nous n’ayons pas à le croire ?

J’en viens maintenant, messieurs, à la question des mercuriales, à la question du nombre de marchés régulateurs, pour vous démontrer qu’on peut, au moyen d’une modification à la loi de 1834, sur ce point, donner à celle-ci un caractère plus sérieux, et écarter les manœuvres que l’on a qualifiées de frauduleuses et qui tendent à éluder la loi. Il me paraît évident, messieurs, qu’en augmentant le nombre de ces marchés, et qu’en choisissant des marchés réels, vous parviendrez à prévenir ces manœuvres, parce que ce n’est ordinairement que sur les marchés factices que ces manœuvres se commettent avec le plus de facilités. Je crois que cette démonstration a été (page 1579) faite de la manière la plus sensible ; elle a été faite dans la section centrale ; elle a été faite aussi d’une manière très complète par l’honorable M. Malou, dans son rapport.

Mais, messieurs, un point sur lequel il serai nécessaire que M. le ministre de l'intérieur nous fît une démonstration, c’est quant au véritable prix rémunérateur du froment : il faudrait que nous sachions s’il doit aller au-delà de 20 fr. ; je prie M. le ministre de nous donner des explications à cet égard. Comme je viens de le dire tout à l’heure déjà, lorsque le prix du grain est au dessous de 20 fr., l’ouvrier, le campagnard, celui qui ne se trouve pas sur les listes électorales, dans les campagnes, a déjà beaucoup de peine à se procurer du pain en abondance. Je serais curieux de savoir comment on prouvera que l’on favorise cette classe si nombreuse de la société en maintenant un droit de 12 fr. 50 par hectolitre, alors qu’il coûte 20 fr. ou 21 fr. 90.

Messieurs, j’avais pensé ne parler qu’après avoir entendu plusieurs orateurs, mais comme le ministre m’avait confié à prendre immédiatement la parole, je me suis empressé de répondre à son invitation. J’ajouterai pour le moment qu’avant de se laisser aller en aveugles à maintenir l’échelle protectrice des céréales, je crois qu’il faut connaître à fond, non pas les statistiques dont on a parlé, mais l’état de notre agriculture en général. Nous devrions connaître qu’elle est le véritable prix rémunérateur nécessaire. Or, on ne connaîtra pas cela en recourant à des statistiques, on ne peut le connaître qu’en faisant une enquête bien approfondie. Quand nous aurons une enquête bien faite, alors, mais seulement alors nous serons à même de nous prononcer en connaissance de cause. Alors je me propose de faire à cet égard une motion formelle à la chambre, mais j’attendrai la suite de la discussion, parce que j’ai lieu de croire qu’elle démontrera à l’évidence que c’est par là que nous devons commencer.

M. Pirson – Messieurs, je suis l’un des signataires du projet de loi sur les céréales, présenté par 21 membres de cette assemblée. C’est vous dire tout d’abord que je voterai pour la proposition de la section centrale, car qui veut le plus, doit vouloir le moins.

Je voterai pour la proposition de la section centrale, parce qu’à l’époque où nous sommes arrivés, il ne me paraît pas possible qu’avant de nous séparer, nous ayons le temps de nous occuper d’une révision de la loi des céréales, et que la proposition de la section centrale aura pour résultat, sans altérer les principes de la loi de 1834, de parer aux abus qu’une lacune dans cette loi avait fait naître. Nous savons tous, messieurs, par quelles manœuvres ont était parvenu, en 1843, à inonder le pays de céréales étrangères, au détriment de l’industrie agricole ; et persuadé que je suis, que par l’addition de nouveaux échelons au tarif établi à la loi de 1834, et par l’augmentation du nombre des marchés régulateurs, on déjouera à l’avenir de pareilles tentatives, je donnerai mon assentiment à la proposition de la section centrale, qui me paraît une mesure provisoire propre à conserver à l’agriculture la protection qu’on avait voulu lui donner par la loi de 1834.

La proposition de la section centrale n’étant qu’une mesure transitoire, qu’une disposition en quelque sorte complémentaire des lois existantes, je ne m’y arrêterai pas davantage. J’ai principalement demandé la parole pour donner quelques explications sur les motifs qui m’ont déterminé à signer avec 20 autres de nos honorables collègues le projet dit des vingt et un. En dehors de cette enceinte, on a prêté de si étranges intentions aux signataires du projet de loi sur les céréales, qu’il est devenu nécessaire de s’expliquer à cet égard.

Convaincu, messieurs, qu’avec les charges qui pèsent sur l’agriculture, ce serait une véritable calamité pour le pays, si les grains étrangers venaient faire aux grains indigènes une concurrence telle que ceux-ci dussent être venus à vil prix, j’ai signé le projet dit des vingt et un. Cependant l’examen auquel notre proposition a été soumise ayant donné lieu à de nombreuses observations que j’ai lues avec beaucoup d’attention, je dois le reconnaître aujourd’hui, je crois que notre proposition aurait du subir quelques modifications auxquelles, mieux éclairé, je ne me serais pas opposé si elle avait pu être discutée dans cette session. Toutefois, messieurs, les objections qui ont été soulevées contre le principe de notre proposition me paraissent peu fondés, et je crois erronée l’assertion de l’un de nos honorable s collègues, lorsque, dans l’une des séances du mois de mars, il vous disait, en parlant de la proposition, que cette proposition aurait pour effet d’affamer davantage encore les ouvriers industries.

Non, messieurs, ni le principe de la proposition du sénat, ni le principe de notre proposition, n’aurait pou effet d’affamer les ouvriers industries, car les intérêts des producteurs et des consommateurs de céréales sont intimement liés entre eux et ne sont pas opposés, comme on semble le croire. L’industrie manufacturière est tout aussi intéressée que l’industrie agricole à voir le blé indigène se maintenir à un bon prix. Cette intérêt est commun aux clases pauvres, aux classes ouvrières. Si l’agriculture restait pendant quelque temps en souffrance, si le blé indigène se vendait à vil prix, les salaires dans les campagnes diminueraient, par suite le bien-être des paysans, et il en résulterait nécessairement une consommation moindre des produits manufacturés dont l’ouvrier des villes éprouverait le premier le contre-coup. S’il y avait dépréciation dans le prix des céréales, le propriétaire producteur ne pourrait continuer à ses ouvriers les salaires actuels ; les ouvriers, qui sont les producteurs à gage, en seraient les premières victimes ; les producteurs locataires, bien loin de pouvoir acheter des produits manufacturés, ne pourraient payer leurs fermages, et les ouvriers des villes qui en même temps qu’ils sont des consommateurs de céréales, sont aussi des producteurs industriels, souffriraient tout autant de cette dépréciation des céréales que les producteurs de céréales eux-mêmes.

Le pain, il est vrai, est le premier des besoins ; mais telle que la société est constituée aujourd’hui, il n’est pour toutes les classes, qu’un des nombreux besoins de la société. Lorsque le prix du pain se maintient à un taux raisonnable, ce prix contribue au développement du travail à faire donner plus d’extension au travail de fabrique, et je soutiens qu’il est plus avantageux même pour l’ouvrier de ville de payer son pain à un prix moyen, que de l’acheter à vil prix. En effet, messieurs, les campagnards qui, comme vous le disait tout à l’heure l’honorable M. Vandensteen, forment la plus grande partie de la population du pays, sont des grands consommateurs des produits manufacturés. En bien ! lorsque l’agriculture prospère, les salaires des campagnards sont d’autant plus élevés, la partie de leurs salaires qu’ils affectent à l’achat des produits manufacturés est d’autant plus grande, et par l’extension qu’elle fait donner au travail de l’ouvrier de ville, elle compense bien au-delà le tort que fait éprouver à celui-ci une élévation limitée dans le prix de son pain. Ne voyons-nous pas, messieurs, que lorsqu’il y a développement dans le travail de fabrique, lorsqu’il y a extension dans ce travail, le salaire des ouvriers de ville augmente en raison du développement donné à ce travail, parce que ces ouvriers sont d’autant plus rares, d’autant plus recherchés, et l’augmentation de leur salaire est proportionnellement beaucoup plus grande que le tort que leur occasionne une légère élévation dans le prix de leur pain. Depuis 30 ans, les salaires ont presque doublé, et cependant le prix du pain n’a pas doublé, il est resté à peu près le même. Qu’importe donc à l’ouvrier de ville de payer son pain un peu plus cher, si le salaire double, triple même en certaines circonstances, en raison de l’importance et de la valeur de la consommation des produits de leur travail ? N’est-il donc pas plus avantageux pour l’ouvrier de ville de payer son pain un peu plus cher et d’avoir du travail, que de le payer un peu moins cher et de ne pas avoir de travail ?

En ce qui concerne les campagnards qui, comme je l’ai déjà dit, sont les grands consommateurs des produits manufacturés, où passe en grande partie l’augmentation qu’a subie leur salaire ? Mais, messieurs, chacun le sait, en achats de produits manufacturés et par là ils contribuent à l’existence des ouvriers de ville, et à faire augmenter le bien-être par l’extension qu’ils font donner au travail des fabriques. Ainsi, il y a 30 ans, les salaires, dans les campagnes, au moins dans l’arrondissement que j’ai l’honneur de représenter, étaient comme suit :

le prix de la journée : 0,80 fr.

le gage d’un bon valet de ferme, de 30 à 35 écus de Liège, ou de 144 à 168 fr.

le gage d’une servante de ferme ou fille de basse-cour, 18 écus de Liége, ou de 72 fr.

Aujourd’hui, le prix de la journée est de 1,5 fr.

le gage d’un bon valet de labour, de 250 à 300 fr.

celui d’une servante de ferme, de 125 à 150 fr.

Et à quoi est employée l’augmentation qu’a subie le salaire ? En achats de bons vêtements, de bons habits, de bons jupons, fabriqués par l’ouvrier de ville qui y trouve son profit.

Je vous le demanderai, messieurs, sont-elles justes et fondées toutes ces récriminations, toutes ces attaques qui ont été dirigées contre les signataires du projet de loi sur les céréales, non-seulement à cause du tarif annexé à leur proposition, tarif qui, je le reconnais, était trop élevé et que, mieux éclairé, je n’aurais pas voté, mais aussi à cause du principe de leur proposition dont l’objet était, en empêchant une importation trop considérable de céréales étrangères, de protéger d’une manière plus efficace l’industrie agricole, qui plus elle prospère, plus elle sert à l’écoulement des produits de l’industrie manufacturière ? Je suis intimement convaincu que dans un pays aussi éminemment agricole et manufacturier que la Belgique, les ouvriers des villes sont aussi intéressés que les ouvriers des campagnes à ce que le blé indigène se maintienne à un bon prix, car de ce bon prix résulte un salaire plus élevé, plus avantageux pour les classes les moins aisées. Lorsque l’inverse a lieu, lorsque le prix du blé est tel qu’il constitue le producteur en perte, ou qu’il le met dans la gêne, il n’y a que langueur et misère dans les divers branches de l’industrie.

Certainement, messieurs, on doit aide et protection aux industriels, et aux ouvriers de ville ; mais ne doit-on pas aide et protection aux cultivateurs et aux ouvriers des campagne ? Alors que les fers, les houilles, les draps, et beaucoup d’autres objets de première nécessité sont protégés par des droits élevés, n’est-il pas juste et équitable que les produits agricoles jouissent d’une égale protection ? Les baux des campagnards qui se livrent aux travaux les plus rudes, qui arrosent la terre de leurs sueurs, parce qu’ils sont plus résignés, parce qu’ils ne se réunissent pas dans des meetings, parce qu’autant plus dispersés ils frappent moins la vue, ne méritent-ils pas tous les égards aussi bien que les ouvriers de ville ? Une grande ferme n’est-elle pas à la campagne, ce qu’une manufacture est à la ville ? A côté du propriétaire, du fermier, ne se trouve-t-il pas une nombreuse classe d’ouvriers qu’elle fait vivre ? Et voit-on les propriétaires, les fermiers, faire des fortunes aussi rapides que les industriels et les fabricants ?

Les ouvriers de ville, messieurs, ont toutes mes sympathies aussi bien que les ouvriers de campagne, et assurément je considérerais comme un grand malheur si le pain était trop cher ; mais ce serait un malheur tout aussi grand si le prix du pain était tel qu’il n’y eût pas de bénéfices pour le propriétaire, le fermier ou le cultivateur à produire la matière qui le compose. Il est favorable à tous que le pain se maintienne à un prix tel qu’il y ait avantage à cultiver le blé, et c’est autant dans l’intérêt des ouvriers de ville que dans celui des ouvriers de campagne que je désire une révision de la loi des céréales et qu’en attendant que cette révision puisse avoir lieu, je croit devoir voter pour la proposition de la section centrale.

M. de Theux – Messieurs, comme il ne s’agit que d’une mesure (page 1580) provisoire, je me bornerai à de courtes réflexions. J’exprimerai toutefois le regret, qu’étant à la fin de la session, il ne nous soit pas possible d’aborder la discussion à fond d’un projet de révision de la législation des céréales. En effet, cette matière est tellement grave, que ce serait manquer à notre premier devoir que de nous livrer à cet examen approfondi au moment où nous sommes prêts à clore nos travaux.

Le projet présenté par la section centrale nous paraît suffire amplement aux besoins du moment. Cependant, je rappellerai ce qui s’est passé au commencement de votre session, le gouvernement avait conclu un arrangement avec les Pays-Bas pour l’importation de six millions de kilogrammes de céréales en plus que celle qui était autorisée par les lois antérieures. Ce projet souleva un vif débat dans cette chambre et au sénat. Dans le sénat, le gouvernement dut faire de son projet une question de cabinet. D’où était née une opposition si vive ? C’est qu’on croyait que les intérêts de l’agriculture étaient gravement compromis, c’est qu’on reconnaissait que ces intérêts étaient alors dans un état de souffrance.

Aussi, le sénat fut-il saisi d’un projet de modifications à la loi de 1834. Plus tard des membres de cette chambre et moi en particulier, nous prîmes également l’initiative d’un projet de révision. Ce projet a soulevé une vie discussion, et l’on ne doit pas en être étonné, parce que la question touche aux intérêts du commerce, de l’agriculture et du consommateur.

Parmi ces intérêts, celui qui a fait peut-être le plus de bruit est le moins important, je veux parler de l’intérêt du commerce.

En effet, messieurs, le commerce subordonne l’alimentation du pays à la bonne volonté, aux ressources de l’étranger. L’agriculture, au contraire, assure la consommation de la manière la plus permanente et la moins aventureuse. Le consommateur doit, de son côté, payer une juste rétribution au cultivateur, s’il veut être constamment pourvu.

Messieurs, il importe qu’il y ait, autant que possible, de la stabilité dans le prix des céréales. Les motifs en sont évidents. Lorsque les prix sont très-bas, le consommateur ne fat pas d’épargne, il vit généralement au jour de la journée. Lorsque plus tard le prix des céréales vient à s’élever considérablement, le consommateur est pris au dépourvu et il se trouve dans une grande misère.

C’est ce que nous avons vu sous le gouvernement des Pays-Bas. Dans la période 1815 à 1824, le pays a été pour ainsi dire livré à la famine pendant deux années, tandis que durant d’autres années, nous avons vu les prix les plus bas. Je dirai néanmoins qu’à l’époque où les prix étaient les plus bas, il y avait un malaise extrême dans la classe ouvrière. La raison en était bien simple : c’est que le travail manquait, et qu’on payait l’ouvrier en nature, au lieu de le payer en argent ; de manière que les deux extrêmes étaient à peu près préjudiciables à la classe la plus nombreuse, à la classe ouvrière.

Je fais la comparaison de cette variation des prix sous les diverses législations.

De 1815 à 1824, le prix de l’hectolitre du froment a varié de 10 fr. 88 c. à 35 fr. 41 c.

Sous l’empire de la loi de 1834, c’est-à-dire la de la période de 1835 à 1844, la variation n’a été que de 14 fr. 67 c. à 23 fr. 86 c.

Pendant la même période, sous le régime de l’administration française, les prix ont varié en France de 15 fr. 41 c. à 22 fr. 64 c.

Ainsi, des trois législations, c’est la législation française qui a assuré le prix le plus constamment uniforme.

Quelle a été la moyenne du prix des céréales en France pendant la période 1835 à 1844 ? le prix du froment a été de 18 fr. 97 c. Or, messieurs, la proposition que nous avons faite n’était que l’établissement en Belgique du système qui régit la France ; de sorte, que la moyenne de 18 fr. 97 c., soit 19 fr., est celle que nous avons voulu atteindre. Ici, remarquez-le bien, c’est la moyenne des quatre zones. Quant à la troisième zone, celle qui comprend le département du Nord, le prix a été de 18 72. Ainsi la différence entre le prix de la troisième zone et la moyenne des quatre zones n’est que de 25 c. par hectolitre. Vous voyez donc que votre proposition n’a, en ce qui concerne lel froment et le seigle, rien d’exorbitant.

L’honorable M. Osy s’étonne de ce qu’on veuille, pour le froment, un droit protecteur de plus de 20 fr. Il suppose qu’en demandant un droit protecteur de plus de 20 fr., l’intention des membres qui le proposaient, soit de porter le prix du froment, en moyenne, au-delà de 20 fr ; C’est là l’erreur la plus grave, ce qui est démontré par les faits. En France, la protection cesse, dans la première zone, à 28 fr. ; dans la seconde à 25 ; dans la troisième, à 24, et dans la quatrième, à 22. Ainsi, dans les quatre zones, il y a, pour le froment, un droit protecteur, à partir de 28 à 22 fr. maximum. Cependant la moyenne des prix n’a été que de 18 fr. 97 c. On le voit donc, en nous accordant un droit protecteur au-dessus de 20 fr., on n’(élèvera pas le prix du froment au-delà de 20 fr.

Le système qui régit la France peut avec d’autant plus de facilité être adopté en Belgique, qu’en France il y a beaucoup plus de grands centres de populations que dans notre pays. Paris, Lyon, Rouen, Bordeaux, Marseille, Lille sont des centres de population plus considérables que nos villes. Dans un pays où il y a de pareilles agglomérations de population, il faut tâcher de maintenir le bas prix des subsistances, de crainte d’amener, dans des circonstances particulières, des émeutes parmi les classes laborieuses.

Une chose qui m’a surpris de la part de l’honorable M. Osy c’est qu’il voudrait que le gouvernement fît un objet de recettes de la loi des céréales. Ainsi, suivant ses calculs, en 1843, le gouvernement aurait dû recevoir sur l’entrée du froment et du seigle 1,500 mille fr. Je ne conçois pas un pareil système de la part d’un défenseur des intérêts des consommateurs.

La loi des céréales doit avoir pour objet d’un côté d’empêcher leur enchérissement et en interdisant la sortie, d’autre part de protéger l’agriculture en mettant des droits à l’entrée, en interdisant même l’entrée des céréales étrangères. Mais une spéculation du gouvernement sur les céréales serait un acte immoral. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que l’honorable membre veut ménager les droits sur l’orge. Si le gouvernement pouvait spéculer sur une céréale, ce serait sur l’orge. A diverses reprises le gouvernement a proposé une augmentation de droit sur la bière parce que par suite des perfectionnements introduits dans la fabrication de la bière, l’impôt était éludé et qu’il voulait rétablir le droit primitif. Un droit d’entrée sur l’orge n’aurait d’autre résultat que de restituer au trésor une faible partie des droits que lui ont fait perdre les progrès de l’art de la brasserie. Si je fais cette observation, ce n’est pas que j’aie l’intention de demander une élévation de droit sur l’orge. Nous maintenons avec la section centrale le droit spécial établi sur cette céréale, ce n’est qu’à l’expiration de la loi relative à cet objet que la question pourra être mûrement discutée.

Un fait autrement singulier sur lequel j’appelle toute votre attention, c’est qu’il paraît certain si on s’en tient aux donnes statistiques, que si les intérêts de l’agriculture étaient abandonnés à eux-mêmes, si le gouvernement ne mettait aucun droit à l’entrée et jamais de droit ou d’interdiction à l’exportation, ce système serait plus favorable aux intérêts de l’agriculture. Ceci semble un paradoxe. Moi-même je l’ai cru pendant longtemps ; mais en consultant les documents que nous a remis M. le ministre de l'intérieur, je suis persuadé que ce serait un régime de liberté illimité, comme celui du gouvernement des Pays,-Bas, qui serait le plus favorable à l’agriculture.

En effet, pendant la période décennale de 1815 à 1824, le prix moyen a été de 20 fr. 43 c., tandis que pendant la période de 1835 à 1844, le prix moyen a été de 19 fr. 30c. Il est vrai que pendant la période de 1825 à 1834, le prix moyen n’a été que de 17 fr. 86 c. mais pendant cette période il y a eu interdiction de sortie à partir du mois de novembre 1830, jusqu’au mois de mai 1832. Il me paraît indubitable que, s’il n’y avait pas eu interdiction de sortie pendant cette période, le prix eût encore dépassé 20 fr., comme dans celle de 1815 à 1824 ; de sorte qu’en prenant dans leur ensemble les lois sur les céréales, la loi de 1834 et les lois spéciales qui ont été portées depuis, il me paraît évident que le législateur est plutôt venu au secours du consommateur que de l’agriculteur.

Qu’il me soit permis de signaler à l’attention de la chambre l’importance de la culture du seigle. Je suis forcé de le faire à l’occasion du rapport, quoique j’admette la proposition de la section centrale modifiée par M. le ministre de l'intérieur, comme mesure provisoire.

Il résulte du tableau fourni par le gouvernement que 308,083 hectares sont cultivés en seigle et 232,914 en froment ;il résulte du même document que la production du seigle est 5,453,000 hectolitres et celle du froment de 4,091,000 hectolitres.

Une autre observation : c’est en général dans les provinces où le terrain est très-sablonneux que la culture du seigle est prépondérante ; elle domine dans les provinces d’Anvers, de Brabant, de la Flandre orientale et du Limbourg ; elle domine encore dans les provinces du Luxembourg et de Namur, où le sol n’est pas sablonneux, mais d’une qualité inférieure.

La conséquence de cette remarque est que, nuite à la culture du seigle en abaissant immédiatement les droits, c’est frapper les parties du territoire qui sont les moins fertiles, tandis que ce sont celles-là que devraient être l’objet de l’attention, de la protection toute spéciale de la législature. Une autre remarque encore, c’est que la culture du seigle a lieu principalement dans les parties du pays où il n’y a presque pas d’industrie et de commerce, tandis que la culture du froment a lieu dans les endroits où domine l’industrie et où le commerce est le plus considérable.

Je conclus par des observations qui concernent tout spécialement le projet de la section centrale. Il est prouvé que la loi de 1834, en permettant la libre entrée du moment où le froment a atteint le prix de 20 fr., détermine des spéculations défavorables, tantôt aux consommateurs, tantôt aux agriculteurs. Ainsi, pour arriver à la libre entrée du froment, on procure des hausses factices et quand on en a profité pour introduire des quantités considérables de céréales étrangères, on amène une baisse au détriment du cultivateur. Le moyen de remédier à cet inconvénient, c’est d’établir un droit intermédiaire entre la protection normale et la libre entrée ; tel est le résultat de la proposition de la section centrale. D’autre part, les spéculations en hausse prospèrent plus facilement quand il n’y a qu’un petit nombre de marchés régulateurs. La section centrale y a obvié en établissant un plus grand nombre de marchés régulateurs. Les spéculations sont ainsi moins faciles et moins utiles.

Or, il importe d’obtenir l’exécution franche et loyale de la loi que nous décrétons. La loi de 1834 peut être éludée, sans infraction positive à sans texte, mais par des moyens qui détruisent le but que le législateur s’est proposé ; par ces motifs, je voterai pour le projet de la section centrale amendé par M. le ministre de l'intérieur en ce qui concerne le seigle.

J’exprime le coeur que, dans une autre session, on puisse aborder franchement, sans préoccupation politique, en ne prenant en considération que les intérêts des agriculteurs et des consommateurs, une révision générale de la législation des céréales.

M. le président – La parole est à M. de Renesse.

M. de Muelenaere – Ne vaudrait-il pas mieux qu’on entendît alternativement un orateur pour et un orateur contre la proposition ?

M. le président – Il n’y a pas d’orateur inscrit contre.

La parole est à M. de Renesse.

(page 1581) M. de Renesse – Messieurs, la nécessité de porter des modifications à la loi de 1834, sur les céréales, a déjà été démontrée depuis plusieurs années ; aussi, le gouvernement avait lui-même, en 1840, cru devoir prendre l’initiative, en présentant un projet de révision ; ce projet, sous un certain rapport, en établissant une échelle de droits plus variée améliorant la loi existante, mais en diminuant fortement la protection accordée à l’agriculture. De vives réclamations empêchèrent que ce projet ne fût discuté. En novembre 1843, le gouvernement présenta une nouvelle législation sur les céréales ; ce projet rencontra pareillement une grande opposition, parce que les droits protecteurs n’avaient pas été calculés d’après la base de la loi de 1834 ; de nombreuses pétitions furent adressées aux chambres, pour réclamer des droits, garantissant réellement l’industrie agricole contre la concurrence ruineuse des grains étrangers, pour insister sur l’adoption d’une législation pareille à celle de la France, qui, depuis 1832, y a amélioré la position de l’agriculture, provoqué une meilleure culture des terres, une plus forte production de céréales, de manière à y faire diminuer les importations de grains étrangers, et à faire augmenter les exportations de céréales français.

Le projet de loi de 1843 fut retiré par le gouvernement, après qu’une enquête administrative avait eu lieu, d’où il résultait, que la majorités des commission d’agriculture, des députations permanentes, étaient défavorables au projet de loi, ou présentaient des contre-propositions, parce que la nouvelle législation proposée, ne tenait pas assez compte des intérêts de l’agriculture.

Cependant il fut reconnu en 1843 qu’il était indispensable de porter des modifications à la loi de 1834. Par des manœuvres que l’on doit qualifier de frauduleuses, qui auraient dû être poursuivies par l’action de la justice, l’on était parvenu, en obtenant des prix factices, et en opérant sur quelques marchés régulateurs, à faire monter le prix de l’hectolitre de froment à 20 fr., et à déverser dans le pays, plus de 30,000,000 de kilogrammes de froment, sans payement d’aucun droit, au grand détriment du trésor, et surtout de l’agriculture nationale, en faisant ainsi baisser les prix des grains au-dessous du taux normal, reconnu indispensable pour assurer au cultivateur la rémunération de ses frais de culture, et des nombreuses charges qui pèsent sur cette classe laborieuse de nos campagnes.

Lors de la discussion, du chapitre de l’agriculture au budget de l’intérieur, plusieurs de nos honorables collègues et moi, nous avons insisté auprès de M. le ministre de l'intérieur, sur la nécessité de modifier la loi de 1834. La réponse de M. le ministre ne nous ayant pas paru assez formelle, nous avons, messieurs, cru devoir user de notre droit d’initiative, et proposer une nouvelle législation sur les céréales, basée sur la législation française, dont nous avons pris le moyen prix des quatre zones ; il nous a paru que l’agriculture nationale pouvait réclamer avec droit une protection pareille à celle accordée en France, et qui y a produit, depuis 1832, les plus heureux résultats ; toutefois, nous avons déclaré que, si des modifications acceptables étaient proposées à notre projet de loi, elles ne seraient pas repoussées par les signataires de la nouvelle législation sur les céréales ; en proposant notre projet, nous avons seulement voulu établir un système général de législation sur les céréales, plus en harmonie avec les besoins de l’agriculture ; nous avons voulu procurer à cette première de toutes nos industries une protection réelle et permanente, seul moyen de la maintenir prospère, encourager une meilleure culture, par conséquent, provoquer une plus grande production de produits agricoles et augmenter en même temps la richesse nationale.

En comprenant l’orge dans la nouvelle tarification, nous n’avons pas eu l’intention de porter un préjudice aux nombreuses distilleries et brasseries, intimement liées aux intérêts de l’agriculture ; nous avons seulement voulu fixer le principe du droit à établir sur chaque céréale, mis en relation avec le droit dont sera frappé le froment, sauf s’il était reconnu qu’il fallût faire une modification aux droits sur l’orge, cette modification aurait pu être introduite dans le nouveau projet de loi sur les céréales, par une disposition particulière, et je pense que tous les signataires de la nouvelle proposition sur les grains, y donneraient leur assentiment.

L’honorable M. Eloy de Burdinne a d’ailleurs démontré à l’évidence aux distillateurs et aux brasseurs, qu’ils avaient tort de s’alarmer de notre proposition sur les céréales, que notamment, quant à l’orge, l’élévation du droit d’‘entrée, a toujours eu pour effet l’abaissement du prix de ce produit agricole ; c’est ainsi que depuis le 1er janvier 1831 au 3 août 1834, où il y avait franchise de droit, l’orge a été vendue, terme moyen, à 10 fr. 42 c., ; du 1er août au 31 décembre 1839, au droit d’un franc l’hectolitre, l’orge a été vendue, taux moyen, à 9 fr. 78 c. ; du 1er janvier 1840 au 31 décembre 1842 au droit de 4 centimes par hectolitre, le prix moyen a été de 11 fr. 42 c. ; et du 1er janvier 1843 au 31 décembre 1844, au droit de 25 cent., le prix moyen fut de 10 fr. 92 ½.

Ces chiffres répondent victorieusement aux assertions et aux déclamations de MM. les brasseurs et distillateurs, et ils prouvent que la hauteur du droit n’a eu aucune influence sur le prix moyen de l’orge, qu’il n’a surtout pas fait renchérir cette matière première, si nécessaire aux brasseries et aux distilleries.

J’eusse désiré que le projet que nous avons l’honneur de présenter à la chambre eût pu être discuté pendant la session actuelle : mais comme elle sera close sous peu, force nous est de nous prononcer pour les modifications provisoires, proposées par la section centrale.

J’espère, toutefois, que le projet de loi que nous discutons, ne sera que temporaire ; car, dans l’intérêt du commerce, comme dans celui de l’agriculture, il est à désirer qu’une bonne législation sur les céréales soit définitivement adoptée, que l’on ne soit pas obligé d’y apporter continuellement des modifications, et que, pendant le courant de la session prochaine, la chambre pourra examiner la nouvelle proposition que nous avons eu l’honneur de présenter avec plusieurs de nos honorables collègues. En attendant, le gouvernement aura à recueillir tous les documents et renseignements statistiques qui seraient utiles à l’examen de la question des céréales. Quant à l’aperçu statistique de la culture des céréales en Belgique, fourni par M. le ministre de l'intérieur, il me paraît que c’est un document tout à fait inexact, auquel l’on ne peut accorder aucune confiance ; il ne renseigne qu’une production annuelle de froment et de seigle de 9,525,512 hectolitres ; la consommation étant de 10,538,075 il y aurait ainsi, chaque année, un déficit de 1,032,565 hectolitres ; cependant, d’après d’autres renseignements, la production du froment et du seigle peut être évaluée tous les ans de 12 à 13 millions d’hectolitres, car l’on cultive en Belgique environ 1 million de bonniers en durs grains, savoir : environ 200,000 en orge et épeautre, 800,000 en froment et seigle, dont à peu près 2/3 en froment et 1/3 en seigle qui, en les portant au minimum de 15 hectolitres par bonnier (ce qui pourrait être porté à 20 les années de réussite) nous donnent 12 millions d’hectolitres, desquels il faut déduire 1,500,000 pour semences, resterait 10,500,000 hectolitres pour la consommation et la distillation.

S’il y avait annuellement un déficit d’environ un million d’hectolitres de froment et seigle, il faudrait nécessairement que le commerce du dehors nous fournît ce manquant de céréales pour la nourriture d’une partie de notre population qui, sans cela, devrait mourir de faim ; mais comme, d’après les statistiques commerciales, l’on n’a importé depuis quelques années que de 270 à 275,000 hectolitres, il résulte à l’évidence que les données statistiques fournies par M. le ministre de l'intérieur ne sont d’aucune valeur ; elles ne renseignent d’ailleurs que 843,137 hectares cultivés annuellement en céréales, tandis que d’après la statistique du territoire de la Belgique, formée d’après le cadastre, à l’exception des provinces de Luxembourg et de Limbourg, pour lesquelles ces renseignements ne sont qu’approximatifs, il y avait 1,505,575 hectares de terres arables, et comme, depuis une dizaine d’années, l’on a défriché beaucoup de terrains incultes, il est probable que le chiffre des terres labourables devra encore être augmenté de plusieurs milliers d’hectares.

Il vaudrait mieux ne pas fournir de renseignement statistiques, lorsque surtout ils sont aussi fautifs que ceux joints aux documents sur les céréales ; car l’on en tire des conclusions tout à fait inexactes sur la production agricole du pays. Nous dépensons cependant, chaque année, assez d’argent pour pouvoir réclamer des états statistiques plus exacts ; je crois que les statistiques dressées par les différents ministères, coûtent au pays annuellement plus de 100,000 fr.

Je ne puis assez insister pour qu’au département de l’intérieur on tâche à former une statistique agricole aussi complète que possible ; l’on pourrait charger la conservation du cadastre de chaque canton de recueillir dans les communes, les renseignements nécessaires pour élaborer une pareille statistique ; elle pourrait être établie d’après la quantité des terres mises en culture pour les différentes céréales ; si l’on parvenait à connaître approximativement le nombre d’hectares destinés à ces différentes cultures, l’on pourrait obtenir un état de la production agricole aussi rapproché que possible de la réalité, en prenant la moyenne des produits présumés par hectare, et en tenant compte de la différente classification des terres arables.

Si l’importation des céréales étrangères a pris, notamment depuis 1839, plus d’extension, il est d’autant plus de notre devoir d’accorder à l’agriculture nationale une protection réelle et permanente pour provoquer une meilleure culture des terres, pour encourager la production agricole, qui semble descendre au-dessous des besoins du pays.

S’il importe que la subsistance du public soit assurée d’une manière constante et régulière, est-ce la production intérieure ou le commerce étranger qui pourvoit le mieux à ces exigences ? je crois, à cet égard, qu’il est préférable que ce soit la production intérieure, car il est de bonne prévoyance de prévenir tous les événements, et, s’il arrivait des moments de guerre, pourrait-on encore, pour la subsistance du pays, compter sur le commerce étranger ? Il faut donc que nous travaillions à nous affranchir du recours à l’étranger ; pour y parvenir, encourageons la production intérieure. Nous devons aussi stimuler une plus grande production des céréales pour ne plus rester tributaires de l’étranger. Car, par le commerce de grains du Nord, l’on exporte, chaque année, une masse de numéraire ; nos relations d’échanges n’étant jusqu’ici que très-peu actives avec les pays de provenance des céréales étrangères. Il nous faut éviter ce qui est arrivé à l’Angleterre en 1838, où, par suite de la mauvaise récolte, elle a été obligée d’exporter plus de 200 millions de fr pour acheter des grains à l’étranger. Il en est résulté chez elle de l’agitation, une crise industrielle qui y a duré pendant plusieurs années.

J’appuierai les modifications provisoires proposées par la section centrale ; elles tendront, en attendant la révision prochaine de la législation sur les céréales, à empêcher les abus que l’on a signalés, et surtout que l’on ne puisse éluder ou diminuer indûment la protection que l’on a voulu accorder à l’industrie agricole. En augmentant le nombre des marchés régulateurs de 10 à 22, et en établissant droits au-dessus du prix de 20 fr., à l’entrée du froment, la section centrale propose des mesures qui ne permettront plus aux spéculateurs avides d’inonder le pays d’une masse de céréales étrangères, sans payement d’aucun droit, de frustrer ainsi le trésor d’une ressource assez importante. Cependant, pour assurer plus complètement l’exécution de la loi sur les céréales, pour donner plus de garanties contre les fraudes signalées en 1843, il me semble que la section centrale aurait aussi dû admettre le paragraphe 2 de l’article 1er du projet du sénat, (page 1582) qui tend à établir les prix régulateurs du froment d’après les prix moyens de quatre semaines consécutives.

Cette mesure, d’ailleurs, a déjà été proposée en 1843, par plusieurs commissions d’agriculture, députations permanentes, et chambres de commerce, et suivant les avis consignés dans les documents à consulter sur la question des céréales, il est évident que la grande majorité de ces corps consultatifs opinent pour faire dépendre le changement de droits, non pas des mercuriales de deux semaines, délai qui est trop court, mais bien de celles de quatre semaines consécutives, avec proclamation de quinzaine et quinzaine, dans le sens de la propsoition du sénat.

J’attendrai les explications de M. le rapporteur de la section centrale, pour connaître les motifs pour lesquels elle n’a pas cru devoir admettre cette disposition qui, me semble, ne devrait rencontrer de l’opposition que de ceux qui voudraient tolérer les fraudes dans le commerce des céréales.

J’aurai l’honneur de reproduire l’amendement du sénat, si l’on ne me donnait pas d’explications satisfaisantes sur le retranchement de cette mesure compémentaire, pour empêcher les machinations frauduleuses.

M. le président – Il vient d’être déposé sur le bureau deux amendements.

Le premier est présenté par M. le ministre de l'intérieur, il consiste à rédiger le dernier paragraphe du projet de la manière suivante :

« Lorsque les droits établis par le présent article seront appliqués au froment, et que le prix du seigle sera de 13 fr. au moins l’hectolitre, le gouvernement pourra déclarer le seigle libre à l’entrée. »

Le second amendement est présenté par M. Zoude. Il formerait le second paragraphe de la loi. Il est ainsi conçu :

« Il pourra être importé dans le canton de Bouillon, par les bureaux à désigner à cet effet par le gouvernement, une quantité de 15 mille hectolitres dont 10 mille en froment et 5 mille en seigle.

« Le droit d’entrée est fixé au quart des droits existants. »

- Ces amendements seront imprimés et distribués.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice, pour le Moniteur

Rapport de la section centrale

M. de La Coste – J’ai l’honneur de présenter le rapport de la commission à laquelle vous avez renvoyé le projet de loi qui ouvre au département de la justice des crédits supplémentaires pour le payement des frais relatifs au Moniteur.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Il est mis à la suite des objets à l’ordre du jour.

La séance est levée à 4 heures et quart.