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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 avril 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1287) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure un quart. La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur Niels-Jean Falk, second de navire au long cours, à Anvers, né à Bergen (Norwège), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Plusieurs cultivateurs dans la commune d’Anseroeul demandent l’adoption de la proposition de loi sur les céréales présentée par 21 députés. »

« Même demande des cultivateurs d’Estampuis, Leers-Nord, Erregnies, Pecq, St-Léger, Warcoing, Estaimbourg, Blandain, Templeuve, Nechin, Ramegnies-Chin, des membres de l’administration communale de Heur-le-Tixhe, de propriétaires et cultivateurs de Tongres. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner la proposition de loi.


« Plusieurs cultivateurs de Thulin, St-Guislain, Boussu et Hornu prient la chambre d’ordonner une enquête sur les chances d’accident que présente à tout instant la traversée à niveau de la station de Mons à Quiévrain, par les chemins de fer concédés du Haut et du Bas-Flénu et de St-Ghislain. »

M. Sigart – Déjà dans la discussion du budget des travaux publics on nous a signalé le danger des passages à niveau de divers chemins de fer industriels sur le railway de l’Etat ; j’étais en position et j’ai eu un moment le désir d’ajouter quelques traits au tableau que l’on nous a signalé. Si je ne l’ai pas fait, messieurs, c’est que je croyais le mal sans remède. Aujourd’hui, voici venir une pétition qui prétend que ce remède existe, et qui demande une enquête pour le constater. Nous touchons au terme de nos travaux, je crois donc que c’est le cas où jamais, pour la chambre, d’ordonner un rapport, et un très-prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs brasseurs, distillateurs, fabricants, aubergistes et fermiers à St-Nicolas demandent le rejet de la proposition de loi sur les céréales présentée par 21 députés. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner la proposition.


« Message de Monsieur le ministre de l'intérieur, accompagnant l’envoi des avis de la commission d’agriculture du Hainaut, de la chambre de commerce de Charleroi, de la députation permanente du Hainaut, de la commission d’agriculture et de la députation permanente du Limbourg sur la question des céréales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi.

M. le président – Je saisis cette occasion pour faire remarquer que la chambre a renvoyé aux sections de janvier la proposition faite par 21 membres et aux sections de février le projet de loi adopté par le sénat. Il serait convenable que les mêmes sections examinassent les deux projets. J’en propose le renvoi aux sections de février, qui seront convoquées demain.

- Adopté.


« Il est fait hommage à la chambre par M. Vandermaelen, fondateur de l’établissement géographique, des six premières feuilles qui ont paru de la carte topographique du royaume à l’échelle de 1/80,000. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi qui ouvre un crédit de 3 millions de francs au département des travaux publics, pour la construction d'un canal de navigation latéral à la Meuse

Rapport de la section centrale

M. Lesoinne, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au canal latéral de la Meuse, de Liège à Maestricht, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et met (page 1288) le projet de loi à l’ordre du jour en même temps que celui relatif au chemin de fer de Jurbise.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion générale

M. le président – La discussion continue sur l’ensemble du projet de loi.

La parole est à M. Delehaye.

M. Delehaye – Un honorable ministre, aux connaissances, à l’activité duquel chacun de nous rend hommage, vous disait hier que, quoique placé dans des conditions plus favorables que nous pour apprécier le projet d’organisation présenté, il n’était pas capable d’en apprécier les diverses dispositions. Si lui, qui a à sa disposition les documents du ministère, qui peut à toute heure du jour consulter ses collègues, s’exprime ainsi, pensez-vous que le congrès, déclarant que les chambres seraient appelées à régler l’organisation militaire du pays, ait entendu par organisation de l’armée un projet tel que celui qui nous est présenté ? Quand le congrès a parlé d’une organisation militaire, il a entendu l’organisation de tout ce qui se rattache à la défense du pays, tout ce qui constitue l’armement militaire, la garde civique, la marine, l’avancement, l’enrôlement, le maintien, la construction ou la démolition de forteresses, en un mot tout ce qui lui est propre.

Voilà ce qu’on peut appeler l’organisation militaire d’un pays. Mais prétendre que ce qu’on nous a soumis, consistant à énumérer le nombre de régiments, déclarer combien d’hommes appartiendront à chacun de ces régiments, soit l’organisation dont a parlé le Congrès, non, messieurs, c’est là une erreur, et il serait inutile de chercher un exemple dans aucun autre pays constitutionnel de l’Europe, vous n’en trouverez aucun dont les chambres aient été appelées à statuer sur de semblables questions.

Remarquez une chose, messieurs, c’est que presque tous les militaires, tous les hommes de l’art, et je parle des hommes de l’art d’un grand mérite, qui ont traité la question, ont émis une opinion différente. Si les uns ont voulu que l’infanterie fût plus forte que la cavalerie, d’autres ont voulu le contraire ; d’autres ont fixé un contingent plus nombreux, une proportion plus forte à la cavalerie. Il y a, je le répète, presque autant d’opinions que d’individus que se sont occupés de la question.

Que résulterait, messieurs, pour la chambre, si le projet de loi était adopté ? L’armée se trouve aujourd’hui représentée par un honorable général qui appartient à l’artillerie. Eh bien, j’ai entendu dire que c’est précisément l’artillerie qui est la plus favorisée par le projet.

Messieurs, je désire que l’honorable général du Pont reste longtemps encore à la tête du département de la guerre ; mais supposons un moment que le ministre actuel vienne à être remplacé par un général de cavalerie ou d’infanterie ; qui vous dira que ce général admettra le système qui vous est proposé ? Qui vous dit qu’un autre général, appartenant à une autre arme, ne sera pas entièrement opposé à ce système ?

Ainsi, en adoptant les dispositions qu’on vous propose, non-seulement vous vous enlevez le droit de modifier à l’avenir le chiffre du contingent de l’armée, de statuer sur tout ce qui concerne l’armée, mais il peut se faire qu’un nouveau ministre, venant aux affaires, ne partage pas l’opinion consciencieusement émise par M. le ministre actuel. Ainsi, non-seulement, comme vous le disait hier Monsieur le ministre de l'intérieur, le vote du contingent de l’armée ne serait plus qu’une formalité oiseuse que vous rempliriez parce que la Constitution le veut, mais il pourrait se faire qu’un nouveau ministre, arrivant au timon des affaires, se trouvât paralysé dans ses intentions d’amélioration, et même que des officiers très-habiles se trouvassent dans l’impossibilité d’accepter le portefeuille de la guerre, précisément parce que l’organisation ne leur conviendrait pas.

Messieurs, nous ne devons pas perdre de vue la position de neutralité qui nous est faite. Je sais aussi que l’armée, pour qui cette neutralité est surtout funeste, ne l’a pas acceptée avec satisfaction. Mais enfin elle a compris que notre position est telle que, placés au milieu des grandes puissances, il a fallu se courber devant une volonté à laquelle il nous était impossible de résister ; et ce n’est pas trop présumer de notre armée que de dire qu’elle respectera aussi bien que nous la décision qui a été prise à notre égard.

Dans un pareil état, l’avancement ne saurait être rapide ; l’armée conçoit que la neutralité est un obstacle à ces avancements que nous voyons se reproduire souvent dans un pays dont la condition politique est parfaitement indépendante.

Messieurs, quelles sont les conséquences de cette neutralité ? L’avons-nous acceptée par goût ? Evidemment non. Il y a plus, cette neutralité nous a été imposée, non pas dans notre intérêt, mais dans l’intérêt des puissances qui nous avoisinent. C’est parce qu’il convenait aux cinq puissances qui ont décidé de notre sort, que la Belgique fût perpétuellement neutre, que cette position nous a été faite.

Ainsi, messieurs, cette question de neutralité doit dominer toute la question. Il n’en est pas d’autre, pas même la question des finances, qui doive exercer sur nous une influence aussi grande. Eh bien, messieurs, examinons les différentes phases qui peuvent se présenter en présence de notre neutralité ?

La Belgique a trois éventualités à craindre : d’abord, il peut se faire que l’une des cinq grandes puissances viennent envahir la Belgique ; mais, dans ce cas, d’autres puissances viendront lui résister. Que la France veuille pour un instant envahir la Belgique, mais incontestablement, messieurs, les quatre autres puissances viendront y mettre le veto. Dans un cas semblable, il ne faut donc, sous aucun rapport, une armée forte pour repousser une attaque qui serait immédiatement repoussée par d’autres.

Le deuxième danger, c’est une attaque de la part d’une puissance de la force de la nôtre, de la Hollande, par exemple. Que ce cas se présente, j’ai assez de confiance dans le patriotisme, dans les connaissances, dans la bravoure de nos officiers et de notre armée toute entière, pour être convaincu qu’il ne faudrait pas 60,000 hommes pour résister à une puissance de cet ordre.

Reste une troisième éventualité, c’est celle d’une lutte entre deux puissances du premier ordre. Supposons, par exemple, que la guerre éclate entre la France et l’Allemagne, et que la Belgique soit obligée de défendre son territoire ; je le demande, messieurs, est-ce une armée de 80,000 hommes que vous pourrez opposer à ces puissances ? M. le ministre de la guerre vous a dit que, dans le cas d’une semblable conflagration, il nous faudrait nécessairement une armée de campagne dont la mission serait de veiller à la sûreté de nos forteresses. Messieurs, nous avons environ 20 forteresses. Supposons qu’il ne faille en armer que dix, et que chacune exige seulement un personnel de 8 mille hommes ; remarquez, messieurs, que la forteresse d’Anvers seule réclame la présence de 20 mille hommes. Je ne veux leur en accorder, à chacun, que 8 mille ; voilà déjà les 80 mille hommes demandés par le gouvernement entièrement occupés. Il vous reste à former votre armée de campagne qui, comme le disait hier M. le ministre de la guerre devra voler au secours de la forteresse menacée ; cette armée devra compter au moins 40 mille, voilà déjà 120 mille hommes ; et avec cette armée de 120,000 hommes, que vos finances ne vous permettront pas de solder longtemps, répondrez-vous à toutes les éventualités ?

Supposons que les forteresses du midi soient menacées ; votre armée de campagne viendra à leurs secours, mais alors vous abandonnerez à l’étranger les forteresses du nord, entièrement privées du secours de l’armée de campagne qui sera employée au sud. Il suffira d’un coup de main pour s’en emparer, et ainsi vous courez précisément au danger que vous voulez éviter.

La prodigalité, disait hier un honorable député de Bruxelles, ne consiste pas à dépenser trop, mais elle consister à dépenser mal à propos. Ici il y aurait une véritable prodigalité à vouloir mettre sur pied une armée considérable. L’armée, telle qu’elle existe aujourd'hui, avec le patriotisme qui l’anime, avec les connaissances de ses officiers, cette armée sera toujours suffisante pour repousser les attaques d’une puissance de même ordre que la Belgique.

Quant aux autres éventualités, nous ne devons pas y songer, car alors ce n’est pas l’armée que le gouvernement veut mettre sur pied, qui pourrait suffire à la défense du territoire.

On nous a parlé beaucoup, messieurs, du découragement de l’armée ; on nous a dit qu’il fallait relever le moral de l’armée. En effet, j’ai quelquefois l’occasion de me trouver en rapport avec plusieurs officiers, et j’ai cru remarquer aussi qu’il y a quelque découragement dans l’armée ; mais ce découragement cessera-t-il quand vous aurez déclaré qu’il y aura tant de régiments de telle autre, tant de régiments de telle autre arme ? Ce qui décourage l’armée, c’est que nous avons été témoins d’une partialité, je ne dirai pas inconcevable, mais d’une partialité révoltante. Nous avons vu, par exemple, mettre à la retraite des hommes à la fleur de l’âge, bien portants et propres au service, tandis qu’on en maintenait d’autres qui se trouvaient dans des conditions bien moins favorables.

Je citerai, à cet égard, un exemple, et je le ferai d’autant plus volontiers, que le fait ne concerne pas M. le ministre de la guerre. M. le ministre des affaires étrangères vient de mettre en disponibilité un homme à la force de l’âge, un homme qui avait gagné tous ses grades dans le service actif, un homme qui appartenait à une arme spéciale, tellement spéciale qu’il est presque impossible de la trouver encore en Belgique ; je veux parler de la marine.

Eh bien, messieurs, de pareils faits doivent nécessairement décourager l’armée.

Nous avons vu un autre fait, et je vous avoue, messieurs, que je ne sais pas si le ministère actuel s’en est rendu coupable ; on a accusé le gouvernement d’entretenir dans l’armée une espèce d’espionnage. C’est là ce qui doit démoraliser l’armée. Rien n’est plus propre, en effet, à décourager des hommes d’honneur, des hommes loyaux, comme le sont généralement des officiers belges.

Une troisième cause de découragement, c’est la triste position que l’on fait aux officiers et aux sous-officiers mis à la retraite. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour empirer la position de ces derniers. Comment qualifier la mesure qui a été prise par M. le ministre des travaux publics consistant à ne pas admettre, pour certains emplois du chemin de fer, des hommes âgés de plus de 27 ans ? Il résulte de là qu’un homme qui a été sous-officier pendant dix ans, qui s’est conduit toujours de la manière la plus honorable, ne peut pas obtenir une place au chemin de fer, parce qu’il est âgé de plus de 27 ans.

Voici, messieurs, un autre fait. Je connais un capitaine, je ne le nommerai pas pour ne pas empirer encore sa position ; je suis convaincu que M. le ministre de la guerre a trop de loyauté pour faire un grief à cet officier, de l’observation que je vais présenter, mais comme les ministres changent, je ne veux pas l’exposer aux chances de l’avenir. Je ne citerai pas le nom du militaire dont il s’agit ; ce capitaine a plus de 30 ans de service ; il a fait plusieurs campagnes ; il était à la bataille de Waterloo ; il vient d’être mis à la retraite avec une pension de 800 fr., tandis que, si l’on avait attendu trois mois de plus, il avait droit à 1,000 ou 1,100 fr. Je le demande, est-ce là un acte de loyauté ? Est-ce ainsi qu’on obtiendra une bonne armée ?

Ce qui doit encore décourager l’armée, c’est le cumul qu’on admet au profit de certains officiers. J’en connais un qui occupe à la fois cinq ou six places ; il est, tour à (page 1289) tour, supérieur et inférieur, et en ces différences qualités, il s’adresse des correspondances à lui-même comme à son supérieur, et en terminant la lettre, il ne manque jamais de s’adresser le compliment d’usage : « Je suis dans les sentiments de haute estime, etc. » Eh bien, messieurs, au moyen des différentes places que l’on a données à cet officier, on pourrait contenter cinq à six personnes, et dans une armée aussi restreinte que la nôtre, il faut tâcher, autant que possible, que tout le monde soit satisfait de sa position.

Enfin, il est un autre motif de découragement pour l’armée, et celui-ci je l’indique d’autant plus de plaisir que je suis persuadé que la sympathie de M. le ministre est acquise à ceux auxquels je vais faire allusion. Je veut parler du malheureux régiment de réserve. Il y a quelques années, les officiers de ce régiment, contrairement aux dispositions de la loi, ont subi une réduction de traitement qui a eu pour résultat une misérable économie de 90 à 100,000 fr. Pour en venir là, on a condamné les officiers à une position excessivement gênante.

Toute cela, messieurs, n’est-il pas de nature à décourager l’armée ? Lorsque de pareils faits sont posés, est-il étonnant que des officiers quittent la Belgique pour aller prendre service ailleurs ? Je dis que cela n’est pas étonnant, mais je ne l’en déplore pas moins, je le déplore d’autant plus vivement que cette résolution a été prise par des hommes qui devaient donner l’exemple du patriotisme. J’espère bien que lorsque ces officiers rentreront en Belgique, le gouvernement ne les admettra pas avec le grade qu’ils auront obtenu en pays étranger.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – La loi sur l’avancement s’y oppose.

M. Delehaye – Je le sais bien, mais le gouvernement cherche quelquefois à faire modifier les lois ; je désire vivement qu’il ne soit apporté à la loi sur l’avancement aucune modification de nature à permettre une mesure semblable à celle dont je viens de parler.

Messieurs, je vous ai avoué que les questions militaires ne sont pas de ma compétence. Mais aussi j’ai eu recours aux lumières des hommes spéciaux, aux écrits concernant la matière, et ce dont je suis le plus convaincu, c’est que la Belgique doit nécessairement réduire son budget et qu’il lui suffit d’avoir une armée de 25 à 30,000 hommes.

Mais il faut que cette armée soit fortement organisée, il faut surtout qu’on relève son moral, et un des meilleurs moyens d’obtenir ce résultat, c’est de donner aux officiers et aux sous-officiers en retraite la préférence pour les places qu’ils pourraient remplir. Je ne vois pas pourquoi l’on ne donnerait pas à des officiers en retraite des places de commissaire de district, de gouverneur même ; pourquoi ne leur donnerait-on pas également des recettes ? Je connais, pour ma part, des officiers très-instruits, très-capables de remplir convenablement les fonctions que je viens d’indiquer. De cette manière on encouragerait véritablement l’armée. Si l’on prenait de semblables mesures, si l’on faisait tout ce qui est possible de faire pour encourager l’armée, je dis que 25 mille hommes suffiraient pour repousser toute attaque de la part d’une puissance de l’ordre auquel nous appartenons.

Votre armée, dis-je, est assez forte pour repousser victorieusement une pareille attaque.

Je n’en dirai pas davantage pour justifier mon vote.

Je voterai non-seulement contre le projet du gouvernement, mais contre celui de la section centrale, parce que cette matière rentre dans les attributions du pouvoir exécutif, parce qu’il n’ y a pas d’exemple que jamais un pouvoir exécutif, ait saisi une législature d’un projet tel que celui qui nous est présenté, parce qu’il n’y a parmi vous personne, sauf le très-petit nombre qui fait partie de l’armée, qui puisse dire s’il faut plutôt 10,000 hommes d’infanterie et 5,000 hommes de cavalerie que l’inverse. Personne d’entre vous, pour ainsi dire, ne peut apprécier la proportion entre l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie et le génie.

Remarquez d’ailleurs que votre résolution ne changerait rien à l’affaire ; car, je vous le demande, qu’auriez-vous fait ? En votant le budget du département de la guerre que faites vous ? Vous prenez en considération le nombre d’hommes qui sont sous les armes. Quelle différence y a-t-il à voter le projet présenté ? La seule que voici : c’est qu’avant de voter le budget, vous votez le nombres des hommes composant l’armée. Quelles en seraient les tristes conséquences ? Que vous seriez lié les mains pour le budget, pour la fixation du contingent. Ensuite dans le projet tel qu’il est, il pourrait se faire que l’organisation que vous adopteriez pourrait bien ne pas convenir à celui qui serait appelé à remplacer le ministre actuel ; il serait gêné dans ses travaux et pourrait décliner la responsabilité de sa conduite.

Si, au lieu d’un général appartenant à l’artillerie, vous aviez un général de cavalerie ou de génie, il est possible qu’il préférât des proportions tout autres que celles du projet, et dans ce cas vous devriez de nouveau voter une loi d’organisation.

Un de mes honorables amis a dit que le projet, tel qu’il est présenté, est une mystification. Quelque fort que soit ce terme, je ne puis en employer d’autre. C’est une mystification d’autant plus inconcevable, que c’est le gouvernement qui abandonne sa prérogative, pour en investir le corps législatif, qui vient abandonner aux discussions de la chambre une question qui est dans ses attributions.

M. d’Huart – Et la Constitution !

M. Delehaye – La Constitution a exigé que l’organisation de l’armée fût réglée par la loi. Mais j’ai dit ce que le congrès entendait pas organisation de l'armée, ce que moi-même j’entends par là.

En réponse à l’honorable membre qui me fait l’honneur de m’interrompre, je dirai qu’en France il y a également une disposition qui charge les chambres de régler l’organisation de l’armée, et que cependant jamais les chambres n’ont été appelées à régler l’effectif de l’infanterie, de la cavalerie, du génie et de l’artillerie.

Puisqu’on a invoqué l’histoire, je rappellerai que pendant la révolution française les assemblées voulurent se mêler de l’organisation de l’armée, et d’envoyer aux armées en campagne, des dispositions qui modifiaient les plans des généraux.

Qu’arriva-t-il ? Que les généraux ne tinrent aucun compte de ces ordres ; et c’est ainsi qu’ils sont parvenus à sauver la république et le grand principe dont nous profitons encore aujourd’hui.

Je me résume. J’ai déclaré que l’organisation projetée appartient au pouvoir exécutif. Sur ce point nous devons envisager et nos ressources et les dangers auxquels nous nous exposons. Selon moi, il n’y a aucun danger ; et nos ressources sont telles que vous ne pouvez dépasser le chiffre de 25 millions pour le département de la guerre. Je voudrais que le gouvernement mît à la disposition du gouvernement 25 millions, moyennant quoi, il organiserait l’armée comme il l’entendrait, sauf aux chambres à forcer le ministère à changer les résolutions qu’il pourrait prendre, si elles n’étaient pas satisfaites de cette organisation.

On aurait tort d’organiser l’armée en vue d’une lutte contre les grandes puissances. Car lutter contre ces puissances ce serait vouloir lutter contre la Providence.

Cette position est critique, sans doute, mais le gouvernement l’a plusieurs fois acceptée. C’est ainsi qu’il a proposé aux chambres de se conformer à la décision de la Conférence pour la délimitation du territoire. Vous l’avez fait parce qu’il y avait nécessité, parce qu’il y aurait folie de lutter contre les cinq puissances. Il y aurait également folie à vouloir lutter contre elles quand elles auront décidé la démolition des forteresses. C’est ce qu’on a compris lors du vote de 1839, et lorsque M. le ministre des affaires étrangères, alors général, a signé une convention relative à la démolition des forteresses, c’est qu’il y a été contraint ; s’y soustraire aujourd’hui, est pure folie. Si les puissances le veulent, les chambres et le pays devront bien s’y soumettre.

Je me borne à former le vœu qu’on mette à la disposition du ministre de la guerre, la somme de 25 millions de francs ; il en disposera. Libre ensuite à la chambre de refuser ou d’accorder sa confiance au gouvernement, suivant que celui-ci aura répondu à son attente. C’est vous dire, messieurs, que toute proposition qui aura pour effet de nous imposer aujourd'hui une dépense excédant cette somme, n’aura point mon assentiment.

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Dans le discours prononcé hier par l’honorable M. Castiau, et dans celui que vient de prononcer l’honorable M. Delehaye, il a été soulevé quelques questions importantes ; et il a été adressé quelques reproches au ministre de la guerre. Je ne m’attacherai pas à me justifier longuement de ces reproches ; je dirai seulement que, quant à ce qui a été dit de l’arbitraire, du favoritisme et de la partialité qui tendraient à régner dans l’armée, je dois protester de toutes mes forces contre une pareille supposition, et que je ne puis accepté aucun blâme à cet égard.

J’ai déjà eu l’occasion de faire connaître à la chambre quels sont les principes qui me guident. J’y serai fidèle, tant que j’aurai l’honneur de siéger sur ce banc. Je n’ai jamais eu d’autre mobile que l’intérêt général. Je continuerai à donner tout mon temps à l’accomplissement consciencieux de mes devoirs ; je m’attacherai à me conformer toujours à nos lois et règlements, à m’entourer, dans mes travaux, des documents et des propositions que m’adresseront les chefs de l’armée.

Je passe à l’examen des questions spéciales.

L’honorable M. Castiau a trouvé notre système de recrutement mauvais. Quoique la discussion de cette question doive se présenter tout naturellement lorsque la chambre s’occupera du projet de loi sur la milice, je crois devoir répondre dès à présent sur ce point.

Cet honorable membre a dit que nous n’avons pas suffisamment étudié ni appliqué le système de recrutement prussien.

Je me propose, messieurs, d’établir ici que si notre système de recrutement est bon et peut être reconnu comme tel par tous, c’est précisément à cause de sa connexité avec les systèmes admis en Prusse, en France, en Sardaigne et chez la plupart des nations renommées pour leur organisation militaire.

Pour le moment, messieurs, il me suffira de comparer les bases du recrutement chez les principales de ces nations.

Remarquons d’abord, messieurs, que l’organisation de la force armée est loin d’être uniforme dans les divers Etats de l’Europe. Il est cependant quelques principes sur lesquels on semble généralement d’accord, et l’un de ces principes est que la force publique doit se composer de trois parties, savoir :

1 ° L’armée permanente ;

2° La réserve de l’armée permanente ;

3° Les gardes citoyennes.

Il a été reconnu partout que les engagements volontaires ne suffisent pas pour l’entretien de l’armée permanente et ne fournissent aucune ressource pour la réserve.

Dans quelques pays, comme en Prusse, en Autriche, en Bavière et dans la plupart des Etats de la confédération germanique, le service est obligatoire pour tous les citoyens. Tous les jeunes gens, soit de l’âge de 19, soit de l’âge de 20 ans, sont généralement inscrits, et le gouvernement désigne les hommes qui doivent entrer dans le contingent annuel.

Dans d’autres pays, tels qu’en France, en Belgique, en Hollande, en Sardaigne (page 1290), les jeunes gens de 18, 19 ou 20 ans sont également inscrits, et c’est le sort qui désigne ceux qui doivent prendre place dans les régiments.

Au bout d’un nombre d’années qui, en général, est plus considérable lorsque l’effectif du pied de paix est plus fort relativement à l’effectif de guerre, ces jeunes militaires rentrent dans leurs foyers et y jouissent, soit de congés temporaires, soit de congés illimités. C’est, en général, de ces hommes en congé que se composent :

1° Le complément de l’armée active ;

2° La réserve de cette armée.

Passons à l’exposé de quelques détails sur l’application de ces principes dans la plupart des Etats.

En Prusse, l’âge de l’inscription est 20 ans ; le service est d’abord de 5 ans dans l’armée, dont 1 ½ à 3 ans consécutifs dans les rangs, et le reste en congé dans la réserve de l’armée ; ensuite de 7 ans dans le premier ban de la landwehr, et de 7 ans dans le deuxième ban.

Les sous-officiers et soldats sont ainsi placés de l’âge de 25 à 30 ans dans l’armée permanente et sa réserve proprement dite ; de 25 à 32 dans la landwehr du 1er ban, que l’on peut considérer comme la véritable réserve de l’armée active ; de 32 à 39 dans le landwehr du 2e ban, qui a le plus d’analogie avec les gardes nationales ou civiques ; ils passent ensuite de l’âge de 40 à 50 ans dans le landsturm.

L’Autriche n’a pas de mode de recrutement uniforme. En général, les jeunes gens de 19 à 29 ans sont inscrits pour le service. Le gouvernement en dispose à volonté selon ses besoins.

Dans les provinces autrichiennes, la durée du service est ordinairement de 14 ans passés en activité ou en congé ; dans les provinces italiennes, elle n’est que de 8 ans.

En sortant de l’armée active, le soldat de toute arme entre dans la landwehr pour y rester jusqu’à l’âge de 38 ans.

En Bavière, l’inscription se fait à 20 ans ; la durée du service dans l’armée permanente est de 6 ans, dont une partie est passée en congé.

La réserve se compose : 1° de tous les militaires qui ont accompli leur temps de service (ils doivent y passer 14 ans) ; 2° des conscrits que le sort n’a pas appelés sous les drapeaux (ils sont compris dans la réserve pendant 20 ans).

Il résulte du rapport sur le budget bavarois que cette réserve n’est pas encore organisée ; toutefois, en cas de guerre, le gouvernement pourrait disposer des classes qui la composent.

En Hollande, le tirage au sort a lieu à 18 ans ; la durée du service des miliciens est de cinq années, dont la première passée dans les foyers, la seconde, six et même trois mois au corps et le reste en congé, sauf la réunion annuelle pendant un mois.

La schuttery s’étend depuis l’âge de 25 jusqu’à 35 ans. Le maximum d’effectif du premier ban est de 2 p.c. de la totalité des hommes inscrits. Ils appartiennent d’abord, pendant cinq années, au détachement actif de leur arrondissement, et pendant cinq autres années à la réserve.

En Piémont, c’est à 19 ans que les jeunes gens sont appelés au service. Le contingent de chaque année se divise en deux catégories. La première est celle des soldats permanents ou d’ordonnance. Ces militaires doivent servir sous les drapeaux pendant huit ans consécutifs. La deuxième catégorie est celle des soldats provinciaux. Leur service dans l’armée active est aussi de huit ans, dont 14 mois seulement sous les armées. Ils passent ensuite huit ans dans les bataillons provinciaux qui forment la réserve de l’armée.

Dans cet état, l’effectif du pied de paix se compose : 1° Des soldats de l’ordonnance ; 2° dans l’infanterie, d’une classe ; dans la cavalerie et dans l’artillerie, de trois classes de provinciaux.

On n’incorpore dans l’ordonnance d’autre partie du contingent annuel que celle qui est nécessaire pour compléter cette partie de l’armée, qui se compose du reste des volontaires et des remplaçants.

Les soldats appartenant à l’ordonnance proprement dite sont congédiés définitivement au bout de 8 ans de service consécutif ; les soldats provinciaux le sont au bout de 16 ans dans l’infanterie et de 13 ans dans l’artillerie et la cavalerie.

Cette organisation a, de fait, beaucoup de rapports avec celle de l’armée belge, où l’on compte également, d’un côté, les soldats permanents, savoir : les volontaires et une partie des remplaçants, et de l’autre, les soldats temporaires ou miliciens.

En Belgique aussi, les premières classes des soldats temporaires concourent avec les volontaires pour former des bataillons actifs, et les dernières classes forment des bataillons de réserve. Seulement, la durée du service des soldats temporaires est en Belgique de 8 ans, tandis qu’elle est de 16 en Sardaigne. C’est cette différence qui permet à ce dernier pays de porter son effectif de guerre à 140,000 hommes, tandis que notre maximum est de 80,000.

En France, le tirage au sort se fait à l’âge de vingt ans, la durée du service a été successivement de 6 et de 7 ans. D’après le projet de loi qui a déjà fait plusieurs fois l’objet des discussions à la chambre des pairs et à de la chambre des députés, cette durée sera à l’avenir de 8 ans et comptera à dater du 1er juillet de l’année dans laquelle les jeunes militaires ont été inscrits.

Une partie du temps de service est passée sous les drapeaux, l’autre en réserve ; les soldats de la réserve sont soumis à des revues régulières, mais ne sont pas encore encadrés.

La France trouve une seconde réserve dans les bataillons détachés de la garde nationale, composés en général d’hommes âgés de 20 à 35 ans.

Parlerons-nous des ukases qui règlent les levées en Russie, de la durée du service, qui y est de 25 ans ; enfin, des colonies militaires de ce pays ?

Parlerons-nous des troupes suédoises, dont une partie se recrute par des engagements volontaires, et dont les autres, composées de soldats entretenus par des propriétaires fonciers, forment l’armée indelta (ce qui signifie distribuée sur le sol) ?

De pareilles institutions sont trop contraires à celles qui régissent notre pays, pour qu’il puisse être utile d’établir une comparaison. Constatons seulement que la Suède aussi a ses cinq levées de landwehr.

Quant à l’Angleterre, quant à l’Espagne, etc., les armées de ces pays se composent de deux parties : 1° : les troupes de ligne ; 2° les milices.

Il résulte de ce qui précède, que le recrutement de l’armée belge, qui trouve son origine dans les lois de milice hollandaise, a beaucoup de rapport avec celui qui est usité en Prusse, en Bavière, en Piémont et en France.

Si les chambres admettent le projet de loi de milice qui leur a été soumis, l’âge de l’inscription, qui est de 18 ans aujourd’hui, comme en Hollande, sera de 19 ans, comme en Piémont et en Autriche. L’incorporation conformément au projet de loi français, comptera à dater du 1er juillet, ce qui reculera de fait de 18 mois l’âge fixé pour l’appel au service militaire, et nous rapprochera entièrement, sous ce rapport, du système prussien ou bavarois.

De même qu’en France, en Hollande et dans le Piémont, une fraction assez importante de notre armée se compose de volontaires.

La durée du service des miliciens est de 8 ans, comme en Piémont, dans les provinces italiennes de l’Autriche, comme on le propose en France.

Nos miliciens seraient, comme en Prusse, pendant 5 ans, en activité ou en congé limité.

Nous aurions trois classes de réserve, tandis que la Prusse et la Bavière en comptent 14, le Piémont 8, les provinces autrichiennes 6.

De même qu’en Prusse, en Autriche, en Piémont et dans presque tous les Etats allemands, notre réserve serait exclusivement composée de soldats exercés, et nous cesserions, comme on semble le désirer généralement en France, de compter dans une partie de nos levées, de jeunes soldats non encore exercés.

Enfin, de même qu’en France et en Hollande, nos gardes citoyennes s’alimenteraient annuellement d’une bonne partie de miliciens et de volontaires qui auraient achevé leur terme dans l’armée permanente.

Tant de points de similitude avec des armées qui passent pour être les mieux organisées, plaident en faveur de notre système de recrutement, et les nombreuses améliorations que l’expérience nous y a fait successivement introduire, sont encore la garantie que ce système doit satisfaire pleinement à tous nos besoins.

Dans les différentes occasions où les diverses classes de milices et toutes nos réserves ont été réunies, vous avez pu, messieurs, vous faire une idée des résultats de nos lois actuelles et de ce que sera l’armée quand vous aurez introduit dans les lois de milice les modifications qui vous ont été proposées.

Vous avez pu voir avec quelle promptitude nous pouvons réunir, au besoin, nos nouveaux permissionnaires, et combien il aura fallu peu de temps de rappel sous les armes, pour prendre tout l’aplomb de vieilles troupes.

Vous avez pu voir, sous le rapport économique, notre système est des plus avantageux, en ce qu’il permet de disposer à chaque moment d’une armée de 80,000 hommes, alors que, d’après le budget, on n’en solde que 30,000.

Gardons-nous de renoncer à la légère à des institutions qui sont le fruit de longues épreuves, pour en admettre d’autres que toutes les nations ont repoussées jusqu’ici ou dont l’histoire des peuples nous font voir les funestes résultats.

Gardons-nous bien, d’une part, d’admettre un effectif tel qu’on puisse le garder perpétuellement sous les drapeaux, et de renoncer à la formation des réserves exercées qui font aujourd’hui la force des armées.

Gardons-nous, d’un autre côté, de négliger de nous préparer longtemps d’avance à la guerre et de nous en remettre pour la défense du pays, à des armées levées à la hâte, que l’honneur national animera sans doute, mais qui sentiront toute leur infériorité dès qu’elles seront opposées à des troupes instruites et bien disciplinées, qui joindront au même degré de patriotisme toute la force de l’esprit de corps, toute la constance qu’inspire l’homme militaire.

Les modifications introduites dans le projet de loi sur la milice sont celles qui ont été indiquées par des notabilités militaires. Toutes pensent qu’au moyen de ces modifications, notre système sera excellent. De longues années d’épreuve leur donnent cette confiance.

Je pourrais encore m’appuyer de l’opinion de ces hommes d’expérience et de ces généraux étrangers qui ont, pendant plusieurs années, compté dans les rangs de notre armée. La bonne composition de nos troupes ne leur a jamais paru douteuse, ils les ont toujours jugées capables de remplir dignement leur mission. Oui, messieurs, c’est à la tête de nos soldats formés selon les institutions militaires actuelles que ces officiers distingués comptaient continuer ou achever une carrière de gloire.

(page 1291) Améliorons encore, mais ne condamnons pas un système auquel nous avons dû ces armées de 1832, 1833 et 1839 que vous trouviez dignes alors de défendre les intérêts et l’honneur belges et qui, si les circonstances l’eussent permis, auraient dignement répondu à votre patriotique attente.

L’honorable M. Castiau a soulevé aussi la question de l’emploi de l’armée aux travaux d’utilité publique. Messieurs, nous avons déjà commencé l’étude de cette question, et un arrêté du 29 septembre 1844 a fixé le règlement concernant l’emploi des troupes aux travaux militaires. En nous occupant de cette question, messieurs, nous avons dû examiner quelles étaient les circonstances qui avaient forcé plusieurs puissances à renoncer à l’emploi de troupes aux travaux, et il nous a paru que la raison principal était que les travaux exécutés par l’armée coûtent en général plus cher que ceux qui le sont par des ouvriers civils.

Cela se conçoit, messieurs, d’après le principe établi en France, et adopté chez les autres nations, en ce qui concerne le salaire des soldats travailleurs. Ce principe est celui-ci : c’est qu’il faut ajouter à la solde et aux autres allocations du soldat ce qui est nécessaire pour arriver à un salaire égal à celui de l’ouvrier bourgeois.

Or, messieurs, il est une circonstance qui n’étonnera personne, c’est que le militaire employé aux travaux d’utilité publique ne produit pas la même somme de travail que l’ouvrier civil. Cela s’explique facilement, messieurs. Un ouvrier ordinaire travaille pour subvenir à son entretien et à celui de sa famille entière, tandis que le soldat a moins de soucis et se trouve déjà pourvu de sa solde, de son pain, de tout ce qui lui est nécessaire. Il est aussi la plupart du temps moins exercé au travail spécial que l’ouvrier ordinaire. Aussi, il est admis, messieurs, que le travail du soldat n’est au travail de l’ouvrier que dans la proportion de 6 à 10. Vous comprendrez dès lors facilement que si vous payez ce soldat qui ne produit que six, autant que l’ouvrier qui produit dix, le travail vous coûtera beaucoup plus cher, et que l’emploi de l’armée aux travaux est en général une mauvaise opération.

Faut-il en conclure, messieurs, qu’il ne faille jamais employer l’armée à des travaux d’utilité générale ? Telle n’est pas notre opinion, et c’est dans la conviction contraire que nous avons préparé l’arrêté dont j’ai eu l’honneur de vous parler tantôt. Si les circonstances dans lesquelles l’armée s’est trouvée pendant longtemps, se représentaient, si nous devions nous tenir sur un pied de rassemblement, alors, messieurs, assurément, il serait avantageux d’employer une partie de nos soldats répandus dans les cantonnements aux travaux d’utilité générale, et en pareil cas nous n’aurions qu’à appliquer le règlement que nous avons préparé.

Entre temps, messieurs, je vous ferai remarquer que notre effectif actuel ne permet pas d’employer une partie de l’armée aux travaux. Cet effectif suffit à peine aux nombreux services dont l’armée est chargée dans les différentes garnisons. D’ailleurs cet effectif comprend toujours les jeunes levées, les hommes qui ont besoin d’être tenus sous les drapeaux pour y être exercés.

Je dis donc que l’application de l’armée aux travaux ne pourrait se faire sur le pied actuel.

Il se présente une autre question : Serait-il utile, par exemple, d’appeler 2,000 hommes de plus sous les armes pour leur faire exécuter des travaux ? Cette question, messieurs, se trouve déjà résolue par les explications que je viens de vous donner, et d’où il résulte que 2,000 militaires que vous appelleriez sous les armes vous coûteraient plus cher que 2,000 ouvriers civils que vous emploieriez aux travaux.

Nous avons fait à ce sujet tout ce que nous pouvons faire pour le moment.

Je viens de vous dire que nous avions établi un règlement pour le cas où des circonstances favorables se présenteraient. D’un autre côté, messieurs, nous avons eu l’honneur de vous soumettre un projet de loi d’après lequel il serait créé des compagnies de pionniers, et nous avons cru devoir faire des essais qui nous missent à même de juger de l’utilité que nous pourrions trouver plus tard à l’emploi de nos pionniers. J’ai d’abord envoyé cinquante disciplinaires au camp de Beverloo. Les résultats du travail (je m’en suis assuré l’année dernière à l’époque du camp) ont été des plus favorables, autant sous le rapport matériel que sous le rapport moral. Ces hommes, occupés du matin au soir, savaient éviter les punitions auxquelles ils s’exposaient continuellement auparavant.

Beaucoup d’entre eux se sont corrigés, et ont mérité de rentrer dans leur régiment. L’utilité de la mesure ayant été reconnue, ce détachement a été porté à 150, et nous avons formé le projet d’employer également les disciplinaires aux travaux de déblai qu’il y aura à faire pour la citadelle de Diest.

Je passe maintenant à la question des limites du projet de loi.

Avant de vous présenter ce projet de loi, j’ai dû examiner quelles limites il convenait de lui donner, pour accomplir le vœu de l’article 139 de la Constitution, sans porter atteinte à la prérogative royale, garantie par les articles 66 et 68 de la même Constitution.

Les principales parties de l’organisation de l’armée sont réglées depuis longtemps, soit par des lois spéciales, soit par la Constitution même. C’est ainsi que le nombre d’hommes, dont l’armée se compose, est fixé chaque année par la loi du contingent ; le mode de recrutement est règle par les lois de milice ; ce qui concerne l’alimentation des cadres fait l’objet de la loi sur l’avancement ; les droits et les obligations des militaires sont fixés par les lois sur la position des officiers, sur la perte du grade, sur la retraite, la réforme, etc. ; la solde, assurée par les lois qui garantissent le sort des militaires, est votée chaque année dans la loi du budget ; enfin le commandement et la prérogative de conférer les grades, sont attribués au Roi par les articles précités de la Constitution.

Vous le voyez, messieurs, toutes les bases de l’organisation ont leur sanction dans des lois existantes. Il ne s’agit donc point de faire une loi organique proprement dite, qui englobe toutes les parties de l’organisation de l’armée ; il s’agit seulement de compléter la législation, afin de donner au pays de nouvelles garanties d’une bonne administration et d’une sévère économie des deniers de l’Etat.

J’ai pensé que ce but sera atteint par le projet de loi que j’ai eu l’honneur de vous présenter, messieurs. Les cadres de tous les états-majors sont fixés dans ce projet, et le nombre global des officiers de troupes y est déterminé par armes et par catégories.

Il me semble que la législature doit trouver dans cette loi toutes les garanties qu’elle peut désirer. Aucun emploi d’officiers ne pourra désormais être conféré au delà des limites qui y sont fixées. C’est là le seul objet dont les chambres puissent avoir encore à se préoccuper.

La prérogative du commandement serait illusoire si la loi déterminait dans tous ses détails la composition de chaque régiment, de chaque bataillon, de chaque compagnie ; si elle ne permettait pas de modifier cette composition suivant les progrès de la tactique et les enseignements de l’expérience.

J’ai consulté, messieurs, les antécédents législatifs, et je n’ai trouvé nulle part une loi qui détermine, d’une manière permanente, la composition des cadres à l’armée. Je parle des pays monarchiques-constitutionnels ; car la France a fait exception, en 1793, lorsque la Convention absorbait tous les pouvoirs, lorsque le pouvoir royal avait cessé d’exister.

Avant cette époque, l’assemblé constituante avait, par son décret du 28 février 1793, proclamé le roi : « Chef suprême de l’armée. »

Elle avait ensuite résolu, dans le même décret, que les sommes nécessaires à l’entretien de l’armée seraient votées annuellement par le législateur ; qu’il en serait de même du nombre d’hommes dont l’armée serait composée et de la solde de chaque grade.

Ce décret posait le double principe d’un budget annuel de la guerre et d’une loi de contingent, principe également consacré par notre constitution de 1830.

Mais à dater du 22 mai de la même année, l’assemblée constituante commença à entrer dans une voie qui s’écartait plus ou moins des principes qui ont servi de base à notre régime constitutionnel actuel : elle décréta, sous cette date, que « le droit de paix et de guerre appartient à la nation. » Et cependant elle reconnut encore au roi, par le même acte, le droit de veiller à la sûreté extérieure du royaume, de maintenir ses droits et ses possessions, et elle ajouta ces paroles remarquables : « Lui seul peut faire les préparatifs de guerre proportionnés à ceux des Etats voisins, distribuer les forces de terre et de mer, ainsi qu’il le jugera convenable, et en régler la direction en cas de guerre. »

Vinrent ensuite un grand nombre de décrets et d’ordonnances fixant les bases de l’organisation de l’armée et déterminant le nombre d’individus de chaque grade dont l’armée serait composée, toutes dispositions portées sous l’influence des événements qui se succédaient. Dispositions analogues cependant à celles du projet de loi qui vous est aujourd’hui présenté.

Le 21 du mois de juin 1791 eurent lieu la fuite du roi et son arrestation à Varennes. Le décret du 25 du même mois le suspendit de ses fonctions et ordonna sa mise en état d’arrestation. Les gardes nationales prirent alors, dans les préoccupations de la législature, la place de l’armée.

Ce fut dans ces circonstances que le roi accepta la Constitution du 3 septembre 1791, précédée de la fameuse déclaration des droits de l’homme.

Cette Constitution ne reconnaissait au roi, ni le droit de proposer les projets de loi à législature, ni le droit de faire la guerre. Et cependant elle le proclamait chef suprême de l’armée, et elle n’attribuait au corps législatif d’autre prérogative militaire que celle de statuer annuellement sur le nombre d’individus dont l’armée serait composée, sur la solde et sur le nombre d’individus de chaque grade.

On sait ce qui se passa l’année suivante : la monarchie fut détruite officiellement le 10 août. Depuis longtemps déjà elle avait cessé d’exister autrement que de nom.

Je n’ai pas à vous entretenir des lois de la république : ce régime n’a rien de commun avec celui dans lequel nous vivons. Tout fut réglé par des lois, la Convention réunissant tous les pouvoirs.

La Constitution du 5 brumaire an IV ne changea guère cet état de choses. Le directoire n’était qu’un agent exécutif subordonné à l’assemblée législative. Ce fut sous ce régime qu’on porta la loi du 23 fructidor an VII, loi qui fixe la composition des cadres de chaque arme. Mais il est à remarquer que cette loi n’était à proprement parler, qu’un budget annuel. C’était le budget de la guerre de l’an VIII ; et cette année n’était pas écoulée que déjà, la révolution du 18 brumaire ayant eu lieu, une loi formelle du 26 du même mois suspendit l’exécution de la loi du 23 fructidor, et ordonna que les fonds alloués seraient mis en masse à la disposition du ministre de la guerre.

La Constitution du 22 frimaire, même année, proclama ensuite, en terme exprès que « le gouvernement pourvoit à la sûreté intérieure et à la défense extérieure de l’Etat ; qu’il distribue les forces de terre et de mer, et en règle la direction. »

Depuis lors, il n’y est plus d’exemple en France d’une loi fixant la composition des cadres.

Les bases du projet que j’ai eu l’honneur de vous soumettre sont (p. 1292) conformes à la Constitution du 3 septembre 1791 et à toutes les lois antérieures. Le nombre d’hommes dont l’armée se compose et la solde sont fixés chaque année par les lois du contingent et du budget ; il ne restait donc à déterminer que le nombre d’officiers de chaque catégorie. C’est là ce qui fait l’objet du projet de loi qui nous occupe. Je pense donc que ce projet satisfait à toutes les exigences raisonnables. Les chambres législatives ont sans doute le droit d’examen et de critique sur tous les actes du gouvernement ; elles peuvent restreindre son action dans certaines limites, et par le budget et par la loi qui fixe le contingent ; mais ce serait vouloir se mettre à la place de l’administration, que d’échanger son droit de contrôle contre la prétention de régler tous les détails de l’administration. Cela a toujours été parfaitement compris par les chambres françaises ; et récemment encore M. Bignon, rapporteur, disait à la chambre des députés, séance du 31 mai 1843 :

« La commission, naturellement appelée à donner son opinion sur les modifications qui sont apportées dans les cadres constitutifs des corps de l’armée, ne pouvait se dispenser de vous faire remarquer les changements qui ont été apportés dans le cadre de l’intendance, depuis le vote du budget de 1843.

« L’organisation du 27 août 1840, rapprochée de celle du 21 janvier, présente les résultats suivants : (…)

« Après avoir rappelé la mobilité à laquelle l’organisation de l’intention a été successivement soumise, nous ferons ressortir les changements qui apparaissent entre les deux ordonnances constitutives, etc.…

« Sans doute, M. le ministre de la guerre a L’INCONTESTABLE DROIT de modifier l’organisation des cadres des divers corps et services de l’armée ; cela est du domaine de l’administration. Cette faculté reste entière ; mais il est aussi du devoir de vos commissions d’examiner quel effet ces modifications peuvent avoir sur les dépenses de l’Etat, pour le présent et pour l’avenir ; et même cela dût-il n’apporter aucun changement dans les dépenses, elle n’en doit pas moins exprimer son opinion sur tous les actes d’administration. Cet examen approbatif et critique ne saurait lui être contesté. »

Voilà, messieurs, comment on comprend les attributions de la législature, sous le régime de la monarchie constitutionnelle, dans ce même pays où, sous un régime bien différent, l’organisation de l’armée fut réglée par une loi. Certes la Belgique n’est pas moins éloignée de 1793 ni de l’an VII de la république que ne peut l’être la France ; mais on n’y a pas, comme dans ce dernier pays, l’expérience des nécessités qu’un état de guerre éventuel nourrit dans tous les temps. Croyons-en l’expérience de nos voisins, messieurs, et tandis que tous les Etats de l’Europe maintiennent les moyens d’améliorer leur état militaire, par des modifications que les circonstances indiquent, n’ayons pas la prétention de faire mieux qu’eux, en faisant autrement, et de nous constituer une exception au milieu des peuples qui nous environnent.

Ce n’est pas d’ailleurs sans de graves motifs que partout on a laissé au gouvernement le soin de régler la composition des différents corps de l’armée. Rien en effet n’est moins susceptible de fixité. Les sciences militaires font tous les jours des progrès, et chacun d’eux peut avoir pour résultat quelques modifications des cadres.

Les découvertes modernes font présager bien des modifications nouvelles encore. Se condamner à rester stationner au milieu du mouvement général, ce serait, pour la Belgique, renoncer à un de ses principes titres à la considération de l’Europe.

Les événements aussi, les vicissitudes politiques peuvent nécessiter à chaque instant des modifications dans l’organisation de l’armée. De simples troubles dans un pays voisin peuvent suffire pour imposer à la prudence du gouvernement des mesures de précaution. Ces mesures il faudrait souvent en soumettre l’adoption à des débats législatifs, si la loi comprenait tous les détails. Or, tout le monde doit comprendre combien cette publicité serait dangereuse, compromettante pour le pays dans certaines circonstances.

Il est, vous le voyez, messieurs, une foule de considérations qui s’opposent à une organisation de détail immuable.

En France, une loi a été portée qui fixe le cadre des officiers généraux seulement, et encore cette loi avait été réclamée par les chambres, non dans un but d’économie, ni pour empêcher le gouvernement de modifier l’organisation de l'armée, selon les besoins et les circonstances, mais dans l’intérêt seul et formellement exprimé des officiers généraux, afin d’assurer leur position, afin d’empêcher qu’on ne mît à la retraite les vieilles gloires de l’empire. Le gouvernement accéda volontiers à ce vœu, comme le gouvernement belge accède aujourd’hui à un autre vœu de la représentation nationale. Mais il est à remarquer que nous allons plus loin qu’on ne l’a été en France, puisque nous proposons de limiter le nombre d’officiers dans chaque arme et dans chaque catégorie.

Nous allons aussi loin qu’il est possible de le faire, pour donner un sens complet au n°10 de l’article 139 de la Constitution, sans porter atteinte aux prérogatives de la couronne, garanties par les articles 66 et 68. La chambre saura, nous l’espérons, tenir compte de cette double nécessité ; elle appréciera la distance qui nous sépare de l’époque où des principes différents s’introduisirent dans la législation d’un peuple voisin ; elle se rappellera enfin, qu’on chercherait vainement, dans notre législation nationale, les traces d’une loi qui conteste au gouvernement la distribution des divers éléments de l’armée selon les besoins du temps, les progrès de la tactique et les leçons de l’expérience.

M. Lys – L’organisation de l'armée est une des plus graves questions que la chambre ait à résoudre. La Belgique ne saurait se passer d’une armée permanente, sans péril pour sa nationalité. Sans doute, si en quelques mois, si en quelques semaines, on pouvait faire un excellent soldat d’un milicien de 18 ans, pris dans un comptoir, dans une faculté, dans un atelier, dans une ferme, on pourrait ne pas conserver d’armée permanente ; mais qui ne sait, qu’en quelques mois, on ne forme pas un soldat d’artillerie, un sapeur ou un mineur du génie, un cavalier ? Il faut plusieurs années pour instruire le sous-officier de ces armes, et un temps plus long encore pour former des officiers. Mais à ne considérer que l’infanterie, dont le métier est plus facile, s’il est vrai que quelques mois suffisent à la rigueur, pour donner à un jeune homme de recrue, une assez bonne instruction mécanique, il n’en est pas de même de ce qu’on pourrait appeler l’instruction morale. Il faut au jeune soldat du temps et beaucoup de temps, pour l’habituer aux exigences de la discipline et surtout pour en comprendre la nécessité. C’est à la longue seulement qu’il se pénètre des traditions vivantes dans le corps dont il fait partie ; qu’il apprend à connaître ses chefs et ses camarades, que ceux-ci parviennent à le connaître. C’est cette précieuse corrélation qui fait naître l’esprit de corps, cette source de tant de grandes choses, et la confiance qui, aux jours du danger, encourage les faibles et enhardit les forts ; enfin, pour ne rien oublier, ce n’est pas en quelques mois que le conscrit s’habitue à l’hygiène de la caserne et du camp, au poids de ses armes, de son équipement, à l’habillement militaire, aux marches et aux fatigues de tout genre.

Avec des corps de nouvelle formation, composés de soldats non rompus au métier, on a des traînards, de l’hésitation et trop souvent du désordre sur le champ de bataille ; on n’a jamais l’ensemble, ni le sang-froid désirables, qui sont les causes et les éléments du succès. Certes, l’enthousiasme a produit de grandes choses, mais l’enthousiasme peut faiblir et plus d’une fois la tactique a triomphé de l’enthousiasme ; et alors le découragement, la démoralisation, et à leur suite les maladies signalent les retraites et les font dégénérer en déroute.

Que si maintenant on remarque que les armées ont aujourd’hui acquis une mobilité inouïe ; que si l’on remarque que l’on fait aujourd’hui manœuvrer des centaines de mille hommes avec une précision, une célérité prodigieuses ; que l’on envahit un pays entier comme autrefois on occupait une province, on reconnaîtra qu’il faut à la Belgique une armée permanente exercée, immédiatement mobilisable, qui lui permette de faire respecter la neutralité de son territoire, autant que peuvent le permettre nos ressources et notre position.

Quant à la force numérique de cette armée, elle doit être calculée d’après nos relations internationales, l’étendue et les ressources du pays. Le chiffre proposé par la section centrale, d’accord avec le gouvernement, n’est-il pas en disproportion avec la force et les ressources du pays ? C’est un point qui, à nos yeux, est hors de doute.

La section centrale adopte le chiffre de la force numérique proposé par le gouvernement. Elle se borne à vous demander quelques réductions sur les grades supérieurs, principalement dans l’infanterie ; et on arrive ainsi à vouloir créer un état de choses qui aura pour résultat de faire au pays une faible économie de 267,000 fr. La question capitale, celle qui domine toute la loi d’organisation de l'armée, c’est la fixation du chiffre de sa force numérique ; a-t-on examiné et discuté la question de savoir : si les ressources dont peut disposer le pays lui permettent de grever son budget annuel d’une somme aussi considérable ? A-t-on examiné et discuté la question de savoir si le chiffre de quatre-vingt mille hommes permettait, en cas de guerre, à la Belgique, de garnir ses forteresses d’un nombre de troupes suffisant pour les défendre, et de mettre en campagne un nombre de troupes suffisant pour faire respecter le territoire ? Si le chiffre de 80,000 hommes ne permet pas d’atteindre ce double but, il faut alors en convenir franchement ; et comme il est évident que la Belgique ne peut pas supporter des sacrifices en disproportion avec ses ressources pour se créer une armée telle que l’exigerait sa position au milieu de nations puissantes, il vaut mieux, dès à présent, réduire considérablement l’armée. Car, remarquez-le bien, ce ne sera pas 25 à 30 millions qu’il faudra porter à votre budget en cas de guerre (guerre qui peut durer pendant plusieurs années) mais 80 à cent millions au moins.

Il est contraire à tous les principes de faire des dépenses énormes, lorsque les dépenses doivent être reconnues insuffisantes pour atteindre le but que l’on se propose. La fixation de la force numérique de l’armée constitue donc toute la difficulté. Et cette fixation dépendant du système de défense du pays, nous avons dû être surpris du silence gardé par la section centrale, sur l’existence de nos forteresses, sur leur défense et sur le besoin d’une armée pour tenir la campagne. Le rapport est muet, sur une partie aussi essentielle, et qui aurait dû longtemps occuper la section centrale.

Inutilement et à pure perte, créez-vous des cadres pour 80 mille hommes, car cette armée serait insuffisante pour défendre vos frontières contre l’invasion de l’ennemi ; il vous faudrait une armée plus forte pour garnir vos places fortifiées et pour faire respecter votre territoire. Vous voulez organiser une armée suffisante pour tous les besoins qui se présenteront, soit pour la défense des forteresses, soit pour tenir la campagne ; mais si vous aviez une guerre, le besoin de garnir vos forteresses et de tenir la campagne existerait, et vous devez en convenir, ce ne serait pas avec 80 mille hommes que vous y satisferiez. L’armée qui vous serait nécessaire est tout à fait en disproportion avec l’étendue et les ressources du pays. Cela est si vrai, qu’il vous faudrait au moins deux cent mille hommes pour la défense seule de vos forteresses, qui n’ont été construites que pour servir de boulevards au midi, par les puissances qui y avaient intérêt et qui entendaient alors pourvoir à leur défense. C’est là le langage que nous a tenu hier M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre nous a donné la preuve qu’une armée de 80 mille hommes serait tout à fait insuffisante en temps de guerre, et en effet, il nous (page 1293) a dit que les forteresses qui ont été construites au midi, par les soins des puissances alliées, l’avaient été dans leur intérêt contre la France ; qu’elles s’étaient réservé de faire occuper ces forteresses par des troupes auxiliaires. Il était donc reconnu alors que la Belgique et la Hollande réunies ne présentaient pas assez de forces pour les défendre ; comment aujourd’hui voudrait-on que la Belgique seule pût pourvoir à cette défense ? N’est-ce pas là reconnaître que la Belgique ne devrait pas depuis longtemps pourvoir à l’entretien des cinq forteresses dont la démolition est résolue depuis si longtemps, et que c’est là une dépense inutile, à pure perte, tout aussi inutile que celle de 60 à 70 millions que nous avons faite en 1839 pour une armée que le gouvernement lui-même n’a pas voulu laisser agir ?

Vous dépenserez donc tout à fait inutilement des sommes considérables pour conserver vos cadres de 80 mille hommes, pendant tout le temps que nous n’aurons pas la guerre.

Et si une guerre européenne surgit, vous serez alors forcés de dépenser des centaines de millions, et tout cela à pure perte. Et en effet ce ne sera plus 28 millions que vous devrez porter à votre budget pour l’armée mais 80 à 100 millions. Je dirai donc avec l’honorable comte de Mérode : Comment la Belgique ferait-elle face à une pareille dépense ? où trouverait-elle des prêteurs ? comment se défendrait-elle ? Ses places fortes n’offrent que danger, parce qu’elle en a beaucoup trop ; elle deviendraient au premier choc la proie du voisin ; il nous faut dès lors une bonne armée de 20 à 25 mille hommes en temps de paix et de 50 mille hommes en temps de guerre, c’est la qualité des troupes que je désire pour mon pays, et non pas une quantité hors de proportion avec sa force réelle. Voilà le langage que vous tenait M. le comte de Mérode en 1843.

La section centrale a cru devoir s’occuper essentiellement de quelques économies, que je ne puis admettre, parce qu’elles tendraient, selon moi, à la désorganisation de l’armée.

L’on vous propose, messieurs, de maintenir les cadres d’une armée de 80,000 hommes, c’est la proposition du gouvernement ; on n’a introduit d’autres changements dans le projet ministériel, que de réduire le nombre des officiers supérieurs.

Je ne puis accueillir un pareil système. Si vous adoptez que les cadres d’une armée de 80,000 hommes seront indispensables pour la défense du territoire, il faut, par voie de conséquence, maintenir le système du gouvernement dans son entier.

En effet, il y a, dans le projet du gouvernement, 1905 officiers subalternes, et 1098 d’après la section centrale ; et pour ces 1095 officiers subalternes, il n’y a, d’après le projet du gouvernement, que 98 officiers supérieurs. D’après le projet de la section centrale, il n’y aurait plus que 82 officiers supérieurs.

Vous devez, messieurs, ne rien faire qui puisse nuire à l’esprit militaire dont les officiers doivent être animés ; il ne faut rien faire qui puisse diminuer chez eux l’amour de leur état ; il faut dès lors leur conserver l’espoir d’arriver au grade d’officier supérieur ; amoindrir le nombre de ces officiers, c’est décourager principalement les officiers d’infanterie, c’est pour ainsi dire les réduire à un état d’ilotisme, qui leur ferait gagner le dégoût de la carrière militaire. Ce que je dis ici, messieurs, n’a rien d’exagéré, et, en effet, sous le système actuel, ainsi dans la réduction proposée, il y a encore aujourd’hui 52 lieutenants de 1832 et 17 sous-lieutenants de la même année. Or, un pareil état de choses est, à coup sûr, bien fait pour faire réfléchir la chambre ; il démontre qu’en maintenant les cadres d’une armée de 80,000 hommes, il faut également adopter les chiffres du gouvernement. Quant à moi, convaincu que la Belgique ne peut mettre sur pied une armée qui puisse à la fois lui permettre de garnir ses forteresses d’une garnison suffisante et de tenir en même temps la campagne, j’eusse désiré que la section centrale eût proposé de réduire le chiffre de l’armée. L’intérêt du pays est d’avoir une armée peu nombreuse, fortement constituée, animée de l’esprit militaire, plutôt que d’avoir des cadres nombreux, sans consistance, dégoûtés d’un service qui ne lui laisse point d’avenir.

Cette marche aurait eu pour résultat de dégrever considérablement le budget, et, en cas de guerre, de ne pas voir la Belgique complètement ruinée ; car vous ne croirez pas que la Belgique puisse supporter un crédit annuel de près de cent millions pour le budget de la guerre, crédit qui peut durer très-longtemps, la guerre pouvant être de longue durée. Cette marche aurait aussi mis le gouvernement dans le cas de devoir se passer des services d’un grand nombre d’officiers, mais il était possible de satisfaire la majeure partie d’entre eux, soit en les conservant en disponibilité avec les 2/3 de leur solde, soit en offrant à ceux qui auraient voulu renoncer à la carrière militaire, de leur payer en une seule fois certain nombre d’années de leur solde, pour leur donner le moyen de choisir une autre position.

Ce système aurait eu, à notre avis, pour résulter infaillible de rétablir en peu de temps les rapports proportionnels qui doivent exister entre les cadres et le nombre des officiers en activité de service, et, par suite, de rétablir un avancement beaucoup plus prompt.

La section centrale vous propose encore de revenir sur la décision qui a assimilé les officiers du corps des sapeurs-mineurs aux officiers du génie ; elle maintiendrait pour le passé tous les effets de l’arrêté du 4 juin 1842, et ne le rendrait sans effets que pour l’avenir.

Quelles serait le résultat d’une pareille mesure ?

Quelques officiers privilégiés conserveraient leur position.

Les officiers actuels des sapeurs-mineurs la perdraient. C’est là un affront pour ceux-ci, et un avantage non mérité pour ceux-là.

Ou l’arrêté du 4 juin 1842 consacrait une injustice, alors il faut lui enlever tous les effets qu’il a pu produire.

Ou cet arrêté tendait à effacer une distinction entre deux corps d’officiers, appelés à concourir au service dans la même arme, ainsi que le soutiendra M. le ministre de la guerre ; alors maintenez le, mais ne prenez pas de demi-mesure pour couvrir une injustice.

J’ai soutenu, en 1843, que l’assimilation dont il s’agit consacre une injustice crainte ; que l’arrêté du 4 juin 1842 est entaché d’inconstitutionnalité, et en effet, messieurs, que porte l’art. 124 de la Constitution ?

« Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions, que de la manière déterminée par la loi. »

Ainsi la position de l’officier dans l’armée, son rang dans le grade dont il est revêtu, constitue, pour l’officier, des droits qui ne peuvent lui être enlevés, qu’en suivant les formes déterminées par la loi. »

Or, que fait cet arrêté ? Il statue.

Que l’avancement de tous les officiers du corps du génie sera commun. Ainsi le ministre, par un acte de sa volonté, confond la position des officiers des deux corps qui avaient toujours été distincts. Il détruit toute l’économie de la loi du 16 juin 1836, et bouleverse le système d’ancienneté admis par cette loi.

Rien de plus facile que de prouver que cet arrêté du 4 juin 1842 enlève des positions acquises, et qu’il déroge à la loi. L’art. 50 de l’arrêté du 16 mai 1838 porte :

« L’avancement est distinct et séparé pour les officiers de l’état-major du génie et pour les officiers des troupes de cette arme. »

Aux termes de cette disposition, les officiers des sapeurs-mineurs ne pouvaient concourir avec les officiers du génie ; les positions acquises aux officiers du génie, sous l’empire de cet arrêté, basé sur une loi, ne peuvent donc pas être modifiées par un arrêté subséquent, à moins que l’article 124 de la Constitution ne soit une lettre morte. Ne vous imaginez pas, messieurs, que l’arrêté du 16 mai 1838 soit le seul acte qui ait réglé la position des officiers du génie ; l’arrêté du 1er juillet 1835 exigeait que, pour être promu au grade de sous-lieutenant du génie, on eût complété ses cours à l’école militaire et satisfait aux examens.

La loi du 16 juin 1836, art. 9, confirme cet état de choses ; elle n’admet la promotion des sous-officiers au grade d’officiers, qu’après examen, et cet examen est déterminé par les articles 11 à 17 de la loi du 18 mars 1838, sur l’école militaire. Ainsi, messieurs, la combinaison de la loi du 18 juillet 1838 avec ces lois et arrêtés, donne la preuve que les sous-officiers ne peuvent être revêtus du grade d’officiers qu’en subissant le même examen que les élèves de l’école militaire ; en d’autres termes, messieurs, que les conditions d’admissibilité à l’emploi ou grade, sont les mêmes pour tous ceux qui aspirent à entrer dans l’armée du génie ; c’est dans ce sens et en exécution de cette loi, qu’a été porté l’arrêté du 16 mai 1838 ; ainsi, messieurs, le législateur n’a voulu permettre d’appeler au grade d’officier du génie, que ceux qui justifieraient préalablement des connaissances reconnues nécessaires pour cette partie du service militaire. C’est là une condition dont il n’est pas permis de se départir.

Quelles sont maintenant les conséquences et le résultat de l’arrêté du 4 juin 1842 ? C’est que l’on a créé officiers du génie, des militaires qui n’avaient pas préalablement justifié, dans les formes déterminées, posséder les connaissances requises ; c’est que l’on a érigé en principe que la volonté ministérielle est plus forte que la loi, qu’il lui suffit de se manifester pour suppléer au défaut de connaissances exigées dans l’intérêt du service, ou tout au moins pour dispenser de faire la preuve que l’on possède ces connaissances. Si doit en être ainsi, à quoi bon déterminer les conditions requises pour devenir officier du génie, s’il est permis au gouvernement d’accorder des dispenses ? Que deviennent, en présence des actes du ministre, les garanties d’aptitude que vous avez stipulées dans les dispositions que l’on a soumises à votre sanction ?

Ce n’est pas tout encore : le système d’ancienneté, organisé par la loi du 16 juin 1836, est complètement anéanti ; le rang des officiers du génie n’est plus ce qu’il était avant l’inconcevable arrêté du 4 juin 1842 ; les officiers du génie peuvent être aujourd’hui primés par des officiers appartenant au corps des sapeurs-mineurs, et il y en a beaucoup dans ce cas. N’est-ce pas se jouer de la loi de 1836 que de décréter, par un simple arrêté, un système dont les résultats sont d’anéantir des positions dont l’existence est due à la loi dont le pacte social a garanti si solennellement la conservation.

Ce n’est pas tout, messieurs ; je n’ai encore envisagé l’arrêté du 4 juin 1842, qu’au point de vue de la légalité ; mais remarquez donc, en outre, que cet arrêté a attribué aux officiers des sapeurs mineurs une augmentation de traitement dont nul n’avait soupçonné la nécessité pendant toute la période qui s’est écoulée depuis notre révolution jusqu’à la conclusion du traité de paix avec la Hollande. Ainsi, lorsque la guerre était imminente, le gouvernement ne croyait pas à la nécessité de majorer le traitement de ces officiers ; la paix arrive : des charges très-lourdes, conséquence de cette paix, sont imposées à la Belgique, et comme corollaire, on augmente le traitement des officiers de l’un des corps de l’armée.

Remarquez encore, messieurs, que cette augmentation a lieu en 1842, contre le vœu formel que vous aviez manifesté en 1836. Alors le gouvernement avait porté le traitement des officiers des sapeurs mineurs au taux des traitements des officiers du génie et, avec raison, vous avez voulu ne l’accorder qu’à ceux d’entre eux qui étaient délégués à l’état-major.

La volonté ministérielle a voulu vous prouver qu’elle était au-dessus de la vôtre.

Inutilement donc M. le ministre de la guerre vient-il de nous dire que les chambres ne doivent pas faire de l’administration, que c’est là le fait du gouvernement ; qu’elles doivent se borner au contrôle des dépenses, car (page 1294) c’est là à quoi nous nous bornons en démontrant que le ministère a commis un excès de pouvoir en portant l’arrêté du 4 juin 1842.

J’ai voulu, messieurs, en renouvelant les observations faites à ce sujet en 1843, vous démontrer que la chambre doit se borner à priver de tous ses effets quelconques cet arrêté du 4 juin 1842, qu’elle ne peut admettre ni le système de cet arrêté, ni celui de la section centrale qui lui donne des effets momentanés, consacrait le privilège pour quelques-uns aux dépens des autres.

Ce n’est donc pas ainsi que j’avais entendu l’organisation de l'armée.

La Belgique doit sa neutralité aux grandes puissances européennes qui sauront la maintenir.

Venise, que l’on a citée, n’avait pas telle garantie ; nous ne portons ombrage à personne.

Je dirai avec l’honorable M. de Garcia. Pourquoi nous épuiser en efforts superflus, en dépenses inutiles, pour une défense garantie par l’état des choses : bornons-nous à être en mesure de pouvoir attendre les secours des nations, qui ont un intérêt au maintien de notre nationalité, contre la volonté desquelles nous ne pourrions pas résister.

La Belgique, puissance neutre aux termes des traités, n’est pas appelée à jouer un rôle actif dans ces querelles européennes ; elle doit se borner à la défense de sa neutralité ; ainsi point d’armée d’agression, donc une organisation militaire destinés à protéger la position qui lui a été faite, point d’armée qui ne soit en proportion avec ce système de neutralité et les finances du pays.

La grande majorité de la chambre a manifesté en 1843 sa volonté de voir réduire le chiffre de notre armée ; c’est dans cette intention qu’elle sollicitait alors M. le ministre de la guerre de lui présenter une loi d’organisation. Elle ne manquait pas de confiance en lui, elle était disposée à lui accorder provisoirement les fonds demandés au budget, mais elle entendait voir réduire l’armée, et son vote sur l’article 1er est une preuve incontestable.

On vous demande aujourd’hui pour l’armée un budget de 28,022,000 fr. et on vient vous dire que l’on ne peut plus descendre à un chiffre inférieur.

Mais rappelez-vous qu’en 1843, on vous demandait 29 ½ et à cause de la cherté des vivres et fourrages 30 millions. C’était là, disait le ministre, un budget normal dressé d’après les exigences les plus impérieuses du service et de notre position politique, dans les limites des ressources financières que l’on peut y consacrer.

D’autres économies, ajoutait le ministre, ne pourraient se réaliser, sans amener une désorganisation qui porterait atteinte aux prérogatives du Roi et serait compromettante pour l’avenir du pays.

J’en rends grâces à l’honorable ministre de la guerre actuel, il a su descendre à 28,022,000, ainsi de près de 1,500,000 fr., et cela n’amène ni désorganisation ni violation de droits. Le pays ne se trouve pas compromis.

Réduisons nos cadres, messieurs, à ceux nécessaires pour une armée de 50 à 60 mille hommes, qui sera plus que suffisante pour garantir notre neutralité, et vous verrez alors le budget de la guerre descendre à vingt-cinq millions, taux promis depuis 1831.

Ne vous trompez pas, messieurs, sur les besoins considérables que l’état de guerre vous occasionnerait et qui amèneraient à leur suite la ruine de la Belgique si elle voulait mettre sur pied une armée de 80 mille hommes.

Car, ne le perdez pas de vue, toutes les prétendues économies que l’on vous procure sur le budget de la guerre, ne sont dues qu’à la moindre quantité de soldats sous les armes, et à la suppression des approvisionnements que l’état de paix permet de négliger, et dont le besoin deviendra par suite beaucoup plus considérable et plus coûteux en cas de guerre.

Le vœu du pays demande une réduction notable dans les forces militaires, et le pays ne veut et ne peut pas vouloir une misérable économie de 267,844 fr. 50 centimes, au risque de démoraliser l’armée et de la désorganiser.

Que si la chambre décide que les cadres de 80,000 hommes doivent être maintenus, il faut, dans ce cas, être conséquents : adoptez également la proposition du gouvernement pour le nombre d’officiers supérieurs. Dans cette matière, l’économie est quelquefois fort dangereuse. L’état militaire est devenu aujourd’hui une carrière à peu près sans issue et sans avenir ; ne jetez pas plus de découragement qu’il n’y en a déjà, car vous courrez le risque de détourner des jeunes gens d’intelligence et d’avenir, d’embrasser une carrière où, dans le moment du danger, ils pourraient rendre des services signalés.

Je voterai, messieurs, pour toute proposition qui aura pour objet de réduire les cadres, mais je voterai contre toute proposition qui n’aura, à mon avis, d’autre résultat que d’affaiblir le moral de l’armée, sans économie notable pour le trésor.

Les officiers de l’armée ont des droits acquis ; j’entends qu’ils soient accordés ou qu’une indemnité convenable leur soit accordée. Vous avez satisfait à toutes vos obligations, envers les magistrats, envers les membres des corps administratifs, envers tous les employés de l’Etat ; la même justice appartient à l’armée, et son organisation doit être combinée avec les besoins du trésor, tout en respectant les droits acquis.

M. Pirson – Messieurs, l’organisation des forces militaires d’un pays est une question très-grave, si délicate, qui exige tant de prudence, tant de ménagement dans ses développements que ce n’est pas sans une timidité de ménagement et une grande défiance envers moi-même que je prends la parole dans cette discussion. Mais ma position personnelle m’ayant mis à même de m’identifier avec les besoins de l’armée, comme de connaître son de ses intérêts, qui sont aussi ceux du pays, je ne venais lui prêter le concours de mes faibles talents. A titre d’homme spécial, ayant pu acquérir déjà quelque expérience, j’ose espérer que vous voudrez bien accueillir les observations que je pourrai être dans le cas de présenter dans cette discussion, avec cette bienveillance que vous m’avez témoignée dans d’autres circonstances.

Tout d’abord, messieurs, qu’il me soit permis d’expliquer combien je suis heureux que tous mes honorables collègues de la section centrale se sont montrés animés des meilleures intentions envers l’armée ; j’aime à penser que ces sentiments de sympathie ne se sont pas modifiés ; et qu’au besoin ils se révéleront dans le cours de la discussion publique. Hier déjà, les honorables MM. Castiau et de Chimay nous ont donné une preuve de leur sympathie pour l’armée.

L’honorable prince de Chimay, dans un discours éminemment national, si patriotique, où il a reproduit tous les principaux faits d’armes auxquels se sont associés nos ancêtres et nos contemporains, discours dont je désirerais que M. le ministre de la guerre ordonnât l’impression, pour être distribué dans tous les régiments ; l’honorable prince de Chimay, dis-je, vous a exprimé le vif intérêt qu’il porte à l’armée. Cette sympathie, j’en ai la conviction, se trouve sur tous les bancs de notre chambre. Aussi, j’en nourris l’espoir, ceux d’entre vous qui ont voté contre le budget de la guerre en 1843 parce qu’à leur point de vue, il n’avait pas satisfait à l’art. 139 de la Constitution par la présentation d’une loi d’organisation de l’armée, ayant reçu aujourd’hui leurs apaisements, viendront se réunir à nous, et former cette majorité qui est nécessaire pour l’adoption d’un projet de loi qui intéresse si vivement l’existence politique d’un pays.

Le principe de l’utilité, de la nécessité d’une armée énergiquement organisée pour la défense de notre territoire et de notre indépendance, n’a pas été contesté dans le sein de votre section centrale. Ce principe y a été admis à l’unanimité. Si quelques dissentiments y ont éclaté, le désaccord s’est manifesté sur des questions d’application, sur des questions de fait, sur des questions d’appréciation, d’attributions. Mais que l’armée en soit bien convaincue, c’est un de ses membres qui le lui dit avec vérité, jamais, non jamais, ni son utilité, ni son dévouement n’y ont été révoqués un seul instant en doute.

Maintenant, messieurs, j’aborderai l’examen de la question principale qui a servi de base au travail de votre section centrale. Pénétré des nécessités que crée pour la Belgique sa position politique, et de la haute utilité d’une armée énergiquement organisée pour la défense de notre territoire et de notre indépendance, la première question que la section centrale s’est posée a été celle-ci : Quelle doit être la force de l’armée sur le pied de guerre ? Il lui a paru que, sans connaître la force de l’armée, il n’était guère possible de déterminer rationnellement quel pouvait être l’état-major de l’armée, et c’est pourquoi, dans son travail, elle s’est écartée de la marche suivie dans le projet du gouvernement. En effet, le contingent de guerre est le point de départ de l’organisation d’une armée. C’est sa base. C’est dans cette base que viennent se mouvoir et se fractionner les contingents que vous votez tous les ans.

Si cette base n’existait pas, si on le la déterminait pas, tout d’abord, je ne sais réellement pas comment vous pourriez procéder, car je ne sais pas comment on pourrait organiser les parties d’un tout, si ce tout n’était pas connu.

Je ne sais comment vous pourriez fixer le cadre des officiers généraux, le cadre des officiers de l’état-major, celui du service de santé, et celui du service de l’intendance, si cette base n’existait pas.

Quelle doit être la force de l’armée ? Telle est donc, messieurs, la question qui a été posée dans le sein de votre section centrale et sur laquelle j’exprimerai mon opinion.

Les considérations qui doivent déterminer cette force, reposent sur sa destination, sur notre position politique, sur les moyens de défense que présente le pays, sur notre population et sur nos ressources financières.

Les deux considérations que j’ai indiquées en premier lieu sont entièrement liées entre elles.

En effet, le traité qui a reconnu l’indépendance de la Belgique, ayant en même temps proclamé sa neutralité, la mission de l’armée doit être de défendre cette neutralité, en veillant au maintien de la nationalité.

Malgré les opinions contraires qui ont été présentées dans la séances d’hier par les honorables MM. Castiau et de Garcia, et dans celle d’aujourd’hui par l’honorable M. Lys, je n’en suis pas moins profondément convaincu qu’une armée de 80,000 hommes de bonnes troupes, commandées par des officiers instruits, imposera toujours à nos voisins et que la neutralité qui nous est garantie par les traités, ne peut nous préserver d’une guerre, qu’autant que cette neutralité aura pour appui constant une armée énergiquement organisée.

Cette condition me paraît d’autant plus nécessaire à remplir qu’en cas de guerre, la Belgique est, par sa position géographique, un point décisif à occuper, et qu’il ne sera respecté qu’autant qu’une force imposante puisse faire craindre que, par une violation du territoire, elle ne vienne s’ajouter à la partie belligérante adverse. Il est hors de doute que plus la Belgique rendra sa neutralité forte, plus elle assurera sa nationalité, réunissant ainsi plus de chances de se conserver dans le droit public européen, en d’autres termes, parmi les nations reconnues.

Située comme elle l’est entre les frontières françaises et le Rhin, le seul moyen, pour la Belgique, de ne plus devenir le champ de bataille de l’Europe, c’est de se reposer sur une bonne armée. Je m’explique. (page 1295) serait, d’une part, d’empêcher son envahissement par la France ; d’autre part, de prévenir la violation de sa neutralité par les ennemis de la France. Mais l’état militaire de la Belgique étant fortement constitué, couvrirait à la fois les frontières les plus vulnérables de la France et de l’Allemagne, et il y aurait intérêt réciproque pour ces Etats à ne pas se créer des difficultés pour conquérir et conserver un pays, servant à la fois de barrière et de garantie de sécurité aux deux parties belligérantes adverses.

Messieurs, le pays qui accepte une position de neutralité, ne peut pas, s’il se respecte, s’il veut être respecté, abandonner entièrement à d’autres le soin de ses intérêts et de sa défense. Pour prétendre au titre de nation, il faut, avant tout, avoir foi en soi-même ; car s’abandonner soi-même, c’est provoquer l’abandon des autres. Une armée, et une armée qui mérite ce nom, c’est la condition sine qua non de l’existence d’un pays. L’expérience et l’évidence des faits ont mis tous les hommes politiques d’accord sur ce point capital. D’ailleurs, le traité qui a reconnu notre indépendance, nous ayant imposé la condition de neutralité, nous a par cela même imposé le devoir de la défendre ; et pour y parvenir, nous avons besoin d’une armée d’autant plus nombreuse que notre frontière, dépourvue d’obstacles naturels est attaquable sur un plus grand nombre de points à la fois.

Messieurs, rappelons-nous 1814 et 1815. Qu’y a-t-il de plus pénible au monde que l’occupation militaire ? Qui ne sent tout ce qu’elle a de poignant pour l’homme attaché à ses foyers, qui a tout à la fois à souffrir comme citoyen et comme père de famille ? L’occupation militaire traîne toujours après elle des douleurs qui ne se rachètent point par de l’argent, et cependant ce sont des douleurs inévitables, qui attendent le pays dans l’avenir, s’il ne possède les moyens suffisants d’entretenir une bonne armée. En effet, en cas de guerre, si la France voit la Belgique hors d’état de résister quelque temps, elle doit s’en emparer immédiatement pour couvrir sa frontière du nord, son intérêt le lui commande ; si les ennemis de la France s’apercevaient que nous ne pouvons résister au moins quelque temps, ils devraient se hâter pour occuper au moins quelques-unes de nos forteresses, leur intérêt le leur commande aussi. La seule chance pour nous de prévenir l’occupation militaire, c’est donc que l’on sache que nous voulons et pouvons défendre la neutralité de manière à permettre à ceux qui la respecteront d’arriver assez à temps pour la secourir contre les agresseurs.

Et puis, messieurs, comme M. le ministre des affaires étrangères l’a dit à la séance d’hier, s’il est vrai qu’un traité peut être violé, c’est quelque chose aussi qu’un principe sur lequel tout le monde a été d’accord, et si nous remplissons fidèlement les obligations qui nous ont été imposées par l’acte du 19 avril 1831 , nous sommes en droit d’espérer que la même loyauté sera observée par les autres puissances signataires du traité. Il me paraît donc que, sous le rapport politique et en raison de la mission que l’armée doit remplir, il serait imprudent à la Belgique de se dessaisir des moyens militaires qu’elle possède.

Il me reste à examiner les trois autres considérations que j’ai également indiquées comme devant concourir à déterminer le chiffre de l’armée sur le pied de guerre ; c’est-à-dire les considérations qui se rapportent aux moyens naturels de défense que possède le pays, à notre population et à nos ressources financières.

Personne de vous ne l’ignore, messieurs, la Belgique, pays de plaine sillonné en tout sens de moyens de communications de toute espèce, n’est pas comme la Hollande, protégée par de grands fleuves et par un système complet d’inondation ; elle ne trouve pas non plus, comme le Piémont ou la Suisse, dans la configuration de son sol, des ressources qui peuvent au besoin tripler ou quadrupler ses forces. La Belgique, dépourvue de moyens de défense naturels, a donc besoin d’une armée d’autant plus nombreuse que la nature ne l’a dotée d’aucun obstacle à opposer à l’invasion.

Je n’occupe pas une position militaire assez élevée pour avoir la prétention de déterminer d’une manière absolue le chiffre auquel doit être portée notre armée sur le pied de guerre, pour satisfaire à toutes les exigences d’une bonne défense du pays.

Il me semble qu’à cet égard une grande latitude d’appréciation doit être laissée au chef de l’Etat qui, plus que personne, est intéressé à la conservation de l’intégrité du territoire, et dont la sollicitude éclairée, fortifiée de l’expérience des meilleurs officiers, présente des garanties que tous, messieurs, vous devez reconnaître.

Je me bornerai à faire remarquer que des hommes très-compétents dans la matière, et je citerai entre autres le général Desprez qui jouissait d’une réputation de capacité militaire si méritée, ont estimé que ce chiffre ne pouvait être inférieur à 80,000 hommes.

Je considère aussi ce chiffre de 80,000 hommes comme le minimum des forces qui nous sont nécessaires pour pourvoir à la défense du pays. Il faut que, tout en y comprenant le concours des gardes civiques, on puisse distraire de cette armée les garnisons nécessaires à la défense des places fortes, et qu’il reste encore assez de troupes pour pouvoir manœuvrer en s’appuyant sur ces places fortes.

Je pense dès lors que les cadres de notre armée doivent être organisés de manière à pouvoir incorporer 80 mille hommes, qu’il faut leur conserver une consistance suffisante sur le pied de paix, parce qu’à une époque surtout où tous les arts sont en progrès, la guerre non plus ne saurait se faire avec quelque chance de succès que par des hommes dressés de bonne heure au métier des armes et qui lui consacrent tout ce qu’ils ont d’énergie, de zèle et de dévouement.

Messieurs, dans la séance d’hier, M. le ministre de la guerre a examiné si ce chiffre de 80,000 hommes ne se trouvait pas trop élevé par rapport à la population du pays. Il vous a dit que, généralement, il avait été admis que le contingent de l’armée sur le pied de guerre pouvait être calculé à raison du cinquantième de la population. Si vous adoptez, pour le pied de guerre, le chiffre de 80,000 hommes, la population du pays étant de 4 millions 200 mille habitants, notre contingent ne sera que le 53e de la population ; ce chiffre n’est donc pas trop élevé.

Pour le pied de paix, M. le ministre de la guerre vous a dit encore que presque tous les publicistes et économistes s’accordent à dire que le contingent de l’armée permanente peut être portée au centième de la population, sans porter atteinte aux intérêts si dignes de sollicitude de l’agriculture, de l’industrie et du commerce.

L’expérience paraît avoir consacré ce principe. Dans la plupart des Etats d’Europe, il a servi approximativement de base à la fixation du chiffre de l’armée permanente, et la Belgique est loin d’avoir été jusque là. Considérant ce qui existe aujourd’hui, la Belgique, si elle adopte le chiffre de 80,000 hommes pour le pied de guerre, ramené à une moyenne de 30,000 hommes pour le pied de paix, restera au-dessous de toutes les puissances qui l’entourent ; car, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, sa population est de 4,200,000 âmes, et le rapport de 30,000 à 4,200,000 se trouve comme 1 est à 140.

Enfin, messieurs, la cinquième considération que j’ai également indiquée comme devant concourir à la fixation du chiffre de l’armée permanente, ce sont les ressources financières du pays. Pour arrêter mon opinion à cet égard, j’ai examiné quels étaient les revenus de toutes les puissances de l’Europe, et quelle part de leurs revenus ces puissances affectaient, en temps de paix, au service du département de la guerre. J’ai trouvé que cette part était comprise entre le quart et le tiers des revenus totaux. Eh bien, messieurs, pour pourvoir à la défense de notre territoire et de notre indépendance, que vous demande-t-on ? Sont-ce des sacrifices hors de proportion avec les ressources du pays, des sacrifices plus grands encore que ceux que s’imposent les autres puissances ? Du tout, les autres puissances consacrent, sur le pied de paix, le tiers ou le quart de leurs revenus aux dépenses du budget de la guerre ; on vous demande la même chose. Cependant la Belgique n’a pas comme ces puissances l’avantage d’une nationalité consacrée par le temps ; c’est au contraire un Etat jeune qui a besoin de se consolider, de s’affermir, et auquel des épreuves difficiles peuvent être réservés dans l’avenir.

Par suite des considérations que je viens de présenter contrairement à l’opinion de l’honorable M. de Garcia, j’estime donc que le chiffre de 80 mille hommes pour le pied de guerre est celui qui doit être admis ; c’est aussi celui qui a été adopté à l’unanimité par votre section centrale.

Quant à la décomposition de ce contingent dans les différentes armes, M. le ministre de la guerre, après avoir déduit deux mille hommes pour la gendarmerie, a réparti les 78 milles hommes restant comme suit :

61,000 hommes pour l’infanterie,

7,200 hommes pour la cavalerie,

8,200 hommes pour l’artillerie,

1,600 hommes pour le génie,

Total : 78,000 hommes

D’après cette répartition, la cavalerie se trouve être le 8e de l’infanterie, l’artillerie le 7e (et pour le corps d’armée en campagne de 3 bouches à feu par 1,000 hommes d’infanterie, et de 4 bouches à feu par 1,000 hommes de cavalerie) ; et le génie le trente-huitième de l’infanterie.

Cette répartition est conforme aux règles généralement admises. Voici ce que dit à propos de la proposition des différentes armes d’une armée, le major Fallot dans son cours d’art militaire, si estimé et qui a été traduit en plusieurs langues étrangères :

« Quant à la proportion des armes qui la composent (l’armée), elle varie suivant la nature du pays. On en peut se passer absolument d’aucune ; mais dans un pays de plaines, la cavalerie et l’artillerie seront plus nombreuses, relativement à l’infanterie, que dans un terrain très-accidenté, dans des chaînes de hautes montagnes, où ces armes peuvent rarement agir. On estime que la cavalerie doit être le quart de l’infanterie, lorsque le théâtre de la guerre est un pays ouvert, mais cette proportion diminue jusqu’au huitième ou au dixième, quand on prévoit devoir agir dans de hautes montagnes, ou n’avoir à combattre que des troupes venues d’outre-mer, et n’ayant, pour cela même, qu’une faible cavalerie, vu la difficulté de placer et de nourrir beaucoup de chevaux sur les vaisseaux. La proportion de l’artillerie est de 3 à 4 pièces de canon de bataille par 1,000 hommes, sans compter l’artillerie de siège, destinée à la défense de places fortes.

« Une remarque bien essentielle est, que lorsqu’un Etat compte pour sa défense sur le concours de ses levées extraordinaires, garde nationale, milice ou landsturm, l’armée permanente doit contenir de la cavalerie et de l’artillerie dans une proportion infiniment plus forte que celle indiquée, puisqu’il sera facile de renforcer promptement l’infanterie en y incorporant des hommes peu exercés, tandis qu’il faut un temps bien plus considérable pour former, non-seulement des cavaliers et des canonniers, mais les chevaux sans le concours desquels ces armes ne peuvent agir. Des cavaliers braves et exercés, montés sur des chevaux de remonte, auront un immense désavantage devant des hommes de qualité inférieure, montés sur des chevaux habitués aux manœuvres et à la fatigue. Quelques chevaux vicieux ou effrayés suffiront souvent pour occasionner la perte des pièces dans les rapides mouvements que l’artillerie sait à présent exécuter. Dans ces pays, par conséquent, on doit, même au sein de la paix, malgré la (page 1296) dépense, entretenir la cavalerie et l’artillerie telles que l’exigerait l’armée la plus forte qu’un pareil Etat compte pouvoir mettre sur pied.

« Les troupes du génie doivent être en rapport avec le nombre des places fortes, les sièges qu’on suppose avoir à soutenir ou à former : en France, elle également le quarantième de l’infanterie ; chez nous elles ne sont que le cinquantième, proportion trop faible, vu le grand nombre et l’importance de nos forteresses. »

Je vous ferai remarquer qu’à l’époque où ce volume a été écrit, en 1837 , les troupes du génie n’atteignaient que le cinquantième de notre infanterie ; mais depuis lors on en a augmenté le chiffre et on l’a porté au trente-huitième ; c’est qui est une proportion convenable. La décomposition du contingent, dans les différentes armes proposée par M. le ministre de la guerre ayant paru à votre section centrale satisfaire aux conditions qu’imposait la constitution topographique du pays, elle l’a adoptée comme base de son travail.

Avant de terminer, messieurs, sans vouloir entreprendre de suivre l’honorable députe de Tournay dans tous les développements dans lesquels il est entré hier, à l’appui de son système, je crois cependant utile de combattre une des considérations qu’il a présentées, c’est-à-dire celle qui a rapport à la garde civique.

L’honorable membre vous a dit qu’on aurait pu organiser la garde civique de manière à ce qu’elle pût au besoin rendre les mêmes services que l’armée permanente. Cette opinion, je ne la partage pas ; je ne crois pas même qu’elle soit susceptible de résister à un examen sérieux. En tout cas un pareil système n’aurait pas pour résultat de procurer des économies aux contribuables ni de soulager la population sous le rapport du service militaire. Bien au contraire ; il serait très impopulaire en Belgique ; et il présenterait dans son application des difficultés qui me paraissent insurmontables.

En effet, messieurs, pour qu’une garde civique pût, à l’instar de la landwehr prussienne, suppléer au besoin à l’armée régulière, il faudrait qu’elle fût habillée, équipée et armée, exercée et manœuvrée, et constituée avec des cadres en état de l’instruire, et de former son éducation militaire.

J’indiquerai d’une manière très-sommaire les principales difficultés pratiques que rencontrerait un pareil système, sous le rapport de l’habillement et de l’équipement, de l’entretien de l’armement, des lieux de rassemblement, des époques de rassemblement et de la constitution des cadres.

Sous le rapport de l’habillement et de l’équipement. Qui payerait les frais d’habillement et d’équipement. Serait-ce l’Etat ? Seraient-ce les provinces ? Seraient-ce les communes ? Vous pourrez bien dégrever le trésor public, en décrétant, dans la loi à intervenir, que tous les frais d’habillement et d’équipement seront supportés par les communes, comme je l’ai remarqué dans le projet que vient de nous présenter Monsieur le ministre de l'intérieur, mais les dépenses à faire de ce chef n’en subsisteraient pas moins ; et qu’importe au contribuable de payer au nom de l’Etat ou au nom de la commune ?

En définitive, ce sera toujours lui qui devra payer, je ne crois pas qu’il trouve plus d’économie à habiller et équiper la garde civile, qu’à habiller et équiper la troupe de ligne.

Sur le rapport de l’entretien de l’armement, abandonnerez-vous ses armes à la garde civiques ? Dans d’affirmation, surtout dans les campagnes, je doute fort qu’elles soient convenablement entretenues et qu’elles ne soient promptement détériorées. Dans les régiments, ce n’est déjà que par une surveillance active, journalière et incessante que l’on parvient à les conserver en bon état. Dans la négative, serait-il sans inconvénients et sans dangers d’établir des dépôts d’armes dans un trop grand nombre de localités ? Car je ne suppose pas, messieurs, que lors des prises d’armes ou des rassemblements vous vouliez obliger les gardes civiques des campagnes à aller au loin quérir leur armement dans les arsenaux de l’Etat.

Sur le rapport des lieux de rassemblement. Le projet du gouvernement se tait à cet égard ; je le conçois, car ce point présente de très-grandes difficultés. Cependant pour qu’une garde civique puisse suppléer à l’armée permanente, il ne suffit pas qu’elle connaisse le maniement des armes, il faut encore qu’elle soit exercée et manœuvrée, car en présence de l’ennemi, comment manœuvrer des masses d’hommes, si ces masses ne sont pas initiées aux combinaisons des mouvements, combinaisons dont l’exécution ponctuelle peut seule procurer la victoire. La bataille de l’Isly qui a eu lieu, il y a peu de temps, est là encore pour confirmer ce que j’avance. Où se feront donc les rassemblements ?

Sera-ce dans les chefs-lieux de province, d’arrondissement ou de canton ? En tout cas, ces rassemblements ne seront-ils pas onéreux ? ne faudra-t-il pas payer une solde à cette garde civile mobilisée ? Les contingents seront-ils égaux ? ne faudra-t-il pas pour l’instruction faire refluer des hommes d’un canton ou d’un arrondissement dans un autre ? ne faudra-il pas réunir des moyens de subsistance et préparer le casernement. Ou bien imposera-t-on aux habitants la charge des logements militaires, qui, on peut le dire, seront d’autant plus désagréables à supporter qu’il faudra admettre au foyer de la famille des soldats moins disciplinés, et dans la force de l’âge et des passions.

Sous le rapport de l’époque des rassemblements. Vous le savez, messieurs, l’hiver ne se prête pas à la pratique des exercices militaires. Ce n’est qu’en été ou en automne que les rassemblement pourront avoir lieu. Eh bien ! c’est à cette époque de l’année que les travaux agricoles, les professions manuelles, telles que charpentiers, maçons, ardoisiers, menuisiers, réclament le plus de bras. Il faudra donc que les laboureurs quittent leurs champs, les ouvriers et les jeunes gens des villes, leurs ateliers, leurs boutiques et leurs comptoirs ; que les notaires, les avocats, les professeurs, les industriels, les artisans, les médecins, les propriétaires, les fonctionnaires s’affublent du mousquet pour aller se livrer à la pratique des exercices militaires ? Avec nos institutions politiques, avec le caractère de nos habitants, je n’hésite pas à le dire, je doute très-fort que vous puissiez obtenir ce résultat. En tout cas, l’industrie, le commerce, l’agriculture souffriraient considérablement de ce système, qui serait en outre nuisible aux arts, aux sciences, à l’instruction , aux institutions publiques.

Sous le rapport de la formation de cadres. Comment constitueriez-vous les cadres de cette garde civique ? la Constitution exige que, dans la garde civique tous les grades jusqu’à celui de capitaine inclus soient donnés par élection. Quelle pratique de l’instruction, autre que celle du maniement d’armes, acquerront ces cadres qui n’exerceront que quelques semaines par année ? Ou bien, si vous trouvez un moyen de recourir aux cadres de l’armée, ne faudra-t-il pas les augmenter dans une juste proportion et ne faudra-t-il pas les solder ?

Messieurs, quand on veut changer de système, il ne suffit pas qu’en théorie il paraisse le meilleur, il faut encore l’examiner au point de vue pratique. Eh bien, je suis intiment convaincu qu’une loi qui aurait pour objet de diminuer le chiffre de l’armée, afin de lui substituer la garde civique, contrarierait plus les goûts, les habitudes et les mœurs de la nation et nuirait plus à la totalité des intérêts du pays que le régime actuel.

Je n’ignore pas, messieurs, que dans les pays absolus, qu’en Prusse, par exemple, la réserve ou la garde civique appelée Landwehr a été instituée de manière à rendre les mêmes services que l’armée permanente. Mais, en Prusse, toute l’organisation sociale est subordonnée à l’intérêt militaire. En Prusse, tout le monde est obligé de servir dans la Landwehr jusqu’à l’âge de 50 ans. L’obligation de servir dans la Landwehr y est permanente, et l’on peut dire sans exagération qu’en Prusse, l’armée permanente, c’est toute la partie valide de la nation. Pourrait-on obtenir le même résultat en Belgique ? Voudriez-vous, comme en Prusse, disposer de plus de la moitié des revenus du trésor, pour l’entretien de votre état militaire ? Par cela même qu’il n’y a nulle similitude entre les mœurs et les institutions des deux pays, par cela même, il y a impossibilité de fonder l’organisation militaire sur la même base et les mêmes principes.

Messieurs, l’organisation militaire d’une nation doit être en harmonie avec ses institutions politiques et appropriée au caractère et aux mœurs de ses habitants.

Cette considération a toujours été le point de départ de tous les hommes politiques et de toutes les supériorités militaires qui se sont occupés de l’organisation des armées. De là vient qu’en Russie, qu’en Autriche, qu’en Prusse, qu’en France, qu’en Espagne, qu’en Angleterre, les organisations militaires sont dissemblables. Il ne faut donc pas trop se préoccuper de ce qui se fait en Prusse et dans les Etats allemands, car de même qu’il n’y a aucune analogie entre leurs institutions et les nôtres, on ne peut songer à adopter leur système.

Messieurs, c’est parce que j’ai foi dans cette maxime d’un publiciste distingué que les lois qui ne sont pas conformes aux habitudes et aux affections des peuples, sont des paroles et rien de plus ;

C’est parce que, sans méconnaître les services que pourrait rendre en temps de guerre la garde civique pour la défense des forteresses, je pense qu’une garde civique active, soumise à des réunions et à des exercices périodiques, exigerait des dépenses considérables, et aurait pour effet une aggravation de la loi du recrutement.

C’est parce que, sans avantage pour les contribuables, on porterait atteinte aux intérêts de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, en distrayant tous les ans de leurs travaux, les laboureurs et les artisans des villes et des campagnes.

C’est parce qu’un pareil système serait bien plus coûteux, bien moins sûr et bien plus vexatoire, qu’il ne me paraît pas possible d’admettre en Belgique un système d’organisation militaire, dans lequel la garde civique soit amenée à remplir un rôle actif.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, depuis que je siège dans cette enceinte, toujours je me suis prononcé en faveur d’une armée fortement constituée, parce que je l’envisageais comme l’une des bases indispensables de notre existence nationale. J’ai donc été presque malgré moi, dans cette circonstance importante, entraîné à dire mon opinion sur le projet de loi, bien que mes études aient été dirigées d’un tout autre côté depuis 2 ans.

Après le traité de paix de 1839, la législature espéra, que la transition inévitable du pied de guerre au pied de pais diminuerait les charges des contribuables.

Le gouvernement, il faut le dire, met peu de bonne volonté à exécuter cette mesure ; et je me rappelle fort bien que, loin de réduire l’état-major, il augmenta le nombre des généraux de brigades, qu’il porta de 16 à 18 ; il eut recours ensuite à divers moyens pour l’éviter.

La chambre alors mis le gouvernement en demeure de l’exécution en se refusant à toute discussion du budget de la guerre ; jusqu’après l’adoption d’une loi sur l’organisation de l’armée.

J’ai été un de ceux qui ont appuyé cette demande d’organisation, et je désire vous en dire les motifs. J’avais cru voir peu d'empressement à amener des économies, très-compatibles avec l’organisation sur pied de paix ; j’avais remarqué peu de zèle, peu de bonne volonté pour rendre l’armée réellement forte et puissance pour la défense du pays. L’infanterie, la base de toute armée, était très-négligée, oubliée ; la force des compagnies était réduite à un effectif tellement insignifiant, qu’un bataillon osait à peine se produire en public.

On élevait des gardes élevés, et on y maintenait des hommes incapables (page 1297) de rendre des services, des hommes qui n’inspiraient aucune confiance à leurs subordonnés.

Les grades avaient l’air de n’être faits que pour des hommes, tandis qu’ils ne sont faits que pour le service du pays.

J’espérais tout de l’organisation, dont parle la Constitution.

Un projet de loi paraît enfin ; il est intitulé Projet d’organisation de l'armée. Je vous avouerai, messieurs, que ce projet de loi ne me satisfait que médiocrement, car je le demande à M. le ministre de la guerre, l’armée serait-elle plus fortement organisée, après que ce projet aura été transformé en loi ? la défense du pays serait-elle mieux assurée ? je ne le pense pas. Car que nous demande-t-on ? c’est tout simplement de consacrer par une loi permanente, ce qui existe au nom de la loi annuelle du budget, ce qu’on nous demande, c’est un vote de confiance, car il tend à fixer une organisation dont la chambre est peu à même de saisir les motifs et les détails.

Je ne vois qu’un seul avantage dans l’adoption de ce projet de loi, c’est un effet moral pour l’armée qui, bien à tort selon moi, se méfie de notre bonne volonté pour son existence, car la chambre a-t-elle jamais refusé ce qui était nécessaire à son existence ?

Les lois qui la consacraient n’ont-elles pas toujours été votées à une grande majorité ?

Au reste, puisque l’armée tient à ce gage, je le lui donnerai de grand cœur, et je suis persuadé que la grande majorité de cette chambre sera de mon avis.

Mais il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, quand nous aurons voté la loi que nous discutons, et qui fixe les cadres existants, nous aurons à examiner des questions beaucoup plus intéressantes pour constituer nos forces défensives ; et je pense même qu’il eût été plus rationnel de les examiner avant le projet en discussion ; les questions auxquelles je fais allusion concernent l’époque du tirage au sort des miliciens, la durée du service, et la base du contingent, une loi de recrutement en un mot.

J’entends parler encore de ce projet de modifications au code pénal militaire, qui tend à faire sortir de l’atmosphère infecte des prisons plus de mille hommes qui y perdent leur honneur, leur moral, et cela aux dépens des contribuables ; et je forme le vœu que la chambre ne se sépare pas sans avoir discuté et voté ce projet de loi important, car il y aurait réellement conscience à perpétuer cet état de choses pendant un an, quand avec un peu de bonne volonté on pourrait y mettre fin. Je demanderai donc à l’honorable M. Malou quand il sera à même de déposer son rapport.

Je viens de parler de la nécessité d’une loi qui fixe la durée du service ; ces paroles m’amènent à attirer votre attention sur une question très-grave.

La durée obligatoire du service est pour le moment, par suite d’une loi transitoire votée après le traité de paix de 1839 de huit années ; il est probable que cette disposition sera maintenue, car si vous adoptez le projet qui fixe le cadre, la loi dite d’organisation, vous aurez implicitement résolu cette question ; en effet, le cadre présupposant une armée de 80,000 hommes sur pied de guerre, et le pays ne pouvant guère produire des levées annuelles de plus de 10,000 hommes, il faudra bien fixer le temps, pendant lequel l’homme est disponible pour le service militaire, à huit années.

Je pars donc de l’hypothèse que le service exigible restera fixé à huit ans. Mais en temps de paix, les miliciens sont loin de servir huit ans. Dans l’infanterie on les retient un an, ce qui, selon moi, est trop peu ; dans la cavalerie et l’artillerie, on les retient environ trois ans, si je ne me trompe. Eh bien, où est la loi qui fixe ce temps de service réel ? Il n’y en a pas, on ne nous en propose même pas ; et le pouvoir exorbitant de retenir les hommes plus ou moins longtemps en service, loin de leurs familles, n’est pas même réglé par un arrêté royal ; ce pouvoir est abandonné au ministre de la guerre !

Ce pouvoir est exorbitant dans l’intérêt des personnes ; mais, je le déclare, je le trouve tout aussi exorbitant dans l’intérêt du pays.

Je sais fort bien que l’honorable ministre de la guerre mérite toute notre confiance. Mais enfin les hommes passent, et ce qui n’est pas un abus sous un ministre, peut le devenir sous un autre.

Ne vous rappelez-vous pas, messieurs, que l’on disait en 1831 au congrès, que le pays pouvait disposer pour sa défense de 60,000 hommes ? Et quand il s’agit, ensuite, d’y avoir recours au mois d’août, à peine 30,000 hommes furent-ils disponibles. Sous le régime actuel, il dépend donc du ministre de la guerre de réduire l’effectif de nos bataillons et de nos escadrons à un chiffre insignifiant ; et c’est ce qui est encore arrivé pour l’infanterie, il y a quelques années ; on aurait alors fait voyager l’effectif d’une compagnie dans une diligence, et voici ce qui devint le produit des économies qui résultèrent de cette mesure : il servit à construire les baraques du camp de Beverloo, qui, soit dit en passant, sont dans le plus pitoyable état.

Je pense donc, messieurs, qu’il faudra qu’une mesure soit adoptée pour mettre fin à cet état de choses.

Si l’adoption du projet en discussion nous laisse encore à discuter les projets de loi qui constituent le plus réellement l’organisation de l'armée, M. le ministre de la guerre aura, de son côté, à s’occuper de mesures intérieures d’ordre d’une grande importance ?

C’était, je pense, en 1837 ; mon honorable ami, M. Brabant, fit ressortir l’insuffisance des règlements du service intérieur hollandais, dont grand nombre de dispositions ne sont plus applicables, et qui sont encore en vigueur en Belgique. Je réclamai aussi la promulgation de nouveaux règlements ; les ministres de la guerre qui se sont succédé n’ont pu que nous faire des promesses, car le besoin de règlements nouveaux est positif ; eh bien, qu’à-t-on fait pour y satisfaire ? On n’a rien fait, tandis que les projets de règlements dirigés par des commissions, dorment dans les cartons du ministère depuis nombre d’années.

Il est temps cependant que des règlements appropriés aux besoins de l’armée, viennent régler son service intérieur, définir les attributions attachées aux divers grades, les devoirs à remplir envers les chefs, les rapports entre ceux qui composent cette grande unité qu’on appelle l’armée. Ce qui le prouve, c’est que M. le ministre de la guerre s’est vu obligé de provoquer un arrêté royal spécial pour définir les attributions des lieutenants-colonels, dont la position paraît menacée par la section centrale. Ces règlements ont une influence immense sur la discipline, sur l’instruction, sur l’esprit de corps, sur la tenue, et je dirai même sur l’attrait que devrait inspirer le service de son pays. De bons règlements indiqueraient aux officiers un service plus attrayant que celui qui se borne, paraît-il, aujourd’hui, à vérifier la propreté des havres-sacs et des gamelles.

De bons règlements inspireraient aux officiers ce qu’ils ont à faire pour faire respecter la discipline sans ces formules grossières, qui semblent devoir assaisonner trop souvent le commandement.

Il paraît que c’est un usage que l’armée hollandaise à légué à l’armée belge. Voulez-vous savoir ce qu’ont répondu aux autorités françaises les soldats belges si nombreux qui, fatigués de traîner le sabre en garnison, désertent l’armée pour aller se battre en Algérie ? Ils répondent aux généraux qui leur demandent pourquoi ils désertent : qu’ils sont bien vêtus, bien nourris, mais que leurs chefs les traitent avec dureté, avec manque d’égards.

Messieurs, quand on a à côté de soi un modèle aussi admirable que l’ordonnance sur le service intérieur de l’armée française de 1833, je dis qu’il est impardonnable de laisser pour régle de conduite à l’armée belge, depuis 10 ans, les pitoyables règlements hollandais de 1814.

Voici les considérants de l’ordonnance française du 2 novembre 1833 ; ils nous sont tout à fait applicables ;

« Louis-Philippe, etc.

« Vu l’ordonnance du 13 mai 1818 sur le service intérieur ;

« Considérant les changements apportés depuis cette ordonnance dans l’organisation, le service, l’instruction, la tenue et l’administration intérieure des régiments ;

Voulant, d’ailleurs, établir des principes qui concilient de plus en plus les intérêts du service, la dignité des officiers, la considération due aux sous-officiers, et le bien être du soldat. »

Je ne résiste pas à vous citer un extrait de l’article qui concerne les principes généraux de la subordination.

« Si l’intérêt du service demande que la discipline soit ferme, il veut en même temps qu’elle soit paternelle ; toute rigueur qui n’est pas de nécessité, toute punition qui n’est pas déterminée par le règlement ou que ferait prononcer un sentiment autre que celui du devoir, tout acte, tout geste, tout propos outrageant d’un supérieur envers son subordonné, sont sévèrement interdits. Les membres de la hiérarchie militaire, à quelque degré qu’ils y soient placés, doivent traiter leurs inférieurs avec bonté, être pour eux, des guides bienveillants, leur porter tout l’intérêt, et avoir envers eux tous les égards dus à des hommes dont la valeur et le dévouement procurent leurs succès et préparent leur gloire. »

Voici le commandement de l’article 328 concernant les punitions :

« Sont réputés fautes contre la discipline et punis comme telles, suivant leur gravité :

« De la part du supérieur, tout propos injurieux, toute voie de fait envers un subordonné, toute punition injustement infligée ;

« De la part de l’inférieur, tout murmure, mauvais propos ou défaut d’obéissance, quelque raison qu’il croie avoir à se plaindre, l’infraction de punitions, l’ivresse, pour peu qu’elle trouble l’ordre public ou militaire, le dérangement de conduite, les dettes, les querelles entre militaires ou avec des citoyens, le manque aux appels… »

Ce sont là des principes que je voudrais voir inscrits en tête des règlements intérieurs de l’armée belge.

J’espère que M. le ministre de la guerre prendra ses observations en considération ; j’espère qu’il en comprendra l’importance. Il nous demande de régler le cadre, de le fixer d’une manière conforme aux besoins de la défense du pays ; je répondrai à son appel ; mais je me crois quelques droits à lui demander à mon tour de régler le service, de le régler d’une manière stable et uniforme avec la sanction royale.

J’ai peu de choses à dire, concernant les garanties que nous offre la neutralité, qui est une des conditions de notre existence, après les paroles prononcées dans la séance d’hier et d’avant-hier.

Un homme d’Etat a dit récemment à la chambre des députés que la Belgique était la clef de la paix ou de la guerre en Europe ; la garde de cette importante position géographique nous est confiée ; nous devons à l’Europe de l’occuper d’une manière sérieuse et forte ; si elle ne l’était pas, elle serait un objet d’inquiétude, une occasion de dangers pour ceux qui veulent le plus sérieusement l’indépendance belge.

Nous saurons nous montrer capables de l’occuper et de la défendre au besoin.

Je dirai, en terminant, un mot des forteresses.

Contrairement à ce qui a été dit par un honorable membre, je pense que la section centrale a fort bien fait de ne pas traiter la question des forteresses dans son rapport, l’intérêt de la défense du pays exige cette réserve.

Il est possible qu’il existe des forteresses ; dont la démolition pourrait s’effectuer sans dangers mais pour faire ce choix, tout en tenant compte (page 1298) des intérêts de notre défense et de l’honneur du pays, il faut écarter l’intervention étrangère et, quant à moi, j’ai été entièrement satisfait, j’ai reçu tous mes apaisements en entendant la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères, au début de cette discussion, qui nous a dit qu’aucun traité relatif à la démolition des forteresses ne serait exécuté sans notre consentement. Or, comme j’ai confiance dans le patriotisme de la législature, je n’ai pour le moment rien à demander de plus au gouvernement, et j’approuve la réserve qu’il a mise dans cette question délicate.

M. Beuckers, commissaire du Roi – J’ai mission d’ajouter quelques observations aux développements que M. le ministre vous a donnés dans le but de justifier la forme et le cadre du projet de loi. Ces observations vous présenteront la question sous un point de vue plus étroit ; mais elles auront peut-être le mérite de caractériser la situation sous l’influence de laquelle le projet a été conçu et nous est présenté ; situation dont il me semble que les honorables membres qui ont attaqué le projet n’ont pas suffisamment tenu compte.

Depuis dix ans bientôt, on a vu dans cette enceinte à chaque discussion du budget de la guerre, à propos de tous projets de loi intéressant l’armée, se renouveler des réclamations pressantes, les instances les plus vives, pour obtenir que le gouvernement soumît à la législature une loi d’organisation militaire. L’opinion de la chambre était à cet égard tellement bien arrêtée que les dissidences qui existaient sur cet objet ont été sinon la cause unique, du moins le motif déterminant le rejet du budget de la guerre de 1843 et de la retraire de l’honorable général de Liem.

Voici, messieurs, quel était, du reste, le fond de ces dissidences ? Le général Evain qui a été, je pense, le premier ministre qui ait eu l’occasion de s’expliquer sur cet objet, et tous ses successeurs depuis, ont soutenu que l’article 139 de la Constitution, en prescrivant de pourvoir par des lois séparées et dans un bref délai à l’organisation de l’armée, aux lois sur les droits la retraite et sur les codes militaires, n’entendait désigner par ce mot organisation que l’ensemble des objets concernant l’organisation de l'armée, dont le règlement par voie législative était explicitement et nominativement prescrit par certains articles de la Constitution, savoir les lois concernant les droit des militaires que vous avez votées en 1836 et 1838 et la loi sur le recrutement.

Cette thèse est soutenue in extenso dans une note dont le contenu ne peut avoir échappé au souvenir des membres de la chambre, et qui fait partie du document en réponse aux observations de la section centrale sur le budget de la guerre de 1843. Eh bien, cette opinion du gouvernement n’a pas trouvé faveur auprès de la législature ; le vote de 1843 et les discussions qui l’ont précédé ont prouvé suffisamment que la chambre exigeait quelque chose au delà des lois sur le recrutement et des autres lois que j’ai rappelées.

Dans cette situation, en présence de l’opinion de la chambre, à qui appartient, d’après la Constitution même le droit d’interprétation des dispositions constitutionnelles, le gouvernement a eu à examiner a priori quelles sont les matières qui peuvent faire l’objet de cette loi spéciale demandée au nom de l’art. 139 de la Constitution. En procédant à cet examen, on ne tarde pas à reconnaître que si l’on veut rester dans les limites fixées par les articles 66 et 68 de la Constitution, si l’on veut ne comprendre dans la loi que les objets qu’un intérêt public d’une certaine valeur peut engager à y placer, et sur lesquels la prérogative de la chambre peut s’exercer à son tour d’une manière utile. Si l’on veut enfin laisser à l’action administrative assez de jeu pour qu’elle puisse fonctionner sans secousse ; et en agissant ainsi, on satisfait aux conditions obligées du problème telles que les posait l’honorable M. Devaux, quand, dans la discussion de 1843, il nous disait : « Je désire, quant à moi, qu’il soit possible, en respectant la prérogative du gouvernement et en lui laissant la latitude nécessaire pour faire face aux événements, de faire ici une loi sur l’organisation de l'armée. »

« Si, dis-je, toutes ces limites doivent être respectées, ce qui paraît peu contestable, la fixation du cadre d’officiers se présente tout naturellement comme l’objet de la loi que la chambre exige.

Sur ce point, le gouvernement se rencontre avec les opinions émises sur ce point par un grand nombre de membres de la chambre ; tous s’accordent en ceci qu’ils présentent la fixation des cadres, les uns comme l’objet unique, les autres comme l’objet principal de la loi d’organisation.

Dans la discussion de la loi sur l’avancement, l’honorable M. Desmaisières exprime le regret qu’une loi d’organisation n’ait pas précédé le vote de la loi alors en discussion, afin disait-il, d’être sûr de ne pas sortir des limites tracés par les lois constitutives des cadres de l’armée.

L’honorable M. de Brouckère s’exprimait comme suit lors de la discussion du budget de l’armée de 1838. Faut-il que la loi règle l’organisation de l'armée, en ce sens que cette loi établisse combien il y aura de généraux de division, de généraux de brigade, de colonels, de majors, d’officiers de tout grade ?

Dans le rapport sur le budget de la guerre pour l’exercice 1841, la fixation des cadres est également indiquée, un des objets essentiels de la loi d’organisation.

Je pourrais multiplier ces citations ; mais pour ne pas abuser des moments de la chambre, je crois pouvoir m’en rapporter à vos souvenirs.

Il y a plus d’ailleurs, on pourrait soutenir jusqu’à un certain point, qu’il y a de la part de la chambre une adhésion formelle à la circonscription de la loi. A la fin de la discussion du budget de la guerre de 1843, Monsieur le ministre de l'intérieur s’est positivement expliqué sur la manière dont le gouvernement entendait ce mot organisation.

« Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, vous disait Monsieur le ministre de l'intérieur, il est bon qu’on sache dès à présent ce qu’il faut entende par une organisation de l'armée. Faut-il entendre une organisation dans ses moindres détails ? Veut-on, par exemple, une organisation semblable à celle qui résultait, en France, de la loi du 23 fructidor an VII, où tous les détails de l’armée étaient déterminés d’une manière permanente ? Evidemment non ; le gouvernement ne peut pas prendre l’engagement de vous apporter une loi de ce genre, l’armée deviendrait complètement stationnaire ; ce serait voter comme loi les développements du budget et annihiler toutes les prérogatives .

M. Castiau – Mais la loi fait tout cela.

M. Beuckers, commissaire du Roi – Non messieurs ; et pour vous en convaincre, je me permettrai de vous rappeler le contenu des lois de fructidor an VII. La première, celle du 23, fixe pour l’an VIII, la composition de l’armée dans tous ses détails, et fixe la solde pour tous les grades, à partir du ministère de la guerre.

Celle du 26 fructidor, qui appartient au même système, règle le rétablissement des masses divisées en abonnements, à raison de tant par homme, sous les dénominations de masses de boulangerie, de fourrages, des étapes, du chauffage, du logement, des hôpitaux, de l’habillement, de l’entretien et des remontes.

Suivent d’autres lois encore, concernant le matériel, les fournitures, les travaux militaires, etc., dont je vous épargne le détail ; ce qui précède pouvant suffire pour prouver que Monsieur le ministre de l'intérieur avait raison de dire qu’en votant d’une manière permanente une loi semblable à celle de fructidor an VII, vous immobilisiez tous les détails du budget. Et la raison en est fort simple, c’est que les lois de fructidor n’étaient autre chose que le budget de l’an VIII.

Un membre – Mais pourquoi nous renvoyer à un budget ?

M. Beuckers, commissaire du Roi – Evidemment, messieurs, en citant les lois de l’an VII pour exemple, on désignait les matières qu’elles contiennent et non leur caractère spécial ; et, à mon tour, j’ai raison de prétendre qu’on ne peut rien conclure de ceci contre le projet de loi, ou qu’il n’y a pas la moindre analogie entre ces dispositions et les lois de l’an VII.

Si l’on entend, au contraire, par organisation de l’armée, une loi qui décréterait certains principes généraux ou cadres généraux, il y aura moyen de nous entendre, puisque je cite des précédents que nous offre le gouvernement français ; ce serait une loi qui se rapprocherait plus ou moins de celle du 4 août 1839, et nous croyons que, sans sortir des limites de la prérogative royale, une loi de ce genre n’est pas impossible.

Cette déclaration si expresse, messieurs, a été acceptée sans objections par la chambre, bien que toutes les dissidences fussent appelées à se manifester. Le caractère de la loi a été depuis lors nettement défini ; le paragraphe du programme ministériel qui a été rappelé dans la discussion n’exige point d’interprétation. L’engagement que prenait le ministre, successeur du général de Liem, était positif et explicite.

Et remarquons, messieurs, qu’à cet égard même Monsieur le ministre de l'intérieur nous a dit, ailleurs, qu’il faisait la déclaration qui précède avant que le ministre qui recueillerait la succession du général de Liem sût à quoi il s’engageait. C’est en acquit de cet engagement que le projet de loi que vous examinez en ce moment vous est présenté, loi toute spéciale et qui ne pouvait être différente de ce qu’elle est. Du reste, tout en restant dans la pensée de cette déclaration ministérielle, le gouvernement l’a exécutée dans le sens le plus large, car la loi française de 1839 ne fixe que le cadre des officiers généraux et la loi qui vous est soumise arrête ceux de tous les grades indistinctement.

Les engagements qui ont été produits contre la fixation des cadres, font donc, messieurs, le procès à ce qu’on pourrait appeler une décision prise, à une convention au moins implicite entre la chambre et le gouvernement.

Le plus décisif de ces engagements, sur lequel on a insisté le plus, c’est que la loi enchaîne dorénavant la prérogative de la chambre, en ce qui concerne le vote du contingent et celui du budget.

Les considérations présentées par Monsieur le ministre de l'intérieur dans la séance précédente, ont pu vous rassurer à cet égard ; mais il est à remarquer de plus que les rapports obligés qu’on a supposés exister entre la fixation des cadres et le contingent n’existent pas, du moins dans le sens qu’on leur a attribué.

Il est vrai, que, pour déterminer, les limites des cadres à conserver en temps de paix, on a dû prendre pour base un effectif du pied de guerre ; mais le contingent que vous votez annuellement ne dépend pas du cadre des officiers.

Et ce qui le prouve, c’est que le chiffre du contingent a souvent varié sans que le cadre ait subi des variations ; la seule différence qui a pu en résulter, c’est que, d’après les besoins du moment, les cadres ont été plus ou moins remplis.

Le même argument a pris une autre forme aujourd’hui. On vous a dit que le vote de loi vous engageait en ce qui concerne la loi de recrutement. Mais, messieurs, permettez-moi de vous faire remarquer que dans tout état de questions la loi de recrutement doit reposer sur une base qui est la fixation de l’effectif de l’armée, que cette loi devait avoir pour effet d’alimenter.

Eh bien, cette base vous est fournie par la loi que vous discutez aujourd’hui, et à ce titre on peut soutenir avec raison que cette loi devait nécessairement précéder celle du recrutement.

Il ne faut pas non plus que de ce côté on craigne quelque surprise. La loi de recrutement qui fonctionne actuellement, est déjà depuis plusieurs années (page 1299) appliquée à un effectif de 80,000 hommes. Les effets du système sont donc déjà connus et appréciés dès aujourd’hui.

Non, messieurs, loin de vouloir abdiquer ou restreindre sa prérogative en exigeant une loi constitutive des cadres, la chambre a voulu augmenter les moyens de contrôle, en limitant le droit que le gouvernement avait dans l’absence de la loi, d’étendre les cadres à volonté, de créer de nouveaux grades. C’est ainsi qu’on s’exprimait.

A cet égard, aussi, il n’existe pas d’équivoque sur les intentions de la chambre ; ses opinions qui se sont fait jour dans cette enceinte et dans une autre, se sont clairement expliquées là-dessus.

Le gouvernement, messieurs, a pu, en cette circonstance, se rendre avec empressement au voue de la chambre, parce que ce vœu s’accordait avec ce que sa propre sollicitude pour les intérêts de l’armée devait lui inspirer, et ceci, me conduit à considérer la seconde face de la question des rapports de la loi avec les budget des dépenses.

Sur ce point encore, si mes souvenirs me servent bien, messieurs, c’est encore la représentation nationale qui a pris l’initiative ; plusieurs de ses membres vous ont signalé les inconvénients sans nombre qu’amenaient les discussions constamment renouvelées sur la composition et la force des cadres, discussion qui venaient remettre en question toutes les positions de nombreux officiers, positions souvent bien chèrement et bien laborieusement acquises.

Oui, messieurs, le mal moral dont l’armée a tant souffert était bien là. Chaque discussion du budget de la guerre a été jusqu’ici pou l’armée, une époque d’incertitude et de crise qu’on attendait avec crainte, qu’on suivait avec anxiété et pendant laquelle, qu’il me soit permis de le dire, la haute confiance que l’armée aime à placer sans restriction dans tous les grands pouvoirs de l’Etat, ne conservait pas toujours sa force.

Ce sont là des faits que je crois pouvoir citer sans autre intention que de les constater. Mais ces faits constituent une situation grave à laquelle le projet qui vous est soumis doit enfin apporter un remède définitif. C’est bien là qu’était la cause du malaise qu’on nous a signalé, et c’est à tort que quelques honorables membres placent cette cause ailleurs.

- La séance est levée à 4 heures et demie.