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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 8 mai 1844

(Moniteur belge n°130, du 9 mai 1844)

(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à midi un quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le comte de Kerckbove d’Exaerde, ancien commissaire de milice du district d’Eecloo, demande que, dans les familles où il y a des filles, le fils unique soit exempté du service de la milice nationale. »

- Renvoi à la section des pétitions.


« Le sieur De Greef, décoré de la croix de fer, demande qu’on lui accorde la commission attachée cette décoration. »

M. Delfosse. - Messieurs, une espèce de fatalité s’attache à l’existence du pétitionnaire. D’abord il a servi pendant 10 ans comme volontaire ; ensuite, après avoir reçu son congé, il a obtenu un emploi, mais peu de temps après il a été forcé de servir de nouveau comme milicien. Cependant, comme il avait servi pendant 10 ans en qualité de volontaire, il semble qu’il aurait dû être exempté du service de la milice. Aujourd’hui il se trouve dans un grand besoin, et, comme décoré de la croix de fer, il sollicite une pension.

Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition. La position du passionnaire me paraît tout à fait digne d’intérêt.

- La pétition est renvoyée à la commission avec demande d’un prompt rapport.


« Plusieurs distillateurs, dans la Flandre orientale, demandent que des mesures soient prises pour empêcher l’exagération des droits d’octroi établis à l’entrée des villes sur les boissons distillées. »

M. Desmet. - Messieurs, les octrois des villes ont un grand pouvoir, ils paralysent les lois de l’Etat sur l’impôt. C’est contre ces octrois que les pétitionnaires réclament ; ils disent que, par suite des octrois établis dans les villes et du drawback que les villes accordent, les distillateurs des campagnes ne peuvent plus soutenir la concurrence de ceux qui sont établis dans les villes.

Messieurs, quel était le but de la loi sur les distilleries ? C’était surtout de favoriser l’agriculture ; or, quelles sont les distilleries vraiment utiles à l’agriculture ? Ce sont évidemment les distilleries des campagnes. Tout le monde sait que les résidus des distilleries des villes ne sont pas employés aussi utilement pour l’agriculture que les distilleries établies dans les campagnes, où, à côté des usines, se trouvent du bétail pour engraisser et une exploitation de culture.

Eh bien, messieurs ces distilleries vraiment agricoles souffrent beaucoup de la concurrence des distilleries des villes, qui sont, comme je viens de le dire, privilégiées par l’octroi et le drawback des villes : elles sont privilégiées, d’abord, parce qu’il y a impossibilité que les produits des distilleries des campagnes viennent concourir pour la consommation des villes avec les distilleries qui s’y trouvent, à cause de la différence notable qui existe dans plusieurs octrois entre les droits de l’entrée et ceux de la fabrication ; et qu’ensuite, elles font une concurrence dangereuse aux distilleries agricoles pour la consommation des campagnes et des petites villes, à cause de l’avantage de drawback pour les genièvres qui sortent des villes pour se consommer dans le plat pays.

Je vous citerai quelques villes qui profitent de cet avantage et où existe un véritable tarif productif en faveur de leurs distilleries.

A Anvers, les droits d’entrée dans la ville sur les genièvres s’élèvent à 9 fr. par hectolitre, la fabrication n’est pas imposée à 5 fr. l’hectolitre, et le drawback est de 5 fr. 50 c.

A Gand, les droits d’entrée sont de 15 fr. l’hectolitre, ceux de la fabrication s’élèvent à peine à 5 fr., et le drawback est plus élevé que les droits que payent les distillateurs pour la fabrication.

A Bruxelles, les produits des campagnes payent 8 fr. par hectolitre à l’entrée en ville, et la fabrication dans la ville n’est imposée qu’à 3 francs l’hectolitre, et le drawback est élevé de 5 francs

Vous voyez donc, messieurs, combien les avantages sont grands pour les distilleries des villes, qui réellement ont un droit différentiel contre les distilleries des campagnes ; comment voudriez-vous donc que ces distilleries pussent se soutenir ? elles devront toutes tomber, et quand vous n’aurez debout que les distilleries de grains dans les villes, vous aurez tous les désavantages de la consommation du genièvre, vous ne recueillerez aucun avantage des résidus, et le but de favoriser les distilleries agricoles sera totalement manqué.

On doit reconnaître qu’il y a nécessité pour le gouvernement de limiter ce pouvoir immense qu’ont les villes dans l’établissement de leur octroi, il est constant qu’elles peuvent arrêter les effets des lois de l’Etat, sur l’impôt des accises ; c’est sur ce point que j’attire tout particulièrement l’attention de M. le ministre des finances. J’ai l’honneur de proposer l’envoi à la commission des pétitions avec la prière d’un prompt rapport ; mais je prierai aussi M. le ministre de nous dire s’il y a espoir que pendant la session le gouvernement présentera un projet de loi sur les octrois des villes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il m’est impossible de dire quand le gouvernement pourra présenter un projet de loi sur les octrois municipaux. Cette question est extrêmement grave, elle touche à l’existence de la plupart de nos grandes villes. Tout ce que le gouvernement pouvait faire, c’était d’amener autant que possible un point d’arrêt dans le mouvement d’augmentation des octrois municipaux. Quelle est maintenant la mesure générale qu’il aura lieu de prendre par une loi ? C’est ce que le gouvernement examine. Ce projet de loi, quand il sera présenté, remuera, je n’hésite pas à le dire, un grand nombre de localités. Il ne faut donc pas présenter un projet de ce genre à la légère ; il faut que la question soit mûrement examinée ; il faut surtout que le public y soit préparé par des écrits qui lui fassent comprendre la question. Je me propose de faire à cet égard une publication que je considère comme un préliminaire indispensable. Je le répète, il faut qu’on ne se fasse pas illusion sur la portée de cette question.

M. de Saegher. - Messieurs, la question est en effet extrêmement grave. Si je ne me trompe, elle se rattache aux observations qui ont été faites par l’honorable M. de La Coste dans la discussion du budget de l’intérieur. Il est très vrai que quelques industries des campagnes, et notamment les distilleries, souffrent beaucoup par suite de l’octroi des villes, et que la question est extrêmement grave. Je crois donc devoir demander, outre un prompt rapport, l’insertion au Moniteur de la pétition, qui, si je suis bien informé, renferme des considérations extrêmement importantes.

M. Desmet. - M. le ministre de l’intérieur dit que la question est très grave. Je reconnais qu’elle est très grave pour les villes, mais elle est aussi très grave pour l’Etat. Il y a dans l’Etat des lignes de douanes, des tarifs protecteurs, ce sont les octrois, les tarifs des villes ; cela ne doit pas être et je désire que M. le ministre de l’intérieur et M. le ministre des finances prennent cet objet en sérieuse considération.

M. Mast de Vries. - Je crois, messieurs, que le but qu’on veut atteindre on ne l’atteindra pas en modifiant les octrois des villes, on ne peut pas supposer que les villes aillent rendre 30 p.c. de plus qu’elles ne reçoivent. Ce qui nuit aux industries agricoles, ce sont les grands établissements, les établissements à la vapeur. J’ai prédit ce qui arrive aujourd’hui, dans la discussion de la loi sur les distilleries ; le mal dont on se plaint prouve que j’avais parfaitement raison. Il est impossible que les distilleries agricoles soutiennent la concurrence des distilleries à la vapeur. .

- La chambre renvoie la pétition à la commission avec demande d’un prompt rapport. Elle en ordonne en outre, l’insertion au Moniteur.


« Plusieurs raffineurs de sucre, à Gand, demandent qu’il ne soit apporté aucune modification aux droits différentiels sur les sucres. »

M. Desmaisières. - Je demanderai que cette pétition soit insérée au Moniteur.

M. David. - Elle est contraire aux droits différentiels.

M. Desmaisières. - En partie.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous prouverons que les dispositions insérées dans le projet de loi sont aussi favorables aux raffineurs de sucre que la législation existante. Je ne sais pas pourquoi l’honorable M. David veut, à la lecture de chaque pétition sur cette matière, faire prendre le change sur l’opinion des pétitionnaires.

M. David. - Je ne veux pas faire prendre le change à la chambre, je désire seulement qu’elle sache dans quel esprit la pétition est rédigée.

J’appuie du reste l’insertion au Moniteur.

- L’insertion au Moniteur est ordonnée.

La pétition sera en outre déposée sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête.


Par dépêche en date du 7 mai, M. le ministre de la justice transmet à la chambre quatorze demandes en naturalisation accompagnées de renseignements y relatifs.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. Jh. Meeus fait hommage à la chambre de la seconde partie de son travail en 1843, sur la loi et le commerce des sucres.

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi qui prorogeant l'exemption du droit d'entrée sur les machines et les machines

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, une loi du 7 mars 1837 a autorisé le gouvernement à accorder dans certains cas l’exemption du droit d’entrée sur les machines et les mécaniques introduites dans le pays. Cette loi n’est plus en vigueur depuis le 30 mars dernier. Le gouvernement a examiné s’il y avait lieu de demander le renouvellement de l’autorisation dont il s’agit. A cette occasion il a aussi eu à examiner une autre question, celle de savoir s’il n’y avait pas lieu d’augmenter le droit d’entrée sur les machines en général. Il a consulté sur l’une et l’autre de ces questions, les chambres de commerce. Les chambres de commerce ont été unanimement d’avis qu’il y avait lieu de renouveler la loi du 7 mars 1837, en exprimant toutefois le vœu que la loi reçoive l’application la plus rigoureuse.

Sur la deuxième question, celle de savoir s’il y a lieu d’augmenter le droit d’entrée sur les machines en général, les chambres de commerce ont été très divisées.

Il est inutile de donner lecture de l’exposé des motifs où il est rendu compte des raisons qui m’engagent, avec l’unanimité des chambres de commerce, à demander le renouvellement de la loi du 7 mars 1837, et où il est également rendu compte de l’instruction faite sur la 2ème question. Le gouvernement pense que, pour le moment, il ne faut pas augmenter les droits d’entrée sur les machines en général. Toutefois, je dois ici ajouter que le gouvernement est dominé par une considération qui ne se trouve pas exprimée dans les avis des chambres de commerce. Cette considération, la voici : Nous envoyons en France pour environ 1,200,000 fr. de marchandises. Le gouvernement français a présenté aux chambres un projet de loi qui change le tarif français sous ce rapport. Si ce changement est voté, le marché français sera fermé à nos machines. Ne serait-il pas impolitique d’élever en ce moment nos droits d’entrée sur les machines ; ne serait-ce pas donner un argument nouveau, ou, si l’on veut, un prétexte à ceux qui sont disposés en France, à voter l’augmentation des droits. Nous croyons, messieurs, par cette considération, qu’il est au moins prudent d’attendre.

Le projet de loi est ainsi conçu :

(Note du webmaster : le Moniteur reprend ensuite l’exposé des motifs de ce projet de loi, lequel n’est pas repris dans cette version numérisée)

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet. Le projet sera imprimé et distribué. A qui veut-on en renvoyer l’examen ?

M. Lys. - Je crois qu’il faudrait le renvoyer à la commission d’industrie.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désire que le projet soit renvoyé aux sections. Ce que je vais dire n’a rien de désobligeant pour la commission d’industrie, mais la commission d’industrie a déjà exprimé l’opinion qu’il y avait lieu d’augmenter le droit d’entrée sur les machines, de sorte que son opinion est connue. Lui renvoyer le projet, ce serait lui demander en quelque sorte une opinion qu’elle a déjà exprimée.

M. Lys. - J’ignorais que la commission d’industrie se fût prononcée. Je ne m’oppose plus au renvoi aux sections.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je déclare de nouveau que je n’ai rien voulu dire de désobligeant pour la commission d’industrie ; seulement je désire que le projet soit soumis à une véritable instruction.

- Le renvoi aux sections est ordonné.

Projet de loi ratfication un arrêté pris en vertu de la loi du 22 août 1822, sur les droits d'entrée sur les fils et tissus de laine

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, usant des pouvoirs que lui donne l’article 9 de la loi du 22 août 1822, le Roi, par un arrêté du 14 juillet dernier, a augmenté les droits d’entrée sur les fils et tissus de laine. Pour nous conformer aux dispositions du même article, nous venons vous proposer un projet de loi tendant à ratifier cet arrêté. Quelques modifications ont été introduites. Il m’est impossible de vous donner lecture du tableau. Je dirai seulement que les deux modifications les plus importantes sont celles-ci : Nous y avons retranché les objets de mode. Par une rédaction vicieuse, l’arrêté avait reçu une certaine extension, et l’on pouvait croire qu’une disposition qui augmentait les droits, était applicable aux objets de mode. En second lieu, nous avons introduit deux catégories pour les tapis : nous avons pensé que les tapis en poil de vache pur, mélangés de fil, devaient payer un droit moindre ; d’après ce projet, ils ne payeront plus 90 francs, mais seulement 25 francs.

- Il est donné acte à M. le ministre de l’intérieur de la présentation du projet de loi, qui sera imprimé et distribué. La chambre en ordonne le renvoi aux sections.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion générale sur les conclusions

M. Rogier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, au commencement de cette discussion plusieurs honorables membres ont exprimé l’opinion que la question industrielle, comme ils l’ont appelée, ne devait pas être séparée de la question commerciale ; ils avaient d’abord demandé une discussion simultanée de ces deux intérêts. Depuis lors, il a été convenu, je pense, qu’après la question commerciale viendrait la question industrielle.

Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si le gouvernement a préparé ses conclusions pour la question industrielle ; il est évident que les projets de loi qui viennent d’être déposés touchent très directement à la question industrielle. L’on peut se demander si à ces projets se borneront les modifications au tarif des douanes, ou si l’on en introduira de nouvelles. Il me paraît inutile que les sections s’occupent isolément de ce projet de loi, sans les rattacher au système complet qu’il s’agit de débattre après la question commerciale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je viens de présenter deux projets : l’un relatif aux machines, l’autre qui sanctionne l’arrêté royal du 14 juillet. C’était un devoir pour le gouvernement de régulariser, à cet égard, sa position par rapport à la chambre ; mais je ne regarde pas ces deux projets comme épuisant la question industrielle, c’est tout ce que je puis dire pour le moment.

M. Rogier. - Ne conviendrait-il pas dès lors que les sections attendissent, pour s’occuper des projets de loi que le système fût complété par le gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, en proposant les deux projets, nous avons exercé l’initiative constitutionnelle dévolue au gouvernement. Je pense que les sections ne pourraient pas se refuser à l’examen de ces projets. Il y a encore quelque chose à faire ; rien n’est préjugé à cet égard. Lorsque la deuxième partie de l’enquête sera mise à l’ordre du jour, le gouvernement verra s’il a des conclusions ultérieures à présenter. Tout ce que je puis dire maintenant, c’est que la question industrielle n’est pas épuisée par les deux projets de loi que je viens de déposer. Cela est tellement vrai, que, pour les machines, je suis en désaccord avec la commission d’enquête. La commission pense qu’il faut dès à présent augmenter les droits sur les machines ; et ici je saisirai l’occasion de faire part à la chambre d’une observation qui m’a frappé dans la partie du travail de la commission d’enquête.

La commission n’a pas fait une distinction extrêmement importante qui a été faite en France, notamment lors de l’enquête de 1834. On a fait la grande distinction entre les objets destinés à être livrés immédiatement à la consommation publique, et les objets qui sont les auxiliaires de l’industrie ; partant de là, je ne considère pas les machines comme devant être traitées de la même manière que les objets fabriqués proprement dits, destinés à être livrés à la consommation publique.

Du reste, ceci sera discuté, quand la deuxième partie du travail de la commission sera à l’ordre du jour ; le gouvernement verra quelles conclusions il aura à présenter, soit d’ici à cette époque, soit à la suite de la discussion de la chambre.

M. Rogier. - Je ne m’oppose pas à ce que les sections s’occupent de l’examen des deux projets de loi, mais je dis qu’elles s’exposent à faire un travail inutile, en s’occupant de modifications au tarif des douanes.

M. Delehaye. - Il semble résulter des paroles que vient de prononcer M. le ministre de l’intérieur, que la commission d’enquête s’occupe à formuler des conclusions (non ! non !) J’entends dire : non ! non ! mais alors il va y avoir quelque nouvelle déception ; je désire savoir d’une manière positive si la chambre sera enfin saisie de conclusions, soit par la commission d’enquête, soit par le gouvernement. J’ai déjà dit que des localités importantes dans le pays n’acceptent le système des droits différentiels qu’autant qu’on accepte en même temps le système de protection réclamée par nos industries. Je demande donc au gouvernement s’il entend saisir la chambre d’un projet de loi apportant des modifications au tarif qui régit notre industrie ; je demande que le gouvernement s’explique catégoriquement à cet égard, parce que de sa réponse doit dépendre notre position dans cette chambre. Il est indispensable que nous ayons des conclusions sur la plus importante des deux questions déférées à l’examen de la chambre.

Il est à remarquer que le système des droits différentiels ne se rattache pas immédiatement aux intérêts de l’industrie. Les droits différentiels sont particulièrement destinés à favoriser la navigation nationale ; mais, avant tout, je veux de la protection pour l’industrie. Il n’est pas d’exemple qu’un pays ait prospéré exclusivement par l’application du système des droits différentiels ; mais on peut citer des pays qui ont prospéré uniquement par un tarif protecteur de l’industrie, tarif qu’un gouvernement, soucieux du bien-être général, empêche toujours d’élever, alors même qu’il doit admettre la recherche à l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il me semble qu’on remet en doute ce qui avait été décidé. La chambre avait admis, je pense, la disjonction de la question industrielle proprement dite d’avec la question commerciale. Si nous procédons autrement, je n’hésite pas à prédire à la chambre qu’elle ne sortira pas de cette discussion.

Maintenant, je n’admets pas avec l’honorable préopinant que la question des droits différentiels soit tout à fait étrangère à l’industrie ; je dis, et c’est de ce point-là que nous sommes partis, je dis qu’il y a, au contraire, un côté industriel dans la question des droits différentiels. Le but même est éminemment industriel. C’est là aborder le fond de la question.

Il avait donc été convenu qu’il y aurait disjonction ; que l’on s’occuperait séparément de la question industrielle. Lorsqu’on mettra à l’ordre du jour les réclamations dont la cour d’enquête a rendu compte dans son rapport, il y aura discussion ; c’est, en effet, un véritable rapport de pétitions, avec cette différence que les pétitions, au lieu d’avoir été adressée directement à la chambre, l’ont été à la commission d’enquête.

Eh bien ! de deux choses l’une, ai-je dit dans le comité général : ou bien la commission d’enquête elle-même complétera son travail, en présentant un projet de loi ou plusieurs projets de loi ; ou bien on renverra le tout au gouvernement qui, d’ici à une époque donnée, vous présentera des propositions. Voila la marche naturelle que nous devons suivre.

Il est même une troisième question sur laquelle on a interpellé à plusieurs reprises le gouvernement- ; c’est la question de la répression de la fraude. On a demandé à M. le ministre des finances un rapport sur l’exécution de la loi du 6 avril 1843. M. le ministre des finances vous donnera ces renseignements, et l’on examinera alors s’il n’y a pas lieu à renforcer la loi actuelle.

Nous ne pouvons pas, je le répète, procéder autrement. Il semble qu’on craigne ici une espèce de mystification. Ces défiances s’adressent non pas au gouvernement seul, mais encore à la chambre elle-même. Je ne pense pas que la chambre ait méconnu aucun des intérêts du pays. La chambre comprendra qu’après s’être occupée de la question des droits différentiels, elle doit s’occuper immédiatement, si c’est possible, de la question industrielle, et en même temps de la question de la répression de la fraude. La chambre manquerait à ses devoirs, si elle déclinait l’une ou l’autre de ces questions.

J’insiste donc pour qu’on passe à l’ordre du jour.

M. Cogels. - Messieurs, ainsi que j’ai eu l’honneur de le faire remarquer, la commission d’enquête ne devait pas prendre de conclusions sur la question industrielle. Trois questions lui avaient été posées ; les voici : 1° Quelle est la situation actuelle du commerce extérieur dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture du pays ?

2° La législation existante est-elle insuffisante ?

3° En cas d’insuffisance de la législation existante, quelles doivent être les bases du système commercial maritime qu’il conviendrait d’établir dans l’intérêt de la nation ?

Ainsi, la commission d’enquête n’avait à s’occuper que du commerce maritime. Mais il est arrivé dans la commission d’enquête ce qui arrive aujourd’hui dans la chambre, c’est que la commission a eu rarement l’occasion de placer la question sur son véritable terrain. Dans la plupart des localités qui ont été parcourues, c’est la question industrielle qui a dominé les interrogatoires. La commission d’enquête allant au-delà de la mission qu’elle avait reçue, a recueilli les renseignements qui pouvaient éclairer la question industrielle et formulé un rapport sans prendre de conclusions, parce qu’elle n’avait pas à en prendre et parce qu’elle sentait que confondre les deux questions c’était rendre leur solution presque impossible. C’est pour les mêmes motifs que la chambre a résolu la disjonction des deux questions. C’est une décision sur laquelle j’espère que la chambre ne reviendra pas.

Il serait à désirer qu’à l’avenir on pût placer la question sur son véritable terrain, qu’on s’occupât du commerce maritime dans ses rapports avec l’industrie du pays. La commission n’a pas manqué à la mission qu’elle a reçue, si on veut lui en confier une nouvelle elle s’en acquittera avec le zèle qu’elle a mis à remplir la première.

M. Manilius. - L’honorable M. Cogels est tombé dans la même erreur que M. le ministre de l’intérieur ; il croit qu’il y a eu décision prise pour la disjonction. C’est une erreur. Nous nous sommes alarmés de ne pas voir de projet formulé, relativement à la question industrielle. M. le ministre de l’intérieur a répondu que cette question serait discutée immédiatement après la question commerciale. Le procès-verbal n’ayant pas fait mention de cette déclaration, le lendemain nous avons demandé que la promesse fût insérée dans le procès-verbal ; M. le ministre de l’intérieur a renouvelé sa promesse qui a été cette fois consignée dans le procès-verbal.

C’est là tout ce qu’il y a eu ; mais aucune résolution n’a été prise, aucune convention faite. Nous avons cru que, dans les vues du gouvernement, il y aurait discussion successive, disjonction de discussion seulement. Si nous n’avons pas pris la parole jusqu’à présent, c’est que nous espérions pouvoir mieux définir nos vues dans la discussion industrielle. Cependant nous avions la pensée de proposer de postposer le vote sur la question commerciale jusqu’à ce que la question industrielle ait été examinée, afin que la résolution que nous pourrions prendre sur la première question ne vînt pas heurter les intérêts engagés dans la seconde.

Je le répète, il n’y a pas eu de convention faite, la question est entière ; nous pouvons rester dans cette situation. Si j’arrive à mon tour de parole, je proposerai de postposer le vote sur la question commerciale, après la solution de la question industrielle.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voici ce qui s’est passé :

Il a été décidé qu’on insérerait dans le procès-verbal cette déclaration que la session actuelle ne serait pas close sans que l’on se fût occupé de la deuxième partie du travail de la commission d’enquête, déclaration qui a paru satisfaire l’honorable préopinant ; car il en a pris acte, il a demandé qu’elle fût insérée au procès-verbal. Du reste, vous ne pouvez discuter que sur le projet de loi qui est devant vous. Je ne sais pas comment vous pourriez changer le caractère de la discussion actuelle.

Comme c’est en comité secret que j’avais fait la déclaration que je viens de rappeler, je me suis empressé de la renouveler en séance publique.

Maintenant le gouvernement est occupé d’examiner la seconde partie du rapport de la commission d’enquête, nous verrons s’il y a lieu de donner aux observations contenues dans cette partie du rapport un caractère plus formel.

M. Lys. - Comme mon honorable ami M. Manilius, je dois dire que la disjonction n’a pas été prononcée ; mais la commission d’enquête n’ayant pas proposé de conclusions sur la question industrielle, pour éviter une disjonction forcée, pour éviter qu’un long intervalle ne sépare la discussion les deux questions, je demanderai que dès à présent, le rapport de la commission d’enquête sur la question industrielle soit renvoyé au gouvernement, pour qu’il formule des conclusions. De cette manière, nous gagnerons du temps, et nous pourrons nous occuper des deux questions successivement et sans interruption.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande que ce renvoi n’ait pas lieu sans une discussion préalable. Il y a dans cette deuxième partie du rapport de la commission d’enquête deux articles très importants, les tissus de laine et les machines. Quant aux tissus de laine, vous êtes saisis d’un projet de loi ; et en ce qui concerne les machines, j’ai fait connaître l’opinion du gouvernement. Nous verrons si nous devons saisir la chambre de nouvelles propositions ; mais je désire que le renvoi proposé ne soit pas ordonné avant qu’une discussion n’ait eu lieu.

M. Lys. - Je suis d’accord avec M. le ministre de l’intérieur sur les projets qu’il nous a présentés relativement aux tissus de laine et aux machines. Mais il était de toute nécessité qu’il nous présentât ces projets ; car il existait pour le premier un arrêté qui avait changé la législation à cet égard et qui devait être converti en loi.

Depuis dix mois certaines fabrications de tissus de laine sont dans un état provisoire. On sait que, pour une fabrication semblable dont l’établissement exige des dépenses très considérables, il faut de la stabilité, de la sécurité, pour qu’elle puisse se développer ; il faut qu’elle sorte le plus tôt possible du provisoire où elle se trouve. Aussi ai-je appuyé le renvoi des propositions de M. le ministre aux sections et je désire qu’elles puissent s’en occuper sans retard.

Je ne vois pas le motif pour lequel M. le ministre s’oppose au renvoi demandé du rapport de la commission d’enquête sur la question industrielle, car, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, je ne vois dans ce renvoi qu’un moyen d’avancer les affaires, d’avoir plus tôt les propositions du gouvernement pour les examiner. Si nous n’avons les conclusions du gouvernement pendant cette discussion, le renvoi devra être ordonné après qu’elle sera terminée, et il s’écoulera un intervalle de plus d’un mois avant que nous puissions être saisis des projets du gouvernement. La discussion sera nécessairement scindée. Je ne vois pas, je le répète, pourquoi le gouvernement s’oppose à cette proposition.

M. le président. - M. Lys propose de renvoyer à M. le ministre de l’intérieur la seconde partie du rapport de la commission d’enquête.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette question n’est pas à l’ordre du jour. Il faudrait d’abord en demander la mise à l’ordre du jour.

Maintenant, c’est dans l’intérêt des industries que je pense qu’il ne faut pas prononcer le renvoi proposé sans discussion ; je désire que l’une et l’autre réclamations se présentent au gouvernement dans une attitude plus imposante que le simple travail de la commission d’enquête.

Ces intérêts auront une plus grande recommandation si une discussion a lieu avant le renvoi, car les députés qui connaissent les intérêts industriels du pays appuieront l’une ou l’autre réclamation.

Voilà pourquoi je demande qu’une discussion précède le renvoi qu’on propose.

M. le président. - Je vais mettre la proposition aux voix.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si on l’adopte, il en résultera que la discussion actuelle sera interrompue.

M. Delfosse. - Si on adopte la proposition de M. le ministre de l'intérieur, il y aura forcément disjonction des deux questions.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Disons que la discussion générale terminée, on interrompra l’ordre du jour actuel pour s’occuper de la deuxième partie du rapport de la commission d’enquête.

- Cette proposition de M. le ministre de l’intérieur est mise aux voix et adoptée.

M. de Brouckere. - Messieurs, vous avez dû voir hier la répugnance que j’avais à parler immédiatement après l’honorable M. Delfosse. J’avais pour cela deux motifs : Le premier, c’est que l’honorable membre s’était exprimé contre les droits différentiels avec la plus vive énergie. Je compte parler dans un sens contraire ; mais comme je suis loin d’être aussi zélé partisan de ces droits que l’honorable M. Delfosse en est chaud adversaire, vous comprendrez que je ne me souciais pas d’avoir avec lui une lutte corps à corps, lutte dans laquelle j’aurais pris tout d’abord une position désavantageuse.

Mon deuxième motif, c’est que l’honorable M. Delfosse s’était appliqué à représenter comme étant aux prises entre elles, la ville qu’il habite et celle où je réside.

Si donc j’avais voulu répondre au discours de l’honorable M. Delfosse en le disséquant, j’aurais donné lieu de croire que cet état d’hostilité entre Liège et Anvers est réel. Or, il n’en est rien. Le commerce d’Anvers ne porte nullement envie au commerce de Liége.

Le commerce d’Anvers applaudit à la prospérité du commerce de Liége. Et je ne crains pas de dire qu’il verrait avec regret toutes les affaires de Liége s’émigrer, alors même qu’il devrait en profiter. En un mot, l’Escaut ne demande pas mieux que de vivre en frère avec la Meuse.

L’honorable M. Delfosse vous a parlé d’une coalition qui se serait formée entre des intérêts distincts pour lutter avec plus de force contre les intérêts de Liège. De cette coalition, il n’en est rien ; elle n’existe que dans l’imagination de l’honorable membre. En effet personne n’a fait céder une partie de ses convictions pour plaire à une autre opinion, pour s’entendre avec elle, et pour mieux accabler une troisième opinion. Chacun a conservé ses convictions, chacun les défend librement et sans engagement aucun.

Ce serait, selon l’honorable membre, pour arriver à cette coalition, que la chambre de commerce d’Anvers aurait montré cette versatilité dont le pays aurait été témoin. (Dénégations de la part de M. Delfosse.)

L’honorable membre a voulu démontrer que la chambre de commerce d’Anvers a complètement changé d’opinion. Cela s’appelle chez moi de la versatilité.

M. Delfosse. - Je ne me suis pas servi de cette expression.

M. de Brouckere. - Je m’en sers.

D’autres membres de cette chambre répondront sur ce point à l’honorable M. Delfosse, d’une manière précise, et je le dis d’avance d’une manière victorieuse.

Je dirai seulement, en passant, que s’il est vrai que la chambre de commerce d’Anvers a modifié ses opinions, pendait ces dernières années, c’est que les circonstances ne sont plus les mêmes. Pour ne citer qu’un seul événement qui a dû exercer la plus grande influence sur les délibérations de la chambre de commerce d’Anvers, je citerai le traité avec les Pays-Bas et les conventions particulières qui s’en sont suivies, particulièrement la convention de navigation, qui a changé la position de la ville d’Anvers et de la ville de Liége.

Du reste, je suis député dans cette chambre par la ville de Bruxelles et son arrondissement, et je vous démontrerai, par la manière dont je vais m’expliquer, que j’ai pris au sérieux la disposition de la constitution qui m’ordonne de me considérer ici comme le représentant non pas d’une localité, mais du pays entier, que cette disposition est autre chose pour moi qu’une simple fiction.

Maintenant j’entre en matière.

La plupart des orateurs, qui m’ont précédé, ont signalé comme un fait étrange et digne d’attention, la grande diversité des opinions qui se manifestent à l’endroit de notre système commercial. Ce n’est rien que cette chambre et le pays se soient fractionnés en deux partis, dont l’un demande à grands cris les droits différentiels comme devant être pour la Belgique une source abondante de richesses et de biens, tandis que l’autre voit dans l’établissement de ces mêmes droits la ruine prochaine du commerce. Mais parmi les partisans de l’une et de l’autre opinion se manifestent encore les sentiments les plus divers ; d’un côté sur la nature des droits à établir, sur l’étendue à leur donner ; de l’autre côté, sur les motifs pour lesquels il faut à tout prix repousser ces droits.

Ce fait est-il véritablement aussi étrange qu’on le dit ? Rien de plus facile à expliquer, selon moi. C’est qu’en effet les droits différentiels seront avantageux aux uns et fâcheux pour les autres. Ils favoriseront certains intérêts ; ils froisseront les intérêts opposés. Ainsi, par exemple, l’armateur qui ne serait qu’armateur devra gagner aux droit différentiels ; tandis que le chef d’une maison de commission et de consignation, qui ne fera pas d’autres affaires, y perdra probablement. Mais, entre ces deux catégories, ou plutôt à côté d’elles, combien de négociants et d’industriels, dont chacun établit des calculs, fait des suppositions, arrange des hypothèses à sa manière ? De ces calculs, je ne crains pas de le dire, beaucoup seront déjoués ; de ces suppositions, peu se réaliseront de ces hypothèses, un petit nombre se transformera en faits.

Aussi ce n’est pas seulement entre les provinces et les localités que la lutte est engagée. Dans chaque province, dans chaque localité se trouvent des partisans de l’un et de l’autre système, et je ne crains pas de dire qu’il ne serait pas difficile de trouver deux négociants qui seraient identiquement dans la même position, dont l’un serait partisan des droits différentiels et l’autre leur serait contraire.

La vérité, c’est que personne ne saurait se rendre compte d’une manière certaine et exacte des résultats que nous pouvons attendre de l’établissement des droits différentiels. Mais lorsque nous en viendrons à discuter les conclusions de l’enquête industrielle, je m’attends à voir naître le même désaccord, et je doute, par exemple, que Verviers et Gand, ces deux grands foyers de notre industrie, parviennent facilement à s’entendre.

Pour nous, nous devons nous mettre au-dessus de tout intérêt particulier, ne pas considérer si tel ou tel négociant, telle on telle industrie, telle ou telle localité gagnera ou perdra, mais voir les intérêts généraux du pays.

Permettez-moi de vous faire un aveu. Je voudrais être dans la position de ceux à qui une conviction profonde permet de se prononcer nettement et avec énergie, tandis qu’aujourd’hui, dans mon ardent désir de servir les véritables intérêts du commerce, qui, mes yeux, sont ceux du pays, plus d’un doute, plus d’une crainte m’assiègent.

Cependant, après avoir consulté tout ce qui a été publié sur la matière, après avoir écouté attentivement les communications qui nous ont été faites par le gouvernement, je me suis décidé à voter pour les droits différentiels et je donnerai la préférence au projet du gouvernement, comme étant celui qui me paraît le plus sage et le plus modéré. Encore chercherai-je à y introduire quelques changements, et pour n’en citer qu’un, je n’admettrai certainement pas l’augmentation de droits dont on veut frapper les bois étrangers.

Voici, messieurs, pourquoi je voterai dans ce sens.

Quel est le premier but que nous nous proposerions, en établissant des droits différentiels ? C’est la création de relations directes avec les pays transatlantiques. Pourquoi ? Parce qu’on pense que ces relations augmenteront considérablement l’exportation des produits de notre industrie.

Je doute que ce but, nous parvenions à l’atteindre aussi complètement qu’on semble le croire, et surtout dans un temps aussi rapproché qu’on le suppose. Si nos exportations vers les pays lointains ne sont pas plus considérables, cela résulte de circonstances que je pourrais appeler endémiques ; car elles tiennent en grande partie à des habitudes invétérées, au caractère des habitants du pays, à la manière dont ils entendent faire les affaires.

Que nous a-t-il manqué, en effet, pour exporter dans les pays transatlantiques ! Nous y sommes reçus sur le même pied que les nations les plus favorisées et les occasions pour exporter n’ont pas fait défaut. En effet, le gouvernement a établi des lignes de navigation régulière vers tous les pays du globe que le commerce a désigné. Le fret est très avantageux ; il est tellement modéré, qu’on ne paye guère plus aujourd’hui pour faire transporter des marchandises en Chine, qu’on ne payait autrefois pour en envoyer à Liverpool. Cependant presque aucun navire n’est parti avec charge complète.

Verviers exporte beaucoup, Gand fort peu, et le même régime est en vigueur dans ces deux villes.

Toutefois, je dois le dire, dans ma pensée, les droits différentiels augmenteront à la longue et insensiblement nos exportations, et voici comment. Nos armateurs ayant des rapports fréquents, suivis, continuels avec les pays transatlantiques dont ils iront chercher les produits, connaîtront les besoins, les usages, les goûts des habitants de ces pays, les époques de vente et beaucoup de circonstances qu’aujourd’hui ils ne connaissent que très imparfaitement : ils lieront des relations avec les maisons établies dans ces pays, et engageront nécessairement des affaires avec elles. D’un autre côté l’intérêt qu’ils auront à ne point repartir sur lest les fera entrer en négociations avec ses fabricants, les industriels du pays, pour exporter à risques communs les produits de leurs établissements.

Un honorable membre vous a cité hier des chiffres qui démontraient combien nos exportations ont été généralement minimes en comparaison de nos importations. Mais il aurait dû dire, messieurs, pour être entièrement vrai, que la plupart de ces exportations ont eu lieu par pavillon national. Lors donc que notre navigation aura pris un plus grand essor, il y a lieu d’espérer que nos exportations augmenteront dans la même progression.

Il y a, messieurs, une autre considération à faire valoir et qui est tout en faveur des industriels : c’est qu’en général l’on n’aime pas à confier ses marchandises à un capitaine étranger que l’on ne connaît pas, qu’il faudra poursuivre en pays étranger, et d’après des lois étrangères, si l’on a quelques réclamations à faire contre lui. On préfère généralement les remettre à un capitaine du pays, dont on connaît les antécédents, la moralité, la position, les relations.

Remarquez-le bien, messieurs, c’est une preuve immense de confiance que l’on donne à un capitaine, que de lui remettre une partie de sa fortune sans caution, sans garantie aucune. Je vous le demande à tous, ne préféreriez-vous pas, obligés de subir de semblables conditions, confier cette partie de votre fortune à un de vos compatriotes que vous connaissez, plutôt que de la remettre en des mains étrangères ?

Les droits différentiels ont un autre but ; c’est de favoriser la navigation nationale. Ce but, nous l’atteindrons à coup sûr. Mais je verrais avec regret les armateurs belges donner tout d’abord une trop grande extension à leur industrie, parce que, s’ils se laissent éblouir par quelques succès, ils pourraient bien se repentir plus tard d’avoir eu une trop grande foi dans l’avenir.

Un honorable orateur a avancé ces jours derniers (et sa position d’industriel et de commerçant a pu donner quelque crédit à ses assertions) il a avancé, dis-je, que les droits différentiels seraient favorables à la navigation de long cours, mais anéantiraient le cabotage.

Je lui demanderai de quel cabotage il a entendu parler.

Est-ce du petit cabotage ? Mais il a beaucoup perdu de son importance depuis l’établissement des bateaux à vapeur et il ne vit plus que des transports pour lesquels il a un avantage exclusif ; par exemple, pour celui du sel. Eh bien ces avantages il les conservera.

Est-ce du grand cabotage ? Mais celui-ci, amenant chez nous des produits des diverses contrées de l’Europe, la potasse, le chanvre, les grains, les graines, restera, à fort peu de chose près, dans la position où il est aujourd’hui.

Du reste, messieurs, je vous le demande, où, dans quelles localités, est-on intéressé à défendre, à conserver le cabotage ? Assurément dans les ports maritimes. Eh bien, aucune réclamation, aucune plainte ne nous est parvenue des ports de mer en faveur du cabotage. D’où vous pouvez conclure avec assurance que le cabotage ne court aucun danger.

Mais, messieurs, les considérations dans lesquelles je viens d’entrer ne sont pas celles qui ont agi le plus puissamment sur mon esprit. J’ai bien plutôt été déterminé par celles que je vais développer brièvement.

En principe je suis, comme M. le ministre de l’intérieur, partisan de la liberté de commerce. Je m’étais figuré qu’après 1830 nous verrions l’Europe adopter un système de plus en plus libéral. Deux circonstances qui ont été indiquées hier par un de mes honorables collègues m’avaient confirmé dans celle opinion : la première, la création des associations douanières, qui ne sont rien autre chose que la liberté de commerce entre les différents Etats qui les composent ; la deuxième, l’établissement des chemins de fer qui commencent à sillonner toute l’Europe, des chemins de fer qui rapprochent les nations et qui me semblaient devoir amener petit à petit le renversement des barrières qui les séparent.

Mais, messieurs, mes illusions sont complètement dissipées : au lieu que le système commercial en Europe tende à devenir le plus en plus libéral, nous voyons, au contraire, toutes les nations travailler à se suffire à elles-mêmes ; nous les voyons toutes adopter des mesures dans ce but, et pour éloigner ce qui vient de l’étranger, aussi bien les produits du sol que les produits de l’industrie. Tandis qu’autrefois chaque pays avait en quelque sorte son industrie qui lui était propre et dont les pays voisins étaient pour ainsi dire tributaires, aujourd’hui chaque peuple veut produire et fabriquer tout ce dont il a besoin, et lorsqu’il fait moins bien ou plus chèrement qu’un voisin, par des droits prohibitifs il exclut celui-ci de son marché. Mais, comme cette exclusion ne peut jamais être ni générale, ni absolue, l’on fait alors des traités de commerce par lesquels on stipule de part et d’autre certains apaisements de droits.

Seuls, entre tous, resterons-nous en arrière ? Continuerons-nous à admettre tout le monde chez nous, tandis que nous sommes si peu admis ailleurs ? Ne ferons-nous rien pour sortir de cette fâcheuse position de ne pouvoir rien obtenir, parce que nous ne pouvons rien donner ? Non, messieurs, faisons en sorte que nous aussi nous puissions favoriser ceux qui nous favorisent, exclure ceux qui nous excluent, puisqu’enfin tel est le système qui prévaut partout.

Tous les peuples ont fait leur apprentissage. a dit M. ministre de l’intérieur. Cela est vrai. Le nôtre a été rude. Partout nous nous sommes désarmés bénévolement. Nous avons fait à tout le monde des concessions sans en recevoir nous-mêmes ; tantôt, et j’avoue que c’était le plus souvent, parce que, notre position n’étant ni bien définie, ni bien affermie, nous avions besoin de nous assurer la bienveillance des puissances ; tantôt, par suite de la faiblesse de ceux qui nous gouvernaient.

Je voterai donc pour le projet du gouvernement, non pas pour exclure les étrangers de chez nous, mais pour mettre le gouvernement à même de traiter avec eux sur le pied de l’égalité.

Je me suis donné la peine de faire deux tableaux, l’un des bâtiments qui sont entrés dans nos ports et de ceux qui en sont sortis pendant ces dernières années, avec distinction de pavillon ; l’autre des importations et des exportations pendant ces mêmes années ; et il suffit, messieurs, de jeter un coup d’œil sur ces tableaux, pour voir combien nous avons exploité jusqu’ici.

Remarquez-le bien d’ailleurs, s’il vous reste encore quelques relations avantageuses, rien ne nous en garantit la conservation. On peut nous les enlever d’un moment à l’autre. Quand les droits différentiels n’auraient d’autre effet que de nous assurer la continuation de ces relations, je dis que ce serait encore un fort beau résultat.

Mais dit-on, pourquoi ne pas traiter d’abord avec les puissances étrangères ? Pourquoi établir des droits différentiels pour avoir le plaisir d’y renoncer petit à petit ? Messieurs, je dois m’en rapporter à ce que le gouvernement nous a dit. Je dois croire que les négociations entamées ou essayées partout sont toujours restées stériles. Force nous est donc de donner au gouvernement de nouveaux moyens, puisque lui-même renonce à tout espoir de succès, si nous le laissons dans la position où il est.

On parle de mesures de représailles. Et sous quel prétexte les prendrait-on ? Faisons-nous autre chose que ce qu’on a fait partout autour de nous ? Avons-nous pris des mesures de représailles contre tous ceux qui ont arrêté des mesures qui n’étaient pas dans notre intérêt ? En avons-nous pris tout récemment contre la France ? Non, messieurs.

Y aurait-il donc prescription acquise contre nous, parce que nous ne l’avons pas fait plus tôt ? Il semble, à entendre certaines personnes, que notre statu quo commercial soit, pour les autres gouvernements, une espèce de droit acquis que nous ne puissions toucher sans nous mettre en hostilité vis-à-vis d’elles ? C’est donner par trop d’extension à notre neutralité, que de l’entendre en ce sens que nous pouvons nous gouverner à notre gré, pourvu que nous le fassions dans l’intérêt de l’étranger, et que nous cesserons d’être maîtres chez nous, des que nous voudrons agir dans notre propre intérêt.

Si je ne me trompe, quand la Belgique a fait sa révolution en 1830, c’est parce qu’elle était fatiguée d’être gouvernée dans l’intérêt de la Hollande ; et quand les puissances ont ratifié notre révolution, nous ont-elles auparavant présenté ce dilemme : Ou vous continuerez à être gouvernés dans l’intérêt de la Hollande, ou vous le serez dans notre intérêt ?

Si on nous l’avait adressé, je vous le demande, qu’eussions-nous répondu ? Involontairement, messieurs, il me vient à la mémoire un apologue que la plupart de vous connaissent et que je demanderai la permission de rappeler. C’est celui de ce chef de cuisine qui, s’adressant à un habitant de la basse-cour (c’était, je crois, un chapon), lui demande comment il veut être accommodé. « Mais, répond le chapon, je ne veux pas être accommodé, je veux vivre. » Le chef reprend et lui dit : « Je ne vous laisse pas le choix entre vivre et mourir ; la seule alternative que je vous donne, c’est la manière dont vous serez accommodé. » Eh bien, messieurs, je ne veux pas que la Belgique soit traitée comme ce chapon, sous aucun rapport. Je prétends que la Belgique ne doit pas seulement être libre, qu’elle doit être indépendante. Je veux que la Belgique vive et qu’elle vive comme il lui plaira de vivre. Nous avons accepté la neutralité, mais qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire que nous nous sommes engagés à ne jamais porter la guerre chez nos voisins, à ne jamais les troubler. Mais avons-nous entendu ne pas rester maîtres de faire notre ménage à notre gré ? Non, messieurs, du reste, l’époque n’est pas éloignée, j’espère, où je pourrai m’expliquer plus nettement sur la manière dont j’entends la neutralité de la Belgique. Pour ma part, quand nous en viendrons à cette discussion, je ferai voir que j’ai en 1844 autant d’énergie et de patriotisme que j’en avais dans les premiers temps qui ont suivi la révolution.

Messieurs, il est à croire que notre gouvernement ne restera pas oisif après le vote des chambres. Il fera lui-même des ouvertures convenables et j’ai lieu de croire qu’elles seront bien accueillies si pas immédiatement au moins en peu de temps. Il ne faudrait du reste pas s’alarmer si quelques-uns de nos voisins commençaient par prendre une mesure qui nous fût hostile ; des négociations, je pense habilement conduites, ne tarderaient pas à les faire retirer. Mais, messieurs, le gouvernement (et ceci s’applique également aux chambres), le gouvernement aura d’autres obligations à remplir à l’égard du commerce, c’est de le laisser vivre tranquille. Depuis des années il n’a pas eu un instant de repos, toujours quelque branche a été atteinte ou menacée. Un jour on en voulait à l’huile de baleine, que l’on a tellement frappée, qu’elle n’entre pour ainsi dire plus en Belgique ; aux fruits secs, aux épiceries, au riz ; l’autre jour on établissait une surtaxe sur le café ou bien on bouleversait la législation sur les sucres, et on la bouleversait de la manière la plus pernicieuse au commerce ; aujourd’hui c’est le tabac qui est menacé, et Dieu sait si l’on ne songe pas déjà à quelque autre article de commerce pour le cas où la loi serait modifiée, de manière à ce qu’elle ne produisît plus au trésor ce qu’on voulait lui faire produire.

Il y a, messieurs, deux raisons péremptoires pour que le commerce ne soit plus inquiété. La première c’est que le commerce ne vit que de stabilité et qu’en le menaçant sans cesse dans l’une ou l’autre de ses branches, vous rendez impossibles des opérations de quelque importance et surtout celles qui ne se réalisent qu’au bout d’un certain temps. La seconde, c’est que sa position n’est pas assez prospère, pour que l’on pusse exiger de lui qu’il comble le déficit de nos finances.

Ah ! si en frappant le commerce de taxes nouvelles vous ne faisiez que diminuer les bénéfices des négociants, bénéfices qui, cependant, ne sont pas déjà très considérables, je pourrais passer condamnation, mais en le surchargeant, ce n’est pas le négociant que vous atteignez, c’est le commerce lui-même, c’est-à-dire que vous diminuez, que vous appauvrissez, que vous tarissez les sources qui enrichissent le pays.

En résumé donc, messieurs, je voterai pour le projet du gouvernement, plus ou moins amendé, et je le ferai avec l’espoir que des traites habilement négociés ne tarderont pas à faire disparaître en grande partie les droits différentiels.

M. de La Coste. - Messieurs, mon dessein est de vous soumettre une objection qui s’est présentée à mon esprit, dès que j’ai commencé à étudier le projet du ministère.

Pour satisfaire à notre règlement, je proposerai dans le sens de mes observations un amendement de principe. Je n’ai pourtant pas la prétention de trancher la question, mais j’ai cru qu’il était intéressant de la poser. Je toucherai, avant d’y arriver, la question générale avec la réserve que doit m’inspirer le sentiment de mon infériorité vis-à-vis des personnes qui ont approfondi la matière plus que je n’ai pu le faire.

Je partage, avec un honorable député de Bruxelles, l’opinion qu’il faut dans cette importante affaire laisser beaucoup à la responsabilité du gouvernement. Cependant, à côté de cette responsabilité, nous avons aussi la nôtre vis-à-vis du pays, vis-à-vis de nous-mêmes. Le sentiment de cette responsabilité, messieurs, est chez moi, je l’avoue, plein d’une véritable anxiété en présence, non pas de quelque intérêt plus spécialement confié à nos soins, mais de réclamations qui s élèvent, de craintes si vives et, je le dirai même, de si vives espérances.

Quel sera le résultat de ce que nous allons faire ? Allons-nous puissamment élargir nos débouchés au-delà des mers, ou courrons-nous le risque d’en resserrer quelques-uns sur le continent ?

Le port d’Anvers, qui a tant de droits à notre intérêt, profitera-t-il, autant qu’on le pense, de la mesure en discussion ? L’effet en sera-t-il d’ouvrir dans Anvers un grand bazar où diverses nations viendront échanger leurs produits par l’entremise de notre commerce actif, ou le transit s’étendra-t-il aux dépens de celui-ci ; le transit qui ne ferait que traverser rapidement Anvers, dégagé des entraves auxquelles le commerce actif serait soumis par la protection même que nous croirions lui accorder ?

Allons-nous améliorer la position de notre marine marchande, ou y jeter la perturbation au lieu d’encouragements vivement réclamés ?

Messieurs, à mes yeux, la solution de ces questions dépend en partie de la rédaction définitive de la loi sur laquelle je ne me prononce pas encore, mais elle dépendra toujours en grande partie aussi des chances de l’avenir.

Il y a peut-être, messieurs, je le pense, de l’exagération dans les craintes qui ont été exprimées. Parmi ces craintes il y en a (et je suis à cet égard d’accord avec l’honorable M. de Brouckere) qui ne doivent point nous préoccuper, si nous avons la conviction que les mesures proposées réaliseront les espérances dont on nous flatte ; mais, messieurs, dans ces espérances aussi, ne peut-il pas y avoir de l’exagération ? Ne peut-il pas s’y mêler quelques-unes de ces illusions que le rapport de M. le ministre des affaires étrangères a si tristement dissipées ? Il y aurait là un grand danger : aux espérances vivement surexcitées, succéderait plus tard le découragement industriel et peut-être l’indifférence politique.

Messieurs, tâchons d’être plus heureux dans nos négociations avec les pays transatlantiques, que nous l’avons été ailleurs. Etendons nos relations lointaines. Ménageons dans ces contrées un asile à notre industrie pour le cas où l’Europe lui deviendrait trop inhospitalière. Mais, messieurs, ne portons point de ce côté notre attente au-delà des bornes du possible, et, dans ce qui a rapport à nos relations sur le continent, n’assombrissons pas le tableau au-delà de la réalité.

Messieurs, je ne me lancerai pas en pleine eau dans l’optimisme ; les souffrances de nos industries sont trop réelles. Les nier, et cela dans le moment même où une de ces industries, l’industrie des machines, qui soutient avec tant de courage une lutte inégale, va peut-être se voir frappée d’un coup fatal, les nier serait presque une insulte ; ce serait une marque d’indifférence et de d’insensibilité.

Mais, messieurs, convenons-en, quelques branches de notre industrie se développent, tandis que d’autres dépérissent. Le mal qui nous travaille me paraît être en partie une transformation, un déplacement de l’industrie.

Cette transformation, ce déplacement sera, je le crois, de plus en plus le résultat des mesures douanières de nos voisins. Si ces mesures deviennent de plus en plus exclusives, ils nous forceront à fabriquer une grande partie de ce que nous recevons d’eux, et pour le surplus, le triste intermédiaire de la fraude remplacera de jour en jour davantage des relations plus loyales et plus propres à unir les peuples par les liens d’une mutuelle sympathie.

Messieurs, toute transformation, tout déplacement de l’industrie, amène des souffrances trop réelles : or, je le demande, s’il était possible de pousser violemment l’industrie dans la voie des exportations maritimes aux dépens de nos relations continentales, ne serait-ce pas une transformation, un déplacement sur une grande échelle ?

Il faut donc se garder de brusquer les choses ; mais, pour étendre, comme je le disais, nos relations transatlantiques, sans nuire à nos relations les plus prochaines, les plus naturelles, les plus importantes, il est nécessaire de régulariser la position de notre marine marchande. Notre système de protection, en ce qui concerne la marine marchande, est, à mes yeux, incontestablement devenu incomplet et vicieux.

Il est devenu incomplet par la privation des avantages qui lui servaient de complément et que les colonies offraient à la navigation au long cours.

Il est encore devenu par là même vicieux ; les voyages les plus courts sont les plus favorisés, parce qu’étant répétés plus souvent, ils font jouir plus souvent de la prime.

Un autre défaut encore, selon moi, c’est que la prime se mesure, non à l’importance du voyage, non aux frais qui accompagnent la navigation, mais simplement au montant des droits.

Ces vices appellent une reforme ; on trouvera encore dans cette réforme l’avantage qui a été signalé par l’honorable M. de Brouckere que notre marine contribuera successivement à étendre nos relations de commerce dans l’intérêt de notre industrie.

Messieurs, quelques honorables membres ont paru croire que notre marine marchande va être dotée d’avantages exorbitants ; la tendance du projet, tel qu’il est amende par le gouvernement, dans l’esprit de la chambre de commerce d’Anvers, est tout autre ; je crains même qu’en quelques points ce projet ne soit désavantageux à notre marine marchande.

Ici je serai forcé d’entrer dans quelques détails, de devancer en quelque sorte la discussion des articles ; mais si je n’entrais pas dans ces détails, je ne pourrais rendre ma pensée aussi claire qu’elle doit l’être. Je prends pour base de mon raisonnement les deux articles coloniaux de consommation les plus importants, le café et le sucre, produits auxquels on rattache principalement les avantages de la navigation transatlantique pour notre industrie ; on a dit même que la question des sucres allait changer de face, que ce commerce prendrait une signification toute nouvelle.

Eh bien, pour le café, la chambre de commerce d’Anvers propose de porter de 10 à 15 par tonneau la prime de pavillon en faveur de notre navigation au long cours. M. le ministre de l’intérieur, il est vrai, va plus loin ; il porte une faveur de 10 à 25 ; mais dans les deux systèmes, la faveur de provenance dont le pavillon étranger profiterait comme le nôtre, serait de près de 25 fr. contre notre propre pavillon, naviguant au cabotage de mer, et de 40 fr. contre notre navigation intérieure qui aujourd’hui a une très grande part dans les transports de café. Il est vrai que notre cabotage de mer aura pour compensation une augmentation de la prime dont il jouit comme le long cours, et qui serait portée de 10 fr. à 15 50 ; mais il est évident que c’est surtout de la provenance qu’on s’est préoccupé.

A l’égard des sucres, la chambre de commerce d’Anvers ne fait absolument rien pour le pavillon national ; elle laisse subsister la position relative du pavillon national et du pavillon étranger au long cours. Elle réduit la faveur de pavillon pour notre cabotage de mer, de 40 fr. à 3 vis-à-vis du cabotage étranger et crée, pour le pavillon étranger, une faveur de provenance de 10 fr. par tonneau contre notre cabotage de mer, au lieu qu’auparavant celui-ci jouissait en tout cas au moins d’une protection de 15 fr. au moins.

M. le ministre de l’intérieur adopte ce plan, sauf une réduction insignifiante de deux francs par tonneau, au profit de notre pavillon au long cours. Je trouve donc encore que c’est le pavillon étranger qui est favorisé.

Messieurs, je comprends qu’on associe aux faveurs accordées à notre pavillon, jusqu’à un certain point, le pavillon des pays de production : telle peut être la condition d’un accueil favorable dans ces pays pour les produits de notre industrie. Mais, messieurs, quels sont, sous le rapport de notre industrie, les droits du pavillon étranger à de semblable faveurs ? Certes, s’il est un point sur lequel tout le monde est d’accord, c’est que le pavillon étranger fait très peu de chose pour notre industrie ; excepté pourtant quand il ne fait rien du pour elle.

Messieurs, je n’entrerai pas à cet égard dans de longs détails de chiffres ; nous sommes rassasiés de chiffres et de statistique ; mais voici les résultats le plus généraux : dans les Antilles, dans l’Amérique du centre et dans l’Amérique méridionale, le pavillon étranger a placé pour une valeur de 800,000 fr., je ne dis pas de nos objets manufacturés, je ne dis pas de nos produits, mais seulement des provenances de nos ports. Dans les îles de la Sonde, y compris Syngapour, qu’a-t-il placé ? Absolument rien. On ne comprend pas ce que le nouveau système changera en cela.

On dit qu’il faut que les retours soient assurés, qu’on trouve le marché encombré et qu’on n’est pas certain de placer les retours. Mais les retours se sont élevés à la somme de 38 millions ; on les a placés, et il me semble que 38 millions de retours contre 800,000 fr d’expéditions, c’est quelque chose, et qu’il y a là de quoi contenter les plus difficiles.

Messieurs, je sais la réponse qu’on peut faire à mon objection. On dira : Si vous n’étendez pas la faveur de provenance au pavillon étranger, vous êtes réduits à choisir de deux choses l’une : ou bien vous constituerez un monopole au profit du pavillon national et au détriment du commerce ; ou bien vous ne pouvez pas repousser assez puissamment les provenances d’Europe.

Messieurs, le premier membre de ce dilemme, dans la position actuelle des choses, d’après la manière dont M. le ministre a posé la question, ne m’effraye pas ; je ne crains pas ce monopole ; ce monopole sera combattu par l’intérêt puissant et légitime du commerce ; il n’aura donc pas lieu. C’est donc le second membre du dilemme qui doit fixer davantage mon attention.

J’en conviens, l’énergie du système exclusif réside principalement dans la faveur de provenance commune au pavillon étranger et au pavillon belge, et dont probablement, pendant longtemps au moins, le pavillon étranger profitera le plus ; car, par exemple, pour le sucre, il fait à présent les 9/10 des affaires qui ont eu lieu par l’entremise de la navigation au long cours.

Messieurs, ici donc vient se présenter la grande question des provenances directes. Je ne veux entrer dans aucune discussion de théorie à cet égard, je soumets volontiers mes très faibles lumières à celles des membres de la commission d’enquête et de son honorable rapporteur, de tous ceux, en un mot, qui ont beaucoup plus approfondi la question que moi. Mais, messieurs, je ne voudrais pas que le pays fût précipité avec trop d’entraînement et sur parole, dans des voies en grande partie nouvelles pour lui, et puisqu’il s’agit de navigation, qu’on me permette cette comparaison : en acceptant la boussole que la commission d’enquête nous offre, je voudrais que l’on n’avançât que la sonde de l’expérience à la main.

Je ne voudrais donc pas devancer le développement de notre marine marchande au lieu de le seconder et de le suivre ; je voudrais rester dans les bornes que l’état de notre marine marchande indique ; je ne voudrais pas, s’il m’est permis de le dire, coudre le pavillon étranger au pavillon national, pour l’allonger. Eh ! messieurs, s’il doit résulter du nouveau système quelques embarras, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, que ce soit du moins pour notre pavillon que nous nous exposions, et non pas pour le pavillon anglais et pour le pavillon américain.

Ni en Angleterre, ni en France, on n’admet la faveur de provenance pour le pavillon étranger.

Ainsi, parcourez le tarif français pour le café, vous trouverez une foule de distinctions relativement au pavillon national, et vous rencontrerez uniformément le droit de 105 fr., pour le pavillon étranger comme pour l’introduction par terre.

Je n’irai point jusqu’à vous proposer dès à présent de consacrer le même principe, mais il me semble qu’en aucun cas le pavillon national ne doit être moins favorisé que le pavillon étranger ; c’est dans ce sens que je propose un amendement, non pas comme je l’ai dit, pour trancher la question, mais au moins pour appeler sur ce point votre sérieuse attention.

M. de Tornaco. - En prenant part à la discussion importante où vous êtes depuis si longtemps déjà, je n’ai certes pas l’espoir d’y apporter quelque lumière, je veux uniquement m’acquitter d’un devoir en payant mon tribut de doute, de défiance, de crainte.

Ces sentiments, je les éprouve avec une grande vivacité à la vue de ce qui se passe depuis l’ouverture de la discussion. On vous propose un système absolu de droits différentiels ; on vous invite à abandonner vos habitudes de prudence pour entrer brusquement dans une sorte de révolution commerciale ; on tranche du protecteur Cromwell comme si l’on avait une Angleterre derrière soi, sans songer à la situation du pays non plus qu’aux intérêts que l’on doit froisser à l’intérieur comme à l’extérieur ; on procède, en un mot, avec tout l’absolutisme et toute la froide témérité qui caractérisent les hommes systématiques.

Les choses se passent ainsi d’abord dans le huis-clos. Remarquez-le, s’il vous plaît, les flambeaux du système ont perdu tout leur éclat depuis que nous sommes sortis des ténèbres et que nous discutons au grand jour. Apparemment que le mystère et la nuit devaient servir leurs projets !

Et, messieurs, comment s’y prend-t-on pour vous persuader ? On déroule pompeusement devant vous le tableau du mouvement commercial dans le monde ; on passe en revue la politique commerciale des peuples ; on présente habilement les faits, les raisonnements, les exemples, et pourtant on ne prouve rien. Que prouvent des faits qu’il nous est impossible d’envisager sous toutes leurs faces ? Que prouvent des raisonnements appuyés sur des faits auxquels chacun peut donner la forme que son imagination lui suggère, sur lesquels chacun peut disputer à son aise ? Que prouvent enfin les exemples appliqués à faux ?

La France et l’Angleterre ont un système de droits différentiels, mais ces deux Etats puissants possèdent un grand marché intérieur, des colonies qu’ils exploitent, une marine militaire qui se recrute dans la marine marchande et qui est une condition de leur puissance. Ces deux grands exemples, tout complets qu’ils sont, ne prouvent encore rien, considères par rapport à l’industrie ; on peut croire, on doit croire plutôt que l’une des deux puissances établit le système par lequel elle aspirait à l’empire des mers et que l’autre l’établit à son tour parce qu’elle voulait disputer cet empire ; que prouvent-ils donc pour la Belgique et son industrie ? Cependant les partisans du système veulent l’implanter chez nous parce que l’Angleterre et la France l’ont adopté.

Leurs adversaires leur répondent par d’autres exemples qui paraissent mieux choisis : ils nomment la Saxe et la Suisse ; comme le nôtre, ces deux Etats sont faibles, ils ont peu d’étendue, point de colonie, des frontières difficiles à garder, dont l’entrée ne pourrait être surveillée qu’au moyen d’une armée de douaniers. Peu importe aux partisans du système ; ils s’empressent de rechercher les dissemblances, la diversité des circonstances, les différences de situation et d’autres objections qu’ils repoussent quand il s’agit de leurs propres termes de comparaison. Tel est leur besoin de droits différentiels, qu’ils vont parfois jusqu’à perdre de vue l’objet de l’enquête commerciale qui est la cause des propositions, ou qui plutôt, je commence à le croire, ne leur a servi que de prétexte.

L’enquête commerciale a été ordonnée afin de constater l’état de l’industrie et de reconnaitre les moyens de remédier à ses souffrances ; l’enquête a bien prouvé que certaines industries souffrent, les unes à cause d’un esprit routinier rebelle au perfectionnement ; les autres à cause d’une production excessive. Il paraîtrait raisonnable de se borner à déraciner la routine qui arrête le progrès des premières, de conseiller la prudence aux secondes, de protéger celles qui ont un besoin reconnu de protection ; mais ce n’est pas là ce dont il s’agit, il faut des droits différentiels.

Si des industriels recommandables par une longue expérience et des connaissances étendues, des hommes compétents, s’opposent au système, on leur dit qu’ils n’ont pas compris.

Eh bien, messieurs, je suis aussi dans l’impossibilité de comprendre le but que l’on veut atteindre, et je ne m’explique pas la hardiesse de ceux qui entreprennent de bouleverser tout le système commercial de notre pays, au nom de l’industrie, tout en dédaignant les avis des industriels ! J’ai si peu l’honneur de comprendre les partisans du système, que je ne puis me défendre d’un soupçon.

Je suis porté à croire que l’on nous cache quelque pensée secrète, et je me demande si les promoteurs du système à qui, vu leurs prétentions je dois supposer des conceptions fort étendues, n’ont pas quelque profonde pensée, quelque projet de haute portée qu’ils hésitent à nous faire connaître.

Veulent-ils former une marine militaire, prendre position sur les mers ? acheter ou fonder une ou plusieurs colonies ; établir une ou plusieurs compagnies commerciales, et répondre ainsi à une pensée déjà deux fois produite dans le discours du Trône, à l’ouverture de deux sessions ? Veulent-ils, en un mot, compléter leur système, le rendre rationnel et lui donner l’appui qui lui manque pour être justifié par les exemples qu’ils invoquent ?

Si telle est leur ambition, qu’ils exposent donc aux yeux du pays leurs vues ultérieures, leurs ressources, leurs moyens d’exécution ; qu’ils fassent connaître au pays la voie dans laquelle ils veulent l’entraîner et les sacrifices qu’ils attendent de lui, mais qu’ils ne l’engagent point, à son insu, dans l’exécution d’un plan qui n’aurait pas reçu préalablement son approbation. Jusqu’à ce que je sois éclairé sur ce point, je comprendrai bien l’application à la Belgique d’un système protecteur des industries, niais non pas celle d’un système de droits différentiels.

Messieurs, j’ai suivi la discussion avec une religieuse attention, et sans être préoccupé d’aucun intérêt de localité, je puis le dire ; je l’ai suivie avec le désir de m’instruire, et je n’ai point aperçu une seule preuve de l’utilité du système proposé ; je ne suis point parvenu à acquérir, au prix de mon attention soutenue, la moindre conviction des avantages qu’il procurerait au pays ; et si chacun de vous veut bien s’interroger, je suis sûr que plus d’un d’entre vous qui incline à l’adoption du projet, se trouve dans la même position que moi. Ce n’est pourtant pas seulement une conviction, mais une certitude qu’il nous faudrait pour adopter un système nouveau de cette portée.

La prudence la plus vulgaire nous commande de ne pas renoncer à une situation quelle qu’elle soit, en faveur d’une autre, que rien ne nous prouve devoir être meilleure, de ne pas passer du connu à l’inconnu, sans avantage assuré.

Tandis que je demeure dans une défiance profonde, quant au bien que l’on semble attendre du système des droits différentiels, j’éprouve une crainte aussi vive que fondée, quant au mal que causerait son adoption.

Les industriels, rappelez-vous que c’est d’eux, de leurs intérêts que nous nous occupons plus particulièrement, les industriels vous l’ont répété cent fois, le système ne leur assurera pas les marchés lointains dont la perspective n’est que trop flatteuse pour eux ; sur les uns ils rencontrent et rencontreront, en dépit du système, une concurrence acharnée, mortelle ; ils ne fabriquent pas pour les autres, beaucoup d’entre eux n’ont pas d’ailleurs les ressources nécessaires pour y entretenir des relations indispensables afin d’y suivre leurs affaires.

Le système, loin de favoriser l’écoulement de leurs produits, l’entravera, il le privera de moyens d’exportation pendant un laps de temps dont la durée ne saurait être calculée ; il augmentera les difficultés de la concurrence par l’élévation simultanée du prix des transports et du prix de certains objets de consommation réagissant sur celui de la main-d’œuvre.

Maintenant de deux choses l’une : ou les promoteurs du système déclinent la compétence des industriels, et, dans ce cas, leur propre jugement doit nous paraître suspect puisqu’ils ont cru devoir consulter les industriels, ou ils admettent la compétence de ces derniers, ils les tiennent pour hommes expérimentés, instruits, prévoyants, et alors ils sont obligés d’admettre aussi que l’adoption du système des droits différentiels serait funeste à l’industrie.

Des représailles sont à redouter qui jetteraient la perturbation dans nos rapports commerciaux ; je me borne à mentionner ce sujet de crainte. Cependant je ne crois pouvoir me dispenser de soumettre à vos méditations différentes questions.

Plusieurs de mes honorables collègues ont paru considérer le système proposé comme moyen d’obtenir des concessions, notamment de la Hollande, qui peut être regardée, à juste titre, comme notre alliée naturelle sous le rapport commercial, aussi bien que sous le rapport politique. Je demanderai à ces honorables membres s’ils croient que le gouvernement ait fait ou même qu’il ait eu le temps de faire tout ce qu’il fallait pour amener la Hollande à la conclusion de traiter que l’intérêt bien entendu des deux peuples conseille évidemment.

Je leur demanderai s’il leur paraît bien sage de ne pas tenter de nouveaux efforts, et d’employer dès le lendemain de nos arrangements politiques des sortes de mesures coercitives, de courir la chance de ranimer des ressentiments qui ont pu résister mais qui doivent aussi naturellement s’éteindre sous la double influence du temps et de l’intérêt commun ?

Je leur demanderai, toujours en abondant dans leur sens, s’ils pensent sérieusement que leurs espérances de concessions, fondées sur l’emploi des mesures proposées, se réaliseront immédiatement ?

Remarquez-le bien, messieurs, dans le cas ou ces espérances seraient trompées, il pourrait arriver que vous eussiez par votre propre fait amoindri les avantages d’un traite futur. Aujourd’hui que la concurrence des productions est générale, les relations et les besoins réciproques des peuples se modifient en peu de temps. Qui vous dit que dans deux ou trois années, le pays avec lequel vous désirez former une alliance commerciale aura encore le même besoin de vos produits ? qui peut vous assurer qu’il n’aura pas, obéissant à l’esprit de réaction, formé des alliances nouvelles qui déprécieront à ses yeux celle que vous voudriez alors lui offrir ?

Messieurs, conservons soigneusement nos relations commerciales ; que l’exposé qui vous a été fait par l’honorable ministre des affaires étrangères vous porte conseil en ce sens. Ne nous laissons point irriter par les obstacles que rencontre notre nouvel état ; ne compromettons rien par notre impatience ou notre mécontentement.

La Belgique n’est pas gênée au point de devoir se jeter dans des projets aventureux ; nous avons, il est vrai, une plaie à cicatriser, celle du paupérisme mais ce n’est pas le système dangereux que l’on nous propose qui nous aidera dans l’accomplissement de ce devoir impérieux. Le système ne donnera ni travail, ni pain à nos ouvriers oisifs et affamés, il n’imprimera pas même d’activité à la construction de navires ; car on reconnaît la nécessité de nationaliser les navires étrangers, et en admettant qu’il activât quelque peu le travail, d’un côté, à Anvers, par exemple, il se ralentirait beaucoup plus d’un autre côté, à Liège.

Nous possédons d’ailleurs pour soulager la classe laborieuse, des ressources, des moyens sûrs et efficaces ; nous avons tout un travail de défrichement à organiser. Pendant que l’on rêve la conquête de marchés éloignés, conquête difficile à faire et plus difficile à garder, on oublie la conquête facile d’une province, l’agrandissement de notre marché intérieur par le développement de la consommation. Mais, faut-il le dire, nous obéissons à l’impulsion d’un gouvernement qui se nourrit de vanité et de fumée, ct qui, pendant qu’il satisfait à ses besoins vaporeux, néglige les moyens positifs de satisfaire aux besoins réels du pays.

Je reviens, messieurs, à l’exposé des motifs de ma crainte.

Messieurs, que des représailles aient ou n’aient pas lieu, dans le cas où le projet serait adopté, toujours est-il certain qu’une foule d’intérêts considérables seraient lésés, ceux du commerce qui se fait par cabotage, canaux et rivières, aussi bien que ceux du commerce par terre ; les échanges seront entravés, les relations établies seront gênées, rompues ; la plus grande partie des habitants, surtout ceux des frontières de terre, subiront une majoration de prix sur les objets qu’ils tirent directement de chez nos voisins. Au profit de qui tous ces dommages seront-ils supportés ? Je l’ignore, mais probablement au profit de quelques riches armateurs qui consentiront à grossir leur fortune, tandis que des habitants pauvres payeront plus cher, et cela sans compensation, certains objets de première nécessité.

Aujourd’hui qu’avertis, les habitants des localités les plus voisines font entendre leurs réclamations, je crois devoir fixer un instant votre attention sur une province éloignée, le Luxembourg. La position excentrique de cette province l’empêchera, sans doute, du faire connaître à temps les appréhensions qu’elle doit avoir ; cette circonstance et les affections qui m’y rattachent me commandent de ne pas la laisser dans l’oubli. Durant le huis-clos, un honorable ministre vous a dit, si j’ai bonne mémoire, que le Luxembourg est modeste, qu’il s’est déclaré incompétent dans la question des droits différentiels ; c’est là une erreur où je regrette d’avoir vu tomber un ministre que le Luxembourg doit toucher à tant d’égards. Le Luxembourg est modeste, sans doute, il a de bonnes raisons de l’être, mais il ne pousse pas l’humilité jusqu’à l’abnégation de ses intérêts ; le Luxembourg a déclaré, par l’organe de la députation du conseil provincial, qu’il regarde comme inadmissible le projet dont l’exécution l’obligera a payer plus cher les eaux-de-vie, les vins, les graines, la moitié enfin des objets qui sont atteints par le tarif proposé.

La députation du Luxembourg n’a point envisagé la question des droits différentiels au point de vue des représailles, car elle eût nécessairement donné à ses objections un caractère tout différent de celui qu’elles ont.

En résumé, le système proposé n’est point applicable à la Belgique, il n’assure aucun avantage, il ne remédie point aux souffrances de l’industrie, encore moins à celles de la classe ouvrière ; il nous expose à des périls et froisse les intérêts de la masse au profit de quelques-uns ; je le repousserai donc comme contraire au bien-être général.

Si toutefois je n’étais pas animé d’une conviction fondée sur l’examen des intérêts matériels généraux, je le repousserais encore au nom de l’équité, au nom de la raison politique.

Plusieurs provinces sont exposées à supporter un préjudice disproportionné dans le froissement général ; il en est une dont l’avenir est en quelque sorte compromis.

Les discours de mes honorables amis de Liége, les avis répétés de la chambre de commerce de cette ville, l’anxiété qui s’y manifeste ont dû vous convaincre ; la province de Liége, vous en avez la conscience, est menacée d’un grand danger ; quoi qu’il arrive après l’adoption du projet fatal, elle sera profondément blessée. Exposerez-vous à de périlleux hasards une province qui a tant de titre à vos ménagements ? pour un bien chimérique la priverez-vous des avantages qu’elle possède, qu’elle tient de la nature ? Liége n’a pas fait un mauvais usage des bienfaits qu’une nature généreuse lui a prodigués, elle en a tire bon parti pour vous aussi bien que pour elle-même. La condamnerez-vous à ne plus jouir du fruit de son intelligente activité, de son travail infatigable ? Non, messieurs, vous n’avez point de raisons pour la traiter aussi durement. Quand les représentants de la nation firent, il y a peu d’années, le sacrifice à jamais déplorable, de deux demi-provinces, ils eurent du moins la nécessité pour excuse ; vous ne l’auriez pas ; le sacrifice étant inutile et volontaire, vous ne le ferez pas. Si c’est à vos yeux une concession que nous vous demandons, faites-la sans regret, car vous donnerez ainsi à tous les intérêts existants un gage de sécurité, vous cimenterez l’union de nos provinces, vous consoliderez votre ouvrage auquel nous n’avons pas tous pris part, il est vrai, mais que tous nous voulons aujourd’hui maintenir et fortifier contre les événements.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, « l’industrie sépare sa cause de celle du commerce et de la navigation. L’intérieur du pays se sépare du littoral. » Tel est le langage que nous entendons autour de nous. Ce spectacle serait effrayant s’il était nouveau.

La question que nous avons à traiter peut être ramenée à ces termes : La Belgique peut-elle être jusqu’à un certain point un pays commercial et maritime ? le littoral belge jouira-t-il des avantages que la nature semble lui avoir faits ? Vous demandez, nous dit-on, des sacrifices à l’intérieur du pays. En admettant un instant que cela soit vrai, le littoral n’a-t-il jamais fait des sacrifices pour l’intérieur du pays ? Vous allez fermer la Meuse ! Mais l’Escaut est-il entièrement libre ? N’a-t-on pas en quelque sorte fermé ce beau fleuve, que j’appellerai cosmopolitique à certains produits étrangers, au profit de la production indigène ? On vous a hier représenté la ville de Liége si avantageusement placée sur la Meuse, on vous a demandé de quel droit on empêcherait Liége de prendre par elle-même les cafés dont elle a besoin dans les entrepôts de Rotterdam et d’Amsterdam, et les tabacs qu’il lui faut dans les entrepôts de Brème et de Hambourg. Anvers a une position plus belle encore ; Anvers a-t-il conservé tous les avantages de cette position ? Le littoral tout entier des Flandres jouit-il de tous ses avantages maritimes ? Anvers ne peut-il pas venir dire à son tour à l’intérieur du pays : De quel droit m’est-il interdit de prendre les houilles dont j’ai besoin dans les mines du Northumberland ? Le littoral tout entier peut vous tenir le même langage et vous dire encore avec Anvers : De quel droit m’a-t-on interdit de prendre les produits métallurgiques, là où je puis les avoir au prix le moins élevé ?

Cette année même, messieurs, vous avez voté une loi presque sans contestation. Vous avez élevé le droit sur les fontes étrangères au point de les exclure du marché belge en maintenant la prohibition même du transit. Ainsi le littoral s’est imposé des sacrifices ; il s’est imposé des sacrifices au profit de l’intérieur du pays. Il pourrait venir vous dire à son tour : Pourquoi m’est-il défendu de jouir de ma position, de prendre le combustible, les produits métallurgiques et tant d’autres objets dont j’ai besoin au-delà des mers ; là où je puis les avoir aux conditions les plus favorables ?

Ce sont, me dit un honorable membre, des conditions de douane. Le système protecteur est un. Il faut qu’il soit le droit commun de tous, ou que la liberté soit le droit commun de tous. (Interruption.)

Vous allez, répète-t-on, fermer la Meuse aux denrées coloniales que Liège peut prendre dans les entrepôts hollandais. En admettant encore un instant que tel puisse être le résultat d’un système aussi modéré que le nôtre (ce que je nie formellement), nous répondrions : Mais vous avez fermé l’Escaut à la houille anglaise et aux produits transatlantiques de l’Angleterre. (Nouvelle interruption.)

Vous avez déjà, me dit-on, fermé la Meuse au sel et au sucre. Mais ce ne serait là qu’une faible compensation qu’on vous aurait demande en retour des sacrifices que le littoral vous aurait faits.

M. Lesoinne. - Alors nous sommes quittes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Chaque localité, messieurs, a sa destinée. Pour que cette destinée s’accomplisse, il faut quelquefois que d’autres localités renoncent à certains avantages secondaires. Vous avez dans l’intérieur du pays de grandes industries ; ces industries jouissent du marché intérieur ; quelques-unes d’une manière, on peut le dire, exclusive. Le tarif belge est tel qu’il est prohibitif à l’égard de la houille ; il est aussi tel qu’il est prohibitif à l’égard des produits métallurgiques. (Rumeurs diverses.)

Oui, messieurs, répondant à une interruption qui m’était adressée, je vous disais tout à l’heure que le système protecteur est un. Il doit être le droit commun de tous, ou bien il faut que la liberté soit le droit commun de tous. Si, pour que les destinées maritimes et commerciales du littoral s’accomplissent dans certaines limites, assez modestes d’ailleurs, et sans porter ombrage, notamment à la Hollande, il faut que l’intérieur du pays s’impose au besoin quelques sacrifices, ces sacrifices seront légitimes s’ils sont l’accomplissement des destinées du littoral. S’il en était autrement, mais le système protecteur serait une grande iniquité nationale ! Le système protecteur existerait à l’intérieur pour les industries proprement dites, et le littoral serait placé sous un régime de liberté, là où ses intérêts exigeraient le contraire. Le littoral viendrait vous dire : Ne me placez pas sous deux systèmes différents, placez-moi sous le régime protecteur ou sous le régime de liberté. En me plaçant sous le régime de liberté, permettez-moi de prendre ce qu’il me faut là où je puis me le procurer aux meilleures conditions ; faites que mes ports soient francs ! ou si vous m’imposez des sacrifices, offrez-moi en compensation le système protecteur qu’il me faut pour l’accomplissement, au moins partiel, de mes destinées propres.

La Meuse, messieurs, sera-t-elle sacrifiée au point où on le craint ? La Meuse a une exportation en Hollande d’environ 110,000 tonneaux. Elle reçoit de la Hollande dix à onze mille tonneaux annuellement. Nous prétendons que les opérations sont indépendantes l’une de l’autre. (Interruption.) Vos exportations par la Meuse sont indépendantes de vos importations. Les importations qui se font de Hollande vers Liège pourraient diminuer, que les exportations ne diminueraient pas.

Votre intérêt, votre droit, ce sont les exportations en Hollande. Si, pour que les destinées du littoral s’accomplissent, il faut que la province de Liège se résigne à ne pas prendre pour elle-même ou à prendre en moindres quantités ses denrées coloniales en Hollande, cette province doit se résigner à ce sacrifice (qui, en définitive, n’en est pas un, puisqu’elle ne payera pas le café plus cher), de même que le littoral et Anvers se résignent à prendre dans l’intérieur du pays les houilles et les fers ; mais je ne crois pas même que ces importations cesseront ; Liège sera dans la même position qu’Anvers, par rapport aux entrepôts hollandais : et ne comptez pas au profit d’Anvers sur des importations directes de Java.

Vos exportations en Hollande ne diminueront pas, elles ne sont pas menacées, même par la perspective de la diminution peu probable, selon moi, des importations. Les exportations ne peuvent être menacées que dans l’hypothèse des représailles ; hypothèse que je ne puis discuter ici.

Nous sommes obligés d’examiner la question en dehors de cette hypothèse ; les représailles changent tout ; et c’est la question en elle-même que nous devons considérer.

L’honorable membre qui a clos la séance d’hier, vous a signalé avec beaucoup d’habileté, les progrès que la question a faits peu à peu. D’abord elle semblait se rattacher à la navigation seule. Il semblait que l’auteur de la proposition était exclusivement préoccupé de la formation d’une marine marchande. L’honorable membre a dit avec raison, que la question s’isolant de la sorte, aurait eu peu de chances de succès.

Cependant, en isolant même la question à ce point, elle eût encore été digne de notre examen. Nous devons nous demander si l’industrie n’est pas digne de notre protection. Nous devons nous demander, si considérant isolément la navigation, on doit la placer en dehors du système protecteur, qui forme le droit commun du pays.

Un deuxième intérêt est venu se rattacher à la question de navigation ; c’est l’intérêt de la place d’Anvers ; Anvers, il faut bien le dire, pour beaucoup d’objets, n’est qu’une succursale des entrepôts européens. Faut-il que cette place devienne autant que possible un marché direct, un marché de première main ? C’est ainsi, a dit l’honorable orateur d’hier, qu’une coalition est venue à se former entre Anvers et les partisans d’une marine nationale. Mais cette coalition n’aurait pas encore eu de chances suffisantes de succès si, à ces deux intérêts n’était venu se joindre un intérêt plus grand, l’intérêt industriel, intérêt tellement grand qu’il prend les proportions d’un intérêt général national.

A ce point de vue, nous devons nous demander si la création d’un système de droits différentiels n’est pas un moyen puissant d’organiser un système d’exportation de nos produits industriels dans les contrées lointaines, c’est-à-dire, d’ajouter les débouchés transatlantiques, trop peu exploités maintenant par l’industrie belge, à ceux qu’elle trouve en Europe.

Cette partie du système, l’honorable député de Liège l’a parfaitement comprise ; il a compris qu’il fallait, en ce point. affaiblir la position de ses adversaires ; il a nié la connexité entre les importations directes des pays de production transatlantique et les exportations industrielles de la Belgique vers ces pays ; il a nié cette corrélation, et dans l’ordre d’idées où il se place, il le devait.

On pourrait faire une échelle des probabilités et des improbabilités d’exportations. (Interruption.) J’établirai tout à l’heure mes assertions par des chiffres, et je rectifierai ceux qu’a cités l’honorable M. David et après lui M. Delfosse. Je parle de probabilités. En effet, il ne peut s’agir de certitude mathématique dans une discussion de ce genre. Il s’agit d’un calcul de probabilités justifiées par l’expérience de tous les peuples et par notre propre expérience.

La plus grande probabilité d’exportation est dans trois cas :

1° Pavillon belge allant au lien de production ;

2° (Dans ce cas-ci la probabilité est moindre), pavillon étranger, mais du lieu de production, venant du lieu de production ;

Dans ce cas, qui est le second, il y a encore une grande probabilité d’exportation des produits de l’industrie belge. C’est pour cela que nous allons jusqu’à admettre la faculté d’assimiler par réciprocité le pavillon étranger au pavillon national, à l’instar du système de droits différentiels de la Grande-Bretagne ;

3° Pavillon belge allant aux entrepôts transatlantiques.

Maintenant passons à l’échelle descendante, aux improbabilités d’exportation.

Il a la plus grande improbabilité d’exportation des produits belges, dans les cas suivants :

1° Pavillon belge ou étranger en rapport avec les entrepôts européens. (Dans ce cas, il y a improbabilité presque absolue d’exportation. C’est pour cela, nous en convenons, que notre système est peu favorable aux entrepôts européens. Nous allons y penser ; mais là on ne nous demande rien, on ne peut rien nous demander ; en effet, ce que nous aurions à y transporter y est déjà, soit que le pavillon national du pays où l’entrepôt est situé y ait apporté ce que nous pourrions y porter, soit que le pays même produise nos similaires et les repousse par son tarif.)

2° Pavillon étranger au lieu de production, venant du lieu de production.

3° Pavillon étranger venant des entrepôts transatlantiques.

Voilà comment on peut calculer les probabilités et les improbabilités d’exportation. Ce ne sont pas des calculs mathématiquement rigoureux ; mais ce sont des probabilités justifiées par l’expérience. On a nié cette expérience, quant à la Belgique. On a dit : Vous préconisez les importations directes des contrées transatlantiques ; et cependant le chiffre de vos exportations dans ces contrées n’est pas en rapport avec les produits qui vous sont venus directement de ces contrées.

L’honorable M. de Brouckere a dit avec raison qu’on avait négligé une distinction essentielle. Cette distinction, je vais la faire. J’appelle sur ce point toute votre attention. C’est toujours la statistique commerciale de 1842, qui sert de base à nos raisonnements.

Les honorables MM. David et Delfosse vous ont dit : Vous avez tiré de Cuba et de Porto-Rico, pour 8,646,401 fr. de produits ; vous les en avez reçus directement et cependant vous n’avez envoyé à Cuba et à Porto-Rico de vos propres produits que pour 793,562 fr. Vous voyez donc qu’il n’y a pas de corrélation naturelle, probable même, entre les importations directes des pays transatlantiques et vos exportations de produits indigènes.

La distinction que ces honorables membres ont négligée est celle-ci : vous avez tiré de Cuba et de Porto-Rico pour 8 millions et demi environ ; mais voici comment ils vous sont arrivés :

Le pavillon étranger vous a importé pour 6,004,859 fr.

Le pavillon belge vous a importé seulement pour 89,244 fr.

Ainsi le pavillon belge n’entre dans ces importations directes des lieux de production que pour 13 pour cent. La conséquence serait que le pavillon belge n’est entré aussi que pour 13 pour cent dans l’exportation de nos produits vers Cuba et Porto-Rico. Il n’en est rien.

En 1842, vous avez envoyé pour 793,562 fr. de nos produits à Cuba et Porto-Rico.

Il a été exporté par pavillon belge pour 439,602 fr., le pavillon étranger qui vous avait importé pour 6,004,859 fr., vous a seulement exporté pour 391,651 fr., c’est-à-dire, que le pavillon belge qui est entré dans le total des importations de Cuba et Porto-Rico que pour 13 p. c., entre dans le total de vos exportations vers Cuba et Porto-Rico pour 53 p. c.

Le même résultat (en faisant la distinction que j’ai indiquée) se retrouve, mais d’une manière bien plus marquée encore quant à la proportion de l’exportation par pavillon belge, pour tous les autres chiffres qu’on a cités.

Je demande à la chambre à lui citer encore deux chiffres ; je choisirai Haïti et le Brésil. (Rumeurs.) Je regarde ceci comme extrêmement important.

L’honorable M. Delfosse a placé la question sur son véritable terrain. S’il est vrai que les calculs de probabilité que j’ai présentes soient démentis par l’expérience ; s’il est vrai qu’il n’y ait pas de corrélation entre les exportations belges et les importations des pays transatlantiques par pavillon belge, le système est condamné dans son but principal.

Je citerai d’abord nos relations avec Haïti. Nous avons reçu d’Haïti pour 7,452,230 fr, toujours en 1842. Le pavillon belge a importé sur cette somme pour 2 millions environ, et le pavillon étranger pour 4,871,000 fr. Le pavillon belge a donc emporté d’Haïti 29 p. c. seulement.

Nous avons exporté à Haïti pour 14,000 fr. environ. Le pavillon belge est entré dans ces exportations pour plus de 13,000 fr., et le pavillon étranger seulement pour 1,200 fr. Dans ces exportations à Haïti, qui ne sont pas considérables, il est vrai, la part du pavillon belge est de 91 1/2 p. c.

Une voix. - C’est insignifiant.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On me dit : C’est insignifiant. Eh bien ! nous allons citer des relations bien plus importantes. Je voulais, messieurs, citer des exemptes divers.

Nous nous sommes réservés de parler encore du Brésil. Nous avons reçu du Brésil pour 12,312,337 fr. de denrées coloniales. Le pavillon belge n’a importé que pour 2,386,000 fr. ; le pavillon étranger a importé pour 10,148,566 fr. Ainsi le pavillon belge n’entre ces importations du Brésil que pour 19 p. c.

Nous avons exporté au Brésil pour 1,221,700 fr. de nos produits. Le pavillon belge a exporté toute cette quantité, à 33,000 fr. près. (Interruption.)

Je conçois, messieurs, qu’il est difficile de saisir tous ces chiffres. J’insérerai le tableau au Moniteur et les honorables membres auxquels je réponds, l’honorable M. Delfosse et l’honorable M. David, conviendront, je crois, avec moi, qu’ils ont négligé une distinction essentielle. Nous ne disons pas qu’il y ait grande probabilité d’exportation des produits industriels du moment qu’il y a importation des produits des lieux de production transatlantiques, mais nous disons qu’il y a probabilité, lorsque ces importations des lieux transatlantiques seront faites par le pavillon belge. C’est pour cela que nous protégeons, avant tout, le pavillon belge allant dans les lieux transatlantiques, pour prendre des denrées coloniales.

M. Delfosse. - Nous vous répondrons.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous réponds ; vous me répliquerez, c’est pour que vous puissiez être mis à même de discuter, que ce tableau sera inséré au Moniteur. J’indiquerai les sources où j’ai pris les chiffres, de sorte que chacun de vous pourra chercher les éléments des totaux dans le tableau général du commerce de 1842, recueil que vous possédez tous.

Mais, dira-t-on, si vous n’exportez pas vers les contrées transatlantiques, c’est que vous ne produisez pas ce que demandent ces contrées. Voilà, messieurs, une féconde objection, très grave. (Interruption.) Vous n’exportez pas, en un mot, parce que vous ne savez pas produire ce qu’il faut pour exporter.

J’ai sous les yeux un tableau que je ne puis non plus lire en entier, mais que j’insérerai au Moniteur. Je lui emprunterai seulement quelques citations.

Ce tableau, messieurs, comprend cinq articles que certainement nous fabriquons très bien : les toiles écrues, les toiles blanches et teintes, les serviettes, les coutils et les draps. Prenons les draps.

L’Angleterre (je cite l’Angleterre en dehors du tableau qui ne concerne que la Belgique et la France), l’Angleterre envoie au Brésil pour 5 millions de draps environ. Nous y en envoyons pour 865 kil., et certes, messieurs, on ne contestera pas la supériorité de l’industrie belge dans la fabrication des draps, même en la comparant à l’industrie anglaise.

La France envoie au Brésil 6,182 kilog. de draps.

La France envoie au Chili pour 24,215 kilog. de draps, nous, 276 kilog. Elle envoie à Rio de la Plata 5,813 kilog, de draps, nous rien.

Et il y a d’autres marchés qui sont ici indiqués, des marchés très voisins où nous avons au contraire la supériorité d’exportation pour les draps sur la France.

M. David. - Ce tableau est inexact.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - S’il est inexact, vous en contesterez l’exactitude.

Messieurs, je réponds à ceux qui disent : Si vous n’exportez pas dans les contrées lointaines, c’est que vous ne fabriquez pas ce qu’il faut à ces contrées. Je réponds en citant cinq articles à l’égard desquels notre supériorité dans la fabrication ne sera pas contestée, et cependant il se trouve que les pays avec lesquels nous pouvons très bien lutter, en exportent plus que nous.

Messieurs, ce n’est donc pas seulement pour développer la marine nationale belge, industrie qui, même isolément considérée, serait digne de notre attention ; ce n’est pas seulement pour faire d’Anvers un marché de première main que nous vous proposons des droits différentiels, c’est parce que nous croyons que c’est à l’aide de ce moyen que nous pouvons organiser un système d’exportation de nos produits industriels vers les contrées lointaines et ajouter ces débouchés à ceux que nous possédons déjà ; et cette assertion, nous l’établissons sur des calculs de probabilité justifiés par l’expérience des autres peuples, et justifiées, sur de très petites proportions, il est vrai, par notre expérience propre.

Notre tarif différentiel n’aura rien d’exagéré ; aucun peuple n’en offre un plus modéré. C’est encore ce qui résulte d’un travail qui trouvera place au Moniteur.

Mais, dit-on, vous commencez par où l’on aurait dû finir. Vous auriez dû commencer par développer largement le système protecteur en faveur des industries de l’intérieur.

Je crois, messieurs, que ce système protecteur a déjà reçu d’assez larges développements. Je vous en ai cité tout à l’heure quelques exemples. Les éléments d’exportation ne nous manquent pas. Nous avons plutôt un excès de production à l’intérieur ; quant on a un excès de production à l’intérieur, la question qui se présente naturellement, c’est d’organiser de nouveaux moyens d’exportation ; de sorte que l’objection n’est nullement fondée. Nous n’avons pas à demander au système protecteur à l’intérieur des produits à exporter ; nos industries nous offrent déjà très largement de quoi appliquer le système d’exportation dans les contrées lointaines. Il s’agit seulement de faciliter cette exportation à l’instar d’autres peuples comme nous, à la fois industriels et maritimes, et dont l’exemple et l’expérience méritent bien d’être consultés et même suivis par nous.

Il y a un fait, messieurs, sur lequel j’ai insisté dans le comité secret et sur lequel je puis insister publiquement.

La Belgique est un des pays où il se fait la plus énorme importation de denrées coloniales. D’après le tableau de la statistique commerciale, nous aurions reçu, en 1842, pour plus de 80 millions de francs de produits transatlantiques, produits que nous avons ou consommés ou transformés. On vous a déjà fait remarquer que ce chiffre était exagéré, que notamment on avait évalué d’une manière exagérée le café et le sucre ; que l’on a supposé que le kilogramme valait un franc et demi, ce qui est évidemment une erreur. Admettons donc que nous demandons seulement aux contrées transatlantiques pour 50 millions de denrées coloniales.

Vous n’envoyez dans les contrées transatlantiques que pour 5 millions et demi de vos produits industriels. Ces 5 millions et demi y sont, en très grande partie, comme on l’a vu plus haut, importés par votre propre pavillon ; et cependant ce n’est pas votre pavillon qui entre pour la plus forte part dans l’importation en Belgique de ces 50 millions de denrées coloniales.

Comment, messieurs, ces cinquante millions de denrées coloniales sont-elles venues en Europe ? C’est ce que nous ne pouvons assez nous demander. Elles y sont venues par un système indirect d’échange. Ces denrées coloniales ont été en majeure partie échangées par vos rivaux industriels contre des produits que vous fabriquez également, et ces rivaux industriels ne pouvant livrer les denrées coloniales qu’ils ont rapportées en retour, par exemple du Brésil, à la consommation intérieure de leur propre pays, ont dû les déverser sur le continent et notamment sur vos propres marchés.

Voilà, messieurs, comment les opérations transatlantiques se font. Elles ne peuvent pas se faire autrement jusqu’à ce que le système général que suivent tous les autres peuples soit changé.

Je ne dis pas, messieurs, que vous arriverez jamais à échanger pour 50 millions de vos produits industriels contre 50 millions de denrées transatlantiques qu’il vous faut ; qu’on ne me prête pas une semblable exagération. Mais je dis que si c’était votre pavillon propre qui, à l’aide de certains avantages, fût chargé d’aller prendre une grande partie de ces 50 millions aux lieux de production, dans les contrées transatlantiques, il y a probabilité que vos exportations industrielles vers ces contrées augmenteraient, non pas au point d’atteindre 50 millions, mais au point d’atteindre un chiffre bien supérieur à celui de millions environ que vous exportez aujourd’hui vers les contrées transatlantiques.

Je crois donc, messieurs, qu’il y a un côté industriel dans cette question, que si le système est vrai, le système est essentiellement industriel. (Interruption.) Il n’est pas anti-industriel. Il est industriel en ce sens que c’est l’organisation des moyens d’exportation lointaine. La connexité que l’on a niée hier, je l’ai établie à l’aide de calculs de probabilité, justifiés par des faits.

Je désire, messieurs, que la question reste sur ce terrain, et que l’on prouve que tous les calculs de probabilités que j’ai présentés sont réellement démentis par l’expérience.

Je finirai, messieurs, par les considérations que je vous ai d’abord présentées. L’intérieur du pays doit se dire, les industriels doivent se dire que s’il est des localités qui doivent renoncer à certains avantages, secondaires selon moi, c’est parce qu’il existe en Belgique une espèce de pacte social.

La nation belge, comme toutes les nations, est une association où l’on se fait des concessions mutuelles, Si les destinées maritimes, commerciales d’Anvers et du littoral s’accomplissent, et que l’intérieur du pays s’impose quelques sacrifices, l’intérieur du pays ne doit pas oublier que le littoral, qu’Anvers se sont imposés des sacrifices relativement à certains de leurs besoins qu’ils pourraient satisfaire à des conditions moins onéreuses ; qu’Anvers, par exempte, est privé des houilles étrangères et des produits métallurgiques étrangers ; il est vrai de dire que l’Escaut est fermé pour ces produits.

M. Sigart. - Messieurs, c’est au nom des intérêts de l’industrie que l’on nous présente le principe des droits différentiels.

Je vois bien une industrie qui doit profiter de la loi, je vois bien les armateurs s’enrichir par le privilège qu’elle leur accorde, mais je vois en même temps que toutes les autres industries doivent en souffrir.

Si la mesure pouvait être utile à la marine nationale sans nuire à personne, j’y applaudirais fort ; malheureusement le gouvernement, messieurs, qui sait si souvent détruire, n’a jamais le pouvoir de créer. Toutes les fois qu’il améliore la condition de quelqu’un, c’est en empirant celle de quelqu’autre : il ne peut donner sans avoir dû préalablement prendre. Il doit même prendre plus qu’il ne donne, car il reste toujours une partie notable entre les mains de ses agents.

Les droits différentiels sont une protection accordée à la marine aux dépens du consommateur ou des autres industries. Ils ont pour effet nécessaire de diminuer les recettes publiques ou d’élever le fret de toute la protection accordée.

Je n’insiste pas sur cette vérité, parce qu’elle a déjà été démontrée ; je n’insiste pas non plus sur la diminution des recettes publiques ou l’intérêt du consommateur. Ce n’est pas l’usage de s’occuper du consommateur ; le consommateur n’étant que la nation toute entière, ce n’est pas la peine de s’en occuper. (On rit.)

Suivons donc les habitudes et occupons-nous des producteurs. Et d’abord, messieurs, ce n’est pas chose facile que de distinguer le producteur du consommateur.

M. le ministre de l’intérieur a laborieusement cherché à établir une distinction entre les matières premières et les objets de consommation. Aux nombreuses précautions oratoires dont il s’est enveloppé, je suis tenté de penser qu’il ne croit guère lui-même au mérite de sa distinction.

En effet, messieurs, ce qui n’est qu’objet de consommation pour l’un, est matière première pour l’autre. La matière première, c’est tout ce qui concourt à former le prix de revient dune marchandise. Ainsi, dans l’espèce d’industrie que je connais le mieux, on a besoin de bois, de goudron, de suif, d’huile, etc., etc. Si le fret augmente pour le transport de ces matières, il est évident que leur valeur s’élèvera ; dès lors, le prix de revient ne peut rester le même. Il faudra donc faire payer plus cher le fabricat ou produit obtenu. Cela peut, jusqu’à un certain point, s’opérer dans le pays par la prohibition des produits similaires étrangers ; mais chez nos voisins, la concurrence ne sera-t-elle pas la même, et, par conséquence, n’aurons-nous pas relativement perdu de nos forces pour lutter contre elle ?

Mais il y a plus : dans toutes les industries on a besoin de bras. Les salaires s’établissent sur le prix des denrées de consommation. Si pour sa nourriture, ses vêtements, etc., l’ouvrer doit payer plus cher, toutes choses égales d’ailleurs, il faut que le prix de la main-d’œuvre augmente.

A la vérité, on nous promet que la navigation nationale, pour reconnaître le privilège que nous lui accorderions, exporterait nos produits. Comptez, messieurs, sur la reconnaissance des armateurs d’Anvers !

Soyez-bien convaincus qu’ils feront tout juste ce que leur intérêt leur conseillera. Or, pourquoi n’exportons-nous pas davantage actuellement ? C’est que la plupart de nos produits sont trop chers ou ne sont pas selon le goût des consommateurs étrangers ; c’est qu’il y a perte à les exporter. Toute la différence qu’il y aura à l’avenir c’est qu’il y aura un peu plus de perte, puisque nos produits d’une part et notre fret de l’autre seront à un prix plus élevé. Il me semble doc évident que l’armateur belge ou celui d’un pays de provenance continuera, et à plus forte raison, à faire ce qu’il fait à présent ; il ira dans les ports voisins prendre le chargement qui lui procurera profit.

Pour obtenir le résultat espéré, il faudra, au lieu de payer des primes à l’entrée, en accordé à la sortie. Je n’examine pas le mérite de ce système, puisqu’il n’est pas en discussion ; mais je dis que ce serait le seul moyen de favoriser l’exportation.

L’honorable ministre de l’intérieur croyant répondre intérieurement aux plaintes de l’industrie, reproche à la houille, par exemple, le droit qui la protège.

Je dois lui faire remarquer que la protection accordée n’est pas gratuite. On exige d’elle une redevance proportionnelle, des droits de navigation au-delà de l’intérêt des capitaux dépensés peur elle, et la patente des bateliers, patente encore si lourde quoique diminuée de moitié. Je n’ai pas eu le temps d’établir le compte ; mais je crois que la houille se réjouirait que le gouvernement ne s’occupât point d’elle. (Hilarité.)

Au reste il est une distinction capitale à établir entre la protection concédée et celle qui est à concéder. Si sur la foi de la législation existante une industrie s’est développe, il y a iniquité à lui retirer l’abri qui la protège. Vous pouviez ne pas le lui accorder si vous pensiez que l’intérêt général s’y opposait, mais une fois concédé, vous devez le lui maintenir. C’est une raison pour ne l’accorder qu’aux industries qui ne doivent pas vivre en parasites. C’est une raison pour repousser les droits différentiels.

Que penser des représailles, messieurs ? On croit avoir tout dit en déclarant qu’elles seraient injustes, comme si la plupart des gouvernements s’arrêtaient devant une injustice. Croire que les mesures de rigueur d’une nation faible vont faire céder de puissants voisins, me semble une grande simplicité : la rigueur à coutume d’appeler la rigueur. Il y a chez les nations voisines des intérêts qui exploiteront la circonstance, pour exciter leur gouvernement contre nous ; il lui diront que ce serait à eux faiblesse que de ne pas repousser ce qu’ils appelleront un acte d’agression de notre part. Je désire que les gouvernements sachent résister et à leurs rancunes et à leurs industries jalouses des nôtres.

Dois-je dire toute ma pensée, messieurs ; il existe dans notre pays, et à sa honte, des hommes qui désirent les représailles. Je n’ai garde d’accuser personne dans cette enceinte d’un machiavélisme si étroit ; mais il existe ailleurs des hommes qui redoutent tout contact avec l’étranger, qui veulent que la Belgique se suffise à elle-même, qui ont horreur de l’échange des produits, parce qu’il ne s’opère jamais sans quelque échange d’idées, qui voudraient murer, qui voudraient cloîtrer la Belgique entière. Ce sont aussi ceux-là qui voudraient étouffer l’industrie, tout en ayant l’air de la caresser ; ce sont ceux-là qui, en proclamant très haut leur désir d’une union douanière avec la France, n’ont peut-être pas peu contribué secrètement à la faire échouer.

Je termine, messieurs, en exprimant mes regrets de voir le gouvernement entrer dans la voie qu’il s’ouvre, dans une voie qu’il devra élargir sans cesse. Je n’ai rien à dire de M. le ministre des travaux publics, qui maintient, ou peu s’en faut, l’opinion qu’il a toujours professée. Je n’ai rien à dire non plus des ministres qui n’ont pas autrefois manifesté leur opinion ; mais M. le ministre de l’intérieur, si longtemps hostile au principe des droits différentiels, lui qui plus d’une fois a démontré leur inutilité et leur danger, peut-on croire à la sincérité de sa conversion ? ne doit-on pas considérer comme un prétexte les prétendues raisons qu’il nous a données en comité secret ? N’a-t-il pas là fait acte de complaisance envers des préjuges auxquels il n’est pas résisté ?

Je ne sais si en jetant en pâture à sa majorité la dernière conviction qu’il eût gardée, M. le ministre de l’intérieur sera parvenu à affermir sa position sur le banc ministériel ; mais ce que je sais c’est que quand le gouvernement ne s’oppose plus à l’irruption des intérêts privés, dès lors il n’y a plus de digue, dès lors il faut désespérer de l’avenir du pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois porter le défi à l’honorable préopinant de citer une seule parole de moi, prononcée contre le système des droits différentiels ; jamais je ne me suis prononcé sur cette question. (Interruption.) Jamais je ne me suis prononcé sur cette question ni dans cette chambre, ni dans la vie privée. J’ai toujours gardé la plus grande réserve relativement à cette question. (Nouvelle interruption.) Je connais parfaitement bien tous les discours que j’ai prononcés ici ; je vous en remettrai le recueil quand vous le voudrez, et je vous défie d’y trouver une seule phrase contre le système des droits différentiels.

M. Sigart. - Je ne saurais citer de vos discours de mémoire, mais je crois pouvoir mettre le doigt sur les endroits convenables du il. Dès à présent je puis déjà dire que vous avez fait partie d’un ministère qui a toujours combattu vivement les droits différentiels comme tout système de protection un peu étendu.

M. Cogels. - Messieurs, j’ai été opposé à l’institution de la commission d’enquête ; j’ai voté contre la proposition de l’honorable député de Thielt, qui a provoqué l’enquête. Je n’attendais pas de cette enquête de très grandes lumières sur la question qui nous occupe, et, sous ce rapport, je ne me suis pas trompé ; car, dans les interrogatoires, la question a presque toujours été placée sur un terrain qui ne lui appartenait pas, et, comme j’ai eu l’honneur de le dire, la question industrielle a presque toujours dominé la question maritime.

Il y avait d’autres motifs à mon opposition, c’est que je prévoyais bien que la commission ne pourrait par formuler très promptement des conclusions, et que la chambre, surtout, ne pourrait pas être appelée bientôt à les débattre.

De la une incertitude dans le commerce, qui lui est toujours nuisible, une suspension de toutes les opérations de longue haleine, et de l’autre côté un obstacle à la conclusion de traités quelque avantageux qu’ils pussent être. Nous avons en ce moment quatre traités dont la discussion est restée eu suspens, auxquels la chambre n’a pas même fait la courtoisie d’accorder une discussion, et je crois que ceci peut nous avoir fait tort. Messieurs, je n’entreprendrai pas maintenant de discuter le mérite de ces traités ; je n’entreprendrai pas de dire si le traité avec les Etats-Unis, que nous devons regarder comme définitivement annulé, est favorable oui ou non ; nous aurons l’occasion de revenir sur cet objet lorsque nous en serons aux détails de la loi, lorsque nous en serons à la question des entrepôts transatlantiques.

J’aurais désiré que l’enquête fût faite plutôt par les soins du gouvernement que par les soins de la chambre, parce que dans une question de cette nature, j’aurais aimé que le gouvernement eût pris sur lui toute la responsabilité. Sous ce rapport, on a fait au gouvernement un reproche qui est dénué de fondement. C’est un honorable député de Bruxelles qui a fait ce reproche. Il a dit que le gouvernement voulait écarter cette responsabilité et la rejeter sur la chambre. Au contraire, messieurs, dès le principe le gouvernement a réclamé la responsabilité, dès 1840, le ministère qui était alors aux affaires, a voulu prendre sur lui la responsabilité, a voulu empêcher que la chambre ne la prît.

A l’époque actuelle, rien n’était plus facile au ministère que de décliner toute responsabilité, il n’avait qu’à laisser la chambre aborder la question telle qu’elle était posée par la commission d’enquête. Il n’avait qu’à laisser les membres de la chambre se débattre entre les divers systèmes qui se trouvaient renfermés dans les documents volumineux qui ont été distribués. Mais quel en eût été le résultat ? Une confusion bien plus grande encore que celle que nous pourrons voir lorsque nous en serons à la discussion des articles. Le gouvernement a donc agi fort sagement en prenant un système à lui, système qu’il était prêt de défendre, car c’est le seul moyen de voir surgir finalement un système auquel une grande majorité puisse se rallier.

Messieurs, je ne vous cacherai pas que j’avais dans le principe de très grandes préventions contre les droits différentiels, et sous ce rapport je pourrais être accusé, avec bien plus de justice, de versatilité que n’en a été accusée la chambre de commerce d’Anvers. Je dirai d’abord que lorsque je suis venu dans cette chambre je n’avais pas étudié la question ; que je me trouvais en présence de systèmes dont l’exagération m’avait pour ainsi dire empêché de les étudier, car les deux systèmes en présence desquels nous nous trouvions en 1840, c’étaient d’abord une proposition faite par un honorable député de Thielt, en 1834, et qui ne tendait à rien moins qu’à frapper indistinctement tous les produits quelconques, denrées, matières premières ou autres, transatlantiques, d’un droit de 25 p. c. à la valeur, à partir de l’année 1846. C’était ensuite le système d’un honorable sénateur qui s’est également beaucoup occupé et qui s’occupe encore beaucoup de la question. Dans ce système, il y avait encore une proportion bien plus exagérée ; la première année le café aurait été frappé d’un droit de 30 francs par 100 kilog., la 2ème année le droit aurait été de 45 fr., la 3ème année il aurait été porté à 60 fr. c’est-à-dire à un peu plus de 100 p. c. Il est vrai qu’aux navires belges on accordait tout d’un coup, dans le cas d’importation directe, une réduction de 90 p. c., ce qui constituait un petit droit différentiel de 34 fr. par 100 kilog.. ou de 540 fr. par tonneau. Vous concevez, messieurs, qu’en présence de semblables exagérations, je pouvais chercher à écarter cette question. Je devais craindre pour ainsi dire de la débattre, parce que je ne pouvais pas prévoir alors qu’on en serait venu à réduire le système à des proportions aussi modérées que celles dont il s’agit aujourd’hui. Et sous ce rapport je dirai, messieurs, qu’il n’y a eu de versatilité nulle part, mais que s’il y a eu rapprochement, ce n’est ni moi ni la chambre de commerce d’Anvers qui ont fait la moitié du chemin. Nous avons fait un pas, on en a fait dix.

Maintenant, messieurs, nous avons à examiner la question sous trois points de vue. D’abord, quelle est l’influence qu’elle peut exercer sur notre industrie ; c’est le point de vue principal ; en second lieu, quelle sera son influence sur notre marine marchande, sur notre navigation ; en troisième lieu, et ceci est également un point très important, quels sont les dangers auxquels nous nous exposerons par l’adoption du système.

On nous a parlé de la situation déplorable dans laquelle se trouve le pays sous le rapport industriel et commercial. Je suis loin de nier qu’il est plusieurs industries en souffrance, mais je dois le dire, messieurs, il y a dans ces assertions beaucoup, beaucoup d’exagération, et je suis convaincu que si l’on voulait faire le tour de l’Europe, si l’on voulait établir une enquête dans quelque pays que ce fût, on obtiendrait partout la même réponse.

En Angleterre les souffrances étaient bien plus vives depuis 1840. Aux Etats-Unis les trois quarts des maisons de commerce ont fait faillite et les divers Etats ont été obligés de suivre cet exemple ; dans d’autres pays les souffrances sont extrêmes. Si nous avons fait peu, si nous avons chômé, au moins nous avons moins perdu et nous n’avons pas vu la Belgique frappée de ces désastres commerciaux que nous avons vus dans d’autres pays. Nous pourrions dire d’après un proverbe : « Il vaut mieux chômés que mal moudre. »

Mais ne nous occupons pas de la situation depuis 1830 ; ne nous occupons pas non plus des causes qui l’ont amenée, ni surtout de la grande cause politique qui l’a amené. Ces questions, messieurs, je ne les soulèverai pas, parce que je pourrais exciter certaines suspicions.

On pourrait croire que je suis guidé par d’anciennes sympathies, que je veux réveiller d’anciens souvenirs ; je ne toucherai donc pas la grande question politique qui nous a fermé deux marchés que nous ne recouvrerons jamais, ou du moins nous n’aurons jamais les privilèges que nous y avions avant 1830.

Le grand point à examiner en premier lieu, ce sont les conséquences du système de droits différentiels. Quant à nos exportations, je partage entièrement l’avis de l’honorable M. de Brouckère. Si l’influence des droits différentiels se fait sentir sur nos exportations, cette influence ne sera qu’indirecte, très lente, parce que, pour favoriser nos exportations, il faut d’autres mobiles qui ne se trouvent pas renfermés dans les droits différentiels eux-mêmes. Sans doute, si nous développons notre marine marchande, nous aurons des armateurs qui établiront des agences dans les régions transatlantiques qui nous placeront dans une position analogue, sinon à la position de l’Angleterre, du moins à celle où se trouvent d’autres pays.

En effet, le mal maintenant, c’est que la plupart des expéditions qui ont été faites, ont mal tourné, d’abord parce qu’on a trouve un marché surchargé, et ensuite parce que dans les régions transatlantiques, on est encore plus expose qu’ailleurs à la mauvaise foi.

Souvent on a fait des exportations, et l’on n’a absolument rien reçu en retour.

Ainsi donc, avant que nous n’ayons rempli toutes ces conditions, il s’écoulera peut-être un temps assez long.

La première condition de nos exportations, c’est que nous puissions produire mieux et à meilleur marché, que nous puissions faire connaître nos produits. La commission d’enquête elle-même s’est plu à reconnaître ceci. Il ne faut pas croire que le système que nous avons adopté, nous procure les mêmes résultats qu’en ont obtenu les autres pays. Et qu’il me soit permis de passer ici rapidement en revue les systèmes qu’on a établis comme points de comparaison.

Commençons par l’Angleterre :

Le système de l’Angleterre, tel qu’il existe encore aujourd’hui depuis le fameux Navigation Act n’a rien de commun avec celui que nous nous proposons d’introduire en ce moment. Le système de l’Angleterre a eu jusqu’ici pour but principal de procurer aux colonies anglaises la consommation du marché anglais, à l’exclusion de tous les autres produits, même importés sous pavillon anglais. Ainsi, les droits différentiels étaient tellement exorbitants que les sucres, les cafés du Brésil ne pouvaient pas anciennement venir sur le marché anglais en concurrence avec les produits des colonies anglaises.

Cependant il s’est opéré dans cette situation un très grand revirement, qui a déjà amené l’Angleterre à s’écarter du système qu’elle avait adopté jusqu’ici et qui peut l’amener encore à faire bientôt de nouvelles concessions. Ainsi, autrefois, les produits des colonies anglaises étaient plus que suffisants pour la consommation de l’Angleterre. Je ne m’attacherai qu’à deux articles principaux, et d’abord le café.

La consommation du café en Angleterre était de :

905,000 livres en 1803 ;

6,147,000 livres en 1815 ;

22,741,000 livres en 1833 ;

28,370,000 livres en 1841.

Pour le sucre, j’ai trouvé des documents remontant à des époques plus reculées :

En 1700, la consommation était de 22 millions de livres ;

En 1734, de 94 millions de livres ;

En 1790, de 181 millions de livres ;

En 1815, de 221 millions de livres ;

En 1830, de 372 millions de livres ;

En 1841, de 400 millions de livres.

Mais, messieurs, la production des colonies anglaises a marché dans une progression complètement inverse : je n’entreprendrai pas d’établir ici les causes de ce fait, mais il est probable qu’il est dû à la suppression du travail des esclaves. Or, la production des Indes Occidentales était, pour le café, en 1835, de 22,000,000 de livres ;

En 1837, de 15,577,000 livres

En 1841, de 9,927,000 livres.

Ainsi, vous voyez qu’à mesure que les besoins de la consommation augmentaient et que les goûts de la nation se changeaient, la production des Indes occidentales anglaises allait en diminuant.

Pour les sucres, la production des Indes occidentales était :

En 1835 de 364 millions de livres ;

En 1837 de 330 millions de livres ;

En 1841, de 215 millions de livres.

C’est une réduction de près de 40 p. c.

C’est par suite de ces circonstances que déjà, dès l’année 1842, l’Angleterre a abaissé d’un schelling et 3 pence jusqu’à 8 pence, les droits sur les cafés venant des contrées étrangères, et que sur le café de ses propres colonies, elle a abaissé les droits de 6 pence à 4 pence. Mais ces réductions n’ont pas été reconnues comme suffisantes, et en dernier lieu, le chancelier de l’échiquier a proposé de réduire à 6 pence le droit sur les cafés étrangers, en maintenant le taux de 4 pence pour les cafés anglais.

En 1842 ou n’avait pas voulu toucher aux sucres. La question n’était pas mûre, parce que le traite avec le Brésil existait encore. On avait les mains liées : il y avait à l’égard du Brésil des engagements qui empêchaient l’Angleterre d’accorder des faveurs aux autres contrées transatlantiques. Mais d’après le projet du chancelier de l’échiquier, le sucre étranger ne sera plus frappé que de 31 schellings, tandis que le sucre des colonies anglaises restera frappé de 25 schellings. Or, autrefois, le droit sur le sucre était de 63 schellings. Il y a ici une distinction, comme me le fait observer l’honorable ministre des travaux publics : on fait une exception pour les sucres produits par le travail des esclaves ; mais cette exception n’est évidemment qu’un prétexte ; c’est afin de pouvoir éloigner du marché anglais le sucre du Brésil et de quelques pays des Indes occidentales, et favoriser d’autant mieux les provenances des Indes orientales ; car si on éprouvait une si vive sympathie pour les esclaves qui cultivent le sucre, on éprouverait une sympathie non moins grande pour les esclaves qui cultivent le café.

Du reste, l’acte de navigation n’avait pas été posé dans un but purement commercial. Un honorable député, dans une séance précédente, a dit qu’en 1651, époque à laquelle le Navigation Act parut pour la première fois, car il ne fut sanctionné définitivement qu’en 1660 ; il a dit qu’en 1651, la marine anglais était insignifiante ; c’est une erreur. Déjà l’Angleterre avait une marine puissante ; la Hollande lui portait le plus d’ombrage. Cet acte était une mesure tout à fait hostile à la Hollande ; son seul but clair de porter autant que possible préjudice à la Hollande, seule puissance maritime qui portait alors ombrage à l’Angleterre.

Un membre. - Et l’Espagne !

M. Cogels. - L’Angleterre ne redoutait plus l’Espagne ; l’invincible Armada était détruite ; les victoires de l’amiral Blake avaient assuré la prédominance du pavillon anglais sur toutes les mers. C’était principalement contre la Hollande que l’Angleterre avait à lutter ; elle la redoutait surtout comme rivale de sa puissance maritime et ensuite comme concurrente commerciale.

Mais, je le répète, le but commercial de l’acte de navigation n’était que secondaire ; voici pourquoi : parce que les productions des Indes occidentales étaient insignifiantes à cette époque ; le café n’avait pas encore été transplanté d’Arabie dans les Indes occidentales ; la consommation du sucre était presque nulle ; les classes riches en usaient seules, les classes pauvres faisaient usage du miel. Par conséquent, les relations commerciales avec les contrées transatlantiques n’avaient pas l’importance qu’elles ont acquise depuis. Jusque là l’attention des puissances qui possédaient les contrées transatlantiques, s’était portée vers les métaux précieux, et l’on a senti seulement plus tard, que la véritable richesse consistait dans les produits coloniaux.

D’ailleurs, je ne conteste pas que l’Angleterre, en prenant d’abord pour but l’anéantissement de la Hollande comme puissance maritime, a conquis sa puissance commerciale Mais cette puissance commerciale, l’Angleterre la doit à l’empire des mers, elle la doit a ses colonies de 154 millions d’habitants, où elle a maintenant un marché privilégié, où elle est admise seule avec ses produits. C’est ce que nous ne pouvons jamais prétendre conquérir.

Parmi les autres puissances dont on a cité les systèmes, il n’y a guère que la France dont le système différentiel présente une semblable analogie avec celui que nous proposons, c’est-à-dire où l’on établisse des droits sur les provenances et les pavillons, et sur les droits de douane même.

Dans la plupart des autres pays, ou bien c’est le système colonial qui domine, comme en Espagne et en Hollande, ou bien les droits différentiels existent simplement sur les droits de port, de tonnage ou de pilotage ; ou bien les droits différentiels n’existent plus que de nom, annulés qu’ils sont, par suite du grand nombre de traités de réciprocité qu’on a conclus avec toutes les puissances qui ont voulu admettre les pavillons étrangers sur le même pied.

Une modification essentielle que dans son système (et je me propose, messieurs, de m’étendre davantage sur ce fait, lorsque nous en serons à la discussion des articles), c’est que, comme autrefois, elle ne repousse pas, par son propre pavillon, ou par le pavillon du pays d’où se fait l’exportation, les articles qui ne sont pas les produits du pays même. Ainsi, maintenant, le pavillon anglais peut importer d’Europe les produits d’un port quelconque, lors même que ces produits ne seraient pas des provenances du pays. Il en est de même pour les ports transatlantiques, ceux de l’Amérique septentrionale exceptés. Ainsi, le pavillon anglais ou le pavillon brésilien peuvent importer de Rio Janeiro des produits qui ne seraient pas brésiliens. Mais ce n’est pas le moment de m’occuper de cette question.

La Hollande a un système de droits différentiels extrêmement modéré, c’est-à-dire qu’elle a le système que nous avons aujourd’hui, saut le système colonial ; mais si l’on veut bien examiner ce système on verra que s’il établit une grande différence pour les exportations des colonies hollandaises par le pavillon étranger ou par le pavillon hollandais, il n’y a pas de très forte protection pour les produits des colonies à l’importation dans la mère-patrie ; c’est-à-dire que le café de Java paie par navire hollandais à la sortie de Java 2 florins par picul, ou 62 kilog., tandis que le café brésilien à l’importation dans les ports hollandais, paie 2 florins par 100 kilog. Le droit d’entrée en Hollande est moindre que le droit d’exportation des colonies hollandaises. On voit que le. droit différentiel des colonies n’a eu d’autre but que d’entretenir les relations entre les colonies et la mère-patrie, et de favoriser l’admirable système du général Van den Bosch, qui a voulu transporter au sein de la mère-patrie le marché colonial, de manière à assurer le bénéfice au fret, de la manipulation et des transactions aux négociants de la mère-patrie.

Maintenant je puis dire que, pour nos exportations, je regarde les conséquences du système des droits différentiels, comme plus ou moins douteuses, du moins comme d’une réalisation plus ou moins éloignée.

Mais il y a deux moyens de favoriser l’industrie ; d’abord favoriser les exportations, ensuite favoriser l’importation des matières premières, créer un grand marché de matières premières. Sous ce rapport le projet qui nous est présenté atteint son but. J’ai peine à m’expliquer la défiance avec laquelle le projet a été accueilli par les industriels de Gand. Pour quiconque a examiné le projet dans ses détails, il est évident que les cotons arriveront à des droits moindres qu’auparavant ; dans les cas exceptionnels où les marchés de l’Europe présenteraient des avantages sur les marchés transatlantiques, on pourra encore aller les prendre avec une différence insignifiante, car le droit uniforme était autrefois de 1,70. Aujourd’hui les cotons venant des Indes orientales pris dans les entrepôts d’Europe, sont soumis an même droit, et pour les cotons venant de l’Amérique, il est porté à 2 fr. 25 c., de sorte qu’en déduisant les 10 p. c, il reste 2 fr. 2 c., ce qui fait une augmentation, pour cette circonstance exceptionnelle, de 32 centimes par 100 kilog. Cela vaut-il la peine d’en parler ? Et cette circonstance est rare. On trouve, du reste, un contrepoids dans les avantages accordés pour la grande masse de vos importations.

Quant à votre marine, la chambre de commerce d’Anvers, dans son premier rapport, avait dit qu’elle croyait que les avantages dont elle jouissait étaient suffisants.

Elle ne l’avait pas dit cependant d’une manière absolue, mais d’une manière tout à fait dubitative et elle avait pour ainsi dire écarté la question parce que ce n’était pas le moment opportun de la résoudre. Elle avait pensé qu’il fallait attendre l’achèvement du chemin de fer qui devait relier l’Escaut au Rhin et la conclusion des traités avec la Hollande. Ces deux circonstances pour lesquelles la chambre de commerce demandait qu’on ajournât la question ont disparu. Voilà, pourquoi, sans versatilité, elle a pu se prononcer sur une question qu’elle avait voulu ajourner d’abord.

Notre marine marchande a décliné, nous devons la relever, mais il est de notre intérêt de ne pas lui donner des proportions dépassant les besoins du pays, de ne pas lui donner un encouragement qui pourrait amener des constructions de navires trop considérables et nous faire tomber, pour ces constructions, dans les mêmes fautes qui ont été commises par l’industrie métallurgique et les autres industries que l’on voit dans le plus grand état de souffrance.

Mais les droits différentiels qu’on propose et qui sont ceux que je soutiendrai (je veux soutenir les droits les plus modérés parce que je les considère comme un essai dont le succès ne m’est pas démontré), ces droits modérés ne nous exposent pas à des exagérations. Si vous ne permettiez pas au commerce de nationaliser des navires étrangers, vous ne verriez peut-être pas après l’adoption de la loi dans vos chantiers une activité beaucoup plus grande que maintenant.

Il y a pour la marine marchande un grand intérêt à ce que des droits différentiels soient établis. Quant à la question de savoir si la marine nationale présente plus de chances d’exportation, il ne doit pas rester de doute depuis la démonstration de M. le ministre de l’intérieur. Aussi je ne reviendrai pas sur cet objet. Mais indépendamment de cela, vous avez le bénéfice du fret, vous avez l’emploi des bras pour la construction, les hommes de l’équipage, l’armement du navire, les victuailles. Ces dépenses, qui sont considérables et qui se font dons le pays parce que l’armateur évite autant que possible de les faire à l’étranger, par la raison qu’il ne peut pas les faire avec la même économie, avec le même soin.

L’heure étant avancée, je m’occuperai tout de suite de la troisième question, ce sont les dangers auxquels nous expose l’adoption du système des droits différentiels.

J’ai vu à regret un honorable député de Liége prendre à partie la ville et la chambre de commerce d’Anvers, nous parler d’une coalition qui se serait établie entre les armateurs d’Anvers et l’honorable auteur de la proposition, ou les membres de la commission d’enquête. Il n’en est rien. L’honorable M. de Brouckère vous l’a déjà dit, une semblable coalition n’a pas existé. La chambre de commerce d’Anvers, bien loin d’avoir jamais été hostile au commerce de Liége, a été la dernière à se rallier au système des droits différentiels, ainsi que l’a reconnu l’honorable M. Delfosse. Quand la proposition a été faite, la chambre de commerce a toujours cherché à atténuer le coup qui pourrait frapper Liége.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur le projet du gouvernement pour voir que les propositions de la commission d’enquête étaient plus hostiles à la navigation de la Meuse que les propositions d’Anvers et celles du gouvernement. La commission d’enquête a proposé quatre catégories : Les provenances directes, les provenances des entrepôts d’Europe, les importations par canaux et rivières, et les importations par terre.

De ces quatre catégories deux ont été supprimées par le projet du gouvernement. La Meuse se trouve placée vis-à-vis de la Hollande sur le même pied que l’Escaut ; c’est-à-dire, que Liège pourra continuer à recevoir de Rotterdam et d’Amsterdam les cafés des Indes orientales au même prix qu’Anvers, par les eaux intérieures.

Le droit différentiel existe sur les différentes qualités de café. Le café hollandais paiera 15 fr. 50 ; le café du Brésil et de Saint-Domingue arrivant à Anvers par mer paiera 9 fr. par pavillon belge, et 11 fr. 50 par pavillon étranger ; de sorte qu’en prenant la moyenne, il y aura un droit différentiel de 5 fr. à peu près, ce qui n’empêchera pas l’introduction du café hollandais. La consommation pourra en diminuer un peu, mais on en sentira toujours le besoin. Les cafés des Indes hollandaises sont destinés à satisfaire d’autres besoins que les cafés du Brésil. La différence entre ces cafés est comme celle qui existe entre les vins fins et les vins communs. Ce n’est pas 5 centimes par kilog., 21/2 centimes par livre qui détourneront le consommateur de la classe aisée de l’achat du café des Indes hollandaises. Personne de nous ne boira du Brésil.

M. Delfosse. - Et si le café de Java vient en ligne directe ?

M. Cogels. - Fasse le ciel qu’il vienne en ligne directe ! Je ne pense pas que la Hollande bouleverse son système colonial. Elle pourra nous faire d’autres concessions, mais pour celle-là n’y comptez pas.

L’honorable député de Liége a encore parlé du dédain avec lequel le commerce d’Anvers traite le commerce de Liége. Je n’ai vu ce dédain nulle part. Le commerce d’Anvers est intéressé à la prospérité de Liége comme à celle de tout le pays, car, après tout, quand le pays prospère, qu’il y a un grand mouvement commercial industriel, quoi que vous fassiez, il en reviendra toujours quelque chose à Anvers. C’est une position privilégiée que la nature nous a donnée mais qu’il ne faut pas nous envier, car elle est rachetée par des désavantages sous d’autres rapports. Nous n’avons pas de richesses métallurgiques et houillères. Nous avons plus d’embarras pour employer nos bras. La cherté du combustible et d’autres produits nous placent dans une position éminemment défavorable. Conservons ce que la nature nous a donné, aidons-nous loyalement, mais ne cherchons pas à nous enlever nos avantages.

Lorsque l’on a accordé à la métallurgie, aux houillères la protection qu’on leur a donnée, avez-vous vu le commerce d’Anvers se plaindre ? A-t-il combattu cette proposition ? Non. Cependant son véritable intérêt étant de faire travailler à aussi bon marché que possible, quel serait le grand intérêt d’Anvers ? La suppression complète de toutes les lignes de douanes, de tous droits quelconques. Qu’on nous affranchisse de toute entrave ; qu’on nous laisse liberté pleine et entière, alors nous gagnerons, quand même une foule d’industries dépériraient.

L’honorable député de Liége a invoqué aussi en faveur de la Meuse la part que la ville de Liège a prise à la conquête de notre indépendance, conquête à laquelle, il est vrai, Anvers n’a pas pris une part très-active... et moi encore moins ! Mais, je vous le demande, est-ce là un motif à faire valoir ? Au contraire. Si effectivement l’honorable député a lieu de se plaindre de la situation où se trouve aujourd’hui la Meuse, mais il devrait rendre grâce à tous ceux qui n’ont pas contribué à la placer dans cette position. Quant à moi, je ne reviens pas sur le passé. J’accepte le présent ; je serai charmé de voir mes anciennes prévisions recevoir un démenti. J’ai assez de patriotisme pour me réjouir de chaque événement qui vient donner un démenti à mes opinions sur les conséquences de notre révolution.

Maintenant la question, sur le terrain où elle est placée, peut donner lieu encore à de longs débats. Je crois qu’on les abrégerait beaucoup si l’on voulait aborder dès à présent les questions de principe posées par M. le ministre, lesquelles permettraient encore d’entrer dans des considérations générales ; car nous devons également en finir par là. Lorsque nous en serons à ces questions, qui se discuteront une à une, on verra peut-être se reproduire tous les arguments que nous avons entendus jusqu’ici.

J’ai omis de parler de la question de représailles, c’est-à-dire du danger de voir se fermer le débouché de Liége vers la Hollande. Ce sont des représailles que nous ne devons pas redouter. Nous devrions les craindre, si nous prenions une mesure complètement hostile à la Hollande seule. Mais nous mettons la Hollande sur le même pied que les autres nations, les ports d’Amsterdam et de Rotterdam sur le même pied que Londres, le Havre, Bordeaux, Brème et Hambourg. Rien donc n’autorise des représailles de la part de la Hollande.

Au contraire, nous trouverons peut-être très prochainement dans l’établissement de ces droits l’occasion d’un traité favorable, en faisant les concessions qui sont permises par la loi même. Je regrette que l’heure avancée ne me permette pas de m’étendre davantage sur cette question, qui du reste a été et sera encore développée dans le courant de la discussion.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des affaires étrangères, pour l'exécution du traité de paix

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présente un projet de loi de crédit supplémentaire de 150,000 fr. destiné à couvrir les dépenses résultant du traité avec les Pays-Bas.

- La chambre donne acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi, en ordonne l’impression et la distribution, et le renvoie à l’examen des sections.

Rapport sur une pétition

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) dépose des explications sur une pétition. La chambre en ordonne l’insertion au Moniteur. (Note du webmaster : ces explications, portant sur les octrois communaux, sont insérées dans le même Moniteur, à la suite du compte-rendu de la séance.)

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Une proposition signée par plusieurs membres vient d’être déposée. Les sections seront convoquées pour demain, pour décider si la lecture en sera autorisée.

- La séance est levée à 4 heures et demie.