Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note
d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 janvier
1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative au polder de Lillo (Osy, d’Huart, Cogels, d’Huart,
Osy, Rogier)
2) Projet de loi relatif à la
prescription des créances mentionnées dans l’article 64 du traité du 5 novembre
1842
3) Projet de loi portant des crédits supplémentaires au budget du département de la
guerre
4) Projet de loi portant le
budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1844. Discussion des
articles. Soutien étatique à l’industrie linière et paupérisme dans les
Flandres ((+ enseignement industriel) (Fleussu, Nothomb, Pirmez, de Muelenaere, Nothomb), de Muelenaere, Cogels, Rodenbach, Lys, Nothomb,
Lys, Nothomb, Manilius,
Dumortier, de Roo, Angillis, de Mérode, Dumortier, Delfosse, Castiau, Castiau, , Meeus, Delehaye, Nothomb,
de Foere, (+enseignement primaire et enseignement
industriel (Nothomb))
(Moniteur
belge n°25, du 25 janvier 1844)
(Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse
procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est
adoptée.
M. de Renesse
présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Les membres du conseil communal de
Houtain-l’Evêque, présentent des observations contre le projet de loi sur les
céréales. »
« Mêmes observations des
propriétaires et cultivateurs de Basheers, Rocleng-Looz, Genvelselderen, Het,
Grandarte, Vechimael, Waremme, Oley, Vroenhoven, Herderen, Millen, Heers,
Remicourt, Marlinne, Rieulx, Aelst, Beendervelt, Borloo, Bouchaut, Brusthem,
Buvinger, Corswarem, Cortys, Cosen, Engelemanshoren, Fresin, Gelinden,
Gingelom, Gorsum, Goge, Grand-Jamine, Haelemael, Kerkom, Mielen-sui-Aelst,
Mantenaeken, Muysen, Neuwekerken, Bunnekeken, Welm, Wildenen et Duras. »
- Renvoi à la section centrale
chargée de l’examen du projet.
« Les habitant réfugiés de la
commune de Lillo prient la chambre d’allouer les fonds nécessaires au
rendiguement du polder de Lillo. »
M. Osy. - Messieurs, le discours du trône nous a annoncé la présentation d’un
projet le loi relatif au rendiguement du polder de Lillo
; comme l’honorable M. de Mérode vous l’a expliqué dans une de nos dernières
séances, il est indispensable que ce projet soit présenté le plus possible, car
plus on tardera, plus la dépense sera forte. Le moment d’approvisionnement de
fascines va bientôt passer, toutes les ventes de bois ayant déjà eu lieu. Je
demanderai donc que la pétition soit renvoyée à la section centrale du budget
des travaux publics, avec prière d’examiner la question de savoir s’il ne
conviendrait pas d’inviter M. le ministre à présenter, dans un bref délai, le
projet annonce par le discouru du trône.
M. d’Huart. - Je ne m’oppose pas au renvoi demandé par l’honorable M. Osy ; mais
j’engage la section centrale et le gouvernement lui-même à être très circonspects
quant à la proposition dont il s’agit, qui a pour objet une dépense nouvelle et
considérable, alors que les moyens de faire face à cette dépense et à tant
d’autres ne sont pas encore assurés. Je crois que l’on fera très bien de rendre
à la culture des terres qui sont submergées depuis longtemps, mais nous ne
pourrions être convenablement appelés à y concourir que lorsqu’il sera pourvu
aux moyens d’y faire face, car il ne suffit pas de décréter de grands travaux
plus ou moins utiles, il importe avant tout de mettre le trésor en état d’y
pourvoir.
D’après ces considérations,
messieurs, tout en demandant aussi le renvoi de la pétition à la section
centrale, j’engage celle-ci à examiner en même temps la question très
importante des moyens de faire face à la dépense dont il s’agit.
M. Cogels. - Je concevrais, messieurs, l’observation de l’honorable M. d’Huart,
s’il s’agissait d’une dépense qui pût être évitée, mais lorsqu’il s’agit d’une
dépense inévitable, d’une dépense indispensable dans l’intérêt du trésor
lui-même, alors il ne faut plus songer qu’à une chose, c’est de rendre la
dépense le moins forte possible. Or, il est connu, messieurs, qu’en fait de
travaux hydrauliques, si on les recule à une époque trop avancée dans l’année,
les dépenses s’accroissent en raison directe des délais ; c’est pour cela que
j’apprécie très fortement les observations de l’honorable M. Osy et que
j’engage la commission à faire un très prompt rapport. Ce n’est pas à la
section centrale de prendre une décision sur le fond de la question ; la
section centrale doit examiner seulement si la pétition est de nature à être
renvoyée immédiatement au gouvernement. Si ce renvoi est ordonné, alors M. le
ministre des travaux publics, qui est ici le défenseur de l’intérêt du
gouvernement, de l’intérêt de la chose publique, examinera si cet intérêt exige
qu’un projet de loi soit présenté immédiatement.
J’appuie donc la proposition de
l’honorable M. Osy, et je crois que rien ne s’oppose à ce qu’il soit fait un
très prompt rapport.
M. d’Huart. - Je demande la parole.
M. le président. - Lors de la présentation du rapport, quel qu’il soit, on pourra faire
au gouvernement telle recommandation qu’on jugera
convenable. Il ne s’agit en ce moment que de la question de savoir si la
pétition sera renvoyée à la section centrale du budget des travaux publics avec
demande d’un prompt rapport.
M. d’Huart. - Je reconnais qu’il ne s’agit pas en ce moment d’examiner le fond de
la question. J’émettrai seulement le vœu que si la pétition lui est renvoyée,
M. le ministre des travaux publics examine très sérieusement le point de savoir
si la dépense dont il s’agit doit être supportée exclusivement par l’Etat, ou
si elle doit être supportée par les propriétaires intéressés, sauf un secours
qui leur serait accordé.
M. Osy. - Dans son exposé de la situation financière du pays, M. le ministre
des finances cite, parmi les dépenses à faire, celle qui résultera du
rendiguement du polder de Lillo. Il dit : « Le déficit s’élève à 500,000
fr., et nous aurons encore des dépenses à faire pour Lillo, pour le canal de
Zelzaete, etc. » Cette dépense est donc prévue dans la somme de 3 millions
annoncée comme déficit en 1844 par le gouvernement. Je crois que c’est un motif
de plus d’ordonner le renvoi de la pétition. M. le ministre des travaux publics
s’entendra ensuite avec son collègue des finances sur les moyens de couvrir la
dépense.
M. Rogier. - Il me semble que toute discussion est inutile puisque M. le ministre
des travaux publics a formellement promis, il y a deux jours, de présenter un projet
de loi dans un très bref délai.
- Le renvoi à la section centrale du
budget des travaux publics, avec demande d’un prompt rapport, est mis aux voix
et adopté.
PROJET DE LOI RELATIF A LA PRESCRIPTION DES CREANCES MENTIONNEES DANS
L’ARTICLE 64 DU TRAITE DU 5 NOVEMBRE 1842
M. Malou. - J’ai l’honneur, messieurs,
de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi
présenté par M. le ministre des finances dans la séance du 30 novembre dernier,
et tendant à accorder un délai pour les réclamations à faire du chef des
anciennes créances reprises à l’art. 64 du dernier traité conclu avec
Un membre. - Après le vote définitif du budget
de l’intérieur.
- Cette proposition est adoptée.
PROJET
DE LOI PORTANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA
GUERRE
M. Pirson, au nom de la section centrale du budget de la guerre, présente le
rapport sur le crédit supplémentaire demande pour couvrir les dépenses du matériel
du génie.
- La chambre ordonne l’impression de
ce rapport et fixe la discussion du projet après les objets qui se trouvent
déjà à l’ordre du jour.
Motion
d’ordre
M. Fleussu. - Messieurs, la sténographie m’a fait tenir le langage suivant :
« J’ai entendu avec étonnement
l’honorable M. Desmet nous dire que la filature à la main vaut beaucoup mieux
que l’autre, produit mieux et à meilleur compte, qu’elle a obtenu et qu’elle
conserve une priorité sur la filature à la mécanique. Mais si vous produisez
mieux et à meilleur compte, vous ne pouvez manquer de l’emporter sur la
concurrence ; ou votre allégation est mensongère, ou vos plaintes ne sont pas
fondées. »
Messieurs, il n’est pas dans mes
habitudes de me servir d’expressions semblables à celles qui sont rapportées
par la sténographie ; je ne me suis pas servi des mots : allégations mensongères. C’est, par inadvertance, sans doute, que
dans le Moniteur on a substitué mensongère au mot inexacte, dont je pense m’être servi. D’ailleurs, je ne crois pas
que M. le président aurait souffert l’emploi d’une pareille qualification. J’ai
cru, messieurs, devoir faire cette observation à la chambre par égard pour M.
Desmet, à qui je répondais, et dans mon propre intérêt, afin que ceux qui
lisent le Moniteur ne puissent pas me
croire capable d’employer de semblables expressions.
Discussion
des articles
Dépenses
diverses pour le soutien et le développement de l’industrie
Article premier
« Art. 1er. Encouragement à
l’industrie : fr. 105,000 fr. »
M. le président. - L’ordre du jour appelle la
suite de la discussion du budget de l’intérieur. La discussion continue sur
l’article 1er du chap. XVII et l’amendement qui s’y rapporte. La parole est à
M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, d’après la
discussion qui a été soulevée hier, il devient nécessaire que je vous expose
tout ce qui a été fait relativement à l’industrie linière depuis que vous avez,
par une allocation portée au budget, consacré le principe de l’intervention de
l’autorité publique dans la crise où se débattent les populations ouvrières
d’une grande partie du royaume. Je me propose de vous indiquer d’abord à quoi
ont été employés les 75,000 francs votés au budget depuis deux ans, et, en
second lieu, quelle est la destination que cette allocation, même augmentée,
peut recevoir dans l’avenir.
Cette question, messieurs, intéresse
principalement les deux Flandres presque tout entières ; elle intéresse aussi
une partie du Hainaut, l’arrondissement d’Ath et un certain nombre de communes
du Brabant. J’aurai donc à vous faire connaître ce qui a été fait pour
La question de l’industrie linière
est double dans ce sens, qu’il s’agit de la fabrication du fil et du tissage du
fil. Quant à la fabrication du fil, on se demande si l’ancienne industrie à la
main pourra se maintenir en présence de l’industrie nouvelle à la mécanique ;
c’est là une question controversée et que je ne tenterai pas de résoudre ; elle
doit être résolue par le temps.
La même question ne se présente pas
pour le tissage du fil. Ici il est incontestable que, moyennant certains
perfectionnements, le tissage du fil peut être maintenu dans les campagnes de
Il ne faut pas, messieurs, confondre
les deux questions, c’est-à-dire, que ceux qui sont convaincus que la
fabrication du fil à la main ne peut se maintenir en présence de l’industrie
nouvelle, que ceux-là peuvent, sans inconséquence, être d’avis que le tissage à
la main, tel qu’il existe dans les Flandres, peut très bien se maintenir
moyennant certains perfectionnements. Je crois, messieurs, que cette
distinction est essentielle, parce que beaucoup d’entre vous ont semblé
disposés à confondre dans une même condamnation l’une et l’autre de ces deux
branches de l’industrie linière.
Les 75,000 fr. votés jusqu’à présent,
ont été répartis de la manière suivante : 30,000 fr., à
Les mesures principales qui avaient
été proposées et qui ont été appliquées, sont celles-ci : créer des magasins de
prévoyance, établir des ateliers de perfectionnement ; envoyer dans les
communes des tisserands instructeurs ; distribuer des métiers perfectionnés, ou
bien les objets nécessaires pour perfectionner les anciens métiers déjà
existants ; enfin établir des écoles locales d’apprentissage, principalement
pour les filles, en combinant ces écoles avec l’instruction primaire.
Je crois nécessaire de vous donner
lecture d’un certain nombre de pièces (exclamation)
; il y a ici une situation tout à fait inconnue. On pense que l’allocation de
75,000 francs n’a pas reçu un emploi utile, que c’est en quelque sorte une
somme que le gouvernement s’est vu forcé de porter au budget, et qui a reçu un
emploi qu’il serait impossible d’avouer, difficile de justifier. On va même
jusqu’à supposer que l’on convertit l’allocation en aumônes donnée directement.
Vous allez voir qu’il n’en est rien.
Nous nous occuperons de
A Gand, on a établi un atelier de
perfectionnement.
Je vais vous donner lecture du
règlement de cet atelier et d’une lettre de la députation permanente de cette
province.
« INDUSTRIE LINIERE
« Circulaire de la députation de
« La députation permanente du
conseil provincial de
« Gand, 22 mai 1841.
« Par circulaire de M. le
gouverneur de cette province du 7 septembre 1840, vous avez appris que le
gouvernement a mis une somme de 30 mille francs à notre disposition pour
secourir l’industrie linière, et que nous étions d’avis d’employer cette somme
à l’achat et à la distribution dans les communes de métiers propres à améliorer
les tissus.
« Des modèles de métiers à la
navette volante et servant depuis longtemps, en Angleterre, en Ecosse et en
Irlande, au tissage du lin et d’autres étoffes, ont été introduits dans le pays
aux frais du gouvernement par
« Les minutieux essais auxquels
ces métiers ont été soumis en présence de personnes compétentes ont démontré :
« 1° Qu’au moyen de ces métiers
à la navette volante on peut avec plus de facilité et de promptitude tisser les
toiles les plus légères, les plus grosses et les plus serrées ;
« 2° Qu’ils servent à la
fabrication de certaines étoffes façonnées qui sont encore presque inconnues à
nos tisserands et qui trouveront, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, un débit
favorable ;
« 3° Que de jeunes filles, même
à l’âge de 15 à 16 ans, peuvent soutenir le travail de ces métiers, comme cela
s’est fait en Angleterre depuis que le salaire des fileuses a commencé à
diminuer ;
« 4° Que les anciens métiers
dont se servent nos tisserands peuvent être à peu de frais et de peine
transformés en métiers perfectionnés suivant le nouveau système ;
« 5° Et qu’il résulte de ce qui précède
que notre industrie linière retirerait de grands avantages de l’emploi général
de métiers à la navette volante.
« Nous avons donc, messieurs,
jugé convenable et décidé que toutes les administrations des communes où le
tissage des toiles se pratique nous proposeraient de bons tisserands de leurs
localités pour être admis successivement, à Gand, dans des salles de travail,
afin de s’y exercer et de se familiariser avec les métiers à la navette
volante.
« Les administrations des
communes de mille âmes et au-dessous proposeront deux bons tisserands, les
communes de deux mille en proposeront trois, et ainsi de suite avec
augmentation d’un tisserand pour chaque millier d’habitants.
« Ces tisserands jouiront,
pendant leur séjour à Gand. d’une indemnité de 1 fr.
50 c. par jour. Ils devront supporter eux-mêmes les frais de voyage.
« Lorsque ces tisserands auront
été exercés à la pratique du métier à la navette au point d’en comprendre
parfaitement les opérations, leur métier à tisser sera changé gratuitement suivant
le système perfectionné et sera pourvu d’un temple de nouvelle invention.
« Nous nous réservons
d’introduire encore d’autres améliorations, entre autres, concernant la
préparation du lin, pour autant que les fonds mis à notre disposition nous le
permettront.
« La députation permanente du
conseil provincial de
« (Signé) L. De Schiervel,
président.
« Par ordonnance, le greffier,
« (Signé) Montigny. »
Telle est la circulaire qui a été
adressée aux autorités locales de
Voici maintenant le règlement de
l’atelier de perfectionnement de Gand :
« La députation permanente du
conseil provincial,
« Vu la dépêche de M. le
ministre de l’intérieur, en date du 23 juin 1841, approuvant le projet
d’établissement d’un atelier d’apprentissage du tissage des toiles à navettes
volantes :
« Vu les propositions de la
commission administrative de l’atelier de charité de Gand, concernant cet objet
;
« Arrête ce qui suit :
« Art. 1er. Il sera établi au
local de l’atelier de charité, à Gand, et sous la direction et la surveillance
de la commission administrative de cet établissement, un atelier destiné à
propager dans cette province le tissage des toiles à la navette volante.
« Art. 2. Jusqu’à disposition
ultérieure, le nombre des tisserands qui seront simultanément admis à
l’apprentissage de cet atelier est fixé à vingt. Il sera renouvelé par moitie
de trois en trois jours.
« Art. 3. Le temps
d’apprentissage est fixé à six jours. Toutefois, la commission directrice
pourra en étendre la durée, lorsque, dans des cas particuliers elle le jugera
nécessaire. Elle pourra aussi la restreindre.
« Art 4. Les tisserands admis à
l’apprentissage devront se conformer aux règlements de la maison et aux mesures
d’ordre que la commission directrice jugerait convenable de prescrire.
« Il leur sera payé une
indemnité d’un franc cinquante centimes par jour de présence à l’atelier
d’apprentissage, y compris celui de l’arrivée et celui du départ. Le dimanche
comptera comme jour de présence à ceux qui auront fréquenté l’atelier du jeudi
au mercredi suivant.
« Cette indemnité leur sera
remise par les soins de la commission directrice, pour compte de la province.
« Ceux qui seront reconnus aptes
à se livrer utilement à ce mode de fabrication recevront, en quittant
l’atelier, un battant de métier, une navette et un temple perfectionné. Ces
ustensiles leur seront également remis par la commission directrice et pour
compte de la province.
« Art. 5. Les tisserands
désignés par l’administration provinciale devront se rendre à l’atelier, dans
la matinée du jour qu’elle aura fixé. Ils y seront admis sur la production
d’une lettre de leur bourgmestre, constatant leur identité.
« Art. 6. Les travaux seront
dirigés par deux maîtres surveillants à nommer par la commission directrice
sous notre agréation. L’indemnité qui leur sera payée sera indiquée dans l’acte
de nomination.
« Art. 7. Les écritures ainsi
que la comptabilité seront tenues par le directeur de l’atelier de charité
susdit. Il tiendra pareillement un journal sur lequel il consignera les
capacités, l’assiduité et la conduite de tous les tisserands qui auront fait
leur apprentissage.
« Art. 8. La commission susdite
ouvrira à la province un compte, au crédit duquel seront portées les sommes que
l’administration provinciale aura mises à sa disposition. Elle portera au débet
du même compte les indemnités payées aux tisserands et surveillants, les frais
d’acquisition ou d’appropriation de métiers, ceux d’achat ou de confection
d’ustensiles, en un mot, toutes les dépenses de l’atelier d’apprentissage
autres que celles d’achat et de préparation du fil.
« Comme la province doit, de son
côté, rendre compte au gouvernement de l’emploi des subsides mis à sa
disposition pour le perfectionnement de l’industrie linière, la commission
susdite remettra annuellement à l’administration provinciale le compte
mentionné au paragraphe qui précède et y joindra les pièces justificatives des
dépenses y portées.
« Art. 9. La commission directrice
est autorisée à acheter le fil et autres objets nécessaires aux travaux Elle
pourra aussi vendre les toiles fabriquées de la manière dont elle émet ses
propres produits.
« Elle tiendra compte
particulier des dépenses d’achat et de préparation du fil et du produit de la
vente des objets confectionnés. Si ce compte présente un excédant de recette,
cet excédant sera porté au crédit du compte mentionné à l’article 8 ; s’il
présente un déficit, ce déficit sera porte au débet dudit compte.
« Art. 10. La commission
adressera mensuellement au gouverneur de la province un rapport détaillé sur le
résultat des travaux.
« Gand, le 5 octobre 1841.
« (Signé) L. de Schiervel,
président.
« Par ordonnance, le greffier,
« (Signé) Montigny. »
Vous voyez, messieurs, que d’après ce
règlement chaque commune est invitée à envoyer, d’après sa population, un
certain nombre de tisserands à l’atelier de perfectionnement de Gand.
Voici quels ont été les résultats de
cette institution, j’ai sous les yeux deux rapports, l’un pour l’année 1842,
l’autre pour l’année 1843. Le premier rapport s’étend du 11 octobre 1841,
époque de l’ouverture de l’atelier, jusqu’au 30 septembre 1842, date du
rapport.
826 tisserands avaient été admis à
l’atelier de perfectionnement de Gand ;
15 étaient partis sans avoir accompli
leur séjour d’apprentissage ;
811 sont donc sortis de
l’établissement, après y avoir reçu une instruction nouvelle et en emportant de
nouveaux métiers.
Les métiers qui ont été distribués
sont les suivants :
813 battants ;
897 navettes ;
715 temples ;
331 peignes.
Cette distribution seule a exigé une
somme de 17,097 fr.
En 1843, un nombre considérable de
métiers a été distribué, et le nombre de tisserands admis à l’atelier de
perfectionnement de Gand s’est élevé à environ 1,700 ; ainsi, depuis l’érection
de l’atelier de perfectionnement à Gand, plus de 2,000 tisserands, envoyés par
les communes à raison de leur population, ont reçu dans cet établissement une
instruction nouvelle, et sont retournés dans leurs communes avec des métiers
nouveaux.
On a établi, en outre, dans la même
province, les magasins de prévoyance. On y a aussi fondé quelques écoles
d’apprentissage combinées avec l’instruction publique, principalement pour les
filles.
Je passe, messieurs, à la province de
Ici, on n’a pas établi un atelier
central de perfectionnement ; on a envoyé un grand nombre de tisserands
instructeurs dans les communes ; on a distribué beaucoup de métiers nouveaux,
et c’est dans cette province surtout qu’on cherche à introduire le métier qu’on
appelle le métier Pareit, du nom d’un ouvrier flamand, métier qui atteint le
même but que le métier à la navette volante ; on y a distribué un très grand
nombre de peignes métalliques qui remplacent les anciens peignes de roseau ;
enfin on a distribué une énorme quantité de rouets perfectionnés. Cette
distribution s’est principalement faite par les soins de l’abbé de Haerne.
Si dans
Du reste, je parlerai tout à l’heure
d’une manière plus générale du concours que l’autorité publique a reçu et doit
continuer à demander au clergé dans cette crise douloureuse.
Je complète ce qui concerne
« M. le Ministre,
« Bruges, le 7 mars 1843.
« J’ai eu l’honneur de recevoir votre
dépêche du 10 février dernier, 4ème division, n°666 par laquelle vous
m’informez que, par arrête royal du 30 décembre précédent, une somme de 5,000
fr. a été assignée à la députation permanente du conseil provincial, pour être
employée en faveur des classes ouvrières en souffrance, par suite de la crise
de l’industrie linière.
« Cette somme, jointe à celle de
25,000 fr., que le gouvernement a précédemment allouée, porte le subside de
l’Etat, pour 1842, à 30,000 fr., et le met ainsi au niveau du premier subside
accordé à la province.
« Je viens, M. le ministre, tant en
mon nom qu’en celui de la députation provinciale, vous remercier de cette nouvelle
preuve de sollicitude envers une industrie qui est, pour ainsi dire, vitale
pour
« La députation partage votre
avis, M. le ministre, que la distribution des métiers et d’ustensiles
perfectionnés et l’enseignement des procédés plus rapides que ceux employés
actuellement sont toujours, parmi les mesures proposées, une de plus efficaces.
Comme corollaire des moyens déjà mis en usage, cette voie conduira probablement
à de bons résultats. La députation s’en est déjà vivement préoccupée, et vous
savez, M. le ministre, que c’est à la suite de la correspondance qui a existé à
cet égard, que vous avez consenti, par votre lettre du 31 décembre 4842,
quatrième division, n° 1590, à ce que l’un des frères Pareit fût envoyé, par
les soins du comité cantonal pour l’industrie linière à Courtray, dans les
communes de l’arrondissement de ce nom, pour y enseigner le tissage à navette
volante, et à ce que le salaire de cent francs par mois à allouer à cet habile
tisserand fût prélevé sur les fonds à assigner à la députation. Ce salaire sera
donc imputé sur la nouvelle somme de 5,000 fr. que le gouvernement a allouée à
ce collège. La députation a pensé et elle ne doute pas que vous n’y donniez
votre assentiment, que dans l’étal actuel des choses, le restant de cette somme
ne saurait être mieux employé que pour 1° l’acquisition de métiers et
d’ustensiles perfectionnés ; 2° indemniser de bons tisserands qui seraient
chargés d’enseigner la nouvelle méthode de tisser et l’emploi de ces métiers,
et 3° pour des secours aux comités ou aux bureaux de bienfaisance qui
s’engageraient à remplir la mission des comités.
« La députation permanente, persuadée
que ces mesures sont conformes à vos intentions, M. le ministre, et qu’en
conséquence elles obtiendront votre haute approbation, a cru pouvoir demander
aux comités cantonaux des propositions pour en poursuivre l’exécution de la
manière la plus utile. »
J’arrive au Hainaut. Ici l’intérêt se
restreint presqu’à un seul arrondissement, celui d’Ath. A Ath, on a aussi
établi un atelier de perfectionnement, et cet atelier a produit de plus heureux
résultats,
J’ai également sous les yeux un
rapport de la commission directrice de l’atelier de perfectionnement à Ath. Je
ne donnerai pas lecture du règlement, mais je crois utile de vous lire le
rapport.
Ce rapport a été adressé au
gouverneur du Hainaut.
« Ath, le 21 mars 1843.
« Rapport de la commission
directrice de l’atelier de perfectionnement à Ath.
« Monsieur le gouverneur,
« J’ai l’honneur de répondre à
la lettre que vous avez bien voulu adresser à la commission le 22 février
dernier, division A, n°301, par laquelle vous nous annoncez qu’un nouveau
subside de deux mille francs vient d’être accordé pour être employé à améliorer
le sort de nos tisserands.
« La commission pense comme vous,
M. le gouverneur, que le meilleur emploi à faire de ces fonds serait de les
faire contourner en primes à accorder aux tisserands qui, ayant fréquenté
l’atelier, auront fait preuve d’habileté, et adopté le nouveau système de
tissage que nous désirons introduire.
« Les graves inconvénients que
présentait, en hiver, le local offert par l’administration communale, pour y
établir notre atelier, et par suite l’obligation où nous nous sommes trouvés de
le transférer ailleurs, ont occasionne des retards et des lenteurs qui ne nous
ont pas permis de vous présenter un rapport convenable sur la marche suivie
jusqu’à ce jour et les résultats obtenus.
« La commission avait le désir
de n’employer que des fils à la main et de démontrer leur supériorité sur les
fils mécaniques.
« Les fils achetés sur le marché
d’Ath et les marchés voisins étaient tellement mauvais, que non seulement ils
ne pouvaient supporter les préparations usitées dans quelques établissements
des Flandres, que nous croyons utiles d’introduire dans notre arrondissement,
mais encore ne pouvaient résister aux épreuves ou plutôt au mouvement du
nouveau métier livré à des mains novices et inhabiles.
« Quatre métiers avaient été
montés avec des fils provenant de nos marchés, et nous eussions manqué notre but
si nous eussions continué à les employer.
« La commission s’est empressée
d’acheter des lins. Plus de soixante fileuses ont été appelées ; une petite
quantité de lin a été remise à chacune d’elles pour reconnaître les bonnes
ouvrières. La commission s’est réunie pour la réception des fils ; les fileuses
reconnues bonnes ont reçu de nouveau du travail, les mauvaises ont été
renvoyées en leur faisant connaître les motifs de ce renvoi, et leur expliquant
les défauts de leurs fils ; il était des fileuses dont le travail laissait à
désirer ; les moyens à employer pour faire disparaître les défauts leur ont été
signalés, et elles ont été soumises à une seconde épreuve ; la plupart d’entre
elles nous ont rapporté des fils qui ne laissaient rien désirer.
« Nous devons déclarer ici que
la rivalité et l’émulation, qui s’est établie entre les fileuses, procurent
aujourd’hui à la commission les fils d’une qualité supérieure et telle qu’elle
surprend nos tisserands.
« Au moyen de mécaniques et de
contrôleurs que s’est procurés la commission, un tarif de prix a été arrêté :
deux fois la semaine, trois membres de la commission assistent à la réception
des fils, ils prononcent sur leur qualité ; celles reconnues supérieures
reçoivent une légère gratification qui consiste à leur donner un numéro
supérieur, ce qui majore le prix de deux centimes à la livre ; si le fil a des
défauts, une retenue est opérée ; les retenues balancent ordinairement les
gratifications. Une fileuse qui subit deux retenues est renvoyée.
« Vous comprendrez, M. le
gouverneur, que ces préliminaires ont demandé du temps et que nous n’avons pu
donner à l’atelier tout le développement que nous avons projeté.
« Aujourd’hui, plusieurs métiers
sont montés avec nos fils préparés et lessivés sous les yeux des tisserands ;
nous n’hésitons pas à dire que les toiles commencées sont parfaites et nous
avons l’espoir fondé que l’atelier répondra au but de son institution.
« Dans le nombre des tisserands
qui ont fréquenté l’atelier, deux d’entre eux se sont fait remarquer par leur
habileté ; la commission a pensé que leur exemple serait d’une grande influence
dans l’atelier, elle les a engagés à y demeurer ; le produit de leur travail
suffira pour les indemniser.
« Avant ce jour, beaucoup de
tisserands se présentaient à l’atelier, sans s’y faire inscrire et seulement
comme simples spectateurs, mais aujourd’hui plus de cent d’entre eux ont
demandé d’y être admis et attendent leur tour.
« Enfin, monsieur le gouverneur,
par la marche que nous avions adoptée, nous voulions signaler aux fileuses les
défauts de leur travail et les remèdes à y apporter, nous voulions montrer aux
tisserands la méthode que nous adoptions pour bouillir et lessiver nos fils, et
les avantages que nous procurait cette méthode ; nous voulions faire connaître
la supériorité des métiers perfectionnés d’après le système Pareit, et nous
avons lieu d’espérer que nous parviendrions au but que nous voulions atteindre.
« Veuillez agréer, M. le
gouverneur, l’assurance de ma haute considération.
« Le président de la commission,
« (Signé) V.Le Tellier. »
Je ferai insérer au Moniteur le règlement de l’atelier de
perfectionnement à Ath.
Enfin, messieurs, dans le Brabant, où
l’industrie linière n’existe que pour certaines communes, on s’est borné à distribuer
des métiers et à faire connaître les procédés nouveaux.
Il y a donc des mesures qui ont été
généralement adoptées. C’est d’abord l’établissement de magasins de prévoyance,
l’envoi de tisserands instructeurs dans les communes : c’est, en second lieu,
la distribution des métiers nouveaux. Voilà les mesures qui ont reçu une
application générale. Dans
Dans la Flandre occidentale, les
écoles locales d’apprentissage combinées avec l’instruction primaire ont reçu
une grande extension, au point qu’il existe aujourd’hui 250 de ces écoles.
Voilà, messieurs, quelles sont les mesures qui ont été prises à la suite du
vote par lequel vous avez autorisé le gouvernement à intervenir dans la crise
de l’industrie linière.
La situation actuelle, il faut bien
en convenir, est une situation toute nouvelle pour un gouvernement. Dans les
Flandres, les tisserands continuent à employer des métiers dont on se servait
peut-être il y a un siècle, les perfectionnements nouveaux ne soit pas connus.
Je parle de la généralité. Je demande pourquoi il faut que l’autorité publique
intervienne. C’est que cette industrie se présente avec un caractère spécial ;
c’est une industrie à domicile, d’un genre tout particulier. Il faut venir au
secours de l’individu. Il n’y a pas de grands entrepreneurs de travaux qui
s’occupent des perfectionnements de cette industrie disséminée dans les campagnes
et qui appliquent les procédés nouveaux à leurs risques et périls. Ici les
individus épars dans les communes rurales restaient abandonnés à eux-mêmes, les
progrès de l’industrie leur resteraient complètement inconnus.
Nous avons aussi beaucoup de préjugés
à vaincre. Nous avons à lutter contre les fabricants des anciens métiers qui
ont intérêt à en continuer la vente. Nous avons à combattre tous les préjugés
qui s’attachent aux innovations. Le clergé, sur la demande du gouvernement,
s’est joint aux autorités pour combattre ces préjuges, pour persuader aux
tisserands que les procèdes nouveaux qu’on leur indique, sont des procédés
devenus nécessaires. On a eu recours à tous les moyens imaginables, à des
moyens ridicules même, pour empêcher les tisserands soit d’adopter les nouveaux
métiers, soit de se rendre à l’atelier central d’apprentissage. On a été
jusqu’à leur dire qu’on voulait les y attirer pour les enrégimenter et les
exporter à Guatemala. (On rit.)
Vous me direz : pourquoi faut-il
venir ainsi en aide à des populations ? C’est un fait dont la nécessité est
constatée. Nous ne pouvons pas changer la disposition des esprits ; supposer
les hommes plus instruits qu’ils ne le sont. Si les individus étaient
abandonnés à eux-mêmes, les procédés nouveaux leur resteraient complètement
inconnus. Car c’est une industrie qui s’isole dans chaque localité, dans chaque
ménage, pour ainsi dire.
J’ai annoncé qu’on avait conçu de
nouvelles mesures depuis la rédaction du budget qui vous est soumis en ce
moment. J’arrive ainsi à la question de savoir quelle sera la destination de
l’allocation même augmentée. D’abord l’allocation continuera à recevoir la
destination quelle a reçue jusqu’à présent. On distribuera les métiers
perfectionnés, on enverra des tisserands instructeurs dans les communes ; on
continuera à recevoir des tisserands dans les ateliers que j’ai appelés
ateliers centraux de perfectionnement. Il n’en existe encore que deux, l’un à
Gand et l’autre à Ath ; peut-être en établira-t-on dans d’autres localités ; dans
Si, aujourd’hui, au risque de
fatiguer votre attention, j’ai donné lecture de toutes ces pièces, c’est parce
que je désirais que ce qui a été fait reçût une certaine publicité. Ce qui se
dit ici est connu dans tout le pays.
Enfin, on maintiendra, on augmentera
les écoles locales d’apprentissage en les combinant avec l’instruction
primaire.
J’arrive aux mesures nouvelles :
On a institué des comités locaux dans
Je vais donner lecture de cette
résolution.
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir,
salut.
« Vu le règlement adopté par le
conseil provincial de
« Art. 1er. Dans les communes
désignées par la députation permanente du conseil provincial, l’administration
s’efforcera de procurer aux indigents une occupation utile.
« Il sera institué, pour chaque
localité où cette mesure sera adoptée, un comite industriel.
« Ces comités seront composés, dans
les communes rurales, de trois à cinq membres, et de sept au plus, y compris
dans l’un et l’autre cas, le bourgmestre qui sera président de droit.
« Art 2. Les membres de ces
comités seront nommés par les conseils communaux sous l’approbation de la
députation permanente du conseil provincial.
« Ils seront, chaque année, renouvelés
par moitié.
« Les membres sortons pourront
toujours être réélus.
« Art. 3. Le secrétaire et le
receveur de chaque commune rempliront les fonctions de secrétaire et de
receveur auprès des comités industriels. Néanmoins, sur la proposition de ces
collèges, et là où l’utilité en sera reconnue, la députation permanente y
pourra pourvoir autrement.
« Art. 4. Immédiatement après
leur installation, les comités délibéreront sur les moyens d’organiser le
travail de la manière la plus conforme aux intérêts des indigents et aux
besoins de chaque localité.
« Les délibérations prises sur
cet objet par les comités des villes, seront soumises à l’approbation de la
députation permanente.
« Pour les communes rurales, ces
délibérations seront approuvées par le commissaire d’arrondissement.
« Art. 5. Les comités se mettront en
rapport avec les bureaux de bienfaisance. Les travaux de ces deux
administrations seront réglés de manière à se prêter un mutuel appui.
« Art. 6. Les ressources
financières des comités se composeront de subsides communaux et d’allocations
sur les fonds de la province et de l’Etat.
« Art. 7. Tous les mois, les comités
feront à l’autorité supérieure un rapport sommaire sur leurs opérations.
« Art. 8. Dans le but de donner à ces
travaux la direction la plus utile, il pourra être tenu par arrondissement
administratif des réunions générales ou partielles des délégués des comités.
« Ces réunions seront convoquées et
présidées par le commissaire de l’arrondissement, conformément aux instructions
de la députation permanente du conseil provincial.
« Art. 9. Chaque année et à l’époque
à déterminer par l’autorité supérieure, les comités présenteront un compte
régulier de leur gestion.
« Bruges, le 21 juillet 1843.
« Le président, (Signé) Massez.
« Par ordonnance
« Le greffier,
« (Signé) Devaux.
« Vu la loi du 30 avril 1836,
art. 86, § 6 ;
« Vu l’avis de notre Ministre de
la justice ;
« Sur le rapport de notre
Ministre de l’intérieur,
« Nous avons arrêté et arrêtons
:
« Art. 1er. Le règlement
ci-dessus est approuvé.
« Art. 2. Notre Ministre de
l’intérieur est chargé de l’exécution du présent arrêté.
« Donné à Wiesbaden, le 12 août
1843.
« LEOPOLD.
« Par le Roi :
« Le ministre de l’intérieur,
« Nothomb. »
Le but principal de l’institution de
ces comités industriels a été de donner plus d’ensemble aux mesures qui étaient
prises précédemment, et d’en assurer l’exécution ; car il arrivait très souvent
que les métiers envoyés dans les communes y restaient sans emploi, par suite
des préjugés. Il faut donc que les comités industriels s’attachent à vaincre
ces préjugés et à obtenir des tisserands qu’on emploie les procédés nouveaux.
Dans
Dans le Hainaut on a pensé que
l’établissement d’un comité industriel était inutile. L’industrie linière se
concentre ici presque dans un arrondissement ; la commission directrice qui
existe à Ath se croit une action suffisante.
Dans le Brabant, où il n’existe que
quelques communes où l’on s’occupe de l’industrie linière, la même institution
de comités locaux a été jugée inutile.
Dans
Enfin on s’est occupé surtout dans
cette province d’une troisième question, celle des rétablissements de la police
de fabrication des toiles ; il ne s’agirait de rien moins que d’interdire, sous
peine d’amende et d’emprisonnement, l’emploi de certains outils vicieux, par
exempte, des peignes de roseaux à dents inégales.
On prononcerait une espèce de
confiscation ; il faudrait enlever les outils imparfaits ; évidemment en les
enlevant, il faudrait les remplacer gratuitement par des outils nouveaux.
Proscrire, par exemple, les anciens peignes, les peignes à dents inégales et de
roseaux, sans fournir des peignes nouveaux, ce serait rendre le travail
impossible aux indigents. (Interruption.)
Qui conseillerait d’enlever les anciens peignes, sans en fournir de nouveaux ?
Les peignes nouveaux nécessaires seraient en très grand nombre et exigeraient
une somme assez considérable.
Beaucoup de personnes, et je suis du
nombre, ont des doutes sur la convenance de l’établissement de la société
d’exportation ; on s’est demandé si on ne pourrait pas se borner à créer à
l’étranger des dépôts de nos toiles, notamment à Paris. Les affaires n’étant
plus aussi multipliées avec la France, il se trouve que les négociants
français, qui avaient des relations très suivies avec
J’ai dit hier que si l’on s’était
borné à m’interpeller sur la suffisance de l’ancienne allocation, j’aurais
répondu que probablement cette allocation deviendrait insuffisante. Les faits
nouveaux nous sont maintenant connus.
Cependant je ne pense pas qu’on doive
porter le subside de 75,000 fr. à 200,000 fr. Je crois qu’on peut se borner à
le porter à 150,000 fr. (Exclamation.)
Je remarque des signes de surprise et
de doute ; il faut détruire tous ces faits. (Interruption.) On me demande : que ferez-vous de la nouvelle somme
? Je croyais déjà en avoir suffisamment indiqué l’usage, je vais donc insister
sur quelques détails.
On pourrait employer utilement une
somme assez forte pour mettre les tisserands isolés des campagnes au courant
des moyens perfectionnés de travail qu’ils ignorent absolument jusqu’à ce jour.
Les neuf dixièmes de ces tisserands
tissent avec le métier à la main qui a été monté dans leur cabane depuis un
siècle. Ils travaillent à la main avec un mauvais peigne de roseau à dents
inégales, avec un mauvais temple, et font péniblement trois à quatre aunes de
toile, tandis que les tisserands d’Angleterre et de France, travaillant à la
navette volante, avec un peigne métallique et un temple à pression, font en un
jour de 8 à 12 aunes de toile ! Là est le principe de notre infériorité, la
source de la misère de nos tisserands, et la principale cause de la mévente de
nos toiles à l’étranger ; et si l’on ne porte remède à cette position toute
exceptionnelle de nos tisserands, nous perdrons même le marché intérieur.
Il faut donc appliquer aux métiers
anciens, très solides et encore généralement bons, la navette volante (ce qui
coûtera de 40 à 50 fr. par métier) ; établir des ateliers d’apprentissage où
les tisserands des campagnes puissent venir apprendre en dix ou douze jours, le
travail à navette volante et l’usage des outils perfectionnés.
Il faut envoyer dans les communes des
ouvriers instructeurs qui puissent, après la transformation des métiers,
enseigner aux tisserands l’appréciation et le travail du nouveau métier.
Il faut distribuer en primes aux
tisserands les plus pauvres et les plus habiles de nouveaux peignes métalliques,
des temples à pression, fonder des ateliers d’apprentissage pour la
démonstration et l’usage des métiers perfectionnés, que ce soient les métiers
Jacquard, Pareit ou autres, pour propager le tissage des toiles façonnées dont
la demande et la consommation augmentent chaque jour (linges de tables, toiles
à matelas, façonnées pour stores, nappes et napperons, etc.).
Enfin, peut-être faut-il établir des
maisons de dépôt, notamment à Paris, centre de presque tout le commerce
d’exportation de la France et de la moitié au moins du commerce intérieur ; ce
dernier dépôt bien géré, et d’où nous viendraient des renseignements exacts et
continus sur les qualités et les espèces demandées, pourrait être très utile.
En un mot, avec les 150,000 fr. le
gouvernement pourra se joindre aux autorités provinciales et locales, continuer
ce qui a été fait précédemment avec les 75,000 fr., multiplier même les moyens
employés jusqu’à présent, et de plus il pourra suffire aux nouvelles mesures
qu’on se propose de prendre.
Je me suis attaché à faire connaître
ces faits, parce qu’ils tendent à établir que l’industrie linière est dans une
position tout exceptionnelle, qui ne peut être invoquée en faveur d’aucune
autre industrie.
Je vous ai expliqué qu’il ne s’agit
pas de donner des aumônes, de distribuer de l’argent. Il s’agit, au fond, d’instruire, de maintenir et de réorganiser
l’industrie linière par l’enseignement et la distribution gratuite des métiers
nouveaux. (Interruption.)
On nous parle, dit-on, depuis
nombre d’années, des souffrances de l’industrie linière ; on ajoute qu’il faut
considérer cette industrie comme destinée à périr. En commençant ces
explications, je vous ai rendus attentifs à une distinction importante, c’est
que ceux-là même qui seraient disposés à considérer la filature, c’est-à-dire,
la fabrication du fil à la main, comme condamnée, ne doivent pas comprendre
dans la même condamnation le tissage du fil à la main, c’est-à-dire la
fabrication de la toile à domicile, dans les campagnes.
En terminant, je n’hésite pas à
déclarer que si la crise qui existe dans les Flandres n’a pas compromis
peut-être le repos public, c’est grâce au concours actif des autorités
provinciales et communales, grâce aux mesures prises avec l’aide du
gouvernement et du clergé. Si ces mesures n’avaient en définitive pour résultat
que de maintenir, en le perfectionnant, le tissage à la main, ce résultat
serait déjà très important.
Quant à la fabrication du fil à la
main, évidemment ceux-là même qui seraient le plus disposés à la condamner voudront
attendre l’expérience, en faisant des vœux pour que cette industrie soit
sauvée, si elle peut l’être.
M.
Pirmez. - Je comptais dire quelques mots à
la séance d’hier, quand elle a été close. Après les explications qui viennent
d’être données par M. le ministre de l’intérieur, je trouve que la question n’a
plus la même importance qu’après les discours prononcés hier par plusieurs
honorables membres, car jusqu’à présent, d’après les explications du ministre,
nous n’avons rien à blâmer de ce qui a été fait par le gouvernement. Car,
qu’a-t-on fait ? ce ne sont pas des secours matériels
qu’on a donnés ; ce n’est que de l’instruction. Nous dépensons des sommes
considérables pour donner de l’instruction aux populations. Je crois donc qu’on
peut employer le crédit proposé par le gouvernement à faire donner une
instruction spéciale.
Mais s’il s’agissait de secours
matériels, la chambre devrait s’opposer à toute allocation. C’est ce que j’ai
soutenu, la première fois que ce crédit a été proposé.
M. le ministre de l’intérieur a dit
qu’on avait le projet d’exporter nos toiles. Ceci serait un secours matériel.
Je crois que la chambre devrait se prononcer sur une telle question. Il ne vous
est pas permis de favoriser les produits d’une industrie, en les faisant
exporter par le gouvernement, si les chambres n’ont pas statué à égard ; car on
aura beau prétendre que l’industrie linière est dans une situation
extraordinaire, cette surabondance de produits existe dans toutes les
industries. Vous pouvez aller dans toutes les parties industrielles du pays,
vous y trouverez la même surabondance de produits, la même misère dans la
classe ouvrière, partout la production excède la consommation ; il n’existe pas
de puissance au monde qui soit en état de les équilibrer. Ceux qui l’on tenté
ont cherché une chimère.
Je crois que l’on ne peut tenter
d’exporter sans le concours des chambres. Tant qu’il ne s’agit, comme
maintenant, que d’espèces d’écoles de manufacture, il n’y a rien à répondre.
(Moniteur
belge n°26, du 26 janvier 1844) M. de
Muelenaere. - Bien que la question actuellement
pendante soit d’une extrême gravité, les discours qu’ont prononcés hier mes
honorables amis, les renseignements fournis tout à l’heure par M. le ministre
de l’intérieur et les explications données par l’honorable M. Pirmez semblent
rendre ma tâche très facile.
Je ne vous dirai rien de l’importance
de l’industrie linière. Cette importance, soit absolue, soit relative, ne peut
être sérieusement contestée ; les faits, les documents officiels sont là. En
effet, malgré l’état de crise où elle s’agite depuis plusieurs années,
l’industrie linière continue à figurer au premier rang parmi toutes les
industries du pays. Si, considérée au point de vue de la richesse nationale,
comme un des éléments principaux de notre commerce tant intérieur que
d’exportation, l’industrie linière appelle l’attention la plus sérieuse du
gouvernement et des chambres, elle est bien plus digne encore de toute votre
sollicitude, quand vous la considérez sous un autre rapport.
Dans la séance d’hier, un honorable
membre vous a dit que la fabrication de la toile devait procurer des moyens
d’existence à 400,000 ouvriers. Dans un pays comme le nôtre, dans un Etat de 4
millions d’habitants, ce chiffre est énorme ; il présente le dixième de la
population générale ; et cependant je suis convaincu qu’il n’a pas été exagéré,
et qu’il est bien plutôt en-dessous qu’en-dessus de la réalité.
Partant de là, un honorable membre a
subdivisé la somme pétitionnée qui ne présente qu’une fraction de 50 c. environ
par individu et par année. L’honorable collègue en a tiré cette conclusion, que
le moyen proposé était complètement illusoire. Au point de vue où s’est placé
l’honorable membre, cette conclusion peut paraître logique ; mais il voudra
bien me permettre d’en tirer une autre.
Et en effet, messieurs, ce calcul
n’est-il pas la démonstration la plus évidente, la démonstration la plus
péremptoire qu’il ne s’agit pas ici, comme ont paru le croire quelques
honorables membres, de créer une taxe de pauvres, d’organiser le paupérisme ou
de donner le pain de l’aumône aux ouvriers des Flandres ?
Je rends hommage, messieurs, aux
intentions de mes honorables collègues ; mais je n’ai pas pu écouter sans
émotion les paroles par lesquelles un honorable député des Flandres a repoussé
cette supposition dans ce qu’elle pouvait avoir d’injurieux ou de flétrissant
pour ces ouvriers. En effet, messieurs, s’il s’agissait de faire l’aumône à
400,000 ouvriers, ce ne serait pas une somme de 200,000 mille francs, ce serait
une somme de plusieurs millions qu’on viendrait vous demander. Evidemment,
messieurs, vous ne refuseriez pas le pain à ces ouvriers, lorsque vous auriez
la conviction que ce n’est pas par fainéantise, que ce n’est pas par paresse
qu’ils ne peuvent pourvoir à leur existence, que c’est le travail lui-même qui
leur fait défaut.
Je reviendrai tout à l’heure,
messieurs, sur le but que nous avons eu en vue en proposant à la chambre de
majorer l’allocation du subside porté au budget par le gouvernement en faveur
de l’industrie linière, mais avant d’aborder ce point, je dois répondre deux
mots à une autre objection qui nous a été faite.
On a paru croire, messieurs, que nous
voulions établir une sorte d’antagonisme, créer ou perpétuer une lutte entre
l’industrie ancienne, l’industrie à la main, et l’industrie nouvelle,
l’industrie à la mécanique. Nous devons, messieurs, protester contre cette
supposition. Nous n’avons aucune antipathie contre l’industrie nouvelle ; à la vérité,
nous avons foi dans l’industrie ancienne, nous espérons qu’elle se relèvera de
l’état de souffrance dans lequel elle languit à présent ; mais nous croyons
aussi qu’il n’y a pas entre ces deux industries une incompatibilité telle
qu’elles ne puissent pas coexister ; nous pensons que ces deux industries,
répondant à des besoins différents, répondant à des besoins nouveaux, peuvent
cohabiter ensemble dans le même pays, et nous formons des vœux sincères pour
que l’une et l’autre concourent à l’accroissement de la prospérité publique.
Toutefois si, ce qu’à Dieu ne plaise,
l’industrie ancienne était condamnée à périr, je suis convaincu que l’industrie
nouvelle, par rapport à la classe ouvrière, ne pourrait jamais remplacer
l’industrie à la main, et que la mort de celle-ci pourrait donner le signal
d’une crise effroyable.
Un honorable député, messieurs, a
paru croire aussi que nos efforts en faveur de l’industrie à la main étaient
plutôt nuisibles qu’utiles, que par là nous empêchions les ouvriers de chercher
d’autres moyens d’existence et que nous les engageons au moins indirectement à
persister dans une industrie devenue plus ou moins improductive.
Cette objection, messieurs, tombe
encore devant la puissance et la logique des faits. Nous n’avons jamais eu l’intention
qu’on nous prête. Depuis longtemps nous avons reconnu ce qu’il y a de vicieux
dans l’ancien mode de fabrication, ce qu’il y a de défectueux dans les métiers,
les rouets et autres instruments de production. le
principal résultat que nous voulons atteindre, c’est de parvenir à placer la
fabrication dans des conditions plus favorables d’existence.
Et sous ce rapport, je crois que mon
opinion se rencontre parfaitement avec celle de l’honorable député d’Anvers. Je
suis d’accord avec lui, que si nous engagions les populations à persister
aveuglément dans les procédés anciens, lors même que ces procédés sont reconnus
mauvais, nous leur ferions beaucoup plus de mal que de bien.
Mais au lieu d’engager l’ouvrier à
persister dans une fabrication qui peut être considérée sous certains rapports
comme vicieuse, nous faisons, comme vous l’a dit M. le ministre de l’intérieur,
tous les efforts possibles non seulement pour améliorer la fabrication,
populariser les nouveaux instruments, donner aux ouvriers des tisserands
instructeurs, mais encore pour introduire dans le pays toutes les autres
industries qui peuvent procurer des moyens d’existence même temporaire.
Loin de nous laisser dominer par des
préjugés contraires aux véritables intérêts du pays, je crois que nulle part
des efforts plus courageux n’ont été tentés dans un
esprit de protection éclairée envers les classes ouvrières. Indépendamment des
mesures d’amélioration et de perfectionnement qui se lient directement à
l’industrie linière un nombre très considérable d’écoles-manufactures ont été
établies, où l’on se livre à la confection de la dentelle, à la fabrication des
gants de peau, à la fabrication et à la broderie du tulle ; en un mot, toutes
les industries qui ont été signalées à l’autorité comme pouvant procurer, même
momentanément, des moyens d’existence à cette classe ouvrière, toutes ces
industries ont été immédiatement adoptées ; immédiatement on a mis la main à
l’œuvre pour les introduire dans la province.
Or, messieurs, c’est à l’introduction
de ces industries nouvelles, c’est à l’établissement d’écoles-manufactures, à
l’introduction de métiers, d’ustensiles perfectionnés, à la propagation de
méthodes meilleures, c’est, pour ainsi dire, exclusivement à tout cela que les
sommes votées jusqu’à présent par les conseils provinciaux, par les communes,
et par le gouvernement ont été employées. Aucune partie de ces sommes n’a été
affectée à procurer des secours directs aux ouvriers, aucune partie de ces
sommes n’a servi à faire l’aumône, aucune partie de ces sommes n’a servi à
faire le commerce, à favoriser extraordinairement la vente des produits, à
nuire à une industrie rivale, tout en favorisant l’industrie ancienne.
Vous voyez, messieurs, que, sous tous
ces rapports, nous sommes entrés dans les vues exposées par l’honorable M.
Pirmez. Cet honorable membre a compris qu’une somme de 200,000 fr. n’était pas
trop élevée, lorsqu’il s’agissait d’obtenir des résultats pareils à ceux qu’a
signalés M. le ministre de l’intérieur.
Eh bien, messieurs, depuis lors, de nouvelles
tentatives ont été faites. On a établi dans les deux Flandres des comités
industriels. Presque chaque commune de ces provinces populeuses, où l’on se
livre à la fabrication des toiles, se trouve aujourd’hui dotée d’un comité
industriel. Ces comités sont chargés de surveiller la fabrication, de propager
les bonnes méthodes, d’exciter le zèle, de soutenir le courage des tisserands,
de leur procurer des métiers et des ustensiles perfectionnés, d’avoir soin, en
un mot, que sans secousse on arrive ainsi une meilleure fabrication et à une
organisation plus régulière et plus productive du travail.
Vous voyez par là, messieurs,
l’emploi utile qui a été fait des sommes votées et l’emploi qui sera fait des
sommes que vous voterez. L’instruction des comités industriels a
considérablement augmenté les dépenses. Le subside du gouvernement doit
contribuer à couvrir ces dépenses. C’est surtout dans le but de faciliter la
marche de ces comités industriels, de les mettre à même de faire le bien qu’on
attend de leur instruction, que mes honorables collègues et moi avons demandé
une majoration du subside qui avait été proposé par M. le ministre de
l’intérieur.
J’espère, messieurs, que la chambre
votera le subside de 200,000 francs avec empressement, et j’espère aussi que,
l’année prochaine, les renseignements qui pourront vous être fournis de nouveau
par le gouvernement prouveront que ce subside a reçu sa véritable destination
et qu’il a produit d’heureux résultats dans l’intérêt de la classe ouvrière et,
dans l’intérêt d’une de nos plus belles, d’une de nos plus riches et plus
utiles industries.
(Moniteur
belge n°25, du 25 janvier 1844) M. le président. - La parole est à M. Rodenbach.
M. Rodenbach. -
J’attendrai qu’un membre conteste le chiffre proposé par l’amendement. Je crois
qu’il est encore des orateurs qui veulent parler contre.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne prends la
parole que pour répondre à l’honorable M. Pirmez, qui m’a adressé une
interpellation. Il a désiré savoir si le gouvernement entendait favoriser
l’exportation. On avait conçu le projet de l’établissement d’une société
d’exportation, société que n’eût été qu’une institution de bienfaisance.
Jusqu’à présent ce projet n’a pas reçu l’approbation du gouvernement.
J’ai cru, en effet, qu’un
établissement de ce genre pouvait présenter certains dangers, pouvait alarmer
l’industrie et le commerce que j’appellerai libres. Aussi, messieurs, c’est pour
qu’on ne puisse pas conclure de l’adhésion que le gouvernement donne à la
proposition d’augmentation, pour qu’on ne puisse pas en conclure que ce projet
recevra son approbation, que je propose d’accorder seulement une augmentation
de 75,000 fr. Si l’allocation avait été portée à 200,000 fr., on aurait pu en
conclure que le gouvernement entrait dans ce système assez large d’exportation
que l’on avait suggéré. Cependant il serait peut-être utile d’établir certains
dépôts et surtout un dépôt à Paris, ne fût-ce que momentanément. Il est certaines de nos toiles qui, de jour en jour, sont moins
connues en France et dont il faudrait peut-être un dépôt à Paris et dans
quelques ports maritimes.
Je désire, messieurs, que la question
reste dans les limites où je l’ai fixée, à l’aide des faits que j’ai cités. Il
est impossible d’abandonner à elle-même l’industrie linière, tissage et
filature. Il est impossible d’abandonner les ouvriers isolés à eux-mêmes. Il
faut d’une part les instruire ; il faut, de l’autre, l’instruction étant
donnée, leur fournir les moyens de remplacer les métiers anciens par des
métiers nouveaux. Tel est, messieurs, le grand but de l’allocation qui vous est
demandée. Il est question de rétablir les anciens règlements sur la
fabrication, mais pour obtenir ce rétablissement, il faut évidemment qu’on
n’ait pas recours à une véritable confiscation ; il faut, en introduisant cette
police de fabrication, pouvoir dire à l’ouvrier : « Je vous prends votre ancien
métier imparfait ou telle partie imparfaite de ce métier ; je confisque en
quelque sorte ce peigne de roseau à dents inégales, mais je le remplace par un
peigne métallique que voici. »
Tel est, messieurs, le langage qu’il
faut pouvoir tenir, sinon le rétablissement de la police deviendrait une mesure
odieuse. Il y aurait même lieu de savoir jusqu’à quel point on pourrait prendre
constitutionnellement une mesure de ce genre. Il faut donc que la police puisse
être en quelque sorte établie de commun accord avec l’ouvrier ; elle ne peut
véritablement l’être que de cette manière.
M. de Theux. -
Les provinces interviennent-elles ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Le conseil provincial de
(Moniteur
belge n°26, du 26 janvier 1844) M. de
Muelenaere. - Je demande à la chambre la
permission de dire un mot en réponse à l’interpellation de l’honorable M. de
Theux.
Indépendamment de l’intervention des
provinces, les communes et les bureaux de bienfaisance interviennent aussi.
Un membre. - Et les dons particuliers.
M. de
Muelenaere. - L’année dernière, messieurs, les
communes de
Un membre. - Il y a des communes qui ont donné
dix fois le montant du subside qu’on leur accordait.
M. de Muelenaere. - C’est vrai, mais le quintuple a été assez généralement la part
contributive de la commune. Ainsi, pour obtenir un subside de 600 francs, la
plupart des communes ont fourni 3,000 francs sur la caisse communale.
(Moniteur
belge n°25, du 25 janvier 1844) M. Cogels. - Messieurs, lorsque j’ai parlé dans la séance d’hier, je répondais à
un honorable député de Courtrai qui, il faut en convenir, avait fait un appel à
notre humanité et, tranchons le mot, à notre charité plutôt qu’à nos
sympathies, pour une industrie ancienne, qui a été une des gloires de notre
pays. Depuis lors, la discussion a pris une toute autre tournure, la question a
été déplacée ; l’amendement proposé par les honorables députés des Flandres a
trouvé un nouveau défenseur aussi habile qu’éloquent, et qui s’est placé sur un
terrain tout nouveau. Je commencerai par répondre à cet honorable membre qu’il
n’a pas parfaitement saisi le sens de mes paroles. Il m’a attribué deux erreurs
dans lesquelles je ne suis pas tombé. Il a dit d’abord que j’aurais tranché la
question entre l’ancienne industrie et l’industrie nouvelle. Il n’en est rien,
messieurs ; je n’ai pas condamné l’industrie ancienne à une mort absolue, mais
j’ai dit que nécessairement la nouvelle industrie devait lui faire une
concurrence fatale, que l’industrie nouvelle devait occasionner le déplacement
d’une partie de l’ancienne industrie.
En ce qui concerne les calculs que
j’avais faits relativement aux secours à répartir, cela s’appliquait
principalement à la phrase par laquelle l’honorable M. Van Cutsem avait débuté
et où il disait qu’il ne s’agissait pas seulement d’accorder un secours à
l’industrie linière, mais de donner du pain à 400,000 malheureux qui mouraient
de faim.
Maintenant, messieurs, sur quel
terrain l’honorable M. d’Elhoungne a-t-il placé la question ? Il ne s’agit plus
d’accorder des secours, il ne s’agit plus même, d’après lui, des comités
liniers, des magasins de prévoyance, des nouveaux métiers ; mais il s’agit
principalement de mettre l’ancienne industrie en état de lutter avec les
grandes associations qui ont à leur disposition d’énormes capitaux, de mettre
les ouvriers isolés en état d’acheter leur lin aussi favorablement que le font
ces établissements industriels. Je suis loin de contester l’utilité de cette
mesure, mais je ferai à cet égard une question à la chambre S’il en est ainsi , ne devons-nous pas considérer le secours comme
perpétuel, comme un secours qui ira toujours croissant ? Car si vous avez
aujourd’hui dans le pays des établissements, de vastes associations qui
commandent à des capitaux de 5 à 6 millions, demain il peut s’en former
d’autres, et alors les capitaux dont toutes ces associations disposeront
s’élèveront peut-être à 10 millions. Si vous voulez que les ouvriers isolés
puissent lutter contre ces établissements, vous devrez nécessairement augmenter
vos subsides dans la même proportion, et vous devrez de plus perpétuer ces
subsides, car si les subsides viennent à manquer, l’égalité que vous voulez
établir disparaîtra en même temps. C’est vainement d’ailleurs que vous
tenteriez d’établir cette égalité de positions ; car il sera toujours
impossible à des ouvriers isolés de lutter avec des établissements industriels
qui agissent avec ensemble, où il y a centralisation et où, par conséquent, la
fabrication, l’administration, les transports, les transactions se font avec
une économie qu’il est impossible d’introduire dans l’industrie de tisserands
isolés.
Je regrette de tout mon cœur,
messieurs, de voir disparaître l’industrie à domicile ; certainement l’industrie
à domicile, nous devons chercher à la favoriser partout, nous devons chercher à
la conserver ; c’est la plus morale. Je crois que rien n’est plus fatal au pays
que l’assemblage d’une nombreuse population dans un même lieu et surtout d’une
population qui, par une crise industrielle, peut être frappée immédiatement
dans tous ses moyens d’existence, Mais, messieurs, c’est une nécessité de
l’époque, c’est une nécessité que nous devons subir, Si
Une partie du subside a été employé à
l’établissement d’écoles d’apprentissage. Ainsi que l’a dit l’honorable M. de
Muelenaere, ce n’est point pour enseigner les méthodes anciennes, c’est au
contraire pour introduire des perfectionnements. Ici je ferai une question :
Malgré tous les perfectionnements que vous parviendrez à introduire dans le
filage à la main, pouvez-vous lutter et lutter constamment avec la filature à
la mécanique ? Si l’on introduit des perfectionnements dans la filature et dans
le tissage à la main, il ne faut pas se le dissimuler, on parviendra à
introduire également des perfectionnements dans la fabrication à la mécanique ;
on en a déjà introduit beaucoup, car les métiers qui existaient il y a une
vingtaine d’années, sont condamnés et remplacés par des métiers beaucoup mieux
combinés ; certainement on parviendra, quoi qu’on en dise, à donner à la
mécanique toute la perfection que peut avoir la main de l’homme qui, en
dernière analyse, est également un moteur.
Ici, messieurs, je ferai encore une
observation sur un exemple qui nous a été cité par l’honorable M. Desmet. Cet
honorable membre vous a parlé de l’Irlande, et il vous a dit qu’en Irlande on a
également conservé l’industrie ancienne. Cet exemple, messieurs, est mal
choisi, car si en Irlande on a conservé l’industrie ancienne, il faut le dire,
on y a malheureusement conservé aussi la misère et on y a conservé la misère
dans toute son horreur.
Ainsi l’ancienne industrie n’y a pas
été un remède contre cette misère, contre ce paupérisme que nous cherchons à
combattre chez nous.
Il me reste à toucher, messieurs,
deux questions qui n’ont été qu’effleurées, la question d’une société d’exportation
et la question de l’établissement de dépôts. Ces questions, messieurs, sont
extrêmement graves, et le gouvernement ne peut, dans aucun cas, les trancher
sans avoir consulté la législature. Nous avons encore devant nous l’exemple
récent de ce que peuvent faire de mal des sociétés d’exportation. Si ces
sociétés opèrent pour leur propre compte, vous trouverez bien peu de personnes
qui veuillent leur confier des capitaux ; si elles opèrent en commission, ce qu’elle chercheront seulement, c’est de faire des affaires
nombreuses, c’est d’exiger de bonnes garanties, sans s’inquiéter beaucoup du
sort des expéditions dont elles sont chargées.
Je crois que nous avons encore une
fâcheuse liquidation d’une opération semblable, qui a été faite par l’industrie
cotonnière et qui a donné des résultats que le gouvernement déplore aussi bien
que ceux auxquels le secours a été accordé.
Messieurs, je crois qu’un dépôt à
Paris pourrait avoir le même inconvénient ; car si ce dépôt s’établissait par
un particulier, ce particulier serait responsable de toutes les conséquences
mais si ce dépôt s’établissait sous la protection et sous le contrôle du
gouvernement, et si les expéditions qu’on ferait alors n’étaient pas exactement
conformes aux échantillons, ce serait une source de difficultés et de débats
dont on ne pourrait jamais voir la fin.
Maintenant, il me reste une
autre observation à faire, c’est que, malgré la réduction que, par voie de
transaction, M. le ministre de l’intérieur vous propose, ce n’est pas 150,000
fr. qu’on vous demande pour l’industrie linière, mais c’est bien 180,000 fr. En
effet, voyez à la page III des développements du budget, vous y trouverez une
somme de 30,000 fr. qui a été distraite du chiffre principal, pour être portée
au chapitre de l’instruction publique : c’est la somme affectée aux ateliers
d’apprentissage.
Je veux accorder volontiers la somme
de 75 mille francs, je consentirai même à la somme de 100 mille francs proposée
par la section centrale, ce qui, avec la somme de 30 mille francs que je viens
de signaler à l’attention de la chambre, ferait une somme de 130 mille francs.
Mais je ne crois pas que dans la situation actuelle de notre trésor, nous
puissions consentir à un sacrifice de 180 mille francs, dont certainement on se
ferait un titre, l’année prochaine, pour demander un sacrifice plus
considérable.
M. Rodenbach. -
Messieurs, si l’on connaissait la grande misère qui règne dans les deux
Flandres, on ne marchanderait pas sur la somme de 200,000 francs qui fait
l’objet de l’amendement que j’ai signé avec une vingtaine de membres, et auquel
beaucoup d’autres adhéreront.
Messieurs, lorsqu’un ouvrier est
accablé de famille, qu’il a la ferme intention de travailler, et qu’il ne
trouve pas de travail, je pense que le gouvernement est tenu de lui fournir les
moyens de s’en procurer ; je dis encore que si cet ouvrier, plein de probité et
de moralité, ne trouve pas de travail et que l’on ne lui en procure pas, vous
n’avez pas le droit de l’arrêter comme un mendiant et de l’enfermer dans vos
dépôts de mendicité, qui deviennent pour lui une prison. Ce serait de
l’inhumanité.
Eh bien, messieurs, l’ouvrier dans
les Flandres est dans cette position terrible ! il est
sans travail, grâce à l’état de crise où se trouve l’industrie linière, cette
industrie qui jadis faisait annuellement des affaires pour 80 millions, qui, en
1838, n’en faisait pas plus que pour 36 à 40 millions et qui, aujourd’hui, est
tombée à 18 millions.
Et qu’on ne vienne pas ici,
messieurs, faire un parallèle entre cette industrie et les autres industries.
Qu’on me cite une autre industrie qui comporte 90 millions ; car la culture du
lin fait aussi partie de l’industrie linière : le produit de celte culture peut
être évalué à 36 millions ; il s’agit donc ici de l’intérêt d’un produit
agricole qui touche non seulement les deux Flandres, mais toutes les autres
provinces.
Il est donc vrai de dire qu’à ces
divers titres l’industrie linière est la plus intéressante de toutes nos
industries ; elle a aujourd’hui besoin de la protection du gouvernement, et je
dis, moi, qu’il est du devoir du gouvernement de protéger cette industrie
périclitante, au maintien de laquelle l’existence de tant de malheureux est
attachée.
L’industrie houillère, dont on vous a
parlé, n’a eu, au temps de sa plus grande prospérité, qu’un mouvement de 40
millions ; c’est-à-dire qu’elle ne faisait que la moitié des affaires que
faisait jadis l’industrie linière.
On a parlé encore de l’état de gêne
où se trouvent l’industrie drapière et l’industrie métallurgique ; ces
industries sont-elles tombées de moitié ? L’industrie cotonnière, qui n’est
qu’une industrie de 20 millions, est-elle tombée au point de ne plus faire que
pour 10 millions d’affaires ?
Ces chiffres doivent convaincre la
chambre de l’urgente nécessité de procurer du travail à 400,000 malheureux des
Flandres ; ces ouvriers ne vous demandent pas l’aumône ; ils vous demandent de
l’ouvrage ; donner de l’ouvrage, ce n’est pas donner l’aumône ; et le
gouvernement est obligé de leur donner du travail, et il n’a pas le droit, je
l’ai déjà dit, de les incarcérer dans ses dépôts de mendicité, qui sont devenus
des prisons ; oui, messieurs, ces dépôts sont pleins de ces malheureux à qui
l’on ne peut imputer l’état misérable dans lequel ils se trouvent.
Un honorable député d’Anvers a
parlé de sociétés qui disposent de capitaux jusqu’à concurrence de 5 à 6
millions ; il a paru croire qu’une grande fabrique tisse les toiles ; mais,
messieurs, en Belgique, on ne tisse pas les toiles à la mécanique ; on tisse
les toiles dans les Flandres ; et, sous ce rapport, nous ne sommes pas
stationnaires ; notamment dans
Ainsi, l’on ne peut pas dire que nous
soyons stationnaires ; on emploie tous les moyens et on fait tous les efforts
imaginables pour perfectionner les procédés de fabrication. L’honorable M. de Muelenaere
l’a dit, il faut être à la campagne, il faut être en contact avec ces
malheureux, pour pouvoir connaître et apprécier tous les efforts qui ont été
faits et qu’on continue de faire en faveur de la classe ouvrière. Eh bien,
malgré ces immenses efforts, cette classe se trouve dans la plus profonde
misère.
Ainsi, pourrait-on lésiner sur une
allocation de 200,000 francs ? Qu’est-ce qu’une somme de 200,000, lorsqu’on est
en présence de 400,000 malheureux. Laissez le paupérisme se développer, il ne
s’agira plus alors de 200,000 fr., mais de millions.
M. Lys. - Messieurs, je ne prends en ce moment la parole que par suite du
discours qui a été prononcé au commencement de la séance par l’honorable
ministre de l’intérieur.
M. le ministre a dit de nouveau que,
selon lui, il y aurait lieu à favoriser l’exportation des toiles, au moyen d’un
dépôt que l’on formerait à Paris ; que s’il ne donnait pas suite pour le moment
à ce projet, il n’abandonnait pas cette idée.
Messieurs, je suis loin de contester
l’utilité de cette mesure pour les fabricants de toile ; mais si vous ne voulez
pas établir un privilège, il faudra étendre la mesure à toutes les industries
qui pourraient se trouver en souffrance.
Si vous voulez, comme l’a dit M. le
ministre, faire connaître vos toiles à Paris où, du reste, je ne pense pas
qu’elles soient inconnues, les fabricants de drap pourront vous tenir ce
langage : « Vous ne pouvez pas nous faire connaître à Paris, c’est vrai ;
car vous avez si peu protégé notre industrie que vous avez dans le temps
autorisé l’entrée des fabricats de laine français en Belgique, tandis que la
France continue à prohiber l’entrée de nos draps ; mais il y a des localités,
autres que Paris, où nos draps ne sont pas connus ; eh bien, nous désirons que,
conformément à ce qu’on fait pour les toiles, on fasse connaître nos draps dans
ces localités. »
Voilà ce que pourront, dans cette
hypothèse, venir vous dire les fabricants de drap.
Messieurs, il arrive très souvent
qu’une foule de fabricants se trouvent surchargés de marchandises et finissent
par être à la gêne et obligés de vendre à perte pour éviter d’en subir une plus
forte, l’objet passant de mode.
Ainsi, si vous ne voulez pas
que la mesure dont parle M. le ministre de l’intérieur ne soit pas un
privilège, il faudra en faire profiter beaucoup d’autres industries, et jugez
de la somme des sacrifices que l’Etat devra alors s’imposer. Je suis loin
cependant de m’opposer à une pareille mesure, mais si on l’admet, on ne doit
pas la restreindre à la seule industrie linière.
M. le ministre de l’intérieur a
proposé dans la séance d’aujourd’hui de porter à 150,000 fr. le chiffre de
75,000 fr. demandé dans le projet de budget pour l’industrie linière. Je ferai
remarquer que, lorsque M. le ministre a travaillé à son budget, il était muni
de tous les renseignements dont il pouvait avoir besoin pour fixer le chiffre
qui lui était nécessaire ; il ne vous a aujourd’hui apporté aucune pièce qui ne
fût depuis longtemps dans ses archives. Quand il a rédigé son budget, il
connaissait les besoins des Flandres ; il s’était assuré qu’une somme de 75,000
fr. était suffisante pour le moment, et je dois croire que les 75,000 francs
qu’il a ajoutés au crédit primitif, sont dus à l’influence qu’ont exercée sur
sa détermination les 20 signatures apposées au bas de l’amendement.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je crois que
l’honorable préopinant n’a pas bien saisi mes dernières explications. J’ai dit
que je ne croyais pas que le gouvernement eût le droit de faire un contrat, par
exemple, avec une compagnie qui se chargerait de l’exportation des toiles, et à
laquelle le gouvernement garantirait un certain intérêt. J’ai soulevé une
question beaucoup moins grave, la question de savoir s’il ne fallait pas
favoriser l’établissement de dépôts de toiles là où ces toiles tendent à
manquer au négoce. Ceci n’exigerait pas un contrat par lequel le gouvernement
garantirait un intérêt, ou achèterait lui-même les toiles ; mais on donnerait une
somme pour frais de premier établissement, par exemple. Voilà ce qu’on pourrait
se borner à faire, et le gouvernement ne serait pas indéfiniment engagé.
M. Lys. -
Messieurs, l’honorable ministre de l’intérieur vient de vous parler d’un
subside pour établir à Paris un magasin de toiles ; mais ne se rappelle-t-il
plus le résultat de celui que nous avons accordé à l’industrie cotonnière, pour
la libérer de son trop plein ? Ne se rappelle-t-il pas que l’Etat a dépensé, de
ce chef, 251,000 fr. ? Et on garantissait seulement alors 10 p. c. de la valeur
des cotons qu’on achetait. Eh bien, les fabricants qui se sont laissés aller à
vendre leurs marchandises n’ont pas seulement perdu les 10 p. c. garantis par
le gouvernement, ils ont perdu, en outre, 40 p. c. et même plus.
Voilà, messieurs, les résultats de
pareilles opérations. Vous ne serez pas surpris si, plus tard, ces fabricants
viennent vous demander de nouveaux subsides pour les indemniser de la perte
qu’ils ont faite en cette circonstance, en vous disant : Vous nous avez induits
eu erreur en nous garantissant 10 p. c., et vous avez
été cause par là que nous avons perdu 40 et 60 p. c.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais gré à l’honorable
préopinant d’insister sur son observation ; il me donne le droit d’insister sur
mon explication.
Il ne s’agit pas ici d’une opération
du genre de celle dont il a parlé, il ne s’agit pas d’une garantie d’intérêt.
L’opération dont il s’agirait se réduirait à ceci : je vous donne telle somme ;
vous vous chargerez à vos risques et périls de faire une exportation de telle
importance. Je vous demande si une mesure semblable présenterait les
inconvénients que l’honorable membre vous a signalés. Elle consisterait à dire
à un particulier : Vous établirez sur tel point à l’étranger un dépôt de toiles
belges de telle catégorie, d’après tels échantillons et de telle importance,
vous recevrez du gouvernement telle somme pour faire
cet établissement. De manière qu’on n’est engagé qu’au payement de cette somme,
et rien de plus.
M. Manilius. - Je suis charmé de voir que M. le ministre de l’intérieur n’est pas
disposé à favoriser les sociétés d’exportation. Je ne dirai que peu de mots sur
cet objet, parce que malheureusement la société à laquelle l’honorable M.
Cogels a fait allusion tout à l’heure se trouve en procès avec un grand nombre
d’intéressés.
Je saisis cette occasion pour
recommander à l’attention de M. le ministre de l’intérieur les nombreuses
personnes qui ont été victimes d’une trop aveugle confiance dans les promesses
de ces sociétés, qui se sont appuyées sur la sécurité que leur donnait le
gouvernement même.
Maintenant ma tâche est beaucoup plus
facile encore que celle de l’honorable M. de Muelenaere qui l’a trouvée
facilitée par les explications données par M. le ministre de l’intérieur.
L’honorable député de Courtrai vous a très bien développé les motifs qui vous
ont portés à proposer de porter au budget la somme de 200,000 fr. en faveur de
l’industrie linière.
Je ne me prononcerai pas sur les
distinctions qu’on a cherché à établir entre la nouvelle et l’ancienne
industrie linière. Quant à moi, je ne connais qu’une industrie linière. Elle
est entrée dans différentes phases par les inventions nouvelles. Cela a été de
tout temps. On a commencé par filer avec de mauvais rouets, de mauvaises
mécaniques, puis avec de meilleurs rouets, de meilleures mécaniques ; on file
maintenant avec un grand rouet à plusieurs broches. Est-ce encore une meilleure
mécanique ? cette appréciation doit être faite par
celui qui a l’emploi de la mécanique. Cela ne sera jamais bien résolu par cette
assemblée, par des théoriciens. C’est une affaire de pratique et de temps.
Laissons cela à la pratique et au temps.
Revenons à la question principale.
C’est de tâcher de mener dans une bonne voie une grande quantité de bras
aujourd’hui désœuvrés. Cela est incontestable, vous avez une masse de bras
désœuvrés qu’il faut diriger. L’honorable M. de Muelenaere vous a dit comment
on tâche de les diriger, il vous a dit qu’on ne s’occupait pas seulement de
l’amélioration des tissus de lin, qu’on les dirigeait vers d’autres métiers,
Une masse de ces bras se vouent aux travaux de la culture et aux travaux
publics, à ceux du canal de Zelzaete et du canal de
On a trouvé dans le discours
de M. Guizot que ce ministre a dit non seulement que nous avions sollicité la
France, mais qu’il était de l’intérêt du gouvernement français et de la France de
conserver le travail national, et qu’on ne devait reculer devant aucune des
conséquences de cette conservation. C’est là l’esprit qui devrait dominer
constamment toutes les propositions du gouvernement. Quand ils présentent des
projets de loi fiscale, si, au lieu de n’avoir en vue que le trésor, ils les
concevaient de manière à protéger le travail national, de pareils projets
auraient la sanction de la chambre et nous pourrions nous dispenser de demander
un subside pour donner du travail à nos ouvriers.
Je maintiens le chiffre que nous
ayons proposé et m’oppose à celui présenté par M. le ministre de l’intérieur.
J’ai dit.
Plusieurs voix - La clôture ! La clôture !
M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture.
Je n’ai pas eu l’honneur de pouvoir
dire un mot sur cette question. J’ai des considérations d’une très haute
importance à présenter. La question de l’industrie linière est tellement grave
qu’on ne concevrait pas qu’on voulût en étouffer la discussion. Cette industrie
est la plus considérable que nous ayons en Belgique, et le temps que nous
consacrerons à une discussion qui la concerne ne sera pas du temps perdu, mais
du temps bien employé. J’adjure donc la chambre de continuer cette discussion
et de me permettre de présenter quelques considérations. Bien qu’on ait dit des
choses excellentes, j’ai la persuasion que je pourrai dire des choses neuves
sur la question.
- La clôture est mise aux voix et
n’est pas adoptée.
M. de Roo. - Messieurs, je ne viendrai pas dépeindre l’état malheureux dans
lequel se trouvent nos ouvriers des Flandres, par suite de la décadence de
l’industrie linière. Plusieurs honorables orateurs, qui m’ont précédé, vous
l’ont démontré de manière à ce que personne parmi vous puisse
encore en douter. La misère des Flandres est, pour ainsi dire, devenue
proverbiale. D’ailleurs, je ne veux point donner prise à insulter à la misère
des 3 à 400,000 ouvriers qui ne demandent que du travail.
Mon but est uniquement de vous soumettre
les remèdes aux maux et de soutenir l’allocation que nous avons pétitionnée.
Je tiens en main 34 pétitions des
Flandres, envoyées à la chambre des endroits les plus intéressés dans la
question. Elles sont unanimes pour vous proposer, pour premier remède : la
réunion douanière avec
Le deuxième remède, c’est
l’augmentation de droits sur les matières similaires anglaises, à
l’introduction dans le pays. Il est honteux pour
On nous refuse des débouchés partout,
et notre gouvernement nous ôte encore notre marché intérieur ; nous sommes
seuls dans ce cas. C’est là un grief véritable à infliger au gouvernement.
Le troisième remède, c’est
l’établissement de droits à l’exportation de notre matière première. Cette
proposition forme la troisième partie d’une loi qui a été présentée à la
chambre, dont les deux premières parties ont été discutées, et la troisième n’a
pas encore reçu cet honneur.
Voilà donc les trois remèdes proposés
; qu’on nous les accorde, et nous vous faisons volontiers grâce de l’allocation
demandée. Entre-temps cependant, il faut que l’ouvrier vive,
et si voulez le faire vivre honnêtement, il faut bien lui accorder le subside,
sinon il deviendra une charge bien plus forte pour le gouvernement.
On a voulu faire une comparaison
entre le houilleur et le tisserand. Je vous le demande, y a-t-il l’ombre d’une
comparaison ? Nous avons acheté des canaux, nous avons diminué le péage, nous
avons consenti à faire des canaux sur notre territoire, nous défendons l’entrée
de la houille anglaise, le tout à l’avantage de l’industrie houillère, tandis
que toutes nos lois sont hostiles à l’industrie linière.
L’on dit que l’on majorera
annuellement l’allocation demandée et qu’on la perpétuera. On ne la majorera
pas, je pense, mais on la demandera aussi longtemps que les mêmes causes
existent.
Enfin, on a institué des comités
locaux, il faut les mettre en action ; or vous ne pouvez les mettre en action
aussi longtemps que vous ne leur accorderez pas le subside nécessaire.
Certes, le subside que nous avons
demandé n’est pas exagéré, car 200,000 francs repartis, parmi tant de comités
font à peine, 300 fr. pour chaque ; c’est la valeur de trois pièces de toiles.
Vous sentez, messieurs, que sans les subsides des communes et des provinces, et
des mesures et coopération particulière, dont M. le ministre vous a entretenus,
ce serait bien peu de choses. Je regrette une chose, c’est que M. le ministre
de l’intérieur ne s’est point associé à notre demande, et qu’il a proposé une
somme inférieure à celle que nous avions demandée à juste titre ; toutefois je
voterai pour les 200,000 fr.
M. Desmaisières et M.
de Villegas renoncent à la parole.
M. Angillis. - Après la discussion qui vient d’avoir lieu, il me restera peu de
chose à dire. Mais ayant apposé ma signature à la proposition qui a été faite,
je crois devoir m’en expliquer en peu de mots. Je tâcherai d’expliquer l’objet
réel de la question et de le réduire à sa juste valeur.
Ainsi qu’il a été dit dans la séance
d’hier, je repousse toute idée d’aumône. Les Flamands, tels qu’on les appelle,
les gens des Flandres, tels qu’ils s’intitulaient à la cour de leurs
souverains, ne veulent d’aumône de qui que ce soit. Nos malheureux ouvriers,
qui manquent du pain, ne demandent pas l’aumône, mais du travail pour gagner le
pain nécessaire à leur subsistance et à celle de leur famille.
Nous nous adressons à l’association
politique pour lui demander la somme nécessaire pour procurer à une classe
malheureuse le travail qui lui manque et qui lui fera gagner le pain nécessaire
pour prolonger sa malheureuse existence. Cette demande n’est-elle pas sacrée ?
La société n’est-elle pas obligée de faire droit à cette demande ? N’est-ce pas
un devoir, au point de vue de la religion de l’humanité et même de la politique
? Je dis de la politique, parce que la tranquillité publique est ici
intéressée. Il faut savoir qu’on ne contente pas, qu’on ne nourrit pas une
population de 400,000 ouvriers avec des abstractions métaphysiques.
Il ne s’agit pas des Flandres seules.
On a demandé une majoration non pas seulement pour les Flandres, mais pour les
autres provinces. L’année dernière, on avait alloué 88,000 francs.
Voici maintenant le but de la
demande. C’est principalement pour maintenir l’ouvrier à son travail (c’est là
un objet très important) et lui procurer les moyens de gagner sa subsistance
par son travail. C’est là un point important. Il est démontré que les hommes
qui acceptent le pain de la charité refusent toujours le pain du travail.
Assurons donc le travail à ceux qui en manquent ; ce sera mettre en pratique,
réaliser les idées émises avec tant de talent par l’honorable M. Castiau. Ces
idées ne sont pas nouvelles. Je les mets en pratique dans la commune que
j’habite et que j’administre depuis 1831. Ceci vous prouve que ce ne sont pas
de brillantes rêveries, mais des théories praticables et pleines d’avenir. J’expliquerai
comment je fais ; cela expliquera en même temps les mesures qu’on veut prendre.
En 1841, il y avait dans ma commune 200 familles d’ouvriers pauvres qui venaient
demander du travail. Alors j’ai trouvé nécessaire d’organiser un système de
secours de bienfaisance. J’ai obtenu, pour ma part (remarquez que ma commune
compte 7000 habitants), en 1841, 900 fr,, en 1842, 500
fr. du gouvernement, ensemble 1400 fr. J’ai quintuplé cette somme, non pas par
la caisse communale, car elle était vide, non pas par le bureau de
bienfaisance, car il n’avait rien, mais par les fonds des habitants de la
commune. J’ai donc eu 7000 fr. pour ces deux années. Avec ce fonds roulant qui
se renouvelait constamment, nous avons fait vivre 150 familles pendant deux
ans.
Voilà tout l’objet de la demande.
C’est ainsi, avec plus de développements, que feront les comités industriels.
Maintenant que vous voyez quels
résultats on peut obtenir avec une si faible somme, j’espère que vous ne vous
refuserez pas à accorder la somme que nous demandons, ou du moins celle réduite
par M. le ministre de l’intérieur.
Je me réunis à sa proposition, parce
qu’il n’y a pas moyen peut-être d’obtenir davantage.
J’espère qu’au nom de la justice et
de l’humanité, et même des considérations politiques, la chambre ne se
repentira pas d’avoir accordé le subside que nous demandons, et subsidiairement
celui qui est demandé par M. le ministre de l’intérieur.
M. de Mérode. - On a commencé hier, messieurs, un débat bien plus digne de notre
attention que toutes les guerres de portefeuilles. Il s’agit de la position
malheureuse de deux ou trois cent mille individus, position à laquelle on ne
peut rien comparer en Belgique, et qui ne trouverait d’analogie qu’en Irlande.
Sans doute, il est ailleurs que chez
nous de grandes misères, mais elles n’ont point ce caractère de généralité
presqu’universelle que l’on rencontre dans certaines parties trop étendues de
Autrefois l’industrie des toiles
rendait ces pays heureux et florissants. Leur apparence, pour le voyageur qui
ne fait que les traverser, est encore brillante ; mais derrière cette figure
trompeuse, que de souffrances ! Là des milliers d’individus goûtent rarement un
morceau de pain, même de pain de seigle ; là les enfants allant à l’école
arrachent dans les champs une rave, une carotte, pour ne pas tomber
d’inanition, et quand cette ressource leur manque, souvent ils ne peuvent se
tenir dans l’école. Et cependant ce n’est point la paresse, ce n’est pas la
débauche qui produit ce pénible état. Les populations qui le subissent avec une
admirable patience, sont pleines de moralité, parce qu’elles ont à un haut
degré le sentiment religieux, la perspective d’un monde meilleur, que
l’évangile ne promet pas tant au riche qu’au pauvre, car c’est toujours au
riche qu’il adresse de sévères avertissements et des menaces terribles s’il
n’est pas secourable en proportion de sa fortune, Et ici, messieurs, je dois
vous rappeler une observation frappante de vérité, que je vous présentai dans
la discussion du budget des voies et moyens ; séance du 8 ou 9 décembre, je vous
disais que l’ouvrier de l’ordre inférieur, car il y a diverses classes
d’ouvriers, l’ouvrière, la plus nombreuse, se contentait de pain et de légumes
et s’en contenterait probablement à l’avenir, parce que jusqu’à la fin du
monde, dans les pays où existent l’ordre et la sécurité, l’homme se multiplie
de manière qu’un très grand nombre doit vivre de substances faciles à
recueillir et du prix intrinsèque le moins élevé ; et plût au ciel que le
froment, le seigle, le riz, la pomme de terre, les légumes fussent départis
suffisamment à toutes les familles laborieuses et honnêtes ; je me contenterais
bien et avec joie de ne jamais manger autre chose pour qu’il en fût ainsi. Et
cependant, messieurs, on a travesti mes paroles dans cette enceinte même. On y
a dit que, d’après moi, les masses ne doivent se nourrir que de pain et de
pommes de terre, comme si j’étais le maître de 1a richesse publique, comme si
j’avais eu d’autre intention que de constater des faits dignes d’attention !
Or, messieurs, on me l’a appris hier encore, je suis maintenant considéré par
beaucoup de gens du peuple, et notamment dans les faubourgs de Bruxelles, comme
une espèce de misanthrope, ennemi du bien général, tandis que celui qui a si
judicieusement, vous le savez, interprété mon langage sincère et humain, car la
vérité est humaine, est transformé en sauveur du peuple contre son tyran, votre
collègue, en portant la parole à l’heure qu’il est. Messieurs, que cet
interprète trouve maintenant un remède efficace à la situation que je vous signale
avec les députés des Flandres ; bien que je n’appartienne pas à cette province,
j’oublierai de grand cœur le préjudice qu’il m’a causé dans l’opinion de
certaine foule qui s’abuse à si peu de frais ; car je ne souhaite pas posséder
une réputation populaire, mais je désire, dans le court passage de la vie de ce
monde, avoir été bon à quelque chose, avoir servi quelque peu mes semblables.
Ce but atteint, qu’importe ma
popularité ! Dans la circonstance qui se présente, il s’agit de soulager une
large infortune avec prudence, avec une intelligence, prévoyante.
Le développement industriel qui
outrepasse les limites convenables et qui prétend trouver au-dehors de grands
débouchés, c’est-à-dire, placer à l’étranger la clef du magasin des vivres, est
à mes yeux le plus grand mal qui puisse atteindre une nation, pour enrichir les
spéculateurs. J’aime l’industrie qui s’applique au besoin de l’intérieur, parce
qu’elle laisse à l’intérieur cette clef si nécessaire que je viens d’indiquer,
et qu’elle n’entraîne pas un accroissement de population hors de proportion
avec les aliments que leur fournir le sol d’un royaume. Mais l’ancienne Flandre
ne pouvait pas deviner les progrès surprenants de la mécanique. Elle
n’imaginait pas d’autres instruments que les doigts de la main pouvant filer le
lin que fourni en abondance son territoire si bien cultivé, lorsqu’elle combina
le mélange, heureux alors, de l’industrie agricole avec l’industrie de la
fileuse et du tisserand. Elle comptait jouir indéfiniment d’une paisible existence
par le travail des champs et le travail dans la chaumière. Le progrès des
sciences physiques a trompé cette espérance. La machine vient brusquement
remplacer l’homme, vient le réduire à la misère, sans qu’il y ait de sa faute.
Quand ce malheur se produit sur une grande échelle, l’Etat n’a-t-il à remplir
aucune mission ? Selon les uns, il ne ferait qu’aggraver le mal ; selon les
autres, il peut l’adoucir. Nous avons à décider entre eux. Jusqu’à ce qu’il
soit certain que l’ancienne industrie linière n’a plus de concurrence possible
avec la mécanique, il me semble que nous ne devons pas l’abandonner ; en tout
cas, il faut amener une transition, il faut conserver la vie à cette multitude
de braves gens, nos compatriotes, nos frères, qui réclament à bon droit notre
sollicitude, puisqu’ils n’ont aucun tort à se reprocher ; chercher ensuite avec
zèle des moyens autres que les moyens dilatoires, car il est certain que la
seule concurrence de la filature mécanique réduit le travail manuel, comme la
concurrence de la fabrication du fer au coak réduit infiniment la fabrication
du fer au bois, lorsqu’elle ne la détruit pas entièrement. Plus d’une fois j’ai
exprimé l’idée que les peuples trop nombreux devaient chercher à s’étendre sur
les terres fertiles et incultes du globe, c’est ce qu’ont fait les Phéniciens,
les Grecs, c’est ce que font les Allemands qui vont dans l’Amérique du Nord.
Malheureusement les efforts individuels en ce genre sont très pénibles, ils
engendrent aussi de grandes misères, mais si nous avions pour les émigrations
la tutelle, la puissance du gouvernement, qui interviendrait en se faisant
restituer ses avances successivement par les colons, le sort de ceux-ci serait
bien plus enviable et plus recherché qu’il ne l’est. On nous parle quelquefois
de défrichements dans
M. d’Hoffschmidt, notre ancien
collègue, m’a communiqué un mémoire sur les améliorations agricoles possibles
en Ardennes. Je ne dis pas qu’il n’y ait là rien à faire assurément, et je
préférerais beaucoup les encouragements donnés par le trésor public à
l’agriculture de ce pays et de la Campine, qu’une extension de ces œuvres
fastueuses qui absorbent les meilleurs terrains des vallées laissant, après
beaucoup de fracas, la misère au même point et mettant nos finances en déficit
de plusieurs millions. Ces entreprises ont sans doute donné du travail
momentané à des ouvriers, mais c’est l’agriculture seule qui assure les
subsistances, non par des moyens éphémères, mais pour un avenir certain.
Maintenant il faut parer à ce
déficit, il faut aider nos compatriotes des Flandres, et pour cela il faut des
ressources pécuniaires au trésor de l’Etat, malgré les clameurs intéressées,
les cris de l’égoïsme peu soucieux de la fortune publique, cet égoïsme qui,
dans une adresse aux fabricants de tabac, armateurs, etc., ose blâmer le
gouvernement, blâmer les chambres de n’avoir pas exempté du tribut sur le sel,
l’industrie de luxe par excellence, l’industrie des tabacs. Presque partout
elle est frappée de droits considérables et productifs en faveur du fisc
aujourd’hui national en Belgique, puisque l’on ne dispose des fonds qu’il
recueille qu’avec l’assentiment des représentants du pays. Ainsi la soupe du
plus pauvre de ses habitants eût payé le droit sur le sel, et le tabac fumé à
outrance, par plaisir et sans nécessité, eût été privilégié pour ne gêner en
rien MM. les fabricants de tabac signataires de l’adresse où quatre d’entre eux
déclarent que c’est sciemment, de gaîté de cœur que les ministres du Roi et
probablement les chambres ont gratifié d’une prime la concurrence étrangère.
Ils nous disent qu’un droit sur le tabac est une question de vie ou de mort
pour l’industrie des tabacs.
M. le président. -
L’honorable membre s’écarte de l’objet en discussion.
M. de Mérode. - Je ne crois pas, vous verrez à la fin, M. le président.
C’est ainsi, messieurs, que l’on vient
nous effrayer de la mort prétendue de l’industrie qui alimente les pipes et
façonne les cigares, quand nous sommes devant la défaillance d’une multitude
d’êtres humains, qui ont besoin de l’assistance de la société, et, je le dis
encore, je ne cesserai de le dire, il faut ou réduire l’armée presque à rien,
ou vivre d’emprunts, ressource fatale, semence affreuse de paupérisme, ou bien
faire payer, non pas seulement une taxe insignifiante sur la salaison du tabac,
mais imposer cette plante, imposer les bois étrangers, les successions des
héritiers uniques, mène en ligne directe, de manière à pouvoir suffire aux
besoins sociaux, en dépit des spéculateurs insouciants de ces besoins, pourvu
que leurs propres affaires obtiennent pleine et exclusive satisfaction. Voici
donc ma conclusion : je voterai les cent mille francs d’augmentation que
réclament nos collègue des Flandres pour l’industrie linière, mais pourvu que
le gouvernement obtienne l’équilibre des recettes et des dépenses ; je l’engage
à faire avec moi cette réserve, parce que s’il agit sans prévoyance comme par
le passé, nous dépenserons sans recueillir, et ce système doit prendre fin, il
en est temps.
Je demande que l’augmentation
proposée par M. le ministre de l’intérieur ne soit définitivement consentie
qu’après le vote des lois financières, et si ces lois sont suffisantes, je
voterai non pas cette somme seulement, mais la totalité de ce que réclament nos
collègues des Flandres.
M. Dumortier. - Je voterai pour le crédit de 200,000 francs demandé pour l’industrie
linière. Je n’ai jamais émis un vote plus profondément senti que celui-là. De
quoi s’agit-il, en effet ? De l’existence du dixième de la population. Vous
savez qu’il n’existe en Belgique aucune industrie qui occupe un nombre de bras
comparable à celui qu’occupe l’industrie linière. Cette industrie est dans une
position tellement périclitante que d’un instant à l’autre une population
nombreuse, qu’elle occupait, peut être réduite à la dernière misère. Il importe
donc, au point de vue de l’humanité et d’une saine économie politique, au point
de vue du travail national, qui est digne de toute notre sollicitude, de
pouvoir remédier à un si grand mal.
Messieurs, il est vrai qu’il s’opère
en ce moment une grande transformation dans l’industrie linière, transformation
dont il est impossible de prévoir l’avenir ; mais il me semble que l’honorable
M. Cogels a poussé les choses trop loin, lorsqu’il est venu déclarer qu’il
n’était plus possible de favoriser cette industrie, en présence de l’industrie
à la mécanique, en d’autres termes, que l’industrie nouvelle devait anéantir
l’industrie ancienne. (Dénégation de la
part de M. Cogels.) Vous avez dit que, malgré les perfectionnements qu’on
cherche à introduire dans l’industrie à la main, elle ne pourra pas lutter
contre l’industrie à la mécanique. C’est ce que je ne puis admettre.
Je sais qu’il y a dans la fabrication
à la main une partie qui peut-être devra céder à la fabrication à la mécanique
; je veux parler de la filature. Mais je suis persuadé que si des mesures
convenables sont prises, une partie notable, la plus notable de l’industrie à
la main se maintiendra, malgré la concurrence de l’industrie à la mécanique. Je
veux parler du tissage.
En effet, l’expérience de ce qui s’est
passé dans la fabrication du coton depuis un demi-siècle nous donnera la mesure
relativement de ce que nous devons attendre de l’industrie linière. Lorsqu’à la
fin du siècle dernier, l’introduction des machines à filer le coton vint
changer complètement la face de cette industrie, on voulut d’abord lutter pour
conserver la filature à la main ; bientôt il fallut y renoncer. Mais plus tard,
chose digne de remarque, le tissage des étoffes de coton à la main n’a pas été
détruit par le tissage à la mécanique. Cela est tellement vrai que dans
beaucoup de pays, on conserve le tissage à la main, quoiqu’il y ait le tissage
à la mécanique. Ainsi allez dans les Flandres, aux environs de Gand, vous
verrez que la majeure partie des calicots sont tissés à la main. Allez en
Suisse, vous verrez que tous les tissus sont faits à la main ; la mécanique n’y
est pour rien. Et cela s’explique, une machine à vapeur, d’une force donnée,
qui fait mouvoir plusieurs milliers de broches dans une filature, ne pourrait
faire mouvoir qu’un petit nombre de métier à tisser ; dans le premier cas, elle
remplace des milliers de fileuses ; dans le second, elle ne fait la besogne que
d’un nombre restreint de tisserands, la machine tue donc la filature. Mais, par
ses frais généraux, elle ne peut lutter contre le bas prix de la journée du
tisserand. Voila ce que la théorie et la pratique nous enseignent.
Nous avons donc pour nous
l’expérience du passé, et cette expérience a démontré que nous pouvions
conserver à nos provinces des Flandres la partie la plus notable de leur
industrie, le tissage des toiles. Mais pour cela il faut faire faire des
progrès à cette industrie, il faut assurer son avenir ; il faut la faire sortir
de l’ornière de la routine. C’est vers ce but que doivent tendre les efforts du
gouvernement, et, je le répète, si ces efforts sont éclairés, s’ils sont
constants, s’ils sont appuyés par le concours des localités, nul doute que nous
conservions aux Flandres la partie la plus importante de leur industrie, celle
de la fabrication de la toile ; et ce sera un très grand bienfait pour notre
pays, puisqu’ainsi nous empêcherons le paupérisme qui menace ces importantes
provinces et que nous assurerons l’existence du travail national.
Messieurs, les embarras actuels de
l’industrie linière proviennent, à mes yeux, de deux causes : la première,
c’est l’introduction du système nouveau pour le travail de la toile. Ce
système, je viens sommairement de m’en expliquer.
La seconde cause, c’est
principalement la grande transformation qui s’est opérée dans ces derniers
temps, dans les rapports du producteur de lin avec l’ouvrier qui le travaille.
Anciennement, messieurs, lorsque le
cultivateur avait dépouillé son lin, il le vendait au tisserand qui lui
remboursait, peu à peu et à mesure de la fabrication, la somme dont il lui
était redevable pour l’acquisition d’une quantité de lin considérable. Mais
depuis quelques années l’étranger étant venu dans notre pays acheter le lin sur
champ, il en est résulté cette circonstance que le cultivateur trouve beaucoup
plus commode, et cela se conçoit, de vendre son champ de lin, en en recevant
immédiatement le prix, que d’aller tenir un compte avec l’ouvrier tisserand et
de recevoir par à-comptes.
Quelle a été la conséquence de ce
changement dans les relations entre le cultivateur et le tisserand ? Cette
conséquence, messieurs, a été funeste : c’est que toutes les premières
qualités de lin sont sorties du pays et qu’il n’est resté à nos tisserands que
les qualités dont l’étranger ne voulait pas.
Ici, messieurs une question s’est
présentée, question excessivement ardue et délicate, c’était celle d’entraves à
mettre à la sortie du lin. Je n’ai jamais été favorable à ces entraves, parce
que j’ai toujours pensé que mettre des obstacles à la sortie du lin, c’était en
empêcher la culture, et que la culture étant moins considérable, il y aurait
élévation de prix de la matière première, élévation qui tournerait, en
définitive, au détriment des fabricants.
Mais il faut cependant qu’un remède
soit apporté au mal que je viens de signaler ; si le tisserand ne peut plus
acquérir sur notre sol que les qualités de lin inférieures, manifestement il se
trouvera toujours dans une condition d’infériorité très grande vis-à-vis des
fabricants étrangers C’est donc là, et là principalement, que gît la cause du
mal ; c’est dans la concomitance de ces deux faits, qui sont venus
simultanément frapper notre industrie : la fabrication du lin à la mécanique
d’une part, et le transformation des rapports entre le producteur de lin et le
tisserand de l’autre.
Dans un pareil état de choses, les
mesures que doit prendre le gouvernement doivent avoir pour résultat
d’atteindre un double but, il faut d’abord que le gouvernement favorise
l’amélioration des métiers dont la construction arriérée est un grand obstacle
dans la lutte. Déjà, messieurs, depuis bien des années, j’ai eu l’honneur de
signaler à cette tribune, chaque fois que nous nous sommes occupés de la
discussion du budget de l’intérieur, la nécessité d’apporter des améliorations,
d’immenses améliorations à ces métiers. Maintenant cette vérité est comprise :
chacun conçoit que c’est un point capital pour conserver à
Mais il faut aussi que le
gouvernement établisse des comités pour l’acquisition de lin de première
qualité, pour en faire la vente, ouvrir des comptes aux ouvriers et rentrer
dans leurs fonds dans un temps donné. Alors nos ouvriers conserveront à eux les
plus belles qualités de lin et pourront dès lors lutter avec avantage contre
l’étranger. A mon avis, tout le système du gouvernement doit se borner à ce
point, de favoriser l’action de ces comités, de leur donner une direction sage,
une direction commune, de faire marcher simultanément l’amélioration du métier
et l’achat de la matière première.
Mais je ne puis partager l’opinion de
M. le ministre de l’intérieur, lorsqu’il vient proposer qu’une partie du crédit
à employer soit affectée à établir des dépôts à Paris. Messieurs, il me paraît
qu’il serait éminemment ridicule de voir le gouvernement se faire marchand de
toiles à Paris. Comment ! le gouvernement ira établir
des dépôts a Paris, ce sera ses agents qui iront de porte en porte chercher à
vendre les toiles de notre sol ? Mais ce serait du dernier ridicule, et pour ce
qui est de faire établir ces dépôts par des particuliers, qui ne sait que les
négociants français viennent eux-mêmes acheter la toile sur les marches des
Flandres ? Le gouvernement ira-t-il favoriser quelques grands négociants ? mais alors vous allez donner une prime à l’un au détriment
de l’autre, et vous ferez un acte de monopole, un acte plus nuisible qu’utile à
l’industrie elle-même.
Ce système des dépôts à Paris est
donc éminemment vicieux. Nos rapports entre Paris et les Flandres sont trop
faciles, sont trop continuels pour que nous ayons besoin de pareils moyens. Je
dis que l’emploi d’une partie du subside à établir de pareils dépôts serait un
détournement des fonds destinés à l’amélioration de l’industrie linière ; que
ce qu’il faut, c’est d’améliorer le métier lui-même et rétablir les rapports
anciens entre les tisserands et le producteur de lin ; et que c’est vers
l’établissement des comités qui ont ce double but, que doivent tendre tous les
efforts du gouvernement.
Quant à ce qui est de la question d’exportation,
ce système présente de grands avantages ; messieurs, je dois le dire, ici
encore les plus grandes difficultés se présentent. Nous avons été tant de fois
dupes avec les sociétés d’exportation, que véritablement il y a lieu d’y
regarder de près avant d’entrer dans ce système. C’est là, messieurs, une
question de personnes et de délicatesse, une question qui repose entièrement
sur la loyauté, sur la probité et la bonne foi des personnes qui feraient ces
exportations. Ainsi, si la société qui est établie pour la colonisation du
Guatemala, et qui a à sa tête les hommes les plus éminents et les plus
honorables, voulait exporter en Amérique des quantités considérables de nos
toiles, il y aurait grand avantage à ce que le gouvernement accordât une prime,
une faveur quelconque à de pareilles exportations, parce qu’il y aurait là une
garantie réelle dans la position des personnes, on saurait qu’il ne s’agit pas
d’une affaire d’agiotage. Il y a à St-Thomas un comptoir belge, tenu par des
Belges, dans un pays qui offre un débouché immense ; négliger ce moyen serait
une grande faute.
Mais si l’on veut établir des
sociétés d’agiotage, comme nous en avons vu, oh ! alors,
ce serait encore un véritable détournement des fonds affectés à l’amélioration
de l’industrie, et pour mon compte je protesteras contre un pareil abus.
Messieurs, je pense donc que, quant à
ce qui est d’établir des dépôts en France, c’est là une véritable chimère.
C’est une chose que nous devons tous repousser, parce que l’industrie linière a
déjà de ce côte une prime considérable dans la différence des droits d’entrée
que la France a accordée en notre laveur, et que, d’un autre côte, les rapports
entre Paris et
Mais à mes yeux, ce qu’il faut faire
pour favoriser l’industrie linière, c’est chercher à avoir de véritables
exportations outre-mer. C’est surtout vers les colonies où nous avons un
comptoir et des relations régulièrement organisées qu’il faudrait chercher à
faite des exportations d’étoffes de lin. Et pourquoi ? parce
qu’il est démontré que dans les pays chauds, la toile est un porté bien plus
favorable que le coton.
J’engage donc le gouvernement à
chercher à prendre des arrangements quelconques avec la société à laquelle j’ai
fait allusion et qui en ayant aujourd’hui sur les côtes du Mexique des Belges qui
pourraient établir un excellent dépôt, est à même de nous faire faire des
exportations considérables vers cette contrée, celle de toutes les colonies
d’Amérique qui consomme le plus de toiles.
Messieurs, je me bornerai à ces
observations. J’ai voulu donner à la chambre mon opinion sur l’emploi
nécessaire du subside. Quant aux 200,000 fr., je les voterai avec plaisir. Je
le répète, il n’y a pas en Belgique d’industrie comparable à l’industrie
linière, il n’y en a pas qui occupe un aussi grand nombre d’ouvriers et qui ait
autant besoin du concours du gouvernement pour résister à la crise. Et certes,
le vote d’un subside de 200,000 fr. pour une industrie pareille, pour des
provinces si populeuses. si importantes que les
Flandres, est bien peu de chose, et le vote d’enthousiasme est un devoir que nous devons remplir de grand
cœur. Les Flandres ne demandent pas une aumône, elles réclament du travail pour
leurs ouvriers, n’hésitons pas à satisfaire un vœu aussi légitime et qui touché
de si près à la prospérité du pays.
M. le président. -
Il est arrivé au bureau deux amendements. Le premier, de M. Delfosse, est ainsi
conçu :
« Je demande que la chambre ne vote
actuellement que le chiffre de 75,000 fr. ct qu’elle ajourne le vote du surplus
jusqu’après l’examen des lois de finances. »
Le second est de M. Castiau. Il est
ainsi conçu en ces termes :
« J’ai l’honneur de proposer à
la chambre de porter le subside demandé de 200,000 à 250,000 fr. d’ajouter aux
mots : industrie linière, les mots : et les autres industries en
souffrance. »
La parole est à M. Delfosse pour
développer son amendement.
M. Delfosse. - Je dirai peu de mots à l’appui de ma proposition ; elle m’a été
suggérée par l’honorable comte de Mérode ; cet honorable membre nous a dit avec
raison qu’avant de voter les dépenses, il est prudent de voter les moyens d’y
faire face.
Depuis quelques années, nous avons,
messieurs, commis une grande faute, nous avons voté de fortes dépenses et nous
n’avons pas voté les moyens de les couvrir. Qu’est-il résulté de là ? Il en est
résulté un déficit considérable ; c’est de là que sont nés les embarras
financiers qui nous pressent et qui poussent le gouvernement dans la voie des
mesures les plus impopulaires.
Soyons, messieurs, plus prudents que
nous ne l’avons été jusqu’à ce jour, n’aggravons pas encore le mal ; j’espère
que M. le ministre des finances, qui disait dernièrement à la chambre qu’il
fallait avoir le courage d’aborder les lois d’impôts, aura le courage d’appuyer
l’ajournement, bien qu’il s’agisse d’une proposition signée par vingt députés
des Flandres.
Une autre raison, et celle-là est
déterminante pour moi, qui m’engage à proposer l’ajournement, c’est que la
question n’est pas suffisamment instruite. M. le ministre de l’intérieur nous a
lu tantôt quelques documents qu’il serait difficile d’apprécier à une simple
lecture et qui devraient être sérieusement médités.
Il est d’autant plus permis de
conserver quelques doutes sur la portée de ces documents, qu’ils ne paraissent
pas avoir produit une très vive impression sur M. le ministre de l’intérieur
lui-même. En effet, messieurs, M. le ministre de l’intérieur avait ces
documents en sa possession lorsqu’il a présenté le budget, et cependant il
n’est pas venu nous proposer alors d’augmenter l’allocation de 75,000 francs
précédemment accordée à l’industrie linière. Je soutiens que si ces documents
ont la portée qu’on leur assigne aujourd’hui, M. le ministre de l’intérieur a
manqué à son devoir en ne prenant pas l’initiative. Quoi ! vous
aviez des pièces qui constataient l’insuffisance du secours accordé à
l’industrie linière, et vous ne proposiez pas d’augmentation ! Il a fallu, pour
vous émouvoir, une proposition signée par vingt députés des Flandres ! Un
honorable collègue a eu raison de le dire, ce n’est pas à la conviction de
l’utilité de la proposition, c’est à la peur que vous cédez en ce moment.
Messieurs, la question a été
introduite dans cette chambre d’une manière insolite. Je ne veux pas contester
le droit d’amendement, qui appartient à chacun de nous ; mais je pense que
lorsqu’il s’agit d’un amendement de cette importance, lorsqu’il s’agit de
substituer à un chiffre de 75,000 francs un chiffre de 200,000 francs, on
devrait donner à la chambre le temps d’examiner, de réfléchir ; ce n’est pas au
moment de la discussion en séance publique qu’un amendement de cette importance
aurait dû être lancé, on aurait dû le présenter lors de l’examen en sections ;
si cela s’était fait, nous aurions pu demander au gouvernement tous les
renseignements désirables, nous aurions pu nous prononcer en connaissance de
cause.
Messieurs, nous ne savons pas d’une
manière bien précise quel a été l’emploi des fonds précédemment votés ; nous
savons encore moins quel sera l’emploi des nouveaux fonds qu’on nous demande ;
les partisans de la proposition ne sont pas même d’accord entre eux.
M. le ministre de l’intérieur nous a
dit qu’il serait bon d’encourager l’établissement de dépôts de toiles dans les
pays étrangers. M. Dumortier, qui appuie chaudement la proposition, n’est pas
du tout de cet avis. Dans cet état de choses, alors que les renseignements nous
manquent, alors qu’il y a divergence d’opinions entre ceux-là mêmes qui
défendent l’amendement, il y aurait quelqu’imprudence à passer immédiatement au
vote.
Je suis loin, messieurs,
d’être insensible aux misères des populations des Flandres ; je suis disposé à
adopter toutes les mesures raisonnables, praticables, qui pourront apporter une
amélioration réelle à leur sort ; mais je ne puis me prononcer en ce moment sur
la question qui nous est soumise, parce qu’elle ne me paraît pas suffisamment
étudiée.
M. le président. -
La parole est à M. Castiau, pour développer son amendement.
M. Castiau. - Il me semble, messieurs, que les débats seraient simplifiées si la
chambre discutait d’abord la proposition de l’honorable M. Delfosse. Si cette
proposition était adoptée, il deviendrait inutile de développer la mienne, qui
serait nécessairement ajournée alors jusqu’au moment où la chambre s’occuperait
de nouveau de la question.
M. le président. -
Si l’ajournement avait été demandé au début de la discussion, il est certain
que la chambre aurait dû s’en occuper d’abord, mais maintenant que les débats
ont duré pendant deux jours, il me semble qu’il vaudrait mieux clore la
discussion sur toutes les propositions, sauf à mettre d’abord aux voix la
question d’ajournement.
M. Rogier. - Je ne sais pas si M. le président est incliné à amener la clôture de
la discussion, mais je ferai remarquer que la demande d’ajournement n’a pas
encore été discutée ; elle vient seulement d’être faite.
M. le président. -
Je ne suis pas incliné à amener la clôture de la discussion, mais il me semble
qu’il est inutile d’ouvrir une discussion nouvelle et séparée sur la demande
d’ajournement.
- La chambre consultée décide qu’il
ne sera pas ouvert une discussion spéciale sur la question d’ajournement.
M. Castiau. - Messieurs, je suis le premier à reconnaître que des questions aussi
graves ne peuvent pas se traiter d’une manière épisodique et incidente, et
c’est précisément pour faire sentir toute l’importance de la question que je me
suis décidé à déposer mon amendement. Je n’ai pas la prétention d’emporter le
vote immédiat de cet amendement, je veux au contraire appuyer les observations
présentées par l’honorable M. Delfosse en faveur d’un ajournement qui, ne
portant que sur les demandes d’augmentation du crédit, permet de disposer du
crédit ordinaire en faveur de l’industrie linière.
Mon amendement a pour objet de faire
voir qu’il ne doit pas être seulement question dans cette circonstance des
souffrances de l’industrie linière, mais encore des souffrances de l’industrie
en général ; ainsi, loin de m’opposer, pour ma part, à l’ajournement d’une
proposition tendant précisément à signaler à la chambre toute la portée, la
gravité et l’importance de la question, j’avais été le premier à demander qu’on
remît le développement de mon amendement après le vote spécial sur la
proposition de M. Delfosse.
Cependant, messieurs, enchaîné comme
je le suis par la décision que la chambre vient de prendre, il faut bien que,
malgré l’espoir que je conserve de voir renvoyer à l’examen des sections toutes
les graves questions que la discussion a fait surgir, il faut bien, malgré cet
espoir, que j’aborde le fond de mon amendement, quelque prématurée que cette
discussion puisse paraître. Je demanderai donc, pendant quelques instants, la
bienveillante attention de la chambre puisque, encore une fois, je ne fais
qu’obéir à sa décision, en développant une motion dont l’adoption, je suis le premier à le reconnaître, ne pourrait avoir lieu sans
l’examen préalable des sections.
Mais si je suis d’accord avec M.
Delfosse sur la convenance d’un renvoi dans les sections pour l’examen des
propositions nouvelles, je n’ai pas approuvé cet honorable membre quand il est
venu arrêter par de sévères paroles le mouvement qui semblait entraîner
l’assemblée en faveur de hauts intérêts qui sont aujourd’hui en question.
L’honorable M. Delfosse vous a dit
que jusqu’ici on avait cédé avec trop de facilité à la création de nouvelles
dépenses, sans se préoccuper des moyens d’y faire face.
Il ne m’appartient pas, messieurs, de
revenir ici sur le passé ; je n’examinerai donc pas si le reproche de M.
Delfosse est fondé, s’il est vrai qu’il y ait eu jusqu’ici une trop grande
facilité dans cette assemblée pour le vote de certaines dépenses ; mais je dis
que ce n’est pas précisément quand il s’agit des plus hauts intérêts dont une
assemblée puisse s’occuper, que ce n’est pas précisément dans un tel moment
qu’il faudrait adresser un tel reproche et élever une telle fin de
non-recevoir, car c’est vouloir glacer l’élan généreux qui pourrait s’être
emparé des cœurs et des esprits des membres de cette assemblée.
Ce n’est pas quand il s’agit des
intérêts moraux les plus élevés, quand il s’agit non seulement d’une question
d’humanité, mais encore d’une question d’intérêt politique, d’une question de
prévoyance sociale, ce n’est pas quand il s’agit de semblables questions, qu’il
faut s’apercevoir, pour la première fois, que la chambre se lance quelquefois
avec trop de facilité dans la voie de nouvelles dépenses , car, encore une
fois, c’est ici une question de sécurité, une question d’ordre public, dont
chacun ici devrait comprendre l’importance et l’urgence. Différant d’opinion
avec M. Delfosse sur ce seul point seulement, je me réunis à lui pour les
critiques à adresser, en cette circonstance, à M. le ministre de l’intérieur.
Il vous a dit, en effet, messieurs,
que cette question de la misère publique dans les Flandres, que cette question d’organisation
du travail, devait être étudiée préalablement par le ministère, qui seul est en
mesure de connaître le véritable état des choses. En appuyant cette
observation, je ne serai pas en contradiction avec les doctrines que j’ai
émises voilà deux jours, sur la centralisation, car j’ai reconnu que pour
l’étude de ces questions, l’initiative appartenait nécessairement au ministère
; c’est lui qui a à sa disposition une légion de fonctionnaires d’employés de
tous les rangs et de tous les ordres. Il faut bien que ce personnel nombreux
puisse servir à quelque chose, et le moins qu’on puisse en attendre, c’est
qu’il recueille les documents nécessaires pour que la chambre puisse se
prononcer en connaissance de cause sur des questions de cette importance.
Ici, messieurs puisque nous en sommes
encore à la question de centralisation, je ne puis m’empêcher de faire
remarquer que la centralisation administrative et l’infaillibilité
ministérielle jouent un assez triste rôle dans ces débats. Elles ont reçu, il
faut en convenir, de nombreux démentis.
Nous devions supposer que le chiffre
porté au budget était celui que réclamait l’état actuel des choses : nous
devions supposer que la question avait été mûrement et sagement étudiée par le
ministère, que le gouvernement connaissait la gravité du mal et que le chiffre
de 100,000 fr. demandé par lui suffisait pour y porter remède.
Eh bien, après avoir laissé cette
croyance s’établir dans les esprits, voici qu’on voit surgir une proposition
imprévue ; M. le ministre demande l’ajournement jusqu’au lendemain, et le
lendemain il vient appuyer partiellement cette proposition qui était en
hostilité avec la proposition ministérielle. Est-ce là la mission du
gouvernement ? N’était-ce pas à lui de prendre l’initiative quand il s’agissait
de venir au secours de l’industrie ?
Eh bien, cette initiative n’a pas été
prise par le gouvernement ; il n’a fait que suivre l’impulsion de quelques
membres de cette chambre ; il s’est laissé traîner à la remorque par l’effroi
que lui a inspiré la réunion des signatures de vingt membres de cette
assemblée. C’est bien là un démenti donné à cette espèce d’omnipotence
ministérielle que l’on est venu vous vanter il y a deux jours. Dans une
question si grave, si importante le gouvernement avoue qu’il s’est trompé,
qu’il n’avait pas étudié la question et qu’il est nécessaire de doubler
l’allocation qu’il croyait suffisante hier encore. Hier, 75,000 fr.
suffisaient, aujourd’hui il en demande 150,000.
La question était si peu étudiée,
qu’il n’a pas même pu fournir les renseignements indispensables pour éclairer
le vote de la chambre. Ainsi il fallait bien que la chambre connût ce que
faisaient les provinces et les communes en cette circonstance ; il fallait bien
que la chambre connût dans quelles proportions et pour quelles sommes les
provinces et les communes intervenaient. Car la dette ici était aussi bien
celle des communes et des provinces que de l’Etat. Communes provinces, Etat,
tous doivent se réunir pour venir, dans des circonstances aussi critiques, au secours
des populations.
Eh bien, messieurs, le ministère
avait si peu étudié la question que, quand on lui a demandé quels subsides
fournissaient les provinces et les communes, M. le ministre de l’intérieur
s’est borné à citer une seule province qui fournirait un subside de 20,000 fr.
Nous ne savons rien de ce que fait l’autre province, nous ne savons rien non
plus de ce que font les communes et les bureaux de bienfaisance. Il a fallu
qu’un membre de cette assemblée, l’honorable gouverneur de
Ici, je dois le dire, le ministère
n’a pas rempli sa tâche ; il n’a rien fait pour faciliter la mission de la
chambre ; il nous laisse nous débattre au milieu d’une obscurité profonde. La
proposition d’ajournement pour les crédits supplémentaires devenait donc une
nécessité, puisque le gouvernement, dans cette circonstance, avait failli à sa
mission.
Messieurs, j’abandonne ces détails,
pour arriver au point culminant de la discussion.
Messieurs, le point culminant de la
discussion, c’est la misère des classes ouvrières dans les Flandres. On nous a
fait hier, à la fin de la séance, un tableau qui nous a tous émus. Eh bien ! ce tableau, quelqu’énergique qu’il fût, n’était pas complet
encore.
La voix chaleureuse qui, hier, a
excité tant d’émotions dans l’assemblée en faveur de la misère des ouvriers
flamands ; cette voix n’a pas tout dit, l’orateur a reculé en quelques sorte
devant la peinture exacte et complète de cette misère. Il a craint de déchirer
en entier le voile qui couvrait cette plaie malheureuse ; il me disait, il n’y
a qu’un instant, que, s’il avait dû révéler dans toute sa vérité ce qu’il sait,
ce qu’il a vu de cette misère, il n’aurait pu achever son discours sans que des
larmes se mêlassent à ses paroles. Je crois pouvoir révéler sans indiscrétion cette
confidence, puisqu’elle fait honneur à la sensibilité et au caractère de celui
qui me l’a faite. Sa modestie me pardonnera sans doute cette révélation,
puisqu’elle pouvait être utile à la cause qu’en ce moment nous défendons en
commun.
Tenons-le donc pour constant : La
misère dans les Flandres est plus grande encore qu’on n’ose ou qu’on ne veut
nous la dépeindre.
Aussi la population intéressante que
cette misère accable, a trouvé cette fois de généreux défenseurs dans cette
enceinte. Vous avez entendu sur presque tous les bancs circuler de nobles
paroles ; vous venez d’entendre encore proclamer, pour la première fois dans
cette enceinte, un principe auquel j’adhère de toutes mes forces, parce que
c’est un principe de haute sociabilité ; ce principe, c’est le droit de tous
les individus, c’est le droit des classes ouvrières au travail.
Ce principe a été proclamé d’abord
par l’honorable député de Roulers. Il a plaidé avec une chaleureuse énergie la
cause de la misère et du travail. Il a prétendu que les classes ouvrières
avaient droit, non pas à l’aumône, personne n’en veut, mais au travail, il a
prétendu que le travail était la dette de la société envers tous ses membres.
Cette pensée a été reprise, développée et agrandie encore par l’honorable M.
Angillis. M. Angillis l’a placée à la fois sous le patronage de la religion, de
l’humanité et de la politique. Voilà, messieurs, le droit des classes ouvrières
au travail, cette pensée sociale et politique, élevée à la hauteur d’une pensée
profondément religieuse.
Eh bien ! ce
principe, je m’empresse d’en prendre acte, car il peut devenir le fondement
d’une politique nouvelle, en ajoutant aux devoirs de sollicitude et de
prévoyance de la société envers les classes malheureuses.
Ainsi, messieurs, voilà un grand
principe qu’on a proclamé dans cette enceinte, et qui peut devenir le fond
d’une politique nouvelle, principe qui trouve de la sympathie sur tous les
bancs ce principe est le droit des classes malheureuses au travail. C’est un
principe dont il faut prendre acte, car il y a dans ce principe, je le répète,
le fondement d’une politique nouvelle.
Et ici, en adoptant le principe de
l’intervention sociale pour fournir et organiser le travail dans l’intérêt des
classes ouvrières, je ne serai pas en contradiction avec les doctrines que j’ai
émises en matière de centralisation, doctrines auxquelles on a fait déjà
diverses allusions. Je n’ai pas nié la nécessité de l’intervention du pouvoir
social ; sans cette intervention, il n’y aurait pas de société possible. Cette
intervention, c’est l’attribut de la souveraineté, je la veux grande, forte et
puissante. C’est pour cela que j’ai contesté à l’arbitraire ministériel le
droit de la fausser. Je veux la conserver intacte dans les mains des pouvoirs
auxquels la constitution en a confié le dépôt.
J’admets donc pleinement le droit
qu’a la société, en présence de la misère des populations, de veiller à leur
conservation et à la sienne, en leur fournissant, à l’aide de l’organisation du
travail, des moyens de repousser la misère qui les accable.
Je voterai, en conséquence, quand le
moment en sera venu, je voterai le subside de 20,000 fr. demandé par les
députés des Flandres pour organiser ce travail et combattre la misère ; je le
voterai, et toute ma crainte c’est qu’il ne soit encore au-dessous des besoins
réels de ces malheureuses populations.
Mais si nous nous montrons sensibles
à la misère qui désole les Flandres, devons-nous ne montrer aucune sympathie
pour d’autres industries en souffrance dans d’autres parties du pays ? Devons-nous
la réserver tout entière pour l’industrie flamande ? Non, sans doute, il ne
suffit pas d’être humain, il faut être juste ; il faut donc que nous étendions
nos sympathies sur toutes les industries et sur toutes les parties du
territoire, car partout en ce moment il y a gène et souvent misère et absence
d’un travail régulier. Unissons donc la justice à l’humanité en cette
circonstance ; ne faisons pas de cette question une question purement
provinciale, faisons-en une question nationale. Que partout où existent les
mêmes besoins, se présentent les mêmes ressources. Que toutes les provinces
enfin soient égales devant la justice de la chambre, comme tous les citoyens
sont égaux devant la loi.
Je demande donc que la somme réclamée
dans l’intérêt des souffrances industrielles des Flandres, et destinée à
organiser le travail dans ces contrées ; je demande que cette somme soit
augmentée dans l’intérêt d’autres industries qui pourraient également éprouver
le besoin de secours. Comme essai, je me contente d’un supplément assez modeste
; je demande seulement que le chiffre soit porte de 200,000 à 250,000 fr. Il
n’y a là, me semble-t-il, aucune exagération.
En faisant cette proposition, j’ai eu
principalement en vue de fournir au gouvernement l’occasion de préparer les
renseignements dont nous avons besoin pour examiner, d’une manière générale et
sous toutes ses faces, le vaste problème posé en ce moment devant la chambre.
La misère, je le répète, ne règne pas seulement dans les Flandres, elle désole
encore d’autres provinces. Nous n’avons absolument aucun document sur la
situation actuelle des classes ouvrières et des classes pauvres dans le pays.
C’est au gouvernement qu’il appartient de réunir ces documents, il faut lui en
faire un devoir. La chambre a ordonné une enquête pour constater la situation
de quelques branches d’industrie.
Eh bien, je crois qu’il serait aussi
intéressant d’avoir des renseignements complets sur la position de la classe
ouvrière dans les diverses parties du pays, sur la nature et la régularité des
travaux, sur le montant et les variations des salaires, en même temps sur les
ressources des bureaux de bienfaisance, sur le nombre des pauvres qu’ils
alimentent et sur la nature des secours qu’ils distribuent.
Avec de la bonne volonté, le
gouvernement pourrait même, sans augmentation de crédit, nous fournir tous les
renseignements, sans lesquels il faut s’arrêter à chaque pas. En réunissant les
statisticiens de tous les ministères, les statisticiens de la justice, les
statisticiens des finances, les statisticiens de l’intérieur, ceux de la
commission centrale et de la commission spéciale, nous avons une véritable
armée de statisticiens. Cette armée ne nous coûte pas moins de 100,000 fr., je
pense. Et pourquoi ce personnel et cette dépense ? En partie pour dresser la
statistique industrielle et agricole, pour savoir ce qu’il entre d’aunes de
drap dans le pays, ou ce que
Voilà la sollicitude qu’on montre
pour les intérêts de l’humanité et les souffrances des classes malheureuses !
Le chiffre des pauvres n’est pas encore régulièrement et officiellement
constaté. Les uns, prétend-on, l’exagèrent ; les autres, au contraire,
voudraient l’amoindrir. Il est temps qu’on soit enfin fixé sur la gravité et la
profondeur de cette plaie sociale. Tous y ont un égal intérêt, car, je ne me
lasserai pas de le répéter, cette question du paupérisme n’est pas seulement
une question d’humanité, c’est avant tout une question d’ordre public ; si l’on
n’y prend garde, il peut y avoir dans cette question bien des alarmes et des
dangers pour l’avenir.
Le ministère, avec les moyens dont il
dispose, pourrait facilement nous la fournir, cette statistique des classes
ouvrières et des classes pauvres.
Je me suis donc montré
généreux en demandant un crédit supplémentaire de 50,000 fr. non pour faire
disparaître le paupérisme, ce serait trop absurde à prétendre, mais pour nous fournir
les moyens d’étudier et, s’il est possible, de résoudre cette douloureuse
question.
Ce qui serait bien aussi urgent, ce
serait de se montrer un peu plus sobre de ces dépenses qui n’ont pas le même
caractère de gravité, et dans lesquelles les villes se précipitent à l’envi
sans penser aux besoins sérieux qui les pressent. La misère publique dans les
Flandres est hideuse à voir, nous dit-on ; elle dépasse tout ce que la pensée
peut concevoir, et voici la capitale de ces contrées si malheureuses qui déploie
dans ses constructions et ses édifices une véritable magnificence. Un palais à
la justice, un palais à l’art dramatique, des palais partout ! de telles dépenses, dans une situation aussi critique,
n’auraient-elles pas pu, n’auraient-elles pas dû être ajournées ? Ne sait-on
pas qu’il y a quelque imprévoyance à mettre sans cesse sous les yeux de classes
qui souffrent le tableau des magnificences et du luxe à côté des douleurs d’une
pauvreté extrême ?
M. Meeus. - Messieurs, je viens m’opposer à la motion d’ajournement proposée par
l’honorable M. Delfosse. Pour appuyer mon opinion, je n’ai qu’à emprunter les
paroles de l’honorable orateur que vous venez d’entendre et qui s’associe
cependant à la demande d’ajournement.
L’honorable M. Castiau vous a dit :
La misère dans les Flandres est grande, elle est affreuse, et, au dire d’un de
nos honorables collègues, il ne pourrait la dépeindre sans que ses paroles ne
fussent entrecoupées par des sanglots.
Messieurs, si la moitié dé ce tableau
était vrai, comment se pourrait-il que la chambre admît la question
d’ajournement ?
Quoi ! la
misère est affreuse, elle réclame un secours immédiat, et vous proposez
l’ajournement.
Des voix. - Nous voterons les 75,000 fr.
M. Meeus. - Vous voterez les 75,000 fr. : soit ; mais les députés des Flandres
vous diront que ces 75,000 fr. sont insuffisants.
Et ne venez pas dire : « Cette
somme suffit que pour le moment. » Si comme d’autres orateurs l’ont dit,
il s’agit d’établir des comités industriels, d’organiser le travail, il ne faut
pas de délai, il faut immédiatement se mettre à l’œuvre.
Pour ma part, je voulais combattre la
question d’ajournement par d’autres motifs. Dans ma manière de voir, tous les
renseignements qu’on demande ne sont pas absolument nécessaires. Ne dirait-on
pas que la question linière est une question qui surgit pour la première fois
dans cette enceinte ? Mais il y a dix ans que cette question est à l’ordre du
jour ; tous les ans, vous avez voté des subsides, et chacun de nous est à même
d’apprécier cette question, les uns en la rapetissant et en n’y voyant qu’une
question d’humanité, d’aumône, d’autres, en y voyant une question de travail,
d’autres enfin, en y voyant non seulement une question sociale, mais encore une
question d’économie sociale.
Pour ma part, lorsque, tous les ans,
j’ai appuyé de mes votes les subsides demandés pour l’industrie linière, j’ai
été dirigé davantage par des considérations d’économie sociale que par celles
d’un autre ordre qu’on vous a fait valoir. L’ancienne industrie linière est
souffrante ; depuis longtemps cette industrie a mérité toute votre attention,
parce que cette industrie n’est autre chose qu’un capital immense que possède
la nation, et que la nation ne doit pas laisser périr témérairement. Je ne
connais pour les nations de véritable capital que le travail. En vain,
messieurs, l’Espagne, le Portugal ont bouleversé tout un continent pour y
enlever l’or que la nature avait déposé dans son sein, ces nations ne se sont
pas enrichies.
La Belgique, elle, n’a pas eu ses
mines d’or et d’argent, mais la Belgique, remontez à son origine, a toujours eu
le véritable capital, le travail ; elle a passé à travers toutes les phases
politiques, à travers toutes les crises qui semblent devoir appauvrir une
nation, et cependant la Belgique existe et porte envie ; elle existe forte et
riche en présence de ces nations qui, loin de soutenir leur ancienne splendeur,
semblent décroître chaque jour.
Messieurs, il faut bien le dire,
c’est une question qui n’est pas résolue, que celle de savoir si l’industrie
ancienne doit en tous point céder la place à l’industrie nouvelle, si le filage
à la mécanique doit anéantir entièrement le filage à la main. Que vois-je, en effet
? Je vois l’industrie ancienne subsister de telle manière depuis dix ans, que
c’est encore elle qui fournit les trois quarts, si pas les sept huitièmes de
nos exportations.
Cependant quand l’industrie à la
mécanique s’est élevée, que disait-on ? Les sociétés qui se formaient
prétendaient gagner non un intérêt convenable de leurs capitaux, mais 50, 60 et
même 80 p c. C’est sur ces bases que des établissements se sont formés en
Belgique. Cependant que voyons-nous ? Nous voyons ces établissements, les uns produire
l’intérêt de leurs capitaux, d’autres les payer à peine, et un payer 5 p c.
d’intérêt plu un modique dividende. Et c’est au milieu de cette lutte que
l’industrie ancienne, cependant, a su tenir encore une position honorable
Messieurs, j’ignore le nombre des
travailleurs s’occupant de l’industrie linière dans les Flandres. En supposant
seulement qu’il soit de 400 mille ouvriers, en réduisant le salaire de ces
ouvriers à 24 centimes par jour. en supposant 300
jours de travail, je trouve encore un capital primitif de 30 millions de
francs. Nous n’irons pas j’espère à la légère condamner une telle industrie.
Il semblerait cependant, à entendre
certains orateurs, que ce n’est presque plus qu’un cadavre. On semble tenir le
drap funéraire prêt à le jeter dessus ! L’expérience nous apprendra s’il est
vrai que cette industrie doit périr. Mais dans tous les cas, ce qu’il importe à
C’est ainsi que j’ai toujours compris
la question qui s’agite devant vous, c’est pour cela que, tous les ans, quand
on est venu demander un subside pour venir en aide à l’industrie linière, je me
suis associé aux vues du gouvernement. Les mêmes motifs me feront donner encore
aujourd’hui un vote approbatif à la proposition qui vous est faite par le gouvernement.
L’honorable ministre de l’intérieur
vous a dit le chiffre auquel le gouvernement se ralliait, c’est donc là le
chiffre du gouvernement aujourd’hui.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je l’ai expliqué ainsi.
M. Meeus. - Si je ne veux pas en voter un plus élevé, je vais vous en donner les
motifs. C’est qu’après toute cette longue discussion, le gouvernement ne
croyant devoir demander qu’un subside de 150 mille francs, force m’est bien de
me rallier à cette proposition. En effet, le gouvernement a entre les mains des
documents que nous n’avons pas ; il est meilleur appréciateur qu’aucun de nous
des besoins réels. Quant à la proposition de l’honorable M. Castiau, il m’est
impossible de m’y rallier. Non que je ne comprenne que dans d’autres provinces
il y a des souffrances qui méritent toute votre attention, mais parce que ce
sont là des souffrances d’une autre nature qui ne peuvent pas être appréciées
dans cette enceinte, en l’absence de renseignements et de propositions
formelles du gouvernement.
Pour les Flandres, au contraire,
c’est une question ancienne, qui a été débattue plus d’une fois dans cette
enceinte, et sur laquelle nous devons avoir des opinions formées, si pas des
convictions arrêtées. Les industries des autres provinces demandent d’autres
secours, ce sont des secours d’une nature plus efficace, ce sont des traités de
commerce, ce sont des abaissements de péages, ce sont, en un mot, d’autres
secours, et quand le jour sera venu de discuter ces belles questions, ma voix
ne manquera pas pour appuyer les propositions qui seront faites. Mais pour le
moment je ne connais pas, le gouvernement n’a pas fait connaître de souffrances
autres qui réclament un subside dans l’acception que veut lui donner
l’honorable M. Castiau.
Messieurs, pour le moment, je
bornerai là mes observations, ne voulant pas prolonger davantage cette
discussion. J’appuie donc la proposition du gouvernement principalement par ce
motif qu’il est nécessaire de venir en
aide à la classe ouvrière dans les Flandres, qu’il est indispensable surtout
dans l’intérêt de notre industrie, dans l’intérêt de
M.
le président. - M. Delehaye propose de
voter sur la somme de 200 mille fr. proposée par les députés des Flandres et
d’ajourner l’augmentation de 50 mille fr. proposée par M. Castiau.
M. Delehaye. - Je dirai que M. Castiau consent à cet ajournement.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne vous ai
pas hier dissimulé mes regrets. L’initiative parlementaire est un de vos droits
; mais ce droit n’est pas toujours sans dangers ; il arrive qu’une fois
exercée, cette initiative crée certaines nécessités, non pas précisément, je
vous prie de le croire, pour le ministère ; je n’irai pas plus loin.
Aujourd’hui je me suis empressé de
faire connaître à la chambre des faits que je crois nouveaux, en ce sens qu’un
rapport de ce genre n’avait pas encore été présenté à l’assemblée. J’ai précisé
l’emploi des fonds alloués jusqu’à présent.
J’ai su gré à l’honorable orateur qui
a clos la séance d’hier de s’être arrêté devant le tableau qu’il allait nous
tracer. J’aurais désiré qu’on usât aujourd’hui de la même réserve. Il y a des
choses qui, selon moi, ne doivent pas être proclamées dans cette chambre. il m’eût été facile d’en dire davantage.
Je n’ai que trop de renseignements
sur la situation des Flandres. C’est une exception que nous vous demandons ;
c’est un système que demande l’honorable orateur. Nous devons nous opposer à
cette idée, nous ne pouvons pas, comme l’a fait l’honorable préopinant, désirer
que la misère existe dans le pays tout entier. Il y a là de l’exagération et
beaucoup de danger.
C’est, je le répète, d’une exception
qu’il s’agit ; la situation des Flandres, quant à l’industrie linière, vous est
connue. L’emploi des fonds a été celui-ci : c’est une véritable instruction
professionnelle donnée soit directement aux individus, soit par la distribution
de métiers nouveaux. Cette intervention du gouvernement, de l’autorité publique,
est nécessaire. Si vous ne l’exercez pas, l’industrie linière succombera comme
industrie à domicile exercée dans les communes, parce qu’il n’existe pas de
grands entrepreneurs de travaux qui fassent connaître aux ouvriers dans les
campagnes les procédés nouveaux, Voilà pour le passé. Depuis la présentation de
budget, trois faits nouveaux se sont offerts au gouvernement.
Le premier : les comités industriels.
Le gouvernement en a sanctionné l’institution ; dès lors, il peut, sans
inconséquence, se joindre à eux pour les aider dans la mission qui leur est
dévolue.
Le deuxième fait, c’est le projet de
rétablir une certaine police pour la fabrication des toiles. J’ai dit que le
rétablissement de cette police manufacturière était impossible, si l’on ne
mettait pas le gouvernement à même de substituer sans frais pour l’ouvrier
pauvre des métiers nouveaux aux anciens. Ce serait une odieuse confiscation.
Voici le deuxième fait que le gouvernement peut accepter.
Le troisième fait, le projet
d’exportation, le gouvernement (je l’ai dit de prime-abord) ne l’a pas accepté
avec le caractère qu’on lui a donné. J’ai dit que le gouvernement se réservait
d’examiner une seule question, celle de savoir s’il ne devait pas favoriser
l’établissement de dépôt de toiles sur certains points à l’étranger. J’ai
expliqué comment on pouvait le faire sans danger, c’est en donnant une somme
fixe comme frais d’établissement, et non pas en s’engageant à une garantie
d’intérêt comme on l’avait fait pour l’industrie cotonnière.
Ainsi les faits anciens vous sont
connus vous savez de quelle manière l’ancienne allocation a été dépensée.
Les faits nouveaux tous sont connus ;
vous savez dans quelles limites le gouvernement les a acceptés : il a accepté
les comités industriels ; il concourra au rétablissement d’une police
manufacturière qui n’aurait rien de vexatoire ; il a repoussé le projet
d’exportation, tel qu’on l’avait entendu ; il ne s’agissait (je le répète,
puisqu’on semble l’oublier) que d’une somme une fois payée pour premier
établissement des dépôts à créer ; les encouragements donnés à l’exportation
avec cette restriction n’offriraient plus le même danger.
Je regarde la question comme
suffisamment instruite. On vous demande des renseignements que je regarde comme
superflus. J’ai fait connaître le concours que donnent les provinces. Les
communes et les établissements de bienfaisance donnent aussi des subsides. Mais
demander que toutes ces sommes soient indiquées en détail, c’est demander
l’impossible.
Je dois m’étonner de ce que
l’honorable orateur qui trouve que la question n’est pas suffisamment
instruite, quant à l’industrie linière, la trouve instruite quand il ne s’agit
plus d’une industrie seule, mais de toutes les industries. Il a invoqué la
misère générale. Rien n’est plus dangereux que de tenir ce langage dans cette
chambre ; et, selon moi, cette misère générale n’existe pas.
Je crois que la chambre peut
maintenant, sans danger, admettre l’allocation que j’ai proposée et que je
crois avoir suffisamment justifiée.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Foere (contre la clôture). - Deux honorables membres viennent de nous dire
que la question n’est pas assez instruite ; je partage leur opinion. Ensuite,
si j’avais pris la parole un des premiers dans cette importante discussion,
certes ma tâche eût été plus étendue ; mais plusieurs honorables membres qui
avaient parlé avant moi l’avaient abrégée. Je me proposais seulement d’émettre
des observations sur des faits qui n’ont pas été assez éclaircis et de répondre
à nos honorables contradicteurs.
J’appartiens, par mon mandat, au
district le plus linier de
- La chambre consultée prononce la
clôture.
La proposition de M. Delfosse,
tendant à ajourner jusqu’à l’examen des lois de finances toute allocation
additionnelle, est mise aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote
:
Nombre des votants, 80.
27 membres ont voté pour.
53 ont voté contre.
La chambre n’adopte pas.
Ont voté pour : MM, Castiau, Cogels,
David, de Brouckere, de Garcia de
Ont voté contre : MM. Angillis,
Brabant, Coghen, Coppieters, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de
Florisone, de Foere, de
M. le président. -
Je mettrai maintenant aux voix le chiffre le plus élevé, c’est celui de 200,000
fr.
M. Cogels. - Ce chiffre comprend-il les 30,000 fr. du litt. A ?
M. le président. -
Evidemment non ; car aucun amendement n’a été présenté au litt. A.
L’article est mis aux voix par
division.
« A. Achat de machines et de
métiers perfectionnés, subsides, voyages et missions à l’étranger, subsides
pour introduction d’industries nouvelles, frais d’enquêtes et publications
utiles ; expertises de machines introduites par application de la loi du 29
mars 1841 ; frais d’inspection des établissements dangereux ou insalubres : fr.
30,000 »
- Adopté.
« B. Subsides en faveur de
l’industrie linière et de la classe des tisserands et des fileuses ; exécution
des diverses mesures proposées par la commission d’enquête ; subsides à des
écoles manufactures et de perfectionnement ; distribution de métiers,
etc. »
- Le chiffre de 200,000 fr. proposé
par amendement à ce littera est mis aux voix par appel nominal.
Voici le résultat du vote
81 membres répondent à l’appel
nominal.
45 répondent non.
34 répondent oui.
2 s’abstiennent.
En conséquence, la somme de 200,000
fr. n’est pas adoptée.
Ont répondu oui : MM. Angillis,
Castiau, Coppieters, Dedecker, de Florisone, de Foere, Delehaye, d’Elhoungne, de
Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, Deprey, de Roo, de Saegher, de
Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Devaux, de Villegas, Donny, Dumortier,
Liedts, Maertens, Malou, Manilius, Rodenbach, Rogier, Thienpont, Van Cutsem,
Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert.
Ont répondu non : MM. Brabant,
Cogels, Coghen, David, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de
Garcia, de
Se sont abstenus, MM. Meeus et
Delfosse.
Les membres qui se sont abstenus sont
invités à en faire connaître les motifs.
M. Meeus. - Messieurs, les motifs de mon abstention résultent des paroles que
j’ai eu l’honneur de prononcer tout à l’heure.
Le gouvernement n’ayant pas admis ce
chiffre, et cependant les députés des Flandres le demandant, je suis resté dans
le doute s’il était nécessaire, et je n’ai pas voulu, dans les sentiments de
sympathie que je porte à cette industrie, donner un vote négatif.
M. Delfosse. - Je me suis abstenu, parce que la question ne me paraît pas
suffisamment instruite. C’est pour ce motif que j’avais présenté mon
amendement.
- Le chiffre du gouvernement est mis
aux voix par assis et levé ; il est adopté.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - La section centrale a fait
une proposition de transfert ; je demande à donner un mot d’explication sur
cette proposition.
Voici, messieurs, ce qui est arrivé.
Cet article comprenait une somme de 30,000 fr. destinée aux écoles locales
d’apprentissage qui se combinent ordinairement avec l’instruction primaire.
Cette somme de 30,000 fr., dans la supposition que l’allocation dont on la
détachait ne serait pas augmentée, j’avais proposé de la transférer au chapitre
de l’instruction publique ; et voici pourquoi :
Les écoles de cette espèce n’existent
guère que dans les provinces flamandes ; elles doivent leur naissance à la
crise que subit depuis quelques années l’industrie linière.
Fondées dans le but de remplacer par
un travail plus lucratif celui du lin qui occupait presque exclusivement les
populations rurales, ces institutions sont venues transformer tout
l’enseignement primaire de ces localités. Tandis que dans d’autres provinces,
on s’occupe des moyens d’introduire dans les écoles primaires un travail
manuel, en Flandre, le problème semble résolu par la force des choses. En
présence de ce fait contemporain de l’exécution de la loi organique de
l’enseignement primaire, le gouvernement s’est demandé si l’existence d’une
« école atelier d’apprentissage » ne pourrait pas dispenser une
commune de l’obligation que la loi lui impose d’avoir une école primaire.
L’affirmative n’a pas paru douteuse
du moment que dans l’école atelier on enseigne les matières prescrites par
l’art. 6 de la loi et du moment aussi que le régime de la double inspection lui
est appliqué.
Dès lors, tous les principes qui
régissent l’instruction primaire doivent être étendus à ces institutions, et il
était tout naturel que la direction des affaires relatives à ces écoles ne fût
pas séparée du reste de l’administration de l’instruction publique.
Ce sont des écoles adoptées par les
communes, ou tenant lieu de l’école communale, et soumises à la loi. C’est là
ce que j’avais en vue en demandant le transfert au chapitre de l’instruction
publique. Mais aujourd’hui si ce transfert était ordonné, il se trouverait que
je n’aurais plus que 30,000 fr. pour aider à l’établissement d’écoles
d’apprentissage, et cependant j’ai dit tout à l’heure qu’une des raisons pour
lesquelles je demandais une majoration, c’était pour favoriser l’établissement
des écoles.
Je dois donc me désister de la
demande de transfert, et demander la réintégration de la somme au chapitre de
l’industrie.
Il reste cependant entendu que,
chaque fois que ces écoles se combinent avec l’instruction primaire, au point
d’être adoptées par la commune ou de tenir lieu de l’école communale, ces
écoles tombent sous le régime de la loi.
Je désire qu’on soit bien éclairé, et
je veux être très franc : ces écoles sont établies généralement par les curés.
Je veux qu’ils sachent que ces écoles, se combinant à ce point avec
l’instruction primaire, tombent sous l’application de la loi. Je dis ceci, non
pas que je craigne des résistances, mais pour prévenir des objections et des
doutes.
Plusieurs membres. - A demain.
M. le président. -
Les deux premiers litt. de l’article sont votés. Il
restera à se prononcer demain sur le transfert dont vient de parler M. le
ministre.
- La séance est levée à 4 heures et
demie.