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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 7 décembre 1842

(Moniteur n°342, du 8 décembre 1842)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure et quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.

« Le sieur Pierre Keys, curé à Helchteren, né à Huisseling (Pays-Bas) demande la naturalisation. »

« Le chevalier Adolphe Philibert Ernest de Calonne de Beaufait, capitaine de 1ère classe au 4ème régiment d’infanterie, né à Forest (France) demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les brasseurs de Rupelmonde et de Basel présentent des observations contre les projets de loi portant : l’un à majorer les centimes additionnels sur le principal de l’accise des bières, l’autre à modifier la loi de 1842 sur les bières. »

« Mêmes observations des brasseurs d’Overmeire, de la ville d’Ypres, et des villes et communes environnantes de l’arrondissement de Turnhout, de la ville de Lokeren, de la commune d’Exaerde et du canton de Comptich. »

« Les frères Pourbaix présentent des observations contre le projet de loi tendant à modifier les bases de l’impôt sur les bières. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi modifiant les bases de l’impôt sur les bières.


« Le conseil communal d’Achel présente des observations concernant le projet de loi sur le canal de la Campine. »

« Mêmes observations du conseil communal de Caulille et de celui de Lille-Saint-Hubert. »

- Sur la proposition de M. Huveners, cette pétition est renvoyée à la section centrale chargée d’examiner ce projet.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l'exercice 1843

Rapport de la section centrale

M. de La Coste. - Je viens déposer le rapport de la section centrale sur le budget des dépenses du ministère des affaires étrangères.

Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre en fixe la discussion après celle des budgets déjà à l’ordre du jour.

Projet de loi portant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances

Motion d'ordre

M. Sigart. - Messieurs, dans la session dernière, le gouvernement nous a soumis un projet de loi pour l’exécution de jugements rendus contre lui, et au profit du sieur de Gruyter.

Ce projet de loi a été renvoyé à la commission permanente des finances. Jusqu’à présent cette commission n’a pu s’en occuper ; je demanderai qu’elle veuille bien l’examiner incessamment.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, les membres de la commission des finances ne se sont pas encore assemblés pour s’occuper de ce projet de loi, parce qu’ils font partie des sections de la chambre et des différentes commissions qui s’occupent de l’examen du traité, des budgets et de différents autres projets importants.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1843

Discussion des articles

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du budget des voies et moyens.

Nous en sommes arrivés à la discussion du projet de loi.

Article premier

« Art. 1er. Les impôts directs et indirects existant au 31 décembre 1842, en principal et centimes additionnels ordinaires et extraordinaires, tant pour les fonds de non-valeurs qu’au profit de l’Etat, ainsi que la taxe des barrières, continueront à être recouvrés, pendant l’année 1843, d’après les lois et les tarifs qui en règlent l’assiette et la perception. »

La section centrale propose un paragraphe additionnel, ainsi conçu :

« § 2 (section centrale). La disposition de l’art. 1 de la loi du 29 décembre 1835, n° 859, est renouvelée pour l’exercice 1843, à l’égard des provinces qui n’ont pas contracté d’abonnement pour le service administratif de la poste aux lettres. »

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je me suis rallié à cet amendement.

M. le président. - Deux amendements ont été présentés, l’un par M. Donny, l’autre par M. Savart-Martel.

Voici celui de M. Donny : « Toutefois, le gouvernement est autorisé à mettre les tarifs des droits de fanal et de pilotage perçus au port d’Ostende, en harmonie avec les tarifs qui sont ou seront établis en d’autres localités. »

Voici celui de M. Savart-Martel : « Les chevaux employés habituellement à l’agriculture ne sont point soumis à l’impôt, sauf le cas où ils seraient attelés à une voiture suspendue. »

La parole est M. Donny, pour développer son amendement.

M. Donny. - Messieurs, il se perçoit au port d’Ostende un droit de fanal qui ne se perçoit que là, et dont le produit cependant sert à payer l’éclairage maritime du littoral belge tout entier.

Il se perçoit encore au port d’Ostende des droits de pilotage réglés par un tarif hollandais, dont le taux est trop élevé. Et la preuve, messieurs, qu’il est trop élevé, c’est que sous le régime précédent ce service a donné un excédant de 204,000 florins en dette active dont le grand livre d’Amsterdam paie encore aujourd’hui les intérêts.

Ce sont là, messieurs, deux griefs contre lesquels la chambre de commerce d’Ostende et moi n’avons cessé de réclamer et dans cette enceinte et dans les cabinets des ministres. Et cependant rien de plus simple, rien de plus juste, que les moyens de faire droit à ces plaintes.

En ce qui concerne le droit de fanal, si on voulait absolument faire supporter par le commerce maritime les frais de ce service public, il fallait établir un droit de fanal uniforme frappant tous les navires qui se rendent en Belgique, quel que fût le port de leur destination. Il y aurait alors eu équilibre ; il y aurait eu justice.

En ce qui concerne le droit de pilotage, il fallait réduire le tarif évidemment trop élevé du port d’Ostende au niveau du tarif des ports qui se trouvent dans une situation pareille, par exemple, au niveau du tarif de Flessingue.

Messieurs, cette double mesure : l’établissement d’un droit de fanal uniforme, l’abaissement du tarif du port d’Ostende au niveau de celui de Flessingue, je vous la proposerai aujourd’hui même, si le traité, qui est intervenu entre la Belgique et la Hollande ne compliquait tant soit peu la question.

Vous le savez, messieurs, ce traité prescrit la perception d’un nouveau droit de fanal sur l’Escaut et de plus, à la suite des ratifications de ce traité, un tarif nouveau sur les droits de pilotage doit être introduit à Flessingue. Dès lors je conçois parfaitement qu’à la veille d’un changement de régime sur l’Escaut, je ne puis espérer d’obtenir de vous un régime nouveau spécial pour le port d’Ostende. Je reconnais qu’il faut, avant tout, que le traité soit discuté, accepté ou rejeté ; qu’il faut ensuite, dans l’hypothèse de l’acceptation du traité, que l’on décide si le nouveau droit de fanal qu’il s’agit d’établir sur l’Escaut, sera supporté par le commerce maritime, ou s’il sera racheté par l’Etat comme le traité en donne le droit au gouvernement ; qu’il faut enfin que l’on arrête d’une manière définitive et que l’on publie le nouveau tarif pour les droits de pilotage de Flessingue.

Je ne puis donc, messieurs, vous demander aujourd’hui une décision immédiate sur nos réclamations. Cette décision immédiate, je ne vous la demande pas. Tout ce que je vous demande, c’est de vouloir bien donner au gouvernement le pouvoir d’établir, aussitôt qu’il le pourra, l’équilibre qui n’aurait jamais dû être rompu entre les ports de Belgique.

C’est là, messieurs, le but du paragraphe additionnel que j’ai l’honneur de vous proposer ; ce paragraphe n’a pas d’autre portée. Une fois que le gouvernement sera muni de cette autorisation, il examinera la question à fond ; et lorsqu’il s’occupera de l’organisation définitive du service de l’Escaut, il prendra à l’égard du port d’Ostende les mesures que lui dictera la justice de nos réclamations.

En terminant, messieurs, je dois vous faire observer que l’amendement qui est en discussion, peut être considéré comme remplaçant le projet de loi que j’ai eu l’honneur de vous présenter dans le courant du mois de mars 1841, projet de loi par lequel je vous proposais l’établissement d’un droit de fanal uniforme de 3 c. par tonneau. Aujourd’hui que nous nous trouvons en présence d’un traité qui prescrit la perception d’un droit de fanal s’élevant à 13 centimes environ par tonneau, le droit de 3 centimes que j’avais proposé ne peut être voté. Aussi, je déclare retirer le projet que j’ai présenté en 1841, et le remplacer par le paragraphe additionnel que j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre, et qui est ainsi conçu :

« Toutefois, le gouvernement est autorisé à mettre les tarifs des droits de fanal et de pilotage perçus au port d’Ostende en harmonie avec les tarifs qui sont ou seront établis en d’autres localités. »

- L’amendement de M. Donny est appuyé.

M. le président. - La parole est à M. Savart, pour développer son amendement.

M. Savart-Martel. - La loi néerlandaise du 12 juin 1821 introductive d’un nouveau système de contributions personnelles a frappé de 20 florins les chevaux de luxe.

Elle a frappé de 5 florins les chevaux des voituriers, maîtres de postes et autres loueurs.

« Sont exempts, dit-elle, les chevaux exclusivement employés à l’usage de l’agriculture, des fabriques, manufactures ou usines, et ne servant jamais aux usages indiqués pour ceux soumis à la taxe. Cependant lorsque ces chevaux seront en même temps employés aux attelages des voitures suspendues sur ressorts ou courroies, il sera paye par chaque cheval 7 florins. »

On le voit, la loi n’a point frappé indistinctement tous les chevaux, mais les chevaux de luxe. Et en frappant de 7 florins les chevaux de labour, au cas spécial d’emploi aux attelages de voitures suspendues, il est évident qu’elle ne les a point présumés chevaux de luxe.

Le législateur savait très bien qu’un cheval de labour pouvait être monté de temps à autre, comme il arrive dans toutes les fermes ; mais comme les dandys, les fashionables, non plus que les lions de nos jours, ceux, enfin, qui aiment le faste et le luxe, dédaignent cette modeste monture de l’économie, il n’a pas cru devoir s’exprimer plus clairement, et, en effet, nous n’avons jamais vu parader tels chevaux, soit à l’Allée-Verte, soit dans nos autres promenades publiques.

La loi du 28 juin 1822 n’a été qu’une loi d’exécution ; elle n’a point étendu la matière imposable.

Voir l’article 42.

Voir aussi l’article 43. Il indique, quoique d’une manière insuffisante peut-être, ce qu’on entend par chevaux de luxe.

Il ne dit point que ce sont ceux employés à la selle accidentellement c’est, dit-il, l’usage fixe ou permanent, servant à la selle ou à l’attelage des voitures.

Ce qui semble prouver encore que les chevaux de l’agriculture ne sont frappés d’impôt que dans le cas d’attelages, c’est l’art. 46, puisqu’il établit en principe l’exemption, et ne déroge à cette exemption que pour le seul cas de l’attelage ; c’est le cas de l’adage exceptio confirmat regulam.

La manière dont se demandent et se donnent les déclarations vient encore à l’appui de mon opinion ; car les cultivateurs n’ayant point de chevaux uniquement destinés à être montés, se trouveraient dans une position à devoir les déclarer tous, puisqu’accidentellement tous peuvent servir à la selle.

Dans la session de 1837, des plaintes s’élevèrent sur l’application de cette loi. Au lieu de la réviser, comme l’avait ordonné l’assemblée constituante, elle fut modifiée le 12 mars 1837, par des dispositions qui ont eu pour but, non d’augmenter les charges mais de les diminuer. C’était sous le ministère de l’honorable M. d’Huart.

Voir cette loi...

On remarque d’abord qu’au lieu d’une augmentation, elle veut une diminution ; elle modifie l’art. 42, mais ne touche pas à l’article 46. Cette loi n’a point en vue les chevaux servant habituellement au labourage, mais les chevaux destinés soit à la selle, soit à l’attelage, employés principalement et habituellement à l’exercice de diverses professions, tels que médecins, s’il n’y est point question des avocats, chirurgiens, artistes vétérinaires, fabricants, commis voyageurs et cultivateurs.

Ainsi, d’après cette loi, le cultivateur qui possède un cheval qu’il monte ou attelle principalement et habituellement pour sa profession, ne doit que quinze francs ; mais si ce cheval sert ordinairement à l’agriculture, il reste dans le droit commun de la loi de 1821.

C’est la destination principale, l’emploi habituel qui constituent la différence. Les uns sont destinés à la personne même du cultivateur, tandis que les autres sont destinés à la glèbe, aux fonds à cultiver.

Sous l’empire de cette loi sont émanées 2 circulaires ministérielles. L’une du 1er mai 1837, sous le ministère de l’honorable M. d’Huart ; l’autre du 31 décembre 1839, sous le ministère de l’honorable M. Desmaisières.

Par la première, il est reconnu que, sous la loi de 1822, les chevaux des cultivateurs, servant accessoirement à la selle, n’étaient point imposables ; que le but de la loi nouvelle n’a point été d’imposer ceux qui primitivement n’étaient assujettis à aucune taxe, mais de réduire à quinze francs ceux qui autrefois devaient payer vingt fl. ; tandis que la circulaire de 1839 part du point que ces chevaux étaient frappés primitivement de l’impôt de vingt fl. Or, si deux ministres, hommes d’esprit, ne sont point d’accord sur un pareil point, c’est une preuve que la loi est défectueuse.

Voici ces deux circulaires :

Voici donc l’état actuel des choses administrativement au moins à l’égard des chevaux tenus par le cultivateur ; il y a 4 catégories.

1° Le cheval servant uniquement à la selle, principalement par luxe, et accessoirement pour la profession, paye comme cheval de luxe.

2° Le cheval servant principalement à la selle pour l’exercice de la profession et accessoirement à l’agriculture, paye 15 fr.

3° Le cheval employé principalement à l’agriculture, mais accessoirement à la selle pour l’exercice de la profession et pour l’agrément doit aussi 15 fr.

4° Le cheval, employé principalement à l’agriculture, mais servant aussi à la selle, accessoirement pour l’exercice de la profession seulement, ne doit rien.

Cette théorie se conçoit ; mais en pratique elle donne matière au plus odieux arbitraire, il n’en peut guère être autrement.

D’abord, il n’est pas toujours facile de connaître si le cheval sert à l’agriculture principalement. Puis il est encore plus difficile de s’assurer si le cultivateur, rencontré sur son cheval, s’en sert pour l’exercice de sa profession.

Enfin, dans beaucoup de nos campagnes, les fermiers emploient tous leurs chevaux à l’agriculture habituellement mais tantôt ils montent l’un, tantôt ils montent l’autre, suivant les besoins et circonstances. D’ordinaire, ils n’ont pas de chevaux ayant une destination spéciale.

Comment l’agent du fisc s’assurera-t-il si ce fermier voyage pour son agrément ou pour sa profession ? Cette indagation n’est d’abord pas dans nos mœurs, et la réponse du fermier sera probablement conforme à son intérêt. Si l’homme du fisc ne croit pas cette réponse, il faut une enquête, donc un procès.

L’honorable M. d’Huart a senti cette fausse position. Malgré toute sa bonne volonté et son expérience, il n’a pu indiquer un signe certain pour reconnaître le cas imposable.

Il a indiqué pour exemple de l’exception, le cas où le cheval serait chargé d’un porte-manteau, d’un sac ou autre fardeau que ne comporte pas un usage ordinaire d’agrément. Ainsi, on croira le fermier qui aura eu la précaution de prendre un sac ou son porte-manteau, tandis que l’autre sera sous la prévention de fraude. Je sais qu’on pourra y joindre d’autres circonstances ; mais, convenons-en, c’est soumettre l’agent fiscal à un système d’espionnage qui doit le rendre odieux, c’est lui laisser un arbitraire dangereux ; c’est exposer le citoyen à des vexations insupportables.

Le procès-verbal, en pareil cas, sera presque toujours suivi de poursuites judiciaires où les employés auront tort ou raison, suivant que le fermier pourra plus ou moins facilement prouver la cause pour laquelle il montait ce cheval.

Aussi ne doit-on point s’étonner de la diversité des jugements et arrêts en cette matière.

La cour de Bruxelles a décidé, le 29 février 1840, que le cultivateur ou l’industriel qui n’emploie qu’accidentellement à la selle l’un des chevaux employés à sa profession habituellement, ne tombe ni sous l’application de l’art. 42 de la loi du 28 juin 1822, ni sous celle de l’art. 1er de la loi du 12 mars 1837.

La cour de Gand a incidemment appliqué la même doctrine, le 10 mai 1841. Le même point avait été reconnu par l’arrêt du 4 novembre 1840, Bulletin de 1841, page 138.

Voir aussi les deux arrêts de la cour de Liége du 22 avril 1842.

Dès le 8 avril 1826, la cour de Bruxelles avait reconnu que pareils chevaux n’étaient point frappés de l’impôt ; cependant la cour suprême, par son arrêt de rejet du 5 juillet 1842, que tous les chevaux de selle étaient chevaux de luxe sous la loi de 1822 (contrairement à l’opinion émise par le département des finances en 1837) ; d’où la cour infère que par suite de la modification du 12 mais 1837, tout cheval de selle serait soumis à l’impôt de 15 fr., fût-il même employé principalement et habituellement à l’agriculture.

Il reste donc vrai que, sous l’application de cette loi, Cujas dit oui ; Barthole dit non.

Ma demande, messieurs, ferait cesser toute incertitude ; elle rallierait au gouvernement beaucoup d’habitants de nos campagnes, que tourmente singulièrement cet impôt, exigé à tort ou à droit dans quelques localités seulement.

Vous le savez, l’habitant des campagnes surtout est d’une économie sévère. Déjà surchargé d’impôts, courbé sous le poids de la contribution foncière, des charges provinciales et locales qui vont chaque année en augmentant, il lui faut cette sévère économie pour se maintenir honorablement. Telle faible que paraisse une taxe de 15 à 20 francs, il la supporte d’autant plus impatiemment, qu’elle donne matière à un arbitraire sans précédent. Cette taxe est presque assimilée à l’impôt mouture et d’abattage d’odieuse mémoire.

On m’objectera peut-être que les tribunaux sont appelés à juger les faits et circonstances, et à décider les contestations que soulève le zèle des employés du trésor. Mais, messieurs, les poursuites de la régie coûteront toujours plus aux contribuables que la hauteur de l’impôt. Ce sont de ces procès qui ruinent le modeste cultivateur qui les gagne ; et je ne crois pas qu’il s’élève dans cette enceinte aucune voix pour établir qu’il faut payer une taxe qu’on croit ne pas devoir.

Ici un mot sur la pratique.

Force est-il donc de rédimer vexation, soit par le paiement, soit ce qui est encore plus odieux, par une transaction.

On invoquera peut-être le besoin du trésor ! mais le trésor doit vivre des impôts décrétés, d’acte de justice et de loyauté. J’ajouterai que cette exigence, qui est devenue un fléau dans nos campagnes, n’intéresse presque pas le trésor. Elle ne vaut pas les frais et les dépenses, les embarras qu’elle lui occasionne, le véritable profit en appartient à ces heureux mortels de la finance qui partagent les transactions, ce nouveau genre de démoralisation qu’ont importé chez nous les Hollandais.

Messieurs, l’obscurité, l’ambiguïté des lois sont un malheur surtout en matière fiscale ; d’abord pour le contribuable, qui sera toujours porté à croire qu’on lui en fait une application illégale puis pour le magistrat, dont la position la plus pénible est celle du doute.

La Belgique compte dans sa magistrature les citoyens les plus sages et les plus éclairés ; vous les avez vus divisés cependant sur l’interprétation de la loi. En faut-il davantage pour exciter votre sollicitude ?

Peut-être la chambre admettra-t-elle que la loi de 1821 doit être entendue dans le sens même de ma proposition.

En ce cas, la demande que j’ai eu l’honneur de lui soumettre, ne sera point un amendement proprement dit, mais une interprétation ; ou si l’on veut même une demande officielle d’explications. Vous ne souffrirez point que la forme emporte le fond.

La forme m’importe peu ; dès que le principe conforme à ma proposition, absolument conforme et décrété, ou au moins reconnu, mon but serait atteint ; car il n’y aurait plus ni doute, ni arbitraire ; je dis arbitraire, car à moins d’espionner nos cultivateurs du 1 janvier au 31 décembre, personne n’oserait affirmer qu’un cheval, servant principalement à l’agriculture, et sur lequel serait trouvé le fermier, sert à un acte d’agrément, plutôt qu’à sa profession.

C’est, je le répète, créer au ministère des embarras qui ne valent pas le droit ; c’est volontairement exposer le contribuable à des déclarations mensongères ; c’est créer au gouvernement des ennemis. C’est donner à la fraude une sorte de prime.

On nous a dit autrefois, messieurs :

Selon que vous serez ou faible ou puissants,

Les jugements des cours vous rendront noirs ou blancs ;

Eh bien, après avoir longtemps étudié et commenté la déplorable loi du système hollandais, je ne puis m’empêcher de dire :

Vous aurez à payer ou non de par la loi,

Selon que vous serez adroit ou maladroit.

- L’amendement de M. Savart est appuyé.

M. le président. - Si la chambre ne s’y oppose pas, je mettrai d’abord en discussion l’amendement de M. Donny.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, les réflexions par lesquelles l’honorable M. Donny a terminé, prouvent que son amendement est prématuré. Cet amendement suppose le vote du traité du 5 novembre. Ce traité étant voté, il y aura en effet quelque chose à faire relativement à Ostende. Il faudra mettre le pilotage d’Ostende en rapport avec le pilotage de Flessingue, pilotage qui aujourd’hui n’est pas encore définitivement fixé. En second lieu il faudra aussi établir un rapport entre les charges que supporte la navigation à Ostende en ce qui concerne les droits de feu avec celles qu’elle supportera peut-être à Anvers. Si à Anvers la navigation ne supporte aucun droit de feu, vous aurez à examiner s’il n’est pas juste d’accorder la même faveur à Ostende.

Mais ces questions, je le répète, ne se présenteront que lorsque le traité aura été voté, ou à l’époque du vote du traité. L’honorable auteur de l’amendement le reconnaît lui-même ; c’est une précaution qu’il veut prendre en quelque sorte ; il a déclaré que le gouvernement verrait ce qu’il y a lieu de faire. Pour être conséquent avec lui-même il devrait ajourner sa proposition et la reproduire lors de la discussion du traité, ou après le vote du traité.

M. Donny. - Je vois avec plaisir M. le ministre de l’intérieur reconnaître qu’il y a quelque chose à faire pour le port d’Ostende. Je suis au reste persuadé que si la question est soumise à la législature, dans le cas, par exemple, où le gouvernement ne prend pas sur lui de la décider, la chambre reconnaîtra la justesse de nos réclamations. Il y a deux lignes parallèles, par lesquelles on arrive de la mer dans l’intérieur du pays ; sur l’une on paye des droits qu’on ne paye pas sur l’autre ; sur celle-ci, l’on a des avantages dont on ne jouit pas sur celle-là. Une injustice pareille ne peut être sanctionnée par la chambre. J’ai reconnu moi-même qu’on ne pouvait aujourd’hui prononcer sur nos réclamations, en connaissance de cause. Tout ce que je veux c’est que le gouvernement soit mis à même de nous rendre justice aussitôt que la chose sera possible, qu’il soit à même d’organiser un régime pour le port d’Ostende, lorsqu’il en organisera un pour l’Escaut. Je n’ai aucune objection à faire à ce que la question soit ajournée jusque-là, si M. le ministre pense que cette marche est préférable. Mais je prends acte des dispositions favorables que le gouvernement a manifestées sur la question.

M. le président. - L’amendement de M. Donny est ajourné. La discussion est ouverte sur l’amendement de M. Savart.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je présenterai à la chambre à l’égard de l’amendement de l’honorable M. Savart-Martel, les mêmes réflexions que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur à l’égard de l’amendement de l’honorable M. Donny.

Il me semble que la proposition de M. Savart-Martel, ne peut être insérée incidemment dans la loi des voies et moyens,. C’est une proposition qui tend à modifier essentiellement une des principales lois du pays, la loi sur la contribution personnelle. La chambre a toujours écarté ces modifications à l’occasion du budget. Certainement les réflexions de l’honorable M. Savart-Martel, méritent toute attention. Mais je crois qu’elles viendraient mieux à leur place, lorsqu’il s’agira de discuter le projet de loi nouveau sur la contribution personnelle, présentée à la chambre. Je crois donc qu’il serait prudent et conforme aux antécédents de la chambre d’ajourner cette proposition jusqu’au moment où l’on pourra s’occuper du projet de loi dont je viens de parler.

M. Dubus (aîné). - Je ferai remarquer que l’ajournement équivaut à un rejet ; car le projet de loi qui a pour objet de modifier l’impôt personnel supprime précisément l’impôt sur les chevaux. Ainsi l’amendement n’a plus d’objet, dès qu’on suppose l’adoption du projet de loi. Mais que faisons-nous ? Un budget des voies et moyens, qui, en attendant que la loi sur la contribution personnelle soit adoptée, maintient les impôts existants. L’amendement a pour objet l’impôt existant. Il sera donc trop tard pour l’adopter, lorsque vous aurez adopté la loi sur la contribution personnelle.

Ainsi qu’on vous l’a fait voir, l’amendement s’appuie sur de décisions ministérielles, qui sont formelles. Mais, en même temps on vous fait remarquer que ces décisions ne sont pas exécutées, qu’il y a des agents des finances qui ne se conforment pas aux instructions du ministre des finances, et que les cultivateurs, qui emploient incidemment comme chevaux de monture, pour les besoins de leur ferme, des chevaux de labour, sont vexés ; des procès-verbaux sont dressés contre eux ; on leur fait des procès, et des procès très désagréables ; et cela parce que l’art. 1er de la loi du 12 mars 1837 est équivoque, et peut prêter à deux interprétations différentes.

Si les instructions de M. le ministre des finances étaient exécutées, ces procès n’auraient pas lieu. Mais ces procès ont lieu dans des circonstances où il y a vraiment l’iniquité la plus révoltante ; car il m’est revenu qu’un cultivateur, ayant monté sans selle un cheval de labour pour acheter des chevaux à la foire, a été poursuivi. On a prétendu qu’il devait payer l’impôt. Certainement cela était manifestement contraire aux instructions du ministre. Mais enfin l’agent qui a exécuté ainsi les instructions du ministre, peut les exécuter encore ainsi, si vous n’adoptez une disposition qui rende la loi tellement claire qu’on ne puisse plus en abuser.

Je crois qu’il est nécessaire de prendre une disposition dès à présent, puisque vous conservez la législation existante.

M. Savart-Martel. - Naturellement je parlerai dans le sens de ma proposition, et dans le sens des observations que vient de soumettre à la chambre mon honorable collègue M. Dubus.

Je pourrais vous citer une foule de cas ; mais je ne veux pas abuser des moments de la chambre. Je m’expliquerai seulement sur la demande d’ajournement.

M. le ministre des finances parle d’une nouvelle loi. Cette nouvelle loi, je ne puis concevoir qu’elle serait mise à exécution le 1er janvier ; car dans ce cas je n’aurais pas besoin d’insister sur ma proposition. Je pense donc que la même loi qui a été en vigueur dans les exercices précédents sera en vigueur l’année prochaine. Si ma proposition est juste, pourquoi ne serait-elle pas admise pour 1843 ?

L’ajournement proposé serait, comme vient de l’expliquer l’honorable M. Dubus, le rejet de ma proposition et un rejet fondé sur le motif le plus futile, sur ce qu’il y a un projet de loi qui n’est pas encore examiné.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Il y a deux jours que mon attention a été éveillée sur le défaut d’exécution des instructions par les agents des finances, en ce qui concerne la loi sur la contribution personnelle. Je prendrai à cet égard des renseignements. Je ferai en sorte que les instructions soient ponctuellement observées. En attendant, s’il y a des abus, on pourra rechercher s’il n’y a pas lieu de porter une loi spéciale. Mais auparavant, il convient que je m’assure que les instructions du département des finances ne sont pas exécutées.

Je persiste donc à croire qu’on doit ajourner la proposition de l’honorable M. Savart, et qu’on doit en faire l’objet d’une loi spéciale, s’il y a lieu.

M. de Garcia. - On doit convenir que, dans la loi actuelle sur la contribution personnelle, il y a beaucoup à dire à l’égard des chevaux. Il en était de même sous l’empire de la loi hollandaise. Il y avait alors divergence sur ce qu’on entendait par chevaux de luxe, proprement dits, ou par chevaux mixtes. Les tribunaux étaient divisés ; l’administration était divisée. La loi était évidemment incomplète. Sous le ministère de l’honorable M. d’Huart, on voulut faire disparaître un doute, et décider ce qu’on devait entendre par cheval mixte. Il résulta de là un nouveau doute. On fut alors divisé sur la question de savoir ce qui constituait un cheval mixte, c’est-à-dire, soumis au droit simple de 14 florins, Sur ce point, les circulaires ministérielles furent d’avis différents. Les tribunaux furent aussi divisés sur le sens de la loi de 1837 ; ensuite cette loi, qui a eu pour objet de prévenir qu’on ne confondît les chevaux mixtes avec les chevaux de luxe, a créé des doutes nouveaux sur le point de savoir quels chevaux doivent le droit de 15 florins ou n’en doivent aucun. Il faut donc faire cesser le doute que fait naître la loi. Mais il faut l’interpréter d’une manière opportune. Je ne crois pas que ce soit à propos du budget des voies et moyens qu’il convienne d’examiner cette question. Si l’on votait la nouvelle loi sur la contribution personnelle, on pourrait lever le doute dans cette loi.

Cette question a plus de portée qu’on ne pense. En effet, si vous déclarez que les chevaux de selle seront exemptés de l’impôt dans les campagnes, autant vaut dire que les chevaux dans les campagnes ne payeront plus l’impôt, parce qu’en général à la campagne tous les propriétaires de chevaux de selle les emploient à quelques travaux légers d’agriculture. Alors vous réduirez votre impôt ; et puis vous ferez naître un autre doute ; quand les chevaux de l’agriculture seront attelés à une voiture suspendue, on pourra encore alors, aussi bien qu’on le prétend aujourd’hui, vexer leurs propriétaires, si vexation il y a. Restera toujours à voir si ces chevaux sont habituellement employés à l’agriculture et accidentellement à l’attelage ; à cet égard les investigations qu’on a qualifiées de vexatoires et toutes les difficultés actuelles ne disparaîtront pas. On le voit, cette question est assez grave.

Quant à moi, comme magistrat, j’ai eu à appliquer la loi, sous le gouvernement des Pays-Bas et sous le gouvernement actuel ; les tribunaux ont été très embarrassés ; par la force des choses, l’application de la loi est très difficile, Je ne sais si l’on ne devrait pas supprimer cette partie de la contribution, à cause de la difficulté de déterminer les cas où le droit est dû, c’est une question à examiner sérieusement.

Quand on dit que cet impôt est supprimé, d’après le projet de loi présenté, ce n’est pas un motif pour faire disparaître l’examen de cette question, surtout en présence de cette déclaration du ministre, qui a pris l’engagement de faire une circulaire pour engager les employés de l’administration à mettre de la retenue et de la modération dans leurs poursuites pour l’application de cette disposition de la loi. Je parle des employés de l’administration, parce que les tribunaux ne peuvent jamais être liés des par circulaires ministérielles.

L’honorable M. Dubus sait mieux que moi, que les actes de cette nature ne peuvent jamais tenir lieu de loi devant la justice. D’après ces considérations et en présence des difficultés de la question, je pense que nous devons attendre que nous soyons saisis de la loi sur la contribution personnelle, pour examiner la proposition faite par M. Savart.

M. Vandenbossche. - Je demande la parole pour appuyer la proposition de l’honorable M. Savart.

Les instructions ministérielles paraissent assez claires : quand le paysan s’est muni d’un porte-manteau, ou d’un sarrau, son cheval ne paie pas. Mais quelles que soient les mesures que l’on prenne pour l’alléger, cet impôt sur les chevaux habituellement employés à l’agriculture est même contraire à l’industrie agricole. Un paysan, éleveur de chevaux, doit pouvoir dresser son cheval ; or, pour le dresser, il faut qu’il puisse monter dessus.

On paraît craindre, messieurs, que si la proposition était adoptée, on ne parvînt à faire passer les chevaux de luxe pour des chevaux de travail ; mais cette crainte n’est pas fondée, attendu que les chevaux de labeur sont suffisamment reconnaissables.

J’ai dit, et je persiste à dire, que cet impôt est nuisible à l’industrie agricole. Je m’oppose à l’ajournement.

M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, je ne conteste pas les vérités que vient de proclamer l’honorable M. Vandenbossche, je ne conteste pas non plus les raisons données par l’honorable M. Savart à l’appui de son amendement ; cependant il faut bien reconnaître que cet amendement nous arrive dans une circonstance un peu extraordinaire. Toutes les sections centrales qui ont été chargées d’ouvrir les projets de lois tendant à régler les voies et moyens ont toujours posé le principe qu’il ne faut pas, à l’occasion du budget des voies et moyens, modifier des lois spéciales d’impôts. C’est cependant un changement à une loi spéciale d’impôt que l’amendement de l’honorable M. Savart tend à consacrer. L’honorable membre désire que la chambre interprète deux lois qui existent, je pense, sur cette matière. Eh bien, messieurs, je me permettrai de donner ici un conseil à l’honorable M. Savart ; qu’il consente à faire de son amendement un projet de loi spéciale, et qu’il en propose le renvoi soit à une commission, soit à la section centrale. Si la proposition nous est renvoyée, nous l’examinerons et nous tâcherons d’éclaircir la question ; mais en présence d’une première loi interprétative que nous avons portée et qui paraît jeter sur la matière dont il s’agissait plus de doute qu’il n’y en avait auparavant, je n’aime pas à improviser une interprétation qui peut-être ferait tort à ceux en faveur desquels on demande cette interprétation. L’honorable M. Savart nous a fait observer qu’il y a désaccord complet entre les tribunaux ; mais est-ce bien en improvisant un amendement que l’on fera cesser ce désaccord ? Quant à moi, j’en doute, et je vous annonce, messieurs, que dans la position où je me trouve, je ne saurais émettre un vote sur l’amendement de l’honorable M. Savart ; mais si nous pouvions l’examiner attentivement, il nous serait peut-être possible de faire une proposition dans un bref délai.

Je demanderai donc messieurs, que l’amendement de l’honorable M. Savart soit renvoyé à une commission ou à la section centrale pour faire l’objet d’un projet de loi spécial.

M. Savart-Martel. - Il me paraît, messieurs, que tout le monde est d’accord, qu’il y a quelque chose à faire, que la loi laisse quelque chose à désirer dans son interprétation. Ce motif me paraît déjà bien puissant pour engager la chambre à adopter mon amendement. On dira peut-être que ce n’est que l’affaire d’une année, mais quand ce ne serait que l’affaire de 2 ou 3 mois, justice est due aux contribuables aussi bien pour quelques mois que pour une ou plusieurs années.

Je donnerai une explication à l’honorable M. de Garcia qui a dit ne pas bien saisir la portée de mon amendement. Mon amendement concerne les chevaux tenus par les fermiers et habituellement employés à l’agriculture ; je ne voudrais pas faire une proposition qui ne renfermât pas ce mot habituellement, car alors les inconvénients que craint l’honorable M. de Garcia pourraient être réels, alors le trésor pourrait essayer des pertes auxquelles je ne voudrais pas l’exposer.

Le texte de la loi actuelle porte également : « Chevaux habituellement employés à l’agriculture, » mais il y a divergence sur la question de savoir si un fermier doit l’impôt parce qu’il aura été rencontré se trouvant par hasard sur l’un de ses chevaux, employés habituellement à l’agriculture ; la difficulté consiste à reconnaître si le cheval est employé habituellement à l’agriculture et accidentellement à autre chose, ou s’il est employé habituellement comme cheval de luxe, et accidentellement comme cheval de labour. Voilà, messieurs, le véritable point sur lequel il y a désaccord, et cette différence est très difficile à saisir : en effet, lors qu’un fermier est rencontré à cheval, comment savoir s’il se rend à un marché voisin ou à une partie de plaisir ? Si les employés avaient le discernement de M. le ministre des finances, ils pourraient bien faire la distinction entre les chevaux qui doivent payer l’impôt et ceux qui en sont affranchis, mais c’est ce que nous ne pouvons pas exiger d’eux ; nous ne pouvons pas exiger que les employés soient plus sages que les tribunaux qui sont constamment en doute sur la question de savoir s’il faut condamner ou ne pas condamner. Il faut donc convenir, messieurs, que la loi laisse quelque chose à désirer.

L’honorable M. Demonceau voudrait que je retirasse ma proposition pour en faire l’objet d’un projet de loi spécial ; mais, messieurs, j’ai toujours cru que c’était dans la discussion du budget des voies et moyens qu’il convenait de présenter les propositions relatives à la perception des impôts. Je n’ai pas empêché que mon amendement fût renvoyé à la section centrale ; je l’ai présenté au commencement de la discussion, et si on l’avait renvoyé alors à la section centrale, nous aurions pu avoir aujourd’hui un rapport ; mais il n’a pas été question d’un semblable renvoi, et la chambre a décidé que ma proposition serait discutée lorsqu’on s’occuperait de l’art. 1er.

Remarquez, messieurs, que toutes les contestations auxquelles la loi actuelle donne lieu, ne vont pas devant les tribunaux ; on aime généralement mieux payer 15 fr. que de plaider, d’autant plus que ces procès vont presque toujours en appel. Je suis convaincu que cela se fait à l’insu de M. le ministre des finances ; mais il est facultatif que, pour cette misérable somme de 15 francs, les paysans sont forcés d’aller en appel ou de payer sans mot dire. Croyez-vous, messieurs, que le gouvernement gagne à cela ? Évidemment non ; je pense qu’il perd plus par les faux frais, les embarras, les tracasseries auxquels la législation actuelle donne lieu, qu’il ne perdrait si la loi était interprétée comme je demande qu’elle le soit.

On nous a cité des exemples, messieurs, et à mon tour, je puis vous en citer un : J’ai vu un fermier qui offrait d’abandonner son cheval pour le montant de l’impôt ; on a refusé son offre, on lui fait un procès, il a fini par transiger, et il a dû payer 80 fr. Eh bien messieurs, il s’agissait d’un cheval qu’il avait acheté 10 fr. ; ce n’était certes pas là un cheval de luxe.

M. de Mérode. - Il aurait fallu destituer l’employé.

M. Savart-Martel. - Je ne me fais pas le dénonciateur d’un employé ; cet employé peut avoir eu de très bonnes intentions ; il a été guidé par un excès de zèle, mais ce n’en est pas moins de l’arbitraire, et c’est cet arbitraire qu’il faut cesser en modifiant la loi.

M. Demonceau, rapporteur. - Si j’ai proposé le renvoi de la proposition de M. Savart à une commission, c’est vraiment pour l’aider à sortir de la position où il doit se trouver en ce moment. Il est certain que l’honorable membre ne peut pas réussir maintenant à convaincre la chambre que son amendement fera cesser tout doute. Je lui demanderai, par exemple, comment il entend le mot habituellement ? combien de fois faudra-t-il qu’un fermier ait employé son cheval à d’autres usages qu’aux travaux d’agriculture, pour que ce cheval soit considéré comme n’étant pas employé habituellement à ces travaux ? quand y aura-t-il habitude ? Il me semble que sur ce point l’honorable M. Savart devrait s’expliquer plus clairement s’il veut mettre fin aux tracasseries que sa proposition a pour objet de faire cesser ; car dès le lendemain de la promulgation de la loi il y aurait doute sur la signification du mot habituellement.

M. de Garcia. - L’honorable M. Savart a dit que je n’avais pas bien compris sa proposition ; je crois, messieurs, l’avoir très bien comprise. Où se trouve la difficulté dans l’application de la loi actuelle ? Cette difficulté se trouve tout entière dans ce qu’on doit entendre par les mots employés habituellement à l’agriculture et accidentellement à la selle ou à l’attelage des voitures suspendues. Or, je le demande, la proposition faite lève-t-elle toute difficulté ? Evidemment non. Les employés qui rédigent les procès-verbaux, et les magistrats qui sont appelés à juger des affaires semblables, seront encore incertains sur la portée qu’il faudra donner à la loi qu’on propose ; cette portée n’est pas définie suffisamment.

La proposition de l’honorable M. Savart ne fait disparaître qu’une partie du doute ; elle fait disparaître la difficulté en ce qui concerne le mot accidentellement, mais elle la laisse substituer, quant au mot habituellement. Cependant je puis dire que lorsque j’ai été appelé à juger de ces contestations, le mot habituellement m’a tout autant embarrassé que l’expression accidentellement.

Je crains, messieurs, que la proposition de l’honorable M. Savart mérite toute l’attention de la chambre, mais qu’il faut la renvoyer à une commission spéciale, afin que cette commission présente une proposition nette et formelle, une proposition qui fasse disparaître à l’avenir toute espèce de doute sur l’application de la loi.

M. Savart-Martel. - Messieurs, je me suis servi dans mon amendement de l’expression même consacrée dans la loi qui parle des chevaux employés habituellement à l’agriculture. L’honorable M. de Garcia a dit avec raison que ce mot dans l’exécution prêtait matière à un doute. Il n’y a pas seulement un doute, il y en a deux ; or, mieux vaut sans doute d’en faire disparaître un que d’en laisser subsister deux. Au reste, on sait que les chevaux dont il s’agit sont ceux qui sont employés journellement au labour, de manière que quand ils sont à la selle, c’est par exception.

M. de Mérode. - Messieurs, la preuve qu’il faut renvoyer l’examen d’un semblable amendement à une commission, c’est qu’il y a d’autres individus qui sont taxés par la loi actuelle, plus injustement même que ceux dont on a parlé. Ainsi, par exemple, les maîtres de poste sont encore obligés de payer la taxe, quoiqu’ils soient notoirement dans la plus grande gène. Toutes ces modifications doivent être mûries davantage et ne peuvent pas être introduites légèrement à l’occasion du budget des voies et moyens.

M. le président. - M. le ministre des finances a demandé l’ajournement de l’amendement en proposant que cette disposition devienne, s’il y a lieu, l’objet d’une loi spéciale.

M. Demonceau, de son côté, a proposé de renvoyer l’amendement à l’examen soit d’une commission, soit de la section centrale du budget des voies et moyens,

M. le ministre des finances (M. Smits) - Ma proposition est en quelque sorte identique avec celle de l’honorable M. Demonceau ; je demande seulement que la disposition proposée par l’honorable M. Savart ne soit pas insérée dans le projet de loi du budget des voies et moyens.

M. Savart-Martel déclare se rallier à la proposition de M. Demonceau.

M. Cools propose le renvoi de l’amendement à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur la contribution personnelle.

M. Dubus (aîné). - Nous ne savons pas quand cette section centrale sera nommée, et cependant l’honorable M. Demonceau a entendu, je pense, en faisant sa proposition, que l’amendement de M. Savart ferait l’objet d’un examen immédiat.

M. Demonceau, rapporteur. - J’ai entendu, en effet, que le renvoi serait ordonné à une commission qui serait chargée d’examiner spécialement et dans un bref délai la disposition proposée par l’honorable M. Savart. Ainsi, l’on pourrait d’abord mettre aux voix la question de savoir si l’on renverra à une commission spéciale.

M. Cools. - Il faut bien s’entendre sur la portée du vote qu’on nous demande. Si on renvoie l’amendement à l’examen d’une commission spéciale, on décide implicitement que la proposition fera l’objet d’une loi spéciale ; si, ce qui est plus rationnel, on envoie à la section centrale qui examinera la loi sur la contribution personnelle, l’objet dont il s’agit n’en sera pas moins pris en considération dans un bref délai ; cette section centrale examinera quelles modifications il y a lieu d’apporter à la loi sur la contribution personnelle, et la proposition se fondera dans la loi générale,

M. Demonceau. - En faisant ma proposition, j’ai entendu que l’amendement serait examiné le plus tôt possible. Or, si vous voulez que la question soit examinée dans un très bref délai, il ne faut pas renvoyer l’amendement à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur la contribution personnelle.

M. Cools. - Tout le monde sera d’accord sur ce point, qu’il y a lieu d’adopter la division de la proposition, mais je persiste à proposer le renvoi de l’amendement à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur la contribution personnelle.

M. le président. - La proposition est complexe. Le premier point sur lequel la chambre doit statuer d’abord, est celui-ci :

Détachera-t-on du budget des voies et moyens l’amendement de M. Savart.

- Cette question est résolue affirmativement.

La chambre statue ensuite sur le deuxième point de la proposition.

Après deux épreuves douteuses, elle décide que l’amendement ne sera pas renvoyé à l’examen d’une commission spéciale. Elle ordonne ensuite le renvoi de l’amendement à la section centrale, qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur la contribution personnelle.

M. le président. - Nous allons continuer l’examen des articles du projet de loi du budget des voies et moyens.

M. le ministre des finances s’est rallié au paragraphe additionnel proposé par la section centrale. Ainsi, l’art. 1er est ainsi conçu :

« Art. 1er. Les impôts directs et indirects existant au 31 décembre 1842 en principal et centimes additionnels ordinaires, et extraordinaires, tant pour les fonds de non-valeurs qu’au profit de l’Etat, ainsi que la taxe des barrières, continueront à être recouvrés, pendant l’année 1843, d’après les lois et les tarifs qui en règlent l’assiette et la perception. »

- Cet article est adopté.

Article 2

« Art. 2. En attendant l’adoption des lois financières déjà présentées à la législature et de celles qui lui seront présentées dans le courant de cet exercice, afin de porter les recettes de l’Etat au niveau des dépenses, il sera perçu, pour 1843 seulement :

« 1° Sept nouveaux centimes additionnels sur le principal de la contribution foncière ;

« 2’ Dix nouveaux centimes additionnels sur le principal de la contribution personnelle ;

« 3° Dix nouveaux centimes additionnels sur le principal du droit de patente ;

« 4° Dix nouveaux centimes additionnels sur le principal de l’accise des bières et vinaigres. »

La section centrale propose la suppression de cet article.

- Cette suppression, qui est la conséquence de la non-adoption des centimes additionnels, est adoptée.

Article 3 (devenu article 2)

« Art. 3. A partir du 1er janvier 1843, les centimes additionnels sur les droits d’enregistrement, de greffe, d’hypothèques et de successions seront rétablis à leur ancien taux. En conséquence, quatre centimes additionnels seront ajoutés à ceux existants. »

« Art. 2 (de la section centrale correspondant à l’art. 3 du projet du gouvernement). A partir du premier janvier 1843, les centimes additionnels sur les droits d’enregistrement, de greffe et de successions sont portés à trente ; ceux sur les droits d’hypothèques restent fixés à vingt-six. »

Article 4 (renvoyé à une loi spéciale)

« Art. 4. Par modification de l’article 12 de la loi du 27 décembre 1817, aucune dette ne sera admise dorénavant dans le passif des successions donnant lieu à la perception des droits établis par ladite loi, à moins que ces dettes ne soient constatées par des actes authentiques ou ayant une date certaine antérieurement au décès de l’auteur de la succession. »

M. le président. - La section centrale propose le renvoi à une loi spéciale.

M. le ministre des finances (M. Smits) se rallie à cette proposition.

Le renvoi est ordonné.

Article 3

M. le président. - L’article café a été adopté dans une séance précédente.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Cet article doit former l’art. 3.

Article 3 proposé par la section centrale (devenu article 4)

« Le gouvernement est autorisé à aliéner :

« 1° Les rentes désignées au tableau litt. A, annexé à la présente loi ;

« 2° Les parcelles de domaines reprises au tableau litt. B, également annexé à cette loi.

« Les débiteurs des rentes auront trois mois, à partir du jour où la présente loi sera obligatoire, pour opérer le rachat au taux de dix-huit annuités au moins. »

- Cet article est adopté.

Article 5

« Art. 5. D’après les dispositions qui précèdent, le budget des recettes de l’Etat, pour l’exercice 1843, est évalué provisoirement à la somme de cent neuf millions six cent cinquante mille cinquante trois francs (109,650,053 fr.), et les recettes pour ordre, définitivement. à celle de treize millions cinq cent trente-deux mille deux cent vingt-cinq francs (13.552,225 francs), le tout conformément aux tableaux ci-annexés. »

M. Demonceau, rapporteur. - Je pense que si l’on adopte la rédaction de la section centrale, il faut en retrancher les mots provisoirement et définitivement.

- L’art. 5 est adopté avec cette suppression.

Article 6

« Art. 6. Pour faciliter le service du trésor pendant le même exercice, le gouvernement pourra, à mesure des besoins de l’Etat, renouveler et maintenir en circulation des bons du trésor jusqu’à concurrence de la somme de vingt et un millions cinq cent mille francs (21,500,000 fr.), montant de la dette flottante, déduction faite du prêt fait à la banque de Belgique, en vertu de la loi du 1 janvier 1839. »

- Adopté.

Article 7

« Art. 7. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1843. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

M. le président. - Comme il y a eu des amendements, nous devons fixer un autre jour pour le vote définitif.

Plusieurs membres. - M. le ministre se rallie aux amendements.

M. le président. - On paraît désirer vouloir voter immédiatement. Je vais mettre la question aux voix.

- La chambre consultée décide qu’il sera passé immédiatement au vote définitif du budget des voies et moyens.

Les amendements introduits sont successivement mis aux voix et confirmés.

Il est ensuite procédé à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.

En voici le résultat :

81 membres répondent l’appel ;

77 répondent oui ;

2 répondent non ;

2 s’abstiennent.

En conséquence le projet de loi du budget des voies et moyens, pour l’exercice 1843 est adopté.

Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Angillis, de La Coste, Cogels, Cools, Coppieters, David, de Baillet, de la Behr, de Foere, de Garcia de la Vega, Delehaye, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Theux, Devaux, de Villegas, Dolez, Donny, Dubus aîné, Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Huveners, Jadot, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Peeters, Pirmez, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vanden Eynde, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Raikem.

Ont répondu non : MM. Delfosse et Verhaegen.

Se sont abstenus : MM. Savart et Lys.

MM. Savart et Lys.

M. le président - Les membres qui se sont abstenues sont invités à en faire connaître les motifs.

M. Savart-Martel. - Attendu que je ne puis admettre l’exécution même pour 1843 d’une loi néerlandaise que presque tout le monde reconnaît défectueuse, et qui, dans mon opinion, jette au plus odieux arbitraire ; loi que le conseil nous avait ordonné de réviser.

Attendu d’autre part que le refus du budget des voies et moyens pourrait avoir de graves inconvénients, j’ai cru devoir m’abstenir.

M. Lys. - Je n’ai pas donné mon assentiment au budget à cause de l’admission de centimes additionnels sur l’enregistrement ainsi que l’approbation indirecte donnée à la réduction des intérêts sur le prêt fait à la banque de Belgique Je n’ai pas voulu coopérer, par mon vote, au rejet du budget, pour ne pas retarder la perception générale des impôts.

Rapport sur une pétition

M. Demonceau propose à la chambre de statuer sur les conclusions de la section centrale, relatives à la pétition des brasseurs de Louvain, et tendant au renvoi de cette pétition à M. le ministre de l’intérieur.

M. de La Coste appuie ces conclusions en faisant remarquer qu’il a été dans l’erreur lorsqu’il a répondu affirmativement à l’observation de M. Demonceau que « probablement les griefs des brasseurs, au sujet des droits à l’entrée des villes, existent probablement à Louvain vis-à-vis des brasseurs des autres villes. » La personne que les brasseurs de Louvain ont choisie pour leur organe lui a écrit que « Les bières externes ne sont frappées que du même droit que les bières fabriquées dans la ville. »

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées ; en conséquence la pétition des brasseurs de Louvain est renvoyée à M. le ministre de l’intérieur.

Nomination des membres de la cour des comptes

M. le président rappelle à la chambre que le mandat des membres de la cour des comptes expire le 6 janvier prochain ; il propose de mettre leur nomination à l’ordre du jour d’une prochaine séance.

Plusieurs membres. - A demain.

M. de Garcia. - Nous avons le droit de choisir les membres de la cour des comptes ; si nous fixons cette nomination à demain, notre droit devient illusoire. Je propose de fixer cette nomination au 15 de ce mois.

- Cette proposition est adoptée.

La chambre adopte également une proposition de M. de Garcia tendant à ce que la liste des membres de la cour des comptes soit imprimée et distribuée aux membres de la chambre.

Projet de loi portant les budgets de la dette publique et des dotations de l'exercice 1843

Discussion générale

M. Cogels, rapporteur. - La section centrale avait proposé de retrancher provisoirement du budget les articles 19 et 20, qui auraient pu faire l’objet d’une proposition spéciale, lorsque la convention avec la ville de Bruxelles serait signée, et la loi promulguée. La loi est maintenant promulguée ; puisque la cause disparaît, l’effet doit aussi disparaître. La section centrale propose donc de rétablir les 300,000 fr., mais de supprimer 8,000 fr. pour frais démission des obligations, parce qu’elle ne voit pas la nécessité d’émettre des titres.

M. le président. - M. le ministre des finances se rallie-t-il aux modifications proposées par la section centrale aux articles 15 et 16 ?

M. le ministre des finances (M. Smits) - Oui, M. le président.

J’ai à proposer une modification qui ne change rien au résultat du budget, je propose d’ajouter un article sous le n° 26 ainsi libellé : « Intérêts et amortissement du capital employé à l’achat de la British Queen : fr. 150,000 fr. » et de retrancher cette somme de l’art. 21. Ainsi les 500,000 fr. de la dette flottante se trouveraient réduits à 350,000 fr.

M. de Foere. - Messieurs, la section centrale a émis dans son rapport quelques opinions auxquelles je ne puis m’associer. Je les crois assez importantes pour mériter l’attention de la chambre. Ces opinions tendent à instituer une commission de surveillance qui aurait pour objet l’amortissement de la dette publique et l’emploi des fonds de dépôt et de consignation. Quant à la première attribution de cette commission, ce serait une espèce de syndicat d’amortissement qui serait sans objet. La section centrale en convient, en quelque sorte elle-même, puisqu’elle avoue que nos fonds publics s’élèvent presque toujours au dessus du pair et que, d’après les conditions de nos principaux emprunts, l’action de l’amortissement ne peut s’exercer que lorsque nos fonds sont au pair ou au-dessous de cette cote. Ce serait donc instituer une commission qui, sous ce rapport, resterait presque toujours sans objet.

En effet, messieurs, l’opinion de la chambre est que, comparativement aux fonds étrangers, les nôtres doivent plutôt monter que descendre. Mais la section centrale invoque à son appui l’avenir. Des événements pourraient surgir, dit-elle, qui feraient baisser nos fonds au-dessous du pair, et alors la commission deviendrait utile et pourrait exercer ses attributions.

Messieurs, c’est là baser l’action d’une commission sur de pures éventualités. Ces cas ne sont d’ailleurs pas probables, et, alors même qu’ils arrivent, ils ne sont pas de longue durée. Aussi les détenteurs des fonds publics ne se laissent plus effrayer si facilement par des événements politiques pour jeter leurs valeurs sur le marche. Après la crise, nos fonds reprennent leur position antérieure. Aussi il a été prouvé par le fait, pendant la dernière crise, que nos fonds n’ont baissé tout au plus que de 2 p. c, ; ils ont repris en peu de temps leur ancienne valeur.

L’amortissement chez nous n’est pas comparable à celui de la France. Dans ce dernier pays, l’amortissement exerce une action très puissante ; c’est une action de tous les jours. Voilà pourquoi il existe en France une commission d’amortissement ; mais ici elle ne pourrait presque jamais exercer ses attributions.

Il reste maintenant l’autre objet : les fonds de dépôt et de consignation. Pour appuyer son opinion, la section centrale invoque celle de la cour des comptes, énoncée à la page 20 de son dernier cahier d’observations, les remarques de cette cour, dit la section centrale, ont dû frapper les membres de cette chambre. Il est vrai, messieurs, ces observations m’ont frappé ; mais elles ne m’ont pas touché dans le sens de la section centrale, car la cour des comptes arrive à une conclusion toute différente de celle de la section centrale. Pour obvier aux abus, elle réclame, non une commission de surveillance, mais une bonne loi de comptabilité, par laquelle il lui serait accordé un contrôle efficace sur l’emploi des fonds de dépôt et de consignation. C’est donc à tort que la section centrale invoque l’opinion de la cour des comptes pour établir l’utilité ou la nécessité d’une commission de surveillance à l’égard de ces fonds. En effet, messieurs, cette commission ne serait autre chose qu’une institution parasite à celle de la cour des comptes. Nous obtiendrons notre but par une bonne loi de comptabilité publique et ce but sera atteint par l’exercice du contrôle et des attributions de la cour des comptes.

Je ne combattrai plus une autre opinion, émise par la section centrale, par laquelle le transfert des trois millions de la banque de Belgique à la caisse de l’Etat serait sans objet comme sans but utile. A mon avis, cette opinion a été entièrement démolie dans la séance d’hier. Mais je porterai mes observations sur les puissants intérêts qui se rattachent à notre dette flottante.

Depuis 1833, cette dette vient au secours de deux besoins du pays. Elle est émise en partie pour faciliter les opérations du trésor, lorsque ses rentrées ne s’opèrent pas au moment de ses besoins, et, en partie, pour couvrir les déficits que laisse le budget des voies et moyens, et, nonobstant cette dernière destination de notre dette flottante, tous nos ministères n’en continuent pas moins de dire que la balance est établie entre les recettes et les dépenses. Or, il est évident que l’on couvre constamment un déficit de recettes, plus ou moins considérable, au moyen d’un emprunt, car les bons du trésor qu’on lève à cet effet, ne sont autre chose que des emprunts qu’il faut transférer plus tard de la dette flottante à la dette consolidée. Il est déplorable, messieurs, qu’un principe de bonne administration financière, admis et pratiqué par toutes les nations, reste constamment chez nous, soit à l’état de contestation, soit sans exécution. En temps de paix, au lieu d’augmenter votre dette publique par des emprunts, il faut chercher, par tous les moyens, à la diminuer et à balancer vos dépenses par les revenus ordinaires et réguliers. Je viens de voter pour le budget des voies et moyens, mais je dois déclarer d’avance, messieurs, que si une partie de nos dépenses devait encore être couverte par des bons du trésor, c’est-à-dire par des emprunts, je voterai contre le budget des voies et moyens, à moins que des motifs, que je ne puis prévoir, ne m’engagent à m’abstenir.

Je finirai en rappelant aux souvenirs de la chambre les observations que j’ai émises, pendant plusieurs années antérieures, sur le mode d’émission de notre dette flottante, en tant qu’elle doit servir à faciliter les opérations du trésor. Cette dette ne diffère, dans les caractères essentiels, de la dette consolidée que par le grave inconvénient de ses échéances. Tous ses autres caractères sont les mêmes. En effet, le crédit d’une dette ne repose exclusivement que sur la solvabilité et la probité du débiteur. Or, le débiteur de la dette flottante et le débiteur de la dette consolidée est le même, c’est l’Etat.

Je suis persuadé qu’il y a moyen d’émettre notre dette flottante à un intérêt de beaucoup inférieur à celui auquel elle est émise aujourd’hui. Ce moyen consisterait en adoptant le mode établi en Angleterre, ou en Prusse, ou en France, ou en extrayant de ces différents modes d’émission ce que l’expérience aurait consacré comme le plus avantageux aux intérêts du pays, Il en résulterait, sans aucun doute, une grande circulation des effets de notre dette flottante, quoique émise à un taux inférieur, et cette circulation faciliterait beaucoup nos transactions journalières. C’est cette raison, ajoutée à celle de l’allégement des charges publiques, qui fait qu’en Angleterre la dette flottante est très populaire.

Un honorable membre de cette chambre, c’était, si je ne me trompe M. Rogier, a émis une semblable opinion dans la discussion du budget des voies et moyens.

Les effets de notre dette flottante entreraient dans la circulation, parce que leur garantie reposerait sur la solvabilité de l’Etat. Les billets de banque entrent dans les transactions journalières, parce que eux aussi ils reposent sur la solvabilité des sociétés qui les émettent. Or, le crédit de l’Etat tout entier est certes supérieur à celui d’une société quelconque, quelles que soient les garanties qu’elles présentent. Les effets d’une dette flottante, émise comme en Prusse ou en Angleterre ne sont pas échangeables sur présentation et ils ne sont pas payables à échéances fixes ; vous éviteriez donc ainsi l’un et l’autre grave inconvénient.

M. Cogels, rapporteur. - Messieurs, l’honorable préopinant, pour vous effrayer de la commission que la section centrale vous propose, lui a donné le nom de syndicat d’amortissement, syndicat de fâcheuse mémoire, mais qui, je crois, n’a aucune espèce de rapport avec la commission telle que la section centrale vous propose de l’établir.

Quelle est l’intention de la section centrale, messieurs ? Ce n’est pas de jeter un voile sur les opérations de la caisse d’amortissement, ou de la caisse des dépôts et de consignations ; c’est au contraire de leur donner la publicité que ces opérations ont en France, en Angleterre, dans tous les pays constitutionnels ; c’est surtout de régler l’emploi des fonds, de manière à ce que jamais leur emploi ne puisse servir d’aliment, d’encouragement à l’agiotage.

L’honorable préopinant vous a dit que la section centrale elle-même avait reconnu que l’action de l’amortissement serait complètement nulle. Ceci est une grave erreur ; la section centrale n’a pas dit pareille chose. Elle a dit que pour le moment l’action serait peu importante, parce qu’effectivement, tant que notre 5 p. c. est au-dessus du pair, l’amortissement n’agit que sur le 3 et le 4 p.c.

Maintenant, messieurs, d’après les informations que j’ai prises, voici comment se font les achats de la caisse d’amortissement : Chaque semestre on fait l’achat en une seule fois pour tout le semestre, et comme cet achat doit se faire en partie à Paris, qu’arrive-t-il ?

C’est qu’à Paris, où notre 3 p.c. n’est pas du tout courant ou très souvent il n’est pas coté de toute une semaine, de toute une quinzaine, lorsque l’ordre d’acheter arrive, l’agent qui a cet ordre, peut par une demande d’un fonds qui n’existe pas au marché, élever le taux. Et c’est ainsi que le gouvernement est exposé à payer beaucoup plus qu’il ne devrait le faire.

L’action de l’amortissement, soumis à la surveillance d’une commission, pourrait le régler, non pas comme en France, jour par jour, parce que la chose serait trop importante pour notre 3 et 4 p. c., mais on pourrait, par exemple, la répartir par semaine ; de cette manière chaque achat se ferait pour une semaine, il ne serait pas assez important pour exercer la moindre influence sur les cours, et il y aurait cet avantage, que nous aurions toujours le cours moyen du semestre.

Messieurs, les prévisions de la section centrale, relativement aux événements qui pourraient survenir ne sont pas aussi chimériques que l’honorable M. de Foere a bien voulu nous les dépeindre, et il ne faut pas que je me reporte bien loin, pour vous citer une circonstance où pendant plus de quatre mois notre 5 p. c. a été au-dessous du pair. Il n’est pas tombé de 2 p. c, comme l’a dit l’honorable membre, mais de 14 à 15 p. c. ; c’est-à-dire que notre 5 p.c., qui avait été constamment côte à 104, est tombé au mois de septembre ou octobre 1840 à 89 ou 90, même peu de temps après que nous avions conclu la première partie de l’emprunt avec la Société Générale. Moi-même, je me rappelle avoir acheté dans les cours de 90 à 91. Eh bien, la commission aurait pu profiter de cette circonstance pour faire des achats extrêmement avantageux. Ces événements peuvent se représenter ; il ne faut pas se le dissimuler, nous ne pouvons pas enchaîner l’avenir. Il ne faut pas perdre de vue, d’ailleurs, que notre crédit ne subsiste pas par lui-même ; nous subissons l’influence des marches qui nous entourent ; nos fonds sont négociables à Paris et à Londres, et aussitôt qu’il y a une panique sur l’une de ces places, cette panique vient réagir sur les bourses de la Belgique.

Au reste, ce qu’a dit l’honorable membre ne détruit nullement la nécessité d’une commission chargée de surveiller l’emploi des fonds des dépôts et des consignations. Au commencement, ces fonds n’étaient pas très considérables, mais ils peuvent le devenir, et il s’agit déjà aujourd’hui de 13 à 14 millions, dont il faut non seulement faire l’emploi, mais encore assurer la conservation et la perception des intérêts.

En France, les fonds des dépôts et consignations sont inscrits en rentes nominatives, au nom de la commission ; en Belgique ils sont convertis en obligations au porteur, qui sont confiées à la garde de je ne sais qui. Je mets ici (et les liens d’amitié qui m’attachent à M. le ministre des finances me permettent de m’expliquer à cet égard avec beaucoup plus de liberté que je ne le ferais autrement), je mets ici à l’abri de toute espèce de doute la probité de tous les ministres ; mais qui me dit qu’un employé infidèle ne pourrait surprendre la clef qui enferme ces obligations ? Qui nous garantit qu’elles ne pourraient pas être soustraites ? Comment ! vous exigez l’intervention de la cour des comptes, vous exigez le visa de la cour des comptes, pour le moindre payement, pour des sommes de 2 ou 3,000 fr., et vous abandonnez à l’administration, sans aucune espèce de contrôle le maniement d’une somme de 15 millions, et le recouvrement des intérêts de cette somme. Vous comprenez, messieurs, que cela ne se peut pas.

La chose est d’autant plus vicieuse, à mes yeux, que l’importance de la caisse des dépôts et consignations peut s’accroître encore. En France, la caisse des dépôts et consignations ne s’élevait, au 31 décembre 1817, je pense, qu’à 10 millions ; aujourd’hui elle s’élève à 416 millions.

Ainsi, messieurs, vous voyez que s’il n’y a peut-être pas une bien grande importance attachée aux opérations de la caisse d’amortissement, l’importance de la caisse des dépôts et consignations est très grande et ne peut que s’accroître.

Cette importance sera beaucoup plus grande encore, si un jour vous prenez en Belgique la mesure qui a été prise en France, où l’on a ordonné le versement dans la caisse des dépôts et consignations des fonds de la caisse d’épargne.

Quant à la dette flottante, messieurs, je partage l’opinion de l’honorable M. de Foere dans un certain sens, c’est qu’effectivement, la dette flottante ne doit jamais servir à combler des déficits reconnus, des déficit existants, qu’elle ne doit servir qu’à faciliter le mouvement du trésor, c’est-à-dire à équilibrer les épargnes des recettes et des dépenses.

En ce qui concerne le mode d’émission que l’honorable M. de Foere a développé dans d’autres circonstances, et qui est usité en Angleterre mais non pas en France, comme le pense l’honorable membre, je crois que ce mode n’est pas praticable en Belgique, c’est-à-dire que s’il y était pratiqué il en résulterait pour le gouvernement des inconvénients et aucun avantage. Quelle est la cause, messieurs, qui favorise l’émission des bons de l’échiquier en Angleterre ? C’est que Londres est un très grand centre financier ; vous avez à Londres une foule d’établissements, vous y avez toutes les compagnies d’assurance, un nombre considérable de caissiers qui ont des dépôts de toutes les maisons de commerce ; là les billets de l’échiquier sont une espèce de papier-monnaie portant intérêt et coursable, que l’on peut vendre tous les jours à la bourse, qui porte intérêt jour par jour ; l’intérêt est fixé à autant de deniers par 100 liv. st. et par jour. Ces billets se négocient à prime ou à perte selon que les capitaux sont abondants ou rares,

Mais, messieurs, en Belgique, nous n’avons pas le même mouvement à espérer ; en Belgique, presque toutes les transactions se résolvent par des transferts d’un compte à un autre. Ainsi à Anvers, qui est notre seule place de commerce un peu importante, toutes ces transactions se résolvent par des transferts faits à la banque, d’un compte courant à un autre. Il ne faut pas dès lors de grands capitaux aux négociants, comme en Angleterre.

Aussi, M. le ministre des finances pourrait nous dire que, généralement, nos bons du trésor ne vont pas dans des mains qui ne les prennent que comme placement purement temporaire ; on les demande très souvent à des échéances assez longues et pour un capital assez élevé, et ordinairement c’est la main qui les a pris qui vient en demander le remboursement, Vous voyez donc, messieurs, qu’il serait impossible d’appliquer en Belgique le mode d’émission que l’on suit en Angleterre.

Je bornerai ici mes observations, messieurs, pour le moment, parce que si je voulais parler et de votre dette et de la question de l’amortissement, et de la question de la conversion qui peut- être se soulèvera, j’en aurais encore pour plus d’une demi-heure. Je remettrai donc cela à une autre séance.

M. Rodenbach. - Il est vrai, messieurs, que la section centrale a exprime le vœu de voir former une commission de surveillance, mais elle s’est bornée à émettre ce vœu. Lorsque nous examinerons la loi de comptabilité, nous pourrons examiner cette question.

L’honorable préopinant, que j’ai écouté avec un vif intérêt, a dit que l’établissement d’une commission de surveillance diminuerait l’agiotage ; mais nous devons examiner si cela n’aurait pas un résultat contraire. D’ailleurs, messieurs, en Belgique, cet objet n’a pas l’importance qu’il a en France : la il s’agit de plusieurs centaines de millions, tandis qu’ici il ne s’agit que d’une douzaine de millions.

Si vous voulez établir à Bruxelles une commission permanente, cette commission devra être payée ; si vous choisissez des membres de la chambre des représentants, ces membres devront résider à Bruxelles, et ils devront dès lors être payés. Si vous choisissez des personnes qui habitent la capitale, comme vous devrez prendre des hommes capables, il est très probable que votre choix devra porter sur des hommes d’affaires qui connaissent les opérations financières et dans ce cas, il est à craindre qu’au lieu de diminuer l’agiotage, vous ne l’augmentiez.

Je n’accuse ici personne ; je suis persuadé que M. le ministre chercherait des personnes qui présenteraient toutes les garanties désirables, mais rien ne vous garantit cependant que parmi les membres de la commission il ne s’en trouverait pas qui arrangeaient les affaires de manière à pouvoir agioter eux-mêmes. Je crois, messieurs, que nous devons examiner cette question très mûrement et que le moment de la traiter sera venu lorsque nous discuterons la loi de comptabilité qui nous sera présentée sous peu ; alors nous pourrons peser les avantages et les inconvénients de la mesure et nous prononcer en connaissance de cause.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je crois en effet, messieurs, que la question de l’établissement d’une commission de surveillance de la caisse des consignations et des cautionnements est prématurée, et qu’elle pourra être examinée avec plus de fruit lorsqu’il s’agira des lois sur la comptabilité et sur la cour des comptes. En attendant, je puis assurer à la chambre que les fonds provenant des consignations et ces cautionnements sont administrés avec beaucoup d’attention et de sollicitude. Cette administration a été confiée jusqu’à présent au directeur du trésor, qui agit sous la surveillance immédiate du ministre et je puis assurer qu’il serait difficile de rencontrer dans le pays entier un fonctionnaire plus intelligent et plus intègre.

Du reste, messieurs, je n’entends émettre aucune opinion sur la question en elle- même, mais, je le répète, je crois qu’elle pourra être examinée plus utilement lorsque nous nous occuperons de la loi de comptabilité. Cette loi, comme je vous l’ai dit, est en ce moment soumise à l’examen de mes collègues, et j’espère pouvoir la présenter bientôt à la chambre.

Je saisirai cette occasion pour soumettre une réflexion à l’honorable député de Thielt. Cet honorable membre a dit tantôt que dorénavant il donnerait difficilement son vote approbatif à un budget des voies et moyens qui n’établirait pas un parfait équilibre entre les recettes et les dépenses, et par cet équilibre l’honorable membre entend que les recettes couvrent non seulement les dépenses portées au budget, mais encore la dette flottante.

Or, vous savez, messieurs, que notre dette flottante s’élève aujourd’hui à la somme de 21 millions ; résultat des défauts de tous les exercices antérieurs ; s’il fallait aujourd’hui créer des voies et moyens pour 21 millions au-delà des dépenses ordinaires du budget général des dépenses, je crois que la mission serait extrêmement difficile. A mon avis, le montant de la dette publique doit s’éteindre graduellement par les excédants et les économies des budgets, et c’est à établir ces excédants que le gouvernement et les chambres doivent tendre. Mais couvrir tout d’un coup et les dépenses du budget et le montant de la dette flottante, cela me paraît une œuvre très difficile à réaliser, à en juger seulement d’après ce qui vient de se passer.

M. de Foere. - L’honorable rapporteur de la section centrale, dans la réponse qu’il m’a faite, a enlevé toute l’importance qu’il avait donnée à la question de la commission d’amortissement ; il ne sera donc plus nécessaire de revenir sur ce point mais, en revanche, il a porté toute cette importance sur les fonds de dépôt et de consignation. Il persiste à penser qu’une commission serait nécessaire pour surveiller l’emploi de ces fonds. Il a particulièrement insisté sur la nécessité de donner de la publicité à cet emploi. Il en résulte qu’aujourd’hui cette publicité n’existe pas et qu’il convient d’obvier à cet abus.

L’honorable membre invoque l’opinion de la cour des comptes qui demande que cette publicité soit réalisée ; mais la cour des comptes, comme j’en ai fait l’observation, n’en vient pas à une commission de surveillance ; pour atteindre ce but elle réclame une bonne loi de comptabilité qui lui accorderait un contrôle efficace sur l’emploi des fonds de dépôt et de consignation. Par ce contrôle, la publicité de l’emploi de ces fonds serait garantie.

Il n’est donc pas nécessaire d’établir une commission parasite à côté de la cour des comptes, cette surveillance publique entre d’ailleurs dans ses attributions naturelles.

Ainsi, il n’y a pas lieu de créer un établissement particulier qui coûterait encore à l’Etat, et qui exercerait les mêmes attributions que la cour des comptes.

L’honorable membre prétend que j’avais proposé un mode d’émission de la dette flottante, semblable à celui qui est suivi en Angleterre ; c’est inexact.

M. Cogels. - Vous l’avez dit dans vos discours antérieurs.

M. de Foere. - Votre réponse devrait s’appliquer au discours que je viens de prononcer ; mais, dans tous les cas, c’est encore une erreur. J’ai toujours laissé à nos ministres des finances le choix entre les différents modes en Angleterre, en Prusse et en France, et dans la séance d’aujourd’hui, j’ai de plus proposé un mode d’émission qui résulterait d’une sage combinaison des différentes émissions en pratique dans ces derniers pays.

Alors même que j’aurais proposé exclusivement le système anglais, je ne pourrais me ranger de l’opinion que l’honorable rapporteur a exprimée sur l’usage établi en Angleterre.

Sans doute, nos transactions ne sont pas aussi colossales que celles qui s’exécutent en Angleterre au moyen des bons de l’échiquier ; tout en adoptant chez nous un mode plus ou moins analogue au système anglais, il ne faudrait pas émettre ici une dette flottante d’un chiffre aussi considérable que celui de la dette flottante en Angleterre ; il faudrait proportionner la masse des effets de la dette flottante, et leur valeur à l’importance et aux transactions de la Belgique et les circonscrire dans ces limites ; ces effets auraient proportionnellement les mêmes résultats qu’en Angleterre.

L’honorable membre a restreint dans un sens absolu, la dette flottante au service du trésor, lorsque ses rentrées ne sont pas opérées en temps utile. Je ne puis non plus accepter cette opinion. Il est vrai, et j’en suis déjà convenu, c’est là la destination particulière de la dette flottante ; mais si nous pouvons arriver à un mode plus économique d’émission des bons du trésor, et que, dans des cas imprévus, nous eussions encore besoin de lever un léger emprunt, il serait préférable de le lever au moyen de bons du trésor, sauf à le consolider dans des circonstances favorables. C’est la pratique suivie en Angleterre. Cette politique financière a plusieurs avantages. L’emprunt est moins onéreux pour le pays, parce qu’il n’est pas chargé d’intérêts aussi élevés ; ensuite, vous n’êtes pas forcé de le contracter dans des circonstances défavorables, à des conditions très onéreuses pour le pays, comme il est arrivé lors de l’emprunt de 86 millions. Mais pour obtenir ces avantages, il faudrait pratiquer le système d’émission suivi en Angleterre.

Je ne comprends pas l’opinion de l’honorable membre, lorsqu’il veut nous faire croire que les effets de l’Etat n’auraient pas une circulation au moins aussi active que les billets de banque. Je vous demande si l’Etat tout entier n’a pas plus ou au moins autant de solvabilité qu’une société quelconque, et si dès lors les billets attachés à la dette flottante n’auraient pas une circulation même plus favorable que les billets de banque ? pourquoi en serait-il ici autrement qu’en Prusse et en Angleterre ?

L’honorable ministre des finances croit, de son côté, qu’il serait difficile de couvrir, par un seul budget de recettes, les 21 millions de dette flottante qu’il demande aujourd’hui. Je conçois que ce serait très difficile ; mais la dette actuelle pourrait être éteinte au moyen d’autres capitaux qui deviendront disponibles par suite de la liquidation avec la Hollande, et puisqu’une dette flottante, en temps ordinaire, ne doit avoir pour but que de satisfaire aux besoins accidentels du trésor ; alors l’importance de cette somme diminue considérablement, et l’honorable ministre lui-même a déjà diminué cette somme en disant que probablement il n’émettrait que dix millions de bons du trésor.

(Moniteur belge n°343, du 9 décembre 1842) M. Osy. - Messieurs, comme membre de la section centrale j’ai partagé l’opinion qu’il serait nécessaire d’établir une commission surveillance de pour les fonds de l’amortissement, des consignations et des cautionnements ; mais comme M. le ministre des finances a promis de nous présenter un projet de loi sur la comptabilité générale du royaume, j’espère que cet objet y sera réglé ; car il est plus que temps que le pays soit certain qu’un objet aussi important est entouré d’une surveillance efficace ; aujourd’hui non seulement il n’y a pas de publicité, mais il n’existe aucune espèce de surveillance. Il est donc urgent qu’il soit pourvu à une lacune aussi fâcheuse.

Pour ce qui regarde l’agiotage dont a parlé l’honorable M. Rodenbach, je vous dirai qu’en France la somme à acheter est répartie par jour et affichée à la Bourse, et les vendeurs sont prévenus ; ici la somme à acheter étant moindre, on pourrait faire les achats par huitaine ou quinzaine en prenant les mêmes précautions. Comme il se fait à Paris peu d’affaires en nos 3 p.c., leur cours, quand on fait trop d’achats à la fois, subit souvent de fortes variations et leur cours est souvent plus élevé qu’il n’aurait dû être ; si cette somme était répartie comme je viens de le dire, si l’achat se faisait publiquement à la bourse de Paris ou à celle de Bruxelles à des époques déterminées, vous sentez qu’il ne pourrait pas y avoir agiotage ; aujourd’hui on pourrait faire des achats clandestins et les appliquer plus tard à la caisse d’amortissement. Je suis loin de supposer que cela se fasse mais il faut éviter, s’il est possible, jusqu’à l’ombre du soupçon.

L’honorable M. Rodenbach objecte que la création d’une commission de surveillance entraînera une nouvelle dépense pour l’Etat. Je regrette souvent que l’on nomme des commissions dont les membres reçoivent une indemnité ; et à cette occasion, je vais vous dire sur quel pied est établie en France la commission d’amortissement qui ne coûte rien, sauf les frais de bureau.

Cette commission est composée de deux députés nommés par la chambre et ratifiés par le roi, d’un membre de la cour des comptes, du président du tribunal de commerce et du gouverneur de la banque. Je pense que si la commission belge était formée des mêmes éléments, on trouverait facilement deux représentants et un sénateur qui acceptassent gratuitement ce mandat, et je suis persuadé que personne ne manifesterait le désir d’être indemnisé de ce chef, d’autant plus que la besogne serait peu considérable.

Que fait encore la commission de surveillance en France ? Elle fait un rapport à la législature sur ses opérations, dont le résultat est inséré au Moniteur, de manière que rien de ce qui concerne cet objet important n’échappe à la publicité ; tandis qu’en Belgique, je le répète, nous sommes dans une ignorance complète des opérations de la caisse des consignations. Et, à cette occasion, je rappellerai qu’il y a quelques années ou ne portait de ce chef au budget qu’une somme de 300,000 francs, et que déjà aujourd’hui, cette somme s’élève à 700,000 francs. Il est donc des plus essentiels qu’il soit promptement pourvu aux mesures à prendre à cet égard ; je n’en dirai pas davantage pour le moment ; j’attendrai que M. le ministre des finances nous ait présenté le projet de loi qu’il a promis à la chambre de déposer dans un bref délai.

M. le président. - La suite de la discussion générale est remise à demain.

- La séance est levée à 4 heures et demie.