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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23 février 1842

(Moniteur belge n°55, du 24 février 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l'appel nominal à midi un quart.

M. Dedecker donne lecture ou procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Des négociants et boutiquiers réclament des mesures répressives des abus du colportage. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet relatif à cet objet.


« L'administration communale de Savron-Verviers réclame contre le projet de séparer cette commune de l’arrondissement de Verviers. »

- Renvoi à la commission pour la circonscription cantonale.


« Le conseil communal de Boom demande que cette commune devienne le siége du canton judiciaire actuellement à Contich. »

- Même renvoi.


« Le sieur Callens, blessé des 4 journées, demande une pension ou une indemnité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des brasseurs, négociants et propriétaires adressent des observations sur les changements proposés à la loi communale. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner ce projet.


« Les débitants de boissons distillées d'Anvers et environs adressent des observations contre le nouveau projet de loi relatif à l’abonnement sur les boissons distillées et demandent que la loi de 1838 soit rapportée. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.


Le sénat, par des messages des 19 et 22 février informe la chambre de l'adoption des projets de loi accordant des crédits supplémentaires au département de l'intérieur et modifiant le tarif des douanes relativement aux droits sur les fils, les toiles, la rubannerie et passementerie, les coutils et étoffes de lin, etc.

- Pris pour information.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Dubus (aîné), M. Desmet, M. Henot et M. Delehaye déposent des rapports sur des demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi qui ouvre un crédit supplémentaire au département des travaux publics pour l'exercice de 1841

Discussion générale

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1842

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III

Section I. Chemin de fer
Discussion générale

M. David. - Messieurs, ainsi que M. le ministre des travaux publics, à notre séance du 18, en réponse à la motion que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre, l'avait promis, j'ai en effet trouvé dans le rapport de la commission des péages, qui vient de nous être distribué, le montant total des recettes de 1841, s'élevant à 6,226,333 francs 66.

Ainsi que le montant des dépenses du même exercice, montant à 4,386,946 francs.

Donc un excédant de recette sur la dépense de 1,839,387 francs 66.

Nous arrêtant un instant sur ce chiffre et sans aucun examen de la dépense, on voit que le chemin de fer, toute dépense d'exploitation, d'entretien, de renouvellement, de personnel couvertes, a donné un intérêt de 3 p. c. du capital d'établissement des sections en exploitation comptées pour cet exercice à 63 millions.

Ce résultat, messieurs, que je m'empresse de signaler, doit rassurer l'Etat, l'étranger, et surtout la France, qui arrive au moment suprême de décréter ses grandes lignes de chemin de fer, lesquelles serviront un jour de riches affluents aux nôtres. Hâtons-nous de le dire, messieurs, avec le rapporteur de la section centrale, et ne répandons pas sur les chemins de fer, pour les discréditer, les mêmes exagérations que celles que nous venons d'entendre à l'occasion de notre navigation transatlantique ; hâtons-nous de dire, avec l'honorable rapporteur de la section centrale, que l’on peut espérer maintenant qu'à l'entier achèvement de notre chemin de fer, il satisfera aux frais de son exploitation, aux intérêts des capitaux engagés dans sa construction et conservera ainsi toute la popularité qui lui est acquise.

La chambre a voté pour l'exercice 1841 3,640,000 fr.

Si on suppose voté le crédit supplémentaire de 817,000 fr. demandés, le montant total des crédits pour 1841 sera de 4,457,000 fr.

En supposant que tout fût dépensé, il faudrait, d'après le rapport de la section, sur la demande de ce crédit supplémentaire déduire des dépenses de 1841 les 184,000 fr. annoncés comme dépensés pour charbons employés en 1840 :

Dépense totale pour 1841 : fr. 4,273,000

La recette a été de 6,226,333,

L'excédant des recettes sera donc au moins de 1,953,333

Soit tout près de 2,000,000, ce qui donne même plus de 3 p c. Si j'avais voulu, messieurs, me placer dans le rang des alarmistes, j'aurais pu m'emparer du résultat si satisfaisant que je viens de vous mettre sous les yeux, et le traduire, comme l'a fait la commission des péages, dans son rapport du 17 octobre 1841, page 61), au tableau comparatif des dépenses et recettes du premier semestre 1841, et le traduire, dis-je, en un déficit de 2 p. c. du capital engagé, réparti sur le service des voyageurs, des petites marchandises et des grosses marchandises, et présenter finalement un déficit général de un million 360,000 francs, sans même indiquer dans ce même tableau, offrant d'effrayants déficits, qu'il comprenait sous le titre de dépenses, les intérêts du capital d'établissement, à 5 p. c.

Loin de là, messieurs, un avenir bien prochain nous dotera, vous le venez, d'un intérêt dépassant celui de 5 p. c. Vous me direz peut-être alors que, pour parvenir à amortir, il faut aussi que le chemin de fer rapporte au-delà de 5 p. c. ; c'est réellement une grande question à soulever. Mais où est-il écrit, messieurs, qu'après avoir légué aux générations futures le moyen de transport le plus rapide, le plus admirable et le plus économique, nous leur devions jusqu'à l'extinction même de l'intérêt du capital ? à quel titre le commerce d'aujourd'hui serait-il condamné à défrayer le commerce de l'avenir ? C'est tout comme si l'on allait jusqu'à prétendre que nous sommes obligés d'affranchir nos neveux de leurs frais de location de maison, de leurs contributions, etc.

Le chemin de fer rapportera, messieurs, plus de 5 p. c. lorsque les réductions possibles du personnel du chemin de fer, personnel non seulement trop nombreux, mais souvent encore trop rétribué, lorsque les réductions demandées par votre section centrale seront réalisées ; lorsque, ainsi que l'a fait remarquer la commission des péages, on réduira convenablement le nombre des convois, pour n'avoir plus que des convois véritablement utiles ; lorsque l'on aura régularisé convenablement le service du camionnage ; lorsque l'on aura satisfait au vœu émis par cette même section centrale, que le gouvernement aura avisé au moyen d'établir un contrôle indépendant et vigilant sur les opérations du chemin de fer ; lorsque le chemin de fer, sous le rapport des transports, surtout des matières premières du sol, sera employé aussi complètement qu'on le peut qu'il doit l'être ; enfin, lorsque le grand œuvre accompli verra ses branches se raccorder avec les railways de tous nos voisins.

Après avoir rassuré, je pense, la chambre sur la véritable situation du chemin de fer, au moins en tant que me l'ont permis les renseignements encore incomplets, et qui nous ont été soumis trop tardivement pour que nous ayons pu les examiner scrupuleusement, j’attirerai maintenant toute votre attention sur la manière arbitraire dont la commission a cru devoir répartir la dépense totale de l'exercice 1841 :

En dépenses, pour le service des voyageurs, à fr. 2,607,368

En dépenses, pour le service des marchandises, à fr. 1,779,78

Ensemble, comme je l'ai dit tout à l'heure, fr. 4,386,916

Cette répartition des dépenses, tout à fait erronée, fait peser sur les convois spéciaux des marchandises une grande partie des dépenses des convois de voyageurs, avec lesquels ils n'ont aucune connexité.

Je dis que cette répartition est arbitraire, et je vais le démontrer :

La dépense réelle de tout le 1er semestre 1841 est donnée dans le tableau, page 67 du 2° rapport de la commission ; mais la répartition de cette dépense, comment a-t-elle été faite entre les marchandises et les voyageurs ? On dit bien, dans les tableaux, page 35 du même rapport, le nombre de lieues parcourues pour les marchandises et les voyageurs, mais on n'indique pas le nombre de convois par ligne que ces lieues parcourues représentent et si ces convois sont doubles ou simples.

Ces renseignements ont dû être fournis à la commission, ou elle a jugé de la dépense sans la connaître, car il ne suffit pas de faire des lieues, il faut qu'elles soient faites utilement.

En second lieu, comment est-il possible de porter dans le même tableau, au compte-rendu des marchandises, le 2/11 des lieues parcourues par les convois de voyageurs, pour une ou deux malheureuses voitures de marchandises attelées au convoi de voyageurs lorsque les derniers convois n'ont pas leur charge utile ? Ainsi, messieurs, par ce transfert des 2/11, tandis que les frais de locomotion des 3 premiers trimestres ne montent qu'à 449,154 francs pour la masse considérable de marchandises transportées par les convois spéciaux, on ajoute à cette dépense, pour la part insignifiante des marchandises transportées avec les convois de voyageurs, la somme énorme de 247,268 fr., c'est-à-dire que par ce procédé on augmente de plus de moitié le montant des frais de locomotion qui incombent réellement au marchandises.

Par quel renversement, par quel revirement d'idées en est-on donc venu à frapper ainsi le commerce, à la décharge des voyageurs ?

Je demande instamment : 1° que, pour éclairer la chambre, le commerce, si intéressé au prix du transport des marchandises, l'on nous donne le détail par mois des lieues parcourues par ligne, par convoi double ou simple, pour voyageurs et marchandises séparément ;

2° Qu'on nous donne également, par ligne et par mois, les marchandises transportées à destination, par convois spéciaux et par convois de marchandises ; alors tout le monde pourra y voir clair.

C'est cependant cette répartition qui a conduit la commission des péages à proposer d'augmenter le tarif du transport des marchandises, qui a fait dire, je le regrette bien sincèrement, par la même commission, ces paroles : qu'il ne peut y avoir qu'un très léger bénéfice sur le transport à 5 centimes par 100 kil. et par lieue de 5 mille mètres, des matières et matériaux qui composent la première catégorie ; que ce n'est que sur les prix des deux classes que l'on peut espérer faire des bénéfices.

Cependant, à ce prix de 5 centimes par 100 kil. et par lieue, ce qui représente le prix de 11 francs par tonneau d'Ans à Anvers, un convoi chargé de 100 tonneaux de houille, de fer, de clous de fer, etc., rapporterait pour le parcours d'Ans à Anvers, 1,100 fr. ; et il ne coûterait, en supposant le prix exagéré de 20 fr. par lieue de convoi que 440 francs. Différence et bénéfice énorme : 660 francs.

Serait-ce, là, je le demande, un très léger bénéfice ?

Je dois encore faire observer que ce prix de 11 fr. par tonneau ne représente que le transport de station à station ; il faut encore y ajouter les frais de camionnage et les frais de transport du domicile de l'expéditeur au chemin de fer.

C'est cette fausse répartition des dépenses, que je viens de signaler, qui fait dire à la commission, je le répète, que ce n'est que sur la seconde et la troisième catégorie des marchandises du tarif n° 2, qu'on peut espérer des bénéfices.

Mais les marchandises de la troisième catégorie n'entreront jamais dans la recette que pour une part extrêmement minime. En effet, l'on voit que, sur le poids total des grosses marchandises transportées pendant les trois premiers trimestres de 1841 de 119,200 tonneaux, la troisième catégorie ne figure que pour 533 tonneaux. Voyez, pour vérification de mes calculs, le tableau de la commission, à la page 34 de son rapport.

Si j'avais présenté les résultats en recette, l'assertion de la commission, que les bénéfices doivent se trouver sur la troisième catégorie, serait encore bien plus étrange, puisque, sur une recette de 379,072 fr. 83 c., la troisième catégorie n’a rapporté pendant les mêmes 9 mois que 3,163 fr. !

L'élément le plus important pour parvenir à apprécier les dépenses d'exploitation de toute nature du chemin de fer avec certitude, c'est, messieurs, la dépense du coût par lieue d'un convoi. La lieue du chemin de fer par convoi, en Belgique, donner bientôt une espèce de monnaie, une commune mesure de tous les prix de transport.

On trouve dans le premier rapport de la commission des péages, page 67, que le coût par lieue des convois pendant le 1er semestre s'est élevé en moyenne, tant voyageurs que marchandises,à 14 fr. 98 c. et pour l'exercice de 1841 à 15 fr. 14 c.

Chiffre qui vient confirmer ceux trouvés en

1835 de 16 75

1836 de 15 59

1837 de 19 32

1838 de 21 23

1839 de 19 59

1840 de 12 68 ou plutôt d'après les données officielles, 13 fr. environ.

Eh bien, de ce coût minime de transport par lieue, il résulte à l'évidence qu'il suffit d'utiliser le chemin de fer complètement par le transport, au plus bas prix, des houilles, des fers, des cendres, de la chaux,des moellons, des pierres de carrières, etc., tous objets qui n'ont pas de valeur absolue mais purement relative, objets auxquels le coût du transport seul imprime une valeur réelle, pour assurer la réussite financière du chemin de fer.

En voici les exemples frappants, et j'admets pour les donner, le tarif actuel, y compris le camionnage. Mon premier exemple porte sur les houilles :

Un convoi part d'Ans pour Anvers avec charge de 20 waggons seulement, portant 4,000 kil. chacun, soit kil. 80,000.

Les 1,000 kil. payant 11 fr. 70 c., le produit sera de 936 fr.

La dépense, à raison de 15 fr. 14 c., par lieue, donnera pour les 22 lieues d'Ans à Anvers, 333 francs 08.

Bénéfice net fait, en 5 heures de temps, sur un convoi de houille, 602 francs 92.

Soit à peu près 200 p. c. au-dessus de la dépense, et cette dépense est calculée comme pour le transport de l’homme, dans des voitures de luxe.

N'y a-t-il pas lieu de se désoler, messieurs, en présence d'un pareil étal de choses, qui vient encore s'aggraver par l'examen du tableau littera D, relatif au transport des grosses marchandises, qui nous prouve, par exemple, qu'on a transporté d’Anvers à Ans un poids de 11,6415 tonneaux en montant, tandis qu'on n'a transporté d'Ans à Anvers en descendant, notez-le bien, que 3,401 tonneaux.

Ainsi plus des deux tiers des waggons partis d'Anvers, à charge sont retournés d'Ans à Anvers à vide, sur une grande partie de la route.

Et la nature, messieurs, a donné des houillères au bassin de Liége et au Hainaut, et l'on ferme les yeux sur nos plus chers intérêts. Vous pouvez transporter ces précieux dépôts pour presque rien sur les quais d'Anvers, et vous laissez partir sur l’est vers NewCastle les navires de toutes les nations qui demandent à échanger leur or contre nos produits. N'est-ce pas là la plus déplorable erreur ? Nous sommes assis sur des trésors, et nos exploitations languissent. Aussi, messieurs, jetez les yeux sur la page 62 du mémoire de la commission sur les tarifs, et vous venez que les wagons partis d'Ans n'avaient en charge moyenne, en descente que 1,779 kil.,tandis que partis d'Anvers et de Bruxelles en remontant, ils emportent de 2,500 à 2,800 kil.

Voilà, messieurs, la cause du mal, le chancre du chemin de fer. Ce vice d'exploitation, joint au coût énorme du personnel, a seul empêché jusqu'à ce jour la réalisation des bénéfices qu'on devait attendre de ce puissant moyen de communication et de transport.

Et puisque je viens de citer le nom du Hainaut, il me sera permis de me souvenir de l'opposition que fit cette province, l'année dernière, à pareille discussion, lorsque je demandais l'abaissement du tarif pour les houilles de Liége. Je n'avais pas en vue, messieurs, de froisser le moins du monde cette province ; et pour lui donner une preuve de désintéressement et de sympathie, je dirai même qu'il est étonnant que le tarif que le gouvernement applique à la ligne du Hainaut soit plus élevé que celui appliqué aux lignes de l'Est, de l'Ouest et du Nord, et je réclame pour elle la plus stricte égalité.

Je viens, messieurs, de citer un exemple du transport au plus bas prix appliqué aux charbons.

Il ne faut pas supposer que ce bénéfice résulte d'un long transport. Supposons qu'il s'agisse du transport à effectuer sur l'étendue d'une seule section, de Bruxelles à Malines, par exemple.

Les 80,000 kil. au prix du tarif actuel, soit 2 fr. 70, donneront pour produit, 216 francs.

La dépense pour les 4 lieues de parcours, à 15-14 donne 60 francs 56.

Bénéfice pour l'Etat, pour un parcours de 4 lieues faites au plus bas de tous les prix, en 3/4 d'heure, 153 francs 44.

Voulez-vous maintenant, messieurs, procéder avec moi à la dissection d'un convoi de marchandises que nous supposions composé d'objets de diverses natures. Nous partons toujours d'Ans et allons à Anvers. Supposons que, cette fois, la charge ne soit que de 60 tonneaux, répartis comme suit :

30 tonneaux payant le prix de la le catégorie.

25 payant le prix de la 2e

5 payant le prix de la 3e

Les 30 tonneaux de la 1re catégorie à 13 fr. donneront 390 francs 00

Les 25 de la 2e catégorie à 16 fr. 400 francs 00

Les 5 de la 3e catégorie à 22 fr. 110 francs 00

Ce convoi rapportera 900 francs 00

Il aura coûté, à raison de 15-14 par lieue, 333 francs 08

Excédant de la recette sur la dépense : 566 francs 92.

Les convois de houille, à la descente, partant d'Ans pour Anvers, devraient être de 100 à 125 tonneaux. L'administration en a fait l'expérience elle-même dans le transport de ses houilles pour les fours à coke. Aujourd'hui l'administration préfère laisser retourner à vide vers Anvers les wagons, comme je viens de le démontrer. Ces wagons ne rapportent donc rien et coûtent à peu près comme s'ils étaient chargés pour leur retour. Eh bien, messieurs, un convoi de 100 tonneaux à fr. 6, soit fr. 600, est-ce donc une somme à dédaigner ?

Mais je vais plus loin, je suppose la dépense de ce convoi spécial, qui ne demande ni luxe ni personnel de garde, ni frais de bureaux à 10 ou 12 fr. par lieue, la dépense serait de fr. 120.

Il résulterait donc encore 460 fr. de bénéfice pour l'Etat.

On m'objectera peut-être, messieurs, qu'on ne peut pas toujours avoir des convois complets de 60 à 80 tonneaux de marchandises ; qu’on est souvent obligé de partir avec des charges beaucoup moindres. Je répondrai à cela que la faute en est à une mauvaise organisation des convois, qui en fait partir un trop grand nombre par jour pour chaque destination.

Je m'occupe en ce moment du dépouillement du tableau D, page 122 du troisième rapport de la commission des tarifs qui nous mettra à même de connaître le mouvement des transports sur chaque section et sur chaque ligne, et de juger ainsi avec certitude si le nombre des convois à marché utilement, s’ils ont dû être simples ou doubles. Ce tableau littera D, messieurs, est le document le plus utile et le plus précieux pour les chambres, l’administration et le commerce que l’on ait publié jusqu’ici. Il fait connaître tous les rapports, toutes les relations commerciales de ville à ville. Il est à regretter que ce tableau ne contienne pas les résultats de l’année toute entière. J’espère qu’il se trouvera complété dans le prochain compte-rendu.

Jusqu’à présent, messieurs, je me suis laissé aller à ne parler que de charbon, mas c’est parce que j’ai précisément pris cet article pour mon terme de comparaison, car je porte un égal intérêt toute autre espèce de transport.

J’ajouterai donc quelques mots pour d’autres marchandises.

Je dirai que le tonneau de poisson d’Ostende (qui, elle, trouve ses houillères dans la mer), d’Ostende à Ans, coûte aujourd’hui 20 fr. 25 c. remis à domicile. D’après la proposition de la commission, au prix nouveau de station à station, le poisson payera 32 fr. 50 c. auxquels il faut toujours ajouter le camionnage et le factage.

Les clous de fer payent aujourd’hui d’Ans à Anvers, remis à quai, 11 fr. 70 c. D’après les proposition de la commission, il payeront de station à station, 22 lieues à 7 ½ c., 10 fr. 50 c. auxquels il faut toujours ajouter le camionnage et le factage.

On peut en dire autant des céréales, comme froment, seigle, orge, farine, pommes de terre. On peut en dire autant du sel brut, bières, écorces de chêne, verreries, faïence, etc., qui vont être frappés de la même augmentation.

Je me résume, messieurs, le railway belge est une immense source de richesses pour lui-même et pour tout le monde. Si je ne me suis pas trompé, et alors je le serais seulement parce que le gouvernement m’aurait donné de fausses indications, si je ne me suis pas trompé, dis-je, le chemin de fer doit donner des bénéfices que j’irai jusqu'à appeler usuraires.

Mais pour cela, messieurs, il faut le faire travailler, l’activer, et précisément par les moyens diamétralement opposés à ceux que suggère la commission. C’est de la terre, car la mine, la pierre, la chaux, la houille sont bien de la terre, qu’il faut que le chemin de fer transporte pour s’enrichir ; je ne considère, moi, et je serais peut-être un moment le seul à le considérer, mais soyez sûr qu’après ce que je viens de dire, on y reviendra bientôt, je considère, moi, le transport des hommes comme une chose accessoire en comparaison de la richesse que doit produire le transport des choses les plus communes, qui n’ont de valeur que par le transport. Je considère comme peu importants les transports des marchandises de la deuxième catégorie et comme nul le transport de la troisième catégorie.

Je termine, pour démontrer que nous ne jugeons jusqu’ici que très faussement le puissant outil que nous avons entre les mains, notre railway, par une comparaison qui me semble assez juste :

Une société établit une houillère dont la concession est de la plus grande richesse. Pour être mise à fruit, cette houillère a coûté, je suppose, deux millions. Cette houillère, qui pourrait produire et vendre (et j’appuie sur le mot vendre, car il ne suffit pas de produire, il faut encore pouvoir vendre) que 2 à 3 mille francs de plus de charbon par jour, n’extrait que pour 3 ou 4 cents fr. Cette bagatelle est absorbée par les frais généraux. La société crie à la ruine et possède pourtant une mine d’or.

Voilà, messieurs, l’histoire du chemin de fer en Belgique.

M. Lys. – Les chemins de fer étaient un besoin pour la Belgique, et ce qui en est déjà une preuve, c’est qu’on loue les pays qui se sont empressés de les établir, et qu’on blâme ceux qui sont restés en arrière.

Nous désirons tous, messieurs, voir l’économie dans son administration, et les tarifs établis à un taux pouvant donner des produits auxquels on a droit de prétendre, mais je n’entends nullement de le voir s’élever au point de couvrir les frais d’établissement, bien loin de les voir pousser à l’amortissement des capitaux employés. Nous ne devons pas espérer de voir produire par le chemin de fer ce que n’ont pas donné les communications ouvertes par nos routes en pierres. C’est là, le motif, messieurs, pour lequel la commission n’a pas été livrée à l’intérêt particulier, qui aurait dû obtenir une juste indemnité de ses avances. Ce sont des travaux faits dans l’intérêt général, qui ne permettent point de demander aux produits des tarifs l’intérêt du capital employé à leur construction. L’Etat y trouve des sources d’améliorations qui compensent le sacrifice qu’il s’impose, des accroissements dans les revenus publics par l’augmentation de valeur donnée aux propriétés particulières, et par les nouvelles constructions qui en sont la suite.

Il faut, messieurs, dans l’intérêt de l’industrie et du commerce, des tarifs très modérés, le parcours doit se faire à bon marché. Le transport des marchandises doit se faire à bon compte. S’il en était autrement, vous ne pourriez réaliser les espérances des consommateurs et du fabricant.

Le gouvernement doit établir une grande différence dans ses tarifs, en ce qui concerne les marchandises dites de diligences et le transport des grosses marchandises.

Les premières peuvent subir une augmentation, mais pour les autres, loin de chercher des augmentations, il faut viser aux réductions.

Ne perdez pas de vue, messieurs, que les avantages que vous accordez au commerce sont tous dans l’intérêt du pays. Le consommateur y trouve son intérêt, ainsi que le fabricant.

Rappelez-vous que ce dernier, s’il veut soutenir la concurrence, doit parvenir à livrer ses fabricats de bonne qualité et bon marché.

La bonne qualité est toute dans les moyens du fabricant, mais pour le bon marché, l'Etat doit venir à son secours. En procurant ses déplacements à peu de frais, et faisant le transport des matières premières et de ses produits à bon compte, vous lui payez ainsi, d'une manière indirecte, une prime, dont il ne profite pas seul, car elle favorise aussi le consommateur. Ce sont là les primes que nous devons conserver, celles-là sont réellement avantageuses, et il y a bénéfice pour l'Etat de les accorder. Le fabricant, le négociant, le consommateur, ont un besoin absolu d'une pareille protection.

Sans cette protection, vous ruinez l'industrie du pays, car vous l'empêchez de lutter, à l'étranger, avec les industries rivales.

Vous nuisez au consommateur, et le résultat final est de voir l’Etat chargé de fournir des secours pour l'entretien de nos ouvriers, si par un mauvais principe d'économie, par l'augmentation des tarifs, il fait peser sur les matières premières un impôt qui en deviendrait la ruine certaine. Les économies, messieurs, doivent se trouver dans une réduction du nombre des convois, d'après les besoins, dans des traitements proportionnés aux services ; réduction du nombre des employés à celui nécessaire à l'exploitation.

Je suis convaincu qu'une autre manière d'agir n'entrera jamais dans les vues du gouvernement.

Je saisis cette circonstance, messieurs, pour réclamer de M. le ministre des travaux publics, de faire surveiller les transports des marchandises, car le commerce s'est plaint jusqu'à présent des retards dans leur arrivée à destination ; il est loin de se faire régulièrement, ainsi que l'annonce la section centrale ; je crois devoir attribuer ces retards au défaut d'un matériel suffisant et surtout au monopole du camionnage pour les marchandises pondéreuses, que l'on aurait dû laisser aux soins du roulage ordinaire.

Je viens aussi, messieurs, réclamer de M. le ministre des travaux publics une prompte décision sur la réclamation des actionnaires de la route de la Vesdre. Il est plus que temps qu'on leur rende la justice qu'ils sollicitent depuis si longtemps, car le gouvernement a, pour ainsi dire, pris possession de cette route, en la détournant en tous sens, y établissant des rampes qui nécessitent des chevaux d'allège, et les nouveaux empierrements ne pouvant soutenir contre la grande circulation, la rendant impraticables.

Il est de fait que le chemin de fer, à partir de Chènée jusqu'à Dolhain-Limbourg, suit, pour ainsi dire, une ligue parallèle avec cette route, sauf dans les parties où il fait sur elle des emprises.

La construction de cette route fut autorisée par le gouvernement qui prit l'engagement par l'acte de concession.

Art. 6. Qu'en cas de suppression du droit de barrières, il en fournirait l’équivalent, et en cas de réduction il compléterait la somme nécessaire pour parfaire le revenu d'après l'ancien tarif.

Art. 7, Que l'association ne pourrait être privée d'aucun des droits résultant de l'arrêté de concession.

D'autres arrêtés statuèrent que les chemins environnants qui seraient remplacés, et dont l'emploi serait devenu inutile par la nouvelle route, et ceux dont la direction pourrait être nuisible au service des barrières à établir sur la route, pourraient être supprimés ou réduits en largeur, et que leurs terrains seraient vendus, échangés ou utilisés au profit des concessionnaires.

Le gouvernement exécutant fidèlement les stipulations relatives à cette concession, rejeta, par arrêté du 27 janvier 1824, le projet de redressement de la roule de la Clef, parce que cette route de l'Etat faisait concurrence avec celle de la Vesdre, redressement qui fut encore ajourné en 1830, jusqu'à ce que des arrangements, pour résilier l'engagement pris avec les actionnaires de la route de la Vesdre, permissent de satisfaire aux besoins que de grandes convenances d'utilité commerciale faisaient désirer.

On lit en effet, dans la décision de la commission permanente du syndicat d'amortissement, en date du 20 mars 1830 :

« Considérant que le redressement de la route de la Clef, à Herve, se trouve intimement lié à l’affaire de la route royale de la Vesdre, par la circonstance que le gouvernement a promis à la société de cette route de ne pas faire le redressement projeté, tant que cette société ne se serait pas remboursée de ses frais, et que dès lors on ne saurait statuer définitivement sur la demande susdite qu'après que les négociations entamées avec la commission d'administration de la route royale de la Vesdre, auront été terminées de manière ou d'autre. »

Au mois d'août 1830, le rachat de la concession était arrêté, et vous savez la cause qui en a empêché l'exécution.

Ce rachat, messieurs, n'a jamais formé un doute lorsqu'il s'est agi de la construction du chemin de fer.

Aussi, M. l'ingénieur Vifquain, dans un mémoire imprimé en 1833, à l'occasion du projet de la route d’Anvers et d'Ostende an Rhin, en calculant les dépenses du chemin de fer, dit, art. 14 :

« Il faut ajouter à ces sommes le rachat de la concession de la route de la Vesdre, qu'on ne peut éviter et que nous estimons à un million. »

Dans leur réponse à ce mémoire, MM. les ingénieurs Simons et de Ridder reconnaissent l'équité de ce rachat.

Dans cette chambre même, le rachat a été reconnu indispensable, et voici ce que l'honorable M. Dumortier disait lors de la discussion de la loi :

« On établit une route en fer, précisément dans la même direction qu'une route en pierres concessionnée, qui a coûté un million et demi. La route en fer traversera en vingt endroits la route faite par concession ; elle viendra établir sur la route concessionnaire, une concurrence que celle-ci ne pourra soutenir ; quelles seront, dans ces circonstances, les obligations de l'Etat ? Elles sont faciles à comprendre ; il faut que l'Etat indemnise les concessionnaires, et comme le préjudice affectera toute la route concessionnée, il faudra que l'Etat la reprenne, en payant aux concessionnaires un million et demi qu'a coûté l'opération. »

L’honorable M. Rodenbach tenait le même langage. Le rachat de la concession était, comme on le voit, une conséquence toute naturelle de la construction d'un chemin de fer dans la vallée de la Vesdre, c'était une chose prévue, c'était un article de dépense consigné dans la discussion de la loi, compris dans les allocations qu'on présumait nécessaires pour la construction du chemin de fer.

Vous voyez, messieurs, qu'il y a ici garantie formelle de la part du gouvernement :

D'abord, par le décret de concession, par la stipulation que l'association ne pourra être privée d'aucun des droits qui lui sont assurés par ledit arrêté.

Cette garantie des droits, résultant d'une concession de route, ne peut être autre chose que la garantie du produit intégral des péages. Tout ce qui tendra directement ou indirectement à la diminution de ce produit doit dès lors être interdit à celui qui l'a promise.

C'est ainsi que le gouvernement a compris cette obligation en 1824 et en 1830, à propos du redressement de la route de la Clef, pour ne pas violer la loi du contrat ; pour satisfaire d'autre part aux exigences de l'intérêt public, il avait reconnu la nécessité du rachat.

Il y a ensuite nécessairement lieu au rachat, ou si voulez à la résolution du contrat, par le fait même du gouvernement qui a autorisé récemment le redressement de la route de la Clef. C'est là une violation des engagements pris, qui suffirait à elle seule pour rendre l’Etat passible d’une condamnation au remboursement intégral du capital employé pour la construction de la route de la Vesdre.

L'Etat doit donner l'exemple de religieuse observation des obligations contractées ; il ne peut, abusant de son droit de souveraineté tromper les justes espérances .de quiconque a traité avec lui ; il serait dangereux d'admettre qu'il pût, par des voies indirectes, motivées sur l'intérêt public, détruire ou neutraliser toutes ses conventions antérieures ; s'il était permis de proclamer une autre doctrine, elle tournerait contre le gouvernement ; la foi publique ne serait plus qu'un vain mot, et il ne serait plus possible de trouver des hommes assez imprudents pour engager leurs capitaux dans des spéculations aussi chanceuses ; ce serait tuer les associations de ce genre.

Ainsi, n'y eût-il pas de garantie formellement stipulée ; n'y eût-il pas de lien de droit, la moralité, la conscience publique, l'intérêt du gouvernement devraient repousser l'admission de ce pouvoir exorbitant, qui laisserait à l'Etat la faculté de miner des entreprises formées sous son patronage, en créant lui-même, et à son profit, des entreprises rivales, et en restreignant, dans ce cas, ses obligations à une stérile indemnité, sans se soucier de l'avenir d'une association qu'il aurait sciemment anéantie.

Ccs considérations sont puisées, messieurs, dans un mémoire qui a été remis au Roi par une députation de la société de la route de la Vesdre, que mes honorables collègues, MM. Demonceau,. David et moi avions l'honneur d'accompagner. J'ajouterai que S.M. a bien voulu accueillir très favorablement les motifs de la demande qui lui était faite et a témoigné le vif intérêt qu'elle prenait à ce que cet objet fût promptement réglé sans l'intervention des tribunaux.

J'espère donc, messieurs, que M. le ministre des travaux publics voudra bien prendre une détermination sur la demande consignée dans ce mémoire présenté à S..M. et qui lui a été renvoyé. La justice et l'équité ne permettent plus de retard.

M. Lange. - Mon honorable collègue M. David, au nombre des points qu'il a traités dans son discours, a effleuré le tarif des voyageurs sur la ligne du Midi. Je vais me permettre d'entrer dans de plus amples détails sur ce point.

Par un arrêté du 15 décembre dernier, rendu sur le rapport du directeur des chemins de fer en exploitation, le ministre des travaux publics en réglant le tableau des heures de départ sur la ligne du Midi a fixé le prix des places, de Bruxelles à Mons, à fr. 2-75 pour les wagons, à 3-75 pour les chars-à-bancs et a 5 pour les diligences, prix plus élevé que sur toutes les autres lignes. En effet, si nous prenons pour terme de comparaison la distance de Bruxelles à Anvers, nous voyons qu'elle compte 44 kilomètres. La distance de Bruxelles sur Mons compte 60 kilomètres, Les prix des places sur Anvers sont fr. 1-50 pour les wagons, 2-50 pour les chars-à-bancs et 3-25 pour les diligences. Ainsi, par une simple règle de proportion nous sommes amenés à ce résultat que comparativement à Anvers, le tarif de Mons devrait être pour les wagons de 2-04 au lieu de 2-75, pour les chars-à-bancs de 3-40 au lieu de 3-75 et pour les diligences 4-43 au lieu de 5 francs.

Si je pousse plus loin mes investigations, si je compare la distance de la route du Midi à la distance de la route de Bruxelles sur Gand, qui compte 78 kilomètres et dont les prix sont : pour les waggons 2 fr. 25 c., pour les chars-à-bancs 3 fr. 50 c., et pour les diligences 4 fr. 75 c., j'obtiendrai pour résultat que sur la route du Midi on devrait payer en wagon 1 fr. 73 c., au lieu de 2 fr. 75 c. en chars-à-bancs 2 fr. 69 c. au lieu de 3 fr. 75 c., et en diligence 3 fr. 65 c. au lieu de 5 fr.

Continuons la même opération sur la ligne de Bruxelles à Ans, qui compte 108 kilomètres et dont les prix sont : en waggon 3 fr. 75 c., en chars-à-bancs 5 fr. 75 c., et en diligence 7 fr. 50 c., et nous verrons que nous devrions payer sur la ligne du Midi 2 fr. 08 c. au lieu de 2 fr. 75 c. en wagons, 3 fr. 19 c. au lieu de 3 fr. 75 c., en chars-à-bancs, 4 fr. 16 c. au lieu de 5 fr. en diligence.

M'étant adonné à un autre calcul et ayant recherché la moyenne proportionnelle par lieue kilométrique, je suis arrivé à ce résultat : pour les wagons sur Anvers, qui compte 44 kilomètres et dont le prix est de 1 fr. 50 c., la moyenne est 17 centimes 4/100 ; sur Ans, dont la distance est de 108 kil., et le prix 3 fr. 75 c., la moyenne est de 17 cent. 36/100 ; sur Gand, dont la distance est de 78 kilom. et le prix est de 2 fr. 25 c., la moyenne est de 14 cent. 42/100. Sur la ligne du Midi, qui compte 60 kilom, dont le prix est de 2 fr. 75, la moyenne est de 22 cent. 91/100.

Pour les chars-à-bancs sur Anvers, la moyenne est 28 centimes 40/100, sur Ans 26 centimes 62/100, Sur Gand 22 centimes 45/100, et sur Mons de 31 centimes 25/l00.

Pour les diligences sur Anvers, la moyenne est 36 centimes 93/100, sur Ans 34 centimes 72/100, sur Gand 30 centimes 44/100, et sur Mons 41 centimes 66/100.

Aussi longtemps que la ligne du Midi a eu peu d'étendue, je concevais que, eu égard aux frais comparativement plus élevés qu'entraînait son exploitation, une certaine différence eût lieu dans les prix. Mais maintenant je ne la comprends plus, puisque sur cette ligne de Bruxelles à Mons on compte 60 kilomètres, un tiers en plus environ que de Bruxelles à Anvers.

Ces observations, je les soumets à M. le ministre des travaux publics et j'appelle sa sollicitude sur ce point.

M. Sigart. - Je désire, messieurs, sur le chapitre en discussion vous présenter quelques observations ; elles s'appliquent à l'exploitation de la ligne du Midi.

En partant de Bruxelles pour Mons, j'ai été frappé du peu de surveillance et de la facilité avec laquelle on pouvait parcourir, sans payer, une grande partie de la route. Vous vous placez dans une voiture sans que personne s'en occupe ; le convoi en mouvement, on vous demande votre billet, mais si vous déclarez que vous allez à Mons, on vous laisse, on ne l'exige qu'à Jurbise. Il est évident que si vous descendiez à Soignies, vous auriez voyagé gratis. Remarquez que ce qui est facile en allant de Bruxelles à Mons présenterait quelque difficulté en allant de Mons à Bruxelles, car on ne peut pénétrer dans la salle d'attente sans billet ou sans carte.

Il existe, messieurs, une solution de continuité entre la ligne du Midi et les autres. Cette discontinuité a les effets les plus fâcheux qui vont contre le but même des chemins de fer. Ce but, c'est la rapide translation. L'on me transporte comme l'éclair sur le railroat, puis je dois me traîner dans les rues de Bruxelles en mettant plus de temps pour traverser la ville que pour faire un grand nombre de lieues. Tout cela a été imaginé pour me forcer à une dépense de quelques sous sur lesquels Bruxelles bénéficie quelques centimes. Voilà un grand résultat que l'on a atteint, mais pour le rendre complet, que n'établit-on des intersections dans toutes les villes, dans tous les villages que l'on traverse. Ce système alors développerait tous ses avantages : on aurait l’agrément à la fois d'aller vite et d'arriver tard. Et ce n'est pas seulement le voyageur qui souffre des retards et de l'augmentation de la dépense, c'est aussi le trésor de l'Etat, car plus le public aura d'avantages à fréquenter le chemin de fer, plus il le fréquentera et plus les recettes s'élèveront.

Il est curieux, messieurs, d'avoir sous les yeux les promesses du gouvernement dans les séances des 9, 10 et 11 mai 1838. Sur les craintes exprimées par l'honorable M. Pirmez, M. le ministre des travaux publics répondit :

« Il n'y aura pas de solution de continuité. Il y aura un chemin de jonction entre les deux stations à l'extérieur de la ville.

Le ministre des finances : On n'amènera le voyageur dans Bruxelles que s'il le désire.

M. Verdussen croit que les voyageurs devront s'arrêter.

M. le ministre des travaux publics : Je viens de dire le contraire.

M. Verdussen insiste, en disant qu'on a avoué que les voyageurs seraient conviés à s'arrêter.

Le ministre : J'ai déjà déclaré qu'il n'y aurait pas de solution de continuité. Il y aura possibilité de se rendre d'une station à l'autre.

M. Devaux : Veut-on, oui ou non, forcer les voyageurs à mettre pied à terre à Bruxelles ?

Le ministre : Non.

M. Devaux.-Ce serait une idée du moyen âge, de ce bon temps où à chaque pont un baron rançonnait les voyageurs.

M. de Langhe.- On pourrait mettre dans la loi que l'on devra dîner à Bruxelles.

M. le ministre des travaux publics.- Il y aura, comme je l'ai déjà dit, une jonction entre les deux stations : l'on pourra aller du Hainaut à la station de l'Allée Verte… à partir de Hal, par exemple, on pourra partager les convois, l'un se dirigera sur les Bogards et l'autre sur l'Allée-Verte.

MM. Pollénus et Pirmez conservent des inquiétudes.

M. le ministre des travaux publics. – Je n'ai pas dit qu'on forcerait les voyageurs à s'arrêter à Bruxelles. Je dis que les voyageurs s'arrêteront d'eux-mêmes. »

Il est certain que c'est sous l'impression de ces assurances si positives, si réitérées que la chambre a voté. La majorité a droit de se plaindre que ses intentions aient été méconnues. Je conviens que des arguments pour soutenir un autre ordre d'idées ont été présentés par quelques membres, mais la chambre n'a pas paru en être émue. Je crois par contre qu'ils ont dû être goûtés par les cabaretiers et les cochers de fiacre.

Dans l'état actuel des choses, il n'est pas facile de porter remède au mal que je déplore. Toutefois je demanderai à M. le ministre si toute espérance est interdite.

Le nombre de convois est trop peu considérable sur la ligne du Midi. L'état des travaux ne permet guère d'en établir davantage actuellement, mais je demanderai à M. le ministre quelles sont ses intentions pour l'époque de l'achèvement. Je lui demanderai aussi, en élevant le nombre des départs à quatre, si les stations intermédiaires peu importantes, comme celles de Forêt, Ruysbroek, Loth, etc, ne pourraient pas être rendues intermittentes : on aurait par exemple, deux convois de seconde classe s'arrêtant à tous les points d'arrêt et deux de première ne faisant halte qu'aux principales. On pourrait peut-être, pour celles-ci, augmenter la vitesse et en même temps le prix.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, le moment n'est pas encore arrivé, pour la législature, de régler définitivement les péages par le chemin de fer, mais de nombreuses expériences ont déjà été faites par le gouvernement, et il n'est point hors de propos d'examiner, dès à présent, quels effets elles ont produits. Les questions que soulèvent les tarifs de notre railway sont d'ailleurs de la plus haute importance pour le pays et font l'objet d'une grande divergence d'opinions. Les ministres qui se sont succédé au département des travaux publics, sont loin d'être eux-mêmes d'accord sur ce point.

Il est à désirer, messieurs, que, dans l'appréciation de questions d'intérêt public aussi graves, on ne soit influencé ni par des considérations d'amour-propre, ni par des considérations de personnes, car, s'il en était ainsi, ce serait un malheur pour le pays. Quant à moi, mon but, en prenant la parole, est uniquement de soumettre à la chambre quelques réflexions qui m'ont été suggérées par l'étude, pendant nos dernières vacances, des résultats des péages établis sur le chemin de fer, en ce qui concerne le transport des voyageurs.

Pour fixer définitivement les bases de nos tarifs, nous ne pouvons guère, messieurs, nous régler d'après ce qui existe dans d'autres pays, nous ne pouvons nous en rapporter qu'aux expériences qui ont lieu chez nous.

En effet, sur le continent européen, nous sommes les premiers qui ayons établi un vaste réseau des chemins de fer ; c'est donc à nous de faire autorité en cette matière.

En Angleterre et aux Etats-Unis, pays qui nous ont devancés, les conditions de locomotion et de transport, et les circonstances qui influent sur le plus ou moins d'élévation des prix, ne sont pas les mêmes qu'en Belgique.

Malgré cette différence, on a souvent comparé les prix des places adoptés sur les chemins de fer anglais avec les nôtres, et l'on en a tiré la conséquence que les tarifs belges étaient trop bas.

Or, cette comparaison n'est guère possible, puisque les circonstances ne sont pas les mêmes. D'abord, en Angleterre, les frais de premier établissement des chemins de fer, par le luxe qu'on y déploie, sont énormes et plus élevés que partout ailleurs. La lieue de 5,000 mètres y coûte au moins 2,500,000 francs, terme moyen.

Ces voies de communications, si coûteuses, sont exploitées par des compagnies qui cherchent uniquement à réaliser de beaux bénéfices, sans s'inquiéter de l'influence plus ou moins grande que le railway peut exercer sur la prospérité du pays. Pour elles, le problème à résoudre, est d'obtenir la recette la plus forte possible avec le moins de voyageurs. En compensation, elles font jouir les voyageurs des avantages d'une très grande vitesse, 8 à 10 lieues à l'heure, et cette vitesse occasionne nécessairement une augmentation dans les frais de traction.

D'un autre côté, pour toute espèce de mode de transport des voyageurs sur les routes, il est à remarquer que les prix des places sont plus élevés en Angleterre qu'en Belgique.

Par exemple, en Angleterre, le prix des places dans les diligences ordinaires est en général, par lieue de 5,000 mètres de 1 fr. 60 pour les premières, et de 1 franc pour les secondes ; ces diligences font 3 à 4 lieues à l'heure. En Belgique on peut, je crois, représenter ces prix, terme moyen, par 65 centimes pour les premières places (coupé) et 50 centimes pour les secondes.

Or qui voudrait conseiller à un de nos entrepreneurs de messageries d'élever ses prix au niveau de ses confrères de l'Angleterre ? Il n'est pas douteux que, s'il se conformait à un semblable avis, ses voitures ne devinssent bientôt désertes.

Aux Etats-Unis, le prix des places sur les chemins de fer est le même pour tous, et il est très élevé ; mais cela provient principalement de ce que les distances à parcourir, dans un pays dix fois aussi grand que la France, sont immenses et que les routes ordinaires y sont mauvaises.

On pourrait, sans doute, ajouter beaucoup d'autres considérations à celles que je viens seulement d'indiquer ; toutefois elles me paraissent déjà suffisantes pour démontrer que ce serait une erreur de vouloir régler nos tarifs d'après ceux adoptés dans d'autres pays, et que nous ne pouvons guère nous en rapporter à cet égard qu'à notre propre expérience.

Pour le transport des voyageurs, de nombreux essais ont déjà été tentés, nous en sommes, je pense, au huitième tarif depuis l'ouverture du railway national. Je ne m'occuperai que des trois derniers, parce que la question me paraît se débattre entre eux. Celui du 3 février 1839, qui en est le plus élevé, celui du 10 avril 1841, qui en est le plus bas, et celui du 19 août dernier, qui est une espèce de terme moyen ou de juste milieu entre les deux autres.

Le problème que l'on s'est constamment efforcé de résoudre, c'est d'obtenir la plus forte recette avec le plus grand nombre de voyageurs possible, c'est (pour me servir de l'expression d'un de nos anciens ministres des travaux publics) de concilier l'intérêt social avec l'intérêt fiscal.

Voyons quels ont été les résultats obtenus.

Le tarif du 3 février 1839 a remplacé celui du 31 juillet 1838, qui était fort bas, puisque le prix des wagons n'allait que de 12 à 15 centimes par lieue, Le tarif du 3 février éleva considérablement le prix de ces dernières places, en ne faisant subir aux prix des diligences et chars-à-bancs qu'une légère augmentation.

Voici, d'après le rapport fait au Roi, le 14 août dernier, par M. le ministre des travaux publics, sur quelles bases reposait ce tarif, qui a été suivi jusqu'au 1er juillet 1839, sans subir aucune modification.

Prix par lieue de 5,000 mètres.

Diligences, 40 centimes.

Chars-à-bancs, 25 centimes.

Waggons, 20 centimes.

Examinons quels ont été ses effets en comparant d’abord les résultats obtenus pendant les mois d'avril, mai et juin 1839, avec ceux des mêmes mois de l'année 1838.

En 1838, pendant le trimestre que je viens d'indiquer, il n'y avait en exploitation que 189 kilom. de railway (38 lieues).

En 1839, durant les mêmes mois, 257 kil. (51 1/2 lieues) étaient exploitées, c'est-à-dire 13 1/2 lieues de plus qu'à la même époque 1838. .

Mouvement des voyageurs (successivement en dilig. et berli. réunies, chars-à-bancs, waggons et total)

Avril, mai et juin 1838 : 55,025 126,419 393,835 575,279

Avril, mai et juin 1839 : 55,433 142,280 267,725 465,438

En plus en 1838 : 408 126,110

En moins en 1838 : 15,861 109,841

Montant des recettes (en francs)

Avril, mai et juin 1838 : 185,424 222,512 334,589 740,525

Avril, mai et juin 1839 : 226,954 293,872 349,376 871,212

En plus en 1839 : 43,530 71,360 14,787 130,687

En mars 1838, il n'y avait en exploitation que 143 kil. (28 ½ lieues) ;

En mars 1839, 257 kil. (51 ½ lieues) étaient exploitées.

Comparons les résultats :

Mouvement des voyageurs (successivement en dilg. et berli. réunies, chars-à-bancs, waggons et total)

Mars 1838 : 14,227 28,253 94,345 136,825

Mars 1839 : 14,002 33,991 55,759 103,732

En plus en 1838 : 225 38,606 35,093

En moins en 1838 : 5,738

Montant des recettes (en francs)

Mars 1838 : 38,625 45,751 71,672 150,054

Mars 1839 : 54,594 68,296 73,066 195,958

En plus en 1839 : 15,969 24,545 1,594 45,004

Si ensuite nous calculons quel a été le nombre des voyageurs et le montant des recettes par lieue en exploitation, nous trouverons :

Que pendant le trimestre avril, mai et juin 1838, le nombre des voyageurs par lieue, a été de 15,158

Le montant des recettes, par lieue, de 19,487 fr.

Tandis que pendant le même trimestre 1839, le montant des voyageurs, par lieue, n'a été que de 9,037

Le montant des recettes, de 16,916 fr.

Maintenant, messieurs, quelles sont les conséquences que l'on peut tirer de cette comparaison ?

C'est que d'abord, par le tarif du 5 février 1839, l'intérêt que nous avons appelé social a été fortement lésé.

En effet, nous voyons que sous son empire, avec une exploitation de 51 ½ lieues, on a transporté en avril, mai et juin, 109,841 voyageurs de moins qu'en 1838 où l'exploitation ne s'étendait que sur 38 lieues ; et en mars 1839, 35,000 voyageurs de moins qu'en mars 1838 quand l'exploitation ne s'étendait que sur 28 ½ lieues.

C'est là un fait remarquable, qui prouve quelle influence immense, décisive, l'élévation du tarif exerce sur le nombre des voyageurs appelés à jouir des bienfaits du chemin de fer.

Quant aux recettes, elles ont été de 150,687 francs en plus qu'en 1838 pour le trimestre avril-juin. Mais, si l'on considère que l'exploitation était d'un quart plus étendue en 1839, que plusieurs stations nouvelles avaient été ouvertes, on doit reconnaître qu'avec le tarif si peu élevé du 31 juillet 1838, les recettes eussent été au moins aussi fortes.

Ainsi aucun avantage pour les recettes, désavantage complet pour les voyageurs, tels sont les effets du tarif du 3 février 1839, comparé à ceux qui l'ont précédé.

Ces effets se sont principalement fait sentir sur les classes voyageant en waggons, et on doit nécessairement en conclure que le prix de 20 centimes par lieue pour cette catégorie de voilures est désavantageux et n'est point en rapport avec les conditions de locomotion sur le chemin de fer et les habitudes d'économie de la classe ouvrière belge.

Veuillez remarquer, messieurs, que c'est cependant à ce chiffre de 20 centimes par lieue pour les waggons, que veut nous ramener la commission des tarifs ; il est donc bien essentiel d'examiner les résultats qu'il a produits.

Or, indépendamment des faits que je viens de signaler, il est à observer que les divers ministres des travaux publics qui se sont succédé aux affaires ont reconnu que ce chiffre était trop élevé. En effet, l'auteur du tarif du 3 février 1839, l'honorable M. Nothomb, a trouvé lui-même qu'il y avait nécessité d’apporter des modifications aux bases qu'il avait primitivement adoptées. Le 1er juillet 1839, vous le savez, messieurs, après 4 mois et demi d'existence, le tarif du 3 février fut modifié ; l'on établit des convois de 1er et de 2e classe, et pour ces derniers le prix du waggon fut ramené à peu près à l'ancien taux.

Le ministre actuel des travaux publics, l'honorable M. Desmaisières, paraît aussi craindre les inconvénients du chiffre de 20 cent. par lieue, car voici comment il s'est exprimé à ce sujet dans son rapport au Roi du 14 août dernier.

« Quant à la troisième classe, le prix que je me propose d'établir, bien qu'inférieur de 2 centimes au prix indiqué par la commission, excède cependant le prix actuel de 3 centimes ; c'est une espèce de moyen terme entre la base du tarif actuel et celle de la commission. Cc chiffre de transition, m'a paru d’autant plus nécessaire, qu'en remontant jusqu'à 20 centimes, on se fût trouvé au niveau du tarif de 1839, sous l'empire duquel on a introduit, comme correctif, les convois de deuxième classe, auxquels on a aujourd'hui renoncé, en considération des inconvénients bien constatés de cette répartition des convois en deux classes. »

Vous voyez ; messieurs, d'après le passage que je viens d'avoir l'honneur de vous lire, que M. le ministre pense que le chiffre de 20 centimes aurait besoin d'un correctif, correctif qu'il ne veut point admettre à cause de ses inconvénients. Mais alors je lui demanderai pourquoi il parle du chiffre qu'il a adopté comme d'un chiffre de transition ? Quant à moi, je l'approuve fort, au contraire, d'avoir adopté celui de 17 à 18 centimes, et je l'engage à y penser sérieusement avant de lui faire subir une augmentation.

Je passe maintenant à l'examen du tarif du 10 avril 1841. Il a été établi sur les bases suivantes :

Diligences, 40 c. par lieue de 5.000 m.

Chars-à-bancs, 20 c. id.

Waggons, 14 à 15 c. id.

La commission des tarifs a, dans son rapport du 5 août dernier, comparé les résultats obtenus pendant le trimestre, mai, juin et juillet 1841, à ceux des mêmes trois mois de l'année 1840, et trouvant que ces derniers étaient plus avantageux, sous le rapport financier, elle a proposé d'en revenir, à peu près, au tarif du 5 février 1839.

Mais il est bon de remarquer d'abord, que pendant l'année 1840 les convois de première et de deuxième classe étaient déjà établis. Il ne s'agissait donc plus alors du tarif du 3 février 1839 dans toute son intégrité. Un système nouveau, qui a existé du premier juillet 1839 au premier mai 1841, celui de deux espèces de convois, était en vigueur, système qui est maintenant, paraît-il, condamné par tout le monde à cause des inconvénients nombreux qu'il entraîne. Il est donc essentiel de constater que c'est entre ce système et celui du 10 avril 1841, que la comparaison a eu lieu et que l'on ne peut en tirer aucune conséquence décisive en faveur du tarif du 3 février 1839, tel qu'il existait en premier lieu.

Cependant deux faits d'une haute importance ne ressortent pas moins des rapports de la commission.

En 1841, pendant le trimestre mai, juin, juillet, il y a eu 142,204 voyageurs de plus qu'en 1840 ;

Mais la recette a été en moins d'une somme de 101,338 fr., non compris l'accroissement des dépenses d'exploitation.

Le mauvais temps, qui n'a pas cessé de régner durant les mois de juin et juillet 1841, a nécessairement exercé une influence fâcheuse sur les produits du chemin de fer. Mais, tout en tenant compte de celle circonstance, on ne peut s'empêcher de conclure des résultats obtenus, que si d’une part le système du 10 avril 1841 a été avantageux au mouvement des voyageurs, en compensation il a été funeste au montant des recettes. Ainsi, ce système n'a pas complètement résolu le problème dont on cherche la solution ; il n'a point concilié l'intérêt social et l'intérêt fiscal.

Une des raisons principales du déficit constaté par la commission, c'est sans contredit l'abandon considérable qui a eu lieu des diligences pour les chars-à-bancs. Cet abandon a été provoqué par deux causes : la différence de 15 centimes par lieue en faveur des chars-à-bancs, et l'amélioration de cette classe de voitures rendues plus commodes en les garnissant de glaces.

Ces deux causes de la réduction dans le nombre des voyageurs en diligence existaient déjà sous l'empire du tarif du 3 février 1839, ainsi que la commission l'a elle-même reconnu. Il ne serait donc pas juste d'en faire peser toute la responsabilité sur celui du 10 avril 1841. Seulement il paraît que cette tendance à déserter !es diligences, a été crescendo et qu'il était essentiel, dans l'intérêt du revenu du chemin de fer, de chercher à l'arrêter.

Quant à la réduction apportée sur le prix des waggons par le tarif du 10 avril, je crois avec la commission qu'elle a été trop forte, surtout celle opérée en faveur des petites sections.

S'il n'y avait sur notre railway qu'une classe de voitures, comme aux Etats-Unis, peut-être pourrait-on admettre le chiffre de 14 centimes par lieue, car l'immense affluence des voyageurs compenserait la faible quotité du péage ; mais le grand inconvénient d'un chiffre aussi bas chez nous, c'est qu'il est un obstacle à l'élévation du prix des voitures destinées aux personnes aisées, attendu que si les prix de ces voitures étaient proportionnellement beaucoup plus élevés, ils occasionneraient l'abandon des diligences et des chars-à-bancs au profit des waggons. Supposez, par exemple que le prix des waggon soit de 14 cent., celui des chars-à-bancs de 30 centimes et celui des diligences de 45 ; évidemment il en résulterait, surtout pendant l'été, un abandon très considérable des voitures des classes supérieures et une cause de perte pour les revenus du chemin de fer.

Ainsi, l'abaissement du prix sur les voitures destinées aux classes ouvrières ne peut avoir lieu sans entraîner une réduction équivalente pour les voitures destinées aux classes aisées, et c'est là le mauvais côté du système.

Il me semble donc, messieurs, que, considéré sous le point de vue de l'intérêt du trésor, le chiffre de 14 à 15 centimes par lieue pour les waggons est trop bas ; que, d'un autre côté, le tarif du 3 février 1839, a fourni la démonstration, pendant les 4 ½ mois qu'il a été en vigueur, que le chiffre de 20 centimes est une cause d'exclusion du chemin de fer d'un nombre fort considérable de voyageurs, et cela sans bénéfice équivalent pour le trésor. Je suis, en conséquence, amené ainsi à approuver le terme moyen adopté par le tarif du 19 août dernier qui a fixé le prix des places dans les waggons à 17 à 18 centimes par lieue de 5000 mètres. Ce taux me paraît être le chiffre normal auquel on doit se tenir. Je verrais avec peine qu'il ne fût que transitoire, car ceux-même qui croiraient trouver dans son élévation un bénéfice pour le trésor, courraient risque d'être trompés dans leur attente.

En approuvant ainsi la base principale sur laquelle repose le tarif du 19 août, je n'entends cependant pas dire qu'il est parfait dans toutes ses parties. L'expérience démontrera sans doute que plusieurs améliorations doivent encore y être apportées. Quoi qu'il en soit, ce tarif me paraît approcher de la solution du problème difficile que s'est posé l'administration des chemins de fer.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, si je viens contester les calculs donnés par M. le ministre des travaux publics, le seul motif qui me dirige, est de l'engager à ne pas trop se fier aux résultats qu'il attend du produit des chemins de fer. Je ne puis partager ses prévisions que nos chemins de fer terminés, les produits seront augmentés en proportion de leur étendue.

Pour être compris, je crois devoir ici donner un exemple.

62 lieues sont aujourd'hui livrées à la circulation ; en établissant que chaque lieue donne un produit de 100,000 fr., comme l'a annoncé M. le ministre, et cela annuellement, on ne doit pas en conclure que, lorsque les 110 lieues seront livrées en circulation, le produit sera, taux moyen, de 100,000 francs par lieue, soit de 11 millions pour les 110 lieues.

On ne doit pas perdre de vue que les parties exploitées actuellement sont celles qui doivent produire le plus et que les parties à livrer à la circulation sont celles qui produiront le moins.

Je conviens que lorsque les routes qui sont en construction seront livrées à la circulation, elles donneront une augmentation de voyageurs aux routes actuellement en exploitation, et que le chiffre des produits sera augmenté, particulièrement sur les routes de Gand, de Liége et de Mons à Bruxelles.

Et en supposant que 55 lieues de chemin de fer donnent 110,000 fr. au lieu de 100,000 fr., vous aurez augmentation de 10,000 fr. par lieue ; par contre, vous aurez 55 lieues qui ne donneront que 30 à 60 mille fr. par lieue, de manière que, taux moyen, si les produits sont portés à raison de 80 mille fr. par lieue, on ne pourrait encore se plaindre.

Je vais chercher à démontrer par des calculs les motifs qui me font croire que les prévisions de M. le ministre sont exagérées.

Messieurs, dans la séance du 19, M. le ministre nous a faite espérer des résultats avantageux en produit du chemin de fer et cela dans un temps assez rapproché : « Nous aurons 110 lieues de route livrées à la circulation, nous a dit M. Desmaisières, qui donneront une recette brute de 11 millions de francs annuellement » ; il établit ce produit d’après les prévisions que chaque lieue de route en fer donnera, taux moyen, 100,000 fr. annuellement. Des onze millions de produit on doit soustraire les frais d’exploitation de tout genre et de toute espèce. « Ces frais, nous a dit M. le ministre, peuvent être évalués à 6 millions, et il restera 6 millions pour servir les intérêts des capitaux levés, de manière que le trésor sera peu ou point grevé du chef de cette grande entreprise. »

S’il en était ainsi, on n’aurait pas lieu de se plaindre ; mais je prie M. le ministre de ne pas trop compter sur ce beau résultat ; en y comptant, il pourrait fort bien se tromper. Pour mon compte, j’en accepte l’augure, mais je n’y crois pas.

Je répondrai comme a répondu Cicéron :

Multa die quidem dicis sed tibi nemo credit.

Pour obtenir un produit de douze millions, il faut un grand changement dans les tarifs et une augmentation considérable dans le nombre des voyageurs et dans le transport des marchandises ; c’est ce que je ne prévois pas.

En outre, il faut une réforme considérable dans les frais d’exploitation, c’est ce que je ne prévois pas davantage. Il y aura quelques réformes sans doute, mais elles ne seront pas telles que le gouvernement puisse recevoir douze, quand il dépensera six ; ce sont là cependant les prévisions de M. le ministre, quand il a établi que sur 12 millions de revenu brut, il lui restera six de revenu net. Je sais qu’il n’est pas toujours exact de juger de l’inconnu par le connu, cependant en fait de la dépense de l’exploitation du chemin de fer, on pourrait faire la comparaison de ce qui est, pour établir ce qui sera, en tenant compte des améliorations à introduire dans cette administration.

Je vais établir le montant du chemin de fer en 1840, et, en 1841, comparés avec les frais d’exploitation. J’ai puisé ces données dans le troisième rapport de la commission des tarifs qui vient de nous être distribué. Je vois, à la page 116 de ce tableau, que pendant l’année 1840,

le chemin de fer a donné, en produit brut, fr. 5,335,167 05

la dépense fut établie à fr. 3,077,776 23

l’excédent de la recette est de fr. 2,257,390 82

tandis que, d’après les calculs de M. le ministre, le produit net ou l’excédent de la recette sur la dépense devrait être de 2,667,600 francs, somme ronde. Différence en défaveur des calculs de M. le ministre : 410,200 fr., aussi somme ronde, en 1840.

Voyons si, en 1841, on a été plus heureux et si nous avons fait des progrès en faveur du trésor :

la recette du chemin de fer, en 1841, a été de fr. 6,226,333 66

la dépense a été de fr. 4,386,946

l’excédent de la recette est de fr. 1,839,387 66

D’après les prévisions pour l’avenir, de M. le ministre, nous aurions dû obtenir, en revenu net ou en excédent de recette sur les dépenses, une somme ronde de 3,113,166 francs, et non 1,839,387 fr. Différence en moins, 1,273,779 fr. Loin d’avoir un produit de moitié sur le produit brut, nous n’en avons pas eu un tiers.

On me répondra que cette réduction proportionnelle en 1841 est le résultat d’une fausse opération, ou mieux d’un essai malheureux ; Dieu veuille que ce soit le dernier essai malheureux de nos hommes d’Etat ; mais je crains fort que ce ne sera pas le dernier.

Abandonnons la comparaison des recettes sur les dépenses de 1841, et admettons que les résultats obtenus en 1840 peuvent être considérés comme étant le type ou la boussole qui doit nous diriger dans nos calculs pour établir les revenus nets du chemin de fer à l’avenir.

Vous avez vu que, pendant l’année 1840, la recette a été de cinq millions 335,107 fr., et que la dépense fut portée à plus de trois millions, et que le résultat a été de plus de quatre cent mille fr. en moins que ne le prévoit M. le ministre pour l’avenir.

Je ferai en outre remarquer que les produits bruts n’ont pas atteint le chiffre de 100,000 fr. par lieue, chiffre établi par M. le ministre pour l’avenir. En 1840, 62 lieues de chemins de fer étaient en activité. Si, comme M. le ministre le croit, chaque lieue donnait 100,000 francs de revenu brut, la recette de 1840 aurait été portée à six millions deux cent mille francs, tandis qu’elle n’atteint que la somme de cinq millions 335,167 fr. ce qui constitue un nouveau déficit sur les prévisions ministérielles de 864,000 fr., somme ronde sur une étendue de 62 lieues, et d'un million et demi sur 110 lieues, lorsque nous aurons achevé les routes décrétées.

Admettons pour un moment que les produits du chemin de fer de l'exercice de 1840, puissent être pris comme devant représenter le produit, taux moyen, des 110 lieues de chemin de fer lorsqu'ils seront tous achevés : 62 lieues ayant donné 5,335,167 fr., chaque lieue a produit 86 mille fr. pendant 1840, et non 100,000 fr. ; de manière, que le produit brut sera porté pour 110 lieues à raison de 86 mille francs par lieue à 9,460,000 francs et non à 12 millions.

Et la dépense devant être établie pour l'avenir comme en 1840, soit à raison de 49 mille francs par lieue.

Soit, pour 110 lieues, une somme ronde de 5,390,000

Recette, 9,460,000

Dépense, 5,390,000

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Balance. 4,070,000

Quatre millions septante mille francs seront les produits nets du chemin de fer sur la dépense d'exploitation.

Soit environ 3 p. c. Pour construire ce grand travail on devra employer 150 millions environ, dont l'intérêt peut être établi à raison de 5 1/2 p. c., soit 8,250,000 fr.

Le revenu étant de 4,070,000 fr., le déficit sera de 4,180,000 fr. que nous devrons tous les ans porter au budget des dépenses pour suppléer à l'insuffisance du produit du chemin de fer sur les dépenses.

Nous ne pouvons pas établir les prévisions de l'avenir sur le présent.

Je doute que le chemin de fer, taux moyen, continue à produire comme il produit aujourd'hui. Vous savez que ce qui est nouveau plaît. Dès l'établissement du chemin de fer chacun a voulu faire une promenade par ce moyen de transport, chacun a voulu en goûter. Mais on se rassasie de tout ; il est des jouets pour tous les âges. Le chemin de fer est un jouet pour les grands enfants. Les grands enfants ont joué, se sont amusés avec le chemin de fer ; mais cela ne continuera pas ; à l'avenir on ne voyagera que quand on aura besoin de voyager. Il en résultera que vous verrez considérablement diminuer le nombre des voyageurs par le chemin de fer.

J’ajouterai une autre observation. Sans doute la Belgique, depuis la révolution, s'est trouvée dans l'aisance. Mais cette aisance continuera-t-elle à exister ? Aujourd'hui on fait beaucoup de voyages par le chemin de fer. Mais, si ce qui peut arriver, cette aisance vient à diminuer, il en résultera qu'on ne fera que les voyages strictement nécessaires.

D'un autre côté, dans un temps assez rapproché, vous devrez renouveler votre matériel, locomotives, diligences, chars-à-bancs, waggons, enfin tout ce qui constitue le matériel du chemin de fer qui finira par être complètement détérioré et par devoir être renouvelé.

J'appellerai encore votre attention sur une circonstance que nous devons prévoir. Il est à remarquer que la Belgique ne reste pas dans un état de tranquillité plus de 25 à 30 ans. Or, on ne peut garantir que dans l'espace de 20 à 30 ans à partir de la construction, il ne survienne pas quelque secousse. Que ferez-vous dans ce cas où votre chemin de fer sera forcé de rester dans l'inaction ? vous devrez continuer à payer toute l’administration de ce chemin de fer. Vous aurez également à payer les intérêts des capitaux engagés. Vous vous trouverez avoir une dette d'environ 12 millions à payer tous les ans.

Si vous tenez compte de tous les intérêts froissés par la construction du chemin de fer, vous devez prévoir les dégradations qui pourront en être la conséquence : les enlèvements de billes, les bris de voitures, etc. Voilà des chances défavorables dont on doit tenir compte. Je bornerai là mes observations ; je désire que nos hommes d'Etat soient a l'avenir plus heureux dans leurs calculs, et trouvent moyen de faire produire au chemin de fer, sinon un excédant pour amortir le capital engagé, du moins les intérêts de ce capital. Pour y parvenir, il y a encore beaucoup de choses à faire et beaucoup d'espace à parcourir.

M. Dumortier. - Lorsqu'il s'est agi de la construction du chemin de fer, le système de construction aux frais de l'Etat fut admis par la chambre après une bien longue discussion. Mais ce qui le fit admettre par l'assemblée, ce fut l’engagement pris par le gouvernement de faire couvrir ses dépenses au chemin de fer. Ce système fut sanctionné par la section centrale. Je veux vous donner lecture d'un texte formel, par lequel le législateur imposait au gouvernement de faire couvrir par les produits du chemin de fer les dépenses de dette opération commerciale, car c'est une opération commerciale aux frais de l'Etat.

Permettez-moi de vous rappeler ce qui s'est passé alors ; car cela deviendra le point de départ de ce que j'aurai l'honneur de vous dire tout à l'heure. Dans le projet de M. Rogier, les intérêts et l'amortissement du capital engagé, ainsi que les frais d'entretien, devraient être couverts par les péages dont les tarifs seraient annuellement votés par la chambre. C'est dans ce sens que la loi a été formulée par la section centrale. L'art. 5 porte : les produits de la route provenant des péages qui devront être réglés annuellement par la loi, serviront à couvrir les intérêts et l'amortissement de l'emprunt ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et d'amélioration.

Voilà ce qu'a prescrit le législateur ; il faut que l'intérêt et l'amortissement de l'emprunt, comme l'entretien et l'administration de la nouvelle communication, soient couverts (remarquez l'expression) par le produit du chemin de fer. En effet, à l'époque où la loi fut discutée, les orateurs partisans de la concession, présentaient le chemin de fer comme devant remplir les caisses du trésor ; il semblait qu'on allait réduire les impôts au moyen du chemin de fer ; qu'on trouverait là non seulement de quoi couvrir l'intérêt et l'amortissement de l'emprunt, et l'entretien et l'administration, mais encore de quoi pourvoir à une partie des contributions qui pèsent sur le pays. Jamais les hommes sérieux n'ont admis cela. J'ai voulu rappeler ces faits, qui sont présents à la mémoire de tous ceux qui siégeaient dans cette chambre, lors de cette discussion, afin qu'on soit bien convaincu que dans l'intention du législateur, le chemin de fer devait couvrir non seulement ses frais d'entretien et de réparations annuelles, mais encore suffire au payement des intérêts et à l'amortissement de l'emprunt. On était tellement convaincu que le chemin de fer devait couvrir ses dépenses, que l'honorable M. Smits, aujourd'hui ministre des finances, alors rapporteur de la section centrale, proposait de déclarer que l'emprunt serait remboursé à partir des six ans qui suivraient la promulgation de la loi, afin de laisser le chemin de fer s'achever de manière qu'il produisît tous les revenus qu'on devait en attendre. Avons-nous atteint ce résultat ? Telle est la question qu'on doit se faire. L'excédant du budget des recettes sur celui des dépenses démontre que non seulement le chemin de fer ne couvre pas ses dépenses, mais encore que chaque année il faut 2 millions au moins pour faire face au déficit du chemin de fer. Je dis deux millions, et ce chiffre est bien bas ; car le chiffre de cette année monte à 4 millions ; mais je ne veux pas admettre ce chiffre comme absolu, attendu qu’une partie de l’emprunt n’a pas encore reçu d’application. Mais il conste à l’évidence, des documents récemment publiés, que le chemin de fer produit annuellement un déficit de 2 millions.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. Dumortier**.** - Voilà un excédant de dépense de 2 millions que l'on devrait commencer par couvrir.

A mes yeux, cette question du chemin de fer est pour la Belgique une question d’avenir. Avec deux millions de plus, vous construiriez les canaux que réclame l'industrie, vous amélioreriez le sort de l'industrie, vous donneriez des encouragements aux lettres, aux sciences et aux arts, ce qui est un devoir pour un gouvernement ; car il est de son devoir de s'occuper de tout ce qui doit donner de l’éclat au pays. Avec deux millions de plus, vous feriez de grandes choses. Avec deux millions de moins, vous ne pourrez obtenir les résultats importants que je viens d'indiquer. Vous voyez que cette question est grosse d'avenir.

Je pensais que la chambre qui a vu les résultats de l'ancien tarif aurait applaudi au nouveau tarif. J'ai été grandement surpris de voir un honorable député de Liége contester les propositions de la commission chargée d'examiner ce qui se rattache à cette question.

Dans l'origine, le tarif du chemin de fer devait être annuellement réglé par la loi. On a reconnu l'impossibilité absolue d'en agir ainsi dans le principe ; en effet, lorsqu'on a ouvert la section de Bruxelles à Malines, il était impossible de prévoir quel en serait le produit. Il fallait, comme pour toutes les opérations qui n'ont pas de précédent, procéder par tâtonnements ; or, la loi ne peut agir ainsi. Il fallut donc donner au gouvernement carte blanche pour régler le tarif du chemin de fer entre Anvers et Bruxelles.

C'est dans ce sens qu'une loi fut votée à la demande de M. de Theux, ministre de l'intérieur. On espérait alors qu'on serait bientôt rentré dans les principes de la législation ; car de même que la loi prescrit que le chemin de fer couvre et ses dépenses et l'intérêt et l'amortissement de l'emprunt, de même elle prescrit qu'une loi fixe annuellement les péages du chemin de fer. Malgré une disposition si formelle, cet objet n'a jamais été réglé par la loi, c'est-à-dire que chaque année nous autorisons le gouvernement à fixer le tarif du chemin de fer au moyen d'arrêtés, et qu'ainsi ce tarif n'est pas fixé par la loi comme l’ordonnait la disposition primitive.

Dans le cours des événements, plusieurs modifications ont été introduites dans les tarifs, jusqu'à ce qu'enfin, par arrêtés pris à la fin du dernier ministère, des modifications considérables ont été introduites, quant au prix des places des voyageurs, quant au péage des marchandises, et notamment quant au camionnage. Dans la pensée du ministère d'alors, ces modifications ne devaient avoir lieu qu'à titre d'essai et ne devaient durer que 3 mois.

Je dirai en passant, avec l'honorable M. Eloy de Burdinne, que nous devrions laisser faire ces essais par d'autres. En fait d'essais, nous sommes fort malheureux. On doit laisser faire ces essais par ceux qui ont le moyen d'en couvrir la dépense ; mais ceux dont les finances sont gênées, doivent se les interdire. Un essai fut donc ordonné. Une commission fut nommée pour en apprécier le résultat ; elle fut chargée d'examiner les résultats comparatifs du système nouveau et du système précédent. Cette commission, dont j'avais l'honneur de faire partie, a examiné les résultats, avec le soin le plus consciencieux. Vous connaissez les trois rapports qu'elle a publiés. Le premier résultat de.la modification a été que le nombre des voyageurs a augmenté, et que le montant des recettes a diminué en proportion de l'augmentation du nombre des voyageurs. Il y a eu, par jour sur tout le chemin de fer, 1545 voyageurs de plus qu'en 1840, et malgré cette énorme augmentation, le chemin de fer a présenté, chaque jour, une diminution de recette de 1100 fr.

Il n'y a pas à s'applaudir de l'augmentation du nombre des voyageurs, lorsqu'il y a diminution dans les recettes ; car le chemin de fer n'est pas fait pour créer des voyageurs, mais pour couvrir ses dépenses. Lorsque le gouvernement fait une entreprise commerciale, il doit chercher le premier résultat qu'on cherche dans toute entreprise commerciale, c'est-à-dire à couvrir les dépenses.

Remarquez que ce chiffre du nombre des voyageurs est fort peu significatif, car les stations intermédiaires procurent le tiers des voyageurs du chemin de fer (ce sont des personnes qui voyagent à de très courtes distances, qui vont se promener sur le chemin de fer), et elles ne rapportent que le treizième des recettes du chemin de fer. Ce ne sont pas ces voyageurs, mais les voyageurs de long cours, ceux qui parcourent de longues distances qu'il faut favoriser. Lorsqu'il y a perte dans l'unité en augmentant le nombre des voyageurs, vous augmentez la perte. Il y avait perte, et la perte s'est multipliée, et la perte s'est accrue en raison de l'augmentation du nombre des voyageurs,

Vous concevez qu'un pareil état de choses ne pouvait continuer ; une modification a été introduite, sur la proposition de la commission chargée de la révision du tarif ; elle a amené un résultat extrêmement avantageux, à savoir une augmentation de 1,226 voyageurs par jour et au lieu d'une diminution de 1,100 francs par jour, une augmentation de 1,268 fr. Voilà un résultat significatif.

Il résulte de cette double expérience qu'une légère augmentation de tarif, non seulement ne réduit pas le nombre des voyageurs, mais encore n'empêche pas qu'il augmente. Voilà des résultats qui sont patents. Maintenant il vous reste à choisir entre un tarif qui produit une diminution de 1100 frs. par jour, et un tarif qui produit une augmentation de 1268 frs. par jour : différence, 2368 fr. Je crois que le choix sera bientôt fait, surtout lorsqu'il est démontré que cette augmentation n'amène pas de préjudice dans le transport des voyageurs.

Indépendamment de la perte qui résulta du tarif adopté par le dernier ministère, une autre cause est venue diminuer les recettes du chemin de fer, c'est la mesure relative aux chars-à-bancs. Vous savez qu'ils avaient des rideaux ; à ces rideaux on a substitué des glaces, On en a fait ainsi des voitures aussi commodes que des diligences. Pour le gouvernement qui exploite le chemin de fer le poids des voyageurs est toujours le même, qu'ils voyagent dans les chars-à-bancs, dans les diligences ou dans les waggons. Il doit donc chercher à faire refluer les voyageurs des waggons dans les chars-à-bancs et des chars-à-bancs dans les diligences. Or cette modification a eu un résultat différent, puisque les voyageurs des diligences ont reflué dans les chars-à-bancs et que par suite de la grande réduction dans le prix des waggons, une grande partie des voyageurs des chars-à-bancs ont reflué dans les waggons. Tout le bénéfice des voyageurs a donc été pour les waggons qui rapportent le moins à l’Etat. C'est là une faute très grave qu'il fallait réparer.

Il n'y avait pas moyen de rétablir les chars-à-bancs tels qu'ils étaient primitivement ; les modifications une fois introduites, il n’y avait plus moyen de reculer, Mais il restera cependant démontré à la chambre que cette modification a été nuisible au trésor public, et qu'elle a apporté une perte réelle dans les recettes du chemin de fer. Je conçois très bien, messieurs, que de pareilles choses puissent se faire mais, pour mon compte, je déclare, comme je l'ai déjà déclaré, que toutes ces prétendues améliorations, qui n'ont pour but que des moyens de popularité pour tel ou tel ministre, ne peuvent avoir mon assentiment, lorsque cette popularité ne s’acquiert qu'aux dépens du trésor public.

Il y a une question qui est au-dessus de tous les ministères, c'est l'intérêt du trésor public. Les ministres passent, le trésor reste. Il est très facile à un ministère, en arrivant aux affaires, de se rendre populaire en faisant des dépenses, en ruinant le trésor public. Mais ce n'est pas pour cela que nous donnons notre confiance aux ministres, c'est pour qu'ils maintiennent les intérêts du trésor ; car vous ne pouvez rien faire sans que les caisses du trésor soient remplies.

Voilà quels ont été les résultats de la première expérience relativement au transport des voyageurs. Vous voyez que ces résultats ont été excessivement malheureux.

Les résultats ont-ils été plus heureux quant aux marchandises ?

Point du tout, le trésor public s'est trouvé encore une fois dans un état très préjudiciable.

Je n'entrerai pas ici dans une foule de questions de détails par lesquels il me serait facile de vous démontrer que les tarifs dont il s'agit ont été faits avec une précipitation inconsidérée qui ne ressemble à rien ; je me bornerai à vous signaler un fait, c'est que le système établi pour le transport des marchandises spécialement pour le camionnage, a apporté un préjudice énorme au trésor.

Ainsi, pour ne signaler qu'un fait : dans la station de Courtrai le camionnage, par le premier système établi par l'honorable M. Rogier, se faisait au moyen d'une dépense par mois d'environ 120 fr., et les choses se faisaient sans aucune espèce de plainte. On a voulu améliorer, et on a introduit un nouveau système qui amène par mois pour le même bureau une dépense de 1,200 fr. Voilà assurément des résultats bien fâcheux. Lorsqu'un système était bon, il était inutile de le remplacer par un autre qui amenait une ruine manifeste pour celui qui l'exécutait.

Ce système du camionnage a nécessité une augmentation d'employés vraiment effrayante. Le chemin de fer est devenu une lèpre, une véritable lèpre pour le trésor.

Et cependant, je me hâte de dire qu'après avoir examiné la question d'une manière approfondie, j'ai la conviction profonde que rien ne serait plus facile que de voir le chemin de fer non seulement couvrir ses dépenses d'entretien, le service des intérêts et de l'amortissement, mais encore amener un bénéfice. Ce n'est pas que je veuille dire que nous devons chercher à faire un bénéfice, mais je soutiens seulement que rien ne serait plus facile, si la chose était bien gérée, si au lieu de faire des expériences basées sur des théories, on s'appuyait sur les faits.

Ce qui doit avant tout nous éclairer, ce sont les enseignements de l'expérience. Eh bien ! Je vais signaler un fait qui prouvera comme la lumière du jour combien le système introduit est vicieux pour le trésor public.

Vous savez, messieurs, que la ville qui a donné l'exemple des chemins de fer à la Belgique, c'est Manchester. Là, messieurs, il se fait un commerce immense, et un transport immense de marchandises. Dans le bureau de Manchester, qui correspond aux lignes du Nord, de l'Est et de l'Ouest, il se fait journellement un mouvement de 1,000 tonneaux par jour. Eh bien ! Savez-vous combien d'employés a ce bureau avec ce mouvement énorme de marchandises ? Il y a 18 employés en tout.

Comparons maintenant cet état de choses avec ce qui se passe en Belgique. En Belgique, le bureau d'Ans fournit jour par jour, taux moyen, 250 tonneaux de marchandises, c'est-à-dire le quart de ce que fournit le bureau de Manchester. Vous voyez que, dans une proportion semblable, 4 employés et demi ou 5 employés devraient suffire au bureau d'Ans. Eh bien, nous avons au bureau d'Ans 84 employés. Comment voulez-vous qu'une entreprise puisse amener des résultats satisfaisants, lorsqu'elle est gérée d'après un pareil système ? Lorsqu'on signale un pareil système, je dis qu'il est condamné.

Messieurs, l'honorable M. David a supposé que le chemin de fer produit actuellement 3 p. c. du capital engagé. Pour arriver à ce résultat, il a évalué la dépense actuelle à 62 millions. D'abord je ferai remarquer à l'honorable membre qu'il se trompe grandement lorsqu’il dit qu'il n'y a que 64 millions d'employés. La somme dépensée jusqu'à ce jour est de 80 millions, et le budget de la dette publique se trouve chargé d'une dette de 120 millions pour le chemin de fer.

Mais admettons pour un moment l'exactitude des allégations de mon honorable collègue. Eh bien, il sera toujours constant que la loi est violée, en ce sens que le chemin de fer ne rapporte pas, comme la loi le veut, outre les frais d'administration, de quoi servir les intérêts et l'amortissement du capital engagé, et qui demanderait un revenu moyen de 6 p. c.

M. Devaux-. - La loi ne dit pas cela.

M. Dumortier.- La loi ne dit pas cela ! eh bien ! vous allez le voir, voici le texte de la loi :

« Les produits de la route provenant des péages, qui devront être annuellement réglés par la loi, serviront à couvrir les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et d'administration de la nouvelle voie. »

On viendra dire que ces mots : serviront à couvrir, n'ont pas la signification que je leur donne. Je vois déjà l'argument que veut m'opposer l'honorable M. Devaux, et j'y réponds. Ces mots serviront à couvrir, ne veulent pas dire couvriront. Eh bien, je répondrai à l'honorable M. Devaux que si la loi ne disait pas cela, le sens commun le dirait. Mais il y a plus : l'exposé des motifs le dit dans les termes les plus exprès. Voici le texte tel que l'a formulé l’honorable M. Rogier :

« Les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et d'administration de la route seront couverts par des péages dont les tarifs seront annuellement arrêtés par la loi. »

Ainsi les intérêts et l'amortissement, ainsi que les dépenses annuelles de l'administration, seront couverts par les recettes. Voilà qui est bien clair. On dit que la loi ne dit pas la même chose ; eh bien, je ferai remarquer que ces mots : serviront à couvrir, n'ont été introduits dans la loi que comme une modification de rédaction. Voici ce que dit la section centrale :

« Nous avons adopté, sauf un amendement de rédaction, l'art. 5, où, au lieu d'établir que les dépenses annuelles de l'entreprise seront couverts par les péages, on a cru plus logique d'énoncer que les produits de la route serviront à couvrir les dépenses annuelles. »

Ainsi, vous le voyez, messieurs, il ne peut y avoir de doute, les produits de la route devaient servir à couvrir les dépenses.

Ce n'est donc qu'une modification de rédaction qui n'a en rien modifié la pensée première.

Au reste, lisez tous les discours ; rappelez vos souvenirs, et il n'y a pas un seul d'entre vous qui pourra dire qu'on a eu la pensée que le chemin de fer ne couvrirait pas les dépenses.

Je dis donc qu'il est constant que cette disposition de la loi n'a pas été exécutée ; et cependant de l'exécution de cette loi dépend en grande partie la prospérité du trésor public, Car si le chemin de fer couvrait ses dépenses, nous pourrions exécuter les canaux que l'intérêt du pays exige ; nous pourrions améliorer toute la position du pays ; tandis qu'avec deux millions de moins, nous n'atteindrons qu'un résultat, c'est de faire voyager à meilleur marché.

Et que m'importe, à moi qui habite une contrée éloignée du chemin de fer que vous voyagiez à aussi bon marché ? Mais on devrait déjà être très heureux de voyager aussi rapidement. Faut-il donc que je paie de ma poche une partie de vos frais de voyage ? Ce sont là des libéralités excessivement commodes, mais qui n'ont lieu qu'aux dépens du trésor public, ce que je ne veux pas ; et je crois que les contribuables ont le droit de demander compte de cette partialité en faveur du chemin de fer.

Messieurs, je le répète, les chemins de fer sont de nature à produire des résultats avantageux. Interrogez les faits ; voyez toutes les entreprises de ce genre en Angleterre, en Allemagne. Là les chemins de fer produisent des résultats tellement avantageux que partout des sociétés se présentent pour en entreprendre de nouveaux. Ici, c'est tout le contraire ; on voudrait que le chemin de fer fût une ruine pour l'Etat. Voilà ce que je ne puis concevoir.

Il y a plus, c'est que le système que vous soutenez est funeste aux chemins de fer ; c'est un mauvais exemple que vous donnez à l'Europe. Comment voulez-vous que les autres Etats viennent mettre leurs chemins de fer en contact avec les vôtres, lorsque vous établissez un système ruineux pour ces sortes d'entreprises. Ainsi l'Allemagne va joindre ses chemins de fer aux nôtres ; eh bien ! ou l’Allemagne vous imitera et alors elle travaillera à sa ruine ; ou bien elle ne vous imitera pas, et alors elle pourra obtenir des bénéfices à votre détriment ; car elle pourra spéculer sur le taux peu élevé de vos tarifs pour améliorer sa position.

Messieurs, je n'en dirai pas davantage ; j'ai voulu signaler quelques faits en réponse à ce que vous a dit l'honorable M. David. Je ne le suivrai pas dans tous ses calculs ; je me bornerai à dire qu'ils sont erronés.

Je vous ai démontré que, par le premier tarif, il y avait chaque jour onze cents francs de perte pour le trésor sur les voyageurs, Tandis que pour le nouveau tarif, il y a 1,200 fr. de bénéfice ; que loin que le second tarif ait causé une diminution dans le nombre des voyageurs, ce nombre a été plus considérable en 1841 qu’en 1840. Je vous ai démontré que dans le système introduit par le premier ministre, relativement au transport des marchandises, il y avait eu abus réel, en ce sens que ce système avait nécessité une masse d'employés, qui sont la ruine du trésor public, Je vous ai démontré que le transport des marchandises à Manchester ne nécessite que 18 employés ; tandis que le bureau d'Ans, qui ne fournit que le quart du mouvement des marchandises de Manchester, en demande 84.

Pour mon compte, je ne voterai pas pour un pareil système, si désastreux pour le trésor public. J'ai aussi, messieurs, trop de confiance dans votre patriotisme et je crois trop à votre désir de réduire les dépenses inutiles, pour ne pas être persuadé que vous refuserez également votre sanction à ce système.

M. Rogier. - Messieurs, quand on parle au nom du trésor public, sans avoir le désir de faire de la popularité, on est cependant certain d'atteindre ce but. Je ne reproche pas à l'honorable préopinant de vouloir faire de la popularité, en se posant ici le défenseur des intérêts du trésor public ; je crois qu'il remplit son devoir de bon député, et sous ce rapport, je ne puis que m'associer entièrement à sa manière de voir ; je pense qu'il est du devoir d'un bon député, qu'il est du devoir d'un bon ministre, de soigner les intérêts du trésor public ; cette doctrine a toujours été la mienne, et dans toutes les mesures que j'ai prises pendant mon administration, en ce qui concerne le chemin de fer, mon intention a toujours été de concilier l'intérêt public avec les intérêts du trésor public. Il n'est pas une seule mesure prise par moi, laquelle, dans chacun de ses considérants, ne renferme la condition de concilier autant que possible les intérêts du public en général et ceux du trésor en particulier.

Ce serait une singulière manière de faire de la popularité, que de vouloir, ainsi qu'on en accuse l'ancien ministère, que de vouloir ruiner le trésor public, que de vouloir ruiner l'Etat. A qui peut-on supposer cette ridicule idée d'arriver à la popularité, en ruinant le peuple ?

Messieurs, on a adressé aux mesures prises par mon administration le reproche de léser gravement le trésor public. Je tiens à établir que ces mesures n'ont pas, comme on le dit, nui gravement au trésor public, et en même temps qu'elles ont été grandement utiles à la généralité.

L'honorable M. David, qui a parlé le premier, et qui a mis en avant des chiffres officiels, qu'on n'a pas cru devoir réfuter, commencé par établir que, pour l'année 1841, année pendant laquelle les effets des mesures prises par moi se sont fait sentir, la situation du chemin de fer est celle-ci :

Dépense, fr. 4,403,000

Recettes, fr. 6,226,333

Excédant des recettes sur les dépenses, fr. 1,823,333

C'est-à-dire 3 p. c. ou environ du capital engagé dans la construction des lignes en exploitation.

Ce revenu de 3 p. c. du capital engagé dans l'exploitation est admis comme exact par l'honorable M. Dumortier lui-même. Il a senti qu’il serait souverainement injuste de faire payer par les produits des lignes en exploitation, les intérêts des capitaux engagés dans les lignes en construction : il faut que les produits de l'exploitation couvrent les intérêts des capitaux engagés dans les lignes exploitées. Quand les lignes en construction seront livrées à l'exploitation, ce sera le moment de demander qu'elles couvrent les intérêts des capitaux qu'elles ont coûté. Je pense que tout le monde doit être d'accord sur ce principe.

D'une part, l'honorable M. Dumortier reconnaît que les recettes de 1841 ont rapporté 3 p. c. du capital engagé ; et d'un autre côté il annonce que le chemin de fer a présenté, pour l'année 1841, un déficit de 2 millions.

Et pourquoi le chemin de fer présenterait-il un déficit de 2 millions ? Parce que, dit l'honorable M. Dumortier, la loi de 1834 a voulu qu'il rapportât par an, non pas 3 p. c, mais 5 p. c.

. Messieurs, je crois que c'est une manière beaucoup trop rigoureuse d'envisager la question ; dans l'état actuel des choses, je ne pense pas qu'on puisse considérer le chemin de fer comme étant en perte, lorsqu'il ne rapporte pas 5 p. c. des capitaux qu'il a coûté, avant d'exiger un tel produit du chemin de fer, il faudrait au moins attendre, me semble-t-il, qu'il fût terminé.

L'honorable M. Dumortier a comparé avec beaucoup de raison l'exploitation du chemin de fer à une opération commerciale. Je suis d'accord avec l'honorable M. Dumortier ; mais avant de juger définitivement une opération commerciale, il faut que cette opération soit achevée, soit complète ?

Que fait-on aujourd'hui sur le chemin de fer ? Des essais successifs, des commencements d'exécution ; mais jusqu'à ce qu'il soit entièrement achevé, jusqu'à ce qu'il soit relié tant avec la France qu' avec l'Allemagne, et j'espère même un jour avec la Hollande ; jusque-là il est impossible de dire ce que le chemin de fer doit rapporter.

Je dis même qu'il est très heureux que dans l'état encore incomplet de cette voie de communication, nous soyons arrivés à un revenu net de 3 p. c. par an.

L'on dit, messieurs, que les mesures qui ont été prises par l’ancien ministère ont été fatales au trésor, tant pour ce qui concerne le tarif des voyageurs que pour ce qui concerne le tarif des marchandises.

Tout en se livrant à une attaque violente contre le tarif des voyageurs du mois d'avril 1841, on a beaucoup exalté le tarif du mois d'août de la même année. L'honorable M. Dumortier a des raisons particulières de louer le tarif du mois d'août 1841. Eh bien, messieurs, je vais dire une chose qui peut-être étonnera l'honorable M. Dumortier : c'est que je me joins à lui pour applaudir au tarif du mois d'août ; c'est que les principes que j'ai posés dans le tarif du mois d'avril sont précisément ceux qui ont guidé les auteurs du tarif du mois d'août 1841 ; plus l'honorable M. Dumortier louera le tarif du mois d'août 1841, plus nous serons d'accord.

De quelles bases suis-je parti ? J'ai voulu rendre le chemin de fer plus productif, en y ramenant une circulation qu'un tarif trop élevé avait singulièrement réduite. Sur quelle classe de voitures a porté mon essai ? Sur les voitures de 3e classe, sur les wagons. Quel a été le résultat de la réduction du tarif sur les wagons ? Une augmentation de 146,000 francs, pendant les trois mois, de mai, juin et juillet, qu'a duré l'essai et une perte en recette, je le reconnais, de 24,000 fr. Voilà pour ce qui concerne le tarif des waggons.

Mais le tarif des diligences et des chars-à-bancs auquel je n'avais pas touché au fond et que je m'étais borné à régulariser, vu les anomalies étranges qu'il présentait ; ce tarif, quoique maintenu, a donné lieu à des pertes beaucoup plus grandes, non pas sur les chars-à-bancs, mais sur les diligences.

La perte sur le produit des diligences, dans l'intervalle de trois mois, a été de 63,000 francs ; tandis que sur les waggons elle n'a été que de 24,000 francs.

On a dit que les voyageurs des diligences étaient descendus dans les chars-à-bancs. Eh bien, ceci est un fait entièrement étranger au tarif des waggons. L'on a dit aussi que les voyageurs des chars-à-bancs étaient descendus dans les waggons ; et pourquoi ? serait-ce parce que les chars-à-bancs avaient été améliorés ? Les chars-à-bancs sont devenus plus commodes, et voilà que les voyageurs ayant l'habitude des chars-à-bancs descendent dans les waggons, parce que le prix des waggons avait été réduit ! Il n'en est rien messieurs, si les chars-à-bancs ont été améliorés, ils ont dû retenir les voyageurs ; je conçois qu'une diminution du prix des waggons, combinée avec le maintien des anciens chars-à-bancs, eût eu pour résultat de refouler des voyageurs des chars-à-bancs dans les waggons. Mais du moment où les chars-à-bancs étaient améliorés, ils ont dû retenir les voyageurs et ne pas les chasser dans les waggons.

D'ailleurs, messieurs, il est impossible de ne pas reconnaître la cause qui a dû occasionner une diminution dans le nombre des voyageurs de toutes les classes, cette cause, chacun s'en souvient, on ne peut point la nier, c'est le mauvais temps. L'expérience de l'application du tarif a eu lieu pendant 112 jours ; sur ces 112 jours, il y a eu 75 jours de pluie ; le relevé en a été fait d'après les tableaux de l'annuaire de l'observatoire. Eh bien, cette circonstance a dû nécessairement repousser un très grand nombre de voyageurs.

Veut-on, messieurs, une preuve encore qu'il y a eu réellement diminution et non pas déplacement de voyageurs ? Cette preuve se trouve dans le poids des bagages transportés qui a été inférieur au poids des bagages transportés dans la période correspondance de l’année antérieure. Cela prouve bien, messieurs, que les voyageurs des diligences ne sont pas descendus dans les chars-à-bancs ; car s’il n’y avait eu qu’un déclassement de voyageurs, les bagages n’auraient pas diminué.

Quoi qu’il en soit, messieurs, en supposant que le tarif d’avril ait eu les effets désastreux qu’on lui attribue, je demande comment il se fait que le tarif du mois d’août 1841 s’est plus rapproché de ce tarif prétendument désastreux que celui de 1839 que le tarif d’avril 1841 a remplacé. Ce sont les principes du tarif d’avril qui ont guidé les auteurs du tarif du mois d’août suivant. Ainsi sur la ligne la plus importante du chemin de fer, sur la ligne de Bruxelles à Malines, sur la ligne qui joint la capitale au point central de tous les chemins de fer, le tarif du mois d'avril est continué quant aux waggons et diminué même quant aux diligences.

J'avais soutenu en principe, qu'en diminuant le prix des voitures on pouvait arriver à une augmentation de recettes ; donnant une adhésion entière à ces principes, M. le ministre des travaux public a diminué le prix des diligences ; il a cru qu'en prenant cette mesure il obtiendrait de meilleurs produits, comme j'ai pensé qu'en diminuant le prix des waggons je pouvais obtenir de meilleurs produits.

Ainsi, messieurs, en fait, le tarif d'avril a été maintenu pour la section la plus importante du chemin de fer, pour la section de Bruxelles à Malines ; en principe, le tarif a été maintenu, puisqu'on a procédé par le même moyen, qu'on a voulu obtenir de plus forts produits en diminuant le tarif pour les diligences. J'avais condamné le tarif de 1839 comme trop élevé, on n'est pas revenu à ce tarif ; on condamne le tarif d'avril comme n'étant pas assez élevé, et cependant on se rapproche plus de ce tarif que de celui de 1839.

Je passe, messieurs, au tarif des marchandises.

Ici aucune décision n'a encore été prise par M. le ministre des travaux publics ; j'ignore quelle est son opinion, quant au système qu'il s'agira d'introduire ; je ne sais si mes observations seront écoutées, mais je crois qu'elles sont encore opportunes, puisque rien n'est décidé jusqu'ici.

Mon opinion, messieurs, a toujours été, ainsi que je l'ai dit, qu'il faut chercher à rendre le chemin de fer le plus utile possible au public en le rendant le plus productif possible pour le trésor. Sous ce double rapport le chemin de fer a été loin de produire toute son utilité en ce qui concerne le transport des marchandises. Jusqu'à l'année 1838, le chemin de fer avait produit très peu de recettes quant au transport des marchandises, bien qu'il fût exploité depuis plusieurs années.

En 1839, le chemin de fer a transporté 40,000 tonneaux de marchandises ;

En 1840, le nombre de tonneaux transportés s'est élevé à 110,000. (C'est à partir du mois de juillet 1840 que le nouveau système de transport fut introduit.)

En 1841 le nombre des tonneaux de marchandises transportés par le chemin de fer s'est élevé à 175,000, c'est à dire à près de quatre fois autant que ce qui avait été transporté en 1839.

En 1839 le chemin de fer n'acceptait les marchandises que pour un tonneau de 1,000 kilog. à la fois, aussi le chemin de fer était loin de transporter toutes les marchandises qu’il pouvait transporter.

D’après le tarif de 1840, le chemin de fer devait accepter les marchandises d’un poids moindre ; les marchandises furent divisées en plusieurs catégories ; il y eut aussi un commencement de réduction dans les tarifs. Eh bien, dès 1840 le nombre des tonneaux de marchandises transportées par le chemin de fer s’éleva de 48,000 à 110,000, de plus le chemin de fer transporta à domicile 53,000 petits colis ou paquets et 4,200 groupes de finance.

En 1841, le même système continuant, le chemin de fer transporta 175,000 tonneaux, il transporta en outre à domicile 240,000 paquets et 22,000 groupes de finance.

On soutient que la remise des marchandises à domicile a occasionné une grande partie pour le trésor ; on n’a pas donné des chiffres à l’appui de cette assertion, mais en comparant le bureau de Manchester au bureau d’Ans, on dit qu’à Manchester, les marchandises manipulées, entrant et sortant, quoique 4 fois supérieures en poids à celles qui sont manipulées à Ans, n’exigent que 18 employés, tandis qu’au bureau d’Ans, il y a 84 employés. Je ne sais ce qu’il faut croire du nombre des employés qui se trouvent à la station de Manchester.

M. Dumortier. – Ce sont des ouvriers.

M. Rogier. – Soit ; mais s’il y a 84 ouvriers pour transporter les marchandises à Ans, et si ce nombre est trop considérable, rien ne serait plus simple que de le réduire. Cela ne tient nullement au système du camionnage ; car les ouvriers qui sont employés à la station d’Ans y sont sans doute pour charger et pour décharger les marchandises ; ou que vous transportiez les marchandises à domicile, ou que vous ne les transportiez pas à domicile, il faut toujours les charger et les décharger.

En quoi, messieurs, le système du camionnage est-il avantageux au public ? Le voici : Jusqu’en 1840 on s’était borné à recevoir les marchandises par tonneau et à les transporter de station à station ; qu’en advint-il ? C’est que les entrepreneurs de messageries et de rouage usaient seuls du chemin de fer, parce que seuls ils étaient à même de transporter des masses d’un tonneau à la fois.

On fit alors l’observation que, si le chemin de fer parvenait à transporter des poids plus divisés, il ferait sur chaque division un bénéfice plus grand que sur une masse de 1,000 kilog. transportés en une seule fois. La marchandise arrivée à la station, devait passer par des mains intermédiaires pour arriver à sa destination définitive ; les intermédiaires faisaient payer au destinataire une somme arbitraire fixée, et profitaient seuls du bon marché auquel se faisait le transport par le chemin de fer. Aujourd’hui, messieurs, le destinataire reçoit directement à un prix fixe qu’il connaît d’avance, toutes les marchandises qui lui sont envoyées, et de cette façon en 1841, 246,000 colis ont été remis à un nombre égal de destinataires.

L’on a dit que le gouvernement payait plus à l’entrepreneur du camionnage qu’il ne recevait du destinataire. C’est possible ; mais rien n’empêche le gouvernement d’exiger du destinataire le remboursement total des sommes qu’il paye au camionneur, cela n’affecte en rien le système qui a eu pour but de mettre le destinataire en rapport direct avec le chemin de fer et à le soustraire aux intermédiaire obligés ; si le prix du camionnage n’est pas couvert par le destinataire, qu’on augmente le tarif du camionnage ; tout sera dit, mais qu’on ne supprime pas cette amélioration qui a mis le destinataire de la marchandise en rapport direct avec le chemin de fer.

Messieurs, le système introduit pour les marchandises n’a pas affecté les produits de 1841 d’une manière défavorable, ainsi qu’on l’a dit : loin de là. Les résultats obtenus sont au contraire des plus satisfaisants.

Le premier semestre de 1841 a produit 417 mille fr. de plus que le premier semestre de 1840, et le deuxième semestre de 1841 a produit 406 mille fr. de plus que le deuxième semestre de 1840 ; en tout cas 823 mille fr. de plus en 1841 qu’en 1840 pour transports de marchandises.

Ainsi augmentation de recettes, augmentation dans les quantités transportées, le chemin de fer rendu accessible à plus de personnes, en ce sens qu’on a transporté le moindre colis, le paquet du plus petit poids, tandis que, sous l’ancien système, il n’était directement accessible qu’aux personnes ayant au moins un tonneau à transporter. Pour les marchandises le moindre poids a été pris et remis à domicile à un tarif modéré.

M. d’Huart. – Et quelle a été la dépense ?

M. Rogier. – La dépense ! J’aurai l’occasion d’y revenir d’une manière spéciale ; je n’envisage en ce moment que l’ensemble des opérations. J’ai établi que, pour l’année 1841, les revenus nets se sont élevés à 3 p.c. du capital engagé à 1,822,000 fr. au-delà des dépenses.

Par ces tarifs modérés, des débouchés nouveaux ont été ouverts à nos industries. Avant l’établissement der ces tarifs modérés, la houille de Liége, par exemple, ne pouvait arriver ni à Louvain ni à Malines. Au moyen des tarifs modérés, la houille de Liége a pu arriver, non seulement jusqu’à Louvain et Malines, mais même jusqu’à Gand et venir au secours des industries qui étaient menacées de manquer de combustibles. Pour le poisson d’Ostende, vous venez de faire une loi qui a pour but de protéger cette industrie intéressante ; par un tarif modéré, vous avez pu faire transporter le poisson d’Ostende dans la plupart de nos villes. Si au contraire vous élevez le tarif, vous rendrez impossible ce transport qui se combine si bien aujourd’hui avec votre loi de protection.

Messieurs, la commission a conseillé au gouvernement d’augmenter les tarifs et de supprimer le camionnage. Je pense que le gouvernement ferait une chose imprudente s’il suivait en cela les conseils de la commission. J’espère qu’il fera, à l’égard des conseils de la commission pour la marchandise, ce qu’il a fait pour les voyageurs, qu’il n’adoptera pas d’une manière absolue ces conseils. Du reste, je ne pourrai qu’applaudir à toutes les mesures d’économie que prendra M. le ministre des travaux publics.

Je crois que le chemin de fer ne produit pas tout ce qu’il peut produire. Tous mes efforts ont toujours tendu à le rendre le plus productif possible, mais il y a manière d’entendre ces économies ; il y a des économies qui coûtent très cher, comme il y a des dépenses qui peuvent rapporter beaucoup Quant aux économies, j’engage M. le ministre a examiner s’il n’y a pas moyen d’en faire sur le charbon. Si je suis bien informé, un ingénieur a fait une découverte au moyen de laquelle on peut réduire considérablement la consommation du combustible.

M. le ministre fera bien de s’occuper de l’application de ce nouveau système, si tant est qu’il soit reconnu bon. Ensuite, je crois que M. le ministre doit fixer son attention sur les moyens d’utiliser davantage les forces du chemin de fer. En 1840, 81 voyageurs seulement ont circulé par convoi sur le chemin de fer, tandis que si chaque convoi avait été complet, ce ne seraient pas 81 voyageurs, mais 250 qui auraient circulé par convoi. Quand un convoi n’est pas rempli par les voyageurs, rien de plus simple que de le remplir par des marchandises.

Je pense que M. le ministre ferait bien aussi de ne pas multiplier inutilement les convois. Sur la section d’Anvers à Malines, on a porté de deux à trois les convois de marchandises par jour ; cependant les quantités de marchandises transportées n'exigeaient pas plus de deux convois. J'ignore quels motifs ont engagé M. le ministre à porter à trois le nombre des convois de marchandises, au lieu de deux, comme cela avait eu lieu jusqu'au mois d'octobre dernier.

Je pense aussi que le ministre fera bien de faire exercer un contrôle sévère sur les fournitures de toute espèce.

Je lui demanderai aussi s'il s'occupe des moyens d'étendre la correspondance par le chemin de fer. Aujourd'hui un paquet remis au chemin de fer, à Bruxelles, peut être transporté dans toutes les villes de France par suite d'arrangements avec des messageries françaises.

Je pense qu'il serait bon d'étendre non seulement ces relations avec l'étranger, mais avec toutes les localités du pays. Rien n'est plus simple que d'obtenir ce résultat. Il suffirait de prendre des arrangements avec des messageries qui mettraient en correspondance avec le chemin de fer.

Enfin j'insisterai pour que le ministre se renferme dans des tarifs modérés, je crois que c'est précisément parce que les pays voisins ont les yeux sur nous, que nous devons donner l'exemple des transports à bon marché ; je crois que c'est parce que les pays voisins ont les yeux sur nous que nous ne devons pas accuser légèrement le chemin de fer de se manquer à lui même, de ne pas se suffire, alors que,dans l'état d'exploitation incomplète où l'on se trouve, il rapporte déjà 3 p. c. des capitaux engagés.

Je bornerai là ces premières observations qui ont été peut-être un peu longues. Si d'autres membres prennent la parole, soit pour attaquer mes chiffres, soit pour soutenir le système mis en avant par la commission, je me réserve de leur répondre.

M. de Theux. - La loi du 1er mai 1834 est formelle, elle prescrit d'élever les tarifs sur le chemin de fer, de manière que le péage suffise pour payer l’intérêt du capital emprunté et amortir ce capital. Ainsi, aussi longtemps que celle loi subsistera, force sera au gouvernement de chercher à en amener l’exécution. Je ne pense pas que cette chambre soit jamais saisie du projet d'abroger cette loi, car cette abrogation rencontrerait de grands obstacles.

En effet, messieurs, quoi de plus juste que d'exiger que le chemin de fer couvre les intérêts de l'emprunt qu'il a nécessité, alors que cet emprunt a doté des localités qui déjà jouissaient de toutes espèces de voies de communications, telles que canaux, rivières et chaussées nombreuses ; alors, dis-je, que cet emprunt a doté ces localités d'un nouveau moyen de prospérité par la création du chemin de fer, tandis que tant d'autres localités sont encore dépourvues de toute espèce de source de prospérité. La justice distributive exige que le trésor soit maintenu en tel état qu'il puisse faire face aux dépenses réclamées par tant de localités qui n'ont pas pu profiter du même bénéfice.

L'amortissement du capital emprunté est également une prescription de cette loi.

Cette disposition me semble juste, car il peut survenir, par suite de guerre, des circonstances qui amèneraient de grands désastres à l’égard du chemin de fer et qui dans tous les cas feraient pendant longtemps cesser ses revenus. Si donc on n'avait pas amorti une partie du capital, il est évident que tout le chemin de fer retomberait à la charge du trésor.

D'ailleurs, je pense qu'en établissant un bon tarif on pourrait arriver au résultat prescrit par la loi, tout en atteignant le but d'utilité qu'on s'est proposé dans la création du chemin de fer.

Pour moi, je remercie sincèrement les honorables membres de la commission qui ont eu le courage de proposer l'élévation du tarif après s'être donné la peine d'étudier en détail tout ce qui concernait la matière.

Et à cette occasion je soumettrai une considération à M. le ministre des travaux publics : ne serait-il pas utile d'établir une commission permanente qui surveillerait toutes les conséquences des tarifs ? Elle pourrait toujours proposer toutes les améliorations, toutes les rectifications. Cette commission pourrait aussi porter utilement ses investigations sur les économies à introduire dans l'exploitation du chemin de fer. Il me semble qu'une commission permanente aurait l'avantage d’amener un système suivi dans cette partie de l'administration et de faire profiter de l'expérience. Car il est certain qu'avec l'instabilité qui existe dans l'administration supérieure par suite des changements de cabinets, il est très difficile à un ministre de suivre les affaires du chemin de fer dans leurs détails, et d'y donner le même soin que pourrait y donner une commission composée d'hommes spéciaux.

Je ne terminerai pas sans dire un mot des réclamations que fait chaque année le conseil provincial du Limbourg pour obtenir l'achèvement du chemin de fer, jusqu'à la capitale de cette province. Le tableau relatif au transport des marchandises qu'a dressé la commission qui vient de nous être distribué, me fournit un argument en faveur de cette réclamation. Il en résulte que la station établie à St-Trond a donne lieu à un transport en marchandises de 7,433,000 kilog., tandis que Bruges, ville importante, capitale de la Flandre occidentale, n'a donné que 1,495,000 kilog. La raison en est simple, les localités qui n’ont pas les moyens de transport par eau, s'approvisionnent par le chemin de fer. Il en résulte que le transport des marchandises y est infiniment plus considérable. C'est ce qu'on peut remarquer encore pour les stations de Waremme, de Landen et de Tirlemont.

D'après le chiffre du transport des marchandises, la station de St.-Trond, si le chemin de fer était prolongé jusqu'à Hasselt, il y a tout lieu de croire qu’il rapporterait les intérêts du capital. J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre des travaux publics.

M. Desmet. - Quand on a discuté la loi relative au chemin de fer, il y a eu deux espèces de prophètes : Les uns disaient qu'il rapporterait beaucoup, qu'il rapporterait non seulement ses frais d'entretien, mais encore 5 p. c. pour l'intérêt et l'amortissement, et que de plus il dispenserait d'avoir un budget des voies et moyens. D'autres disaient que le chemin de fer ne produirait aucun intérêt et serait une espèce de chancre pour l'Etat. Je crois que malheureusement ce sont ces derniers qui ont eu raison. On fera tous les efforts imaginables pour que le chemin de fer produise tous les intérêts du capital dépensé et l'un n'y réussira pas. Le chemin de fer aura coûté 150 millions et je crois que chaque année, il vous faudra porter en dépense 7 à 8 millions pour l’intérêt de ce capital. Je serais fort heureux de me tromper, mais je crains que non. Aujourd'hui nouvelle prophétie ! C'est quand le chemin de fer sera achevé, dit-on, qu'il rapportera beaucoup. L’honorable M. David dit qu'il produira alors 5 p. c. Je crains fort qu'il ne se trompe.

Il n'est pas juste que le chemin de fer soit une charge pour l'Etat. Bien des malheureux qui contribuent à cette dépense n'en profitent pas. Il y a des gens que l'on a expropriés, que l'on a privés de leur marché pour le chemin de fer et que l'on fait encore contribuer pour des sommes considérables. Cela est injuste.

Ce qui est fort à craindre aussi, c'est que l'Etat ne dépense tant d'argent pour un objet purement de luxe, c'est-à-dire simplement pour un moyen de transport rapide, et que ni le commerce, ni l’industrie n’en profitent.

Quand je lui parle ainsi, c'est que j'espère que le gouvernement ne négligera pas pour le chemin de fer d'autres intérêts importants. A cet égard, il y a beaucoup à faire surtout pour les canaux, car il faut que le gouvernement prenne des mesures pour aider les industries particulières. Quand tout un pays contribue à une dépense et qu'il n'y a qu'une partie qui en profite, l'objet de cette dépense devient bientôt très impopulaire. Sous ce rapport le gouvernement a grand intérêt à rechercher quels sont les travaux qu'il serait nécessaire d'exécuter et à aviser à leur exécution.

M. Demonceau. - L’honorable M. Rogier nous a dit qu'il avait toujours pris pour guide (du moins telle a été, dit-il, son intention) les intérêts du trésor bien entendu avec ceux du public. Pour moi, je ne doute pas non plus que telle a été réellement son intention : mais il doit cependant reconnaître que le système qu'il a adopté a eu un résultat contraire. Déjà il en a fait l'aveu en quelque sorte sur beaucoup de points. « Mon système, dit-il, n'a pas nui grandement au trésor.»

M. Rogier. - J'ai ajouté : « Comme on l'a dit »

M. Demonceau. - C'est ce que je vais examiner, car je tiens à convaincre M. Rogier que son système a nui réellement au trésor, sans avoir grande utilité pour le public.

« J'ai voulu, continue-t-il, faire un essai qui avait pour but d'augmenter le nombre des voyageurs en augmentant les recettes. C'est surtout sur les waggons que j'ai opéré, je n'ai changé ni le tarif des diligences, ni le tarif des chars-à-bancs.» C'est là que l’honorable M. Rogier se trompe. Il a réduit, il est vrai, le tarif, en ce qui concerne les waggons, mais tandis qu'il améliorait les chars-à-bancs, il en réduisait également les prix, et sur certaines lignes il augmentait le prix des diligences. Aussi, qu'est-il résulté de son système ? Vous le voyez à la page 102 du troisième rapport de la commission. L'honorable M. Rogier a obtenu, avec son système, pendant une période de 112 jours, une augmentation dans le nombre des voyageurs, en waggons, de 171,436, et une diminution de recettes de 44,530 fr. 85 c., comparaison faite des résultats obtenus par le tarif de M. Nothomb, pendant la même période de temps.

L'honorable M. Rogier, qui avait amélioré les chars-à-bancs, devait comprendre qu'il allait, par cela seul, faire refluer les voyageurs des diligences dans les chars-à-bancs. Dans cette période il a obtenu, dans cette classe de voitures, une augmentation de voyageurs de 10,257, et une diminution dans les recettes de 25,324 fr. 90 c. N'est-il pas évident, après cela, que M. Rogier a réduit le tarif pour cette classe de voitures ? puisqu'avec 10,257 voyageurs de plus il y a 25,324 fr. 90 c. de recette en moins. Voilà la preuve évidente qu'il s'est trompé. Voulez-vous le détail des trajets en augmentation et diminution ; le voici : sur 667 trajets, 237 ont été augmentés, 284 ont été diminués, et pour les 246 autres il n'y a pas eu de changement : tandis que nous avions une augmentation de voyageurs en wagons et en chars-à-bancs, nous perdions en voyageurs en diligences 18,641 voyageurs, et en recettes sur cette catégorie de voyageurs fr. 78,845 85, de manière qu'avec un ensemble de voyageurs de 163,052 voyageurs pendant les 112 jours de l'essai, le trésor a reçu, en moins qu'en 1840, la somme énorme de fr. 148,698 85.Voyez page 103 du troisième rapport de la commission.

Vous le voyez maintenant, messieurs, l'honorable M. Rogier a fait son essai au profit des waggons, mais uniquement et exclusivement au profit des waggons. Et c'est très naturel ; lorsque vous adoptez un système bâtard, comme le système que l'honorable M. Rogier avait adopté, quand vous mettez deux catégories de places à vil prix et que vous haussez le prix de la plus productive, il n'y a plus de proportion. La grande économie que les voyageurs rencontrent en se mettant de préférence dans la classe la plus basse les engage à abandonner les diligences pour prendre uniquement les waggons.

Mais, dit l'honorable M. Rogier, c'est le mauvais temps qui a le plus contrarié mon système. Eh bien, messieurs, nous avons été aux renseignements, et nous avons reconnu que, pendant une certaine période, il avait fait très mauvais temps. Ainsi, du premier jour où le système a été mis en vigueur jusqu'au 8 juin, nous avons eu du beau temps ; du 8 juin au 25 juillet, nous avons eu du très mauvais temps ; du 25 juillet au 26 août, nous avons eu du beau temps.

Eh bien ! savez-vous ce qui est résulté du bon et du mauvais temps ? C'est que ce sont précisément les voyageurs qui sont exposés aux intempéries de l'air qui ont augmenté. Ainsi, ceux qui voyagent en plein air, ceux qui sont exposés à la pluie, sont précisément ceux qui ont été les plus nombreux. C'est sur cette classe que le nombre de voyageurs a augmenté.

Je sais que l'honorable M. Rogier viendra nous dire : Ce sont des ouvriers que j'ai transportés, je leur ai rendu service. Je crois déjà l'entendre.

M. Rogier. - Eh bien ! si je le disais, que répondriez-vous ?

M. Demonceau. - Si vous le disiez, je vous répondrais que vous avez effectivement rendu service à ces ouvriers, mais que ce n’est pas là un état normal, et que vous ne devez pas en conclure le nombre des voyageurs aurait toujours été aussi considérable, parce que, lorsqu'il ferait beau temps, ces ouvriers ne viendraient plus sur le chemin de fer. Cette réponse vous satisfera peut-être ; du reste, vous pourrez vous en expliquer.

L'honorable M. Rogier admet le système de la commission. Les principes posés par la commission, dit-il, sont les miens. Eh bien, messieurs, si les principes posés par la commission sont les principes de l'honorable M. Rogier, il ne doit pas déconseiller à M. le ministre des travaux publics de suivre les conclusions de la commission ; car loin que ces conclusions soient contraires aux résultats que l'honorable M. Rogier veut obtenir, elles ont, au contraire, eu pour résultat et d'augmenter le nombre des voyageurs sur le chemin de fer, et d'améliorer les recettes. Or, l'honorable M. Rogier vous a dit que sa pensée unique était de concilier autant que possible la commodité des voyageurs avec les intérêts du trésor.

Eh bien ! comparons les résultats et voyons quels ont été ceux du tarif adopté par M. le ministre des travaux publics, tarif qui, je crois devoir le déclarer, n'est pas le système complet de la commission. Mais il fallait bien que M. le ministre réduisît le prix des diligences pour tâcher d'y ramener les voyageurs qui en avaient été éloignés par le précédent tarif.

Voici, messieurs, quels ont été les résultats de l'expérience du second tarif adopté par M. le ministre des travaux publics depuis le 21 août jusqu'au 31 décembre ; ainsi pendant 133 jours que ce tarif a été mis à exécution, il a été transporté en waggons 153,604 voyageurs de plus qu'en 1840, sous l'empire du tarif de l'honorable M. Nothomb. Et savez-vous ce que ce tarif a produit de plus en recette, rien que sur cette classe de voitures ? Il a produit pendant cette période de 133 jours, 110,657 fr. 10 c. de plus.

M. Rogier. - Pas sur les waggons seuls.

M. Demonceau. - Sur les waggons seuls. Vous n'avez qu'à voir le troisième rapport de la commission, page 104.

Sur la deuxième classe de voyageurs, celle des voyageurs en chars-à-bancs, le système adopté par M. le ministre des travaux publics actuel, a amené pendant cette période une augmentation de 19,291 voyageurs, et les recettes, au lieu de diminuer, se sont élevées à 88,657 fr. 91 c. en plus.

Maintenant, messieurs, vous allez voir par ce même tarif de M. le ministre des travaux publics actuel la preuve que la diminution des prix, en tant qu'elle n'amène pas une masse de voyageurs, est contraire à l'intérêt du trésor. .

Les diligences, pendant cette même période de temps, et malgré la baisse des prix, ont eu une augmentation bien moins considérable de voyageurs, et je vous en donne toujours la cause ; c'est que vous avez trop amélioré les chars-à-bancs. Nous avons eu 1,945 voyageurs de plus, mais il y a eu au moins cet avantage du tarif actuel sur le précédent, que sur une période de temps donné, au lieu de perdre sur les voyageurs en diligence, nous avons au contraire obtenu davantage, mais toujours par suite des circonstances que je viens de signaler malgré cette augmentation de 1,945 voyageurs, nous n'atteignons pas encore le chiffre des recettes de 1840, puisque nous sommes en déficit de 9,622 fr.

Messieurs, je passerai maintenant au système adopté pour les marchandises.

Le système adopté pour les marchandises est, selon nous, le monopole de tous les transports au profit du gouvernement sur toute espèce d'administrations quelconques. Ce système admis généralement dans ce sens ne peut pas obtenir notre approbation. Nous ne voulons pas que le chemin de fer détruise toutes les entreprises particulières, nous entendons que le chemin de fer profite à tous ; telle est l'opinion unanime de la commission. Voici, messieurs, les motifs qui nous dirigent dans cette circonstance.

Le gouvernement ne doit pas se faire entrepreneur de roulage ; et c'est se faire entrepreneur de roulage que de prendre les marchandises et de les remettre à domicile. Il faut, messieurs, s'en expliquer franchement. Jusqu'à présent nous n'avons pas eu de grands malheurs à redouter ; mais quand le chemin de fer sera en relation avec tous les pays du monde, qui donc peut mesurer l'importance, de la responsabilité que le gouvernement assumerait ? Aujourd'hui je déposerai à l'administration du chemin de fer un paquet à la destination de Vienne ou de St-Péterbourg, quand l'Etat sera-t-il déchargé de la responsabilité aux termes de la loi ? Si la marchandise n'arrive pas à sa destination, à qui devrai-je m'adresser pour avoir le remboursement de la valeur ? Au gouvernement, qui aura son recours contre celui à qui il aura confié le paquet.

Eh bien ! nous ne voulons pas de ces procès pour le gouvernement. Déjà le gouvernement a eu le malheur d'avoir un procès à propos de ce malheureux camionnage ; et lorsque vous pèserez attentivement toutes les conséquences de ce système, vous ne serez pas étonnés d'en voir résulter beaucoup.

L'honorable M. Rogier, lorsqu'il a établi son système de camionnage pour le transport et pour la prise des marchandises à domicile dans la ville de Liége, a-t-il entendu, je le lui demande, payer 4 francs pour amener 1,000 kilog. de Liége à la station d'Ans ? Eh bien ! c'est ce que viennent de décider des arbitres, à qui l'honorable M. Rogier a cru pouvoir conférer le droit de juger pareils contestations par son arrêté de camionnage.

Nous vous avions dit dans notre deuxième rapport, pages 15 et 16, que 100,000 kil. de houille transportés d'Ans à Tirlemont, auraient donné, d'après le tarif antérieur à celui du 10 avril , à raison de 55 centimes par 100 kilog., 550 francs de recette, et qu'en déduisant la dépense de locomotion, que nous estimons à 250 francs, il restait au trésor, pour avoir fait pareil transport, 300 francs.

Le tarif du 10 avril, au contraire, pour ce même transport pris à domicile à Liége, et remis à domicile à Tirlemont, donne :

En recette (disions-nous), pour prix du transport, fr. 540

et pour prix à domicile, à 10 c., 100

Soit 640

En dépense, à l'entrepreneur du camionnage à Liége, fr. 100

à celui de Tirlemont, à raison de 20 c., fr. 200

Soit 300

Reste 340

De quoi déduisant la dépense du transport de 250

Ne laissait plus de boni que fr. 90

Nous ne trouvions plus que cette somme, au lieu de 300 fr. que laissait le système précédent.

C'était en ce sens que nous entendions les stipulations reprises à l'acte d'adjudication du camionnage, et c'était probablement ainsi que l'avait entendu l'honorable M. Rogier (mais malheureusement il ne s'est pas expliqué assez clairement) ; cependant, ajoutions-nous :

« Si les prétentions de l'entrepreneur du camionnage de Liége étaient admises, ce ne serait pas 100 francs que l'administration aurait à rembourser, mais 400 francs ; à raison de 100 camions portant chacun 1,000 kil, et à 4 fr. l'un : ce ne serait plus 90 fr, que l'on aurait en excédant de recette, mais ce serait une perte réelle effective de 210 fr. sur ce transport. »

Eh bien, ce que nous craignions est arrivé, les arbitres ont donné tort au gouvernement ; je ne m'explique pas sur la validité de pareille décision ; mais quelle que soit votre opinion, reconnaissez avec nous que des opérations de cette nature peuvent enrichir un camionneur, mais non le trésor qui, pour avoir la satisfaction de transporter 100 mille kil., donne de sa caisse 210 fr. Je ne comprends pas comment on se refuse à renoncer à un système qui a des résultats si malheureux.

Le système que je ne voudrais pas voir changer, dit l'honorable préopinant, a augmenté les recettes de 800 mille francs. Oui, mais c'est dommage que ces recettes ne restent pas dans le trésor, Malheureusement il est sorti dans le même temps au-delà de 800 mille francs. Eh bien ! que pensez-vous, messieurs, de cette opération ? Pensez-vous qu'elle soit bonne ? Cependant l'honorable M. Rogier vient conseiller de suivre son système, et il a eu soin d'engager à cette fin l'administration jusqu'au jour de la mise en exploitation des plans inclinés pour Liège et jusqu'au premier janvier 1843 pour les autres stations.

Ce n'est pas seulement à Ans, messieurs, que l'expérience du camionnage est désastreuse pour le trésor. À TIrlemont, par exemple, l'administration reçoit 5 centimes, tandis qu'elle en paie 20 au camionneur.

L'honorable M. de Theux vient de poser des chiffres à l'égard du transport considérable qu'il y a dans la direction de St-Trond ; si j'avais le relevé de la dépense, je prouverais que nous avons transporté gratis et sans que le commerce en ait profité. Aucune réduction n'est accordée au commerce en général, mais le système enrichit quelques camionneurs et rien de plus. Les négociants de Liège qui expédiaient des marchandises n'en payaient pas moins le prix fixé par le tarif.

Nous, messieurs, nous voulons qu'on dise au commerce : « Usez de tous les moyens de transport que vous avez à votre disposition ; le gouvernement ne peut pas se charger de transporter nos marchandises à domicile, mais il vous accorde une diminution du prix de transport.» Voilà, messieurs, ce que nous proposons et je ne conçois pas que des hommes qui se disent capables viennent dire que nous voulons élever le tarif ; nous ne proposons pas d'élever le tarif, nous proposons de le diminuer, et quand nous en viendrons aux chiffres, je le prouverai. Mais après l'examen approfondi que nous avons fait de la question, nous ne voulons pas que le trésor soit dupe, nous ne voulons pas qu'on enregistre des millions reçus pour le transport des marchandises à domicile, tandis que, d'un autre côté, on dépense des millions pour enrichir les camionneurs.

L'honorable préopinant a dit que son système avait eu au moins l'avantage d'ouvrir aux exploitants de Liége des débouchés qu'ils ne pouvaient pas atteindre précédemment. Eh bien, messieurs, des producteurs de Liége nous ont affirmé que, par suite du système adopté par le gouvernement, on les avait mis dans l'impossibilité de continuer à vendre leurs houilles à Louvain,et voici comment ils s'en expliquent :

Avant l'organisation du service de transport par le chemin de fer, les voituriers se chargeaient du transport de la houille à Louvain presque pour rien, parce qu'une fois arrivées au canal de Louvain, ils y trouvaient un chargement pour retourner à Liége qui leur donnait de bons bénéfices ; depuis que le prix du transport de Louvain à Liége par le chemin de fer a été réduit, les voituriers n'ont plus cet avantage et dès lors ils ne veulent plus se charger de transporter les houilles de Liége à Louvain. Si l'honorable M. Rogier prétendait que ces renseignements ne sont pas exacts, je pourrais lui indiquer les négociants qui les ont fournis à la commission, mais vous concevez, messieurs, que je ne puis pas les nommer ici. Voici, du reste, comment l'un d'eux s'exprime, dans une lettre qu'il m'a adressée :

« Pourquoi le gouvernement fait-il des sacrifices pour le camionnage ? de cela il n'a pas à s'en occuper, qu'il laisse à chacun le soin de lui conduire ses produits, ou du moins, s'il veut se charger de les aller chercher et de les rendre à domicile, qu'il le fasse sans gagner. »

Il était dans l'erreur cet honorable membre quand il croyait que le gouvernement gagnait ; la vérité est que le gouvernement perdait.

Ce qu'il y a de plus étrange, messieurs, dans ce système de camionnage, c'est que les houillères des abords de la station d'Ans doivent faire le transport à leurs frais, tandis que pour celles qui se trouvent de l'autre côté de la ville, mais dans le rayon de l'octroi, le transport de leurs produits se fait pour le compte du gouvernement.

Je comprendrais, messieurs, un système de camionnage qui serait appliqué à certaines catégories de marchandises, mais la malheureuse idée d'aller chercher la houille aux houillères pour la transporter au domicile du destinataire, je n'aurais jamais cru qu'elle pût entrer dans la tête d'un administrateur quelconque.

Plusieurs membres. - A demain !

M. Peeters. - Hier, messieurs, je me suis donné beaucoup de peine pour vous faire comprendre non seulement l'utilité de la canalisation de la Campine, mais encore les avantages financiers de cette opération. Le Moniteur, n'a pas reproduit ce que j'ai dit à cet égard ; il paraît que des feuillets contenant mes paroles ont été égarés dans les ateliers. Quoi qu'il en soit, je demande que la chose soit rectifiée pour demain.

- La séance est levée à 4 heures 1/4.