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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 2 décembre 1841

(Moniteur belge n°337, du 3 décembre 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi un quart.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes.

« Le sieur Charles-Frédéric-Joseph Martin, né à Malmedy (Prusse), négociant à Bruxelles, demande la naturalisation. »

« Le sieur François-Cyprien Coupain, propriétaire d’usines à Momignies, canton de Chimay, né en France, demande la naturalisation. »

« Le sieur Jean-Louis-Barnabé Objois, marchand tailleur à Momignies, canton de Chimay, né en France, demande la naturalisation. »

« Le sieur François Robinet, propriétaire et fabricant de bonneteries à Sivry (Hainaut), né en France, demande la naturalisation. »

« Le sieur Alexis-Joseph Huyaux, propriétaire de filatures, domicilié à Momignies, canton de Chimay, demande la naturalisation. »

« Le sieur Jean-Joseph Fontaine Bourrier, domicilié à Momignies, canton de Chimay, demande la naturalisation. »

« Le sieur Nicolas-Joseph Roger, propriétaire et fabricant de bonneteries, domicilié à Momignies, demande la naturalisation. »

« Le sieur Jean-Pierre François, préposé de 2° classe des douanes, né à Steinfort (Luxembourg hollandais), ayant perdu la qualité de Belge par suite de la séparation résultant du traité, demande la naturalisation. »

« Le sieur Jean-Baptiste Tisseron, géomètre arpenteur, célibataire, né à Cliron (France), le 23 avril 1804, demeurant à Lens (Hainaut), demande la naturalisation. »

« Le sieur Paul-Clément-François Soyer, natif de Metz (France), sergent-fourrier au régiment d’élite, demande la naturalisation. »

« Le sieur S.H. Schneiders, marchand à Audenaerde, né en Hanovre, demande la naturalisation. »

« Le sieur Jean-Guillaume Von Wrede, sous-lieutenant au 2e régiment d’infanterie, né à Hollin (Hanovre), demande la naturalisation. »

- Toutes ces pétitions sont renvoyées à M. le ministre de la justice.


« Des négociants et boutiquiers de la ville de Dinant demandent des mesures répressives des abus du colportage. »

« Même pétition des négociant de la commune de Jemappes. »

- Sur la proposition de M. Eloy de Burdinne, renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la matière.


« La commission de la société des fabricants de coutils, de Turnhout, adresse des observations contre le projet de loi portant des modifications au tarif des douanes en ce qui concerne les droits d’entrée sur les fils de lin, de chanvre et d’étoupe. »

« Même pétition de fabricants et de tisserands s’occupant de la fabrication, avec des fils étrangers, de tissus destinés à l’exportation. »

- Sur la proposition de M de Nef, renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet.


« Les membres du conseil communal de Middelbourg (arrondissement d’Eecloo) demandent la prompte construction du canal projeté de Zelzaete à Blankerbergh. »

M. Lejeune – Je crois avoir entendu dire qu’une pétition relative au canal de Zelzaete sera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur ce canal. Je n’ai rien à objecter à cette décision, ; mais je crois devoir faire observer que récemment, sur la proposition de l’honorable M. Delehaye, a chambre a renvoyé des pétitions ayant pour objet le canal de Zelzaete à la section centrale comme commission. Le rapport sur ces pétitions ne nous ayant pas été présenté jusqu’à ce moment, ne conviendrait-il pas de renvoyer à la même section centrale la pétition que l’on vient d’analyser ?

- La proposition de M. Lejeune est adoptée.


« Le sieur Eugène Quesne, rédacteur du journal « Le précurseur », se publiant à Anvers, réclame contre une décision prise par MM. les questeurs de la chambre, le 12 mars 1840, de refuser à l’avenir ce journal et de cesser l’envoi des documents parlementaires. »

Renvoi à la commission de comptabilité.


« Le sieur C. Mathieu, se disant inventeur d’un moyen de destruction des animaux et des insectes malfaisants qui détruisent les récoltes, demande que son secret soit acheté par le gouvernement. »

« Le conseil communal de Mont-St-Geneviève, demande que l’article de la loi sur les chemins vicinaux soit modifié en ce sens que, pour les communes dont les revenus annuels sont inférieurs à 1,000 fr. le gouvernement paierait les trois quarts des frais de confection des plans dont il s'agit dans l’article. »

« Les membres du conseil et des habitants notables de la commune d’Anlier, canton d’Etalles, demandent que la chambre sanctionne la décision du conseil provincial du Luxembourg qui maintient le canton de Fauxvillers avec adjonction de la commune d’Anlier. »

« Le sieur prosper Delchambre, avocat à Huy, s’adresse à la chambre pour obtenir la réformation de l’arrêté de la députation permanente du conseil provincial de Liége, en ce qu’il a validé l’élection du sieur Mathieu aux fonctions de conseil communal de la ville de Huy. »

« Un grand nombre de propriétaires des environs de Mons réclament l’intervention de la chambre pour obtenir du gouvernement le paiement des sommes auxquelles le département de la guerre a été condamné par cinq jugements passés en force de chose jugée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L’administration communale de Kessenich (Limbourg) proteste contre le projet de céder à la Hollande une section de cette commune pour la construction d’une route. »

M. Huveners – Des bruits alarmants viennent de causer une profonde consternation dans le Limbourg. Il serait question d’une nouvelle cession de territoire. Un partie considérable et plusieurs habitations de la commune de Kessenich seraient sur le point d’être cédées à la Hollande. C’est contre une telle cession que le conseil communal de Kessenich, au nom de ses administrés, vient de protester par la pétition dont on vient de vous présenter l’analyse.

J’ai lieu d’espérer que ces bruits ne sont point fondés. Les sacrifices qu’on a imposés ne sont que trop grands et trop nombreux, ils pèsent encore de leur poids énorme sur le malheureux Limbourg. En effet, les relations qui avaient existé depuis un temps immémorial sont complètement rompues, et le commerce se trouve dans un état de stagnation très affligeant ; en un mot, l’état de choses actuel rendant les deux Limbourg également malheureux, il est à désirer, il en est temps, que le gouvernement, loin de faire de nouveaux sacrifices, songe aux moyens de rétablir d’anciennes relations, dont on ne peut se passer de part et d’autre. Comme il importe que les habitants de Kessenich soient rassurés le plus tôt possible sur leur position, je demande le renvoi de la pétition dont il s'agit à la commission des pétitions avec un prompt rapport.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je puis dès à présent, d’après la connaissance que j’ai des négociations, comme membre du cabinet, déclarer que ces bruits sont sans fondement. Néanmoins la pétition peut être renvoyée, soit à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport, soit directement à M. le ministre des affaires étrangères, si la chambre le juge convenable.

- La proposition de M. Huveners est adoptée.


Par divers messages, en date du 1er décembre, le sénat informe la chambre qu’il a adopté :

1° Le projet de loi relatif à l’orge ;

2° Le projet de loi relatif aux pommes de terre ;

3° Le projet de loi ouvrant au département des finances un crédit de 1,916,400 francs pour payer le complément des intérêts et de l’amortissement pour les échéances 1841, de l’emprunt de 86,940,000 fr.

4° Un projet de loi ouvrant au département des finances un crédit de 504,000 fr. pour le payement d’un semestre d’intérêt de l’emprunt de 20,160,000 fr. ;

5° Un projet de loi ouvrant au ministère de la guerre pour parfaire le solde des dépenses de ce département, pendant l’exercice 1841.


Par dépêche en date du 27 novembre 1841, M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) adresse à la chambre 95 exemplaires du spécimen du bulletin du Musée de l’industrie.

- Ces exemplaires seront distribués aux membres de la chambre.


M. le président – La commission chargée de l’examen de l’ancien projet de loi relatif à la pêche nationale, chargée de l’examen du nouveau projet a été complétée par le bureau, conformément à la décision de la chambre ; elle est maintenant composée de MM. Hye-Hoys, Dumortier, Mast de Vries, David, Vanderbelen, de Foere, van Hoobrouck, Devaux, Duvivier, Osy et Kervyn.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1842

Rapport de la section centrale

M. Scheyven, au nom de la section centrale, chargée de l’examen du projet de loi de budget du département de la justice pour l’exercice 1742, dépose le rapport sur ce projet de loi de budget.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et met ce budget à l’ordre du jour.

Projet de loi portant les budgets de la dette publique et des dotations de l'exercice 1842

Rapport de la section centrale

Projet de loi qui ouvre au gouvernement un crédit supplémentaire de 8,800,000 fr. pour régularisation de la dette

Rapport de la section centrale

M. Osy, au nom de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi de budget de la dette publique et des dotations, exercice 1842 et du projet de loi de crédits supplémentaires de 8,800,000 fr. pour régularisation de la dette, dépose les rapports sur ces projets de loi de budget.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport et met ce budget à l’ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1842

Discussion générale

M. le président – Pour éviter les incidents qui se produisent souvent sous la forme de motions d’ordre et qui font perdre beaucoup de temps, il serait à désirer que la chambre manifestât son intention, si elle entend qu’à l’occasion du premier budget qui vient à l’ordre du jour, il y ait une discussion générale, où l’on s’occuperait non seulement de ce budget, mais de tous les budgets et de l’ensemble des actes du gouvernement, de manière que la discussion des autres budgets n’aurait pour objet que les spécificités de ces budgets.

S’il n’y a pas d’opposition, la discussion générale aura lieu en ce sens. (Adhésion.)

Ainsi, la discussion est ouverte sur l’ensemble du budget des voies et moyens, ainsi que des autres budgets, et sur l’ensemble des actes du gouvernement.

M. Delehaye – Mais il y aura néanmoins une discussion générale à chaque budget.

M. le président – Sans doute, mais cette discussion ne comprendra que les spécialités du budget dont ils s’agira.

La parole est à M. Delfosse.

M. Delfosse – Depuis l’ouverture de la session, on a beaucoup parlé, dans cette enceinte et dans l’autre, de conciliation. Ce langage tout nouveau a fait impression sur quelques esprits peu habitués à aller au fond des choses et qui prennent facilement leurs désirs pour la réalité.

D’autres, moins confiants, et j’avoue que je suis du nombre, ont conçu des doutes sur la sincérité des paroles de paix qui se font entendre : de telles paroles leur sont suspectes venant de ceux qui ont jeté partout des ferments de discorde, en renversant, il y a quelque mois, un ministère composé d’hommes de talent, qui voulaient ce que nos adversaires paraissent aujourd’hui désirer si ardemment : l’union, la conciliation.

Sous ce ministère, qui leur déplaisait, parce qu’il ne subissait pas leur influence, parce qu’il voulait être indépendant et impartial, nos adversaires se sont montrés menaçants et belliqueux ; sous le cabinet actuel, à la formation duquel ils ont contribué de tous leurs efforts, et qui paraît leur convenir, ils prêchent la paix et la modération. Une métamorphose aussi subite, qu’expliquent si bien les intérêts, nous donne la mesure de la confiance que leurs protestations doivent inspirer.

S’ils étaient, comme ils le disent, animés d’un désir sincère de conciliation, ils en auraient donné des preuves un peu plus tôt, et les actes viendraient confirmer les paroles. Ces actes, où sont-ils ? Quelles sont, parmi les concessions que l’opinion libérale réclame, et qui seraient de nature à la satisfaire, celles que l’on se dispose à lui offrir ?

Va-t-on retirer cette proposition qui a jeté tant d’inquiétudes dans le pays, en lui faisant craindre le retour à des institutions que nos mœurs repoussent ?

Renonce-t-on, en matière d’enseignement, aux prétentions incompatibles avec l’indépendance du pouvoir civil, qu’un prélat influent a consignées dans ses écrits ?

Ecoutera-t-on, avec un peu moins de dédain, les plaintes qui s’élèvent de toute part contre la loi électorale, cette loi de privilège sur laquelle on ne fondra jamais rien de stable, parce qu’elle sacrifie les uns aux autres des intérêts qu’il eût fallu concilier ?

Si ces concessions paraissent trop fortes, quelles sont celles auxquelles on se résignerait ? Jusqu’à présent, on n’en a pas indiqué une seule. Loin de là, on a montré de nouvelles exigences ; on nous a menacés, dans le discours du trône, œuvre des ministres, de porter une nouvelle atteinte aux libertés communales, à ces libertés qui firent toujours chères aux Belges, et auxquelles la loi de 1836 n’avait certes pas fait une trop large part.

Ce n’est pas ainsi, messieurs, que vous obtiendrez l’union ; vous l’auriez dans cette chambre, que vous ne l’auriez pas dans le pays. Ceux qui nous ont envoyés ici comptent sur nous, pour la défense de leurs principes et de leurs droits ; si, effrayés, outre mesure, par les « menées folles » qui ont été signalées dans le discours du trône, nous gardions le silence, ils sauraient bien les défendre eux-mêmes.

Et ne vous trompez pas, messieurs, l’opinion libérale, momentanément affaiblie dans cette enceinte par quelque défections est forte dans le pays. Souvenez-vous de la réélection de M. Lebeau à Bruxelles ; de celle de M. Rogier à Anvers, de celle de M. Devaux à Bruxelles ; souvenez-vous que l’honorable comte Félix de Mérode n’a été réélu qu’à la majorité d’une demi-voix ; que notre honorable collègue M. Brabant a eu contre lui la majorité des électeurs de la ville où il a été si longtemps bourgmestre.

M. Brabant – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président – Il serait à désirer qu’on s’interdît les personnalités.

M. Lebeau – Il n’y a pas là de personnalité.

M. Rogier – il s’agit d’un fait politique.

M. Delfosse – Je signale un fait électoral, et je suis surpris de l’interruption de M. le président.

M. de Brouckere – Il s’agit d’un fait personnel aux électeurs…

M. le président – Et aux membres de la chambre.

M. Delfosse – Souvenez-vous que l’honorable M. Brabant a eu contre lui la majorité des électeurs de la ville où il a été longtemps bourgmestre et où il jouissait naguère d’une si grande popularité. Certes lorsque des hommes d’un caractère aussi honorable, pour le succès desquels tant d’influences s’étaient réunies, baissent à ce point dans l’opinion du pays légal, c’est un signe évident que le triomphe de l’opinion libérale est prochain.

Quant à moi, messieurs, convaincu que le pays veut l’ordre, tout comme il veut la liberté, convaincu que l’émeute y trouverait de sympathie et qu’il n’y a rien à redouter pour la tranquillité publique, je dirai hautement mon opinion sur la situation actuelle.

Je la dirai en peu de mots, afin de ne pas faire perdre à la chambre un temps précieux, afin que l’on ne puisse pas m’accuser d’entraver la réalisation des projets que le ministère a conçus, à ce qu’il dit, pour le bonheur du pays. Il me tarde autant qu’à vous de le voir à l’œuvre.

Le ministère est né d’un conflit entre la chambre des représentants et le sénat. La chambre des représentants s’était prononcée pour le maintien du précédent cabinet ; le sénat avait manifesté un vœu contraire. En présence de ce conflit entre les deux corps qui représentent la nation, il n’y avait qu’un parti à prendre, c’était d’appeler le pays à se prononcer lui-même ; ou bien, si l’on croyait son intervention intempestive, il fallait au moins faire prévaloir le vœu du corps qui doit être considéré comme l’expression la plus vraie de l’opinion publique, comme la représentation la plus fidèle et la plus directe du pays, et ce corps est sans contredit la chambre des représentants. Vous savez, messieurs, que c’est le contraire qui est arrivé ; c’est le vœu du sénat qui a prévalu. Il y a eu là une grande faute commise, il y a eu une déviation fâcheuse des premières règles du gouvernement représentatif. Et, chose étrange, ceux qui ont aidé à commettre cette faute, en consentant à s’asseoir au banc des ministres, ceux qui doivent en répondre, sont tous, à l’exception d’un seul, membres de la chambre des représentants, de cette chambre dont l’influence a été effacée, dont le vœu, à la manifestation duquel ils s’étaient presque tous associés, a été méconnu. Un oubli aussi prompt et leurs antécédents, un abandon aussi facile de notre cause, peut leur donner des titres à la confiance du sénat, mais non à la nôtre.

Ce ministère, dont l’enfantement a été si laborieux, parce que des hommes honorables refusaient d’en faire partie, se compose des éléments les plus hétérogènes, des opinions les plus diverses. J’y vois un débris de l’ancien ministère, ministre malgré lui, qui voulait suivre ses collègues dans la retraite et qu’on a forcé de rester ; un signataire de la pétition que la capitale vous a adressée en faveur de la réforme électorale ; un partisan des mesures prohibitives ; un défenseur de la liberté communale ; un chaud révolutionnaire, et un ancien serviteur de Charles X.

Un ministère ainsi composé, messieurs, ne saurait avoir de durée ; il n’y a pas en lui cette force qu’une origine pure et morale jointe à l’unité de vues peut seul donner. Aussi, voyez comme le programme qu’il a publié dès son débat était sans couleur ; il y posait les questions sans les résoudre ; il y proclamait la nécessité d’une transaction dont il n’osait indiquer les bases ; Et il comptait à peine quelques mois d’existence qu’il subissait déjà une double transformation ; le ministre des affaires étrangères, celui-là même qui avait créé le cabinet, et qui n’est pas ici pour le défendre, se retirait, et l’un de ses collègues, comprenant enfin ce qu’il aurait dû se dire plus tôt, qu’un ministre des finances ne s’improvise pas, passait aux affaires étrangères, pour faire place, aux finances, à un homme plus expérimenté.

Le ministère a-t-il levé, par sa conduite ultérieure, le vice originel dont il est entaché ? Vous allez en juger, messieurs.

Ses premières paroles ont été un blâme pour l’usage qu’une foule de conseils communaux avait fait d’un droit garanti par la constitution, en demandant respectueusement au Roi le maintien du précédent ministère.

Son premier acte a été une violation de la loi. Lorsqu’un membre de la chambre ou du sénat est nommé par le Roi à des fonctions salariées qu’il accepte, les électeurs qui l’ont élu doivent être convoqués dans le mois ; la loi est positive, formelle.

Deux des ministres, nommés le 13 avril, n’ont été soumis à une réélection que le deuxième mardi du mois de juin. Deux districts ont été privés d’un représentant pendant plus de trois semaines, au-delà du terme légal.

A quoi bon, me dira-t-on, réunir les électeurs pour procéder, le 13 mai, à une élection qui devait cesser ses effets le deuxième mardi de juin ? Cette élection extraordinaire n’aurait pas eu de but, puisque les chambres n’étaient pas réunies. Le ministère était sans intérêt.

Les chambres n’étaient pas réunies ; cela est vrai ; mais des circonstances extraordinaires pouvaient exiger leur convocation immédiate, et dans ce cas la représentation nationale eût été incomplète. Je nie aussi que le ministère fût sans intérêt. M. le ministre de la justice avait le plus grand intérêt à ne pas courir les chances d’une élection extraordinaire, où il aurait dû lutter corps à corps contre un seul candidat ; on lui aurait naturellement opposé celui des candidats libéraux qui avait le plus de chances de succès ; l’échec du ministre était possible ; il eût affaibli le ministère et exercé une fâcheuse influence (fâcheuse pour lui) sur les élections du mois de juin. Voilà, messieurs, pourquoi la loi a été violée, et cette violation est d’autant plus coupable qu’elle part de plus haut.

Non seulement le ministère a violé la loi, mais il a toléré les violations commises par des autorités inférieures. J’ai signalé dernièrement son inaction en présence d’une décision de la députation permanente du conseil provincial de Liége, diamétralement opposée au système de la permanence des listes, système que vous avez adopté, il y a quelques temps, après que M. le ministre de l'intérieur, fidèle, cette fois, à ses antécédents, lui eût prêté l’appui de sa parole. Il résulte de cette inaction que l’honorable comte de Mérode fait partie de cette chambre en vertu d’un principe qu’un honorable habitant de Huy a vainement invoqué, pour siéger au conseil communal où ses concitoyens l’avaient appelé.

Une autre irrégularité beaucoup plus grave (et celle-là il n’est aucun membre de la chambre à quelque opinion qu’il appartienne, qui puisse la nier) a été commise par la députation permanente du conseil provincial de Liége. Ce corps ayant annulé une élection, par le motif que l’élu n’était pas Belge, a fait procéder à un scrutin de ballotage entre les deux candidats qui avaient eu le plus de voix après l’élu. Vous sentez tous, messieurs, que ce n’était pas un scrutin de ballotage, mais une élection nouvelle que la députation permanente aurait dû ordonner. Il ne peut s’agir de scrutin de ballotage que quand aucun des candidats n’a obtenu la majorité absolue au premier tout de scrutin ; ou bien (et ce deuxième point est même contesté), quand la majorité absolue obtenue par l’un des candidats se trouve réduite à un chiffre inférieur, à plus de la moitié des votants par suite de l'annulation d’un ou de la moitié des votants par suite de l’annulation d’un ou de plusieurs suffrages. Dans l’un de ces deux cas, l’accomplissement de la condition prescrite par la loi pour le scrutin de ballotage est possible, ce scrutin peut avoir lieu comme l’exige l’article 36 de la loi électorale, entre les candidats qui ont obtenu le plus de voix ; mais l’accomplissement de cette condition devient impossible, lorsque l’élu, c’est-à-dire celui qui a eu le plus de voix, se trouve écarté par le motif qu’il est étranger. Le système de la députation permanente du conseil provincial de Liége est inique, en ce qu’il force la majorité du corps électorale à choisir l’un des candidats de la minorité, et il peut conduire aux conséquences les plus monstrueuses. Si un candidat était élu à l’unanimité, moins deux voix réparties sur deux électeurs, dont chacune se serait donné la sienne, et si l’élection était annulée, à raison de l’absence d’une des conditions d’éligibilité requises par la loi, il faudrait dans le système de la députation permanente, forcer le corps électoral à voter pour l’un de ces deux électeurs dont chacun se serait donné sa voix et n’en aurait pas eu d’autre. Certes, si quelque chose est absurde, c’est un pareil système. Aussi, lorsque la chambre a annulé l’élection du général Nypels à une époque où il n’avait pas encore obtenu la grande naturalisation, elle s’est bien gardée de faire procéder à un scrutin de ballotage, elle a ordonné une élection nouvelle.

Qu’a fait le ministère, en présence de cette violation flagrante de la loi à laquelle son représentant dans la province a pris part ? Il nous l’a dit l’autre jour : il s’est abstenu. Beau ministère vraiment qui s’abstient, lorsque la loi est scandaleusement violée ! Le ministère ne reste pas toujours aussi impassible, nous l’avons vu dernièrement annuler une décision de la députation permanente du conseil provincial du Limbourg, qui lui paraissait contraire à la loi. Il est vrai que cette décision déplaisait à M. l’évêque de Liége, au lieu que la décision de l’autre députation permanente lui était agréable.

Et c’est en ayant ainsi deux poids et deux mesures, c’est en foulant aux pieds le principe de l’égalité devant la loi, c’est en se montrant si peu impartial que le ministère espère ramener l’union dans le pays et obtenir son assentiment ! Non, non, vous avez beau dire que vous n’êtes à la remorque d’aucun parti, personne ne vous croira.

Messieurs, je sais que les griefs de la nature de ceux que je viens d’indiquer, font sourire les hommes positifs, ceux qui réduisent tout à des questions d’argent, et qui ne sentent pas que les garanties morales sont la meilleure sauvegarde des intérêts matériels ; eh bien, je demanderai à ces hommes ce que le ministère a fait jusqu’à présent pour les intérêts matériels du pays.

Le pays a besoin de débouchés pour les produits de son industrie ; il tient surtout à établir des relations commerciales suivies avec les nations voisines, telles que l’union douanière allemande et la France.

Le ministère ne paraît pas désireux, ni pressé de conclure un traité de commerce avec l’union douanière allemande ; c’est ce qu’il est du moins permis de supposer, puisque n’a pas encore pourvu au remplacement de M. Nothomb, en qualité de ministre plénipotentiaire à Francfort. Quand M. Nothomb allait sortir du ministère, il y avait urgence de nommer à cette place ; cela convenait à M. Nothomb, cela devait convenir au pays ; aujourd’hui, c’est tout autre chose ; le ays peut attendre.

Le il avait cependant annoncé qu’il serait pourvu à cette nomination, aussitôt que M. Nothomb aurait pris congé de la diète germanique. Le congé est pris depuis longtemps, et la nomination n’est pas encore faite.

Quelle est la cause de ce retard ? Je l’ignore ; il y a des gens qui disent que c’est une place que l’on tient en réserve pour celui qui se montrera le plus digne de l’obtenir en appuyant le ministère de son influence et de son talent ; il y en a d’autres qui s’imaginent que c’est une retraite honorable que l’on ménage à l’un de nos ministres dont on ne serait pas fâcher de se débarrasser, et il faut convenir que les antécédents de nos hommes d’Etat rendent ces suppositions assez vraisemblables.

Le ministère a montré plus de zèle du côté de la France, je le reconnais ; mais il échoué dans les négociations. Il vous dira qu’il n’y a pas de sa faute, qu’il a fait tout ce qu’il fallait pour réussir. Je pourrais être de son avis, s’il avait mis un peu plus de discernement dans le choix des personnes.

J’apprécie d’autant que qui que ce soit le talent et l’habilité de ceux de nos trois collègues qui ont été chargés de suivre les négociations commerciales ouvertes à Paris ; mais on s’accorde généralement à dire qu’ils manquaient des connaissances spéciales requises en pareille circonstance. Ce n’était ni un jurisconsulte, ni un administrateur, ni un littérateur qu’il fallait envoyer à Paris, mais bien des hommes versés, par une longue pratique des affaires, dans la connaissance intime des besoins de notre industrie et de notre commerce.

On assure aussi que l’un de nos trois envoyés avait publié dans un recueil périodique, dont il est l’un des fondateurs, quelques lignes contre le projet de resserrer les liens qui nous unissent à la France. Si cela est vrai, un pareil choix était au moins très imprudent.

Nous n’avons pas été plus heureux du côté de l’Espagne, Notre envoyé extraordinaire, dans ce pays, n’a pu obtenir, dit-on, la révocation des mesures prises contre notre industrie linière, et cela ne doit pas nous étonner : la décoration que le ministère a conférée, il y a quelque temps, à un ancien aide de camp de Don Carlos, n’était pas un acte de nature à nous attirer les sympathies du gouvernement espagnol.

Je ne supposerai pas que l’influence légitimiste qui s’est glissée dans le conseil ait voulu faire une démonstration en faveur de don Carlos ou de Henri V ; mais je dirai et beaucoup diront avec moi que cet acte était des plus irréfléchis et qu’il fait peser sur le ministère une grave responsabilité.

Ce n’est pas par des mesures de ce genre que le ministère pourra se concilier la bienveillance des gouvernements étrangers, dont il a cependant grand besoin. Le gouvernement français lui-même, qui a beaucoup de bienveillance pour nous, du moins M. le ministre des affaires étrangères nous l’assure, et j’aime à le croire, paraît en avoir fort peu pour nos ministres ; sans cela il n’eût pas pris, « sans les prévenir », une mesure aussi importante que celle d’une concentration de troupes sur notre frontière. Quand on a de la bienveillance pour les gens, il est certains procédés que l’on observe envers eux, et M. le ministre des affaires étrangères est convenu lui-même que le gouvernement français ne les avait ps observés envers lui.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) – Je n’ai pas dit cela.

M. Delfosse – Vous avez dit que vous aviez ignoré la concentration des troupes françaises sur notre frontière, que vous ne l’aviez appris que par les journaux.

Pour peu que cela dure, nous serons isolés en Europe, et le ministère ne pourra nous offrir que ce qu’il nous a offert jusqu’à présent ; pour remède aux maux qui assiègent le pays, une académie de médecine, et pour tout débouché une colonie déserte.

Il est un genre de mérite dont je ferais beaucoup de cas s’il était réel, que le ministère a voulu se donner en annonçant qu’il couvrirait les dépenses au moyen des impôts existants ; cette annonce ressemble à celle de ces charlatans qui promettent monts et merveilles pour faire des dupes. Il n’y aurait, messieurs, qu’un moyen de rétablir l’équilibre entre les recettes et les dépenses, sans recourir à de nouveaux impôts ; ce moyen serait d’entrer franchement dans la voie des économies. Mais ce n’est pas là ce que veut le ministère. L’équilibre qu’il est parvenu à établir est un équilibre factice, qui repose sur des suppositions chimériques et sur des ressources imaginaires.

Le ministère suppose qu’on fera une économie de 6 millions sur les dépenses des exercices de 1839, 1840 et 1841 et que les impôts existants produiront beaucoup plus en 1842 qu’ils n’ont produit les années précédentes. Comment croire à la première supposition, quand on voit que MM. les ministres des finances et des travaux publics sont venus en quelques jours nous demander sur les exercices de 1840 et de 1841 des suppléments de crédit, s’élevant à plus de 3,200,000 fr. ; et quand tout porte à croire qu’on viendra nous en demander bien d’autres ? Comment croire à la seconde, dans un moment où la détresse de plusieurs branches importantes de notre industrie jette le découragement dans beaucoup de localités et compromet diverses branches du revenu public ?

Un de mes honorables collègues de la section centrale du budget des voies et moyens l’a dit avec raison : ce n’est pas à 22,500,000 fr., chiffre fixé par le ministère, mais à plus de 30 millions qu’il faut évaluer le déficit. Et ce déficit effrayant doit s’accroître encore de toutes les nouvelles dépenses que l’on nous propose, sans indiquer les moyens d’y faire face, pour la ville de Bruxelles, pour les indemnités et pour l’ordre judiciaire.

Les suppositions du ministère peuvent bien cacher le mal pendant quelque temps, mais plus tard, trop tard peut-être, il apparaîtrait dans toute sa gravité !

Si MM. les ministres avaient réellement à cœur la prospérité du pays, ils ne chercheraient pas à le bercer d’espérances trompeuses, à l’endormir sur le bord du précipice. Ils auraient le courage de montrer les dangers de la situation et les moyens d’en sortir. Mais non, ils sacrifient l’avenir au désir d’une popularité éphémère, le pays à leur ambition.

Je n’ai pas voulu, messieurs, me rendre, par mon silence complice de la déception qui se prépare. Si je ne puis l’empêcher, je l’aurai du moins dénoncée et je chercherai autant qu’il est en moi à en atténuer les effets. Je n’imiterai pas l’opposition de l’année dernière, dans ce qu’elle a eu de tracassier et de mesquin ; bien que je n’aie pas la moindre confiance dans le ministère et, bien que je désire sa chute, j’admettrai toutes les dépenses dont l’utilité me sera démontrée ; mais aussi je me rallierai avec empressement à toutes les économies raisonnables qui seront proposées. Je donnerai en cela l’exemple de la modération, non pas de cette fausse modération qui consiste pour quelques-uns dans la faiblesse de caractère, pour d’autres dans l’absence de conviction jointe à une soif immodérée du pouvoir, mais de la véritable modération, de celle qui n’exclut ni la fermeté ni la fidélité à des engagements qui, pour avoir été tacitement pris, n’en sont pas moins sacrés.

M. le président – M. Brabant a la parole pour un fait personnel.

M. Brabant – L’honorable préopinant a jugé à propos de faire intervenir mon nom dans une discussion générale, dans une appréciation de la situation politique du pays. Les rapports que nous avons habituellement ensemble me sont un sûr garant qu’il n’y avait rien de malveillant de sa part dans la citation de mon nom.

L’honorable membre a cité mon nom ou plutôt mon élection comme présentant un caractère qu’en Angleterre on appelle un « signe du temps ». Puisqu’on a mis la question sur ce terrain, je crois rester dans le fait personnel en disant quelques mots sur les moyens qu’on a employés pour agir sur les élections et que je serais bien aise de voir apprécier par la chambre et par le pays.

L’honorable préopinant a rappelé que dans la ville où j’ai eu l’honneur d’être longtemps bourgmestre, j’avais eu la minorité. C’est un de ces faits qu’il a puisés dans le journal « L’Eclaireur de Namur » qui sont très difficiles à prouver. Il est vrai qu’au bureau principal, où votaient beaucoup de Namurois, mon concurrent l’a emporté sur moi. Mais là le nombre des votants était de 300 et la liste général pour Namur était de 450 ? ? ? ; donc une partie a voté à la deuxième section. Cela importe peu ; le journal « L’Eclaireur », dont l’honorable M. Delfosse vient de reproduire les opinions, a malgré cela établi que M. de Garcia et moi, nous ne représentions plus la ville de Namur. Certainement il m’est agréable de la représenter, mais aux termes de la constitution, je me regarde comme le représentant de la Belgique et non d’un district, encore moins d’une seule commune.

Mais j’ai dit que l’honorable M. Delfosse m’avait pris pour exemple, et avait cité mon élection comme un « signe du temps. » Il est bon d’appeler l’attention du pays sur un autre signe du temps, sur les moyens qu’on a mis en œuvre dans les dernières élections. Vous savez à quelles infâmes calomnies on a eu recours pour amener certains résultats. Pour ce qui regarde l’honorable M. de Garcia, je vais vous lire un numéro, tout dégoûtant qu’il est, du journal « L’Eclaireur », qui a été imprimé une dizaine de jours avant les élections.

Dans le journal du 23 on m’accuse d’être tout prêt, à la première réquisition de mon évêque, à proposer le rétablissement de la dîme. Vous avez qu’un catéchisme publié, je ne sais à quelle époque, revêtu d’une approbation en 1796, enseignait encore l’obligation de payer la dîme. Cette approbation avait été donnée au beau temps de la république française. J’aurais pu à cet égard accuser le ministre de la justice, Leclercq, d’être complice de monseigneur, l’évêque de Namur, car je me suis assuré qu’à l’école du pénitentiaire de Namur, on se servait de ce catéchisme, où est écrite l’obligation de payer la dîme. Il y a plus, on s’en sert encore.

Avis à M. le ministre de la justice d’aujourd’hui.

Voici le paragraphe de « L’Eclaireur » :

« Du reste, que résulte-t-il de l’écrit de l’évêque ? « Qu’il n’a nullement l’intention de rétablir dans son diocèse le paiement de la dîme. » Mais cette intention ne peut-elle pas lui venir demain, après-demain, ou plutôt quand, à l’aide des candidats recommandés par les curés dans les élections, on pourra espérer que la chambre des représentants décidera ce rétablissement, soit (comme pour la mainmorte) à la demande des évêques au sénat, soit à celle de MM. Brabant et Dubus à la chambre des représentants. »

Messieurs, à la demande de nombreux amis, je fus obligé de céder à leurs instances et d’écrire une lettre à l’Eclaireur. Je vais vous lire cette lettre et les réflexions dont elle fut accompagnée ; vous jugerez des honnêtes moyens employés par une association constitutionnelle siégeant en société secrète.

Voici ce que j’écris à l’Eclaireur sous la date du 25 mai :

« Depuis quelque temps votre journal a pris tâche de me signaler à la haine de mes concitoyens, en me représentant comme un fanatique prêt à proposer à la législature toutes les mesures les plus odieuses aux populations, pourvu que le clergé et la noblesse pussent en retirer quelque profit.

« Ces accusations ont été formulées d’une manière plus précise dans votre numéro de dimanche dernier, 23 de ce mois. J’espère que vous voudrez bien accueillir mes réclamations, et insérer la présente dans votre plus prochain numéro. »

« Et d’abord sur la proposition qui a servi de base à tous vos articles (la proposition Dubus-Brabant), je vous prierai de remarquer qu’il vous est échappé deux inexactitudes dans la note qui se trouve au bas de la deuxième colonne, les voici : Vous dites, premièrement que la section centrale a proposé de « restreindre pour le moment la proposition à la jouissance de six cent mille francs de revenu net annuel » ; deuxièmement que j’ai fait partie de la section centrale.

« Sur le premier point je répondrai en citant l’article 5 du projet ; le voici : « Lorsque les acquisitions autorisées en exécution de la présente loi auront constitué, au profit de l’université, un revenu de trois cent mille francs en biens de toute nature, il ne pourra être accordé d’autorisation ultérieure. Cette dotation ne pourra comprendre des biens immeubles que jusqu’à concurrence de cent cinquante mille francs en revenu fixés par la matrice de rôle. »

« Sur le second, j’aurai l’honneur de vous faire observer qu’il n’est point d’usage que les auteurs d’une proposition fassent partie de la section centrale ou de la commission qui est chargée de son examen ; qu’en fait je n’ai été entendu que pour donner des renseignements, sans droit de vote.

« La section centrale était composée de MM. Fallon, président, de Theux, de Mérode, de Foere, de Garcia, Dechamps, Dedecker, rapporteur, et notre proposition, amendée par elle, a été adoptée à l’unanimité. M. Dubus et moi, nous avions donné notre assentiment à toutes les modifications.

« Le public sera sans doute étonné de voir que ce qui est un crime pour moi ne fasse pas même grief contre M. Fallon. Vous proposez cet honorable citoyen aux suffrages des électeurs, et vous avez grande raison ; un arrondissement s’honore en choisissant de pareils mandataires. Mais ce vote que vous appelez sera ma justification ; et si messieurs, les électeurs trouvent bon de ne pas me continuer leur confiance, je pourrait du moins croire que ce n’est pas à cause de ma proposition. J’avais espéré que la motion de M. Braas me permettrait de présenter la chose sous son véritable jour ; vous savez qu’il ne m’a été possible de profiter de cette occasion. Du reste, ce que le conseil communal a jugé inutile, messieurs les électeurs pourront le trouver nécessaire, et dès ce moment je suis prêt à justifier ma proposition dans telle assemblée que mes concitoyens pourraient convoquer : je répondrai à leur appel aussi souvent qu’ils voudront ben me demander compte de ma conduite.

« Voilà pour le passé : je viens aux intentions que vous me prêtez pour l’avenir, c’est-à-dire le rétablissement de la dîme et des droits féodaux, quels qu’ils soient. »

Voici la réponse qu’on a faite à cette lettre :

«D’abord nous dirons à M. Brabant que nous ne l’avons jamais signalé à la « aine » de ses concitoyens. Nous avons dit (et nous maintenons ce fait de notoriété publique) que M. Brabant est un fanatique, l’âme damnée, comme on dit vulgairement, du parti rétrograde ; sa proposition pou le renouvellement des anciennes mainmortes, cet avant-coureur de la dîme, en fait d’ailleurs foi suffisante. En nous autorisant de cela, nous avons engagé ceux des électeurs qui ne veulent pas voir revivre tous les abus de l’ancien régime à ne pas réélire M. Brabant, et nous espérons, pour la prospérité du pays, que notre parole sera écoutée.

« Vous regardez, vous, le rétablissement de la dîme comme chose impossible ! Mais si le clergé (pape ou évêques) et le noblesse jugeaient le fait possible, nous savons d’avance dans quel sens vous voteriez à la chambre. Vous ne vous sépareriez pas de vos amis, dont vous croyez une partie infaillible ! On juge d’ailleurs les hommes politiques non par leurs protestations (la parole, a dit un personnage sortant de la même école que vous, ayant été donné à l’homme pour dissimuler sa pensée), mais par leurs alliances et leurs acte. Or, en vous jugeant, M. Brabant, d’après cette équitable mesure, voyons quelles sont vos alliances ? Comme nous l’avons dit tantôt, avec tout ce qu’il y a de plus rétrograde dans la chambre, ceux qui regrettent le passé et ne désespèrent pas d’y revenir, ceux enfin qui prétendent exploiter la nation en faveur de ceux-là seuls qui croient comme eux. Vos actes ! Ce sont les efforts que vous faites en faveur du retour des privilèges de la mainmorte, de tout ce qui est le moins compatible avec nos institutions. Voici ce qui parle plus haut et plus clair que des dénégations. »

« Enfin, il vous a plu, M. Brabant, de vous faire l’application de la maxime que « tout mensonge pieux ne blâme pas les consciences » ; et à ce sujet vous vous êtes gendarmé contre moi. Quelques mots d’à propos :

« Vous avez été élevé chez les jésuites à St-Achard, et vous ne laissez échapper aucune occasion de le rappeler en semblant même vous en faire gloire. Eh bien, entre mille citations que je pourrais faire, en voilà cinq qui suffiront pour faire connaître dans quelle estimes ces respectables pères tiennent la fidélité aux promesses. »

Eh bien, c’est sous l’influence de calomnies pareilles, non seulement insérées dans les journaux, mais colligées, recueillies en brochures (système qui est vieux ; il y a quatre ans on a fait la même chose pour l’honorable M. Pirson), c’est dans de telles circonstances que l’opinion égarée a trouvé à propos de ne pas m’accorder autant de voix qu’elle n’en avait accordé jusqu’ici. Du reste, je déclare que si nous étions assez malheureux pour voir se réaliser un fait pareil, que les électeurs pussent accueillir de pareilles turpitudes, je me ferais honte de les représenter. (Applaudissements.)

M. Cools – Si aucune discussion politique n’est venue retarder le vote de l’adresse, c’est un sentiment généreux étouffait les pensées que, dans des circonstances ordinaires, la situation aurait inspirées. La chambre entière était impatiente de prouver que toujours elle se groupera autour du trône, lorsque des projets coupables ou insensés tenteront d’ébranler l’édifice social. Sous de telles préoccupation, des luttes de tribune sur la marche ordinaire des affaires n’auraient été ni convenables ni opportunes.

Mais chacun aurait compris, même sans les réserves d’un membre de l’ancien cabinet, que ce n’était là qu’un ajournement.

Des explications franches, complètes, sont nécessaires. Elles le sont entre le ministère et la chambre entière ; elles le sont aussi entre les deux fractions de cette assemblée qui avaient pris une position franche, je dirai presqu’hostile, à la fin de la session dernière.

Il faut que, de part et d’autre, on sache à quelles conditions on est disposé à se soutenir ou se combattre.

C’est là un devoir pour nous tous. Pour les membres qui ont soutenu l’ancien ministère, c’est plus que cela ; c’est à la fois une question de devoir et une question de dignité.

Je regrette que, dans mon appréciation de la position du ministère, je sois forcément amener à parler des partis qui divisent cette chambre. J’espère le faire avec réserve. Désirant définir la situation que le ministère est forcé d’accepter, il ne m’est pas permis de passer sous silence l’influence que ces partis exercent sur la situation.

Je ne m’arrêterai pas longtemps aux circonstances qui ont amené la chute du dernier cabinet. Je sens, par l’émotion que j’éprouve chaque fois que ces circonstances se présentent à mon esprit, que le moment n’est pas venu d’en apprécier avec calme les causes et les conséquences. Je dirai seulement que lorsque j’ai vu une opposition compacte surgir au milieu de la tranquillité générale, lorsque j’ai vu cette opposition traduite tous ses griefs en de simples suppositions de tendance, se jouer de l’irritation toujours croissante, et que trois mois plus tard les élections ont si bien constatée, je me suis effrayé de l’état du pays ; je prêté à des hommes grandis par la lutte un appui total et sincère.

Mais je me hâte d’ajouter que le souvenir de ces moments de crise n’entre pour rien dans l’opinion que je me suis formée du cabinet actuel. Je sais que chaque situation nouvelle amène avec elle des besoins nouveaux. L’histoire nous offre bien peu d’exemples de principes politiques prévalant d’une manière complète après quelques moments d’intervalle. Le temps créé des exigences qu’il faut savoir accepter. Ce serait à mes yeux les méconnaître entièrement que de travailler à la réédification du passé. Le devoir de chacun de nous est aujourd’hui de se pénétrer des besoins de la situation nouvelle et de chercher si le cabinet qui se présente peut leur donner satisfaction.

Je dirai d’abord quelques mots de la situation telle que je la conçois.

Ce qui caractérise surtout l’état du pays, c’est une sorte de gêne, je dirai plus, ce sont des défiances qui se rencontrent dans toutes les opinions£. Ces défiances ont été pour beaucoup dans la retraite du dernier ministère ; elles n’ont pas été étrangères à la chute du ministère précédent.

J’attribue surtout cet état à la pondération des forces libérales et catholiques, produite, il faut bien le reconnaître, par le développement progressif de la première de ces deux opinions. Un membre du cabinet l’a reconnu, on est arrivé à une situation culminante. On craint de part et d’autre que la balance ne penche du côté opposé, et cette crainte maintient le pays dans un état de gêne, d’hostilité permanente qui s’envenime d’autant plus que les efforts tentés pour en sortir restent impuissants. Comme les forces sont à peu près égales, chaque crise nouvelle laisse la situation la même, seulement avec un peu plus d’irritation.

La mission de tout cabinet succédant aux deux derniers est de faire disparaître ces causes d’aigreur, non pas en écartant toute discussion délicate, mais en abordant franchement l’examen des questions qui divisent les partis. Ce n’est qu’à ce prix qu’un rapprochement ou des transformations d’opinions sont possibles. Ces questions sont en petit nombre ; quelques-unes attendent depuis longtemps leur solution. Il faut les aborder et les résoudre, ou pour détruire des préventions, ou du moins pour faire cesser cet état de suspicion que je regarde comme le pire de tous.

Le ministère, tel qu’il est composé, trouvera-t-il assez de force en lui-même pour donner cette impulsion à la marche du gouvernement ? S’il y réussit, parviendra-t-il à faire donner aux questions les plus essentielles une solution qui satisfasse toutes les exigences raisonnables, qui ne laisse pas subsister de nouvelles causes de défiance ?

Je dirai ma pensée avec toute franchise : non, je ne le crois pas.

Je ne le crois pas, parce qu’une fraction notable de cette assemblée, celle qui fait surtout la force du ministère, répugne à aborder quelques-unes de ces questions.

Messieurs, j’ai dit au commencement de mon discours que je m’exprimerais avec réserve. Je touche à une question délicate. Je ne porte aucun jugement sur les motifs qui déterminent la ligne de conduite de la fraction de la chambre à laquelle je fais allusion. Je n’examine que les faits ; dès lors je ne crois manquer à aucune convenance en disant qu’une des deux fractions de la chambre répugne à aborder quelques-unes des questions qui nous divisent.

Citons par exemple la loi sur l’instruction publique.

Depuis sept ans que la chambre est saisie de ce projet, aucun rapport ne lui a encore été fait. Il y a deux ans, un des principaux organes de l’opinion favorable au nouveau cabinet nous disait les motifs qui, d’après lui, faisaient désirer qu’on ne procédât pas avec trop de précipitation. Après cinq ans, il concluait à un nouvel ajournement.

S’il ne me sied pas de discuter ces motifs, il m’est du moins permis de dire que je déplore ce retard ; il m’est permis d’ajouter que l’intérêt du ministère, qui se confond ici avec l’intérêt du pays, est de surmonter cette hésitation, car beaucoup de défiances prennent précisément leur source dans ce retard. La situation ne changera pas, tant que cette grande question n’aura pas été vidée. Je ne dirai plus qu’un mot de ce projet.

Rien ne justifierait à mes yeux un plus long ajournement, car si on est encore divisé sur la part plus ou moins grande qu’il faut faire respectivement au clergé et au pouvoir civil dans la direction de l’instruction donnée aux frais de l’Etat, les hommes de tous les partis, ceux du moins qui comprennent les besoins de la société que les événements de 1830 ont créé, s’accordent aujourd’hui à reconnaître que l’instruction ne doit pas être séparée de l’éducation et que l’une et l’autre doivent être basées sur les principe de la religion professée par l’immense majorité de la nation.

J’ai dit que l’opinion qui désire reculer l’examen des questions que le ministère doit faire aborder sans retard, sous peine de compromettre l’avenir du pays, est celle qui fait sa force. Je crois que personne ne le contestera. Cette opinion seule a été unanime à accueillir le ministère avec reconnaissance, sans réserve. Dans l’opinion libérale, les adhésions sont partielles, isolées ; dans l’opinion catholique, dès l’apparition du nouveau cabinet et surtout à raison de son apparition, elles ont été compactes et générales.

Dans cette situation respective des partis, de quelles forces le ministère disposera-t-il pour vaincre des hésitations honorables, dans un certain ordre d’idées, mais contraires à son intérêt ; contraires aussi, c’est ma conviction, aux besoins de l’époque ?

Je n’en vois pas.

Dans plus d’une circonstance le ministère, s’il veut remplir sa mission, aura besoin de l’assistance du parti libéral, et malheureusement, avant de parvenir à dissiper les préventions que son origine inspire à cette opinion, il sera entraîné par la force des choses à donner toute satisfaction à l’opinion contraire. Malgré lui, il penchera tous les jours davantage de ce coté, et cette tendance forcée sera peu propre à augmenter ses appuis sur les bancs opposés.

Dès le début de la session, vous avez eu un indice des difficultés qui attendent le ministère lorsqu’il voudra se placer sur un terrain autre que celui de la majorité qui le domine. Il s’agissait déjà de l’instruction publique. Dans le discours du trône, le cabinet avait parlé de l’enseignement moyen et primaire, comme d’une question d’ordre social digne du plus vif intérêt. Il avait réclamé la prompte discussion au moins de la loi destinée à organiser l’enseignement primaire.

Voici la phrase :

« Je me fais un devoir d’appeler de nouveau votre attention sur l’instruction moyenne et primaire, en réclamant la priorité pour cette dernière ; c’est une question d’ordre social digne de notre intérêt le plus vif. »

Que trouvons-nous dans l’adresse qui indique qu’on soit disposé à partager les idées du cabinet sur l’importance de cette loi, sur l’urgence de sa discussion ? Absolument rien. La rédaction passe prudemment ce paragraphe sous silence ; elle se borne à dire que c’est un projet « dont la chambre aura à s’occuper. »

A la vue de ces symptômes de résistance, il m’est bien permis, je pense, en jetant d’autre part les yeux sur le classement des appuis du ministère, de douter qu’il y trouvera les moyens de surmonter les obstacles qui encombrent sa route.

J’ai voulu exprimer mes craintes, pour prévenir le cabinet du danger qui le menace ; j’ai voulu aussi dessiner ma position vis-à-vis de lui, pour que dans cette chambre et hors de cette enceinte on ne prête pas à mes votes une portée exagérée, mais aussi pour qu’on leur assigne toute leur portée. J’ai exposé les défiances que le ministère m’inspire. J’espère que sa marche future dissipera des défiances ; jusque-là je me place dans une réserve que je crois avoir suffisamment justifiée.

Cependant je méconnaîtrais un des besoins de l’époque, si je puisais dans cette position des motifs pour ramener trop souvent les débats sur la politique générale, si je contribuais à retarder l’examen des questions d’intérêt matériel. Ces questions, je les examinerai avec calme, et mes votes seront déterminés exclusivement par les dispositions bonnes ou mauvaises des projets qui nous seront soumis.

Mais ce concours empressé à tout ce qui peut développer le bien-être matériel de la société ne saura me rendre indifférent aux idées d’un ordre élevé. Mon mandat de député m’impose le devoir de travailler avec fermeté à faire prévaloir les principes que mes convictions politiques me font regarder comme conformes aux vrais intérêts du pays. Si le pouvoir y donne satisfaction, je le seconderai ; s’il les méconnaît, j’oserai le combattre au moins par mes votes.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, en demandant la parole, mon intention n’est pas de traiter de questions politiques, je ne vous entretiendrai pas non plus de la conduite du ministère, je ne vous parlerai pas davantage des libéraux et des catholiques ; ces questions irritantes ne produisent d’autres fruits que la désunion. L’union, messieurs, vous le savez, est nécessaire pour que, d’accord, nous apportions notre contingent de lumière, afin de doter, le plus tôt possible, le pays de diverses lois et améliorations réclamées depuis sui longtemps. Je me bornerai à traiter des intérêts matériels.

Messieurs, je ne viens pas réclamer des diminutions d’impôt ; le moment ne me paraît pas opportun pour en provoquer. Je forme un vœu, et ce vœu, messieurs, est que nos ressources soient suffisantes pour faire face à nos dépenses.

J’aime à croire que les prévisions du ministère se réaliseront et que les recettes prévues au budget des voies et moyens seront telles qu’on nous les annonce pour 1842 ; cependant je ne voudrais pas le garantir, mais je prévois, en ma qualité de député me l’impose, le devoir de signaler mes prévisions au gouvernement et à la chambre, je prévois, dis-je, que dans un court délai les recettes de l’Etat seront réduites de 10 à 20 millions.

La position financière de l’Etat n’est pas telle qu’on dût avoir des inquiétudes sérieuses sur son sort. Dans le moment actuel il en est temps encore, messieurs, mais il n’y a pas de moment à perdre.

Avisions aux moyens de faire produire au trésor l’intégralité des impôts décrétés. Evitons que ces impôts ne soient perçus au profit de telle ou telle industrie, au détriment du trésor ; en même temps agissons avec une sage économie dans les allocations que nous voterons.

J’ai lu avec plaisir dans le discours du ministre des finances, lors de la présentation des budgets, page XI, le passage suivant :

« Nous conservons, dit M. le ministre, l’espoir qu’à l’aide de quelques améliorations dans nos produits et d’une sage économie dans les dépenses, notre situation financière se trouvera bientôt dans un état prospère. »

Remarquez, messieurs, que le ministère a établi que le découvert au 1er janvier 1842 est de plus de 18 millions et demi ; hors, pour couvrir ce déficit, vous partagerez avec M. le ministre, ainsi qu’avec moi, que nous devons améliorer nos recettes, et que nos dépenses doivent être faites avec une sage économie.

Si le ministre marche dans cette voie, il obtiendra mon appui ; si au contraire, il agit différemment, je lui sera hostile. Telle est, telle fut et telle sera toujours la conduite que je tiendrai envers tous les ministères présents et futurs. Les actes fixeront toujours mon attention ; je repousserai ceux que je considérerai contraires au bien-être moral et matériel, comme je soutiendrai tout acte que je croirai être dans l’intérêt de mon pays.

J’ai pour principe, messieurs, de m’attacher particulièrement aux faits et aux actes du cabinet, quels que soient les hommes qui le composent. Je n’ai ni amis ni ennemis ; aucune affection ne me fera dévier de mon devoir. Je reviens au budget des voies et moyens.

En vue d’augmenter nos ressources, je demanderai au ministre des finances si la révision de la loi sur les sucres qui doit nous être soumis amènera une augmentation de recettes de trois à quatre millions ?

En d’autres termes, si l’impôt de consommation du sucre pourra être perçu intégralement au profit du trésor ?

Je le déclare aujourd’hui comme je l’ai déclaré l’an dernier, je veux que cet impôt rapporte au trésor environ quatre millions. Le consommateur de sucre, appartenant à la classe aisée, peut supporter cet impôt.

Je désire que cet impôt nuise le moins possible à l’industrie, mais avant tout je veux que l’Etat le perçoive seul ; je repousse le système des primes ; je ne veux plus de millions Merlin ; je demande que le chemin de fer soit appelé à payer la rente, et qu’il se suffise sans que l’on dût recourir à des subsides pour son entretien, le service der l’administration, l’intérêt des capitaux levés pour sa construction et l’amortissement desdits capitaux.

Je désirerai aussi une modification de la loi sur le sel. Dans mon opinion, plus la moitié de l’impôt sur cette matière est perçu par le fraudeur.

J’ai la conviction que si l’impôt sur la consommateur du sel était perçu intégralement par l’Etat, le chiffre en serait porté à plus de huit millions, tandis qu’il ne figure au budget des voies et moyens que pour la somme de moins de quatre millions (3,900,00 fr.) ; de manière que, si mes calculs sont exacts, comme je le crois, la fraude perçoit sur le consommateur du sel autant que perçoit l’Etat.

J’appelle sur ces points l’attention de M. le ministre des finances, ainsi que sur les autres branches de recettes de l’Etat.

Le cabinet étant pénétré de la nécessité d’améliorer les recettes comme il nous l’a dit dans son discours lors de la présentation des budgets j’ai l’espoir que ses actes répondront à ses paroles, et que des dispositions seront prises pour assurer au gouvernement l’intégralité des impôts votés.

Je terminerai par engager le cabinet à ne pas trop compter pour la suite sur une recette aussi élevée en matière d’impôts indirects et de réfléchir que le chiffre en est porté à un taux excessif, ce qui est le résultat de l’abondance du numéraire et des grands travaux exécutés par l’Etat. Cette cause, vous en conviendrez avec moi, messieurs, doit d’abord diminuer et ensuite disparaître.

Le haut prix de la propriété arrivé au taux le plus élevé, qui a donné un revenu considérable au chapitre intitulé « Enregistrement », est sur le point d’éprouver une rétroaction. Il en résultera de ce chef une diminution de recettes, et je ne crois pas exagérer que pour les années 1844 et suivantes les recettes seront considérablement réduites sur d’autres branches, de telle manière que les prévisions du budget des voies et moyens, qui aujourd’hui sont établies à raison de 105,850,612 francs, pourraient bien être réduites, en 1844 à 90,000,00 au plus ; avis au ministère et à la législature.

Je déclare que je votera pour le budget des voies et moyens à condition que le gouvernement provoquera la révision des lois que j’ai signalées devoir être révisées, et qu’il fera en sorte que le chemin de fer ne soit en aucune manière à charge de l’Etat, soit pour le tout, soit pour une partie.

Je renonce à émettre mon opinion sur plusieurs articles du budget, en vue d’avancer nos travaux et de pouvoir voter tous nos budgets avant le 1er janvier 1842.

M. Mercier – Il y a un an, à pareille époque, le gouvernement réclamait auprès des chambres législatives une augmentation considérable de ressources, pour établir, d’une manière certaine et durable, l’équilibre entre les recettes et les dépenses de l’Etat.

Une telle détermination devait, on ne l’ignorait pas, froisser et soulever bien des intérêts particuliers ; aussi ce n’est qu’après mûre délibération qu’elle fut arrêtée. Son exécution exigeait une grande abnégation et un profond sentiment des devoirs qu’ont à remplir vis-à-vis du pays ceux qui se trouvent au timon des affaires.

Les chambres, adoptant une partie des propositions qui leur furent soumises, accordèrent de nouveaux subsides jusqu’à concurrence d’environ trois millions.

A l’aide de cette augmentation de revenus, le ministère actuel croit pouvoir subvenir à toutes les dépenses publiques : personne plus que moi ne désire qu’il n’y ait pas de mécompte sur un objet qui intéresse si vivement l’avenir de nos finances.

Mais je ne puis m’empêcher de manifester des doutes sérieux sur la possibilité de l’accomplissement d’un pareil vœu.

Un examen consciencieux et impartial des budgets m’a fait voir que bien peu de changements étaient intervenus dans l’état de choses qui, l’année dernière, m’a décidé à entreprendre la tâche la plus ingrate qu’un ministre des finances puisse avoir à remplir, celle de proposer une aggravation de charges. Il a donc fallu une conviction bien intime des nécessités auxquelles il devait être pourvu, et des obligations que je croyais m’être imposées par la position que j’occupais alors, pour me résoudre à m’exposer à des échecs et à mille désagréments bien prévus.

Les faits étant restés à peu près les mêmes, il est impossible que ma conviction soit changée.

Je dis que les faits n’ont subi que de bien légères modifications ; en effet, en ce qui concerne les dépenses, sauf celles du département de la guerre, elles sont restées à très peu de choses près les mêmes. Quant au département de la guerre, c’est dans la vue et sous la promesse faite par le ministère que des réductions seraient opérées, que le vote d’un crédit global a eu lieu.

Pour les autres départements, quelques nouvelles dépenses peu considérables, relatives aux lettres, sciences et arts, que le cabinet précédent a consenti à retirer ou plutôt à ajourner, pour écarter tout objet étranger d’une discussion purement politique, se trouvent en grande partie reproduite. Le budget de cette année présente sur ces articles 95,000 francs de plus que les dépenses votées et 58,000 francs de moins que l’allocation primitivement pétitionnée. J’ajouterai encore deux réductions, celle qui résulte de la non-érection d’un palais de justice à Bruxelles, et celle qu’a entraînée le vote relatif aux consulats rétribués. Voilà, quant au dépenses, les modifications de quelque importance qui sont intervenues ; et quand je dis qu’en résumé il y a augmentation, ce n’est pas dans un but de critique, car en général j’approuve les dépenses portées aux budgets ; je les reconnais nécessaires, et je suis disposé à les voter.

Voilà quel est l’état des choses en ce qui concerne les dépenses.

Quant aux recettes, on espère de fortes augmentations sur la plupart des branches de nos revenus ; on ne s’attend à une diminution sur aucune. Il y a amélioration dans quelques produits, je me plais à le reconnaître ; je regrette de ne pouvoir exprimer cette opinion à l’égard de tous ; j’expliquerai plus tard les motifs qui ne me permettent pas de me livrer à cet espoir.

Mais en supposant, pour un moment, que toutes les prévisions se réalisent, l’excédant des recettes sur les dépenses n’étant que de 20,000 francs, la balance serait détruite par le moindre événement politique qui viendrait à surgir ; je ne parle pas d’un état de guerre qui bouleverserait toutes les combinaisons, mais de la moindre circonstance que la prudence ferait considérer comme étant de nature à exiger l’appel sous les armes de quelques milliers d’hommes de plus que le contingent ordinaire : aussitôt naîtrait la nécessité d’augmenter la somme des bons du trésor et d’avoir plus tard recours à de nouveaux emprunts.

Mais faut-il même prévoir le cas du moindre incident politique pour s’attendre à une insuffisance de recettes ? le gouvernement ne nous annonce-t-il pas lui-même une quantité de nouvelles dépenses qui, d’après le discours du trône, doivent se faire dans le courant de 1842 ?

Ainsi déjà un projet est présenté pour allouer à la ville de Bruxelles, en échange de bâtiments et d’objets d’arts, une rente de 400,000 fr. ;

On veut, par un acte d’équité nationale, réparer les désastres de la guerre ;

On annonce l’intention de procéder à l’amélioration de nos voies de navigation et d’écoulement ;

Le concours de la marine au développement de nos relations postales d’outre-mer semble aussi devoir donner lieu à un accroissement de dépenses ;

Enfin des projets de loi doivent nous être présentés pour augmenter les traitements de l’ordre judiciaire, de la cour des comptes et de fonctionnaires de l'ordre administratif.

L’examen que fait en ce moment le gouvernement de la question des consuls rétribués se résoudra probablement aussi en une demande de crédit supplémentaire ;

Enfin, on nous fait pressentir, par une note insérée aux développements du budget des travaux publics, qu’un supplément d’allocation pourra être demandé pour le service du chemin de fer ; le gouvernement espère que la somme pétitionnée pourra suffire ; mais il ne peut, dit-il, en donner la certitude.

Evidemment tous ces objets donneront lieu à de nouvelles dépenses, qui ne peuvent être couvertes que par un accroissement de la dette flottante ou par des capitaux qui deviendraient disponibles.

Il est encore à remarquer que le département de la guerre fait des réserves expresses en ce qui concerne la dépense du matériel de l’artillerie ; il déclare que l’insuffisance des ressources du trésor a fait supprimer des articles d’une utilité incontestable, tels qu’achats de poudre, et réduire les allocations pour travaux à effectuer dans les grands établissements militaires ; il a ajouté que, plus tard, il sera nécessaire de créer de nouvelles ressources pour mettre nos places fortes en état de pouvoir, au besoin, rendre les services qu’on doit en attendre.

Ainsi, pour établir un équilibre éventuel entre les recettes et les dépenses, il a fallu non seulement faire abstraction de dépenses déjà prévues, mais en supprimer d’autres reconnues d’une utilité incontestable pour la défense du pays.

De ce que je viens d’avoir l’honneur d’exposer, il me semble résulter à l’évidence que l’exercice 1842, même dans le cas de la plus grande prospérité que l’on puisse espérer, celui où toutes les prévisions du budget des recettes se réaliseraient, que cet exercice, dis-je, va se clore avec un nouveau déficit qui devra être couvert par des capitaux ou augmenter le chiffre de la dette flottante ; cependant une fraction du capital appartenant au domaine public aura encore servi à faire face aux dépenses ordinaires de cet exercice, savoir : 215,000 fr. sur les capitaux du fonds de l’industrie, et ensuite 1,500,000 fr. sur le prix des domaines vendus, non seulement en vertu de la loi du 27 décembre 1822, mais même par suite de la loi du 30 juin 1840.

Une somme de 2,240,000 fr. avait figuré au budget des recettes de 1841, comme provenant du prix de vente des domaines ; et le gouvernement, ainsi qu’il l’avait annoncé, ne comptait plus, pour l’avenir, que sur l’emploi d’une somme de 3 à 400,000 fr. provenant de la même source. Pendant la discussion de la loi du 30 juin 1840, des craintes ont été manifestée sur la destination qui serait donnée aux fonds à provenir de la vente des parcelles domaniales, et quoique rien n’ai été préjugé, je dois déclarer qu’il n’était pas dans l’intention du gouvernement de proposer de les affecter à faire face aux dépenses ordinaires, avant d’avoir épuisé infructueusement auprès des chambres tous les moyens de créer des ressources permanentes. J’ai pensé que si, chaque fois qu’un capital devient disponible, on l’employait comme ressource ordinaire, le trésor ou plutôt le domaine public s’appauvrirait d’année en année, et qu’il deviendrait dès lors impossible de jamais réduite la dette flottante. En ce qui concerne la vente des excédants d’emprise du chemin de fer, on ne doit pas perdre de vue qu’ils n’ont été acquis qu’au moyen de fonds provenant des emprunts, et il est à craindre peut-être qu’un jour le chemin de fer ne vienne en réclamer le prix. En effet, si les fonds du dernier emprunt devenaient insuffisants pour l’entier achèvement de toutes les lignes décrétées et pour la construction des stations, on ne manquerait pas de revendiquer en premier lieu ce qui a été indirectement distrait des fonds alloués pour la construction de ces voies de communication.

Loin de moi l’intention d’exprimer l’opinion que les finances du pays seraient en mauvais état ; je me fais un plaisir de reconnaître que notre situation financière est plus favorable que celle de la plupart des autres nations européennes, sous le double rapport de la dette nationale et des charges publiques.

Déjà, dans une autre occasion, j’ai démontré que notre dette, relativement à notre population, n’est que dans la proportion de 5/6 de la dette française, de 1/3 de la dette hollandaise et de 1/6 de la dette anglaise ; et maintes fois des chiffres ont été produits dans cette enceinte qui démontrent à l’évidence que nos impôts sont infiniment moins élevés que ceux des Etats qui nous environnent.

Quelques orateurs ont paru croire que la situation du trésor avait été présentée sous des couleurs trop sombres dans l’exposé que j’en ai fait à la chambre le 25 avril 1840, lors de la présentation du projet de loi d’emprunt : ce reproche était loin d’être mérité. Depuis cette époque, les faits accomplis sont venus démontrés que, s’il y avait erreur dans cet exposé, elle était en faveur du trésor et non à son détriment ; le montant de la dette flottante était estimé alors à 25,400,000 fr.; aujourd’hui, après une réduction de 5,038,533 fr. 69 c. convertis par les fonds de l’emprunt, en vertu de paragraphe 5 de l’article 2 de la loi du 26 juin 1840, elle est portée par M. le ministre des finances comme s’élevant encore à 22,500,000 fr., chiffre que je crois en dessous du découvert réel, par les motifs que j’expliquerai tout à l’heure, elle atteindrait donc le chiffre de 27,538,533fr 69 c. si une partie n’en avait été éteinte.

J’aime à reconnaître et à proclamer que notre situation financière n’offre rien d’alarmant ; mais je croirais cacher la vérité et manquer à mon devoir de député, si je ne déclarais en même temps que j’ai la conviction la plus profonde que nous nous trouvons dans une mauvaise voie, dans une voie qui nous entraîne chaque année à accroître notre dette ou à diminuer notre capital, deux résultats qui offrent les mêmes conséquences ; d’un côté, il y a augmentation de charges, et de l’autre diminution de revenus.

Frappé des dangers d’un pareil état de choses, le précédent ministère est venu, par mon organe, réclamer des chambres un accroissement considérable de ressources ; nous avions cru devoir porter nos regards, non sur un seul exercice, mais sur tout notre avenir financier.

Nous voulions atteindre un triple but : d’abord d’établir, d’une manière certaine, l’équilibre entre les recettes et les dépenses, sans le secours de capitaux ;

Ensuite de faire face aux dépenses nouvelles dont la nécessité pouvait naître dans le courant d’un exercice, et plus spécialement à celles qui viennent d’être signalées à notre attention par le discours du trône, et dont la plupart étaient déjà prévues à cette époque ; et enfin d’obtenir des excédents de recette à consacrer à la réduction de la dette flottante, qui semble peu gênante dans des temps prospères, mais dont le poids est accablant dans des circonstances difficiles, comme celles que nous venons de traverser.

On a paru invoquer les précédents à l’appui de la marche qui a été suivie. Serait-ce une erreur de croire que nous sommes engagés dans une voie qui doit devenir funeste aux finances de l’Etat ? Le montant même de la dette flottante qui, après une réduction de plus de cinq millions, opérée au moyen des fonds de l’emprunt, reste encore fixé à un chiffre fort élevé, est un témoignage de l’insuffisance des ressources des années précédentes. Pour acquérir une nouvelle preuve de la nécessité d’aborder franchement un autre système, examinons ce qui doit advenir de la balance des trois exercices qui sont actuellement en cours d’exécution, c’est-à-dire de ceux qui précédent immédiatement celui dans lequel nous allons entrer ; qu’il soit bien entendu que je ne veux citer que des faits, dans le seul intérêt de la vérité, et que rien n’est plus loin de ma pensée que de jeter le moindre blâme sur les actes d’aucun des ministres qui m’ont précédé au département des finances.

D’après le compte qui nous est présenté par M. le ministre des finances, le budget de 1839 se termine avec un découvert de fr. 10,028,498 21 c.

Il a été employé pour faire face aux dépenses du même exercice, un capital provenant du prix de vente des domaines et du fonds de l’industrie de 2,194,724 fr. 24 c.

La véritable insuffisance de ressources a donc été, pour l’exercice 1839, de 12,225,222 45 c.

Il est vrai que cet exercice à supporter une dépense de 48 millions environ, pour le département de la guerre ; mais d’un autre côté, on n’a eu à supporter qu’un semestre de la rente à transférer de la Hollande ; et d’ailleurs l’exercice de 1840 nous est présenté comme offrant probablement un excédant de ressources de 9,636,268 71 c.

Mais de cet excédant, il faut déduire :

1° La somme de 5,038,533 69 c. affectée par la loi du 26 juin 1840, à l’extinction de la dette flottante, et qui figure en recette de cet exercice ;

2° Un crédit supplémentaire qui doit nécessairement être demandé pour compléter les intérêts de la dette flottante de cet exercice, et qui, d’après mes souvenirs, doit s’élever à peu près à 500,000 fr.

Et peut être encore d’autres crédits supplémentaires qui pourront être réclamés, mais que je ne puis indiquer.

Il y a donc à déduire de l’excédant que je vient d’indiquer, au moins 5,538,533 69 c.

Cet excédant se trouve ainsi réduit à 4,097,735 02 c.

Mais voyons maintenant quelle est la portion de capital qui a concouru à faire face aux dépenses de cet exercice ; je vais les indiquer :

Prix de vente des domaines vendus : fr. 4,286,000

Rentrées sur le fonds de l’industrie : fr. 137,000

Recouvrement d’avances faites par le trésor pour le fonds de cautionnement depuis 1830 jusqu’en 1839 inclusivement : fr. 1,522,000

Recouvrement d’avances faites par le trésor pour le fonds de consignations de 1830 à 1839 : fr. 681,000

Recouvrement d’avances faites à des provinces, à des communes et autres recettes diverses, y compris les avances à des corporations, établissements et comptables belges ayant des capitaux inscrits au grand livre d’Amsterdam : 590,000 fr.

Recouvrement d’avances faites par le département de la marine aux équipages de la flottille, pour exercices antérieurs : fr. 300,000

En tout : 7,316,000 francs.

Ainsi, sans l’aide ce ces capitaux, l’exercice 1840 présenterait un découvert de 3,218,264 fr. 98 c.

Pour que ce découvert ne soit pas plus considérable, il faut supposer que 1,500,000 fr. de crédits restent sans emploi, ce qui me paraît douteux.

L’exercice 1841 est indiqué comme devant probablement se clore avec une insuffisance de ressources de fr. 401,461 45 c.

Mais pour arriver à ce résultat, il a fallu supposer aussi que des crédits resteraient sans emploi pour 1,500,000 fr.

En ajoutant à cette somme les capitaux employés pour faire face aux dépenses ordinaires et qui sont :

Pour le prix de vente des domaines, de 2,240,000 fr.

Pour le fonds de l’industrie : fr. 300,000.

On obtient pour résultat un découvert de 2,941,401 fr. 45 c.

Mais à cette insuffisance des ressources ordinaires de ces trois exercices, pour couvrir les dépenses, il faut joindre encore :

1° Les crédits supplémentaires sur les exercices 1840 et 1841 déjà votés dans une de nos dernières séances et montant ensemble à 2,420,000 fr.

2° Le crédit supplémentaire déjà réclamé par M. le ministre de la justice : fr. 61,270

3° Les crédits supplémentaires sur l’exercice 1841, annoncés par M. le ministre des travaux publics par une note renfermée dans les développements de son budget et qui doivent s’élever à 7 ou 800,000 fr. : je le suppose de 700,000 fr.

4° Une somme de 869,400 fr. faisant partie du crédit réclamé par un projet de loi de M. le ministre des finances présenté dans notre séance du 13 novembre, et qui se rapporte à l’exercice 1840, quelle que soit l’imputation qui lui sera donnée : 869,400 fr.

L’insuffisance des ressources ordinaires pour les trois exercices en cours d’exécution s’élève, d’après ce que je viens d’exposer à la somme énorme de 22,433,018 fr. 88 c.

Il est vrai que, pendant le même espace de temps, les capitaux employés à la construction du chemin de fer n’ont rapporté qu’une partie de l'intérêt qu’ils doivent produire, et que l’amortissement des emprunts a continué son action ; mais le résultat que je viens d’indiquer n’en est pas moins de nature à provoquer de sérieuses réflexions ; et d’ailleurs l’amortissement ne serait qu’un leurre si, à mesure qu’il s’exécute, on dépensait au budget de l’Etat une somme égale ou supérieure en capitaux ; quand même on retrancherait de cet résultat quelques millions, eu égard aux circonstances extraordinaires de l’exercice 1839, il n’en resterait pas moins un découvert encore très considérable ; si sur chaque exercice, le budget des recettes présentait sur les produits ordinaires 2 ou 3 millions de plus que celui des dépenses, on pourrait faire face aux besoins accidentels des mauvaises années qui peuvent survenir. La prévoyance prescrit de suivre une pareille marche.

Si les trois exercices en cours d’exécution présentent des résultats aussi déplorables, ne devons-nous pas employer des moyens efficaces pour éviter le même écueil au moment d’aborder un nouvel exercice ? Le ministère actuel, comme celui qui l’a précédé, n’a rien négligé, j’en ai la persuasion, pour parvenir à des économies compatibles avec une bonne administration du pays. Est-ce assez ? Les faits que je viens d’exposer et les considérations dans lesquelles je suis entré me paraissent démontrer clairement qu’il faut avoir recours à d’autres mesures.

J’ai exprimé des doutes sur la réalisation des espérances que manifeste le gouvernement à l’égard de l’accroissement du produit de plusieurs impôts ; je vais, messieurs, vous exposer les motifs qui ne me permettent pas de partager en tout point l’opinion émise à ce sujet.

Les prévisions du budget des voies et moyen de l'exercice 1841 sont indiquées dans le discours de M. le ministre des finances, comme étant de 101,464,464 fr. Dans cette somme, l’impôt indirect est représenté dans le même discours comme évalué à 48,714,650 fr. En regard de ces chiffres, sont placés les produits présumés des recettes effectives qui doivent s’élever, d’après les probabilités, pour le budget entier à 102,311,401 fr. 40 c. ; et pour les droits indirects à 50,621,300 fr. M. le ministre des finances trouve que les prévisions du budget sont dépassées de 846,937 fr. 40 c., et qu’en ce qui concerne spécialement l’impôt indirect, la réalité excédera l’évaluation de 1,906,650 fr. Prenant ce résultat pour base des évaluations des produits de 1842, le gouvernement compte sur une plus-value pour 1842 et ajoute encore 3,017,000 fr. aux recettes probables de 1841.

Je dois ici rectifier quelques chiffres :

Il est bien vrai que le montant des prévisions indiqué par M. le ministre est celui qui figure au tableau annexé au projet de loi des voies et moyens présenté le 21 décembre 1840 ; mais ces prévisions ont été modifiées, d’abord par le vote même de la chambre sur ce projet de loi, et ensuite par les lois d’impôt, qui ont successivement été discutées dans le courant du premier trimestre 1841.

En ayant égard aux indications données dans le discours à l’appui du premier projet de loi des voies et moyens, présenté par le cabinet précédent, on trouvera qu’on pouvait, sans aucune exagération, ajouter aux prévisions du tableau 300,000 fr. sur la douane, 500,000 fr. sur les eaux-de-vie indigènes, 150,000 fr. sur les sucres et 700,000 fr. sur le droit de transcription ; après déduction d’une somme de 67,432 fr. 60 c., dont le montant des contributions directes a été réduit, par le vote des chambres, ainsi que je l’expliquerai tout à l’heure, on trouve que le montant total des prévisions doit être augmenté de 1,582,567 fr. 40 c., et être porté, par conséquent, à 103,047,031 fr 40 c. et que l’évaluation du produit de l’impôt indirect doit être augmentée de 1,650,000 fr. et portée à 50,364,650 fr.

Ainsi les produits probables de 1841, loin de dépasser les prévisions, leur sont inférieurs de 735,630 fr. et l’impôt indirect, au lieu de dépasser l’évaluation de 1,906,650, ne l’excédent que de 255,650.

Ainsi ces deux bases des évaluations de produits de 1842 reposent sur des faits erronés. On se tromperait, d’ailleurs, si l’on croyait que les produits effectifs des impôts et péages ont, pendant ces dernières années, dépassé, d’une manière sensible, les prévisions des budgets. On sait que les produits de 1839, sur lesquels ont agi les circonstances politiques, sont restés bien inférieurs aux prévisions même, en tenant compte des effets de la cession des territoires ; deux tableaux que j’ai sous les yeux, dont je vous épargnerai la lecture, mais que je ferai insérer au Moniteur prouvent que sur l’exercice 1840 les prévisions en ce qui concerne cette nature de recettes n’ont été dépassées que de 531,682 20 fr. et que pour 1841, les recettes resteront au dessous des prévisions de 216,350 fr.

Une autre observation importante à faire et qui résulte de l’examen de ces deux tableaux, c’est que, sauf l’augmentation des recettes du chemin de fer due à l’ouverture de nouvelles sections et les effets des augmentations de la quotité de plusieurs droits indirects, les produits des exercices 1840 et 1841, en ce qui concerne ces branches de revenus, sont pour ainsi dire exactement les mêmes. En effet, le total des recettes de l’exercice 1840 s’élève à 90,605,251 fr. 20 c. et celui de l’exercice 1841 à 93,856,181 fr . 40 c. ; la différence est donc de 3,250,930 fr. 20 c. ; or, dans cette différence, le chemin de fer entre pour une somme de 1,600,000 fr. et les augmentations d’impôt, ainsi que je l’ai indiqué, pour celle de 1,582,567 fr. 40 c.

Ces deux chiffres donnent ensemble un résultat de 3,182,567 fr. 40 c., de sorte que les produits de 1841 ne dépassent, sur les mêmes quotités de doits, ceux de 1840, que de la somme insignifiante de 68,362 fr. 80 c.

C’est là une preuve éclatante qu’il n’y a pas constante progression dans le produit des impôts.

Les contributions et droits indirects à l’égard desquels je ne pense pas que les prévisions soient atteintes sont :

La contribution foncière ;

Les droits de douane ;

Les accises sur la bière et sur les eaux-de-vie indigènes ;

Les droits d’enregistrement.

Je crois au contraire qu’elles seront dépassées en ce qui concerne les droits d’hypothèques.

Je vais m’occuper d’abord de ce qui est relatif à la contribution foncière.

La loi des voies et moyens du 30 décembre 1840 maintient par le paragraphe 1er les impôts directes et indirects existant au 31 décembre 1840 ; par le paragraphe 2 du même article, elle stipule qu’il sera prélevé 3 centimes additionnels supplémentaires sur le principal de la contribution foncière.

Dans le projet du gouvernement, ces trois centimes supplémentaires devaient, comme les 10 centimes supplémentaires imposés en 1839 sur la même contribution, frapper à la fois le principal et les centimes additionnels ; mais les membres de la section centrale s’étant prononcés à l’unanimité contre la disposition qui faisait frapper ces 3 centimes sur le principal et les additionnels et ceux qui admettaient les 3 centimes supplémentaires, ne consentant à les voter que sur le principal, le gouvernement se réunit à un amendement présenté dans ce sens par un honorable membre de cette chambre, et la disposition adoptée par la chambre fut conçue dans ce sens ; par suite de cette modification le produit des trois centimes supplémentaires ne s’est plus élevé qu’à 449,552 fr. au lieu de 516,985; il en est donc résulté une diminution de 67,435 fr. Comme l’article 1er du projet de loi des voies et moyens pour l’exercice 1842 ne fait que maintenir les impôts existants en 1841, c’est par erreur que le chiffre de 516,985 fr. se trouve porté au tableau, comme produit des 3 centimes extraordinaires sur la contribution foncière ; il y a lieu d’y substituer celui de 449,552 fr. et de diminuer par conséquent de 67,433 fr. l’évaluation du budget des recettes indiqué à l’article 2 du projet de loi des voies et moyens. Le montant des prévisions exprimé à l’article 2 du projet de loi, ne doit donc s’élever qu’à 105,783,179 fr., au lieu de 105,850,612.

Cette erreur, de bien peu d’importance, prouve combien il importe que les recettes offrent un excédant considérable sur les dépenses, puisque, par cette simple rectification, les budgets se présentent avec un découvert de 42,961 fr. 81 c.

Je passe à l’article douanes.

On a paru croire qu’il y a progression constante dans le produit des droits de douane ; il n’en a pas été ainsi cependant : l’exercice 1838 a été le plus favorable et a produit 10,638,832 fr. ou environ 9,950,000 fr., après déduction de la consommation supposée des territoires cédés. Les prévisions de l’exercice 1839 avaient été portées à 9,972,000 fr. ; les produits restèrent de 876,000 fr. au-dessous de cette évaluation, on doit reconnaître que la cession des territoires et les circonstances politiques exercèrent une grande influence sur ce résultat.

En 1840, les produits s’élevèrent à 9,849,823 fr. 21 c., c’est-à-dire à une somme supérieure au produit de 1839, mais un peu inférieure à celui de l’exercice 1838.

Au tableau des voies et moyens de l’exercice 1841, joint au projet de loi présenté à la chambre le 21 décembre 1840, les droits de douanes figurent pour 9,556,000 fr. ; mais ainsi que je lai déjà fait observer, ces prévisions ne comprennent pas les augmentations d’impôts établies ensuite par des lois spéciales.

On pourrait évaluer à 550,000 fr. environ l’augmentation du produit des douanes par suite de la loi du 21 mars 1841, si les majorations de droit, quoiqu’en général assez peu considérables, ne devaient pas exercer quelque influence sur le mouvement des importations ; j’ai pensé toutefois qu’on peut très bien évaluer à 300,000 fr. les effets de la loi du 21 mars 1841 sur le produit de l’exercice courant, et admettre que les augmentations de droits peuvent rapporter au trésor 400,000 fr., année commune.

Les véritables prévisions de 1841 s’élèvent donc à 9,856,000 fr.

D’après les tableaux qui sont joints à la situation générale du trésor, au 1er septembre dernier, qui nous a été distribuée au début de la session, les produits de la douane s’élèveront, pour cette année, à 10,085,000 fr., c’est-à-dire à 229,000 fr. de plus que les prévisions.

D’après les résultats des quatre derniers exercices, on remarquera qu’il n’y a pas eu de progression dans le montant des droits de douanes dans cet espace de temps, et que même les produits de 1841 seraient restés au-dessous de ceux de 1838 et de 1840, si plusieurs articles du tarif de douane n’avaient été soumis à des droits plus élevés.

En effet, les recettes de 1841 n’ont dépassé celles de 1838 que de 135,000 fr. et de 1840 que de 235,000 fr ; tandis que l’influence de la loi du 21 mars dernier est estimée devoir produire environ 300,000 francs au trésor. Tenant compte des faits que je viens d’exposer, et jugeant de l’avenir par le passé, je pense que, selon les plus grandes probabilités, les prévisions portées au budget de 1842, qui s’élèvent à 10,598,000 fr. sont trop élevées de 400,000 francs, et ne devraient figurer dans le tableau tout au plus que pour 10,200,000 fr.

Je crois devoir faire remarquer ici qu’une erreur s’est glissée dans le rapport de la section centrale, en ce qui concerne l’article relatif aux douanes. On a supposé que les prévisions du premier budget des voies et moyens présenté pour l’exercice courant étaient portée à 11,665,000 fr., tandis qu’elles ne le sont que pour 11,065,000 fr. ; ce chiffre de 11,665,000, répété plusieurs fois dans le rapport, présente un excédant de 600,000 francs ; j’ai lieu de penser que c’est par suite de cette erreur que la section centrale a exprimé l’opinion que le chiffre de 10,598,000 fr. porté aux prévisions ne lui a pas paru trop élevé.

Je crois devoir faire observer d’ailleurs que la proposition du gouvernement a été modifiée, en ce qui concerne les fruits verts, qui forment le principal article des importations de fruits, et qu’en outre les dispositions relatives à l’importation des huiles de poissons ont été réglées de manière à assurer une protection aux huiles indigènes, mesure salutaire à l’industrie agricole, mais qui doit, en restreignant les importations, exercer une influence nuisible sur le revenu du trésor.

Quant à l’accise sur l’eau-de-vie indigène, il est vrai que j’ai fait remarquer dans le discours à l’appui du projet de loi des voies et moyens que le produit du droit de 40 centimes augmenté de moitié présenterait un résultat de 3,784,000 francs, sans cependant reconnaître expressément que ce chiffre serait atteint.

Je n’ai même pas dissimulé à la chambre qu’indépendamment de la cherté des céréales, il existait des causes permanentes de diminution du produit de l’accise sur les eaux-de-vie indigènes.

J’ai signalé deux causes principales : elles consistent dans les moyens de plus e plus perfectionnés qu’emploient les distillateurs pour retirer le plus d’alcool possible des matières premières, et pour accélérer les travaux de fermentation.

Ces deux causes concourent à la fois à rendre le revenu du trésor moins élevé, puisqu’elles ont toutes deux pour effet de faire livrer un plus grande quantité d’eau-de-vie à la consommation moyennant une même somme de droits.

A ces causes de diminution vient s’en joindre une troisième, c’est que l’élévation du droit donnera un appât de plus, soit à la fraude, soit à l’accélération du travail. Lors de la discussion de la dernière loi sur les distilleries, des membres de cette chambre ont, à mon avis, beaucoup exagéré les effets de cette dernière cause ; mais je n’ai pas contesté qu’elle dût être absolument sans influence.

Enfin, lorsque les prévisions de 1841 ont été établies, les produits de l’exercice 1840 n’étaient pas encore connus ; ils le sont aujourd’hui et ne s’élèvent qu’à 2,375,615 fr. 49 c. ; ils figuraient au budget des voies et moyens de cet exercice pour une somme de 2,522,727. D’après les états communiqués à la chambre, ceux de 1839 ont atteint le chiffre de fr. 2,668,570 82 c.

Il y a donc, abstraction faite de l’augmentation du droit, diminution de produit. En tenant compte des résultats déjà connus, et des différentes causes que je viens d’exposer, il n’est pas à présumer que le droit, s’il était resté fixé à 40 centimes, eût donné un produit supérieur à 2,200,000 fr., et qu’avec la quotité du droit de 60 centimes, il s’élève à plus de 3,250,000 fr. ; dans cette hypothèse, on ne fait qu’une très légère part soit à la fraude, soit à l’accélération de la fermentation des matières, qui pourraient provenir de l’augmentation de droit.

Les prévisions seraient donc trop élevées de 534,000 fr.

La majorité de la section centrale, en se prononçant pour l’adoption du chiffre de 3,784,000 francs, ne me paraît pas avoir eu égard aux faits accomplis et connus depuis la présentation du budget de l’exercice courant, ni aux considérations dans lesquelles je viens d’entrer, et dont une partie se trouve exposée dans le discours qui accompagnait les projets de loi des recettes et des dépenses de l’exercice 1841.

Les prévisions de l’accise sur la bière sont portées au budget au chiffre de 6,840,000 francs. Pour l’établir, on n’a pris pour base ni le produits des six derniers mois de 1840 et des six premiers mois de 1841, ni celui de tout l’exercice 1840 ni même les recettes présumées de 1841, telles qu’elles figurent dans la situation du trésor au 1er septembre dernier.

Cependant, on ne peut se dissimuler que, depuis quelques années, le produit de l’accise sur la bière va constamment en décroissant ; il a été en 1839 de 7,168,006, 78 (y compris 30 centimes additionnels), ou avec 26 centimes additionnels seulement, fr. 6,942,000 francs.

Il ne s’est élevé, en 1840, qu’à 6,641,398,39. Dans la situation générale du trésor, on présume l’accise sur la bière comme devant produire 6,739,000 fr. en 1841, mais sur quelle donné cette présomption est-elle fondée ?

Les recettes des huit premiers mois de l’exercice 1840 ayant été de fr. 4,859,976 72 c., celles des 8 premiers mois de 1841, présentées dans la situation du trésor, ne s’étant élevées qu’à 4,710,191 21, c’est-à-dire 149,785 51 de moins que celles des 8 premiers mois de 1840, on doit tirer de ce résultat les conséquences que, selon les plus grandes probabilités, les produits de 1841 resteront au moins de 200,000 francs au-dessous de ceux de 1840 et ne seront par conséquent que de 6,441,000 fr.

La même comparaison faite avec l’exercice 1839 conduirait à la même conclusion.

Si une diminution proportionnelle à celle des exercices 1840 et 1841 devait se reproduire en 1842, les prévisions ne pourraient être portées qu’à 6,241,000. En supposant que les améliorations introduites dans le service de surveillance des brasseries arrêtent cette constante diminution des produits, et en les maintenant ainsi à 6,440,000 francs, chiffre probable du montant de cette accise pendant l’exercice courant, les prévisions du budget de 1841 resteraient encore de 400,000 francs trop élevées.

Quant aux mesures qui sont annoncées à la section centrale relativement au vinaigre artificiel, il faut attendre les propositions qui seront faites à cet égard, avant de leur attribuer une influence sur les produits.

Quelles sont les causes de cette constante diminution dans le revenu fourni au trésor par l’accise sur la bière ? J’ai déjà fait remarquer que, dans un grand nombre de brasseries, on emploie une plus grande quantité de farine que celle qui était autorisée, lorsque la justification de cette matière première est prescrite par la loi. A cette cause, on peut en ajouter deux autres ; le prix élevé des grains et surtout l’usage de plus en plus général du café substitué à la bière comme boisson de la classe ouvrière ou des familles peu aisées.

Les droits d’enregistrement ont produit en 1840 10,992,000 fr ; d’après la situation du trésor au 1er septembre, le produit probable, indiqué par M. le ministre, est pour 1841 de 10,900,000 fr. ; il sera donc inférieur de 92,000 fr. à celui de 1840.

Cependant la recette de 1841 doit s’être ressentie de l’influence de la loi du 31 mars qui exempte de pénalités encourues en matière d’enregistrement ceux qui, ayant omis antérieurement de satisfaire à la loi, ont rempli les formalités requises endéans les six mois.

Supposant que les rentrées provenant de l’application de cette loi s’élèvent à 150 ou 200,000 francs, on doit admettre que les recettes ordinaires de l’enregistrement ont été de 250,000 fr. environ, inférieures à celles de l’exercice précédent, et que, sans cette circonstance, purement temporaire, elles ne se seraient élevées qu’à 10,750,000 fr.

Si, d’un autre côté, on se basait sur le produit des six derniers mois de 1840 et des six premiers de 1841, on trouverait à peu près le même résultat ; les recettes pendant ces deux semestres ne se sont élevées, y compris les 26 centimes additionnels, qu’à 10,700,000 francs, bien qu’elles comprissent déjà des droits perçus en vertu de la loi exceptionnelle du 31 mars 1841.

On se tromperait d’ailleurs, si l’on croyait que les produits de l’enregistrement suivent depuis plusieurs années une marche ascendante.

Ils étaient en 1837 de 11,080,000 fr.

Ils étaient en 1838 de 11,340,000 fr., en y comprenant les recettes opérées dans les territoires cédés qui, d’après le tableau joint au budget de l’exercice 1840, semblent pouvoir être appréciées à 400,000 francs environ.

Après cette déduction, l’exercice 1837 présentant un résultat de 10,680,000 fr.

Celui de 1838 de 10,940,000 fr.

En 1839, les produits en principal, en y ajoutant les additionnels, se sont élevés à 10,200,000 fr.

J’ai déjà indiqué le chiffre de 1840 qui est de 10,992,000 fr.

Celui de 1841, en n’y comprenant pas les droits perçus en vertu de la loi du 31 mars dernier, ne s’élèverait qu’à 10,750,000 fr.

Voilà donc cinq exercices qui, sauf 1839, offrent les produits à peu près égaux, il n'y a aucune progression, et l'on remarque même que le revenu probable indiqué pour 1841, est inférieur à ceux de 1838 et de 1840.

Sans doute, depuis 8 ou 10 ans, les propriétés immobilières ont, dans beaucoup de localités, reçu un grand accroissement de valeur ; mais ce serait une erreur de supposer que chaque année amène dans ces valeurs une augmentation assez considérable pour influer sensiblement sur les produits.

D'après tous les résultats que je viens d'indiquer, et les comparaisons que je soumets à la chambre, il semble qu'il y a lieu de n'établir, comme prévision, que la moyenne des cinq derniers exercices ou, ce qui présenterait à peu près le même chiffre, le total des produits des six derniers mois de 1840 et des six premiers mois de 1841 ; d'après l'une ou l'autre de ces règles, les seules qui me paraissent rationnelles, le produit de l'enregistrement pour l'exercice 1842 serait évalué à 10,710,000 fr. ; en le portant même à 10,800,000 fr., il y aurait encore dans les prévisions établies au tableau annexé à la loi des voies et moyens, un excédant de 700,000 fr.

Le produit des hypothèques n'est évalué qu'à 1,300,000 fr. pour l'exercice 1842.

Il s'élèvera pour 1841, d'après la situation au 1er septembre dernier, à 1,150,000 fr.

Je pense qu'ici les prévisions sont au-dessous de la réalité, et que le droit de transcription étant porté de 1/2 à 1 p. c. par la loi du 30 mars 1841, on doit s'attendre au moins à un produit de 1,800.000 fr. pour 1842, c'est-à-dire à 500,000 fr. de plus que les prévisions portées au budget.

Je dirai aussi quelques mots des droits de succession, bien qu'il soit fort difficile de se prononcer sur l'exactitude du chiffre des prévisions qui y sont relatives ; toutefois, on peut établir que les produits de 1841 et ceux qui sont annoncés pour 1842, si ces derniers ne sont pas exagérés, sont le résultat de circonstances tout à fait extraordinaires On sait en effet que plusieurs énormes successions collatérales se sont ouvertes en 1840 et 1841, et comme des délais ont probablement été accordés jusqu'en 1842 pour le payement d'une partie des droits élevés qui frappent ces sortes de successions, il n'est pas impossible, je n'ai du moins aucun élément pour me former une opinion contraire, il n'est pas impossible, dis-je, que le produit de ce droit égale en 1842 le chiffre indiqué dans les prévisions.

Cependant, je dois faire remarquer que l'augmentation considérable qui figure aux prévisions de 1842, comparativement à celles de 1841, ne constitue qu'une ressource purement accidentelle et ne pourra par conséquent se reproduire dans les budgets des années suivantes.

Si, en effet, nous recourons aux exercices antérieurs, nous trouvons les résultats suivants :

L’exercice 1837 a produit 4,460,000 fr.

L’exercice 1838 4,233,000 fr.

L’exercice 1839 (en ne portant que 26 addition.) 3,931,000 fr.

L’exercice 1840 4,750,000 fr.

Déjà sur le produit de 1840 s'est probablement fait sentir l'influence d'une partie des successions collatérales dont je viens de faire mention. .

Sans donc contester le chiffré porté aux prévisions de 1842, j'ai la persuasion qu'à l'avenir cette ressource ne dépassera pas, année commune, le maximum de quatre millions six à huit cent mille francs, et restera par conséquent environ un million au-dessous des prévisions de 1842.

Je ne toucherai qu'en passant ce qui concerne les produits du chemin de fer.

Ce service est trop nouveau pour qu'on puisse établir les produits présumés avec quelque certitude ; mais je ne puis m'empêcher cependant d'exprimer la crainte que les sections qui seront ouvertes à la fin de cette année et dans le courant de 1842, n'élèvent pas d'un quart le produit probable de l'exercice courant. J'avoue toutefois que je ne possède pas les éléments nécessaires pour établir un chiffre même approximatif.

Récapitulant les différents résultats qui dérivent des faits que j'ai exposés et des renseignements dans lesquels je suis entré relativement aux prévisions de l'exercice 1842, on doit s'attendre à ce que celles-ci dépassent les revenus réels, savoir :

La contribution foncière, de 67,433 fr.

Les douanes, de 400,000 fr.

Les eaux-de-vie indigènes, de 534,000 fr.

La bière, de 400,000 fr/

L'enregistrement, de 700,000 fr.

En tout, 2,101,433 fr.

Les droits d'hypothèque doivent excéder les prévisions, de 500,000 fr.

Il y a donc, toute compensation faite, sur le budget de 1842, un excédant de prévision, de 1,601,433 fr.

Lorsque les circonstances accidentelles qui ont élevé exceptionnellement le produit du droit de succession auront cessé, les ressources du trésor seront encore diminuées de 1,000,000

.Ainsi, en supposant les dépenses seulement telles qu'elles figurent au budget de 1842, bien qu'elles doivent certainement être dépassées, il y aura à l'avenir un excédant de dépenses sur les recettes, de 2,600,000 fr.

Si l'on ajoute à ce résultat les capitaux qui figurent encore dans les prévisions pour une somme de 1,715,000 fr., qui vont cesser d'être disponibles, on trouvera pour l'avenir, en écartant même les dépenses déjà annoncées, et qui sont considérables, une insuffisance de ressources de 4,315,000 fr.

Permettez-moi, messieurs, de vous entretenir aussi quelques instants du chiffre proposé pour la fixation de la dette flottante.

La dette flottante est fixée par la loi des voies et moyens à 22,500,000 fr. ; mais pour ne pas s'élever au-dessus de ce chiffre, il faut supposer un boni de six millions sur les trois exercices en cours d'exécution ; il faudrait en outre qu'au moment où cette situation a été réglée, aucune demande de crédit supplémentaire sur ces trois exercices, autres que celles qui s'y trouvent indiquées, ne dût plus être formée. .

Et d'abord la supposition d'un excédant de recettes de 6 millions n'est-elle pas quelque peu exagérée ? Il est vrai que le non-emploi de deux allocations de 400,000 fr. chacune, pour l'érection d'un Palais de justice à Bruxelles vient diminuer d'autant notre dette flottante ; mais d'un autre côté, on ne doit pas perdre de vue que c'est ordinairement le département de la guerre qui laisse les sommes les plus considérables en disponibilité, et que les budgets de ce département n'ayant été réglés pour 1840 et 1841 qu'à la fin de l'exercice, les besoins ont pu être appréciés d'après les dépenses déjà faites, et qu'ainsi il est peu probable qu'on ait demandé des excédants d'allocation ; on peut même dire avec certitude que le crédit de 1841 étant global, il sera intégralement absorbé.

Quoiqu'il en soit, en admettant même qu'il n'y ait pas erreur dans le montant des crédits que l'on suppose devoir rester sans emploi, la situation présentée ne sera vraie que pour autant que des crédits supplémentaires à réclamer sur ces mêmes exercices ne viennent pas la déranger.

Mais nous n'en sommes plus à cet égard à nous livrer à des conjectures. Le gouvernement, par les notes qui accompagnent les budgets qui nous ont été présentés dans les premiers jours de la session, annonce qu’un crédit supplémentaire de 7 à 800,000 fr. devra être demandé pour le service de l’exploitation du chemin de fer en 1842 ; un projet qui vient d’être soumis à la chambre, mais qui n’est pas encore distribués, comprend, je pense, cette insuffisance en tout ou en partie.

Un crédit supplémentaire de 61,270 fr. est réclamé par le département de la justice.

Si mes souvenirs ne me trompent pas, il reste encore plusieurs crédits supplémentaires à demander par le département de la guerre sur d’anciens exercices. Il en faut un d’une faible somme pour les intérêts de la dette flottante de 1839.

Un autre de 500,000 fr. environ pour le même objet sur l’exercice 1840 ; les projets relatifs à ces deux derniers crédits étaient préparés, lorsque le dernière ministère s’est retiré.

Enfin, parmi les crédits non employés, figure chaque année celui qui concerne l’indemnité du caissier général de l’Etat qui, jusqu’à ce jour, n’a jamais été admise en dépense par la cour des comptes ; ce sera donc sur ces trois exercices dont il s’agit un crédit supplémentaire de 660,000 francs qu’il y aura à ajouter aux précédents.

Il est très probable que d’autres demandes de crédits supplémentaires, que je ne puis indiquer seront encore formées sur l’un ou l’autre de ces exercices.

Le véritable découvert du trésor dépasse dont la somme de 22,500,000 francs et devrait tout au moins être laissée à 24,500,000 fr., chiffre fixé par la loi des voies et moyens de l’exercice 1841.

Messieurs, si j’ai cru devoir entrer dans des considérations aussi étendues sur nos finances, je désire qu’on ne se méprennent pas sur mes intentions ; je n’ai parlé que dans l’intérêt de la vérité et pour accomplir un devoir, non en vue de susciter des embarras aux gouvernement ou d’obtenir une vaine satisfaction d’amour-propre, en soutenant un système qu’étant aux affaires j’ai adopté avec une pleine et entière conviction. J’aime à déclarer, d’ailleurs, que pour ma part, j’ai confiance dans les lumières et les intentions de M. le ministre des finances actuel ; si, dans sa position précédente, il est parvenu à relever un grand établissement financier dont le crédit a été momentanément altéré, je suis persuadé qu’il avisera aux moyens de ne pas laisser péricliter les finances de l’Etat et qu’il ne négligera pas non plus les avis qui auront pu être produits par différents membres de cette chambre dans le cours de la discussion des budgets.

M. Vandenbossche - Messieurs, la discussion générale à laquelle nous nous livrons autorise chacun de nous à jeter un coup d'œil sur l'ensemble de la marche du gouvernement, à eu exposer les défectuosités et à réclamer les améliorations que, dans l'intérêt du pays, il croirait devoir y introduire. Je saisis cette occasion, messieurs, pour renouveler la réclamation que bien d'autres ont déjà faite, mais que les ministres sont toujours parvenus à éluder. Je réclame de nouveau une loi sur la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir. Le congrès national, dans l'art. 139, disposition supplémentaire et finale de notre constitution, a déclaré cette loi nécessaire, et nécessaire de la porter « dans le plus court délai possible » ; et plus de dix ans se sont passés, et la loi reste encore à faire !

Comment a-t-on écarté les réclamations précédentes à ce sujet ? On a soutenu que cette loi n'était pas nécessaire, qu'elle eût été inutile, voire même qu'elle eût été nuisible au pouvoir de la chambre, invoquant à l'appui de ces prétentions l'art. 134 de la constitution, qui porte :

« Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine.

« Néanmoins la peine ne pourra excéder celle de la réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par les lois pénales. »

D'après cet article, disait-on, la chambre des représentants a un pouvoir absolu et indéterminé pour accuser les ministres et les traduire devant la cour de cassation ; or si vous portez une loi à ce sujet, cette loi devra nécessairement déterminer les actes qui constituent un délit punissable, y borner les cas de responsabilité, et par une conséquence nécessaire limiter le pouvoir de la chambre des représentants. Voilà le raisonnement, je pense, au moyen duquel on a fait abandonner la demande de la loi. Mais qu'on y réfléchisse bien, tout ce raisonnement n'est, au plus, que spécieux ; en fait, aussi longtemps que nous n'aurons pas de loi qui détermine les actes qui constituent les délits des ministres, ainsi que les pénalités qu'ils doivent entraîner, la responsabilité ministérielle restera toujours une lettre morte en Belgique.

Je dis qu'il n'y aura jamais de responsabilité ministérielle parce que je regarde tous nos ministres passés, présents et futurs pour incapables de commettre des crimes ou délits, dont les lois pénales auraient déjà défini le caractère, ou que la chambre sans loi préexistante, oserait qualifier et dénoncer a la cour de cassation ; aussi ne pourrait-elle s'y hasarder sans s'exposer à perdre la considération dont il importe tant au pays qu'elle se tienne environnée. En effet, quels délits peut-on sérieusement croire un ministre capable de commettre ? ce seront communément des actes que les uns tiendront pour coupables, et les autres pour innocents, des actes que les ministres voudront, et de bonne foi peut-être, toujours justifier.

L'article 134 confère à la chambre des représentants « le pouvoir discrétionnaire » pour accuser un ministre ; mais, par contre, le même article confère à la cour de cassation le « pouvoir discrétionn**aire » pour le juger, le pouvoir discrétionnaire d'apprécier le caractère de l'acte que la chambre lui aurait dénoncé pour coupable, et la cour, peut le déclarer innocent et absoudre le ministre de toute accusation que la chambre aurait dressée contre lui. Dans cette situation, la chambre oserait-elle intenter une accusation contre un ministre, au risque de recevoir un démenti, qui la déshonorerait ? Si elle ne l'osait pas, on doit dire que les ministres n'auront, aussi longtemps qu'il n'y aura pas de loi, aucune responsabilité réelle, sinon que pour ces crimes qui ne sont pas à prévoir ou à supposer, ce que moi, j'appelle n'en avoir aucune. Ainsi donc, une loi sur la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir devrait être jugée nécessaire, n'eussions-nous point des faits qui absolument la réclament.

Un de ces faits, suivant moi, qu'il est de la plus haute nécessité d'interdire, dans l'intérêt même du gouvernement représentatif, que nous nous sommes crée, c'est l'intervention des ministres et des fonctionnaires a leur disposition dans les élections. Personne n'ignore le pouvoir que peut exercer un ministère sur les élections, notamment quand on voit, comme on a vu, qu'il ose se permettre de destituer des fonctionnaires par rapport à leur conduite électorale. On a accusé, dans une de nos précédentes séances, le ministère, d'avoir interdit à un haut fonctionnaire l'exercice de son droit électoral. Il a répondu « qu'il n'a pas été au delà de l'abstention, mais qu'il a voulu qu'il y eût abstention », et il a cru pouvoir se justifier en attribuant à son accusateur des doctrines plus déplorables encore. « D’après les doctrines que l’honorable préopinant a professé dans cette chambre, a-t-il dit, le gouvernement aurait eu le droit de demander aux hauts fonctionnaires de l'Etat de voter pour les candidats s'annonçant comme étant dans l'intention de soutenir le ministère. » Toutes ces doctrines, messieurs, sont effrayantes à mes yeux. Si le ministre peut se mêler des élections avec de pareilles doctrines il peut anéantir la représentation nationale, ayant à sa disposition les procureurs du Roi, les gouverneurs, les commissaires de district, les bourgmestres, les échevins et les commissaires de police ; il a à sa dévotion, sauf les caractères indépendants qui oseraient affronter ses censures, le quart des électeurs, outre le nombre de particuliers que tous ces fonctionnaires parviennent à attacher à leurs opinions, et il trouve ainsi facilement une majorité pour faire triompher ses candidats.

Mais une pareille élection est-elle le résultat de la volonté de la nation ? La chambre composée de pareils élus constitue-t-elle une représentation nationale ? A mon avis, non, et le gouvernement se trouve fausse dans son caractère essentiel, qui est d'être représentatif.

Dira-t-on que le ministère doit être soutenu par les chambres ? Les représentants de la nation le soutiendraient toutes les fois qu'il mériterait leur appui ; avec cette différence qu'ils lui signaleraient efficacement ses erreurs, en votant contre ses propositions qu'ils sauraient être contraires à l'intérêt du pays.

J'ai entendu, dans les dernières discussions de la session précédente, qu'un ministère doit avoir « une majorité assurée » pour l'adoption de ses propositions, pour mériter de conserver le portefeuille ; or, c'est là une doctrine que je désapprouve ; je regarde, au contraire, une majorité assurée au ministère comme une véritable calamité pour le pays. Plus d'une fois nous en avons eu l'expérience.

J'y ai aussi entendu prétendre que de hauts fonctionnaires ne pouvaient pas, dans une question majeure, voter contre une proposition ministérielle ; que même cela pouvait être un cas de destitution. Je repousse aussi cette doctrine comme éminemment immorale. Tout membre de la chambre, quelle que soit sa position doit toujours voter d'après sa conscience, et il faut qu'il puisse exercer ce droit sans devoir craindre des persécutions de ce chef.

M. d’Hoffschmidt - Messieurs, la discussion qui vient de s'ouvrir a déjà roulé en grande partie sur les événements politiques qui se sont passés depuis notre dernière session. Je n'ai jamais cru, quant à moi, que tout débat pût être évité dans cette chambre sur des événements aussi graves. La retraite d'un ministère, l'avènement au pouvoir d'une administration nouvelle, sont des faits d'une nature trop importante pour qu'ils puissent en quelque sorte être passés sous silence dans une assemblée parlementaire. Je trouve même qu'il vaut mieux qu'une discussion, devenue inévitable, ait lieu de suite ; car de cette manière, chacun s'expliquera, et les positions se dessineront.

Pour mon compte, je saisis volontiers l'occasion d'exprimer mon opinion sur les changements ministériels qui ont eu lieu. Les principes qui m'ont dirigé jusqu'à présent, et qui continueront à me guider dans ma carrière parlementaire, sont arrêtés depuis longtemps. Je n'éprouverai donc jamais d'embarras à les expliquer, ni à dire pourquoi je suis favorable ou pourquoi je combats tel ou tel ministère.

Messieurs, les orateurs qui m'ont précédé sont déjà revenus sur les causes qui ont amené la retraite du cabinet précédent ; c'est là, on doit en convenir, une nécessité de ce débat, car c'est la première fois que l'occasion se présente pour nous, mandataires de la nation, d'exprimer à cet égard notre opinion dans cette enceinte. Quant à moi, qui ai soutenu l'ancien ministère et qui ai vu sa retraite avec regret, je tiens à en faire connaître, en peu de mots, les motifs à cette chambre et à mes commettants.

Si j'appuyais l'administration précédente, messieurs, ce n'est point parce qu'elle était composée de tels ou tels hommes, mais parce qu'elle s'était placée sur le terrain de la modération et de la conciliation, et que pendant toute sa durée elle ne s'en est point écartée. Pour justifier cette assertion, je pourrais vous rappeler le programme que ce ministère avait formulé, les opinions qu'il a émises, les actes qu'il a posés ; mais pour ne point abuser de vos moments, je me bornerai à vous citer les paroles prononcées par l’un de ses membres, et par lesquelles il expliquait les motifs de son entrée au pouvoir, paroles qui étaient bien faites pour dissiper les préventions et rassurer les esprits les plus timorés.

« J'ai pensé, disait-il dans la séance du 23 avril 1840, j'ai pensé qu'en présence, comme je viens de le dire, des grands principes de liberté consacrés par la constitution, tous les hommes dévoués au pays devaient s'unir pour faire cesser de funestes divisions. J'ai pensé qu'il suffisait de la franchise et de la loyauté dans les hommes qui occupent le pouvoir pour qu'on pût se fier à eux, et si j'ai consenti à m'associer aux collègues qui sont assis à mes côtés, c'est que j'ai vu en eux non pas les seuls hommes qui pussent marcher dans cette voie (car tous les hommes honorables en Belgique peuvent y marcher et y marcheront avec nous), mais des hommes qui par leur caractère, leurs opinions et leurs vues politiques, avaient, dans l'état actuel des esprits, le plus de chances de lutter avec avantage contre les obstacles que nous devions rencontrer en nous chargeant de la direction des affaires du pays. »

Voilà, messieurs, ce que nous disait un homme éminent qu'il est si regrettable de ne plus voir siéger parmi nous ; voilà les principes qu'il proclamait, principes d'après lesquels j'ai constamment désiré voir diriger les affaires de mon pays et auxquels j'applaudirai toujours, de quelque part ou de quelque côté qu'ils soient professés.

Plus tard, à la vérité, le cabinet qui était dirigé par des principes aussi sages fut accusé de certaines tendances, et on lui reprocha son homogénéité.

L'accusation de tendance, messieurs, on peut la porter contre quelque ministère que ce soit, c'est un moyen facile de faire de l'opposition.

Quant à la composition trop exclusive du précédent cabinet, je dois dire qu'en général je désire et que j'ai toujours désiré, en présence de la situation des esprits en Belgique, voir aux affaires une administration mixte. C'est une garantie de plus que les grands intérêts des deux opinions qui existent dans le pays ne seront point sacrifiés. Mais, messieurs, cette condition, désirable dans tout ministère en Belgique, est-elle tellement indispensable, tellement impérieuse, qu'une administration composée d'hommes donnant toutes les garanties nécessaires ne puisse subsister par cela seul qu'elle est homogène ?

Est-ce dans les hommes, ou est-ce dans les actes que l'on doit surtout rechercher cette condition d'impartialité ?

Qu'importe, par exemple, qu'un ministère soit homogène, si du reste il présente, tant par la modération et la droiture du caractère de ceux qui le composent, que par leurs principes, toutes les garanties d'impartialité désirables.

Qu'importerait, au contraire, qu'un cabinet fût mixte, si plusieurs de ses membres, reniant leurs antécédents, abdiquant l'opinion qu'ils avaient constamment professée, se liguaient pour combattre leur propre parti ?

Messieurs, le cabinet qui s'est formé en avril dernier se présente aussi devant vous avec des paroles de paix et d'union.

Mais, messieurs, croit-on donc qu'après les discussions orageuses du mois de mars, le renversement d'un ministère, la lutte animée des élections, il suffise de venir prononcer quelques paroles de paix, pour qu'à l'instant même toutes les animosités disparaissent, pour que tout rentre dans le calme et l'oubli, comme par enchantement ? Croit-on que ces discussions, ces luttes malencontreusement excitées, ont pu avoir lieu sans laisser des traces profondes dans les esprits ? Non, messieurs, il n'en est point ainsi ; malheureusement le résultat le plus certain des événements d'avril, c'est d'avoir suscité des animosités nouvelles, c'est d'avoir causé une division plus profonde entre les deux grandes opinions qui existent en Belgique, c'est d'avoir rendu leur conciliation beaucoup plus difficile.

Ne croyez pas cependant, messieurs, que je prétende que tout rapprochement entre les hommes modérés de ces deux opinions soit devenu impossible. Je pense, au contraire, que sous l'influence d'un ministère impartial, jouissant de la confiance publique, ce rapprochement serait encore réalisable. Mais cette mission élevée, si utile à notre patrie, est-ce bien au cabinet actuel qu'elle reviendrait ? Non, messieurs, je ne l'espère point. Tous les membres de ce cabinet fussent-ils animés de l'esprit d'impartialité qu'ils proclament, il est des circonstances fâcheuses pour lui qui nuisent à sa force et à sa considération, et qui ne lui permettront jamais, d'avoir dans cette chambre une majorité compacte dont il serait le serait le chef réel.

En effet, on ne peut se le dissimuler, ce ministère s'est formé sous de fâcheux auspices pour son avenir et sa stabilité et pour jouer surtout un rôle conciliateur.

Qui ne se rappelle qu'il est né au milieu des orages soulevés par les discussions du sénat, qu'il est même né contre le gré de la majorité de cette chambre, majorité qui s'était prononcée pour le maintien de l'ancien ministère ?

Qui ne se rappelle les nombreuses adresses parties de tous les points du royaume pour se joindre au vœu manifesté par la majorité de la chambre, adresses dont je suis loin d'approuver sous tous les rapports la convenance, mais qui n'en exprimaient pas moins les désirs de ceux de qui elles émanaient ?

Bientôt après arrivèrent les élections du mois de juin. Quel rôle y a joué le ministère ? On vous l'a déjà dit, messieurs, et l'opinion publique est fixée à cet égard, le ministère a cherché à éliminer de la représentation nationale des hommes honorables, des hommes dont on peut bien, sans doute, ne pas partager toutes les opinions, mais dont les services rendus par eux au pays ne peuvent être, sans injustice, ni oubliés ni méconnus.

Si nous passons maintenant à des actes d'un ordre moins élevé, les trouvons-nous de nature à fortifier le ministère ? Serait-ce par hasard la retraite inopinée du chef du cabinet qui produirait cet effet ? Serait-ce l'insuccès des négociations commerciales de Paris ?

Non, messieurs, on doit bien le reconnaître, ce sont là toutes circonstances fâcheuses pour le ministère, circonstances qui pèseront longtemps sur lui de tout leur poids, qui l'embarrasseront dans sa marche et empêcheront que son existence ait la force et le calme nécessaire au repos du pays.

Messieurs, j'espère que dans les paroles que je viens de prononcer on reconnaîtra qu'il n'en est aucune qui soit inspirée par un sentiment d'animosité personnelle, ni par le désir de faire une opposition tracassière ou systématique, qui n'est ni dans mes principes, ni dans mon caractère. Si je n'écoutais que mes convenances particulières, j'appuierais en toute occasion le cabinet actuel, car deux de ses membres appartiennent à ma province, et il en est qui m'honorent de leur amitié. Mais, à côté de ce sentiment, il est pour un mandataire de la nation un devoir impérieux, c'est d'exprimer avec franchise son opinion sur les affaires du pays. Tout ce que j'ai donc voulu, messieurs, c'est exposer sans fiel la situation telle qu'elle s'offre à mes yeux ; c'est expliquer les motifs qui me font craindre que le cabinet actuel soit insuffisant pour réparer le mal causé par les événements politiques de cette année, mal qui consiste principalement à avoir divisé plus profondément qu'ils ne l'étaient auparavant deux partis que, dans l'intérêt du pays, il serait à désirer de voir, autant que possible, se rapprocher et s'entendre.

M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?

M. Verhaegen. - Je la demande.

M. Rogier - J'ai également demandé la parole.

M. Verhaegen. - Je cède la parole à M. Rogier.

M. Rogier - J'aurais désiré, avant de prendre la parole, savoir si le ministère ne se proposait pas de répondre aux discours qui viennent d'être prononcés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous avons le choix du moment.

M. Rogier - Comme je rencontrerai probablement plusieurs des idées qui ont déjà été exprimées, j'espère que le moment où le ministère répondra ne se fera pas attendre.

Au moment de la discussion de l'adresse j'ai pensé, messieurs, qu'il convenait d'ajourner tout débat politique sur les événements qui ont marqué la fin de votre dernière session. Il importait, quand des ennemis de l’ordre et du pays semblaient relever la tête, que le pays entier, par l'organe de ses représentants, protestât devant le chef de l'Etat de son attachement à sa nationalité, à la dynastie et aux institutions fondées par le congrès. Il importait aussi que la royauté fût tenue en dehors de ces débats, non qu'il faille toujours craindre de faire entendre au Trône la vérité, mais parce que le Trône, dans la haute sphère où la constitution l'a placé, doit, autant que possible, demeurer étranger aux questions qui peuvent nous diviser, et qu'il ne doit être appelé à y intervenir que dans des circonstances suprêmes et tout exceptionnelles.

La réserve que nous avons montrée alors a été comprise ; notre silence prolongé ne le serait peut-être plus. Tout le monde reconnaît que des explications sont nécessaires sur ce qui s'est passé ; et la situation de chacun de nous a besoin, pour être éclaircie et nette, de ces explications.

Depuis la dernière session, une administration nouvelle a pris la direction des affaires du pays. Dans quelles vues, .pour quel but s'est-elle formée ? C'est ce qu'on n'a pas jugé opportun d'exprimer aux chambres, en évitant de se présenter à elles alors qu'on déclarait toutefois que, telles qu'elles étaient constituées, les chambres pouvaient suffire à l'administration du pays.

L'ancien cabinet avait suivi une marche plus franche. A peine formé, il était venu vous exposer sa politique. Faisant un appel à toutes les opinions modérées et franchement constitutionnelles, il avait promis à l'intérieur une administration ferme, active, conciliatrice ; à l'extérieur, le maintien d'une neutralité sincère, loyale et forte.

Ce programme a-t-il été fidèlement suivi ? Nous le pensons, messieurs, et la majorité de cette chambre l'a pensé avec nous. Vis-à-vis de l'étranger, la neutralité du pays n'a été compromise par aucun acte imprudent ou irréfléchi ; à l'intérieur, loin de relever la tête, les vieux partis se résignaient et le jour n'était pas loin peut-être d'une large réconciliation. Au point de vue administratif, qu'a-t-on pu reprocher à l'ancien cabinet ? Est-ce son indifférence pour les intérêts matériels, pour les intérêts moraux du pays ? Mais s’il a failli à cet égard, ce serait plutôt par un excès de zèle que par indifférence. A-t-il négligé les intérêts du trésor ? Non ; il a courageusement signalé le mal et proposé le remède. A-t-il, comme quelques-uns se plaisent encore à le répéter, cédé à un goût immodéré de dépenses ? Que l'on compare ses budgets et ceux qui vous sont proposés. S'est-il montré peu respectueux observateur de la loi, peu soucieux des prérogatives de cette chambre, des prérogatives du pouvoir civil ? Non, messieurs, on ne l'a point vu substituer le régime des arrêtés à l'empire de la loi ; à ses risques et périls, il a voulu maintenir cette chambre à la hauteur où la constitution l'a placée, à la hauteur où notre honorable président l'engageait tout récemment à se maintenir ; et si , enfin, il s'était montré moins soucieux des prérogatives du pouvoir civil, plus disposé à se relâcher sur ce point, il serait peut-être encore debout, je ne dis pas dans quelle altitude, mais enfin, il serait encore debout.

Si, sous ces divers rapports, l'ancienne administration semble avoir été à l'abri de reproches, si on n'a pas voulu reprendre son œuvre sur de nouvelles bases, s'il ne s'est point agi d'une déviation dans sa politique, pourquoi donc l'ancien cabinet est-il tombé, et pourquoi une administration nouvelle lui a-t-elle succédé ? Il est tombé, messieurs, vous le savez, pour avoir manqué de l'appui du sénat, après avoir été soutenu par cette chambre. Mais pourquoi a-t-il échoué au sénat, où ni ses actes, ni son caractère, ni ses intentions ne furent incriminés par personne ? Son tort, son unique tort et on en chercherait vainement un autre, c'est d'avoir été soutenu par une opinion considérable, de l'avoir comptée pour quelque chose dans l'administration et dans les chambres, de ne pas avoir méconnu son influence et répudié son concours. Oui, nous le disons avec regret, on a cédé alors à un entraînement de parti ; en frappant l'ancien cabinet, c'est une opinion qu'on a voulu frapper, il devait être décidé que, pour cette opinion, il n y avait point de place avouée au pouvoir, point de place même parmi les défenseurs du pouvoir. Exclure l'opinion libérale, même dans ses éléments les plus modérés de toute influence ouverte dans la direction des affaires du pays, telles étaient en résumé la signification et la portée du vote du sénat ; et il faut qu'il en soit ainsi, sous peine de transformer le vote de cette honorable assemblée en un acte inintelligible, en une cabale indigne d'elle, en une misérable guerre de personnes.

L'ancien ministère avait pour politique d’être juste envers les partis, sans les braver ni les subir. Par son origine, il n avait aucun engagement vis-à-vis d'eux ; par sa composition, il offrait de la sécurité aux hommes modérés de toutes les nuances ; par sa conduite enfin il cherchait à rattacher à l'Etat et au Trône toutes les forces vives du pays ; et jamais, on peut le dire, jamais depuis le gouvernement provisoire, aucune administration n'avait joui d'une popularité d'aussi bon aloi.

Pour tout dire en un mot, indépendant et modéré par son origine, indépendant et modéré dans sa composition, indépendant et modéré dans ses actes, le cabinet tombé était bien, lui, ce point culminant d'une situation dont on a parlé. Après lui, il fallut presque inévitablement que le pouvoir se portât à droite ou à gauche ? C’est à droite qu'il s'est porté ; vainement on voudrait le nier ; le pouvoir, en passant en d'autres mains, est entré dans une autre voie. Ceux qui ont combattu l'ancienne administration ont voulu, sans doute, autre chose que de nouveaux visages aux bancs des ministres : ceux qui ont accepté le pouvoir ont eu sans doute assez le sentiment de leur valeur personnelle pour ne jamais apporter au banc ministériel une simple substitution de personnes, mais des principes nouveaux et une conduite nouvelle. Il le faut, pour la dignité du gouvernement représentatif, pour l'honneur de l'opinion qui les a mis au jour et qui les soutient jusqu'ici ; il le faut, pour leur honneur même. Une administration sans principes, sans franchise, sans système, serait la pire de toutes ; elle mettrait à la mode l'indifférence et l'hypocrisie politique, elle encouragerait les défections et les dissimulations de toutes genres ; dans un pays jeune qui a tant besoin d'esprit public pour vivre elle étoufferait tout esprit public sous l'esprit d'intrigue et de spéculation.

Si nous ne nous trompons, le ministère serait assez disposé à abdiquer tout caractère et tout rôle politique. Ceux qui le composent se présenteraient comme hommes d'affaires exclusivement. :Mais quelles que puissent être ses intentions, le cabinet ne peur échapper à sa destinée. Produit d'une lutte toute politique et du triomphe d'un parti, il est avant tout un ministère politique, un ministère de parti, ou, pour parler avec plus de précision, le ministère d'un parti. Disons les choses sans réticence.

Le but de l'ancienne opposition était d'établir la prépondérance de l'opinion catholique dans les affaires du pays et d’amoindrir, sinon d'anéantir, l'influence libérale. La guerre commencée dans les chambres contre cette opinion, il fallait la continuer dans les élections ; c'était le but de la création d'un nouveau cabinet ; c'était sa mission spéciale ; et cette mission a été, il faut le dire, remplie, sinon avec un succès complet, du moins avec un zèle et une fidélité, dont l'avenir nous dira s'il sera longtemps tenu compte.

Cela est manifeste pour tous ceux qui ne ferment pas volontairement les yeux à la lumière. Ne dites pas que vous veniez pour effacer, pour concilier les partis ; votre avènement était le triomphe d'un parti, et jamais les partis ne furent plus violemment divisés ; que vous vous étiez fait une loi de la neutralité ; la neutralité vous était interdite et jamais administration, depuis 1830, ne prit plus ouvertement couleur dans les élections. Ne dites pas enfin que vous veniez pour sauver de la défaite électorale des hommes « lesquels à travers les circonstances les plus diverses, le gouvernement s'était constamment appuyé et dont plusieurs ont attaché leur nom à la nationalité », ces hommes n'ont-ils pas été, en votre nom, sous votre bannière, sans désaveu de votre part, poursuivis par les outrages les plus sanglants, par les manœuvres les plus déloyales ; et s'ils siègent aujourd'hui, malgré vous, dans cette enceinte, c'est que l'opinion publique a été plus modérée, plus juste, plus reconnaissante envers eux que le gouvernement.

Ne croyez pas toutefois que ces mêmes hommes, répudiant leur caractère et leurs antécédents, viennent apporter ici des rancunes et non plus des principes ; hommes d'ordre et de modération on ne les verra pas sacrifier les intérêts du pays à des passions, à des intérêts personnels ! Que des mesures utiles se présentent, que des lois d'intérêt général soient proposées, et lors même que leur confiance politique manquerait, leur concours administratif ne fera pas défaut.

C'est en suivant une telle marche et non une autre qu'une opposition parlementaire est vraiment forte et respectable. Sa mission, en effet, telle que je l'entends, ne serait point d'entraver la marche des affaires par des luttes mesquines de tous les jours contre tous les projets sans distinction ; son rôle serait surtout utile et honorable si, défendant le pouvoir contre ses propres faiblesses, elle concourait à le maintenir libre et respecté. A ce point de vue, être dans l'opposition, ce n'est point passer du côté des anarchistes, des ennemis du gouvernement, c'est encore demeurer conservateur et gouvernemental. Une telle opposition aurait toujours la modération pour base, la modération qui n'exclut pas la fermeté de conduite, la modération qui persiste dans les principes et non pas celle qui les abdiquerait. Que l'opinion qu'on a si injustement refoulée dans l'opposition, que l'opinion modérée, tolérante, amie de la justice, de l'ordre et de tous sages progrès, que l'opinion libérale, en un mot, comme je la comprends, comme je l'ai toujours comprise et pratiquée, ne désespère pas d'elle-même ; que des échecs momentanés, que des défections passagères ou définitives ne la découragent pas : elle est forte encore, tellement forte que pour la combattre on est obligé déjà de lui emprunter ses allures, ses hommes et quelquefois son drapeau ; mais ce drapeau, pour être reconnu d’elle, doit se porter plus haut et plus ferme. Ce drapeau ne s'abaisse ni ne se cache devant aucune opinion exagérée, intolérante, exclusive ; ce drapeau, je suis décidé à le défendre tel que mes amis et moi l'avons toujours porté, et c'est pour cela que nous sommes aujourd’hui dans l'opposition. Cette situation nouvelle, je ne l'ai point choisie. Des circonstances que j'ai vainement cherché à conjurer me l'ont faite. Un devoir de moralité politique me l'impose ; ce devoir, j'en ai mesuré la portée ; je saurai le comprendre et je tâcherai de le remplir jusqu'au bout en honnête homme et en bon citoyen, demeurant convaincu que tôt ou tard la victoire, comme le dit le grand orateur chrétien, la victoire revient au parti le plus juste.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, nous avons tous adopté le même programme : l'union, la conciliation, la transaction même. Ce programme, l'honorable préopinant vous l'a rappelé ; ce programme, dit-il, était aussi celui de l'ancien ministère ; ce programme est celui du ministère actuel. Comment se fait-il qu'avec le même programme l'ancien ministère ait succombé et que le nouveau ministère se présente devant vous, en comptant sur votre appui ?

Il a existé dans cette chambre pendant dix années, une majorité qui n’a manqué à aucune situation importante ; majorité composée des nuances modérées de toutes les opinions. C'est cette majorité modérée qui, n'étant ni catholique ni libérale, a résolu toutes les grandes questions, au congrès national ; c'est cette majorité modérée qui a soutenu, après la clôture du congrès le gouvernement du Roi. Un grave symptôme s'est révélé, il y a environ 18 mois, dans le pays, et s'est communiqué à cette chambre.

Cette majorité historique, en quelque sorte, qui avait pour elle une existence de dix années, a été sur le point de disparaître. La chambre a semblé se fractionner en deux grands partis donnant ainsi à la nation l’exemple d’une déplorable scission. Le ministère précédent est tombé, parce qu'il avait mis pour condition de son maintien au pouvoir la dissolution des deux chambres.

De cette dissolution, les hommes qui sont au banc ministériel n'ont pas voulu ; en leur âme et conscience, ils out cru devoir l'éviter ; en donnant ce conseil à la couronne, ils avaient par là même pris l'obligation de se placer au banc ministériel. Nous avons cru devoir éviter la dissolution : pourquoi ? parce que la dissolution, l'appel aux électeurs, dans les circonstances extraordinaires où l'on avait précipité le pays, devait, à l'aide de l'administration forcément engagée, déplacer l'ancienne majorité parlementaire en effaçant les nuances intermédiaires ; devait amener dans cette chambre, en majorité, un des partis qu'on a désignés, mais en majorité tellement forte et exclusive, que le premier ouvrage de cette majorité, que l'ancien ministère semblait appeler, eût été la destruction de son propre programme. (Interruption.)

Je prie les honorables membres de ne pas m'interrompre ; la plupart des discours auxquels je réponds étaient écrits, et le mien ne l'est pas.

Je reviens sur ma pensée.

L'ancien ministère s'est retiré, parce que, par une suite de circonstances, il avait été amené à mettre pour condition de son maintien au pouvoir la dissolution, qui, dans les circonstances où se trouvait le pays, eût détruit l'ancienne majorité parlementaire ; cette majorité, le ministère actuel veut la maintenir. Ainsi, nous n'avons pas voulu de la dissolution, parce que nous en redoutions les conséquences, parce que des élections générales, avec l'administration d'alors, avec les alliances qu'elle avait, serait sortie une chambre telle qu'elle aurait désavoué même le programme de conciliation du ministère.

On doute de notre fermeté de caractère ; on doute de la sincérité de nos intentions. Mais qu'on nous cite des questions importantes devant lesquelles nous ayons reculé. Vous reculerez, nous dit-on, Mais à ces suppositions, à ces défis, on ne peut répondre que d'une manière : « Attendez-nous à l'œuvre ! » C'est là le rendez-vous que nous vous donnons. Vous verrez l'attitude que nous prendrons dans les questions si longtemps ajournées ; dans les discussions que nous ferons naître nous-mêmes. Nous ne sommes en contradiction avec aucun de nos antécédents. J'ai l'honneur de siéger depuis onze ans dans cette chambre. Ministre, hors du ministère, j'ai soutenu tout pouvoir qui s'est présenté avec le programme qui est celui de l'administration actuelle.

Mais « votre drapeau », nous dit-on, où est-il ? levez-le. A cela nous répondrons que notre drapeau n'est ni le drapeau libéral, ni le drapeau catholique ; c'est le drapeau du gouvernement, c'est le drapeau des intérêts généraux du pays, de la modération, de l'union. (Approbation.) Quand on s'écrie : Nous n'avons pas de drapeau, c'est qu'on veut perpétuer une division fatale ; on vent qu'il n'y ait, dans le pays que deux drapeaux. Il y a un troisième drapeau ; nous le plantons au milieu des deux camps, comme disait un honorable ministre de la justice en 1833. (Nouvel assentiment.)

Les questions les plus difficiles à résoudre dans l’ordre moral, nous les acceptons. Nous croyons que ces questions, quelque délicates qu'elles puissent être, peuvent recevoir une solution convenable. Nous ne pensons pas qu'une lutte soit inévitable. Le germe de cette lutte peut exister ; mais le germe de toutes les passions existe. Faut-il pour cela laisser les passions se développer ? Ne faut-il pas faire prévaloir la raison de l'homme ? Nous ne croyons pas que cette lutte soit utile, nécessaire ; nous ne la voulons pas ; nous acceptons les questions qu'elle pourrait soulever, comme affaires, une à une, dégagées des passions, dégagées même du prestige des discussions trop générales, des discussions théoriques.

Des luttes du genre de celle qui semblait s'annoncer parmi nous ont existé, existent dans d'autres pays ; et l'histoire (quand on ne la fausse pas) nous apprend quelles ont été les conséquences. Il faut, dit-on, que le gouvernement appartienne à l'un des deux partis et que son drapeau soit ou le drapeau libéral ou le drapeau catholique.

On a tenu le même langage sous la restauration française ; et pourquoi la restauration a-t-elle péri ? Parce qu’en France la restauration n'a pas su s'asseoir définitivement, irrévocablement sur un parti intermédiaire composé de toutes les nuances modérées. Deux fois on l'a essayé, et malheureusement deux fois on a échoué.

M. de Cases l'a essayé dans la première période de la restauration ; il l'a essayé d'accord avec Louis XVIII ; il a échoué. M. de Martignac l'a essayé dans la seconde période, malgré Charles X ; il a également échoué.

Si la restauration avait pu s'appuyer sur un parti modéré, sur une majorité modérée, qui n’eût été ni exclusivement royaliste, ni exclusivement libérale, la restauration n'aurait pas péri.

Elle a péri parce qu'elle n'a pas su attirer à elle le parti libéral modéré, et qu'elle a cru qu'elle devait inévitablement, fatalement s'appuyer sur le parti royaliste seul.

Jetons, les yeux, messieurs, sur l'histoire contemporaine.

En Angleterre, par exemple, pourquoi le dernier ministère a-t-il succombé ? Ce ministère s'était, longtemps appuyé sur les nuances intermédiaires, il n’avait été ni complètement whig, ni complètement tory. Ce ministère, en perdant l’appui des torys modéré a été forcé de s’appuyer exclusivement sur le parti whig pur. C’est pour cela qu’il a péri. Et le ministère actuel, bien qu’il se présente avec des apparences purement tories, cherchera, pour durer, à s'appuyer sur les opinions modérées, sur une majorité modérée, composée des nuances intermédiaires que je viens d'indiquer.

Les mêmes essais, messieurs, on les a faits en France. En France depuis 1830, le gouvernement du pays a aussi pu s'appuyer assez longtemps sur la majorité des hommes modérés. Malheureusement cette majorité s'est fractionnée, cette majorité a disparu, et le gouvernement de Louis-Philippe semble chercher comme à l'aventure une majorité nouvelle.

Et pourquoi la majorité sur laquelle on s’était appuyé jusqu'en 1836, a-t-elle péri ? Précisément par des dissolutions successives.

Eh bien ! nous n'avons pas voulu renouveler cette expérience dans notre pays ; nous avons la conviction que l’ancienne majorité n’a pas failli a sa tâche. Nous ne somme pas de ceux qui pensent que depuis le mois, d'août 1834 jusqu'au mois d'avril 1840, le pays a été mal gouverné ; nous ne sommes pas de ceux qui croient que nous avons vécu dans une espèce de moyen âge. Le pays, avant la retraite, en 1834, de l'honorable membre qui vient de prendre la parole, comme depuis, a été sagement gouverné avec la majorité qui l'avait appuyé sous son ministère, et cette longue administration de six années a eu son concours comme gouverneur.

Eh bien ! la majorité sur laquelle il s'était appuyé comme ministre, à laquelle il s'est ensuite associé, comme député, nous la redemandons à cette chambre ; nous avons cru pouvoir la redemander en évitant la dissolution.

Je ne veux pas, messieurs, pousser plus loin ces explications. Nous verrons si la suite des débats en rendra de nouvelles nécessaires. Je désire surtout qu'elles ne dégénèrent pas en questions de personnes ; je ferai, pour ma part, mon possible pour éviter les questions personnelles ; car les pénibles devoirs que nous avons à remplir au banc ministériel s'aggraveraient encore si des questions de personnes venaient créer des inimitiés éternelles.

D'ailleurs, messieurs, pourquoi le ministère pousserait-il plus ces explications ? Un ministère provoque ou accepte les discussions politiques, quand on met sérieusement en question son existence, quand il a une position à assurer ou à raffermir, quand il doute lui-même de sa position.

Nous n'apportons pas ces doutes devant vous ; nous ne doutons pas de notre position ; nous avions pressenti depuis longtemps, nous avons cru, dès notre entrée dans celle chambre. à l'ouverture de la session, retrouver cette ancienne majorité qui nous a connu pendant dix ans, que nous avons, tantôt hors du pouvoir, tantôt au pouvoir, invoquée en faveur des mêmes principes.

Nous n'avons donc, messieurs, aucun intérêt à aller au devant des discussions. Nous avons vu périr bien des ministères ; la plupart ont péri par le suicide. Notre intention n'est pas d’aller au devant de débats qui ne nous sont pas nécessaires pour exister.

On nous attend à l'œuvre ; nous acceptons cet ajournement. A la fin de la session on nous jugera, les uns et les autres, d’après ce qui aura été fait.

Il y a bientôt un mois que nous sommes réuni. Le calme a continuer à régner dans le pays. Le pays s’en étonne et s'en félicite. En cherchant à vous donner des explications, à vous présenter une justification impossible aux yeux de ceux qui la demandent, inutile pour le grand nombre qui ne la demande pas, nous satisferions peut-être un intérêt d’amour-propre, mais nous prendrions une initiative dont nous ne voulons pas.

Si la tâche que nous avons acceptée est impossible, comme on nous l'annonce, si nous devons faillir à cette tâche, nous serions les premiers à la décliner plutôt que de la fausser.

M. Verhaegen – Messieurs, j'étais bien décidé à ne pas prendre part dans cette discussion. Mon honorable ami M. Delfosse avait épuise la matière, et je ne voulais pas d’ailleurs que l'on m'accusât encore d'avoir éveillé les passions et mis les partis en présence.

Mais ce qui vient de se passer m'oblige, messieurs, à rompre le silence.

D'une part, un honorable préopinant, prenant prétendument la parole pour un fait personnel, a attaqué de front l’opinion à laquelle je me fais honneur d'appartenir ; et je croirais me manquer à moi-même si je dédaignais de répondre à cette attaque. D’autre part, M. le ministre de l'intérieur vient d'exposer des doctrines et de faire des aveux dont il m’importe de prendre acte ; je ne le dissimule point, je saisis avec empressement l'occasion de mettre ce membre du nouveau cabinet en contradiction avec le programme qu'il a présenté avec tant d’emphase, et de lui démontrer que lui, qui prétend avoir un troisième drapeau, qu'il place entre ceux des partis, a adopté, dès son avènement, le drapeau politico-catholique.

M. le ministre de l'intérieur, messieurs, vous a dit qu'il voulait l'union et qu'une réconciliation franche et complète entre les diverse fractions de la chambre était sur le point de sceller son entrée au pouvoir. Ce sont là des mots, et rien de plus.

Sous l'ancien ministère, on vous parlait d'irritation, mais cette irritation n'était que le fruit de l'imagination d'une opposition tracassière, et ne se rencontrait nulle part. Aujourd'hui, l’irritation se rencontre partout, et là où l'on croit trouver union et réconciliation, il n'y a que désunion et discorde.

Le ministère n'a pas voulu, dit-il, la dissolution, et c’est parce qu’il n'a pas voulu la dissolution, parce qu’il a déconseillé à la couronne ce qu'il appelle une mesure extrême, qu’il a pris les rênes du gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est précisément pour cela.

M. Verhaegen. – Il ne voulait pas la dissolution, et pourquoi ? Il ne voulait pas la dissolution (ici je prends acte des paroles de M. Nothomb) « parce que les nouvelles élections auraient déplacé la majorité. »

Ainsi, M. le ministre de l'intérieur et ses amis ne voulaient point que le pays exprimât son vœu et fût libre dans le choix de ses mandataires ; ils voulaient une chambre perpétuelle ; ils ne voulaient pas la dissolution (l'aveu est précieux) parce que de nouvelles élections devaient, selon eux, amener sur ces bancs d’autres députés que ceux qui y siégeaient à la dernière session, et par suite donner un démenti à leurs principes.

Il a fallu, ajoute M. Nothomb, un autre cabinet pour présider aux élections partielles du mois de juin, parce qu’avec l’influence de l'administration précédente, il serait sorti des élections nouvelles une chambre entièrement libérale.

Prenons acte, messieurs, de ces paroles. Quoi ! M. Nothomb, vous qui hors de cette enceinte osez encore vanter votre libéralisme, vous ne vouliez pas d'une dissolution, parce que « la majorité aurait été déplacée. » Vous vouliez une autre administration pour diriger les élections partielles, et vous donnez pour raison qu’avec le maintien de l’ancien cabinet ces élections auraient produit une chambre libérale. En prenant la place de l’administration précédente, vous et vous amis, vous avez donc pris l’engagement de contrarier le vœu du pays, en maintenant une chambre anti-libérale, et même en l’épurant encore, et cet engagement vous l’avez tenu autant qu’il était en votre pouvoir et vous osez venir nous dire aujourd’hui que vous avez un troisième drapeau que vous plantez entre ceux des partis !

Le but du nouveau cabinet, en prenant les rênes du gouvernement, n’étant plus un mystère, il sera facile d’apprécier l’élection du mois de juin, et ici je vais suivre l’honorable M. Dubus, sur le terrain où il m’a imprudemment attiré.

L’occasion m’est offerte de faire voir quelle ont été les menées ourdies dans la dernière lutte électorale, et de quel coté a été l’intrigue et la turpitude.

Je tiens, messieurs, à constater avant tout, et je désire que mes commettants et le pays entier le sachent bien que ce n’est pas moi qui ait entamé cette discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ni moi.

M. Verhaegen. – Je m’étais condamné au silence, j’avais pris la ferme résolution de ne pas prendre part à ces débats. Mais l’honorable M. Brabant, en répondant prétendument à un fait personnel, pour expliquer comment il s’est fait que la majorité qui l’avait porté à la représentation nationale n’avait pas été aussi forte cette année qu’en 1837, est venu nous dire que l’opinion libérale avait employé des moyens dégoûtants, qu’elle avait mis tout en œuvre, débité des calomnies, fait des assertions que la morale et la délicatesse réprouvent… ! !

M. Brabant – Je les appuie.

M. Verhaegen. – Je sais bien que vos paroles trouveront de l’écho dans cette chambre telle qu’ont voulu la faire M. Nothomb et ses amis.

On n’a pas voulu que « la majorité se déplaçât » ; on a voulu une chambre perpétuelle, et comme on connaissait les intentions de celle qui existe, on s’en est contenté ; cela ne m’empêchera pas, moi, qui suis de la minorité, de dire ma pensée. Si je ne trouve pas de l'appui dans cette enceinte, j’ai cependant un devoir à remplir ; je parle au pays dont je suis le mandataire, et les paroles auront au moins quelque résultat.

M. Brabant s'est plaint de menées odieuses, de calomnies, de moyens infâmes employés contre lui ; on lui a attribué a-t-il dit, des intentions qu’il n'a jamais eues ; lui, partisan de la mainmorte, on l'a accusé de vouloir rétablir la dîme !

Je mets de côté, messieurs, ce qui est relatif à l'honorable M. Brabant. Je ne connaissais pas même l'article du journal de Namur dont il vous a donné lecture ; nous avions assez à faire dans la lutte qu'on nous avait préparée ici dans la capitale pour ne pas aller nous occuper des élections de province. Je n'assume sous aucun point de vue la responsabilité de ce qui s'est passé à Namur, mais j'assume en tout point la responsabilité de ce qui s'est passé à Bruxelles.

M. Brabant prétend qu'on a employé des moyens infâmes, et c'est l'opinion libérale qu'il ose accuser. S'il s'était tenu dans les limites qu'il s'était d'abord posées, je n'aurais pas eu l'occasion de lui répondre ; mais d'un fait qui lui était personnel, il a tiré des conséquences générales en prétendant que les élections ont eu des résultats désastreux pour l'opinion qu'il représente, à cause des moyens odieux et infâmes qui ont été employés et, à cet égard, il a fait allusion a certain épisode qui est relatif à la dîme.

Certes, quand aujourd'hui on parle de la dîme, tout le monde se met à rire ; mais il y a une dizaine d'années on se serait mis à rire aussi, si l'on avait osé parler de la mainmorte. Les temps changent et les hommes changent avec les temps.

On aurait ri de la mainmorte en 1830, et en 1841 on veut la rétablir ; on rit de la dîme en 1841, et qui sait quelles seront les velléités de certain parti dans quelques années ? Aurait-on jamais cru qu'en 1841 nos adversaires auraient condamné le projet de loi sur l'instruction publique que leurs défenseurs nés, MM. de Theux et de Gerlache, avaient élaboré en 1834 ? (Hilarité.)

Je vous en prie, messieurs, ne riez pas, je vais citer des autorités irrécusables, je vais citer des documents ; tout ce qu'ont dit les journaux de la capitale relativement à la dîme est marqué au coin de la vérité, j'en assume la responsabilité, et je vais en démontrer le fondement, quelque risible que cela vous paraisse.

Mais avant tout, puisqu'on a prononcé les mots de menées odieuses, de moyens infâmes, de calomnies, nous allons un peu voir de quels moyens infâmes, de quelles calomnies, de quelles menées dégoûtantes l'opinion libérale a été l'objet.

C'était en juin 1841 qu'on avait résolu d'écarter de la chambre tous les membres qui n'appartenaient pas à l'opinion catholique politique.

La majorité telle qu'on voudrait la perpétuer, ne suffisait pas encore ; on voulait expulser de la représentation nationale quiconque ne partageait pas l'opinion de cette majorité. Le libéralisme devait être mis au ban du pays.

Pour obtenir ce résultat, tous les moyens furent mis en œuvre, et l'on se vantait d'un succès certain, car cette fois ce n'était plus seulement au clergé et a sa milice qu’étaient recommandées les opérations électorales, on avait trouvé des alliances, des alliances nombreuses ; nous en comptions jusqu'à neuf. Il n'est pas nécessaire que je les énumère toutes, qu'il me suffise de dire que les principaux alliés du clergé étaient le ministère et la société générale.

Nous étions, nous, dans le cas de légitime défense, c'était là notre véritable position. Vous parlez de menées odieuses, de moyens dégoûtants, de calomnies, mais il n'est pas de calomnies, de moyens dégoûtants dont nous n'ayons été l'objet. N'avions-nous pas à lutter tout d’abord contre le prêche, le confessionnal et tous les moyens indirectes qui sont à la disposition de nos adversaires ? (Interruption.) Vous ne voulez pas que la vérité se dise, mais vous m'avez placé sur ce terrain, et je suis décidé à ne pas l'abandonner de si tôt.

Personne n'ignore ce qui s'est passé aux élections de Bruges, au sujet de l'honorable M. Devaux. Tout le monde se rappelle les paroles inconvenantes tombées du haut de la chaire dite de vérité, et prononcées par un de nos collègues revêtu d'un caractère spirituel.

Ensuite n'avons-nous pas vu émaner des princes de l'église un ordre qui devait être exécuté avec une obéissance passive ? Cet ordre, vous voudrez bien, messieurs, en entendre la lecture, parce qu'il vient très à propos dans les circonstances actuelles ; il a été lu au prône, et tous les moyens ont été mis en œuvre pour engager les fidèles à ne pas s'en écarter. Ce mandement, qui porte la date du 15 mai 1841, est assez long et se termine par ces mots :

« Il est du devoir d'un bon chrétien de concourir au bonheur de sa patrie ; il doit faire le sacrifice de son repos, suspendre le soin de ses affaires, et s'exposer même à des pertes et à des désagréments lorsque le bien général l'exige. C'est pourquoi ceux qui ont le droit de voter sont obligés en conscience de faire usage de ce droit en prenant part aux élections ; et c'est une erreur de penser que, sans blesser sa conscience, on puisse s'en abstenir. Ensuite les électeurs ne peuvent donner leur vote qu'à des hommes qui en sont réellement dignes. Enfin, pour assurer les bons choix ils doivent se concerter et s'entendre, faire le sacrifice de leurs opinions particulières, et se ressouvenir qu'un bon choix peut dépendre d'une seule voix. » (Interruption.)

Quand ces messieurs auront fini, je continuerai. Je prendrai un moment de repos dans l'intervalle.

M. Doignon. - Il n'y a rien à reprocher à ce mandement.

M. Verhaegen. - Il n'y a rien à reprocher à ce mandement, dit l’honorable M. Doignon, mais tout le monde n'est pas d'accord avec lui sur ce point. Des hommes dont il ne suspectera certainement pas l'opinion et dont il est obligé d'admettre l'autorité ont enseigné que ceux qui s'occupent du bien-être spirituel des fidèles doivent rester étrangers aux intérêts temporels. Si j'avais à traiter des questions théologiques, je citerais tous les canons, toutes les lois de l'Eglise qui démontrent qu'il n'est pas permis de faire ce qui a été fait dans cette circonstance par les évêques de la Belgique.

Mais je n'irai pas si loin. Ce qui a été fait, lors des dernières élections, par le cardinal archevêque de Malines, ne se faisait pas alors qu’il n'était que vicaire-général sous M. le prince de Méan ; ce prélat s'expliquait d'une tout autre manière. Et à cette époque même où le protestantisme et le catholicisme étaient en présence, M. de Méan n'a jamais osé poser aucun de ces actes que ses successeurs posent aujourd'hui sans le moindre scrupule.

A-t-on oublié le fameux mandement de 1830 de M. Van Bommel, évêque de Liége, par lequel il défend formellement à son clergé de s'occuper d'affaires temporelles ? Qu'on le compare avec le mandement de 1841 qui porte aussi sa signature.

On confond une faculté avec une obligation ; on vient dire aux fidèles qu'ils sont obligés en conscience de prendre part à la lutte électorale : c'est là induire les fidèles en erreur ; c'est encore une ces manœuvres que nos adversaires nous reprocheraient si elle émanait de nous.

Messieurs, le ministère qui dans maintes circonstances s'efforce de se trouver d'accord avec les chefs du clergé s'est conduit cette fois d'une manière tout à fait contraire à leurs doctrines : D'un côté le cardinal archevêque de Malines dit aux fidèles qu'ils sont obligés en conscience de se rendre aux élections et les menace en quelque sorte d'excommunication s'ils ne votent pas, et d'un autre côté M. le ministre de l'intérieur refuse à un gouverneur la permission de s'absenter pendant un jour pour exercer son droit électoral, et, pour le cas d'infraction il le menace de destitution. Voilà donc un individu placé entre l'excommunication et la destitution : cruelle alternative pour ceux qui attachent de l'importance à leur position !

Voilà la conduite du ministère et du clergé unis avec d'autres éléments pour combattre le parti libéral, on force d'assister à la lutte ceux sur lesquels on croit pouvoir compter, on écarte ceux dont on doute par des moyens contradictoires, on cherche à atteindre le même but.

Puisque l'occasion s'en présente, et que dans une discussion générale on fait le compte à tout le monde et surtout au ministère, je ne serai pas fâché de dire quelques mots, en réponse à ce qu'a dit l'autre jour le ministre de l'intérieur, répliquant à l'honorable M. Devaux relativement à l'éloignement de M. Liedts des élections d'Anvers.

M. le ministre de l'intérieur a voulu justifier la conduite qu'il a tenue à l'égard de M. Liedts de deux manières. Il a dit d'abord : je n'ai pas défendu à M. Liedts d'aller aux élections d'Anvers, et si M. Liedts y était allé, je n'aurais rien eu à lui dire ; mais puisque M. Liedts a demandé la permission, eh bien, j'ai cru devoir la lui refuser.

C'est là vouloir jeter tout le ridicule de cette affaire sur l'honorable M. Liedts qui est signalé comme ayant bénévolement sacrifié son droit de vote, comme ayant posé un fait de soumission inouïe.

M. Nothomb dit ensuite : « M. Liedts m'ayant demandé la permission de se rendre aux élections, je la lui ai refusée, parce que, et je le déclare franchement, je ne voulais pas que M. Liedts allât à Anvers pour y exercer son influence en faveur d'anciens amis. Mieux a valu, ajoute-t-il, ne pas donner la permission que de devoir faire ce que d'autres ont fait. » Et M. Nothomb faisait ici allusion aux destitutions de certains fonctionnaires, auxquels n'auraient pas été étrangers quelques membre de l'ancien cabinet.

Messieurs, quant à moi, mes principes à cet égard sont connus : en fait de destitutions, je me suis expliqué depuis longtemps, et je n'ai à ce sujet aucune concession à faire à M. Nothomb.

Ce que je ne veux pas contester, c'est que le gouvernement peut sévir contre un fonctionnaire, qui lui est subordonné lorsqu'il se sert de l’influence de sa position pour obtenir un résultat contraire au désir du gouvernement. Mais qu'un fonctionnaire, quel qu’il soit, vote de telle ou telle manière, pour tel ou tel candidat, contrairement ou conformément aux vues du gouvernement ; que dans la chambre des représentants, où les fonctionnaires sont nombreux, ceux-ci votent dans tel ou tel sens, je ne pourrai jamais admettre que le gouvernement ait le droit de destituer ces fonctionnaires.

Mais il me semble que M. Nothomb, qui a adressé un reproche très mal fondé à quelques membres de l'ancien cabinet, méritait ce reproche à bien plus juste titre que ceux à qui il l'adressait.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n'ai pas adressé de reproche.

M. Verhaegen. - M. Nothomb ne se rappelle-t-il pas l'affaire de M. le baron de Stassart ? Je pense que M. le ministre partageait à tous égards l'opinion qui a prévalu en cette circonstance.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Entièrement.

M. Verhaegen. – Je crois même que c'est à M. Nothomb principalement qu'est dû l'arrêté de destitution.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Non !

M. de Theux - C'est moi qui ai proposé la mesure.

M. Verhaegen. - M. de Theux se rend responsable de l'acte soit ; mais il y a solidarité entre lui et M. Nothomb, alors son collègue. Voilà au moins une destitution, et une destitution dans quelle circonstance ? Etait-ce une destitution administrative dans le sens que vous attachez à ce mot ? Etait-ce un fonctionnaire qui avait usé de l'influence de sa position, contrairement aux vues du gouvernement, et que vous auriez arrêté dans sa marche par une destitution ? Non ; vous laissez consommer une triple élection au sénat, et après que M. le baron de Stassart a été nommé par trois collèges électoraux, vous le destituez, vous faites une injure aux électeurs, vous condamnez le vœu qu'ils ont exprimé, comme vous leur faisiez encore une injure tout à l'heure, en disant que s'il y avait eu une dissolution, la majorité aurait été déplacée.

Il est donc vrai de dire que les reproches que vous faisiez à d'autres sont ceux qu'on peut vous adresser sans injustice.

Revenons à la lutte du mois de juin 1841. Messieurs, tout ce qui a été fait dans cette occurrence, était le résultat d’une véritable coalition contre l'opinion libérale dont on voulait l'anéantissement. Les organes de l’opinion que je combats ne s'en sont-ils pas expliqués d'une manière claire et précise. Ce n’était pas seulement tel ou tel homme qu’on voulait voir éliminer, mais c’était à l'opinion tout entière qu'on faisait la guerre : c'était la destruction du parti libéral en Belgique qu’on avait en vue. C'était cette destruction que l'on voulait obtenir par les élections de 1841, élections auxquelles le ministère actuel a donne la main, puisqu’il a la franchise de dire que si les élections avaient été faites sous l’influence de l'ancien cabinet la chambre serait autre qu’elle n est, c’est-à-dire libérale. Vous n'avez pu vous mêler aux élections que pour les faire réussir, dans le sens catholique.

Ne dites pas dès lors que vous n'avez pas de drapeau ; votre drapeau est le drapeau catholique-politique.

Et ce serait dans des circonstances semblables, alors que les chefs du clergé, par leurs mandements, ainsi qu’une grande partie du clergé subalterne, obéissant aux ordres de leurs supérieurs, agissaient comme je viens de l’indiquer ; ce serait dis-je, dans de pareilles circonstances que nous aurions dû, nous, rester dans l'inaction pour nous laisser écraser, et tomber victimes résignées de toutes ces alliances qui avaient été si machiavéliquement contractées et que le pays entier connaît aussi bien que nous.

Que le ministère ne vienne pas dire qu'il est resté dans l'inaction. Ce que je viens de vous exposer, messieurs, prouve que le ministère est intervenu activement dans la lutte au profit exclusif d'un parti ; que c'est dans ce but qu'il est arrivé au pouvoir ; que c'était pour diriger les élections dans un sens arrêté d'avance qu'il est venu prendre la place du cabinet précédent qui, d'après lui, ne convenait pas à cette opération ; et le ministère oserait-il encore nier qu'il a pris une part active aux élections ? N'avons-nous pas vu des hommes du gouvernement, un haut fonctionnaire surtout du département des finances, parcourir tous les villages d'un district et cabaler contre l'ancien chef du département auquel il devait, pour plus d'un motif, de la reconnaissance ? c'est cet ancien chef qu'il a tâché d'éloigner de la représentation nationale par des moyens que j'ai le droit d'appeler indignes et infâmes.

Messieurs, dans cette position, nous aurions dû garder le silence ; abandonnés à nous-mêmes, nous aurions dû subir le joug qu'on voulait faire peser sur nous. On nous reproche d’avoir organisé le parti libéral. Eh ! mon Dieu, était-il possible de résister autrement à cette hiérarchie cléricale où l’obéissance passive est un devoir, où la volonté d’un seul homme devient forcément la volonté de tous ? en effet, dès qu’un seul homme y a nommé son candidat, c’est ce candidat sur lequel toutes les voix doivent se réunir. Et nous aurions dû, pour me servir d’une expression triviale, marcher à la débandade ; nous n’aurions pas pu imiter l’exemple de nos adversaires et prendre des mesures d’ensemble, d’unité, pour ne pas succomber.

Ce que nous avons fait, nous avions le droit de la faire ; ce que nous avons fait, nous l'avons fait dans le cas de la légitime défense, et les moyens que nous avons à notre disposition pour nous défendre, n'étaient certes pas en rapport avec les moyens dont disposaient nos adversaires : la raison publique et la justice seule sont venues faire pencher la balance.

Nos journaux étaient mis à l'index, il était défendu de lire entre autres l'Observateur, sous peine d'excommunication. Et il ne nous aurait pas été permis de nous adresser à nos amis, de correspondre avec les personnes qui pouvaient nous comprendre ! Eh ! mon Dieu, je proclame du haut de cette tribune : dans la position où nous étions placés, dans la position de légitime défense ou l'on nous avait réduits, nous avons employé tous les moyens qui étaient en notre pouvoir pour contrebalancer l'influence puissante de la coalition qui pesait sur nous ; mais tous les moyens auxquels nous avons eu recours, étaient, quoi qu'en dise l'honorable M. Brabant, des moyens légaux, des moyens moraux.

Je le répète, je ne sais ce qui s'est passé à Namur, je n'ai pas à m'en occuper ; nous avions assez à faite dans la capitale pour ne pas nous occuper des provinces ; mais ce qui a été fait à Bruxelles, je l'approuve entièrement, et encore une fois j'en assume la responsabilité.

Les journaux libéraux ont parlé des craintes conçues au sujet de la mainmorte et de la dîme ; ils ont voulu exposer aux électeurs des campagnes les tendances d'un parti qui veut les exploiter, les absorber ; ils ont voulu les mettre en état de juger eux-mêmes leur position.

Quant à la dîme, je comprends fort bien que ceux qui ne partagent pas nos opinions trouvent mauvais qu'on éclaire les campagnes. Je sais fort bien qu'on voudrait maintenir les campagnes dans l'état où elles sont placées, et que l'on craint y voir paraître la lumière. (On rit.) Les rires ne sont pas des arguments. Quand l'un ou l'autre de mes contradicteurs parlera, quelles que soient d'ailleurs ses propositions, je ne me permettrai jamais de l'interrompre ; il me semble qu'il est de la dignité de la chambre d'écouter l'orateur qui parle. Les égards que l'on se doit entre collègues, seraient-ils bannis de cette enceinte ?

Je laisse là les interruptions et je continue :

Ce que l'on a dit de la dîme dans les journaux de Bruxelles, je le maintiens, et je vais prouver que j'ai raison et avec moi tous ceux qui en ont parlé.

Aujourd'hui nos adversaires regardent comme ridicule, comme absurde la pensée du l'établissement de la dîme, dans quelques années peut-être ils la caresseront, et finiront par la mettre à exécution.

M. Rodenbach. - Il faut déchirer la constitution.

M. Verhaegen - M. Rodenbach dit qu'il faut déchirer la constitution. On a grande velléité de la déchirer. Est-ce que nous ne voyons pas tous les jours les efforts qu'on fait pour la saper dans sa base ? Ne réclame-t-on pas contre la liberté de la presse ? N'ose-t-on pas déjà demandé la censure ? N'est-on pas allé jusqu'à présenter le régime représentatif comme un serpent à plusieurs têtes, etc.

Il est des ménagements qu'on croit encore devoir prendre maintenant, plus tard on jettera le masque. (Interruption.)

Je comprends qu'il vous en coûte d'écouter ces détails, mais je tiens à justifier ma proposition. J'ai eu l'honneur de dire que ce qu'on avait écrit dans les journaux de Bruxelles sur la dîme était conforme à la vérité. Je le maintiens.

M. Rodenbach - C'est une chose absurde.

M. Verhaegen. - Veuillez tenir note que M. Rodenbach trouve absurde la pensée de rétablir la dîme, il va donc donner la qualification qui leur convient à ceux qui ont demandé le rétablissement de la dîme.

M. Rodenbach. - Oui, je dis que c'est absurde.

M. Verhaegen. - Eh bien, nous allons voir ; messieurs, il faut être franc et c'est mon habitude. La première idée de la dîme est sortie du catéchisme de Namur ; c'est vrai ; mais, messieurs, ne dédaignons pas, je vous en prie, un catéchisme et mettons-nous bien en garde contre des attaques irréfléchies. Il est vrai que ce catéchisme a été imprimé et approuvé une première fois en 1796, mais voici le livre que j'ai sous les yeux et qui porte pour titre : Explications des premières vérités de la religion, a l'usage des écoles chrétiennes et qui peuvent être très utiles aux grandes personnes, dédiées à Mgr. l'évêque de Namur, par quelques curés de son diocèse, nouvelle édition corrigée et soumise à la nouvelle approbation de Mgr.

M. Brabant - On m'a assuré que depuis 1719, le titre était le même.

M. Verhaegen. - Voici ce que porte encore le livre que j'ai en main : Namur, 1840, Mesman, imprimeur de l'évêché.

Ce n'est pas un imprimeur profane c'est l'imprimeur de l'évêque. Il l'a imprimé en 1840 après correction de monseigneur.

M. Rodenbach. - C'était le même sous la république et sous l'empire.

M. Verhaegen. - Vous aurez vos apaisements tantôt, un peu de patience. Dans ce catéchisme on explique ce que c'est que la dîme. On dit que c'est une portion des meilleurs fruits qui est due au clergé. On demande sous quelle peine on doit payer la dîme et on répond : sous peine d'excommunication. Maintenant on nous dit : mais c'est une vieillerie ! Cela n'est plus de saison. En attendant, on apprend aux enfants qui entrent dans les écoles qu'il faut payer la dîme sous peine d'excommunication. Si on se permettait de dire que ce que le catéchisme enseigne se réduit à des vieilleries, à des absurdités, les enfants ou plutôt leurs parents diraient qu'ils n'ont pas besoin de vieilleries et ils finiraient par jeter le catéchisme au feu, qu'on y prenne garde !!

Mais ce n'est pas seulement un catéchisme qui parle de la dîme : Vous qui connaissez les auteurs canoniques, vous qui connaissez l'ouvrage de M. Devoti qui se trouve dans tous les séminaires, vous devez savoir que dans cet ouvrage il est enseigné en toutes lettres qu’il faut payer la dîme sous peine d'excommunication. Il me sera facile de le constater en lisant le passage ; mais M. Dechamps me fait un signe affirmatif et dit que c'est exact. (Réclamation.)

Continuons nos citations.

Je disais qu'il y a quelques années on n'aurait pas osé parler de la main morte et qu'on en parle aujourd'hui. Il fut aussi un temps en France où le clergé eut quelque velléité de ressaisir son ancienne influence, son ancien pouvoir. C'était une question de prépondérance autant que d'intérêt matériel. Il ne voulait pas être subsidié par l'Etat, et pour se soustraire à son influence, il demandait la dîme comme corollaire indispensable de la mainmorte. Là où il y a mainmorte, dans mon opinion, et je rétablirai quand il en sera temps, la dîme ne peut aussi manquer d'exister, Sans dîme pas de mainmorte.

Si la dîme est le corollaire de la mainmorte, n'est-il pas logique de dire : puisque vous voulez rétablir en Belgique la mainmorte, vous chercherez aussi un jour à rétablir la dîme ?

L’honorable M. Rodenbach qui trouvait absurde ce que je disais tout à l'heure, trouvera-t-il aussi absurde ce que disait en 1814 M. Boussen, attaché alors comme secrétaire à l'évêché de Gand, lui qui aujourd'hui est placé à la tête de l'évêché de Bruges ? Je vais faire parler ce prélat, assisté des vicaires-généraux de Gand, ces princes de l'Eglise ; vous verrez ensuite s'il vous est permis encore de dire que la dîme est une chose absurde, une chose ridicule ?

Il s'agit d'un mémoire adressé par les vicaires généraux de Gand, au nom de l'évêque monseigneur de Broglie aux puissances alliées en 1814.

Voici cette pièce qu'il importe que tout le monde connaisse. Je ne suis pas fâché qu'on m'ait fourni l'occasion de la faire connaître à mes concitoyens.

« Mémoire adressé le 8 octobre 1814 aux hautes puissances assemblées dans le congrès de Vienne, par MM. les vicaires généraux du diocèse de Gand, dans l'absence et suivant l'intention expresse de monseigneur le prince de Broglie, évêque de Gand.

« Pour que le clergé demeure à jamais libre dans l'exercice de ses fonctions, conformément aux saints canons, il ne suffit pas que les évêques puissent agir librement dans le for extérieur par leurs officiaux et prendre toutes les mesures qu'ils jugeront nécessaires pour maintenir dans leurs diocèses la discipline ecclésiastique, réformer les abus, surveiller l'enseignement de la doctrine chrétienne dans toutes les maisons d'éducation, avec l'autorité que leur assurent les conciles, etc., ainsi qu'ils le faisaient autrefois ; il est encore absolument nécessaire que la dotation du clergé soit irrévocablement fixée et qu'elle soit indépendante de l'autorité civile. Pour cet effet il suffirait de rétablir la dîme ; elle avait été considérée de tout temps comme un fonds inaliénable et sacré, lorsque les révolutionnaires l'abolirent pour rendre le culte divin et ses ministres dépendants de tous les caprices des démagogues, qui n'avaient d'autre but que de renverser l'autel et le trône. Il est juste de la rétablir, parce que c'est aujourd'hui l'unique moyen de doter le clergé et les églises ; parce que toutes les propriétés territoriales ont été acquises de temps immémorial jusqu'à l'époque de la révolution française avec la charge de la prestation de la dîme, et que délivrer les propriétaires de cette charge, c'est leur livrer le bien des décimateurs sans aucun titre et sans aucune indemnité. Il n'y a rien de plus manifestement injuste, parce que, s'il suffit d'une révolution pour anéantir les droits les plus sacrés, et qu'au retour de l'ordre ces usurpations soient néanmoins maintenues, les corporations et les individus spoliés restant seuls victimes, ne serait-ce pas proclamer en quelque sorte le triomphe du crime et de la scélératesse, et engager dans la suite les gens hardis, sans principe et sans moralité, à tout oser, tout bouleverser, dans l'espérance d'obtenir le même succès ? Ce qui se passe maintenant en France à cet égard ne peut être raisonnablement appliqué à la Belgique, car la révolution y a pris naissance et le corps de la nation y a plus ou moins participé ; mais les Belges ont constamment témoigné la plus grande horreur pour ces excès. La loyauté et la bonne foi qui les ont caractérisés de tout temps leur ont sans cesse inspiré une extrême aversion pour toutes les injustices et vexations révolutionnaires. Il est important pour le prince et pour l'Etat de consolider ce caractère national, et de remettre en honneur les anciens principes. Ce serait bien certainement s'assurer une garantie contre les événements qu'on aurait lieu de craindre devoir résulter du voisinage de la France ; car enfin si les Belges sont toujours gouvernés par les principes français, que leur importe-t-il d'être détachés de la France ? mais s'ils recouvrent leurs anciennes institutions religieuses et politiques, leurs propriétés et tout ce qu'ils chérissent de juste et de sage dans leurs anciens usages, leurs mœurs, leurs inclinations deviendront une barrière naturelle contre une invasion que les Français pourraient dans la suite projeter

« On ne peut dissimuler que le l'établissement de la dîme ne doive être une charge onéreuse aux cultivateurs, toute juste qu'elle est ; qu'elle nécessitera une diminution dans la masse des contributions foncières, et que les finances en souffriront un peu ; mais la justice qu'on doit rendre au caractère du prince destiné à nous gouverner, ne permet pas qu'on lui suppose des vues assez intéressées pour sacrifier l'intérêt de la religion du pays à des vues financières. D'ailleurs, supposé qu'en considération de l'établissement de la dîme, on dût diminuer d'un cinquième les contributions foncières, cette perte serait à peu près compensée par l'imposition d'un cinquième sur la dîme (car c'était l'usage en Belgique qu'elle fût imposée), et par la suppression des traitements, pensions ecclésiastiques, etc., dont le trésor public serait entièrement déchargé, ainsi que les départements pour ce qui les concerne.

« Pour copie conforme :

« Le secrétaire de l’évêché,

« (Signé) : F. BOUSSEN, chan. »

Mais ce n'est pas tout et ici je suis au regret de ne pas voir présent à la séance l'honorable M. de Foere que je rencontre souvent comme adversaire dans des discussions de la nature de celles qui nous occupent.

Je vais vous lire ce qu'il écrivait dans le Spectateur belge en 1816. Je ne sais si l'on viendra dire que ce qu'il écrivait à cette époque était une absurdité. Je ne comprendrais pas non plus que M. l'évêque de Bruges vînt nous dire en 1841 que ce qu'il a écrit en 1814 était une absurdité. .

M. Rodenbach. - Oui, il est ridicule et absurde de parler de cela, sous l'empire de la constitution.

M. Dumortier.- Il a signé le mémoire par ordonnance et pour copie conforme.

M. Verhaegen – Le mémoire est adressé aux puissances représentées au congrès de Vienne par les vicaires-généraux du diocèse de Gand.

M. Dumortier - Sans doute, mais il est signé par M. Boussen, pour copie conforme.

M. Verhaegen - Oui, je comprends. C'est encore un petit échappatoire comme nous en avons rencontré il n'y a pas bien longtemps. On veut que M. Boussen n'est pas responsable du mémoire adressé au congrès de Vienne par les vicaires généraux du diocèse de Gand.

Mais il était membre de l'aréopage (si je puis m'exprimer ainsi) ; il a donc sa part de responsabilité dans l'acte qu'il a revêtu de sa signature. Au reste, les signatures des vicaires généraux n'étaient-elles pas suffisantes par elles-mêmes ?

Mais voyons ce qu'a écrit M. de Foere. Il était alors rédacteur du Spectateur, il ne l'est plus aujourd'hui, mais M. de Foere est toujours M. de Foere.

M. Veranneman-Watervliet, jurisconsulte à Bruges, avait publié en 1816 un PROJET DE CONSTITUTION pour les provinces de la Belgique ci-devant autrichienne. Il y avait émis l'opinion (ch. IlI, art, 2.) qu’il fallait faire salarier le clergé par la nation.

M. l'abbé de Foere, alors rédacteur du Spectateur Belge, critiqua cette disposition du PROJET en ces termes :

« N'y a-t-il plus des biens appartenant à des corporations ecclésiastiques ? Pourquoi en empêcher constitutionnellement la restitution ?... Enfin l'ancien usage des dîmes, doit-il être éternellement proscrit ? Ah ! que nous avons bien justifié la prédiction que faisait de son temps saint Augustin aux détracteurs de la dîme : Dabis impio militi quod dare non vis sacerdoti ! Les lumières de quelques hommes à principes libéraux commencent néanmoins à se réfléchir sur le passé. Nous ne comptons pas, dit Maltebrun, dans son Apologie de Louis XVIII, parmi les mauvais conseils donnés (à ce roi) celui de rétablir les dîmes, puisque cet impôt léger peut seul rendre aux curés et aux églises les moyens de l'entretien nécessaire. - Et comment encore, si les ministres de la religion restent salariés par la nation, prétend-il, à l'art. 6 que les évêques et tout le clergé catholique romain puissent jouir de toutes les prérogatives et libertés nécessaires pour l'exercice de leurs fonctions ? car cette dépendance du gouvernement nuit singulièrement au libre exercice et à la dignité des fonctions ecclésiastiques » (Spect., b., t. 2, p. 126)

« Il fut un temps où les ministres des autels pouvaient par le seul ascendant de leurs vertus exercer sur l'esprit des peuples l'autorité qui leur est nécessaire pour remplir dignement leurs fonctions. Ce temps n'est plus, il y a bien des siècles qu'il n'est plus.

« Il y a peut-être plus de religion en Belgique que dans aucune autre contrée de l'Europe, et il serait difficile de trouver un clergé plus respectable par ses lumières et par ses vertus. Mais une expérience de vingt années nous a prouvé ce que le simple bon sens nous avait fait sentir avant cet effroyable bouleversement, qu'un clergé salarié ne peut obtenir et n'obtiendra jamais ce degré de considération qui lui est absolument nécessaire, eu égard à l'état actuel des mœurs, pour exercer sur les esprits cette juste et salutaire influence sans laquelle l'empire de la religion et par conséquent des bonnes mœurs ne peut que tomber de jour en jour en décadence. Les révolutionnaires et, après eux, Bonaparte, étaient bien convaincus de cette vérité.

« Un clergé qui ne jouit pas aujourd'hui (1815) d'un rang distingué dans l'Etat, dont les conseils sont écartés et qui se trouve hors d'état d'assurer, par son intervention légale, le maintien de l'autorité sacrée dont il a été investi par le divin législateur des chrétiens, ne saura ni conserver aux yeux des peuples cette dignité sociale dont il doit paraître revêtu pour remplir avec fruit une des fonctions les plus importante pour l'Etat, ni prévenir l'usurpation d'un pouvoir qui est inaliénable et les conflits d'autorité qui ont occasionné plus d'une fois dans ces provinces des secousses si violentes.

« On pourrait en développant ces principes, prouver jusqu'à la démonstration, que la paix et la prospérité du nouveau royaume dépendent en grande partie de la détermination qui va être prise à cet égard. » (Spect., b., t. 2. p. 220-221.)

Voilà l'opinion de M. de Foere, qui est bien d'accord avec l'opinion des vicaires généraux de Gand, en 1814.

Il n'est plus permis après cela de dire que ce sont des absurdités.

Mais on prétend qu'il n'est pas question de dîme aujourd'hui, c'est aussi ce qu'ont dit les évêques, en répondant à ce qui aurait été écrit sur la dîme. Mais cette réponse, d'après moi, n'est pas satisfaisante. Qu'ont dit les évêques, lorsqu'on leur a cité le catéchisme de Namur ? Ont-ils dit ce sont là des vieilleries dont on ne parlera plus jamais, dont il ne sera plus jamais question ? non.

Ils ont dit : On ne demande pas la dîme ; il ne s'agit pas de cela maintenant. Mais, il y a deux ans, on ne parlait pas encore de la mainmorte, et on en parle sérieusement aujourd’hui !

M. Rodenbach parle de la constitution ; mais que dit la constitution de la mainmorte ? Que dit-elle de la dîme ? Elle condamne l'une aussi bien que l'autre, et cela n'a pas empêché MM. Dubus et Brabant de présenter leur proposition

La dîme comme la mainmorte, sont condamnées par toutes les lois ; il faut les proscrire l'une comme l'autre ; certes il est impossible de les rétablir, quand on écoute la justice et la raison, mais quand tous les jours on empiète sur la constitution, quand on la déchire en lambeaux, qu'on l'enlève pièce par pièce ; quand on tente de nous enlever la liberté de la presse, de nous enlever nos libertés et franchises communales, M. Rodenbach se bornera à vous dire que la constitution ne permet pas cela, et néanmoins elle sera violée.

La constitution ne permet pas plus la mainmorte que la dîme ; mais de concession en concession on arrive au résultat qu'on veut

Messieurs, ce n'est pas encore tout. J'ai cité des ouvrages respectables. J'ai invoqué le catéchisme de Namur, imprimé en 1840 ; j'ai cité l'ouvrage de M. Devoti ; j'ai cité le mémoire des vicaires généraux en 1814, au congrès de Vienne ; j'ai rappelé l'opinion de l'honorable M. de Foere, qui est on ne peut plus explicite. Enfin je vous ai fait voir de quelle manière les évêques avaient répondu aux craintes qui avaient été exprimées sur le rétablissement de la dîme, je vous ai fait voir qu'au lieu de condamner d'une manière définitive la demande du rétablissement de la dîme, et de dire qu'il n'en serait plus jamais question, ils ne s'en sont expliqués que d'une manière équivoque et sans donner aucune des garanties qu'on était en droit d'exiger.

Pour couronner l'œuvre, voulez-vous maintenant des faits ? Eh bien, de fait la dîme a été payée ; des quittances de paiement ont été données et des stipulations ont été faites dans des baux. Que répondre à cela ? C'est, sans doute, encore une absurdité !

Maintenant, je vous le demande de bonne foi ; quand les journaux auxquels vous avez fait allusion dans vos attaques ont parlé de la dîme, quand ils ont laissé entrevoir la possibilité, alors qu'on demande déjà aujourd’hui le rétablissement de la mainmorte, qu'encouragés par ce succès, vous pourriez bien aussi demander un jour le rétablissement de la dîme, vous appartient-il de venir nous dire que ce sont là des moyens dégoûtants ? Vous est-il permis de parler de calomnies, de subterfuges, de moyens que la morale réprouve ?

M. Brabant - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Verhaegen – La nuance à laquelle vous avez fait allusion était dans le cas de la légitime défense ; vous l'accusiez de la manière la plus impitoyable, vous lui adressiez les reproches les plus amers, des reproches dénués de toute preuve. On l'attaquait de toutes parts, on employait contre elle tous les moyens que la délicatesse repousse, ,et vous voulez que cette opinion ainsi attaquée restât inactive ! La position eût été très facile pour nos adversaires ; nous allions succombé sans avoir combattu. L'opinion publique a fait justice et notre nuance a obtenu en 1841 dans la capitale une majorité même plus grande que celle qu'elle avait obtenue quatre ans auparavant.

Les électeurs sauront apprécier maintenant, puisque l'occasion de s'expliquer nous a été fournie à la veille d'une lutte nouvelle, et il ne serait pas impossible que cette discussion qui s'est élevée n'ait été engagée qu'en vue de ce nouveau combat qui va s'engager ; les électeurs sauront apprécier si les moyens qui ont été employés précédemment étaient légitimes et loyaux ; ils pourront se convaincre que s'ils n'avaient pas eu le bon esprit d'envoyer à la représentation nationale des gens qui pussent soutenir leurs principes et leurs opinions, il n'y aurait plus dans cette enceinte ni majorité ni minorité, mais une chambre perpétuelle, dans. laquelle il n'y aurait plus de discussion.

Ce qu'on voulait (et M. le ministre de l'intérieur ne s'en est pas caché), c'était d'empêcher la majorité de se déplacer ; on ne voulait pas de la dissolution, parce qu'on craignait ce déplacement ; on ne voulait pas du ministère ancien parce que sous son influence il serait sorti des élections une chambre libérale.

Et voyez donc le grand mal, si tel avait été le vœu du pays, s'il voulait dans son intérêt une chambre libérale au lieu d'une chambre que je ne qualifierai pas, mais que je laisse à M. le ministre de l'intérieur le soin de qualifier lui-même d'après les observations qu'il vous a soumises, et je ne sais pas si vous avez lieu d'en être flattés.

Eh bien ! la capitale verra dans la prochaine lutte ce qu'elle a à faire et je remercie mon honorable collègue de m'avoir fourni l'occasion d'éclairer ceux qui devaient l'être dans cette circonstance solennelle !

Plusieurs voix. - A demain, à demain.

M. Verhaegen. - Je n'ai pas fini.

M. Brabant - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Verhaegen - Je dois dire que je suis excessivement fatigué, et par une raison bien simple, c'est qu'à chaque instant on m'interrompt, ce qui me force à élever la voix.

M. Brabant - Eh bien, pendant que je parlerai, vous vous reposerez. Je demande à m'expliquer aujourd'hui sur le fait personnel.

M. le président - Vous avez la parole.

M. Brabant - Messieurs, j'ai été fort longtemps à comprendre la longue dissertation de l'honorable député de Bruxelles ; cependant dans ses dernières paroles j'ai vu tout le but de son discours, c'est une adresse aux électeurs pour lundi prochain.

M. de Villegas. - Qu'est-ce qu'il y a là de personnel ?

M. Brabant. - Qu'est-ce qu'il y a là de personnel, vous le verrez tout à l'heure M. de Villegas, j'aime à supposer que l'honorable M. Verhaegen n'était pas ici au commencement de mon discours et surtout qu'il n'avait pas entendu celui de l'honorable M. Delfosse.

M. Delfosse a parlé de mon élection ; j'ai demandé à lui répondre, j'avais le droit de le faire ; la chambre a eu la complaisance de m'écouter. Je ne suis pas entré dans une dissertation sur la dîme ; je n'ai pas dit un mot qui pût donner lieu au discours de l'honorable M. Verhaegen ; j'ai dit seulement qu'on avait imprimé, pour nuire à ma candidature, que je proposerais le rétablissement de la dîme, à la première requête des évêques.

Maintenant l'honorable M. Verhaegen entre dans une longue dissertation sur la demande du rétablissement de la dîme, et il a l'air de me faire un reproche d'avoir considéré comme une vieillerie ce qui se trouve dans un catéchisme fort ancien , bien qu'il ait été réimprimé en 1840.

Messieurs, ce n'est pas dans l'intérêt de ma candidature que j'ai fait une déclaration dans les feuilles publiques à l'époque de mon élection. Mais maintenant que cette élection me donne le droit de siéger ici pendant quatre années, j'ai la conviction qu'on ne peut regarder ma déclaration que comme désintéressée, et je suis persuadé que mes amis politiques la partageront. Voici ce que je disais au sujet du l'établissement de la dîme, dans ma lettre à l'Eclaireur.

« Je déclare que le rétablissement de la dîme et de tout ce dont vous vous montrez si niaisement effrayé, est à mes yeux chose impossible ; que l'insensé qui ferait semblable proposition commettrait un crime de lése-nation, et mériterait d'être traité comme tel, si l’on ne préférait l'enfermer immédiatement dans une maison de fous.

M. le président - La parole est continuée à M. Verhaegen.

Plusieurs voix. - A. demain ! à demain !

M. Verhaegen. - Je suis prêt à continuer ; je ne serai pas long.

M. Manilius - Nous avons été en section depuis onze heures. Nous ne pouvons être ici toute la journée.

M. Verhaegen - M. le président, je me trouve très fatigué ; je crains que la chambre ne le soit aussi, et ne me prête plus son attention. Je demande la remise de la discussion à demain.

M. Rodenbach - Je demande à dire quelques mots, je serai très court.

M. le président – La parole est à M. Rodenbach.

M. Rodenbach. - Messieurs, j'entends par la dîme la perception de 10 p. c. sur les fruits de la terre au profit du clergé. Voilà ce qu'autrefois on entendait par la dîme.

Je soutiens encore une fois qu'il est absurde, foncièrement absurde de prétendre qu'en 1841, le clergé veuille demander aux contribuables la dixième partie des fruits de la terre. On a mis en avant ces prétendues exigences du clergé comme un moyen électoral et c'est ce qu'on veut faire encore. Mais je soutiens qu'elles sont d'autant plus absurdes que la constitution dit que le moindre impôt ne peut être perçu qu'au profit du gouvernement. Donc la dîme serait inconstitutionnelle.

Messieurs, lorsqu’en 1814, l'évêque de Broglie adressa au congrès de Vienne son mémoire contresigné par le vicaire général Boussen, aujourd'hui évêque de Bruges, il n’y avait pas, de constitution ; il y avait alors table rase. Il a demande le rétablissement des dotations du clergé, pourquoi ? Parce que sous la république française, à l'époque de la terreur, on avait vendu pour plusieurs milliards des biens du clergé, et que l'on craignait de ne pas le voir salarié comme il l'est aujourd'hui ; on a donc pu demander en 1814 au congrès de Vienne une dotation comme on l'a obtenue au congrès belge, par l’article 117 de notre pacte fondamental. Messieurs, en 1830 et en 1831 lorsque le congrès était réuni, il y avait dans cette enceinte beaucoup d’ecclésiastiques. Eh bien ! ces ecclésiastiques aussi bien que ceux qui partageaient leurs opinions, ont par leurs votes prouvé qu’ils étaient contraires au rétablissement des privilèges et de la dîme ; ils ont à cette époque proclamé dans cette enceinte l’absurdité d’une telle demande.

Ainsi, je le répète, il est vraiment ridicule d’employer de pareils moyens, qui n’ont pour but que d’en imposer aux gens de la campagne, de les tromper, parce que l’on sait que les campagnards sont très susceptibles quand il s’agit de leurs intérêts. On se dit : Nous devons les tromper, nous devons leur faire croire qu’on exigera le dixième du produit de leurs terres, en les prenant par l’intérêt, nous réussirons.

Voilà comment raisonne un parti pour qui tous les moyens sont bons, même les moyens infâmes.

- La séance est levée à 5 heures.